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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 janvier 1836

(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1836)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des fabricants de coutellerie de Namur demandent un traité de commerce avec la France ou la réunion aux douanes allemandes. »


« Un grand nombre de gardes civiques adressent des observations sur l’organisation actuelle de la garde civique. »


« Les notaires de l’arrondissement de Luxembourg demandent que la chambre mette à l’ordre du jour de ses séances le projet portant des modifications à la loi organique sur le notariat, et adressent des observations sur ce projet. »


« La chambre de commerce de Namur adresse des observations contre le projet relatif à la compétence en matière civile. »


M. Fallon. - Parmi les pétitions dont on vient de vous présenter l’analyse, il s’en trouve une qui est relative au projet de loi sur la compétence des tribunaux de première instance, projet de loi dont la chambre est saisie ; je demande que cette requête soit renvoyée à la commission chargée d’examiner ce projet.

Je demande aussi que la pétition relative à la réunion aux douanes allemandes soit renvoyée à la commission, qui la réunira à d’autres concernant le même objet. Je demande de plus l’impression au Moniteur.

- Les propositions de M. Fallon sont adoptées.

Les autres pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi, amendé par le sénat, sur les concessions de péages

Discussion de l'article amendé

M. le président. - Dans la séance d’hier M. A. Rodenbach a demandé qu’à l’ouverture de la discussion sur la loi concernant les péages, on lût une pétition adressée à la chambre par les habitants de Roulers et relative cet objet.

M. Verdussen donne lecture de cette pétition ainsi conçue :

(Note du webmaster : le Moniteur intègre ensuite le texte intégral de cette pétition. Celui-ci n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

M. le président. - La loi sur les péages est ainsi conçue :

« La loi du 10 avril 1832 pour la concession des péages est prorogée jusqu’au 1er janvier 1837. »

Le sénat a ajouté l’amendement suivant :

« Néanmoins le chemin à ornières de fer destiné à lier la Belgique à la France dans la direction de Gand vers Lille, ne pourra être construit qu’en vertu d’une loi. »

La commission propose l’adoption de l’amendement.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, je viens déclarer que je m’oppose à l’amendement du sénat.

Lorsque j’ai voté la loi du 1er mai 1834, j’ai soutenu fortement que le gouvernement devait construire lui-même le chemin de fer sur les lignes qui étaient alors désignées mais ces lignes doivent être distinguées d’une foule d’autres. J’ai considéré le premier chemin de fer comme étant une route nationale ; et j’en ai voté l’érection afin que nous pussions soutenir la concurrence contre la Hollande sur les marchés de l’Allemagne.

C’est ce principe que j’ai fortement soutenu, qui a déterminé mon vote. J’ai craint que si la route était faite par voie de concession, le gouvernement n’eût pas le pouvoir de baisser les péages dans le cas où la Hollande baisserait les siens. Quand une route est faite par voie de concession, il faut donner des millions aux concessionnaires pour obtenir une diminution de péages ; nous en avons des exemples relativement à des canaux. Dans l’intérêt de notre commerce, il fallait donc que la route fût faite par le gouvernement. Il y avait encore une raison politique pour qu’il en fût ainsi : si les Hollandais, en cas de guerre nous empêchent de naviguer sur l’Escaut, nous aurons la route en fer pour suppléer à cette navigation.

C’est sous ces points de vue spéciaux que j’ai considéré la loi de mai 1834 ; mais la loi concernant les concessions de péages a une toute autre portée ; elle est générale pour le pays : pourquoi faire une exception de Gand à Lille ? il n’y a pas de privilèges en Belgique. Le ministre, devant le sénat, a très bien réfuté l’opinion de ceux qui ont soutenu l’amendement par lequel on a ôté à la loi sa généralité ; depuis, il s’est rallié à cet amendement, parce que, a-t-il dit, il faut une loi sur les concessions de péages ; ce ne sont pas là des arguments parlementaires ; moi je repousse l’amendement, parce que je ne sais pas transiger avec de petites convenances.

L’amendement tend à ôter à la Flandre, pendant plusieurs années, l’avantage dont jouiront d’autres contrées par les chemins de fer. On comprend la nécessité de relations plus multipliées des Flandres avec la France ; mais on ne comprend aussi bien la nécessité d’un chemin de fer à travers le Hainaut pour aller en France. Pourquoi forcer les Flandres à être stationnaires pendant de longues années ? Dans la question des chemins de fer il faut marcher vite. Voyez comment on procède en Amérique ; on y construit des chemins de fer sur une étendue de cinq à six cents lieues : voyez ce qui se passe en Allemagne, en Angleterre. Partout c’est par voie de concession que l’on construit ces routes. Le gouvernement a bien fait chez nous de donner l’exemple, de montrer qu’il y avait des bénéfices à faire. Cette expérience déterminera les concessionnaires à être moins exigeants, et à ne pas élever les péages. En Prusse, où le système des concessions est en vigueur, le gouvernement veut cependant rester maître de la police relativement aux prix de péage. Admettons ici les deux systèmes, celui des constructions par le gouvernement, et celui des constructions par concession ; mais point d’exceptions dans une loi générale. ; point de privilèges contraires à une contrée ; égalité pour toutes.

Je vote contre l’amendement.

M. Kervyn. - Messieurs, je n’ai pas l’intention d’examiner les deux systèmes qui depuis 1834 divisent les esprits en Belgique. Les concessionnistes et les partisans des chemins de fer exécutés aux frais du gouvernement s’appuient sur des raisonnements également solides, sur des faits également concluants ; de sorte qu’il n’y a que le temps et l’expérience qui puissent nous démontrer lequel de ces deux systèmes doit avoir à l’avenir la préférence sur l’autre. Dans d’autres pays, on n’a pas été aussi exclusif que chez nous ; on a adopté pour les travaux publics un système mixte qui procure à l’industrie et au commerce toutes les garanties possibles, sans mettre en jeu les intérêts du trésor, En France, par exemple, et en Amérique, on s’est décidé à faire intervenir les compagnies et l’Etat lui-même. Le gouvernement fait lui-même les études, détermine le tracé, et offre aux capitalistes l’exécution de l’entreprise. En outre, pour que les intérêts du public soient à couvert, l’Etat se rend actionnaire dans l’entreprise ; il dispose, dans le conseil de la compagnie, d’une somme de voix proportionnée à la somme de ses actions, et dirige l’ouvrage dans le sens le plus avantageux. C’est un discours de M. le ministre de l’intérieur de France prononcé le 2 avril dernier devant la chambre des députés, qui nous fait connaître ce mode adopté par le gouvernement français.

Je n’examinerai pas les avantages que renferme ce système. La question n’est plus là ; l’amendement du sénat a consacré tous les systèmes à la fois : il confond, il embrouille tout, notre tâche n’est plus de peser les avantages ou les désavantages que chaque système apporte avec lui, mais plutôt de rechercher lequel de ces systèmes doit être appliqué, d’après l’intention du sénat, aux différents chemins de fer projetés en Belgique.

En effet, messieurs, par suite de l’amendement que le sénat a adopté à la loi des péages, le gouvernement reste chargé de l’exécution, à ses risques et périls, de toutes les communications à ornières de fer, décrétées par la loi du 1er mai 1834 ; la question de savoir s’il peut concéder l’embranchement qui doit lier la Belgique à la France, par le Hainaut, est jugée par cet amendement ; il ne pourra pas le concéder. En revanche, le gouvernement est autorisé à concéder, sans l’intervention de la législature, mais conformément à la loi des concessions de péages, tous les embranchements de chemins de fer, dans quelque direction que ce soit. L’amendement du sénat accorde à cet égard toute la latitude imaginable ; il ne met hors de la loi commune qu’une seule communication à ornières de fer, c’est celle qui doit traverser les Flandres, aboutir à Lille et à la route projetée sur Paris, et donner ainsi au commerce et à l’industrie des Flandres une nouvelle impulsion.

Quant à cette route, messieurs, le sénat ne veut pas qu’elle se fasse ; il ne charge pas le gouvernement de l’entreprendre à ses frais ; il ne veut pas non plus qu’elle soit concédée comme toutes les autres communications en fer, conformément à la loi des péages : il exige que le chemin en fer qui traversera le Hainaut soit fait aux frais du gouvernement. Mais il exige que celui qui traversera les Flandres, ne soit entrepris ni concédé par le gouvernement ; il veut qu’il soit concédé par les chambres, c’est-à-dire il veut (telle est du moins la portée de son amendement) qu’après des enquêtes interminables, qu’après des délais rebutants, qu’après des combats acharnés de localité à localité, tel qu’on n’en voit que trop dans cette enceinte et au-dehors, cette communication si importante soit ajournée indéfiniment. Tel est, messieurs, en dernière analyse, le résultat de l’amendement du sénat.

Maintenant, messieurs, je me demande quel a pu être le mobile qui a guidé les auteurs de cet amendement. Est-ce la supposition que la route des Flandres sera tellement productive, qu’il est de l’intérêt du trésor de l’exploiter à ses frais. Mais dans ce cas, pourquoi n’ont-ils pas formulé un article additionnel de la loi du 1er mai 1834 ? Pourquoi, s’ils la croient si productive, n’ont-ils pas forcé le gouvernement à entreprendre lui-même, comme celle du Hainaut ? Si, au contraire, ils croient qu’elle puisse être concédées, pourquoi celle du Hainaut ne pourrait-elle pas l’être ? Cette dernière serait-elle encore plus productive pour le trésor ? Certainement non, messieurs ; et alors, pourquoi ne pourrait-elle pas, je le répète être entreprise par concession en vertu d’une loi, comme celle des Flandres ? De quelque manière qu’on envisage la question, on ne rencontre qu’injustice ou absurdité.

Il n’entre certainement pas dans mes vues de laisser au gouvernement la faculté de concéder à son gré et à tout prix les grandes communications destinées à lier la Belgique à la France. Non, messieurs, elles sont trop importantes à mes yeux pour que la législature ne soit pas appelée a en connaître. Je n’ai pas non plus de prédilection marquée pour l’un ou l’autre système en matière de travaux publics : l’essentiel pour moi est qu’ils se fassent, et cela aux meilleures conditions possibles pour le commerce et l’industrie. Mais je suis déterminé à rejeter l’amendement du sénat, parce qu’il consacre des principes différents dans l’exécution de deux communications tout à fait identiques, se dirigeant vers le même pays et étant d’une égale importance.

Aussi je voterai pour toute proposition qui tendrait à mettre ces deux constructions sur la même ligne, soit que l’on veuille que le gouvernement demeure chargé d’exécuter l’une aussi bien que l’autre par ses soins et aux frais du trésor, soit que l’on propose un sous-amendement à celui du sénat et que l’on accorde au gouvernement la faculté de concéder, en vertu d’une loi, la route qui traversera le Hainaut comme celle qui traversera les Flandres. Mais, je le dis encore une fois, je repousse de toutes mes forces l’amendement du sénat, parce qu’il consacre une position exceptionnelle pour les Flandres, parce qu’il tend à isoler les intérêts des Flandres dans cette enceinte, et que j’ai la conviction que s’il en était ainsi, ces belles provinces attendraient encore longtemps une communication à ornières de fer, qui serait pour elles si avantageuse.

M. Desmanet de Biesme. - (Erratum inséré au Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1836 :) Je ne partage pas l’avis de ceux qui pensent que l’amendement du sénat embrouille tout ; cependant j’ai besoin d’avoir des explications sur sa portée. Je prierai M. le ministre de l’intérieur de nous les donner. Si j’ai bien compris l’amendement du sénat, il décide que la concession du chemin de fer passant par les Flandres et allant vers la France sera réglée par une loi. Dans la pensée du gouvernement cela veut-il dire que le chemin sera fait aux frais du trésor ? Il ne me semble pas cependant que l’amendement ait cette signification. S’il était question de se décider entre l’un et l’autre système, celui des concessions et celui des constructions par le gouvernement, cela exigerait une longue discussion à laquelle nous ne sommes pas préparés. Quoi qu’il en soit, je présume que l’amendement ne décide rien autre chose, sinon que ce qui concerne le chemin de fer de Gand vers Lille ne pourra être construit qu’en vertu d’une loi. Le ministre a entendu ma demande ; je l’invite à y répondre.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je m’empresse de répondre à l’interpellation faite par l’honorable préopinant.

Il est évident que les termes de l’amendement ne décident rien. Il m’est impossible, au reste, de connaître la pensée qui a présidé à la rédaction de l’amendement et à son adoption ; elle n’a pas été explicite. Cependant je dois dire que lorsqu’il a été fait des arguments pour et contre le système des concessions, plusieurs des orateurs qui ont voté l’amendement, ont déclaré ne vouloir rien préjuger quant au système qui serait adopté relativement au chemin de Gand à Lille, et qu’ils se réservaient leur opinion entière à cet égard.

Telle est l’explication que je puis donner au préopinant.

Je crois devoir dire un mot sur l’opinion que vient d’émettre l’honorable député de Roulers. Je répéterai ici ce que j’ai déjà déclaré dans une des séances précédentes ; c’est que je maintiens intactes les opinions que j’ai développées relativement aux questions dont il s’agit : et si je ne m’oppose pas à l’amendement devant cette chambre, c’est parce que beaucoup de travaux sont prêts à être exécutés, et que si l’on n’avait pas de loi sur les péages, il faudrait les ajourner indéfiniment. Ce qui porterait le plus grand préjudice à certaines contrées. C’est la nécessité d’avoir une loi qui m’oblige à demander sans changement celle que l’on discute maintenant.

M. A. Rodenbach. - On prétend que l’amendement est insignifiant ; je ne suis pas de cet avis ; il ne peut faire aucun bien, mais il peut faire beaucoup de mal ; et je ne vois pas pourquoi on montrerait de la condescendance pour le sénat ; nous ne pouvons sanctionner cet amendement. Je demande au reste pourquoi les mandataires de la nation sanctionneraient des choses insignifiantes.

Je présume que les honorables membres qui ont voté la loi concernant les péages, il y a un mois et sans modification, n’ont pas changé d’opinion depuis ce temps. La mienne est invariable, et je repousse la proposition du sénat.

M. Meeus. - Messieurs, je demande la parole parce que je ne comprends pas que l’amendement du sénat soit insignifiant ; je le regarde, au contraire, comme très significatif, et il me semble que les Flandres surtout sont très intéressées à ce que cet amendement ne soit pas adopté. En voici les motifs :

Si les projets de la société qui veut faire une route en fer et qui demande la concession de Paris jusqu’à Cambrai, pour de là, avec deux embranchements, arriver à Bruxelles par Mons, et à Gand par Lille, si ces projets sont adoptés et si cette société obtient la concession, l’amendement ne dit rien du tout.

Mais si ce projet était abandonné par la société, je vous déclare franchement que la ligne entre Gand et Lille se trouverait dans une situation fâcheuse : tandis qu’une société pourrait demander une concession vers la frontière de France par Courtray, une autre société ne pourrait demander la concession de Gand vers Lille sans le consentement des chambres ; vous voyez bien que cette dernière ligne est dans une position exceptionnelle. Or, je ne vois pas pourquoi on veut la mettre dans une semblable position.

Je n’irai pas plus loin, parce qu’il faut en finir avec cette loi. Si l’on persiste à maintenir l’amendement, je demanderai quel système on veut préférer, des concessions ou des constructions par le gouvernement. Quoi qu’il en soit de la réponse qu’on nous fera, j’ai voulu démontrer que l’amendement est très significatif, et que la ligne entre Gand et Lille est placée hors la loi.

M. Verdussen. - C’est avec peine que je vois s’élever une discussion sur un amendement auquel le ministre donne son assentiment ; toutefois je ne puis laisser sans réponse ce qu’a dit M. Rodenbach. A l’entendre, il paraîtrait que la tendance de l’amendement serait de forcer le gouvernement à construire le chemin de fer de Gand à Lille pour aller à Paris. Je crois que la simple lecture de cet amendement, introduit par le sénat, suffit pour montrer qu’il ne s’agit pas d’exclure les concessions, car on parle même de concéder dans cette disposition : seulement on met une condition à la concession :

« Néanmoins le chemin à ornières de fer destiné à lier la Belgique dans la direction de Gand vers Lille, ne pourra être concédé qu’en vertu d’une loi. »

D’après cet amendement il ne reste qu’à examiner une question fondamentale : savoir s’il convient que ce soit le gouvernement qui construise le chemin de fer de Gand à Lille, ou que ce soit une société particulière.

Mais, messieurs, ce n’est pas ici le moment de discuter cette question ; le moment en viendra quand une société particulière fera une demande pour obtenir la construction de la route ; alors on fera valoir les arguments de part et d’autre, c’est-à-dire en faveur des constructions faites par le gouvernement, ou en faveur des constructions faites par des entrepreneurs.

Quoi qu’il en soit, il y a une remarque à faire dans l’intérêt même de ceux qui pensent qu’il faudrait donner à une entreprise particulière la construction du chemin de fer de Gand à Lille, c’est que si l’amendement était repoussé, la loi devrait être renvoyée une seconde fois devant le sénat ; or, qu’arriverait-il par ce renvoi si le sénat persistait dans son opinion ? C’est que l’on n’aurait pas de loi concernant les concessions, et que les craintes des habitants des Flandres priveraient tout le pays d’une loi importante. Cependant cette loi est d’une utilité, je dirai d’une nécessité incontestable ; et M. le ministre de l’intérieur vous l’a démontré. La privation de cette loi serait une véritable calamité.

M. Dubus. - Je n’ai pas été étonné de voir le ministre de l’intérieur se rallier dans cette enceinte à l’amendement du sénat, encore que ce ministre l’ait fortement combattu dans l’autre assemblée ; loin de voir de l’inconséquence dans cette conduite, elle me paraît très conséquente si je réfléchis aux motifs par lesquels il a combattu l’amendement devant le sénat. Il a fait remarquer que l’adoption d’un amendement aurait pour effet d’ajourner la loi, et que le gouvernement serait sans législation concernant les péages ; et c’est ce qui est arrivé : nous sommes effectivement sans législation depuis le 31 décembre.

Si vous rejetez l’amendement vous allez prolonger cet état de choses. Le ministre agit ici dans le même sens qu’il agissait devant le sénat ; ainsi il y a parfaite conséquence dans sa conduite.

On combat l’amendement introduit par le sénat comme s’il avait tranché définitivement une question, mais point du tout, il ne tranche pas la question, il la réserve ; il évite qu’elle soit tranchée : ainsi on a présenté la chose tout à fait sous un faux jour.

La loi que nous avons discutée à la fin de décembre était une loi d’urgence, elle est encore une loi d’urgence ; telle qu’elle était rédigée elle soulevait des questions d’une haute importance que nous n’avons pas le temps d’examiner profondément et que l’amendement ne fait que réserver.

Cet amendement présente la loi des péages sous une seule exception mais relativement à la route qui fait l’objet de l’amendement, l’amendement ne décide rien ; il réserve à la législature à décider, parce qu’il y a là une question importante sur laquelle il convient que la législature se prononce plus tard après un examen suffisant.

Il y a plusieurs propositions de chemins de fer destines à lier la Belgique avec la France, dans la direction de Gand vers Lille. Je crois qu’il n’y a pas moins de trois projets semblables, dont le dépôt a été fait conformément à la loi.

On a soulevé les questions de savoir si dans la circonstance que l’Etat s’est définitivement chargé de la construction de la route d’Ostende vers Cologne et d’Anvers vers Cologne, avec un embranchement vers la France par le Hainaut, si, dis-je, il ne convenait pas, autant dans l’intérêt de la communication que dans celui de l’Etat, que le gouvernement fût chargé de l’exécution de la communication dont il s’agit. Ce n’est pas tout : Il y a la question du choix à faire entre les projets, et dans l’intérêt général c’est vous qui devez vous le réserver ; ce choix n’est pas indifférent ; il y a tel projet qui, tout en établissant un péage moitié moindre de celui qui est indiqué dans un autre projet, fera cependant participer un plus grand nombre de provinces aux avantages résultant du chemin de fer. Eh bien, on n’a aucune garantie que ce projet-là sera préféré, sera mis en concurrence, qu’un rabais sera ouvert sur ce projet.

Le projet auquel je fais allusion sera non seulement très favorable aux provinces des Flandres et beaucoup plus favorable que l’autre parce que le péage sera moitié moindre, mais il sera également favorable à la province du Hainaut. Est-ce que dans l’intérêt des provinces des Flandres, il faut s’empresser de le répudier, ou faut-il répudier le droit de choisir ? car en rejetant l’amendement vous abdiquez le droit de choisir entre ces différents projets.

J’ai la conviction que l’adoption de l’amendement est autant dans l’intérêt des Flandres que dans l’intérêt du Hainaut. Il me semble que vous ne devez pas déléguer le droit de prononcer sur d’aussi graves intérêts.

Tout à l’heure un honorable membre disait que, si le projet de la société générale était écarté ou retiré, dès lors il y aurait pour les provinces des Flandres, relativement à la communication dont il s’agit, une position exceptionnelle ; mais c’est précisément le contraire ; on ne ferait que mettre ces provinces dans la même position dans laquelle se sont trouvées les autres provinces. C’est une loi qui a décidé que les chemins de fer, maintenant en exécution, seraient faits aux frais de l’Etat, quelle serait la direction des divers embranchements : peut-on dire qu’il y a une exception, pour les Flandres, quand on décide aussi que ce sera une loi qui prononcera quant à elles, qui déterminera le choix entre les différents projets présentés au gouvernement, et que vous jugerez aussi, mais en pleine connaissance de cause et après un examen suffisant, si ce sera l’Etat ou une entreprise qui exécutera ces nouveaux travaux !

Je ne veux pas me prononcer sur cette dernière question, je déclare que je ne suis pas suffisamment éclairé pour cela.

Dans les autres circonstances la loi n’a été rendue qu’après un examen approfondi ; cet examen a eu lieu dans les sections, dans la section centrale, enfin dans cette assemblée même, au moyen d’une très longue discussion ; discussion que je puis dire mémorable, car le souvenir ne s’en perdra pas.

Eh bien, il résultera de l’amendement que l’on examinera de la même manière cette autre partie, en quelque sorte, de ce chemin de fer. Est-ce un malheur que l’on ne puisse prononcer qu’après un examen approfondi ! Il me semble qu’en cela nous ne faisons que notre devoir.

L’amendement n’est donc pas insignifiant, comme le suppose un honorable député des Flandres ; mais il n’est pas non plus préjudiciable ; et je le défends sous ce rapport qu’il met les Flandres dans la même position que les autres provinces. Je crois que ces observations suffiront pour le justifier.

M. Desmet. - Je ne puis partager l’opinion que vient d’émettre l’honorable député d’Anvers, que nous devons adopter l’amendement parce que nous devons craindre que le sénat tiendra opiniâtrement que, par suite, la loi sur les péages serait ajournée.

S’il est vrai que, dans ce moment, nous devons subir la loi de l’autre chambre pour le retard d’une loi qui est de la plus grande importance pour nos provinces, je pense cependant que pour ce qui concerne l’amendement que le sénat a fait à la loi en délibération, il ne mettrait point la même opiniâtreté, et que s’il lui était démontré qu’il était dans l’erreur sur la portée de cet amendement, il ne balancerait point à se railler à nous.

Messieurs, si l’amendement en question est insignifiant alors il serait ridicule de l’adopter, car je ne puis concevoir qu’une assemblée législative puisse faire passer en loi ce qui n’a aucune utilité, ou si l’amendement a quelque importance et est très signifiant, comme vient de le dire l’honorable M. Dubus, alors, messieurs, vous devrez reconnaître qu’il a été rédigé par un esprit de criante partialité à l’égard des provinces de Flandres.

Il est insignifiant, si on l’explique dans son sens purement littéral, c’est-à-dire que, pour l’unique direction dont fait mention l’amendement, celle qui conduit directement de Gand vers Lille, on aurait besoin d’une loi pour pouvoir la concéder, mais que si on abandonne cette direction et que des sociétés se présentent pour en exécuter d’autres, même pas très éloignées du point de Gand, le gouvernement pourrait accorder des concessions sans avoir besoin du concours de la législature. Comme, par exemple, si une société se présentait pour construire un chemin de fer qui, du vallon du Bas Escaut, en partant du village de Melle, se dirigerait vers celui du Haut Escaut, et, en le suivant par Audenaerde, irait atteindre le village d’Espierre et s’y partagerait vers Tournay et Lille. Si c’est ainsi qu’on peut expliquer l’amendement du sénat, vous devrez avouer, messieurs, qu’alors son insignifiante approche du ridicule.

Mais cet amendement sera très signifiant s’il a la portée, comme plusieurs membres paraissent le croire, qu’il s’étend à tous les chemins de fer qu’on trouverait utile de construire dans les Flandres vers la France, que pour nos provinces seules une loi est nécessaire pour accorder des concessions, et que pour les autres parties du royaume le gouvernement peut concéder des travaux de chemins de fer sans en avoir besoin.

Le gouvernement pourra accorder des concessions pour construire un chemin de fer se dirigeant de Bruxelles vers la France par Dinant et Givet, qui serait d’une étendue de vingt lieues, et il n’aurait pas besoin de l’autorisation de la législature ; mais si on veut construire un même chemin vers Lille, qui ne serait que d’une étendue de douze lieues, alors le gouvernement ne pourra le concéder sans qu’il y ait une loi, et cela par le seul motif que le point de départ se trouve dans les Flandres !

Je vous le demande donc, messieurs, n’est-ce pas là une partialité des plus criantes contre les provinces flamandes, et comment pourrez-vous expliquer cette injuste exception pour ces provinces ? Je ne pense pas que vous vouliez les traiter en parias et que, comme sous le régime de 92, vous vouliez les mettre hors la loi. Je ne puis donc douter que vous rejetiez l’amendement.

M. Meeus. - J’ai demandé la parole pour répondre à ce qu’a dit l’honorable M. Dubus. Il prétend qu’il n’y a pas de position exceptionnelle pour les Flandres dans l’amendement du sénat. En vérité, je ne vois pas comment cela ; car encore une fois il est dit : « Le chemin à ornières de fer, destiné à lier la Belgique avec la France, dans la direction de Gand vers Lille, ne pourra être concédé qu’en vertu d’une loi. » Mais si, au lieu de la route vers Lille, un projet est fait d’établir une route de Gand sur Courtray et de Courtray sur Tournay, pour rejeter la route projetée vers Valenciennes, bien certainement le gouvernement est autorisé, d’après le projet, à l’accorder, et ce sera au détriment des habitants des Flandres ; il y a donc pour ces provinces position exceptionnelle et préjudiciable.

D’ailleurs remarquez bien que pour les personnes qui croient qu’il vaut mieux que les routes en fer soient exécutées par le gouvernement, je conviens que l’amendement du sénat peut être considéré comme favorable aux Flandres. Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Si cette question était résolue, à la bonne heure ! Or, elle ne l’est pas je dis donc que dans l’amendement du sénat il y a position exceptionnelle pour les Flandres.

M. Dumortier. - J’ai quelques mots à répondre à l’opinion de l’honorable préopinant. Il y a, dit-il, position exceptionnelle pour les Flandres. Il a dit plus tout à l’heure. Il a dit que les Flandres étaient placées hors la loi par l’amendement du sénat. Moi, je vois, au contraire, dans l’amendement du sénat que les Flandres sont dans la loi.

C’est un principe très salutaire que de laisser à la loi la concession des routes en fer. En ce qui concerne ces communications, j’aurai l’honneur de rappeler que lorsque la loi de concessions de péages fut votée en 1832, il n’était nullement question en Belgique de routes en fer ; il n’y avait aucune route de cette nature pour le transport des personnes. Aussi, dans la loi ne fut-il nullement question de routes en fer.

Il y avait, sous ce rapport, dans cette loi une lacune que le sénat aurait très sagement comblée, en disant que les routes en fer de plusieurs lieues ne pourraient être concédées que par une route en fer. En effet, quand une route en fer est établie, on ne peut pas penser qu’une deuxième route en fer sera établie sur la même ligne, en concurrence ; ces concessions sont en outre accordées pour un terme très long, soit 80 ans. On ne saurait donc environner ces concessions de trop de garanties : on ne perd jamais rien à examiner le choses longuement.

Si la construction du canal de Tournay à Mons avait été réglée par une loi, l’Etat n’aurait pas dû payer un million ou deux de florins pour racheter ce canal. Si la canalisation de la Sambre avait eu lieu en vertu d’une loi, il n’aurait pas fallu deux ou trois millions pour racheter le canal de la Sambre ; et si le canal de Charleroy avait été exécuté en vertu d’une loi, on n’aurait pas eu à vous présenter un projet de loi tendant à dépenser plusieurs millions pour racheter ce canal.

La nation a le plus grand intérêt à ce que les grands travaux soient réglés par des lois ; et quelle que soit mon estime personnel pour M. le ministre de l'intérieur, et bien que je sois certain qu’il examine les choses avec maturité, je serai toujours disposé à laisser à la législature la connaissance de telles questions.

Mais est-il vrai que les Flandres soient dans une position exceptionnelle ? Si on appelle leur position une position exceptionnelle, tout ce que je désire, c’est qu’on place la ville de Tournay dans une telle position exceptionnelle ; c’est qu’il soit décidé que l’on ne pourra concéder qu’en vertu d’une loi l’exécution de la route en fer passant par Tournay.

M. A. Rodenbach. - Proposez un amendement dans ce sens.

M. Dumortier. - Je le ferai volontiers, si on est disposé à l’appuyer ; je vais en exposer les motifs.

Il est incontestable qu’une route en fer doit être faite passant par Tournay, et se dirigeant vers la France. Cette route qui abrégera singulièrement les transports pour un grand nombre de localités, amènera de grands bénéfices ; car on fera en une demi-heure un trajet que l’on faisait en dix jours et avec des frais immenses. Eh bien, ne devons-nous pas désirer que l’exécution de cette route n’ait lieu qu’en vertu d’une loi ? Est-ce donc chose indifférente pour nous que la houille soit transportée à 10 centimes le muid, au lieu de l’être à 50 ou 60 centimes ? En ce qui concerne le transport des personnes, n’est-il pas également de notre intérêt que la loi règle la concession ? N’est-il pas à craindre que si le gouvernement concédait à diverses entreprises, diverses parties de routes, l’on ne perde par les changements de voitures auxquels on sera contraint, l’avantage que doivent présenter les chemins de fer : celui de la célérité. N’avez-vous pas évidemment, sous ces divers rapports, bien plus de garanties, si la matière est réglée par la loi !

Je pense donc qu’il faut admettre l’amendement du sénat, et si la chambre est disposée à adopter un amendement tendant à ce que la route en fer par Tournay ne soit exécutée qu’en vertu d’une loi, je déposerai volontiers une proposition dans ce sens.

M. le président. - M. Dumortier dépose-t-il un amendement ?

M. Dumortier. - Si M. le ministre de l’intérieur prend l’engagement de ne faire exécuter la route en fer par Tournay qu’en vertu d’une loi, je ne déposerai pas d’amendement.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) fait un signe négatif.


M. le président. - Aucun amendement n’étant déposé, je mettrai l’article aux voix. Je mettrai d’abord aux voix la première partie de l’article, ainsi conçue :

« La loi du 19 juillet 1832 (Bulletin officiel, n°519), sur les concessions de péages, est prorogée au 1er janvier 1837. »

- Cette partie de l’article est adoptée.


M. le président. - Je mettrai maintenant aux voix la deuxième partie de l’article ainsi conçue : « Néanmoins, le chemin à ornières de fer, destiné à lier la Belgique avec la France, dans la direction vers Lille, ne pourra être concédé qu’en vertu d’une loi. »

- Plusieurs membres. - L’appel nominal !

- La chambre procède à l’appel nominal sur la deuxième partie de l’article unique du projet. Voici le résultat du vote.

72 membres prennent part au vote.

49 votent pour l’adoption.

23 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Beerenbroeck, Berger, Bosquet, Brabant, Coghen, Cornet de Grez, David, de Behr, de Longrée, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubois, Dubus, B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Jadot, Keppenne, Lebeau, Legrelle, Mast de Vries, Milcamps, Nothomb, Pirson, Quirini, Rogier, Scheyven, Simons, Ullens, Troye, Vandenbossche, Vanderbelen, Verdussen, Watlet, Zoude, Trentesaux.

Ont voté contre : MM. Andries, Bekaert, de Foere, de Jaegher, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Kervyn, Lejeune, Manilius, Morel-Danheel, A. Rodenbach, Stas de Volder, Vergauwen, Verrue, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Meeus, Raikem

Vote sur l'ensemble du projet

La chambre procède à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi ; voici le résultat du vote

71 membres prennent part au vote.

49 votent pour l’adoption.

22 votent contre.

La chambre adopte. Le projet de loi sera soumis à la sanction royale.

Ont voté pour l’adoption : MM. Beerenbroeck, Berger, Bosquet, Brabant, Coghen, Cornet de Grez, David, de Behr, de Longrée. W. de Mérode de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Theux, Devaux. d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubois, Dubus, B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Jadot, Keppenne, Lebeau, Legrelle, Mast de Vries, Milcamps, Nothomb, Pirson, Quirini, Rogier, Scheyven Simons, Ullens, Troye, Vandenbossche, Vanderbelen, Verdussen, Watlet, Zoude, Raikem.

Ont voté contre : MM. Andries, Bekaert, de Foere, de Jaegher, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Kervyn, Lejeune, Manilius, Morel-Danheel, A. Rodenbach, Stas de Volder, Vergauwen, Verrue, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Meeus.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1836

Rapport de la section centrale

M. Milcamps, rapporteur de la section centrale chargée de l’examen du budget de l’intérieur, dépose le rapport sur ce budget.

- La chambre en ordonne l’impression et la distribution.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1836

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du budget de la justice.

M. Frison. - Messieurs, quand on discute le budget du département de la justice, je crois être dans mon droit et dans la question en insistant de nouveau sur la nécessité qu’il y a d’augmenter le personnel de plusieurs tribunaux ; mais rassurez-vous, messieurs, je ne parlerai point exclusivement de Charleroy : ce que je crains avant tout, c’est d’abuser de votre indulgence.

Lorsque nous tâchons de démontrer la nécessité et l’urgence de créer une seconde chambre dans le chef-lieu de l’arrondissement qui nous a envoyé au milieu de vous, nous pourrions peut-être nous étonner de trouver, au nombre de nos adversaires, les honorables députés d’une ville appartenant à la même province, eux que l’on devrait supposer mieux instruits de ce qui se passe chez nous que presque tous les autres membres de l’assemblée. Quel peut être le motif de leur opposition ? je n’en sais rien : je ne veux point leur en faire un reproche, inculper leurs intentions, ni leur conduite, convaincu que je suis qu’ils ne font que suivre l’inspiration de leur conscience.

Toujours est-il que jamais nous n’avons contesté les besoins qui se font sentir au tribunal de Tournay ; qui songerait à enlever à cette ville la gloire et l’honneur d’avoir été le berceau de la monarchie française ? d’avoir été longtemps la capitale d’une province ? Qui méconnaît la prospérité de ses fabriques de tapis, de porcelaines, de bas et de bonnets de coton, et la supériorité de sa chaux ? Mais il faut bien l’avouer, messieurs, tout cela est le l’histoire ancienne, et nous avons pour les vieilles traditions le plus profond respect.

Mais nous, nous d’hier, nous qui n’avons pas de poudreux souvenirs historiques à réveiller, que l’on nous permette de vanter une prospérité industrielle toujours croissante, quand elle doit nous aider à démontrer la cause de notre arriéré, prouver que la justice ne peut être convenablement dispensée dans notre arrondissement avec le personnel actuel. Si l’on ignore encore que la plupart des contestations qui sont portées à notre tribunal prennent leur origine dans les houillères et les minières, que ces procès sont toujours de la plus grande importante, exigent un examen approfondi de la part des juges, occupent souvent plus qu’il n’en faudrait pour expédier une vingtaine les causes d’un autre genre, au moins ai-je tout fait, et à plusieurs reprises, pour chercher à vous en convaincre.

Messieurs, notre état actuel est insupportable et le déni de justice que nous éprouvons s’aggravera tous les jours, par le développement de nos extractions ; c’est une cause permanente de procès : notre richesse est inhérente à notre sol et notre terre sera d’autant plus sillonnée en tous sens que l’industrie des autres provinces prendra plus d’essor ; la houille et le fer, premiers mobiles de l’industrie actuelle, voilà ce que l’on ne peut nous ôter ; toutes les déclamations du monde n’arrêteront pas d’une seconde le piston de nos machines ; nous sommes en progrès, nous ne nous arrêterons pas, nous sommes encore gros d’avenir.

Je devrais encore m’étonner, messieurs, de ce que, tout en faisant abstraction du nombre des causes qui encombrent notre tribunal et du nombre d’audiences consacrées à les vider, d’honorables jurisconsultes paraissent ne point avoir égard à la nature de nos affaires et viennent invoquer un projet de loi en matière de compétence civile qui ne pourra nous soulager en aucune manière ; les juges de paix ne peuvent être appelés à connaître des questions de houillères qui sont si fréquentes à notre tribunal.

Que ceux d’entre vous, messieurs, qui, par de louables motifs d’économie, voudraient ne voir augmenter le personnel d’aucun tribunal, veuillent bien réfléchir qu’il n’y aura de ce chef aucune charge nouvelle pour le trésor : plus on pourra juger de procès, plus ils rapporteront en droits d’enregistrement, de greffe, etc. S’il était permis de plaisanter en si grave matière, je voudrais bien que l’on me chargeât de pourvoir au paiement des traitements des membres de l’ordre judiciaire, à la condition de retirer les bénéfices qui résultent de la dispensation de la justice ; je me considérerais comme le concessionnaire le plus heureux du royaume.

On ne fait pas de difficulté d’admettre immédiatement à une classe supérieure deux tribunaux en considération de la cherté des vivres dans les villes où ils siègent : si j’étais partisan d’économies à tout prix, je pourrais dire que les juges rendent tout aussi bien la justice avec quelques centaines de fr. de moins et qu’il n’y a aucune urgence à admettre la proposition : que l’on pourrait bien attendre aussi la mesure générale ; mais je mettrai tout esprit de localité de côté et je donnerai mon assentiment à ce projet, parce que je sais trop à quelles études a dû se livrer un citoyen, quels sacrifices il a dû faire avant d’occuper une place de juge, qui le met tout d’un coup au premier rang de la société et qu’il doit pouvoir s’y maintenir d’une manière conforme à son état.

Dans une récente discussion, ce qui a le mieux plu à M. le ministre de la justice, c’est la recommandation d’apporter de la maturité dans l’examen de la question des tribunaux ; M. le ministre n’avait pas besoin de ce conseil : il s’est très bien souvenu en cette circonstance du précepte d’Horace et de Boileau : « festina lente » : hâtez-vous lentement. Quoi ! depuis près d’un an des demandes sont faites pour des augmentations de personnel, pour faire rendre justice, et aucun travail ne nous est encore soumis ! il y a des tribunaux, dont les besoins étaient déjà reconnu sous le ministère de l’honorable M. Lebeau, et l’on trouve que l’on n’a point encore eu assez de temps pour faire droit à leurs justes griefs !

Je n’insisterai pas davantage, messieurs, sur ces considérations, sur des vues d’économies mal entendues, parce que vis-à-vis de l’administration de la justice, l’on a été travaillé de ce mal pendant longtemps, et qu’il en reste encore quelque chose quoique le sort des magistrats ait été amélioré depuis le gouvernement sous lequel nous vivons.

Lorsqu’en l’an VIII, Bonaparte (je conserve à ce grand homme le nom qu’il portait alors), qui visait déjà au pouvoir suprême, s’occupa de réorganiser l’ordre judiciaire pour parvenir plus facilement à son but, il le plaça dans l’état le plus complet d’abjection, et usa envers lui d’une parcimonie révoltante : mais ce système odieux était au moins conséquent avec les principes ; si l’on veut, aujourd’hui, une sage liberté, que l’on ne recule pas devant une légère dépense, qui n’est pas réelle, pour donner aux justiciables ce qu’ils sont en droit d’attendre. La justice est, sans contredit, la base et le plus ferme appui d’un gouvernement constitutionnel c’est même une garantie de sa durée. Que M. le ministre se hâte donc, mais promptement, de faire cesser les nombreuses plaintes qui s’élèvent de tant de côtés.

L’on ne viendra sans doute plus nous dire que la chambre est saisie de tous les projets d’augmentation de personnel ; rien n’est moins exact ; un rapport sur toutes ces demandes a été fait par l’honorable M. de Behr. Vous l’avez discuté en séance du 24 août dernier et vous en avez adopté les conclusions de renvoi à M. le ministre de la justice ; c’est donc de lui seul que dépend le redressement de tant de griefs.

Quant à moi, n’y eût-il qu’un seul tribunal, parmi tous ceux qui ont demandé une augmentation de personnel, dont les droits fussent évidents, écartât-on même Charleroy de cette catégorie, je pense qu’on ne peut pas reculer indéfiniment le jour d’avoir égard à sa réclamation ; et que nous ne devons pas nous contenter d’une vague assurance d’y satisfaire dans un temps que l’on ne précise jamais. Pour mon compte, si M. le ministre ne me répond pas sous ce rapport autrement qu’il ne l’a fait jusqu’ici, je me verrai dans la nécessité de refuser mon vote au budget. Je ne pourrais admettre d’énormes dépenses qui ne rempliraient pas le but qu’elles doivent atteindre, c’est-à-dire de faire rendre partout la justice convenablement. M. le ministre attachera peut-être peu de prix à mon opinion, mais je croirai avoir rempli un devoir de conscience.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitement des employés et des gens de service : fr. 97,522. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je sois obligé de proposer à la chambre une légère majoration de 478 francs, de manière à porter la somme totale du crédit de 97,522 francs à 98.000. Voilà le motif de cette augmentation.

Dans le chiffre destiné au paiement des employés de tout le ministère de la justice, se trouve une somme de 16,472 fr. destinée à rétribuer les employés attachés au Moniteur et au Bulletin officiel. C’est au budget de l’année dernière que la section centrale, d’accord avec le gouvernement, proposa de réunir dans une somme globale les deux crédits alloués pour traitements d’employés.

Dans le deuxième se trouve une somme de 800 fr. pour le traitement de l’aide-correcteur au Moniteur. Pendant quelque temps j’ai pu payer un deuxième correcteur au moyen de cette somme. J’en ai eu un excellent. Mais depuis que l’imprimerie a atteint un aussi haut degré de prospérité dans la capitale, les bons employés sont recherchés ; cet aide-correcteur m’a abandonné, et je me suis trouvé dans l’impossibilité de me procurer un bon aide-correcteur au moyen de 800 francs. Le Moniteur en souffre. Quelquefois l’on a adressé dans cette enceinte des plaintes très fondées qui provenaient de la négligence de la correction. Je me suis assuré qu’au moyen de 1,200 francs j’aurais un bon correcteur ; 400 francs seront consacrés à cet usage. J’ai demandé 78 fr. de plus pour que la somme fût ronde. J’espère que ces explications suffiront pour que la chambre veuille bien accorder le supplément que j’ai l’honneur de proposer.

- La somme de 98,000 francs est mise aux voix et adoptée.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Matériel : fr. 13,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais de route et de séjour : fr. 2,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Ordre judiciaire

Article premier

« Art. 1er. Cour de cassation, personnel : fr. 234,300. »

La section centrale propose une réduction de 500 fr.

M. le ministre de la justice (M. Ernst) déclare se rallier à cette réduction.

- Le chiffre de 233,800 fr, est adopté.

Article 2

« Art. 2. Cour de cassation, matériel : fr. 13,000. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Cour d’appel, personnel : fr. 508,890. »

M. Bosquet. - Je ne viens pas contester le chiffre présenté au budget pour le personnel de la cour d’appel. Je proposerai seulement à la chambre de n’allouer le chiffre du personnel pour le président et les conseillers des cours d’appel, notamment de celle de Bruxelles, que sous la réserve de revenir sur ce chiffre pour pouvoir le majorer au second vote, s’il plaisait à la chambre de s’occuper entre les deux votes de la discussion de la loi d’augmentation du personnel de la cour de Bruxelles, ainsi que des lois semblables pour les tribunaux de Hasselt et de Verviers.

Je croirais manquer à mon devoir si je n’insistais pas de nouveau sur l’urgence de ces projets. Je suis décidé à présenter une proposition spéciale lorsque la discussion du budget de la justice aura été terminée.

M. Coghen - Je viens appuyer la demande faite par l’honorable préopinant. Il est urgent que l’on s’occupe de la loi tendant à augmenter le personnel de la cour d’appel.

Il est de fait qu’il y a dans cette cours 800 affaires arriérées. L’intérêt des familles est compromis par les retards qu’amène l’insuffisance du personnel. Je sais que le gouvernement désire tout aussi bien que nous que l’on discute cette loi, puisqu’il reconnu l’urgence de l’adopter. Quant au chiffre en discussion, on pourra le majorer par la loi même qui décidera l’augmentation du personnel.

- La réserve proposée par M. Bosquet est admise.

Le chiffre en discussion est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Cour d’appel, matériel : fr. 18,000. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Tribunaux de première instance et de commerce : fr. 853,550. »

La section centrale propose 853,020 fr.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je déclare me rallier à l’amendement de la section centrale. C’est moi-même qui ai proposé à M. le rapporteur de la section centrale de réduire le chiffre de 530 francs, parce que depuis la présentation du budget, j’ai reconnu qu’il était inutile de conserver deux juges d’instruction à Gand.

M. Dubus. - Je remarque dans l’article en discussion deux augmentations de dépenses. L’une est destinée à augmenter le nombre des commis-greffiers rétribués par l’Etat. L’autre est relative aux frais de bureau des procureurs du Roi.

J’ai quelques observations à présenter sur ces deux augmentations de dépenses.

Pour justifier la demande de crédit peu élevé que nécessite la rétribution d’un plus grand nombre de commis-greffiers, l’on a fait valoir l’augmentation considérable des affaires dans les tribunaux. Cependant il me semble qu’il y avait une considération qui devait ne pas être sans influence sur la question des chiffres. C’est que par la loi d’organisation judiciaire la position du greffier dans les tribunaux, qui n’était pas malheureuse, a été considérablement améliorée, et le résultat de l’augmentation du travail a eu pour conséquence immédiate de l’améliorer encore à tel point que ce fonctionnaire gagne maintenant la moitié en sus et peut-être le double de ce qu’il gagnait en 1832. Maintenant, si vous augmentez le nombre des commis-greffiers dont la création est nécessitée par une augmentation de travail et qu’ils soient aux frais du greffier, qui, s’il est obligé de payer un personnel plus nombreux, gagne d’un autre côté davantage par suite de l’augmentation des affaires, tout est bien. Mais si des commis-greffiers sont rétribués par l’Etat, c’est le trésor public qui paiera et c’est le greffier qui en profitera.

Il y a des tribunaux où il y avait autant de commis-greffiers que maintenant. Un seul était rétribué par le trésor. Je crois que ce titre de commis-greffier ne doit pas faire illusion, Les fonctions ne sont pas les mêmes, si l’on considère un des premiers corps judiciaires, la cour de cassation, la cour d’appel, ou bien si on les envisage par rapport aux tribunaux d’une ordre subalterne.

Je comprends qu’un commis-greffier d’une de ces cours ait une certaine position. Mais dans les tribunaux de première instance, ces employés sont à la fois commis-greffiers et expéditionnaires. Qu’il y en ait un ou deux à la charge du trésor, c’est bien. Mais s’il faut aller au-delà de ce nombre, c’est au greffier à rétribuer une augmentation de personnel dont la nécessité indique l’accroissement des affaires du tribunal.

Une autre observation que je voulais présenter à la chambre a pour objet l’allocation de 15,000 fr. pour frais de bureau des procureurs du Roi. Jusqu’ici l’allocation était beaucoup moindre. Je vois par un arrêté mentionné dons les documents annexés au budget qu’il y a 9 procureurs du Roi qui reçoivent ensemble une somme de 92,000 francs pour salaire d’un commis, ce sont les procureurs du Roi des chefs-lieux des provinces.

Cette somme était prélevée autrefois sur un crédit global de 10,000 fr. Maintenant ce crédit serait porté à 15,000 fr. Ce qui serait 5,000 francs de plus que ce qui a été dépensé jusqu’à ce jour : cette augmentation, dit M. le ministre de la justice, est justifiée par la nécessité de donner un deuxième commis aux procureurs qui prouveront que le commis qu’ils ont déjà ne peut suffire à l’expédition du travail.

Je ne m’oppose pas en principe à l’allocation. Cependant j’ai des explications à demander. Dans l’état actuel des choses et dans l’éventualité de l’adoption, sans l’amendement, sous ce rapport, de la loi provinciale, les menues dépenses des cours d’assises, de première instance, de commerce, etc., sont à la charge des provinces. En effet, ces menues dépenses ont été couvertes jusqu’à ce jour par des allocations aux budgets provinciaux. Je reconnais que ces allocations, qui sont les mêmes depuis 1801, ne répondent guère, aux besoins actuels. Mais dans ces allocations sont confondues les menues dépenses du tribunal et du parquet. Les procureurs du Roi qui ont besoin d’un scribe ont prélevé sur ce fonds une somme, telle minime qu’elle fût, pour rétribuer ce scribe.

Je crois que de la manière dont M. le ministre entend maintenant les choses, les allocations si faibles des budgets ne contribueraient pour aucune partie à rétribuer les scribes des procureurs du Roi, puisque les traitements des deux commis seraient prélevés sur l’article du budget de la justice actuellement en discussion. Le reste serait employé aux véritables menues dépenses des tribunaux, quant aux frais de chauffage, éclairage, achat de papier, salaire du personnel subalterne, qui consiste dans le concierge et des hommes de peine.

Si c’est ainsi qu’on l’entend, je crois que l’allocation pourrait être considérée comme suffisamment justifiée. Si on l’entend autrement, l’état des mêmes dépenses des tribunaux demeurerait le même et les procureurs du Roi continueraient à toucher à la fois une partie de l’allocation provinciale et une partie de l’allocation du budget de l’Etat.

Cela présenterait un véritable inconvénient. Il faut qu’il y ait une ligne de séparation bien tracée entre l’application des deux crédits. Il résulterait de l’allocation qui serait faite par le présent article aux procureurs du Roi que ceux-ci, pour leurs frais d’écriture, n’aurait à s’adresser qu’au gouvernement et nullement aux budgets provinciaux.

Je me borne, pour le moment, à demander à M. le ministre de la justice une explication sur ce second point.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je répondrai aux observations de l’honorable préopinant. J’au lieu d’espérer que nous serons bientôt d’accord.

L’honorable orateur s’est d’abord occupé des commis-greffiers. L’article en discussion est majoré à raison de la création de deux places de commis-greffiers à la charge du trésor, l’un à Liége au traitement de 1.700 fr., l’autre à Arlon au traitement de 1,200 fr.

L’honorable membre a fait à ce sujet quelques remarques qui me semblent très justes.

Lorsque les causes d’un tribunal augmentent, la position de greffier devient plus avantageuse ; dans ces circonstances, lui accorder un nouveau commis-greffier rétribué par l’Etat, ce serait améliorer doublement sa position aux dépens du trésor des contribuables.

Je pense avec l’honorable député de Tournay qu’il ne faut pas sans nécessité augmenter le nombre des commis-greffiers rétribués par l’Etat. Cette nécessité a été reconnue à l’égard de localités dont il s’agit ; je pourrais mettre sous les yeux de l’honorable préopinant une instruction faite de la manière la plus consciencieuse, et je dois le dire, sans qu’il soit jamais entré dans l’intention de personne de faire chose agréable et utile au greffier.

Le tribunal, le procureur du Roi et le procureur-général étaient unanimes pour la création d’une nouvelle place de commis-greffier à Liége et à Arlon. C’est d’après ce document que j’ai trouvé qu’il était de toute justice de nommer les deux commis-greffiers dont je demande le traitement.

Ce qui n’empêche pas que les greffiers dont il s’agit ne soient obligés d’avoir deux greffiers surnuméraires payés par eux. J’ai reconnu que les avantages des greffiers sont loin d’être aussi considérables qu’on le pense. J’ai mis sous les yeux de la section centrale toutes les pièces et elle a pu se convaincre que la mesure que j’ai proposée est conforme à l’équité.

Quant à l’allocation des 15 mille fr. demandée pour les procureurs du Roi, elle est encore de toute nécessité. L’honorable préopinant ne conteste pas cette nécessité, mais il a fait quelques observations que je crois devoir rencontrer.

Quant à la nécessité de l’allocation, je vous dirai qu’une foule de réclamations fondées m’ont été adressées, je les ai mises sous les yeux de la section centrale qui a reconnu qu’il était indispensable de venir au secours des procureurs du Roi.

Dans un grand nombre de localités, les procureurs du Roi étaient obligés de consacrer une partie de leur traitement à payer un commis. Quelques-uns se trouvant souvent détournés de leurs fonctions importantes, forcés qu’ils étaient d’employer leur temps à des écritures, à faire des copies. Cela n’est ni juste ni utile. Il faut que les procureurs du Roi comme les autres magistrats conservent l’intégralité de leurs appointements et s’occupent uniquement des devoirs du ministère public sans être tenus aux travails d’employés subalternes.

Maintenant, je ferai observer qu’il n’est pas question de confondre le traitement des commis des officiers du parquet avec les simples frais de bureau, cette minime dépense qui est à la charge des budgets provinciaux.

Ces frais de bureau n’ont rien de commun avec les traitements des commis. Ces sommes ne passent pas même par les mains du procureur du Roi ; car l’allocation de 10 mille francs, comment est-elle répartie entre les procureurs du Roi ? Ils jouissent chacun d’une quote-part de cette somme pour un commis, mais le traitement de ce commis se trouve porté dans le tableau collectif de tous les traitements, de sorte que c’est directement que l’attribution en est faite à celui à qui elle est destinée ; c’est de la même manière que seront employés les 15 mille fr. que je demande : ils serviront à payer directement le commis du procureur du Roi qui ne pourra dans aucun cas se prévaloir de cette somme pour augmenter son traitement.

Quant aux menues dépenses qui sont à la charge des provinces, elles ne doivent aucunement servir à payer des scribes ; dans tous les cas, elles ne pourront plus être employées de cette manière à l’avenir ; c’est à payer les frais de bureau proprement dits qu’elles sont destinées. Je sais qu’il s’est présenté quelques inconvénients à propos de cette allocation, parce qu’elle comprend collectivement les dépenses des parquets et des tribunaux. Je désirerais que le parquet eût sa part fixe ainsi que le tribunal. Car, il y a quelquefois des difficultés à propos du partage ; j’ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour arriver à ce résultat, et en ce moment même, je poursuis une instruction, je consulte les premiers présidents, les procureurs-généraux et les présidents, pour voir si on ne parviendrait pas à trouver un moyen de faire la part du tribunal et celle du parquet.

Pour résumer cette dernière partie de mes observations, j’aurai l’honneur de dire à la chambre que les 15 mille francs comme les 10 mille recevront une destination différente des menues dépenses allouée, par le budget provincial. Ces menues dépenses, je le répète, ne sont pas destinées à payer les commis, mais des frais de bureau. Les 25 mille fr. seront répartis entre les procureurs du Roi, selon qu’on en aura reconnu la nécessité, pour rétribuer un ou deux commis suivant les besoins plus ou moins grands des localités ; et l’attribution s’en fera directement. C’est sur le rôle de traitements collectifs que seront portés les traitements des commis-greffiers que je croirai devoir attacher aux parquets de première instance.

M. Bosquet. - M. le ministre de la justice ayant présenté les observations que je me proposais de faire, je renonce à la parole.

M. de Behr. - Je demande à dire un mot seulement relativement aux commis-greffiers ; car pour ce qui concerne l’allocation demandée pour les parquets des procureurs du Roi, je ne pourrais rien ajouter aux observations que vient de présenter M. le ministre de la justice.

Quant aux commis-greffiers, M. Dubus a dit que le sort des greffiers avait été amélioré par la loi de 1830 ; que si le nombre des affaires s’était accru, la position des greffiers en était devenue meilleure, parce que plus il y avait d’affaires, plus ils touchaient de droits de greffe. Je lui répondrai que la loi de 1830 n’a pas amélioré le sort des greffiers, attendu que leur traitement est resté le même.

Je lui ferai observer ensuite que le greffier à Liège emploie pour l’expédition des affaires non pas les greffiers surnuméraires, mais des expéditionnaires, et que pas un seul commis-greffier ne fait des expéditions ; tous les droits se trouvent épuisés par le paiement de ces employés ; car, indépendamment des quatre commis-greffiers attachés au tribunal, il y a deux greffiers surnuméraires que le greffier en chef paie ; de sorte que ses émoluments sont en grande partie absorbés par le personnel qu’il est obligé d’entretenir. Ce n’est qu’après que ces circonstances ont été reconnues par le président, le procureur du Roi et le procureur-général que le gouvernement s’est déterminé à nommer un nouveau commis-greffier. Il est impossible d’en contester la nécessité.

M. Dubus. - Il est impossible de concevoir comment les rétributions du greffier ne suffiraient pas à payer le traitement des expéditionnaires. Il est reconnu par tout le monde qu’il y a grand profit pour le greffier à avoir un grand nombre d’expéditions à faire. Le droit de greffe est plus fort que celui alloué par le tarif aux avoués pour copies de pièces. Eh bien, demandez aux avoués s’ils ont de la perte à faire faire des copies pour lesquelles on leur alloue tant par rôle ? Cela me paraît incompréhensible.

M. de Behr. - M. Dubus n’a rien répondu à ce que j’ai dit relativement aux deux commis-greffiers surnuméraires que paie le greffier. Les quatre commis-greffiers sont toujours occupés, et il arrive que l’un d’eux soit malade, c’est un des surnuméraires qui vient le remplacer.

M. Dubus. - Cela fait voir qu’on veut que tous les commis-greffiers à Liége soient en définitive aux frais de l’Etat ; car on vient de dire tout à l’heure qu’il y en avait trois, et on veut faire rétribuer un quatrième par l’Etat.

M. de Behr. - Il y a en outre des quatre commis-greffiers payés par l’Etat, deux surnuméraires payés par le greffier.

M. Dubus. - Il y aurait ainsi six commis-greffiers. Il me semble qu’on s’est parfaitement mis en mesure contre les événements, car la moitié peut être malade et l’autre faire la besogne.

M. Raikem. - Messieurs, je ne parlerai que de ce qui concerne les commis-greffiers, M. le ministre de la justice ayant répondu de la manière la plus ample à ce qu’on avait dit relativement à l’allocation demandée pour les procureurs du Roi chargés de recueillir des documents de statistique judiciaire.

Quant aux greffiers dont l’honorable M. Dubus dit la position améliorée par la loi de 1830, leur traitement est resté le même.

D’après les lois préexistantes, le traitement des greffiers était le même que celui des juges. Le traitement des juges à Liége a été porté à 2,800, qu’il était à 3,200 ; tandis que celui de greffier est resté à 2,800. Ainsi la position du greffier n’a nullement été améliorée.

Maintenant, quant au nombre des commis-greffiers, il doit être fixé d’après le besoin du service. Pour créer un nouveau commis-greffier salarié par l’Etat, une instruction a été faite par le ministre ; les pièces de cette instruction, comme il vient de vous le dire, ont été mises sous les yeux de la section centrale qui a reconnu que les besoins du service exigeaient la nomination d’un quatrième commis-greffier. Cependant, l’honorable préopinant sans contester que le nombre des commis-greffiers doive être fixé d’après les besoins du service, a paru contesté que le nombre fixé pour le tribunal de Liège fût réellement nécessaire.

On sait pourtant que le tribunal de Liége est assez chargé de causes. Il doit y avoir constamment un commis-greffier à chaque chambre, il doit y en avoir un près du juge d’instruction, et il arrive que le juge d’instruction interroge, que les deux chambre tiennent audience, qu’on procède à une enquête et que diverses procédures ont lieu en présence du juge et qu’auprès de ce juge l’office d’un commis-greffier est absolument nécessaire. Voilà une besogne qui peut se présenter journellement et qui nécessite l’emploi de quatre commis-greffiers à la fois. Je viens d’indiquer la destination de chacun. Indépendamment des commis-greffiers, il y a le commis surnuméraire qui n’est pas salarié par l’Etat et d’autres personnes pour le service du greffe.

Je crois que ces simples observations démontrent la nécessité des quatre commis-greffiers nommés par le gouvernement, et la loi conférait au gouvernement, comme chacun sait, le pouvoir de faire ces nominations. D’ailleurs, on n’a pas excédé les besoins du service.

Mais on a dit que plus il y avait d’affaires dans un greffe, plus le greffier toucherait de rétributions, et qu’il devrait payer une partie des commis-greffiers.

Je ferai observer qu’il y a des procédures gratuites pour lesquelles il ne reçoit aucune rétribution quoiqu’il fasse des écritures.

Il serait inutile, je pense, d’en dire davantage. Des autorités compétentes à même de juger consciencieusement et qui n’appuieraient pas une dépense inutile ont été consultées, et le ministre n’a accordé un commis-greffier au tribunal de Liége qu’après avoir recueilli tous les renseignements propres à former sa conviction.

Je crois pouvoir me borner à ces observations.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- L’article 5 est mis aux voix et adopté.

Article 6

« Art. 6. Justice de paix et tribunaux de police : fr. 312,720. »

M. le président. - La section centrale propose de réduire ce chiffre à 311,640.

M. le ministre se rallie-t-il à cette réduction ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est moi-même qui ai proposé cette réduction de 1,080 fr. à la section centrale, et je viens de nouveau proposer une réduction de pareille somme sur le même chiffre, de sorte qu’au lieu de 1,080 fr. du chiffre primitif, je déduirai 2,160, ce qui réduit l’allocation à 310,560 fr.

Voici le motif de cette réduction. Le gouvernement, d’accord avec les chambres, a résolu de ne pas remplacer les greffiers de police dont les emplois viendraient à vaquer. La place de greffier de police de Gand n’est devenue vacante que depuis la présentation de mon budget, c’est pour cela que j’avais proposé le chiffre de 312,720. Mais j’ai donné connaissance de cette vacature à l’honorable rapporteur de la section centrale. Depuis le roi a renvoyé le greffier de police d’Anvers, ce qui a fait une nouvelle place vacante. Il ne sera pas pourvu non plus à cette place. Voilà la raison de la double réduction de 1,080 francs et ce qui explique la réduction du chiffre de l’article à 310,560 fr.

- Ce chiffre est mis aux voix et adopté.

Chapitre III. Justice militaire

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Haute cour militaire, personnel : fr. 62,050. »

- Adopté.


« Art. 2. Haute cour militaire, matériel : fr. 4,200. »

- Adopté.


« Art. 3. Auditeurs-militaires : fr. 53,921. »

- Adopté.

Chapitre IV. Frais de poursuite et d’exécution

Article unique

« Article unique. Frais de poursuite et d’exécution : fr. 550,000. »

- Adopté.

Chapitre V. Constructions, réparations, loyers des locaux

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Construction, réparations et loyer des locaux : fr. 35,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Constructions pour la cour de cassation : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 3. constructions pour la cour d’appel à Gand : fr. 100,000. »

- Adopté.

Chapitre VI. Moniteur et Bulletin officiel

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Impression du Bulletin officiel : fr. 21,300. »

- Adopté.


« Art. 2. Impression du Moniteur : fr. 58,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Abonnement au Bulletin des arrêts de la cour de cassation transmis à toutes les cours et tribunaux : fr. 2,100 fr. »

- Adopté.

Chapitre VII. Pensions et secours

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Pensions : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Secours à des magistrats ou à des veuves de magistrats qui, sans avoir droit à une pension, ont des titres à un secours par suite d’une position malheureuse : fr. 4,500. »

- Adopté.

Chapitre VIII. Prisons

Article premier

« Art. 1er. Frais d’entretien et de nourriture des détenus : fr. 700,000. »

M. Devaux. - (Remarque du webmaster : Devaux a publié un long erratum dans le Moniteur du 30 janvier 1836. Cet erratum se trouve à la fin de ce discours.) Comme la discussion marché un peu vite, contre mon attente, je n’ai pas pu me munir des notes que j’avais réunies, relativement au ministère de la justice. La chambre me permettra de faire quelques observations qui se rapportent bien aux prisonniers, mais qui, je l’avoue, se rattachent plus particulièrement à la discussion générale. Je suis convaincu que le caractère de ces observations sera apprécié par la chambre.

L’année dernière, si j’ai bonne mémoire, au moment de la discussion du budget de la justice, quelques plaintes s’élevèrent dans les deux chambres sur l’augmentation des crimes en général. On croyait que les crimes augmentaient considérablement en Belgique. C’était vers la fin de 1834 que ces plaintes se faisaient entendre dans les deux chambres. Je demandai alors une statistique partielle des grands crimes commis en Belgique.

Le ministre crut mieux faire d’ordonner de dresser une statistique plus complète. Il nous a communiqué ce travail, je l’en remercie, car c’est un document très important.

Une des premières question que je me suis posées en lisant ce document, et que j’avais hâte de voir résolue dans l’intérêt de mon pays, est celle de savoir si réellement les crimes augmentaient dans une grande proportion, comme on semblait le penser généralement. J’avance que j’avais eu toujours des doutes à cet égard. Et en voici la raison. C’est que maintenant il semble qu’il y a plus de crimes, parce qu’ils reçoivent une plus grande publicité. Autrefois, tel crime ou tel délit restait en quelque sorte enfoui dans le lieu où il avait été commis, tandis qu’aujourd’hui que la publicité a plus d’organes dont les relations s’augmentent chaque jour afin d’être mieux informés, les moindres nouvelles se propagent avec beaucoup de rapidité et d’éclat.

J’ai fait quelques rapprochements sur les résultats que constate le rapport au Roi qui précède le travail statistique. Vous avez remarqué dans ce rapport qu’on a établi une comparaison entre les crimes commis antérieurement à la révolution, de 1826 à 1830, et ceux commis postérieurement à la révolution, de 1831 à 1834. On a pris cinq années d’un côté et quatre de l’autre : dans cette période beaucoup de crimes sont diminués.

D’après le rapport au Roi la moyenne annuelle pendant la période antérieure à la révolution est de 703 et dans la période qui a suivi la révolution, elle n’est que de 574.

Il y a donc surtout une diminution notable et dont je vous entretiendrai ultérieurement ; c’est sur les vols. Les vols ont diminué depuis dix ans dans une proportion vraiment incroyable.

La moyenne annuelle des empoisonnements, meurtres et assassinats était de 36 avant la révolution, elle est aujourd’hui de 42.

La moyenne des incendies était de cinq, elle est aujourd’hui de quatre.

La moyenne des infanticides était de sept, elle est restée à ce chiffre.

Pour la fausse monnaie, elle était de 8, elle est de 12.

Le premier article et celui-ci présente une augmentation.

Pour le crime de faux, la moyenne est de 24, elle est maintenant de 15.

Pour viol et attentant à la pudeur avec violence, la moyenne était de 21, elle est aujourd’hui à 16.

Pour coups et blessures, la moyenne était de 98, elle est aujourd’hui à 88.

Pour les menaces sous conditions, la moyenne était de 3, elle est restée à ce chiffre.

Pour la banqueroute frauduleuse la moyenne était de 7, elle est aujourd’hui de 5.

Pour le vol, la moyenne était de 494, elle est aujourd’hui de 382.

Ainsi, vous voyez dans ce tableau deux catégories de crimes augmenter dans une légère proportion, les empoisonnements, meurtres et assassinats renfermés dans un seul article, et le crime de fausse monnaie.

Pour faire une comparaison exacte dont on pût tirer des conclusions rigoureuses, il faudrait connaître non seulement le nombre des crimes poursuivis, mais l’intensité avec laquelle les poursuites ont été faites ; il faudrait savoir si dans une période on n’a pas mis plus de négligence que dans l’autre à faire les poursuites.

Le ministre de la justice a établi une colonne pour les crimes poursuivis dans la période postérieure à la révolution, et dont les auteurs sont restés inconnus ; il aurait fallu qu’un travail pareil eût été fait sur la période antérieure à la révolution, nous aurions pu alors tirer des inductions très rigoureuses.

Mais comme cet élément manque, il est difficile que la comparaison soit bien rigoureuse, dans un sens comme dans l’autre.

Un autre objet m’intéresse particulièrement. A la fin de 1834, plusieurs personnes croyaient que les crimes augmentaient en Belgique, et l’on attribuait cette augmentation à diverses causes. Je me suis demandé si les renseignements fournis tendaient à appuyer cette opinion. J’ai divisé le temps écoulé depuis la révolution en deux périodes, et j’ai voulu voir si elles indiquaient des augmentations de crimes. Par ce travail, je suis arrivé à un résultat que j’ai été très heureux de rencontrer. Je m’en vais vous le faire connaître.

Je prends la période 1831 et 1832 d’un côté, et la période 1833 et 1834 de l’autre.

- Crimes contre les personnes.

1ère période. Traduits devant les cours d’assises, 382.

2ème période, 362.

Si on fait la somme des accusations portées devant les cours d’assises et des crimes dont les auteurs sont inconnus, on aura :

1ère période, 483.

2ème période, 497.

- Crimes contre les propriétés.

1ère période. Accusés, 1,326.

2ème période, 898.

La diminution est ici très remarquable.

Si vous faites la somme des accusations portées devant les cours d’assises et des crimes dont les auteurs sont inconnus, vous arrivez à un résultat à peu près semblable.

1ère période, 2,134.

2ème période, 1,997.

Ainsi, ce résultat est favorable à la seconde période.

Je passe à d’autres crimes.

- Assassinats.

Dans les deux années qui ont suivi la révolution, il y a eu 18 accusations d’assassinats, et 50 assassinats dénoncés ; ensemble 68.

Dans la deuxième période, il y a eu 20 accusations d’assassinats devant les cours d’assises, et 21 assassinats dont les auteurs sont restés inconnus ; ensemble 41 crimes.

- Infanticides.

1ère période :

Devant les cours d’assises, 19.

Infanticides dont les auteurs sont inconnus, 36.

Ensemble, 55.

2ème période :

Devant les cours d’assises, 18.

Auteurs inconnus, 24.

Ensemble, 42.

- Empoisonnements.

1ère période, 4.

2ème période, 2.

- Meurtres.

1ère période, 68.

2ème période, 54.

- Fausse monnaie.

1ère période, 22.

2ème période, 12.

- Incendies d’édifices.

1ère période, 90.

2ème période, 109.

Il y a ici exception : le nombre des crimes va en augmentant.

- Vols sur les chemins publics.

1ère période, 28.

2ème période, 21.

Ainsi, et sur les crimes traduits devant les cours d’assises, et sur les crimes dont les auteurs sont restés inconnus, il y a diminution dans la seconde période ; il n’y a que les incendies qui présentent une exception à cette règle : ces crimes ont augmenté, et leurs auteurs restent presque toujours ignorés. Il y a encore l’article des vols graves qui a augmenté.

Dans la 1ère période, le nombre de ces vols a été de 20.

Dans la 2ème période, il a été de 16.

Messieurs, je le répète, j’ai été fort heureux de trouver ce résultat ; il prouve que les alarmes qu’on avait jetées dans le public, très sincèrement sans doute, n’étaient pas fondées : les crimes n’ont pas augmenté en Belgique : les petits crimes ont diminué, et les grands crimes n’ont pas présenté de progression croissante : on peut dire que généralement les crimes ont diminué.

Messieurs, il me répugnerait de vous entretenir longuement sur une circonstance qui se présente ici, c’est sur le rétablissement temporaire de la peine de mort : quant à moi, je regrette que l’on ait recours à cette peine, et j’espère que le ministre de la justice, mieux éclairé par les faits, imitera ses prédécesseurs qui l’avaient suspendue.

Toutefois je ne veux pas trancher cette question ; l’expérience n’est pas décisive ; je suis loin de dire qu’elle préjuge l’avenir : mais il est un fait, c’est que l’espérance que l’on avait conçue de la suspension de la peine de mort qui date de la révolution, et qui à mon avis a fait honneur à tous les ministres de la justice qui se sont succédé, n’a pas été démentie par les faits. Je sais que cet essai fixait l’attention des législateurs dans divers pays : on le suivait avec un grand intérêt. Je dois dire aussi que si la peine de mort a été rétablie, son application n’a pas été fatale. C’est tout ce que je puis faire remarquer.

J’appellerai maintenant l’attention du ministre de la justice sur un autre objet.

La criminalité des enfants est encore un point remarquable.

S’il fallait en croire la comparaison des époques antérieures à la révolution aux époques postérieures, la criminalité des enfants aurait augmenté. Cette augmentation serait de mille individus par année. On en traduisait autrefois devant les tribunaux six à sept mille, actuellement on en traduit dix a onze mille par an.

Je crois qu’à cet égard les documents ne sont pas complets ; s’ils étaient complets, les résultats pourraient être tout autres. J’engage le ministre à porter son attention de ce côté-là.

Ce qu’il y a encore de très remarquable, c’est la criminalité d’une province à une autre.

Sur 10,000 habitants, je trouve que les différentes provinces ont donné en enfants prévenus et traduits, savoir :

Luxembourg, 5

Hainaut, 6

Liége, 9

Namur, 11

Flandre orientale, 12

Flandre occidentale, 13

Anvers, 13

Brabant, 13

Limbourg, 16.

Cette différence doit attirer l’attention des personnes qui s’occupent de la législation criminelle.

Mais voici à mon avis l’importance du travail statistique, et ce qui doit engager à le rendre aussi complet que possible.

Le rapport de M. le ministre de la justice constate ce fait qu’en Belgique, pendant les quatre années qui ont suivi la révolution, il y a eu 1,721 accusations criminelles devant les cours d’assises, et 3,267 crimes dénoncés dont les auteurs sont inconnus ou n’ont pu être poursuivis ; il suit de là que sur quatre crimes il n’y en a eu qu’un de poursuivi devant les cours d’assises, et qu’il y en a eu trois dont les auteurs n’ont pu être atteints.

De ce qu’un acte est qualifié crime dans l’instruction, il ne s’ensuit pas toujours que ce soit un crime ; car il arrive souvent que les débats révèlent des circonstances atténuantes ; un crime devient un délit ; un assassinat devient meurtre ou coups et blessures, enfin, devient un délit correctionnel ; il arrive enfin qu’il n’y a quelquefois ni crime ni délit. En tenant compte de ceci, je dis que sur 4 crimes il y en a trois qui restent impunis. Je trouve que c’est là-dessus que doit se porter l’attention de l’administrateur de la justice criminelle ; je crois que plus de sévérité et de rigueur dans la police judiciaire rendra plutôt la loi efficace qu’une pénalité rigoureuse.

M. le ministre de la justice a cité le Brabant comme une des provinces où il y aurait le plus de crimes impunis. Je crois, si je ne me suis pas trompé dans les calculs que je viens de faire à la hâte, que le Brabant occupe le milieu parmi les autres provinces.

Sur cent crimes poursuivis ou non poursuivis, Il en reste impuni, dans la province :

du Hainaut, 80

de la Flandre orientale, 72

d’Anvers, 91

de Namur, 69

du Brabant, 63

du Limbourg, 60

de Liége, 39.

Je me permettrai de faire à cet égard quelques observations à M. le ministre de la justice. Je crois comme lui que son attention doit porter particulièrement sur ce point, et veiller à ce qu’il soit donné plus de suite à l’instruction des crimes dénoncés.

Quand un crime est dénoncé, la police dresse sur les lieux procès-verbal et l’adresse au procureur du roi, quand l’affaire est importante. Tout va bien, le procès-verbal est transmis au juge d’instruction, et l’instruction de l’affaire suit son cours. Mais, quand on n’a pas de données positives sur les coupables, très souvent l’affaire en reste là, et, à moins qu’il ne s’agisse d’un grand crime, il n’y est plus donné suite.

Je crois que le premier devoir du chef de l’administration de la justice est d’attirer l’attention des officiers de police, des juges d’instruction et des parquets, sur la nécessité de donner plus de suite à l’instruction des affaires, concernant des crimes dont les auteurs restent inconnus ; je crois que tous les trois mois il devrait être transmis au procureur-général un aperçu de ces crimes, et que des rapports devraient être adressés sur ce point de trois mois en trois mois ou de six mois en six mois, par les procureurs généraux, au ministre de la justice. Je désirerais que l’on employât cette mesure ou toute autre, pour qu’il soit apporté plus de vigilance dans la poursuite des crimes dont les auteurs restent inconnus.

Je citerai encore un défaut dans l’espèce de police qui est faite par la gendarmerie. Quand on veut poursuivre quelques condamnés évadés, ou des individus prévenus de crime, on fait faire une promenade à grand bruit, à quelques gendarmes en grande tenue, montés sur leurs grands chevaux, on les voit ou on les entend de loin ; et qu’arrive-t-il ? C’est qu’on arrête quelque malheureux vagabond qui ne sait pas courir ; puis les autres s’enfuient. Voilà le résultat de ces promenades de la gendarmerie qui ont pour but l’arrestation des malfaiteurs.

Je m’aperçois que j’ai oublié quelques points.

Je désirerais que M. le ministre de la justice voulût porter son attention sur les points les plus importants qui sont qualifiés dans son travail ; par exemple, je signalais tout à l’heure les incendies.

Les crimes d’incendie restés inconnus sont vraiment dans une proportion effrayante. Sur 90 dans la première période de deux années 6 seulement ont pu être poursuivis. Il y en a donc 84 qui sont restés inconnus. Dans la deuxième période, sur 109 crimes d’incendie, il y en a 7 seulement dont les auteurs ont été connus. Il y a vraiment là une plaie de la société. Je sais bien qu’il faudra toujours se résoudre à voir des crimes rester inconnus. Toujours est-il qu’il y a dans ce fait de quoi exciter l’attention du gouvernement.

J’ai entendu dire à quelques personnes dans une discussion récente que la loi des distilleries aurait été cause d’une grande augmentation de rixes, de coups et de blessures. J’ai voulu vérifier ce fait.

Il y a en effet augmentation de délits correctionnels, de coups et blessures. Mais le chiffre de ces délits a à peine atteint celui de l’époque antérieure à la révolution. Vous remarquerez que dans les tableaux des tribunaux de simple police et des tribunaux correctionnels que M. le ministre de la justice a donnés, il y a une augmentation de délits correctionnels. C’est que beaucoup de ces délits ont été poursuivis plus rigoureusement dans la dernière période que dans la première. Ainsi il y a 2,000 délits pour contravention au règlement des poids et mesures. Ainsi la différence entre les deux périodes ne tient qu’à ce que dans la seconde on a introduit un autre genre de poursuites. Je ne pense pas que l’on puisse en conclure que les délits correctionnels soient de beaucoup augmentés.

Je bornerai là mes observations.

(Erratum inséré par lettre de Devaux, dans le Moniteur du 30 janvier 1836 : « Au directeur du Moniteur Belge.

Bruxelles, 28 janvier 1836.

Monsieur,

Le compte-rendu de la séance du 26 contient en ce qui concerne quelques observations que j’ai présentées à la chambre, un si grand nombre d’inexactitude, que je voudrais en rectifier quelques-unes.

Les chiffres 703 et 574 expriment la moyenne annuelle du nombre des accusés pendant les deux périodes de 1826 à 1830 et 1831 à 1834, non pas pour tous les crimes, mais pour crimes les plus graves, d’après le tableau que M. le ministre de la justice en a formé, dans un rapport au Roi.

Le nombre des accusés de crimes contre les personnes en 1831 et 1832 n’est pas de 382, comme on l’a imprimé, mais de 388.

Le nombre d’accusations pour infanticides a été, pendant ces deux années, de 9 et non de 19.

Le nombre des accusations pour empoisonnements, joint à celui des faits d’empoisonnements dont les auteurs sont restés inconnus, a été pendant les deux années 1831 et 1832, de 5 et pendant les deux années suivantes, de 4.

Dans cette dernière période, le nombre des vols punis de mort a été de 18 et non de 16, et dans la première période, de 1 et non de 10. Les renseignements manquent dans les tableaux du gouvernement sur le nombre de ces vols, dont les auteurs sont restés inconnus.

Du reste, dans toute cette partie de mes observations, la comparaison que j’ai faite entre les deux périodes de deux années porte sur le nombre des accusations joint au nombre des crimes dont les auteurs sont restés inconnus.

Dans les lignes qui concernent l’augmentation apparente de la criminalité chez les enfants (accusés et prévenus de moins de seize ans), il faut remplacer les milliers par des centaines. Si les tableaux publiés, il y a quelques années, étaient exacts, voici quels seraient les chiffres de cette progression : 612 pour 1826, 753 pour 1827, 930 pour 1828, 918 pour 1829, 1,001 pour 1831, 1,345 pour 1832, 1,136 pour 1833, 1,152 pour 1834. Mais, ainsi que je l’ai dit, il m’a paru que pour l’époque antérieure à 1830 cette partie du travail a été faite sur des données tellement incomplète qu’il est impossible de tirer aucune conclusion de la comparaison des deux époques ; je remarque même qu’en se bornant à ce qui s’est passé devant les cours d’assises pour lesquelles les renseignements ont dû être plus complets que pour les tribunaux inférieurs, on arrive à un résultat tout contraire ; car, dans la période de 1826 à 1830, on trouve que le nombre des accusés de moins de seize ans condamnés (à la détention) par les cours d’assises a été de 64 ou 12 par an ; et dans la période de 1831 à 1834, de 21 seulement ou 5 par an.

Le chiffre des accusés et prévenus de moins de 16 ans, pendant la période de 1831 à 1834, calculé à raison de 10,000 habitants, a été pour la province de Liége de 7 et non de 9 ; pour la Flandre occidentale, de 12 et non de 17.

Voici les chiffres exacts qui expriment, pour chaque province et pour les quatre années, le nombre des crimes dénoncés dont les auteurs restent inconnus, comparé à la totalité des crimes poursuivis et non poursuivis : dans le Hainaut 80, dont les auteurs restent inconnus sur 100 ; dans la Flandre orientale 60, dans la province d’Anvers, 71, Namur 69, Flandre occidentale 72, Brabant, 63, Limbourg 60, Liège 40, Luxembourg 41.

La proportion générale du nombre des crimes dont les auteurs sont inconnus est à celui des crimes sur lesquels les cours d’assises ont à se prononcer, non comme 3 à 1 mais à peu près comme 2 est à 1. En me servant des mots « crimes dont les auteurs sont inconnus, » j’ai employé l’expression de la statistique de M. le ministre de la justice ; mais j’ai été, comme lui, loin de croire que cette expression fût rigoureusement exacte, quoique le Moniteur semble me faire dire deux fois le contraire : j’ai tout au contraire reconnu, avant qu’on m’eût fait aucune objection, qu’on se tromperait gravement en comptant comme crime tout fait dénoncé comme tel ; mais j’ai ajouté qu’en faisant de ce chef subir au chiffre une réduction très forte fût-ce de la moiti3, des 2 tiers, même des trois quarts, ou davantage encore, il était encore assez élevé pour que le nombre des crimes qui échappent à toute poursuite méritât d’attirer sérieusement l’attention du gouvernement et des magistrats. Il faut se rappeler aussi que si, d’une part, tous les faits dénoncés comme crimes, dans les procès-verbaux adressés aux parquets, sont loin d’avoir réellement tous ce caractère, d’autre part tous les crimes qui se commettent dans la société ne sont pas dénoncés aux parquets. Il ne faut pas oublier non plus, que les cours d’assises n’atteignent pas les auteurs de tous les crimes dont elles ont à s’occuper, et que là encore il y a des crimes dont les auteurs restent inconnus ou impunis.

Cette proportion entre les crimes poursuivis et ceux qui échappent à toute poursuite, je ne l’ai pas signalée comme un fait nouveau ; il est peut-être fort ancien ; seulement c’est la première fois qu’on est à même de le constater par des chiffres.

Je n’ai pas parlé de l’effet des exécutions récentes, comme le Moniteur le rapporte. Je n’ai avancé ni que cet effet eût été fatal, ni qu’il ne l’eût pas été. Je n’ai pas dit que, dans mon opinion, la peine de mort dût être maintenue en la restreignant à un petit nombre de crimes ; j’ai parlé de l’essai qui avait été tenté depuis le gouvernement provisoire ; mais, quant à la question de l’abolition complété de la peine de mort, ce n’était pas le moment de la traiter, et je me suis abstenu d’énoncés à cet égard aucune opinion.

J’ajouterai, en finissant, que l’intention que j’ai eue en faisant la comparaison entre les deux périodes de 1831 et 1832 d’une part, et de 1833 et 1834 de l’autre, me paraît encore avoir été mal comprise. Je n’ai voulu en rien inférer pour l’avenir, en tirer aucune conclusion exagérée, aucune conclusion positive, pas même celle d’une diminution des crimes ; j’ai uniquement voulu faire voir que les faits, aujourd’hui constatés, ne confirment pas l’opinion émise vers la fin de 1834 par plusieurs membres de la chambre, que les crimes augmentaient en Belgique dans une proportion alarmante : à cet égard, le doute ne me paraît plus possible, pas plus pour les crimes auxquels on veut appliquer la peine de mort que pour les autres.

P. Devaux.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - J’ai une seule observation à présenter à la chambre sur le grand nombre de crimes dont les auteurs sont restés inconnus, fait signalé par l’honorable député de Bruges et, à l’occasion duquel il a recommandé plus de vigilance de la part du ministère public, de la gendarmerie et des officiers de police. Je me joins à lui, parce qu’il est toujours bon d’exiger, des officiers de police, tous les soins dont ils sont capables.

Mais il n’y a pourtant pas de quoi s’effrayer, comme a paru le faire l’honorable M. Devaux. Il ne voit que les états statistiques qu’il a sous les yeux, mais il n’a pu se rendre compte de ce qui se passe dans les parquets. C’est à cela qu’il faut attribuer le nombre de crimes non poursuivis.

Il y a dans les parquets un registre que l’on appelle registre de notices. Vous aurez remarqué d’après l’observation faite par l’honorable préopinant lui-même, que c’est surtout en matière d’incendie que se trouve le plus grand nombre de crimes dont les auteurs sont restés inconnus.

Quand un incendie a lieu dans une commune, dans le premier moment l’on ne sait pas si c’est le résultat de la malveillance, ou d’une imprudence ou de tout autre cause. Dès lors l’officier de police dresse un procès-verbal provisoire ; ce procès-verbal est adressé à l’officier du parquet, lequel le porte sur le registre des notices. Comme le procès-verbal constate qu’il y a eu un incendie dans telle ou telle commune sans que l’on en sache précisément la cause, l’officier du parquet commence par le qualifier de crime afin d’exiger une instruction ultérieure. Dès lors le fait est instruit au registre des notices et l’on y ajoute : auteur inconnu. Alors l’officier du parquet transmet le dossier de cette affaire au juge d’instruction et requiert une investigation sur cet objet.

Sur 20 incendies qui ont lieu dans les communes et qui sont portés au registre des notices et tous qualifiés de crimes, je puis assurer à l’honorable préopinant, d’après ma propre expérience, qu’il n’y en a pas un seul qui ait été le résultat d’un crime. Les incendies ont en effet presque toujours lieu par imprudence ou par des causes fortuites. Mais c’est par excès de vigilance que l’officier du parquet qualifie toujours ces événements de crime.

Le plus souvent les informations prises sur les lieux constatent que l’incendie n’est pas dû à la malveillance.

Dés que le fait est constaté, ii devient inutile de constater l’instruction de l’affaire et l’on porte en marge sur le registre des notices, la cause du fait que l’on avait d’abord qualifié de crime.

Il en est de même dans une foule d’autres circonstances.

Je ferai remarquer que, dans la Flandre occidentale, province maritime, le nombre des crimes dont les auteurs sont restés inconnus, est au nombre des crimes dont les auteurs ont été poursuivis, dans la proportion de 72 à 100. C’est que là très souvent il se présente des cas particuliers. Un cadavre est trouvé sur le bord de la mer, aussitôt on dresse un procès- verbal et, à moins qu’il ne soit constaté à l’instant même que c’est un cadavre rejeté par la mer, ce fait est porté au registre des notices comme crime dont les auteurs sont inconnus. Ce sont des faits qu’il faut défalquer des crimes réellement commis et dont les auteurs sont restés inconnus.

Il est nécessaire d’inscrire tous ces faits au registre des notices, afin que l’on puisse toujours juger du degré d’instruction des affaires. Ce registre reste aussi plusieurs années dans les mains des procureurs du Roi et leur permet de se rendre compte de toutes les affaires dont la poursuite a été ordonnée.

Je pourrais citer encore une foule de faits qui, qualifiés d’abord de crimes et de délits au registre des notices, se trouvent, après une première instruction ne plus être placés dans cette catégorie.

A l’époque des récoltes, je suis sûr que le nombre des délits est plus fréquent que dans toute autre période de l’année.

Très souvent il y a contestation entre deux fermiers ou entre des propriétaires sur la propriété d’une parcelle de terre. En d’autres cas, un propriétaire s’empare des récoltes de son fermier sans avoir passé par toutes les formalités voulues par la loi, afin de s’assurer une garantie du paiement de son bail. Le fermier porte sa plainte à l’officier de police qui dresse son procès-verbal d’après la déclaration du plaignant. Il se trouve bientôt, après une instruction superficielle, que le fait qualifié de délit n’en est pas un, mais une affaire du ressort des tribunaux civils. Le fait a été porté d’abord au registre comme délit. Mais la chambre du conseil le convertit en une affaire civile.

Dans les documents statistiques, l’officier du parquet fait le relevé de tous les crimes et de tous les délits inscrits au registre des notices.

Dès lors je ne m’étonne pas que l’honorable préopinant se soit effrayé du grand nombre des crimes et des délits dont les auteurs sont restés inconnus ; si l’on voulait aller à la source, il n’y aurait rien d’effrayant. Si l’on voulait aller à la source l’on verrait que la plupart des faits qualifiés de crimes ne sont au fond rien moins que cela.

Les incendies, les découvertes de noyés, d’asphyxiés, etc., soit portées au registre des notices comme des crimes dont les auteurs sont restés inconnus.

Je ne me suis étendu sur cette observation que pour rassurer l’honorable préopinant sur le nombre effrayant au premier abord des crimes dont les auteurs sont restés inconnus.

Quant au vœu qu’il a fait pour qu’on redouble de vigilance à l’effet de découvrir les auteurs des crimes réels, je ne puis sous ce rapport que joindre ma voix à la sienne.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je commencerai par remercier l’honorable député de Bruges des observations qu’il m’a adressées. Je saurai en faire mon profit, en examinant avec attention les points qu’il a traités, en provoquant, s’il y a lieu les mesures qu’il a indiquées, et d’autres que je croirais utiles.

Je le remercie également d’avoir mis en relief quelques-uns des résultats du travail statistique que j’ai eu l’honneur de soumettre aux chambres. Je ne connais à ces documents que le mérite de l’exactitude et de l’impartialité. Sous ce rapport j’en revendique l’honneur. C’est ce qui doit donner à la chambre le plus de confiance dans les faits constatés.

Ce travail n’a pas été fait dans un esprit de système, mais uniquement dans l’intention de recueillir des données incontestables, n’importe les conséquences qu’on pourrait en tirer.

Quoi qu’il en soit, je n’admets pas les inductions de l’honorable préopinant quant à la peine de mort.

Dans cette question, je vois autre chose que des chiffres, je consulte les besoins moraux, l’opinion du pays. Je crois avoir fait mon devoir en provoquant des exécutions à mort : si la nécessité s’en présentait encore, je remplirais ce triste devoir avec la même conviction.

Je ne pense pas que l’on ait abusé de la peine de mort. Combien de grâces n’ont pas été accordées à des individus condamnés à la peine capitale. Dans quelques parties de la Belgique, les condamnations à mort ont été réclamées comme nécessaires. La frayeur répandue dans les Flandres par la non-exécution du jugement de grands criminels est un fait certain.

Les exécutions qui ont en lieu ont été unanimement approuvées par l’opinion publique. Elles ont frappé trois grands scélérats qui, depuis leur jeunesse, avaient marché de crimes en crimes, ne respectant ni la propriété ni la vie, et qui se jetaient comme des bêtes fauves sur les biens et sur les personnes.

Du reste, lorsqu’une exécution a mort a eu lieu, j’ai exposé toutes les circonstances du crime dans le Moniteur. Car j’ai pensé que la nécessité pouvait seule justifier une exécution capitale.

Voyez ce qui vient de se passer en France à l’occasion de l’exécution de Lacenaire. S’est-il élevé une seule voix contre cette exécution dans le camp des partisans des théories, je pourrais dire, des utopies nouvelles ?

Je dis que ce fait seul prouve que nous n’en sommes pas encore venus au point de pouvoir supprimer les exécutions à mort dans toutes les circonstances.

Quant à la vigilance que l’honorable membre recommande dans la recherche et la poursuite des crimes et délits, je n’ai aucun conseil, aucune instruction à donner sous ce rapport ni aux officiers des parquets, ni aux juges d’instruction, ni à la gendarmerie. Je n’ai que des éloges à leur dispenser. Il est impossible de mettre plus de soin, plus de zèle qu’ils n’en apportent pour seconder les intentions du gouvernement.

Malheureusement nous ne sommes pas toujours secondés dans toutes les communes ; C’est un point sur lequel j’attirerai l’attention de la chambre lors de la discussion de la loi communale. Quelquefois il y a complaisance, quelquefois crainte, quelquefois intention manifeste de ménager les électeurs. Ce sont des faits graves que je n’accueillerais pas très facilement. Mais une infinité de rapports m’ont fait connaître que dans plusieurs localités la poursuite des crimes et surtout des délits était embarrassé par l’apathie des administrations communales.

M. Bosquet. - Sans doute l’on ne saurait trop recommander trop la vigilance aux officiers de police judiciaire dans la recherche des auteurs des crimes et délits. Mais je pense que si malheureusement certains crimes et délits ne sont pas poursuivis, c’est qu’il ne dépend pas toujours des officiers de la police judiciaire que la justice parvienne à atteindre les malfaiteurs.

Je le dis et je le répète avec M. le ministre de la justice, dans l’état actuel de l’organisation communale, l’action des officiers de la police judiciaire est souvent paralysé. Je pense aussi, messieurs, qu’il n’y a pas lieu de s’effrayer comme semble le faire l’honorable M. Devaux, du grand nombre de crimes dont les auteurs sont restés inconnus. Je ferai remarquer à la chambre que, parmi les crimes de cette catégorie, se trouvent un grand nombre de vols dont les auteurs ont été réellement poursuivis. C’est ainsi que, pour l’arrondissement de Bruxelles, où il y a eu beaucoup de vols graves, depuis la révolution, l’on porte dans les documents statistiques un grand nombre de vols dont les auteurs seraient restés inconnus, tandis que réellement les auteurs en sont très bien connus aujourd’hui et ont fini par être atteints par la justice, et expient leur crime dans les prisons de Vilvorde et de Gand. Je puis assurer que la chose est ainsi.

Je suis d’autant plus intéressé à constater ce fait devant l’assemblée que, chargé des fonctions d’officier de la police judiciaire dans l’arrondissement de Bruxelles, je tiens à expliquer comment il se fait que cet arrondissement figure pour un dixième dans le chiffre de 3,267 crimes dont les auteurs sont restés inconnus.

Je vois que, pendant une période de quatre années, il y a eu, dans l’arrondissement de Bruxelles, 14 assassinats, 7 incendies, 7 infanticides et 298 vols qualifiés.

Je puis affirmer que la plus grande partie des vols qualifiés ont été atteints par la loi.

L’honorable M. Devaux a signalé un autre abus. Il a dit que dans les crimes et délits dont les auteurs sont restés inconnus, on se bornait à dresser un procès-verbal, et que là s’arrêtait toute la vigilance de la police judiciaire.

Je ne sais pas ce qui se passe dans les autres parquets, mais je peux affirmer que ce n’est pas la marche que l’on suit au parquet de Bruxelles. Quand on reçoit un procès-verbal on ordonne des recherches aux officiers de police auxiliaires du procureur du Roi de toutes les catégories, et on leur demande des rapports négatifs prouvant que leurs démarches ont été infructueuses. Il est vrai que quand l’officier du parquet a fait tout ce qui dépendait de lui sans arriver à aucun résultat, il s’abstient de transmettre les pièces au juge d’instruction parce que ce serait faire des frais inutiles.

Mais quand les renseignements qu’il a recueillis présentent quelques indices, il n’hésite jamais à transmettre l’affaire au juge d’instruction. Voilà la marche qu’on suit au parquet de Bruxelles, auquel j’ai l’honneur d’appartenir.

M. Devaux. - M. le ministre de la justice en me répondant vous a parlé d’utopie de narrateur.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ces paroles ne s’adressent pas à vous.

M. Devaux. - Aussi je m’étonnais, car je ne croyais pas les avoir méritées. Ce que j’ai dit était empreint de la plus grande modération. Je n’avais pas accusé le ministre d’avoir rétabli la peine de mort ; et je ne viens pas soutenir la nécessité de l’abolir. Je reconnais avec M. le ministre de la justice qu’il faut l’appliquer le moins possible, mais je ne dis pas quand l’opinion la demande, parce qu’en toutes choses il y a des opinions diverses, et ici il est possible qu’une opinion en majorité désire qu’on applique cette peine tandis qu’une autre plus faible désire qu’on examine la question et qu’on applique une peine le moins possible, et une autre enfin qui ne veut pas qu’on l’applique du tout.

Mais nous devons être d’accord sur ce point que pour qu’il y ait lieu à application de la peine de mort, il ne faut pas seulement que l’opinion la demande, que des hommes soient rassemblés autour de l’échafaud qui se félicitent de voir tomber une tête, il faut qu’il y ait nécessité, et cette nécessité doit être dans les faits. Et quant à moi, je dirai que les faits constatés par M. le ministre ne m’ont pas démontré complètement cette nécessité.

J’ai cru qu’il était de mon devoir de faire voir non seulement à la chambre mais au pays que les crimes n’augmentaient pas dans une proportion effrayant, comme en 1834 on l’avait fait craindre.

L’honorable ministre des affaires étrangères a fait une observation dont j’avais déjà tenu compte et que le rapport mentionne, c’est que toutes les crimes dénoncés ne sont pas des crimes ; mais tout en retranchant un grand nombre du chiffre posé, il restera encore assez de marge pour attirer l’attention lorsque sur quatre crimes dénoncés, un seul est poursuivi.

M. le ministre des affaires étrangères a cru qu’il ne s’agissait que de crimes d’incendies, mais cela existe pour tous les crimes : parcourez le tableau, et vous trouverez partout cette proportion.

J’avais engagé M. le ministre de la justice à stimuler la vigilance des officiers du parquet et des magistrats, il m’a répondu que les magistrats faisaient leur devoir. Cependant voici ce que je lis dans son rapport :

« En présence de données statistiques aussi graves, on doit croire que l’action de la justice criminelle, malgré les louables efforts des magistrats qui la dirigent, manque de l’énergie qui lui est nécessaire. »

Eh bien, c’est aussi ce que je crois, et ce que j’affirme comme un fait, non pas pour tout tribunal ni en particulier pour la cour d’assises de ma province, où il y a des magistrats très actifs, qui ne méritent aucun reproche ; mais j’affirme que dans telle localité, il m’est connu d’après des renseignements sur lesquels je ne puis avoir aucun doute que les juges d’instruction, quand il leur arrive des dénonciations de faits dont les auteurs sont inconnus, les considérant comme ne les intéressant pas, jettent les procès-verbaux dans leurs archives d’où ils ne sortent que quand des révélations dues au hasard viennent les en tirer.

C’est un fait sur lequel il faut que le ministre porte son attention. Et malgré les éloges qu’il a donnés aux juges d’instruction et aux procureurs du Roi, je pense que beaucoup conçoivent mal leurs devoirs. Il ne suffit pas qu’ils entendent des témoins, mais il faut qu’ils fassent tous leurs efforts, aussi bien que la police locale, pour arriver à la découverte des coupables.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne comprends pas que l’honorable préopinant ait pu penser que j’aie voulu lui adresser des paroles désobligeantes. J’aurais eu grand tort d’échanger des paroles de cette nature contre les choses utiles qu’il m’a fait connaître. Quand j’ai parlé de partisans d’utopies et d’innovations prématurées, je ne m’adressais pas à l’honorable préopinant ; je faisais allusion à ce qui s’était passé en France à propos de l’exécution d’un grand criminel, et je disais qu’aucun utopiste, aucun novateur même n’avait blâmé cette exécution qui, il faut le dire, est venue au secours de la morale publique qui se trouvait ébranlée.

Ensuite, quand j’ai dit dans mon rapport au Roi que les poursuites criminelles manquaient d’énergie, mes paroles ne s’adressaient pas aux officiers des parquets ou aux magistrats instructeurs. C’est dans la police locale que se trouve le vice dont je me suis plaint. Mes explications l’avaient d’ailleurs assez montré, mais, comme j’ai eu l’honneur de le dire, la chambre trouvera moyen d’obvier à cet inconvénient, quand il s’agira d’organiser la commune.

L’honorable membre dit que nous sommes d’accord, qu’il faut appliquer la peine de mort le moins possible. C’est le principe que j’ai mis en avant, et je crois que les faits répondent à ce principe.

M. Brabant. - Puisqu’on a jugé convenable d’entretenir la chambre du rapport adressé au Roi par le ministre de la justice sur la justice criminelle en Belgique, je crois devoir élever la voix dans l’intérêt de ma province, qui a été fort mal traitée dans ce rapport et qui a été surprise, indignée des résultats annoncés à la page 9.

Je dois relever un éloge que le ministre a donné à son travail. Il a dit que personne ne l’avait soupçonné d’inexactitude ou de partialité. D’abord, je déclare que je ne soupçonne pas ce travail de partialité, et s’il en était empreint, je ne ferais pas tomber une pareille accusation sur le ministre, parce que je sais qu’il est impossible qu’il ait pu donner une attention bien sérieuse à un travail aussi compliqué, mais j’attaquerai le travail sous le rapport de l’exactitude.

Je vois d’abord que pour plusieurs provinces on a écarté tous les crimes qui ne se présentent pas dans le cours ordinaire des choses. C’est ainsi qu’on fait remarquer que 494 accusés étaient mis en jugement comme auteurs des pillages, qui ont désolé les principales villes du royaume, et que des causes accidentelles ayant donné naissance à ces crimes, on a cru convenable de ne pas confondre les accusations qui s’y rapportent avec celles dont les cours d’assises connaissent habituellement.

Mais on n’a pas suivi cette règle à l’égard de la province de Namur. On a maintenu, en ce qui la concerne, tous les accusés de pillage et de dévastations de l’Ecluse, et on l’a gratifiée de toute la bande de Tornaco parce que cette bande a été jugée à Namur.

Ensuite, je prierai le ministre de la justice de vouloir bien ne pas établir la moralité des provinces sur les accusations portées devant les assises, mais de prendre les accuses appartenant à ces provinces.

J’ai été au parquet, nous avons comparé les documents, et nous sommes assurés que l’auteur du document n’a pu atteindre son chiffre accusateur contre la province de Namur, qu’en comprenant les 23 accusés de la bande de Tornaco et les accusés des pillages d’avril 1834 et des dévastations de l’Ecluse qui ont eu lieu à la même époque.

Je ferai remarquer qu’il y a un an les assises de Namur ont eu à juger une bande dont sept ont été condamnés à mort. De ces sept individus, six appartenaient à la province de Liége, un était Français ; la plupart de leurs crimes avaient été commis dans les provinces de Liège et du Brabant, et c’est parce que les autorités de Namur ont été plus vigilantes pour poursuivre les crimes commis dans l’arrondissement que cette bande a été traduite devant la cour d’assises de Namur.

Je fais cette observation sans aucune pensée désobligeante pour le ministre de la justice, mais seulement afin que ceux qui sont chargés de ce travail, y mettent désormais plus d’attention.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne puis pas vérifier, pour le moment, les faits cités par l’honorable préopinant, je les examinerai et ensuite je répondrai d’une manière catégorique.

Si ses observations sont exactes, il en résultera qu’on a commis une erreur en ce qui concerne la province de Namur, et dans ce cas il suffit de la signaler pour qu’elle soit réparée, puisque nous n’avons d’autre but, d’autre intérêt que de dire la vérité.

Quoi qu’il en soit, a-t-il dit, on ne peut pas juger de la moralité d’une province par le nombre des condamnations qui y ont été prononcées. C’est très juste. Aussi n’ai-je pas voulu faire par ce moyen la part de moralité de chacune des provinces, je me suis borné à constater que dans telles et telles provinces il y avait eu autant d’accusés, autant de condamnés, laissant à chacun le soin d’apprécier le degré de moralité de chaque province.

Quant à ce qu’a ajouté l’honorable préopinant, que parmi les accusés poursuivis dans la province de Namur, il se trouve nombre d’étrangers, cela est vrai aussi pour les autres provinces, où il se trouve également des étrangers ; il y a même des provinces où il y a habituellement beaucoup plus d’étrangers que dans celle de Namur, celle de Brabant par exemple.

L’honorable membre ne doit pas attacher trop d’importance au fond à ses observations, et attaquer, en général, l’exactitude d’un travail difficile et consciencieux. Il est difficile de se donner plus de peine et de mettre plus de soin qu’on n’en a mis. Il ne serait pas juste, pour une erreur involontaire, d’accuser nos collaborateurs auxquels il n’y a que des éloges à donner.

M. Dubus. - Des observations ont été faites sur le grand nombre de délits dont on n’est pas parvenu à découvrir les auteurs, et l’on croit que la cause en est, en partie, dans l’inaction des parquets ou des juges d’instruction ; je crois qu’à cet égard une mesure a été prise, laquelle est tout à fait propre à faire connaître si l’on a quelque reproche à leur adresser. Depuis près d’un an le ministre de la justice a prescrit aux procureurs du Roi et aux juges d’instruction, lorsqu’une affaire correctionnelle ou criminelle n’est pas terminée dans un délai qu’il a fixé, de lui en faire connaître le motif.

Le terme indiqué est de trois mois. Ainsi, si après trois mois, une affaire n’est pas arrivée au point que la chambre du conseil ait prononcé, ils sont obligés d’en dire les raisons. Il y a donc un moyen de connaître si l’on a des reproches à adresser soit aux procureurs du Roi soit aux juges d’instruction.

On a dit encore assez formellement que des reproches d’une autre nature pourraient être adressés aux administrations communales ; ce serait le reproche d’entraver le cours de la justice, de faire échapper les coupables, d’empêcher qu’on ne les reconnût. Je crois qu’en général, et sauf quelques exceptions, car partout on trouve des exceptions, les administrations municipales font tous leurs efforts pour découvrir les auteurs des crimes et des délits. A l’égard des délits dont beaucoup d’auteurs ne sont pas connus on a cité des vols ; mais y a-t-il des hommes plus intéressés à ce que l’on connaisse les coupables, à ce que l’on réprime les vols, que ceux qui sont à la tête de l’administration des communes ? Je ne crois pas qu’on puisse citer un seul exemple d’une administration communale qui eût cherché à soustraire un voleur à la peine qu’il aurait méritée.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je pense, messieurs, qu’il n’est entré dans la pensée d’aucun des préopinants pas plus que dans la mienne, de supposer que les autorités communales favorisaient l’impunité d’une manière ouverte et volontaire ; mais on a dit que quelquefois les officiers municipaux ne mettaient pas dans la recherche et la poursuite des crimes et des délits toute l’énergie qu’ils devraient y porter ; ce qui est bien différent. Quant à moi je ne connais pas un officier municipal qui aurait la lâcheté de ne pas poursuivre un voleur.

Mais cette négligence s’applique souvent à d’autres délits dont la répression importe cependant au bon ordre social.

M. A. Rodenbach. - Lors de la discussion du budget du département de la justice pour l’année dernière, nous avons reconnu qu’il y avait une lacune dans la police judiciaire, en ce que les condamnés libérés, pouvant à leur gré changer de résidence, n’étaient pas suffisamment surveillés. Je désirerais savoir si l’organisation des commissions de patronage a suffisamment remédié dans la pensée de M. le ministre au mal que nous avions signalé l’année dernière.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Une loi sur la surveillance des condamnés libérés a été réclamée par la chambre pour des raisons de sécurité publique. Il était de mon devoir de satisfaire au vœu qu’elle a exprimé. Je l’ai fait en présentant un projet de loi dont les sections sont maintenant saisies.

Un arrêté royal a institué des commissions de patronage dans l’intérêt des individus qui ont subi leur peine. Cette institution est récente ; j’espère que ses résultats répondront à mon attente.

M. Raikem. - Un des honorables préopinants vous a dit que les juges d’instruction ne font pas leur devoir, que quand il n’y a pas d’indices évidents à l’égard des coupables, après un premier examen d’une affaire criminelle, ils l’abandonnent sans soins ultérieurs.

Je ne parlerai pas de tous les juges d’instruction du royaume, je ne sais à quelle localité le préopinant a voulu faire allusion ; mais, en ce qui me concerne, je puis déclarer qu’il est à ma connaissance que les juges d’instruction et les officiers du ministère public avec lesquels je puis avoir des relations, font tous leurs efforts pour arriver à la découverte des auteurs de crimes qui sont restés inconnus, et qu’ils n’abandonnent une affaire que lorsqu’ils ne croient plus possible de rien découvrir.

Je ferai remarquer à l’honorable préopinant que le vague de ses assertions pourrait faire planer des soupçons sur des juges d’instruction et des officiers du ministère public qui remplissent parfaitement leur devoir.

M. Devaux. - Je demanderai à l’honorable préopinant s’il veut que je m’établisse dénonciateur. J’ai constaté des faits qui ne s’appliquaient pas à la province de Liège, puisque cette province se distingue d’une manière extrêmement flatteuse. Tandis que dans d’autres provinces le nombre des crimes est de 86 elle ne présente qu’un chiffre de 39. Cette différence est même si forte que je ne puis croire qu’il n’y ait pas erreur. Ce que j’ai dit ne s’applique ni à la ville de Liége ni à celle que j’habite, deux localités où les procureurs du Roi font preuve d’une grande activité. Mais encore une fois j’ai signalé des faits. Il n’est pas convenable pour cela que je fasse des dénonciations.

M. Raikem. - Mon intention n’a été nullement de vouloir que l’honorable préopinant fît une dénonciation. Mais comme les paroles de l’honorable préopinant laissaient planer un vague qu’il était nécessaire de dissiper et qu’il a même détruit lui-même en partie par l’énonciation qu’il vient de faire, je ne pouvais m’empêcher de le prier de préciser les faits. Il a rempli mon intention par la réponse qu’il vient de faire. Mais je le répète, mon intention n’était pas de lui demander des dénonciations. Je tenais à ne pas laisser planer un soupçon sur toute un partie de la magistrature belge.

- La séance est levée à quatre heures et demie.