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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10 mars 1837

(Moniteur belge n°71, du 12 mars 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance. La rédaction en est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1837

Discussion des articles

Chapitre II. Soldes et masses de l’armée, frais divers des corps

Section III. Masses des corps, frais divers, indemnités
Article 7

M. le président. - Nous en étions restés à la section 3 du chapitre II, art. 7, masse du casernement des hommes.

M. le ministre de la guerre a demandé 830,966 fr. 70 c. la section centrale propose de réduire l’allocation à 773,805 fr.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Gendebien. - Messieurs, si l’on entend clore la discussion après que M. le rapporteur aura parlé, je consens à renoncer à la parole ; mais si on n’entend pas clore la discussion, si quelqu’un répond à M. le rapporteur, je me réserve de parler.

Plusieurs voix. - Parlez, parlez maintenant !

M. Gendebien. - Je serai aussi court que possible. Cependant il me semble indispensable de rétablir les faits de la discussion.

Il me semblait qu’au point où était arrivée la discussion, on pouvait se dispenser d’entrer dans des généralités, et une bonne fois aborder le véritable point de la discussion.

A deux reprises différentes, au mois de janvier et de juin 1836, je pourrais moi-même m’en référer à ce que j’ai eu l’honneur de dire, car je pense que les réfutations de toutes ces généralités ont été complètes. Je ne ferai que relever quelques-unes des assertions les plus hasardées.

Avant tout, il faut bien se rappeler le sujet du litige.

A la section centrale qui a examiné le budget de la guerre de 1836, on n’examina pas le marché des lits de fer. On avait remis la discussion de cet objet important, après qu’on aurait réglé ce qui concernait le budget normal du département de la guerre. Pressé par le temps, arrivé au moment où on devait déposer le rapport, on s’occupa un instant de cet objet important.

Sur l’observation faite par le ministre de la guerre que les 57,400 fr. ne représentaient pas seulement les intérêts du capital engagé pour l’acquis des couchettes en fer ; faite bien attention à cela, car c’est la source de la difficulté. Si la somme de 57,400 fr. disait le ministre, n’était destinée qu’à couvrir les intérêts du capital nécessaire pour acquérir les lits en fer, le trésor serait lésé ; mais il faut bien remarquer que si le gouvernement avait fait l’acquisition des couchettes, il serait obligé non seulement de payer l’intérêt de la somme empruntée, pour faire cette acquisition, mais encore des frais d’administration, de réparation et de reconstruction, frais qui sont considérables. Je fus le premier à considérer cette observation comme plus ou moins acceptable. On invita M. le rapporteur à examiner de plus près l’affaire.

Nous nous séparâmes, laissant la discussion à ce point. Qu’est-il arrivé ? le ministre de la guerre a répété en séance publique que le trésor serait lésé si les 57,400 fr. ne devaient représenter que l’intérêt du capital engagé : mais qu’il y avait d’autres charges pour le gouvernement s’il fournissait les couchettes en fer. Dans ce même moment, je lisais le cahier des charges, et je remarquai à l’art. 4 que l’entretien, la réparation et l’administration des couchettes étaient à la charge de l’entrepreneur du couchage, soit que le gouvernement acquît les lits de fer, soit que l’entrepreneur leur fournît lui-même. Il était stipulé expressément que, dans l’une et l’autre base, l’entrepreneur devrait rendre les lits en bon état à la fin des 20 années de jouissance. Grand fut l’embarras du ministre pour se justifier. Je démontrai que sur cette base on payait aux entrepreneurs 37,400 fr. de plus que la somme nécessaire pour payer l’intérêt du prix de l’acquisition.

Le ministre de la guerre séance tenante, après avoir fait ses calculs, dit : Non la différence n’est pas de 374,00 fr., mais de 274,00 fr. Vaut-il bien la peine, a-t-il ajouté, pour une somme de 27,400 fr., renoncer à l’amélioration qui résulte de l’emploi de couchettes en fer ? Dans la première séance, le ministre fut forcé de convenir, le Moniteur en fait foi, qu’on donnait à la société Félix Legrand 27,400 fr., plus que l’intérêt du capital d’acquisition. Selon moi, le surplus était de 37,400 fr., et selon le ministre de 27,400. Cette différence provenait de ce que le ministre calculait sur un capital de 600 mille fr., tandis qu’on lui a fait des offres à 24 fr. 45 c. Le ministre est convenu qu’il avait reçu des offres inférieures à 25-75 ; il est convenu qu’on lui avait offert de fournir des lits en fer à 25 fr.

De plus, au mois d’août 1834, quand il fut question de fournir des lits en fer pour les hôpitaux, on critiqua le prix de 38 francs qu’on payait ; le ministre dit alors positivement que pour les casernes ce serait tout autre chose, que le prix n’irait pas à 25 fr. Vous trouverez encore la preuve de ce que j’avance au Moniteur du mois d’août 1834. Je ne m’appuie pas sur des suppositions, mais sur des documents positifs. Je ferai observer que c’est en faisant mes calculs sur 25 fr., et non sur 24-45 que je suis arrivé à la différence annuelle de 37,400 fr.

Voilà bien rétabli le point sur lequel j’ai toujours insisté ; je ne me suis jamais occupé de la question de savoir s’il y aurait ou non intérêt pour le trésor à ce que le gouvernement fournît les literies.

J’ai même reconnu jusqu’à un certain point que des particuliers administreraient des fournitures de literies mieux que le gouvernement ; mais, pour les couchettes en fer, on peut les regarder comme une espèce d’immeuble par destination, qui ne nécessite presque pas de frais d’administration ; d’ailleurs le gouvernement, comme je l’ai déjà dit, n’était tenu dans aucun cas de se charger de l’administration et de l’entretien des couchettes, et l’entrepreneur devait, dans l’une et l’autre base, représenter tout le matériel en bon état à la fin du marché.

M. le ministre a reconnu hier lui-même que pour les couchettes en fer, le gouvernement pouvait sans inconvénient en avoir l’administration. C’est en partant de là, en ne m’occupant que des couchettes en fer et en calculant d’après les chiffres les plus élevés, que j’ai trouvé qu’on payait 37,400 fr. de trop par an les couchettes seulement, sans m’occuper des gros bénéfices sur les autres fournitures.

M. Verdussen a fait un calcul qui l’a conduit à peu près au même résultat. En admettant les chiffres d’ailleurs très exagérés du gouvernement, M. Verdussen, par ses calculs, est arrivé à présenter une différence de 289,647 fr. à la fin des 20 années, en tenant compte de la réduction faite sur le capital dépensé ; M. Verdussen a ajouté à cette différence la somme de 300,000 fr. représentant la moitié seulement de la valeur des couchettes en fer, au bout des 20 ans ; en effet, le ministre disait qu’à la fin des 20 années, les lits vaudraient moins qu’au jour de l’acquisition, qu’ils ne vaudraient pas même la moitié du prix d’achat.

En supputant 600,000 francs pour le prix d’achat, en admettant l’allégation du ministre, et en réduisant la valeur des couchettes à la moitié à la fin du marché, il a trouvé pour résultat de l’opération 589,647 fr. de trop payé ; ce qui représente le capital total dépensé en double emploi, sans être propriétaire d’une seule couchette au bout de 20 ans.

Maintenant on nous propose en terme de transaction de nous céder la propriété des couchettes, moyennant 325,000 fr. mais s’il est vrai, comme le disait le général Evain, que ces couchettes auront perdu, à la fin du contrat, la moitié de leur valeur, il en résulte qu’on ne vous donne rien, qu’on ne fait aucun sacrifice pour arriver à une transaction ; car, en supposant que les couchettes aient coûté 600,000 fr., et j’ai démontré qu’elles n’auraient pas coûté cela, si on avait fait une adjudication particulière pour les couchettes, on nous demande 325,000 fr. pour nous en abandonner la propriété à la fin du service. Il en résulterait que nous paierions 325,000 fr. pour ne rien avoir ; si la valeur se réduit de moitié, comme on l’a dit, il en résultera qu’en payant cette somme, nous perdons, car nous payons 25,000 fr. plus que cela ne vaut, d’après le ministre lui-même.

Voilà le grand sacrifie que fait la compagnie Legrand. Que devient l’opinion de mon honorable ami M. Jullien, qui a argumenté des sacrifices énormes de la compagnie, en abandonnant les lits moyennant 325,000 fr., pour arriver à une transaction ?

Si, au contraire, on suppose que les couchettes n’ont rien perdu de leur valeur au bout de 20 ans, supposition nécessaire pour qu’il y ait un sacrifice de la part de la société Legrand, dans ce cas voici quel sera le résultat :

L’honorable M. Verdussen a prouvé qu’à la fin du bail il entrait dans la poche des entrepreneurs 289,647 fr. auxquels il faut ajouter 300,000 fr. pour la valeur réduite des couchettes à cette époque, ce qui, selon M. Verdussen, porte à 589,647 fr. la perte du gouvernement au bout des 20 ans ; mais il faut ajouter à cette somme 300,000 autres francs, pour représenter la valeur réelle des couchettes, ce qui portera à 889,647 fr. la perte réelle du gouvernement sur les couchettes en fer seulement, je ne parle en aucune façon des autres fournitures. A cet égard, l’honorable M. Dumortier et plusieurs autres honorables membres ont démontré que sur les fournitures encore la compagnie faisait des bénéfices énormes.

Hier, l’honorable M. Brabant, en adoptant les chiffres exagérés du ministre, vous a montré les bénéfices énormes du marché des couchettes en fer et fournitures réunies.

J’attends une réponse aux dernières observations que je viens de faire.

Mais, vous dit-on, vous allez mettre la société Legrand dans la nécessité d’intenter un procès, ce qui est toujours chose désagréable. Vous soutenez, dit-on, que cette société ne peut pas s’adresser aux tribunaux, que si les tribunaux décidaient en faveur de la compagnie, les tribunaux décideraient en vain. C’est donc à un abus de la force que vous voulez recourir. C’est jouer le rôle du grand seigneur vis-à-vis des pauvres qui n’ont pas les moyens de résister à un procès injuste, dit M. Lebeau.

Il ne s’agit ici ni de contraindre la société à plaider, ni de faire abus de la force vis-à-vis d’elle ; il s’agit de dire à la société : le gouvernement a été lésé en adoptant l’une des bases ; nous trouvons une différence de 37,400 fr. que l’Etat paie annuellement en trop sur les couchettes en fer seulement ; selon le ministre, cette différence est de 27,400 fr. Nous ne ratifierons le marché que quand vous aurez restitué l’Etat de cette véritable spoliation, soit en lui cédant les couchettes, soit en lui tenant compte de cette différence, attendu que jusqu’ici on n’a pas pu justifier cette différence.

Pour s’en tenir au contrat primitif et repousser même la transaction offerte par la compagnie, on a parlé des risques, des dégâts et des frais que les transports seuls occasionneraient au gouvernement s’il était propriétaire. On a élevé bien haut les pertes de ce chef pour le gouvernement.

Cet honorable membre a perdu de vue l’art. 4 du cahier des charges qui met toutes les réparations quelconques, quelles que soient leurs causes, à la charge des entrepreneurs. Certainement, s’il était question d’acquérir des lits en fer même pour 200 mille francs et de mettre à la charge du pays l’entretien de l’administration du matériel, j’y renoncerais, car il y aurait mille manières de frauder, et l’Etat finirait par être lésé au-delà de la somme qu’on nous fait entrevoir comme le bénéfice abandonné au gouvernement par la société à la fin du bail.

Prendrai-je maintenant les nouveaux calculs proposés hier par M. Verdussen auxquels par parenthèse personne n’a répondu.

M. Milcamps. - Je demande la parole.

M. Gendebien. - M. Verdussen a dit hier (en adoptant, notez bien, tous les chiffres du ministre) qu’il y a une différence au détriment du trésor de 18,400 fr.

Eh bien, j’adopte comme M. Verdussen les chiffres ou plutôt les bases du ministre ; mais il est deux articles que je ne puis pas adopter.

Je vois porté en compte au mémoire du ministre :

Pour administration dans les diverses garnisons : 6,500 fr.

Pour réparation des couchettes, 10,000 fr.

Ces sommes ne peuvent entrer en ligne de compte parce qu’aux termes de l’art. 4 de la convention, tout cela est, d’après ces deux base, à la charge de l’entrepreneur ; ni l’administration, ni l’entretien ne sont à la charge du gouvernement ; il faut donc réunir ces sommes à la différence indiquée par M. Verdussen, et vous avez dès lors une différence par année de 34,900 fr., somme qui se rapproche de la différence que j’ai signalée dès le mois de janvier 1836.

Voilà donc, en envisageant la question sous un autre rapport, une nouvelle démonstration de la lésion du trésor, sans qu’on puisse justifier de la nécessité ou de l’utilité de cet énorme sacrifice.

Mais, vous a-t-on dit, les entrepreneurs ont traité de bonne foi avec le gouvernement. Ils se présenteront devant les tribunaux, et il faudra bien qu’il y ait quelqu’un d’obligé. Si ce n’est pas l’Etat, ce sera le ministre.

Je n’ai pas à m’occuper de la position du ministre ; il s’en tirera comme il voudra ou plutôt comme il pourra. Mais je dis qu’il serait vrai que le ministre serait en définitive obligé, ce ne serait pas une raison pour m’arrêter.

Vous avez vu en France, sous la restauration, sous un gouvernement qui pesait de tout son poids sur une chambre complaisante, M. de Peyronnet, condamné à payer de ses deniers une somme dépensée sans autorisation, pour ameublement d’une salle à manger. Cette somme s’élevait haut. Eh bien, la chambre de la restauration n’a pas hésité à rayer du budget la somme dépensée, et l’a fait payer à M. de Peyronnet.

Si le recours contre le ministre pouvait nous toucher, si nous nous laissions aller à de pareilles considérations, il n’y aurait plus de responsabilité ministérielle. Je l’ai toujours considérée comme un vain mot, et l’expérience de 6 ans l’a assez démontré. Mais il n’en est pas moins vrai que nous devons la maintenir intacte, car cette responsabilité ministérielle sera le dernier palladium de nos libertés et d’une bonne administration, car la nécessité d’y recourir se fera mieux sentir.

Mais est-il vrai que les entrepreneurs puissent recourir vers le ministre ? Il a été démontré que non, en juin dernier, par l’honorable M. Fallon, qui vous a donné cette année une analyse serrée de ce qu’il a dit en juin dernier. Jusqu’ici j’attends vainement une réponse. M. Fallon vous a dit qu’aux termes de la constitution, par un écu ne peut être dépensé, si ce n’est de l’assentiment de la chambre et que pour autant que la dépense figure au budget. Eh bien, le budget de 1836 contient-il une allocation pour la convention qui a été faite ? Autorise-t-il un marché de cette nature ? Non. Si le général Evain avait fait un marché pour un an, sans dépasser la somme portée à l’article du casernement des hommes, pour le budget de 1836, il n’y aurait rien à dire. Mais notre droit a commencé lorsqu’on a demandé des fonds pour la fourniture du casernement de l’année suivante, dès lors nous avons eu le droit d’examiner. Nous avons eu celui de discuter, d’augmenter ou de diminuer, sans autres limites que celles de la constitution. Or, si l’article 115 de la constitution nous donne le droit et nous impose le devoir d’accorder ou de refuser les fonds chaque année, dès lors cet article 115 consacre et définit le mandat du ministre, qui doit être nécessairement en corrélation avec les pouvoirs de la chambre. Eh bien, ceux qui ont traité avec lui devaient connaître la loi belge ; il y avait même parmi les membres de la compagnie beaucoup de Belges ; il y avait notamment un Belge qui avait reconnu lui-même la nécessité d’une loi, M. Charles de Brouckere. Car en janvier 1831, il fut question d’un marché de 27,000 lits pour un terme de 25 à 26 ans ; et sur l’observation que je fis à M. de Brouckere, qu’on ne pouvait faire un tel marché qu’en vertu d’une autorisation donnée par la loi, M. de Brouckere, alors ministre de la guerre, se leva et dit spontanément qu’il n’y avait pas le moindre doute à cet égard.

Vous avez entendu ce que M. Dubus a rappelé, hier, de la discussion du congrès.

M. Lebeau disait alors qu’un ministre, s’il agissait ainsi que le général Evain a agi, non seulement ne pouvait lier la législature, mais qu’il devait être traité comme un fou. Cela me paraît positif et sans réplique.

Les entrepreneurs ne peuvent donc se prévaloir de leur bonne foi, de leur ignorance de la loi, alors surtout qu’il y a parmi eux un des sociétaires (et l’un des plus intéressés, si j’en crois le tableau de la répartition des actions) qui a reconnu la nécessité de l’autorisation législative préalable, alors qu’il était ministre de la guerre.

De quel front la société viendrait-elle se prévaloir de sa bonne foi et de son ignorance légale de la loi, alors qu’un de ses membres a reconnu explicitement le principe contre lequel elle se débattra en vain ?

Il est un autre principe que la société ne peut méconnaître et que l’honorable M. Jullien ne contestera pas non plus ; c’est que tout mandataire qui produit son mandat, n’est responsable que dans les limites de son mandat. S’il les dépasse, il n’est responsable vis-à-vis de personne excepté son mandant. C’est à ceux qui traitent avec lui à s’enquérir de son mandat et de son étendue. C’est à une règle incontestable ; personne ne la contestera. Dès lors comment la société aurait-elle une action nécessaire contre l’ancien ministre de la guerre, lui qui n’a agi qu’en vertu de la loi, de la constitution qui est son mandat ?

Mais, dit-on, si les cours et les tribunaux interprétant autrement que nous la convention, venaient à nous contredire, qu’adviendrait-il ? Vous vous refuseriez à voter les fonds. Mais il y aurait anarchie ; mais ce serait un scandale, dit M. Lebeau, de donner les premiers, en Belgique, l’exemple du mépris pour la chose jugée !

Pour la chose jugée ! Mais c’est là une supposition presque injurieuse pour nos tribunaux.

Messieurs, si nous devions respecter la chose jugée dans le sens absolu que l’entend l’honorable M. Jullien, c’est alors qu’il y aurait anarchie, mais anarchie judiciaire ; car ce seraient les tribunaux et non la chambre qui en définitive feraient le budget. Il faudrait modifier l’art. 115 et dire : « Aucune dépense ne sera faite, si ce n’est du consentement des chambres, à moins que les tribunaux n’aient décidé le contraire, à moins que la dépense n’ait été ordonnée par les tribunaux. »

Il faudrait, en un mot, partager l’initiative en matière de finance, entre les chambres et les tribunaux, ou plutôt la déférer en premier ordre aux tribunaux. C’est-à-dire qu’il faudrait bouleverser la constitution et en arracher l’article 115.

Il y a des tribunaux en Belgique, à dit M. Jullien. Oui, messieurs : c’est parce qu’il y en a dans le sens qu’il l’entend, que je suis convaincu que jamais nous ne serons placés dans la fâcheuse position de donner le scandale dont M. Lebeau affecte aujourd’hui de se montrer si scandalisé.

Non, messieurs, nous n’avons pas à craindre de donner le scandale du mépris de la justice et de ses jugements. Si quelqu’un a donné ce scandale, ce n’est pas la chambre, c’est un ministre de la justice ; c’est M. Lebeau !

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. Gendebien. - M. Lebeau, la Belgique ne l’a pas oublié, s’est opposé en 1834 à l’exécution d’un jugement du tribunal d’Anvers, d’un jugement qu’avait rendu notre honorable collègue M. Liedts. Voilà le seul exemple que je connaisse du mépris pour les décisions judiciaires ! Il y a eu là mépris flagrant, délit d’anarchie. Il n’y avait pas de doute là sur la nécessité de respecter la chose jugée. Mais là, à moins de confondre tous les pouvoirs constitutionnels, à moins de placer les tribunaux au-dessus de la chambre et de les charger du règlement définitif des budgets, il est impossible de soutenir que la chambre pourrait être obligée d’exécuter un arrêt ou un jugement qui aurait pour résultat d’allouer à un ministre un crédit refusé par les chambres, ou de contraindre celles-ci à le porter au budget.

Mais, dit-on, si vous entendez l’omnipotence de la chambre de cette façon, il n’y a plus d’administration possible. C’est encore M. Lebeau qui dit cela. Si vous votez d’une manière aussi absolue (dit-il), il n’y a plus d’administration possible ; et alors il cite une infinité de cas ordinaires et extraordinaires, qui détruisent précisément ce qu’il a prétendu établir.

L’administration serait impossible ? entendons-nous bien.

Si chaque marché fait dans le cercle du budget et dans les cadres des crédits alloués devait être soumis à la chambre, il n’y a plus d’administration possible, c’est la chambre qui administrerait, cela est incontestable.

S’il fallait soumettre, chaque année, au vote ou à la ratification de la chambre des marchés qui, par leur nature, doivent avoir plusieurs années de durée, pas de doute encore, il n’y aurait plus moyen d’administrer. Mais remarquez-le bien, messieurs, ce n’est pas là ce qui arrêterait M. Lebeau ; car il a dit l’année dernière, au mois de juin, qu’il ne fallait pas soumettre le traité des lits militaires à une ratification, qu’il émettait alors des principes tout contraires à ceux qu’il hasarde aujourd’hui. On ne pouvait, disait-il, soumettre le traité à la ratification des chambres, parce que la législature actuelle ne pouvait lier les législatures futures. A chaque budget, disait-il, la législature a le droit de discuter, de contester un marché, n’importe sa date ; d’allouer ou de refuser les fonds pour son exécution. Voilà ce que disait M. Lebeau. Eh bien, c’est d’après ce système de M. Lebeau qu’il serait impossible d’administrer.

Quel homme serait assez téméraire pour contracter un marché, pour le voir discuter et remettre en question chaque année, pour risquer de le voir chaque année réduit ou annulé ? Voilà, messieurs, la fixité de principes, voilà la logique de nos adversaires !

On vous a dit que nous avons en quelque façon ratifié le traité ; on vous a dit que les honorables MM. Dumortier et A. Rodenbach avaient dit l’an dernier, au mois de juin, que c’était en quelque façon ratifier le traité que d’adopter la proposition de M. Pirson, et on tire de là une espèce de fin de non-recevoir sans toutefois la formuler nettement, ce qui serait au fait assez difficile. Mais, aux paroles de M. Dumortier, je puis opposer les miennes.

J’ai dit, tout en m’opposant à la proposition de M. Pirson, que c’était un simple ajournement avec réserve de tous droits ; et c’est ainsi que la proposition a été formulée et expliquée par M. Pirson, c’est ainsi qu’elle a été entendue et adoptée par la chambre. Eh bien, on commence par supposer que la chambre a ratifié, et on tire de là la conséquence que la société a exécuté de bonne foi la fourniture, qu’elle a eu confiance dans la décision de la chambre, et qu’il y aurait injustice et même déloyauté à revenir sur un marché contracté de bonne foi et exécuté de confiance par cette société. Ce ne sont là que de vains mots, sans aucune portée juridique. La société a connu les conditions du vote de la chambre et la position qu’elle prenait en exécutant à ses risques et périls ; elle ne pouvait ignorer qu’en exécutant elle ne restait pas moins soumise à la juridiction de la chambre.

On ajoute, messieurs, c’est toujours M. Lebeau : Si l’on avait résilié le contrat au mois de juin de l’année dernière, il y aurait eu faible perte pour la société. Aujourd’hui c’est impossible, vous dit-on ; l’exécution est complète, les dommages seraient trop considérables.

Mais c’est précisément ce que je vous disais l’année dernière ; n’hésitez pas à résilier le marché ; si la société ne veut pas faire de meilleurs conditions, les dommages qu’elle éprouvera seront peu considérables ; si vous ajournez jusqu’à l’année prochaine, alors on viendra vous dire : Il est impossible de résilier parce que les dommages sont trop considérables. Eh bien, messieurs il n’y aura de dommage pour personne, nous ne voulons que la justice pour tous.

On a parlé de moralité ; car de quoi a-t-on parlé ? serait-il bien moral, vous a-t-on dit, serait-il bien digne de la chambre, de spéculer sur la fâcheuse position dans laquelle on a placé cette société ? je dirai à mon tour à M. Lebeau : serait-il bien moral, serait-il bien digne d’un ministre, d’abuser de la position dans laquelle vous avez mis la chambre pour lui arracher un vote qui grève le trésor d’une manière aussi scandaleuse ? messieurs, personne plus que moi ne désire que les industriels, que les sociétés ne soient pas lésés ; personne plus que moi ne désire que les sociétés prospèrent ; mais personne plus que moi ne désire qu’on ne fasse pas faire au trésor des sacrifices inutiles.

Le sacrifice du trésor serait ici de 37,000 fr. par an, ainsi que je l’ai établi l’année dernière ; ou il serait de 34,900 fr. selon les calculs de M. Verdussen, ainsi que je les ai rectifiés ; or, indépendamment des bénéfices que ferait encore la société après cette réduction, il lui resterait encore la totalité des bénéfices sur les fournitures d’objets de couchage ; et ces derniers bénéfices ne sont pas peu de chose. On pourrait d’ailleurs abaisser le chiffre de la réduction jusqu’à 27,000 fr., ce qui est la différence que le ministre a reconnue lui-même entre les deux bases.

Pour atténuer ces énormes bénéfices, on a essayé de les comparer avec ce qui se payait aux régences ; mais il y a une différence du tout au tout entre les conventions faites avec la société et avec les régences.

Excepté la régence de Namur, les régences ne sont payées pour le couchage que quand leurs lits sont occupés ; ainsi, elles courent la chance d’inoccupation, qui a toujours été pour elles une cause de ruine. M. Lebeau disait lui-même : Serait-il possible que des particuliers voulussent traiter avec les chances de non-occupation ? Eh bien, ce sont ces chances que courent les municipalités ; dès lors, pouvions-nous comparer le prix qu’on leur accorde pour quelques mois d’occupation, à celui que vous accordez à la compagnie Legrand pour toute l’année ? pour les régences la non-occupation est ruineuse, tandis qu’elle est un surcroît de bénéfice pour la société Legrand de 7 à 8 p. c. ; car elle reçoit toujours comme si les lits étaient occupés, quoiqu’elle n’ait plus alors les frais de blanchissage, d’entretien, etc.

Nous avons supputé que la non-occupation pouvait aller au quart ou au tiers de l’année ou du nombre, et qu’elle irait au-delà dans les circonstances ordinaires. En effet, avant la révolution de 1830, il n’y avait que 16,000 hommes de troupes en Belgique (c’est le ministre de la guerre qui l’a rapporté dans ses mémoires) ; vous avez maintenant 20,700 lits, dont mille à coucher deux, sans compter ceux appartenant à l’Etat ou aux régences. Vous voyez donc que plus du quart de ces lits ne seront pas occupés.

Quand l’armée sera réduite à ce qu’elle doit être dans les temps calmes, que deviendront les contrats avec les régences, contrats qui ont presque été imposés aux villes ? Ils deviendront nuls, ou vous grèverez le trésor pour enrichir par la non-occupation la compagnie Legrand ; de deux choses, l’une : ou vous ruinerez le trésor, ou vous ruinerez les régences qui ont aussi traité de bonne foi avec le gouvernement ; elles seront donc ruinées pour avoir traité en n’exigeant rien pour la non-occupation.

D’après ces considérations, que devient l’observation de l’orateur auquel je réponds, que le marché général avait été reconnu favorable par tout le monde, que les régences elles-mêmes l’avaient reconnu favorable ; mais les chances de non-occupation étaient funestes aux régences, et on ne les appelait à concourir qu’à ces considérations, rien dont d’étonnant qu’elles aient applaudi à un marché général. Cette situation où le marché général place les régences me rappelle que le ministre de la guerre disait constamment que son plus vif désir était de traiter avec les villes ; voyez jusqu’à quel point cela est vrai ! On n’a jamais eu l’intention de traiter avec elles ; on n’a correspondu avec elles que pour leur imposer le couchage sans indemnité pour la non-occupation, ou que pour leur accorder une très légère indemnité ; jamais on ne leur a proposé de traiter sur un prix fixe, sans égard aux non-occupations. On a fait une adjudication qui n’était qu’un leurre par ses bases et par la conduite extraordinaire que le ministre y a tenue, et par les vives récriminations dont elles ont été l’objet. Toutes les observations et des régences et des entrepreneurs qui se présentèrent alors, portaient spécialement sur l’impossibilité de trouver des soumissionnaires qui voulussent courir les chances de non-occupation sans indemnité. Peu de jours après le ministre annonce une nouvelle adjudication, mais il n’annonce pas que c’est sur des bases différentes ; mais il ne correspond pas avec les villes pour les inviter à traiter sur le pied d’un prix ferme d’occupation ou de non-occupation ; et l’on fait au contraire un marché général pour exclure les régences.

Pour faire le traité général, on présente deux bases ; mais l’une des deux n’était qu’un leurre, car l’on a démontré sans cesse depuis, et le ministre lui-même, que l’une de ces bases est absurde. Alors à quoi bon appeler des concurrentes sur les deux bases ? il y avait donc quelqu’un à tromper ?

Ce que l’on voulait, messieurs, c’est un marché général ; ce que l’on voulait, c’est d’écarter les régences : il n’est pas difficile d’en pénétrer les motifs ; ce que l’on voulait, c’est de se réserver la faculté d’adjuger à qui on voudrait, car celui qui avait le chiffre du ministre, celui qui connaissait pour quelle base le ministre opterait, celui-là était sût d’avoir l’adjudication, et à un taux beaucoup plus élevé que par l’autre base qui, je le répète, n’était qu’un leurre, une absurdité comme l’a dit M. Evain après l’adjudication.

On vous a parlé de la reconnaissance que l’on devait au général Evain, de ce qu’il a fait pour la Belgique, et on nous a menacés d’être accusés d’ingratitude. Je tiens à me justifier d’avance de cette accusation d’ingratitude, puisque j’ai été le premier à donner l’éveil à la chambre sur le marché des lits militaires.

Quelle gratitude doit-on au général Evain pour avoir leurré les régences, pour avoir trompé les concurrents, pour avoir passé des marchés onéreux ?

On parle de la reconnaissance qu’on lui doit pour tout ce qu’il a fait en Belgique : oui, dans le principe, comme chef de division, comme travailleur, quand il était aidé des conseils du général Desprez et d’autres généraux instruits, quand il avait à ses côtés M. de Brouckere pour le mouvement, le général Evain a rendu des services au pays ; mais quand il est parvenu au premier poste il a montré trop de faiblesse et des condescendances coupables, bien préjudiciables à la discipline, à la confiance de l’armée, et bien onéreuses pour le trésor.

Sommes-nous donc si ingrats envers le général Evain ? Il est venu en Belgique à la fin d’août 1831 ; il a obtenu le grade de général de division ; il conserve malgré son inactivité un traitement de 16,900 francs non compris beaucoup d’accessoires.

La troupe lui doit un bon couchage ? mais il a été question de ce couchage dès les premiers mois de notre révolution, avant l’arrivée du général Evain en Belgique. Malgré toutes les conséquences funestes d’un mauvais marché, il n’en est pas moins général de division en Belgique.

Si l’on accuse la Belgique d’ingratitude à son égard, que dira-t-on de la France ? Comment en France a-t-il été récompensé du marché de 1822 qu’il a passé pour les lits sur lesquels couchent les soldats français, et dont ils sont aussi beaucoup plus satisfaits que de l’ancien couchage ? Il a cessé de paraître sur les cadres d’activité à la suite des services éminents qu’il avait aussi rendus pour ces lits de fer ; et quelques efforts qu’il ait faits pour être réintégré sur les cadres, il n’a pu y parvenir, tandis qu’en Belgique, il conserve son grade et son traitement d’activité.

Comment pourrait-on accuser la nation belge d’ingratitude envers le général Evain ? Je m’abstiens de vous retracer le tableau de toutes ces misérables intrigues que je veux bien attribuer à la jactance d’hommes imprudents ; tout au moins, qui voulaient se donner de l’importance près des sociétés ; cependant on s’est vanté d’avoir le chiffre ministériel, d’avoir la base qu’il préférait. La commission a eu, l’année dernière, en main, des pièces qui sont loin de donner satisfaction sur certaines indiscrétions qui ont été commises.

Quoi qu’il en puisse être de ces intrigues ou, si l’on veut, de ces indiscrétions, la nation a été lésée, et nous ne voulons pas sanctionner un traité onéreux.

Oui le traité est onéreux, et ceci me rappelle une objection faite par l’honorable M. Jullien, essayant de répondre à M. Fallon. Ce dernier avait assimilé le ministre de la guerre, administrateur, à un tuteur.

M. Jullien a dit : « Ce n’est pas comme mineur qu’il est restitué (je me sers ici d’un terme de droit) c’est comme lésé. » Eh bien, messieurs, à moins qu’on me réponde, qu’on réponde aux honorables MM. Verdussen et Brabant, à l’honorable rapporteur, aux deux rapports qui ont été successivement faits par la commission et par la section centrale, il faudra bien reconnaître qu’il y a eu lésion évidente pour l’Etat dans le marché pour le couchage des troupes.

Mais, dit-on, ce serait une chose bien étrange que personne ne fût engagé vis-à-vis de la société, tandis que la société serait engagée vis-à-vis du gouvernement, cela serait contraire, vous dit-on, aux principes élémentaires des contrats duorum in idem placitum consensus. Il n’y a là, messieurs, rien d’extraordinaire : lorsque le tuteur stipule pour le mineur, il est engagé envers le mineur, mais le mineur n’est pas engagé envers lui, ni envers la personne avec laquelle le tuteur a traité, et s’il y a lésion le mineur est restitué.

Abandonnant un cas spécial, qui est cependant identique à celui dont il s’agit, et restant dans les termes généraux du droit, je demande s’il n’est pas des situations où le contrat oblige définitivement l’une des parties, tandis qu’il n’oblige que conditionnellement l’autre ; si l’on ne connaît pas des nullités relatives ? Nous ne disons pas, ou plutôt nous n’avions pas besoin de soutenir, que le contrat est nul de plein droit, mais nous disons qu’il serait annulé, si la chambre lui refusait son assentiment, nous disons qu’il est de nul effet aussi longtemps que les chambres ne l’ont pas ratifié. Ainsi le contrat n’est pas absolument, n’est pas radicalement nul ; mais il renferme une nullité relative ; il est nul ou plutôt sans effet, envers le gouvernement, et même envers le ministre qui n’avait pas mandat pour le contacter, et l’exécution n’en peut être requise avant qu’il ait reçu le complément nécessaire qui lui manque, avant qu’il ait été ratifié par les chambres. Il n’y a en cela rien d’extraordinaire : celui qui traite pour une personne ne peut lier cette personne à moins qu’elle l’y ait autorisé, à moins qu’elle lui ait donné un mandat ; et le mandataire qui a donné connaissance de son mandat, ne peut être personnellement engagé que dans le cercle du mandat, ce sont là des principes que personne ne s’est jamais avisé de contester. Les raisonnements qu’a faits l’honorable M. Jullien en essayant de répondre à l’honorable M. Fallon disparaissent donc entièrement.

On dit, messieurs, qu’il n’y a pas de loi ; mais, messieurs, à moins qu’on déchire l’article 115 de la constitution et d’autres encore, il est impossible de prétendre qu’il n’y a pas de loi. « Il n’y a pas de loi, il n’y a que des antécédents tout au plus ; or, continue l’honorable M. Jullien, nous avons un antécédent qui a pu induire la société Legrand en erreur ; c’est ce qui s’est passé lorsqu’il s’est agi du marché Hambrouck, qui a été stipulé pour un terme de 18 mois, là aussi on s’est prévalu du défaut de pouvoirs du ministre, et après de longs débats la chambre a passé outre. » Eh bien, messieurs, il n’y a aucune conclusion à tirer de là ; du moment que la chambre a passé outre, qu’elle a alloué le crédit, elle a ratifié le contrat, elle l’a exécuté volontairement. Il n’y a donc aucune conclusion à tirer de ce qui a eu lieu pour le marché Hambrouck.

Ce marché était scandaleux, j’en conviens, je l’ai démontré, c’est moi, encore une fois, qui ai le premier signalé les nombreux abus auxquels il donnait lieu mais en raison des circonstances la chambre s’est laissée aller à ratifier le marché. En est-il devenu meilleur ? Non, messieurs, car il fait proverbe en Belgique et il est des hommes qui portent depuis le surnom de Hambrouck. Quel argument peut-on tirer, messieurs, est-ce qu’un abus peut légitimer un autre abus ? C’est donc à tort qu’on a cité ces antécédents.

On pourrait citer bien d’autres exemples, non pas de semblables abus, mais de marchés à longs termes : les contrats faits avec les régences relativement à des avances pour des casernes, le contrat pour les prisons, celui pour les travaux aux ports de mer, tous ces contrats ont été ratifiés par la chambre, soit expressément, par des lois, soit tacitement par l’exécution, qui emporte nécessairement ratification ; personne ne dit que ces sortes de choses peuvent se faire, mais ce sont précisément ces antécédents, y compris les débats sur le trop fameux marché Hambourck, qui devaient mettre la société Legrand sur ses gardes : elle devait bien savoir que tous les marchés sont discutés dans la chambre, bien qu’ils soient contractés avec eux sous réserve de ratification. Le seul fait de ces discussions prouve précisément le contraire de ce qu’a voulu prouver l’honorable M. Jullien ; car s’il y avait eu une loi ou un antécédent qui autoriserait le ministre à traiter sans le concours ou la ratification des chambres, chaque fois que de semblables questions se seraient présentées on aurait élevé une fin de non-recevoir, on serait venu dire : « Il n’y a pas lieu à délibérer, attendu que le ministre pouvait faire ce qu’il a fait. » On n’aurait jamais discuté les marchés. Cependant on l’a toujours fait, en commençant par le marché Hambroeck.

Enfin, l’honorable M. Jullien, après avoir reconnu qu’en tout état de cause le gouvernement devait être dédommagé, que le contrat devrait cesser les effets et pourrait être annulé, s’il était reconnu que l’Etat fût lésé ; après avoir fait cette profession de foi, l’honorable membre, faisant allusion à son voisin de droite, a dit qu’il avait sous la main un moyen d’avoir les renseignements les plus exacts : qu’on lui avait assuré que les actionnaires de la compagnie Legrand retirent tout au plus 7 ou 8 p. c. de leurs actions, et s’il en est ainsi, a-t-il ajouté, ce n’est rien de trop ; non, messieurs, s’il en était ainsi, ce ne serait rien de trop ; mais c’est précisément ce qu’il faudrait démontrer ; tout au moins faudrait-il démontrer que nos calculs d’où il résulte que l’Etat a été lésé sont erronés, mais il faudrait pour prouver cela des chiffres plus démonstratifs que ceux qui nous ont été présentes par le ministre, qui vont toujours en grossissant depuis le mois de janvier 1836, et qui ont encore été arrondis dans les séances d’hier et d’avant-hier.

Eh bien, messieurs, tout en admettant ces chiffres si bien arrondis, tout en partant de ces bases exagérées en faveur de la société, d’honorables membres dont tout le monde connaît l’exactitude consciencieuse ont établi que l’Etat a été lésé : l’honorable M. Verdussen, que, certes, vous n’accuserez pas d’être un homme passionné, qui est regardé, à juste titre, comme un des premiers calculateurs de cette chambre, est venu à cet égard vous donner une démonstration complète et sa conscience des chiffres vaut bien toutes les autres ; il vous a démontré jusqu’à l’évidence les désavantages qu’il y a pour l’Etat le marché conclu avec la compagnie Legrand, et a pris pour base de ses calculs, notez-le bien, les chiffres exagérés et très contestables du ministre.

Messieurs, j’aurais peut-être bien d’autres choses à dire encore, mais je crois en avoir dit assez pour rétablir au moins la question sur ses véritables bases.

Je vous déclare qu’il me serait bien plus agréable de pouvoir ratifier le marché et le défendre ; ce serait faire chose agréable au ministre, qui a eu la malencontreuse idée de soutenir tous les actes de son prédécesseur ; ce serait faire chose agréable aux actionnaires parmi lesquels je compte des mes amis qui datent de très loin et presque un parent ; mais, messieurs, dussé-je sacrifier mes anciennes amitiés (ce qui ne sera pas, je l’espère), je n’hésite pas à dire et ma conscience m’impose le devoir de dire : que le marché est onéreux pour l’Etat.

Je ne demande pas que la société se ruine ; elle ne sera pas ruinée par le vote que je demande de la chambre ; elle ne plaidera pas et si elle plaidait, elle serait condamnée ; je ne crains aucunement les conséquences du rejet du marché ou de la restriction qu’on propose de mettre au chiffre : la société ne plaidera pas, je le répète, elle ne retirera pas les lits des casernes ; il y aurait d’ailleurs un moyen de la contrainte à les y laisser, et au besoin je ferais connaître ce moyen, mais elle ne les retirera pas, elle ne s’exposera pas à perdre au-delà de la moitié de leur valeur ; elle ne viendra pas réclamer de l’Etat des dommages-intérêts ; la manière dont de semblables dommages-intérêts se récupèrent ne sera pas pour elle un appât. Je ne voudrais certes pas être condamné à payer à la société le dommage résultant pour elle de la perte réelle qu’elle éprouverait et des bénéfices qu’elle aurait faire lier le marché sur cela montera très haut ; mais, croyez-moi la société ne courra pas cette chance.

Je n’entends en aucune façon abuser ici de la position du fort contre le faible, ce n’est pas là le rôle que je joue ordinairement dans cette enceinte, mais le rôle tout contraire, et je le déclare hautement : et si par suite d’un vote désapprobatif émis par la chambre, le ministre molestait la société en exigeant autre chose que des conditions équitables pour elle comme pour le trésor public, alors messieurs, je serais le premier à prendre sa défense.

Je crois donc, messieurs, que vous pouvez voter en tout sécurité la proposition de la section centrale ; la société peut être bien tranquille : quand on lui aura fait faire des concessions équitables, elle fera encore de beaux bénéfices et nous, nous aurons rempli notre devoir.

M. Lebeau (pour un fait personnel.) - La chambre peut être sûre que je ne prolongerai pas par un hors-d’œuvre cette discussion déjà trop longue et qui a dû lasser son attention ; mais comme le préopinant ne s’est pas borné à rencontrer les diverses raisons que j’ai exposés à l’appui de mon opinion, et qu’il a cru nécessaire de recourir à un argument ad hominem, c’est-à-dire tout à fait personnel, la chambre me permettra de répondre quelques mots.

Vous n’aurez pas manqué de voir tout de suite l’immense différence qu’il y a entre le fait qu’a rappelé l’honorable membre et l’hypothèse qu’a laissé entrevoir un orateur qui a parlé dans la séance d’avant-hier : dans le premier cas, il s’agissait d’un fait purement politique, d’un acte de police générale qu’un ministre avait cru pouvoir poser sous sa responsabilité devant les chambres et devant le pays. Toutefois qu’a fait ce ministre ? Il a pris sur lui, d’accord avec ses collègues, de maintenir cet acte qui n’avait pu être infirmé par une décision évidemment incompétente ; mais en même temps, il a si peu décliné l’action des tribunaux, qu’il en a appelé du pouvoir judiciaire au pouvoir judiciaire lui-même.

Le pouvoir judiciaire a partagé entièrement son opinion, en déclarant comme le ministre le pensait, que le premier juge avait commis un excès de pouvoir. Voilà, messieurs, les faits tels qu’ils se sont passés.

Mais dans l’hypothèse où nous place le discours d’un honorable préopinant, si j’ai bien compris sa pensée, il s’agirait d’une décision souveraine, d’une décision qui aurait passé par les trois degrés de juridiction, d’une décision portant sur l’interprétation d’un contrat, portant sur l’appréciation d’intérêts civils, de créances, objets qui, d’après la constitution, sont évidemment le domaine exclusif des tribunaux ; voilà une différence qui certes ne peut échapper à la chambre.

Je pourrais aisément me livrer à l’examen et à la réfutation de quelques arguments par lesquels l’honorable préopinant a prétendu détruire ce que j’ai avancé dans la séance d’hier sur la question principale. Mais je crois par respect pour le règlement, devoir me borner à ce que je viens de dire, n’ayant demandé la parole que pour un fait personnel.

M. Gendebien. - Messieurs, le préopinant trouve qu’il y a une très grande différence entre l’abus de la force que j’ai signalé tout à l’heure et celui qu’il a vu, lui, dans l’opinion de l’honorable M. Fallon ; opinion que j’ai déclaré partager. Oui, mais il existe en effet une très grande différence. D’un côté, c’est un ministre qui, sans respect pour la chose jugée, force l’exécution d’une ordonnance de lui ministre, au mépris d’une disposition judiciaire ; car veuillez-vous rappelez, messieurs, qu’il s’agissait d’un jugement sur référé, rendu par l’honorable M. Liedts, en sa qualité de président du tribunal de première instance d’Anvers. Ce jugement était exécutoire, nonobstant appel et opposition.

Eh bien, messieurs, le ministre devait le respecter jusqu’à ce que l’autorité judiciaire supérieure eût prononcé. Or, l’autorité judiciaire supérieure a prononcé, elle a infirmé le jugement, vous a-t-on dit. Qu’est-ce que cela prouve ? cela justifie-t-il l’acte arbitraire du ministre, le mépris qu’il a montré pour les arrêts de la justice ? cela prouve seulement l’inutilité de cet acte arbitraire ; il est d’autant plus odieux ; puisque si le ministre avait eu la patience d’attendre le cours ordinaire de la justice, l’autorité judiciaire supérieure aurait rectifié l’erreur d’un juge inférieur. Mais sans attendre cette décision supérieure, le ministre a outré l’exécution de son ordonnance, il a donné l’ordre au procureur du Roi de mépriser le jugement qui était intervenu. Il a fait sans droit et sans raison comme sans nécessité précisément ce qu’il nous dénie le droit de faire dans l’exercice légal de nos prérogatives constitutionnelles.

Dans l’opinion de l’honorable M. Fallon, il s’agit d’une chambre entière, jugeant dans le cercle de ses prérogatives, dans le cercle de l’art. 115 de la constitution qui lui donne à elle seule le droit, l’initiative même exclusive de disposer des finances de l’Etat.

Vous voyez donc, messieurs, quelle différence énorme il y a entre les deux cas.

M. Lebeau n’a vu qu’un fait personnel dans ce que j’ai dit. Eh bien, à propos d’abus de la force, dont il a osé nous accuser, et dût le préopinant n’y voir une seconde fois qu’un fait personnel, je dirai que lui qui nous accuse a commis un abus de force, lorsqu’il a expulsé sans loi et en violant la constitution, 27 étrangers, et vous savez avec quelle sagacité et quels ménagements.

S’il faut en croire M. Ch. Vilain XIIII, il aurait provoqué ces expulsions, pour se maintenir au ministère ; car M. Vilain XIIII a déclaré dans cette enceinte que dans les expulsions, le ministère devait tomber, et vous savez que M. Vilain XIIII a été récompensé.

Ainsi donc, voilà M. Lebeau, qui nous reproche de vouloir faire un abus de la force, lui qui a commis lui-même le plus scandaleux abus de la force, car c’était, suivant l’un de ses gardiens, pour rester au pouvoir. On devrait avoir la prudence d’être moins susceptible, quand on est, comme M. Lebeau, vulnérable de tous les côtés.

M. Lebeau. - Messieurs, je ne reviendrai pas sur la question principale ; le reproche que l’honorable préopinant, auquel je crois avoir suffisamment répondu par les courtes observations que je viens de faire ; ce reproche, messieurs, il va beaucoup plus loin qu’à moi ; il va jusqu’à la majorité de la chambre, qui a jugé ma conduite et qui l’a approuvée en pleine connaissance de cause.

Je dirai seulement relativement aux paroles d’un honorable ex-député auquel on a fait allusion, qu’on a même cité, que je ne reconnais d’autre interprète de mes opinions, de mes sentiments dans cette chambre que moi-même. Je ne pense pas qu’on puisse aller au-delà de cette règle, qu’à chacun appartient la responsabilité de ses œuvres et de ses paroles ; certainement il ne serait pas juste qu’on eût à subir la responsabilité des paroles et des œuvres d’autrui.

Je ne reviendra pas sur les expulsions qu’a rappelées l’honorable préopinant ; je me bornerai à dire que si les circonstances qui ont provoqué ces expulsions de 1834 se représentaient aujourd’hui, et que je fusse ministre, le sentiment de mon devoir m’obligerait encore à prendre cette mesure sur laquelle au reste on a vainement appelé le blâme de la chambre, qui a bien évidemment approuvé ma conduite dans cette circonstance.

M. F. de Mérode. - Je n’entrerai pas dans les évaluations contradictoires très compliquées dont on vous a fatigués depuis deux ans en mémoires et discours sur l’objet en discussion, je ferai valoir très brièvement de simples considérations de loyauté et de politique bien entendue.

Un orateur qui s’est opposé à l’adoption de la transaction conclue avec la compagnie Legrand, vous a dit que les entrepreneurs étaient de bonne foi, que le ministre avait agi de bonne foi, et cependant qu’il fallait rompre entièrement le marché. En vérité, messieurs, je ne comprends pas qu’un homme aussi juste que l’honorable M. Brabant puisse traiter si légèrement des actes traités de bonne foi de part et d’autre. Lorsque le marché fut annoncé dans les journaux, quelqu’un réclama-t-il contre l’adjudication que se proposait de faire le ministre, bien qu’il n’y fût point parlé de ratification consentie par les chambres ? Personne ne réclama dès hors, en l’absence de tous renseignements précis, telle qu’une loi sur la responsabilité ministérielle : en l’absence de toute opposition contre l’acte administratif annoncé par le ministre de la guerre, les adjudicataires durent se croire valablement saisis de l’entreprise. Malgré l’opinion contraire de M. Fallon et du préopinant, d’autres membres de cette chambre qui sont aussi hommes du loi, qui connaissent les principes du droit écrit, vous ont dit que les tribunaux pourraient fort bien, si la compagnie Legrand intentait un procès à l’Etat, donner gain de cause à cette compagnie. Eh bien, messieurs, moi qui suit fort ignorance de ce qui concerne le droit écrit, mais qui connais, pour mes mandats comme pour moi-même, le droit de l’équité, les sentiments de convenances et de justice que la conscience inspire, je ne consentirai jamais à nuire à des particuliers qui ont traité de bonne foi avec le mandataire présumé compétent de l’Etat. Je ne commettrai point surtout une telle infraction aux règles de la délicatesse et de la bonne foi, que doivent respecter les nations comme les individus, pour une aussi faible différence que la somme de 18,000 fr. Le calculateur le plus précis que nous ayons dans cette chambre vous a dit, en effet, messieurs, que c’était là l’excédant de ce qu’aurait dû annuellement coûter à l’Etat le marché des lits de fer. 18,000 sur 360,000 cela fait un vingtième.

Je sais qu’en multipliant par 20, aux intérêts composés, on obtient un total assez notable ; mais tout est relatif. Multipliez par 20, avec intérêts composés, le montant porté au contrat, vous aurez une somme énorme, et sur cette somme énorme comparée à l’économie des 18,000 fr. multipliés par 20, les différences relatives seront les mêmes, c’est-à-dire qu’elles se porteront à un vingtième.

J’avoue, messieurs, que j’admire ceux qui calculent si mathématiquement les bénéfices et les pertes d’un marché de cette espèce, exposé à toutes les éventualités fâcheuses qui peuvent atteindre les entrepreneurs. On dirait que rien n’est plus sûr pour eux que le recouvrement de leurs avances. Quant à moi, je suis convaincu qu’avec toutes les chances politiques dont personne ne peut prévoir les résultats approximativement dans une période de 20 ans, l’entreprise est une affaire douteuse, et que si, en cas de succès, elle ne rapporte pas dix pour cent, c’est une affaire mauvaise et très mauvaise.

Maintenant, pour vous prouver combien les estimations auxquelles chacun se livre à son aise dans ses moments de loisir sont peu certaines, il suffit de vous rappeler le calcul posé hier par l’honorable M. Brabant. Selon lui ce n’est pas le générai Evain seul qui s’est trompé dans ses combinaisons, mais la section centrale, la commission, et tous les membres de cette chambre dont l’esprit n’a point conçu la véritable manière de gagner des millions sur les frais de couchage du soldat. Si les bénéfices à faire continuent dans cette progression spéculative, l’année prochaine, je ne serai pas étonné d’apprendre qu’il y a un moyen de coucher le soldat gratis et plus tard de tirer un revenu de son sommeil.

Je pense qu’il est des moyens plus sûrs de soigner la fortune de la nation et de lui faire gagner des millions réels. Ces moyens sont de fixer la sollicitude des chambres sur les grandes affaires, sur les lois importantes, sur les branches de revenus publics que les délais indéfinis laissent en souffrance, de considérer l’ensemble des actes d’un ministre, de comparer largement ces actes entre eux, et de traiter ainsi les hommes d’affaires du pays comme toute société industrielle ou financière, qui comprend ses intérêts, traite ses agents principaux. C’est d’agir toujours avec loyauté et bonne foi quand il s’agit de marchés, d’inspirer la confiance, de multiplier, par cette confiance, les concurrents aux adjudications de l’Etat.

Et dans la question qui nous occupe, je vois qu’un chiffre seul, un chiffre froidement et étroitement calculé, et sur des bases équivoques, fait oublier à plusieurs de nos collègues de plus essentielles considérations.

Je suis loin de blâmer le contrôle qui s’exerce sur une convention semblable à celle dont nous sommes occupés, mais je demande qu’il ait des limites et qu’il soit conforme aux principes et aux sentiments, que je viens d’exprimer.

Qu’il me soit permis, en finissant de répondre à des allégations du préopinant contre le précédent ministre de la guerre. Je ne sais si le ministre a tiré de grands avantages de sa venue en Belgique ; ce qui n’est connu, c’est qu’il n’a point demandé la naturalisation, on l’a lui a proposée et il l’a acceptée dans le but d’être utile au pays. En effet, de très bons services administratifs ont été rendus par lui ; s’il a eu des faiblesses, des complaisances, le trésor n’en a point éprouvé de détriment.

Messieurs, l’hospitalité est une chose sacrée. Quand une nation a besoin des services d’un étranger, quand elle l’appelle dans son sein, et qu’il se livre pour elle pendant plusieurs années à de pénibles travaux, elle lui doit de la reconnaissance, elle ne pourrait le traiter sans égard et le désavouer sans des motifs d’une toute autre nature que ceux qu’on a fait valoir.

M. Milcamps. - La chambre ne doit pas perdre de vue que la critique de la commission et de la section centrale n’a porté que sur les couchettes en fer ; quand aux effets de literie elles les ont généralement approuvés.

Quant aux couchettes en fer, il n’a été fait dans le cours de cette discussion qu’une objection au marché tel qu’on propose de le modifier. Elle vient de MM. Verdussen et Gendebien.

Ils prétendent qu’en acquérant les couchettes au prix de 325,000 fr., l’Etat éprouve encore une perte, selon M. Verdussen, de 18,000 fr., et selon M. Gendebien de 28,000 fr.

Pour arriver à sa conclusion, le premier raisonne comme suit :

L’Etat paie pour loyer annuel 57,000 fr.

Les 325,000 représentent un intérêt de 10,000 fr. pendant 20 ans.

Donc 67,000 fr.

Il suppose les prix des couchettes à 650,000 fr., donnant un intérêt de 32,000 fr.

Il évalue les frais de surveillance à 6,000 fr.

Ceux de réparations annuelles des couchettes à 10,000 fr.

Ensemble, 49,000 fr.

Différence, 18,000 fr.

Donc il en résulte une perte annuelle pour l’Etat de 18,000 fr. Rien n’est plus exact.

M. Gendebien ajoute, lui, qu’on ne doit pas avoir égard aux 10,000 fr ; pour réparations annuelles des couchettes, puisqu’aux termes de l’art. 4 du cahier des charges, première base, elles étaient à charge de l’entrepreneur.

Ainsi, M. Gendebien paraît avoir prouvé arithmétiquement que la perte annuelle pour l’Etat est de 28,000 fr. Mais il n’arrive à ce résultat qu’en faisant l’Etat d’entrepreneur. C’est un grave inconvénient.

Ainsi, selon cet honorable membre, la société Legrand gagne annuellement 28,000 fr.

Mais ce n’est pas 5 p. c. de son capital de 650,000 fr., engagé pour les couchettes en fer.

Or, M. Gendebien convient qu’une pareille entreprise doit procurer un bénéfice de 5 p. c. outre l’intérêt de 5 p. c. du même capital.

D’où la conséquence qu’en adoptant même les bases de cet honorable membre, la convention ne procure pas, à la compagnie Legrand, un bénéfice de 10 p. c.

M. Desmaisières. (Le discours suivant intègre les errata insérés au Moniteur belge n°73, du 14 mars 1837 :) - Messieurs, ainsi que l’on fait remarquer plusieurs honorables membres qui ont parlé dans cette discussion, il y a dans la question des lits militaires deux questions principales à examiner : la question constitutionnelle ou de légalité et la question de fait, la question de savoir si le marché passé par l’ancien ministre de la guerre avec la compagnie Legrand est, oui ou non, onéreux à l’Etat.

Quant à la première de ces deux questions, après les réponses tout à fait victorieuses qu’ont fait d’honorables membres plus en état que moi de la traiter, aux objections présentées contre l’opinion émise par la commission spéciale de la chambre, il aurait vraiment de la témérité à moi de prétendre ajouter encore quelque chose aux arguments irréfutables que ces honorables orateurs ont fait valoir.

Je me bornerai donc en ce qui concerne cette question à faire une très courte réponse à un argument produit par l’honorable député du Hainaut qui a parle premier avant-hier.

Parmi les dépenses plus qu’annales, a dit cet honorable membre, je pourrais citer les arrangements pris avec les villes pour le couchage des troupes et qui tous lient l’Etat pour plusieurs années, sans que l’on ait demandé à la législature une autorisation spéciale.

Je ne sais, messieurs, si cet orateur a voulu dire par là que la commission spéciale et la section centrale ont toutes deux reconnu qu’à l’égard de ces arrangements pris avec les villes, point n’était besoin de la ratification des contrats par la législature et qu’ainsi nous aurions eu deux poids et deux mesures ; si c’est là le sens qu’il faut donner à ces paroles, j’aurais l’honneur de prier l’honorable membre de relire l’article 4 de notre proposition et il y verra que nous proposons à la chambre de ratifier les marchés passés avec les villes et que par conséquent nous n’exceptons nullement ces marchés de la nécessité de ratification par la législature. Seulement nous avons trouvé ce marché avantageux et nous avons proposé de les ratifier, et ayant trouvé le marché Legrand onéreux, nous avons proposé de refuser la ratification.

En m’énonçant ainsi, je réponds en même temps à un autre honorable orateur qui a parlé en faveur de l’entreprise Legrand et qui a dit que si le traité passé avec cette compagnie ne nous eût point paru être onéreux à l’État, nous n’aurions pas fait la moindre objection pour la ratifier. C’est là une vérité, c’est là une manière si juste d’apprécier notre opinion, c’est en même temps un hommage si éclatant rendu à l’esprit de justice sur lequel est basée notre proposition que je me gardera bien de contester ici le moins du monde cette partie du discours prononcé par l’honorable député de Bruxelles auquel je fais allusion.

Je ne pousserai donc pas plus loin cette courte réponse sur la question de légalité. Seulement je ferai encore remarquer avec l’honorable M. Gendebien qu’un des reproches faits au ministre auteur du marché Legrand, consiste précisément en ce que ce marché met le gouvernement, par suite de ce qu’il paye le loyer des lits pour non-occupation comme pour occupation, dans la nécessité de chercher à occuper le plus de lits possible de la compagnie, de diminuer, par conséquent, le couchage des lits occupés des régences, et de devoir ainsi, par suite du marché Legrand lui-même, violer la foi promise à ces régences qui en contractant n’ont renoncé à toute prime de non-occupation que dans l’espoir d’obtenir une plus forte garnison.

Je passe donc de suite à la question de fait, à celle qui consiste à examiner si le traité du 29 juin 1835, passé entre l’ancien ministre de la guerre et la compagnie Legrand, est onéreux à l’Etat.

La solution affirmative donnée à cette question, messieurs, par la commission spéciale a déjà été démontrée si pleine de raison et de justice que les entrepreneurs eux-mêmes, ont reconnu par leur proposition de transaction qu’il y avait lieu à modifier leur contrat sur deux rapports.

Il y a, j’ose le dire, sur ce point aujourd’hui unanimité, car de tous les orateurs entendus, il n’en est aucun, il n’en est aucun, dis-je, qui, dès qu’il a voulu entrer dans l’examen de la question de fait, n’ait avoué d’abord son impuissance pour démontrer que le marché n’était point onéreux.

Je pourrait donc beaucoup abréger ce que je m’étais d’abord proposé de dire pour combattre les diverses transactions proposées.

Toutes ces transactions, cela résultat des aveux mêmes tant de ceux qui les ont proposées que de ceux qui les ont acceptées, toutes ces transactions reposent entièrement sur une interprétation erronée du vote émis par la chambre le 10 juin dernier.

Tous, ancien ministre, nouveau ministre et entrepreneurs ont pris pour point de départ dans les négociations qui ont eu lieu pour arriver à une transaction, le vote de la chambre, qui, selon eux, aurait entendu par ce vote que le marché serait provisoirement exécuté pendant l’année 1836, et que, entre-temps, il serait avisé à une transaction entre le ministre de la guerre et la compagnie Legrand, en ce sens seulement que l’Etat deviendrait propriétaire des couchettes en fer et qu’on améliorerait le système de constatation et d’évaluation des pertes et dégradations mises à charge des soldats.

J’avais cru qu’il aurait suffi, ainsi que je l’ai fait aux pages 42, 43 et 44 de mon rapport, de rappeler les divers points du marché signalés et prouvés être onéreux pour que l’on demeure convaincu que ce n’était pas à l’égard de ces deux points seulement que le marché était trouvé onéreux, et j’aurais cru aussi qu’il aurait suffi de rappeler le texte de la loi pour prouver que la chambre, loin d’entendre par son vote que le marché serait exécuté pendant l’année 1837, avait au contraire formellement et positivement déclaré dans la loi elle-même, qu’elle entendait voter le crédit « sans rien préjuger relativement au marché » et avec cette autre réserve bien précise, « qu’en aucun cas l’allocation de fonds consentie ne pourrait être invoquée ou opposée comme une approbation expresse ou tacite dudit marché par le pouvoir législatif. »

Voilà cependant qu’aujourd’hui on vient invoquer, on vient nous opposer le vote du crédit comme préjugeant l’exécution du marché pendant l’année 1836, comme une approbation du marché même, puisqu’après cela on invoque cette exécution provisoire du marché comme devant avoir pour conséquence nécessaire l’approbation du marché, dès qu’il y avait transaction sur deux seuls des nombreux points trouvés onéreux.

Et que nous dit-on pour étayer ce prétendu droit que l’on tire de notre vote pour préjuger la question de l’exécution du marché ? On nous cite les paroles émises par M. le ministre des finances dans la discussion qui a précédé le vote de la chambre.

Depuis quand, messieurs, les paroles d’un ministre pourraient-elles, alors même qu’elles auraient été prononcées tout à fait immédiatement avant le vote définitif de la chambre, constituer le véritable sens à donner à la loi, lorsque surtout le texte de cette loi est formellement en opposition avec l’interprétation qu’on prétend lui donner ?

Depuis quand faut-il recourir à la discussion qui a précédé le vote d’une loi pour interpréter cette loi, lorsque le texte de cette loi est tout à fait formel et explicite ?

Qui ne sait que les paroles prononcées avant le vote ne sont pas toujours bien entendues et bien comprises ?

Quant à moi, messieurs, et je crois qu’il en est de même de vous tous, je vous avoue que, lorsque le texte d’un article de la loi est bien précis, bien formel et n’offre aucune espèce d’ambiguïté, je ne m’embarrasse nullement de ce qu’a pu dire avant le vote tel ou tel orateur, et je vote l’article pour ce qu’il est, dans le sens que son texte lui-même lui donne.

Une circonstance que l’on semble entièrement perdre de vue, c’est qu’il aurait fallu seulement une voix de plus du côté de ceux qui voulaient la non-ratification immédiate du marché, pour que cette non-ratification eût formellement lieu. Il y a plus, et j’en appelle ici aux membres eux-mêmes de cette majorité d’une voix, c’est que si cette majorité comptait dans son sein des membres qui n’étaient pas bien fixés sur la question de savoir si le marché était onéreux oui ou non, elle en comptait aussi d’autres qui trouvaient bien le marché onéreux, mais qui craignaient de grands embarras pour le gouvernement, si la question eût été alors décidée dans ce sens. Pour ne point occasionner ces embarras au gouvernement, ils ont préféré que rien ne fût préjugé, ce qui est bien loin d’avoir voulu l’exécution du marché jusqu’en 1837.

J’en viens maintenant à une autre prétention élevée par les défenseurs du marché Legrand, celle qui réduit à deux points seulement tout ce que ce marché présente d’onéreux, ou plutôt tout ce à quoi il importe de remédier par une transaction.

Certes, messieurs, le système de constatation et d’évaluation des pertes et de dégradations mises à la charge des soldats est l’un des principaux griefs énumérés contre le marché des lits militaires.

Mais est-ce l’unique point qui ait été trouvé onéreux et devoir faire résilier le marché ? Je ne puis mieux faire que de prier ceux qui pourraient encore éprouver le moindre doute à cet égard de vouloir bien lire les pages 42, 43 et 44 du rapport de la section centrale que je viens de citer tout à l’heure, et ils n’auront pas de peine à se convaincre qu’il y a encore d’autres points nombreux qui ont fait trouver le marché onéreux.

M. le ministre de la guerre a invoqué hier mes propres paroles et a pensé être autorisé à en conclure que moi-même j’avais reconnu que c’était là le point unique pour lequel je trouvais le marché onéreux, pour lequel seul je voyais la nécessité d’une transaction.

Messieurs, lorsque j’ai prononcé les paroles citées par M. le ministre, j’avais pris à tâche de répondre de point en point aux volumineux discours et aux non moins volumineux mémoires que venait de présenter, pour sa justification, M. le ministre de la guerre auquel le général Willmar a succédé, et si l’honorable général avait lu entièrement mon discours, il aurait vu que loin de me borner à un seul point, j’ai démontré que tous les nombreux points qui avaient été signalés comme onéreux et que l’on prétendait ne pas l’être étaient au contraire tellement onéreux, qu’il ne pouvait y avoir lieu à ratification du marché par la chambre.

Si M. le ministre de la guerre avait seulement commencé sa citation un peu plus haut, il aurait vu que c’était après avoir cité un passage du mémoire en réponse au rapport de la commission, où l’honorable auteur du mémoire avait cherché à tirer des conséquences en faveur de l’adjudication du 16 juin de ce que l’on ne payait que 61 centimes de plus à la compagnie Legrand qu’aux régences ; que ce fut après avoir cité ce passage, dis-je, que je m’écriais que le marché était on ne peut pas plus onéreux non pas, il faut bien le remarquer, par l’unique motif des exactions dont le soldat pouvait être victime en ce qui concernait les paiements à faire par lui pour pertes et dégradations, mais bien au contraire par plusieurs motifs que j’ai énumérés dans diverses parties de mon discours et parmi lesquels figurait celui-là, ainsi que celui non moins remarquable du paiement intégral du loyer à la compagnie Legrand, que les lits fussent occupés ou non-occupés.

J’ai cité alors aussi le lit de fer français qui aurait coûté moitié moins cher. M. le ministre de la guerre, en répondant à cette observation reproduite hier par l’honorable M. Dumortier, s’est appuyé de ses souvenirs d’ancien élève de l’école polytechnique et a invoqué aussi les miens.

Oui, messieurs, après avoir bien interrogé mes souvenirs, je me suis rappelé que pendant les chaleurs de l’été il y avait des chambrées ou les élèves étaient incommodés par les punaises ; mais cela provenait-il des bâtiments qui, comme on le sait, sont, à Paris, presque généralement infestés de punaises ; cela provenait-il des vieilles petites armoires qui étaient placées au pied de notre lit, ou des rayons en planche qui étaient placés à la tête de notre lit contre le mur, c’est ce que je ne saurais dire.

Je suis autorisé à croire cependant que c’était l’une de ces causes et peut-être toutes qui donnaient lieu à l’inconvénient des punaises, lorsque je considère que le gouvernement français qui avait d’abord aussi fait établir ses lits en fer avec fonds métalliques, a préféré ensuite en revenir au lit de l’école polytechnique avec fond en planches ; lorsque je considère aussi que le lit français ne contient que 3 planches qui se détachent et peuvent facilement être tenues par conséquent dans un état de propreté tel qu’il ne donne point naissance aux punaises ; lorsque je considère qu’à Gand les lits sont entièrement en bois et que le casernier m’a assuré qu’il ne s’y trouvait aucune punaise ; lorsque enfin je considère que les journaux français nous ont appris, il n’y a pas longtemps, que le système des lits de fer adopté pour le couchage des soldats en France avait donné des résultats tellement satisfaisants après plusieurs années d’expérience que le préfet de la Seine allait procéder à une adjudication de pareils lits pour divers établissements publics.

Je vous demande pardon de cette petite digression, messieurs, mais j’ai cru devoir répondre à l’appel qu’on faisait à mes souvenirs pour arriver à prouver le fondement d’une opinion contraire à la mienne.

J’ai prouvé tout à l’heure, et je l’avoue, je n’ai pas en grande peine à le prouver, j’ai démontré que l’on n’était nullement fondé à prétendre, qu’une amélioration dans le système de constatation et d’évaluation des pertes et dégradations était la seule condition d’une transaction à intervenir entre le ministre de la guerre et la compagnie Legrand.

Mais supposant un instant qu’il en soit ainsi, je demanderai alors si le tarif et les articles réglementaire du 12 août 1836 améliorent suffisamment le marché sous ce rapport.

A cet égard, il y a certain au moins doute, et ce doute se change bientôt en réalité dans le sens contraire, lorsqu’on fait attention à ce que pour 3,882,700 journées d’occupation d’un lit des régences il a été payé seulement 6,200 fr. 21 c. par les soldats pour dégradations, tandis que pour 2,617,830 journées seulement d’occupation d’un lit de la compagnie Legrand il a été payé 9,712 fr. 23 c. ; et notez bien, messieurs, que le lit des régences est à deux places et que celui de la compagnie Legrand est à une place, que par conséquent le soldat a eu vis-à-vis des régences un camarade pour payer, et que vis-à-vis de l’entreprise, il a dû tout payer seul. Notez aussi que dans les dégradations payées aux régences, si j’en crois les renseignements qui m’ont été donnés par un honorable collègue, il y a celles commises aux bâtiments et au gros ameublement des casernes sont des espèces de dégradations qui ne se trouvent point comprises dans celles payées à la compagnie Legrand. Notez encore que si les lits des régences sont en bois, les dégradations n’en sont que plus fréquentes, et enfin si le lit à une place de la compagnie coûte plus qu’un lit à une place des régences et nécessite par conséquent de plus fortes paiements pour dégradations, ce lit à une place de la compagnie ne coûte pas plus, et en prix, et en entretien (literies comprises de part et d’autre), que le lit à deux places des régences, qui est ici le lit à comparer à celui à une place de la compagnie.

Après cela, je crois inutile, messieurs, de suivre M. le ministre dans les calculs qu’il a présentées hier, d’autant plus qu’en nous les soumettant, il a avoué lui-même manquer des éléments nécessaires et s’est trouvé obligé de bâtir sur de hypothèses toujours contestables.

Je terminerai donc ma réponse en ce qui concerne les dégradations par quelques courtes observations sur la question de paternité des régences.

Je dirais d’abord que nous n’avons point parlé de paternité, et que nous avons seulement soutenu et que nous soutenons encore que les régences ayant intérêt à ce que les soldats soient contents de leur garnison, et n’ayant aucun intérêt à faire des bénéfices à leurs dépens, sont des autorités naturellement protectrices vis-à-vis du soldat.

Au lieu de raisonner en s’appuyant sur la généralité des régences, on est allé en chercher une au milieu d’un si grand nombre qui aurait exigé une dépense de 1,442 fr. 89 c., pour six mois d’occupation de 420 lits, et là-dessus on s’est écrié : « Vous voyez à qui se réduit ce esprit de paternité des régences. » Mais, messieurs, d’abord qui nous dit que c’est uniquement pour des dégradations aux bâtiments et au gros ameublement que cette somme a été payée, et ne serions-nous pas fondés, nous, à exclure cette seule et unique régence de nos calculs, qui alors donneraient encore des résultats bien plus frappants, bien plus concluants en faveur de notre opinion ? Mais nous avons pensé que c’était sur la généralité des régences, et non sur une exception, qu’il fallait établir nos calculs, et dès lors ils prouvent d’autant mieux toute la vérité de l’opinion que nous avons émise.

Oui, les régences se montreront et doivent se montrer archi-paternelles pour les intérêts de leurs communes, mais elles se montrent telles lorsqu’elles cherchent, par leur sollicitude envers le soldat, à rendre celui-ci satisfait de sa garnison.

C’est ainsi que, dans la ville que j’habite, sur une garnison de 4,000 hommes il y a toujours 2 à 300 lits qui sont livrés à la troupe pour les femmes et les enfants, sans qu’il soit exigé une obole de loyer.

Je l’avouerai, messieurs, si quelque chose m’a fait peine dans cette partie du discours qu’a prononcé hier l’honorable ministre de la guerre, c’est qu’il ait cru devoir ainsi présenter les régences comme devant être animées, à raison de leurs devoirs envers leurs commettants, d’un esprit hostile en quelque sorte aux soldats. Cela m’a fait surtout de la peine que de telles paroles soient échappées à un ministre pour qui j’ai toujours professé et je professe encore la plus profonde estime.

Je passe maintenant, messieurs, au second point onéreux du marché sur lequel on a cru devoir faire porter la transaction avec la compagnie Legrand, c’est-à-dire à la question de propriété des lits de fer.

Ce point a été en effet presque le principal qui a été traité dans les premières discussions de la chambre sur les lits militaires, avant que celle-ci ne se décidât à nommer une commission pour examiner la question d’une manière générale et approfondie.

La chambre se rappellera que la question du marché des lits militaires nous a été apportée par une pétition de l’entrepreneur qui avait succombé lors de l’adjudication, et qui se plaignait de ce que l’on n’avait point admis sa soumission qu’il prétendait être plus avantageuse à l’Etat que celle de la compagnie Legrand.

Pour appuyer sa plainte, il cherchait à nous démontrer que la base d’adjudication (les couchettes en fer étant à livrer par l’Etat), était plus avantageuse que celle qui faisait fournir les couchettes par les entrepreneurs et leur en attribuait, par suite, la propriété.

La discussion se porta donc principalement sur ce point, et on avouera qu’alors elle devait naturellement s’y porter. Mais la convention spéciale de l’année dernière a compris son mandat autrement, et elle a cru qu’elle devait examiner cette grave et importante question sous toutes les faces, et que ses investigations devaient principalement porter sur tout ce qui pouvait se trouver dans ce marché d’onéreux pour les intérêts de l’armée, de l’Etat et des communes.

Dès ce moment, messieurs, j’en appelle à vos souvenirs, la principale objection soulevée contre la ratification du marché a été la prime de location annuelle à payer à la compagnie, que ces lits fussent occupés ou ne le fussent pas.

Mais admettons encore, pour un moment, que la question de propriété des lits en fer constitue avec celle des dégradations les deux seuls points relativement auxquelles nous trouvions qu’il y avait lieu à transaction ; supposons qu’il faille ainsi resserrer la question dans d’aussi étroites limites, qu’il faille examiner si la transaction sur ces points proposés en dernier lieu par l’entreprise est plus avantageuse que la moindre soumission faite, lors de l’adjudication, sur la base qui laissait au gouvernement la livraison et la propriété des couchettes, et bien encore il suffira de calculs bien simples pour démontrer que sous ce rapport même cette transaction proposée n’est point acceptable.

La différence entre les moindres soumissions sur les deux bases était de 57,400 fr., c’est-à-dire que la livraison et la propriété des lits en fer par la compagnie Legrand revient au gouvernement à une dépense annuelle pendant vingt ans de 57,400 fr, ce qui, au taux de 5 p. c., revient à payer au commencement de la première des 20 années une somme de 716,000 fr.

Maintenant, par la transaction l’Etat paiera, pour devenir propriétaire des lits de fer au bout du marché, encore 325,000 fr., ce qui revient à payer aujourd’hui 122,000 fr.

Donc si la transaction se faisait d’après les dernières bases proposées, l’Etat payerait pour l’acquisition des lits de fer aujourd’hui une somme de 838,000 fr.

Les entrepreneurs eux-mêmes, cependant, n’en évaluent la valeur aujourd’hui qu’à 650,000 fr., et cette valeur sera nécessairement moindre quand viendra l’époque de livraison.

On a de nouveau invoqué, messieurs, en faveur du marché, la faculté qui en résultait pour le gouvernement de transporter les lits d’une place dans une autre. Nous avons dit, dans le temps, que dans notre opinion cette faculté ne devait pas entrer pour beaucoup dans la balance, parce qu’on en ferait peu usage, et en effet, nos prévisions se sont réalisées, car nous avons demandé l’état des transports effectués, et on nous a fourni un tableau que je tiens en main et qui nous renseigne que 372 lits seulement ont été transportés de Bruxelles à Vilvorde. Si l’auteur de l’adjudication avait bien mérité, bien calculé les besoins réels, ce transport n’aurait pas même dû avoir lieu, car il devait bien prévoir qu’il fallait des effets de couchage à Vilvorde. Il y a plus, c’est ce que je dois croire que M. le ministre de la guerre, lui-même, a partagé cette opinion, sur ce que l’on aurait peu à faire usage de la faculté de mobilisation, puisque ni dans les développements du budget primitif, ni dans ceux du budget supplémentaire, rien n’est porté en compte du chef des frais de mobilisation.

On s’est bien gardé de parler d’une autre faculté, celle du transport des lits d’une caserne à une autre. Le même tableau, que j’ai ici en mains, renseigne de ce chef une dépense de 99 fr. pour 165 couchettes (sans literies) qui ont été transportées de la citadelle de Liége à la Chartreuse. Vous avouerez, messieurs, que si de pareils transports qui se font gratuitement par les régences, se renouvelaient souvent à l’égard des lits de la compagnie Legrand, il y aurait là un surcroît de dépenses qui ne serait pas peu élevé.

Nous avouons que le marché Legrand est onéreux à l’Etat, a-t-on dit encore, mais il y a dans la proposition de la commission spéciale, renouvelée aujourd’hui par la section centrale, quelque chose que nous avons peine à nous expliquer. Si cette proposition était admise, les villes recevraient pour des lits à deux places et en bois, le même prix par homme et par jour que la compagnie Legrand pour des lits en fer et à une place.

Je répondrai d’abord à cette objection que si les lits des régences sont en bois et à deux places, c’est en conformité de ce qui leur a été prescrit par la circulaire ministérielle du 2 juillet 1834, et par l’arrêté du 31 janvier 1835.

Il est d’ailleurs de fait, messieurs, qu’un lit en bois a moins de durée qu’un lit en fer et ainsi se vérifie l’assertion que j’ai émise dans le temps, que ce qui est le meilleur et le plus convenable, n’est pas toujours ce qui donne lieu à le plus de dépenses d’entretien et de renouvellement. Ainsi a-t-il été fortement question dans la régence de Gand, quoiqu’elle possédât des lits en bois, de les remplacer, peu à peu, par des lits en fer qui exigent un moindre entretien, et qui ne doivent jamais être renouvelés lorsque le modèle en est convenablement arrêté.

Mais non, messieurs, nous ne mettons pas, par notre proposition, l’entreprise Legrand dans la position de recevoir pour un couchage meilleur le même loyer que celui que les villes reçoivent pour un couchage moins bon. Car lisez la correspondance et les arrêtés qui ont amené les marchés avec les villes, vous y verrez pourquoi il a été accordé un loyer de 5 centimes, par homme et par jour, aux régences. Vous y verrez que c’est qu’imposant aux villes de nouvelles dépenses à faire on voulait les mettre momentanément et à même de les couvrir par une plus forte prime d’occupation, et aussi parce que les villes ont des charges que n’a pas la compagnie Legrand, celle de la fourniture et de l’entretien des bâtiments et du gros ameublement des casernes.

Mais croit-on que plus tard, on continuera à allouer une prime aussi élevée aux villes lorsqu’elles se seront remboursées de leurs avance d’établissement ! Non certainement, et les villes elles-mêmes consentiront alors à un moindre loyer, j’en suis persuadé, j’en prends à témoins les marchés d’Ypres, de Gand et d’Ostende.

Voilà, messieurs, pour le fond de la question, en ce qui touche la proposition de la section centrale. J’en viens maintenant au but qu’elle cherche à atteindre, au but qui a toujours été dans ma pensée, et je ne crois pas être démenti en disant dans la pensée de tous ceux de mes honorables collègues qui ont adopté cette proposition.

Oui, l’adoption de notre proposition c’est l’annulation du marché ; mais nous avons pensé que son adoption pouvait seule mener à une transaction équitable jugée ici nécessaire, je crois, par tout le monde.

Je n’ai jamais, messieurs, fait connaître toute ma pensée, à l’égard de notre proposition, parce que j’ai cru qu’en matière de transaction à faire il fallait garder une certaine réserve vis-à-vis de ceux qui devait intervenir dans cette transaction. Mais voyant que les propositions de transaction, que je croyais devoir être amenées par la force des choses elles-mêmes, ne sont pas venues et ne viennent pas, j’ai pris le parti de consulter mes honorables collègues de la section centrale et d’autres honorables membres de cette assemblée, et tous m’ayant engagé à faire connaître ici toute ma pensée, je vais vous la faire connaître parce que je le regarde dès lors comme un devoir impérieux pour moi.

Voici, messieurs, les bases qui, après bien mûres réflexions m’ont paru seules pouvoir ici concilier tous les intérêts et satisfaire du moins en grande partie à toutes les exigences :

« Les entrepreneurs cèderaient à l’Etat tous leurs effets de couchage, tant literies que lits en fer, moyennant un prix raisonnable qui laisseraient naturellement à l’entreprise aussi un bénéfice raisonnable.

« La convention pour le prix serait faite sauf ratification de la législature. »

Et ici c’est une précaution à prendre dans l’intérêt des entrepreneurs aussi bien que dans ceux de l’Etat ; car, je le déclare hautement, et je suis persuadé que tous ici vous pensez comme moi, messieurs, je serais le premier à vouloir majorer le prix s’il m’était prouvé que celui proposé lèse le moins du monde les intérêts des entrepreneurs, comme je serais aussi le premier à vouloir le diminuer s’il m’était prouvé que les intérêts de l’Etat sont lésés, car ce que je veux avant tout c’est justice et équité envers tout le monde.

« Le gouvernement présenterait ensuite un projet de loi pour obtenir le crédit nécessaire.

« Ce projet contiendrait en même temps des règles pour le casernement et le logement des troupes, tant en garnison qu’en route et en cantonnement.

« Il tracerait aussi les obligations des communes et des citoyens, et, pour l’exécution de ces obligations, il y aurait naturellement lieu aux règlements dont parle l’article 67 de la constitution.

« Le matériel du couchage serait remis aux régence avec les précautions nécessaires, et à la charge d’en rembourser le prix par des retenues successive sur l’indemnité d’occupation. »

Vous connaissez maintenant toute ma pensée. J’ose espérer de la loyauté et de l’honnêteté, qu’avec tous mes honorables collègues de la commission spéciale nous avons reconnues chez ceux des administrateurs de la compagnie Legrand qui sont venus nous donner des explications, j’ose espérer de leur loyauté qu’ils ne mettront pas obstacle à ce que mes vœux s’accomplissent, si, ce qui sera pour moi la plus noble récompense de mes veilles et de mes travaux, la chambre veut bien donner son assentiment aux idées que je viens de lui soumettre en ce qui concerne les moyens de transaction que je regarde comme possible.

M. Jullien. - Messieurs, mon honorable ami M. Gendebien, en réfutant l’opinion que j’ai émises dans la séance d’hier, a cité ce qui est arrivé en France à M. de Peyronnet. Je remercie l’honorable membre d’avoir rappelé cet exemple, parce qu’il contribuera, je crois, à confirmer mon opinion, bien loin de la contrarier.

En effet, voici, si ma mémoire est fidèle ce qui est arrivé à M. de Peyronnet, et vous allez voir l’espèce d’analogie qu’il peut y avoir entre les différents cas. M. de Peyronnet, comme ministre, avait fait des embellissements dans son hôtel. C’était plus ou moins nécessaire. ; mais aucun crédit n’avait été voté par la chambre pour cette dépense. Quant il s’agit de payer le tapissier qui présentait, je crois, un mémoire de 30,000 fr., M. de Peyronnet avait voulu faire passer cette somme dans son budget. La chambre soit qu’elle fût dans ce moment de mauvaise humeur contre M. de Peyronnet, soit que cette dépense ne fût réellement d’aucune utilité, raya l’article et déclara que le ministre devait payer.

Jusqu’à présent, je crois que la chambre française avait agi dans l’ordre constitutionnel de ses pouvoirs.

Mais quand il s’est agi de payer le tapissier, M. de Peyronnet n’a pas entendu le satisfaire en lui disant comme on l’a dit dans la séance d’avant-hier : « discas cautius mercari (apprenez à commercer avec plus de précaution). Je ne vois dois rien, il n’y a aucun contrat entre vous et moi. » Cependant M. de Peyronnet était dans un cas tout à fait analogie pour l’obligation, à celui de l’ancien ministre de la guerre, il pouvait raisonner de cette manière et il pouvait dire dans le sens des honorables orateurs que je combats :

« Mon avis, je suis ministre, vous ne l’ignoriez pas ; l’hôtel que j’habite est l’hôtel du ministère ; vous avez fait des fournitures, c’est vrai ; vous m’avez livré des meubles, j’en conviens, mais vous devez savoir que d’après la constitution, un ministre ne peut pas faire de dépenses qui n’aient été autorisées par le budget, c’est là un principe constitutionnel, un principe fondamental ; or, la chambre ne veut pas admettre cette dépense, ainsi, mon ami, vous allez reprendre vos meubles dont j’ai usé pendant un an ; j’en suis fâché mais discas cautius mercari. »

Croyez-vous, messieurs, que le tapissier se fût payé de cette monnaie, et qu’il y eût un tribunal assez osé en France pour méconnaître les prétentions de ce fournisseur s’il avait réclamé en justice le prix des marchandises livrées et acceptées. Indépendamment de ce dicton que je viens de rappeler, il en est un autre, un principe de droit passé en proverbe et qui dit que celui qui commande paie ; et si M. de Peyronnet ne s’était pas exécuté, il aurait été condamné à payer.

J’entends dire près de moi que l’Etat a payé pour lui, et si cela est, comme je crois me le rappeler aussi, c’est qu’on n’a pas voulu que le fournisseur pût jamais être victime de la bonne foi avec laquelle il avait traité avec un ministre.

Les motifs d’équité que je faisais valoir hier, s’il était possible que dans un recours de la compagnie Legrand contre le gouvernement, on ne condamnait pas l’Etat, il faudrait au moins condamner le ministre ; impossible qu’il en fût autrement.

Mais, messieurs, s’il y a analogie au fond pour ce qui regarde l’obligation personnelle du ministre, y a-t-il la moindre comparaison à établir entre un fait tel que celui-là, l’ordre donné à huis-clos de livrer quelques meubles pour l’hôtel du ministre et ce qu’a fait le général Evain. Y a-t-il une comparaison possible entre une pareille commande et un acte public d’un ministre qui appelle tout le pays à une adjudication publique dont il a formulé de la manière la plus solennelle le cahier des charges et conditions ? Y a-t-il analogie entre ces deux faits ?

Je vous prie, aujourd’hui comme hier, de considérer que je fais abstraction des hautes questions politiques et de droit public, je ne m’attache qu’aux principes d’équité et de justice et je demande s’il y a la moindre comparaison à faire entre la fourniture du tapissier de M. de Peyronnet et l’adjudication publique faite par le général Evain, d’après des conditions solennellement annoncées, sans conditions d’approbation, et sans opposition ou protestation de qui que ce soit ?

Y a-t-il surtout analogie entre les deux marchés ? L’un pouvait passer comme tout à fait inutile, comme une dépense de luxe ou de fantaisie du ministre, et vous êtes obligés de reconnaître que rien n’est plus utile, et même qu’on doit considérer comme un bienfait l’innovation introduite dans le couchage des troupes et qu’on doit au général Evain. Rapprochez, messieurs, ces circonstances du marché en les rattachant au principe constitutionnel, et vous n’aurez pas de peine selon moi à vous décider.

Le grand argument, l’éternel cheval de bataille de ceux qui me combattent est puisé dans l’article 115 de la constitution ; c’est sur cet article que vient encore de s’appuyer l’honorable M. Gendebien. Cet article porte : chaque année, les chambre arrêtent la loi des comptes et votent le budget.

Mais encore une fois, en principe général, cela est vrai ; en thèse générale, toutes les conséquences qu’on a tirées de cet article sont vraies ; mais elles ne sont pas vraies d’une manière absolue, parce qu’avant tout l’Etat doit vivre avec ou sans budget, il faut qu’il fasse son service, on ne peut pas arrêter ainsi la machine gouvernementale, c’est une question de vie ou de mort ; le gouvernement doit nourrir l’armée ; quand même il n’y aurait pas de budget au 31 décembre, il faudra que le 1er janvier les troupes soient nourries, entretenues, couchées, et que le service marche. Vous voyez qu’il y a de ces principes qu’on ne peut pousser plus loin que les conséquences ordinaires qu’ils peuvent avoir.

J’ai dit hier à l’occasion de ce qui a été avancé par l’honorable M. Fallon (on vient d’en faire l’objet sinon d’un reproche, mais d’une critique), j’ai dit que si, après la contestation qui, par suite du vote de la chambre, interviendrait entre la compagnie Legrand et le gouvernement, le gouvernement était condamné à payer et que la chambre refusât les crédits nécessaires pour acquitter le montant des condamnations, sous prétexte que le pouvoir judiciaire aurait voulu usurper le pouvoir législatif, il y aurait anarchie ; ce que j’ai dit, je le maintiens.

Rendons-nous compte en effet de ce qui arriverait en pareil cas. La question de savoir si un contrat est ou non valable entre le gouvernement et un particulier, personne ne contestera que cette question ne soit uniquement de la compétence des tribunaux. Quelle est la nature du contrat, quels sont ses effets ? Ces questions sont évidemment du domaine des tribunaux. Quant à la compétence de la chambre qu’on a voulu mettre au-dessus des tribunaux, dans des cas pareils, elle se borne à la question de savoir si des raisons politiques ou d’enquête doivent lui faire rejeter un crédit dans un cas donné. Mais la chambre n’est pas compétence pour juger du tien et du mien entre des particuliers et l’Etat. Si on avançait un pareil principe, et je ne pense pas qu’on le fasse, je serais à même de le combattre immédiatement.

Si donc il intervenait dans semblable contestation et dans l’ordre de la compétence du pouvoir judiciaire, un jugement en dernier ressort qui condamnerait l’Etat, quelle perturbation ne serait-ce pas si le pouvoir législatif venait dire : Les tribunaux ont jugé, souverainement jugé, mais l’arrêt ne sera pas exécuté, nous ne voulons pas qu’il soit exécuté, ne serait-ce pas là de l’anarchie ? L’anarchie comme je viens de le dire, c’est l’absence de pouvoir, l’absence de lois ; il ne peut pas exister une absence de lois plus désastreuse que celle qui résulterait de la dissolution des pouvoirs qui se feraient la guerre les uns aux autres.

Or, si les tribunaux disent : en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés par la constitution, nous avons condamné l’Etat à payer ce qui est dû à l’adjudicataire, et que le pouvoir législatif à son tour vienne dire : En vertu des mêmes pouvoirs, je défends de payer ; voilà évidemment deux pouvoirs en récolte l’un contre l’autre, il y a anarchie complète.

J’ai présenté un autre argument qui, selon moi, vient à l’appui de toutes les considérations de justice et d’équité que j’ai fait valoir, c’est la ratification donnée à l’engagement. J’ai di qu’il y avait eu commencement d’exécution, que l’Etat aurait reconnu le traité, puisque l’Etat avait couché un an dans les fournitures de la compagnie. (On rit.)

Depuis un an les fournitures ont été livrées à l’Etat, et l’Etat les a acceptées. On me dira que cette locution : l’Etat a couché dans les lits de la société, a quelque chose de singulier. Mais l’armée de l’Etat n’est-elle pas une dépendance de l’Etat ? toutes les autorités qui composent l’Etat sont l’Etat ; et l’armée est quelque chose dans l’organisation de l’Etat. Si l’armée de l’Etat a couché dans les lits de la compagnie, a usé de ses fournitures, de quoi droit prétendre qu’il n’en résulte aucune obligation de la part de l’Etat, de la part du gouvernement vis-à-vis de cette compagnie ? Je dis plus, c’est que vous savez que toutes les fois qu’on veut prétexter de la nullité d’un contrat, on ne doit lui donne ni directement ni indirectement un commencement d’exécution. C’est ab initio, dès le principe, quand on veut exciper d’un contrat, qu’on doit le faire ; mais dès l’instant qu’on a commencé à l’exécuter, on n’est plus redevable, parce que ce commencement d’exécution est une véritable ratification.

Ces principes tombent sous le sens de tout le monde. Je vous le demande, quand on a donné un commencement d’exécution à une convention, non seulement avant qu’elle eût été portée devant les chambres, mais qu’on a continué à l’exécuter après, peut-on exciper de sa nullité ? Vainement viendra-t-on dire : c’est avec des réserves qu’on a voté l’allocation l’an dernier. Des membres faisaient des réserves, d’autres n’en faisaient pas ; cela ne suffit pas ; il ne suffit pas d’ailleurs que le corps législatif ait entendu donner exécution au contrat avec réserve, il faudrait que ces réserves eussent été acceptées par la compagnie. Aussi longtemps que la compagnie n’avait pas accepté cette condition, certainement le commencement et la continuation d’exécution, en supposant qu’elle veuille plaider, recourir à la justice, soulèvent un moyen qui peut être invoqué par elle avec avantage devant les tribunaux.

On a parlé de l’ingratitude du pays envers le général Evain. Comme je crois que si en cas de procès, le gouvernement n’était pas condamné, les condamnations retomberaient sur ce général, je dis aussi qu’il y aurait une sorte d’ingratitude, car la chose même qui nous occupe est un bienfait de son administration. Jamais, je crois, on ne m’a vu l’encensoir à la main quand les idoles étaient de bois ; mais quand elles sont renversées, ma sympathie s’éveille, et je sens le besoin, j’éprouve du plaisir à leur rendre la justice qu’elles méritent.

Eh bien je rends cette justice au général Evain que toujours il s’est montré excellent organisateur et homme de probité et qu’il a rendu de véritables services au pays. Et si on l’a payé comme on l’a dit par les grades qu’on lui a accordés, ce n’est pas une raison pour le ruiner dans sa fortune et dans l’opinion publique.

Que l’on fasse au moins ce que l’on a fait en France pour M. de Peyronnet, et que le général Evain n’ait rien à payer.

J’ai rappelé comme antécédent de la chambre ce qui s’est fait lors des marchés Hambrouck. L’honorable M. Gendebien a dit : « Il n’y a aucun argument à tirer de là ; on ne peut justifier un abus par un abus. » Je comprends cela. Mais l’argument que j’ai présenté est uniquement relatif à la question de bonne foi de ceux qui ont été admis à l’adjudication ; et pour cela cet antécédent a dû être d’une grande influence ; car si les entrepreneurs ont vu un marché qui avait été secret et dont les conditions étaient plus onéreuses que celles du marché dont il s’agit maintenant, recevoir l’assentiment de la chambre, assentiment qu’elle a donné pour ne pas nuire au crédit du pays à l’étranger, et pour remplir les engagements pris par un ministre, comment cet antécédent n’aurait-il pas eu du poids dans l’esprit de ceux qui ont fait depuis des affaires avec le gouvernement, surtout lorsque comme ici l’adjudication a été faite au grand jour de la publicité et avec concurrence.

On a mis en avant des calculs pour établir pour établir que de grands profits sont faits par la compagnie Legrand. J’avoue que les calculs ne sont pas mon affaire. Je ne comprends guère les calculs. Mais je vois qu’en définitive on a opposé des calculs aux calculs. Des personnes aussi bons calculateurs que l’honorable M. Verdussen ont fait des calculs d’où il résulte que les bénéfices ne sont pas à beaucoup près aussi considérables qu’on l’a dit Lesquels valent le mieux de tous ces calculs-là ?

Je laisse à en décider à ceux qui sont mieux que moi à même de les apprécier. Mais je ferai une observation qui vient, suivant moi, en faveur de l’entreprise : c’est que si cette entreprise avait eu lieu dans la pensée que l’on pouvait faire des bénéfices considérables, les entrepreneurs n’auraient pas choisi la voie de société anonyme, parce que, d’après notre code, toute société anonyme est obligée de rendre publiquement ses comptes, le gouvernement et les particuliers peuvent en prendre connaissance. Ainsi, lorsqu’on croit que l’on pourra réaliser des bénéfices illicites, résultant de pièges tendus à l’administration, de la corruption ou de tout autre moyen, on ne se forme pas en société anonyme mais en société particulière, ou on se porte entrepreneur particulier. Eh bien, cependant cette société n’a pas craint de prendre une qualité qui l’exposait à tous les regards, qui l’obligerait à rendre compte à tout le monde.

Si je suis bien informé (et comme je le disais hier, je suis à la source des informations) cette société a présenté un bilan pour 9 mois. Savez-vous ce qu’il présente ? il présente 6 1/2 intérêt compris, c’est-à-dire un dividende de 1 1/2. Voilà ce qui est assuré pour cette compagnie, et cela peut être mis sous les yeux de la chambre.

Je finis en disant un mot de la profession de foi de l’honorable rapporteur. Il a fini, en disant toute sa pensée, par nous faire comprendre que toute la difficulté élevée actuellement dans la chambre, ne tendait qu’à amener la compagnie à composition, parce qu’il prétend toujours que la compagnie fera des bénéfices plus grands que ceux que, d’après la convention, elle devait faire. Est-il bien digne de cette assemblée, surtout lorsqu’il y a eu traité solennel entre le gouvernement et la compagnie que l’on discute, que l’on bataille pour forcer une compagnie à une composition, d’où résultera peut-être la réduction de ses bénéfices de 8, 9 ou 10 p. c. à 5, 6 ou 7 p. c. Est-ce là le but de nos travaux législatifs ? Ne vaut-il pas mieux sanctionner tout ce marché qu’en venir à d’aussi minces calculs !

Dans tous les cas il y a toujours à rendre justice au zèle de l’honorable rapporteur.

Si la compagnie avait voulu accepter, le procès serait fini, la chambre n’aurait plus à s’en occuper ; ce serait une affaire terminée. Mais aussi longtemps qu’une transaction n’aura pas eu lieu, je persiste dans l’opinion que j’ai émise hier.

Je voterai pour le chiffre demandé par le gouvernement et en même temps pour l’approbation, si besoin est, du traité passé avec la compagnie Legrand.

M. Gendebien. - Mon honorable ami, M. Jullien, m’a remercié du service que je lui ai rendu en parlant de M. Peyronnet et de l’obligation où il a été de payer de ses deniers un ameublement que la chambre des députés n’a pas voulu porté au budget. Mais l’honorable M. Jullien n’a pas à me remercier car le service que je lui ai rendu n’est pas grand ; je crois qu’il m’en a rendu un plus grand en me permettant de rétorquer contre lui son argument et de lui prouver que je suis resté dans les vrais principes.

Le cas est absolument identique entre Peyronnet et le général Evain, dit l’honorable M. Jullien, là est toute la question. Je ne suis pas de l’avis de l’honorable M. Jullien. Il y a au budget de chaque ministère, en France, un crédit spécial pour ameublement. Ce crédit ne peut être dépassé par le ministre et si le ministre le dépasse, il paie l’excédant de la dépense de ses deniers personnels. En Belgique, où les transferts ne sont pas admis, c’est ce qui arriverait à plus forte raison, si un ministre dépassait un crédit ; dans ce sens et jusque-là, il y aurait similitude de position. Mais telle n’est pas la position du général Evain.

M. Lebeau. - Mais en France l’Etat a payé la dépense.

M. Gendebien. - C’est une complaisance de la part de l’Etat ; cela ne prouve rien, n’avance en rien la question à résoudre ; car si le général Evain avait été condamné, l’Etat aurait pu payer pour le général Evain, comme l’Etat a payé en France pour Peyronnet et cela ne changerait en rien la question.

Mais je laisse là cette interruption irréfléchie et très malencontreuse ; et je dis qu’il y a une grande différence entre la position de Peyronnet et la position du général Evain, sous le rapport de la responsabilité personnelle de ce dernier.

M. de Peyronnet avait dépassé le crédit annuel alloué par le budget, pour les ameublements. Pour qu’il y eût identité il faudrait que Peyronnet eût passé un marché par lequel il eût donné l’entreprise de la fourniture et de l’entretien de l’ameublement pendant 20 ans par exemple ; dans ce cas, il y aurait identité, et la comparaison serait juste, car (à moins qu’il n’y ait une disposition contraire dans la constitution française) Peyronnet ne pouvait pas engager l’Etat pour plus d’une année, et ceux qui auraient traité ne pouvaient l’ignorer ; tandis que dans la première hypothèse, ils ne pouvaient et ne devaient pas savoir s’il dépassait le crédit du budget.

Mais le général Evain a-t-il pu, en présence de l’art. 115 de la constitution, engager le pays pour plus d’une année, et au-delà du crédit alloué à l’article « casernement » pour 1836 ? Non sans doute, car il se serait substitué à la chambre et il aurait réglé à lui seul le budget pour 20 ans.

Vous voyez donc que par l’opposition des deux cas je renforce la démonstration de M. Fallon, que je crois avoir achevée aujourd’hui et complétée en répondant à mon honorable ami M. Jullien.

Ainsi il n’y a pas de conséquence à tirer de ce qu’auraient fait les tribunaux en France, s’ils avaient eu à décider à l’égard de Peyronnet et sur ce que feront les tribunaux en Belgique, s’ils ont un jour à décider à l’égard du général Evain, et vous voyez que la circonstance que le gouvernement aurait payé pour Peyronnet fût-elle vraie, ne pourrait en aucune façon exercer la moindre influence sur la solution de la question qui nous occupe.

On nous a dit que le ministre en Belgique avait fait un appel la concurrence, qu’il avait fait une convocation de tous ceux qui pouvaient être dans le cas d’entreprendre, tandis que Peyronnet n’avait pas fait chose pareille, qu’il avait fait la dépense en secret. Cela ne change pas la question. Autant vaudrait dire avec M. F. de Mérode que comme on a annoncé l’adjudication 15 jours à l’avance, et qu’on ne s’y est pas opposé, on est censé l’avoir ratifiée : voilà de ces raisons qui écrasent, qui tuent net, un contradicteur, comme si chaque député, chaque journaliste était condamné à lire tous les cahiers des charges, et à y faire opposition ; et quelle opposition ? sans doute opposition par huissier : car je n’en connais pas d’autre légale et efficace. Il en résulterait que pas un ministre (et maintenant nous avons 5 et 6 départements ministériels) ne pourrait faire une adjudication, sans faire pleuvoir chez lui une douzaine d’oppositions par huissier : elles seraient d’autant plus nombreuses que par la crainte que les différentes opinions sur les marchés ne soient préjugées, et pour assurer la conservation des droits de tous, chacun se croirait obligé de recourir à cette précaution. Je ne crois pas que l’observation de M. Jullien pas plus que celle de M. de Mérode puissent être prises en sérieuse considération.

On est revenu sur la supposition de l’anarchie qu’il y aurait à s’opposer à l’exécution d’un jugement qui aurait validé un contrat de l’espèce de celui de la compagnie Legrand. Mais un pareil jugement ne pourrait atteindre les chambres. Il ne pourrait que condamner, tout au plus, le ministre, et c’est à celui-ci que la chambre refuserait l’allocation. Il pourrait naître tout au plus une question de responsabilité ministérielle, mais non un conflit de pouvoirs. Et si les tribunaux allaient au-delà, je n’hésite pas à le dire, ils ne pourraient lier la législature.

Personne ne contestera sans doute que le pouvoir judiciaire doit se conformer à la constitution comme tout autre pouvoir. En présence de l’article 115 de la constitution, il ne se permettra jamais l’excès de pouvoir qu’on paraît craindre. Au surplus, il aurait beau déclarer qu’on doit payer, c’est-à-dire porter au budget pendant 20 ans, telle ou telle somme, la chambre pourra toujours décider, par son vote, conformément à l’art. 115 de la constitution, s’il y a lieu ou non d’allouer les fonds ; car à elle seule appartient ce droit ; à elle seule du moins appartient l’initiative ; le sénat lui-même ne l’a pas, le sénat, qui fait partie du pouvoir législatif, ne pourrait y contraindre la chambre ; et l’ordre judiciaire qui est excentrique au pouvoir législatif aurait un pareil pouvoir, cela est impossible et là serait l’anarchie.

Je vous demande si cette doctrine est admissible.

On est revenu sur le bienfait que le général Evain avait procuré à nos soldats ; mais j’ai déjà dit que ce n’était au général Evain que l’on devait l’idée du couchage des lits en fer ; c’est bien au général Evain que les soldats doivent adresser le reproche de les avoir abandonnés à l’arbitraire et à l’exploitation de la compagnie pour restitution des objets perdus ou détériorés. Chacun de nous a vu le tarif primitif et en a été indigné ; et le ministre qui laissait ainsi exploiter le soldat, interpellé sur ce fait, a dit, pour s’excuser, qu’il n’avait pas pensé à ce tarif, qu’il ne l’avait pas ratifié, qu’il examinerait ce point ; mais n’était-ce pas de son devoir d’y penser s’il avait eu pour le soldat la sollicitude dont il s’est vanté ? n’aurait-il pas dû s’occuper de la partie la plus importante pour le soldat ? Il est évident qu’il y avait pensé, mais au profit de la société, puisqu’il avait augmenté la valeur des fournitures et particulièrement des couvertures pour la fixation des indemnités. On lui a demandé ensuite où se trouvait dans le contrat la stipulation relative à l’augmentation de la valeur des couvertures en raison de l’augmentation du prix ; il ne s’en trouve aucune de semblable dans le contrat ; ainsi il a laissé sciemment exploiter le soldat, et au lieu de veiller à ses intérêts, il n’a songé qu’au moyen d’augmenter le tarif au profit des entrepreneurs ; et si nous n’avions pas réclamé on exploiterait peut-être encore le malheureux soldat. Je le répète, voilà la reconnaissance que le soldat belge doit au général Evain ; les contribuables savent aussi ce qu’ils doivent de reconnaissance au général Evain.

On a dit que si l’on entendait l’art. 115 dans le sens absolu il n’y aurait pas moyen d’administrer ; il faut que le soldat soit couché, soit nourri, etc. ; mais si la chambre refusait la solde annuelle. le coucher du soldat et les dépenses annales du budget, il ne resterait plus au gouvernement qu’à dissoudre la chambre. On ne doit pas admettre l’absurde pour soutenir une thèse ; on ne suppose jamais l’absurde, et c’est faire injure à la chambre que de la supposer capable d’entendre et d’appliquer dans ce sens l’art. 115.

On est revenu sur le commencement d’exécution donné au marché ; ou le considère comme liant définitivement l’Etat ; on a été plus loin, on a dit que les réserves faites par la chambre ne pourraient empêcher que le commencement d’exécution ne liât l’Etat. Mais on a donc oublié comment sont formulées les réserves faites par la chambre, le 16 juin 1836, à l’occasion de l’allocation du couchage ; les voici :

« Sans rien préjuger relativement au marché contracté par le ministre de la guerre le 16 juin 1835, pour la fourniture des lits de fer et de tous les objets de couchage.

« La présente allocation de fonds ne pouvant en aucun cas être invoquée comme une approbation expresse ou tacite du marché. »

Voilà la réserve que l’on a mise pour le couchage militaire. Les entrepreneurs n’ont exécuté que sous l’empire de cette réserve. Ils se sont volontairement exposés à s’entendre opposer ces réserves lorsqu’ils demanderaient le prix de leurs fournitures. Ils ont touché les fonds de l’allocation pour le couchage en connaissant les conditions posées par la législature, puisque ces conditions font partie d’une loi, et que personne ne peut être admis à alléguer qu’il ne connaît pas les lois. Pour se mettre à l’abri de cette réserve, la société aurait dû protester qu’elle ne reconnaissait aucun effet légal à la réserve ; mais personne n’a allégué une semblable protestation. Les sociétés étaient libres de recevoir ou de ne pas recevoir ; ils ont reçu avec une condition qu’ils connaissaient. Ils sont censés être soumis ; leur protestation même n’aurait pu neutraliser l’effet de la réserve, ce serait le cas d’appliquer la maxime protestatio aeliu contracta nihil operatur. La législature au contraire à le droit d’imposer telle condition qu’elle juge nécessaire pour autoriser le ministre à user de l’allocation, la réserve ne peut être considérée comme une protestation ordinaire, comme une protestation de fait ; elle fait partie de la loi comme l’allocation elle-même, et elle ne peut en être séparée, c’est l’ensemble d’une disposition qui fait, et jamais on est admis à diviser la loi.

On a dit que les entrepreneurs avaient eu l’exemple de ce qui s’était passé relativement à un autre marché clandestin, onéreux, et néanmoins ratifié par la chambre. J’ai déjà répondu à l’exemple cité du marché Hambrouck auquel on a encore fait allusion. Veuillez remarquer que pour ce marché il n’y a pas eu de contestation sur la question de savoir si le ministre pouvait lier l’Etat pendant dix-huit mois. M. Ch. de Brouckère avait reconnu lui-même, dans cette chambre, que le ministre ne pouvait contracter pour plus d’une année ; et toute la discussion a roulé sur la lésion, sur la question de savoir si le marché était onéreux. Peut-on maintenant invoquer le principe de bonne foi résultant de nos précédents ?

Je ne veux pas reproduire ma première réfutation ; mais une chose que je répéterai, c’est que s’il était vrai qu’un ministre pût engager la nation pour plus d’une année, s’il suffisait qu’un ministre eût contracté pour qu’il y eût obligation pour la chambre de payer, il en résulterait qu’il n’y aurait jamais de discussion sur ces marchés ; on aurait demandé la question préalable en disant que nous n’avions pas le droit de contester la validité du marché. La circonstance qui a toujours examiné et discuté les marchés, établit donc un précédent que je ne puis rétorquer contre celui invoqué en faveur de la compagnie Legrand.

En France, la distinction que nous établissons a toujours été faite : le marché est-il onéreux ? est la question que l’on a posée relativement à tous les marchés, et il n’y a pas bien longtemps encore, au sujet des dépenses de l’hôtel du quai d’Orsay, sur la rive gauche de la Seine.

Je n’accuse pas la bonne foi des entrepreneurs ; mais je dis qu’ils ne peuvent se prévaloir de leur bonne foi pour décliner notre juridiction. Quand un des associés, nommé en toutes lettres dans le contrat, a reconnu lui-même dans cette enceinte et en qualité de ministre qu’il fallait une loi pour engager au-delà d’une année, la société ne peut même pas agiter la question de bonne foi et d’ignorance excusable.

Mais vous dit-on, soyez tranquilles ne vous arrêtez pas à tous ces calculs qui peuvent être débattus ; on trouve une garantie contre les bénéfices exorbitants, dans ce fait que la société exploitante est anonyme ; elle devra donc présenter ses registres à l’inspection du gouvernement, et on saura bientôt s’il y a lésion ; supposons qu’il en soit ainsi, quand le gouvernement saura qu’il y a lésion, comment fera-t-il pour réparer le mal, lorsque les chambres auront ratifié le contrat d’entreprise ?

D’ailleurs, je voudrais qu’on me citât la loi qui, en Belgique, oblige les sociétés anonymes à livrer leurs registres au gouvernement ? Ensuite quels seraient les sociétaires assez bénins pour divulguer des bénéfices qui seraient pour eux la source de difficultés qu’on leur susciterait ? Je dirai à mon honorable ami que ces motifs de tranquillité et ces moyens d’examen ultérieur sont un beau venez-y voir qui ne mènera à rien.

Je crois avoir répondu à mon honorable ami et prouvé que rien ne nous oblige à accepter un marché onéreux. Je voterai donc de manière à ne pas sanctionner ce marché, déclarant en même temps que si l’on abusait du vote de la chambre contre la société, je serais le premier à prendre la parole pour la défendre et protester contre tout acte qui ne serait pas conforme à la justice et à l’équité.

M. Devaux. - Je ne m’occuperai pas de la question de principe, question hérissée de difficultés, à mon avis ; je ne dirai qu’un mot sur le fait qu’on vient de rappeler, et qui se rattache à la question de principes. Je ne suis pas très sûr ici de ma mémoire, mais voici ce que je crois me rappeler au sujet de l’affaire Peyronnet : L’Etat s’est considéré comme engagé, il a payé les tiers, sauf son recours contre M. Peyronnet : ainsi, dans cette affaire, on a suivi le système exposé par M. Dequesne, et tout à fait contraire à celui de M. Fallon.

Le système de M. Fallon me paraît plus favorable au ministre, en ce sens qu’un ministre qui a passé un mauvais contrat ne risquera jamais rien ; on annulera le contrat, et personne n’aura de recours à exercer contre lui ; mais il met les tiers dans une position effrayante ; puisqu’il les laisse jusqu’au dernier jour de l’exécution du contrat dans l’incertitude sur la validité du contrat et sans garantie contre son annulation, car les chambres peuvent refuser l’allocation annuelle aussi bien dans dix ans que dans un an.

Messieurs, pour ce qui me regarde, je n’ai pas besoin de décider la question de principes, car, avec tous les systèmes et en admettant toutes les doctrines, je puis voter dans le même sens.

Il y a pour moi une considération décisive, c’est qu’après tant de recherches, après avoir déployé tant de zèle et s’être donné tant de peine, la commission spéciale n’est pas parvenue à prouvé que le marché fût onéreux.

Voici en deux mots le calcul de la commission tel qu’elle le pose à la page 46 de son rapport. Je suppose toutes les bases et tous les éléments de son calcul exacts :

Elle compare la soumission du sieur Deltombes pour la literie et les couchettes à la soumission Legrand pour la literie sans couchettes, et elle arrive à une différence de 57,000 fr. ; donc, dit-elle, les couchettes de fer vous coûtent 57,000 fr.

Que devaient-elles coûter dans le système de la commission ? Les lits à une place, suivant elle, n’auraient dû coûter que 24 fr. et les lits à deux places 42 fr., et elle arrive à un capital de 512,000 fr. ; puis faisant un calcul d’annuité, elle trouve que dans son système l’Etat restait propriétaire des lits, et n’aurait à en payer que 41,000 par an au lieu de 57,000 fr.

Donc l’Etat paye 16,000 fr. de trop par an, suivant la commission.

Il y a quelque chose à ajouter encore à ces 16,000 fr., car dans le système de la commission, au bout de 20 ans, l’Etat avait la propriété des lits, dans le système actuel il ne l’a pas.

La compagnie Legrand nous propose aujourd’hui de nous céder cette propriété des lits dans 20 ans, moyennant une somme de 325,000 fr. à payer à cette époque. M. Verdussen nous a exposé que cela équivaut à 10,000 fr. par an ; ajoutons donc ces 10,000 fr. aux 16,000 fr. de la convention, et nous aurons en résultat en partant des bases même de la commission, et en supposant tout exact, que le marché coûte annuellement 26,000 fr. de plus que ce que le gouvernement n’aurait eu à payer dans le système de la commission.

D’autre part cependant, il est impossible de méconnaître que le gouvernement, dans le système de la commission, aurait eu quelques charges qu’il n’a pas aujourd’hui. A quelque mince valeur qu’on les réduise, encore faut-il en tenir compte et les défalquer de ces 26,000 fr., ce sont tous les frais qui incombent naturellement au propriétaire des lits, les frais de conservation et de surveillance, les accidents de transport, toutes les détériorations qui ne peuvent être payées que par le propriétaire, les frais de peinture et de vernis, les chances de la hausse du fer qui pouvaient survenir entre la conclusion du contrat et son exécution ; les chances de guerre, tout cela, messieurs, je le sais, on peut l’évaluer plus ou moins ; les charges de conservation, de surveillance, de transport et de détérioration, ont été évaluées par l’honorable M. Evain dans sa dernière lettre à la chambre, à un minimum annuel de 16,500 fr. ; il dit que c’est le minimum, mais je veux supposer qu’il a exagéré, quoique le ministre actuel nous ait prouvé hier, par un fait nouveau, qu’il n’y a pas d’exagération, je veux bien supposer que tout cela ne vaille que 11,000 fr., c’est-à-dire, que M. Evain ait encore exagéré de moitié. Eh bien, en déduisant cette somme des 26,000 fr. de perte, dont j’ai parlé tout à l’heure, il reste une perte annuelle de 15,000 francs.

Ici, messieurs, je réclame votre attention ; car il me semble qu’on a commis une erreur dans les comparaisons qu’on a faites ; vous payez 15,000 fr. de trop, mais sur quoi ? sur les lits de fer ? Non, c’est une erreur : vous payez 15,000 fr. de trop sur le marché tout entier, sur les lits et les literies ; car comment la section centrale arrive-t-elle à prouver que les lits de fer coûtent 57,000 fr. ? C’et en comparant le marché à la soumission de M. Destombes et en supposant que les literies ont été achetées au prix du plus bas soumissionnaire ; sur cette partie du marché, il n’y a donc plus rien à dire, surtout le marché dont il n’y a qu’une somme annuelle de 15,000 fr. en contestation. Et en effet, messieurs, si vous annulez le marché, vous ne l’annulez pas seulement pour ce qui concerne les lits de fer, mais vous l’annulez tout entier. Eh bien, qu’elle est l’importance du marché ? Le marché a nécessité l’emploi par la société d’un capital de 3 millions ; or, 15,000 fr. sur 3 millions, cela fait juste un demi pour cent.

Je vous le demande, messieurs, peut-on réputer un marché onéreux, parce qu’il fait aux adjudicataires un demi pour cent de bénéfice annuel de trop ? Une assemblée composée d’hommes graves et raisonnables, peut-elles en lui supposant tous les pouvoirs possibles, prendre la mesure extrême d’annuler un marché, parce qu’il alloue au fournisseur un bénéfice trop élevé d’un demi pour cent ?

Jusqu’ici, messieurs, j’ai admis les bases de la commission, et il en résulte qu’il n’y a eu qu’un 1/2 p. c. du capital de contesté ; je n’ai pas les connaissances de faits nécessaires, en matière de lits de fer, pour établir que ces bases sont erronées, mais je dois dire à la chambre qu’elles ne sont pas certaines ; en effet, la commission spéciale, pour prouver que les lits en fer coûtent trop, devait commencer par établir d’une manière irréfragable ce qu’ils auraient dû coûter ; c’est ce que la commission ne fait pas ; elle se borne à affirmer (page 49) : il est de fait, dit-elle, que les lits à une place ne devaient coûter que 24 fr. et ceux à deux places 42 fr. ; c’est sur cette assertion qu’elle construit tout son calcul ; elle s’appuie uniquement sur une lettre écrite par un certain M. L’Hoest… entre le moment où les soumissions furent ouvertes et celui où l’adjudication eût lieu pour engager le ministre à accepter la soumission de M. Destombes ; et bien, cette lettre ne se trouve pas même d’accord avec la commission, car le prix des lits en fer y est porté à raison de 25 fr. 72 c. pour les lits à une place et à 43 fr. pour ceux à deux places. D’ailleurs cette lettre ne s’explique pas sur plusieurs conditions qu’il aurait fallu connaître avant de savoir ce que vaut le marché qu’elle offre.

Je crois, messieurs, pouvoir borner là mes observations ; cependant je ne puis m’empêcher de rappeler que le marché a eu la garantie de l’adjudication publique, garantie tant et si souvent préconisée dans cette enceinte. Il est vrai que deux bases ont été offertes, mais celle qui a été adoptée n’en a pas moins été soumise à l’adjudication publique ; il se trouve même, par un hasard tout particulier, qu’il est prouvé ici (ce qui n’est pas toujours possible de prouver dans les adjudications publiques) qu’il n’y a pas eu connivence entre tous les soumissionnaires.

Un motif qui me fera voter pour l’allocation, c’est que je ne veux à aucun prix qu’on en revienne à l’ancien système pour le couchage du soldat.

Enfin, je ne veux pas non plus que nous profitions de notre position pour extorquer à la compagnie telle ou telle condition que la force pourrait peut-être l’obliger à nous faire. Je conçois fort bien que la compagnie compose, étant menacée d’une perte immense, je conçois fort bien qu’elle consente à des sacrifices, pour éviter un dommage plus considérable, mais je crois, comme l’honorable M. Jullien, qu’il est indigne d’un gouvernement d’abuser ainsi de la force de sa position.

Je voterai pour l’allocation. (Aux voix ! aux voix ! la clôture ! la clôture !)

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je tâcherai, messieurs, d’être très court et de prolonger le moins possible une discussion qui me semble avoir déjà beaucoup fatigué la chambre.

L’honorable rapporteur a terminé son discours par une sorte de proposition de transaction à faire à la compagnie Legrand, transaction à laquelle elle serait amenée à souscrire par une espèce de contrainte, qui sera exercée sur elle, par l’effet du vote de la chambre ; je vous avoue, messieurs, que je partage assez l’opinion de l’honorable M. Jullien sur la nature d’une semblable contrainte ; néanmoins, je m’étais demandé si je devais faire connaître à la chambre quelle était mon opinion sur les conséquences du vote qu’elle émettra, et je n’ai fait en cela que céder à la considération qu’il est important que la discussion finisse sur la question qui nous occupe et qu’elle ne soit pas toujours tenue à l’ordre du jour, parce qu’elle embarrasse l’administration dans sa marche, qu’elle est une espèce de chancre dévorateur qui entrave tous ses mouvements.

Ce que mon prédécesseur avait fait avant moi, ce que l’honorable rapporteur a désigné comme bon à faire, je l’ai fait : des propositions ont été adressées à la compagnie Legrand, pour qu’elle cédât au gouvernement, non pas tout le matériel (car il n’avait pas encore été question de cela à la chambre), mais au moins les couchettes ; la compagnie a refusé de traiter sur cette base. Quand j’ai commencé à m’occuper des affaires, j’ai fait des propositions en dehors de celles qui ont amené la transaction du 18 août ; elles avaient pour objet d’obtenir une diminution dans le prix du loyer et du prix spécial, pour la non-occupation ; la compagnie a déclaré qu’il lui était impossible d’accepter ces propositions. C’est d’après cela que j’ai cru devoir faire connaître quelles seraient, à mon avis, les conséquences de la non-approbation du marché.

Je reviens à la manière dont j’ai cru devoir présenter à la chambre les deux points qui ont empêché, suivant moi, un vote favorable l’année dernière. Malgré les développements de l’honorable rapporteur de la section centrale, je persiste à croire que les véritables motifs pour lesquels la chambre n’a pas sanctionné le marché en 1836 ont été en premier lieu la crainte que le tarif des dégradations et des pertes ne fût trop onéreux au soldat, en second lieu, et dans un rang très inférieur, l’idée que le marché était onéreux à l’Etat.

J’ai traité ces deux questions hier. Je les ai traités d’abord les chiffres mêmes qui sont adoptés dans le rapport de la section centrale. J’ai établi d’après ces chiffres, qu’en se rapportant aux résultats de l’expérience d’une année, on pouvait admettre que ces frais de pertes et de réparations pouvaient d’élever, pour un lit de la compagnie Legrand, à 1 fr. 30 c. par an et par homme, c’est-à-dire à peu près à un tiers de centime par homme et par jour.

J’ai établi ensuite d’après le chiffre qui était présenté comme total de la dépense qui avait été faite pour les lits non appartenant à la compagnie Legrand, et consentant seulement à appliquer ce prix aux seules literies des régences, j’ai établi, dis-je, que le lit appartenant aux régences, coûtait, pour frais de pertes et de réparation 60 centimes par homme et par an, c’est-à-dire à peu près la moitié de ce que coûte le lit de la compagnie Legrand à raison des mêmes frais.

J’ai posé alors cette question : En admettant que ces frais de réparation soit une espèce de loyer personnel que paie le soldat, pense-t-on qu’un homme ne payât volontiers un tiers de centime par jour, au lieu de payer seulement un sixième pour être couché dans un lit à deux places et assez mauvais ?

La question m’a pas devoir être résolue affirmativement.

J’ai posé ensuite une autre question : Le marché est-il onéreux à l’Etat ?

La section centrale vous propose comme une règle générale à adopter pour le coucher des troupes les conditions qui sont exigées des régences, et elle vous donne en même temps le chiffre que représente la différence du prix qu’on paie pour avoir les lits de la compagnie Legrand, sur le prix que l’on accorde pour les lits des régences. En bien, je trouve que cette différence-là représente 1 fr. 81 c. par homme et par an, et en conséquence un peu moins d’un demi-centime par homme et par jour.

La section centrale vous représente les lits des régences comme loués à un prix avantageux ; mais le lit de la compagnie Legrand ne coûte qu’un demi-centime de plus que le lit des régences, il est d’une qualité beaucoup meilleure, il n’est qu’à une place ; trouvez-vous que ces deux derniers avantages soient trop chèrement achetés par la différence en plus d’un demi-centime par homme et par jour ? Ou en d’autres termes, pouvez-vous déclarer onéreux à l’Etat un marché qui, au prix de la légère différence d’un demi-centime par homme et par jour, vous a fait obtenir une double amélioration dans le couchage du soldat ?

Quant à moi, messieurs, je ne puis que persister dans les solutions que j’ai données hier à ces questions ; aussi je voterai pour le chiffre qui vous a été proposé par le gouvernement, et je crois pouvoir engager l’assemblée à voter dans le même sens.

M. Dumortier. - Au point où en est arrivée la discussion, je n’abuserai pas de la patience de la chambre. Mais j’ai absolument besoin de réfuter quelques assertions qui ont été émises et par M. le ministre de la guerre et par l’honorable député de Bruges qui a parlé avant lui.

M. le ministre représente le marché des lits militaires passé avec la compagnie Legrand comme ne formant qu’une différence d’un demi-centime par homme et par jour sur la somme qui est actuellement accordée aux régences ; l’honorable député de Bruges va plus loin encore, pour lui toute la différence ne consiste qu’en un demi p. c. Comment, disent-ils, pourrait-on au prix d’une aussi légère différence, songer à annuler un marché qui introduit une double amélioration dans le couchage des troupes ?

Certainement, messieurs, s’il n’existait que cette différence entre les deux prix, je serais le premier à donner les mains au marché, à l’approuver entièrement. Mais, messieurs, les faits sur lesquels l’honorable M. Devaux surtout a appuyé son argument sont entièrement inexacts ; il a détourné la question de sa position réelle, en établissant un parallèle entre le marche F. Legrand et l’entreprise Deltombes ; il s’est encore écarté de la question, en prenant pour base les raisonnements de l’ancien ministre de la guerre. Chacun de vous sait, messieurs, que les chiffres posés par M. le général Evain étaient évidemment exagérés.

En effet, d’après lui, le prix de location des couchettes en fer était de 2-53, le coût de la société, 2-55, et qu’ainsi l’entreprise ne produisait à la société qu’une perte annuelle de 2 centimes par couchette en fer. Voilà le genre de calculs qu’on vous a présenté.

Je vous le demande, peut-on admettre de pareils calculs ? Peut-on admettre que le résultat du marché ait été une perte pour la compagnie Legrand, lorsque dans ce même moment les actions de la société se vendaient à 30 p. c. de bénéfice ? ce fait, au contraire, démontre à l’évidence que la compagnie a fait une entreprise très avantageuse pour elle et par conséquence ruineuse pour l’Etat. Certes s’il y avait perte pour les actionnaires les actions ne se vendraient pas à 130.

Que le marché soit onéreux à l’Etat, cela ne peut faire l’ombre d’un doute en présence du rapport de la section centrale. Qu’on relise la page 42 de ce rapport et l’on restera convaincu que le marché est onéreux sous les 15 points de vue qui y sont énumérés.

Messieurs, on s’est bien gardé de comparer le marché des lits militaire avec le marché contracté avec les régences.

Je l’ai déjà dit, on paie aux villes 18 fr. 25 par homme et par an, et la compagnie Legrand reçoit du même chef 20 fr. 50 c. en plus pour celle-ci 2 fr. 25 c. L’on ne paie rien aux villes pour la non-occupation des lits, et l’on paie l’intégralité à la société française. Cette considération domine toute la discussion, et l’on se garde bien d’y répondre. Or, remarquez que certainement un grand tiers des lits militaires restera constamment inoccupé ; voilà, messieurs, une clause onéreuse que le ministre ne saurait jamais justifier. Je défie qu’on répondre jamais à ce dilemme : de deux choses l’une, ou bien le marché passé avec les villes est injuste, ou bien le marché passé avec la compagnie Legrand est préjudiciable à l’Etat et a nui considérablement aux intérêts du trésor public ; dans l’un ou l’autre cas, il était du devoir du gouvernement de ne pas le conclure.

Voulez-vous voir maintenant les résultats de la différence qui existe entre les conditions des régences et celles auxquelles on a adjugé le marché des lits militaires à une société étrangère ? J’ai dit qu’on ne donnait aux villes que 18 fr ; 25 c., différence 2 fr. 25 c. au profit de cette dernière. La perte qu’éprouvera l’Etat, au bout des 20 ans de la durée du marché, et en raison du nombre des lits que l’entreprise doit fournir, cette perte, dis-je, sera de plus de 900,000 fr. ; et si l’on considère que pendant ce temps un tiers au moins des lits sera inoccupé, on peut dire qu’à l’expiration du marché la perte du trésor aura été de plus d’un million et demi.

Que serait-ce, si le gouvernement donnait suite à sa pensée primitive, s’il allait porter le nombre des lits adjugés actuellement à la société étrangère à 46,000 fr. ? Si cette pensée pouvait se réaliser, la perte que l’Etat subirait serait plus énorme encore ; elle s’élèverait à plusieurs millions.

Vous voyez donc, messieurs, qu’un pareil marché ne saurait obtenir votre assentiment. D’ailleurs, le ministre pouvait-il contracter pour le terme de 20 ans, un marché onéreux, un marché qui ne le fût même pas ? Non, sans doute ; et indépendamment des articles de la constitution qui s’y opposent et qu’on a déjà cités, j’en rappellerai un autre, celui qui porte que le contingent de l’armée est voté annuellement par la législature.

Or, le ministre en contractant un marché pour le couchage d’un nombre déterminé de soldats pendant une période de 20 ans, a préjugé quel serait pendant toute cette même période le chiffre du contingent de l’armée voté annuellement par les chambres.

Et quelles seront les conséquences du marché, au jour où nous aurons la paix ? Si alors le chiffre des soldats vient à être fixé à moins de 30,000 hommes, en admettant que le nombre des lits de la compagnie Legrand et des villes ne soit que de 30,000, le ministre, pour se tirer de la fâcheuse position dans laquelle il se sera placé, dira à celles des régences qui ont l’entreprise du couchage des troupes : nous n’avons plus besoin de vos lits, et l’on retirera à ces villes l’entreprise du couchage, mesure injuste qui ruinera ces villes, mesure d’autant plus inique, qu’elle sera prise en faveur d’une entreprise étrangère.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je conteste d’abord complètement le fait que vient d’avancer l’honorable préopinant, qu’il y aura toujours un tiers des lits non-occupés. Cela n’a pas même eu lieu la première année où il était impossible de prendre toutes les dispositions convenables.

Je pris la chambre de se rappeler qu’à différentes reprises, j’ai insisté sur la grande différence qui existe entre les deux systèmes de couchage, celui des régences et celui de la compagnie Legrand ; il doit dès lors y avoir une différence de prix résultant du paiement des lits, qu’ils soient occupés ou inoccupés au taux de la location.

J’ai dit que si on avait voulu conserver le système du couchage à deux, en traitant avec la compagnie Legrand, nous aurions dépensé 68 mille francs de moins que la somme allouée précédemment, au lieu d’en payer 31 mille de plus. Nous payons pour un lit fourni par les régences la somme de 36 fr. 50. Le même couchage nous aurait été fourni par la compagnie Legrand pour 29 fr ; 50, ce qui aurait fait une économie totale de 68 mille francs par an.

Maintenant on dit que si la paix était faite, l’armée se trouvant réduite, il n’y aurait presque plus de lits des régences occupés et que les régences se trouveraient ruinées. Je ne sais si la ville de Gand, par exemple, qui a un matériel de 4 mille lits, serait ruinée parce qu’elle n’aurait plus le revenu de ce capital lorsque la paix viendrait réduire les proportions de notre armée. Il est certain que ces lits lui ont coûté peu de chose. Les régences ont traité à des conditions très avantageuses avec les corps et avec l’Etat ; elles ont acheté un matériel très défectueux à des conditions très favorables, et le prix du couchage qu’on leur paie est tellement élevé que le capital qu’elles ont déboursé sera remboursé en très peu d’années, je pense en six ans. Si donc dans six ans la paix était définitivement faite, les régences, en supposant que leurs lits cessassent d’être occupés, ne seraient pas en perte, puisqu’elles seraient rentrées dans le capital déboursé. Mais je n’admets pas que notre armée puisse être réduite assez en temps de paix, pour que les lits des régences soient entièrement inoccupés ; elles en auront toujours une moitié occupée ; ainsi d’un capital remboursé, elles continueront à recevoir la moitié du revenu. Donc, nous n’avons pas à craindre cette ruine des régences qu’n nous fait entrevoir.

Par conséquent, je crois devoir maintenir mes observations. (Aux voix ! aux voix !)

M. Jullien. - Je demande la parole pour faire une simple observation. (La clôture ! la clôture !)

Je demande la parole contre la clôture.

Je dirai, messieurs, qu’on ne peut pas prononcer la clôture dans une occasion où un orateur vient de qualifier la société Legrand, de Mons, de société française, pour jeter sur cette société une sorte de défaveur. Quand on a appelé à une adjudication publique tous les capitaux, que la société adjudicataire soit française ou chinoise, peu importe, dès qu’elle vous apporte ses capitaux. Les écus n’ont pas de pays. Et quant à la monnaie française en particulier, il me semble qu’elle est assez bien reçue dans ce pays, car on n’en voit pas d’autre.

Voilà toute la réponse que j’avais à faire. On peut clore la discussion. (Aux voix ! aux voix ! aux voix ! La clôture !)

M. Gendebien. - Je demande aussi la parole contre la clôture.

Je demande qu’on ne ferme pas la discussion, parce que je crois nécessaire de faire voir que M. le ministre de la guerre a versé dans une continuelle erreur. Il établit ses calculs sans tenir compte de la non-occupation des lits des régences, ce qui fait une différence de plus de 50 p. c. Ce qu’on paie en plus à la compagnie Legrand ne serait donc pas d’un demi-centime par homme et par jour, mais au moins de trois centimes.

Voilà ce que j’avais à dire, on peut clore maintenant. (Aux voix ! aux voix !)

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’ai basé tous mes raisonnements sur les chiffres de la section centrale. La section centrale propose une réduction de 37 mille francs, afin de balancer la différence qu’elle signale comme résultant des conditions différentes qui existent en somme entre la compagnie Legrand et les régences. Si vous retranchez ce chiffre de 37 mille francs, les conditions seraient les mêmes, c’est sur ce chiffre de 37,000 fr. que j’ai argumenté.

- La discussion générale est close.

M. le président. - M. le ministre demande 830,963 fr. 70 c. La section centrale propose de n’allouer que 773,805 fr.

- Le chiffre le plus élevé est mis aux voix.

Plusieurs membres demandent l’appel nominal.

On procède à cette opération, qui donne le résultat suivant :

71 membres ont pris part au vote.

3 se sont abstenus ;

35 ont répondu oui ;

36 ont répondu non ;

En conséquence le chiffre proposé par M. le ministre n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Berger, Coppieters, Cornez de Grez, Dechamps, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, de écus, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Ernst, Goblet, Jullien, Lebeau, Lehoye, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Rogier, Smits, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vilain XIIII, C. Vuylsteke, Wallaert, Watlet et Willmar.

Ont répondu non : MM. Andries, Bekaert, Brabant, de Jaegher, de Longrée, Demonceau, de Renesse, de Roo, Desmaisières, d’Hoffschmidt, Doignon, Donny, Dubus (ainé), Dumortier, Fallon, Frison, Gendebien, Heptia, Hye-Hoyz, Jadot, Keppenne, Kervyn, Lejeune, Manilius, Mast de Vries, Pollénus, Raymaeckers, A. Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vanden Wiele, Vergauwen.

Les membres qui se sont abstenus font connaître en ces termes les motifs de leur abstention.

M. Dolez. - Comme j’ai des intérêts de famille qui se rattachent au marché des lits militaires, je n’ai pas cru devoir prendre part au vote qui le concerne.

M. Verdussen. - Si la question avait continué d’être ce qu’elle a toujours été jusqu’à la séance d’hier, une question de chiffre, mon parti était pris et je votais contre un chiffre que j’ai trouvé et que je trouve encore insoutenable, quelque prêt que je fusse à en voter un plus fort, s’il avait été indispensable pour procurer au soldat le bienfait du couchage dont il jouit aujourd’hui. Mais comme la dépense annuelle qu’on nous demande n’était pas nécessaire pour atteindre le but obtenu, je n’ai pas dit oui.

Reste à vous expliquer, messieurs, pourquoi je n’ai pas dit non. Après toutes les révélations faites dans cette enceinte, grâce à la publicité illimitée de nos débats parlementaires, il devient impossible de ne pas prévoir le refus de la compagnie à toute transaction ultérieure ; je ne veux pas, par mon refus, assumer sur moi la responsabilité que peut avoir mon refus sur le sort du soldat et des contribuables.

M. Raikem. - Je me suis abstenu comme dans la section centrale parce que d’un côté j’ai vu dans le marché un avantage quant au couchage du soldat auquel je crains de porter atteinte et que d’un autre côté il y a, dans le marché, des stipulations qui me paraissent onéreuses pour l’Etat.

Dans le doute je me suis abstenu.

- Le chiffre de la section centrale (773,815 fr.) est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.