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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 26 novembre 1835

(Moniteur belge n°331, du 27 novembre 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.

M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne connaissance des pièces adressées à la chambre.

« Le major Kessels demande que la chambre autorise M. le ministre de l’intérieur à faire l’acquisition de sa baleine, en allouant une somme au budget de ce département. »

« Quatre membres de l’administration communale de Pont-de-Loup (Charleroy) réclament contre l’autorisation de faire un emprunt sur cette commune de 20,000 fr., sollicitée auprès du gouvernement par le bourgmestre de cette commune, sans le consentement de la majorité du conseil. »

« Le sieur Vanlerberg, ex-lieutenant au 2ème bataillon mobilisé de la garde civique de la Flandre occidentale, demande la demi-solde arriérée de ce grade depuis le le janvier 1835 jusqu’au 1er janvier 1836. »

« La dame veuve Van Malder, lieutenant pensionné du 5ème régiment de dragons, demande que la pension dont elle jouit soit augmentée. »

« Plusieurs bouchers de Bruxelles réclament contre le projet d’augmenter les droits sur les bestiaux venant de la Hollande. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission spéciale qui fera son rapport.


M. le président. - Plusieurs bouchers de Bruxelles réclament contre l’augmentation des droits à l’entrée du bétail venant de Hollande : veut-on entendre lecture de leur pétition qui restera ensuite déposée sur le bureau pendant la discussion de la loi ? (Adhésion.)

M. de Renesse donne lecture de la pétition, laquelle est conçue dans les termes suivants. - « Messieurs, exposent avec respect les soussignés bouchers de Bruxelles, que c’est avec surprise qu’ils apprennent le projet d’augmenter le droit d’entrée sur les bestiaux venant de la Hollande. Mus plus par humanité que par intérêt, ils croient devoir vous exposer que cette augmentation ne peut être que très onéreuse pour le public à l’avantage exclusif de quelques grands propriétaires de prairies et distillateurs, qui ont eu soin de garnir déjà leurs étables de bêtes provenant de la Hollande, A la vérité comment concevoir qu’un tel projet puisse être fait dans un autre but quand il vous est notoire que déjà les bestiaux paient, en entrant par la Hollande, près de trente francs par tête, prime qui sans doute doit suffire pour protéger la soi-disant agriculture ?

« La viande étant déjà à un prix trop élevé, voudrait-on priver la classe ouvrière et les petits bourgeois d’une denrée si nécessaire, surtout à Bruxelles, où l’octroi perçoit vingt-deux francs et soixante-trois centimes par bœuf ?

« Dans l’espoir que la chambre examinera avec attention le projet susdit, qui ne peut que nuire au public, les soussignés ont l’honneur d’être, etc. (Suivent les signatures.)

« Bruxelles, le 25 novembre 1835. »

Rapport sur une pétition

Explication du gouvernement

M. de Renesse donne ensuite lecture d’un rapport adressé à la chambre par M. le ministre de l’intérieur, concernant l’action de la police de sûreté à l’égard du sieur Lorient. Ce rapport est ainsi conçu :

« Messieurs, le sieur Eugène Lorient s’est adressé à vous, au sujet de l’ordre de quitter le territoire, qui lui a été donné par l’administration de la sûreté publique. Il qualifie cet ordre d’illégal attendu que la loi relative aux étrangers n’atteint que ceux qui se rendent indignes de l’hospitalité qu’ils reçoivent en Belgique.

« Nous ne nous occuperons pas de la question de savoir si c’est à bon droit que le pétitionnaire prétend que cette loi ne lui serait pas applicable ; il nous suffit de vous faire remarquer que l’ordre qui lui a été donné n’est point fondé sur cette loi mais bien sur celle relative aux passeports.

« Eugène Lorient, l’un des membres actifs de l’association gauloise et l’un des combattants du cloître St-Méry, parvint à se réfugier en Suisse où il continua à propager ses opinions par la voie de la presse. Contraint de quitter ce pays, il y prit un passeport sous le nom de Henri Comment, artiste, né à Courgenai. C’est muni de ce passeport qu’il est arrivé en Belgique, sans toutefois le présenter au visa d’aucune autorité.

« S’étant rendu récemment à Anvers, il s’y fit remarquer par les opinions républicaines qu’il manifesta hautement dans les lieux publics, au point d’attirer l’attention de la police locale, qui, lui ayant fait exhiber son passeport et ne l’ayant pas trouvé en règle, l’adressa à l’administrateur de la sûreté publique.

« Eugène Lorient persista à se servir des faux noms de Henri Comment, tant devant la police d’Anvers que dans les bureaux de l’administrateur de la sûreté publique, où il fut cependant interpellé de décliner ses véritables noms.

« Invité à quitter la Belgique, il demanda un passeport pour se rendre à Ostende. S’étant aperçu, par les termes dans lesquels était conçue l’autorisation de lui délivrer ce passeport, que l’administrateur de la sûreté publique concevait des doutes sur ses véritables noms, il prit le parti d’en faire l’aveu le lendemain.

« Le 15 de ce mois il me fit une demande à l’effet d’être autorisé à habiter le pays, décidé qu’il était, disait-il, à ne se soumettre à l’ordre d’expulsion qu’après avoir épuisé, pour s’y soustraire, tous les moyens en son pouvoir.

« Ayant pris connaissance des faits concernant cet étrange, j’ai pensé qu’il n’y avait point lieu à lui accorder l’autorisation qu’il demandait, mais que, conformément aux propositions de l’administrateur de la sûreté publique, il y avait seulement lieu à lui délivrer un passeport pour la frontière qu’il désignerait.

« Le ministre de l’intérieur, de Theux. »

M. Gendebien. - Messieurs, vous voyez comment on fait un usage modéré de la loi que l’on vous a arrachée en septembre dernier ; elle ne suffit déjà plus, puisqu’on invoque un défaut de passeport pour justifier une expulsion que l’on médite et qui même est déjà commencée.

C’est un défaut de passeport qu’on invoque pour expulser un réfugié politique. C’est bien un refugié politique, c’est un combattant du cloître St-Méry ! vous dit-on, qui s’est trouvé en Belgique sous un nom supposé ! Mais, messieurs, quel est le réfugié politique qui, pour gagner une terre ayant la réputation d’être hospitalière, traverserait un pays comme la France avec un passeport portant son nom ? C’est une absurdité, pour ne rien dire de plus, que d’imputer à crime l’usage d’un tel passeport. Aux termes de la loi il faut que l’étranger compromette par sa conduite la tranquillité publique en Belgique pour être susceptible d’expulsion. On n’allègue pas et on ne peut pas alléguer qu’il ait compromis la tranquillité publique.

Je le répète, c’est une chose absurde et cruelle que d’expulser un réfugié politique sous le prétexte qu’il a pris un nom supposé dans son passeport.

Vous rappelez-vous, messieurs, lorsqu’il était question de la loi d’expulsion, toutes les protestations que faisaient les hommes du pouvoir en faveur des réfugies politiques ? Les réfugiés étaient sacrés, on ne pouvait y toucher ; toutes les précautions devaient être prises dans leur intérêt ; on aurait bravé l’autocrate de toutes les Russies, plutôt que de méconnaître les droits à l’hospitalité des réfugiés ! Deux ministres vous l’ont dit et aujourd’hui on expulse inhumainement un réfugié politique à qui on n’a rien autre chose à lui imputer qu’un passeport portant un autre nom que le sien, et les lois de l’hospitalité qu’on jurait de toujours respecter envers tous les réfugiés, sont violées pour un défaut de passeport qui est commun à presque tous les réfugiés.

Je ne sais quelles sont les dispositions de la chambre ; quant à moi, je ne me propose pas d’en dire davantage. Je souhaite seulement que MM. les ministres se trouvent un jour dans le cas d’être à leur tour réfugiés politiques ; alors ils verront comment ils pourront se soustraire aux recherches des sbires du despotisme. ; ils verront s’ils peuvent traverser un pays comme la France sous leur véritable nom.

Je proteste contre cette nouvelle violation de la constitution.

M. Seron. - Messieurs, votre loi du 22 septembre dernier permet au gouvernement d’expulser d’ici l’étranger dont la conduite compromet la tranquillité publique, qui a été poursuivi ou condamné dans son pays pour des crimes ou des délit donnant lieu à l’extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833.

Ainsi, malgré les progrès de la raison, de la philosophie et de la philanthropie, un homme réfugié sur cette terre classique de la liberté peut en être chassé sans procès, sans avoir été jugé par vos tribunaux. Quand on a donné entrée dans la loi à de pareilles dispositions, il ne faut pas du moins souffrir qu’on en abuse.

Le sieur Lorient n’a été ni condamné ni poursuivi à l’étranger pour des crimes ou des délits qui donnent lieu à l’extradition ; sa conduite en Belgique n’a pas compromis la tranquillité. Comment donc la loi du 22 septembre 1835 pourrait-elle lui être applicable ?

C’est, dira-t-on, un révolutionnaire, ou du moins il l’a été. Eh bien, soit. Est-ce un crime ? Devons-nous faire la guerre aux révolutionnaires ? Combien d’honnêtes gens en Belgique l’ont été, qui le redeviendraient peut-être, si on parlait de leur ôter leur place ? Le sieur Lorient est paisible, il ne conspire point. Avec qui et contre qui pourrait-il, en effet, conspirer, dans un pays où tout le monde est content, ou la révolution est finie, où il n’existe pas le moindre élément, le moindre levain d’une révolution nouvelle, et tendant à renverser l’ordre établi ?

Il a conspiré ailleurs ! C’est une question. Pour moi, après avoir lu avec attention les procédures des affaires de juin, d’avril et autres, je n’y ai vu, en vérité, que des conspirations de police imaginées pour tuer la liberté et restaurer le despotisme, et qui, malheureusement, n’ont que trop bien atteint ce but. Mais eût-il conspiré en France, quelle crainte sérieuse sa présence ici pourrait-elle inspirer au gouvernement né de la révolution ; et ce gouvernement (je parle du nôtre), que gagnera-t-il à envoyer mourir de faim en Angleterre un malheureux qui n’a d’autres moyens que sa profession, et qui ne vous demande d’autre grâce que de la lui laisser exercer tranquillement parmi vous ?

Si les hommes chargés de la police ont peur de leur ombre et voient des conspirations partout, la chambre ne doit point partager leurs petites passions, ni souffrir ces misérables persécutions sans objet. Elles donnent une pauvre idée de nous aux peuples étrangers, parce qu’ils croient qu’elles sont commandées par le gouvernement français et que nos ministres n’oseraient lui désobéir.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le déclarer dans le rapport que je viens de vous adresser, ce n’est pas sur la loi de septembre dernier que repose l’ordre donné par l’administrateur de la sûreté publique. Lors de la discussion de la loi dont il s’agit, j’ai dit que le gouvernement se croyait en droit de refuser à un étranger un passeport à l’effet de s’établir en Belgique, lorsqu’il avait des motifs d’un ordre supérieur pour en agir ainsi. Je l’ai dit à l’égard de ce qui s’était passé touchant M. Guinard ; et je crois avoir démontré alors jusqu’à la dernière évidence les droits qui appartiennent au gouvernement. C’est de ces mêmes droits que j’ai cru devoir user dans cette circonstance.

Qu’on ne craigne pas que le gouvernement ait en vue d’éloigner de la Belgique toute espèce de réfugiés politiques. Tout le monde sait qu’actuellement il en est un certain nombre qui habitent notre territoire, et que de temps en temps il en arrive d’autres ; il a été loin de la pensée du gouvernement de s’y opposer. Mais, dans la circonstance particulière qui nous occupe, je crois qu’il y a des motifs suffisants pour justifier l’ordre qui a été donné.

L’on vient de rappeler la discussion relative à la loi sur les extraditions et les déclarations qui furent itérativement faites par les ministres d’alors, que l’on s’opposerait à toute espèce d’extradition pour motifs politiques. Messieurs, le gouvernement a tenu ses promesses ; je défie que l’on dise que telle ou telle extradition a été faite en opposition avec la loi. Je défie que l’on dise que le gouvernement a éloigné du pays un seul individu par suite d’insinuations étrangères.

Toutes les mesures que nous avons prises nous ne les avons prises que de notre propre mouvement, et sans instigation extérieure. C’est de cette manière que nous croyons devoir agir pour maintenir la dignité du pays et sa sécurité.

M. Gendebien. - Quand on est décidé, quand on a pris son parti d’avance de braver tous les principes de la morale publique, il est inutile de prolonger une discussion où les choses auront leur cours comme d’habitude.

Je viens, messieurs, de parler de morale publique ; et en effet, rappelez-vous ce qui s’est passé dans la discussion sur la loi d’extradition : le ministère d’alors, et le rapporteur de la section centrale qui avait examiné la loi, lequel est maintenant ministre de la justice, ont tous, à l’envi, protesté de leur respect pour l’asile des refugiés politiques ; tous ont protesté de leur résolution de résister à toute demande faite par un gouvernement étranger tendant à molester, de quelque manière que ce fût, un réfugié politique : eh bien, je dis que c’est manquer à la morale publique que de tenir la conduite que l’on tient envers les réfugiés après des protestations si solennelles et commandées d’ailleurs par la constitution.

Mais, s’écrie-t-on, nous défions que l’on cite une seule circonstance dans laquelle nous ayons cédé à des insinuations étrangères.

Le défi est bien facile : et comment peut-on prouver le contraire si ce n’est par des indices, indices que nous avons développés dans le temps au sujet de M. Guinard !

Les gouvernements bravent l’opinion jusqu’à ce que les événements arrivent pour prouver qu’il y avait impudeur dans toutes les assertions de ses agents. C’est ainsi qu’à la suite de toutes les révolutions on découvre des documents secrets qui révèlent la vérité. Si un jour le gouvernement est dirigé par des dispositions plus franches, plus légales ; si les événements mettent le pouvoir aux mains de ceux à qui on jette le défi aujourd’hui, il est très probable que l’on découvrira la preuve du contraire des allégations de ce jour. Mais un défi de ce genre, à côté de tant de faiblesse dans d’autres occasions, est au moins déplacé.

On a, dit-on, des motifs suffisants pour expulser M. Lorient. Des motifs suffisants ! Quels sont donc ces motifs ? Vous n’en alléguez aucun si ce n’est qu’il est venu sous un nom supposé. Si un banqueroutier frauduleux, si un escroc, si un homme pouvant nuire à la Belgique se présentait sous un faux nom à l’aide d’un faux passeport, pour exercer sa funeste industrie, je concevrais que l’on sévît ; mais contre un artiste, contre un peintre, réfugié politique, je ne le conçois pas.

Je ne connais pas M. Lorient, je ne l’ai jamais vu ; mais d’après ce qui m’a été dit, c’est l’homme du monde le plus inoffensif et sous le rapport physique et sous le rapport moral ; c’est l’homme le plus paisible. Distrait de ses occupations par la part qu’il a prise à la révolution française, il a fini par reprendre ses pinceaux et par vivre de son état.

Il va à Anvers pour livrer un tableau commandé et pour s’entendre relativement à la commande d’autres tableaux ; il y va sans la permission du grand inquisiteur de la Belgique, et cela a suffi pour le faire expulser. Des motifs suffisants ! Mais le ministre avait-il des motifs suffisants pour faire arrêter à Arlon un honorable magistrat, un conseiller de la cour de Luxembourg ? Vous allez juger de la perspicacité de nos hommes d’Etat par les faits que je vais rapporter.

Un honorable magistrat de Luxembourg a cru devoir y rester après les événements de notre révolution ; et il est encore aujourd’hui magistrat à Luxembourg ; il vient en Belgique et se propose d’aller à Ostende ; il voulait voir la mer et prendre des bains : le gouvernement lui refuse l’autorisation d’aller dans le port, parce que le Roi et la Reine des Belges y étaient. Il demande la permission d’aller à Anvers, et il y va avec une permission de quatre à cinq jours : on lui enjoint de remettre sa permission à Bruxelles, quand elle sera expirée, afin d’en obtenir une pour retourner à Luxembourg ; mais le magistrat trouve à propos de retourner chez lui en prenant la route de Louvain ; M. François le fait arrêter à Arlon, c’est-à-dire, quatre lieues de son domicile, et il a été retenu en prison pendant cinq ou six jours, jusqu’à ce qu’on eut démontré l’absurdité de la conduite de l’administrateur de la sûreté générale.

Ainsi, on arrête un homme, parce qu’il ne s’est pas rendu à Bruxelles selon le caprice de M. François. Voila la conduite, voilà la judicieuse perspicacité de nos hommes d’Etat ; et ils prétendent qu’on doit les croire sur parole et admettre tous leurs actes de rigueur sans qu’ils soient obligés de les motiver ; il doit leur suffire de dire vaguement : Nous avons des motifs suffisants.

Ce n’est pas tout : sous le prétexte d’arrêter le sieur Lorient, on a violé le domicile à plusieurs reprises. Ne trouvant pas le sieur Lorient, on a voulu empoigner cinq ou six Polonais : toutefois et vu leur protestation énergique, on s’est contenté d’en prendre un qu’on a fait venir au bureau de police. L’officier de gendarmerie a blâme l’ordre exécuté par les gendarmes ; les ordres n’émanaient pas de lui, ils émanaient de M. François. Et le ministre veut que nous croyions à l’existence de motifs suffisants en présence de tels faits !

La loi dont on a armé le gouvernement en septembre dernier est une loi exorbitante, contraire au texte et à l’esprit de la constitution : contentez-vous de cette loi, et quand vous expulsez un réfugié politique, ne venez pas dire : C’est qu’il avait un passeport sous un autre nom que le sien. Il n’y en a pas un sur vingt, sur cent, qui n’ait un semblable passeport, car il est impossible de traverser la France avec son véritable nom.

Pourquoi cédez-vous à la peur qui fait toujours tressaillir M. François ? Un ministre du roi Léopold vous l’a dit, M. François est un poltron, un visionnaire, qui ne rêve que périls et conspirations ; il ne faut pas satisfaire toutes ses exigences, il a besoin d’un contrôle sévère.

Un réfugie peut vivre ici de son talent ; vous le contraignez à quitter ces contrées ; mais que voulez-vous que devienne ce malheureux en Angleterre ? Il y périra de faim. Messieurs, je ne peux que réitérer ma protestation, et je proteste de toutes mes forces contre cette nouvelle violation de la constitution.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - On vous a dit que la loi de septembre vous avait été arrachée ; mais, messieurs, vous vous rappelez par quelle imposante majorité elle a été adoptée dans cette enceinte et au sénat ; et de plus vous avez pu juger par vous-mêmes de l’accueil qu’elle a reçu dans le pays ; ainsi l’assertion de l’honorable membre n’est rien moins qu’exacte.

Vous savez encore, messieurs, que le gouvernement a usé sobrement envers les étrangers et du pouvoir qu’il tenait de l’ancienne législation et du pouvoir qui lui a été conféré par la nouvelle. Quoiqu’il en soit, que l’on ne pense pas, dans le cas dont il s’agit, que ce soit pour avoir produit un passeport sous un nom supposé que l’ordre a été donné à celui qui en était porteur de quitter la Belgique : il y avait d’autres motifs ; et après les avoir examinés, j’ai jugé qu’ils étaient tout à fait suffisants pour rendre légale la mesure prise. Il n’y a donc dans ce qui a été fait dans l’intérêt de l’ordre, qui est pourtant de la morale publique, rien de contraire à cette même morale publique, et surtout rien de contraire aux lois.

On demande pourquoi tant d’arbitraire en présence de tant de faiblesse. Je repousse cette double accusation ; je défie que l’on cite un seul acte d’arbitraire ou un seul acte de faiblesse fait par le gouvernement.

On a parlé de l’arrestation d’un magistrat de Luxembourg, magistrat que personnellement j’estime ; mais je ferai observer qu’en sa qualité de magistrat il devait savoir qu’on doit se conformer aux lois du pays où l’on se trouve. Au reste son arrestation n’a pas duré plus de temps qu’il n’en a fallu pour en venir informer l’autorité à Bruxelles et donner l’ordre de le relaxer.

En ce qui concerne l’arrestation de quelques Polonais, je déclare que ces faits me sont inconnus : je ne puis entrer dans aucune explication là-dessus, du moins en ce moment.

Projet de loi relatif aux droits sur les bestiaux

Discussion des articles

M. Mast de Vries. - Je pense qu’avant d’entamer la discussion des articles, on devrait être d’accord sur une question principale, celle du transit : Y aura-t-il transit ou n’y en aura-t-il pas ? Si vous ne décidez pas cette question d’abord, il pourra se faire que vous ayez à changer tous les articles que vous auriez adoptés.

M. Devaux. - On peut poser une question plus large ; c’est celle de savoir si on appliquera la mesure à d’autres pays qu’a la Hollande. Voilà la première question à décider.

M. Dechamps. - Il faut bien s’entendre sur la portée de la proposition de l’honorable M. Devaux. Car on pourrait soutenir que la question du transit atteindra la France. Je pense que par sa proposition M. Devaux entend ne rien préjuger relativement à cette question.

M. Devaux. - Mon intention c’est que l’on mette en discussion la question de savoir si la mesure que l’on va prendre, en supposant qu’on l’adopte, pourra s’étendre à d’autres pays qu’à la Hollande. Je ne demande pas même que l’on décide si l’on prendra une mesure par rapport à la Hollande. Le rejet ou l’adoption de la loi décidera cette question. Je fais cette motion d’ordre parce qu’elle me semble plus rationnelle que celle de l’honorable M. Mast de Vries. Du reste, si la chambre juge plus convenable de suivre l’ordre des articles, je n’y vois aucun inconvénient.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ce qu’il y a de plus naturel, c’est de suivre l’ordre des articles. Si l’on adoptait la motion d’ordre de M. Devaux, la question que l’on poserait serait complexe. Car nous proposons d’étendre la mesure qui fait l’objet de la loi à toutes les limites de la province de Limbourg. En effet, une partie du Limbourg se trouve enclavée entre la frontière hollandaise et la frontière prussienne, et forme une espèce de langue de terre par où la fraude serait facile. Cette extension aux frontières de l’Allemagne d’une mesure qui frappe la Hollande, ne peut être préjudiciable aux intérêts commerciaux de ce premier pays, attendu que l’importation du bétail allemand se fait entre Trèves et Malmedy, le long des frontières de la province de Liége et du Luxembourg, tandis que la mesure douanière ne comprendrait la frontière allemande que jusqu’un peu au-dessous du bureau de Vaals.

Je persiste à penser que le moyen le plus simple serait de suivre l’ordre du projet de loi.

Lorsque nous serons arrivés aux dispositions relatives au transit, j’aurai des explications à donner à la chambre.

- La chambre consultée décide qu’elle suivra l’ordre des articles.

Article premier

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article premier, ainsi conçu :

« Par modification spéciale au tarif des douanes, le droit d’entrée sur les chevaux et les bestiaux désignés ci-après, et dont l’importation s’effectuera dans l’étendue des frontières mentionnées à l’article 2 de la présente loi, est fixé comme suit :

« Chevaux, par tête, droits d’entrée : 50 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.)

« Poulains, par tête, droits d’entrée : 15 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.) Ne seront réputés poulains que ceux qui ont encore toutes les dents de lait.

«Taureaux, bœufs et vaches, par tête, droits d’entrée : 50 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.)

« Génisses, bouvillons et taurillons, par tête, droits d’entrée : 25 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.) Toute génisse qui a vêlé paie comme vache. Les génisses, bouvillons et taurillons, dont le poids excède 200 kilogrammes, paient le droit comme vaches, bœufs ou taureaux »

« Veaux pesant de 60 à 120 kilogrammes, par tête, droits d’entrée : 50 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.) Toute génisse qui a vêlé paie comme vache. Les génisses, bouvillons et taurillons, dont le poids excède 200 kilogrammes, paient le droit comme vaches, bœufs ou taureaux »

« Veaux pesant moins de 60 kilogrammes, par tête, droits d’entrée : 10 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.)

« Moutons, par tête, droits d’entrée : 5 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.)

« Agneaux, par tête, droits d’entrée : 1 fr. ; droit de sortie : libre en vertu de la loi du 26 juillet 1834, n°613. (Bulletin officiel, n°44.)


M. le président. - M. d’Hoffschmidt propose l’amendement suivant au tarif ;

« Chevaux, 40 fr. au lieu de 50.

« Taureaux, bœufs et vaches, 40 fr. au lieu de 50. »

M. d'Hoffschmidt. Peu de mots me suffiront pour développer mon amendement. Personne dans cette enceinte n’est peut-être un partisan plus chaud que je ne le suis de la loi. Mais je ne puis admettre le tarif tel qu’il est proposé par M. le ministre, parce qu’il équivaut dans certaines parties à la prohibition.

Je pense qu’en ne frappant les chevaux ainsi que les taureaux, bœufs et vaches que d’un droit de 40 fr., nous pouvons soutenir la concurrence avec la France. D’ailleurs, ce que nous devons craindre le plus, c’est la fraude. Il est reconnu que plus l’on élève les droits, plus par conséquent l’appât du gain offert à la fraude est tentant, plus elle se montre ingénieuse à éluder les droits. Il est certain que si l’on diminuait les droits sur une infinité d’articles, la perception en serait bien plus profitable au trésor.

Il y a encore une autre considération qui me fait réclamer cette diminution, c’est que nous sommes en négociation avec la France pour les modifications que nous désirerions voir adopter par cette nation à son tarif de douanes.

Si je suis bien informé, ces négociations sont sur le point d’obtenir les plus heureux résultats. L’issue en dépend de la chambre des députés. Or, que diront les représentants de la France, si nous, qui demandons la diminution des droits de son tarif, nous élevons les nôtres ? Ils se prévaudront de notre conduite pour ne rien changer à leur tarif de douanes.

Je sais que l’on me répondra à cela que nous ne sommes pas en guerre avec la France, comme nous le sommes avec la Hollande. Mais prouvons à la France que nous traitons mieux nos ennemis que nous ne sommes traités par nos amis.

M. A. Rodenbach. - Nous serons dupes de notre générosité.

M. d'Hoffschmidt. - Les négociations ne sont pas terminées ; si elles l’étaient, et que nous n’obtinssions pas le résultat que nous attendons, je conçois que nous serions dupes de notre générosité : mais jusque-là ne faisons rien qui puisse influer défavorablement sur le sort de ces négociations.

J’ajouterai une dernière considération. Le droit sur le bétail ne devrait pas, selon moi, être perçu par tête. Il y a des provinces qui, par ce système, sont entièrement exclues du commerce de bétail. C’est un des griefs que nous reprochons au tarif des douanes françaises. Dans le moment où nous nous plaignons à cet égard auprès du gouvernement français, ne prêtons pas des armes contre nous, car on pourrait nous répondre : Si vous trouvez qu’il y ait injustice à imposer le bétail par tête, il fallait commencer par ne pas conserver ce système dans vos lois de douanes.


M. le président. - M. Andries a présenté l’amendement suivant :

« Poulains, par tête, 30 fr., au lieu de 15. Génisses, bouvillons, taurillons, par tête, 30 fr., au lieu de 25. »

M. Andries. - Mon amendement dépend du droit que vous imposerez sur les chevaux, les bœufs, les vaches et les taureaux. En supposant que ce droit soit de 50 francs comme dans le projet, je demande qu’il soit fixé à 30 pour les poulains, génisses, bouvillons et taurillons.

Mon intention est que le droit sur les seconds ne soit pas trop différent de celui sur les premiers. La différence dans le projet de loi est trop forte, elle peut donner lieu aux spéculations de la fraude.

Un poulain, au bout de quelque temps, devient un cheval. Une génisse devient une vache. Les spéculations de la fraude dans notre pays ont été favorisées par la loi générale de 1822. Vous savez que, dans les Flandres, les fermiers qui possèdent des pâturages en Hollande peuvent y faire parvenir leurs bêtes moyennant un certificat de pâture. Il suffit qu’un cultivateur hollandais s’entende avec un cultivateur belge, pour que la fraude ait lieu. Je suppose que le premier possède 10 poulains ; il les introduira en Belgique en payant le droit de 15 francs, c’est-à-dire 150 francs. Le cultivateur belge qui les aura reçus demandera un certificat de pâturage pour ces 10 poulains, et ainsi il les fera repasser en Hollande. Comme les douaniers belges ne peuvent certifier la présence des poulains dans les pâturages désignés, ceux-ci rentreront dans l’étable du vendeur, qui, en prenant la précaution de les faire repasser eu Belgique au bout de l’année, après deux ans révolus, faire entrer 10 chevaux qui, au lieu de payer 500 francs de droit, n’auront payé que 150. Ainsi en observant quelques formalités, il aura fait un bénéfice de 350 francs au préjudice du trésor.

C’est ce manège que mon amendement tend à prévenir en diminuant la différence du droit sur les poulains et du droit sur les chevaux. Le même raisonnement peut s’appliquer aux bœufs, taureaux, génisses, bouvillons et taurillons.


M. Vandenbossche présente à l’article premier un amendement qui n’est pas appuyé.


M. A. Rodenbach. - Les amendements présentés ne m’ont pas convaincu de la nécessité de changer le tarit proposé par le ministre. Ce tarif ne me semble pas trop élevé. Un droit de 50 fr. par tête de bœuf, taureau, vache, etc., et de 25 par génisse, bouvillon et taurillon, n’est pas exorbitant. En l’admettant, nous restons dans le statu quo que désirent voir maintenir deux honorables représentants, puisque nous adoptons en partie les bases de la loi de 1822.

Un honorable député du Luxembourg craint que la loi ne soit un encouragement à la fraude. Il n’en sera pas ainsi, dans le cas où les mesures de répression présentées par le ministre seront acceptées.

L’on s’est élevé beaucoup contre les craintes que les paysans auront des visites domiciliaires. Mais comme elles se feront dans leur intérêt, ils n’auront pas lieu de se plaindre, puisque cela se pratique sans récriminations sur la frontière de France dans l’intérêt de l’agriculture elle-même : quand une mesure fiscale fait gagner de l’argent, on ne se plaint pas de la gêne qui peut en résulter.

Du reste, l’on n’a pas réfuté ce que j’ai dit lors de la discussion générale ; j’avais avancé que le prix des pâturages valait moitié moins en Hollande qu’en Belgique, et j’en tirais la conséquence qu’il n’y avait qu’une majoration du tarif qui pût protéger les éleveurs et engraisseurs de bestiaux ; loin d’exagérer le bon marché des prairies grasses en Hollande, j’ai même été au dessous de la vérité. Car je tiens une note qui vient de m’être remise par un honorable représentant qui possède de grandes propriétés en Hollande, et de laquelle il résulte que la différence est encore plus forte à l’avantage des Hollandais que celle que j’avais avancée.

Je ne pense pas que la loi puisse indisposer la France. Cette nation ne peut trouver mauvais que nous cessions d’être tributaires de la Hollande et que nous encouragions notre propre commerce de bestiaux qui, par suite de la concurrence de nos ennemis les Hollandais, manque aujourd’hui de débouchés.

L’honorable ministre des finances s’est livré à des calculs qui prouvent combien nous sommes tributaires de la Hollande. Le chiffre du ministre et des statisticiens de la chambre, des sommes que nous leur payons par suite de l’importation et du transit des bestiaux, me semble beaucoup trop faible. Je suis convaincu que sur 6 bœufs qui entrent en Belgique, il n’y en a qu’un qui paie le droit. Ainsi, au lieu de lever la somme que nous payons à la Hollande à 3 millions, on peut hardiment établir qu’elle est de 12 à 15 millions.

Un honorable député de Bruges a dit qu’il priait les grands économistes de la chambre de lui expliquer pourquoi la viande ne baissait pas lorsqu’il arrivait abondamment de bétail sur les marchés.

Je n’ai pas la prétention d’être économiste, mais je m’appuierai de l’autorité d’un grand économiste, M. Say. Il a dit (et ce fait a été cité à la chambre des députés) qu’en 1822 la viande valait en réalité à Paris 6 sous et demi la livre, et que par une espèce de monopole les bouchers avaient trouvé le moyen de la faire payer 12 sous. La viande ne vaut, terme moyen, en Belgique, que 50 centimes la livre. Ainsi les armateurs d’Anvers la paient même au-dessous de ce prix pour les salaisons. Je tiens ce fait de la bouche d’un armateur. Cependant à Bruxelles la viande se paie de 50 à 55 centimes, à Gand et à Anvers 50 centimes la livre. Je sais bien que les droits d’octroi influent considérablement sur le prix de la viande ; aussi il est temps de songer à régulariser les impôts perçus par ces octrois, que l’on peut nommer des accises au petit pied.

A moins que les bouchers n’exploitent la loi que vous allez voter, vous verrez que le prix de la viande restera à peu près au même niveau.

L’on a parlé des immenses avantages qui auraient été faits à l’agriculture depuis quelques années. Ce n’est pas la seule industrie qui ait été protégée. Pour n’en citer qu’une, celle des raffineurs de sucre n’a pas à se plaindre. Les bénéfices que la loi leur assure sont immenses. La loi suppose que sur 100 livres de sucre brut, le raffineur n’obtient que 55 livres de sucre raffiné, tandis qu’en France 100 livres de sucre brut représentent 75 livres de sucre raffiné. C’est 20 p. c. de bénéfice que la loi accorde à cette industrie. Gand et Anvers, où il y a de grandes et nombreuses raffineries, sont parvenus, au moyen de cette loi, que j’appellerai prime d’exportation, à fournir les marchés d’Hambourg, d’Allemagne, de Russie et même du Levant, le tout au détriment de la Hollande.

Je ne demande pas que l’on change la loi, je demande pour le moment son maintien ; mais je veux au moins prouver qu’il n’y pas que l’agriculture qui ait été protégée.

Pour en revenir au projet de loi qui nous occupe, le député d’Anvers a avancé qu’il fallait que le prix des vivres fût peu élevé pour que la main-d’œuvre fût à bon marché, principalement dans les villes manufacturières.

Je suis de cette opinion. Mais il faut que les magistrats de ces villes ne prennent pas de mesures qui fassent baisser hors de toute proportion le prix de la viande et du pain. A Gand, les détaillants de viande, pour avoir un étal dans la boucherie, doivent payer de 7 à 800 francs.

Ce sont les taxes municipales qui anéantissent l’économie politique en Belgique.

Si la régence de Gand veut que les ouvriers de cette ville puissent se procurer à bon marché les objets de première nécessité, qu’elle commence par abolir la mouture de néerlandaise mémoire. Car l’exécrable mouture existe encore dans cette ville. Voilà ce qu’il conviendrait de faire en faveur de ces milliers d’ouvriers.

L’honorable M. Rogier a dit que les cultivateurs hollandais avaient trois p. c. d’impôt foncier de plus que les nôtres. Cette différence ne peut pas entrer en compensation avec le loyer de nos pâturages élevé à plus de 100 p. c. sur ceux de Hollande.

Je ne puis pas concevoir que l’on puisse soutenir ici la thèse qu’il faut ouvrir nos portes douanières pour laisser le bétail ennemi traverser notre territoire et se rendre à Lille, à Amiens et même à Paris, pour y ravir notre ancien débouché. Je finirai par dire que ces chiffres sur nos exportations en France n’ont aucune valeur pour moi, parce que je suis convaincu que la quantité de bétail que l’on prétend que nous envoyons en France, sont des bœufs fraudés de Hollande, et que nos marchands déclarent à la douane de la frontière de France comme bétail de notre pays.

J’ai dit.

M. Pirmez. - Je ne croyais pas prendre part à la discussion actuelle, parce que les motifs pour lesquels on désire que la loi soit votée n’avaient pas été énoncés. Mais maintenant que tout a été mis au grand jour, je croirais manquer à mon mandat si je m’abstenais de parler.

Je dois, avant de vous soumettre mon opinion, prendre une précaution qui me paraît nécessaire, et déclarer encore une fois (quoique nous l’ayons déjà fait, toutes les fois que nous avons traité des questions semblables) que nous ne voulons pas la liberté du commerce quand même.

Ce reproche a été adressé à ceux qui ne veulent pas du projet, bien que déjà précédemment, et encore dans la discussion actuelle, ils aient déclaré qu’ils ne voulaient pas de la liberté du commerce, quand même.

L’honorable M. Rogier, qui a défendu son opinion avec autant de talent que d’indépendance, a pris plusieurs fois une précaution semblable ; et malgré sa déclaration, on lui a répété à satiété qu’il voulait la liberté du commerce quand même. Non, nous ne demandons pas cela ; et si un tel reproche nous est encore adressé, nous le regarderons comme un abus de la force ; nous serons obligés de dire que vous abusez de ce que vous êtes un grand nombre contre quelques personnes.

On a prétendu dès le premier jour que la loi était une loi politique ; puis après on a présenté la loi comme une loi presque politique ; et, en définitive, dans la séance d’hier on a dit que la loi n’était pas politique. (Rires d’adhésion.)

Pour moi je vois dans la loi une loi de haine contre la Hollande ; je crois que cela n’a pas besoin d’être démontre ; car incontestablement la loi est une loi d’exception, et en matière de douanes une loi d’exception est purement une loi haineuse.

Avons-nous bien intérêt à voter une loi de haine contre la Hollande ? Je ne le pense pas. Nous faisons de grandes exportations vers la Hollande par le moyen des neutres. La Hollande en raison du grand commerce qu’elle fait avec tous les peuples du monde, se trouve être un de nos principaux débouchés pour les produits de notre sol et de nos manufactures.

Je ne sais jusqu’à quel point la Hollande répondra à la provocation que vous lui adressez par cette loi ; je ne sais si elle usera de représailles en empêchant les importations que nous lui faisons par le moyen des neutres. Certes il n’est pas de l’intérêt de la Hollande de répondre à notre provocation, parce que son intérêt est de prendre les objets manufacturés et autres, là où elle les trouve au meilleur marché. Mais si la Hollande, au mépris de ses intérêts, voulait répondre par des représailles aux menaces, aux invectives que vous lui adressez de cette chambre, si elle se résignait à souffrir pour faire souffrir notre pays ! Le fera-t-elle ? Je n’en sais rien ; mais j’avoue que je ne voudrais pas prendre à ma charge la responsabilité d’une telle possibilité. Songez que si la Hollande prenait des mesures comme celle qu’on vous propose d’adopter, vous vous attireriez la malédiction de la moitié du pays.

Ainsi, nous exportons en Hollande une infinité de produits manufacturés et autres. Nous exportons de la houille, du fer, des objets manufacturés de toutes les industries dérivant du fer, de la chaux, nos toiles, des verreries, une infinité d’objets enfin ; et si la Hollande venait à prendre des mesures de haine contre nous, elle froisserait toutes ces industries d’une manière très sensible. Voilà ce que j’avais à dire sur la loi, en la considérant comme loi de haine.

Maintenant voyons ce qui est de l’intérêt commercial. Certainement, si nous envoyons en Hollande une quantité considérable des produits de nos manufactures et de notre sol, nous voulons recevoir d’elle quelque chose en échange. Car nous ne voulons pas lui donner nos produits pour rien, et l’on n’exporte jamais que pour importer. Qu’est-ce que la Hollande a à nous donner en retour des objets que nous lui exportons ? elle a son bétail, ses fromages.

M. A. Rodenbach. - Et les denrées coloniales.

M. Pirmez. - Soit. J’admets les denrées coloniales. Il faut bien d’ailleurs que nous tirions quelque chose de la Hollande. Certainement nous ne voulons pas en tirer de l’argent. Je ne parlerais pas d’argent si un ministre n’en avait pas parlé hier. L’entrée et la sortie de l’argent sont choses auxquelles on ne croit plus. C’est une vérité si triviale que je n’oserais en parler si un ministre ne l’avait fait. Tout le monde sait que l’argent ne sort ni n’entre d’un pays dans l’autre.

Tout le monde se rappelle l’époque où le nouveau système monétaire des Pays-Bas n’avait pas encore lieu. Nous recevions à cette époque une grande quantité des produits de la Hollande. Eh bien, avons-nous vu dans le pays de la monnaie de Hollande ? Non, et si vous avez vu un seul florin dans le pays ça été comme médaille. Car cette monnaie n’a pas été répandue chez nous, alors même que nous faisions partie du royaume des Pays-Bas.

On a fait valoir à l’appui de la loi actuelle des pétitions. Un grand nombre des pétitions ont été présentées pour obtenir la loi en discussion. Je dois attirer votre attention sur un point. C’est que les pétitions ne sont jamais faites que dans un intérêt particulier. Jamais elles ne sont faites dans l’intérêt général. Je n’en veux d’autre preuve que ce qui se passe dans cette discussion. Qui a pétitionné ? Sont-ce les consommateurs ? Non, ce sont les bouchers.

En fait de pétitions on en a cité une qui a eu une assez grande influence et qui figure dans le rapport de la commission. C’est celle des herbagers de Tirlemont. Selon les pétitionnaires ce n’est pas assez d’une nouvelle loi. Il faut encore coordonner la loi par un système de bonnes lois en rapport avec celle sur les distilleries. C’est là une grande question, et pourtant ce n’en est pas une. Vous savez si la loi des distilleries est une bonne loi : à mes yeux c’est une loi mauvaise et immorale qui tend à abrutir les populations en rendant le genièvre extrêmement commun ; et maintenant c’est avec une telle loi qu’on veut vous faire coordonner la loi sur le bétail.

De ce que vous avez facilité la production du genièvre, il en est résulté que ceux qui produisent du genièvre ont dû produire aussi une grande quantité de bétail pour l’engraisser, et il résulte de la pétition de Tirlemont que, parce que les pétitionnaires ont engraissé du bétail, il faut augmenter le prix de ce bétail. Ainsi, après avoir voté une loi qui pousse la population à la consommation du genièvre, vous en voteriez une qui entrave la consommation de la viande. Le résultat de vos deux lois sera donc évidemment que l’on boira beaucoup de genièvre et que l’on mangera peu de viande. (Rires d’approbation.)

Je n’attaque aucune intention ; mais voici le résultat de la loi. Je ne sais s’il est nécessaire de parler de ce que le bétail serait bon marché et la viande serait chère. De telles choses n’ont pas besoin de réponse. La contradiction est évidente. C’est comme si l’on disait que la nuit et le jour vont ensemble.

Quant au monopole des bouchers, après ce qu’a dit l’honorable M. de Foere, il est inutile d’en parler. L’état de boucher est selon moi assez lucratif. Il doit être lucratif en raison de la répugnance qu’on a à l’exercer. Mais une fois qu’il est assez lucratif pour que cette répugnance soit vaincue, il ne doit pas l’être davantage.

Je ne crois pas que la loi aura une grande influence non plus sur le prix de la viande, puisque la quantité de bétail étranger introduite dans le pays a toujours été faible ; mais, si faible que soit cette augmentation du prix de la viande, raisonnablement et logiquement elle doit avoir lieu.

Ceux qui demandent une augmentation sur la viande et qui, naguère, dans la discussion cotonnière, voulaient faire augmenter le salaire de l’ouvrier, sont certainement en contradiction avec eux-mêmes. Car qu’est-ce que l’ouvrier reçoit ? Son salaire n’est-il pas sa nourriture ? Il la reçoit pour ainsi dire directement ; car la pièce de monnaie qu’on lui donne se change immédiatement en nourriture. A part quelques légers vêtements, tout son salaire n’est que sa nourriture. Ainsi augmenter le prix de la viande, c’est diminuer son salaire. C’est une chose qui n’a pas besoin d’être démontrée.

L’agriculture souffre, dit-on, et les baux sont chers. Mais je crois que tout le monde n’entend pas de la même manière ce mot agriculture. Ainsi, quand les denrées sont chères, on dit que l’agriculture prospère. Quand elles sont à bon marché, on dit qu’elle souffre. On fait de l’agriculture comme un être matériel, qui peut prospérer ou souffrir, et même qu’on petit tuer. Par toutes ces métaphores, on donne une singulière idée de ce que c’est que l’agriculture

M. Desmet. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Je ne veux pas m’opposer à ce que l’honorable M. Pirmez exprime son opinion. Mais certainement il faudra lui répliquer, et la séance se trouvera ainsi consacrée à une nouvelle discussion générale, quoique la clôture ait été prononcée hier.

M. Rogier. - Si la chambre est d’avis de fermer la bouche à l’honorable préopinant, qui n’a pas encore parlé dans cette discussion, libre à elle. Mais je ferai observer à l’honorable interrupteur qu’il aurait pu faire son observation un peu plus tôt. L’orateur qui a parlé avant M. Pirmez, s’est beaucoup occupé aussi de la question générale. Il a parlé des raffineries de sucre, qui sont assurément tout à fait étrangères à l’article en discussion, et l’on peut dire que tout son discours a été un discours de discussion générale.

La discussion générale a été close hier parce que l’on a reconnu que l’article premier renfermait toute la loi, et dès lors plusieurs membres et moi-même ont renoncé à la parole, se réservant d’exprimer leur opinion dans la discussion de l’article premier.

Je me suis proposé de répondre alors aux attaques dont j’ai été l’objet de la part de quelques membres, pour ne pas dire d’un très grand nombre. Du reste, libre à la chambre de mettre un terme à cette discussion.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je prie l’assemblée de maintenir la parole à M. Pirmez, quoique évidemment son discours soit un discours de discussion générale ; l’honorable membre a pu préparer son discours pour le prononcer dans la discussion générale, ne s’attendant pas à ce qu’elle fût fermée hier. J’ai intérêt, pour ce qui me concerne, à ce que cette discussion générale continue, parce qu’il est plusieurs points du discours du préopinant auxquels je devrai nécessairement répondre.

M. Lardinois. - Je crois que l’intention de l’assemblée n’est pas d’empêcher l’honorable M. Pirmez de continuer. Vous vous rappellerez que ceux qui partagent les doctrines de l’honorable M. Rogier, ont été provoqués à parler. J’ajouterai qu’hier, quand il s’est agi de fermer la discussion générale, M. le ministre m’a dit que nous pourrions parler sur l’article premier.

M. Desmet. - Si la chambre consent à ce que la discussion générale soit continuée, soit. Mais comme la chambre avait fermé hier la discussion générale, j’ai cru de mon devoir de faire l’observation que j’ai présentée.

M. Dubus. - Il m’a semblé que certains orateurs, voulaient bien que M. Pirmez continuât à parler, en supposant que le discours de cet honorable membre appartenait à la discussion générale. J’ai demandé la parole pour faire observer que ce discours n’appartenait pas à la discussion générale. Il est vrai que l’honorable membre est entré dans des considérations générales qui auraient pu trouver leur place aussi bien dans la discussion générale que dans la discussion de l’article premier. Mais ces considérations se rapportent spécialement à l’article premier.

Si l’honorable membre s’était occupé de la question du transit et de celle des formalités de douanes qui sont décidées par les articles qui suivent l’article premier, on aurait pu dire qu’il rentrait dans la discussion générale. Mais il n’en a rien fait.

Je pense donc que l’honorable M. Pirmez doit être autorisé, non à continuer la discussion générale, mais à continuer à parler sur l’article premier, parce qu’il n’est pas sorti de la discussion de cet article.

M. Dubois. - Je demande la parole pour appuyer la proposition de M. Desmet.

M. Desmet. - Je l’ai retirée.

M. le président. - La parole est continuée à M. Pirmez.

M. Pirmez. - Ainsi je disais que nous ne nous entendions pas bien sur la valeur de ces termes : agriculture, industrie.

Vous remarquerez qu’ordinairement on dit que l’agriculture souffre quand les céréales sont à bon marché, et on dit que l’industrie souffre quand les manufactures ne vendent pas facilement leurs produits. Agriculture veut dire simplement la propriété foncière, et industrie signifie les manufactures.

Ainsi dire que l’agriculture souffre, c’est dire que le propriétaire foncier ne tire pas grand profit de sa propriété, et dire que l’industrie est dans le même cas, c’est comme si on disait que le manufacturier ne fait pas autant de bénéfice qu’il le désire.

Si on réduisait les choses à ces simples expressions, on s’éviterait la peine de faire de la sensiblerie sur l’agriculture et l’industrie.

C’est une observation sur laquelle j’ai cru devoir appuyer. En effet, quand on appelle la propriété foncière par son véritable nom, c’est à qui voudra la frapper ; on demande même des mesures vexatoires : mais quand on la présente sous le nom d’agriculture, toute la sensibilité de la chambre est en émoi, on ne sait quel accueil lui faire. Les deux procédés sont également injustes, il faut laisser le propriétaire foncier jouir de sa chose dans de justes limites, quelque nom qu’on lui donne.

On a dit que l’agriculture souffrait en Belgique ; que les baux en Hollande n’étaient qu’à 30 florins, tandis qu’ici ils sont à 70 et même à 100 florins. Ensuite on ajoute que les Hollandais ayant leurs baux à 30 florins peuvent nous envoyer des bestiaux à meilleur marché que ne peuvent les fournir les cultivateurs belges dont les baux sont à 70 et 100 florins.

Il me paraît que si les baux en Belgique sont de 70 a 100 fl., tandis qu’ils sont à 30 fl. en Hollande, et que c’est pour cela que la Hollande importe des bestiaux chez nous, nous ne devons pas nourrir et engraisser du bétail parce que nous tirons de nos terres un plus grand produit de toute autre manière. Sans cela nous ne pourrions pas rendre 70 et 100 fl. là où le Hollandais ne rend que 30 fl. en élevant du bétail.

Messieurs, on a dit que nous recevions du bétail pour quatre millions et que c’était un préjudice de quatre millions pour le pays ; mais si nous avons reçu du bétail de la Hollande, il me semble que ce bétail vaut quelque chose. Vous ne voulez pas sans doute le regarder comme zéro. Et si le pays a perdu à cette importation quatre millions, je serais bien aise qu’on m’expliquât comment il a fait cette perte.

Est-ce de l’argent qu’il a donné à la Hollande ? Non ; si vous avez reçu les exportations du pays, vous lui avez donné en échange des produits manufacturés. Vous ne lui avez pas donné d’argent, car vous ne pouvez pas plus ne donner qu’en recevoir.

Si c’est l’agriculture ou le propriétaire foncier que vous dites qui a perdu, je vous réponds qu’il n’a pas perdu d’avantage, parce qu’on a tiré de la propriété foncière une valeur plus grande que si on avait élevé du bétail.

C’est avec vos propres données que je vous prouve que le propriétaire pas plus que le pays n’a perdu à cette importation.

Je serais charmé d’entendre les argumentations par lesquelles on voudrait établir le contraire.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Comme je l’ai dit tout à l’heure, mes considérations seront de même nature que celles de l’honorable préopinant, c’est-à-dire qu’elles seront générales, soit qu’on les considère comme se rapportant à l’article premier, soit qu’on les considère comme rentrant dans la discussion générale. C’est une manière d’entendre les choses qui ne fait rien au fond.

L’honorable M. Pirmez, en débutant, a témoigné le regret que les motifs de l’opinion qu’il défend aient été ébruités dans cette enceinte. Ces motifs sont qu’on nous aurait tout à coup fait connaître que nous exportions beaucoup de nos produits en Hollande.

Je ferai remarquer que si quelque mal pouvait résulter des indications qu’on a données, ce que je ne crois pas, ce n’est pas à ceux qui défendent le projet qu’il faudrait l’imputer, mais aux honorables membres qui partagent l’opinion du préopinant.

M. Rogier. - C’est à la présentation de votre loi qu’il faudrait l’attribuer.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je viens de dire que je ne croyais pas que ce mal fût possible ; mais s’il arrivait, je le répète, ce ne serait pas à nous qu’il faudrait l’attribuer.

M. Rogier. - C’est commode.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Commode ou non, je répète à ceux qui se plaignent qu’on a traité l’importance de nos exportations en Hollande que ce n’est pas à nous qu’il faut l’attribuer. (Rumeurs en sens divers.)

J’entends dire que c’est inconvenant ; je voudrais qu’on m’expliquât ce qu’il y a d’inconvenant dans mes paroles. Je rétablis les choses telles qu’elles sont.

L’honorable M. Pirmez a dit qu’on était d’abord venu présenter la loi comme haineuse, puis simplement comme politique et enfin comme n’étant nullement politique.

Je désirerais que l’honorable membre voulût bien nous indiquer où il a trouvé que nous avions successivement varié de la manière qu’il indique. Ce n’est pas ailleurs que dans l’exposé des motifs de la loi et dans les divers discours prononcés par les ministres, qu’on peut aller chercher l’opinion du gouvernement ; eh bien, qu’on nous dise si nous avons varié le moins du monde dans l’exposé des motifs et les discours que nous avons prononcés.

Tout ce que nous avons constamment dit, c’est que nous étions dégagés vis-à-vis de la Hollande de toute espèce de ménagement que nous devrions avoir vis-à-vis d’autres nations, que nous pouvions faire envers elle tout ce que nous voulions sans craindre de blesser les convenances qu’on observe entre nations voisines et amies. Les choses sont telles en effet que nous n’avons aucun égard à avoir vis-à-vis de la Hollande.

Et comment, messieurs, dire que c’est une loi haineuse ? alors que la Hollande frappe nos bestiaux de vingt florins par tête, ce qui fait 42 fr. passés, nous sommes haineux en venant proposer un droit à peu près équivalent sur les bestiaux hollandais. Je dis équivalent, car je ne verrais pas d’inconvénient à ce qu’on laissât le droit à 20 florins.

Fixez donc, si vous voulez, le droit sur les bestiaux hollandais à 20 florins ; qu’à cela ne tienne, si vous y trouvez tous vos apaisements. Mais je le répète, je ne conçois pas qu’on ose dire que nous provoquons une mesure haineuse, quand la Hollande frappe nos bestiaux d’un droit double de celui dont les siens sont imposés chez nous, et quand nous ne demandons rien autre chose qu’une sorte de réciprocité.

J’ai dit tout à l’heure que, dans mon opinion, ce qu’on a dit des exportations que nous pouvons faire en Hollande, n’était pas de nature à nous nuire. En effet, si nous livrons quelque chose à la Hollande, c’est qu’elle ne le produit pas et qu’elle est obligée de le prendre à l’étranger. Le gouverneraient hollandais fait à la vérité tout ce qu’il peut pour empêcher que nos produits pénètrent en Hollande, mais il n’y réussit pas, parce qu’il y a nécessité absolue pour elle de prendre chez nous les produits qu’elle nous achète.

Le gouvernement hollandais nous fait donc tout le mal qu’il est en son pouvoir de faire. Il pourrait peut-être ajouter quelques difficultés de plus à celles qui existent, et obtenir ainsi pour résultat, comme l’a dit M. Rogier, de faire payer un peu plus cher aux Hollandais les marchandises qu’ils sont obligés de prendre chez nous.

L’honorable M. Pirmez pose comme fait incontestable que si la Hollande nous livre du bétail, nous lui livrons en échange ces objets que je vous ai indiqués. Je lui demanderai où il puise cette preuve que si la Hollande ne nous vendait plus de bétail, nous ne lui enverrions plus ces objets. Je viens de le dire, et la force des choses est là pour le justifier, vous livreriez toujours la même quantité de vos produits malgré l’admission de la loi ; seulement l’agriculture belge vendra de plus pour quelques millions de bestiaux. Et une vente de quelques millions vaut bien la peine que vous l’assuriez à vos concitoyens.

On vient de nous demander : Mais qu’est ce donc que l’agriculture ? c’est un être fictif, une chose qu’on ne peut saisir.

Messieurs, voici comment je la comprends. L’agriculture, selon moi, est ce qui intéresse toute la Belgique, c’est une chose indispensable à l’existence de la nation ; aussi, chaque fois qu’on proposera des mesures utiles à l’agriculture, je m’empresserai de les appuyer, parce que je croirai servir les 99 centièmes de la nation, ou plutôt la nation entière.

On est revenu à la supputation de la contribution foncière de la Hollande et de la Belgique. On a dit : Vous payez 10 quand la Hollande paie 14 ; vous êtes donc dans une position avantageuse pour lutter avec elle. J’admets cette différence. Mais faut-il, parce que nous sommes dans une position plus avantageuse que la Hollande, ne pas faire tous nos efforts pour rendre notre position plus avantageuse encore ? Dussions-nous, pour y parvenir, aggraver la position de la Hollande !

Il est une autre objection de M. Pirmez que je crois devoir relever, car elle pourrait avoir fait de l’impression sur quelques esprits.

Il prétend que le but de la loi est exclusivement d’accorder de nouvelles faveurs aux distilleries. Tout ce qui a été dit jusqu’à présent prouve, je crois, que tel ne sera pas le résultat de la loi ; mais ceux qui, comme M. Pirmez, pensent le contraire, devraient au moins supposer que nous nous sommes trompés de bonne foi, mais non nous accuser de vouloir faire une chose exclusivement utile à une industrie déjà très protégée ; alors surtout que nous nous sommes efforcés de démontrer par des raisonnements solides que la mesure que nous proposions serait uniquement utile à l’agriculture.

Messieurs, je désire examiner un à un les amendements présentés par différents membres sur l’article premier ; mais je ne sais pas, d’après la tournure que la discussion vient de prendre, si je le ferai utilement maintenant. Je crois qu’il vaut mieux attendre que les considérations générales qui se rapportent à l’article premier aient été entendues.

M. Dechamps. - Messieurs, hier j’ai renoncé à la parole, parce qu’il me paraissait que la chambre était fatiguée de la longueur de la discussion.

J’aurais quelques considérations générales à présenter en faveur du principe fondamental de la loi. Vous me permettrez de les résumer et de vous en présenter le sommaire, avant de vous faire remarquer une objection qui me paraît très forte et qui a été soulevée hier et aujourd’hui par les défenseurs mêmes de la loi.

Partisan comme je le suis des doctrines d’économie sociale professées par M. Rogier, et les ayant défendues lors de la discussion sur les cotons, je tenais à montrer à l’assemblée que les principales objections que nous avons opposées aux prétentions de l’industrie cotonnière n’étaient ici de nulle valeur et de nulle application. En effet, ce que nous craignions avant tout, c’étaient les mesures de représailles que traînent après soi d’ordinaire les lois prohibitives.

Mais ici, messieurs, il me paraît que nous ne froissons ni les intérêts de l’Allemagne ni les intérêts de la France, peuples avec lesquels nous devons à toute force entretenir des relations commerciales. Je dis que nous ne froissons pas les intérêts de l’Allemagne, dans la pensée que la chambre ne se ralliera pas à l’amendement de la section centrale et qu’elle imitera en cela le ministre des finances. Nous ne froissons pas non plus les intérêts de la France en prenant des mesures contre le transit, ce que paraissent cependant craindre quelques honorables préopinants, puisque la France frappe d’un droit de 50 fr. par tête le bétail étranger. La France prouve par là qu’elle préfère protéger son agriculture que de voir le bétail hollandais arriver chez elle par le transit.

Je comprends que la balance commerciale entre la Hollande et la Belgique, pour l’importation et l’exportation du bétail, soit toute en notre faveur.

Je ferai remarquer que nos produits ne s’introduisent en Hollande que par le commerce interlope, et non officiellement. L’honorable M. Rogier, dans le discours très remarquable qu’il a prononcé dans une précédente séance, vous a dit que le roi Guillaume était dans une parfaite quiétude, croyant avoir fait tout ce qu’il pouvait faire pour rendre impossible toute relation entre la Hollande et ses sujets révoltés, et être parvenu à sevrer la Hollande des produits de la Belgique. Guillaume ne pourra donc rien faire contre nous de plus qu’il n’a fait.

L’argumentation tirée des représailles qu’on pouvait avoir à craindre est donc ici de nulle valeur, de nulle application.

Le deuxième argument que nous faisions valoir lors de la discussion des cotons était très fort ; c’est qu’il existait en Belgique une industrie travaillant les étoffes de coton étrangères, qu’on aurait détruite en frappant de mesures prohibitives ces étoffes de coton. Cet argument ne s’applique pas ici.

Il existe bien une industrie qui tire du bétail maigre de l’étranger, pour l’engraisser mais, dans l’hypothèse que l’amendement de la section centrale sera rejeté, cette industrie n’éprouvera pas de dommage, car le bétail maigre vient presque exclusivement de la Prusse.

Messieurs, voilà à peu prés le sommaire des considérations que j’avais l’intention de présenter hier dans la discussion générale.

Maintenant je dois vous parler de cette objection qu’ont soulevée eux-mêmes plusieurs défenseurs du projet.

L’honorable M. de Nef et l’honorable M. A. Rodenbach nous ont dit qu’ils étaient persuadés que si le droit actuel était perçu exactement, si des mesures assez efficaces étaient admises pour assurer la perception du droit, le droit actuel serait suffisant. Or, je crois que là gît toute la question. Si ce fait est vrai, et M. A. Rodenbach vient encore de le confirmer, qu’aujourd’hui que les droits sont très peu élevés, la fraude est très considérable, le remède à employer, selon moi, n’est nullement l’élévation du droit ; car si vous élevez le droit, dans cette hypothèse que déjà tel qu’il est on le fraude, votre mesure aura un résultat contraire au but que vous voulez atteindre.

Je désirerais savoir de M. le ministre des finances s’il est persuadé, comme plusieurs défenseurs du projet de loi, que des mesures douanières fortes, sévères, pour empêcher la fraude, avec les lois existantes ou l’amendement de M. d’Hoffschmidt, suffiraient pour assurer à l’agriculture la protection dont elle a besoin.

Je prévois une chose fâcheuse qui peut résulter des opinions diverses des défenseurs du projet.

MM. de Nef et A. Rodenbach, en soutenant que les droits actuels sont suffisants, si on en assure la perception par des mesures douanières efficaces, fournissent un argument aux adversaires du projet qui prétendent que le remède dont on se plaint ne vient pas du peu d’élévation du droit. Cet argument est tout simple. C’est que plus le droit sera élevé, plus la fraude sera encouragée.

D’autres défenseurs du projet, parmi lesquels est M. Andries, sont disposés à accorder une augmentation de droit, pourvu qu’on adoucisse les mesures douanières proposées qui leur paraissent trop vexatoires.

Moi, je suis tout disposé à adopter une loi en faveur de l’agriculture ; mais je prévois que les défenseurs de la loi, se divisant en deux catégories, vont la ruiner complètement. D’un autre côté, M. A. Rodenbach et les faits qu’il a avancés me feront voter pour un droit modéré ; et de l’autre côté, je vois que les arguments de M. Andries feront rendre les mesures douanières très douces, très peu efficaces, et qu’en définitive le but de la loi sera manqué.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je m’empresse de répondre aux observations que vient de faire l’honorable préopinant. Il vous a dit : S’il est vrai que la fraude existe, à quoi servira l’élévation du droit actuel, sinon à encourager d’avantage cette fraude ? Il est une réponse tout à fait simple à ceci, c’est que le projet de loi est accompagné de mesures propres à en assurer l’exécution, mesures qui nous manquent aujourd’hui, et dont l’absence permet la fraude.

L’honorable membre a demandé, en outre, s’il était vrai que le droit actuel fût suffisant en prenant les moyens d’en assurer la perception. Nous répondrons : non ! En effet, nous voyons que le droit est acquitté pour une quantité considérable de bestiaux étrangers. Ainsi les marchands de bétail trouvent encore leur compte à l’importation tout en payant le droit ; il y a donc avantage soit à frauder, soit même à payer le droit. Ces deux réponses doivent être considérées comme péremptoires.

Je saisirai cette occasion pour dire encore quelques mots sur le fond de l’article. Je dois, comme mon honorable collègue, repousser de toutes mes forces la qualification que l’on a donnée à la loi.

On l’a appelée loi de haine, loi d’exception. Messieurs, le projet est une loi de protection pour notre agriculture, et rien autre chose. Si l’on portait une loi de haine et d’exception, on pourrait en chercher l’exemple dans le gouvernement hollandais ; on se souvient des mesures prises à Batavia, pour s’opposer à l’introduction des produits de nos manufactures. On pourrait citer d’autres actes encore. Cependant la chambre et le gouvernement n’ont pas cru devoir recourir à des mesures de représailles ; nous avons eu assez de bon sens de ne pas prendre des lois qui, en définitive, nous auraient fait tort, afin de satisfaire des sentiments de haine. C’est ainsi que nous justifions le principe politique de la loi.

Quant à ce qui concerne le principe financier du projet, il est de toute évidence que la loi est parfaitement conçue, et le tableau statistique suffit pour en donner la conviction.

Il est vrai que l’on a fait valoir plusieurs considérations opposées, en les tirant des tableaux statistiques ; mais on s’aperçoit bien vite que ces considérations ne peuvent avoir d’effet sur la discussion actuelle.

Qu’est-ce que nous exportons en Hollande ? C’est du menu bétail dont on achève l’éducation dans cette contrée et dont elle ne saurait se passer ; elle en tire bénéfice : et remarquez qu’elle ne pourrait l’aller chercher en Allemagne, puisque nous en fournissons à l’Allemagne comme à la Hollande ; ainsi nous ne pouvons trouver d’entraves de ce chef, cette exportation étant dans l’intérêt de la Hollande elle-même.

Mais il n’en est pas de même du gros bétail hollandais que l’on envoie en Belgique. C’est un bétail gras, sur lequel l’agriculture ne peut plus faire de bénéfice ; ce bétail a servi à l’amélioration des terres hollandaises par les engrais qu’il a fournis ; il a donné aux distillateurs de justes bénéfices. Eh bien, messieurs, tous les bénéfices qui se font en Hollande et qu’actuellement nous payons chèrement, il faut essayer de les faire chez nous. Personne ne met en doute que nous ne puissions élever suffisamment de bétail pour notre consommation. Si l’on reconnaissait que le bétail n’est pas en quantité suffisante pour les besoins de la Belgique, pourquoi demanderait-on qu’on en exportât en France ?

En ce qui concerne le chiffre de l’importation et de l’exportation du bétail en Hollande pendant les dernières années, je dirai que les conclusions que l’on en tire sont entièrement inexactes ; en effet, pendant quelques années, au lieu de rien tirer de la Hollande, nous y avons fait des exportations ; alors il était défendu en Hollande de rien envoyer dans les autres pays. Les calculs établis sous l’empire de semblables lois n’ont aucune valeur.

Messieurs, il est démontré que c’est au détriment des distillateurs et de la bonne culture des terres que l’on continuerait le régime tout de circonstance qu’a établi le gouvernement provisoire. Ce régime était bon pour la Belgique à cause de l’état de guerre, puisque dans ce cas il est utile de recevoir le bétail étranger.

Messieurs, vous ne perdrez pas de vue que les mêmes orateurs qui attaquent la loi actuelle sont encore ceux qui ont attaqué le projet de loi sur les céréales, et que les orateurs qui défendent le projet ont également défendu la loi sur les céréales.

En effet, en défendant l’un ou l’autre projet, nous avons le même but ; nous avons reconnu qu’il était de toute nécessité pour l’amélioration de nos terres de continuer la culture des céréales ; nous croyons qu’il est utile de ne pas cesser d’élever du bétail, puisque le bétail donne des engrais à l’agriculture. Si nous abandonnions la culture des céréales, ou l’éducation du bétail, nos terres, qui ont une si juste réputation, dégénéreraient. Comment pourrions-nous mettre à exécution les conseils que l’on nous donnait en 1833, d’abandonner la culture des céréales pour nous livrer à des cultures qui exigent de grandes quantités d’engrais ? Je crois que les théories exposées par les adversaires de la loi sont en opposition avec les premiers éléments des connaissances agricoles.

M. Devaux. - Dans le peu de mots que j’ai à dire sur l’article premier, je parlerai cependant de la question même que soulève cet article, c’est-à-dire de l’élévation du tarif. Je crois que c’est là mon droit, et je demande que la chambre m’autorise à développer mon opinion dans ce sens. (Parlez ! Parlez !)

Puisque la chambre y consent, j’entre en matière.

Une chose me paraît assez bien prouvée dans cette discussion, c’est que la quantité de bétail déclaré, venant de la Hollande (car il ne s’agit plus que de la Hollande, à ce qu’il paraît), est très faible ; faible, mise en comparaison avec la quantité de bétail qui fait partie du commerce intérieur chaque année.

Malgré tous les sarcasmes qu’on a lancés contre les chiffres de M. Rogier, mon ami ; malgré les plaisanteries (dont je reconnais au reste la finesse, et qui étaient empreintes d’un esprit tout à fait approprié à la matière), malgré, dis-je, ces plaisanteries dirigées contre lui, les chiffres sont restés, et ces chiffres disent quelque chose. Il n’est plus contesté aujourd’hui que la Hollande a tiré de chez nous, en 1834, environ 17 mille pièces de bétail de toute espèce, et que nous n’en avons reçu que 10,900 pièces de gros bétail. On vous a dit, en citant les documents d’un statisticien qui n’est pas suspect, qu’il existait en Belgique 800 à 900 mille têtes de gros bétail, et à peu près 600 à 700 mille têtes de menu bétail.

Ainsi l’importation de la Hollande a été pour le gros bétail d’un centième de ce qui existe dans le pays, et pour le petit bétail d’un peu plus, mais peu de chose de plus.

Je crois que tout le monde conviendra que cette importation est peu de chose, mise en regard de notre production et de notre exportation, alors qu’il est constaté que notre exportation a été, en 1834, de cent mille têtes de bétail.

Je crois que si un industriel venait demander la prohibition ou une élévation de droits parce que la Hollande importe une centième partie des produits de la production totale du pays, vous diriez que c’est peu de chose.

Les chiffres qui établissent le peu d’importance de l’importation n’ont pas été contestés ; mais qu’y a-t-on répondu ? On a dit que le pays était inondé de bétail hollandais, que c’était une chose notoire. Un autre membre a dit que cela n’avait pas besoin de preuve, que c’était d’une évidence incontestable. C’est une manière de raisonner fort commode.

J’ai beaucoup de confiance dans l’opinion des honorables membres qui se sont exprimés ainsi ; mais je voudrais que quand ils énoncent une opinion, ils l’appuyassent d’autres arguments que : c’est évident ; car si leur opinion est évidente, le chiffre est évident aussi ; et placé entre deux évidences, je ne sais si je ne donnerais pas la préférence à l’évidence des chiffres.

De cela il résulte que si le mal dont on se plaint existe, il ne provient pas du bétail étranger introduit et déclaré ; cela n’est pas niable. Où donc est le mal ? S’il est quelque part, ce ne peut être, comme on l’a dit tout à l’heure, que dans la fraude. Il me semble qu’il n’est pas besoin d’un grand effort d’esprit pour comprendre qu’élever les droits c’est augmenter la fraude. Un honorable député de Turnhout, qui n’est pas ennemi de la loi, vous a dit que si vous preniez des mesures pour prévenir la fraude, cela suffirait. Et n’est-ce pas évidemment une mesure en faveur de la fraude qu’une augmentation de droits !

Je me mets pour un instant dans le système prohibitif ; je suppose que je sois arrivé à la chambre avec le chiffre d’une grande importation déclarée, en concurrence avec l’industrie du pays ; je comprends qu’alors vous puissiez espérer, en augmentant les droits, gêner l’importation. Mais quand l’importation est peu de chose, quand tout le mal est dans la fraude, je ne comprends pas une augmentation de droits. Que résultera-t-il de cette augmentation ? Que la fraude augmentera. En voulez-vous la preuve ? Je la prendrai en France, pays cité comme modèle pour sa sévérité en matière de douanes.

En France, il existe un droit de 50 fr. à l’entrée du bétail ; j’ai sous les yeux le tableau des exportations de la Belgique en France, d’après les données de la douane française, des exportations de la Belgique en France connues à la douane française ; j’y vois qu’en 1833 l’exportation a en lieu en bétail déclaré (malheureusement le nombre n’y est pas) pour une somme de 2,200,000 fr.

L’honorable M. Smits vous a cité hier un document d’ou il résulte que nous avons, dans cette même année, importé en France 111,000 têtes de bétail. J’aurais désiré savoir combien sur ce nombre il y avait de têtes de gros bétail, pour établir un calcul approximatif.

M. Smits. - 6,000.

M. Devaux. - Alors, en suivant le calcul de M. le ministre des finances qui met à 500 fr. le prix moyen du gros bétail, les 6,000 têtes de gros bétail produiraient une somme de 1,800,000 fr. ; il ne resterait donc plus que 400,000 fr. pour les autres têtes de bétail.

En fixant à la somme de 50 fr. le prix moyen des 111,000 têtes de bétail importé en France, vous obtenez une somme de 5,550,000 fr.

Il n’a été déclaré du bétail à la douane française que pour la somme de 2,200,00 fr.

Il en a donc été fraudé pour une somme de 3,350,000 fr.

C’est-à-dire que plus des trois cinquièmes du bétail importé en France ont été introduits en fraude.

Voilà ce qui arrivera quand vous établirez des droits de 50 fr., vous augmentez la fraude dans la même proportion.

Je crois entendre que l’on conteste mes calculs ; soit. Au reste, s’ils ne sont pas exacts, ce n’est pas ma faute ; si l’on nous avait fourni des documents précis, je ne serais pas obligé de prendre des moyennes.

Y a-t-il des mesures à prendre pour empêcher la fraude ? c’est ce qu’il faut examiner.

Quant à moi, je donnerai volontiers mon vote à des mesures raisonnables, mais non pas à des mesures trop vexatoires. Je dis cela, parce que si aujourd’hui il ne s’agit que d’un rayon embrassant seulement le tiers de la frontière, une fois la mesure prise, on voudra l’étendre peu à peu à toutes les industries et à toute la frontière.

Or, quelle est l’étendue de notre frontière ? elle est de 250 lieues sur une profondeur de 2 lieues ; cela fait 500 lieues carrées ; or, 500 lieues carrées cela fait 2 à 3 de nos provinces. J’ai donc raison de dire que si je suis prêt à admettre des mesures raisonnables, je ne veux pas des mesures vexatoires, régissant une étendue de pays égale à 2 ou 3 de nos provinces.

J’ai regretté tout à l’heure que l’on n’ait pas fait connaître tous les faits qui se rapportent à la matière. Je saisis cette occasion d’exprimer le vœu que l’on publie chez nous comme ailleurs le tableau du mouvement de la douane. On a promis une statistique de l’industrie ; je ne sais si elle comprendra ce document. (M. le ministre des finances fait un signe affirmatif.) J’émets le vœu qu’il soit publié annuellement ; car je remarque que ce sont ceux que l’on a traité de théoriciens et de doctrinaires qui demandent des faits et s’appuient sur des faits, tandis que de l’autre côté on n’en produit aucun.

Voyez les inconvénients qui résultent du défaut de renseignements où nous sommes. Dans une première séance vous avez entendu M. le ministre des finances s’appuyant sur des documents incomplets, vous présenter comme importante l’importation du bétail étranger ; et il a suffi à M. Rogier, dans la séance suivante, de répondre aux chiffres cités par M. le ministre des finances par le chiffre de la population du bétail du pays, le chiffre de notre exportation et celui de la consommation de Bruxelles à peu près égale à l’importation de la Hollande, pour faire voir que cette importation était peu de chose. Cela est si vrai que M. le ministre des affaires étrangères qui d’abord, s’appuyant sur les chiffres cités par M. le ministre des finances, avait dit que l’importation était considérable, le lendemain a reconnu, d’accord avec M. Rogier, qu’elle était insignifiante.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Cela n’est pas exact ; je demande la parole.

M. Devaux. - Voilà ce qui résulte de l’absence de documents. Mais voici bien autre chose. Le ministère présente un projet de loi qui est renvoyé à une commission ; cette commission fait un travail et change tout le projet ; elle vous propose de prendre des mesures pour empêcher l’importation sur tout le rayon de la frontière du côté de la Prusse surtout. Et que voyons-nous ? que la commission n’a pas su que nous exportions plus de bétail en Prusse qu’elle ne nous en importe. Ainsi, si par bonheur un membre n’avait pas appris que l’exportation vers la Prusse était plus considérable que l’importation, la proposition de la commission pouvait être adoptée.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je demande la parole.

M. Devaux. - En effet, l’honorable rapporteur a déclaré qu’il ne savait qu’aujourd’hui et d’après ce qu’il avait appris en séance que notre exportation en Prusse était plus considérable que son importation dans notre pays. Ainsi, de ce qu’une commission n’avait pas les éléments nécessaires de travail, il pouvait résulter que nous aurions pris des mesures prohibitives contre un Etat, sans connaître nos relations dans cette matière avec cet Etat. Voilà les conséquences du défaut de documents !

Ces documents auraient eu encore une utilité première ; en effet on vous dit aujourd’hui qu’on croit dans le pays que c’est le bétail étranger qui a abaissé le prix de notre bétail et a gêné le marché intérieur. Si le gouvernement avait publié les faits, s’il avait dit quelle est l’importation et quelle est l’exportation, l’opinion se serait éclairée, on aurait vu que si le fait existait, il résultait de la fraude et non de l’élévation des droits ; alors il n’y aurait pas eu de réclamations contre l’élévation des droits, et si le fait existe, on se serait borné à demander des mesures contre la fraude.

Nous avons vu en France qu’on se plaignait du bas prix des grains ; le bruit général était que cet état de choses provenait de l’importation des grains étrangers. Qu’a fait le ministre français ? a-t-il proposé une loi ? non, il a publié des chiffres, d’où il résultait que l’opinion générale était erronée, et que l’importation était à peu près insignifiante. Je crois qu’il eût été bien aussi avant de présenter une loi, de publier les faits, d’éclairer l’opinion.

La loi actuelle, dans la discussion dont il s’agit surtout, a beaucoup de rapport avec la loi des céréales. C’est aussi mon avis. Dans l’un et l’autre cas l’importation était si faible qu’elle ne pouvait pas nuire. Je pense aussi que le résultat de ces deux lois sera le même.

Un honorable orateur a fait involontairement allusion à ce que j’ai dit dans la discussion des céréales. Dans cette discussion je n’ai pas dit que la loi produirait une hausse dans le prix des grains ; je savais que la quantité des céréales étrangères introduites dans le pays était petite, et que cette importation ne pouvait par conséquent avoir une grande influence sur le prix des grains.

J’ai dit que je croyais que dans les années d’abondance la loi des céréales n’aurait aucun effet, et qu’il faudrait attendre les années de disette pour voir si elle n’aurait pas d’inconvénient. Chose singulière : à l’époque du vote de la loi des céréales, et avant le vote de cette loi, on était mécontent du prix des grains ; Ils étaient, disait-on, à vil prix, par la faute de la législation. Le prix est le même et on en est satisfait. L’honorable M. Smits a donné la preuve qu’à une époque antérieure à la loi le prix des grains était semblable à ce qu’il est maintenant. Ainsi on est satisfait du prix des grains et, il est le même que quand il excitait des plaintes !

Je suis porté à croire que le prix de la viande (à moins que la fraude ne soit considérable, ce que j’ignore) n’augmentera pas par suite de la loi actuelle, parce que la quantité importée constatée est très petite. Sous ce rapport je ne pense pas que la loi ait des résultats aussi funestes qu’on aurait pu le croire. Mais que fera la loi ? Elle fera de la prohibition pour le plaisir d’en faire ; elle fera de la prohibition, au risque d’augmenter la fraude, elle créera des obstacles dans les négociations ultérieures pour l’abaissement du tarif des divers pays ; enfin elle aura privé le trésor d’un revenu de deux cent mille francs. Je sais que s’il devait en résulter un avantage équivalent pour le commerce et l’industrie agricole, nous ne devrions pas regretter cette perte pour le trésor. Mais l’élévation des droits, au lieu d’être avantageuse à l’agriculture, lui sera défavorable en augmentant la fraude.

On a parlé d’un autre résultat possible du projet de loi ; et j’ai vu avec étonnement que l’on cherchait à rejeter la responsabilité de ce résultat sur ceux qui ont combattu la loi. Il semble que si la Hollande usait de représailles envers nous, ce ne seraient pas les auteurs de la loi qui en seraient responsables, mais ceux qui auraient appris à la Hollande une chose bien inconnue sans doute, à savoir que nous lui fournissons des produits. Messieurs, que chacun prenne la responsabilité de ses œuvres, comme cela est loyal et juste. Je ne prédis pas de résultats funestes. Je ne dis pas ce qu’elle fera. Mais si elle adopte une loi semblable à celle dont nous nous occupons, que la responsabilité en retombe sur les auteurs de la loi, et non sur ceux qui ont fait tous leurs efforts pour l’écarter.

M. Dubus. - Je n’avais pas le dessein de prendre la parole sur l’article premier de la loi, mais lorsque j’ai entendu un honorable membre répéter contre la loi l’accusation qu’elle était une loi de haine contre la Hollande, j’ai pensé qu’avant de voter, je me devais à moi-même de motiver mon vote.

Je n’entends pas voter une loi de haine contre la Hollande ; tel n’est pas le caractère de la loi ; et cela n’a pas besoin d’être démontré ; deux ministres ont pris la parole et ont répondu de manière à ne rien laisser à répliquer, Ils ont dit : « La Hollande peut-elle se plaindre, comme d’une loi de haine, d’une loi qui n’est autre que celle qu’elle nous applique à nous-mêmes ! » Je ne comprends pas quelle réplique on peut faire à cela.

Le droit que, dans mon opinion, il y a lieu à établir, est le droit qui existait avant la révolution, droit qui existe encore, et qui frappe encore nos produits lorsqu’ils se présentent pour l’exportation en Hollande. Le tarif est le même, quant au bétail, que ce qu’il était avant la séparation ; ainsi nous ne faisons que revenir au tarif de 1830, comme les Hollandais y sont revenus.

Ceux qui attaquent la mesure proposée la présentent toujours comme changeant le statu quo et augmentant, dans une progression énorme, les droits qui auraient été établis sur le bétail, en connaissance de cause, et après mûre réflexion.

Si la question devait être envisagée sous ce point de vue, je serais opposé à la loi ; car je suis partisan du statu quo en matière de douanes, en tant que le statu quo nous présente la loi de système, et lorsque la loi de système a été votée, après appréciation de tous les intérêts, après que l’on a concilié tous les intérêts qui pouvaient être conciliés, que l’on a fait triompher les intérêts du plus grand nombre là où la conciliation n’était pas possible, enfin que l’on a eu recueilli tous les renseignements, que l’on a fait un appel à toutes les lumières. Mais faisons-nous cette question : quel est le statu quo auquel nous devons attribuer le caractère que je viens de signaler ? Est-ce la loi de circonstance qu’a prise et que devait prendre le gouvernement provisoire en 1830 ? Et n’était-ce pas, au contraire, une loi de circonstance, et qui devait cesser avec les circonstances qui y avaient donné lieu, que celle qui prohibait la sortie des grains ?

Il y a dans les lois de douanes des mesures permanentes mais il y a aussi des mesures temporaires et transitoires : tel est le caractère de la mesure qu’a prise et qu’a dû prendre le gouvernement provisoire ; je dis qu’il a dû la prendre ; car il s’agissait d’assurer nos approvisionnements, en présence des armements de l’Europe et de l’état de troubles de notre pays. Le gouvernement provisoire dut alors prohiber les grains à la sortie, et en même temps diminuer dans une progression très forte les droits à l’entrée des grains.

S’il n’y avait pas eu urgence, le gouvernement provisoire aurait attendu que le pouvoir constituant et législatif fût assemblé. Je crois que la mesure est du commencement de novembre. Quelques jours après, le congrès se réunissait. Le gouvernement provisoire aurait laissé au pouvoir constituant le soin d’introduire ces modifications, si un délai eût été possible. C’était donc une mesure d’urgence, et par conséquent temporaire. Ce n’est pas là un statu quo. On a abusé de l’expression : on a argumenté d’un état de choses provisoire, prolongé, on ne sait pourquoi jusqu’aujourd’hui, comme on le ferait d’un système tout entier de loi qui aurait été discuté et approfondi.

A mon avis, l’arrêté du 7 novembre 1830 tombe avec les circonstances qui lui ont donné naissance. Je ne peux y attacher d’importance dans la question qui nous occupe. J’examine quelle était la loi en vigueur lorsque cet arrêté a été pris. C’était la loi du royaume des Pays-Bas. Cette loi, messieurs, a été le résultat de débats extrêmement animés.

Le pays n’a pas perdu le souvenir du conflit qui s’est élevé dans les deux chambres entre les partisans du haut commerce, partisans en même temps de la liberté illimitée du commerce, et les défenseurs des intérêts du sol et des intérêts de l’industrie du pays. Il aurait été à désirer sans doute que l’on eût pu trouver un moyen de concilier ces graves intérêts qui étaient en opposition. Il paraît que la conciliation n’a pas été trouvée possible.

Ce sont les partisans du haut commerce et de la liberté illimitée du commerce qui l’ont emporté. Les autres ont succombé. Vous n’en douterez pas, quand vous vous rappellerez quel est le caractère de la loi de principe qui a été votée, je crois, en 1821, contre le vote de 51 députes belges sur 55. Encore sur ces 55 députés, deux étaient absents et deux seulement ont voté pour le système hollandais, pour une loi qui posait en principe que le droit protecteur ne pourrait s’élever au maximum qu’à 6 p. c. Et je vous demande ce que qu’un droit protecteur de 6 p. c. et à quoi il se réduit avec la faculté qu’on a et qu’on ne peut empêcher de faire des déclarations inférieures à la valeur véritable ; 6 p. c. était le maximum auquel pouvait s’élever le droit protecteur, mais en même temps la loi admettait la possibilité d’une protection lorsqu’il s’agirait d’un intérêt exigeant nécessairement cette exception,

Eh bien, cette exception, dans les lois d’application, on l’a admise précisément pour le bétail ; car le droit qu’on a établi, qui était de 20 florins par tête de bétail, peut, je crois, être estimé à 14 ou 15 p. c. de la valeur au lieu de 6. C’était donc une exception notable posée dans la loi de principe elle-même.

Ainsi, alors que le système des partisans d’une protection efficace à accorder aux intérêts du sol et de l’industrie du pays a succombé, on a reconnu la nécessité de faire une exception pour protéger l’industrie spéciale dont il s’agit.

On me dira : Mais les partisans du haut commerce étaient principalement des Hollandais, et en cela ils ont voulu protéger un intérêt hollandais. Ce n’est pas une exception, dès que cet intérêt hollandais était en même temps un intérêt belge. Personne ne mettra cela en doute. Je répondrais d’ailleurs à ceux qui nieraient cela. Dans votre système à vous, cette industrie serait plus prospère en Hollande qu’en Belgique ; j’en conclus qu’elle a besoin d’une protection plus efficace en Belgique qu’en Hollande, et je dois attacher plus d’importance au vote qui a réuni l’immense majorité des suffrages et qui a accordé une protection efficace à l’industrie que nous voulons encore protéger aujourd’hui.

Remarquez que ce vote a été émis par tous les députés belges et par la majorité des députés hollandais. Et je crois pouvoir dire que les honorables membres qui ont émis des doctrines de liberté de commerce ne voudraient pas descendre jusqu’au système hollandais, qu’ils n’adopteraient point un système hostile aux intérêts de la Belgique. L’hostilité de ce système a été si vivement sentie par tout le monde qu’il a été un de nos griefs contre le roi Guillaume et une des causes de notre révolution.

Lorsque je remonte à cette loi des Pays-Bas, quand je développe ces considérations, je n’ai plus besoin de répondre aux théories des adversaires de la loi, je n’ai plus besoin même d’apprécier leurs chiffres, car la loi qui avait été faite alors et qui n’avait été votée qu’après avoir longuement approfondi les intérêts belges et hollandais, on peut la considérer et je la considère comme une question jugée ; et je la présente comme telle. Le jugement c’est la loi hollandaise elle-même.

Je dis qu’on ne peut pas ici récuser le juge, parce que le juge était principalement celui qui avait fait triompher le système du haut commerce et avait renversé celui de la protection des intérêts du sol et de l’industrie.

Je suis donc, en me prononçant pour une augmentation du droit qui se paie maintenant par une mesure temporaire et provisoire, je suis, dis-je, partisan du statu quo plus que ceux qui ont attaqué le projet de loi.

Comme partisan du statu quo, j’appellerai l’attention des défenseurs de la loi sur le point de savoir s’il y a nécessité démontrée d’augmenter le droit qui se payait en 1830. Ce droit était de 20 florins par tête de bétail. Y a-t-il nécessité de le porter à 50 francs ?

De tout ce qui a été dit dans la discussion, rien ne m’a paru démontrer qu’il fallût l’augmenter. Ensuite, on prendra des mesures efficaces pour réprimer la fraude, ou on n’en prendra pas. Si on n’en prend pas, la fraude se jouera d’un droit de 50 fr, comme d’un droit de 20 florins. Mais si des mesures efficaces sont prises pour empêcher la fraude, je demanderai si un droit de 20 florins ne suffira pas pour protéger l’industrie du pays.

Quant à moi, je pense que ce droit est suffisant. On a l’air d’avoir pris ce droit de 50 fr. dans le tarif français. L’exemple n’est pas heureux. Ce n’est pas dans le tarif français, mais dans les tarifs faits dans l’intérêt de notre pays que nous devons aller consulter pour fixer les droits que nous voulons établir.

D’ailleurs, quand nous disons à la France qu’elle n’a pas besoin d’un droit aussi élevé que celui de 50 fr. par tête de bétail pour protéger son agriculture, nous ne pouvons aller porter notre droit qui n’est que de 30 francs au taux du tarif français. Ce ne serait pas le moyen de décider la France à baisser son tarif.

Pour faire tant que de changer le tarif qui a été fait pour le pays, il vaudrait mieux alors introduire des modifications dans un autre sens. Je voudrais qu’on changeât le mode de perception, que l’on perçût le droit au poids plutôt qu’à la tête de bétail. Là encore j’apercevrais un intérêt pour la Belgique.

Il me semble que nous aurions un grand intérêt à donner l’exemple de ce changement dans le mode de perception et à provoquer un changement semblable dans les tarifs de nos voisins, parce qu’il me semble que la Hollande trouve déjà en France un avantage notable sur la Belgique, dans l’établissement du droit à la tête de bétail, car le bétail hollandais est d’un plus grand volume et d’un plus fort poids que le nôtre. Il est certain qu’il obtient dans ce mode de perception une prime sur le nôtre, et notamment sur le bétail nombreux qu’on nourrit dans la province du Luxembourg. Si les Français changeaient le mode de perception de leur droit, ils rétabliraient la balance en notre faveur.

L’examen du tarif français, messieurs, a fourni d’autres observations aux honorables membres qui défendent le projet de loi.

J’ai remarqué deux différences notables entre ce tarif et le nôtre, et elles paraissent se justifier en quelque sorte d’elles- mêmes.

D’abord le tarif français n’établit pas le même droit pour les bœufs et les taureaux ; la différence est même très sensible ; car le droit est de 50 francs par bœuf, et de quinze francs par tête de taureau ; la raison en est facile à apercevoir ; c’est le bœuf qu’on engraisse, c’est le bœuf qui est seul viande sur pied. L’importation du taureau est importation de bétail maigre, et par cette considération doit payer moins. Elle doit payer moins par un autre motif ; c’est que ceux qui introduisent des taureaux, ne les introduisent que dans le dessein d’améliorer les races ; et il me semble que notre tarif devrait faciliter ce moyen. Le tarit qui réduit à 15 francs par tête de taureau me semble justifié.

Je trouve encore dans le tarif français que le droit sur les vaches n’est que la moitié du droit sur les bœufs ; cinquante francs sur un bœuf, vingt-cinq francs sur une vache. Je me suis demandé comment il se faisait que nous établissions le même droit sur les uns et sur les autres : nous voulons que notre droit puisse se résoudre, en dernière analyse, en un impôt à la valeur ; mais une vache n’a pas la même valeur qu’un bœuf ; elle sera moins souvent introduite dans le pays pour servir d’aliment qu’elle n’y sera introduite dans le dessein d’améliorer les races ; je crois donc que c’est une erreur que d’établir le même droit et sur les vaches et sur les bœufs.

J’ai recouru au tarif prussien et j’y ai trouvé aussi une différence notable avec ce que l’on propose : on paie cinq thalers par bœuf, trois thalers par vache. Si l’on ne me démontre pas qu’il y ait de bonnes raisons pour établir un même droit sur l’une comme sur l’autre espèce de bétail, je proposerai un amendement tendant à diminuer le droit sur les vaches.

Je terminerai par une seule observation sur un des inconvénients qui ont été signalés comme devant être la conséquence de la loi en discussion : on a dit que nécessairement cette loi amènerait le renchérissement de la viande.

Messieurs, j’ai pris des renseignements à cet égard : il en est résulté que le prix du bétail a beaucoup varié depuis cinq ans ; et que, dans la localité que j’habite, le prix de la viande est cependant resté invariable.

Ce qu’il nous intéresse de savoir, c’est que quand le bétail a été cher, les bouchers ont fait un gain modéré, et quand il a été à bon marché, ils ont fait un bénéfice immense. Le résultat du projet de loi sera peut-être d’amener le renchérissement de la viande. Mais si ce renchérissement suit la proportion de l’augmentation, il sera peu considérable. Car le droit est majoré de 20 francs par tête de bœuf. Or, en supposant qu’un bœuf pèse mille livres (il y en a qui pèsent davantage), l’augmentation sera de 2 centimes par livre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’invite MM. les membres qui auraient des amendements à présenter à vouloir bien les déposer sur le bureau dès à présent, afin qu’ils soient imprimés pour la séance de demain.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.