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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19 août 1835

(Moniteur belge n°233, du 20 août 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Les avoués près la cour d’appel de Bruxelles demandent une loi qui porte création d’une troisième chambre civile près ladite cour. »

« Le sieur A.-L. Limerel, capitaine d’infanterie en non-activité, demande l’intervention de la chambre pour obtenir la réparation d’injustices qu’il prétend avoir été commises à son égard. »

« Le baron Wymar de Kirchberg demande que la chambre intervienne pour faire convoquer dans le plus court délai le collège électoral de Ruremonde. »

« Plusieurs habitants d’Idderghem demandent 1° l’élection directe des bourgmestres et des échevins ; 2° qu’il soit établi un seul marc le franc pour tout le royaume ; 3° qu’on adopte une loi de péréquation cadastrale, et 4° qu’on ne porte pas atteinte à la liberté d’enseignement. »

« Le sieur H. Vandermeersen, propriétaire, demande que la chambre fasse disparaître l’impôt sur le port d’armes. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.


M. Bosquet. - Il est à ma parfaite connaissance que l’administration de la justice à la cour de Bruxelles est dans une situation, j’ose le dire, déplorable ; il y a en quelque sorte déni de justice forcé. L’arriéré des causes augmente chaque année ; il est maintenant de 800 causes. Il est urgent de porter remède à un pareil état de choses. Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur la pétition des avoués près la cour d’appel de Bruxelles.

M. de Brouckere. - Il faudrait que la commission des pétitions fît son rapport avant la discussion de celui qui a été présenté par M. de Behr. Elle pourrait se réunir aujourd’hui ou demain.

- La proposition de MM. Bosquet et de Brouckere est adoptée.


M. Fallon, organe d’une commission, dépose un rapport sur le bureau de la chambre. L’impression et la distribution de ce rapport sont ordonnées.

Projet de loi sur l'instruction publique

Discussion des articles

Titre III. Des grades, des jurys d’examen et des droits qui sont attachés aux grades

Chapitre premier. Des grades et des jurys d’examen
Article 41

M. le président. - Nous en sommes restés à l’article 41 ou à la formation du jury.

La section centrale propose un article dont voici les deux premiers paragraphes :

« Les membres des jurys d’examen seront nommés pour une année ; leur nomination doit avoir lieu avant le 1er mars.

« Un jury distinct pour la philosophie et les lettres, pour les sciences, pour le droit et pour la médecine, sera chargé de procéder à l’examen pour le doctorat. »


M. de Brouckere propose de conserver ces deux paragraphes et d’ajouter la disposition suivante :

« Le jury sera composé en nombre pair, savoir :

« D’un professeur de chacune des universités du gouvernement ;

« D’un professeur de chaque université libre, ayant au moins cent élèves ;

« De deux ou de trois membres nommes par le gouvernement.

« Chacun des professeurs désignés par les universités sera nommé par la faculté dont il fait partie, laquelle désignera en même temps un suppléant pour le remplacer en cas d’empêchement.

Il propose en outre pour le deuxième paragraphe de l’article 42 :

« Le jury devra être au complet pour procéder à un examen : le professeur appartenant à la faculté où le récipiendaire a fait ses études n’aura que voix consultative. »


M. Dumortier a présenté l’amendement suivant :

« Les membres des jurys d’examen seront nommés pour trois ans ; leur nomination devra avoir lieu avant le 1er mars.

« Deux jurys distincts seront chargés de l’examen pour les grades dans les facultés des sciences et des lettres ;

« Deux jurys, pour le grade de candidat en droit et en médecine ;

« Deux jurys, pour le grade de docteur en droit et en médecine.

« Chaque jury d’examen sera composé de sept membres, dont quatre seront nommés par la chambre des représentants et trois par le sénat. »


M. A Rodenbach présenté cet autre amendement :

« Je propose que chacun des jurys d’examen soit composé de sept membres, dont trois nommés par la chambre des représentants, deux par le sénat et deux par le gouvernement. »


L’amendement de M. Devaux est conçu dans les termes suivants :

« 1° Les membres des jurys d’examen sont nommés pour chaque session du jury, et un mois au plus tôt avant l’ouverture de la session.

« Un jury différent conférera chacun des grades de candidat et de docteur dans chaque faculté.

« Ces jurys seront composés comme suit :

« Pour l’examen des élèves des établissements particuliers, le jury se composera :

« De trois professeurs de l’établissement auquel l’élève appartient, et désignés par l’établissement même ;

« De trois professeurs ou agrégés des universités de l’Etat, désignés par le gouvernement ;

« De quatre personnes étrangères à la fois aux universités de l’Etat et aux établissements particuliers, et désignées par le gouvernement.

« Pour les élèves des universités de l’Etat, le jury se composera :

« De trois professeurs ou agrégés de l’université désignée par le gouvernement ;

« De trois professeurs d’établissements particuliers que le sort désignera, parmi tous les professeurs délégués par ces établissements pour faire partie du jury ;

« De quatre personnes désignées par le gouvernement, en dehors des établissements particuliers et des universités de l’Etat.

« Enfin, pour les élèves qui n’appartiennent à aucun des établissements susmentionnés, le jury se composera de quatre professeurs des universités de l’Etat, désignés par le gouvernement, et de quatre personnes nommées également par le gouvernement en dehors des universités et des établissements particuliers susdits.

« 2° En cas de partage des voix, l’opinion la plus favorable à l’élève prévaudra.

« Toute personne qui se présente à l’examen pourra, si elle le désire, être interrogée par les professeurs ou agrégés de l’établissement auquel elle appartient pendant la première moitié du temps que doit durer l’examen, mais jamais plus longtemps, si ce n’est avec l’autorisation du jury.

« 3° Un établissement particulier ne sera admis à se faire représenter, ainsi qu’il est dit plus haut dans un jury d’examen, qu’autant que toutes les matières sur lesquelles l’examen doit porter y soient enseignées, et qu’il ait au moins trente élèves.

« 4° Les établissements susdits adresseront au gouvernement, aux époques qu’il déterminera un mois à l’avance, les listes des professeurs qu’ils désignent pour faire partie des jurys, ainsi que des suppléants qui devront les remplacer eu cas de maladie ou d’empêchement. »


M. F. de Mérode et M. Dubois font la proposition suivante :

« Le jury sera nommé pour trois ans.

« La première nomination sera faite par le Roi. Avant l’expiration de ce terme, une loi spéciale réglera définitivement le mode de nomination du jury. »


M. le président. - Un nouvel amendement est présenté par M. Vandenbossche.

M. Vandenbossche. - Les honorables membres, divisés sur le mode de nomination du jury d’examen manifestent des craintes, les uns pour la liberté de l’enseignement, les autres pour la capacité voulue des membres qui composeront ce jury.

Je pense, messieurs, qu’il y a moyen de concilier les intérêts de tous, et de rassurer les uns et les autres sur leurs craintes mutuelles, que je regarde ne pas être sans fondement.

On paraît convenir que chacun des jurys d’examen sera composé de sept membres.

Nous avons quatre universités : deux universités de l’Etat et deux universités libres, et je ne pense pas qu’il s’en élèvera d’autres encore, quoique la faculté en existe.

Que chaque université soit représentée dans le jury d’examen, c’est tout à fait raisonnable, mais que l’opinion publique y soit également représentée, cela n’offre aucun inconvénient, et constituera la garantie de la liberté et même de l’impartialité du jury, dont je n’ai jamais eu la pensée de douter, mais qui semble avoir causé, chez quelques honorables membres, des sujets d’appréhension.

Je vous propose donc pour amendement à l’article 41 :

« Un jury distinct pour la philosophie et les lettres, pour les sciences, pour le droit et pour la médecine, sera chargé de procéder à l’examen de candidat et à celui de docteur.

« Chacun des jurys d’examen sera compose de sept membres, d’un professeur de chaque université, de deux membres nommés par la chambre des représentants, et d’un membre nommé par le sénat.

« Il sera nommé, de la même manière, un suppléant à chaque juré ; il pourra en cas d’empêchement du juré, être appelé à le remplacer, soit à la demande de celui-ci, soit à la demande du jury.

« Les établissements particuliers pourront faire accompagner leur récipiendaire par un professeur, mais qui n’aura dans le jury que voix consultative.

« Les membres des jurys nommés par la chambre des représentants et du sénat seront nommés pour trois ans.

« Les universités sont autorisées à conférer à leurs élèves le titre de candidat ; les élèves d’établissements particuliers devront l’obtenir du jury d’examen. »

Au moyen de ces dispositions, messieurs, toutes les parties se trouveront représentées dans le jury d’examen, les universités, le gouvernement, au moyen de ses deux universités, et finalement les pères de famille, au moyen des trois membres que nommeront leurs représentants.

De cette manière aussi, nous n’aurons pas à craindre que le jury puisse être composé par des hommes qui peut-être n’auraient point l’aptitude à bien poser les questions, et les chambres dussent-elles se tromper sur les qualités nécessaires pour bien poser les questions, elles ne se tromperont pas sur les qualités requises pour bien apprécier les questions posées et les réponses qu’y aura faites le récipiendaire.

De cette manière on aura la garantie des mérites de celui qui sera élevé au grade de candidat ou de docteur, ainsi que la garantie de l’impartialité du jury et de la liberté de l’enseignement : vœux unanimes, je pense, de tous les honorables membres de la représentation nationale.

Relativement au titre de candidat, je ne vois aucun inconvénient à donner aux universités le droit de conférer ce titre ; et, par là, on diminuera de beaucoup la besogne du jury d’examen.

- Tous les amendements sont appuyés, et doivent par conséquent être mis en délibération.


M. F. de Mérode. - La bonne composition du jury d’examen est d’une importance si grande pour les effets de la loi qui nous occupe, messieurs, que nous ne saurions mettre trop d’attention et de soins dans la discussion qui concerne ce chapitre de la loi ; la liberté du haut enseignement, telle que nous essayons de l’organiser en Belgique, après l’avoir inscrite dans la constitution, n’existe, je crois, nulle part encore. Si nous l’établissons sur une base convenable, si elle porte des fruits conformes à nos espérances, de la Belgique, elle s’étendra dans d’autres pays, et nous aurons donné le plus heureux exemple, car la bonne éducation est l’indispensable fondement de tout véritable bien-être parmi les peuples.

Personne plus que moi ne désire la prospérité des universités libres, parce que je pense que dans ces universités se développera le meilleur enseignement, celui qui ne s’occupe point exclusivement de la science, mais enfin des principes supérieurs à toute science humaine.

Personne ne m’accusera, et j’ose espérer que mes sentiments sont assez connus à cet égard, de vouloir étendre les prérogatives du pouvoir sur la liberté de l’enseignement. Si je réclame souvent des moyens d’ordre matériel dont le gouvernement puisse disposer en faveur de la paix publique, c’est afin de conserver les libertés que les factions voudraient détruire ici comme dans un grand pays qui a tant d’influence sur le nôtre. Mais quant à l’ordre moral, ce n’est point au gouvernement, quelle que soit la composition du ministère, que j’aimerais à en confier la garde. Les bonnes doctrines dégagées des entraves qui les empêchent de lutter avec le mal, sont, à mon avis, les véritables appuis de cet ordre.

La question que nous traitons en ce moment me paraît trop difficile à résoudre définitivement pour ne pas recourir d’abord à des mesures d’essai par lesquelles l’expérience nous instruira. Nous avons à éviter deux écueils, la partialité du jury d’examen et son incapacité ou sa mollesse. Il ne suffit pas en effet de maintenir seulement la liberté de l’enseignement, il fait maintenir cette liberté sur un pied honorable, il faut qu’elle écarte même l’ignorance et la paresse des grades qui n’appartiennent qu’à l’intelligence et au travail assidu.

Je suis loin de croire, comme l’a avancé un de mes honorables amis, M. Devaux, que les chambres ne puissent constitutionnellement être investies du droit de choisir les jurys d’examen. Je ne vois point dans cette nomination un acte administratif, mais plutôt quelque chose d’extraordinaire qui n’est ni administratif ni législatif. Si les chambres sont et doivent être toujours à l’avenir une autorité juste et capable de bien faire le choix des examinateurs, je suis prêt à le leur attribuer exclusivement. Mais je doute de cette justice ; je doute de cette capacité parce qu’il manque aux assemblées délibérantes une responsabilité suffisante. Qu’est-ce, en effet, qu’une responsabilité qui pèse sur cent personnes dominées par des opinions politiques et religieuses divergentes ? Rien, ou à peu près rien. Je suis tout à fait ministre et représentant. Si comme ministre j’avais à prendre part à la composition d’un jury d’examen, certes j’aurais plus de crainte de mal remplir ma tâche que je ne mettrais d’importance à donner mon centième vote inconnu du public.

Dans cette dernière hypothèse, aurai-je toujours la patience de prendre toutes les informations utiles sur le compte de 20 ou 30 personnes, que je serai appelé à choisir par scrutin secret, et, je le répète, sans aucune responsabilité ? Souvent je m’en rapporterai à un collègue, que je tiendrai pour bien informé, et ne prendrai pas d’autre souci. Au contraire, le ministre ou les ministres chargés de ce soin devraient nécessairement s’acquitter équitablement des obligations qui leur seraient imposées, les erreurs commises par des examinateurs infidèles ou incapables retombant sur les hommes dont ils se trouveraient les mandataires. Je vois là une garantie qui ne se trouve point dans la nomination par les chambres, par les chambres qui ne sont pas à l’abri des passions et des préjugés du moment, et qui, en outre, agissent sans contrôle.

Remarquez d’ailleurs, messieurs, que mon amendement ne propose qu’une mesure d’essai. Prenons garde, messieurs, de compromettre la liberté de l’enseignement supérieur. J’y tiens trop pour ne pas l’entourer à son début pratique, de toute la circonspection requise lorsque l’on suit une voie nouvelle et inexplorée.

M. Dubus. - Je prends la parole pour ajouter quelques explications à celles que j’ai déjà données hier.

Un honorable membre a fait une objection contre l’amendement de la section centrale et contre tous les amendements qui tendent à donner la nomination du jury d’examen aux chambres : il a prétendu, notamment pour ce qui concerne le doctorat en droit, que la session ordinaire du jury d’examen ne serait pas suffisante. Il a présenté, pour appuyer son opinion, des calculs statistiques. J’avais déclaré n’être pas en mesure de les apprécier. Depuis hier j’ai examiné les renseignements fournis par le gouvernement, et d’après ces renseignements, je trouve tout à fait exagérées les bases du calcul de l’honorable membre.

En effet, il a pris pour base le nombre des diplômes conférés depuis la révolution, temps pendant lequel il y a eu le plus d’abus, et qui a excité les réclamations les plus vives. Le nombre des diplômes qu’on délivrait ordinairement s’est considérablement accru dans les deux premières années qui ont suivi la révolution ; la troisième année il est revenu à la hauteur où il était auparavant ; les abus ont cessé, ou du moins ont beaucoup diminué. C’est une erreur de la part de l’honorable membre que d’avoir été prendre les éléments de son calcul dans un état de choses transitoire.

Après la révolution le nombre des élèves inscrits dans les universités a beaucoup diminué, tandis que le nombre des diplômes délivrés a augmenté ; mais ces diplômes ont été conférés dans beaucoup de circonstances à des individus qui n’avaient fait aucune étude, ou qui ont donné de très faibles preuves de capacité. Je pourrais à cet égard citer des faits ; je me bornerai à rappeler une anecdote échappée à l’un des membres de la chambre et qui a été ministre.

Un individu s’adresse à lui pour obtenir quelque chose ; mais, lui dit-on, pour vous accorder ce que vous demandez, il faudrait que vous fussiez docteur en droit. Il me serait difficile, répond le solliciteur, d’avoir un tel diplôme, car je n’ai pas fait d’études. Cependant quelques semaines après il revient un diplôme à la main !... Ceci suffit pour montrer quels abus ont régné pendant les premières années de notre révolution ; il ne faut pas prendre une telle situation pour l’état normal. Je prendrai, moi, pour base de mes calculs les cinq années qui ont précédé la révolution ; elles en comprennent quatre où il y a eu le plus d’élèves. Eh bien, d’après les chiffres qu’elles présentent, je trouve qu’il y avait, par année, cent diplômes de docteur en droit conférés.

Est-il nécessaire, comme le propose le projet, qu’il y ait deux examens pour arriver au doctorat en droit (article 50) ? Je ne le pense pas ; quand vous en serez à cet article 50, vous trouverez qu’un seul examen suffira. Qu’est-ce que le jury a à faire ? uniquement de délivrer un brevet de capacité pour exercer telle profession ; son examen doit se borner à constater cette capacité ; or le premier examen que l’on demande dans le projet ne porte que sur des connaissances accessoires et presque étrangères au droit. La statistique, l’économie politique, l’histoire politique sont des sciences importantes sans doute ; mais quelqu’un peut-il affirmer qu’elles soient indispensables pour devenir avocat, juge ? Que l’on dise qu’elles sont utiles ; j’en conviendrai elles sont utiles à tout le monde ; toute science est utile à qui la possède.

Dans le premier examen, on demande encore des notions sur le droit public, sur le droit administratif : ces connaissances ne sont pas encore d’un besoin indispensable. Vous pourrez donc réduire les deux examens à un seul, et dès lors le travail du jury sera de beaucoup allégé.

En maintenant le grade de candidat en droit, grade dont l’utilité ne m’est pas démontrée, il faudra deux examens, je l’avoue, celui pour la candidature, celui pour le doctorat ; mais cela ne fera que 200 examens chaque année, et non pas 400 comme le prétendait l’honorable membre. Vous voyez donc que la session du jury pourrait suffire.

Si vous supprimez l’examen pour le grade de candidat en droit, vous réduirez à 100 le nombre des élèves à examiner. Il suffit en effet que l’on se présente une fois devant le jury ; le brevet de candidat peut être délivré par l’université elle-même et avant qu’on se présente devant le jury.

Au moyen de ces explications, je crois que les difficultés pratiques dont avait parlé l’honorable membre s’évanouissent. Je crois aussi qu’il ne sera nullement nécessaire d’établir deux jurys pour conférer les grades relativement au droit, et j’ai prouvé qu’il pourrait en être de même pour deux autres facultés, celle des sciences et celle des lettres. Je m’arrêterai là.

M. le président. - Voici un amendement que M. Gendebien vient de déposer.

L’honorable membre conserve les deux premiers paragraphes de l’article proposé par la section centrale, puis il ajoute :

« Le jury d’examen sera composé d’un professeur de chaque université du gouvernement et d’un professeur de chaque université libre ayant cent élèves.

« Chaque professeur sera nommé par la faculté dont il fera partie, laquelle nommera en même temps un suppléant.

« Le jury devra être complet pour procéder à l’examen. En cas de partage, le candidat sera admis. »

M. Gendebien. - Messieurs, il paraît que le point principal qui s’agite consiste dans la difficulté de trouver un nombre suffisant d’hommes capables de procéder à des examens : d’une autre part, voyant l’appréhension de beaucoup de membres sur le résultat des nominations par la chambre, j’ai cherché le moyen de résoudre ce double problème.

Je ne rentrerai pas dans la discussion relative à la nomination du jury par les chambres, car je suis persuadé que nous n’obtiendrions de cette manière que des choix toujours incertains et des résultats souvent ridicules, selon l’expression de plusieurs orateurs.

A moins de prétendre à la science infuse, il est impossible que nous nommions des examinateurs sur toutes les parties des connaissances humaines. Je pense que le plus érudit d’entre nous n’oserait pas affirmer qu’il possède des notions, même superficielles, sur chacune des sciences pour lesquelles nous devrions nommer des examinateurs.

Eh bien ! pour couper court aux difficultés, et pour diminuer le grand nombre d’examens, je propose de n’en exiger devant le jury, que pour le grade de docteur. C’est dans le fait le seul grade pour lequel la société ait besoin de garantie, car c’est le seul qui introduise dans le monde un médecin, un avocat, un juge.

Abandonnez aux universités le soin de conférer les grades préparatoires ; ce sera une mesure prudente. Elles n’accorderont que très difficilement les grades de candidat pour passer ensuite devant le jury : elles mettront du soin, du zèle à ne présenter au jury que des hommes capables ; leur réputation y sera intéressée.

Je demande la conservation des deux premiers paragraphes de l’article présenté par la section centrale : « Un jury destiné pour la philosophie et les lettres, pour les sciences, pour le droit et pour la médecine, sera chargé de procéder à l’examen pour le doctorat seulement. »

Je désire que le jury d’examen soit composé de professeurs de chaque université ; ainsi il y aura quatre professeurs réunis. Ce nombre me paraît suffisant, et je doute beaucoup qu’un nombre plus grand puisse être utile à quoi que ce soit.

Il est difficile qu’un professeur interroge moins d’un quart d’heure, le temps strictement nécessaire pour développer un raisonnement. Or, l’élève ne sera interrogé que pendant une heure et il y a quatre examinateurs. Autrefois, à l’école de Bruxelles, il y avait trois examinateurs pour les premiers examens et quatre examinateurs pour les deux derniers, et je ne pense pas qu’ils se fissent moins bien qu’ils ne se feront.

Je crois que toutes les nuances d’opinion trouveront leur apaisement dans ma proposition. On s’est plaint de la trop grande influence du gouvernement, soit dans les amendements de M. de Brouckere, soit dans celui de M. Devaux ; par ma proposition chaque université libre nommera un professeur ; le gouvernement en nommera deux ; il y aura ainsi balance entre les institutions libres et celles du gouvernement ; et comme, en cas de partage, le candidat doit être admis, il en résulte que les universités, si elles veulent marcher en bonne harmonie, n’auront rien à craindre de l’influence du gouvernement.

Si la chambre, après y avoir mûrement réfléchi, revenait sur son premier vote et ne créait qu’une université, le gouvernement n’aurait plus que le tiers d’influence dans les examens, nous aurions trois établissements, marchant en concurrence, ayant chacun des éléments de prospérité, de durée, et pour lesquels nous aurions toutes les garanties désirables.

On a parlé de l’université catholique et de l’université libérale ; les opinions de ces universités seraient représentées dans les examens. Je pense donc, messieurs, que mon amendement doit réunir tous les suffrages ; il doit faire disparaître une partie des inquiétudes manifestées par les diverses nuances d’opinion qui se sont manifestées dans cette chambre.

M. Pollénus. - (Erratum au Moniteur belge n°234, du 21 août 1835 :) Je voterai pour l’amendement de la section centrale, et de préférence encore pour celui présenté par M. Rodenbach, l’un et l’autre présentant une garantie rationnelle pour la liberté de l’enseignement. Tout ce que l’on a dit ne m’a pas convaincu que la participation des chambres produira de mauvais effets ou des résultats ridicules. C’est au contraire dans la participation des chambres que je trouve le contrôle nécessaire que le pays doit exercer sur l’enseignement.

Dans l’amendement qu’il vient de proposer, M. Gendebien pense que toutes les opinions seront également représentées dans le jury. Si j’admets que d’un côté les intérêts des divers corps enseignants des établissements de l’Etat et des établissements libres sont représentés, je ne vois pas qu’ils le soient d’une manière égale. Je trouve, au contraire, que le gouvernement a la plus grande part d’influence. Ce système ne me présente pas le contrôle que je désirerais trouver dans la composition du jury d’examen sur les corps enseignants.

Un honorable membre a proposé un amendement qui tend à conserver les jurys d’examen dans un état provisoire. C’est, de tous les amendements proposés, celui qui pourrait le moins obtenir mon assentiment.

Quel est le motif qui a décidé le gouvernement à proposer de faire une loi séparée du titre III de la loi sur l’instruction publique ? C’est parce que l’enseignement supérieur se trouvait dans un état provisoire et que le gouvernement regardait cet état provisoire comme la chose la plus nuisible et comme tuant l’enseignement. L’amendement qui tend à perpétuer l’état provisoire des jurys d’examen, me semble donc devoir avoir pour résultat infaillible de nuire aux développements des établissements libres d’enseignement ; et je suis persuadé que telle n’a pas été l’intention de l’honorable auteur de cet amendement.

Si pendant trois années le jury d’examen reste dans un état provisoire, si la nomination en est abandonnée au gouvernement, les établissements libres seront continuellement dans un état d’incertitude, car le jury d’examen aura une grande influence sur leur développement.

Ce sont les premières années de la fondation de ces établissements qui décident de leur sort, et c’est pendant les trois premières années que vous prétendez maintenir un état provisoire qui, de l’aveu du gouvernement, tue l’enseignement.

Je repousserai donc cet amendement et tous ceux qui n’établiraient pas un contrôle réel de la part de la chambre sur les corps enseignants. Je voterai, de préférence, pour l’amendement de M. A. Rodenbach, et s’il était repoussé, je voterais pour celui de la section centrale.

M. F. de Mérode. - Je demande à répondre quelques mots à l’honorable préopinant.

Messieurs, mon amendement ne maintient pas l’enseignement dans un état provisoire. La loi sur l’enseignement supérieur serait établie d’une manière fixe. Le provisoire n’existerait que pour la composition du jury. Quant au jury, il existera toujours. Mais comme il est difficile d’arrêter sa formation d’une manière définitive, maintenant que nous manquons d’expérience, je propose de ne l’arrêter que d’une manière provisoire ; cela ne compromettra nullement le sort des établissements libres ; ils sauront que si le mode adopté provisoirement était démontré n'être pas le meilleur, il serait remplacé par un autre.

Je ne dis pas qu’on ne pourra pas maintenir le mode adopté provisoirement, ni qu’on ne pourra pas en découvrir de meilleur. L’amendement que je propose est un moyen de passer d’une position connue à une position inconnue. Nous établissons en ce moment un ordre de choses qui n’a pas encore existé en Belgique. Les divers systèmes qu’on a proposés démontrent la difficulté d’établir dès à présent, d’une manière définitive comment sera composé le jury d’examen. Dans cette situation je propose de laisser provisoirement la responsabilité de cette composition au gouvernement. Le gouvernement jouira, si jouissance il y a, (c’est une expression fort impropre) le gouvernement aura pendant trois ans la charge de nommer les membres du jury d’examen. On verra de quelle manière il fera ces nominations et après cette expérience, nous serons plus à même d’arrêter un mode de nomination définitif.

On voit que le provisoire que je propose ne porte que sur un seul article. Cela ne peut influer en rien sur le développement des établissements libres.

M. Dumortier. - C’est une chose fort curieuse que, parce qu’il y a des essais à faire, ces essais doivent nécessairement être faits par le gouvernement. C’est comme si vous disiez que le gouvernement est seul capable de faire des essais sur ce qui concerne l’instruction publique. Si vous voulez faire un essai d’une manière franche, faites faire cet essai par la législature qui est la véritable représentation des pères de famille. Si la législature fait de mauvais choix, rien ne sera plus facile que de présenter un projet de loi pour lui enlever son droit de nomination, en disant : Vous avez fait de mauvais choix ; tandis que personne de vous n’ignore que quand le gouvernement est une fois investi d’un droit, rien n’est plus difficile que de l’en dessaisir. Il y a plus, il cherche par tous les moyens à s’emparer des droits que la constitution et les lois votées par le congrès ont conférés au peuple belge.

Et vous voulez, après cela, qu’on admette que pendant trois ans le gouvernement sera chargé seul du droit de nommer les membres du jury, et que si les choix ne sont pas bons, après cet essai, les chambres retireront cette nomination au gouvernement. Vous comprenez très bien, et vous êtes trop fins pour ne pas comprendre que le provisoire que vous proposez d’établir entraînera le définitif.

On vous dit : C’est la première fois que ce système se met en pratique. Mais qu’est-ce que cela prouve ? est-ce le gouvernement qui doit tenter tous les essais, qui doit être chargé de mettre toute chose pour la première fois en pratique ? Le gouvernement est le directeur des enseignements universitaires. Or, s’il dirige des universités, il est incontestablement partie dans l’enseignement universitaire. Comment voulez-vous qu’étant partie, il puisse être juge ? Il ne peut pas être juge et partie. On a invoqué la distinction des pouvoirs, mais, messieurs, le pire de tout, la chose la plus monstrueuse, c’est la confusion des qualités de juge et partie, c’est ce qui arriverait si vous adoptiez le système de nomination par le gouvernement.

Il n’y a qu’un système sage et rationnel, c’est la nomination par les chambres. Je ne suis pas touché des arguments qu’on a opposés à ce système, je ne vois pas ce qui ferait soupçonner la chambre de faire des choix ridicules. Nous avons toutes les capacités requises pour choisir les établissements où nous voulons mettre nos enfants, pour choisir les professeurs que nous voulons leur donner. Et nous n’aurions pas des capacités suffisantes pour choisir ceux qui seront chargés de juger leur savoir ! Alors dites que les pères de famille ne sont pas capables de choisir les professeurs qu’ils doivent donner à leurs enfants, et dites que tout le monde devra envoyer ses enfants aux établissements de l’Etat.

Si vous admettez que le peuple, et nous sommes le peuple, si vous admettez, dis-je, que le peuple a assez de capacité pour choisir les établissements où il devra envoyer ses enfants, vous devez admettre aussi qu’il est à même de juger quels sont les hommes qui sont capables de remplir les fonctions d’examinateurs.

Il faut, dit-on, connaître toutes les sciences sur lesquelles porteront les examens, pour nommer les examinateurs. Au moyen de cet argument, personne ne serait capable de former le jury d’examen. Je vous demande si au ministère un gratte-papier est plus capable que les membres des chambres de nommer le jury.

La chambre, messieurs, se rendrait éminemment ridicule, si elle n’appelait pas à faire partie du jury les hommes les plus capables du pays. Sans doute nous ne sommes pas les plus capables, mais nous connaissons les hommes les plus distingués dans les sciences que la Belgique possède. Nous connaissons aussi quels sont les meilleurs professeurs, quels sont ceux qui donnent le mieux leurs cours ; eh bien, ce sera ces hommes-là que nous appellerons à faire partie des jurys d’examen.

Jamais les intrigues ne pourront avoir de l’influence sur les choix faits par une chambre, tandis que si c’est le gouvernement qui nomme, tous ses choix seront influencés par ceux qui encombrent les antichambres ou qui écrivent dans les journaux à la dévotion du gouvernement. Vous vous rappelez ce qui s’est passé sous le gouvernement précédent : l’homme le plus distingué, s’il avait eu le malheur de lâcher le plus petit lazzi sur un ministre, était exclu des faveurs du gouvernement. Si donc le gouvernement a la nomination des membres des jurys d’examen, jamais son choix ne tombera sur un homme qui aura montré de l’indépendance, quelque grand que soit son mérite, parce que les hommes indépendants, on n’en veut pas dans un gouvernement comme le nôtre. Les nominations faites par les chambres peuvent seules être à l’abri de tout soupçon.

Quant à la proposition de M. Gendebien, j’y ai déjà répondu, elle ne présente aucune espèce de garantie. Les professeurs envoyés pour défendre leur propre université, dans le sein du jury, seront toujours en guerre les uns contre les autres ; vous n’aurez pas l’homogénéité que vous devez rechercher.

En cas de partage de voix, dit-on, le récipiendaire sera admis. Voyez ce que c’est que ce système. On veut que le jury soit composé de quatre membres, que les universités du gouvernement envoient chacun un membre et les universités libres également chacun un membre. Or, les deux universités du gouvernement sont homogènes, il en résultera que les universités du gouvernement auront toujours la majorité et feront la loi dans le jury. Autant vaudrait dire que c’est devant les universités du gouvernement que vous envoyez les élèves se faire examiner pour obtenir les grades académiques.

Lorsqu’un élève des universités du gouvernement se présentera devant le jury, il dépendra toujours des professeurs de ces universités de le faire admettre, fût-il mauvais, fût-il détestable aux yeux des professeurs des universités libres. Ce serait un véritable monopole que l’on accorderait sous une forme nouvelle aux universités du gouvernement.

Je persiste à déclarer que je ne vois de système rationnel que celui qui attribue la nomination du jury aux représentants du pays, pour qui on établit la liberté de l’enseignement. Elle ne serait plus qu’un vain mot, si au moyen d’un jury partial on pouvait refuser de conférer les grades académiques aux élèves qui ne seraient pas de l’opinion dominant dans le conseil.

Le gouvernement a des universités ; mais, moi, j’ai un fils, et qui m’empêchera de l’instruire moi-même ou de le faire instruire à l’étranger, soit en France, en Allemagne, en Angleterre ou en Italie ? Est-ce le gouvernement qui doit contrôler le savoir de mon fils ? Si vous avez un jury émanant de la représentation nationale, ce jury représentera tous les intérêts et ne sera partial ni pour l’un ni pour l’autre.

Soyez tranquilles sur les choix que fera la représentation nationale, elle nommera ce qu’il y a de plus méritant dans le pays. Les nominations par les universités seront radicalement mauvaises, parce que l’esprit de parti y présidera ; les nominations par le gouvernement seront le résultat de la faveur. Il n’y a donc qu’un seul système adoptable, la nomination par les chambres.

M. F. de Mérode. - Ce n’est pas combattre un amendement que de ne pas répondre aux raisons dont on l’a appuyé. Il me semble que j’ai donné des raisons à l’appui de celui que j’ai présenté, et si elles ne sont pas péremptoires, elles ont du moins une certaine valeur. M. Dumortier n’y a nullement répondu.

Je n’ai pas avancé, comme il l’a supposé, que les ministres connaissaient toutes les sciences, et que les chambres feraient des choix ridicules ; j’ai dit que les ministres auraient une responsabilité tandis que les membres de la chambre n’en auraient pas parce que leur vote serait secret, et qu’ils n’auraient pas individuellement le même intérêt à bien choisir.

La chambre entière porte bien intérêt à la liberté de l’enseignement, mais celui qui est appelé à donner un centième de vote sur une nomination, qui ne voit tomber sur lui aucune responsabilité, ne mettra pas la même attention qu’un ministre serait obligé d’y apporter. Voilà ce à quoi M. Dumortier n’a pas répondu.

Au lieu de cela, il est venu dire que le gouvernement sera juge et partie. Je le demande, quel intérêt le gouvernement a-t-il en faveur des établissements que vous appelez les siens, car les universités de l’Etat ne sont pas les établissements du ministère, ce sont des établissements publics ; le gouvernement n’a pas intérêt à les favoriser plutôt que d’autres.

Ils sont fondés en vertu de la loi que vous faites ; le gouvernement est obligé de les faire marcher d’une manière convenable, mais il n’a aucun intérêt à ce qu’ils prévalent. Pour moi, si j’étais ministre à portefeuille je serais plus porté pour l’université catholique que pour les autres ; on aurait beau me dire : ce sont vos établissements, ce ne serait pas là que je placerais mes enfants.

C’est une expression erronée que de dire que les établissements de l’Etat sont des établissements des ministres : ce sont des établissements nationaux qu’ils sont intéressés à faire marcher le mieux qu’ils peuvent, mais qui ne sont pas du tout les leurs.

M. Dubois. - Vous n’avez pas été étonnés, messieurs, d’entendre sortir de la bouche de M. Dumortier de nouvelles récriminations et les expressions de finasserie et d’intrigues ; elles lui sont familières.

M. Dumortier. - Je n’ai pas parlé de finasserie, mais de finesse.

M. Dubois. - C’est la même chose. J’ignore jusqu’à quand le bureau souffrira de pareilles récriminations de la part de M. Dumortier.

La sortie qu’il a faite m’engage à vous lire les motifs qui m’ont déterminé à signer l’amendement présenté par M. de Mérode.

Il est évident, messieurs, pour tous ceux qui ont suivi avec quelque attention les débats qui se sont élevés hier à propos de la question qui nous occupe, que de tous les systèmes proposés pour la formation du jury, aucun n’a obtenu la faveur de réunir à lui la conviction de la chambre. Chaque système a été attaqué et défendu avec talent, mais la discussion n’a pu effacer de l’esprit de plusieurs d’entre nous, des objections très graves, des doutes sérieux, qui, si on ne parvient pas à les lever, pourraient avoir une influence funeste dans la décision qu’on nous presse de prendre.

On disait : L’amendement de M. Dumortier tend à faire poser par la chambre un précédent dangereux pour le pays ; il est inexécutable en pratique ; il est inconstitutionnel. Celui de M. de Brouckere ouvre la voie aux coalitions des jurés et il pèche par sa base. Celui enfin de M. Devaux donne au gouvernement trop d’influence sur le jury.

Je crois, messieurs, que cette divergence d’opinion résulte principalement de la difficulté qu’il y a pour la plupart d’entre nous de nous former une idée exacte de la nature de la nouvelle institution qu’on veut introduire parmi nous. En effet, cette idée d’un jury d’examen, créé pour des institutions aussi libérales que les nôtres, est une chose entièrement neuve, une chose jusqu’ici inconnue en Europe, qui n’a de modèle nulle part, et qui ne trouve son analogie dans aucune des institutions des Etats les plus avancés en civilisation.

Vous connaissez, messieurs, l’amendement que nous avons eu l’honneur de vous proposer, mon honorable collègue M. de Mérode et moi. Il ne tend à rien autre chose qu’à laisser au temps et à l’expérience de nous éclairer sur le mode à suivre le plus rationnel, pour donner à la nouvelle institution du jury les garanties de sagesse, d’indépendance et d’équité qui doivent la caractériser et que le pays a droit d’attendre d’elle. Il serait, messieurs, extrêmement dangereux de précipiter une décision à ce sujet. S’il vous manque des données pour créer une institution bonne et durable, attendez que le temps vous les indique.

Bien des fois la chambre a eu à se repentir de décisions prises trop légèrement et plus souvent encore elle a vu ce que peut renfermer de danger pour la chose publique cette prétention imprudente et irréfléchie de vouloir trouver la solution immédiate de certains problèmes politiques que le temps seul et l’expérience peuvent résoudre. A quoi tient-il que depuis un an les lois d’organisation communale et provinciale ne soient mises en exécution dans nos provinces ou dans nos communes ? C’est à la dernière cause qui j’ai indiquée et c’est uniquement à elle qu’il faut l’attribuer. Prenez garde, messieurs, qu’ici la même cause ne produise le même effet. Prenez garde, car si vous faites des institutions mauvaises, vous replongez pour longtemps encore les hautes sciences et l’instruction supérieure dans l’anarchie qui actuellement les tourmente.

Messieurs, cette discussion n’a pas toujours été bien franche ; elle a éveillé des soupçons injustes ; elle a suscité des récriminations ; tout à l’heure on parlait encore de finasserie et d’intrigues ; elle a offert des incidents pénibles au cœur de ceux qui arrivent ici sans arrière-pensée, sans autre but que celui de donner au pays de la manière la plus franche une loi d’application d’un article de notre constitution qui consacre un système d’instruction le plus large et le plus libéral qui soit connu. Pour moi, je déclare hautement que je ne m’associe en aucune manière aux craintes de ceux qui verraient dans le développement de l’instruction catholique un obstacle aux institutions de l’Etat.

J’ajouterai que si j’avais cru nuire aux institutions libérales du pays en votant pour une seule université, ce motif seul m’eût engagé à modifier mon vote. Car je suis de l’avis de ceux qui attendent plus de progrès et d’avenir, d’une instruction libre et franche dans ses développements, que de ces doctrines bâtardes qu’on enseigne froidement et timidement dans les universités salariées et contrôlées par les gouvernements.

De même, je dois dire à mes honorables collègues qui se constituent ici les défenseurs avoués des intérêts du catholicisme belge et qui pourraient se croire seuls appelés à régler son avenir en Belgique, qu’il en est bien d’autres qui sont attachés aussi franchement qu’eux à la religion de leurs pères, qui sont aussi jaloux qu’eux de l’indépendance de l’enseignement des doctrines religieuses de 4,000$ de nos concitoyens ; mais qui refusent de les suivre, et de voter avec eux, parce qu’ils sentent pour eux le besoin de se fier au pouvoir qu’ils se sont créés, parce qu’ils ne veulent se placer ni en dehors ni au-dessus de ce pouvoir, parce qu’ils ne voient dans un système de défiance outrée qu’une lutte incessante et sans fin qui, loin d’être favorable aux doctrines et aux ministres qui les prêchent, doit à mon avis les compromettre et les affaiblir.

Messieurs, je tiens peu à l’amendement qui vous est présenté ; je vous ai dit les raisons sur lesquelles je l’appuie. Je me rallierais volontiers à un amendement qui décidât plus convenablement la question.

Sous ce rapport, celui de M. Devaux me semble le plus se rapprocher de la vérité. Mais je dois déclarer dés à présent que je n’admettrai en aucune manière aucun des amendements qui tendent à déférer au choix des membres de cette chambre la nomination du jury d’examen.

Ce serait, je l’avoue, un malheur pour moi que de me voir obligé de voter contre une loi que le pays attend avec impatience. Mais je suis profondément convaincu que ce serait un bien plus grand malheur encore, si on introduisait dans la loi le système que je repousse.

M. Dumortier. - Messieurs, vous avez dû être étonnés de la sortie singulière que vient de faire l’honorable préopinant. J’avais dit, en m’adressant à l’honorable M. de Mérode dont je combattais l’amendement, qu’il était trop fin et trop habile pour ne pas comprendre que ce qu’il proposait comme provisoire, entraînerait le définitif.

L’honorable préopinant, au contraire, dans sa réclamation singulière, fait entendre que j’aurais parlé de finasserie. Quand on n’est pas capables de faire la distinction entre : Vous êtes trop fin, et vous êtes un finard, on ne doit pas se constituer en Aristarque.

Je le répète, ce que j’ai dit ne s’appliquait nullement à lui, mais à M. de Mérode !

M. Dubois. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - Non ! Non ! ne parlez pas.

M. Gendebien. - On a accusé mon amendement de n’offrir aucune espèce de garantie et d’établir un monopole. C’est sur cette accusation que je me propose de répondre. Mon intention était si éloignée d’établir un monopole, elle était au contraire tellement de donner à tous des garanties, que si on veut proposer un sous-amendement présentant des garanties plus grandes, je suis prêt à l’adopter.

Si vous voulez faire une chose utile au pays, à l’instruction, et qui en même temps amènera une économie au budget, n’ayez qu’une université du gouvernement : alors, donnez deux représentants à l’université du gouvernement, deux à l’université libérale et deux à l’université catholique. Vous aurez un jury composé de six membres, et plus personne n’aura à se plaindre que peut-être le gouvernement, car chacun aura deux représentants dans le jury, chacun y arrivera avec une part égale d’influence. Je suis prêt à voter ce sous-amendement, si quelqu’un le présente ; je le voterai même de grand cœur, parce qu’il fera disparaître le système de deux universités qui ne peuvent pas subsister plus de cinq ans, ce qui donne ouverture à un véritable monopole.

Voulez-vous conserver les deux universités du gouvernement, croyez-vous qu’en donnant au gouvernement une voix par université, alors qu’on en donne également une à chacune des universités libres, on n’a pas toutes les garanties nécessaires, donnez à chacune des universités libres deux examinateurs et n’en donnez qu’un aux universités du gouvernement, vous aurez un jury composé de six membres dont deux appartenant à l’opinion gouvernementale, deux à l’opinion libérale et deux à l’opinion catholique. Si avec de pareils accommodements, vous vous plaignez encore, ne dites plus qu’il y a un défaut de garanties, dites que vous voulez un monopole à votre profit. Voilà la conséquence qu’on pourra tirer, car, je me sers d’une expression triviale, je vous aurai mis au pied du mur.

Je modifie donc mon amendement dans le sens que je viens d’indiquer, et je prie qu’on me réponde ; je prie surtout qu’on me prouve que je veux un monopole, que toutes les nuances d’opinion n’auront pas leurs garanties. Si on me le démontre, je retire mon amendement et mon sous-amendement ; mais si on ne le fait pas, je serai libre de penser ce que je voudrai sur l’accusation portée contre mon premier amendement et sur les motifs qui feront voter contre.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Si je me suis rallié au projet de la section centrale, vous comprendrez que ce n’est pas parce que je partage l’opinion de l’honorable député de Tournay sur l’intervention de la chambre dans l’administration du pays ; c’est uniquement parce que j’ai considéré qu’il s’agissait d’une institution extraordinaire, qui n’avait pas d’analogie avec d’autres institutions dont nous aurons à nous occuper, et que la décision à prendre ne devait pas servir d’antécédent ni tirer à conséquence.

La constitution a proclamé la liberté de l’enseignement, dès lors nous sommes dans l’obligation d’avoir un moyen de constater les connaissances de ceux qui veulent obtenir dans le pays les grades académiques nécessaires à l’exercice d’une profession : sous ce rapport tout le monde est d’accord sur la nécessité de créer des jurys d’examen. On est encore d’accord sur deux points, c’est que les jurys doivent présenter des garanties de capacité, des garanties que les élèves seront interrogés d’une manière convenable, afin de bien apprécier leurs connaissances, et enfin des garanties d’impartialité pour que leurs jugements soient à l’abri de toute critique.

Un honorable député a signalé les inconvénients pratiques qui résulteraient du grand nombre d’examens à subir. Ici, il est vrai de dire qu’il s’est glissé une erreur dans la rédaction du projet. Dans le premier projet, pour les examens de candidat, il y avait cinq examinateurs, et pour les examens de docteur, il y en avait sept. La section centrale a proposé de composer toujours le jury de sept membres, soit pour l’examen de candidat, soit pour l’examen de docteur ; cette opinion nous a paru fondée, surtout d’après la base proposée par la section centrale pour la nomination des jurés.

Mais, dans la rédaction, nous avons perdu de vue la grande difficulté qui résulterait du grand nombre d’élèves qui se présenteraient pour passer des examens en droit ou en médecine. Je reconnais qu’il serait nécessaire, dans tous les cas, d’avoir un jury distinct pour le grade de candidat et pour celui de docteur. Sous ce rapport donc, les observations de l’honorable député de Bruges sont évidemment fondées. Je pense comme lui que la création de deux jurys est le seul moyen pratique de lever la difficulté qu’il a signalée.

L’honorable député de Tournay a été plus loin que la section centrale. Il demande que la chambre nomme exclusivement les jurés. Un autre membre a demandé que les universités nommassent quatre membres et que le surplus fût nommé par les chambres ; d’autres combinaisons ont encore été présentées. Tous ces systèmes pèchent essentiellement dans leurs bases. Les auteurs de ces systèmes ont perdu de vue que les matières sont extrêmement étendues, qu’il n’est pas de professeur capable d’interroger sur toutes ces matières, et que si la composition des jurys n est pas parfaitement méditée, au moins pour la majorité de leurs membres, ils seront dans une impossibilité absolue d’accomplir leur mission.

L’honorable député de Mons a dit que, sous l’empire français les examens en droit étaient faits par trois professeurs ; mais il a perdu de vue que l’enseignement était alors moins complet qu’aujourd’hui, que les examens ne roulaient que sur le droit civil et le droit romain, et encore qu’ils n’avaient lieu que successivement sur une portion déterminée du droit civil et du droit romain.

Il n’y a donc aucune analogie entre les examens d’alors et les examens prescrits dans le projet.

Pour vous faire sentir la nécessité d’avoir un jury composé de cinq membres au moins et même de sept, je ferai observer que l’enseignement universitaire est moins complet aujourd’hui qu’il ne le sera d’après les dispositions que vous avez votées, et cependant, aujourd’hui, tous les professeurs d’une faculté doivent assister à tous les examens de chaque élève.

Vous comprendrez donc facilement la nécessité d’avoir un jury plus nombreux que ne pensent certains membres, un jury combiné de telle manière qu’il y ait des professeurs, des membres capables d’interroger les élèves sur les diverses matières indiquées dans la loi. Cette seule considération justifierait l’intervention du gouvernement dans le choix des jurés ; et, comme je l’ai dit dans un rapport dont j’ai accompagné la dernière rédaction du projet, il y a nécessité que le gouvernement fasse ses choix en dernier, pour réparer les omissions commises dans les choix des chambres.

Cette nécessité me paraît capitale, car un jury nommé sans être bien coordonné, deviendrait la risée du public, et frapperait de mort l’institution dès son début.

Indépendamment de ces raisons, il y en a d’autres qui ont été développées dans le rapport de la section centrale et que je crois inutile de reproduire.

L’honorable député de Roulers demande la nomination de trois jurés par la chambre des représentants et de deux par le sénat. Il laisse au gouvernement trop peu de moyens pour assurer la bonne composition des jurys. Il y a une autre considération, c’est qu’il établit une inégalité choquante entre les deux chambres. Cette dernière considération suffirait pour faire rejeter la proposition de l’honorable membre.

Maintenant, il me reste à examiner les amendements qui reposent sur un système tout à fait différent.

Il en est qui admettent la représentation de toutes les universités dans les jurys. Au premier aperçu, ce système pourrait offrir des garanties. Mais au fond, il n’y en a pas de réelles. S’il y avait un esprit de jalousie entre les différents établissements, comme cela ne manquera pas d’arriver, et que trois d’entre eux fissent une coalition pour faire tomber le quatrième, ils réussiraient infailliblement. Vous avez moins de rivalité à craindre de la part de trois membres nommés par le gouvernement, que de membres nommés par les universités elles-mêmes.

L’honorable député de Bruges a présenté un système nouveau qui renferme certainement plusieurs avantages incontestables. Par exemple, il admet dans le jury des professeurs de l’établissement duquel l’élève appartient. On ne peut disconvenir que cette disposition ne soit très avantageuse pour l’élève qui peut être intimidé par les questions de professeurs qui lui sont étrangers. Mais, messieurs, l’exécution de ce système me semble extrêmement difficile.

D’abord vous voyez le nombre des jurés qui devront concourir à chaque examen. Ensuite les jurys changeraient constamment suivant que l’élève appartiendra à tel établissement ou qu’il aura fait des études privées. Ce système présenterait donc dans l’exécution de grandes difficultés, indépendamment des défiances qu’il excite.

Un autre membre a proposé, pour faciliter la marche des jurys, de supprimer le grade de candidat et même l’un des examens du doctorat en droit. Cette suppression ôterait la garantie de l’examen du jury. En effet il faut que cet examen porte sur toutes les parties de l’enseignement que vous déclarez obligatoire par la loi. Or il faudra que l’élève qui se proposera de subir son examen devant un jury ait présentes à sa mémoire toutes les études complètes. Je crois qu’il y a là impossibilité absolue.

Si ce système devait prévaloir, il vaudrait mieux s’en tenir à celui qui est adopté en Prusse, où il y a des jurys ayant le droit non pas de conférer des grades, mais d’autoriser à exercer certaines fonctions pour lesquelles on requiert l’obtention de grades dans les universités également reconnues. Alors il y aura plus de facilité pour l’élève et en même temps garantie pour l’Etat. Au surplus tout ce qui a été publié sur la matière que nous discutons, tout ce qui a été dit dans cette enceinte, prouve combien il est difficile d’arriver à un résultat satisfaisant. Je suis convaincu que quelque résolution que nous prenions, il faudra qu’elle subisse les modifications dont l’expérience fera connaître la nécessité.

Un honorable membre avait proposé un jury provisoire. L’on a accusé l’auteur de cet amendement de vouloir réserver à toujours au gouvernement la nomination des jurys d’examen. Cette assertion est dépourvue de tout fondement. En effet, à l’expiration de la troisième année, tout établissement quelconque se trouverait placé sur la même ligne, les universités de l’Etat comme les universités libres. Personne n’étant autorisé à conférer des grades, il faudrait bien que le gouvernement se mît d’accord avec les chambres pour introduire un mode d’examen et de délivrance des grades. L’honorable membre ne pouvait donc avoir la pensée qu’on lui prête. Certes, messieurs, je me suis rallié au projet de la section centrale, mais je déclare que si un autre mode semblait préférable, je ne me montrerais pas éloigné de l’adopter.

Je ne dirai rien des accusations générales lancées en masse contre le ministère par le député de Tournay pour les nominations conférées par le gouvernement. Je crois que les ministres peuvent, comme toute autre personne, comme tout corps électoral, commettre des erreurs. Sous ce rapport, personne n’est infaillible. Mais je pense qu’il règne dans toutes les nominations un esprit de justice et de discernement autant que l’on en peut humainement attendre surtout de la part de personnes chargées de vastes administrations.

M. Dechamps, rapporteur. - L’honorable M. Gendebien propose de ne faire conférer par les jurys d’examen que le grade de docteur. Ce système se rattache au système prussien et peut présenter des avantages sous certains rapports. Comme, dans ce cas, ce seraient les universités qui conféreraient les grades des candidats, elles auraient intérêt à ne revêtir de ce titre que les élèves qui en seraient parfaitement dignes, afin que la réputation des universités n’en souffrît pas.

Je ferai observer à l’auteur de l’amendement, que dans le cas de son adoption, il faudrait réviser au deuxième vote les articles 36, 37, 38 et 39 déjà adoptés par la chambre.

Je lui signalerai un autre inconvénient, c’est que le grade de candidat étant nécessaire pour obtenir celui de docteur, l’élève qui aura étudié chez lui ou chez l’étranger, sera forcé de demander le titre de candidat à une université du pays qui aura intérêt à lui susciter mille difficultés. Enfin, des objections présentées dans la séance précédente, et qui peuvent également s’appliquer à l’amendement de M. Gendebien, n’ont pas été réfutées par l’honorable préopinant.

Quant à l’amendement de l’honorable M. de Mérode, je n’entrerai pas dans de longs développements. Je ferai observer que les universités libres attachent à l’existence des jurys d’examen leur propre existence. En supposant que ce soit un préjugé, ce préjugé existe. Si l’on remettait à un temps éloigné la formation de ces corps, si l’on se bornait à les organiser provisoirement, ce préjugé serait préjudiciable aux universités libres, et leur existence serait compromise.

M. Devaux. - On a reconnu déjà une partie des inconvénients pratiques que j’ai signalés. Il est constant qu’il y avait erreur dans le projet de la section centrale. Il faudra deux jurés de plus. Il faudra que vous nommiez tous les ans 24 savants, et dans le système de l’honorable M. Dumortier, le nombre sera double. Car il faudra, selon lui, dans chaque faculté, pour les six commissions d’examen, 4 jurés et 4 suppléants, en tout 48 savants à faire nommer chaque année par la législature. C’est ce que j’ai dit et soutiens être impraticable.

L’on a prétendu que je proposais un plus grand nombre de jurés et que j’augmentais d’autant plus les difficultés pratiques. Mais cela n’est pas ; et quand cela serait exact je réponds, absolument parlant, que l’impraticabilité n’est pas dans le nombre des jurés, mais bien dans le choix d’un tel nombre par la chambre. Il est de toute impossibilité que chacun de nous prenne des informations réelles, soit sur 16 savants à choisir, soit sur 24 ou 46.

Si, par mon amendement, comme M. Dubus s’est attaché à le démontrer, il fallait plus de nominations que dans le système de la section centrale, cela n’importerait en rien, attendu que c’est le gouvernement qui nomme. Cela rentre dans l’ordre des nominations qu’il fait, comme celles des commissions médicales, des chambres de commerce, des commissions d’agriculture, enfin, pour ne pas sortir de la question, des professeurs des universités.

Je ne sais pas si je dois insister sur mon amendement. Il a un grand tort, c’est d’être trop long. Dans une chambre législative, il faut qu’un amendement puisse être saisi au premier abord.

Le mien est long de toute une page. J’avoue que je ne suis pas parvenu à le résumer. Je l’abandonnerai donc à son sort. C’est une nouvelle preuve de l’aptitude d’une chambre à décider certaines questions complexes, que cette nécessité de réduire un amendement en quelques lignes pour le faire comprendre du premier coup.

M. le ministre de l'intérieur lui-même a saisi mon amendement. Il n’est pas exact de dire qu’il en résulterait un très grand nombre de nominations. Dans les trois commissions dont se composerait chaque jury, l’on a vu qu’il y aurait sept membres nommés par le gouvernement ; ceux-ci en feraient partie dans tous les cas et resteraient les mêmes. Trois membres seulement seraient changés dans chaque commission, ceux de l’établissement particulier dont l’élève sera sorti. Il n’y aura donc pas là un grand embarras.

Comme je l’ai dit dans la séance d’hier, c’est afin d’amener le plus de chances, le plus de garantie d’impartialité dans la composition des jurys d’examen que j’ai proposé mon amendement. Pour moi, s’il n’y avait que moi à satisfaire ici, je préférerais l’amendement présenté par l’honorable M. de Mérode, qui laisse au gouvernement la nomination de tous les membres du jury d’examen.

Les dernières paroles de M. le ministre de l’intérieur me prouvent qu’il n’est pas éloigné de partager cette manière de voir, et même l’appui qu’il prête à l’amendement de M. de Mérode ferait croire qu’il reconnaît la grande erreur qu’il a commise en se ralliant au projet de la section centrale.

Je désire que le gouvernement n’ait pas lieu de s’en repentir, et je regrette qu’il ne se soit pas plus explicitement rallié à l’amendement de M. de Mérode. Je suis persuadé qu’il ne lui eût pas été difficile de se concilier la conviction de la majorité de l’assemblée.

Mais ce que je repousse de toutes mes forces, c’est l’intervention des chambres dans la nomination des membres des jurys d’examen. J’ai démontré dans la séance d’hier les inconvénients pratiques qui résulteraient de l’adoption du système de la section centrale.

J’ai parlé de ces inconvénients inconstitutionnels, de l’inconcevable confusion de pouvoirs qui en résultent ; d’autres considérations tout aussi graves ne doivent point nous échapper.

Messieurs, lorsque mon honorable ami, l’ancien ministre de l’intérieur, vous présenta le projet de loi, voici comment il s’exprimait en parlant de la commission qui l’avait rédigé :

« En résolvant avec des vues si conciliatrices et si sages, et avec une constante unanimité, des questions aussi délicates, en facilitant ainsi les discussions ultérieures, en montrant à des opinions divergentes les moyens de s’entendre et de se rapprocher, elle a rendu à la Belgique un service que tous les amis du pays sauront apprécier.

« Puisse la loi que vous adopterez être un gage de concorde intérieure et la base d’une des plus belles gloires auxquelles les nations puissent aspirer ! »

De son côté, le rapporteur de la commission, M. Ernst, disait, en terminant son rapport au roi :

« Puisse l’exécution répondre à notre attente ! Puisse, Sire, l’esprit de confiance mutuelle et de conciliation qui a régné dans nos délibérations, laisser une forte empreinte dans notre travail et contribuer à l’heureuse influence qu’une bonne loi sur l’enseignement ne peut manquer d’avoir sur l’union de tous les Belges. »

Tels étaient alors les sentiments et de la commission et du gouvernement. On se sentait heureux que des hommes d’opinions différentes fussent parvenus par leur modération à une pareille unanimité. Ce que l’on proposait alors, une véritable loi de conciliation, une loi qui devait faire disparaître de la scène politique ces questions épineuses qui, sans cesse renouvelées, agitent si malheureusement les passions. On se félicitait que des esprits modérés fussent parvenus à écarter d’irritantes discussions.

Et en effet, lorsque la loi parut, s’éleva-t-il un grand cri contre elle de la part des partis ? Les questions qui avaient divisé tous les esprits se trouvaient résolues dans la loi à la satisfaction commune, et si celle-ci offrait quelques défauts, donnait lieu à quelques réclamations, il était facile de les faire disparaître, il était aisé d’y faire droit. Mais aucune passion n’était soulevée par la loi elle-même. Tous les partis étaient calmes à son apparition, et tout faisait présager ses heureux effets. En sera-t-il de même ?

Aujourd’hui, messieurs, l’opinion qui, je le prévois, va prédominer, sera-t-elle une opinion de conciliation ? l’œuvre qu’elle va faire triompher, sera-t-elle une œuvre de fusion ? Je crois bien le contraire. Au lien de concilier les passions, vous les irriterez ; la lutte que vous pouviez calmer, vous allez la perpétuer ; chaque année devra se renouveler ici la grande bataille du catholicisme et du libéralisme.

Vos intentions, en général, sont impartiales, je le veux ; mais aucun de vous peut-il répondre d’un scrutin, du hasard des majorités ? Vos intentions seraient les plus pures, les apparences seront contre vous, et n’est-ce rien que l’apparence dans une matière si épineuse, quand il s’agit de ces questions irritantes et de cette jeunesse déjà si exposée à toutes les impressions passionnées ? Si une partie de la jeunesse peut se croire opprimée par le choix des membres du jury quand elle croira qu’il y aura partialité contre elle, n’aurez-vous pas dans cette partie de la société avivé des passions que peut-être le reste de la vie n’éteindra plus ; et qui cependant peuvent être si funestes au pays ?

Messieurs, le pouvoir en Belgique sera toujours le médiateur entre les deux opinions qui divisent le pays. Le pouvoir, qu’il appartienne à l’une ou à l’autre de ces opinions, sera essentiellement modéré et modérateur. C’est là son caractère constant, sa nécessité. Tant que nos institutions subsisteront, il n’en peut être autrement. Il n’en est pas de même des majorités parlementaires : les majorités, messieurs, sont changeantes, et n’ont personne à ménager.

Relisez l’histoire, surtout l’histoire des gouvernements représentatifs, et voyez s’il est beaucoup de majorités qui soient restées les mêmes pendant dix ans ; demandez-vous si quelquefois les armes qu’une majorité s’était forgées, une majorité contraire n’est pas venue s’en emparer pour les tourner contre elle.

Ne l’oublions pas, messieurs, ce qui fait la durée des partis et des opinions, ce n’est pas leur force numérique, c’est leur force morale. Et rien ne détruit la force morale comme l’abus qu’un parti fait ou semble faire de sa position. La modération, voilà ce qui est durable, voilà la véritable force de nos jours.

Messieurs, faisons une loi de conciliation, et que ceux mêmes qui s’en tiennent aux apparences ne puissent nous reprocher d’avoir fait une loi de réaction.

M. le président. - La parole est à M. Gendebien.

M. Gendebien. - J’y renonce. M. Devaux a dit tout à l’heure qu’il savait qu’on rejetterait son amendement, parce qu’il est trop long. Moi je prévois qu’on rejettera le mien parce qu’il est trop court, parce qu’il est trop clair, parce qu’il est compris de tout le monde, et trop bien compris de tout le monde.

M. Jullien. - Il n’y a pas de juste-milieu dans celui-là.

M. Dubus. - Selon un honorable préopinant, il serait reconnu, par tout le monde à peu près, et par le ministère en particulier, qu’il faut deux jurys pour chaque faculté : un pour le grade de candidat et un pour le grade de docteur. Mais M. le ministre de l’intérieur n’a pas dit cela. Il a dit qu’il fallait deux jurys pour le droit, et deux jurys pour la médecine. Mais il a reconnu, je crois, qu’il ne fallait qu’un seul jury dans les autres facultés.

M. le président. - J’interromprai l’orateur pour donner lecture d’un amendement qui vient d’être déposé par M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l'intérieur propose de substituer aux mots : « avant le 1er mars, » ceux : « avant le 1er janvier ».

Il propose ensuite de rédiger ainsi le premier paragraphe :

« Un jury distinct pour la philosophie et lettres et pour les sciences sera chargé de procéder aux examens de candidat, et à ceux de docteur. Pour le droit et la médecine il y aura un jury pour le grade de candidat, et un autre pour celui de docteur. »

La parole est continuée à M. Dubus.

M. Dubus. - Cet amendement prouve ce que je disais, savoir que le ministère a reconnu avec tout le monde qu’un seul jury suffit pour conférer les grades dans la faculté des lettres, qu’un seul jury suffit également dans la faculté des sciences. Ce n’est que pour le droit et la médecine que M. le ministre de l’intérieur a cru deux jurys nécessaires.

J’ai émis une opinion différente, en ce qui concerne la faculté de droit. M. le ministre répond que deux examens sont nécessaires pour le doctorat, que deux examens seront également indispensables pour les deux grades de candidat et de docteur, parce qu’il est impossible, selon lui, qu’un examen embrasse toutes les parties de l’enseignement.

D’abord, en ce qui regarde les deux grades, remarquez que l’un et l’autre examen roulent sur toutes les parties de l’enseignement. Seulement l’un, celui de candidat, se fait sur les éléments du droit ; l’autre, celui de docteur, sur le droit approfondi.

Pour moi je pense que dans le système actuel le grade élémentaire devrait être supprimé. Ce grade pouvait être utile alors qu’il faisait l’objet d’un examen de la part des professeurs de l’université qui constataient les progrès de l’élève, et ne lui permettaient de passer à des études approfondies qu’après avoir reconnu qu’il connaissait les éléments de la science. Il n’en sera pas de même avec les jurys, car les jurys n’auront pas à se mêler de l’ordre dans lequel se feront les études. Et, assurément, personne ne méconnaîtra que celui qui fera preuve de connaissances approfondies dans le droit n’aura pas besoin de prouver qu’il a des connaissances élémentaires. Ainsi, vous le voyez, il y aura toute facilité pour supprimer le grade de candidat.

Nous ne pouvons le supprimer maintenant ; mais nous pouvons former notre opinion dans ce sens lorsqu’au second vote nous modifierons plusieurs articles déjà votés, et que nous supprimerons alors le grade de candidat en droit.

Quant aux deux examens de docteur en droit, je crois avoir prouvé qu’un des deux pouvait être supprimé. Il me semble que M. le ministre n’a pas répondu à mes objections. Je trouve qu’un des deux examens doit être supprimé, non pas parce que les connaissances nécessaires pour l’obtention du diplôme de docteur en droit se trouveraient, sans cela, divisées en deux examens, mais parce que le premier de ces examens contient, sauf quelques exceptions, toutes matières qui ne sont pas indispensables pour l’obtention du brevet de docteur en droit.

Le premier examen pour le doctorat en droit comprend : la statistique, l’économie politique, l’histoire politique, le droit public et administratif.

Sauf cette partie du droit dont quelques connaissances sont utiles, vous ne pouvez pas exiger de celui qui réclame un diplôme de docteur en droit, et qui par conséquent se destine au barreau, à la magistrature, des connaissances sur les matières de cet examen : sur la statistique, l’économie politique et l’histoire, politique ; car il n’y a rien à faire de cela dans l’exercice de sa profession. Pour moi cela est démontré.

Ainsi, il y aura lieu, selon moi, de modifier l’article 50. Je pense que les examens de la faculté de droit se borneront à un par individu ; c’est d’après cet examen que l’on délivrera ou que l’on refusera le brevet de capacité.

Remarquez que dès lors vous n’avez besoin que d’un seul jury dans la faculté de droit.

Selon moi, il y aura tout au plus 100 diplômes de docteur en droit à délivrer par année. Je suppose que, contrairement à mon opinion, il y eût deux examens par individu dans la faculté de droit ; un seul jury pourrait encore y suffire car cela ne ferait que 200 examens. L’honorable préopinant a supposé qu’il y en aurait 400. Il a supposé le double de ce qu’il y aura en réalité.

On me dit que la liberté de l’enseignement peut amener une augmentation dans le nombre des personnes qui réclameront des diplômes de docteur en droit. En prenant en considération cette observation d’un honorable préopinant il faut fixer votre attention sur une autre considération, c’est que l’institution des jurys d’examen aura pour effet immédiat de faire cesser l’abus qu’il y a dans la facilité des admissions.

On ne se présentera pas devant les jurys d’examen comme devant les professeurs des universités, avec une confiance absolue dans l’indulgence connue d’avance des professeurs ; on ne se présentera devant le jury que quand on se sentira en état de soutenir un examen. Sous ce rapport je crois qu’il y a plus d’un individu qui ne se présentera pas devant le jury, si le jury est convenablement organisé.

En outre il y a des personnes qui se livrent à l’étude du droit sans se destiner ni à la profession d’avocat, ni aux fonctions de la magistrature. Ces personnes ne recherchent que la science du droit et le titre scientifique. Elles puiseront la science du droit dans les établissements de l’Etat ou dans les établissements privés. Le titre scientifique, elles l’obtiendront dans les universités ; mais elles ne viendront pas réclamer du jury un brevet de capacité dont elles n’auront pas besoin. Je crois donc que le nombre de cent personnes à examiner par an peut être considéré comme le maximum. Ainsi vous n’aurez que trois jurys pour les facultés de droit et de médecine, deux pour les autres facultés, en tout cinq jurys, et non pas huit jurys, comme l'a soutenu le préopinant auquel je réponds.

Cet honorable membre est toujours convaincu que les chambres ne sont pas aptes à faire de bons choix, et que le gouvernement a toute facilité pour faire les nominations. A cette occasion il a rappelé que les commissions médicales provinciales sont nommées par le gouvernement. Mais ces nominations ont excité les réclamations de tous les médecins au pays ; ces réclamations nous ont été adressées ; il n’y a eu qu’une voix contre la composition de ces commissions. L’an dernier nous avons reçu une pétition qui a été imprimée et distribuée à tous les membres et qui était revêtue de plus de 200 signatures de médecins des deux Flandres, de la province d’Anvers, de celles du Hainaut et du Brabant.

Les médecins sont unanimes pour demander une organisation différente des commissions médicales provinciales, pour demander que le gouvernement n’en ait plus la nomination. Je suis étonné que l’honorable membre auquel je réponds, n’ait pas lu cette pétition. Mais je crois que la plupart des membres l’ont lue. Ce n’est donc pas un exemple à citer pour prouver que le gouvernement est apte à faire des nominations.

Mais remarquez la conséquence de ces nominations sous le rapport du but auquel nous voulons atteindre. Est-ce dans un but administratif que vous instituez les jurys d’examen ? Non, c’est dans le seul but de garantir la liberté d’enseignement.

Je vous prie de ne pas perdre de vue cette considération. Car, dès lors, à qui appartient-il de faire ces nominations ? Au corps qui donne le plus de garanties à la liberté d’enseignement. Ce corps, ce n’est pas sans doute le gouvernement qui a la direction d’une partie de l’enseignement, et qui, on l’a dit à satiété, est à la fois juge et partie.

C’est déjà beaucoup que, comme portent la proposition de la section centrale et l’amendement meilleur de M. A. Rodenbach, le gouvernement intervienne dans la composition du jury. Mais il ne peut pas concourir à la composition du jury dans une aussi forte proportion que la chambre. Car, remarquez-le, ce serait mettre la liberté d’enseignement à la merci du gouvernement.

Mais, dit-on, les ministres sont responsables. Je sais qu’en droit ils sont responsables, cela est écrit dans la constitution. Mais en écrivant cela dans la constitution, nous sommes-nous bornés à cette phrase ? n’avons-nous pas proclamé nos libertés ? ne les avons-nous pas environnées de garanties ? Et ces garanties sont-elles dans le gouvernement ? Non, elles sont dans les chambres élues par le peuple. C’est là qu’est la véritable garantie des libertés consacrées par la constitution, et de la liberté d’enseignement comme de toutes les autres.

A coup sûr l’honorable membre auquel je réponds, et beaucoup d’autres membres du côte opposé qui sont prêts à mettre la liberté d’enseignement à la merci du gouvernement, ne seraient pas disposés à mettre de même à sa merci la liberté de la presse. Ils trouveraient que le gouvernement pourrait abuser et abuser gravement de la confiance de la chambre. Ils trouveraient qu’un tel système est diamétralement opposé à la constitution ; car la constitution n’est pas une loi de confiance ; c’est une loi de défiance, qui proclame nos libertés et qui les garantit contre le pouvoir.

Je n’ai pas été étonné que l’honorable membre auquel je réponds ait adhéré à l’amendement de l’honorable M. de Mérode ; à l’issue de la séance d’hier j’avais entendu parler de cet amendement et je savais qu’il y donnait son adhésion. Au reste l’esprit de cet amendement et de celui qu’il regrette de ne pouvoir faire adopter à la chambre est à peu près le même ; je n’y vois pas grande différence. C’est toujours le même principe. La liberté de l’enseignement à la discrétion du pouvoir, voilà l’idée qui domine dans l’un comme dans l’autre.

Selon ce membre, son amendement n’a qu’un tort : celui d’être trop long. Assurément c’est un très grand tort pour un amendement que d’être trop long. Car alors la chambre ne peut pas le comprendre ; et, selon lui, c’est une preuve de l’incapacité de la chambre à faire les nominations dont il s’agit. C’est là un des compliments que cet honorable membre prend, depuis hier, l’habitude de faire à la chambre.

Ainsi la chambre n’est pas apte à comprendre un amendement parce qu’il est un peu long. Pressez les conséquences de cette assertion du préopinant et vous trouverez que ce n’est pas seulement la liberté d’enseignement qu’il faut mettre à la discrétion du pouvoir, mais qu’il faut même lui confier le pouvoir législatif, car nous sommes incapables de faire des lois. Nous ne pouvons pas comprendre l’amendement d’un député quand il est un peu long ! Dire cela, et dire qu’il faut déchirer le pacte fondamental et proclamer le pouvoir absolu, c’est pour moi la même chose. (Réclamations dans une partie de l’assemblée.)

Pour moi, je crois que la chambre a très bien compris l’amendement du préopinant. Je crois que la portée de cet amendement a été bien sentie par tous les membres de cette assemblée et je crois que c’est pour cela que la chambre votera contre. Je crois enfin que ceux qui veulent réellement la liberté d’enseignement n’hésiteront pas à le rejeter, précisément parce qu’ils en comprennent la portée.

Je regrette que l’honorable préopinant ait tenté de faire, de la question qui nous occupe, une question de parti, une question d’opinion religieuse. Pour tout député de bonne foi, ce n’est autre chose qu’une question de liberté. Car c’est comme garantie de la liberté d’enseignement que les jurys d’examen sont institués. Or, la liberté d’enseignement doit exister pour tout le monde, pour la minorité comme pour la majorité. Mais il faut se garder d’une organisation telle que le gouvernement puisse entraver la liberté de l’enseignement.

L’honorable membre dit que l’on ne peut pas répondre des hasards d’une majorité. Les majorités, a-t il dit, sont variables. Pour moi je pense que l’élection directe, voulue par la constitution, amènera toujours une majorité qui voudra que toutes nos libertés soient autant de vérités. Du moment que le peuple n’enverrait plus une telle majorité, c’est qu’il ne voudrait plus de la liberté : du moment qu’il n’en voudrait plus, ce serait une révolution.

Un autre honorable membre a pensé que son amendement ne serait pas admis, parce qu’il est court, parce qu’il a été trop bien compris par cette assemblée. Je m’étonne que cet honorable membre n’ait pas apprécié l’observation qui lui a été faite, et qu’il n’ait pas compris que la chambre ne veut pas de son amendement, précisément parce qu’il peut amener l’oppression de la liberté d’enseignement. Son amendement repose sur le principe de la nomination du jury par les corps enseignants eux-mêmes. A-t-il bien calculé l’esprit de corps qui présidera à ces nominations ? Quel sera cet esprit de corps ? Il consistera pour chaque membre du jury à chercher à faire prévaloir l’établissement qui l’aura nommé, sur tous les établissements rivaux.

Si quatre établissements existent, qu’ils appartiennent à des particuliers ou au gouvernement, et s’il y en a un qui obtient dans l’opinion publique un avantage marqué sur les autres, l’esprit de rivalité amènera les trois autres établissements à se coaliser contre celui-là. Il y aura donc nécessairement partialité dans le jury. Je crois que c’est là un vice radical.

D’ailleurs, j’ai fait une autre objection : c’est qu’il y a d’après l’amendement à définir ce qu’on entend par une université, si vous exigez, pour qu’un établissement puisse concourir à la composition du jury, qu’il ait organisé toutes les branches d’enseignement.

Il y a contre ce système une objection que j’ai faite hier, et c’est celle-ci : Il existe tel établissement qui n’a organisé qu’une branche d’enseignement et qui est très suivi. Il y a des écoles de médecine dans ce cas. Il peut exister un autre établissement où l’enseignement de la médecine est négligé par les élèves, et où il y aurait beaucoup d’élèves dans les autres branches d’enseignement. Eh bien, ce dernier établissement enverrait ses professeurs pour les quatre branches d’enseignement, tandis que l’école de médecine suivie par un grand nombre d’élèves n’en pourrait pas envoyer. Ce n’est pas là de la justice distributive. Ce n’est pas là de la liberté.

Je ne reviendrai pas sur beaucoup d’observations qui ont été faites dans cette assemblée et qui ont déjà été réfutées.

Je voterai pour la nomination des membres du jury, en plus grand nombre possible, par les chambres.

M. Trentesaux. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Trentesaux. - Messieurs, c’est pour une motion d’ordre. (Parlez ! Parlez !)

Parmi les différents systèmes, il y en a un qui tend à établir les jurys provisoirement et pour trois années, Je demande qu’il soit décidé que, quel que soit le système embrassé, il sera également provisoire et pour trois années.

Cette proposition est fondée sur ce qu’aucun des systèmes proposés ne me paraît bon en soi. J’ai cherché et je n’ai pas trouver un système qui me parût bon en soi.

Par exemple, il y a tel amendement qui admet les branches du pouvoir législatif à concourir à la nomination du jury. Je suis perplexe à cet égard : d’une part je serais porté à adhérer à cette proposition ; et d’autre part, si ma mémoire est fidèle, tous les publicistes, et Montesquieu en tête, sont unanimes pour proclamer l’incapacité du pouvoir législatif à concourir à un acte de la nature de celui-ci.

Si cependant on voulait mettre le système à essai pendant trois ans, alors l’inconvénient ne serait pas très grand, et je pourrais donner les mains à cette proposition qui appelle le concours des branches du pouvoir législatif pour la nomination des membres du jury.

Je demande donc que l’on aille préalablement aux voix sur le point de savoir si le système que l’on adoptera sera simplement provisoire.

M. Gendebien. - Je ne répondrai pas plus à ce qu’à dit M. Dubus que ce qu’a dit M. Dechamps, qu’on lise les développements que j’ai donnés à mon amendement, et on trouvera une réponse suffisance aux discours de ces honorable membres. Je ne veux pas prolonger la discussion ; je sais quel sera le sort de ma proposition et des autres qui écartent l’intervention des chambres et du pouvoir. (La clôture ! la clôture ! la clôture !)

M. F. de Mérode. - Il serait pourtant utile de répondre à certains faits qui ont été avancés et qui ne sont pas exacts.... (La clôture ! la clôture ! la clôture !) La discussion est tellement importante que je ne comprends pas l’empressement que l’on montre à la clore.

- Plusieurs membres. - Il y a deux jours que nous discutons ! Il y a deux jours que nous entendons de longs discours.

M. Dumortier. - Je ne m’oppose pas à la clôture. Je veux déclarer à l’assemblée que sur l’observation qui m’a été faite par quelques membres, je modifie ma proposition dans ce sens que ce sera annuellement que le jury sera nommé.

M. Devaux. - M. de Mérode consent-il à modifier son amendement ?

M. F. de Mérode. - Je consens à ce que le jury soit nommé par le Roi un mois avant l’ouverture des sessions, et à ce que cette nomination ait lieu de la même manière pendant trois ans.

- La chambre ferme la discussion.


M. le président. - Voici ce que propose M. Trentesaux : « Le système de nomination du jury, quel qu’il suit, sera provisoire et ne durera pas plus de trois ans. »

- Cette proposition mise aux voix est adoptée à une très grande majorité.


M. de Brouckere. - Il est difficile d’établir dans quel ordre les amendements seront mis aux voix. Il y a plusieurs systèmes en présence ; il faudrait poser des questions de principes. L’on pourrait, par exemple, poser la question de savoir si les chambres interviendront dans la nomination du jury.

Si la chambre donnait une solution affirmative à cette question, l’on délibérerait ensuite pour déterminer dans quelle proportion elles interviendraient. Ce serait, je crois, la manière la plus simple d’arriver à une solution. Si l’on veut mettre les amendements aux voix, il pourra arriver qu’ils seront tous rejetés.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crains que la manière de procéder à la délibération présentée par l’honorable membre ne soit embarrassante pour un grand nombre de nos collègues. Il vaudrait mieux voter sur les amendements. Quant à moi, j’avoue que j’ignore comment je voterais sur la question, si elle était posée comme le demande M. de Brouckere.

Des amendements ont été déposés, il faut, conformément à la règle, les soumettre à la délibération. Les principes des amendements sont faciles à saisir, il n’y a de différence dans ceux qui découlent du même système que dans la mise en œuvre du principe.

M. Dubois. - La priorité devrait être accordée, il me semble, à l’amendement de M. le comte Félix de Mérode.

M. de Brouckere. - L’amendement de M. Trentesaux est admis ; M. Dubois semble l’oublier.

M. de Theux craint que beaucoup de membres ne soient embarrassés si l’on pose une question de principe seulement. Il déclare que lui-même ne sait pas comment il voterait. Je ne comprends ni ses craintes, ni ses incertitudes ; car il demande que les chambres interviennent dans la nomination du jury ; ainsi il votera nécessairement pour que cette intervention ait lieu.

Au reste, je n’ai qu’une chose en vue, c’est d’arriver promptement à une solution. Il y a 7 ou 8 amendements ; aucun ne me paraît réunir la majorité, ils pourraient donc être tous rejetés.

J’abandonne mes réflexions à la sagesse de l’assemblée.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il y a trois systèmes en présence. D’après le premier, les chambres nommeraient exclusivement le jury ; d’après le second, cette nomination exclusive appartiendrait au Roi ; d’après un troisième, ni les chambres, ni le Roi ne participeraient à la nomination : comme le premier système s’écarte le plus des autres, c’est par les amendements qui y sont relatifs que l’on devrait commencer. On passerait ensuite aux autres propositions, en cas de rejet.

M. Dumortier. - On nous dit qu’il y a trois systèmes en présence ; eh bien, c’est parce que nous avons à choisir entre trois systèmes que nous devons en mettre les principes aux voix. Si un tiers des membres de l’assemblée est pour chaque système, en mettant aux voix séparément les amendements, il est clair qu’ils seront tous rejetés, mais en consultant la chambre sur les principes, alors chacun pourra émettre un vote consciencieux. Tous ceux qui ne veulent pas de l’intervention des chambres, soit pour la nomination entière du jury, soit pour une nomination partielle, voteront contre l’intervention ; les autres voteront pour. Prenez garde qu’en procédant autrement il ne se forme tant de minorités que vous ne puissiez arriver à une majorité.

M. Verdussen. - Je crois qu’il faudrait poser, sur les autres systèmes, une question analogue à celle que l’on poserait d’abord sur le système relatif à l’intervention des chambres. (Oui ! oui ! oui !)

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Si la chambre veut s’écarter de la route tracée par son règlement, qui est de mettre aux voix les amendements suivant qu’ils s’écartent de la proposition principale, je demanderai qu’on mette d’abord aux voix si le gouvernement interviendra dans la nomination.

- L’ordre de délibération proposé par M. de Brouckere est mis aux voix et adopté.

La priorité demandée par M. le ministre de l’intérieur est mise aux voix et rejetée après une double épreuve.


M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si les chambres interviendront dans la nomination du jury d’examen.

- Plusieurs voix. - L’appel nominal ! l’appel nominal !

On procède à l’appel nominal sur la question posée par M. le président. Il donne le résultat suivant :

83 membres ont pris part au vote.

4 se sont abstenus.

42 ont répondu oui.

41 ont répondu non.

- En conséquence, la chambre décide que les chambres interviendront dans la nomination du jury d’examen.

Ont répondu oui : MM. Bekaert, Coppieters, David, de Behr, de Foere , Keppenne, Andries, Stas de Volder, de Meer de Moorsel, Werner de Mérode, de Nef, de Roo, Dechamps, de Sécus , Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Vandenbossche, Doignon , Mast de Vries, Dubus, Dumortier, Kervyn, Hye-Hoys, Morel-Danheel, Polfvliet, Pollénus, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Schaetzen, Simons, Thienpont, Trentesaux (par essai), Ullens, Vanderbelen, Scheyven, Lejeune, Vergauwen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert et Raikem.

Ont répondu non : MM. Berger, Bosquet, Brabant, Dequesne, Cols, Corbisier, Cornet de Grez, Dams, Demonceau, de Brouckere, de Jaegher, de Longrée, F. de Mérode , de Renesse, Desmanet de Biesme, Raymaeckers, Devaux, d’Hoffschmidt, Donny, Dubois, Pirmez, Eloy de Burdinne, Fallon, Heptia, Frison, Gendebien, Jullien, Lardinois, Lebeau, Liedts, Milcamps, Nothomb, Quirini, Rouppe, Seron, Troye, Vandenhove, Vanden Wiele, Verdussen, C. Vilain XIIII et Zoude.

M. le président. - MM. de Muelenaere, de Theux, Ernst et d’Huart qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, en consentant à l’intervention de la chambre dans la nomination du jury jusqu’à une certaine proportion, je n’adopterais pas un amendement qui conférerait exclusivement à la chambre le droit de faire cette nomination, et comme il était impossible d’apprécier la portée du vote que j’aurai émis, je me suis abstenu.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’ai suffisamment expliqué que, si on adoptait le mode de délibération proposé par M. de Brouckere, je me verrais dans la nécessité de m’abstenir. Or, en votant d’une manière générale sur l’intervention des chambres dans la nomination du jury d’examen, je ne pouvais pas prévoir quelle serait la portée de cette intervention. Par ce motif je me suis abstenu.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je me suis abstenu par les motifs énoncés par mes deux honorables collègues.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Et moi également.


M. le président. - Je vais mettre aux voix la seconde question, celle de savoir si le gouvernement interviendra dans la nomination des membres du jury d’examen.

- Plusieurs membres. - L’appel nominal !

- On procède à cette opération qui donne le résultat suivant :

Nombre de votants, 88.

Pour l’affirmative, 80.

Pour la négative, 8.

En conséquence, la chambre décide que le gouvernement interviendra dans la nomination du jury d’examen.

Ont répondu oui : MM. Beckaert, Berger, Bosquet, Brabant, Dequesne, Cols, Coppieters, Corbisier, Cornet de Grez, Dams, David, Demonceau, de Behr, de Brouckere, de Foere, Keppenne, Andries, de Jaegher, de Longrée, Stas de Volder, de Meer de Moorsel, W.de Mérode, F. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, Dechamps, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Raymaeckers, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Mast de Vries, Donny, Dubois, Pirmez , Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Heptia, Frison, Kervyn, Hye-Hoys, Jullien, Lardinois, Lebeau, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Polfvliet, Pollénus Quirini, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rouppe, Schaetzen, Simons, Thienpont, Trentesaux (par essai encore), Troye, Ullens, Vandenhove. Vander Wiele, Vanderbelen, Scheyven, Lejeune, Verdussen, Ch. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Zoude et Raikem.

Ont répondu non : MM. Desmet, Vandenbossche, Doignon, Dubus, Dumortier, Gendebien, Seron, Vergauwen.


M. le président. - La décision de la chambre rend inutile le vote des propositions qui n’admettent ni l’intervention du gouvernement, ni celle de la législature. Restent l’amendement de M. Rodenbach, et la proposition de la section centrale.


L’amendement de M. A. Rodenbach est mis aux voix par appel nominal.

84 membres répondent à l’appel.

18 adoptent.

66 rejettent.

En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Bekaert, Andries, Stas de Volder, de Meer de Moorsel, de Nef, de Roo, Desmet, Doignon, Dubus, Dumortier, Kervyn, Hye-Hoys, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Thienpont, Vergauwen, Pollénus.

Ont répondu non : MM. Berger, Brabant, Dequesne, Cols , Corbisier, Cornet de Grez, Dams, David, Demonceau, de Behr, de Foere, Keppenne, de Jaegher, de Longrée, F. de Mérode, Werner de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, Dechamps, de Sécus, Desmaisières, Desmanet, Raymaeckers, de Terbecq, de Theux, Devaux, Vandenbossche, d’Hoffschmidt, d’Huart, Mast de Vries, Donny, Dubois, Pirmez, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Heptia, Frison, Gendebien, Jullien, Lardinois, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Pirson, Polfvliet, Quirini, Raikem, Rouppe, Schaetzen, Seron, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanden Wiele, Vanderbelen, Scheyven, Verdussen, C. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Zoude.


- La chambre vote par appel nominal sur la proposition de la section centrale.

84 membres répondent à l’appel.

54 membres adoptent.

30 membres rejettent.

En conséquence la proposition de la section centrale est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Andries, Bekaert, F. de Mérode, Brabant, Dequesne de Longrée, Cols, Stas de Volder, Coppieters, David, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Behr, de Foere, Werner de Mérode, Keppenne, de Muelenaere, de Nef, de Roo, Dechamps, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Vandenbossche, d’Huart, Doignon, Mast de Vries, Dubus, Dumortier, Ernst, Kervyn, Hye-Boys, Morel-Danheel, Polfvliet, Pollénus, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Schaetzen, Simons, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vanderbelen, Scheyven, Lejeune, Verdussen, Vergauwen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert.

Ont répondu non : MM. Berger, Corbisier, Cornet de Grez, Dams, de Jaegher, de Renesse, Desmanet, Raymaeckers, Devaux, d’Hoffschmidt, Donny, Dubois, Pirmez, Eloy, Fallon, Heptia, Frison, Gendebien, Jullien, Lardinois, Lebeau, Milcamps, Nothomb, Quirini, Rouppe, Seron, Vandenhove, Vanden Wiele, C. Vilain XIIII, Zoude.


- La proposition de M. le ministre de l’intérieur ainsi conçue : « Les membres des jurys sont nommés pour chaque année, leur nomination devra avoir eu lieu avant le 1er janvier » au lieu de ces mots : « avant le 1er mars, » est mise aux voix et adoptée. Elle formera le deuxième paragraphe de l’article.


On met aux voix l’amendement de M. le ministre de l’intérieur ainsi conçu :

« Un jury distinct pour la philosophie et lettres, pour les sciences sera chargé de procéder à l’examen des candidats et à celui des docteurs.

« Pour le droit et la médecine, il y aura un jury pour le grade de candidat et un pour le grade de docteur. »

Cet amendement est adopté. Il formera le troisième paragraphe de l’article.


Le quatrième paragraphe de l’article est mis aux voix et adopté.

L’ensemble de l’article est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à quatre heures.