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d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 11 août 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi organisant l’enseignement universitaire. Nombre d’établissements
universitaires aux frais de l’Etat (Rogier, Dubus, (+faculté de médecine à Louvain) Quirini),
rôle de l’Etat dans l’instruction publique (Desmet),
enseignement moyen (Demonceau), instruction primaire
(A. Rodenbach), nombre d’établissements
universitaires aux frais de l’Etat (Rogier, (+enseignement moyen) Pirson,
Verdussen), rôle de l’Etat dans l’instruction
publique (de Foere), intervention financière des villes
(Dumortier)
(Moniteur belge n°225, du 12 août 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la dernière séance dont la
rédaction est adoptée.
M. Verdussen présente l’analyse des mémoires adressés à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Six contrôleurs et
surnuméraires du cadastre dans la province de Limbourg réclament l’indemnité
qui leur revient par expertise et demandent à n’être pas compris dans la
disposition restrictive apportée à l’allocation des 400,000 fr. au budget des
finances. »
________________
« Plusieurs habitants
de la ville de Hasselt réclament contre les évaluations cadastrales des
propriétés et les contributions. »
________________
« Le major Bodart, à Theux, demande à être remis en activité de
service. »
- Ces pétitions sont
renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
________________
Il est fait hommage à la chambre
d’une brochure portant ce titre : De la
nécessite de créer un ministère de l’industrie, du commerce et des travaux
publics, par W. Nihon.
PROJET DE LOI ORGANISANT
L’ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE
Discussion générale
M.
le président. - L’ordre du jour est la discussion du projet de loi
relatif à l’instruction publique.
La discussion est ouverte
sur l’ensemble du projet forme du titre III de cette loi.
M. Rogier. - Je demande la
parole. Messieurs, il y a une question qui domine toutes les autres dans la
discussion qui va s’ouvrir, c’est celle du nombre des universités.
M.
le président. - D’après le règlement, quand un projet est mis en
délibération, il doit y avoir deux discussions, l’une sur l’ensemble et l’autre
sur les articles ; la question du nombre des universités rentre dans la
discussion des articles.
M. Rogier. - Mais la
discussion sur l’ensemble ne signifiera rien si on n’est pas fixé sur la
question principale, celle de savoir combien il y aura d’universités, car cette
question domine toute la loi. On pourrait faire porter la discussion d’abord
sur le nombre des universités à conserver et en faire l’objet d’un vote
particulier.
Je demande donc qu’on mette
aux voix la question de savoir si la discussion portera d’abord sur ce point.
M. Dubus. - La proposition
de l’honorable préopinant ne peut pas être accueillie, car elle tend à supprimer
la discussion sur l’ensemble du projet. Cette discussion sera supprimée de fait
si personne ne demande la parole, et que les orateurs se réservent de parler
sur l’art. 1er qui comprend la question du nombre des universités à conserver.
Mais si des membres veulent parler sur l’ensemble de la loi, nous n’avons pas
le droit de les en empêcher. Le règlement est la règle des minorités, il est
établi pour que la majorité ne puisse fermer la bouche à personne.
M. Rogier. - Je ne veux
fermer la bouche à personne.
M.
le président. - Voici ce que portent les articles 39 et 40 du règlement
:
« La discussion qui
suivra le rapport de la section centrale ou de la commission est divisée en
deux débats ; la discussion générale et celle des articles.
« La discussion
générale portera sur le principe et sur l’ensemble de la proposition. »
M. Rogier. - C’est un
conseil que je me suis permis de donner.
M. le
président. - La parole est à M. Quirini sur l’ensemble du projet.
M. Quirini. - Messieurs,
parmi les questions diverses que le projet de loi en discussion fait soulever,
la plus importante de toutes est sans contredit celle qui concerne le nombre de
nos universités. Cette question, vous le savez, messieurs, a été examinée dans
une foule d’écrits, envisagée sous plusieurs points de vue, et sans doute elle
a déjà fait l’objet de vos méditations. Désirant m’éclairer sur un sujet aussi
important, j’ai parcouru attentivement tous les mémoires qui nous ont été
communiqués ; j’ai voulu m’assurer par moi-même de quelle manière il a été
traité en dehors de cette enceinte : j’ai trouvé que les opinions sont loin
d’être d’accord. Cette divergence m’a d’abord étonné ; l’étonnement a cessé
lorsque j’ai réfléchi à l’influence sous laquelle la plupart de ceux qui ont
traité cette partie de la loi se trouvaient placés. La question du nombre des
universités a été constamment rattachée à celle qui concerne leur siège et
cette dernière intéresse évidemment les villes où se trouvent établies
actuellement celles dont le gouvernement précédent nous a dotés ; nul doute que
chacune d’elles n’attache le plus grand prix à la conservation de la sienne. Il
s’agit de voir d’abord s’il convient de satisfaire à toutes les exigences, de
ménager toutes ces rivalités : il me semble, messieurs, qu’il serait à désirer
qu’on s’entendît franchement sur ce point, car une fois le principe admis, nous
nous trouverions tous d’accord pour adopter les conséquences qui en dérivent
naturellement, et la discussion à laquelle nous allons nous livrer se
trouverait beaucoup abrégée.
Ainsi, messieurs, si l’on
convient d’avance que pour résoudre la difficulté qui nous est soumise, on doit
tenir compte des intérêts créés par la possession, il y a un moyen très facile
pour cela, c’est de conserver à chacune des villes de Gand, Liége et Louvain
l’université qu’elles possèdent aujourd’hui : alors on pourra se borner, dans
le projet en discussion, à réorganiser ce qui existe, à compléter les facultés
et à combler les lacunes que l’arrêté du gouvernement provisoire du 16 décembre
1830 y a introduites. Un autre moyen de contenter tout le monde, c’est de
disséminer les diverses branches dont se compose l’enseignement supérieur dans
chacune des villes intéressées, en plaçant par exemple la faculté de
philosophie et lettres à Louvain, celle de droit à Gand, enfin celles de
sciences et de médecine à Liége. On pourrait même, pour concilier avec les
exigences des villes qui sont actuellement en possession d’une université, les
prétentions qui sont survenues plus tard, à l’occasion de la présentation des
divers projets de loi, on pourrait, dis-je, pour concilier toutes ces
prétentions, accorder à la ville de Bruxelles la faculté de médecine : de cette
manière chacun aurait reçu sa part, chaque ville, j’aime à le croire, pourrait
se tenir pour satisfaite, et le gouvernement et les chambres seraient
débarrassées d’une foule de réclamations.
Que si l’on veut se
départir un peu de ce système, et accorder quelque chose à l’opinion générale
qui réclame depuis longtemps contre le nombre actuel de nos universités on
pourra résoudre la question dont il s’agit de manière à contenter non pas tous,
mais seulement la majorité des intéressés : dans ce dernier système, qui se
rapproche si fort de cette oppression, de cette tyrannie que nous voyons
quelquefois le puissant exercer sur le faible, on commencera par faire un
relevé comparatif des populations intéressées, on s’attachera ensuite à
satisfaire aux prétentions des villes qui ont l’avantage d’être plus
populeuses, on sacrifiera la plus faible. Dieu sait même si on n’essaiera point
d’étouffer les plaintes qu’elle ne manquera pas de faire entendre ; et de lui
prouver à l’aide de quelques raisons, qui ne seront que des prétextes ou de
véritables lieux communs, Dieu sait, dis-je, si on n’essaiera point de lui prouver que la
spoliation exercée à ses dépens est une nécessité, un sacrifice fait à
l’intérêt général et au bien-être du haut enseignement.
On dira peut-être que cette
manière de décider, ou plutôt de trancher la question qui nous est soumise,
n’est pas tout à fait conforme aux principes de l’équité : qu’il se peut fort
bien que l’intérêt de trois villes ou de celles que l’on a particulièrement en
vue, soit ici en désaccord avec celui de la généralité. Mais qui osera nier que
les deux systèmes que je viens d’indiquer n’offrent un expédient très simple et
on ne peut plus commode pour sortir d’embarras, et ménager les intérêts dont je
viens de parler, et peut-être d’autres encore, mais qui sont moins en évidence
? D’ailleurs, messieurs, il faut être juste envers tout le monde : ceux qui
parlent de ce principe pour résoudre la difficulté qui nous est soumise, ont au
moins ce mérite qui n’est point à dédaigner , c’est
que les motifs sur lesquels ils fondent leur opinion sont très bien connus et
franchement avoués, et qu’ils ne cherchent point à donner le change au pays sur
les intentions qui les font agir.
Mais, messieurs, je le
demande avec confiance, est-ce donc ainsi que la question doit être examinée
par les mandataires du peuple ? L’intérêt du pays tout entier, celui du haut
enseignement lui-même ne seraient donc plus rien à nos yeux, s’il était permis
de recourir à de pareilles capitulations ? Pour moi, députe de l’arrondissement
de Louvain, appartenant à cette même ville, élevé à son école, je connais toute
l’importance que mes commettants attachent à cette discussion : je sais que
depuis trois ans ils n’ont pas cessé de s’adresser au monarque pour solliciter
la conservation d’un établissement qu’ils ont toujours considéré comme leur
bien de prédilection, comme une source de prospérité et de bien-être matériels.
Je comprends toutes leurs alarmes, mais je comprends aussi que l’intérêt
matériel, l’esprit de localité ne peuvent exercer aucune influence sur ma
conviction : et pourtant, messieurs, si, au lieu de porter mes regards vers
l’étranger, au lieu de vous tracer l’historique des universités de l’Allemagne,
de l’Angleterre et de
En effet, messieurs, est-il
donc si difficile de décider si
Les motifs allégués par la
première commission sont trop sages pour que je ne croie pas nécessaire de les
rappeler ici.
Dans un pays, dit-elle, qui
offre si peu d’étendue que le nôtre, où les communications sont faciles, les
moyens de transport prompts et peu coûteux, une université paraît devoir
suffire pour propager l’instruction supérieure.
Autant l’instruction
élémentaire doit être générale, autant l’instruction supérieure doit être
resserrée dans de justes limites. Il n’est point de personne éclairée qui ne
sente le danger de renverser à tout instant la hiérarchie sociale, d’arracher
sans discernement les jeunes gens aux professions de leurs pères, et de leur
faire chercher dans les sciences et les lettres des ressources qu’elles ne
peuvent leur offrir.
Du reste, le bien que l’on
doit avoir en vue est d’organiser l’enseignement universitaire sur les bases
les plus larges, sans excéder la juste mesure des dépenses que l’Etat peut
faire. Or ce but ne saurait être atteint que par l’établissement d’une seule
université.
Trois universités, et même
deux, feront toujours perdre en dépenses pour les bâtiments, jardins, etc., des
sommes considérables, qui serviraient à compléter et à étendre l’instruction
dans une seule.
Les sommes allouées à deux
ou trois universités pour les bibliothèques et autres collections ne présentent
de ressources suffisantes pour aucune d’elles ; il y a double ou triple emploi
pour la plupart des objets, et on est obligé de se priver d’un grand nombre de
livres ou d’instruments nécessaires.
Il en résulte que le
matériel de nos universités actuelles est dans un état bien inférieur à celui
des écoles étrangères ; l’honneur du pays et les sciences en souffrent
nécessairement.
En attribuant donc à une
seule université la moitié ou les deux tiers de la somme accordée actuellement
aux trois universités, il y aurait à la fois économie pour le trésor public, et
profit pour le haut enseignement.
Le même raisonnement
s’applique à l’instruction considérée en elle-même : est-il utile qu’il y ait
deux ou trois chaires dans un même pays pour une branche de sciences, tandis
que pour d’autres branches de la même science, il n’en existe aucune ? Ne
convient-il pas qu’il n’y ait qu’une chaire pour chaque branche de
l’instruction et qu’elle soit toujours convenablement remplie ?
Si on veut que
l’enseignement supérieur soit porté au degré de perfection auquel il est
parvenu chez d’autres peuples, et qu’il puisse rivaliser avec les institutions
étrangères les plus distinguées, il faut le fortifier et le compléter.
J’avoue, messieurs, que
cette opinion, émise par des hommes aussi éclairés qu’impartiaux a vivement
fixé mon attention : les motifs rappelés sont de la dernière évidence : je
conviens avec la section centrale qui a partagé, à la majorité d’une seule voix
seulement, l’avis de la seconde commission ; je conviens, dis-je, avec la
section centrale, qu’il est très possible d’organiser en Belgique deux
universités, toutes deux très complètes et composées chacune de quatre facultés
; de les établir de manière à ce que le plan d’études y soit aussi vaste que le
pourrait être celui pour un établissement unique. Je conviens qu’il sera
toujours possible de trouver des professeurs. Assurément l’idée d’établir en
Belgique deux universités et même d’en placer dans chaque ville, n’offre rien
d’impossible dans son exécution ; il est toujours possible de faire des
dépenses, même inutiles et en pure perte, et de les faire payer par les
contribuables ; mais qu’il me soit permis d’observer à mon tour à la section
centrale que la question n’est point du
tout là ; il s’agit de savoir si dans l’état actuel des choses, avec le
principe de la liberté illimitée en matière d’enseignement, en présence de deux
institutions libres qui se sont déjà formées, il s’agit de savoir si deux
universités, entretenues aux frais de l’Etat, sont absolument nécessaires aux
besoins de
Permettez-moi, messieurs,
de vous citer ici les paroles d’un homme très distingué et dont votre section
centrale ne révoquera point le témoignage en doute, puisqu’elle a eu soin de
l’invoquer plus d’une fois dans son rapport : « Ce n’est pas, a dit M. Ch.
de Brouckere, la quantité d’universités, mais bien des écoles organisées de
manière à nous retenir dans notre patrie, qu’il nous faut : qu’on compare avec
impartialité nos écoles avec celles de l’étranger, et l’on sera convaincu de la
nécessité d’étendre partout le cadre de l’enseignement. Qu’on pèse nos charges,
et l’on sentira qu’il est expédient de les alléger autant que possible ; les
conséquences de ces considérations sont palpables. »
C’est ainsi que s’exprimait
M. de Brouckere à une époque où les provinces méridionales ne comptaient comme
aujourd’hui que trois universités, à une époque où les finances du pays ne
commandaient certainement pas aussi impérieusement qu’aujourd’hui de s’abstenir
de toute dépense inutile ! Eh bien ! la première
commission n’a fait que réaliser les idées de ce publiciste distingué.
Ainsi la première
commission, mettant à part tout intérêt de localité, déterminée uniquement par
des motifs d’intérêt général, a pensé que le gouvernement devait se borner à
ériger une seule université. Cette opinion était partagée depuis longtemps par
tout ce qu’il y a d’esprits judicieux en Belgique. Elle a été livrée à la
critique ; et ne craignons pas de le dire, jusqu’à la publication du rapport de
la seconde commission, elle n’avait pas trouvé un seul contradicteur dans le pays.
Cependant, cette seconde commission s’est prononcée en faveur du système de
deux universités, et puisque que la section centrale et le gouvernement ont
jugé convenable d’adopter le nouveau système, nous devons présumer que les
motifs qui les ont déterminés seront plus décisifs et plus puissants encore que
ceux qui ont été invoqués en faveur d’une seule université. Ecoutons !
A la différence de la
première commission, celle dont j’examine en ce moment l’opinion, commence par
déclarer que la question est très embarrassante. « La question du nombre
des universités, dit-elle, est pleine de difficultés ; elle a été longuement
débattue dans la commission ; les divers systèmes ont été envisagés sous toutes
leurs faces. » Le motif de ces embarras que la commission n’a point avoué,
est bien facile à deviner : elle avait d’abord arrêté la suppression d’une des
trois universités ; après cela, elle ne voyait plus dans la question qu’une
lutte entre deux villes rivales, et l’on conçoit aisément que là où les prétentions
et les droits sont à peu près égaux de part et d’autre, où il n’existait aucun
motif de préférence, l’embarras devait effectivement être grand. Elle résume
ensuite les motifs qui ont déterminé l’opinion de la première commission en
faveur d’une seule université ; elle avoue que ces motifs sont très puissants.
« De puissants motifs,
dit-elle, militent en faveur d’une seule université : dans ce système on est
moins exposé à devoir employer des hommes médiocres, ou à appeler des
professeurs étrangers ; on réunit dans une seule école tous les hommes de
talent ; il devient possible d’augmenter le nombre des chaires sans qu’il y ait
double emploi pour le personnel, pour les objets d’enseignement. La même
observation s’applique au matériel ; s’il y a des dépenses à faire que pour un
seul local, bâtiments, jardins, collections, tout sera plus vaste, plus beau,
plus complet, et le trésor de l’Etat y gagnera encore.
« Une université en
Belgique pourrait devenir un de ces grand foyers d’instruction qui rivaliserait
avec les universités étrangères, servirait de modèle aux écoles libres, et
serait un sujet d’orgueil national. »
Elle reconnaît que tous des
motifs se résument en cette pensée dominante : « Obtenir de plus grands
résultats à moins de frais, faire plus et mieux avec économie. » Elle avoue que
cette considération est toute puissante, et pourtant elle hésite !... Et
pourquoi donc hésiter ? Si la suppression de deux de nos universités est
réellement nécessaire, si c’est là une mesure commandée par l’intérêt général
du pays et le bien-être de l’instruction supérieure, il faut prononcer cette
suppression, il faut avoir assez de confiance dans le bon sens de la nation
pour croire qu’elle saura comprendre la puissance des motifs qui la
nécessitent. D’où viennent donc ces scrupules ? Le voici ; la commission a soin
de nous les faire connaître :
« Elle se serait prononcée,
dit-elle, comme la première pour une seule université, si elle avait eu à
prononcer en thèse générale : mais il fallait tenir compte des intérêts créés
par la possession. » Voilà donc le motif principal. Mais quels sont donc ces
intérêts crées par la possession, si puissants pour contrebalancer les raisons
décisives qui ont déterminé la première commission ? S’agit-il de ces intérêts
moraux qui peuvent influencer sur le bien-être de l’instruction, et favoriser
le succès des universités que l’on se propose de créer ? Je suppose par exemple
qu’il existe quelque part un grand établissement d’instruction publique dont la
réputation se soit étendue chez toutes les autres nations ; que cet
établissement ait continue d’exister pendant plusieurs siècles dans une même
ville. Ici je comprends qu’un législateur éclairé éprouve quelque répugnance à
détruire un semblable établissement auquel sa nation se serait plus ou moins
attachée, qu’il se laisse influencer par cette masse de souvenirs dont l’effet
est si magique sur la jeunesse studieuse. Mais ce n’est point du tout de ces
intérêts-là qu’il s’agit. On paraît décidé aujourd’hui à dédaigner cette
vieille célébrité, à rompre à tout jamais avec le passé.
Après avoir déclaré qu’il
serait difficile de fixer à une université unique un siège convenable, et
rappelé en même temps que la ville de Louvain présente en sa faveur une
position centrale, jointe à une ancienne possession, la commission ajoute :
« Gand a fait d’immenses sacrifices pour le matériel de son université ;
l’université de Liége a conservé trois de ses facultés et la plupart de ses
anciens professeurs ; les élèves y sont très nombreux et les études florissantes. »
Ainsi, messieurs, vous l’entendez, c’est sur un motif d’intérêt purement
matériel que la commission a principalement basé son opinion en faveur de deux
universités, c’est parce qu’il existe dans les deux villes qui viennent d’être
désignées, et des bâtiments et un matériel convenable, qu’elle vous propose de
conserver deux universités : ce sont ces bâtiments et ce matériel qui ont
particulièrement fixé son attention.
Ce raisonnement, je le dis franchement,
m’a fait éprouver un sentiment pénible d’étonnement. Ce n’est plus l’intérêt
général que l’on a en vue ; je ne vois plus que trois villes rivales qui se
disputent le siège d’une université. La plus faible est sacrifiée aux exigences
des deux autres, qui finissent par s’entendre et par s’arranger entre elles en
partageant les dépouilles de la première. Mais, messieurs, s’il était permis de
s’arrêter à un pareil motif, comment pourrait-on échapper au reproche
d’injustice et de partialité que ne manquerait pas de nous adresser, et avec
beaucoup de fondement, la ville de Louvain. On invoque la possession, mais
ignore-t-on que cette ville possède son université depuis plus de quatre
siècles ? que les ressources qu’elle présente tant en
bâtiment que matériel y sont bien autrement importantes que celles des deux
villes qu’on lui oppose ? Ignore-t-on que, tandis que celles-ci n’ont pour
toute ressource que les subsides du trésor, l’université de Louvain possède un
revenu propre de plus de 200,000 fr. qu’on ne pourrait lui enlever sans violer
la volonté des fondateurs, méconnaître leurs intentions, et renouveler les
actes de spoliation dont la révolution française nous offre le déplorable
exemple ? Les habitants de la ville de Louvain ne pourraient-ils pas nous
rétorquer cette espèce de reproche que le rapporteur de votre section centrale
nous adresse contre la suppression des universités de Liége et de Gand
? « Vous iriez laisser tous ces monuments vides et déserts, vous en
exileriez les sciences qui s’y sont reposées si longtemps, vous laisseriez tant
de richesses inutiles et enfouies. » Ce sont les expressions de M. le
rapporteur de la section centrale. Ces expressions auraient-elles perdu par
hasard toute leur signification, toute leur portée, précisément parce qu’il
s’agit ici de la ville de Louvain, et n’auraient-elles de sens que lorsqu’il
s’agit de favoriser les intérêts de ses deux rivales ?
« L’université de
Liége a conservé trois de ses facultés, et la plupart de ses anciens
professeurs ! » Je comprends : est-ce par hasard pour préparer la ville de
Louvain au coup fatal dont elle est menacée et pour amener la destruction de
son université, avant même qu’elle n’eût été prononcée par la législature, que
le gouvernement provisoire aurait supprimé deux de ses facultés ? Cette mesure,
j’en conviens, a éloigné de l’université de Louvain quelques savants distingués
qui ont été accueillis avec beaucoup de bienveillance par les gouvernements
étrangers. Mais non, messieurs, le gouvernement provisoire a lui-même senti
l’injustice de cette suppression. Il a senti qu’il ne pouvait traiter ainsi une
population héroïque qui a assuré le triomphe de notre révolution. Il s’est
empressé de révoquer cet arrêté et de rendre à l’université de Louvain sa
faculté de jurisprudence. Cette université a donc aussi conservé trois de ses
facultés et compte encore un très grand nombre de professeurs distingués ; et
en dépit de tous les efforts qui ont été tentés pour la faire tomber, elle n’a
pas cessé de réunir, je ne dis pas seulement un très grand nombre, mais un
nombre plus considérable d’élèves que les deux autres, et qui y sont attirés de
toutes les provinces du royaume. Si donc la question soulevée pouvait être
décidée par les motifs qui sont rappelés par la seconde commission, la ville de
Louvain aurait au moins les mêmes titres à faire valoir pour la conservation de
son université que celles de Gand et de Liége.
On vous a fait sentir
ensuite les dangers qu’il y aurait à réunir, dans une même ville, toute la
jeunesse qui s’applique aux études ; mais veuillez-le remarquer, messieurs,
l’objection est faite contre l’établissement d’une université unique dans la
capitale : tout ce qui en résulte, c est qu’il ne convient pas de fixer le
siège d’une université unique dans une ville trop populeuse ; mais il est de la
dernière évidence que l’objection ne peut point s’appliquer à la ville que l’on
prétend sacrifier : la population de la ville de Louvain, sans être minime,
n’est pas pourtant tellement importante qu’on puisse redouter sérieusement
quelques inconvénients de la présence dans son sein de quatre à cinq cents
étudiants ; je dis de quatre à cinq cents étudiants, et je le dis à dessein,
car ce serait se tromper d’une manière bien étrange, que de supposer que
l’université du gouvernement réunira tous les élèves qui fréquentent
aujourd’hui les trois universités du royaume : les universités libres en
attireront un grand nombre. On ne s’avisera pas de dire, sans doute, que ces
institutions ne doivent être considérées que comme étant d’un intérêt purement
accessoire, et qu’elles n’exerceront aucune influence sur l’enseignement
supérieur. Si ces institutions n’ont pas encore reçu tout ce qu’elles sont
destinées à recevoir, c’est que le principe de notre constitution, qui proclame
la liberté de l’enseignement, n’a pas été organisé jusqu’ici comme il doit
l’être, de manière à garantir leur existence : les élèves qui fréquentent les
universités libres n’ont pas eu jusqu’ici la perspective d’obtenir les grades
académiques auxquels ils aspirent, en se présentant devant un corps impartial
et désintéressé. Les universités du gouvernement ont encore seules le droit de
faire les examens et de conférer les diplômes ; mais ce droit leur sera enlevé
dans peu par l’érection d’un jury libre d’examen. Dès lors, les universités
libres vont se trouver absolument sur la même ligne que celles établies aux
frais de l’Etat, et celles-ci n’auront plus la préférence, que l’état
d’incertitude dans lequel les parents et les élèves ont été placés jusqu’à ce
jour leur a fait obtenir sur les autres ; les universités libres ne tarderont
pas à recevoir une organisation complète. Pour moi, messieurs, j’ai la
conviction que ces universités, et surtout l’université catholique, sont
appelées à jouer un très grand rôle dans notre enseignement supérieur ; et
comment ne partagerait-on pas cette conviction, lorsque l’on voit la
prédilection toute particulière que les parents montrent partout pour les
établissements qui sont placés sous la surveillance des membres du clergé ? Comment
ne partagerait-on pas cette conviction, lorsque l’on voit la plupart des
collèges qui ont été entretenus de tout temps par les communes, devenus déserts
et entièrement abandonnés par suite de la concurrence que les établissements,
dirigés par le clergé, est venu leur opposer. Cette supériorité, j’aime à la
reconnaître, est due à la bonne direction et à l’excellence des études qui
distinguent ces établissements de tous les autres. Mais enfin, messieurs ce
serait faire un étrange mécompte que de s’imaginer que les universités libres
organisées sur une échelle très vaste ne pourront point lutter avec celle de
l’Etat, et qu’elles ne parviendront point à attirer un grand nombre des élèves
qui fréquentent aujourd’hui ces dernières.
Qu’on ne s’y méprenne
point, messieurs le projet d’établir deux universités aux frais de l’Etat ne
peut avoir qu’un seul but, un seul résultat, c’est d’amener la destruction
complète de tout enseignement supérieur à donner aux frais de l’Etat. En effet,
ce n’est pas assez d’avoir érigé à grands frais de vastes établissements, d’y
placer un grand nombre de professeurs ; il faut encore avoir la certitude que
ces établissements réuniront un nombre suffisant d’élèves qui viendront
profiter de cette dépense, et qu’ils ne deviendront point déserts.
Mais comment la section
centrale a-t-elle pu adopter le système de deux universités à la charge de
l’Etat, elle qui a borné le rôle du gouvernement, en matière d’instruction, à
si peu de chose, elle qui a commencé par admettre en principe que, bien loin
d’avoir le soin principal de l’enseignement, le gouvernement ne l’a que d’une
manière exceptionnelle et limitée ; que son intervention doit se borner à ce
qui est strictement nécessaire, et seulement pour combler le vide que pourrait
y laisser la liberté trop jeune encore pour avoir eu le temps de tout
reconstruire ? Comment a-t-elle pu proposer la conservation de deux
universités, alors qu’elle partage sons tous les rapports ma manière de voir
sur les heureux résultats que doit amener chez nous la liberté de
l’enseignement ? Il est plus que probable, dit-elle, à moins que le régime
libéral ne soit une amère déception, que, sous son influence, de grandes
institutions libres vont bientôt s’élever, et que l’intervention de l’Etat
diminuera insensiblement de telle manière que les universités de l’Etat, par
exemple, deviennent à peu près désertes ; et c’est en présence de tels aveux,
sous l’influence d’une semblable prévision, et lorsque les institutions libres
dont on parle existent déjà, que d’autres peut-être sont à la veille d’être
organisées, c’est en présence de pareilles déclarations que l’on vient proposer
sérieusement de maintenir à grands frais des établissements qui, de l’aveu même
de cette section, finiront par tomber et par devenir déserts, tandis qu’un peu
plus loin elle invoque, comme un des motifs qui militent en faveur de deux
universités, la nécessité éventuelle de suppléer aux besoins du haut
enseignement dans le cas où l’une d’elles viendrait à tomber.
On vous a parlé de la
nécessité d’établir une concurrence entre les deux universités du gouvernement
; mais quelle concurrence prétend-on faire naître entre des établissements qui
seront séparés par trente lieues de distance ? L’expérience d’ailleurs ne
parle-t-elle pas encore plus haut que toutes les théories ? Depuis dix-huit ans
que
Permettez-moi, messieurs,
de vous présenter encore une observation, dont vous apprécierez facilement
toute la portée : jusqu’à ce jour on n’a pas cessé de se récrier contre le
nombre de nos universités ; à chaque discussion du budget, les réclamations les
plus énergique étaient lancées dans le sein des ancien états-généraux contre
l’énorme dépense qu’occasionnait leur entretien, et l’on demandait impérieusement
des réductions. Le gouvernement précédent avait si bien senti combien ces
réclamations étaient fondées, que déjà en 1828 une commission avait été nommée
pour examiner, entre autres questions, celle de savoir s il ne conviendrait pas
de faire une suppression d’universités. La réponse unanime de toutes les
personnes qui ont donné leur avis sur ce projet de réforme, a été pour
l’adoption d’une mesure dont chacun alors avait déjà compris la nécessité. Et
pourtant, messieurs, à l’époque où ces réclamations étaient formées, il
n’existait que trois universités pour les provinces méridionales du royaume.
Mais qu’auraient dit et le gouvernement des Pays-Bas et les anciens
états-généraux, si à ces universités étaient venues se joindre deux autres
érigées aux frais de particuliers et destinées à recevoir une très grande
extension ? Et pourtant, messieurs, veuillez-le remarquer, l’opinion émise
avant la révolution contre le nombre de nos universités n’a point changé
depuis. Aujourd’hui comme alors, tout le monde et le gouvernement lui-même
s’accordent à reconnaître que le nombre excède évidemment les besoins de
On vous a parlé encore de
la prétendue nécessité qu’il y a de favoriser les études de la médecine, afin
de remplacer les officiers de santé qui exercent encore l’art de guérir dans
les campagnes, par d’habiles médecins. L’honorable M. Pirson avait déjà répondu
en partie à cette objection en nous faisant remarquer qu’il y a en ce moment
plus de médecins en Belgique que de malades ; la plupart des communes rurales
en ont même plusieurs. Mais, messieurs, je le demande, si vous n’établissez
qu’une seule université en Belgique, au lieu de deux, croyez-vous que vous
détournerez par là les jeunes gens de l’étude de la médecine ? En coûtera-il
davantage ? Les universités libres et l’enseignement médical qui se donne dans
la plupart des grandes villes du royaume, ne fourniront-ils pas assez de sujets
? Si vous voulez favoriser les jeunes gens qui se destinent à l’exercice de
l’art de guérir, ménagez-leur plus de ressources, augmentez le subside qui est
réservé au mérite sans fortune, et l’économie qui résultera de la suppression
de deux universités, vous permettra de le faire sans imposer de nouvelles
changes au contribuable.
J’oubliais de répondre à
une objection assez spécieuse faite par la section centrale, et qu’il m’importe
pourtant de relever. S’il faut en croire cette section, l’économie que nous
avons en vue n’est qu’une considération purement accessoire. Puis encore, il
est fort douteux que cette économie soit bien notable, à cause de
l’établissement d’une école polytechnique et d’une école de mines que
nécessiterait l’établissement d’une université unique.
Je ne répondrai au premier
motif allégué qu’une seule chose : il résulte des calculs auxquels la première
commission s’est livrée, que nos trois universités, dont on reconnaît que
l’enseignement est mal monté et tout à fait incomplet, coûtent annuellement au
pays une somme de cinq cent soixante et onze mille francs.
Pour organiser une
université telle que la commission le propose, il faudra faire une dépense au
moins de deux cent trente-neuf mille francs.
Je laisse à chacun le soin
d’apprécier si une somme aussi considérable de 239,000 francs par an peut être
dépensée inutilement et sans aucun fruit ; si c’est là une économie à dédaigner
dans l’état où se trouvent nos finances, une considération purement accessoire.
Je passe au second motif.
Remarquons d’abord,
messieurs, que la section centrale et la nouvelle commission tranchent ici d’un
trait de plume une question assez importante et qui présente quelque
difficulté, c’est celle de savoir s’il convient de réunir l’école polytechnique
à l’enseignement universitaire. Remarquez, messieurs, que cette réunion
n’existe dans aucun autre pays. Deux professeurs distingués qui ont publié des
observations très judicieuses sur le système de réforme projeté en 1828 par le
gouvernement précédent pour le haut enseignement, ont été d’avis que cette
union rencontrait un obstacle insurmontable dans la différence des études
auxquelles doivent se livrer les jeunes gens qui se destinent à l’exercice des
professions libérales, et de celles qui constituent l’enseignement des écoles
polytechniques. Parmi plusieurs motifs rapportés à l’appui de cette opinion, je
me bornerai à citer les suivants : « Une école polytechnique profite à
être dirigée militairement. Un système pareil causerait la décadence des écoles
littéraires et de celles de jurisprudence dont les élèves doivent pouvoir
chercher et comparer les objets de leurs méditations. » (Essai de réponse
aux questions officielles sur l’enseignement supérieur, par MM. de Reiffenberg et Warnkoenig). La
première commission a complètement partagé cet avis. Cette commission a pris
soin d’indiquer les différences principales que présente l’organisation de
l’université et celle de l’école polytechnique. Je lis à la page 202 de son
rapport le passage suivant : « En second lieu, le directeur de l’école
polytechnique exerce, d’après le projet, une action plus étendue sur le
personnel et sur le matériel de cet établissement que le recteur dans
l’université ; mais indépendamment de ce que ce directeur réunit les fonctions
d’administrateur et celles de recteur, il nous a paru convenable que le chef
d’une école dont le régime est essentiellement militaire, ait une plus grande
part d’autorité que celui d’un établissement dont les élèves se destinent à des
professions différentes. »
Ces observations, il faut
bien le reconnaître, ne manquent pas de vérité ; elles sont fondées sur ce qui
s’est pratiqué de tout temps dans tous les autres pays ; mais tout cela a été
perdu de vue, tout a été sacrifié au désir de trouver un argument pour
l’établissement de deux universités et pour détruire celle de Louvain.
Mais enfin, messieurs, je
suppose que la première commission, quelque compétents que soient les membres
aussi savants que distingués dont elle était composée pour décider cette
question, soit en erreur ; que la réunion de l’école polytechnique à
l’enseignement universitaire ne présente aucun inconvénient, n’offre rien
d’impossible, pour me servir des termes favoris de la section centrale : est-ce
donc une raison d’en conclure que puisque
Nous avons dit que le motif
principal, la raison déterminante, qui a engagé la seconde commission à
proposer l’établissement de deux universités, c’était la crainte de froisser
les intérêts créés par la possession ; la section centrale, au contraire, qui a
préféré le même système, a été déterminée principalement, dit-elle, par la
difficulté de trouver un siège convenable pour une université centrale ; elle a
trouvé que cette difficulté est presque insoluble, et comme si elle eût craint
qu’on ne lui opposât la ville de Louvain, Louvain dont elle ne veut à aucun
prix, mais pour laquelle, n’en doutez pas, messieurs, d’autres ne se montreront
pas aussi dédaigneux, aussi difficiles, elle ajoute de suite :
« Le mémoire du sénat
académique de Gaud signale l’inconvénient qu’il y aurait à fixer le siège d’une
université centrale à Louvain, principalement sous le rapport de l’enseignement
médical, qui ne pourrait y être suffisant, et la section centrale a cru cette
objection fondée. »
De tous les reproches que
l’on a adressés à la ville de Louvain, le moins fondé, celui dont l’absurdité
ne peut manquer d’être reconnue par tous ceux qui savent comment l’enseignement
de la médecine y a toujours été donné, est sans contredit celui qui vient
d’être articulé : personne n’ignore que la faculté de médecine de l’université
de Louvain a été de tout temps une des plus célèbres du pays, qui a attiré
constamment le plus grand nombre d’étrangers : cette supériorité doit être
attribuée en grande partie au mérite particulier des professeurs qui y sont
attachés. Aussi cette faculté a-t-elle produit un grand nombre de sujets très
distingués qui jouissent aujourd’hui d’une très grande réputation, dont
plusieurs même ont obtenu la confiance illimitée du gouvernement, occupent les
places les plus élevées ou font partie des corps enseignants. La faculté de
médecine de Louvain est encore celle qui compte aujourd’hui le plus grand
nombre d’élèves. Le reproche dont il s’agit avait d’abord été mis en avant pour
obtenir l’établissement d’une université unique à Bruxelles. Quoi qu’il en
soit, comme la nouvelle commission avait trouvé à propos de s’en emparer, le
sénat académique de l’université de Louvain s’est attaché à le réfuter dans un
mémoire qui nous a été communiqué. Les observations qui sont consignées dans ce
mémoire ont été trouvées assez importantes pour mériter une réplique de la part
du sénat académique de l’université de Gand ; voilà donc une dispute engagée
entre deux facultés de médecine, et cela sur une matière qui, je le reconnais,
est tout à fait de leur compétence.
Mais la section centrale
vient s’interposer fièrement entre les deux corps savants et prononce que celui
de l’université de Gand a raison. Cela est assurément fort commode ; mais,
messieurs, si je venais vous prouver que le raisonnement du sénat académique de
Gand ne repose que sur des faits inexacts, si je prenais l’engagement d’établir
que ces faits dans lesquels la section centrale a puisé sa conviction sont
complètement erronés, si je parvenais à prouver jusqu’à satiété, et je ne pense
pas que quelqu’un veuille me faire l’injure de supposer que je sois en état de
trahir la vérité ; si, dis-je, je parvenais à lui prouver au moyen de faits
connus, et dont l’exactitude pourrait être vérifiée à chaque heure du jour, que
les renseignements fournis par le sénat académique de Gand sur les ressources
qu’offre l’enseignement de. la médecine à l’université
de Louvain sont dénués de vérité, maintiendrait-elle encore sa première
décision, attacherait-elle encore de l’importance à un reproche qu’elle a si
légèrement accueilli ? Messieurs, je ne sollicite pour la ville de Louvain ni
prévention, ni faveur ; je ne demande qu’une seule chose, c’est la justice et
l’impartialité.
Elle a été calomniée tant
de fois et d’une manière si injuste par des voix intéressées ; on a répété si
souvent et avec tant d’assurance les reproches les plus absurdes, sans qu’elle
ait eu le pouvoir de se défendre, qu’il peut bien être permis une fois de faire
entendre la vérité et de redresser les faits.
Tout le raisonnement du
sénat académique de Gand repose sur cette assertion : « L’hôpital de Louvain
n’est que d’une quarantaine de lits, et encore ne sont-ils pas toujours occupés
par des individus atteints d’affections caractérisées. » Or, la régence de
la ville de Louvain vous a démontré que cette assertion est tout à fait erronée.
L’hôpital seul de Louvain ne se compose pas d’une quarantaine de lits, mais
bien d’une centaine de lits, toujours occupes à l’instar de ceux des autres
villes. La moyennes des journées d’occupation, pendant
les cinq derniers mois de 1830 à l834, a donné 84 malades par jour.
La faculté de médecine de
l’université est exclusivement chargée du service médical de l’hôpital.
Une salle de consultations
gratuites y est annexée, où 40 à 50 malades se rendent journellement aux heures
des leçons. Ces malades, attirés par la réputation généralement répandue de
professeurs d’un mérite éminent, appartiennent en grande partie aux villes et
communes environnantes. Ceux qui présentent les cas les plus intéressants pour
la science et ne peuvent pas se transporter tous les jours, sont engagés à
rester en traitement dans l’hôpital même, qui, loin de se borner aux nombreux
malades de la ville, reçoit ainsi ce que l’arrondissement fournit de maladies
les plus utiles à l’enseignement de la clinique. Les personnes infirmes ne sont
pas admises à l’hôpital. Un hospice d’incurables, de 35 à 40 lits
, est ouvert pour eux dans un autre quartier de la ville. La plupart de
ces malheureux ne sont pas perdus pour l’instruction des élèves, auxquels ils
servent à faire connaître les progrès croissants des maladies, qui, dans le
principe, ne se présentent souvent que sous l’apparence de lésions légères.
La clinique des
accouchements est enseignée d’une manière qui n’est surpassée nulle part, dans
un hospice de maternité dont tous les lits sont constamment occupés par des
personnes soit de la ville, soit de l’étranger, qui s’empressent de venir
réclamer les secours habiles que leur état exige.
A l’hôpital civil d’une
centaine et non d’une quarantaine de lits, à la salle des consultations gratuites
fréquentée journellement par 30 à 50 personnes, à l’hospice de maternité, à
l’hospice des incurables, on doit ajouter les ressources que présentent un
hospice d’enfants trouvés avec un tour, un hospice pour les aliénés du sexe
masculin, un autre pour le sexe féminin, un autre pour les aveugles ; un grand
hôpital militaire, l’un des plus beaux de notre pays, organisé pour 700
malades, nombre qui, au moyen de l’adjonction d’une succursale, s’est élevé au
delà de 2,200 en 1832 et 1833.
Qu’on consulte sur
l’ensemble des ressources qu’offrent les établissements que nous venons
d’indiquer, non les personnes intéressées, mais des personnes à la fois
instruites, désintéressées et impartiales, et on n’en trouvera point qui
répondent que la réunion de tant d’établissements divers ne forment point des
ressources suffisantes pour l’enseignement de toutes les branches de l’art de
guérir.
Pardonnez-moi, messieurs,
cette digression dans laquelle j’ai été entraîné par la section centrale ;
oublions pour un moment et la ville de Louvain et son université pour revenir à
la question que nous avons à examiner.
Prenons l’objection de la
section centrale, ou plutôt du sénat académique de Gand, à la lettre :
admettons pour un moment, ce qui est indubitablement controuvé, que
l’université de Louvain ne présente pas des ressources suffisantes pour l’étude
de la médecine. Mais encore une fois, cette objection ne prouve nullement qu’il
soit nécessaire d’ériger deux universités, et c’est là cependant ce qu’il
s’agit de prouver. Les villes de Gand et de Liège, dites-vous, réunissant
toutes les conditions désirées pour l’enseignement de la médecine ; eh bien,
choisissez donc entre ces deux villes. Il est vrai qu’elles sont situées chacune
à l’extrême frontière du pays ; mais enfin il paraît décidé qu’on n’attachera
aucune importance à trouver un point central ; établissez donc une université à
Gand ou à Liége, peu importe, on trouvera facilement le moyen d’indemniser
celle qui aura perdu son établissement. Quant à Louvain, elle n’a pas encore
fait de menaces ; elle se laissera dépouiller sans murmurer. Il est vrai que
ses habitants ont puissamment contribué au succès de la révolution, qu’ils en
ont assuré le triomphe ; mais les jours de danger sont passé, la révolution est
un fait consommé, ce n’est plus que de l’histoire.
Je ne terminerai point sans
rappeler une considération qui a été présentée plusieurs fois en faveur d’une
seule université, et dont le gouvernement a, lui-même, apprécié toute
l’importance. Etablir deux universités dont l’une serait placée dans les
Flandres et l’autre dans le pays wallon, c’est empêcher toute fusion, c’est
perpétuer et accroître peut-être davantage les préventions qui existent entre
les habitants de ces deux parties du royaume.. La section centrale s’est
efforcée de détruire cette raison déterminante, en répondant, toujours avec le
sénat académique de Gand, que l’ancienne université de Louvain n’ayant jamais
pu produire cette fusion, il est à croire que celle qu’on établirait
aujourd’hui ne l’amènerait pas davantage , Mais la section centrale n’a pas
tenu compte de l’obstacle insurmontable qu’elle rencontrait alors dans les
institutions politiques du pays. Un savant publiciste qui a recherché, de nos jours,
avec un talent auquel tout le monde rend hommage, les institutions des
principaux pays de l’Europe, a, le premier, fait ressortir le défaut
d’homogénéité et de nationalité, qui est particulier aux provinces de notre
pays. Sans limites fixes et déterminées, sans langue particulière, communes à
toutes, sans unité de gouvernement, ces provinces, dit-il, n’ont eu
d’autre lien que l’identité de la
personne du souverain ; encore, depuis l’extinction des Carlovingiens n’ont-elles
eu ce léger point de contact que pendant environ un demi-siècle. (Meyer,
Institutions judiciaires).
Chaque province, chaque
commune avait ses privilèges particuliers, sa législation spéciale qui auraient
détruit toute nationalité, si elle avait existé. Cet obstacle est écarté de nos
jours. Régies par la même constitution, par la même législation provinciale et
communale, par les mêmes lois votées par une seule représentation nationale,
les différentes localités de
Me résumant,
messieurs, je pense que les motifs qui ont été allègues par la première commission
en faveur d’une seule université n’ont point été réfutés, qu’ils subsistent
dans toute leur force ; je pense que les arguments dont on s’est servi pour
combattre cette proposition ne sont que des prétextes pour déposséder la ville
de Louvain. Comme la section centrale, j’ai foi dans notre régime libéral ;
comme elle je pense que les institutions libres pourront bientôt être entourées
de la confiance publique, que l’intervention de l’Etat deviendra à peu près
nulle ; mais c’est précisément pour ce motif que je ne veux pas que l’Etat
aille ériger, à grands frais, deux établissements dont je prévois la ruine. Je
pense que, pour lutter convenablement et opposer une concurrence efficace et
surtout durable aux universités libres, ce que doit désirer tout homme qui a
mission d’agir, non pas dans l’intérêt de tel ou de tel parti, mais dans celui
du pays tout entier, le gouvernement a plus que jamais besoin de concentrer
toutes ces forces intellectuelles, toutes ses ressources et toute son énergie
scientifique, sur un même point. Je voterai donc pour la conservation d’une
seule université aux frais du pays. Maintenant vous placerez cette université à
Gand, Bruxelles, à Liége ou à Anvers, peu m’importe : je dirai seulement en
faveur de Louvain qu’en privant cette ville de son université, en l’en privant
sans motifs, sans aucune nécessité, la législature aura donné lieu à ce
rapprochement aussi odieux que pénible. La ville de Leyde rendit un service
éclatant à la révolution de 1568, elle en fut récompensée par l’érection d’une
université dans son enceinte. La ville de Louvain rendit un service signale à
la révolution de 1830, elle en fut punie par la perte de son université, dont
elle était dotée depuis 1426.
M. Desmet. - Pour un objet d’une
telle importance que celui de l’enseignement, je trouve utile de faire
connaître les motifs du vote que je compte émettre, et surtout quand je pense
que nous sommes pour ce vote bien moins les représentants de nos contemporains
que ceux de la postérité, dont nous avons le mandat entre les mains, et que
l’avenir de nos enfants est tout entier dans la question sur laquelle nous
sommes appelés à prononcer,
Oui, messieurs, tout sort
en effet de l’enseignement ou de l’éducation, le bien et le mal, les opinions,
les mœurs, les sentiments, les habitudes. L’avenir tout entier de votre pays,
dis-je, s’y trouve, et je ne crains pas de le prononcer, celui aussi de la
religion, qu’il a su conserver dans sa pureté depuis tant de siècles et
prémunir contre les écueils de l’erreur.
Je ne ferai point
d’observations sur l’idée étrange qu’ont eue les ministres d’amalgamer dans un
même corps de loi, et l’organisation du jury d’examen, qui est une loi commune
aux diverses, espèces d’enseignement, et les dispositions qui régleront
l’instruction donnée aux frais de l’Etat. Tout le monde s’aperçoit que cette
idée cloche... Je ne ferai pas d’autres observations à cet égard, mais je
crains que cet amalgame gênera bien des députés dans le vote qu’il
auront à émettre sur l’ensemble du projet de loi.
Messieurs, le système d’une
instruction nationale, ou pour mieux dire gouvernementale (car le mot national
est ici très impropre), établi à côté de l’instruction libre, sera-t-il
favorable aux progrès des lumières ?
Voilà, messieurs, la question
que je me fais avant d’aborder l’économie des dispositions que contient le
projet de loi qui est présenté à votre sanction. Rien ne m’arrête à répondre
non ! et j’espère pouvoir vous démontrer que toujours
l’instruction libre l’emportera sur celle de l’Etat en zèle, en considération,
en progrès.
Quand l’Etat nomme des
professeurs, il n’ajoute rien à leur savoir, il ne fait seulement
qu’enrégimenter une capacité.
En procurant au professeur
nommé une existence certaine et perpétuelle, l’Etat fait tout ce qu’il pourrait
faire pour le rendre inactif et insouciant.
En effet, pourquoi
ferait-on des efforts, quand on ne peut y voir aucun avantage pour améliorer
son sort ?
Le professeur pourra, si
vous le voulez, développer son talent ; mais le rendra-t-il plus utile ? C’est
ce que je ne puis penser, car pour bien enseigner, il faut plus que de la
science dans l’état actuel des esprits, partout où le pouvoir prétend s’agiter
dans le domaine de l’intelligence, s’il ne fait que s’insinuer, on s’en défie.
S’il prétend s’imposer, on s’irrite, on le repousse.
Cette disposition des
esprits qui ne peut que s’accroître, puisqu’elle est un progrès, réagit
nécessairement sur le caractère du professeur institué par le pouvoir. Sa
mission le flétrit au lieu de lui donner de la considération, et quoi qu’il
fasse, l’opinion éclairée ne verra jamais qu’un commissaire salarié pour la
police de l’intelligence.
Le pouvoir qui veut
instruite doit nécessairement surveiller et diriger son instruction. Eh bien ! cette dépendance du pouvoir ne doit-elle pas enchaîner la
liberté du professeur ? elle le force de plier ses
goûts, son talent, de s’emprisonner dans le cadre d’une méthode officielle, qui
variera à chaque changement de ministère.
Dire que le pouvoir donnera
toute latitude au professeur, c’est avancer qu’a côté
d’un enseignement libre qui ne coûte rien au trésor, il y aura un autre
enseignement libre que le trésor paiera.
Il doit donc paraître
certain que les lumières n’ont rien à attendre du pouvoir, si toutefois il ne
les flétrit point en y imprimant le cachet de la force, s’il n’empêche point
leurs progrès en voulant leur servir de guide.
Le génie, pour s’élever,
n’exige pas qu’on le pousse, mais qu’on le laisse libre.
Si donc vous voulez le
progrès des lumières, laissez-les marcher librement à la suite du génie, et
souvenez-vous que ce n’est pas sans motifs que les belles-lettres ne se sont
jamais constituées qu’en république.
Mais ce n’est pas seulement
d’aujourd’hui qu’on envisage de la sorte l’instruction gouvernementale : déjà
dès son berceau ce despotisme intellectuel a rencontré une forte opposition.
Quand, au 15 brumaire an
II, Robespierre (car souvenez-vous messieurs, que c’est ce conventionnel qu’on
peut regarder comme le créateur de cette nouvelle espèce d’instruction) avait
présente à la convention le plan d’une instruction publique, conçu par Lepelletier, ce projet fut fortement combattu par Fourcroy,
qui signalait le danger des écoles publiques salariées par la nation. « Le
système d’enseignement entièrement libre, disait-il, est le seul que vos
principes vous permettent d’embrasser. N’avons-nous pas sous nos yeux la preuve
que les professeurs, placés souvent dans les chaires publiques par l’intrigue
ou la bassesse, remplissaient si mal les fonctions qui leur étaient confiées
que les écoles royales et gratuites, monnaie stérile de l’orgueil des despotes,
étaient désertes, tandis que des écoles particulières et payées plus ou moins
chèrement, réunissaient la foule des hommes studieux ? Peut-on se dissimuler
qu’en créant tout à coup un grand nombre de places de professeurs, on ouvre la
porte aux spéculations en ce genre, comme elle l’était autrefois à une quantité
de places publiques ? N’est-il pas présumable qu’il se formerait une foule de
demi-savants, d’hommes médiocres, lorsque des jeunes gens n’auraient en vue, en
se livrant à l’étude des sciences et des arts, que d’obtenir une place qu’ils
regarderaient comme le terme de leurs travaux. » Thibaudeau combattit
immédiatement après Fourcroy le projet présenté par Robespierre ; voici comment
ce membre de la convention s’énonçait : « On fait assez pour les sciences,
en les environnant de liberté et surtout d’honneurs. Toutes les corporations
sont détruites, et le plan du comité en établit une de l’espèce la plus dangereuse
; il crée des plénipotentiaires des mœurs, des goûts, des usages dont on ne
peut calculer quelle deviendrait la prodigieuse influence. On a fait décréter
une magistrature des mœurs, mais le dépôt des mœurs ne peut être dans d’autres
mains que celles du peuple, on affecte de craindre que nous ne tombions dans la
barbarie, ; mais les Grecs étaient-ils barbares ? On
ne voit pas qu’ils eussent des professeurs salariés, etc.... Je demande donc,
comme le préopinant, que l’enseignement des hautes sciences soit libre, qu’il
soit laissé à tous, excepte à l’Etat, qui n’a pas à s’en mêler directement ou
indirectement… »
Mais Danton défendit le
projet de Robespierre, soutenant « que les enfants appartenaient à la
république avant d’appartenir à leurs parents, » et son avis l’emporta.
Voici comment ce
conventionnel s’exprima dans la séance du 22 frimaire an II :
« Il est temps de
rétablir ce grand principe, qu’on semble tous méconnaître ; que les enfants
appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parents. Personne plus
que moi ne respecte la nature, mais l’intérêt social exige que là seulement
doivent se réunir les affections. Qui me répondra que les enfants travaillés
par l’égoïsme des pères ne deviennent dangereux pour la république ? Nous avons
assez fait pour les affections, devons-nous dire aux parents : nous ne vous les
arrachons pas, vos enfants, mais vous ne pouvez les soustraire à l’influence
nationale. »
Tous nos gouvernements qui,
jusqu’à ce jour, ont suivi la convention, ont, dans l’instruction publique,
donné plus ou moins suite aux plans de Robespierre et de Danton, et quand je
relis ce que, dans la séance du 17 septembre de l’année 1833, un député,
aujourd’hui ministre et membre de la commission qui vous a préparé le projet
que le gouvernement nous soumet, vous a dit à l’occasion de la discussion du
budget de l’intérieur, j’ai assez pour me convaincre que les idées qui ont
prévalu à la convention n’ont pas été étrangères à la pensée de la commission.
Voici comment ce membre s’exprima :
« Un pays où
l’instruction serait abandonnée au hasard, au caprice et à l’intérêt des
particuliers, ne devrait pas être compté au nombre des pays civilisés. On ne
saurait méconnaître la nécessité d’une éducation nationale ; elle seule
présente les caractères de stabilité, d’unité, d’harmonie, sans lesquels il n’y
a pas de bonne institution. »
Ces phrases, messieurs, ne
sont point douteuses et ne peuvent prêter à la moindre équivoque ; tout le
monde pourra en tirer les conséquences et apprécier les vues qu’elles contiennent.
J’ai toujours cru, disait
Leibnitz, « qu’on réformerait le genre humain si on réformait l’éducation
de la jeunesse. » Et à cette pensée de ce savant philosophe, un autre
savant fameux dans notre époque ajoute, « qu’en effet tout sort de l’éducation,
le bien et le mal, les croyances, les opinions, les mœurs, les sentiments, les
habitudes. C’est par elle qu’un peuple est ce qu’il est, lui et non pas un
autre ; elle forme entre les générations successives le lien d’où résulte
l’identité nationale ; elle perpétue, avec la langue, le caractère propre, le
génie particulier des races diverses. Nul changement profond et durable ne
saurait s’opérer dans les idées, les institutions, les lois, à moins que
l’éducation ne subisse un changement de même nature ; en elle est l’avenir tout
entier ; et voilà pourquoi, partout où la révolution de
« De là, continue-t-il,
cet axiome de Danton, proclamé aussi par Robespierre, et qui n’a pas cessé de
servir de base à notre législation sur ce point. Les enfants appartiennent à la
république avant d’appartenir à leurs parents, maxime qui, traduite en langue
claire, signifie qu’on ne reconnaît point d’autorité, de droit paternel ; que
la société domestique est une chimère, ou du moins un abus qu’on doit tâcher de
reformer ; que l’unique objet du mariage est de fournira à l’Etat des petits de
l’espèce humaine, qu’il fait élever comme il lui plaît. Et ces détestables
extravagances trouvent encore des défenseurs même dans les pays les plus
catholiques ! et c’est là ce que répètent chaque jour,
en termes équivalents, les parleurs de liberté ! »
Vous ayant démontré l’inutilité
ou le danger même du système d’un enseignement gouvernemental, je vous
demanderai encore si tel système serait constitutionnel, c’est-à-dire
compatible avec les libertés politiques et religieuses que la constitution nous
garantit ? Je ne balancerai pas plus à répondre négativement, et la révolution
de septembre à proclamé assez hautement le principe d’émancipation pour laisser
encore quelque doute sur la solution de cette question toute vitale. Notre
constitution, qui n’a fait que sanctionner les résultats de cette révolution
sociale, n’a pu inscrire la liberté d’opinion et de croyance, sans exclure par
cela même l’action du pouvoir de tout ce qui est du domaine de l’opinion et de
la conscience.
En matière d’enseignement
et d’éducation ; je ne connais d’influence légitime que celle de la religion et
de la science, et le pouvoir ne représente ni l’une, ni l’autre. Son principe à
lui, c’est la force. Reste à savoir si une éducation quelconque est possible
sans sortir des limites naturelles de la force.
Pour résoudre cette
question affirmativement, il faudrait une éducation qui ne prétendît former ni
l’intelligence ni la conscience ; c’est-à-dire une éducation purement
matérielle, si elle était possible. Du moment qu’elle voudrait s’élever jusqu’à
la religion, jusqu’à la science, elle sortirait de ses limites naturelles, car
le pouvoir ne représente que la force et la force comme telle ne dirige ni
science ni religion. Au contraire c’est la religion et la science qui donnent
l’impulsion à la force par l’intermédiaire de l’opinion qu’elles ont formée et
de l’ordre politique que l’opinion sanctionne. Cet ordre naturel, notre
constitution l’a sanctionné en excluant le pouvoir du domaine de l’intelligence
pour se renfermer dans l’administration et la défense des intérêts purement
matériels.
Ici se présentera une
objection spécieuse : l’enseignement ne reste-t-il pas libre, dira-t-on, quand
l’Etat ne fait qu’élever école contre école ; et pourquoi l’Etat ne pourrait-il
pas ce que peuvent les particuliers ?
Certes, il n’y aurait ici
aucune violation directe du principe de liberté ; mais là n’est pas la
question. La question est de voir si le pouvoir a mission pour enseigner, et
nous avons déjà démontré qu’il ne saurait se l’arroger cette mission, sans
sortir de ses limites naturelles et constitutionnelles. Mais supposons pour un
moment le contraire, nous verrons de suite comme cela mène à l’absurde.
Si vous accordez au pouvoir
le droit d’instruire sous prétexte que les particuliers en peuvent autant, et
que par conséquent cela ne blesse aucunement leur liberté, dans ce cas pourquoi
refuseriez-vous au pouvoir d’avoir aussi son culte et ses boutiques, pourvu
qu’il laissât toute liberté au commerce et à la religion ? Il n’y a en tout
cela qu’une seule et même réponse, c’est que le pouvoir n’est institué, ni pour
prêcher, ni pour instruire, ni pour faire le commerce, mais pour administrer,
protéger les intérêts matériels, défendre la liberté de tous. Ainsi,
rationnellement parlant, le pouvoir ne pourrait pas plus entrer dans la
concurrence de l’instruction que dans celle du commerce, et puisque ce sont là
les limites naturelles de sa mission ; il ne pourra obtenir son repos ni
atteindre sa perfection qu’en s’y renfermant.
Voyons à présent ce qui
arriverait si le pouvoir pouvait instruire, quand même il ne serait pas tenté
de s’arroger quelque empire sur l’intelligence. Du moment qu’on lui accorde
cette mission, il faut bien qu’il se choisisse une doctrine ; son enseignement
sera donc catholique, déiste ou athée, car dire qu’il ne touchera ni religion
ni morale, c’est dire qu’il sera indifférent, c’est-à-dire éminemment impie,
l’indifférence, en fait de religion, étant plus pernicieuse que l’impiété
elle-même, car quelle réaction possible où nulle action ne se manifeste ?
Je suppose que le
gouvernement aurait assez de pudeur pour repousser l’athéisme, force lui sera
donc de choisir entre une doctrine catholique ou déiste ; et il ne peut ni l’un
ni l’autre sans se créer une religion et une morale, car la constitution ne lui
en reconnaît aucune. De plus, s’il choisit le catholicisme, il blesse l’opinion
libérale ; s’il choisit le déisme, il révolte la conscience des catholiques.
Une fois engagé dans cette
fausse route, une conséquence infaillible sera la lutte politique du catholicisme
et du libéralisme, de part et d’autre on voudra du pouvoir pour faire de la
doctrine, et le pouvoir, toujours réputé persécuteur dans quelques mains qu’il
tombe, perdra nécessairement de sa considération et de sa popularité. Une telle
lutte ne saurait avoir quelque durée, sans nous ramener à un état de crise…
Une autre conséquence, qui
est un malheur aussi, c’est que le pouvoir néglige les intérêts matériels à
mesure qu’il se passionne pour une doctrine, car dans toute lutte de principes
une bonne administration ne doit être que d’un intérêt secondaire.
Administrer avec ordre et
avec économie est une affaire de calcul et d’investigation mais les partis ne
patientent ni ne calculent, ils s’emportent.
Et cependant les
catholiques comme les libéraux, tous aiment leur patrie ; tous la voudraient
heureuse, tranquille et florissante ; pourquoi donc chercher ce ferment de
discorde, pourquoi rompre une union dont nous avons déjà eu de si heureux
résultats et qui promet un si bel avenir ?
Voudrions-nous, enfants
d’une même mère, déchirer son sein, ternir sa gloire, négliger sa prospérité,
pour le triste plaisir de voir tour à tour tourmenter des consciences ? Mais
alors, dans quel sens, m’objectera-t-on, devrait-on donc entendre l’article de
la constitution qui veut que l’instruction donnée par l’Etat soit réglée par la
loi ? Il est évident qu’on ne peut voir ici le système d’un enseignement
national, puisqu’il serait en opposition avec la nature du pouvoir tel que la
constitution le fait, et qu’en outre il tend au renversement de toutes les
libertés. Reste donc que cet article doit être accepté comme disposition
transitoire. En effet l’instruction libre est de trop fraîche date, elle n’a pu
encore rassembler tous les éléments nécessaires pour s’élever à la hauteur de
sa mission ; toujours est-il que ses progrès rapides promettent des merveilles
pour un avenir qui ne saurait être éloigné et qui nous mettra à même de nous
passer de l’instruction aux frais de l’Etat. C’est dans ce sens que je voterai
la proposition de la section centrale de conserver pour le moment deux
universités.
Bien entendu, pour que je
puisse émettre un tel vote, que je voie modifier les dispositions du projet,
qui me rassureront que ce que nous allons faire pour l’enseignement
universitaire du gouvernement n’est que provisoire ; car je ne saurais trop le
répéter je ne pourrais reconnaître à l’Etat le droit absolu d’enseigner.
M. le président. -
La parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - Je me proposais
de parler sur l’article premier.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Fermons la discussion sur
l’ensemble.
M.
le président. - Si personne ne demande la parole, la discussion
générale est fermée.
M. Demonceau. - Je demande la
parole.
M.
le président. - La parole est à M. Demonceau.
M. Demonceau. - Messieurs, lorsque
dans une précédente séance vous avez fixé la discussion de la loi qui nous est
soumise, j’ai consenti à y prendre part ; mais je n’avais pas bien réfléchi à
la gravité de l’engagement que je prenais.
Cependant j’aborde avec
franchise, mais non sans crainte cette discussion qui pour moi est de la plus
haute importance. Je suis d’autant plus embarrassé que par ma position
particulière, je me trouve privé des lumières que je n’aurais pas manque de
puiser dans les longues discussions qui ont amené le résultat de vos
délibérations dans les sections et le rapport de la section centrale.
Cependant, je le dis avec franchise, je ne vois pas sans peine la division du
projet primitif du gouvernement, et surtout le gouvernement lui-même se rallier
au projet de la section centrale, et par là consentir au morcellement de son
œuvre si péniblement élaborée. Je ne vois pas jusqu’à présent quel motif
puissant a pu vous porter à donner à l’enseignement supérieur une protection,
qui dans mon opinion ne lui est pas plus nécessaire qu’elle ne l’est à
l’enseignement inférieur et à l’enseignement moyen.
Partisan zélé de la liberté
de l’enseignement, je ne suis pas de l’avis de ceux qui pensent que le
gouvernement ne doit pas protection et appui à l’enseignement en général ; et
en cela je suis d’accord, je pense, avec le texte formel du paragraphe de
l’art. 19 de la constitution : j’ai pour moi l’opinion de la section centrale
qui reconnaît que dans l’état actuel de la société, et surtout en Belgique,
l’enseignement en générai a besoin d’une sage protection.
Le gouvernement vous
propose une loi à peu près complète ; vous la divisez, et, chose étonnante, le
gouvernement consent à cette division. Ah ! si ce consentement avait été donné
lors du rapport de la section centrale, je me rendrais facilement compte du
motif ; mais aujourd’hui que nous sommes à peine réunis et qu’ainsi nous avons
le temps de doter enfin le pays des lois qu’il attend avec une si vive
impatience, je ne comprends guère pourquoi le gouvernement vient consentir à
formuler un projet de loi conforme à peu près à celui présenté par votre
section centrale, car les motifs qui existaient lors du rapport n’existent pas,
ce me semble, aujourd’hui. Et d’ailleurs, pourquoi faire à deux, peut-être à
trois ou quatre fois, ce que nous aurions pu faire en une seule. L’on me
répondra peut-être que les deux premiers titres n’ont pas subi l’épreuve d’un
examen assez approfondie et que la chambre ne pourrait en connaissance de cause
voter sur les dispositions de ces titres. Mais, lorsqu’un honorable membre de
cette chambre réclama naguère pour nous, nouveaux élus, le retard de la
discussion, le renvoi même du nouveau projet en sections, j’entendis un autre
membre affirmer que depuis longtemps l’on s’occupait d’instruction, qu’il était
impossible que les nouveaux membres ne connussent pas la matière, etc. Je
sentis alors l’embarras de ma position, et ne voulant aucunement retarder les
travaux de la chambre, j’acceptai la discussion et je vis avec plaisir que, par
leur silence, mes collègues nouvellement élus en firent tout autant. Ce qui
nous a été dit alors pour nous contraindre en quelque sorte à discuter
aujourd’hui, je le dis à ceux qui ne veulent pas de la discussion des deux
premiers titres. Depuis longtemps vous vous occupez d’instruction, depuis
longtemps vous êtes nantis d’un projet de loi complet ; vous l’avez examiné,
discuté dans les sections, car le rapport de la section centrale n’est que le
résultat de vos travaux ; vous êtes donc encore plus à même que nous de vous
occuper du projet de loi en entier, Car vous avez sur nous cet avantage d’avoir
au moins participe aux travaux préparatoires de la chambre.
Je crains qu’il n’y ait
dans cette ténacité à ne vouloir que du titre III quelque chose qui ressemble à
ce que j’appellerai subtilité de la part des défenseurs zélés des universités
libres, qui ne demandent peut-être la discussion du projet actuel que pour
obtenir le jury d’examen et pour plus tard rejeter les deux premiers titres.
S’il en était ainsi nous aurions alors à regretter d’avoir consenti à cette
discussion ; car pour moi, qui pense que l’enseignement primaire et
l’enseignement moyen ne sont pas moins dignes de fixer l’attention de la
chambre que l’enseignement supérieur, qu’il n’y a pas moins d’urgence pour
ceux-là que pour celui-ci, je ne me déciderai pas facilement à diviser la loi,
à moins qu’il ne me soit clairement prouvé que cette division est nécessaire.
L’enseignement primaire
attire dans ce moment toute l’attention des vrais Belges. L’enseignement moyen
n’est pas moins digne de votre sollicitude, et pour le prouver, je pourrais
citer des faits nombreux. Je me bornerai à vous en citer deux qui me sont
connus : depuis longtemps la grande majorité d’un canton auquel je ne suis pas
étranger, désire le rétablissement d’un collège qui, sous l’empire comme sous
le gouvernement de l’Autriche, figura avec éclat parmi les meilleurs
établissements d’alors et fournit aux sciences élevées des sujets qui depuis se
sont distingués dans l’ordre administratif et judiciaire. L’administration de
la commune la plus intéressée semble résister pour des motifs d’économie, et,
en attendant, les personnes peu fortunées ne pensent donner l’instruction à
leurs enfants. Un subside léger et sagement combiné suffirait peut-être pour
satisfaire tout le monde, lever le doute et procurer le rétablissement de ce
collège.
Depuis 1830, la ville d’Anvers a établi une école
industrielle, qui aujourd’hui marche bien à force de sacrifices, mais qui
cependant n’est pas complète et ne rend pas à la science le service qu’on
serait en droit d’en espérer, si toutes les branches d’enseignement y étaient
portées au complet. Cette ville a des charges nombreuses à payer, des procès
non moins nombreux à soutenir, pour réduire autant que possible la dette que la
fameuse loi de vendémiaire va mettre à sa charge. Un subside aiderait
l’administration à soutenir et à compléter cet établissement utile, tandis que
nous voyons figurer au budget des sommes admises pour subside à des villes non
moins dignes peut-être de l’appui du gouvernement ; toujours des subsides lui
ont été refusés.
Je ne dis pas que le refus
puisse être attribué à la faute de personne, car moi je pense que la faute doit
être imputée au défaut de la loi sur la matière.
Cependant, je le déclare, je
ne suis pas venu prendre place parmi vous pour y faire de l’opposition quand
même ; toujours vous me verrez disposé à accepter toute proposition qui aura
pour résultat de produire le plus tôt possible un effet salutaire. J’attendrai
donc la fin de la discussion pour me décider ; je me flatte d’obtenir de mes collègue, tous les renseignements propres à émettre un
vote consciencieux ; je prêterai la plus grande attention à la discussion.
M.
A. Rodenbach. - Lorsque nous avons fixé le jour de la discussion sur le
haut enseignement, c’est moi qui ai dit que je croyais que tous les hommes qui
siégeaient dans cette enceinte devaient avoir lu le projet de loi sur
l’instruction publique et même l’avoir étudié, parce que les hommes qui
voulaient obtenir un mandat des électeurs, qui se proposaient de suivre la
carrière parlementaire, ne pouvaient pas arriver dans cette enceinte sans
connaissance en matière d’instruction publique. La preuve que j’avais raison,
c’est que pas un des nouveaux membres ne s’est opposé à la mise à l’ordre du
jour de la loi sur l’instruction publique.
L’honorable préopinant
aurait donc pu se dispenser de revenir sur ce point.
Je répondrai à ce qu’a dit
le préopinant de son clocher et des collèges pour lesquels il demande des
subsides : Quand le budget de l’intérieur sera en discussion, vous pourrez vous
occuper de Verviers ou de la ville à laquelle vous portez un si haut intérêt ;
mais aujourd’hui il s’agit d’organiser le haut enseignement.
Le même orateur a parlé
aussi de l’instruction primaire. Je lui dirai qu’on ne peut pas se plaindre de
l’état de l’instruction primaire, car elle a fait beaucoup de progrès ; tout le
monde a le droit d’ouvrir des écoles d’instruction primaire et vous savez,
d’après les divers rapports de statistique qui ont été produits que, sous le
gouvernement hollandais, un seul enfant sur 15 fréquentait les écoles tandis
qu’aujourd’hui il y en a un sur 10 et même davantage. L’instruction moyenne
n’est pas dans un état moins satisfaisant que l’instruction primaire. Ces deux
degrés d’instruction primaire jouissent de la liberté proclamée par la
constitution ; mais cette liberté, je prétends qu’elle n’existe pas pour le
haut enseignement.
Il existe, il est vrai, des
universités libres. Mais l’instruction y est entravée parce qu’elles ne peuvent
pas conférer les grades pour exercer les professions de médecin et d’avocat. La
liberté du haut enseignement ne sera garantie que quand les élèves des
universités libres pourront se faire examiner par le jury qu’il s’agit
d’établir.
Je suis d’avis de maintenir
les universités du gouvernement, et en
cela je me trouve en opposition avec M. Desmet qui ne veut les maintenir que
provisoirement, et moi je veux les maintenir d’une manière définitive.
- Personne ne demandant
plus la parole, la discussion est close.
Titre Ier. - De l’enseignement
supérieur donné aux frais de l’Etat
Chapitre Ier. - Des universités
Article premier
M.
le président. - L’art. 1er est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il y aura
deux universités aux frais de l’Etat, l’une à Gand et l’autre à Liége.
« Chaque université
comprendra les facultés de philosophie et lettres, des sciences mathématiques,
physiques et naturelles, de droit et de médecine. »
M. Rogier. - Messieurs, je partage
jusqu’à un certain point l’opinion d’un des honorables préopinants qui a
exprimé le regret que la discussion d’une loi aussi importante eût lieu à une
époque aussi rapprochée de l’ouverture de la session, alors que beaucoup de nos
nouveaux collègues n’avaient pas pu prendre connaissance des documents nombreux
publiés sur cette question. Cependant, je dois reconnaître que l’urgence de la
discussion existe et que dès lors il est de notre devoir de l’accepter.
Cette urgence existe,
messieurs, pour la liberté de l’enseignement et pour l’enseignement en
lui-même.
Il faut reconnaître
qu’aujourd’hui le haut enseignement dans les universités libres ne jouit que
d’une liberté illusoire ; les élèves instruits dans ces universités, étant au
moment de recevoir leur diplôme, sont soumis à des commission universitaires
que l’on peut encore considérer comme représentant simplement l’intérêt
gouvernemental. Il est donc de toute justice, de toute loyauté, de donner une
garantie à la liberté du haut enseignement, en créant au plus tôt un jury
d’examen, devant lequel tous ceux qui ont fait leurs études, n’importe dans
quel établissement, ou qui ont fait des études solitaires, puissent venir
concourir pour l’obtention de diplômes.
L’urgence de la discussion
existe aussi pour l’enseignement en lui-même, car on ne peut se le dissimuler,
l’Etat dans lequel languit l’enseignement supérieur dans les trois universités,
ne peu se prolonger davantage. Maintes fois cet état a été signalé, et mantes
fois on a demandé qu’on y mît un terme.
Aussi un de mes vœux, qui
sera partagé par tous les Belges véritablement amis de la constitution et de la
nationalité, est de voir l’enseignement supérieur réorganisé le plus
promptement possible. A cet égard, nous ne pouvons qui rendre hommage à la
manière véritablement impartiale dont la section centrale a examiné le projet
du gouvernement. On voit qu’elle a fait tout ce qui était en son pouvoir, pour
éviter les longues discussions. A la différence de quelques autres rapporteurs,
le rapporteur de la section centrale a évité toutes le modifications qui ne
portaient pas sur le fond des choses, mais sur la forme ; il a reproduit autant
que possible les dispositions du projet du gouvernement, exemple bon et utile à
suivre, qui a fait que le gouvernement, sans discussion parlementaire, a pu se rallier au projet de
loi de la section centrale. S’il a bien fait de s’y rallier en tout point,
c’est la question que nous allons examiner.
Le projet de loi
consacrait, il est vrai, le système de deux universités. Ce projet était
l’ouvrage d’une commission aux travaux de laquelle j’ai eu plusieurs fois
occasion de rendre hommage. Le gouvernement a cru devoir le présenter à la
chambre tel qu’il avait été mis sous les yeux du Roi, en faisant cependant ses
réserves sur la question du nombre des universités ; il a même insinué que dans
son opinion une seule université convenait mieux que deux, dans l’intérêt du
haut enseignement.
Messieurs, ce système de
n’avoir qu’une seule université en Belgique n’est pas nouveau. Pendant quatre
siècles, nous n’avons eu qu’une seule université, et les trois universités
n’ont existé chez nous que pendant un espace de 18 ans. Encore, vous devez vous
rappelez que vers la fin du gouvernement déchu, ces trois universités
n’obtenaient pas grande faveur, qu’elles étaient considérées par beaucoup de
monde comme un abus, qui était sur le point d’être élevé au rang de grief. Je
ne mets pas en doute que si le régime hollandais avait continué à peser sur
nous, des pétitions seraient partie de tous les points du royaume, contre les
trois universités, et probablement serait tombé d’accord pour n’en conserver
qu’une seule.
Ceci, messieurs, est
tellement vrai que le gouvernement provisoire qui, ainsi que vous le savez, a
fait cesser beaucoup d’abus, et aboli beaucoup de griefs, s’est pris aussi
corps à corps avec les trois universités. Je sais qu’on lui a fait un crime des
coups de hache qu’il a portés sur chacune d’elles ; mais, à mon avis, il ne
faisait que commencer la démolition d’un système qu’il fallait détruire.
Remarquez qu’en portant la hache sur les universités, le gouvernement
provisoire a déclaré que l’enseignement avait besoin d’améliorations radicales,
et qu’en autorisant la réouverture des universités, il a bien établi que
c’était sans préjudice de la réorganisation définitive de l’enseignement,
toujours dans un esprit de réforme radicale.
Le gouvernement provisoire
était en cela, comme il a été dans beaucoup d’autres choses, le véritable
représentant des vœux du pays.
Au mois de septembre
La première commission
chargée de s’occuper de l’organisation de l’enseignement, qui remit son travail
en mars 1832, se prononça pour le principe d’une université unique. Les motifs
qu’elle fit valoir méritent d’être rappelés, et je l’eusse fait, si déjà
l’orateur qui a parlé le premier ne vous les avait communiqués.
Une seconde commission fut
nommée pour le même objet, et son travail est le projet qui est maintenant en
discussion. Ce n’est pas sans hésitation que cette commission composée d’hommes
sage et impartiaux se prononça pour le système des deux universités. Elle avait
une grande tendance à se décider pour une seule, et elle l’eût fait si elle
avait eu, dit-elle, à décider la question en thèse générale. Mais des
considérations politiques devaient suivant elle exercer une grande influence
sur la question.
Il est vraiment fâcheux, et
le fait est réel, que dans une question toute scientifique, l’intérêt politique
vienne encore prendre sa place. Nous ne sommes déjà que trop envahis par la
politique. Il eût été à désirer que des raisons purement scientifiques eussent
été mises en avant dans une question qui ne regardait que les sciences, les lettres
et la haute civilisation du pays. Au reste, puisque la politique se trouve
forcement introduite dans ce débat, nous demanderons si en bonne politique,
dans l’intérêt de la nationalité belge, il ne serait pas préférable d’avoir une
seule université centrale, une université belge que d’en avoir deux, l’une
wallonne et l’autre flamande. En effet n’est-il pas préférable de réunir en un
seul corps les divers membres d’un pays, que d’en maintenir et d’en perpétuer
la division ? Un corps politique ne devient nation qu’autant qu’il a une âme
nationale, et jusqu’ici nous devons le reconnaître, cette âme nationale nous
manque encore.
Je sais que les diverses
populations, dans leur état actuel, peuvent présenter quelques avantages sous
le rapport pittoresque, et je ne nie pas qu’en se civilisant, elles perdront en
partie ce mérite pittoresque qui semble plaire beaucoup à l’honorable
rapporteur de la section centrale, mais il restera toujours assez de variété et
de diversité entre les individus, entre les localités pour satisfaire à ce
besoin que je puis m’expliquer jusqu’à certain point, mais qui me paraît d’une
faible importance en présence de la grave question d’unité nationale.
Une objection très forte
qu’on fait contre le système d’une seule université, c’est la crainte de voir
l’ordre public compromis par une grande agglomération d’élèves. En divisant les
élèves entre deux universités, dit-on, l’agglomération sera moindre, et les
dangers que la présence des élèves des universités peut faire courir à public,
diminueront.
Il y a quelque chose et
vrai au fond de ces appréhensions, non pas que je veuille exiger une atonie
complète de la part de la jeunesse, et qu’elle ne prenne aucune part, même
indirecte, aux mouvements importants qui se passent dans le pays ; mais je
reconnais qu’en législateurs sages nous devons éviter autant que possible de
fournir à la jeunesse les occasions de se mêler trop activement à ces
mouvements politiques.
Mais aussi, s’il est
prudent d’éviter les grandes agglomérations d’élèves, et pour cela de les
partager entre deux établissements, est-il également prudent de choisir pour
siège de ces établissements les deux villes du pays où, il faut bien le dire,
la vie politique se montre la plus active, où les partis politiques luttent
avec le plus de vivacité, où les crises, je parle des crises industrielles,
sont plus probables et beaucoup plus menaçantes que dans aucune autre partie du
pays ? sera-t-il prudent de rapprocher les
agglomérations universitaires des agglomérations d’ouvriers, de placer un
nouvel aliment aux passions politiques dans les localités où ces passions se
montrent les plus vivaces et les plus emportées ?
Je sais que dans l’esprit
de certains membres, ce danger ne sera pas à craindre, parce que les deux
universités resteront désertes. C’est ainsi que tout à l’heure encore vous avez
vu un honorable membre se prononcer contre toute espèce d’université et
annoncer en définitive qu’il voterait pour deux universités, preuve évidente qu’il espère que la
conservation de ces deux universités équivaudra à leur anéantissement. Je
conçois que si ces deux universités doivent rester désertes, on peut sans
crainte les placer au milieu des deux foyers où les esprits sont les plus
ardents. Si au contraire les élèves doivent être nombreux, les dangers signalés
existent. Mais ces dangers sont en grande partie prévenus, et nous plaçons le
siège de l’université dans une ville non industrielle, dans une ville où les
passions politiques ne sont pas aussi vivaces, où on est depuis longtemps
habitué aux mœurs universitaires, où ces mœurs ont eu le temps de se fondre
avec celles de la localité. Si dans une ville semblable un mouvement éclatait,
il serait de moindre importance et plus facile à imprimer que dans les villes
ou l’on propose d’établir les deux universités.
Une émeute d’élèves à Gand
et à Liége est quelque chose ; c’est autant qu’à Bruxelles sinon plus. Une
émeute à Louvain ressemble assez à une émeute de collégiens ; elle n’a pas plus
d’importance que cela. C’est un fait dont la vérité sera reconnue de tous.
Ce que je vois, sous le
rapport politique, dans une seule université ; ce sont au contraire des
éléments d’ordre.
Il n’est aucun de vous,
messieurs, qui ne se rappelle avec plaisir les moments passés dans les écoles,
dans les collèges, dans les universités. C’est là la que se forment les amitiés
les plus longues, les plus solides, celles auxquelles on renonce le plus
difficilement. Eh bien, il importe à nous, composés de populations si diverses,
de réunir nos enfants dans un centre commun où ils puisent des sentiments
qu’ils rapporteront au sein de leur famille et qu’ils conserveront sans doute
toute leur vie.
Un exemple m’a frappé et
m’a fait sentir l’importance d’une seule université sous le rapport de l’unité
d’esprit en Belgique ; c’est que bien que la haine contre le régime hollandais
et même, je l’avoue, une certaine animosité contre la population hollandaise
soit encore vive dans mon cœur, j’aurais de la peine à comprendre dans ces
sentiments les élèves de cette nation qui ont été mes condisciples à
l’université de Liége. C’est un sentiment que chacun de vous pourra retrouver
en lui-même, et qui a déjà été exprimé par plusieurs membres de cette
assemblée.
Je sens que ce point de la
question est très délicat ; je regrette de n’avoir pas eu le temps de me
préparer à le discuter d’une manière plus complète.
Toutefois si j’aborde le
fond de la question, je trouve que le problème à résoudre est fort simple. En
voici l’énoncé : Donner la meilleure instruction possible, au meilleur marché
possible.
Si on consulte qui que ce
soit et qu’on lui pose cette question : « Aimez- vous mieux dépenser moins
pour une instruction plus complète ou dépenser plus pour une instruction
incomplète ? », est-il une seule personne qui se prononcera pour une
instruction médiocre donnée aux plus grands frais ?
Je dis même que les deux
villes qui réclament chacune une université ne manqueraient pas de trouver de
très bonnes raisons pour l’établissement d’une seule université, si elles
croyaient que cette université dût lui échoir.
Pour constituer un bon
enseignement, que faut-il ? Un corps enseignant composé de bons professeurs, et
la réunion la plus complète possible des moyens matériels tels que
bibliothèques ; cabinets de physique, etc.
D’après le projet en
discussion, chaque université doit être composée de 4 facultés et avoir :
9 professeurs pour les
sciences ;
8 pour la philosophie et
lettres ;
8 pour la médecine ;
7 pour le droit ;
Ensemble, 32 professeurs.
Donc, pour les deux
universités, 64 notabilités scientifiques à rétribuer ; ce qui à la rigueur
peut se faire ; mais 64 notabilités à trouver, c’est ce qui présente plus de
difficultés. Notez que je ne parle que du minimum, car le gouvernement se
réserve la faculté de nommer un plus grand nombre de professeurs. Notez aussi
que je ne parle pas des agrégés. Je demande où l’on trouvera ces 64
notabilités, sera-ce dans le personnel existant ? Mais même en admettant qu’on
puisse replacer dans les deux universités tout le personnel des trois
universités, il y aurait à peine de quoi former le personnel d’une seule
université. Car le personnel des trois universités actuellement existant ne
dépasse guère 30 professeurs. Joignez 13 lecteurs dont vous pourrez à la
rigueur faire des professeurs. Vous pourrez ainsi compléter tant bien que mal
le personnel d’une université. Mais jamais vous n’arriverez au nombre de 64,
minimum requis pour deux universités.
Je dis ceci, en partie pour
répondre à une des craintes de la section centrale, qu’en formant une seule
université on ne saurait que faire de tous ces professeurs de nos trois
universités. Vous voyez qu’on saura bien qu’en faire, puisque le personnel
existant suffit à peine pour une seule université.
Ce personnel ne pouvant
suffire pour deux universités, où le complétera-t-on ? sera-ce
dans le pays ? Sans doute, pour certaines parties de l’enseignement, le pays
pourra fournir des hommes capables. Mais déjà la matière professorale est
épuisée dans le pays par l’établissement de deux universités libres. C est à
tel point que ces deux universités ont été obligées d’aller le recruter à
l’étranger. Il faudra donc que le gouvernement ait aussi recours à l’étranger
en admettant que l’étranger veuille nous envoyer ce qu’il aura de mieux, et que
nos susceptibilités nationales, si vives contre le corps étranger militant, ne s’éveillent pas contre le corps
étranger enseignant.
Que faudra-t-il pour
obtenir de bons professeurs soit à l’étranger, soit dans le pays ? Il leur
faudra honneur, profit et garantie de la durée de ces deux avantages. Je dis
que, sous ce triple rapport, une seule université est préférable pour obtenir
de bons professeurs.
Quant à la réputation
qu’elle peut attendre à la considération dont elle peut jouir, à l’éclat
qu’elle peut jeter, une seule université bien constituée, on le reconnaîtra,
est préférable à plusieurs.
Pour une seule université,
le nombre des professeurs à rétribuer sera moindre que pour deux universités.
Dès lors il y aura plus de facilités pour le gouvernement de leur accorder un
traitement plus élevé.
Dans une seule université,
le nombre des élèves sera plus considérable. Donc il y aura pour les
professeurs la chance d’attirer plus d’élèves à leurs cours, et de faire entrer
dans leur caisse une somme plus forte de rétributions. Il y a ici deux intérêts
qui se confondent : l’intérêt moral et l’intérêt matériel. Si vous obligez le
professeur à donner sa leçon a quelques élèves clairsemés sur des bancs
déserts, sa leçon se décolore, le professeur est découragé par cet abandon,
tout aussi bien que par la faible quotité des rétributions qu’il perçoit.
Enfin, s’il y a moins de
dépense pour l’Etat, dans l’établissement d’une seule université, il est
certain que cette seule université aura beaucoup plus de chance de durée que
deux qui coûteront beaucoup sans produire beaucoup.
Dans mon opinion, ce qui
arrivera si vous établissez deux universités, c’est que chaque année au budget,
quand vous verrez que ces universités seront désertes parce que les élève
trouveront plus d’avantages dans les universités libres, vous supprimerez ces
universités, vous déclarerez que les universités libres suffisent, rentrant
ainsi dans le système franchement et nettement défendu par l’honorable M.
Desmet.
Je ne pense pas qu’il soit
nécessaire que je m’appesantisse sur l’économie qu’il y aura à n’avoir à former
et à entretenir qu’un seul matériel. C’est un avantage que l’on a reconnu déjà
dans la discussion des budgets. Vous savez combien on s’est récrié contre le
double emploi dans les collections et dans les bibliothèques. A quoi bon
(a-t-on dit) acheter le même ouvrage, le même instrument, la même machine ?
Réunissez le tout dans un même local, vous aurez une collection plus belle et
plus complète. En effet, avec moitié moins de dépense, vous compléterez le
matériel d’une seule université, d’une manière plus avantageuse que si vous
deviez compléter celui de deux universités.
Notez qu’il y aura encore
un grand avantage à réunir en une seule collection toutes les collections
éparses sur la surface du royaume, et insuffisantes dans chacune des trois
universités. Mais, dit-on, que deviendra le matériel assemblé à grands frais
dans les grandes villes ? Si ce matériel appartient à l’Etat, il viendra se
réunir dans l’université unique. S’il appartient aux villes, il servira à leur
ornement, il servira à l’instruction de ceux qui n’ont pas le moyen ou la volonté
de se déplacer.
Ainsi tous les éléments
constitutifs d’une bonne instruction, professeurs et collections, matière
intellectuelle et matérielle, s’obtiendront de meilleure qualité et à meilleur
compte pour une seule université que pour deux.
Que dit-on en faveur de
deux universités ? Pas grand-chose, du moins jusqu’à présent. Je ne sais si on
a réservé les arguments pour la suite de la discussion. Dira-on que l’honneur
du pays aura plus de relief, si nous présentons à l’étranger deux universités ?
Permettez-moi une
comparaison familière, prise dans la vie privée.
Voici une excellente
étoffe, Il y a de quoi se faire un habit bien chaud, complet et bien étoffé ;
mais une mère de famille, faisant du luxe à sa manière, voudra, je suppose, en
faire deux habits. L’étoffe est envoyée au tailleur qui rapporte deux habits
courts et étriqués, qui ne peuvent pas se porter. J’aime mieux, quant à moi, un
habit bien étoffé que deux habits étriqués, mieux une université étoffée, que
deux universités étriquées (On rit.)
Une autre comparaison
serait celle d’un marchand de vin, qui croyant doubler sa marchandise y
verserait moitié d’eau. Sans doute il aurait le double de liquide à offrir au
chaland, mais quand le chaland approcherait et qu’il trouverait le vin affaibli
par l’eau, il irait chercher ailleurs une boisson généreuse qui ne fût pas
frelatée. Nous ne voulons pas non plus de votre instruction frelatée.
On a pensé, c’est l’opinion
de la majorité, qu’il était nécessaire d’établir une concurrence entre les
universités. Mais le meilleur moyen d’établir cette concurrence, n’est-ce pas
de réunir les concurrents dans la même arène, sur le même théâtre, sans les
faire agir à 30 lieues l’un de l’autre, car alors ils sont complètement
indifférents l’un à l’autre ?
En admettant la possibilité
de la concurrence, serait-il bon de jeter ce nouvel aliment de jalousie et de
rivalité entre deux parties du royaume déjà divisées ?
Au reste, on a pu, pendant
quinze ans, apprécier les effets de la concurrence entre Louvain, Liége et
Gand. Il est certain que ces trois universités étaient, l’une envers l’autre,
complètement indifférentes au mouvement de leurs études réciproques. Ainsi, je
ne saurais admettre les effets de la concurrence à trente lieues de distance.
Je crois, au contraire, que la concurrence s’établirait bien mieux dans la même
université, sans qu’il fût besoin de doubler inutilement le personnel attaché à
chaque cours.
Les universités libres
seront déjà un grand aliment à cette concurrence, qui sera également entretenue
par l’établissement de professeurs agrégés, placés derrière les professeurs,
les forçant à bien marcher, ou sinon prêts à se mettre à leur place.
Enfin on a mis en avant en
faveur de Liége et de Gand des considérations d’intérêt local résultant du
droit de possession, on a dit que ces villes possédaient leur université depuis
18 ans. Mais si on examine ce que l’on doit à la possession, n’est-ce pas
encore Louvain qui l’emportera ? L’université de Louvain n’existe-t-elle pas
depuis 4 siècles ? n’a-t-elle pas joui longtemps d’une
réputation européenne, tandis qu’il n’en est pas ainsi que je sache pour les
universités de Gand et de Liège ? Gand et Liége se plaignent, il ne faut pas
les mécontenter. Voilà ce qu’on dit, ou au moins voilà ce qu’on pense. Mais
Louvain se plaint également, et pourquoi dédaignerait-on ses plaintes ? Est-ce
parce que Liége et Gand ont la voix plus haute et le poignet plus fort, parce
qu’elles forment ensemble une population de 120 mille habitants, tandis que
Louvain n’en a que 25 mille ? Sont-ce de grands vassaux que l’on respecte,
tandis que l’on traite le petit peuple sans merci, ni miséricorde ? Je crois
que c’est un peu cela.
Sans doute, Louvain n’a que
25 mille habitants à opposer à la population de Liége et de Gand. Mais avec
Louvain marche un renfort autrement respectable. Je veux parler des vœux de
tous le pays qui, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, seront toujours pour
l’instruction la meilleure et la plus économique, et pour que l’on fasse
prévaloir sur toutes les considérations d’intérêt local, les principes de
justice, de raison et de bonne administration.
On ne peut soutenir contre
Louvain que l’emplacement ne soit pas merveilleusement choisi : c’est une
localité paisible, au centre du pays, où la vie est à bon compte, où les distractions
ne sont pas trop fréquentes. C’est une localité assez rapprochée de la capitale
pour en recevoir l’influence et le mouvement sans s’y mêler activement. Située
au centre d’une province ni wallonne, ni flamande, cette ville est comme
appelée, par sa position, a être le berceau du nouvel esprit national qui devra
jaillir d’une éducation puisée aux mêmes sources, soumise aux mêmes influences.
Une objection contre
Louvain, à laquelle on a répondu (ce qui m’empêchera de m’y arrêter), c’est
qu’elle présente peu de ressources pour l’enseignement médical. Il est
constant, cependant, que de 1817 à 1835, Louvain a compté, pendant plusieurs
années, plus d’élèves en médecine que Gand (Liége n’a pas donné le nombre des
élèves de cette faculté.)
D’ailleurs, dans tous les
pays de l’Europe on ne mesure pas l’importance de l’enseignement médical à
l’importance des villes où il est donné. En Angleterre, en Allemagne, en
Suisse, en Italie, toutes les villes célèbres par leurs universités sont d’une
population moindre que Louvain. Ce sont des faits connus de tous, et que j’ai
d’ailleurs puisés dans l’un des rapports publiés à l’occasion du projet de loi.
A cette occasion, je ne
puis m’empêcher de recommander aux membres nouvellement élus de prendre
connaissance des mémoires publiés par la ville de Louvain, son université et le
collège des curateurs. J’en parle avec d’autant plus d’impartialité que j’ai
trouvé dans de ces mémoires une insinuation peu bienveillante à mon égard.
On prétend que le ministère
passé avait nomme une commission choisie exprès pour anéantir l’université de
Louvain, attendu que la ville de Louvain n’avait pas de représentants dans
cette commission. Cette allégation trouve une réponse dans la manière dont je
défends les intérêts de la ville de Louvain, qui, suivant moi, se confondent
avec les vrais intérêts du pays.
Je ferai en finissant une
observation, et j’espère qu’elle ne blessera personne.
Nous avons deux espèces de
partisans de la double université : ceux qui, ne croyant pas à l’utilité de l’enseignement
donné aux frais de l’Etat, ne veulent pas de cet enseignement et pour cela
aimeraient à déposer dans la loi même d organisation des germes de
désorganisation et de mort. Pour ceux-là je parlerais en vain. Je regrette
seulement qu’ils n’aient pas exprime franchement leur opinion.
Dans la seconde espèce de
partisans d’une double université, nous avons ceux qui veulent de bonne foi un
enseignement supérieur aux frais de l’Etat, mais qui craignent de mécontenter
deux villes importantes et puissantes dans le pays ; je conçois les scrupules
de ces derniers. Mais je leur demanderai s’il n’y a pas pour ces villes de
compensation possible. L’une d’elles a obtenu une cour d’appel avec un ressort
d’une étendue qu’elle n’aurait pu espérer obtenir sous le gouvernement
précédent. Elle a obtenu en outre une école industrielle qui, vu l’importance
et les progrès de l’industrie dans notre pays ne peut manque de prendre chaque
jour un plus grand développement. L’autre a un chemin de fer qui doit porter
son industrie et son commerce à un haut degré de prospérité. Elle peut avoir
l’école militaire à laquelle il faudra joindre nécessairement l’école
polytechnique. Cette même ville où siègent volontiers les arts, pourra
augmenter son école de musique, de dessin. Des subsides à cet effet ne pourront
lui être refusés.
Ces deux villes pourront
aussi avoir des écoles d’enseignement moyen. Car je ne pense pas que le
gouvernement renonce à établir l’instruction moyenne sur des bases aussi larges
que l’instruction universitaire. Ces écoles d’enseignement moyen qui seront des
universités au petit pied, pourront compenser avec d’autres avantages le tort
que souffriront les localités par suite de la suppression de l’université.
Et par-dessus les
intérêts de localité vous avez la grande voix de l’intérêt général qui vous
crie avec la commission auteur du projet de loi, avec le collège des curateurs
de l’université de Louvain ;
« Il n’y a pas de
milieu possible…
« Deux universités
morcelées ne pourraient pas lutter avec deux universités libres ou toutes les
facultés seront réunies, et il serait absurde que les établissements
scientifiques de l’Etat, destinés à leur servir de modèle, ne pussent pas
concourir avec elle.
« Ouvrez donc, ouvrez
une université unique centrale, dans laquelle la jeunesse flamande ou wallonne,
catholique ou libérale, ne s’occupera que de bonnes et solides études ; Belges
avant tout, nos enfants oublieront les divisions de territoire et de parti,
pour se refondre à un foyer commun de concorde, de tolérance et de lumières, et
ralliez leurs sentiments dans un seul, l’amour de la patrie, du Roi et de nos
institutions. »
M. Pirson. - Beaucoup de
choses ont été dites sur la question du nombre des universités ; nous avons à
cet égard sous les yeux des mémoires qui sont très bien rédigés. Il me semble
après cela qu’il s’agit de formuler quelque chose qui convienne à tout le
monde. J’ai rédigé là-dessus en hâte un projet dont je vous donnerai lecture.
Voici les articles dont je
propose l’adoption à la chambre :
« Art. 1er. Il y aura
trois universités aux frais de l’Etat, une à Louvain, une à Gand et la
troisième à Liége.
« L’université de Louvain
comprend les facultés de philosophie et lettres ; des sciences mathématiques,
physiques et naturelles ; de droit et de médecine et des sciences
mathématiques, physiques et naturelles.
« Les universités de
Gand et de Liége comprendront les facultés de philosophie et de lettres. »
« Art. 2. Les facultés des
sciences des deux universités de Gand et de Liége seront organisées de manière
qu’elles offrent leur application aux arts, à l’industrie, aux manufactures, à
l’architecture civile, aux ponts et chaussées, et de plus à Liège, aux
mines. »
« Art. 3.
L’enseignement supérieur comprend, savoir :
« 1° A l’université de
Louvain (tout l’article 3...)
« Dans la faculté de
philosophie et lettres, etc.
« Dans la faculté des
sciences, etc.
« Dans la faculté de
droit, etc.
« Dans la faculté de
médecine, etc.
« 2° Aux universités
de Gand et de Liège ;
« Dans la faculté de
philosophie et lettres, les littératures orientale, grecque, latine, française
(et flamande à Gand seulement). Le reste comme ci-dessus à Louvain jusqu’aux
facultés de droit et de médecine exclusivement. »
« Art. 4. Dans la faculté
des sciences des universités de Gand et de Liége, on enseignera l’architecture civile,
l’hydraulique, les constructions nautiques et celles des routes et des canaux,
la géométrie descriptive avec des applications spéciales aux machines aux
routes et canaux, la chimie appliquée aux teintures ; et de plus à Liége, la
métallurgie, l’exploitation des mines, la chimie appliquée à la fusion des
métaux.
« Des maîtres de
dessin et d’architecture seront attachés à ces universités. »
J’ai un autre amendement à
présenter qui trouvera place à la fin de la loi. Depuis 5 ans des
établissements d’instruction publique qui ne sont pourtant pas des plus suivis,
jouissent de subsides élevés au détriment d’autres établissements que réclament
les populations des différentes provinces lésées dans la juste répartition de
ces subsides.
La mesure que je propose
est nécessaire, à moins qu’on ne veuille discuter la loi sur l’organisation de
l’instruction moyenne avant le renouvellement de l’année scolaire.
Je crains que le statu quo
ne dure encore longtemps et que par suite notre budget ne reste chargé d’une
dépense qui pourrait être mieux répartie.
« Article transitoire.
Jusqu’à ce que la loi ait prononcé sur le mode d’instruction moyenne, il ne
sera plus donné de subside pour athénée ou collège qu’à ceux qui le
demanderont, sauf répartition à faire par le gouvernement. Provisoirement ces
subsides ne pourront s’élever à plus de 50 fr. par élève. »
- Le premier amendement de
M. Pirson est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
M. Rogier présente
l’amendement suivant :
« Il y aura pour toute
M. Liedts. - Je demande la
division.
- La chambre est consultée,
par appel nominal, sur la question de savoir s’il y aura une ou plusieurs universités.
71 membres sont présents.
69 membres prennent part au
vote.
32 se prononcent pour
l’établissement d’une seule université.
37 votent contre.
En conséquence,
l’amendement de M. Rogier n’est pas adopté.
Ont voté pour : MM. Bekaert,
Bosquet, Dequesne, Cols, Corbisier, Dams, de Brouckere, de Jaegher, Desmanet,
Raymaeckers, d’Hoffschmidt, Dubois, Pirmez, Frison, Gendebien, Jadot, Lebeau
Liedts, Milcamps, Nothomb, Pirson, Quirini, Rogier, Smits, Thienpont,
Trentesaux, Troye, Vandenhove, Vande Wiele,
Vanderbelen, Scheyven , Zoude.
Ont voté contre : MM.
Coppieters, Fischbach, Demonceau, de Behr, Kepenne, Andries, de Longrée, Stas de Volder, de Meer de
Moorsel, de Muelenaere, Dechamps, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux,
Vandenbossche, Manilius, d’Huart, Doignon, Donny, Dubus, Dumortier, Ernst,
Kervyn, Hye-Hoys, Legrelle, Morel-Danheel, Raikem, A. Rodenbach, Schaetzen,
Simons, Ullens, Lejeune, Vergauwen, C. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, Wallaert.
M.
de Foere. - Je me suis abstenu parce que la position de la
question ne m’a pas satisfait. Je ne voulais ni une, ni deux, ni trois
universités, dans lesquelles l’enseignement fût donné aux frais de l’Etat. Je
me suis énoncé à cet égard d’une manière formelle dans une session antérieure.
J’aurais désiré qu’il y eût parfaite concurrence dans l’enseignement, dans
l’intérêt des sciences et dans celui des finances de l’Etat. Une concurrence
franchement établie eût été plus avantageuse à l’instruction.
M. Verdussen. - Je ne me serais
pas abstenu sur une question aussi grave, si on avait fixé d’avance et
éventuellement quel serait le siège de l’université unique, si ce système avait
prévalu.
Il y a deux questions
principales dans la fixation du nombre des universités salariées par l’Etat, la
question financière et la question morale et politique.
Je n’ai pas besoin de vous
dire, messieurs, jusqu’à quel point l’importance de cette seconde question
l’emporte dans mon esprit sur la question d’économie, mais celle-ci est encore
assez importante pour mériter de fixer notre attention lorsqu’elle n’absorbe
pas la question de haute convenance. Si, après l’adoption du principe d’une
seule université, l’opinion avait prévalu de la fixer à Bruxelles, j’aurais
vivement regretté mon vote en faveur d’une seule université, parce que
l’économie qui en résulterait pour le pays n’est plus à mes yeux qu’un avantage
minime, en présence des dangers sans nombre qui, suivant moi, accompagneraient
la fixation de l’université gouvernementale dans la capitale du royaume.
J’aurais donc voté en faveur d’une seule
université, si j’avais été assuré que Louvain eût été son siège, mais je me
serais résigne à voter la dépense de deux universités, si j’avais dû prévoir
que Bruxelles eût été préféré. Dans l’incertitude je me suis abstenu.
- L’article premier du
titre III est mis aux voix, il est ainsi conçu :
« Il y aura deux
universités aux frais de l’Etat, l’une à Gand, l’autre à Liége.
« Chaque université
comprendra les facultés de philosophie et lettres, des sciences mathématiques,
physiques et naturelles, de droit et de médecine.
M. Dumortier. - Avant que la
chambre aille aux voix, je désirerais savoir si le gouvernement s’est assuré
que les villes de Gand et de Liége sont disposées à donner les mêmes subsides
que les années précédentes. Si l’article une fois voté, elles s’y refusaient,
ce serait une dépense de 100 à 200,000 fr. de plus à la charge du trésor.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je pense que la question de l’honorable préopinant trouvera mieux sa place
lorsque nous en serons à la discussion des articles relatifs aux frais des
universités. (Oui, oui.)
M. Dumortier. - Si l’on entend
que la question ne sera pas préjugée par le vote de la chambre (non, non), je ne m’y opposerai pas.
Cependant je déposerai
demain un amendement rédigé dans ce sens que si les villes de Liége et de Gand
se refusaient à contribuer aux dépenses des universités, le gouvernement serait
autorisé à transporter le siège dans les villes qui offriraient cet avantage au
trésor.
- L’article premier est
adopté.
La séance est levée à 4
heures.