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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du jeudi 10 décembre 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi relatif à la péréquation cadastrale (essentiellement correction de la
répartition de la contribution foncière, au profit des provinces de Flandre orientale
et de Flandre occidentale) (Eloy de Burdinne, A. Rodenbach)
3) Projet
de loi portant le budget du département de la guerre pour l’exercice 1836
4) Projet
de loi relatif à la péréquation cadastrale (essentiellement correction de la
répartition de la contribution foncière, au profit des provinces de Flandre
orientale et de Flandre occidentale) (d’Huart, de Muelenaere, Donny, de Nef, Heptia, Doignon,
Gendebien)
(Moniteur
belge n°345, du 11 décembre 1835 et Moniteur belge n°346, du 12 décembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur
belge n°345, du 11 décembre 1835) M.
Schaetzen fait l’appel nominal à une heure. Il donne ensuite lecture du
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps donne
connaissance des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Plusieurs fabricants et négociants de
broderies de tulles de Gand renouvellent leur demande d’une diminution des
droits d’entrée sur les toiles écrus. »
________________
« Trois sauniers de Bruxelles demandent la
libre circulation du sel raffiné. »
________________
« Le
sieur Barels propose des modifications à la loi sur
le personnel de la douane. »
________________
« Les
bourgmestres des communes de Lillo, Stabroeck, Beerendrecht et Santvliet
demandent que la chambre s’occupe du projet de loi relatif aux
indemnités. »
________________
« La
régence de Hasselt adresse des observations sur le projet de loi relatif à
l’organisation communale. »
________________
« Les
sieurs Havart, frères distillateurs, adressent les
observations contre la disposition introduite dans le projet de loi des voies
et moyens concernant les distilleries. »
________________
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission
chargée d’en faire le rapport.
PROJET DE LOI RELATIF A
Discussion générale
M. le président. -
La parole est continuée à M. Eloy de
Burdinne.
(Moniteur belge n°346, du 12 décembre 1835) M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je ne doute nullement que vous ne partagiez mon opinion que
la question qui nous occupe a déjà été trop longue. (Adhésion.) Mais, je crois que lorsqu’il s’agit de matières aussi
importantes, nous ne devons pas regretter le temps que nous y consacrons.
Si on devait entrer dans l’examen
détaillé de tous les mémoires, pétitions, ainsi que des opérations du cadastre,
et des moyens employés par les hommes qui ont suivi et opéré les opérations
cadastrales, il est bien certain qu’on pourrait vous parler sans désemparer
pendants 8 jours. (Réclamations.)
Il reste bien des choses à
dire. (Murmures.) D’abord, vous avez
différents mémoires relatifs à la péréquation de 1826. Si on ne les réfute pas,
les hommes qui ont étudié et lu ces mémoires peuvent être exposés à tomber dans
de graves erreurs.
Il est, entre autres, un
mémoire de M. de Warnewyck qui a écrit en faveur de
la péréquation cadastrale. En discutant ce mémoire avec calme, ou parviendrait
aisément à prouver combien peu l’on doit ajouter foi à ce qu’on vous dit,
relativement au résultat des opérations du cadastre dans les Flandres.
En voyant ce qui s’est passé
dans
Si je prenais le mémoire que
j’ai eu l’honneur de vous faire distribuer, et que je voulusse le développer
ultérieurement, (et je crois que selon l’opinion de quelques membres, je
devrais le faire)...
M. A. Rodenbach. - Il ne manquerait plus que cela !
M. Eloy de
Burdinne. - Il est un autre travail qu’il
serait aussi bien important d’examiner : c’est le travail de détail des opérations
cadastrales de 1826, et la comparaison de ce travail avec celui de 1831.
Je ferai observer que le
travail de 1826 est établi d’après les mêmes principes.
Il serait intéressant de voir
si le travail de 1831 donne les mêmes résultats que celui de 1826, puisqu’ils
ont été faits d’après les mêmes documents: si le principe est bon, le résultat
doit être le même
Si cependant le résultat de
l’opération de 1831 ne cadre pas avec l’opération de 1826, c’est la preuve que
le principe est vicieux, et par conséquent qu’il peut entraîner dans l’erreur.
En vue d’abréger autant qu’il
est en mon pouvoir et que mon devoir me le permet la discussion qui nous
occupe, je consens à terminer mes observations dans le cours de cette séance (réclamations) et le plus tôt possible...
(A la bonne heure! Interruption.)
Je prie monsieur le président
de vouloir bien réclamer le silence.
M.
le président. - La parole est continuée à M. Eloy
de Burdinne. J’invite l’assemblée à ne pas l’interrompre.
M. Eloy de
Burdinne. - Je dis que je finirai le plus tôt
possible, moyennant que la chambre consente à ce que je reprenne la parole une
seconde fois, et veuille me promettre de m’écouter. (Bruyantes réclamations dans une partie de l’assemblée.)
Messieurs, cela est
nécessaire; car j’aurai à réfuter les arguments que l’on aura présentés pour me
combattre.
M. A. Rodenbach. - A la question ! à la question!
M. Eloy de
Burdinne. - Je continuerai quand M. A,
Rodenbach aura terminé.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Laissez M. Eloy de Burdinne
finir son discours. (Oui ! oui!)
M. A. Rodenbach. - Il est plus que temps qu’il finisse!
M. le président. - La parole est continuée à M. Eloy de Burdinne.
M. Eloy de
Burdinne. - Si je pouvais croire qu’on ne
m’accordât pas la parole une seconde fois, je continuerais à vous soumettre
différents faits et différents calculs au moins aussi importants que ceux que
j’ai déjà eu l’honneur de vous faire connaître, pour combattre le principe de
l’opération de la ventilation.
J’aborde la question.
Nous en sommes restés hier à
la commune de Hanêche.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. C’est à la fin trop fort.
Il est sans exemple, dans quelque parlement de l’Europe que ce soit, qu’un
orateur ait occupé une assemblée pendant 3 jours. C’est trop abuser de la
parole. Il est de la dignité de la chambre d’exiger qu’on en finisse.
Si on invoque le règlement
pour parler pendant 3 jours, on peut aussi bien l’invoquer pour parler pendant
15 jours. Je proteste contre cet abus en quittant la salle. J’espère que
d’autres députés m’imiteront.
- M. A. Rodenbach quitte la
salle.
M. Eloy de
Burdinne. - C’est ainsi que dans la commune de
Hannut le chiffre imposable du revenu, d’après la ventilation des baux, pour
une contenance de 158 bonniers 67 perches, a dû influencer sur la totalité de
la propriété de cette commune, dont l’étendue est de 636 bonniers et des
perches, de telle manière que le revenu net imposable devrait être porté à
environ 23,000 florins des Pays-Bas.
Mais sûrement par le motif que
l’on a reconnu que les baux étaient exagères, le revenu ne sera porté par l’administration
du cadastre qu’à la somme de 21,500 environ, c’est-à-dire qu’il y aura dans
cette commune une diminution de environ 1,500 florins ou plus de trois mille
francs sur le revenu net destiné à répartir l’impôt foncier. Ces 1,500 florins
ne seront pas perdus, vous allez voir comment :
La commune de Hanêche, dont le territoire comprend trois cent et soixante
bonniers et des perches ; je dis 360 bonniers, 106 bonniers loués et dont
les baux ont été ventilés, a dû et a effectivement produit le résultat suivant
que le revenu imposable d’après l’influence des baux aurait été de environ
florins 6,600. Mais non, il doit être évalué par les agents du cadastre,
d’après ce que j’ai reconnu par leur travail, à la somme de 8,200 ; donc
une augmentation du revenu imposable de 1,500 florins, ou plus de trois mille
francs, ce qui compense la perte que l’on pourrait avoir faite à Hannut qui a
éprouvé une diminution de même somme environ.
La commune de Meffe, dont le territoire est d’une étendue de 878 honniers doit donc donner, par suite de la ventilation des
baux, un revenu imposable de 27,000 florins environ. (Je fais observer que je
néglige les fractions.) Le cadastre n’en portera le revenu qu’à 22,500, de
manière que le chiffre sera réduit de plus de 4,000 florins ou plus de huit
mille francs, donc environ huit mille francs de faveur sur la somme exagérée,
suite du résultat des baux ultra exagérés et que l’administration du cadastre
aurait dû repousser au terme même de l’arrêté de 1826, par le motif qu’ils
devaient être considérés comme suspects.
Elle n’a pas agi de cette
manière, elle n’a rien voulu perdre, elle a trouvé moyen de regagner ce qu’elle
perdait à Meffe sur d’autres communes et elle en a
retrouvé une partie sur la commune d’Avesne, même
canton, qui, si elle avait eu un territoire aussi étendu que la commune de Meffe, aurait rétabli l’équilibre en recevant une
augmentation de plus de 8,000 fr., vu que son territoire n’étant que de 1,268
bonniers elle est appelée à supporter une augmentation de plus de 1,100 florins
(environ deux mille trois cents francs); à décharge de Meffe
d’autres communes supportent le surplus. Je crois devoir faire observer que
dans la commune d’Avenne il existe un bail qui peut
être considéré comme un peu au-dessous de la valeur réalisable mais que cette
modération est plus que compensée par plusieurs baux extra exagérés et que le
cadastre, dans l’application aux terres qu’elle a classées, a réduit le revenu
à près d’un tiers du montant fixé par le bail; elle a dû, par conséquent, être
convaincue que le bail était exagéré, et porté à deux tiers en sus de la
réalité et pour ce motif elle aurait dû le repousser au terme des dispositions
et arrêtés sur le cadastre.
(L’orateur fait grand nombre de comparaisons qui toutes sont en rapport
et donnent le même résultat). Mais, il a abusé, si vous voyez des faveurs
et des défaveurs envers les diverses communes, il en existe également qui
déchargent certains propriétaires et en chargent d’autres par le seul motif que
l’un a loué à un taux raisonnable et qui met le repreneur de vivre de son
salaire; tandis qu’un autre a loué au double plus ou moins de la valeur réelle,
ce qui en résultat a entraîné la ruine des repreneurs, comme je l’ai prouvé en
1827 par des pièces authentiques et qui ont été déposées à la première chambre
des états généraux. C’est ainsi qu’a cessé une ferme de 80 bonniers qui rend
moins de seize cent florins et qui peut être considérée comme louée au-dessus
de la valeur réalisable sera considérée pour établir la contribution foncière
comme si le revenu était de plus de douze mille florins, ou plus de 20 p. c. en
sus de la réalité. C’est-à-dire qu’on surcharge et qu’on punit celui qui loue à
des taux raisonnables, et qu’on favorise celui qui loue à des taux exagérés, de
sorte que la ruine des repreneurs s’ensuit.
En voici assez pour vous
démontrer que ce travail doit porter à l’erreur.
Messieurs, j’entends que
continuellement on s’appuie sur ce que l’opération cadastrale doit être
terminée. On vous dit : « Les opérations cadastrales ont été terminées
dans les cantons et dans les provinces; il faut maintenant faire la péréquation
de province à province. Je ne puis admettre ceci. L’opération cadastrale a été
terminée dans les cantons bien ou mal, on a réclamé dans la grande partie des
assemblées cantonales, on a débattu les classes de terrain, et fait les
comparaisons de commune à commune. Mais cela ne suffit pas; et avant de faire
la péréquation de province à province, il est indispensable de la faire de
canton a canton.
Quant aux opérations des
assemblées cantonales que l’on croit parfaite, je dis qu’elles ont toujours été
faites avec trop de célérité pour donner de garanties ; car
l’administration toujours pressée de terminer, ne manque jamais de demander que
les assemblées cantonales finissent le plus tôt possible. C’est ce que j’ai vu
constamment dans les assemblées cantonales, auxquelles j’ai assisté. Ainsi,
comme j’assistais une fois à une assemblée cantonale, et que j’avais assisté
peu de jours auparavant à l’assemblée d’un autre canton, on me proposa de
conclure sur les opérations cadastrales du second canton, comme j’avais conclu
les opérations du canton précédent. Je vous demande après cela quelle confiance
on doit avoir dans les travaux du cadastre.
Je vais vous donner une idée
de la manière dont on traite les questions dans les assemblées cantonales,
ayant assisté à une assemblée cantonale en 1833.
Les délégués reconnaissant de
l’exagération, ont cherché à en trouver la cause dans le tableau numéro 3 bis
qui est toujours en rapport avec les baux, et nous avons reconnu que les baux
ayant exagéré les revenus pour faire cadrer, les deux opérations les agents du
cadastre avaient premièrement exagéré les produits et réduit les frais de
culture.
L’exagération sur le rapport
des graminées avait été modéré, mais il n’en était pas ainsi sur le rapport du
produit des treffes estimés à 88 fl. chaque hectare,
tandis qu’il vaut au plus 63 fl., taux moyen et année commune. Nous avons
remarqué une exagération semblable sur le rapport des févroles,
mais ce qui nous a frappés, c’est l’opération (frais de culture) et pour
abréger le temps, je ne vous citerai que le chapitre qui a rapport aux labeurs,
au transport des fumiers à la campagne et celui des produits à la grange.
L’administration du cadastre
estime ces fruits à tant pour labourer un bonnier de terre, à tant pour
conduire chaque charretée de fumier et à tant par charretée de grains à la
grange; et cela à un taux très minime, de manière que dans la dépense sur cet
objet, le cadastre est en dessous de la réalité de 300 à 400 francs sur
L’administration du cadastre,
bien certainement, ne voudrait pas faire une entreprise de cultiver, à prix
d’argent, au taux qu’il a fixé ; si, contre toute attente, elle était de cet
avis, il est peu de cultivateurs qui lui refuseraient la préférence, mais elle
ne fera pas semblable spéculation, elle ne trouverait pas si bien son profit
que quand elle ventile ses baux, etc., et bien certainement l’entrepreneur ne
trouverait pas, après huit années de travail au cadastre 160 mille francs de
gratification comme M. l’inspecteur de, Flandres trouve en accessoire sur les
opérations de calculs de ventilation en matière de cadastre. C’est le cas de
dire ici que le cadastre est une mine exploitée par ses agents.
Ne serait-ce pas là le motif
de la ténacité des employés du cadastre à soutenir leurs opérations, la
gratification qui a été retenue jusqu’après l’achèvement ?
Hier, lorsque j’ai demandé des
renseignements à MM. les ministres, sous le rapport de certains calculs,
d’après le tableau de l’exposé des motifs, où m’a fait observer que j’étais
tombé dans l’erreur. Mais les calculs que j’ai présentés, je les dois à un
député des Flandres, grand calculateur. Voici les chiffres. Dans
Dans la province de Liège,
partie la plus fertile, nous estimons qu’une récolte de froment est considérée
comme donnant le produit brut de deux années. Le cadastre fixe le produit brut
d’un hectare de terre de première classe au canton d’Avesne
à 16 hectolitres, de manière que huit hectolitres est le produit brut d’un hectare
de terre, annuellement bien entendu, produit brut.
Il est incontestable que
chaque hectolitre de froment revient au producteur au canton à raison de 12
francs, en d’autres termes que les frais de culture, semence, etc., doivent
être côtés 96 fr. par hectare.
Le cadastre estime que, année
commune et terme moyen l’hectolitre de froment vaut 18 fr., somme ronde.
Huit hectolitres de froment ou
autre denrée représentative au taux de 18 fr., porte une somme de 174 fr.
A déduire les frais de culture
estimés, 96 fr.
Reste en produit net par
hectare, 48 fr.
Je fais remarquer que ce
revenu doit être considéré comme supérieur à la réalité, vu que le cadastre a
enflé le produit brut, et que le prix de 18 fr., année commune, de la rasière,
hectolitre de froment ne peut être appliquée au producteur, vu que les années
où il se vend cher il a une moindre quantité d’hectolitre à vendre qui, quoique
compensés en quantité les années fertiles, ne le sont pas sous le rapport du
produit en argent. Pour le moment adoptons ce chiffre, le cadastre a porté le
revenu à 56 fr. (Mémoire.)
Dans
Adoptant, comme pour la
province de Liége, que la moitié du produit en froment représente une année de
produit brut. Soit, la moitié de 22 est 11, censé le produit d’un hectare de
terre de première classe.
Qui, estimé à 20 fr, taux
moyen, donne en produit brut 220 fr.
A déduire pour frais de
culture, 96 fr.
Reste net en produit, 124 fr.
De manière que l’hectare de
terre produit net, en Flandre, 124 francs, qui, à raison de 10 p. c., paiera un impôt foncier de fr. 12 40 ; Liége, à
raison de fr. 4 80
Je les ai donné ces chiffres
et calculés en petites parties précédemment et, en raccourci, je crois qu’ils
suffisent pour démontrer le ridicule de l’opération. J’ai cité une grande quantité
d’exemples où les baux, ont dû faire enfler le revenu des propriétaires qui
loue à des taux même exagérés par le motif que d’autres ont loué de manière à
ruiner les repreneurs.
Si on désire que je reproduise
ces chiffres, je le ferai avec plaisir, mais je crois que ce que j’ai cité
précédemment, suffit pour se convaincre du ridicule, je dirai plus de
l’injustice du mode suivi pour fixer le revenu des propriétés territoriales,
d’après la ventilation des baux.
Je sais que d’honorables
membres désirent que je termine promptement. Je cesse donc, je regrette
cependant de ne pouvoir continuer la discussion. Je ferai le sacrifice des
observations que j’avais à présenter dans l’espoir d’y revenir.
Mais cependant avant de
terminer je dois signaler ce qui s’est passé récemment dans une commune. Un
bail modéré a été rejeté par les agents du cadastre, sous le prétexte que
c’était une mère qui louait à son fils. Mais ce qu’il y a de plus singulier
c’est qu’un bail exagéré avait été admis, quoique fait entre une mère et son
fils.
Je ne signalerai pas pour le
moment d’autre erreur, dans l’espoir que la chambre me permettra d’y revenir.
PROJET DE LOI PORTANT LE
BUDGET DU DEPARTEMENT DE
(Moniteur
belge n°345, du 11 décembre 1835) M. de Puydt,
rapporteur de la section centrale du budget de la guerre, dépose son
rapport sur le bureau.
- L’assemblée décide qu’il sera imprimé et
distribué à MM. les membres de la chambre, et fixe la discussion de ce rapport
après le vote du projet de loi relatif à la péréquation cadastrale.
PROJET DE LOI RELATIF A
Discussion générale
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Mon intention n’est pas de répondre
actuellement au discours de l’honorable M.
Eloy de Burdinne. Car je me propose de répondre en une seule fois, s’il
est possible, à tous les arguments qui seront mis en avant contre la
péréquation cadastrale. Cependant, comme j’ai déjà relevé une erreur échappée à
l’honorable M. Eloy de Burdinne et qu’il est revenu aujourd’hui sur ce point,
je crois utile pour la discussion de répondre immédiatement à ce qu’il a dit à
cet égard.
L’honorable membre, en avouant qu’il avait fait une
fausse application du tableau n°
Une seule observation fera tomber l’argument présenté
par l’honorable membre. Le sol de la province de Liége est divisé en deux
parties bien distinctes : la première, dans laquelle se trouve le canton qui a
servi de point de comparaison aux raisonnements de l’honorable M. Eloy de
Burdinne, présente un degré de fertilité presque égale à celle de
La comparaison de l’honorable membre cloche en ce
point que les baux ventilés proviennent de la partie fertile de la province de
Liége, parce que c’est presque exclusivement dans celle-là que l’administration
du cadastre a pu s’en faire produire.
Voulez-vous voir combien sont erronés les calculs
de l’honorable préopinant ? Veuillez examiner l’évaluation cadastrale pour
chaque espèce de culture dans chacune des deux provinces dont il s’agit ici :
Dans la province de
Dans la province de Liége, un bonnier de terre
labourable représente un revenu net imposable de 42 fr. 98 c.
Vous voyez combien la différence est forte.
Dans la première, un bonnier de prés représente un
revenu net imposable de 103 fr. 81 c.
Dans la seconde, un bonnier
de prés représente un revenu net imposable de 62 fr. 27 c.
La différence est plus forte encore.
Enfin, dans la première, un bonnier de bois est
évalué à 33 fr. 84 c.
Dans la seconde, un bonnier de bois est évalué à 13
fr. 69 c.
Vous voyez qu’il suffit de suivre le tableau, pour
établir une comparaison entre les moyennes obtenues pour chaque province, et en
faire une application saine et non pas une comparaison telle que celle de
l’honorable préopinant.
Ce peu de mots me paraît devoir détruire les
dernières assertions de l’honorable M.
Eloy de Burdinne.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Mon intention n’est nullement
d’interrompre le tour d’inscriptions des orateurs. Je me bornerai dans ce
moment à soumettre deux ou trois observations générales pour faire apprécier la
mesure des arguments de l’honorable M.
Eloy de Burdinne.
Je ne dirai plus rien sur le tableau dont l’honorable
M. Eloy de Burdinne avait cru dans une séance précédente pouvoir tirer un
argument entièrement victorieux. Il a convenu aujourd’hui lui-même qu’il
s’était trompé. En effet, l’erreur était palpable. Vous venez d’entendre M. le
ministre des finances, il vous a démontré la différence énorme qui existe entre
les évaluations, pour toute nature de culture, du revenu net imposable dans la
province de Liège et dans celle de
Il devait en être naturellement ainsi si, comme
j’aurai l’honneur de le faire remarquer à la chambre, il est vrai que le mode
d’évaluation a dû nécessairement amener le résultat qu’a indiqué l’honorable M.
Eloy de Burdinne.
L’honorable membre, dans une séance précédente,
vous a cité quelques documents. Il en a même donné lecture à la chambre. Sans
doute, ces documents ont aux yeux de l’honorable préopinant une très haute
importance. Cependant ils n’ont pas le caractère que l’honorable membre a voulu
leur assigné. En effet, il ne vous aura pas échappé, messieurs, que ces
documents n’étaient autre chose que des rapports faits sur des pétitions.
Des pétitions avaient été présentées à la première
et à la seconde chambre des états-généraux, sous le gouvernement précédent, par
l’honorable député de Waremme. Des rapports ont été faits sur ces pétitions. Il
vous en a été donné lecture. Ces rapports n’ont donné lieu à aucune discussion.
Les chambres n’en ont pas apprécié le mérite. Le rapporteur lui-même n’a
exprimé ni son opinion personnelle ni celle de la commission.
Il n’y a dans ces rapports que ceci : Le
pétitionnaire avance ... le pétitionnaire cite tel et tel fait … le
pétitionnaire dit telle et telle chose … Il n’y a dans ces rapports aucune
opinion de la commission elle-même. Je crois même qu’il n’y a aucune opinion personnelle
du rapporteur. C’était l’habitude aux chambres des états-généraux de se borner
à exposer succinctement les faits qui se trouvaient consignés dans une pétition
quelconque. Vous voyez donc que les documents dont il s’agit n’ont d’autre
importance que celle que peut leur avoir donnée l’honorable député de Waremme
par l’exactitude des faits qu’il peut avoir consignés dans ses pétitions.
L’honorable député auquel je réponds a constamment
considéré les opérations cadastrales comme tendant vers un but, celui, a-t-il
dit, de procurer au trésor le plus d’avantages possibles. Il a vivement
critiqué les changements qui avaient été introduits dans cette partie de
l’administration en 1826. Le mode adopté à cette époque lui paraît
essentiellement vicieux pour arriver à l’évaluation exacte des propriétés. La
ventilation des baux doit d’après lui conduire et a conduit réellement à une
exagération très grande du revenu net imposable.
S’il s’agissait d’examiner cette question, il
faudrait nécessairement apprécier les faits avancés par l’honorable préopinant,
et, en effet, si le gouvernement ou la section centrale avait proposé à la
chambre de changer le système ; si, soit le gouvernement, soit la section
centrale, vous avait proposé de convertir en impôt de quotité ce qui est
aujourd’hui un impôt de répartition, vous auriez nécessairement à examiner s’il
n’y a pas eu exagération dans le revenu net imposable, puisque le taux de
l’impôt varierait en proportion du revenu imposable.
Mais s’il est vrai que le revenu imposable dans
l’état actuel de notre législation n’est autre chose qu’un terme de proportion
pour répartir l’impôt entre les différentes provinces du royaume, il nous
importe assez peu de savoir si le revenu net imposable a été plus ou moins
exagéré, pourvu que l’on ait suivi le même mode d’évaluation dans toutes les
provinces. (Approbation.)
Or, M. Eloy de Burdinne est convenu à différentes
reprises dans son discours que le vice était dans le mode, dans la ventilation
exclusive des baux, qui n’a pas donné, selon le préopinant, l’évaluation exacte
du revenu net imposable des propriétés.
Eh bien, messieurs, je dis que, pourvu que l’on ait
suivi partout le même mode, que l’on ait procédé d’une manière uniforme, ceci
ne prouve rien contre le mode présenté par le gouvernement, ni par la section
centrale, pour arriver à une meilleure péréquation, à une répartition plus
exacte de l’impôt foncier entre les différentes provinces.
Le vice signalé par l’honorable membre, qui
consiste dans la valeur exagérée que la ventilation des baux a dû donner aux
propriétés, provient de ce fait, que dans cette opération, l’administration du
cadastre n’a dû, en règle générale, avoir recours qu’à des baux authentiques ou
portant une date certaine. En effet, les baux verbaux, sous seing privé, qui
n’ont pas une date certaine, n’étant pas à la disposition de l’administration
du cadastre, elle a été obligée de s’en tenir aux baux des deux premières
catégories, aux baux authentiques et à ceux ayant une date certaine. Il est à
présumer que s’il y a exagération dans les baux, cette exagération se trouve
dans les baux de l’une ou l’autre catégorie. Quand un propriétaire loue une
propriété au-delà de son véritable prix, il est intéressé à prendre ses
précautions contre le locataire, à s’assurer la garantie qu’il sera payé. C’est
pour cela que de pareils baux, chaque fois qu’ils sont exagérés sont
authentiques. Il n’y a que les baux authentiques qui offrent les garanties
désirables pour le paiement du fermage en cas de contestation.
C’est parce que dans la plupart des cantons
l’administration du cadastre a été obligée de consulter exclusivement des baux
authentiques ou ayant une date certaine qu’il peut y avoir de l’exagération
dans l’évaluation du revenu net imposable. Partout où les baux n’ayant pas de
date certaine ou sous seing privé auront été en plus grand nombre, le revenu
net imposable approchera de sa valeur véritable, parce qu’il y a moins
d’exagération dans ces baux que dans les autres. Si cela est vrai, il faut que
cette opération ait tourné exclusivement au profit de la province de Liége.
Dans cette province, les baux sous seing privé,
n’ayant pas de date certaine, les baux non authentiques, censés par conséquent
les plus faibles, sont entrés dans l’évaluation des baux de cette province pour
40 centièmes, c’est-à-dire, pour à peu près la moitié, fait dont vous pouvez
vous convaincre en consultant la note annexée au tableau n°1.
Si la ventilation de tous les baux et surtout des baux
n’ayant pas de date certaine a dû avoir une certaine influence sur le revenu
net imposable, il faut que cette évaluation ait tourné au profit de la province
de Liége. Dans d’autres provinces, le nombre des baux non authentiques qui sont
entrés dans la ventilation, n’est quelquefois que d’un huitième.
Je ne pense pas que la ventilation des baux ait pu
avoir un résultat très fâcheux pour les opérations du cadastre, car on ne s’est
pas borné uniquement à la ventilation des baux. On ne les a pas ventilés indistinctement.
C’est ce que la chambre aura pu remarquer par les observations de l’honorable
M. Eloy de Burdinne lui-même.
L’honorable membre se plaint (et il vous a cité des
tableaux à l’appui de ses réclamations) de ce que dans certaines circonstances
l’administration du cadastre avait diminué certains baux, tandis qu’elle en
avait augmenté d’autres.
Il n’y avait qu’un seul moyen d’arriver à un
résultat plus on moins positif, c’était d’écarter dans la ventilation toute
exagération en plus ou en moins. C’est ce qu’a fait l’administration du
cadastre. Partout où elle a aperçu, de notoriété publique, une exagération en
plus ou en moins dans les baux, elle a dû prendre ces exagérations en
considération, elle les a fait disparaître de l’évaluation générale.
C’est ainsi que je crois que l’on est arrivé (et
l’on examinera si l’on veut bien se donner la peine de parcourir les pièces
communiquées à la section centrale et qui sont déposées à la disposition des
membres de la chambre au ministère des finances) que l’on est arrivé dans la
répartition de province à province, à un degré de perfection tel qu’il sera
difficile de le dépasser.
Il y a sans doute, messieurs, des erreurs locales,
c’est une chose incontestable. Il est impossible qu’il n’y en ait pas ; mais
elle ne sera pas de nature à pouvoir exercer une influence marquée sur les
résultats généraux du cadastre. Elles sont minimes et il est impossible que
l’opération générale en éprouve la moindre atteinte.
C’est le travail général
seul que la chambre a à examiner en ce moment. Sans doute cette question est de
la plus haute importance. Des provinces seront dégrevées ; d’autres doivent
être grevées. Sans doute il ne faut pas procéder légèrement dans ces
modifications.
Il faut méditer mûrement, bien peser les choses ;
mais je suis convaincu que ceux qui voudront examiner en détail les opérations
partageront mon opinion qu’il y a eu bonne foi de la part de l’administration
du cadastre, que son travail est aussi complet en ce moment qu’il est permis de
l’espérer.
Dans la suite de la discussion surtout, quand le
discours de l’honorable M. Eloy aura été imprimé, je demanderai la permission
de relever des erreurs qui lui sont échappées et dont je n’ai pu prendre note
d’une manière assez exacte parce qu’il s’agissait de chiffres.
M. Donny. - Il
règne, selon moi, une certaine confusion dans le projet du gouvernement, et je
ne serais pas du tout étonné si ce projet tel qu’il nous est soumis n’exprimait
pas avec toute l’exactitude possible les véritables intentions du gouvernement.
Quoi qu’il en soit, voici ce que l’analyse de ce
projet m’y a fait trouver :
Il renferme en premier lieu le vote d’une somme de
15,879,327 francs comme impôt foncier pour 1836, et de
plus la répartition de cet impôt entre les différentes provinces du royaume.
Il renferme en second lieu le vote d’un impôt
foncier de pareille somme pour 1837, et de plus la répartition de cet impôt,
répartition faite d’une manière différente que pour 1836.
Il renferme enfin le vote d’un impôt foncier de
pareille somme encore pour 1838, et la répartition de cette somme d’une manière
différente que pour 1836 et 1837, mais d’une manière qui est destinée dans
l’intention du gouvernement à servir de base pour les répartitions futures de
l’impôt foncier.
J’attache pour ma part peu d’importance aux
dispositions relatives à 1837 et 1838, etc. Voici pourquoi : Le vote d’une
somme déterminée d’au-delà 15 millions comme impôt foncier pour 1837 et 1838 me
paraît n’avoir aucune force obligatoire, attendu que l’art. 111 de la
constitution défend de voter l’impôt pour plus d’une année. Si donc
aujourd’hui, à la fin de 1835, vous votez un impôt de 15 millions à percevoir
en 1837 et 1838, ou si vous ne votez pas cet impôt, c’est la même chose, et je
le répète, je n’y attache aucune importance.
Quant à la répartition de l’impôt pour 1837 et
1838, celle proposée pour 1837 me paraît inutile. Elle l’est au moins dans le
système que j’aurai l’honneur de développer tout à l’heure ; elle l’est dans le
système de la section centrale, elle l’est encore dans celui de quelques
adversaires du projet.
La répartition pour 1838 me paraît à moi tout aussi
inutile ou à peu près que celle de 1837, attendu, messieurs, qu’il vous est
moralement impossible de donner dès à présent à cette répartition pour 1838 une
immuabilité suffisante. Et en effet, si d’ici à 1838 l’on venait vous prouver
d’une manière évidente qu’il y a dans le résultat du cadastre des erreurs
notables, et que par suite de ces erreurs votre répartition arrêtée aujourd’hui
pour 1838 renferme des injustices, force vous serait, malgré votre vote
d’aujourd’hui, de réparer cette injustice, de défaire une partie de ce que vous
auriez fait et de changer votre répartition.
Quoi qu’il en soit, je ne m’occuperai que de ce qui
concerne l’exercice 1836, laissant à la chambre à décider si elle veut voter ou
ne pas voter des dispositions pour les années subséquentes.
Pour 1836, le gouvernement vous propose de voter un
impôt de 14,079,522 francs réparti entre les sept
provinces cadastrées. Il propose de plus de voter un impôt de 1,799,805 francs réparti entre les autres provinces. Il dit
que l’un et l’autre impôt sont une contribution foncière. Il me semble que tout
au moins l’impôt de 14 millions ne mérite pas le nom de contribution foncière,
du moins dans sa globalité ; et je vais justifier mon opinion à cet égard, en
vous rappelant quels sont les véritables caractères de la contribution foncière
et en démontrant que l’impôt de 14 millions ne réunit pas ces caractères.
La contribution foncière a été établie pour la
première fois par un décret de l’assemblée constituante du 1er décembre 1790.
Voici comment est conçu l’article premier de ce décret :
« Il sera établi, à compter du 1er janvier
1791, une contribution foncière qui sera répartie par égalité proportionnelle
sur toutes les propriétés foncières, à raison de leur revenu net, sans autres
exceptions que celles déterminées ci-après pour les intérêts de
l’agriculture. »
A la suite de ce décret, l’assemblée constituante a
arrêté une instruction officielle, destinée à servir de commentaire à sa loi.
Elle explique dans cette instruction, d’une manière plus précise encore, les
caractères de son nouvel impôt. Voici un passage remarquable de cet acte :
« L’égalité proportionnelle dans la répartition est un principe
fondamental en matière de contributions, et ce principe peut recevoir une
application exacte sans la contribution foncière, parce que les revenus sur
lesquels elle porte, sont susceptibles d’une évaluation précise, puisque ce
sont ceux de fonds connus, et que la publicité des opérations pour son assiette
permet à tous les contribuables de les surveiller. La contribution foncière a
aussi pour un de ses principaux caractères d’être absolument indépendante des
facultés du propriétaire qui la paie ; elle a sa base sur les propriétés
foncières, et se répartit à raison du revenu net de ces propriétés. On pourrait
donc dire avec justesse que c’est la propriété qui seule est chargée de la
contribution, et que le propriétaire n’est qu’un agent qui l’acquitte pour elle
avec une portion des fruits qu’elle donne. Si donc deux arpents donnent à leur
propriétaire un revenu égal, la cotisation des deux arpents doit être la même ;
mais si l’un, par exemple, donne un revenu de
Vous voyez, d’après cela, que pour qu’il y ait
contribution foncière, il faut que l’impôt demande à chaque contribuable une
portion égale de ses revenus fonciers.
Or, dans le projet qui nous occupe, on demande à
chacune des sept provinces cadastrées de fournir pour 1836 une portion inégale
de ses revenus. L’impôt que ce projet établit, n’est donc pas, pour sa totalité
du moins, une véritable contribution foncière.
Des voix. - Comment cela ! comment cela !
M. Donny. - Je répète
que l’impôt de 14 millions, tel qu’il est proposé et réparti par le
gouvernement, demande pour 1836 à chacune des sept provinces cadastrées une
portion différente de ses revenus. Si ce point était contesté il me suffirait,
pour le prouver, de m’appuyer sur un tableau donné par le ministre lui-même et
portant le n°5 des pièces déposées par lui dans la séance du 5 de ce mois. Dans
ce tableau le ministre indique la chiffre précis du contingent que chaque
province devra fournir en 1836, et ces contingents comparés aux revenus
imposables donnent pour résultat que les sept provinces cadastrées sont
appelées à fournir respectivement les quotités suffisantes de leurs revenus :
la province d’Anvers est appelée à payer 106 millièmes de ses revenus ;
A bien voir les choses, cet impôt de 14 millions
pour 1836, car c’est toujours de 1836 que je parle, l’impôt de 14 millions,
dis-je, est un impôt complexe. Il comprend jusqu’à concurrence d’une certaine
somme une véritable contribution foncière et pour le restant, c’est un impôt
arbitraire qui frappe d’une manière inégale et par conséquent injuste les
revenus fonciers de quelques-uns seulement des habitants de
Messieurs, puisqu’il est de l’essence de la
contribution foncière que la portion du revenu payée par une propriété ou par
une province détermine la portion du revenu à fournir par toutes les autres,
pour trouver jusqu’à concurrence de quelle somme il y a réellement contribution
foncière dans l’impôt de 14 millions, il faut chercher quelle est la province
la moins imposée par le projet et quelle est la portion du revenu que cette
province est appelée à payer, et il faut ensuite calculer la contribution
foncière tout entière dans la même proportion.
La province la moins imposée est le Hainaut. La
portion de revenu que le Hainaut est appelé à fournir est un peu plus des 82
millièmes, un peu plus de 82 millièmes des revenus imposables. Voilà donc, pour
1836, le prix de la véritable contribution foncière. Quand on applique ce taux
au revenu imposable des sept provinces cadastrées, on arrive à la somme du 11
millions 750,682 fr., qui est le montant de la véritable contribution foncière.
Si maintenant on déduit cette somme des 14,079,522 fr.
que demande le ministère, il restera 2,348,840 fr. pour le montant de l’impôt
arbitraire contenu dans ces 14 millions.
Voulez-vous savoir maintenant comment cet impôt
arbitraire est réparti par le projet ? Le Hainaut ne paiera rien ; la province
de Liège paiera un peu moins de deux millièmes de son revenu ! la province de Namur paiera cinq millièmes et demi ; le
Brabant paiera huit millièmes ; Anvers paiera au-delà de 31 millièmes ;
Je pourrais vous citer le chiffre précis du
contingent que chacune des sept provinces aura à supporter dans la contribution
foncière proprement dite et dans l’impôt arbitraire que le gouvernement y a
ajouté. Je pourrais aussi citer le chiffre de ces contingents calculés
conformément à la proposition de la section centrale ; mais ce serait prolonger
inutilement mon discours. J’ai rédigé les résultats de mes calculs en forme de
tableaux ; je suis prêt à les communiquer à ceux de mes honorables collègues
qui désireraient les examiner. Je suis convaincu que vérification faite, mes
calculs seront trouvés parfaitement exacts.
Messieurs, si les choses existent en réalité comme
je viens de les présenter, et je n’ai pas le moindre doute à cet égard, vous
conviendrez qu’il est impossible de laisser dans le projet de loi quelque chose
d’aussi révoltant qu’une contribution arbitraire qui frappe d’une manière
inégale les revenus de quelques-uns seulement des habitants.
Il faut que cette contribution arbitraire
disparaisse, et pour la faire disparaître il n’y a que deux partis à prendre.
Il faut ou bien que le gouvernement consente à diminuer son chiffre et à le
réduire jusqu’à la somme de 11,730,682 fr., montant de la véritable
contribution foncière, ou bien il faut conserver le chiffre de 14 millions,
mais en lui donnant le caractère d’une véritable contribution foncière, en le
répartissant d’une manière égale sur tous les revenus fonciers des sept
provinces en faisant verser à chacune d’elles un peu plus de 98 millièmes de
ses revenus, de la même manière en un mot que le ministre le propose pour 1838.
Je pense que c’est le dernier de ces deux partis
qu’il faut adopter, et qu’il faut répartir toute la contribution de 14 millions
en 1836, conformément aux travaux du cadastre. Dans cette vue, je déposerai un
amendement à l’art. 1er. Cet amendement sera très simple, car il se bornera à
demander l’insertion dans cet article des mots « pour 1836. »
Je dois m’attendre à des observations de la part
des partisans du projet et de la part de ses adversaires.
Les partisans du projet me feront sans doute
remarquer, comme on l’a déjà fait en quelques occasions, que comparativement à
la répartition qui existe depuis 40 ans, ce qu’on propose de faire pour 1836
est plutôt de la justice que de l’injustice ; que c’est tout au moins un
premier pas de fait vers la justice. Je répondrai que lorsqu’on fait tant de
comparer ce qui s’est passé depuis 40 ans avec ce qu’on veut introduire pour
1836, on devrait trouver dans cette comparaison un motif péremptoire, non pas
pour différer encore le rétablissement de l’équilibre parfait, mais plutôt pour
faire cesser immédiatement et intégralement une surtaxe qui a déjà fait payer à
trois de nos provinces des sommes énormes, des sommes que ces provinces
n’auraient pas payées, si elles avaient eu le bonheur d’être imposées dans la
même proportion que les autres.
Je dis le bonheur, et c’est bien le véritable mot.
Vous allez en juger.
J’ai fait un relevé de ce que les sept provinces
cadastrées ont payé en principal et additionnels, à titre d’impôt foncier,
depuis l’an V de la république française. J’ai calculé ensuite la somme que les
trois provinces surtaxées auraient payée, si elles avaient été imposées dans la
même proportion que les quatre autres. J’ai pris toutes les précautions imaginables,
pour que mon résultat final fût plutôt inférieur que supérieur à la vérité. Eh
bien, malgré toutes les précautions, je suis arrivé à ce résultat énorme, que
si les trois provinces surtaxées n’avaient été imposées que dans la proportion
des quatre autres, elles auraient payé de moins qu’elles ne l’ont fait, une
somme de 141,095,821 fr.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Avec les intérêts ?
M. Donny. - Non,
non, sans intérêts, je tiens en mains le tableau qui présente année par année
le montant des impositions payées tant en principal qu’en centimes
additionnels. Pour en rendre la vérification facile, à côté de chaque année
j’ai indiqué les dispositions législatives qui ont ordonné la perception des
impôts. Je suis prêt à communiquer ce travail aux honorables membres qui
voudront en prendre connaissance. Ils pourront s’assurer que le chiffre de mon
résultat final est exact.
141 millions ! … c’est à peu de chose près le
montant d’une année entière de tous les revenus imposables des sept provinces
cadastrées. C’est dix fois l’impôt entier de 14 millions, c’est vingt-trois
fois la juste part que devraient supporter les provinces surtaxées dans cet
impôt de 14 millions.
M. le ministre des finances a cru que dans cette
somme de 141 millions j’avais compris des intérêts. Mais non, je vais seulement
en tenir compte à présent. Cette somme de 141 millions n’a pas été versée hier.
Elle l’a été depuis 40 ans, mais en paiements successifs d’au-delà de trois
millions et demi par an. Si ces sommes annuelles n’avaient pas été payées et
qu’elles fussent restées dans les mains d’une population aussi active, aussi
industrielle et commerciale que celle des Flandres et d’Anvers, ces sommes
auraient produit des bénéfices assez considérables. Mais qu’on mette les choses
au plus bas qu’on évalue les produits à 5 p. c. par an seulement et qu’on fasse
le calcul du total des versements et des produits qu’ils auraient donnés, l’on
arrivera à ce résultat que si les Flandres et la province d’Anvers n’avaient
été imposées que comme les quatre autres provinces, elles seraient aujourd’hui
plus riches de plus de 400 millions de francs.
Et puisque les revenus des trois provinces sont à
ceux des quatre dans le rapport de 4 à 5, l’on trouvera également que si les
quatre provinces ménagées avaient payé dans la même proportion que les trois,
elles seraient aujourd’hui plus pauvres d’un demi-milliard de francs. Ces
résultats, je le répète, sont plutôt au-dessous de la vérité qu’au-dessus.
Les partisans du projet me feront encore une autre
observation, et déjà le ministre des finances vous l’a présenté dans une séance
précédente. L’on me dira : Il serait peu prudent d’introduire immédiatement la
péréquation générale entre les provinces. Cette mesure, introduite en une seule
fois, mettrait un grand nombre de contribuables dans l’impossibilité
d’acquitter leurs cotes, ou du moins les mettrait dans de grands embarras.
C’est pour éviter cet inconvénient que l’on a proposé une introduction graduelle
de la péréquation cadastrale.
Mais pourquoi le gouvernement reculerait-il
aujourd’hui devant un inconvénient de cette nature, lui qui n’a pas craint
l’année dernière de prendre une mesure d’une importance beaucoup plus grande
que celle qu’on discute aujourd’hui, je veux parler de la péréquation de canton
à canton, péréquation qui a bouleversé toutes les cotes foncières du royaume,
les a portées dans quelques localités au double et même au triple de ce
qu’elles étaient auparavant.
Et, soit dit en passant, cette mesure-là renfermait
une véritable injustice ; non pas que la péréquation cantonale fût injuste en
elle-même, mais il y avait justice, après l’achèvement du cadastre, à
introduire la péréquation par canton, sans la faire marcher de front avec la
péréquation de province à province.
Je reviens à l’objet en discussion.
Si le ministre voulait porter remède d’une manière
rationnelle à l’inconvénient qu’il signale, il aurait dû proposer des mesures
pour accorder des dégrèvements à ceux des contribuables qui pouvaient
réellement en avoir besoin, et il aurait dû combiner ces mesures de manière que
le fardeau du dégrèvement pesât sur la nation entière.
Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? Au lieu de
proposer un dégrèvement pour ceux qui en auront besoin, le gouvernement propose
un dégrèvement général pour quatre des sept provinces cadastrées, un
dégrèvement qui profite aux plus riches contribuables comme aux plus pauvres.
Au lieu de faire peser le fardeau du dégrèvement sur la nation entière, il
propose de le jeter sur trois provinces seulement, et sur quelles provinces ?
Sur celles qui depuis quarante ans sont victimes d’une surtaxe révoltante. Pour
ma part, il m’est impossible de ne pas voir une injustice dans une semblable
manière de procéder.
Il me reste à jeter un coup d’œil sur une
observation qui me viendra probablement de la part des adversaires du projet.
Ils me diront : votre amendement et les calculs sur lesquels vous
l’appuyez sont tous fondés sur la supposition qu’il y a entre les revenus des
trois provinces et les revenus des quatre, un rapport de 4 à 5.
Cette proportion, vous la tirez des résultats du
cadastre ; mais nous ne pouvons admettre ces résultats, car nous contestons et
la légalité et l’exécution des opérations cadastrales.
Je ne traiterai pas la question de légalité, ce
serait prolonger mon discours outre mesure. Je me contenterai de dire quelques
mots sur le reproche d’inexactitude qu’on fait au cadastre.
Dans l’évaluation et dans l’arpentage de quelques
millions de parcelles, il est impossible qu’il ne se soit pas glissé des
erreurs ; mais il est impossible ainsi que toutes ces erreurs aient été
commises dans le même sens. S’il y a des erreurs qui ont exagéré les véritables
revenus des quatre provinces et déprécié les revenus des trois, il doit y avoir
d’un autre côté des erreurs qui ont exagéré les revenus des trois provinces et
déprécié ceux des quatre ; entre toutes ces erreurs, il doit y avoir
compensation jusqu’à un certain point, et l’erreur finale qui doit rester après
cette compensation doit être fort peu de chose.
Je serais fort étonné si l’erreur finale pouvait
s’élever à un pour cent. Mais supposons l’impossible, admettons une hypothèse
qui soit absurde, disons que compensation faite des erreurs commises en sens
contraire, il reste encore une erreur finale telle que les revenus des quatre
provinces ménagées se trouvent enflés dans les calculs du cadastre jusqu’à
concurrence de 10 p. c. et que les revenus des Flandres et de la province
d’Anvers restent tels qu’on les a déterminés. Dans cette hypothèse, qui est
réellement absurde, voici ce qui arriverait : les sommes que les trois
provinces auraient payées en trop comparativement aux quatre, ne s’élèveraient
plus à 141 millions, mais elles encore à un chiffre d’au-delà de 100 millions ;
l’appauvrissement relatif des trois provinces ne s’élèverait plus à 400
millions, mais dépasserait encore 300 millions.
Le contingent que mon
amendement impose aux quatre provinces pour 1836 et qui s’élève à 7,841,284, contiendrait une surtaxe de 387,420 fr. Mais je
vous le demande, messieurs ; qu’est-ce qu’une surtaxe éventuelle, impossible
même, de 3 à 400 mille francs en comparaison d’une surtaxe réellement payée en
numéraire de plus de cent millions, en comparaison d’un appauvrissement
d’au-delà de trois cent millions. Il serait puérile, me semble-t-il, de
comparer entre elles des quantités aussi disparates.
Je bornerai là ce que j’ai à dire sur la loi, me
réservant de répondre aux objections que je n’aurais pas prévues.
M. de Nef. - La
légèreté avec laquelle s’est opérée, dans l’origine, la répartition des
contributions foncières, n’a sans doute pas peu contribué à l’iniquité qui
existe non seulement entre les provinces, mais aussi entre les communes d’une
même province.
Cette criante injustice a subsisté pendant environ
trente-cinq années. C’était au point que des propriétaires en faisaient un
objet de spéculation, en faisant de préférence des acquisitions dans les
communes où la contribution foncière était quelquefois inférieure de moitié à
celle établie dans la commune qui était le lieu de leur résidence.
Le gouvernement, frappé de cet abus réellement
révoltant, s’empressa d’employer les moyens propres à le faire cesser ; des
employés cadastraux, capables et versés dans la partie, furent chargés de faire
à cet égard l’examen le plus approfondi et les investigations les plus
scrupuleuses ; le résultat de leurs travaux a été de constater enfin d’une
manière certaine et incontestable que l’énorme inégalité signalée par
l’expérience des propriétaires n’était que trop réelle.
J’ai dit que cette inégalité existe non seulement
de province à province, mais aussi entre les communes d’une même province, et
c’est ainsi que dans la province d’Anvers, les propriétaires de telle commune
payaient 23 1/2 pour cent de leur revenu, tandis que les propriétaires de telle
autre commune n’en payaient que 7 1/16 pour cent ; et ici je dois dire que
c’est surtout le district de Turnhout qui a été victime de la surtaxe, ainsi
qu’il est prouvé à l’évidence par le simple rapprochement des chiffres. Depuis
le premier janvier dernier, époque où la péréquation de commune à commune a été
légalement introduite dans la province d’Anvers, ce district paie en moins pour
l’année 1835 une somme de 70,917 francs 93 centimes pour droit principal, ce
qui, seulement pour trente ans, fait la somme exorbitante de 2,127,537 francs
90 centimes payée en trop par le district. Il n’y a dans tout le district que
quatre communes qui, principalement à cause de nouvelles constructions, paient
plus depuis cette même époque ; mais cela ne monte ensemble qu’à la somme de
3,236 francs 26 centimes, et je dois faire observer que je l’ai même déduite
des sommes payées en plus, dont le total serait sans cela de 74,154 francs 14
centimes. Ces calculs portent sur le district en général, mais ils sont encore
bien plus étonnants lorsqu’on les fait pour telle commune déterminée ; et l’on
croira à peine que la commune de Desschel, par
exemple, qui était imposée pour 1834 à 6,323 francs, ne paie plus en 1835 que
3,555 francs 76 centimes, environ la moitié,
Quoi qu’il en soit, il n’est plus personne
aujourd’hui qui révoque encore en doute la réalité de cette injustice, et si
j’ai appelé l’attention de la chambre sur ces calculs, ce n’est pas pour lui
donner une conviction qu’elle a déjà, mais seulement pour la décider à ne pas
différer d’un seul instant la cessation complète de cette iniquité au moyen de
la péréquation de province à province.
Lorsqu’il s’agit d’une
réparation que l’équité réclame, il y a urgence véritable, et en conséquence je
ne saurais partager ni l’opinion du ministère qui propose d’introduire cette
péréquation en 3 ans, ni de celle de la section centrale qui propose un terme
de deux ans ; mais je pense que la péréquation totale des 7 provinces doit et
peut être effectuée en 1836.
Qu’on ne dise pas que l’introduction graduelle sera
moins sensible, car chaque propriétaire qui sera dans le cas de devoir payer
davantage, devra encore s’estimer fort heureux d’avoir été en partie dégrevé
pendant près de quarante ans au préjudice de ceux qui étaient surtaxés, et de
n’être tenus de ce chef à aucune indemnité on restitution. Je connais et je
pourrais au besoin vous citer tel grand propriétaire de la province d’Anvers,
qui disait ouvertement : « J’aurais grand tort de me plaindre, quand je
songe que moi, qui n’ai jamais payé que 7 1/16 p. c.,
je ne dois faire aucune réparation en faveur de ceux qui, pendant près de 40
ans, ont payé 25 1/2 pour cent.
M. Heptia. -
Messieurs, c’est presque à regret que je viens aujourd’hui prendre pour la
première fois la parole dans cette enceinte. Je comprends tout ce qu’il y a de
pénible de venir combattre un projet de loi que tous nous voudrions pouvoir
adopter, s’il nous était démontré qu’il est basé sur des principes de justice.
Je comprends surtout qu’il est infiniment pénible
de venir combattre un semblable projet, alors qu’une grande partie de cette
assemblée semble en désirer vivement l’adoption. J’aurais peut-être renoncé à
ce projet, messieurs, si je n’avais eu la conviction que tous les honorables
membres de cette chambre n’ont d’autre désir que de rendre justice pleine et
entière à tout le monde… et cela malgré l’intérêt de clocher, ainsi qu’on est
convenu de l’appeler, et même malgré les passions et les préjugés que chacun de
nous apporte ici de sa localité, passions dont nous voudrions certes tous nous
affranchir, mais qu’il ne nous est pas toujours possible de dépouiller.
C’est donc parce que je me crois sûr de la justice
de la chambre que je me hasarde de l’entretenir de la question grave du
cadastre.
Ce n’est pas pour qu’on refuse justice à ceux qui
sont surchargés que je m’élève contre la loi qui est proposée.... Je déclare
que je donnerai de grand cœur mon assentiment à toute proposition qui tendra à
corriger les abus et les injustices qui existent dans la répartition de la
contribution foncière, pourvu que les moyens qu’on nous proposera ne doivent
pas avoir pour résultat de consacrer de nouvelles injustices dont nous ne
pourrions pas même espérer de voir la fin... L’exemple, que nous avons sous les
yeux, des Flandres qui se plaignent depuis si longtemps, sans avoir pu obtenir
le redressement de leurs griefs, et sans même qu’il ait pu être constaté d’une
manière sûre quelle était la quotité de leur surcharge, doit nous mettre en
garde, et nous avertir que nous devons procéder avec maturité et prudence,
quand nous sommes appelés à fixer définitivement l’assiette de la contribution
foncière.
La question du cadastre, messieurs, est trop ardue,
est trop vaste pour que j’aie la prétention de la traiter comme elle le
mériterait. Mais ce sentiment même m’a fait penser que c’était pour chacun de
nous un devoir sacré de contribuer autant qu’il le peut à l’éclaircissement
d’un point aussi difficultueux,
Je tâcherai, messieurs, dans l’examen auquel je
vais me livrer, de dépouiller la discussion de tout intérêt de localité. Je
tâcherai d’y apporter toute l’impartialité dont je suis capable. Les honorables
membres de cette chambre ne manqueront pas, j’en ai la certitude, de se
pénétrer des mêmes sentiments, soit pour présenter, soit pour peser les
arguments favorables ou contraires au projet de loi soumis en ce moment à votre
examen.
Vous savez, messieurs, que le principe, la base du
projet de loi qui nous est soumis, c’est le cadastre. Chacun de nous sait que
cette loi ne peut être bonne, ne peut être juste qu’autant que les opérations
cadastrales qui lui servent de base, ne soient elles-mêmes exemples d’erreurs
et d’injustices qui en sont la suite, et tout au moins d’injustices telles que
nous puissions raisonnablement supposer que ce travail important a atteint le
degré de perfection qu’il est donné à la puissance humaine d’y apporter.
C’est sous ce point de vue que je vais avoir
l’honneur de soumettre mes réflexions à la chambre.
Je mettrai pour le moment de côté la question de la
légalité des opérations cadastrales ; d’autres orateurs se chargeront
probablement de traiter la question sous ce rapport ; je me réserve toutefois
d’y revenir si j’étais trompé dans cette attente.
Vous savez, messieurs, combien de critiques les
opérations du cadastre, telles qu’elles sont aujourd’hui, ont essuyé quant à
leur légalité. A mon avis, ces critiques sont fondées : il n’était pas libre au
gouvernement de remplacer des lois par des arrêtés, et légalement nous
pourrions exiger d’être traités conformément à la loi, et nous pourrions
repousser toute les opérations qui sont le fruit d’un régime extralégal.
Mais, messieurs, peut-être trouverions-nous dans
cette enceinte des personnes qui ne voudraient pas repousser le cadastre par le
seul motif qu’il serait illégal, si d’ailleurs il était équitable et s’il
devait avoir pour effet de réparer les injustices dont on se plaint depuis si
longtemps. Peut-être, dans l’esprit d’un grand nombre, l’utilité et la justice
devrait-elle l’emporter sur la légalité, et peut-être serais-je le premier de
cet avis.
Je ne m’oppose donc à la mesure qui nous est
proposée que parce que je n’ai pas tous les apaisements que je puis désirer...
Je tâcherai de démontrer à la chambre que les
opérations cadastrales qu’on nous propose de sanctionner fourmillent d’erreurs,
et de données fausses, qui ne tendent qu’a faire remplacer par de nouvelles
injustices celles que nous désirions corriger ; et bientôt, j’espère, la
chambre sera convaincue que ce qui nous reste de mieux à faire, c’est de faire
du provisoire, en attendant qu’une révision générale du cadastre nous ait mis à
même d’établir une justice distributive pour tout le royaume, quand on aura
reconnu où sont les injustices.
J’ai entendu avec peine M. le ministre des finances
vous dire, dans la séance où le projet de loi qui nous occupe en ce moment a
été mis à l’ordre du jour, que le cadastre méritait toute notre confiance,
qu’il avait celle du gouvernement, auquel nous devrions presque des actions de
grâce pour nous avoir dotés d’un travail si beau et si parfait qu’il semblerait
être la limite des efforts de l’esprit humain, qui doit désormais désespérer de
produire jamais rien de plus parfait.
Je ne puis attribuer ce langage qu’à la position ou
se trouve M. le ministre. Le cadastre est l’œuvre des employés de son
administration. Ceux-ci, dans leur enthousiasme, ne laissent échapper aucune
occasion de le prôner, et on ne saurait nier qu’ils s’acquittent de cette tâche
avec science et adresse... parce que depuis 10 ans toutes leurs méditations se
sont portées de ce côté.
Car, messieurs, vous savez tous que du moment ou il
a été question du cadastre, ce travail a été l’objet d’attaques nombreuses qui
surgissaient de toutes parts... Il n’est donc pas étonnant que M. le ministre
partage aujourd’hui les opinions des artisans du cadastre qui n’auront pas
manqué de chercher à le circonvenir.
Ainsi, quoi qu’en disent le gouvernement et les
employés du cadastre, je ne saurais me persuader que, dans leur état actuel,
les opérations cadastrales sont justes et exemptes d’erreurs.... parce que le
mode que l’on a suivi pour faire ces opérations, c’est-à-dire la ventilation
des baux, ne conduit qu’à l’erreur et ne peut conduire à un autre résultat : il
n’en faudrait d’autre preuve que la manière dont les employés du cadastre font
ces ventilations,
Les instructions de ces employés leur enjoignaient
de rejeter de leurs ventilations les baux dont les prix étaient exagérés ou
bien trop faibles, et je dirai en passant que presque toujours ils ont rejeté
les baux dont les prix leur paraissaient trop faibles ; je ne sache pas qu’ils
aient souvent repoussé les baux dont les prix étaient exagérés.
Evidemment, cette injonction de rejeter certains
baux faits à des prix trop modérés ou trop élevés n’a pu être dictée à
l’administration que par l’idée bien juste que le prix des baux ne représente pas
toujours la valeur de la terre... l’administration a senti elle-même que la
ventilation des baux ne pouvait pas être faite d’une manière absolue,
puisqu’elle a ordonné de rejeter certains baux qu’elle doit forcément convenir
ne pas représenter la valeur des produits territoriaux. La justice de
l’opération dépend donc de la manière dont elle est exécutée.
Ce n’est pas tout : après avoir ainsi rejeté de la
ventilation les baux que, dans leur haute sagesse, les contrôleurs du cadastre
jugeaient sans appel être trop élevés ou trop faibles, l’administration du
cadastre ne pouvait pas encore appliquer le résultat de la ventilation aux
terres de la commune où étaient situées celles louées par les baux ventilés :
cette application aurait amené les résultats les plus bizarres et les plus
révoltants. Par exemple, dans deux communes limitrophes, ou dans l’une les
terres pouvaient rapporter 40 fr. ; la ventilation des baux en aurait porté le
revenu à 65, et dans la commune voisine où les terres valaient 60 fr., la ventilation
des baux n’en aurait porte la valeur qu’à 40 ou 45.
Pour pallier ce résultat inadmissible,
l’administration était obligée d’adopter un tempérament. Au lieu d’appliquer la
ventilation des baux à la commune où étaient situées les terres louées par les
baux ventilés… on appliquait cette ventilation à tout le canton, et on faisait
un taux moyen de cette ventilation, de manière que, dans le cas que j’ai cité
tantôt, la commune où ou loue à 65 est taxée à 40 fr. de revenu, tandis que
celle où on ne loue que 40 ou 45 fr., est évaluée à 60 fr. Voilà donc un
résultat inverse de celui que devait donner la ventilation.
Je le demande, pourquoi ventiler les baux, si on
reconnaît qu’il est impossible et déraisonnable d’adopter le résultat immédiat
de la ventilation ? Pourquoi suivre une voie dont on doit à tout moment
s’écarter ? N’était-il pas plus rationnel de suivre la marche tracée par les
lois françaises, d’après lesquelles pour parvenir à la fixation des produits
territoriaux, on devait d’abord rechercher les espèces et la valeur des
récoltes que les terres produisaient pendant le nombre d’années nécessaires
pour former l’assolement usité dans le pays, et ensuite établir d’après les
mercuriales la valeur de ces récoltes, qui doivent donner le produit net des
terres après déduction des frais de labour et de semences.
En procédant ainsi, c’est-à-dire en recherchant
d’abord la valeur brute des produits ou récoltes, pour en soustraire ensuite
les frais qui doivent nécessairement être faits pour se procurer ces récoltes,
on ne pouvait guère tomber dans l’erreur.
L’assolement d’un pays est généralement connu...
Les prix de diverses récoltes sont aussi connus de tout le monde… Le montant
des frais de labour, la valeur des semences peuvent être aussi indiquées par
tous les cultivateurs... Avec ces éléments, chaque citoyen pouvait fixer le
revenu des terres de sa commune... Et remarquez-le bien, messieurs, ce mode
était le seul légal, il était prescrit par les lois sur la matière ; néanmoins
l’administration a cru pouvoir le proscrire et le remplacer par le mode
arbitraire dont j’ai eu tantôt l’honneur de vous retracer les inconséquences.
Je veux parler de la ventilation des baux.
Je ne saurais m’empêcher de le redire, la
ventilation des baux est le système le plus vieux qu’on puisse imaginer.
D’abord on a été forcé de reconnaître l’impossibilité de faire entrer tous les
beaux dans la ventilation, ensuite après avoir choisi les éléments de cette
ventilation, après avoir écarté tous les éléments, tous les baux qui ne pouvaient
pas lui convenir, l’administration se trouvait encore dans l’impossibilité
d’appliquer le résultat de sa ventilation aux communes où les terres étaient
situées ; elle se trouvait dans la nécessité d’appliquer les calculs au canton
entier, afin d’en pallier les injustices.
Il faut l’avouer, messieurs, un calcul doit être
bien vicieux, pour qu’après en avoir choisi soi-même les éléments, et après
avoir rejeté tous ceux qui pouvaient gêner, on se voie forcé d’en reconnaître
l’erreur, et de devoir la pallier par une application injuste, faute de pouvoir
la corriger.
Je dis injuste, messieurs, car il n’est pas
équitable de faire supporter une surcharge à un canton parce qu’il se trouve
des baux exagérés dans l’une ou l’autre commune de ce canton.
Il n’est pas plus équitable de maintenir comme base
de calcul, du revenu d’une terre, un bail dont on reconnaît que le prix est
plus élevé que le produit de la terre... Par exemple, le bail de cette commune
qui portait la valeur du bonnier à 65 francs, tandis que les agents du cadastre
n’ont pas cru en porter la valeur au-delà de 40... Je le demande, pourquoi
faire supporter au canton cette surcharge qu’on ne croit pas pouvoir faire
supporter même à la terre pour laquelle le bail est fait,
L’injustice est cependant la même, soit qu’elle
existe pour la commune ou pour les cantons, du moment où il est démontré que
l’opération est erronée dans les détails, le résultat final ne peut être ni bon
ni juste. On m’objectera sans doute, que l’administration ne s’est pas contentée
de fixer les évaluations cadastrales par la ventilation des baux, qu’elle a en
outre fait faire une seconde évaluation d’après les bases légales que j’ai
indiquées tantôt… Mais cette réponse ne peut être de quelque poids qu’auprès
des membres qui n’ont pas examiné de près cette seconde opération, qui est
cotée dans les pièces du cadastre sons la désignation de tableau n°5 bis.
Ce tableau, messieurs, a été fait tout exprès pour
appuyer les évaluations obtenues par les ventilations des baux, et nullement pour
rechercher le véritable taux du produit des terres, et ce qui le prouve,
messieurs, c’est qu’on y a considérablement enflé la valeur des récoltes ou
produit brut, en même temps qu’on a cherché à diminuer les frais de culture. On
s’y prenait ainsi pour faire cadrer les deux opérations... Si on me contestait
ce fait je le prouverais par chiffres et par des documents authentiques.
C’est peut-être le moment de dire un mot en réponse
aux employés du gouvernement et du cadastre, qui à tout instant nous répètent
que l’équité et la perfection du cadastre ne sont plus un problème, et que
toutes les réclamations qui ont été dirigées contre ce bel ouvrage ont été
reconnues non fondées.
Vous remarquerez, messieurs, que ces prôneurs du
cadastre sont les hommes qui l’ont imaginé et l’ont exécuté... Ce sont encore
ces mêmes hommes qui ont jugé non fondées les réclamations adressées contre
leur ouvrages. Ils les ont jugées non fondées ces réclamations sans avoir
entendu le réclamant. Jamais la partie condamnée n’a eu connaissance des moyens
employés contre elle, ni des motifs de la décision défavorable prononcée qui en
avait été la suite.
Il faut l’avouer, messieurs, ce mode est trop
commode. On ne fait pas mieux à Maroc ni à Tunis. D’abord, on laisse aux
employés du cadastre la plus grande latitude, je dirai même, le plus grand
arbitraire pour choisir les bases et faire les calculs de leurs évaluations, et
c’est ensuite un employé du gouvernement qui décide inaudita parte, sur les réclamations qui s’élèvent contre cet ouvrage.
S’étonnera-t-on après cela du peu de succès des
réclamations des assemblées cantonales, circonstance dont l’administration
semble tant s’enorgueillir et qu’elle fait sonner si haut ? Ne pouvons-nous pas
nous plaindre de la manière de parler de l’administration lorsqu’elle vient
nous dire qu’on a reconnu que les plaintes qui avaient été faites contre les
opérations cadastrales n’étaient pas fondées ? N’aurait-elle pas parlé plus
exactement et de manière surtout à ne tromper personne, si elle nous avait dit
: qu’elle (administration) avait reconnu que les plaintes que nous avons tant
de fois élevées contre son ouvrage n’étaient point fondées. Il convient souvent
d’indiquer le juge, pour donner du poids à la décision : on sent, messieurs,
qu’il était aussi très nécessaire d’indiquer le juge de nos réclamations, pour
vous mettre en garde contre le jugement qui a éconduit nos justes plaintes.
On ne viendra, j’espère, pas prétendre que j’ai
cherché à jeter un jour défavorable sur la manière dont les réclamations des
propriétaires étaient jugées en matière de cadastre, personne ne gagnerait à
scruter ce point ; il suffit de savoir qu’elles étaient jugées par un agent du
gouvernement, sans avoir entendu le réclamant, mais après avoir entendu tout à
l’aise les moyens de l’administration, qui n’étaient pas même portés à la
connaissance des intéressés pour qu’ils pussent y répondre.
Je passe à une autre preuve plus frappante que les
prix des baux ne sont pas la représentation des revenus territoriaux… cette
preuve, on la trouve dans les différences énormes des prix des terres louées en
masse, avec celui des terres louées en petites cultures ou en cultures
moyennes.
Le taux des fermages des terres louées en grande
culture dans
Si nous
observons les produits ou récoltes brutes que les différent genres de cultures,
moyennes et petites, donnent aux cultivateurs (je parle toujours de ce qui se
passe dans
Cependant, messieurs, quoique dans les endroits
dont je parle, les petites cultures rendent en produits moins que les grandes,
nous voyons les prix des fermages augmenter en raison de la plus ou moins
grande division des parcelles louées, à tel point qu’un bonnier loué seul donne
un fermage de 100 fr., tandis que 50 bonniers loués en masse ne donneront que
50 fr. de fermage par bonnier.
La cause de ce phénomène, je dirai presque de cette
anomalie, est néanmoins facile à apercevoir, La terre dans les pays agricoles
est une véritable matière première qui fournit au cultivateur l’occasion
d’exercer son industrie ; en sorte que quand ou loue dix bonniers en autant de
parcelles, le prix du fermage représente outre la valeur du produit de la
terre, celle d’une partie de l’industrie des dix cultivateurs, qui les ont pris
à bail.
Au contraire, messieurs, quand vous avez un bail de
50 bonniers en masse, le prix du fermage ne représente plus que l’industrie
d’un seul hectare, ajoutés au produit du sol, et en ce cas, le fermage doit
nécessairement être moins élevé, ce qui s’observe dans tous les cas sans aucune
exception.
Me demandera-t-on, en quoi consiste l’industrie
d’un cultivateur ? Il ne me sera pas difficile de répondre sur ce point. Elle
consiste d’abord et principalement dans l’éducation du bétail, et à cette fin
une parcelle de terre est nécessaire pour produire le fourrage et la litière
indispensable.
Le petit cultivateur loue encore dans le but
d’utiliser les moments de loisir que lui laissent les occupations ordinaires de
son métier ou de sa profession.
Très souvent encore il loue et paie très cher, pour
avoir occasion de cultiver par lui-même les légumes nécessaires à la
consommation de son ménage. Mais ce qui est surtout décisif pour lui c’est
qu’il considère que le temps qu’il emploie à la culture aurait été perdu s’il
ne s’était procuré cette occasion de l’utiliser, et par suite il ne compte pour
rien son travail ni son temps.
Vous voyez donc bien clairement, messieurs, que
vous ne pouvez nullement considérer la ventilation des baux comme une base
certaine pour connaître le véritable produit des terres. Rien d’ailleurs ne
garantit l’exactitude ni l’authenticité des ventilations. Il importe de faire
connaître comme elles se faisaient : le contrôleur prenait la date, les pièces
du bail et l’indication des terres louées ; il remettait ensuite la pièce à
celui qui avait bien voulu la lui communiquer. Aucune pièce ne demeurait
annexée à l’appui de l’opération.
Les choses étant ainsi, où est la garantie que les
ventilations ont eu lieu d’une manière exacte ? Où est
la preuve que le bail a été appliqué réellement à la pièce de terre qu’il
concernait ? où est la certitude que les employés ne
se sont pas trompés dans leurs relevés des baux pour les prix et les
contenances des biens loués ?
De la manière dont les opérations sont faites un
contrôle est presque impossible. Et cependant, messieurs, je voudrais ce
contrôle parce que j’ai plusieurs fois entendu des accusations graves contre
ces sortes d’opérations.
En effet, tantôt les employés se trompaient dans
les contenance des terres louées en faisant d’une manière erronée la réduction
des anciennes mesures, tantôt ils portaient le prix du bail plus haut qu’il
n’était réellement, J’ai même entendu leur reprocher d’avoir ventilé des baux
qui n’existaient point, et de s’être servi de données qu’ils recueillaient dans
des simples conversations.
Une pareille opération doit inspirer bien peu de
confiance, vous le sentez comme moi, messieurs.
Jetons maintenant un coup d’œil sur le résultat :
le tableau n°1, joint à l’exposé des motifs du projet de loi, nous fait
connaître le résultat total des ventilations des baux dans les diverses
provinces, et nous y trouvons que dans
Dans la province de Liége, qui est certes une des
provinces médiocres du royaume, puisque dans toute la partie qui se trouve sur
la rive droite de
Je dis donc que dans cette province on a ventilé
les baux de
Vous jugerez, messieurs, si cette proportion peut
être bien établie. Quant à moi, il ne me le paraît pas.
Cependant l’administration l’a trouvé encore trop
favorable à la province de Liège. Elle nous avertit qu’elle a fait à
Pourquoi aussi, messieurs, ces déductions
arbitraires sur les prix des fermages, pour fixer l’allivrement cadastral, si
la ventilation des baux est une base certaine ?
Dans le Hainaut on déduit 15 p. c.,
dans les Flandres 12 p. c., dans la province de Namur 10 p. c. et dans celle de
Liège 9 p. c. Qu’on veuille bien nous indiquer d’autres motifs de ces faveurs
différentes, si ce n’est pour pallier les erreurs dans lesquelles la
ventilation des baux a conduit.
Eh, messieurs, nos adversaires partisans du
cadastre savent qu’aussi dans leurs provinces le cadastre a suscité des
plaintes et des orages, ils savent qu’un magistrat consciencieux a reproché à
l’administration du cadastre à peu près les mêmes choses que nous leur
reprochons aujourd’hui, à savoir d’avoir méprisé la loi, de n’avoir pas une
justice égale pour tout le monde ; d’accorder facilement des rectifications de
leur ouvrage dans certains cantons et de se refuser à redresser aucun grief
dans d’autres. Ils savent que ce magistrat refusa pour ces motifs son
approbation aux opérations de l’administration qui n’avait cependant rien
négligé pour l’engager à approuver.
Les opérations sont aujourd’hui approuvées,
messieurs, je me réserve de vous faire connaître comment ce résultat a été
amené.
Il me reste un mot à dire en réponse aux motifs
donnés par l’honorable rapporteur de la section centrale pour vous engager à
admettre le travail du cadastre tel qu’il est, sans le renvoyer à l’examen de
personne, pas même d’une commission. On nous dit qu’un nouvel examen serait
inexécutable et inutile, on vous fait l’énumération des difficultés nombreuses
d’une révision ou d’un examen nouveau, pour vous proposer de reculer devant
cette tâche.
Mais voyons si la tâche est si laborieuse, si
difficile. Vous savez que le travail du cadastre se compose de trois opérations
distinctes : premièrement, et en première ligne de l’arpentage ou levée des
plans parcellaires, 2° du classement de chaque parcelle ; et en troisième lieu,
de l’évaluation du revenu net de chaque parcelle.
Il ne peut nullement s’agir, messieurs, de réviser
ni la levée des plans ni le classement des parcelles. Ces opérations ont été
communiquées dans le temps aux propriétaires qui ont pu faire leurs
observations, auxquelles on a fait droit tant bien qui mal ; du reste, ces
opérations étaient simples, et ce n’est pas là où réside le grand vice de
l’opération, et j’admettrais, pour mon compte, bien volontiers le cadastre, si
je n’avais d’autres griefs à faire valoir contre lui.
Mais le grand vice des opérations réside dans les
évaluations. C’est là que l’administration a marché sans règle, et tout à fait
illégalement. Il n’y a donc que cette partie de l’opération à réviser, et cela,
messieurs, n’est pas de nature à vous faire reculer, il ne s’agit que de
rectifier le tableau n°5 bis, la difficulté de l’opération serait d’ailleurs
une bien mauvaise raison à donner au pays, pour instiller l’adoption sans
examen : elle ne serait pas propre à donner une haute opinion à nos concitoyens
de notre manière de rendre justice et de corriger les abus.
Il ne faut pas se le dissimuler : il ne serait pas
bien difficile pour une assemblée de délégués des diverses provinces de fixer
les rapports des évaluations cadastrales des provinces entre elles, et dans tous
les cas ce mode vaudrait mieux que le mode actuel qui accorde plein pouvoir aux
employés de l’administration.
Mais, dit encore le rapport, tout examen est
inutile parce que la loi a entouré la fidélité des évaluations de toutes les
précautions possibles : je m’étonne qu’on vienne raisonner ainsi, messieurs,
alors que le premier grief que nous élevons contre le cadastre, est qu’il a été
fait contrairement à la loi, et qui plus est, en conformité d’arrêtés
subversifs de la loi, arrêtés que l’on n’a jamais osé publier, et qui par suite
manquent de la première condition pour avoir force légale et pourraient tout au
plus servir d’instruction aux employés de l’administration, mais non nous
obliger à suivre la marche qu’ils tracent et qui est réprouvée par la loi.
Je n’oserais, messieurs, suivre tous les arguments
de l’honorable rapporteur : un mot cependant sur un dernier point : Il dit que
la section centrale a reconnu son impuissance pour contrôler les opérations du
cadastre ; il donne néanmoins un exemple, messieurs, qui aurait dû la
convaincre que les opérations du cadastre ont besoin de contrôle. Cet exemple
est celui de deux communes limitrophes appartenant chacune à une province
différente où les évaluations diffèrent de près d’un cinquième ; cet exemple
prouve qu’on n’a pas partout suivi la même base et qu’il est par suite bien
urgent de rétablir l’équilibre entre toutes les provinces.
On oublie, dit encore l’honorable rapporteur, que
les conseils cantonaux discutent les opérations contradictoirement avec les
directeurs et les contrôleurs du cadastre.
J’observerai que, comme le dit lui-même l’honorable
rapporteur, l’examen des conseils cantonaux était traité à leur canton ; cet
examen ne pouvait donc donner aucune lumière pour fixer les proportions de province
à province, ni celles de canton à canton ; en outre considérez, messieurs, le
genre de discussion qui a pu s’établir dans les conseils cantonaux : j’en parle
avec connaissance de cause... D’abord les contrôleurs et directeurs du cadastre
cherchaient à écarter tout examen tant soit peu attentif, sous prétexte que la
mission du conseil cantonal se bornait à examiner si les proportions étaient
bien établies entre les diverses communes du canton... S’ils ne pouvaient
empêcher un examen plus approfondi, alors ils livraient les nombreux éléments
de leurs opérations aux membres de l’assemblée… Qu’on juge les fruits que
pouvaient retirer de ce travail des délégués la plupart peu instruits, alors
que la section centrale elle-même vient confesser ici son impuissance pour
vérifier ces opérations... Mais ce n’est pas tout : si quelque membre se
permettait quelques observations, la seule réponse qu’il obtenait était que si
on y faisait droit, on dérangerait toute l’économie du travail, et si alors un
délégué plus intrépide que ses collègues insistait, on finissait par lui
répondre qu’il n’avait qu’à adresser ses réclamations et que le gouverneur y
ferait droit en les rejetant... Aussi je ne sache pas qu’il y ait beaucoup
d’exemples qu’on ait pris égard à des réclamations des assemblées cantonales.
Je ne dirai rien de la supériorité incontestable
qu’un directeur ou un contrôleur du cadastre avait sur un délégué, quand il y
avait une discussion... On sent l’avantage immense d’un homme qui a fait une
étude spéciale d’une matière, quand il lutte avec celui qui n’a que des
connaissances superficielles.
Je bornerai ici mes observations peut-être déjà
trop longues ; elles suffisent pour motiver mon vote contre la loi.
Je ne puis me résoudre à sanctionner une opération
aussi vicieuse que le cadastre.
Je ne vois possibilité de faire une péréquation
juste qu’en mettant en harmonie les évaluations des cantons et des provinces
entre elles… Et jusqu’à présent cette opération n’a pas été faite ; il me
semble néanmoins que les intéressés, par leurs délégués, devraient être appelés
à régler cette harmonie proportionnelle, avant de donner une existence légale
et définitive à la loi de péréquation.
C’est ainsi qu’on agit pour les communes de chaque
canton ; pourquoi ne ferait-on pas les mêmes opérations pour les cantons ainsi
que pour les provinces ? Je ne puis imaginer aucun motif qui pourrait s’y
opposer, de même que je ne puis concevoir le motif de la persistance que
quelques membres de la chambre mettent à vouloir un vote définitif de la loi
sur la péréquation.
J’ai vu avec peine cette obstination à repousser la
justice que tous les membres de cette chambre auraient volontiers votée sans
discussion.
On serait presque porté à
croire que nos adversaires veulent plus qu’une justice...,. car
quel est le motif pour refuser celle que nous voulons leur accorder
provisoirement et sur leur parole, si, comme ils le disent, ils ont confiance
dans la justice de leur cause ?
Le pays ne pourra-t-il pas supposer que cette
persistance vient de la crainte du résultat du plus simple informé que nous
réclamons ? Non seulement il pourra, messieurs, mais il ne manquera pas de dire
qu’on n’a ainsi étouffé la discussion et provoqué une décision saut examen
préalable, qu’afin qu’on ne pût pas voir d’une manière aussi évidente qu’on
n’aura pas réparé les injustices d’une répartition inégale de l’impôt, mais
qu’on n’aura fait que changer de victimes.
Je ne puis m’associer avec ceux qui ne craignent
pas de s’exposer à de pareils soupçons et jamais je ne voterai la loi de
péréquation que quand j’aurai mes apaisements sur la rectitude des opérations
cadastrales.
M. Doignon. - En
vous proposant une nouvelle répartition de la contribution foncière entre la
plupart des provinces du royaume, le gouvernement vous appelle, messieurs, à
juger définitivement un grand procès qui est pendant entre ces provinces depuis
nombre d’années.
Si le gouvernement se bornait pour le moment à
demander une provision en faveur des provinces qui se prétendent lésées, bien
que déjà elles ont obtenu, en 1832 et en 1833, un dégrèvement de plus de quatre
cent mille francs, je pense qu’une pareille demande ne rencontrerait aucun
contradicteur. La surtaxe dont elles ont été chargées depuis trop longtemps,
est un fait qui est unanimement reconnu. Aussi, n’y a-t-il eu, je crois, aucune
opposition dans les sections à ce que l’augmentation de contingent qui doit
résulter de la péréquation pour quelques provinces, soit immédiatement mise à
exécution, au moins à concurrence certaine quotité ; et jusque-là il paraît que
l’on serait généralement d’accord avec le gouvernement.
Mais quant au surplus, messieurs, il y aurait, tout
à la fois, imprudence et injustice d’en fixer dès à présent le chiffre d’une
manière irrévocable, comme le proposent le ministère et la section centrale, et
d’en précipiter l’exécution.
Lorsqu’une mesure tend à frapper quelques provinces
d’une augmentation de deux millions environ d’impôt foncier, et que notamment
l’une d’elles est menacée d’y contribuer seule pour une somme énorme de six
cent cinquante mille francs, lorsqu’une pareille mesure doit naturellement
avoir pour effet de causer un vif mécontentement dans ces provinces, il est du
devoir de la législature comme du gouvernement de ne procéder qu’avec une sage
lenteur et de recourir à tous les moyens d’instruction possibles avant de leur
imposer définitivement ce nouveau fardeau. On doit se persuader que c’est
seulement à cette condition que le peuple de ces provinces pourra respecter la
nouvelle mesure, et s’y résigner, parce qu’alors seulement il lui sera démontré
que les décisions des chambres ont eu effet pour base la vérité et la justice.
Or, messieurs, veuillez bien le remarquer, le
rapport de la section centrale constate lui-même qu’elle est dans l’impuissance
d’instruire ce grand procès, et qu’ainsi vous seriez réduits à le juger, comme
on dit vulgairement, sur l’étiquette du sac.
Dans toutes les questions de chiffres, il est
d’usage comme de raison que les sections invitent la section centrale à se
faire remettre tous les documents indispensables, afin de vérifier elle-même
les assertions du gouvernement.
Au cas actuel, la section centrale répond à cette
invitation qu’elle n’a rien vérifié, qu’elle est dans l’impossibilité de le
faire, et qu’en résultat vous devez croire le ministère sur parole. Ni moi, ni
aucune commission, dit la section centrale, ne peuvent vérifier les chiffres
présentés par le gouvernement, donc vous devez les reconnaître et les proclamer
comme étant la vérité même : telle est en substance la conclusion de cette
section.
Ainsi, messieurs, malgré la conviction de chacun de
nous que les opérations cadastrales fourmillent d’erreurs et d’inégalités, qui
sont même de notoriété publique dans les provinces et les cantons, malgré les
abus multipliés qui nous ont été dénoncés par un nombre considérable de
pétitions, vous êtes, d’après cette conclusion de la section centrale,
condamnés à vous taire ; toute discussion sur les chiffres proposés vous est
interdite, et vous devez irrévocablement les tenir pour vrais.
Vous concevez déjà, messieurs, qu’une pareille
conclusion est trop absurde pour qu’une assemblée législative puisse jamais
l’admettre purement et simplement.
Suivant le rapport de la section centrale, les
choses sont donc au même point qu’au jour où M. le ministre a présenté son
projet à la tribune, puisque de son aveu, il n’y a eu depuis lors aucune
instruction ni aucune vérification. Or, y a-t-il dans cette enceinte un seul
membre qui après avoir entendu ce jour-là la lecture du projet aurait osé faire
la motion de l’adopter à l’instant même sans examen ni instruction aucune ?
Voilà cependant ce que vous propose la section centrale.
Un empressement aussi singulier à faire déclarer
irrévocables les chiffres ministériels s’expliquerait peut-être de la part des
chauds partisans de la loi, si, en réclamant une vérification raisonnable, nous
leur refusions tout dégrèvement actuel ; mais non, personne que je sache ne
s’oppose à ce que certaines provinces soient déchargées dès maintenant, et pour
1836, à concurrence de certaine quotité. On demande uniquement, pour le
surplus, que les chiffres ne soient point arrêtés aujourd’hui ni définitivement
; mais que la voie reste ouverte aux réclamations et à tout moyen
d’instruction, afin que ce travail immense, qu’on avoue même être imparfait et
rempli d’erreurs, puisse acquérir entre-temps le plus de perfectionnement qu’il
soit possible.
Or, le principal moyen d’instruction, qui certes ne
peut être refusé aux provinces qu’on prétend surcharger, sans commettre à leur
égard une espèce de déni de justice, c’est d’entendre les conseils provinciaux
ou plutôt leurs commissions ou députations permanentes, qui, aux termes de
notre constitution nouvelle, sont seuls les défenseurs naturels des intérêts
provinciaux.
Je ne crains pas de dire qu’à cet égard le
gouvernement lui-même a violé la loi du cadastre, je veux dire la loi du 13
septembre 1807. Son art. 33 veut que les préfets statuent, après que avoir pris
l’avis des conseils de préfecture, sur les réclamations des assemblées
cantonales. Or nos conseils provinciaux représentent certainement pour le moins
les conseils de préfecture. Mais, de bonne foi, oserait-on dire que depuis la
révolution nous possédons une représentation provinciale selon le vœu de notre
constitution ? N’est-il pas vrai au contraire que, depuis cinq ans, la province
est entièrement désorganisée, et que constitutionnellement elle n’est pas plus
représentée par nos prétendues députations des états que par les gouverneurs.
Par suite de décès, démissions on d’autres causes, il y a telles provinces où
des arrondissements n’ont depuis trop longtemps aucun député pour représenter
leurs intérêts. Il y a en outre, dans ces prétendues députations provinciales,
d’anciens éléments que notre constitution a proscrits.
Dans cet état de choses, et en attendant
l’organisation provinciale, le ministre aurait agi prudemment en limitant,
quant à présent, sa demande à un dégrèvement provisoire dans une proportion
modérée. Mais vouloir clore aujourd’hui définitivement son travail et fermer
ainsi la bouche pour toujours à la représentation provinciale, telle que l’a
établie la constitution, c’est ce qu’il n’était pas en son pouvoir de faire aux
termes mêmes de la loi française du 15 septembre 1807.
Dans cette occurrence, comme dans plusieurs autres,
le ministre s’est attaché trop servilement à la lettre des lois françaises et
décrets sur le cadastre, sans réfléchir que nombre de leurs dispositions ne
sont point en harmonie avec nos institutions libérales et qu’elles n’ont été
faites que pour le régime de la centralisation de l’empire. Elles ont été
combinées de manière à rendre le gouvernement seul arbitre et maître d’imposer
en définitive comme il le voudrait tel ou tel département : nous devons le dire
ici en passant, c’est même par suite de ce principe qu’il y a 30 ans, pendant
notre réunion à
Mais les temps sont changés, le grand principe du
gouvernement vraiment représentatif qui régit
Aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi
que par une loi, dit l’art. 100 de la constitution. Une augmentation de plus de
600 mille francs de contributions qu’on prétend faire peser sur une seule
province, est bien certainement un impôt et un impôt énorme relativement à
cette province c’est donc au seul pouvoir législatif qu’il appartient de
l’établir.
Or, en s’en référant purement et simplement, comme
le propose la section centrale, au gouvernement et à ses agents, pour la
fixation des chiffres et la nouvelle répartition de la contribution foncière
dans tout le royaume, ce ne sont plus les chambres qui établissent l’impôt,
mais c’est, au vrai, le pouvoir exécutif lui-même et lui seul. Si, en effet, le
gouvernement est seul arbitre de cette répartition, toute loi est inutile, ou
au moins toute discussion et toute délibération sont superflues, puisque selon
l’opinion de cette section, la chambre ne peut qu’adopter les chiffres de cette
répartition sans y apporter le moindre changement.
Vous percevez facilement, messieurs tout ce qu’il y
a d’exagéré et d’injustes dans ce système. Nous soutenons au contraire, que dès
qu’une loi est indispensable, un mode d’instruction est également nécessaire,
afin que la chambre puisse prononcer du moins en connaissance de cause, et
qu’on puisse être assuré que tous les intérêts ont été consultés et débattus.
Sans doute, comme le cadastre de tout le royaume
est l’affaire la plus vaste et la plus compliquée qui se soit jamais présentée
à la chambre, ce mode d’instruction lui-même peut offrir des difficultés ; mais
puisque la section centrale a reculé en présence de la tâche dont les sections
particulières l’avaient chargée, et qu’elle-même confesse qu’elle est incapable
de marcher en avant, c’est maintenant à la chambre à statuer sur ce point.
Quant à présent, nous croyons que sans préjudice à
tous autres moyens d’instruction, il y a lieu, après avoir consenti une
provision convenable en faveur des provinces lésées, de demander préalablement
pour le surplus les observations et avis des représentants légaux de nos
provinces. Les lumières et les documents qu’on en obtiendra serviront de guide
pour le mode ultérieur d’instruction. C’est alors seulement que les parties
intéressées seront présentes devant les chambres, et qu’éclairées par tous les
moyens qui sont en leur pouvoir, celles-ci se trouveront en état de juger
définitivement ces débats entre nos provinces. Il serait tout aussi impossible
aux chambres de porter un bon jugement sur cette affaire, sans entendre les
provinces elles-mêmes, qu’il le serait à un juge ordinaire de décider un procès
sans entendre les parties.
L’on a pu dire sous le régime de la centralisation
que, pour juger le cadastre, il n’y a de position impartiale et désintéressée
que celle du gouvernement. Mais, sous un régime réellement représentatif, c’est
aux chambres seules qu’appartient ce caractère d’impartialité et de
désintéressement, parce que seules elles représentent la nation (article 32 de
la constitution), parce que c’est à elles et non au gouvernement qu’est dévolu
le droit de faire la loi de l’impôt et de sa répartition : mais puisqu’on croit
aussi facilement, à l’égard des membres des chambres, aux affections de
province ou de canton, pourquoi ne pourrait-on pas faire la même supposition
relativement aux membres du cabinet qui nous propose la loi de péréquation ? car chacun d’eux appartient aussi à l’une à l’autre de nos
provinces. Notre confiance doit donc être la même dans les députes des
provinces qui attendent un dégrèvement, bien qu’ils soient peut-être en
majorité. Ils sauront, j’en suis certain, s’élever au-dessus de toute considération
particulière, tout aussi bien que nos ministres pour remplir impartialement la
mission dont la constitution les investit.
Si, en 1807,
Mais, en France, toute l’autorité provinciale étant
concentrée dans les mains des préfets, on a dû, dans la loi de 1807, remettre
exclusivement à ces agents du gouvernement tonte la direction et les décisions
relatives au cadastre dans chaque département.
On voit donc, d’après la différence des
institutions des deux pays, que l’administration du cadastre belge a dû souvent
faire chez nous une fausse application des dispositions des lois, décrets et
instructions françaises, sur la matière ; que notamment elle s’est trompée en
donnant les attributions des préfets à nos gouverneurs, puisque ces magistrats
ne représentent point seuls, comme en France, toute l’autorité provinciale.
Certes, nous ne prétendons pas que la loi de
péréquation a nécessairement besoin de l’assentiment de la représentation
provinciale dans chaque province.
Il n’y a que les charges ou impositions
provinciales qui ne puissent être établies sans le consentement des conseils
provinciaux, telle est aussi la disposition de l’article 110 de la constitution.
Or, la contribution foncière, qu’on veut
aujourd’hui répartir dans une proportion entre toutes les provinces ou plutôt
entre toutes les propriétés du royaume n’est pas une imposition provinciale,
mais bien un impôt général au profit de l’Etat.
Mais si cet impôt est prélevé dans l’intérêt
général, il n’en est pas moins évident qu’il intéresse en même temps chaque
province en particulier et que dès lors il a un caractère mixte. La loi de
péréquation a en effet pour objet une plus juste répartition de la contribution
non seulement entre toutes les provinces, nais aussi entre tous les cantons et
les communes de chacune d’elles, et pour atteindre ce but, l’on applique à
toutes les provinces entre elles les mêmes bases qui servent dans chacune à établir
proportionnelle entre toutes les localités qui en font partie.
Or cette question d’égalité proportionnelle entre
les cantons et les communes d’une même province est aussi éminemment d’intérêt
provincial, puisqu’en résultat, elle a pour effet de la grever plus ou moins
vis-à-vis des autres provinces. Chacune d’elles a de même intérêt de s’enquérir
chez sa voisine, si les termes de comparaison, si les données qui ont servi de
base sont justes ou exactes. Enfin lorsqu’en définitif, la nouvelle répartition
a pour but de frapper spécialement quatre provinces au profit de trois autres
pour des sommes considérables, dont l’une s’élève à plus de 600 mille francs,
et qu’il s’agit ainsi d’une lutte des plus sérieuses entre toutes les
provinces, il faudrait nier l’évidence pour ne pas reconnaître qu’une pareille
mesure est en même temps d’intérêt provincial. Or, d’après l’esprit comme le
texte de la constitution, on ne peut se dispenser d’entendre dans de pareilles
questions les observations et avis des représentants légaux des provinces ou de
leurs délégués.
Indépendamment de la constitution, la simple raison
naturelle ne veut-elle pas que toute partie soit entendue avant d’être jugée ?
En vertu du seul droit légitime de la défense, nous
sommes tenus d’écouter leurs représentations, et passer outre sans leur laisser
la faculté de faire valoir leurs moyens, serait une sorte de déni de justice.
Vous savez, messieurs, qu’il ne suffit pas d’être
juste, mais qu’il faut encore paraître tel : c’est principalement lorsqu’il s’agit
de faire un acte de justice qui doit porter préjudice à une partie de la
nation, que cet axiome doit être observé. Quand même en définitif,
l’instruction que nous demandons ne pourrait amener aucune diminution sur les
chiffres proposés, eh bien ! dans ce cas encore, cette
mesure ne pourrait avoir qu’on bon effet moral.
Les provinces qui auront à subir une augmentation
seront forcées de reconnaître qu’au moins on leur a fait bonne justice en leur
donnant pour se défendre la latitude convenable.
Il y aurait d’autant plus d’iniquité à la leur
refuser qu’elle ne peut causer aucun tort aux provinces réclamantes, dans le
système même de la section centrale car celle-ci ne propose de mettre à
exécution, quant à la deuxième moitié de l’augmentation que pour l’année 1837 ;
or, dès que ces provinces ont dès aujourd’hui une provision, rien n’empêche
évidemment que d’ici à cette époque, on entende les réclamations des provinces
et celles mêmes les particuliers. Il faut donc en convenir, il n’y a qu’une
aveugle obstination ou la crainte de provoquer des lumières sur cet immense
travail, qui pourrait porter à leur refuser cette satisfaction. N’est-il pas
vrai encore que c’est surtout dans un travail où l’arbitraire de l’homme est
tout, qu’il est nécessaire de faire un appel à tous les moyens d’instructions
et de les épuiser successivement, avant de le déclarer irrévocable ?
Toutes les fois que vous êtes appelés à délibérer
sur un projet de loi, relatif au commerce ou à l’industrie, vous croyez devoir
recourir aux chambres de commerce et aux commissions d’industrie, pour en
obtenir les éclaircissements possibles ; comment, messieurs, oseriez-vous vous
prononcer sur l’importante question de péréquation, qui divise nos provinces,
sans avoir par-devers vous aucun autre document que des chiffres, sans qu’au
moins des rapports vous aient été remis par les députations provinciales,
organisées selon le vœu de la constitution, députations qui, seules, peuvent
représenter la province ? Ces rapports, ces avis, ne peuvent au surplus lier
aucunement la chambre.
Mais beaucoup d’autres raisons puissantes
s’opposent encore à ce que vous donnez, dès à présent, un caractère
d’irrévocabilité aux résultats d’opérations cadastrales. Des plaintes
notoirement fondées se sont élevées de toute part contre les opérations sans
qu’on y ait fait droit jusqu’ici.
Nous n’avons pas, sans doute, la prétention
d’exiger que le travail de la péréquation soit parfait et entièrement exempt
d’erreurs et omissions, quelques efforts que l’on fasse, on sait d’avance qu’il
en restera toujours beaucoup trop. Mais c’est justement parce qu’un travail de
cette nature ne pourra jamais atteindre la perfection qu’il convient de ne rien
précipiter et de ne point le rendre définitif alors qu’aucune nécessité urgente
le commande, et que s’il est encore possible d’entendre les réclamations et
observations des parties les plus intéressées à son perfectionnement.
Il est reconnu qu’en général les opérations du
cadastre sont vicieuses, préjudiciables à la propriété et à l’agriculture.
L’une des premières causes des nombreuses erreurs qui s’y rencontrent, c’est
que ces opérations se sont faites sous l’influence des instructions françaises
et hollandaises.
Qu’on lise les recueils volumineux de ces
instructions, on verra qu’elles contiennent une foule de règles qui attestent
que leurs auteurs ne connaissaient point l’agriculture belge.
Les agents du cadastre ont dû en faire d’autant
plus souvent une mauvaise application qu’eux-mêmes ne sont ni fermiers, ni
locataires, ni propriétaires, et que toujours ils sont étrangers aux cantons
qu’ils avaient à exploiter.
Presque toujours ils n’ont donc eu pour guides que
les actes qu’ils parvenaient à se procurer. Mais, en général, de tels guides ne
sont rien moins que trompeurs. C’est ordinairement lorsqu’un propriétaire veut
un prix de location excessif, qu’il fait passer des actes dûment enregistrés.
Les établissements publics comme certains grands
propriétaires louent également à des prix exorbitants au moyen de la
concurrence sur recours public. Dans certaines communes on voit la plupart des
cultivateurs reprendre leurs terres à tout prix ; dans d’autres il est d’usage
de simuler dans les baux écrits les véritables prix de location ; ailleurs
c’est l’usage contraire qui est suivi. On peut dire que les causes
accidentelles qui influent presque dans chaque localité sur la fixation des
fermages varient à l’infini. Ces erreurs, dira-t-on, sont communes à toutes les
provinces ; mais en supposant que cela soit, il est impossible qu’elles soient
partout en nombre égal et dans la même proportion ; il en résulte donc toujours
des injustices criantes au préjudice des unes ou des autres.
Comme le dit fort judicieusement l’instruction
française, pour bien expertiser, chaque agent du cadastre devrait se dire, la
main sur la conscience : « Si j’étais moi-même propriétaire, quelle valeur
locative donnerais-je à telle partie de terre ? » Mais aucun d’eux n’a ni
la position ni les connaissances nécessaires pour se faire cette question et la
résoudre. On croirait en voyant les théories qui contiennent des instructions,
que le travail ne peut manquer d’être parfait. Mais dès qu’on en vient à la
pratique on reconnaît bientôt qu’il n’y a dans tout cela qu’imagination et
illusion. Je ne crains point de poser en fait que si l’on faisait
successivement expertiser les mêmes parties dans la même commune, par des
agents différents, l’on trouverait chaque fois des différences très notables
entre leurs évaluations. Je ne parlerai point au surplus des considérations
particulières de l’esprit de faveur, des affections de province et de localité
qu’on peut autant supposer chez les employés du cadastre que chez d’autres.
Ce n’est pas seulement, messieurs, entre les
évaluations de canton à canton, de commune à commune, d’une même province qu’il
existe des inégalités choquantes, il en existe notoirement de province à
province : les biens appartenant à des cantons de différentes provinces
donneront notoirement un produit égal, et cependant les valeurs locatives
varieront entre elles d’un septième, d’un sixième, d’un cinquième, ou plus.
Il est également notoire que la base admise pour
établir la proportion, entre les propriétés bâties et celles non bâties est
erronée. On a suivi à cet égard les instructions hollandaises, mais on n’a
point réfléchi qu’en Hollande, les propriétés bâties sont d’une bien plus
grande valeur. De là, il résulte que telle commune on canton ou telle province,
qui a plus de propriétés bâties qu’une autre, sera injustement plus surtaxée
que celle-ci qui en aura moins : l’injustice à l’égard de celle-là sera
nécessairement plus grande.
Il est de même notoire dans certaines provinces,
que d’un arrondissement à l’autre, il y a même en outre, une différence d’un
tiers comme de 4 fr. 50 c. à 7 fr. 50. Or, messieurs, l’on attribue
généralement cette différence à la circonstance que les arrondissements lésés
n’ont en ce moment aucun député à la province pour la défense de leurs
intérêts.
Les assemblées cantonales ont bien eu pour mission
d’examiner les opérations cadastrales de commune à commune dans chaque canton,
mais quant à la vérification des évaluations de canton à canton, ou à
arrondissement dans chaque province, il y a réellement eu une lacune ; aucune
assemblée composée d’autorités et de personnes intéressées, comme le sont les
assemblées cantonales, n’a été appelée pour les comparer et les juger entre
elles.
Les agents du cadastre se sont ici constitués seuls
juges et ont réglé entre eux comme ils le voulaient, tous les points sur
lesquels ils différaient sans entendre les intéressés, il en est de même à
l’égard des périmètres limitrophes. En parcourant leurs procès-verbaux on
trouve en général leurs raisonnements assez justes ; mais en cette matière
c’est bien moins à la justesse des raisonnements qu’à une parfaite connaissance
des faits qu’il faut s’attacher ; il n’est pas exact de dire que ces agents
étaient sans intérêt. Au vrai un seul intérêt les animait, celui d’en finir
pour jouir de leurs émoluments ; et après cela que leur importait au fond
qu’une commune ou un canton ou une province fût lésée ? Malheureusement ils
n’avaient entre eux aucun intérêt à se contredire, mais bien celui de
s’entendre à tout prix pour arriver au plus tôt à leurs fins. D’ailleurs ce
serait peu d’avoir une position désintéressée quand on est dans l’ignorance des
faits.
De même que les assemblées cantonales ont été
chargées de se réunir pour débattre avec les employés du cadastre les faits
relatifs aux évaluations dans les communes de chaque canton ; de même des
assemblées ou commissions provinciales auraient dû être chargées de l’examen
des opérations de canton à canton ou d’arrondissement à arrondissement, et pour
être conséquent et rendre la vérification la plus complète possible, une grande
commission prise dans le sein de la chambre ou en dehors aurait dû être chargée
de l’examen des opérations de province à province, et c’est enfin sur les
rapports de ces commissions seulement que les chambres devraient prononcer
leurs jugements définitifs entre celles-ci.
On sait d’ailleurs déjà que les assemblées
cantonales, pressées vivement d’en finir par les agents du cadastre, n’ont pu
procéder qu’avec beaucoup de célérité, tandis cependant qu’il s’agit d’un
travail immense dont on s’occupe depuis 40 ans. On sait encore que l’appel fait
aux propriétaires et détenteurs à l’effet de fournir leurs observations a été
considéré généralement comme une espèce d’inquisition et qu’il a inspiré trop
souvent une défiance telle que son but en général fut manqué. La plupart ont aussi
gardé le silence pour s’épargner des démarches et des embarras. Ils étaient
d’ailleurs intéressés à se taire sur les erreurs ou omissions qui pouvaient
leur profiter. La révision qu’a fait faire l’administration du cadastre ne peut
rien conclure par elle-même, puisqu’elle a été opérée toujours exclusivement
par ces mêmes agents du gouvernement.
D’après tout ce qui précède, on peut facilement
juger combien sont peu fondées les raisons alléguées par la section centrale
pour prétendre qu’il faut dès aujourd’hui et à l’instant déclarer irrévocables
les chiffres de la répartition nouvelle sans aucune discussion, ni examen ni
aucune instruction.
L’opinion de la section centrale repose
principalement sur deux erreurs : elle suppose d’abord que nous voulons nous en
référer aux opinions et avis des provinces et que nous voulons ainsi les
établir juges dans leur propre cause. Il est clair qu’en suivant un pareil
système, la législature n’obtiendrait jamais de résultat, car il est naturel de
penser que les intérêts des provinces seront toujours tellement opposés
qu’elles ne pourront jamais s’entendre.
Mais que doit faire la législature au milieu de ce
conflit de provinces à provinces, elle doit uniquement s’interposer comme juge.
Or, le premier devoir du juge est de se faire remettre avant tout les mémoires,
les rapports et les pièces des parties elles-mêmes, c’est-à-dire, dans l’espèce
des représentants légaux de nos provinces ; mais tous ces moyens d’instruction
ne lient point le juge tellement qu’il lui est libre encore de ne point y avoir
égard lorsqu’il les aura sous les yeux.
L’autre erreur, c’est de supposer que nous voulons
une révision générale et un travail parfait, ce qui est humainement impossible.
Loin de là, messieurs, vous avez vu que nous demandons simplement les
observations et avis de chaque représentation provinciale, organisée selon le
vœu de la constitution, et à cet égard, l’on a encore exagéré les choses au
point de prétendre que nous voudrions que chaque membre du conseil provincial
comme chaque membre de cette chambre pût lui-même vérifier les évaluations et
classifications de toutes et de chacune des parcelles de terre du royaume. Une
prétention aussi ridicule n’est entrée dans l’esprit de personne et elle n’a
pas besoin de réfutation. La section centrale s’attache donc dans son rapport à
réfuter longuement une opinion qu’aucun membre que je connaisse n’a soutenu
dans son sein.
Les conseils provinciaux procéderont certainement
par voie de commissions et de rapports généraux sur les opérations cadastrales
de chaque province et il ne pourrait en être autrement. En suivant ce mode
d’instruction, ils pourront, par exemple, démontrer que telle base admise par
tel canton ou arrondissement limitrophes est évidemment erronée, et si les
chambres pensent que de semblables réclamations sont fondées, elles y feront
droit.
Mais s’il plaisait aux commissions provinciales
d’entrer dans le détail infini des expertises et des classifications, les
chambres certainement ne les suivraient point dans cette marche irrégulière qui
amènerait nécessairement des difficultés inextricables. Ces commissions
provinciales agiront pour les cantons entre eux comme les assemblées cantonales
ont opéré pour les communes de chaque canton entre elles ; elles ne
rechercheront point des détails minutieux et impraticables ; elles éviteront de
se jeter dans un dédale dont elles-mêmes ne pourraient sortir. Il existe, comme
on l’a vu, une foule de griefs contre le cadastre qui sont de notoriété
publique ; à coup sûr, quant à ceux-là, on ne saurait objecter le moindre
inconvénient qui empêcherait d’en demander le redressement dés à présent.
Sans doute, il pourrait arriver que dans des cas
extraordinaires la chambre fût assez frappée des considérations qu’une province
ferait valoir, pour ordonner une vérification dans un arrondissement ou un
canton ; mais elle ne s’y déterminerait que par les raisons les plus graves et
par exception. Ce serait alors une de ces questions intéressant telle ou telle
province spécialement et comme nous en voyons assez souvent surgir dans cette
assemblée. Dans ce cas, comme dans tout autre, on doit se confier à
l’impartialité et à la loyauté de la représentation nationale.
Notre proposition n’a donc pas pour but d’obtenir
une révision générale et la perfection dans le travail cadastral, mais
uniquement de diminuer encore autant que possible le nombre des erreurs, sans
tomber dans les inconvénients d’une pareille révision et de mettre les chambres
en état de prononcer définitivement comme juges après avoir vu et entendu les
rapports généraux des représentations provinciales et tous les documents
propres à les éclairer.
Lorsque M. le ministre des finances s’est rendu au
sein de la section centrale, il n’a aucunement soutenu, comme le fait celle-ci,
qu’il lui serait impossible de faire aucune vérification : il lui a au
contraire proposé de se réunir à son hôtel, afin d’avoir toutes les pièces sous
la main et de vérifier successivement avec l’aide d’un employé notamment les
périmètres limitrophes des provinces. Mais la section centrale était évidemment
composée d’un trop petit nombre de membres pour entreprendre un pareil travail,
surtout qu’elle n’avait dans son sein aucun membre appartenant aux provinces de
Namur, de Brabant et d’Anvers.
A peine eût-elle lu quelques procès-verbaux contre
lesquels déjà s’élevaient quelques critiques, qu’il fut déclaré par la majorité
que toute vérification est impossible, de sorte qu’au total on peut dire,
messieurs, qu’elle vous propose aujourd’hui l’adoption de la loi sans avoir
dans le fait rien vu, rien examiné, ni discuté.
M. le ministre s’est donc trompé lorsqu’il annoncé
dans la séance d’hier qu’ayant livré à la section centrale tous les documents
et même le bureau cadastral tout entier, celle-ci y avait puisé tous les
renseignements possibles : la vérité est que les choses se sont passées comme
je viens de le déclarer.
Je persiste à dire comme au sein de la section
centrale, qu’une commission composée de 25 à 30 membres de la chambre et
choisis dans chaque province, aurait pu s’occuper avec fruit de l’examen du
projet de loi. Mais comme dans mon opinion il n’y a lieu dans les circonstances
actuelles, qu’à allouer une provision et que cette commission ne pourrait
elle-même baser son travail que sur les rapports généraux des représentants
légaux de nos provinces, rapports qui nous manquent en ce moment, je pense
qu’il serait peut-être prématuré de la nommer aujourd’hui.
Les membres d’une semblable commission ne
pourraient jamais s’entendre, dit la section centrale, mais on procédera dans
ce cas comme on le fait chaque fois qu’il est question de lois qui intéressent
en particulier certaines provinces. La commission ou la chambre écoute les
objections faites de part et d’autre, et la majorité prononce ; c’est ce qui
est déjà arrivé au sein de la commission pour la circonscription judiciaire où
l’on a mis aussi en présence des intérêts opposés.
La majorité de la section centrale reconnaît que
les conseils communaux ont été entendus par leurs délégués dans le sein des
assemblées cantonales. Mais pourquoi les conseils provinciaux ne pourraient-ils
de même être écoutés par leurs délégués et discuter contradictoirement avec les
directeurs et contrôleurs du cadastre, comme l’ont fait ces assemblées.
Si, comme elle le dit, les préfets représentés
aujourd’hui par les gouverneurs, avaient seuls droit de statuer en définitif,
c’est parce qu’en France ces fonctionnaires ont en mains toute l’autorité
provinciale, ce qui n’existe pas en Belgique.
Dans ses idées exagérées, la majorité de la section
centrale ajoute que, d’après notre système, nous rejetons la péréquation pour
plusieurs années. Mais au lieu de le rejeter, nous l’admettons au contraire
provisoirement, puisque dès aujourd’hui nous consentons avec provision
raisonnable.
Nous ne reculons pas indéfiniment le règlement définitif,
puisque nous ne réclamons principalement que les rapports généraux des
commissions provinciales et qu’aux surplus la chambre reste toujours libre
d’arrêter irrévocablement le travail cadastral dans un an comme aujourd’hui,
après avoir mûrement pesé toutes les circonstances.
Nous devons marcher avec d’autant plus de
circonspection et de réserve que le cadastre n’est point encore achevé dans les
provinces de Limbourg et de Luxembourg, et que par suite de son achèvement, il
y aura lieu peut-être encore d’augmenter la surcharge des quatre provinces de
Brabant, Hainaut, Liége et Namur, ou bien, en définitif, d’en faire supporter
une partie par les deux autres provinces.
Tout se réunit donc pour prouver que les
augmentations ou diminutions de contingent à résulter de la péréquation ne
peuvent prudemment être établies dans les provinces que progressivement et
d’année en année, et à mon avis la progression la plus sage et la plus juste
est celle proposée par la seconde section, suivant laquelle, après avoir
accordé une provision pour 1836, on partagerait le surplus en six années, de
telle sorte que, pour autant que l’instruction ultérieure n’amènerait
absolument aucun changement, il serait accordé tous les ans une provision d’une
sixième de la surtaxe restante, jusqu’à ce que le travail général soit déclaré
définitif par le pouvoir législatif.
Ce système aurait cet avantage que le travail
général du cadastre ayant acquis après cette période de six ans la plus grande
perfection qu’il soit jamais possible, en même temps qu’il ménagerait et
concilierait tous les intérêts, on pourrait surtout reculer l’époque de la
révision générale à un terme bien plus éloigné que celui de dix ans proposé par
la section centrale. Les opérations de cette révision générale devant
nécessairement entraîner une nouvelle dépense de quelques millions, il est de
l’intérêt évident du trésor d’en éloigner l’époque autant que possible.
M. le ministre des finances affirme que la surtaxe
qu’auront à supporter ces quatre provinces d’après son projet, serait d’autant
moins sensible, qu’on a découvert beaucoup de propriétés précédemment
soustraites en tout ou en partie à l’impôt foncier. Mais ces paroles de
consolation n’ont rien de précis et elles sont beaucoup trop vagues pour faire
ici la moindre impression. C’est encore afin qu’avant tout on puisse en
connaître au juste la valeur, qu’il convient de n’accorder aujourd’hui qu’une
provision.
Ce n’est, messieurs, qu’à la fin de cette
discussion et lorsque des lumières auront jailli de toutes parts sur le mérite
et les vices des opérations cadastrales dans tout le royaume, qu’il sera
possible de bien apprécier et de fixer le taux de cette provision : elle doit
rationnellement être réglée selon le plus ou moins de degré de confiance que ce
grand travail peut inspirer à chacun de nous. C’est pourquoi je convie mes
collègues à apporter le tribut de leurs connaissances dans cette discussion.
Quelques députés des Flandres et d’Anvers n’ont pas oublié, j’en suis persuadé,
que le cadastre a déjà été dans cette enceinte l’objet de leurs attaques les
plus sérieuses. Plus il sera démontré que l’administration cadastrale a suivi
une voie irrégulière, fausse ou injuste, plus on aura signalé d’erreurs ou
d’abus dans chaque province, canton ou commune, plus aussi le taux de la
provision devra être modéré. Mais déjà, messieurs, je crois, en avoir assez
dit, pour que vous ne doutiez pas que dans mon opinion il y a lieu dans tous
les cas, de rejeter la proportion d’une moitié qui est réclamée par la majorité
de la section centrale d’une manière même définitive.
Je ne puis davantage admettre la proposition qu’a
faite avant-hier l’honorable M. Gendebien d’accorder la provision non seulement
pour 1836, mais encore pour 1837. La loi de l’impôt étant d’ailleurs
nécessairement annale, je ne vois aucun motif d’anticiper et de s’engager
d’avance lorsque d’ici à cette époque il peut même résulter de l’instruction
que doit faire la chambre qu’il doit y avoir lieu de modifier la répartition au
préjudice comme à l’avantage des provinces qui réclament. L’appréciation d’une
provision dépend toujours des circonstances qui certes peuvent varier d’une
année à l’autre, sortons dans une matière aussi hérissée de difficultés. M.
Gendebien consent même la provision pour 1837 à concurrence de la totalité.
Mais chaque fois qu’il est reconnu qu’une provision seulement doit être
accordée, c’est qu’en même temps l’on reconnaît qu’il a des raisons fondées
pour ne point adjuger le tout actuellement : une pareille provision emporterait
pour ainsi dire le fonds, principalement lorsqu’on réfléchit que la partie doit
s’en mettre immédiatement en possession et qu’on éprouverait immanquablement la
plus vive résistance, s’il fallait ensuite la lui retirer. D’ailleurs dans la
circonstance que la chambre n’a fait jusqu’ici aucune instruction sur cette
grande affaire, qu’il est question d’augmenter l’impôt de quatre provinces
d’une somme aussi énorme que celle de deux millions environ et qu’il s’agit de
voter de confiance pour ne pas dire en aveugle à moins que je ne m’y vois
forcé, jamais je ne voudrais assumer une aussi grave responsabilité.
Mais d’un autre côté, comme le premier moyen
d’instruction pour la chambre consiste dans les rapports généraux des
commissions provinciales et que l’organisation de la province dépend du
gouvernement, celui-ci pourrait prolonger cet état provisoire autant qu’il le
voudrait. Si l’organisation provinciale, que le ministre redoute en ce moment,
n’avait lieu que dans le courant de 1838, il serait même physiquement
impossible que les nouvelles commissions provinciales pussent fournir leurs
rapports dans la même année comme le désire l’honorable député de Mons.
La provision qu’il y aurait lieu d’accorder dans
l’état des choses ne peut donc qu’être annale, comme doivent l’être au surplus
toutes les lois financières de cette espèce. Relativement à la hauteur de cette
provision, si la majorité de cette chambre paraît disposée à la porter jusqu’à
un tiers, je m’y résignerai et j’adopterai cette proportion.
La chambre ne pourrait sans une haute imprudence
fixer dès à présent l’époque à laquelle ce grand travail devra être déclaré
définitif. Lorsqu’aujourd’hui elle n’a absolument sous les yeux aucun élément
d’instruction, elle ne pourrait à cet égard que se livrer au hasard et prendre
un engagement qu’elle-même jugerait ensuite devoir révoquer.
Dans un an comme aujourd’hui et lorsque l’affaire
sera plus instruite, ne serons-nous pas toujours maîtres de déterminer cette époque
? Statuer dès ce moment sur un point aussi important, c’est évidemment
s’engager témérairement ; la législature s’exposerait à devoir revenir sur sa
décision, ce qu’elle doit toujours chercher à éviter.
Ce n’est point sans doute lorsque toutes les provinces,
même celles qui réclament un dégrèvement, se sont soulevées unanimement contre
l’injustice et l’inexactitude des bases des opérations cadastrales et que la
chambre n’a encore rien fait pour y faire droit qu’elle commettra la faute
immense de porter un jugement définitif sur un point quelconque.
Vous entendrez certainement M. le ministre vous
affirmez que tout s’est opéré admirablement bien ; mais qu’on ne perde pas de
vue qu’il ne parle ici que d’après le dire de ses proprement agents vivement
intéressés comme lui à voir la fin de cette affaire. M. le ministre ne
connaissant que ses instructions et les assertions de ses employés, ne saurait
détruire avec tout cela des faits qui sont de notoriété publique, tels par
exemple que celui-ci (pour n’en rappeler qu’un seul) : il est constant que dans
certains cantons et communes on ne peut louer les biens au taux estimé par ses
agents.
M. le ministre aura beau nous vanter la prévoyance
et la sagesse de ses instructions, et nous faire ici les meilleurs raisonnements.
Toute la question n’est point là, mais bien dans l’exécution, dans la pratique.
Or, sur ce point, chacun de nous pour sa province, peut souvent en connaître
beaucoup plus que lui.
Au total, M. le ministre dans son cabinet n’a vu
que des écritures et des chiffres ; nous, représentants de nos provinces, nous
sommes témoins des faits et de leurs conséquences. En un mot, d’après
l’ensemble des réclamations sans nombre et notoirement fondées dans toutes les
provinces il est impossible de se dissimuler que M. le ministre est en fait
contraire avec l’opinion générale du pays sur les opérations cadastrales. Or,
j’en appelle à la conscience de nos adversaires, peut-on, dans une semblable
position, accorder autre chose qu’une provision annale, et la plus modérée
possible ?
Les trois provinces
d’Anvers et des deux Flandres ont déjà obtenu un premier dégrèvement provisoire
de 400,000 fr. dont on doit tenir compte dans tous les cas. Si elles sont
fondées à se plaindre d’avoir trop longtemps supporté une surtaxe injuste,
qu’elles veuillent bien considérer que les autres provinces ne sont pas la
cause de cette erreur, que dans le fait elles n’en sont pas devenues plus
riches, et qu’en définitif ce sont elles aujourd’hui qui doivent en souffrir
les conséquences. Mais, messieurs, défions-nous de nous-mêmes : à côté du désir
de réparer une injustice, se trouve ici le danger d’en commettre une autre.
Voici le texte de l’amendement que j’ai l’honneur
de vous proposer :
« Provisoirement et en attendant que les
opérations cadastrales soient entièrement terminées et réglées définitivement
pour toutes les provinces par le pouvoir législatif, la contribution foncière
sera répartie, à dater de 1836, entre les provinces d’Anvers, du Brabant, des
deux Flandres, de Hainaut, Liége et Namur, conformément aux résultats du
cadastre rappelés dans les tableaux ci-annexés, mais de manière à n’opérer dans
chaque province les augmentations et diminutions qui en résultent qu’à
concurrence seulement d’un tiers. »
M. Gendebien. -
J’ai demandé la parole pour un fait personnel.
M. le président. -
Vous avez la parole pour présenter une rectification.
M. Gendebien. -
Messieurs, je serai très bref. L’honorable préopinant s’est trompé ou le Moniteur a mal rapporté mes paroles.
J’ai dit que l’on pourrait dégrever d’un tiers pour 1836, d’un tiers pour 1837
; et que la législature se réserverait la faculté de déterminer définitivement
la totalité du dégrèvement dans l’année qui suivrait la première session des
états provinciaux.
Dans le cas ou l’on donnerait la préférence au
projet présenté par la section centrale, j’ai dit qu’on pourrait dégrever de
moitie pour l’exercice 1836, et que la législature ne ferait rien de définitif
que dans l’année qui suivrait la première session des états provinciaux.
C’est là ce que j’ai proposé.
M. Doignon. - J’ai
pris mon assertion dans le Moniteur.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Il fallait venir écouter l’orateur !
- La séance est levée à cinq heures.