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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 24 mai 1836

(Moniteur belge n°147, du 26 mai 1836, Moniteur belge n°148, du 27 mai 1836 et Moniteur belge n°146, du 25 mai 1836)

(Moniteur belge n°147, du 26 mai 1836)

(Présidence de M. Fallon, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à une heure et demie.

M. Schaetzen lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Projet de loi concernant la perte des grades des officiers de l’armée

Discussion des articles

Article premier

M. Gendebien. - Messieurs, je crois avoir démontré hier que le projet de loi que nous discutons en ce moment est contraire à la constitution ; sinon au texte formel de l’art 124, au moins à l’esprit de cet article, combiné avec les articles 139, 118 et 94.

On vous a dit en réponse que l’art. 124 laissait toute latitude pour régler de quelle manière les officiers pourraient être privés de leurs grades.

Cet article donne toute latitude, j’en conviens ; mais cette latitude peut-elle aller jusqu’à l’arbitraire ? incontestablement, non ; et l’honorable orateur, auquel je fais allusion, s’est hâté de proclamer le même principe.

Or, je crois avoir démontré à l’évidence que le projet de loi va jusqu’à l’arbitraire le plus large, et pour s’en convaincre, il suffit de relire le n° 1 de l’art. 1er du projet du gouvernement :

« Les officiers de tout grade, en activité, en disponibilité, en non-activité ou en réforme, pourront être prives de leur grade et de leur traitement, pour les causes ci-après exprimées :

« 1° Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou de la subordination militaire. »

Ainsi, pour faits graves non prévus par la loi, l’officier pourra être privé de son grade et de son traitement ; je le demande, si ce n’est pas là de l’arbitraire, si c’est là régler législativement la manière de priver un officier de son grade ? Pour faits graves ! Qu’est-ce qu’un fait grave ? qu’est-ce qui constituera la gravité des faits ?

Un ministre libertin, un ministre puritain, un ministre idéologue, un ministre philosophe ou fanatique, libéral ou aristocrate, interprétera diversement les faits.

Messieurs, on s’est évertué si longtemps à critiquer l’arbitraire de l’arrêté du 20 avril 1815, arrêté qui a été une ces causes principales qui ont provoqué l’opposition de 15 ans, sous le gouvernement précédent, et qui a amené la révolution. Eh bien, messieurs, cet arrêté, qui a été si diversement critiqué, avait sur la loi dont nous nous occupons un immense avantage, c’est qu’il ne consacrait pas l’arbitraire comme règle première, comme base de la loi.

Dans le projet actuel, l’arbitraire figure en première ligne ; dans l’arrêté du 20 avril, on commençait par déterminer divers cas où le citoyen pouvait être poursuivi pour avoir provoqué au désordre ou avoir troublé l’ordre ; puis l’arrêté finissait par cette disposition : « Soit pour tous autres actes contraires au bon ordre. » Or, messieurs, on a écrit des volumes pendant quinze ans, pour démontrer l’arbitraire de cette dernière disposition et pour s’en plaindre. Mais, messieurs, vous faites la même chose ; que dis-je ! vous faites cent fois pire, puisque au moins ces expressions : « Soit pour tous autres actes contraires au bon ordre, » se rapportaient à des dispositions spécifiées et définies immédiatement avant ; on pouvait en conclure que c’était pour tous autres actes de la même nature que ceux qui avaient été précédemment spécifiés dans le même article.

Votre arbitraire, au contraire, n’a aucune limite ; il est consacré dans la première disposition de la loi ; vous dites : « Pour faits non prévus par la loi. » Voilà la base de votre loi, c’est-à-dire l’arbitraire sans limites, sans règles quelconques pour en déterminer la nature, ni les conséquences.

Mais, ne voyez-vous pas que vous violez essentiellement la constitution, bien qu’elle vous ait donné toute latitude pour régler la manière dont un officier sera privé de son grade ? A coup sûr la constitution n’a pas autorisé l’arbitraire ; et je le répète, j’ai démontré hier que vous établissez l’arbitraire dans la loi, contre le texte et l’esprit de la constitution.

Pour compléter ma démonstration, je crois ne pouvoir mieux faire, messieurs, que de vous donner l’opinion du gouvernement lui-même, telle qu’il l’a exprimée à la chambre le 14 septembre 1831, lorsqu’il crut devoir nous présenter un projet analogue. Voici l’exposé des motifs dont M. C. de Brouckere, ministre de la guerre, a appuyé son projet de loi, présenté dans la séance de 14 septembre 1831.

Rappelez-vous que cette présentation suivit presqu’immédiatement les désastres que nous avons éprouvés, ou plutôt qui nous avaient été préparés au mois d’août ; et les circonstances graves où nous nous trouvions à cette époque pouvaient plus ou moins justifier l’arbitraire puisque nous étions à la ville d’une reprise d’hostilités. Mais le ministère d’alors n’en voulait pas ; du moins il nous disait qu’il n’en voulait pas ; c’est-à-dire que dans son opinion le moment n’était pas venu de proclamer, comme on le fait aujourd’hui, l’arbitraire.

Voici ce que disait M. le ministre de la guerre dans l’exposé des motifs dont je viens de parler :

« Messieurs, je viens vous présenter plusieurs projets de lois que nous croyons d’une urgente nécessité. Le premier est relatif à la faculté à accorder au Roi de démissionner, dans certains cas, des officiers de l’armée sans leur conserver ni pension ni traitement. Vous savez que l’art. 124 de la constitution veut qu’aucun officier ne soit privé de son grade et de son traitement qu’en vertu d’une loi. Les art. 25 et 26 des règlements de discipline permettaient de destituer des officiers qui se livreraient habituellement au jeu ou à la boisson ; mais, dans l’exécution de ces articles, il pouvait entrer trop d’arbitraire, et le gouvernement veut accorder aux officiers toutes les garanties compatibles avec la régularité et les exigences d’un bon service et d’une exacte discipline. En conséquence, je suis chargé de vous proposer le projet suivant :

« Léopold, etc.

« De l’avis de notre conseil des ministres, nous avons arrêté et arrêtons :

« Notre ministre de la guerre est chargé de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :

« Vu l’art. 194 de la constitution portant : Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions, que de la manière déterminée par la loi ;

« Vu les articles 25 et 26 du règlement de discipline pour l’armée de terre encore en vigueur, statuant que lorsque des officiers se rendront coupables d’excès dans la boisson ou de mauvaise conduite, et s’adonneront aux jeux et dépenses excessifs, il sera loisible au département de la guerre, sur le rapport qui lui sera fait à l’égard des officiers auxquels semblables reproches pourraient être adressés, de prendre à leur égard telle mesure qu’il jugera convenir ;

« Voulant faire cesser l’arbitraire qui résulte d’une semblable disposition ;

« Considérant cependant que l’honneur militaire exige que les officiers qui, sans commettre aucun crime ni délit prévus par les lois existantes, se rendraient indignes de figurer dans les rangs dé l’armée, puissent en être renvoyés,

« Nous avons, de commun accord avec le sénat et la chambre des représentants, décrété, et nous ordonnons ce qui suit :

« Art. 1er. etc. »

Suit ici une longue nomenclature de faits déterminés, pour lesquels on demandait la faculté de priver un officier de son grade.

Et aujourd’hui qu’allez-vous faire, messieurs ? Vous allez consacrer une disposition beaucoup plus commode, à la vérité, pour la satisfaction du bon plaisir ministériel, beaucoup plus large dans la voie de l’arbitraire, puisque vous dites que « l’officier pourra être privé de son grade et de son traitement pour faits non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou la subordination militaire. »

Ici, on veut donc pouvoir prononcer sur le sort de l’officier, sans avoir pour règle aucun fait individualisé, même aucune catégorie. N’est-ce pas là l’arbitraire dont a parlé M. de Brouckere au nom du conseil des ministres de 1831, et qu’il convenait lui-même, et au nom du conseil des ministres, ne pouvoir subsister à côté de l’art. 124 de la constitution ?

Le projet de loi dont il s’agit reçut des modifications nombreuses et fut voté dans la séance du 16 septembre ; et sur la proposition de M. d’Huart, alors modeste député, il fut décidé que la loi n’aurait d’existence que pour un an ; ainsi on ne voulut faire alors qu’une loi de circonstance, et le gouvernement, ainsi que les chambres, ne voulurent pas même pour une loi de circonstance l’arbitraire qu’on vous demande pour régler l’état normal de notre discipline militaire.

Vous voyez donc que malgré les circonstances graves où l’on se trouvait au mois de septembre 1831, un mois après la déroute de Louvain, à la veille d’être attaqué par l’armée hollandaise, puisque l’armistice ne devait durer, si je ne me trompe, que jusqu’au 26 octobre ; malgré toutes ces circonstances, dis-je, on a reconnu qu’il y aurait de l’arbitraire et de l’inconstitutionnalité à appliquer les articles 25 et 26 du règlement de discipline hollandais ; on a reconnu et on a proclamé, de l’avis unanime du conseil des ministres, que l’article 124 de la constitution n’autorise pas cet arbitraire. L’on n’accorde même, par un scrupule consciencieux, la loi que pour un an, et on ne consent à faire qu’une loi temporaire.

Que les temps sont changés ! Aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de faire une loi qui doit avoir une durée perpétuelle, jusqu’à ce que les trois branches de la législature l’aient révoquée, c’est l’arbitraire le plus large et le plus complet qu’on veut consacrer, c’est le même arbitraire condamné par le ministère tout entier au mois de septembre 1831 ! Nous sommes, messieurs, il faut en convenir, dans un siècle de progrès !

Je ne pense pas, messieurs, que je doive ajouter de nouvelles considérations à celles que je viens de vous présenter, pour vous démontrer l’inconstitutionnalité du projet ; je le dis encore, l’art. 124 de la constitution ne va pas jusqu’à autoriser l’arbitraire ; or, je défie tout homme de bonne foi d’oser nier que l’article 1er du projet en discussion soit l’arbitraire le plus large et cent fois plus audacieux que celui de l’arrêté du 20 avril 1815, dont on a fait à juste titre un crime au gouvernement déchu pendant 15 ans.

Maintenant, messieurs, il me reste une observation à faire sur la partie du rapport présenté au congrès, relative au titre de la constitution traitant de la force publique.

Un amendement avait été présenté par une section, portant « que les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions qu’en vertu d’un jugement. »

Voici ce que dit à cet égard la section centrale :

« La section centrale a été d’avis qu’une pareille disposition pourrait être contraire à la discipline militaire et favoriser plus ou moins l’insubordination ; elle a trouvé dans la liberté et dans la responsabilité ministérielle une sauvegarde contre les abus du pouvoir à l’égard des militaires ; elle s’est encore déterminée pour le rejet de cette proposition par la seule considération que la loi particulière pourrait contenir une disposition sur ce point, conformément au prescrit de l’art. 31, qui porte in fine : « Elle (la loi) règle également l’avancement, les droits et les obligations des militaires. » »

Ainsi, messieurs, il s’agissait de savoir si le militaire pouvait être privé de son grade et de sa pension autrement que par un jugement.

La section centrale a pensé qu’il pourrait être contraire à la discipline d’établir dans la constitution une règle générale, au sujet de la perte des grades ; mais l’a-t-elle repoussée définitivement ? Non, messieurs ; elle a dit que la loi spéciale dont on s’occuperait plus tard en exécution de l’article 31 qui est devenu le 139ème de la constitution, établirait les droits et les obligations des militaires, ainsi que la manière dont ils pourraient être privés de leur grade ; la section centrale n’a donc rien préjugé.

L’honorable M. Tiechen de Terhove a présenté le même amendement dans la discussion du congrès. On était pressé, on l’a invité à retirer cet amendement, en disant qu’à l’art. 139 on statuerait sur ce point. L’amendement n’eut pas de suite, et on abandonna la chose à la législature ; on a statué qu’elle s’occuperait, en exécution de l’art. 139, du sort et des droits des officiers de l’armée ; et veuillez voir la discussion, c’est uniquement dans la crainte de compromettre leurs droits, dans une discussion précipitée qu’on l’a ajournée, et nullement pour éviter de leur consacrer des droits et des garanties.

Voici comment est conçu ce paragraphe 10° : L’organisation de l’armée, les droits d’avancement et de retraite, et le code pénal militaire.

C’est une des obligations imposées par le congrès à la chambre future, de s’occuper le plus tôt possible de ces objets. Rien donc n’a été préjugé. Mais veuillez remarquer que la garantie que la section centrale au congrès trouvait contre les abus qui pourraient résulter de la privation des grades était dans la liberté de la presse et la responsabilité ministérielle.

C’était là la sauvegarde qu’on trouvait contre les abus du pouvoir. Cette sauvegarde, ne l’avez-vous pas détruite par votre seconde loi que vous avez votée il y a trois jours ? N’avez-vous pas entendu un militaire professer dans cette enceinte, comme maxime gouvernementale, la défense aux officiers de l’armée d’écrire dans les journaux : N’avez-vous pas entendu dire que le gouvernement devait faire aux officiers une condition de leur grade, l’engagement de ne pas écrire ? Ainsi disparaît la garantie que trouvait la section centrale du congrès. Et que reste-t-il pour l’armée ? Il reste d’autre part l’arbitraire, j’ose le dire, le plus cynique et qui n’était pas certes dans l’intention du congrès ; ainsi, d’un côté, arbitraire, et de l’autre, la garantie de la publicité contre l’arbitraire disparaît.

Un honorable préopinant vous a dit hier qu’il ne voulait pas d’arbitraire, qu’il le repoussait, et il vous a proposé un amendement au paragraphe premier du projet ministériel. Mais cet amendement ne fait autre chose que de retrancher des motifs de destitution, les faits contraires à la subordination militaire. Voici comment serait alors conçue la disposition : « Pour faits graves non prévus par les lois, qui seraient de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes. »

Il efface les mots « ou la subordination militaire. » Ce retranchement modifie légèrement, mais laisse subsister la cause principale d’arbitraire que j’ai signalée.

Il faut remarquer qu’il a dit que ce n’était que pour autant que la proposition de la section centrale fût repoussée qu’il proposait son amendement ; mais alors est ce que le paragraphe 1er de l’art. 1er serait moins arbitraire, parce qu’on aurait retranché les mots « ou la subordination militaire » ?

Je conçois que l’appréciation d’un fait contraire à la subordination militaire laisse carrière à l’arbitraire, mais le caractère spécial de l’arbitraire se trouve dans les premiers mots de l’article : « Pour faits graves non prévus par les lois qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes. »

Cela constitue l’arbitraire le plus large, et la disposition dont il demande le retranchement n’est qu’un accessoire presqu’insignifiant à coté de la première disposition. Quoi qu’en ait dit l’honorable membre, si l’amendement de la section centrale ne passe pas, l’article, malgré son amendement, ne sera pas moins contraire au texte de la constitution ou tout au moins à son esprit. J’espère que l’honorable membre dont je parle s’expliquera plus catégoriquement relativement à l’article dont il s’agit, et qu’il votera contre l’article 1er amendé, ou dans son ensemble.

J’ai rappelé hier que de simples contraventions en matière de grande voirie pour lesquelles il ne peut être prononcé qu’une légère amende étaient jugées par les cours et les tribunaux, et non plus, comme autrefois, par le contentieux administratif, par le préfet par exemple ; que m’a-t-on répondu ?

La plus petite contravention, vous a-t-on dit, doit être soumise aux tribunaux ; mais, a-t-on ajouté, nous ne faisons pas une loi pénale.

Nous ne faisons pas une loi pénale ? Mais que faisons-nous donc ?

Comment, on reconnaît que la loi qui punit une simple contravention d’une légère amende de deux ou trois francs est une loi pénale, et une loi qui prive un officier de son grade quelque élevé qu’il soit, une loi qui peut le priver de tous moyens d’existence, de l’honneur même (car un officier ainsi destitué sera déshonoré aux yeux de l’armée et de toute la nation), une loi de cette nature ne serait pas une loi pénale ! S’il en était ainsi, je ne comprends plus en quoi consiste le caractère d’une loi pénale. N’est-ce pas une peine que de priver un officier d’un grade qu’il a obtenu au prix de son sang, après avoir traversé vingt champs de bataille ? Et ce grade pourra lui être enlevé par le caprice de tel ou tel ministre, de telle ou telle coterie qui arrivera au pouvoir, ou par suite de tel ou tel événement mal apprécié par un ministre quelconque : car je ne parle pas seulement pour le ministre actuel, mais pour tous les ministres à venir. Sans fouiller dans les bizarreries de l’histoire, n’avons-nous pas vu dans notre propre pays des réactions politiques telles qu’un commissaire de district a été destitué brutalement, a-t-on dit, par le gouvernement, qui le proclamait hostile et dangereux, tandis qu’il est considéré comme l’ami du ministère qui a suivi ; et il se constitue lui-même ouvertement l’ami excessivement indulgent du ministère et du gouvernement qu’il proclame vouloir servir et soutenir en toutes circonstances ?

Ce qui arrive à l’égard d’un commissaire de district peut arriver à un officier, surtout si vous accordez au gouvernement l’arbitraire que consacre le paragraphe premier : « Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou la subordination militaire. »

Cet honneur, comment l’entendra-t-on ? qui l’appréciera ? C’est un mot que chacun interprète selon ses passions, que le gouvernement et ses partisans interprètent presque toujours dans un sens faux ou pernicieux. Tel officier d’un grade élevé, qui s’abandonne, même publiquement à une fille perdue ou de vertu douteuse, contreviendra-t-il à l’honneur ? Les uns, jugeant la chose canoniquement, pourront trouver qu’il se livre au libertinage en public, et qu’il compromet, par le scandale qu’il donne, l’honneur de la profession des armes ; les autres pourront trouver la chose toute simple ; d’autres penseront qu’un officier supérieur peut se conduire de cette manière, mais ils en feront un crime, un cas pendable pour un officier inférieur. Que devient la positions d’un officier, dès lors qu’il est soumis à l’interprétation de mots aussi vagues que ceux-ci : « Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité des armes, ou la subordination militaire. » ? En vérité, messieurs, l’officier ne sera plus que le jouet du caprice, de l’intrigue ou du hasard.

On vous dit : Nous ne faisons pas une loi pénale. En cas de contravention, un tribunal prononce une peine ; dès lors qu’il y a une peine attachée à un fait par la loi, cette peine doit être prononcée par un tribunal, a dit le ministre de la justice, parce que toutes les fois qu’une loi atteint un citoyen dans une partie de sa fortune, de sa propriété, c’est un tribunal qui doit l’appliquer.

Cela est vrai ; mais lorsqu’on prive un officier de son grade pour un fait non déterminé par la loi, n’est-ce pas une peine qu’on lui inflige.

Quand il s’agit de condamner un citoyen à deux, trois ou quatre francs d’amende, on reconnaît que c’est là une pénalité, et c’est un tribunal qui doit appliquer la peine ; et pour priver un officier d’un traitement de 16,000 fr. quand c’est un général de division, de 11 mille et autant de cents francs, si c’est un général de brigade ; de huit mille et des cents fr., si c’est un colonel, et ainsi de suite de grade en grade, vous le privez annuellement et pendant toute sa vie d’une somme aussi considérable ; de plus, vous le flétrissez dans son honneur ; et ce n’est pas là une loi pénale que vous faites, et vous ne touchez pas à ses droits, à son existence, à tout ce qu’il a de plus cher ? Mais, messieurs, on vous a fait une distinction ; on vous a dit : Quand vous attaquez la propriété, vous attaquez le citoyen dans ses droits civils, et la loi garantit les droits civils et la propriété de tous les citoyens. Il ne peut donc en être privé que par un jugement. Mais est-ce que la loi ne garantit pas aussi le grade à l’officier ? Sans doute, il peut en être privé ; oui, comme tout citoyen peut être privé d’une portion de son bien et de la vie même par un jugement. Mais est-ce à dire que vous pouvez arbitrairement l’en priver sans aucune forme, sans aucune garantie ?

On vous a dit que les juges seuls étaient inamovibles et que leurs fonctions étaient leur propriété. On a ajouté que ce n’est pas dans l’intérêt des juges qu’on avait établi cette inamovibilité, mais dans l’intérêt général, dans l’intérêt des justiciables, pour éviter que le pouvoir exécutif exerçât une influence trop facile sur les magistrats destinés à juger les différends entre les citoyens, et même entre les citoyens et le gouvernement. Sans prétendre que le grade de l’officier soit inamovible comme les fonctions judiciaires, je ferai observer que ce n’est pas seulement dans l’intérêt de l’officier que la constitution lui a reconnu des droits, c’est aussi dans l’intérêt des libertés publiques, pour éviter que l’officier ne soit soumis au joug trop pressant qui le fasse servir d’instrument aveugle aux caprices ou au despotisme des dépositaires du pouvoir. C’est, a dit la section centrale du congrès, « pour éviter, ce que plus d’un publiciste a fait ressortir, le danger d’entretenir à grands frais une armée nombreuse en temps de paix, qui trop souvent, au lieu de servir à assurer le salut de l’Etat, sert aux entreprises du despotisme. L’exemple de tous les gouvernements absolus fournit la preuve de cette vérité. » Voilà une des raisons pour lesquelles la constitution a reconnu des droits aux officiers, c’est afin qu’ils ne fussent pas à la merci du gouvernement, pour qu’ils ne laissassent pas piller dans telles circonstances où le gouvernement trouverait à propos de laisser piller, et ne commissent pas par ordre ou comme devoir de corvée, dans telle autre circonstance, des crimes contre la liberté individuelle, la liberté de la presse et les autres libertés consacrées par la constitution. » Voilà pourquoi on leur a reconnu des droits. Comment ! vous voudriez refuser des droits ou priver de leurs droits des officiers qui datent de l’empire et de la république, qui ont acquis leurs grades sur des champs de bataille et sous d’autres gouvernements, et vous voudriez les priver de ces grades acquis au prix de leur sang. Vous voulez les assimiler aux fonctionnaires civils, destituables à volonté, suivant le caprice du gouvernement !

Ne voyez-vous pas, indépendamment de la différence immense que deux orateurs ont fait remarquer entre l’officier et le fonctionnaire civil, que cet officier a inféodé sa vie à la défense de son pays ? ne voyez-vous pas que cet officier dont on semble envier le traitement en temps de paix, demain peut être appelé à faire le sacrifice de sa vie ?

Ainsi, d’un côté vous exigerez des officiers qu’ils soient toujours prêts à faire le sacrifice de leur vie, et d’un autre côté vous voulez, selon votre bon plaisir, sacrifier cette vie en leur enlevant les seuls moyens d’existence qu’ils aient acquis par 20 ou 30 ans de travaux et de dangers. Et-ce là de la logique ? Est-ce là de la raison, de la sagesse ? Je ne dis pas : Est-ce de la constitutionnalité ? car on sait depuis longtemps que la constitution est lettre morte.

Toutefois, messieurs, propriété ou non du grade pour l’officier qui le possède depuis ou avant la constitution, il n’en est pas moins vrai que la constitution a dit, art. 124, qu’une loi réglerait les droits des officiers et la manière dont ils seraient privés des droits que la constitution leur consacrait ; eh bien, je soutiens que c’est une dérision, une déception, une honteuse hypocrisie que de prétendre que la constitution a permis de priver un officier de son grade « pour faits graves non prévus par les lois, » comme votre projet l’autorise.

Je le répète, messieurs, au mois de septembre 1831, on qualifiait d’arbitraire précisément ce que vous voulez établir maintenant en loi ; et c’est le ministre de la guerre d’alors qui, au nom du conseil des ministres tout entier, disait cette vérité ; on se croyait obligé, à cette époque, de respecter la constitution malgré la gravité des circonstances ; et après cinq années d’organisation, au milieu du calme, on passe par-dessus les principes constitutionnels, par-dessus des principes reconnus par le pouvoir exécutif lui-même.

Et pourquoi cela ? Parce qu’on ne veut pas voir les véritables causes du malaise de l’armée, causes qui ont été signalées, qui sont connues de tous, même du gouvernement qui ne les dissimule que parce qu’il veut l’arbitraire pour arriver au despotisme ; je déclare hautement que la loi que l’on propose, loin de faire disparaître le malaise, ne fera que l’augmenter.

Lorsque vous ferez usage de la loi, quoique je ne sache pas trop si vous l’oserez, mais dans le cas où vous l’oseriez, chacun étant bien convaincu que l’arbitraire est dans la loi, tous ceux qui seront frappés se plaindront de l’arbitraire et se considéreront et seront en général considérés comme des victimes d’un caprice, d’une vengeance ministérielle. De là mécontentement, irritation, plaintes et clameurs publiques, sympathie pour les victimes et haine pour le gouvernement.

Voilà tout le profit que l’on retire ordinairement de l’arbitraire. Lors même qu’il frappe juste, on l’accuse encore, par cela seul qu’il a en main un instrument de caprice, de vengeance, d’arbitraire. Ou suppose toujours que celui qui s’en sert, même à juste titre, en abuse et viole les règles de la justice.

Si vous êtes décidés à renoncer aux principes de la constitution, revenez au moins aux principes de la sagesse et de la prudence la plus commune ; ayez au moins l’instinct de votre propre conservation ; ne vous exposez pas à des attaques même mal fondées.

Parmi les orateurs qui ont essayé hier de me répondre, il en est un qui ne m’a pas compris. Je me plaignais du renchérissement d’arbitraire que notre loi consacrait, par comparaison à la loi française de 1834, portée après des événements que les ministres de Louis-Philippe se sont hâtés d’exploiter ; et je disais que la loi belge était cent fois plus détestable que celle de France. Qu’a-t-on répondu ? On a répondu par la section 3 de la loi française qui ne traite pas le moins du monde de l’objet en discussion, puisqu’elle traite de la mise en non-activité et de la mise au traitement de réforme, et point de la perte des grades qui fait l’objet de la section 1er.

J’ai cité l’art. 1er de la loi de 1834 ; je l’ai lu tout entier ; c’est là où l’orateur aurait dû trouver se réponse et non ailleurs, car cet article traite de la perte du grade, et il est complet.

Un autre orateur a dit qu’il n’y avait pas un officier bon et loyal dans l’armée qui n’applaudît au projet ; je dis à mon tour qu’il n’y a pas dans l’armée un bon et loyal officier, et c’est le plus grand nombre, qu’il n’y a pas un officier qui n’applaudisse en effet à une loi qui retrancherait de l’armée un officier qui se conduit mal, qui s’oublie au point de déshonorer son épaulette ou l’armée, comme le dit cet orateur ; mais est-ce à dire qu’il y ait dans l’armée un officier qui applaudisse à l’arbitraire du projet en discussion ? Non ! Car celui qui applaudirait à l’arbitraire serait grandement imprudent. En effet, il pourrait lui-même être atteint par cet arbitraire.

Tout officier qui aujourd’hui se croirait très bien en cour et en faveur auprès des ministres, pourrait fort bien être en disgrâce demain et devenir victime de leurs successeurs, précisément parce qu’il était l’ami et le favori des ministres disgraciés.

Aujourd’hui c’est telle opinion qui domine au conseil, demain c’est telle autre opinion. Aujourd’hui tel système, telle coterie, demain un autre système, une autre coterie.

Ceux qui seraient assez imprudents, à cause de leur position vis-à-vis du pouvoir, pour applaudir à une loi de bon plaisir, pourraient bientôt se trouver dans une position toute différente vis-à-vis des nouveaux ministres. On pourra même faire des catégories : tantôt on accusera les officiers pour n’être pas venus assez vite se réunir aux soldats de la révolution ; tantôt on accusera ceux qui ont coopéré à la faire, d’avoir quitté trop tôt leurs drapeaux et leur serment.

Une autre fois on poursuivra les officiers pour avoir été hostile envers les Français ; le lendemain on attaquera d’autres officiers qui se sont montrés leurs amis. Que l’armée ne s’y trompe pas, toutes les catégories de l’armée sont dans la même position et courent les mêmes chances ; elles peuvent toutes être atteintes par la loi ; car on ne peut se dissimuler qu’il peut arriver au pouvoir des hommes de toutes les nuances que j’ai indiquées. Tous peuvent abuser de l’arbitraire ; tous, au contraire, seront impuissants pour le mal, si vous faites une bonne loi. Et pour les honorables officiers auxquels on en appelle, dont on invoque le témoignage et l’appui, je les prie de réfléchir à ces mots de l’art. 1er.

« Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes. »

Je les adjure de bien se pénétrer des conséquences de cette loi, qui peuvent successivement atteindre chacun d’eux : elle est un vrai poignard qui, dans les mains des ministres, peut frapper aussi bien à droite qu’à gauche, et enlever leur existence à tous successivement.

On ne veut, dit-on, qu’écarter les officiers qui déshonorent l’armée, et on n’écartera que ceux-là. Mais, messieurs, l’exemple du passé n’était pas là pour nous prouver qu’il n’en sera pas ainsi, nous pourrions nous laisser prendre à un pareil piège ; mais vous savez comment le pouvoir a déjà traité d’honorables officiers.

Six honorables officiers de cuirassiers, pour avoir refusé de signer, sous parole d’honneur, une déclaration qu’ils n’avaient pas écrite dans les journaux, n’ont-ils pas été brutalement retranchés de leur corps et de l’armée ? Voilà la mesure de la modération et de la sagesse que l’on apportera dans l’exécution de la loi ; voilà la mesure des garanties qu’on nous promet. C’est déjà assez pour des législateurs d’être obligés de confier l’exécution et l’interprétation des lois à des hommes, les constituer en même temps législateurs et juges ; c’est une monstruosité que, dans tous les pays civilisés, on appelle l’arbitraire. Ceux qui nous promettent autre chose de la loi, mentent à leur propre conviction.

On appliquera la loi aux mauvais officiers ; je le veux bien, mais qui jugera que tel officier déshonorera l’armée ? Et d’après quelles règles jugera-t-on ? Etablissez vos catégories, établissez les faits punissables ; établissez l’échelle de peines graduée selon la gravité des faits, alors vous aurez une loi ; sans cela vous n’aurez que de l’arbitraire, je vous le répète. Mais, vous a dit le même orateur, la commission d’enquête sera toujours indulgente et favorable aux officiers. D’abord, je ferai remarquer que pour le traitement de non-activité et de réforme, il n’y aura pas de commission d’enquête ; il n’y en a que pour la perte du grade. Comment et par qui sera-t-elle d’ailleurs composée cette commission d’enquête ?

Cet honorable membre devrait se rappeler de quelle manière on a jugé certains officiers de la révolution. Il vous a dit lui-même, en octobre 1831, que pour les uns on avait motivé leur renvoi par ces mots : « bons à rien, » et cet honorable membre était mieux à même que qui que ce soit d’apprécier quelle était la capacité, le degré d’instruction de ces officiers, puisqu’il avait concouru à leur éducation. Cependant c’est une commission qui a déclaré que tel et tel n’étaient bons à rien, et c’est sur un pareil motif que des officiers ont perdu leur position.

Que maintenant une autre commission soit établie et composée d’une autre manière, dans un sens opposé, cela pourrait arriver ; elle dira de ces officiers qui se sont signalés comme hostiles dans les premiers jours de notre révolution : « dangereux dans une armée destinée à maintenir les libertés acquises ; » et moyennant cette déclaration, on mettra ces officiers de côté, on les privera des fruits de 25 ou 30 ans de service.

Quelle sécurité les commissions d’enquête peuvent-elles présenter ? Quand on consulte l’histoire, on voit toujours que, selon les diverses époques, on a abusé des commissions, et on a constamment obtenu d’elles tout ce que l’on en voulait.

Vous rappellerai-je les réactions qui ont eu lieu après la première et surtout après la seconde restauration des Bourbons en France ; vous rappellerai-je que malgré un traité fait sous les murs de Paris, et qui garantissait une amnistie générale pour tous les officiers, on a assassiné juridiquement plusieurs officiers généraux et supérieurs ?

Le brave général Chartrand, qui à l’âge de 36 ans avait gagné tous ses grades sur les champs de bataille, qui avait commencé sa carrière militaire à l’âge de 14 ans et demi, en 1793, comme simple volontaire ; eh bien, il a été assassiné à Lille, le 6 mai 1816, par une commission et avec l’apparence hypocrite de formes judiciaires. Il a été exécuté, il a été assassiné le 22 mai, une année après le second retour des Bourbons.

Vous voyez, messieurs, que le temps efface lentement l’influence des réactions ou d’autres passions plus viles, qui dominent presque toujours les tribunaux d’exception.

Le brave général Chartrand a été condamné à l’unanimité par la commission, bien que le traité de Parts ait garanti une amnistie générale pour toute l’armée. Et il est probable, messieurs (cette réflexion est bien poignante), il est probable que si les mêmes hommes qui ont été appelés à juger sous les Bourbons, eussent été appelés sous l’empire à juger les Bourbons eux-mêmes ou leurs amis, ils auraient peut-être été unanimes aussi pour les condamner eux et leurs amis.

Voici un extrait du Moniteur universel du 15 mai 1816, qu’il est bon de consigner au Moniteur belge et aux archives de la chambre :

(Extrait du Moniteur universel du 15 mai 1816, n°136)

« Lille, le 10 mai 1816.

« Le premier conseil de guerre permanent de la 16ème division militaire, convoquée en conséquence des ordres de S. Exc. le ministre secrétaire d’Etat de la guerre, par M. le lieutenant-général marquis de Jumilhac, commandant la division, et composé par lui ainsi qu’il suit : »

(Composé par lui ainsi qu’il suit ! Vous le voyez, messieurs, lorsqu’il s’agit d’une commission, on choisit des juges comme on choisit des bourreaux.)

« MM. le baron Charnotet, maréchal de camp, président : le baron Evain, maréchal de camp ; le comte de Caraman, maréchal de camp ; le baron Dechamps, colonel des cuirassiers d’Orléans ; le chevalier Morzet, chef d’escadron de la gendarmerie ; Goudmetz, capitaine des hussards du Nord ; Vauvermhoud, capitaine de la légion du Nord ; Dorey, capitaine de la légion du Nord, procureur du roi ; Duthoit, greffier.

« A condamné hier à l’unanimité (notez bien, à l’unanimité !), condamné hier à l’unanimité M. le maréchal de camp Chartrand à la peine de mort, comme convaincu d’avoir rempli, en mars et avril 1815, une mission dont le but a été de détruire le gouvernement du roi dans le midi de la France. »

Le 22 mai, le brave général Chartrand a été fusillé sur les glacis de Lille.

Voilà, messieurs, comment agissent les commissaires nommés par des ministres.

Au mois de mai 1816, cette commission a condamné le brave général Chartrand, qui avait conquis, je le répète, tous ses grades sur le champ de bataille. Cette même commission, ou au moins plusieurs d’entre eux (car je vois parmi eux des noms qui auraient été aussi dévoués à l’empire, dans sa prospérité, qu’ils l’ont été à la restauration) ; ces mêmes hommes auraient, sans plus hésiter, aussi bien condamné les amis de Louis XVI, de Louis XVII, de Louis XVIII, et probablement encore ils auraient condamné de même les amis de Charles X, si on leur avait donné des hommes à condamner après juillet 1830.

Que ceci vous serve d’exemple ! Jugez par l’expérience du passé de ce qui adviendra de votre loi, qui n’est qu’une loi de vengeance.

Malgré un traité aussi formel que celui qui fut signé, à l’intervention de Wellington, sous les murs de Paris, un sénat, le sénat de France, constitué en commission extraordinaire, a condamné le brave des braves, le maréchal Ney.

Une commission militaire, jugeant à l’unanimité (touchante unanimité de zèle, de dévouement, de cruauté !), a condamné un général qui avait fait pendant 20 ans l’admiration de l’Europe, et l’a condamné précisément pour des faits dont ses bourreaux l’auraient félicité sans doute, si l’empereur avait été vainqueur à Waterloo !

Jugez d’après cela, messieurs, si, dans le siècle où nous vivons, il n’est pas de la plus haute prudence de se mettre à l’abri de l’arbitraire et des partis qui l’exploitent.

Quant à moi, qui n’ai jamais voulu de l’arbitraire, pas plus sous Guillaume que sous aucun gouvernement, et qui ai acquis le droit d’en vouloir moins après 1830 qu’avant cette époque, je voterai contre toute la loi.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honneur, la dignité de la profession des armes, la subordination militaire sont des conditions essentielles dans une armée. Sans elles mieux vaudrait n’avoir pas d’armée. Là-dessus nous sommes tous d’accord. Quand il s’agit de chercher une sanction légale, les opinions se divisent.

Le gouvernement vous propose d’autoriser la privation du grade :

« 1° Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou la subordination militaire. »

Je m’attacherai principalement à justifier cette disposition, qui a donné lieu à la discussion la plus sérieuse.

Les faits graves qui ne sont pas prévus pas les lois et qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes ou la subordination militaire, devront être réprimés ; sinon pas de discipline, et, par conséquent, pas d’armée. Comment arriver à ce but ? Faut-il énumérer tous les cas ? Non ; tout le monde convient que c’est chose impossible.

La loi prévoira-t-elle quelques faits, comme le propose votre section centrale ? Mais alors vous aurez une loi incomplète. Or, je le déclare, si j’avais l’honneur d’être ministre de la guerre, je préférerais n’avoir pas de loi que d’avoir une loi impuissante. Alors au moins les conséquences de l’indiscipline retomberaient sur ceux qui auraient rejeté les lois nécessaires pour la réprimer. Le ministre ne répondrait pas de l’ordre dans l’armée lorsque vous lui auriez refusé les moyens de l’y conserver.

Voyez la loi du 22 septembre 1831. Elle prévoyait quelques cas : l’ivresse habituelle, la débauche, la crapule. A quoi a servi cette loi ? à rien.

M. Gendebien. - Cela prouve que l’armée valait mieux que la loi.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne vous ai pas interrompu !

Cette loi n’a servi à rien, parce que la plupart des faits d’indiscipline n’y étaient pas compris. Aussi le gouvernement a attaché si peu de prix à cette législation qu’il l’a laissée tomber, et il a bien fait.

On a reconnu de tout temps l’impossibilité d’énumérer tous les actes attentatoires à la discipline militaire. Lisez l’article 27 du règlement militaire, et vous aurez la preuve de ce que j’avance :

« Art. 27 Outre les transgressions susmentionnées contre la discipline, doivent encore être comprises et punies comme telles les transgressions contre toutes ordonnances ou règlements de police et de service intérieur statués ou à statuer, et en général toutes actions ou démarches incompatibles avec le maintien du bon ordre et d’une bonne discipline dans le service milliaire, quand même elles ne seraient pas ici spécifiées. »

J’appelle votre attention sur ces mots : « quand même elles ne seraient pas ici spécifiées. » Il est bien prouvé que si on veut efficacement prévenir l’indiscipline, il n’y a qu’un moyen, c’est de sanctionner une disposition qui embrasse tous les actes attentatoires à l’honneur et à la subordination militaire ; de cette manière, se trouve complètement justifié l’article qui vous est proposé par le gouvernement.

Il faut des garanties aux officiers, cela est vrai ; mais ce n’est pas dans l’énumération des faits d’indiscipline qu’on peut les chercher. Je démontrerai que les seules garanties possibles et de véritables garanties sont offertes à l’armée.

On craint que le ministère n’abuse d’une loi aussi large. Les officiers, dit-on, sont abandonnés aux caprices ministériels ; aucune garantie, aucune forme ne les protège ; ils deviendront des instruments de despotisme.

Mass, messieurs, il n’y a dans ces attaques qu’erreur et exagération. Qui donc décide si l’officier inculpé a réellement commis un fait grave contre l’honneur ou la subordination militaire ? Est-ce le ministre ? Non. C’est un conseil d’enquête, et ce conseil d’enquête n’est-il qu’une commission formée par le ministre, comme on l’a supposé ? Non encore une fois. C’est le sort qui désigne les membres du conseil ; des officiers du même grade ou grade supérieur le composent. Eh ! ce n’est pas sans règles que ce conseil décide ; au contraire, toutes les formes protectrices y sont observées.

Qui donc pourrait refuser de comparaître devant ce conseil d’honneur ? qui repousserait un jury aussi honorable ? Personne.

Remarquez-le bien, messieurs : si le fait n’est pas déclaré constant par ce conseil aucune mesure ne peut être prise contre l’officier inculpé.

Peut-on dire, après cela que les officiers sont livrés aux caprices ministériels ?

D’un autre côté il n’est pas à craindre que les officiers appelés à donner leur avis sur les faits sacrifient un de leurs pairs aux caprices, à l’esprit de vengeance ou de despotisme d’un supérieur ; car, en agissant ainsi, ils se frapperaient eux-mêmes, ils compromettraient leur propre existence par une déclaration injuste. D’ailleurs les officiers belges seront toujours au-dessus de semblables suppositions.

Pourquoi le ministre sacrifiera-il les officiers à ses caprices ? Tout s’y oppose : son devoir, son intérêt. A-t-on jamais vu un ministre méconnaître ainsi son honneur et les nécessités de sa position pour tourner toute l’armée contre lui ? Le ministre ne doit-il pas tenir à ce que l’armée lui soit attachée, dévouée, s’il veut compter sur elle ? or des poursuites injustes de la part du ministre lui aliéneraient évidemment l’esprit de tous les officiers. Mais les bons officiers n’ont rien à redouter d’une loi qui n’est faite que dans l’intérêt de l’armée.

Je crois avoir prouvé, messieurs, que si d’un côté la loi contient une disposition large pour atteindre tous les actes qui compromettent la discipline, d’un autre côté, toutes les précautions sont prises pour assurer une décision impartiale. Sans doute, si on avait pu prévoir les cas, cela aurait mieux valu et nous n’y aurions pas fait opposition ; nous n’avons aucun intérêt contraire, car si nous voulions le règne de la discipline dans l’armée, nous voulons, avant tout, la justice pour tous.

Une considération importante se présente ici.

Si la loi est incomplète, le mal est sans remède.

Il n’en est pas de même des inconvénients que peuvent présenter des dispositions vagues. Indépendamment de la sécurité que nous offre le conseil d’enquête, nous avons contre les abus qu’un ministre pourra faire de la loi toutes les garanties de nos institutions constitutionnelles. La publicité, la responsabilité ministérielle sont des moyens puissants. La tribune, la presse signaleraient bientôt les injustices dont les officiers seraient victimes. La presse ! Non, dit un honorable préopinant, vous ne voulez pas que les officiers écrivent dans les journaux ! Sans doute. Rien n’est plus contraire à la subordination militaire que de voir des militaires écrire contre leurs chefs. Mais si un officier est destitué, pourquoi ne se plaindrait-il pas ? Il n’a plus rien à ménager. Les journaux n’accueilleront-ils pas ses plaintes ? Pourquoi la tribune resterait-elle muette ?

Les observations que j’ai faites doivent faire rejeter l’amendement de la section centrale qui, à l’exemple du législateur de 1831, substitue à une règle générale quelques faits isolés.

M. le ministre de la guerre a fait valoir contre cet amendement un argument qui ne me semble pas avoir été bien compris et que je crois utile de reproduire.

Il n’est pas convenable, a dit cet honorable collègue, de prévoir dans une loi définitive des actes tels que l’ivresse habituelle, le libertinage, les voies de fait, qu’on pouvait tout au plus énumérer dans une loi transitoire.

En effet, messieurs, que dirait-on à l’étranger si on voyait spécialement rappelés dans une loi constitutive de notre armée des faits semblables ? Ne s’imaginerait-on pas qu’ils sont fréquents parmi nos officiers ? Mais, dit-on, vous ne craignez pas de proposer un texte qui comprend ces cas, et encore bien d’autres ; au moins nous n’inscrivons en tête de nos lois militaires que des mots que nous pouvons y voir figurer avec orgueil : Honneur, subordination militaire.

Eh ! je dois le dire, messieurs, une loi semblable est en parfaite harmonie avec nos institutions. Car c’est dans les pays libres surtout qu’une discipline sévère doit régner dans l’armée.

En Angleterre, aux Etats-Unis, le chef de l’Etat révoque les officiers quand il le juge utile et sans en rendre compte à personne ; et la raison en est simple : une armée sans frein serait un élément de dissolution, tandis que l’action ministérielle est soumise à des moyens réguliers de contrôle et de surveillance.

Je crois devoir combattre aussi l’amendement de l’honorable M. de Brouckere, qui propose de retrancher du numéro 1° ces mots : la subordination militaire.

Ce n’est pas, messieurs, sans doute parce qu’il est plus difficile de définir la subordination militaire que l’honneur et la dignité de la profession des armes, que l’honorable membre insiste sur cette suppression. Il n’y a pas plus de vague d’un côté que de l’autre. Il n’est pas plus possible de prévoir tous les faits qui compromettent gravement la subordination que ceux qui portent atteinte à l’honneur militaire.

D’ailleurs, un conseil d’officiers est très compétent pour juger si un fait est ou non attentatoire à la subordination militaire, et il ne sera pas embarrassé pour donner son avis.

Mais, dit l’honorable membre (et c’est la principale raison qu’il a alléguée), l’insubordination militaire est un acte de désobéissance. Or, le fait de désobéissance est déjà prévu par la loi de réforme. Vous ne pouvez pas, dit-il, pour le même fait mettre les officiers au traitement de réforme et les destituer.

Remarquez, messieurs, que pour les faits de désobéissance prévus par les lois, on ne peut priver un officier de son grade, mais seulement le mettre au traitement de réforme. L’honorable membre en a fait lui-même l’observation. C’est lui-même qui a fait remarquer dans la discussion de la loi sur la position des officiers que des actes de désobéissance sont prévus par les lois et règlements militaires.

M. de Brouckere. - Vous êtes dans l’erreur, je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’eussiez-vous dit, vous ne vous seriez pas trompé. Au reste, si on le conteste, je m’engage à le prouver.

Mais, messieurs, il y a d’autres actes d’insubordination que la désobéissance, et comment peut-on contester la nécessité de les réprimer ? Qu’il me soit permis de vous dire de quelle manière l’article 80 du code pénal militaire qualifié la subordination :

« La subordination militaire constitue l’essence et l’âme du service militaire. »

Or il y a des faits graves d’insubordination militaire qui ne sont pas prévus par les lois ; je vous en citerai un exemple frappant.

Un officier fait par écrit des menaces, des outrages, des provocations contre son supérieur ; c’est bien là un fait grave d’insubordination ; cependant ce fait n’est pas prévu par le code pénal militaire. Ce fait ne mérite-t-il pas la privation du grade ? la réponse en évidente ; j’espère que vous rejetterez l’amendement de l’honorable député de Bruxelles.

On a prétendu que la privation du grade est une peine, et qu’elle ne saurait être appliquée dans les formes déterminées par le projet en discussion. Cette objection a déjà été réfutée ; je me bornerai à ajouter deux raisons à celles qui vous ont été développées. Si la privation du grade était une peine, le coupable aurait exigé qu’elle fût dans tous les cas prononcée par un jugement ; or, vous savez qu’il a énoncé une opinion contraire. Si la privation du grade était une peine, il en serait de même de la mise au traitement de réforme, et l’une comme l’autre ne pourrait être que la suite d’une décision judiciaire ; cependant vous en avez décidé autrement.

Il me reste à examiner une autre question importante que présente l’article en discussion : La loi doit-elle être temporaire ? La section centrale a proposé un amendement qui limite la durée de la loi « jusqu’au traité définitif à intervenir avec la Hollande. » Je pense que cet amendement ne peut être accueilli.

La loi sur la perte du grade est-elle une loi exceptionnelle ? Non ; elle est faite en vertu de la constitution ; c’est une loi organique qui remplit une lacune qui se fait malheureusement sentir depuis longtemps ; pourquoi serait-elle temporaire ?

Est-ce une loi de circonstance ? Non, c’est une loi normale. La discipline est une nécessité de tous les temps dans l’armée ; la discipline n’est pas une condition temporaire, la loi qui lui donne une sanction ne doit pas être temporaire.

J’ajouterai une dernière raison que je crois digne de toute votre attention. La loi que nous faisons doit surtout avoir un effet moral : elle préviendra les actes d’indiscipline en donnant des moyens efficaces de les réprimer. Pour quelle ait cette force préventive, il ne faut pas la présenter comme une loi transitoire, mais comme une loi permanente. Je fais des vœux pour qu’on ne soit pas dans la nécessité de l’appliquer mais si des exemples funestes étaient donnés, il faudrait les réprimer avec promptitude et énergie. Vous aurez le courage de donner au gouvernement une loi nécessaire ; il saura l’exécuter avec une juste sévérité.

(Moniteur belge n°148, du 27 mai 1836) M. Dumortier. - Messieurs, je suis aussi de ceux qui veulent la discipline dans l’armée. Il n’y a pas d’armée sans discipline. Je suis aussi de ceux qui pensent que l’honneur est une des premières bases de la force de l’armée. Mais je ne crois pas que l’on puisse admettre les développements de M. le ministre de la justice, qui tendraient à faire croire que la loi aurait pour résultat de faite naître la discipline dans l’armée.

Une question domine toute la discussion actuelle, celle de savoir si la loi est dans les termes de la constitution. Pour moi, il me semble que la loi est une violation flagrante de la constitution, que vous ne pourriez pas plus enfreindre en ce qui concerne les militaires que vous ne pourriez le faire en ce qui concerne le dernier des citoyens. Quand je dis inconstitutionnalité, je parle du projet de loi tel qu’il nous a été présenté par le gouvernement et tel que celui-ci veut encore le faire admettre aujourd’hui, projet de loi dans lequel il n’est question d’aucun pouvoir judiciaire régulièrement constitué.

Messieurs, vous avez voté d’abord une loi qui règle le mode d’avancement dans l’armée, vous avez voté ensuite une loi pour régler la position des officiers ; maintenant il est question d’une loi sur la perte des grades ; or, remarquez que tout ce qui est relatif à l’activité, la non-activité, la disponibilité et la retraite, fait partie de la loi sur la position des officiers, que vous avez déjà votée ; il s’agit en ce moment d’une loi au moyen de laquelle les officiers pourront être privés, non seulement de leur grade, mais encore de leur pension, voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue ; il s’agit d’enlever à des officiers qui ont passé vingt années au service de la patrie, qui ont reçu vingt blessures sur le champ de bataille, les droits à la pension qu’ils ont si légitimement acquis, de les renvoyer dans leurs foyers, de leur enlever d’un seul trait tout le prix du sang versé pour la défense de la patrie. La chose n’est donc pas futile ; s’il ne s’agissait que de leur faire perdre l’activité, de les mettre même à la retraite, je concevrais qu’on invoquât, comme l’a fait M. le ministre de la justice, des circonstances extraordinaires. Mais lorsqu’il s’agit d’enlever à des braves les droits les plus sacrés, le prix du sang, vous devez plus que jamais être fidèles à la constitution et rechercher si la loi qu’on vous propose n’y est pas contraire.

La question est des plus graves ! voilà, messieurs, ce qui m’indigne, c’est de voir qu’on demande à pouvoir, sans jugement, priver de leurs droits des braves qui ont versé leur sang sur les champs de bataille pour la défense de nous tous.

Je vous le demande, messieurs, beaucoup d’officiers voudront-ils consentir à se voir ainsi exposés à perdre les droits qu’ils ont acquis au prix de leur sang versé pour la patrie, à perdre ces droits par le seul effet du caprice de leurs supérieurs, lorsqu’ils auraient eu le malheur de leur déplaire, par exemple, en signalant les abus qu’ils auraient pu commettre ?

Je le répète, il importe que la chambre examine bien attentivement si la constitution serait ou ne serait pas violée par l’adoption de la loi qui nous occupe, et je crois pouvoir démontrer que cette loi violerait la constitution de la manière la plus flagrante.

M. le ministre de la justice a invoqué le rapport de la section centrale du congrès sur le projet de constitution, pour prouver que le projet de loi dont il s’agit n’y serait pas contraire ; l’argumentation qu’il a faite serait très juste si les conclusions de la section centrale du congrès avaient été admises par cette assemblée elle-même ; mais, heureusement pour l’armée, il n’en est pas ainsi ; le congrès a mieux senti ce qu’il devait à l’armée, il a écarté la proposition de la section centrale, et entre cette proposition et celle qu’il a adoptée il y à une distance immense : la section centrale n’accordait aucun droit aux officiers, le congrès au contraire a consacré leurs droits de la manière la plus formelle ; le congrès a garanti ces droits, qu’on nous propose aujourd’hui d’anéantir. La section centrale du congrès proposait de rédiger ainsi l’article de la constitution dont il s’agit : « La loi règle l’avancement, le droit et les obligations des militaires. »

Cette rédaction abandonnait à la loi le soin de déterminer les droits des officiers et de stipuler les garanties qu’il aura convenu de leur accorder, mais dans la séance du 5 février l’honorable M. Tiecken de Terhove proposa l’amendement suivant :

« Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, pensions ou honneurs qu’en vertu d’un jugement. » Cette proposition n’a pas été adoptée en ces termes, et, à diverses reprises, on a dans cette assemblée argumenté de là pour faire croire que nous pouvons par une loi régler tout ce qui est relatif au droits des militaires ; mais pour vous faire bien comprendre les motifs qui ont dirigé le congrès dans le vote de l’article de la constitution dont il s’agit, je me permettrai de vous rappeler ce qui s’est passé à cette occasion, ainsi que je le lis dans le compte-rendu de la séance.

L’honorable M. Tiecken de Terhove développe sa proposition ; elle est appuyée. M. Fleussu combat la proposition. M. de Robaulx s’élève contre ce qu’a dit M. Fleussu. M. Forgeur parle dans le même sens. M. Jottrand demande la parole et propose la rédaction qui a été définitivement adoptée. Ecoutez, messieurs, les développements que M. Jottrand ajoute à sa proposition : « Je me rallierai, dit-il, à l’article additionnel proposé par M. Tiecken de Terhove s’il consent à substituer aux mots : « qu’en vertu d’un jugement, » ceux-ci : « que de la manière déterminée par la loi. » « Les grades et les pensions de l’armée, y compris les volontaires, ajoute M. Jottrand, seront mieux garantis par cette disposition que par celle que propose M. Tiecken de Terhove ; c’est donc une garantie meilleure qu’on a voulu donner à l’armée. » Les grades et les pensions de l’armée, y compris les volontaires, seront mieux garantis. » « Nous éviterons ainsi, continue l’orateur, l’obligation de faire sans délai une loi particulière pour déterminer dans quels cas et de quelle manière des jugements pourront avoir lieu contre des officiers. » Vous voyez, messieurs, que l’auteur de l’article de la constitution qui est relatif à la question dont nous sommes saisis reconnaît dans les développements de cet article qu’un officier ne peut être privé de son grade qu’en vertu d’un jugement, puisqu’il parle de stipuler dans quels cas les tribunaux pourront sévir contre les militaires pour la perte de leur grade. L’honorable M. Lebeau appuie la proposition de M. Jottrand, et voici ce qu’il dit à cet égard :

« Il peut arriver qu’il soit nécessaire de réviser la liste des pensions militaires, et certes cela ne peut se faire par un jugement ; il faut que la loi puisse effectuer une pareille révision. Il peut également devenir nécessaire d’abaisser le chiffre de l’armée et cela ne peut encore s’opérer par un jugement. » Si donc on a substitué les mots : « de la manière déterminée par la loi, » ceux-ci : « en vertu d’un jugement, » c’est que l’on a prévu des cas dans lesquels il serait impossible qu’un jugement intervînt, et il est hors de doute qu’à l’exception de ces cas un militaire ne peut jamais être privé du son grade qu’en vertu d’un jugement.

C’est ce qui est parfaitement senti dans l’armée ; il y existe une conviction intime, une tradition permanente qui lui dit qu’un officier ne peut jamais être privé de son grade qu’en verte d’un jugement, sauf le cas où la législature croirait devoir diminuer le chiffre de l’armée.

Que fait M. Tiecken de Terkove ? Maintient-il sa proposition ? Non, il appuie l’amendement de M. Jottrand, qui est mis aux voix et adopté. Il est donc manifeste que telle qu’elle est rédigée, la constitution ne permet pas de priver un militaire de ses droits à la pension, si ce n’est dans les formes régulières de la justice.

Or, que voyons-nous régner dans le projet qui nous est soumis par le gouvernement, si ce n’est l’arbitraire le plus effrayant ? Je prendrai ce projet et j’en ferai un acte d’accusation contre le ministre. Que nous propose le projet que le ministre nous a présenté ? D’abord il stipule, et le ministre maintient encore cette disposition, que dans des cas non prévus par les règlements, l’officier pourra être privé de son grade, de ses droits à la pension ; voyez, messieurs, quel arbitraire ! Dans tous les cas que l’on a jugés répréhensibles, ou contraires à la discipline, et que d’après cela les règlements ont prévus, l’officier ne peut être puni que conformément à ces règlements. Ici au contraire dans les cas que la loi n’a pas prévus, il pourrait être puni avec la dernière rigueur, avec la dernière brutalité ; il pourrait être destitué, privé de ses droits à la pension. Il est vrai que le projet institue un conseil d’enquête ; mais c’est le chef du corps lui-même qui forme ce conseil à son gré, sans qu’il y ait aucune espèce de garantie pour l’accusé. Supprimez, messieurs, dans la loi, les mots « conseil d’enquête, » et dites : « commission militaire, » car ce sera une véritable commission qui recevra l’ordre de destituer l’officier, et non de rendre la justice. L’officier comparaît devant cette commission et y trouve d’abord un accusateur ; souvent cet officier saura mieux manier l’épée que la parole, sera plus capable de combattre sur le champ de bataille que d’articuler sa défense devant un tribunal ; eh bien, messieurs, il n’a pas même le droit de s’adjoindre un défenseur ! J’appelle toute votre attention sur cette disposition du projet, et je vous ferai voir combien elle est effrayante.

Eh quoi, on refuse un défenseur à un officier accusé de faits imprévus par les règlements ou de quelque délit aussi vague, tandis que la loi accorde le droit d’avoir un défenseur même à celui qui s’est rendu coupable du plus grand crime qu’il soit possible d’imaginer, au parricide, à celui qui a assassine son père, l’auteur de ses jours. Et la loi civile va plus loin, elle exige que le prévenu soit défendu, sous peine de nullité du jugement.

Ainsi, dans le seul cas où la loi permette encore la peine de la mutilation, dans le cas le plus monstrueux qui puisse se présenter, la loi exige que le prévenu ait un défenseur ; et ici vous enlevez le droit sacré de défense à l’officier qu’il plaira au ministre de traduire devant le conseil en même temps que vous lui donnez un accusateur ; vous établissez dans la loi qu’il sera accusé, et vous lui interdisez de se faire défendre ! Est-ce ainsi que vous traitez l’armée, vous qui dites que vous voulez y établir la discipline, l’union ? Est-ce là le moyen que vous employez pour obtenir ce résultat ? Honte, honte au gouvernement, lorsqu’il nous présente de pareils projets !

Mais ce n’est pas tout encore. Supposons qu’un officier inculpé se rende devant le conseil d’enquête ou plutôt devant la commission militaire à laquelle on donne ce nom, et que cette commission militaire, quoique nommée par le chef du corps, quoiqu’elle vote à haute voix, l’acquitte.

Eh bien, malgré tout cela, le gouvernement peut encore le destituer, lui enlever ses droits à la pension, Voilà la position dans laquelle on veut mettre l’officier ; et quel prétexte invoque-t-on pour vous proposer un pareil arbitraire ? On vous dit qu’il faut rétablir l’armée dans l’union et la discipline. La discipline ! eh ! Qu’est-ce donc que la discipline, est-ce donc le régime du sabre et de l’arbitraire ? Non, messieurs, la discipline c’est le régime de la justice. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas de justice dans l’armée, il n’y aura pas de discipline ; tandis que vous y ferez régner la discipline aussi longtemps que vous maintiendrez d’une main ferme les principes de justice. Mais pour cela il ne faut pas que le prix du sang versé pour la patrie puisse être enlevé à un militaire au moyen d’un simple acte du pouvoir exécutif ; il faut qu’il ne puisse en être privé qu’en vertu d’un jugement.

Vous voyez que le projet qu’on vous présente est la chose la plus monstrueuse qu’on puisse imaginer, car il met l’officier dans une position plus funeste, plus affreuse que celui qui a attenté à la vie de l’auteur de ses jours : comment pourrions-nous adopter un pareil projet !

Je vous prie de remarquer ce que vient de dire le ministre de la justice. Il est impossible, vous a-t-il dit, de prévoir tous les cas où la perte du grade peut avoir lieu. Mais pourquoi faisons-nous des lois ? n’est-ce pas pour prévoir les cas auxquels elles devront s’appliquer ? Pourquoi a-t-on fait un code pénal alors, pourquoi n’a-t-on pas dit que le jury pourrait condamner à mort quiconque serait nuisible au pays ? Il fallait établir dans les lois civiles la disposition que vous voulez placer dans les lois militaires et dire que le jury pourrait condamner à mort quiconque attenterait à la nation. Vous l’auriez placé sous un bon régime. Puisque vous avez pu prévoir dans les lois civiles les cas dans lesquels un citoyen pourrait perdre une position quelconque, vous pouvez aussi prévoir ceux où on pourra infliger à un officier la perte de son grade.

En 1831, le gouvernement du Roi, le conseil des ministres en entier, est venu déclarer dans le sein de la représentation nationale qu’il fallait faire cesser l’arbitraire qui existait dans la faculté qu’avait le gouvernement relativement à la perte des grades des officiers. Le conseil des ministres d’alors reconnaissait que cet arbitraire ne pouvait pas subsister en présence de l’article 124 de la constitution.

Pourquoi le ministère d’aujourd’hui renie-t-il les principes du ministère de cette époque ? Pourquoi le gouvernement renie-t-il les principes de septembre, pourquoi veut-il placer l’armée dans une position si fâcheuse, pourquoi veut-il la déshériter de ses droits ? Quelque malheur est-il arrivé, le pays est-il envahi par l’ennemi et peut-on douter du dévouement de l’armée ? Notre position est-elle plus fâcheuse qu’elle ne l’était en septembre 1830 ?

S’il existe dans l’armée des hommes qui la déshonorent, je suis le premier à appuyer le gouvernement pour les écarter, je suis prêt à voter toutes les dispositions nécessaires ; mais qu’on n’aille pas confondre tous les bons avec les quelques mauvais officiers dont on pourrait se plaindre ; qu’on n’aille pas suspendre l’épée de Damoclès sur la tête de chacun d’eux.

Comme l’a dit l’honorable M. Gendebien, on sait quel emploi on fait de ces dispositions. N’avons-nous pas vu six officiers de cuirassiers destitués pour avoir refusé un serment que la constitution leur défendait de prêter ? On leur a appliqué la même peine qu’à ceux qui avaient proféré des cris séditieux dans la ville de Hasselt. On a infligé la même pénalité à ceux qui ont refusé de prêter un serment qu’à ceux qui avaient appelé l’ennemi, qui avaient appelé le prince que nous avons chassé. Voilà la justice du ministre, voilà ce que l’armée doit attendre du gouvernement s’il renie les principes qu’il a professés dans cette enceinte.

C’est le 14 septembre qu’il avait proclamé qu’il fallait faire cesser l’arbitraire qui régnait relativement à la faculté qu’avait le gouvernement du faire perdre son grade à l’officier.

Plutôt n’avoir pas de loi qu’en avoir une insuffisante, vous a dit le ministre. Lisez la loi votée en France il y a deux années. C’est une loi toute puissante, parce que les droits de tous et de chacun y sont protégés. Il y a aussi un conseil d’enquête, mais c’est pour mettre un officier à la retraite. Aucun officier ne peut être mis à la retraite que sur l’avis du conseil d’enquête ou à sa demande, Celui que vous établissez, au contraire, est pour chasser des officiers de l’armée, leur faire perdre leurs droits à la pension, le prix du sang versé pour lui. Je le répète, votre loi n’est qu’une misérable caricature de celle votée en France ; cependant la France la trouve suffisante pour maintenir la discipline.

Il est donc inexact de dire que la loi française est impuissante.

Messieurs, je regarde pour moi comme une nécessité d’adopter le projet de loi tel que l’a formulé la section centrale, en y faisant quelques modifications. Alors vous aurez satisfait aux vœux de la constitution, parce que la commission d’enquête deviendra un véritable jury militaire.

Pour faire perdre à un officier ses droits à la pension qui sont le prix du sang versé dans vingt batailles, le prix de trente années de service, il faut l’entourer de toutes les garanties de justice possibles. Vous ne pouvez porter atteinte à ses droits qu’en signalant clairement les cas dans lesquels cela pourra avoir lieu. Qu’on ne vienne pas prétendre que ce n’est pas une loi pénale que celle qui enlève à un homme le prix de trente années de services militaires, les droits payés au prix de son sang sont les plus sacrés.

Ici je m’emparerai de l’argument même qu’a fait valoir M. le ministre de la justice.

Dès qu’une loi prononce une pénalité contre un citoyen, vous a-t-il dit, elle doit être appliquée par un tribunal, parce que toute pénalité doit être infligée par un jugement. Or, puisque vous avouez que des droits sont attachés au grade de l’officier, vous devez établir des formalités judiciaires pour lui enlever ces droits, et le jugement ne peut être prononcé que par un jury militaire régulièrement établi. Ensuite tout accusé doit être pourvu d’un défenseur, toutes les formalités doivent être observées comme cela se pratique en matière de discipline ; sans cela nous ne pouvons pas admettre qu’on puisse toucher aux droits des militaires. Ensuite, vous devez stipuler les cas.

Enfin le ministre de la justice vient de dire qu’un officier qui aurait menacé son chef par écrit ne manquerait pas à la subordination aux termes de la loi pénale.

Messieurs, on manque à son chef, aux termes du code pénal militaire, quand on l’injurie, soit par écrit, soit par paroles. Les deux choses sont assimilées ; vous ne pouvez pas établir de différence. Je sais que la loi civile en fait une, mais la loi militaire n’en fait pas.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est une erreur.

M. Dumortier. - Alors faites-en l’objet d’une disposition. Sinon vous devriez aussi remplacer le code pénal par une disposition qui donnerait au jury le droit de condamner à mort quiconque serait dangereux ou nuisible à la société. Car c’est ce que vous faites à l’égard de l’armée quand vous voulez révoquer des officiers pour des faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes et la subordination militaire.

J’entends le ministre dire : Que deviendraient nos libertés si l’armée était ainsi abandonnée ? Mais alors, pourquoi écartez-vous les dispositions proposées par la section centrale qui demande que la révocation et la suspension soient prononcées contre tout officier qui intenterait aux libertés consacrées par la constitution ? Si les libertés constitutionnelles vous étaient aussi chères que vous prétendez le faire croire, vous ne vous opposeriez pas aux dispositions de la section centrale qui ont pour but de nous garantir contre la tentation d’un 18 brumaire, si quelque beau jour on voulait en essayer.

Vous repoussez cette garantie et vous venez invoquer les libertés.

Oui, vos lois sont hostiles non seulement contre l’armée mais contre la représentation nationale. Un article avait été proposé tendant à lier le vote de la législature, tendant à déclarer que le pouvoir exécutif réglerait au détriment de la chambre les appointements des officiers ; de sorte que la représentation nationale n’avait plus qu’à voter.

Un article est proposé par la section centrale, demandant que la destitution s’étende au cas de violation des libertés publiques. Le ministre refuse de s’y rallier. Il veut bien qu’on mette dans la loi la révocation pour insultes à son chef, mais non pour attentats aux libertés constitutionnelles.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le ministre s’est rallié à cet amendement.

M. Dumortier. - Je n’ai pas vu cela dans l’imprimé qu’on nous a distribué.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je l’ai déclaré verbalement à la séance d’hier.

M. Dumortier. - Cela ne change rien à l’affaite, c’est la discussion qui vous a forcé de céder.

Le ministre veut mettre les officiers dans une position exceptionnelle. Qu’on y réfléchisse bien. Comme je le disais en commençant, il ne s’agit pas ici de mettre les officiers à la retraite, mais de les priver de leurs droits à la pension, sans jugement, contrairement à la constitution. Il s’agit de les priver d’un défenseur dont on ne prive pas les parricides. En un mot, on veut les mettre au ban du pays, dans une position plus déplorable que ceux qui ont commis le crime le plus atroce, de ceux qui ont attenté à la vie de l’auteur de leurs jours.

M. le président. - Le procès-verbal constate que M. le ministre s’est rallié aux trois derniers paragraphes de la commission destinés à remplacer les deux derniers de l’article du gouvernement.

(Moniteur belge n°147, du 26 mai 1836) M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, c’est ici le moment de vous faire connaître quelle énorme différence il existe réellement entre les motifs de la loi française du 19 mai 1834 et ceux du projet de loi que nous avons eu l’honneur de proposer, et de vous exposer les causes nécessaires de cette différence, pour que vous puissiez parfaitement les apprécier.

L’article 69 de la nouvelle charte française porte qu’une loi présentera des dispositions qui assureront, d’une manière légale, l’état des officiers de tout grade.

C’est en exécution de cette prescription que le gouvernement présenta en 1832 un premier projet de loi sur l’état des officiers. Ce projet a été élaboré en 1833 par les deux chambres qui y firent de grandes modifications, et ce ne fut qu’en 1834 qu’il fut définitivement adopté.

Cette loi, par l’objet qu’elle avait à remplir, devait présenter des dispositions légales sur l’état de l’officier, sur ses diverses positions et sur la manière dont il peut perdre son grade.

C’est pour cette raison qu’elle énumère tous les cas dans lesquels l’officier peut être rayé des contrôles de l’armée :

1° Par démission volontaire ;

2° Pour perte de la qualité de Français ;

3° Pour jugement portant peine afflictive ou infamante.

4° Pour destitution prononcée par jugement.

5° Enfin pour absence illégale.

J’ajouterai que jusqu’alors la question était restée indécise. L’empereur destituait un officier. Sous la restauration ce droit fut contesté au pouvoir exécutif ; on se contentait alors de renvoyer l’officier sans solde.

Mais notre projet a et doit avoir un tout autre but. En effet, messieurs, après avoir réglé par une loi spéciale les diverses positions de l’officier, il restait à statuer sur la manière dont l’officier pourrait être privé de son grade, d’après le mode à déterminer par la loi.

Et remarquez, messieurs, que cette disposition insérée dans notre acte constitutif ne pouvait avoir pour objet que de remplacer, d’une manière légale, la faculté laissée au souverain, par la loi fondamentale, de renvoyer les officiers à sa volonté.

Le congrès a très bien fait connaître ses intentions à cet égard, en rejetant un amendement qui tendait à ce qu’un officier ne pût être privé de son grade que par un jugement.

il s’agissait donc des dispositions légales à présenter pour donner toutes les garanties possibles aux officiers, de ne pouvoir être privé de leurs grades sans des formes fixées par la loi, et qui leur assureraient les moyens de défense, et de faire connaître la vérité sur les imputations qui pourraient leur être faites.

C’est ce que nous vous proposons, messieurs, dans le projet de loi qui se trouve soumis à vos délibérations.

Je dois également vous faire remarquer que la privation du grade doit nécessairement être motivée sur des cas non prévus par les lois existantes ; car, pour tous les cas prévus dans le code pénal militaire et dans le code de discipline, les conseils de guerre de la haute cour de justice militaire sont là pour appliquer les pénalités déterminés.

Ainsi c’est à tort que quelques orateurs ont trouvé étrange que l’on appliquât la privation du grade à des cas non prévus par les lois : cette disposition remplace évidemment la révocation qui était laissée au chef de l’ancien gouvernement, mais la remplace avec toutes les garanties données aux officiers de l’armée que leurs droits seront respectés, que leurs moyens de défense seront entendus et appréciés.

Au reste, messieurs, c’est plutôt un moyen moral que vous demande le gouvernement, qu’une arme dans ses mains. Il en fera bien rarement usage, car bien peu d’officiers se mettront dans le cas d’en ressentir les effets.

Voulez-vous connaître ceux de la loi du 22 septembre 1831, avec les trois spécialités qu’elle indiquait comme seules susceptibles d’être appliquées ? Le ministre qui l’avait provoquée en a fait l’application à trois officiers depuis le 1er octobre jusqu’au 20 mars 1832.

L’honorable comte de Mérode, qui a tenu l’intérim pendant deux mots, en a fait une seule application.

Et moi, messieurs, je n’ai trouvé à l’appliquer qu’à un seul officier.

Ainsi 5 officiers en tout ont senti les atteintes de cette loi, et cependant on ne reprochait pas de faiblesse à celui qui a dû l’appliquer primitivement, et pendant les six mois qu’a duré son administration.

C’est ainsi qu’en s’appuyant sur les faits, on détruit facilement tout l’échafaudage d’actes arbitraires, d’injustices, qu’on semble se complaire à accumuler sur les dépositaires du pouvoir, qui, loin de chercher des fautes à punir, ne remplissent qu’à regret, quand ils y sont contraints par les circonstances, les pénibles fonctions que le devoir leur impose.

Soyez donc, messieurs, sans inquiétude sur l’application des dispositions légales que nous vous proposons, et soyez bien assurés qu’un ministre n’en fera usage que lorsque le maintien de la discipline lui en imposera l’obligation, et comme une nouvelle garantie à donner de la bonne composition de notre armée.

Maintenant j’ai à répondre à deux ou trois observations faites par l’honorable préopinant.

La liste des jurés qui devaient composer le conseil d’enquête n’était pas laissée à l’arbitraire ; mais il était dit que dans chaque décision il serait fait un tableau des officiers par grade et par l’ancienneté dans le grade, et qu’on les prendrait par rang d’ancienneté, et tour à tour ; mais pour éviter jusqu’à l’ombre de l’arbitraire que peut présenter un roulement, nous nous sommes ralliés à la disposition présentée par la section centrale de remettre au sort la composition du conseil d’enquête.

Quant au défenseur, le projet de loi ne l’interdit pas ; la commission a cru devoir proposer un article pour reconnaître le droit de l’accusé à faire usage de ce moyen de défense, et je n’ai fait connaître encore quelle était mon opinion à ce sujet.

M. Dumortier. - Je suis charmé que mes paroles aient…

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ne vous congratulez pas tant ; vos paroles n’ont rien fait.

M. Dumortier. - Un honorable membre qui est à mes côtés maintenant doute que la loi qui prive l’officier de son grade lui laisse un traitement ou une pension quelconque. Je demande une explication franche et catégorique sur ce point.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je déclare que l’intention de dépouiller un officier de ses droits à une pension de retraite ne m’est pas venue à la pensée, et qu’elle n’a pu être l’objet de l’intention d’aucun des membres du conseil. Si un vieux militaire commettait quelques excès qui forceraient à l’éloigner de l’armée, on lui accorderait sur-le-champ, et sans avoir à recourir à aucune autre mesure, la pension de retraite à laquelle lui donneraient droit ses anciens services.

M. Dumortier. - Mais on distingue la retraite de la mise en réforme. Il faut savoir si la perte du grade entraîne la perte du traitement. Si la loi fait perdre le grade sans ôter le droit à la retraite, cette loi est inutile.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il est évident qu’il n’est pas question ici de la retraite ; il ne s’agit en effet que de la privation du grade. Une loi spéciale réglera ultérieurement tout ce qui concernera la pension. Nous ne préjugeons rien à cet égard dans la loi en discussion.

M. Dumortier. - Pour que la question soit résolue ici, je présenterai un amendement. (La clôture ! la clôture !)

M. Gendebien. - Je ne comprends pas comment, sur une disposition aussi grave et qui renferme toute la loi (car l’article premier adopté, le reste m’importe fort peu), on puisse vouloir clore la discussion. Deux ministres ont parlé ; j’ai le droit de leur répondre. Aucun d’eux n’a, à la vérité, rencontré ce que nous avions dit. Ils n’ont fait l’un et l’autre que répéter les mêmes propositions que nous avions déjà réfutées hier. Je demande à combattre les ministres ; je n’abuserai pas des moments de la chambre, car ce serait en même temps abuser de mes forces déjà épuisées par les discussions pénibles que nous avons eu à soutenir dans cette enceinte depuis quelque temps.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je demande la parole pour réfuter les attaques dont les amendements de la section centrale ont été l’objet. (La clôture ! la clôture !)

- La clôture est mise aux voix ; l’épreuve est douteuse, et la discussion continue.

M. F. de Mérode. - Des raisons toutes particulières exigent en Belgique des moyens plus forts pour maintenir dans l’armée de l’obéissance, de l’ensemble et un bon esprit.

Le pays est d’une faible étendue, sans défense naturelle ; toute l’armée se connaît, les habitudes familières entre militaires de grades différents se propagent plus aisément que dans un grand pays ; les grades n’ont pas été régulièrement conférés avec les transitions successives d’un grade à un autre. Les brouillons trouvent facilement aussi les moyens de diviser l’armée en catégories, d’exciter les jalousies et les susceptibilités. Enfin, la Belgique est dans une position exceptionnelle en Europe : elle a changé de dynastie royale, mais la dynastie qui régnait sur elle n’est pas en exil, bien loin de son territoire et dépourvue de tout moyen d’agression : elle est au contraire à nos portes, maîtresse presque absolue d’un pays de même force que la Belgique ; elle commande à une armée qui n’est séparée de notre capitale, du lieu où vous siégez vous-mêmes, par aucun obstacle de la nature, et la distance qu’elle aurait à parcourir pour vous expulser de cette enceinte, vous savez combien elle est courte et facile à franchir.

Tous les moyens d’intrigues sont en outre à la disposition du gouvernement hollandais. Il peut payer, et il paie certainement plusieurs journaux qui travaillent constamment à dissoudre les éléments de notre indépendance nouvelle. Dans une situation semblable, je m’étonne de voir tant de défiance contre le gouvernement que nous avons crée nous-mêmes, et tant de sécurité contre les périls du dehors. Il n’est pas un officier prudent qui craigne les effets des lois proposées par le ministre de la guerre. Tous les militaires dévoués au pays et qui comprennent et aiment la profession qu’ils ont embrassée, désirent ardemment les mesures conservatrices de l’esprit d’ensemble, d’obéissance et d’ordre, qui fait sa force et la garantie de l’indépendance nationale.

Un préopinant vous a dit que l’on ne donnait par le conseil d’enquête aucune garantie à l’officier. Cependant, quelle différence pour celui-ci de n’être révocable qu’après avoir été entendu dans un conseil qui n’est pas désigné arbitrairement, mais formé par des règles certaines, au lieu d’être révoqué par un simple ordre du ministre, conformément aux droits établis sous le gouvernement précédent. Messieurs, cette différence est capitale ; il en résulte que l’officier ne peut jamais être révoqué ab irato, et les moyens de défense et de justification lui étant conservés, il est moralement impossible qu’il soit rayé sans motif grave des contrôles de l’armée.

Le préopinant accuse le ministre de la guerre d’avoir proposé une loi qui rend la position de l’officier inculpé pire que celui du parricide. Ses accusations devaient porter plus haut. Elles devaient atteindre le congrès national, dont la majorité repoussa le système qui exigeait un jugement pour que l’officier fût prive de son grade, et qui le rejeta, comme nous l’a dit hier M. de Brouckere, parce qu’il le considéra comme dangereux pour la subordination militaire. Cette opinion était d’autant plus fondée en raison, que le congrès, créant des libertés très étendues, devait se défier des influences désorganisatrices qui purent s’exercer dans l’armée au moyen de ces libertés mêmes : car, messieurs, les libertés constitutionnelles sont à l’usage des méchants comme des bons, des ennemis de l’indépendance de la Belgique comme de ses amis. Or, priver le gouvernement des moyens d’action et de répression qui lui sont nécessaires pour empêcher l’armée de subir les inconvénients d’un régime libéral, bienfaisant dans son ensemble, lorsqu’il s’applique à l’ordre purement civil ; priver le gouvernement de ces moyens, c’eût été compromettre l’existence même du pays et l’exposer aux désastres qui frappent les troupes faiblement organisées et disciplinées.

En résumé, messieurs, l’intérêt de chaque militaire est lié à l’intérêt de l’armée et du pays, pris dans leur généralité, et si l’on donne à chaque officier des garanties destructives de la sécurité de l’armée et du pays, tous périront ensemble ; et alors que deviendront les grades, les pensions, l’existence et l’avenir de tous les officiers de cette armée.

M. Gendebien. - Ainsi que je l’ai promis, je serai court.

Je commencerai par vous faire une observation dont personne, je pense, ne contestera la justesse.

En règle générale, adoptée chez toutes les nations civilisées, tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis ; or, la loi que l’on vous propose non seulement contrevient à cette règle, non seulement elle punit ce qui n’est pas défendu, mais elle punit même ce qui n’est pas prévu par elle ni par aucune autre loi. N’est-ce pas là, messieurs, bouleverser toutes les idées reçues jusqu’ici dans tous les pays où la civilisation a tant soit peu pénétré ; car dans tous ces pays, je le répète, ce qui n’est pas défendu par la loi est permis, et on ne punit que les faits prévus par le législateur et auxquels il a appliqué une peine déterminée.

Quand on demande aux auteurs du projet qu’ils justifient l’absence de toute définition des faits que l’on impute à crime aux militaires, le ministre de la justice répond que le ministre de la guerre n’a pas voulu souiller la loi par l’énumération de divers cas tels que l’ivresse, la crapule ; que c’était faire injure à l’armée que de supposer qu’elle était capable de se livrer à l’ivresse, à la crapule : voilà bien de la pruderie ! voilà bien un faux-fuyant digne des auteurs de la loi. On n’ose pas prévoir, dans une loi belge, qu’un officier peut se livrer à l’ivresse, et cependant, en France, où les sentiments des convenances sont aussi bien sentis que par le ministère belge, on ne craint pas d’écrire dans la loi que les condamnations qui emportent punition afflictive et infamante, emporteront la privation du grade.

On ne craint pas dans la loi française de prévoir les cas des articles 402, 403, 405, 406, 407 et autres qui comprennent le faux, l’escroquerie et une infinité d’actes déshonorants. Le législateur français n’a pas craint par ces énumérations de déshonorer l’armée. Pourquoi donc affecter tant de pruderie ici ? Mais ce n’est que de l’hypocrisie ; c’est qu’ici on veut l’arbitraire le plus large, et on le cache sous les apparences des plus ridicules préventions de convenances. Le ministre de la guerre dit encore qu’en France on devait tout définir, on devait prévoir tous les cas pour lesquels un officier perdrait son grade : mais pourquoi la loi belge ne les prévoirait-elle pas aussi ? En Belgique, dit le ministre, le code pénal, le code civil prévoit toutes les peines ; il ne s’agit que de celles non prévues par les lois, et qu’il faut harmoniser avec l’art. 124 de la constitution. Eh bien, est-ce qu’il n’y a pas aussi un code pénal, un code civil en France comme en Belgique ? Cependant la loi de 1834 en France détermine tous les cas de perte du grade ; pourquoi ne pas faire en Belgique comme en France, puisque nous sommes dans la même position ?

Si vous ne faites comme en France, c’est que vous voulez aller au-delà de la loi française ; c’est que vous voulez de l’arbitraire, et cela dans celui des deux pays qui a le mieux établi ses libertés, dans celui des deux pays dont la constitution repousse formellement les prétentions du gouvernement.

Chose étrange, messieurs, ou plutôt qui ne l’est guère, vu le peu d’harmonie qui règne dans le ministère : le ministre de la justice vient dire, pour repousser la loi française et celle du 22 septembre 1831 : « Nous ne pouvons adopter la loi de 1831 parce qu’elle est incomplète, parce qu’elle était impuissante ; on n’a pas pu en faire usage ; » et le ministre de la guerre, pour nous rassurer contre nos justes appréhensions vient dire : « Depuis la promulgation de cette loi trois officiers ont été destitués par M. de Brouckere, un par M. de Mérode et un par moi. Ainsi cinq officiers seulement ont été privés de leur grade. Voilà comment, par des faits positifs, je fais disparaître tout l’échafaudage d’arbitraire et de despotisme qu’on nous reproche. »

Mais, rapprochez les paroles du ministre de la guerre de celles du ministre de la justice, et vous verrez que les paroles du ministre de la guerre ne sont nullement rassurantes, et qu’elles ne font nullement disparaître ce qu’il appelle notre échafaudage d’accusation d’arbitraire et de despotisme. Puisque le ministre de la justice vous a dit que si l’on n’a pas appliqué la loi de 1831, c’est parce qu’elle est impuissante, c’est parce qu’elle n’est pas asses large, que devez-vous donc attendre du gouvernement et de ses hypocrites protestations après cette déclaration du ministre de la justice ? Qu’adviendra-t-il quand il y aura un instrument d’arbitraire plus large, une loi plus élastique ?

Un autre orateur vous a dit que la Belgique était dans une position particulière, se trouvant en présence d’une dynastie chassée, mais qui est encore à nos portes ; n’ayant pas de défense naturelle, constamment exposée à une invasion. Mais, ce n’est pas là ce que l’on nous dit depuis quatre ans : notre diplomatie ne nous disait-elle pas, après le traité de Zonhoven, que notre pays devait être un Eldorado d’indépendance et de liberté ?

Il devait y avoir sécurité complète pour tout le monde.

En 1831, la dynastie chassée était-elle donc plus loin de Bruxelles qu’elle ne l’est aujourd’hui ?

A cette époque, pour ainsi dire le lendemain d’une défaite, on pouvait craindre qu’il n’y eût découragement dans l’armée ; il y avait exaltation chez l’ennemi, il était nombreux, il était sur nos frontières. Cependant on a trouvé qu’aux termes de l’article 124 de la constitution, ou ne pouvait consacrer l’arbitraire d’un règlement disciplinaire hollandais, le même qui a été cité par le ministre de la justice comme insuffisant, et à l’insuffisance duquel il fallait, selon lui, pourvoir.

En 1831, on a reconnu que l’on ne pouvait faire de la discipline arbitrairement et en vertu des règlements disciplinaires, qu’on trouvait trop vagues ; et aujourd’hui que nous sommes dans une sécurité complète, il faut renchérir sur toutes les dispositions des règlements disciplinaires hollandais, et il faut de plus, pour leur application, l’arbitraire, toujours de l’arbitraire.

Croyez-moi, si vous ne voulez qu’établir la discipline dans l’armée, si vous voulez rétablir la confiance dans l’armée et ne pas susciter au gouvernement des embarras inextricables, rejetez la loi et faites-en une autre. Prenez, sauf à le modifier, le texte de la loi du 7 septembre 1831 ; complétez-en les dispositions si vous les trouvez insuffisantes. Retranchez celles que vous considérez comme inutiles.

Je serai le premier à voter pour une loi qui pourra avoir un but utile. Mais je le répète, craignez de consacrer l’arbitraire, car l’arbitraire est plus dangereux et plus préjudiciable à celui qui en use qu’à ceux contre qui on en use.

Je le répète, et faites-y attention, votre loi consacre l’arbitraire. Dès lors, toutes les fois que vous en ferez l’application, on considérera cette application comme arbitraire. Les officiers frappés en vertu de la loi seront considérés comme des victimes de l’arbitraire sacrifiées à des vengeances, à des susceptibilités, à des vanités blessées ; les officiers que vous frapperez trouveront nombre de personnes pour les plaindre et les défendre, lors même qu’ils auraient été condamnés avec raison et sans réclamation, par application d’une loi sévère, mais juste, et à l’abri des accusations d’arbitraire.

Maintenant j’ai la conscience d’avoir fait mon devoir. Faites le vôtre !

(Moniteur belge n°146, du 25 mai 1836) - La chambre ferme la discussion et passe au vote de l’article premier.

- L’amendement de la commission tendant à rendre la loi temporaire, et consistant à commencer l’article par ces mots : « Jusqu’au traité définitif avec la Hollande, » est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

- Le paragraphe premier du projet du gouvernement, avec l’amendement de M. Desmaisières auquel le gouvernement s’est rallié et qui consiste à dire : « ou mis au traitement de réforme, » au lieu de : « ou mis en réforme, » est mis aux voix et adopté ; il est ainsi conçu :

« Les officiers de tout grade, en activité, en disponibilité, en non-activité ou mis au traitement de réforme, pourront être privés de leur grade et de leur traitement, pour les causes ci-après exprimées.»

- L’amendement proposé par M. de Jaegher est mis aux voix ; il n’est pas adopté ; il est ainsi conçu :

« Article premier. Les officiers de tout grade, etc.

« 1° Pour ivresse ou libertinage public et habituel ;

« 2° Pour dettes résultant d’inconduite et excédant une année des appointements du grade dont ils sont revêtus ;

« 3° pour outrages ou voies de fait dans un lieu public ;

« 4° Pour manifestation, etc. (Comme au projet de la section centrale.)

- L’amendement proposé par la section centrale est ainsi conçu :

« Art. 1er. Les officiers de tout grade, etc. :

« 1° Pour s’être livrés habituellement et publiquement à l’ivresse ou au libertinage ;

« 2° Pour avoir par inconduite contracté des dettes excédant une année des appointements du grade dont ils sont revêtus

« 3° Pour s’être livrés dans un lieu public, entre eux, à des outrages ou à des voies de fait. »

Cet amendement est mis aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote

60 membres prennent part au vote.

24 votent pour l’adoption.

36 votent contre.

La chambre n’adopte pas.

Ont voté pour l’adoption : MM. Berger, Dams, de Brouckere, de Jaegher, de Renesse, Desmaisières, Desmet, Doignon, Dumortier, Gendebien, Heptia, Jadot, Kervyn, Legrelle, Liedts, Pollénus, Seron, Trentesaux, Vandenbossche. Vanden Wiele, Vergauwen, A. Rodenbach.

Ont voté le rejet : MM. Beerenbroeck, Bekaert, Coghen, Cols, Coppieters, Cornet de Grez, de Longrée. F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Sécus, de Terbecq, de Theux. d’Huart, Dubois, Ernst, Fallon, Keppenne, Milcamps, Morel-Danheel, Raikem, Rogier, C. Rodenbach. Schaetzen, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Vanderbelen, Verdussen, Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke.

M. le président. - Les amendements de la section centrale au paragraphe 1er étant rejetés, il reste à voter le paragraphe proposé par le gouvernement :

« Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, et la subordination militaire. »

M. de Brouckere propose un amendement tendant à retrancher ces mots : « et la subordination militaire. »

- La chambre décide que l’amendement de M. de Brouckere sera mis aux voix avant le paragraphe.

L’amendement de M. de Brouckere est mis aux voix et n’est pas adopté.

La chambre vote par appel nominal sur le n°1 du projet du gouvernement.

60 membres sont présents.

59 prennent part au vote.

1 s’abstient.

34 adoptent.

25 rejettent.

En conséquence, le numéro 1er est adopté tel qu’il est conçu dans le projet du gouvernement.

Ont adopté : MM. Bekaert, Coghen, Cols, Coppieters, Cornet de Grez, de Longrée, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Sécus, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Dubois, Ernst Fallon, Keppenne, Milcamps, Morel-Danheel, Raikem, C. Rodenbach, Rogier. Schaetzen, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Vanderbelen, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke.

Ont rejeté : MM. Beerenbroeck, Berger, Dams, de Brouckere, de Jaegher, de Renesse, Desmaisières, Desmet, Doignon, Dumortier, Gendebien, Heptia, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Liedts, Pollénus, A. Rodenbach. Seron, Trentesaux, Vandenbossche, Vanden Wiele, Vergauwen, Vilain XIIII, Zoude.

M. Legrelle. - Je me suis abstenu, parce que je venais de voter pour la rédaction de la section centrale qui me paraît préférable à celle du gouvernement. Cependant, je n’ai pas voté contre cette dernière parce que je sens la nécessité de la loi.

- « 2° Pour manifestation publique d’une opinion hostile à la monarchie constitutionnelle, aux institutions fondamentales de l’Etat, aux libertés garanties par la constitution, ou pour offense à la personne du Roi. »

Ce paragraphe est mis aux voix et adopté.

« 3° Pour absence illégale de leur corps ou de leur résidence pendant quinze jours. »

M. Gendebien. - J’ai proposé un amendement tendant à supprimer dans l’article ces mots : « ou de leur résidence. »

M. le président. - Cet amendement n’est pas parvenu au bureau.

M. Gendebien. - Personne cependant ne peut contester que je l’aie présenté. Au reste, qu’on vote l’article par division ; le but de mon amendement sera atteint.

- La chambre procède au vote par division.

La partie du paragraphe ainsi conçue : « Pour absence illégale de leur corps pendant 15 jours, » est mise aux voix et adoptée.

La partie du paragraphe ainsi conçue : « ou de leur résidence, » est également mise aux voix et adoptée.

Le paragraphe entier est ensuite adopté.

« 4° Pour résidence hors du royaume, sans autorisation du Roi, après cinq jours d’absence. »

Le paragraphe est mis aux voix et adopté.

- L’ensemble de l’article est ensuite mis aux voix et adopté.

Il est ainsi conçu :

« Les officiers de tout grade, en activité, en disponibilité, en non-activité ou en réforme, pourront être privés de leur grade et de leur traitement pour les causes ci après exprimées :

« 1° Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou de la subordination militaire ;

« 2° Pour manifestation publique d’une opinion hostile à la monarchie constitutionnelle, aux institutions fondamentales de l’Etat, ou pour offense à ta personne du Roi ;

« 3° Pour absence illégale de leur corps ou de leur résidence pendant quinze jours

« 4° Pour résidence hors du royaume, sans autorisation du Roi, après trois jours d’absence. »

- La séance est levée à 4 heures et demie.