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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 20
octobre 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition de l’ex-directeur de la monnaie, et renvoi de pétitions relatives 1° à
la demande faite à l’Etat par la province de Limbourg de garantir un de ses
emprunts, mise en œuvre du traité des 24 articles (de
Renesse, Pollénus, de
Jaegher, Dumortier, Gendebien),
2° à l’arrestation arbitraire d’un étranger (Gendebien)
2) Proposition de loi relative aux traitements
des membres de l’ordre judiciaire (Verhaegen)
3) Projet de loi autorisant l’émission d’un
emprunt de 10 millions de fer pour l’achèvement du chemin de fer (Zoude, Nothomb)
4) Projet de budget de la chambre pour
l’exercice 1838
5) Projet de loi relatif à la police de roulage
(Nothomb)
6) Projet de loi portant modification du budget
du département des travaux publics, en faveur de la construction navale (Nothomb)
7) Projet
de loi portant des modifications au tarif des douanes. (Politique commerciale
du gouvernement et négociations commerciales avec la France) Second vote. Bas
et bonneteries (coton, laine ou lin) (Dechamps, Smits) approche générale sur les modifications au tarif (Dequesne, Verhaegen, de Theux)
(Moniteur belge
n°294, du 21 octobre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la
rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Malafosse, négociant français,
actuellement détenu aux Petits-Carmes, se plaint d’une arrestation illégale et
réclame l’intervention de la chambre pour obtenir sa mise en liberté. »
_______________
« Le conseil provincial
de Limbourg demande que la chambre adopte un projet de loi d’après lequel on
avancerait à cette province, sur les fonds de l’Etat, une somme de 500,000 fr.
pour construction de routes. »
_______________
« Le sieur Beausacq, né
Français, habitant la Belgique 1815, demande la naturalisation. Il la sollicite
depuis 5 années. »
« Le sieur
Pierre-Théodore Siffer, négociant à Somergme, né en Prusse, habitant la
Belgique depuis 1822, demande la naturalisation. »
« Le sieur Communaut,
directeur de messageries, né en France, habitant la Belgique depuis 1851,
demande la naturalisation. »
« Le sieur Buyck à
Yves-Gomerci, né en France, habitant la Belgique depuis 1805, demande la
naturalisation. »
_________________
« Le sieur J. Maréchal,
batelier à Genappes, réclame de nouveau le paiement de l’indemnité qui lui
revient pour dégâts commis à son bateau qui a servi à établir un pont sur le
canal de Maestricht à Bois-le-Duc. »
_________________
« Les administrations locales
et les habitants des communes de Lummen et Schuclen (Limbourg) demandent la
construction d’une route partant de Herck-la Ville par Lummen sur
Beeringen,comme prolongation de la route de Tirlemont par Léau à la frontière
de Limbourg. »
__________________
« Des habitants de la rue des
Petits-Carmes et du Petit-Sablon à Bruxelles, demandent que le terrain de
l’ancien ministère de la justice soit converti en une boucherie. »
__________________
« Huit distillateurs du
canton de Nivelles proposent des modifications à la loi du 7 mai 1837 sur les
distilleries, et demandent la suppression des mesures vexatoires. »
_________________
« Des habitants de la commune
de Lomprez demandent que l’embranchement projeté de la croisette de Froid-Lieu
à la route de Dinant à Arlon, passe par Lomprez et Witlin. »
« Même pétition des
habitants de la commune de Wollin, chef- lieu du canton de ce nom. »
_________________
« La dame veuve de
Meulemuster, habitante du vieux Lillo situé dans le polder de la commune de
Lillo, demande de pouvoir introduire en Belgique, libre de droit, son bétail au
nombre de 14 pièces, tant petit que grand. »
« Le sieur Guillette,
canonnier à la 11ème batterie d’artillerie de siège, demande de nouveau à être
exempté du service comme fils unique pourvoyant. »
_________________
« Les bourgmestre, échevins et
habitants du canton d’Osperen (Luxembourg), demandent que le nombre des juges
du tribunal de Diekirch soit augmenté. »
_________________
Les sieurs Roelants et
Degrawe, membres de la légion d’honneur (Gand), demandent le paiement de leur
pension, comme légionnaires. »
_________________
« Le sieur Bourgogne,
ex-directeur de la monnaie, demande le paiement d’une somme de 1,750 fl. pour
traitement qui lui revient pendant l’année 1831 et neuf mois de 1832, époque à
laquelle il a été démissionné. »
_________________
« Le conseil communal et
les habitants de la commune de Machelen réclament le paiement de l’indemnité
qui leur revient pour logements militaires qui leur ont été imposés
contrairement à l’arrêté du 18 avril 1814. »
_________________
« Trois légionnaires du
Hainaut demandent le paiement de la pension attachée à la croix
d’honneur. »
_________________
« L’administration communale
d’Anderlecht (Bruxelles) demande l’uniformité du cens électoral. »
_________________
« Le conseil communal de
Maldeghem demande l’exécution du canal de dessèchement de Zelzaete à
Blankenberg. »
_________________
« Les syndics et membres de la
chambre de discipline des huissiers de l’arrondissement de Liège adressent des
observations contre le projet présenté par le ministre de la justice, tendant à
abroger le décret impérial du 14 juin 1815.»
_________________
« Le conseil communal de
la ville de Bruges demande la réforme de la loi électorale. »
_________________
« Des habitants de Boussu
adressent des observations sur le projet de loi relatif à l’émission de pièces
d’or. »
_________________
Le sieur Coornaert, à
Courtray, demande que la chambre discute le projet de loi sur le sel. »
_________________
« Des électeurs du canton de
Bedigne demandent le maintien de la loi électorale. »
« Des habitants de
Genappes demandent la réforme de la loi électorale et l’uniformité du
cens. »
________________
- Les pétitions relatives à
des demandes de naturalisation sont renvoyées à M. le ministre de la justice.
M. de Renesse.
- Messieurs, le conseil provincial du Limbourg, dans le but de procurer à la
province les communications nécessaires à son industrie et à son commerce, a
voté dans la session de 1836 la levée d’un emprunt de 500,000 francs pour
construction de routes ; par arrêté royal du 9 novembre 1836 cette décision du
conseil a été approuvée ; ledit emprunt devait s’effectuer avec publicité et
concurrence.
Quoique des démarches aient
été faites auprès des principaux établissements de banque et de plusieurs capitalistes,
le conseil n’a pu jusqu’à ce jour contracter un emprunt, par suite d’un défaut
de confiance, qui prendrait sa source dans l’expectative du morcellement de la
province et dans la diminution d’hypothèque, si le traité du 15 novembre 1831
venait à être mis en exécution ; dans cet état de choses, le conseil provincial
s’adresse à la chambre, pour qu’un prêt de 500,000 fr. sur les fonds de l’Etat
soit fait à la province de Limbourg, ou que toute autre mesure soit prise pour
mettre cette province en état de contracter l’emprunt nécessaire pour la
construction de routes.
J’ai l’honneur de demander que
cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un
rapport dans le plus bref délai possible.
M. Pollénus croit que la pétition devrait être renvoyée à la
section centrale chargée des travaux publics, puisqu’il s’agit de construction
de routes.
M. de Jaegher pense que comme il s’agit d’une demande d’argent,
c’est à une autre section centrale qu’il faudrait renvoyer le mémoire.
M. Dumortier. - Toutes les fois qu’il s’agit des intérêts
patriotiques du Limbourg et du Luxembourg, je regarde comme un devoir d’élever
la voix pour protester contre tout acte qui arracherait une partie du
territoire de ces provinces pour le céder à l’étranger. Je crois que le traité
des 24 articles n’existe plus, qu’il ne lie pas la Belgique, parce que tout
contrat synallagmatique est nécessaire ; et il est évident que la Belgique ne
peut être liée par un traité qui ne lierait pas la Hollande. Je pense donc que
c’est simplement à la commission des pétitions que vous devez renvoyer la
pétition, parce que de cette manière vous aurez à examiner s’il a lieu à
prendre des mesures pour assurer toute sécurité à nos frères du Limbourg et du
Luxembourg. Les deux autres propositions que l’on a faites ne peuvent être
admises. (Adhésion.)
M. Gendebien. - Dès l’instant que l’on se rallie à l’opinion de M.
Dumortier, je n’ai plus rien à dire. Les pétitionnaires demandent que le
gouvernement cautionne l’emprunt qui leur est nécessaire ; pour arriver à ce
résultat, il faut un rapport ; la commission des pétitions est en mesure de
présenter promptement ce rapport, c’est donc à elle qu’il faut renvoyer le
mémoire. Restons dans les termes du règlement, et évitons toute discussion
oiseuse en adoptant la proposition de M. Dumortier.
- La proposition de M.
Dumortier est adoptée.
M. Gendebien. - Au nombre des pétitions dont on vient de présenter
l’analyse, il en est une du sieur Malafosse, qui se plaint d’arrestation et de
détention arbitraire ; je demande que la commission des pétitions fasse
promptement son rapport sur ce mémoire.
- La proposition de M.
Gendebien est adoptée.
________________
- Toutes les autres pétitions
sont renvoyées simplement à la commission des pétitions.
________________
Il est fait hommage à la
chambre du tome X des mémoires de l’académie belge, et du tome XI des mémoires
étrangers couronnés.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE AUX TRAITEMENTS DES
MEMBRES DE L’ORDRE JUDICIAIRE
M. le président. - Plusieurs sections ayant autorisé la lecture de la
proposition déposée sur le bureau par M. Verhaegen, la parole est à cet
honorable membre.
M. Verhaegen. - Je propose, dans un article unique de loi,
d’augmenter le traitement des membres de l’ordre judiciaire, d’un tiers pour
ceux qui siègent dans la capitale, et d’un quart pour ceux qui siègent dans les
provinces.
- La chambre entendra mardi
les développements que M. Verhaegen donnera à sa proposition.
PROJET DE LOI AUTORISANT L’EMISSION D’UN EMPRUNT DE 10
MILLIONS DE FRANCS POUR L’ACHEVEMENT DU CHEMIN DE FER
M. Zoude, rapporteur de la commission chargée d’examiner la
demande d’emprunt de 10 millions, faite par le ministre des travaux publics,
pour terminer les chemins de fer, dépose son travail et les conclusions de
cette commission sur le bureau.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb). - Je
demande que la chambre fixe à lundi la discussion des conclusions de ce rapport
; c’est une mesure urgente dont il s’agit, parce que le crédit alloué est sur
le point d’être épuisé.
- La proposition est adoptée.
PROJET DE BUDGET DE LA CHAMBRE POUR L’EXERCICE 1838
M. Metz, rapporteur de la commission de comptabilité, dépose
sur le bureau les conclusions de cette commission, relativement aux dépenses de
la chambre.
PROJET DE LOI RELATIF A LA POLICE DE ROULAGE
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb) dépose sur
le bureau de la chambre un projet de loi relatif à la suspension du roulage sur
les routes pendant le dégel.
- Ce projet, sur la
proposition de M. le ministre, sera renvoyé à une commission qui sera nominée
par le bureau.
PROJET DE LOI PORTANT MODIFICATION DU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS, EN FAVEUR DE LA CONSTRUCTION NAVALE
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb) dépose sur
le bureau les motifs de la demande d’un article nouveau, montant à 350,000 fr.,
qui figure à son budget, et qui est destiné à des constructions navales.
Second vote des modifications apportées au tableau du
tarif
Bas et
bonneteries
M. Dechamps. - Je crois que la discussion actuelle doit se
circonscrire dans la question de savoir si la chambre maintiendra son premier
vote, ou la perception du droit au poids, on bien si, cédant aux instances du
gouvernement, elle changera d’avis et adoptera le droit ad valorem ; mais
engager le débat sur les questions posées par M. Desmaisières, ce serait
rentrer dans la discussion générale qui a été si longue ; c’est renouveler une
controverse épuisée, et cela sans amener aucun résultat. Après deux ou trois
séances passées à rechercher si la France avait ou n’a pas fait de concessions,
nous n’aurons fait faire aucun pas à la discussion spéciale qui nous occupe.
Nous resterons chacun avec nos
convictions individuelles ; les uns persuadés que la France nous a fait des
concessions réelles, au moins jusqu’à un certain point ; les autres, que ces
concessions sont véritablement illusoires. Restons donc, messieurs, une bonne
fois, dans la question relative à la perception au poids ou à la valeur ; cette
question est assez importante par elle-même pour attirer notre attention
exclusive et nous engager à ne pas nous en écarter.
Si j’avais, messieurs, à me
prononcer en théorie sur la question de la préférence à donner au mode de
perception au poids ou à la valeur, je vous avoue que je serais fort
embarrassé, car on rencontre de part et d’autre des avantages particuliers et
des inconvénients relatifs : vous savez tous, messieurs, que la tarification au
poids prête beaucoup moins à la fraude, que la législature est beaucoup plus
certaine d’atteindre le taux du droit qu’elle veut fixer, puisque le droit au
poids est toujours véritablement perçu. D’autre part le droit à la valeur,
quoique plus arbitraire dans l’application, est cependant, il faut l’avouer,
plus juste, plus équitable en principe ; mais, messieurs, comme il arrive
ordinairement que les déclarations sont faussées de moitié, il en résulte la
plupart du temps que cette équité du principe disparaît presque complétement
dans l’application ; il me paraît donc difficile, messieurs, d’admettre à cet
égard des théories absolues.
L’honorable M. Dubus vous a
dit hier, messieurs, que la Prusse préfère le droit au poids ; l’honorable M.
Rogier d’autre part vous a démontré que l’Amérique préfère, elle, le droit à la
valeur ; l’Angleterre et la France, au moins jusqu’à certain point, ont admis
dans leurs tarifs respectifs tantôt le droit à la valeur, tantôt le droit au
poids, selon les circonstances et les convenances du moment, selon les marchandises
qu’il s’agissait de tarifer. L’honorable ministre des finances, dans la
discussion pour le premier vote, a lui-même déclaré qu’il est loin d’être
contraire au principe général du droit au poids.
Ainsi, messieurs, il ne s’agit
pas ici de théories, il ne s’agit pas de savoir en spéculation si le droit au
poids ou la valeur est mieux en harmonie avec un bon système de douanes, il
s’agit uniquement de savoir si dans l’espèce le droit au poids est plus
approprié à la bonneterie que le droit à la valeur.
D’abord, messieurs, il est un
fait qu’il ne faut pas perdre de vue : c’est qu’il faut toujours préférer ce
mode de perception au poids lorsque la marchandise offre beaucoup de
catégories, lorsqu’elle comprend une assez grande quantité de différentes qualités
; car, messieurs, lorsque ces différentes catégories existent, il est toujours
difficile, pour ne pas dire impossible, aux employés de la douane, de pouvoir
apprécier la valeur réelle des marchandises. Or, messieurs, par l’inspection du
tableau des catégories que la section centrale a joint à son rapport, comme
pièce justificative de la tarification qu’elle propose, on peut se convaincre
du grand nombre de nuances différentes dont la bonneterie se compose. Sous ce
premier point de vue donc il paraît que le droit au poids doit être préféré,
puisque, comme je l’ai dit tout à l’heure, le droit à la valeur serait ici
inévitablement fraudé.
MM. Dubus et Dumortier vous
ont cité des faits desquels résulte que les déclarations seraient faussées de
moitié. M. le ministre de l’intérieur a prétendu que ce fait était isolé ; mais
lui-même nous a fourni la preuve qu’il était plus général qu’il ne le croyait :
il évalue d’une part le chiffre des importations à une moyenne d’environ
600,000 fr. ; d’autre part, il a évalué la consommation en Belgique au taux
exorbitant auquel M. Smits l’a élevée, à 30 à 40 millions de fr.
Comme la production belge ne
va guère au-delà de 8 à 10 millions, il résulterait de la combinaison de ces
chiffres, d’ailleurs exagérés, qu’il y aurait en consommation sur notre marché
environ pour 50 millions de marchandises étrangères en valeur non déclarée ; je
dis en valeur non déclarée, parce qu’il est impossible qu’au droit de 10 p. c.,
établi aux frontières d’Allemagne, d’où nous viennent les 3/4 de l’importation,
la fraude puisse se faire d’une manière importante.
Je sais bien que ce chiffre a
quelque chose de ridicule par son exagération ; mais, en l’abaissant à une
moyenne probable, le fait que je veux établir, celui de l’immense proportion
des déclarations fausses, n’en reste pas moins prouvé par les aveux mêmes de
nos adversaires.
Il est donc bien établi que le
droit à la valeur sera toujours complétement inefficace à l’égard de la
bonneterie.
Mais, dit-on, votre
tarification au poids est impossible à fixer sans faire monter les droits
quelquefois jusqu’à 25 et 27 p. c., ce qui est contraire à l’intention de la
législature qui veut se borner à accorder un droit de 15 p. c., un droit un peu
au-dessus de la prime de fraude.
Messieurs, il y a ici certainement
une difficulté, mais j’espère vous convaincre qu’elle n’est pas insurmontable.
D’abord, veuillez remarquer que la tarification ne serait pas vicieuse par cela
seul que dans l’échelle des catégories certaines qualités seraient frappées
d’un droit de 20 à 25 p. c., tandis que d’autres ne seraient atteintes que par
un droit de 5 à 6 p. c. Il en est toujours ainsi quand il s’agit d’obtenir une
moyenne entre des prix différents.
La seule condition sur
laquelle il faut porter toute l’attention pour parvenir à l’exactitude dans la
tarification, c’est que ces différentes catégories de marchandises, ces
différentes qualités se trouvent à peu près en quantité égale, en vente dans le
commerce.
Si, par exemple, l’on consomme
dans la même proportion la bonneterie fine et moyenne qui est tarifée, d’après
M. Verdussen, à 7 1/2 et 9 p. c., que la bonneterie commune qui, selon le même
orateur, est tarifée à 23 et 25 p. c., vous obtiendrez toujours la moyenne de
15 p. c. que nous cherchons.
Eh
bien, nous avons un moyen de vérifier ce fait sans pour cela aller parcourir
les magasins, où les assertions varient et n’offrent rien de certain ; et ce
moyen, le voici :
Il a été prouvé hier que sur
750,000 fr. d’importations, il y en a 692,000 pour la seule frontière d’Allemagne
; or, vous savez que les provenances d’Allemagne consistent en bonneterie fine
et moyenne.
S’il est donc vrai, comme on
l’a avancé, que d’après la tarification adoptée par la section centrale, les
qualités fines ne sont frappées que d’un droit de 7 1/2 p. c., tandis que le
droit sur les communes s’élève à 25, la moyenne de 15 p. c. ne sera pas
atteinte en fait, puisqu’il entrera beaucoup plus de qualités frappées du
minimum du droit, que de qualités dont la tarification est plus élevée.
M. Smits. - Messieurs, je ne puis partager l’opinion qui vient
d’être émise par l’honorable M. Dechamps car, quoi qu’il en dise, la
tarification au poids est une quasi-prohibition contre certains objets qui en
sont frappés, nommément contre l’article de bonneterie, En effet, l’on sait que
ces objets sont envoyés en petits ballots, séparément paquetés ; que par
conséquent le déclarant doit en faire le déballement, en est souvent exposé
ainsi à faire subir à ses marchandises ou une dépréciation ou des avaries
irréparables.
Je reconnais toutefois que la
tarification au poids a certains avantages, en ce qu’elle prévient plus
facilement la fraude ; mais elle n’est réellement favorable, qu’alors que les
marchandises peuvent se séparer ; qu’elle frappe sur des articles, qui
s’expédient isolément, tels que le café, te sucre, etc. ; dans le cas
contraire, c’est-à-dire dans celui où les marchandises s’expédient par
assortiments généraux, la tarification au poids n’est pas la plus préférable.
On vous a cité, messieurs,
l’exemple de la Prusse, pour vous faire adopter cette tarification : on a dit
qu’en Prusse tous les articles étaient frappés de cette manière ; le fait est
vrai, mais nous ne devons pas aller non plus jusqu’à imiter un système exagéré.
En Prusse, par exemple, la tarification au poids frappe jusqu’aux tableaux : de
sorte qu’un Rubens ou un Raphael, paie les mêmes droits que la production du
dernier barbouilleur. Ce sont là, messieurs, des exagérations, dans lesquelles
il ne faut pas tomber.
En Angleterre il y a une foule
d’articles tarifés à la valeur ; je pourrais en citer de suite jusqu’à 150. Et
ce qu’il y a de remarquable, c’est que beaucoup de tissus, à l’exception de
ceux de soie, sont tarifés de cette manière, avec cette stipulation que, pour
les soieries, la douane peut assujettir le déclarant à subir la tarification
soit au poids, soit à la valeur ; mais cette faculté n’existe pas pour la
bonneterie.
Dans la question qui nous
occupe en ce moment, la tarification au poids aurait encore un autre
inconvénient ; ce serait, comme on l’a déjà dit, de frapper spécialement les
produits qui servent à la classe pauvre, et d’exempter les vêtements du riche.
Or, telle ne peut pas être l’intention de la législature.
Messieurs, je me suis borné
hier à examiner l’article des bonneteries dans sa nudité primitive, si je puis
m’exprimer ainsi ; je me suis abstenu d’entrer dans des considérations
générales, parce que je croyais ainsi me conformer aux désirs et à la décision
de la chambre, mais d’autres orateurs ont transplanté la question sur un
terrain plus vaste ; et comme ils se sont trompés sur quelques faits généraux
qui importent à la discussion actuelle, je crois devoir profiter de la parole
pour suivre ces orateurs sur ce nouveau terrain.
Messieurs, pour atténuer les
concessions qui nous ont été faites par la France, l’honorable M. Dumortier
vous a dit que c’était la Belgique qui avait pris l’initiative en levant
d’abord la prohibition sur les vins, vinaigres et eaux-de-vie, du côté des
frontières de terre, en assimilant ensuite les bateliers français aux bateliers
belges, en permettant enfin l’introduction des charbons français par
l’abaissement des droits.
Je conviendrai sans peine,
messieurs, que ces mesures avaient pour but de donner à la France une preuve de
nos sympathies ; mais il n’en est pas moins vrai non plus que ces mesures
étaient prises aussi dans l’intérêt de la Belgique. Aussi, les bateliers
français ont été admis à naviguer chez nous comme les bateliers nationaux,
parce qu’à cette époque nous avions un indispensable besoin de faciliter
l’exportation de nos charbons vers la France. Les charbons français ont été
admis à de moindres droits en Belgique, parce que les chaufourniers de Tournay
le demandaient ; enfin la prohibition sur les vins, vinaigres et eaux-de-vie a
été levée du côté des frontières de terre, parce qu’il y avait une espèce de
monopole en faveur des ports maritimes ; on a donc voulu d’un côté favoriser
l’industrie nationale, et de l’autre on a rendu la position égale pour tout le
monde. Mais, je le répète, ces diverses mesures étaient commandées par
l’intérêt immédiat de la Belgique.
Depuis, on n’a plus rien fait.
La prohibition a continué à exister contre la France pour les draps, les
verreries et les acides, et des surtaxes ont continué à grever ses produits
pour la bonneterie, les faïences et les porcelaines.
Dès le principe de la
révolution, le gouvernement français avait fait quelques tentatives pour faire
renoncer la Belgique aux droits exceptionnels qui frappaient seulement la
France, mais le gouvernement belge lui a répondu : commencez par vous départir
de la rigueur de vos tarifs, et puis nous verrons ce qu’il y a à faire de notre
côté.
Des commissaires ont été
envoyés à Paris pour discuter les modifications qu’il aurait été possible
d’apporter aux tarifs des deux nations et dans l’intérêt respectif de ces
nations. Les changements de ministère qui sont survenus n’ont pas permis
d’arriver à un arrangement. Cependant je dois à la vérité de dire qu’il y a eu
des promesses de part et d’autre, pour parvenir aux modifications que l’envoi
des commissaires avait eu pour but d’obtenir. Vous connaissez tous ces
modifications, le tableau vous en a été distribué, et par conséquent je me
dispenserai de les reproduire.
Cependant il serait encore
difficile de déterminer le résultat exact de ces concessions. Mais tous ceux
qui ont examiné le dernier tableau du commerce de la France, ont dû reconnaître
que nos relations commerciales avaient été en augmentant. Ainsi, messieurs, il
résulte de ce tableau que les importations de Belgique en France, pendant
l’année 1836, ont excédé de 16 millions les importations de 1835, et dans cette
importation totale, nos produits manufacturés figurent à peu près pour la
moitié.
J’ajouterai que par contre les
importations françaises en Belgique, au lieu de suivre la même échelle
ascendante, sont restées stationnaires ; même elles sont inférieures à celles
de 1835 d’environ 200,000 fr.
Et c’est contre un tel pays,
messieurs, que nous voudrions laisser subsister des mesures de prohibition ! Et
nous voudrions donner à l’opposition française le moyen d’empêcher le
gouvernement de France de nous faire de nouvelles concessions, nous, messieurs,
qui vivons sous un tarif libéral ; nous qui avons intérêt à ce que la France se
départe de son système prohibitif ; nous qui venons de recevoir des nouvelles
preuves de sympathie de sa part ; nous qui, sous l’empire de notre tarif,
sommes parvenus à porter notre industrie au point de prospérité où elle se
trouve. Je ne puis, messieurs, le penser.
On a objecté dans le temps que
la France avait intérêt à notre bonheur, que politiquement elle ne pouvait
prendre aucune mesure hostile contre nous. Je sais apprécier comme un autre les
motifs tirés de la générosité de la France ; mais je ne saurais y voir un motif
de maintenir contre elle des dispositions rigoureuses, alors peut-être qu’elle
eût pu être exigeante.
Après ces considérations
générales auxquelles m’ont amené l’argumentation erronée de nos adversaires, je
reviens à l’article spécial qui nous occupe.
M. Dubus s’est beaucoup récrié
contre l’évaluation que j’avais faite hier en estimant de 35 à 40 millions la
consommation des articles de bonneterie. Mais je dois faire observer à la
chambre que cet article comprend une foule d’objets, tels que les bas, les
caleçons, les gilets de laine, les bonnets, les écharpes, les gants, les
mitaines ; tout cela fait partie de l’article bonneterie ; et je persiste à
croire que ce n’est pas exagérer d’estimer à 10 francs la consommation annuelle
et individuelle de cet article.
On a dit, messieurs, qu’il n’y
a que 5,000 métiers dans le pays, et que la production totale n’est que de 8
millions ; cela peut être la production totale de l’arrondissement de Tournay ;
mais qu’on ne perde pas de vue que l’on fait de la bonneterie dans presque
toutes les villes de la Belgique, et qu’il n’y a presque pas de ménage, pour
ainsi dire, où l’on ne tricote des bas et autres objets de cette nature.
Quoiqu’il en soit, la
production en articles de bonneterie ne fût-elle que de 20 ou de 15 millions,
toujours est-il que l’importation d’un demi-million est insignifiante. Eh,
messieurs, si voulez exporter à l’étranger, il faut aussi vouloir que
l’étranger importe chez vous : c’est là le résultat obligé des échanges.
On a cru, messieurs, trouver
un grand argument dans ce qu’avait dit M. Passy, ministre du commerce, à la
chambre française, lorsqu’il a soutenu que la Belgique avait présenté à sa
législature un tarif qui était extrêmement favorable à la France, bien plus favorable
que les concessions que la France nous avait faites. Mais, messieurs, le
ministre français a dû tenir ce langage, pour oser soutenir son projet.
Une voix. - Pourquoi ne faites-vous pas de même ?
M. Smits. - Je maintiens ce que j’ai dit, car c’est la vérité.
M. Passy a dû tenir ce langage, en présence des reproches dont son
administration était l’objet. M. Glaiz-Bizoin, entre autres, n’avait-il pas
avancé que le tarif qu’on présentait à la chambre française avait été dicté
dans un cabinet belge ? M. Dumont et plusieurs autres n’ont-ils pas soutenu
qu’on sacrifiait l’industrie française à l’industrie belge. Ce que M. Passy a
dit ne peut donc exerce aucune influence sur vos esprits.
Par analogie avec la prime de
fraude payée pour les draps, nous avions estimé que la prime pour la bonneterie
ne pouvait s’élever à 15 p. c., qu’elle ne devait être que de 9 à 10 p. c. On a
contesté ce chiffre. Heureusement on a apporté la preuve que la prime de fraude
était de 15 p.c. avec garantie. Or, si la prime est de 15 p. c. avec garantie, on peut conclure
qu’elle est moindre sans cette garantie.
Quoi qu’il en soit, ce fait
mérite de fixer toute votre attention, messieurs, car il est prouvé maintenant
que la fraude existe et qu’elle se pratique impunément ; MM. les députés de
Tournay vous en ont donné l’assurance et la preuve matérielle.
Si donc la fraude se fait à 15
/2 p. c. avec garantie, il y aurait absurdité à élever le tarif à 20, 30 et
même 50 p. c., comme cela arriverait si l’on adoptait la proposition de la
section centrale.
Avant tout examen on a voulu
contester l’exactitude du tableau des vérifications que le gouvernement vous a
présenté sur l’influence des droits adoptés lors du premier vote, et on a dit à
ce sujet que les vérifications faites par la section centrale étaient
parfaitement exactes. Ce n’est pas moi qui contesterai les soins et le scrupule
qu’elle a dû mettre dans son travail. J’honore trop mes collègues pour penser
le contraire ; mais les vérifications qui avaient été faites par la commission
ou par la section centrale, qui s’est occupée de la tarification des toiles,
avaient également été reconnus exactes. Celle-ci aussi avait soutenu que le
droit ne se serait élevé qu’à 10 p. c., tandis que nous prétendions nous qu’il
s’élevait à 21 et 25 p. c. pour quelques qualités. Cependant qu’est-il arrivé ?
C’est que le droit dans l’application et d’après l’expérience s’élève
réellement au taux que nous avions estimé. C’est un fait qui vous a encore été
attesté hier par notre honorable collègue M. de Langhe.
A propos de la question
relative à la tarification des toiles, je rappellerai à la chambre que M. Dubus
partageait alors notre opinion, ou plutôt que c’était nous qui partagions la
sienne.
Il soutenait (je cite ses
propres paroles) que « dans l’intérêt des consommateurs, qu’il ne fallait
pas perdre de vue, le droit de 10 p. c., et même de 7 p. c. était suffisant
pour protéger la fabrication des toiles dans le pays. »
Dans la séance du 3 juillet
1834, « il proposait d’appliquer à la tarification des toiles, le droit de
10 p. c. à la valeur proposée par M. Rodenbach. Il ajoutait que ce droit
reconnu ne devoir s’élever en réalité qu’à 7 p. c., était suffisant, puisque
les droits élevés manquent leur but en donnant lieu à la fraude ; point surtout
à considérer dans notre pays, dont les frontières sont trop étendues
relativement à sa grandeur, et où le système de douanes est peu propre à la
répression de cette fraude. »
« Il calculait que
l’importation des toiles allemandes ne s’était élevée qu’à 600 mille francs en
1833 et demandait si c’est pour une importation aussi minime qu’il fallait
appliquer en Belgique le tarif français sur les toiles.
« Il soutenait et
démontrait que ce n’est pas de hauts droits que l’industrie linière a besoin,
mais bien de perfectionnements qui la mettent à même de lutter avec l’industrie
étrangère.
« Il
préférait le droit à la valeur comme plus équitable et plus propre à atteindre
d’une manière uniforme les produits étrangers de quelque provenance que ce
soit. »
Enfin, dans la séance du 8
juillet suivant, M. Dubus reproduisait sa proposition de fixer le droit à la
valeur, ce droit étant réellement propre à faire payer à la marchandise un
droit vraiment en proportion avec sa valeur effective.
Voilà ce que M. Dubus disait
alors, et je regrette vivement, messieurs, que dans la question actuelle, cet
honorable député ne partage pas nos convictions ; mais je désire qu’il se
ressouvienne de son opposition à la loi des toiles, et qu’il mette aujourd’hui
en pratique les principes qu’il faisait valoir alors.
M. Dequesne. - Messieurs, l’amendement que nous examinons en ce
moment a par lui-même une grande portée ; il en a une plus grande encore par
les conséquences qu’il entraînera nécessairement. Pour ma part, je le considère
comme formant le premier échelon qui doit décider du sort de toute la loi. Dans
la séance d’hier, on nous a donné connaissance de beaucoup de détails de
lettres, de conversations, de déclarations, de chiffres, de rapports de
l’exposition d’industrie qui, selon moi, n’ont pas avancé beaucoup l’état de la
discussion. Nous avons pu remarquer de nouveau que les calculs statistiques,
lorsqu’on les isole des considérations d’ensemble et de principe, se prêtent
merveilleusement et avec une complaisance extrême à toutes les thèses, à tous
les arguments. Aussi m’a-t-il semblé, malgré ce qu’en ait pu dire l’honorable
M. Dechamps, que l’on sentait le besoin d’envisager la question sous un point
de vue plus général qu’on avait commencé à le faire. C’est au moins ce qui
paraîtrait résulter de la série d’interpéllations que l’honorable M.
Desmaisières a adressées au ministre à la fin de la séance. Lors du premier
vote, beaucoup de questions avaient été laissées indécises, des réserves
avaient été faites de part et d’autre, et tout faisait présager que si l’on eût
repris immédiatement le second vote, il eût été permis d’aborder la seconde
discussion sur une base large et approfondie. Aujourd’hui que quatre mois sont
écoulés depuis notre premier examen, que, dans cet intervalle, plusieurs points
de la discussion ont pu être plus ou moins perdu de vue, qu’en outre un
renouvellement s’est opéré dans la chambre, tout doit nous engager à ne pas
étrangler un objet aussi important, à l’examiner de nouveau sous toutes ses
faces. Telles étaient aussi, à ce qu’il m’a paru, les intentions de la chambre,
lorsqu’elle a fixé son ordre du jour. Je me proposais de lui présenter quelques
considérations générales, qui, du reste, ont parfaitement trait à l’amendement
actuellement en discussion. Cependant, si la chambre se croit suffisamment
éclairée, je suis prêt à renoncer à la parole. (Continuez !)
Je continuerai puisque la
chambre n’y fait point obstacle. Avant de rentrer dans la discussion, il ne
sera pas inutile, je pense, de jeter un coup d’œil sur l’état où nous l’avons
laissée à la fin de la session dernière. Quand le projet de loi nous fut
soumis, la France venait de faire un premier pas vers nous. Ce premier pas sans
doute était assez insignifiant, cependant il annonçait de la part de nos
voisins l’intention de se départir du système de rigueur qu’ils avaient suivi
jusqu’alors envers nous. Il pouvait d’ailleurs être considéré plus ou moins
comme le résultat des conférences qui avaient eu lieu entre les deux pays. Lié
ou non lié, le gouvernement nous proposa de répondre à ces dispositions de
bienveillance par des dispositions de même nature. Depuis 1823 la France était
sous le coup d’une loi d’exception et de représailles, qui, il faut bien le
dire, semblait se justifier par l’interdit qu’elle avait lancé sur presque tous
nos produits. Le gouvernement crut que le moment était arrivé de proposer
l’abolition de cette mesure. Le projet touchait donc uniquement à une loi qui dans
son but et dans son esprit n’avait jamais été qu’exceptionnelle et purement
temporaire, la question se réduisait à examiner si la France avait assez fait
pour que nous nous dessaisissions complétement d’une arme que le gouvernement
précédent nous avait léguée ; en second lieu, s’il n’y avait pas trop grand
préjudice pour nos industries à les priver d’un régime sous lequel elles
avaient vécu depuis 14 ans, tout exceptionnel qu’il était.
En cet état, l’on devait
espérer que l’on s’occuperait exclusivement de l’exception, et que pour cette
fois au moins notre système général ne serait pas l’objet de nouvelles
attaques. Telle ne fut point la marche qui fut imprimée à la discussion. D’une
question purement exceptionnelle, purement diplomatique, l’on en fit une question
de tarif général, de régime intérieur. Tandis que le projet de loi appelait
notre attention sur nos relations avec la France seulement, l’on crut devoir
étendre le cercle de l’examen, et par suite nous avons vu surgir à l’improviste
des propositions qui sont venues aggraver sans raison le sort des pays
circonvoisins, grever nos tarifs de nouvelles prohibitions, et tout en ayant
l’air de faire des concessions à la France, majorer les droits sur beaucoup de
points. Je citerai ainsi l’amendement sur la bonneterie que nous discutons en
ce moment. D’après le tableau qui nous a été remis, il serait à peu près établi
que tandis qu’on ne payait que 20 p. c. du côté de la France, 3 et 10 p. c. des
autres côtes, l’on paiera de tous les côtés, si cet amendement est adopté, 30 à
40 p. c.
Qu’est-il arrivé de là ? C’est
que la brèche une fois ouverte par cet amendement, les conséquences n’ont pas
tardé à suivre. Nous n’avons plus vu ici que majoration de droits envers et
contre tous. Le contrecoup s’est même fait sentir au dehors. Les demandes de
protection déjà trop nombreuses n’ont fait que redoubler. En nous séparant, la
commission d’industrie nous proposait de frapper les foins à l’entrée, et M. le
ministre des finances lui-même, oubliant presque la thèse qu’il venait de
défendre avec un courage et une énergie dont on ne peut assez le louer, nous
apportait un projet de loi tendant à augmenter les droits sur le poisson
étranger ; ainsi augmentation de droits de toutes parts. Voilà, messieurs, sur
quelle pente nous étions placés à la clôture la dernière session.
Aujourd’hui donc nous sommes
en présence de deux systèmes : celui du gouvernement, qu’il n’a pas abandonné
et sur lequel, au contraire, il insiste plus que jamais, et celui que nous
avons vu surgir lors du premier vote, et qui, après s’être occupé légèrement de
l’exception, est venu frapper en plein sur le tarif général, compromettre nos
relations avec la Prusse et l’Angleterre, et enfin remettre de nouveau en
question un système sage et libéral avec lequel nous avons vécu depuis 15 ans
et avec lequel nous avons prospéré.
Je viens d’abord au projet du
gouvernement. Les uns, pour repousser ce projet, ont prétendu qu’il n’existait
aucun mot suffisant pour sortir du statu quo ; les autres, tout en
reconnaissant que des concessions appelaient des concessions, ont trouvé que le
gouvernement avait établi sur une mauvaise base les concessions qu’il se
proposait de faire ; que ces concessions enfin iraient frapper les industries
qui avaient le plus besoin de ménagement et de protection.
L’on ne peut se dissimuler que
la France ne s’est pas imposé des sacrifices bien pesants, qu’elle ne nous a
pas accordé des avantages bien considérables, et pour ma part, je reste
convaincu qu’elle eût pu aller plus avant sans inconvénient pour le présent, et
à son grand avantage pour l’avenir. Mais enfin il y a eu concessions. Toutes
faibles qu’elles sont, elles ont été la suite des négociations qui ont eu lieu
entre les deux pays, et ici même il paraîtrait, messieurs, que nous ne serions
pas tout à fait libres, qu’il existerait au moins des quasi-promesses qui, dans
l’état des conférences qui ont lieu, ne doivent pas être perdues de vue.
En supposant même que nous
soyons complétement libres, je pense encore qu’il serait sage et politique de
répondre aux avances que la France nous a faites, et que si nous voulons
qu’elle continue avec nous l’œuvre commencée, nous devons nous montrer, si pas
généreux, au moins justes.
L’on a fait beaucoup de
théories sur ce que la France était en droit d’attendre de nous, et l’on peut
encore en faire beaucoup que l’on pourra adopter ou rejeter à volonté ; car
rien n’est plus problématique que le droit des gens en matière de douanes. L’on
a dit ainsi que la France avait trouvé profit dans son fait, et que dès lors
elle n’avait rien à réclamer. Je serais fort disposé à adopter cet avis, si
l’on ne devait tenir compte que de l’effet général. Mais l’on ne peut nier qu’à
côté de l’avantage durable, il existe dans tout changement de tarif un mal
passager qui froisse plus ou moins des industries existantes, des relations
établies ; et lorsque ces changements sont la suite de négociations, lorsqu’ils
ont lieu dans un intérêt commun, il est juste qu’on ne les perde pas de vue,
qu’on cherche à mitiger le mal par l’ouverture de nouvelles relations.
Ainsi, ce serait en vain que
l’on ferait entendre à la France que notre tarif est plus libéral que le sien ;
que, pour prétendre à des concessions, elle doit mettre ses droits au niveau
des nôtres. Elle nous répondrait toujours que si notre tarif est moins
restrictif, nous devons nous en féliciter ; mais qu’en le réglant, nous avons
songé à notre intérêt et non au sien, et que les négociations dès lors n’ont pu
porter sur ce qui existait, mais bien sur de nouvelles relations à ouvrir de
part et d’autre.
Encore moins pourrait-on faire
goûter à la France le système de l’honorable M. Doignon. Cet honorable membre
voudrait qu’on lui dît : « Vous importez chez nous pour 40 millions de
marchandises. Cela résulte de nos tableaux. L’importation doit être en raison
des consommateurs de chaque pays. Votre population est huit fois plus
considérable que la nôtre. Tant que vos tableaux ne nous indiqueront pas une
exportation de 320 millions, vous n’aurez rien. »
Au lieu de ces théories plus ou
moins alambiquées, il vaut mieux, je crois, s’en rapporter à l’équité. En
faisant un pas vers nous, la France nous a pour ainsi dire obligés d’en faire
un vers elle. Reste seulement à ménager nos intérêts comme elle l’a fait pour
les siens, à ne pas sacrifier nos industries.
A cet égard le gouvernement
vous a dit quel avait été son point de départ ; il voulait et veut encore
annuler les mesures de représailles de 1823, remettre la France dans le droit
commun. Nul doute qu’une fois le principe de concession admis, d’après le but
et l’esprit de cette loi, cette base ne fût la plus légitime et la plus
régulière. Cependant je le déclare, s’il nous avait été démontré que l’on ne
pouvait sans inconvénient lever les barrières élevées en 1823, j’eusse été le
premier à repousser les modifications que l’on proposait, à demander qu’elles
portassent sur des points moins dommageables, sans trop m’inquiéter si
l’uniformité avait à en souffrir.
Mais, après avoir écouté
attentivement ce qui a été dit à ce sujet et après avoir fait la part de
l’exagération, car il est impossible qu’il n’y en ait pas en semblable matière,
il me semble que tous les inconvénients du projet de loi se réduisent à deux
seulement. A venir d’abord dans un moment inopportun, à ne pas neutraliser suffisamment
ensuite les effets des primes accordées en France. Or, il est facile d’obvier à
ces inconvénients, et ces précautions prises, l’on ne peut disconvenir que le
projet de loi n’offre plus aucun des dangers dont on a voulu l’entourer.
Ainsi, pour ne parler que de
la bonneterie et de la draperie, articles qui ont donné lieu ici à la plus
forte résistance, on vous a fait voir que les gouvernements les plus à craindre
étaient non la France, mais l’Allemagne et l’Angleterre ; il a été établi
ensuite que si la France avait un aussi grand avantage qu’on le suppose à
importer ces deux espèces de marchandises, il y a longtemps qu’elle eût pu le
faire en dépit de la loi de 1823. Car il lui était libre de franchir sans grand
danger notre faible barrière de douane, soit directement par la fraude, soit
indirectement par le transit. La prohibition est illusoire, disaient en 1835
les industriels les plus influents de Verviers. Pourquoi aujourd’hui
aurait-elle un autre caractère ? Que l’on jette un regard sur les tableaux
statistiques qui nous ont été remis, et l’on trouvera à peu près la même
conclusion pour la bonneterie ; l’on verra que malgré nos prétendus
désavantages, nous importons plus en France de ce fabricat que la France n’en
importe chez nous. On trouve ainsi pour 1834 une exportation de 43,516 fr. et
seulement une importation de 34,201 fr., et cependant, à en croire ces
industriels, si nous revenons à l’état normal, nous les anéantissons, nous les
frappons de mort.
Je puis me tromper, mais il me
semble que les cris aigus que nous avons aussi entendus, n’ont pas tant eu pour
objet d’empêcher l’adoption de la loi que le gouvernement proposait, que
d’obtenir ce qu’on appelle une compensation, que d’atteindre des concurrents
plus dangereux, dont on serait bien aise de se débarrasser ; et il faut en
convenir, la tactique a parfaitement réussi : aux clameurs de leurs
concitoyens, les députés qui les représentent plus particulièrement se sont
émus, ils se sont épouvantés de l’effroi qu’ils voyaient autour d’eux ; nous
n’avons plus entendu ici que prédictions sinistres, que malédictions contre le
projet de loi. L’honorable M. Dumortier, avec une imagination qui embellit tout
ce qu’elle touche, nous a dépeint ces industries sur le point de descendre dans
la tombe ; il nous a offert le spectacle de 40 mille ouvriers venant nous
demander du pain, et à l’aide de ces tableaux lugubres, mais heureusement fort
loin de la réalité, nous avons fini par accorder ce qu’on désirait. Nous avons
accordé des compensations, et ces compensations ont été si libérales qu’elles
équivalent à une prohibition absolue.
Sans douze il est fort
agréable d’accorder des faveurs, mais il faut voir ce qui en résultera ? On a
enlevé, par exemple, à Verviers la prohibition ? Pourquoi ne lui accorderait-on
pas aussi une compensation ? Si nous persévérons dans notre première décision,
nous nous plaçons vis-à-vis des autres industries dans la fâcheuse alternative,
ou de leur concéder les mêmes faveurs, ou d’être accusés d’injustice et de
partialité.
En droit strict, trouve-t-on
des motifs bien solides pour autoriser ces prétendues compensations ? La mesure
que l’on nous propose d’abolir était exceptionnelle et purement temporaire.
Elle avait un but politique et non économique. Elle était prise contre la France
dans des vues de représailles et non de protection spéciale. Elle ne peut donc
constituer l’ombre même d’un droit acquis. La part légale de protection
revenant à chaque industrie a été fixée par le tarif général, et nous
détruisons la proportion adoptée si nous accordons à l’un ce que nous refusons
à l’autre.
Invoquera-t-on l’équité et la
longue durée du régime exceptionnel ? L’on pourrait s’en faire un titre, j’en
conviens, si en modifiant le régime l’on apportait grand préjudice aux
industries qu’il favorisait. Mais il a été démontré qu’à l’aide de précautions
le préjudice serait insignifiant ; que le mal, s’il en existe, serait paralysé,
et je ne vois plus dès lors sur quel titre on pourrait autoriser ces prétendues
compensations.
Dans tous les cas, mieux
vaudrait rejeter la loi, et s’il le fallait même, n’accorder aucune concession
à la France, que de venir sous ce prétexte aggraver le sort de nos voisins,
ouvrir la porte à toutes les demandes et remettre en question un tarif sage et
libéral qui, je ne crains pas de le dire, a fait notre force jusqu’ici.
En supposant même que
certaines industries en cause dans le projet réclamassent une protection plus
forte, ne serait-il pas plus sage, plus politique d’en faire l’objet d’une
proposition, d’une instruction et d’une discussion spéciale, que de l’adjoindre
à la question diplomatique qui nous occupe en ce moment ? De cette manière au
moins nous pourrions décider en connaissance de cause, et nous ne nous
exposerions pas à nous voir accusés de partialité et d’injustice envers les
pays que nous allons surtaxer.
Pour vous montrer tous les
inconvénients de notre manière de procéder, il me suffira de citer l’amendement
sur la bonneterie, nous l’avons adopté. Mais, en l’adoptant, sommes-nous bien
sûrs de ce que nous avons fait ? En dire la portée exacte serait, je pense,
chose fort difficile. La seule chose certaine est que le droit est augmenté,
que la valeur ne forme plus la base de la perception. Quant aux motifs de ces
changements, je suis encore à les chercher au milieu de cet amas de faits
contradictoires qui ont été articulés de part et d’autre.
L’on dit, pour justifier la
majoration, que les importations allaient toujours croissant, que la bonneterie
indigène souffrait et déclinait visiblement, et enfin que nous devions soutenir
à tout prix une industrie aussi importante. Mais ce que je n’ai pas vu, c’est
une preuve nettement posée, instruite régulièrement, et telle qu’elle doit être
lorsqu’on veut décider en connaissance de cause.
L’importation augmente. Quand
le fait existerait, irons-nous, sur ce seul fait, modifier notre tarif ? Avec
un pareil système le mieux serait de renoncer à toute relation commerciale avec
l’étranger, à nous enclore complétement dans le cercle de la Belgique, car il
n’y aurait plus dans nos relations stabilité, aucune garantie. En éloignant
ainsi les étrangers, qu’arriverait-il de là ? Nous nous priverions des objets
que nous ne fabriquons pas, et pour ceux que nous fabriquons, mais que
l’étranger nous donne à meilleur marché, nous sacrifierions l’intérêt du
consommateur et nous enlèverions à l’industrie ce qui la stimule, la force à
marcher, la concurrence.
La bonneterie, ajoute-t-on,
perd tous les jours de son importance. Elle finira par disparaître si l’on ne
vient à son secours. Pour le tricot la chose est possible, mais quant au
surplus j’attends encore la preuve du fait.
Irons-nous lutter contre la
force des choses pour soutenir le tricot ? Empêcherons-nous que l’emploi des
machines ne fasse tomber cette industrie ? Pourquoi donc aller rappeler vers
elle par un surcroît de protection les capitaux et le travail qui s’en
éloignent ? Pourquoi au contraire ne pas laisser effectuer insensiblement un
déplacement avantageux pour tous, avantageux pour l’ouvrier aussi bien que pour
le négociant et pour le consommateur ?
Il s’agit d’une de nos
premières industries manufacturières, s’est écrié l’honorable M. Dumortier dans
un élan patriotique ; l’on ne peut la laisser périr sans venir à son secours.
Personne plus que moi ne reconnaît qu’en matière de commerce il faille les plus
grands ménagements pour ce qui existe, pour les capitaux engagés, eussent-ils
pris un mauvais cours. Mais dans ce cas, pour leur accorder un tour de faveur,
il faut une nécessité absolue ; il ne suffit pas d’articulations vagues, il
faut quelque chose de précis et de positif. Il faudrait ainsi être fixé sur le
chiffre des capitaux engagés dans la bonneterie ; sans quoi, s’il suffit
d’énoncer vaguement qu’on sait qu’ils sont considérables, nous verrons aussi d’autres
industries venir se proclamer les premières du pays, et peut-être avec plus de
raison, et réclamer à ce titre des faveurs du même genre.
Les changements apportés à la
base de la perception se défendent-ils mieux ?
Pour les justifier, l’on a
invoqué l’exempte de la France, de la Prusse et de l’Angleterre. Ce premier
point déjà a été contesté. Au moins avons-nous par-devers nous une pétition
émanant d’un marchand de bas qui révoque en doute ce qui a été avancé. Mais, le
fait existât-il, je ne sais s’il mérite toute l’autorité dont on a voulu
l’entourer. La France, que l’on a principalement invoquée, est loin d’être
classique en matière de commerce, et je ne vois pas pourquoi nous ne nous
tiendrions pas à ce que nous avons, sans aller y chercher nos modèles en
matière de douanes.
Je conçois très bien la
perception au poids pour les objets d’une difficile appréciation, et encore
quand le poids donne une idée approximative de la valeur ; mais, en bonneterie,
que peut signifier le poids lorsque les marchandises les plus légères sont
presque toujours les plus chères et les plus ouvragées ? Pourquoi donc alors,
pour éviter l’arbitraire des déclarations, tomber dans un autre genre
d’arbitraire, imposer la marchandise la plus grossière au droit le plus élevé,
et enfin faire porter tout le poids de la protection sur le pauvre et non sur
le riche, sur l’objet commun et non sur l’objet de luxe, quoique le premier ait
nécessité le plus de main-d’œuvre, et après avoir trouvé le droit de perception
suffisant pour d’autres fabricats d’une appréciation plus difficile,
viendrait-on tout à coup déclarer qu’il est insuffisant pour la seule
bonneterie, ou consacrerait-on, en sa faveur, une perception gênante pour le
commerce, difficile dans l’exécution, contraire à l’esprit de notre tarif ?
Il faut bien le dire,
messieurs, ce qu’on a voulu par ces amendements improvisés, c’est de nous
lancer de plus en plus dans la voie prohibitive ; toute la discussion n’a pas
eu d’autre tendance, d’autre esprit, et il faut en convenir, la loi actuelle
qui mettait en présence tant d’intérêts divers, offrait une occasion favorable.
Aussi, messieurs, qu’avons-nous entendu de tous côtés ? Il faut protéger nos
industries, il faut anéantir la concurrence étrangère ; agir autrement serait
une duperie ; voilà ce qu’on a posé comme des axiomes ; l’on en a fait la base
de toute la discussion, l’on y a puisé les motifs déterminants de toutes les
décisions prises. Mais ce qu’on n’a pas fait, et ce qui était à désirer que
l’on fît, c’était de démontrer la vérité de ces axiomes, d’établir les
avantages réels du système où plus que jamais l’on cherche à nous lancer.
Je ne parlerai pas des charges
que le régime restrictif impose aux consommateurs ; à cet égard, il est à peu
près convenu que le consommateur doit être une victime dévouée dont il n’y a
pas à s’occuper. Je me bornerai à envisager le régime sous ses rapports
industriels, sous les avantages qu’on lui suppose de ce côté.
A en croire les partisans de
ce régime, il aurait, je le sais, des effets infaillibles, il posséderait le
pouvoir magique de faire naître des industries, de soutenir celles qui
souffrent, de prêter vie à celles qui meurent. Mais lorsque l’on consulte, non
quelques faits isolés, mais l’ensemble des faits, les résultats sont loin de
confirmer ces brillantes promesses. L’on trouve que le régime promet plus qu’il
ne tient, qu’il coûte plus qu’il ne rapporte, et qu’enfin, comme le cheval de
Roland, il a toutes les qualités ; il n’a qu’un défaut, celui d’être mort, et
par conséquent de ne pouvoir donner vie à ce qui n’en a pas. Pour résister aux
crises, faire naître ou vivifier des industries, il faut autre chose que des
tarifs : il faut de la constance, de l’activité, l’amour du travail et le goût
de l’épargne, et sous ce rapport j’ai toujours cru, je crois encore, que le
régime de la liberté peut plus que le privilège et le monopole. Ceux-ci avec
leurs faveurs endorment l’industrie, la rendent stationnaire ; ceux-là avec ses
luttes la forcent à marcher, à se modifier et à se transformer suivant les
besoins et les circonstances.
Un autre vice du système
protecteur, et surtout lorsqu’il veut soutenir une production qui tombe, (Erratum inséré dans le Moniteur n°295, du 22
octobre 1837) est de raisonner comme si l’esprit industriel n’avait
qu’une corde à son arc, comme si le déplacement des capitaux était toujours un
mal, comme si enfin là où il n’y a que simple transformation, il y avait ruine
nécessaire. Et cependant que l’on jette un regard sur la marche industrielle,
aux Etats-Unis par exemple, l’on verra comme elle sait se multiplier suivant
les besoins et les aptitudes : là sans doute l’activité commerciale a pris un
développement prodigieux.
Mais sous ce rapport nous
devons aussi avoir la confiance en nous-mêmes, car nous avons su, quand il le
fallait, surmonter les obstacles qui nous étaient offerts. Pourquoi alors,
quand une industrie tombe, quand les capitaux se détournent, vouloir les y
ramener par des encouragements dangereux par l’appât trompeur de la protection
? En laissant faire l’intérêt privé, il eût marché dans la bonne voie ; en
l’alléchant par l’appât des primes intérieures ou externes, on l’égare, on le
détourne de son cours naturel, on amène une mauvaise distribution de capitaux
et de travail ; l’on crée des industries factices qui produisent mal et cher et
qui négligent de produire ce qui devait l’être.
Enfin un troisième
inconvénient du système protecteur est d’être presque toujours injuste et
arbitraire en disposant de ce qui revient à l’un pour le donner à un autre. Et,
pour vous en convaincre, il me suffirait de rappeler ce qui s’est passé l’année
dernière lors de la discussion du budget de l’intérieur. Un honorable membre
proposait ou au moins tendait à proposer un droit de sortie sur les
oléagineuses ; l’honorable M. Dubus prouva très bien alors et d’une manière
très logique que ce droit favoriserait peut-être les fabricants d’huile mais
qu’il tournerait en définitive au détriment de l’agriculture. D’un autre côté,
si l’on voulait examiner au profit de qui les encouragements sont accordés,
l’on verrait qu’ils deviennent le plus souvent le partage non de celui qui
réclame avec le plus de raison, mais de celui qui crie le plus fort. Enfin une
dernière considération à ajouter, et pour nous surtout d’après notre position
topographique, c’est que ces droits sont le plus fréquemment un objet de prime
pour l’indélicatesse et la fraude, un sujet de ruine pour l’honnêteté et la
bonne foi.
Ainsi, messieurs, répartition
injuste et immorale des bénéfices, mauvaise distribution des capitaux et du
travail, amortissement de l’esprit et de l’activité industriels, voilà les
résultats les plus fréquents du système protecteur qui promet tant et tient si
peu ; voilà les effets de l’intervention du gouvernement dans une matière où
plus que partout ailleurs il devrait s’immiscer le moins possible.
Que si le gouvernement veut
intervenir, protéger et encourager, qu’il fasse des routes, des chemins de fer,
qu’il établisse et maintienne un bon système de crédit. Là est sa véritable
mission industrielle, là il peut le bien, s’il le veut ; mais ailleurs son
intervention n’a le plus souvent pour résultat que de s’opposer par une
direction mal combinée à la marche la plus avantageuse pour amener la
multiplicité, la perfection et le bon marché des produits ; et cependant ce
sont là les conditions uniques et nécessaires pour agrandir le marché
intérieur, rendre peu redoutable la concurrence étrangère, faciliter les
échanges internationaux et donner ainsi au commerce la plus grande extension.
Voilà ce que l’économie
politique, en examinant, comme la législature doit le faire, non les effets
passagers, mais les effets stables et permanents, non quelques industries, mais
l’ensemble de l’industrie démontre jusqu’à la dernière évidence. On traitera
ces principes d’utopies, je m’y attends. Mais ce qu’on ne récusera pas aussi
facilement, ce sont les faits, ce sont les résultats.
Depuis 15 ans, la Belgique,
quoique entourée de tous les côtés de barrières, est régie par le système de
douanes le plus libéral de l’Europe. Son industrie a-t-elle eu à se plaindre du
système suivi ? N’a-t-elle pas pris au contraire un essor toujours croissant ?
Si quelques villes n’ont pas marché avec la même rapidité, toutes n’ont-pas
suivi une marche ascendante ? Verviers se plaint parce qu’il est réduit à peu
près au seul marché de la Belgique ; et cependant Verviers fabrique deux fois
plus de draps qu’à l’époque où il fournissait à tout l’empire français. Tournay
lui-même considéré en masse, fait, j’en suis sûr, plus d’affaires qu’au moment de
la séparation d’avec la France.
Mais, dira-t-on, cet essor, ce
développement sont le fruit de 22 ans de paix et du mouvement des esprits vers
les spéculations industrielles, La France s’est trouvée dans les mêmes
circonstances, et cependant on est loin d’y remarquer les mêmes progrès, le
même développement commercial. Je me garderai bien d’en rejeter toute la faute
sur son système de douanes ; mais cependant il est certain qu’il n’y a pas peu
contribué. Tous les bons esprits en France le reconnaissent, et les ministres
du commerce qui se sont succédé depuis 1830 l’ont senti mieux que personne.
Aussi, s’il y a eu peu d’améliorations dans les tarifs, la faute en est moins à
eux qu’à la nature des choses et à la force des préjugés. Sans vouloir
disculper ici la politique de nos voisins, l’on ne peut se dissimuler que l’on
ne fait pas disparaître en un jour un tarif de douanes, que rien n’est plus
délicat, plus difficile, et ne demande plus l’œuvre du temps si l’on veut
opérer sans secousse et sans crise. Que l’on parcoure au reste l’enquête de
1833, et l’on pourra se convaincre de la force du mal ; l’on y verra à chaque
page des industriels récriminant les uns contre les autres, se plaignant des
prédilections accordées à leurs voisins, et cependant par une déduction
admirable de logique, défendant à cor et à cris les droits établis en leur
faveur.
On nous demande des faits, en
voilà, je pense, qui ont bien leur autorité. Quant à nos adversaires si
dédaigneux des théories, je suis encore à chercher les faits un peu concluants
sur lesquels ils se soient appuyés. A l’appui de leurs opinions ils ont sans
doute invoqué des principes, fait défiler devant nous des théories de toute
espèce. Mais en les approfondissant, qu’y trouve-t-on en définitive ? une
véritable tour de Babel où il est impossible de s’entendre, où l’un dit blanc
tandis que l’autre dit noir. L’honorable ministre des finances, en vous
rappelant d’anciennes opinions, vous a montré combien elles cadraient peu avec
ce qu’on a dit depuis. La discussion, telle qu’elle a eu lieu jusqu’ici, si on
voulait l’exploiter, ne serait pas moins riche, moins abondante en faits de ce
genre ; je me bornerai à en signaler un seul. A la session dernière, à propos
de la loi actuelle, l’honorable M. Dumortier trouvait que la sortie des bois
était chose regrettable parce qu’elle nous privait d’un moyen de plus de
fabrication, et un instant auparavant l’honorable M. Zoude demandait un droit
d’entrée sur les bois étrangers. Ainsi, pour contenter ces deux honorables
membres, il faudrait tout à la fois empêcher la sortie et l’entrée du même
objet ; il faudrait que tout à la fois il se vendît bon marché pour favoriser
l’industrie manufacturière, et cher pour encourager l’industrie agricole.
C’est ainsi que, sous prétexte
de protéger l’industrie nationale, mais au fond dans le désir d’attirer les
faveurs sur quelques branches seulement, nous avons vu tour à tour répudier le
commerce étranger au nom de la balance commerciale, nos industries les plus
vivaces au nom d’une prétendue distinction dans la nature des produits, et
enfin les machines et l’agriculture à l’aide des journées de travail de M.
Dumortier. Je demande pardon à la chambre d’entrer dans tous ces détails, mais
puisque nos adversaires nous ont porté sur ce terrain, il faut bien les y
suivre, il le faut d’autant plus que ces considérations n’ont pas été sans
influence sur le sort de la loi que nous discutons en ce moment.
C’est ainsi que l’on a trouvé
mauvais les importations anglaises, parce qu’elles surpassaient nos exportations
et que par suite l’on est parvenu à attirer sur les faïences de ce pays de
nouveaux droits au nom des principes de la balance commerciale. A la session
dernière, l’honorable M. Lardinois nous disait que cette balance commerciale
était une vieille idée mise en avant il y a deux siècles et abandonnée depuis
longtemps. A cet égard, je partage tout à fait l’avis de mon honorable
collègue. En effet, sur quoi repose cette théorie ? car c’en est une : un pays
exporte pour 70 millions de marchandises, par exemple ; on importe chez lui
pour 40 millions ; il y a, dit-on, avantage parce que la balance du commerce
est en sa faveur, parce que l’excédant doit être payé en numéraire. L’avantage
au contraire cesserait si l’importation égalait ou dépassait l’exportation.
Ainsi, d’après cette théorie,
tout le mérite serait d’enlever à l’étranger beaucoup d’argent et peu de
marchandises, et cependant quand l’Amérique nous envoie les cotons pour être
filés, je ne vois pas que nous soyons si malheureux, dût-elle nous enlever notre
numéraire. De même quand l’Angleterre importe chez nous des produits que nous
ne fabriquons pas ou que nous ne sommes pas appelés à fabriquer à aussi bon
marché, je pense encore que nous avons raison de les accepter et que tous les
obstacles que nous pourrions y mettre n’auraient d’autre résultat que de nous
imposer des privations ou de nous grever d’industries factices, nous revenant
cher, et nous rapportant peu. L’importation peut être quelquefois un mal, j’en
conviens : dans le cas, par exemple, où une industrie pleine d’avenir,
mais naissante (erratum inséré dans le
Moniteur n°295, du 22 octobre 1837) et faible encore, trouve à
l’étranger une concurrence redoutable. Mais ceux qui s’appuient sur la balance
du commerce ne s’arrêtent pas à ces considérations, ils réprouvent
l’importation d’une manière absolue uniquement et exclusivement, parce que,
selon eux, elle ruine le pays en lui enlevant son numéraire.
Si l’on veut, c’est une idée
empruntée à l’économie politique. Mais à une époque où elle commençait à peine
à bégayer, où elle ne voyait dans une nation d’autres richesses que le
numéraire, où elle prenait ainsi le signe pour la chose, l’intermédiaire pour
l’objet. Avec ce système, Crésus, pour qui tout se changeait en or, eût été le
plus heureux et le plus riche des hommes tout en mourant de faim.
La distinction des produits en
matières premières et en objets manufacturés, a-t-elle un fondement plus solide
? Est-ce un guide plus sûr quand il s’agit d’encouragements à donner à
l’industrie, de direction à lui imprimer ? Nos houillères, par exemple, ne
sont-elles pas aussi productives que les manufactures ? N’emploient-elles pas
autant de bras ? Pourquoi donc les unes seraient-elles placées au rang des
parias et les autres seraient-elles seules dignes de notre bienveillance !
Pourquoi donc n’aurions-nous pas autant d’intérêt à exporter les produits des
premières que ceux des manufactures ? L’honorable M. Doignon, si je ne me
trompe, a prétendu qu’il nous importait fort peu d’envoyer en France quelques blocs
équarris. Que l’honorable membre se donne la peine de descendre dans nos
carrières, et il verra que généralement ces blocs n’ont d’autre valeur que
celle qui leur a été donnée par la main-d’œuvre, et qu’en ce premier état ils
ont déjà atteint la plus grande partie de leur valeur. En définitive, tout est
matière première ou objet manufacturé suivant qu’on veut l’envisager. Les
ressorts sont objets manufacturés pour le fabricant qui les vend, matière
première pour l’horloger qui les emploie, et c’est sur une distinction aussi
imperceptible, aussi scholastique que l’on voudrait classer les avantages de
nos relations commerciales, fixer le degré de bienveillance qui doit leur être
accordé.
L’honorable M. Dumortier a-t-il
été plus heureux dans ses références ? Selon lui, le travail du sol ne serait
rien, le travail de l’ouvrier seul aurait de l’importance. Mais à ce compte, il
faut abandonner l’agriculture où la nature fait presque tout, briser nos
machines qui ont singulièrement diminué le travail manuel. Une imprimerie, par
exemple, fait ce que ne feraient pas 10,000 copistes. D’après les
principes de l’honorable membre,
l’imprimerie serait donc une invention funeste, je dirai presque infernale.
Elle se serait substituée à l’homme pour lui enlever les moyens de travail,
pour faire succéder à des produits demandant beaucoup de journées, des ouvrages
qui n’en demandent presque pas, il faudrait sans doute supprimer les métiers à
bas pour s’en tenir au tricot.
Je crois cependant que malgré
la théorie de l’honorable membre, nous n’avons qu’à nous féliciter de
l’introduction toujours croissante des machines et que l’ouvrier aussi bien que
le consommateur y ont trouvé de brillants avantages.
Heureusement, messieurs, qu’il
ne s’agissait pas dans la loi actuelle des produits agricoles, car nous
eussions peut- être vu évoquer les théories de Quesnay et soutenir que le sol
seul créé des richesses, que par suite l’agriculture seule est digne
d’encouragement. Après cela, messieurs, l’on est à même d’apprécier la valeur
du système protecteur et les difficultés inextricables qu’il présente lorsqu’il
s’agit d’en venir à l’application, lorsqu’il s’agit de repartir la protection.
Et en quel moment veut-on,
tantôt sous un motif, tantôt sous autre, nous conseiller cette politique
rétrograde : au moment où un mouvement sourd s’opère dans toute l’Europe
vers la liberté commerciale, où la politique des gouvernements y incline plus
que jamais, où elle cherche à lever tous les obstacles qui l’entourent ; au
moment, enfin, où la nature des découvertes récentes et les chemins de fer
surtout forceront peut-être les peuples à lever sublimement leurs barrières de
douanes. C’est en ce moment que l’on nous engage à suivre une marche inverse, à
gâter une belle position, d’où nous pouvons attendre sans crainte tous les
changements qui peuvent survenir, et ce pour en prendre une nuisible pour le
présent, dangereuse pour l’avenir.
Ces considérations ne
devraient-elles pas au contraire nous rendre très peu favorables à toute
augmentation de droit, très réservés pour tout changement de tarif, et nous
engager même, si nous avons des modifications à faire, à marcher
progressivement, en dépit des autres peuples, vers un système de plus en plus
libéral ?
Je le sais, messieurs, les
idées libérales en matière de commerce, bien que tout le monde dise les aimer,
n’ont pas un accueil bien favorable à attendre. On les traite de théories
impraticables, de rêveries creuses, d’utopies chimériques, de système de dupes,
et tout est dit ; les hommes ne sont pas plus épargnés que les choses : on leur
reproche de ne tenir compte ni des faits, ni de ce qui existe. On les
représente comme voulant tout bouleverser, tout changer, au nom d’une prétendue
liberté illimitée du commerce. En un mot, ce sont des idéologues, comme l’a dit
un honorable membre, quoique j’ignore ce que l’idéologie vient faire en cette
assemblée.
Mais, messieurs, il ne suffit
pas de jeter les épithètes et la défaveur, il faut être encore dans le vrai et
surtout ne pas travestir les opinions. Et je demanderai où cette prétendue
liberté du commerce a été professée, où l’on a invoqué la suppression immédiate
de ce qui existe ? Serait-ce dans cette chambre ? Nous comptons, sans doute, et
je m’en félicite, plusieurs membres partisans d’une liberté sage et progressive
; mais jusqu’ici je n’en ai vu aucun demander autre chose que le maintien de ce
qui est. Serait-ce dans les livres d’économie politique ? Mais tous au
contraire recommandent le plus grand respect pour les relations établies, pour
les positions acquises. Tous considèrent les changements de tarif et d’impôt,
quelque mauvais que ces tarifs et ces impôts puissent être, comme une chose
très délicate, parce qu’ils savent fort bien que les industries finissent par s’adapter
à ce qui est, et qu’à la longue, il s’établit un équilibre auquel il est
toujours dangereux de toucher.
Si
l’on voulait se porter sur le terrain de l’accusation, ne pourrait-on pas avec
plus de raison reprocher aux partisans du système protecteur de vouloir tout
bouleverser, tout changer, tout diriger à leur guise par des demandes
incessantes de protection, par des attaques continuelles contre le tarif
existant ! Une industrie prospère-t-elle, ses produits se vendent-ils bien, à
l’instant l’on réclame des droits de sortie. Une industrie au contraire
décline-t-elle, les capitaux se portent ailleurs, il faut les y rappeler par
l’appât de la protection.
Et qu’arriverait-il si ces
vœux étaient exaucés ? Le plus souvent l’on romprait des relations établies, et
pour aller l’on ne sait où, l’on enlèverait au commerce toute stabilité. Au
reste le moment n’est pas loin où nous verrons par un exemple frappant les
beaux résultats du système protecteur. Lorsqu’on viendra à discuter la loi sur
les sucres, nous y verrons comment, en attirant les capitaux sur un point par
l’appât des primes, on y a fait naître une concurrence qui est devenue funeste
à ceux-là même qu’on a voulu protéger ; on a imposé au pays un sacrifice de 4
millions, et l’on obtient pour tout résultat une industrie exubérante et très
souffrante qui est un embarras et une source d’abus que nous ne devons pas
favoriser.
(Lettre adressée au directeur du Moniteur et inséré dans le n°295, du 22
octobre 1837) : « A M. le directeur du Moniteur belge. Monsieur,
une erreur assez grave s’est glissée dans la manière dont vous avez rapporté
l’opinion que j’ai émise hier. Je n’ai pas dit à la fin de mon discours :
« Et l’on obtient pour tout résultat une industrie exubérante et très
souffrante qui est un embarras et une source d’abus que nous ne devons pas
favoriser, « mais bien : « Et l’on a obtenu pour tout résultat
une industrie exubérante factice, , souffrante, qui est un embarras pour nous
et à qui pourtant nous ne pouvons donner la mort, » ce qui est bien
différent. Comme il s’agit ici d’une question fort grave que nous aurons à
examiner plus tard, je désire que mon opinion ne soit pas travestie, et
j’espère que vous voudrez bien faire droit à ma réclamation en insérant la
rectification dans votre numéro de demain. Agréez, M. le directeur, l’assurance
de mes sentiments distingués. E. Dequesne. »
M. Verhaegen. - Messieurs, lorsqu’à la séance du 12 octobre, je
demandai qu’on ne se bornât pas à procéder au second vote de la loi de douane,
mais qu’on recommençât la discussion, j’avais en vue de m’éclairer ; je pensai
qu’il était nécessaire de s’occuper de l’ensemble d’une loi avant d’en
apprécier les dispositions spéciales. J’ai dit alors que si on nous laissait
dans l’impossibilité d’apprécier la loi dans son ensemble, force nous serait de
nous abstenir de voter.
Le tempérament que votre
décision a apporté à notre position nous a mis à même d’apprécier cet ensemble,
et la discussion qui vient de s’ouvrir nous a éclairé suffisamment pour qu’en
pleine connaissance de cause nous puissions donner notre vote.
J’ai demandé la parole sur
l’article bonneterie, non pas que je veuille m’occuper de ces détails qui me
sont pour la plupart étrangers, mais parce que, relativement à cette partie même
du projet, je crois de mon devoir de donner un vote négatif et sur la
proposition du gouvernement et sur celle de la section centrale.
Après avoir apprécié le projet
dans toutes ses parties, je l’ai trouvé mauvais, mauvais surtout dans les
circonstances actuelles, et comme certaines localités, en obtenant ce qu’elles
désirent, pourraient donner un vote favorable sur l’ensemble, je ne pouvais
dans l’occurrence émettre un vote favorable sur l’article qui nous occupe. Je
craindrais que quelque intérêt de localité autre que celui dont il s’est agi
jusqu’à présent ne souffre de l’adoption de l’ensemble de la loi.
Voici pourquoi j’ai pensé
qu’il était nécessaire de rejeter non seulement l’ensemble, quand il en sera
question ; mais à rejeter dès à présent toutes les modifications que quelques
localités sont intéressées à voir adopter, et qu’elles sont venues nous
proposer.
Quelle est donc la loi que
nous discutons ? J’ai entendu dire aux séances précédentes que la loi était
française, qu’elle était anglaise, qu’elle était allemande. On a dit d’autre
part qu’elle était belge. Moi, je pense que si la loi est belge, au moins elle
n’est pas nationale puisqu’elle semble du moins dans certaines dispositions
être faite dans l’intérêt de certaines localités ; c’est ce qui mérite de fixer
toute votre attention.
L’honorable M. Rogier nous a
dit hier que le but du gouvernement, en présentant sa loi, était de replacer
dans le droit commun un peuple allié qui a droit de se plaindre des
dispositions de notre tarif qui lui sont directement hostiles. Mais que l’on me
dise ce que les dispositions relatives aux tulles avaient de commun avec les
intérêts de la France ? Nous rencontrons dans le projet des modifications sur
les droits concernant les articles de tulle. Il ne s’agit pas là de la France,
car la France ne nous fournit pas de tulle L’Angleterre ne s’en est pas
occupée, et n’a jamais fait de réclamation à cet égard ; mais c’est dans un
projet de loi qui avait pour but de replacer un peuple allié dans le droit
commun de notre tarif qu’on a glissé des dispositions tout à fait étrangères à
ce peuple. Pourquoi a-t-on introduit ces dispositions ? Pour favoriser les
commissionnaires qui font le commerce avec l’étranger, au détriment des
fabricants indigènes. Cela doit être évident pour tout le monde. Je n’entrerai
pas dans des détails à cet égard, je ne veux qu’énoncer la chose, me réservant
d’en faire la démonstration quand nous serons arrivés aux détails. Toujours
est-il que cette allégation, qui avait été faite hier, que le but du
gouvernement était de replacer dans le droit commun de notre tarif un peuple
allié, la France, toujours est-il, dis-je, que cette allégation n’est pas
exacte, car alors il ne devait pas être question des tulles.
Si je ne suis pas d’accord
avec M. Rogier sur ce point, je suis d’accord avec lui sur un autre point. S’il
y a eu négociation avec le gouvernement français, s’il y a eu une espèce de
traité, promesses ou quasi-promesses, il faut conserver le statu quo ; la
loyauté exige qu’on ne place pas la France dans une position plus défavorable
que celle où elle était avant la présentation du projet de loi. J’adopte tous
les motifs de cette opinion, et j’en subis toutes les conséquences ; c’est pour
cela que je voterai contre tous les amendements qui auraient pour objet
d’améliorer la position de l’une ou l’autre province de la Belgique. C’est
aussi pour arriver au résultat que je me propose, c’est-à-dire au rejet de la
loi, que je ne fournirai pas aux représentants de telle ou telle partie du pays
qui aurait obtenu ce qu’elle désire, un motif pour voter en faveur de
l’ensemble d’une loi que je trouve mauvaise. Je crois nécessaire de m’expliquer
franchement sur mon vote qui sera négatif sur tous les articles. Le meilleur
parti à prendre est de rejeter une loi qui évidemment est inopportune.
Je disais tout à l’heure
qu’avant d’examiner les dispositions spéciales d’une loi, il fallait en
examiner l’ensemble, le but et les circonstances dans lesquelles elle est
présentée.
J’ai lu tout ce qui avait été
dit sur la matière. Force nous a été de nous éclairer. J’ai donné à ce travail
tout le temps nécessaire. J’ai lu tous les mémoires qui ont été publiés ; je me
suis pénétré des principes de la matière ; et j’ai acquis la conviction que le
projet de loi ne peut être adopté ou que, s’il est adopté, ce sera un véritable
malheur pour le pays.
Je suis d’accord avec nos
adversaires sur un point, c’est que c’est un principe général, un principe
d’économie politique qu’il ne faut pas légèrement adopter des prohibitions. Les
économistes sont ennemis des prohibitions et de l’élévation de droits. J’admets
ce principe. Mais à ce principe général il y a des exceptions. Tous les auteurs
qui ont écrit sur l’économie politique ont admis ces exceptions. Les
prohibitions, en général admises, ne le sont plus lorsqu’elles existent à titre
de représailles. Il est également reconnu par tout le monde qu’il faut être
très avare de la levée des prohibitions. Ainsi, qu’on ne vienne pas nous placer
sur ce terrain où on a voulu nous placer. Qu’on ne vienne pas avec des idées
libérales nous dire : « il faut une liberté illimitée ; il faut renverser
les barrières qui gênent le commerce. » Moi le premier je voudrais voir
renverser ces barrières ; je voudrais que tous les peuples ne fissent qu’un
peuple de frères. Cela est fort beau en théorie ; mais ne nous le dissimulons
pas, le siècle n’est pas encore arrivé là ; et malheureusement la pratique fait
voir que ces beaux principes ne sont pas pour le moment susceptibles
d’application.
Je suis d’accord avec ces
messieurs, notamment avec l’honorable M. de Langhe qui le premier a fait valoir
ces principes généraux. J’admets qu’en principe les prohibitions doivent être
rejetées et qu’il faut la liberté la plus grande.
D’autre part on voudra bien
accorder que des exceptions sont indispensables, surtout quand les prohibitions
sont, comme dans l’occurrence, adoptées à titre de représailles.
Avant de rencontrer ce qui a
été dit sur le projet en discussion, je demanderai si le temps est bien
opportun pour s’occuper non seulement des modifications à la loi des douanes,
mais même d’un tarif ou d’une loi quelconque de douanes. Il ne faut pas se le
dissimuler, nous sommes en quelque sorte, de même que nos voisins, dans une
position provisoire. On a beau venir nous dire qu’aujourd’hui notre position
est assurée, et que nous pouvons faire chez nous ce que nous jugeons à propos ;
mais si le gouvernement attendait, notre position ne serait-elle pas plus
assurée qu’aujourd’hui ? Toujours est-il qu’il n’y a aucun inconvénient à attendre.
L’établissement des chemins de
fer peut, dit-on, produire de grands changements ; je rétorque l’argument et je
dis : voyons ce que produiront tous ces chemins de fer, voyons quels seront les
changements qui en résulteront et nous mettrons ensuite la loi de douanes en
rapport avec ces conséquences qu’il nous est impossible d’apprécier maintenant.
Ensuite nous voyons dans le
discours du roi Guillaume qu’on se propose en Hollande de soumettre aux
chambres des modifications au tarif des douanes. Voilà une troisième
considération. Car, quand dans un pays voisin on se propose d’apporter des
modifications au tarif des douanes, ce n’est pas sans doute le moment de se
jeter à corps perdu dans une discussion qui peut avoir les plus graves
résultats. Conservons le statu quo. C’est ce que nous pouvons faire de mieux.
Voilà pour la moralité de la chose ; nous allons voir ce qui doit en être dans
la rigueur des principes.
On est entré en négociations avec
la France. Il faut bien, dit-on, tenir ce que l’on a promis à cette puissance
amie. Tout cela se réduit à dire qu’il faut faire à la France des concessions.
Il y a eu des négociations ; nous le savons. Il y a eu des promesses de la part
de la France ; mais ces promesses n’ont pas été exécutées. Ce que le ministre
du commerce en France a reconnu devoir être fait en toute justice en faveur de
la Belgique, n’a pas été fait. Je vais le démontrer. J’admets qu’il y a eu
contrat ou quasi-contrat, promesse ou quasi-promesse ; mais on voudra bien
admettre aussi que, si les promesses n’ont pas été exécutées de la part du
gouvernement qui les avait faites vis-à-vis du gouvernement qui devait en
donner l’équivalent, le gouvernement qui devait donner cet équivalent n’est pas
tenu de le faire ; car il y a contrat bilatéral lorsque les deux parties sont
engagées ; mais si une partie ne remplit pas son engagement, l’autre n’est pas
tenue de remplir le sien.
Ainsi, en prenant la position
la plus favorable à nos honorables adversaires, je dis : Oui il y a eu des
négociations ; oui, il y a eu des promesses. Mais les négociations n’ont pas eu
de résultat, les promesses n’ont pas été exécutées, elles ne peuvent donc nous
lier en aucune manière. Les ministres français eux-mêmes, à la tribune, ont
déclaré qu’ils avaient la conviction que la Belgique avait droit à des
avantages plus grands que ceux qui lui ont été promis. Or, les avantages qui
nous ont été promis ne nous ont pas même été accordés. Et c’est dans des
circonstances semblables qu’on vient demander à la Belgique de faire des
sacrifices comme si elle en avait reçu l’équivalent, tandis qu’elle n’a rien
obtenu.
Ce que je dis ici, je le puise
d’abord dans l’exposé des motifs du projet de loi actuellement en discussion.
Je lis à la page 2 :
« Des commissaires furent
désignés afin de connaître les conséquences réciproques suivant lesquelles il
pourrait être apporté des modifications aux tarifs des deux pays.
« Les rapports d’amitié
et de bon voisinage, si avantageusement établis entre la France et la Belgique,
faisaient désirer depuis longtemps que l’on parvînt à aplanir les difficultés
inséparables de la complexité des intérêts de cette nature.
« Ainsi que nous venons
de le faire remarquer, la Belgique est entrée la première dans les voies de
conciliation ; heureusement elle vient d’acquérir la preuve que la France est
disposée à s’y rencontrer avec elle ; une ordonnance royale du 10 octobre
Vous voyez donc que dans
l’opinion même de ceux qui présentent le projet de loi, nous devons avoir égard
aux dispositions de l’ordonnance du 10 octobre 1835 et aux dispositions du
projet de loi du 2 avril 1836, et concevoir l’espoir qu’au moyen de cela les
deux pays pourront s’accorder réciproquement des avantages.
Déjà à cette époque les
adversaires du projet disaient qu’un espoir était peu de chose ; qu’il ne
suffisait pas d’un espoir pour traiter ; que pour traiter en de pareilles
matières, il fallait des certitudes, comme équivalent d’autres certitudes. On
avait raison exprimer ainsi. Alors, comme on le disait, cet espoir était peu de
chose. Aujourd’hui l’expérience a démontré que l’espoir n’est rien, car il est
déçu. Les dispositions de l’ordonnance du 10 octobre 1835 ont été
singulièrement restreintes devant les chambres françaises ; le projet de loi du
2 avril
Ici, je vous prie de recourir
à un gros mémoire (cela ne doit pas vous effrayer), présenté par les fabricants
de draperies. Il entre dans tous les détails ; il examine la loi dans son
ensemble et dans ses détails. Ce mémoire que je considère comme un chef-d’œuvre
d’économie politique, m’a donné la conviction que si le projet de loi était
adopté, il ferait le malheur de notre pays.
Je lis à la page 16 de ce
mémoire :
« Toutes les promesses
faites à nos négociateurs, celles en vertu desquelles le projet de loi du 14
avril a été conçu et rédigé, n’ont donc pas été remplacées. La preuve en sera
fournie à l’instant.
« Avant la promulgation des
lois de douanes des 2 et 5 juillet, une ordonnance sur la matière avait été
publiée par M. Duchâtel le 10 octobre 1835. Le projet de loi avait été présenté
aux chambres par M. Passy le 2 avril 1836. Si l’on compare ces deux documents
avec les lois rendues plus tard, les différences sont nombreuses. Le rapport
qui précède l’ordonnance du 10 octobre 1835, promettait une réduction de droits
sur les rails destines aux chemins de fer ; la discussion a écarté cette
réduction. Le projet de loi de M. Passy promettait une réduction sur les
machines ; les débats l’ont ajournée. Le même projet avait proposé d’abaisser à
50 fr. par 100 kilog. le droit sur les peaux tannées pour semelles ; c’est à 75
fr. par 100 kilog. qu’il a été définitivement fixé. Un avantage offert sur
l’entrée par terre des grandes peaux brutes et sèches, n’a pas été
conservé. »
Voilà donc ce que le ministre
du commerce de France avait regardé comme juste et équitable pour que la
Belgique fît des concessions . Et quand un honorable membre, M Dumortier, a
rappelé hier les paroles de M. Passy, il a eu parfaitement raison. Car peut-on
mieux connaître les dispositions d’un pays que quand le ministre chargé de
représenter ses intérêts commerciaux vient s’exprimer ainsi que l’a fait M.
Passy ! La Belgique, a dit ce ministre, offre des sacrifices plus grands que
ceux que peut faire la France.
Peut-on venir dire
sérieusement devant une assemblée législative, que le ministre n’a avancé cela
que pour faire passer son projet ? Ce serait donner une très mauvaise idée des
ministres en général que d’assurer qu’ils sont capables d’eu imposer pour faire
adopter un projet de loi ; je ne ferai pas cette injure à M- Passy, et je
croirai, avec M. Dumortier, que le ministre français n’a dit que ce qui était
vrai.
Mais laissons-là les dires et
voyons les faits. L’ordonnance de 1835 est là ; les dispositions nous en sont
connues ; les dispositions du projet de loi de 1836 sont également là : eh
bien, ces dispositions sont-elles l’équivalent des concessions qu’on veut nous
faire adopter ? Nos négociateurs étaient, dit-on, parvenus à faire un traité de
commerce qui devait être sanctionné par la chambre ; les concessions
provisoirement arrêtées étaient les dispositions renfermées dans l’ordonnance
de 1835 et dans le projet de loi de 1836 ; il n’y a donc pas équivalent ; car
s’il y a eu promesses, ces promesses n’ont pas été exécutées ; et par
conséquent nous ne pouvons ratifier les promesses faites par nos agents.
Quand on a présenté le projet
de loi dont nous nous occupons, les chambres françaises n’avaient pas encore
prononcé ; tout était en projet ; et l’on nous disait que l’on concevait
l’espoir de voir les deux pays s’accorder des avantages réciproques ; mais cet
espoir a été déçu ; et c’est une leçon pour qu’à l’avenir on n’agisse plus à la
légère. Qu’on ne se laisse donc pas aller aux idées libérales qui germent dans
tous les cœurs, car elles nous égareraient et nous conduiraient à prendre des
décisions qui seraient fatales à nos mandants.
Après ces considérations, j’ai
à me demander dans quelle position nous nous trouvons à l’égard de la loi en
discussion elle-même. On vous l’a déjà dit, et sur ce point je partage
l’opinion d’un des honorables préopinants, les lois de douane, en général,
doivent entraîner les plus graves conséquences ; elles sont faites de telles
manière que des intérêts sont froissés ou sont avantagés ; elles produisent la
richesse ou la pauvreté de certaines classes ; car ce qui est pour les pays
entre eux est aussi pour les provinces entre elles d’un même pays.
De ces prémisses découle
nécessairement la conséquence qu’il faut être très sobre de changements en
matière de douane, qu’il faut être très réservé à apporter des modifications au
tarif, et que la nécessité doit être flagrante pour porter atteinte à ce qui
existe.
On vous l’a dit encore, et
ceci n’a fait que fortifier ma conviction, lorsqu’une industrie a pu compter
pendant un certain nombre d’années sur un ordre de choses, et qu’en conséquence
elle a multiplié ses machines, ses usines, il faut y regarder à deux fois avant
de bouleverser cet ordre de choses et d’anéantir les capitaux appliqués à un
immense matériel.
Voilà des principes certains
que l’on peut opposer à ce que l’on a fait valoir en faveur de l’opinion
contraire. Vous trouverez tout cela parfaitement développé dans le mémoire que
j’ai cité. Il est désolant qu’on ne puisse le lire en entier ; tous les
principes y sont nettement posés ; toutes les difficultés y sont résolues. Il
faut puiser partout, surtout quand on trouve du bon, et c’est dans le mémoire
de messieurs de Verviers que j’ai trouvé de quoi baser ma conviction. J’ai
également trouvé dans cet ouvrage les principes particuliers relatifs aux
modifications des tarifs, et parce qu’en raison de son volume, il pourrait
effrayer quelques lecteurs, je vais en présenter, en peu de mots, le résumé.
Ces messieurs disent, comme
nous disions tout à l’heure, qu’il faut être sobre de concessions, et
n’accorder rigoureusement que l’équivalent de celles que l’on reçoit. Ce
principe est incontestable ; il est particulièrement incontestable en présence
d’un état de choses tel que celui qui existe, c’est-à-dire, lorsque les
prohibitions et les élévations de droits n’ont lieu qu’à titre de représailles.
Que les prohibitions et les élévations de droits n’aient lieu qu’à titre de
représailles, cela résulte à la dernière évidence. L’arrêté de Guillaume de
1825 n’était qu’une mesure de représailles contre la France, et cet arrêté a
été converti en loi par les états généraux.
A-t-il été porté la moindre
atteinte à cet état des choses ? Je ne citerai qu’un seul exemple ; nos draps
sont prohibés en France, et nous avons prohibé les draps français ; eh bien,
c’est au moment où les draps belges ne peuvent entrer en France que l’on veut
autoriser les draps français à entrer en Belgique ! Est-ce une loi belge,
nationale que l’on veut faire ? Disons-le franchement, si la loi était adoptée,
elle ferait honte à la Belgique, elle serait une loi de bassesse ; elle prouverait
que nous sommes à la remorque de la France ; elle prouverait que chez nous il
n’y a pas d’indépendance nationale.
Ne nous trompons pas, et ne
croyons pas avec M. Rogier que le but de la loi est de rétablir une puissance
alliée dans le droit commun ; car le droit commun exige que ceux qui nous
demandent des concessions vous en fassent de même nature ; et cela est si vrai
qu’on l’a parlé de ce que les ministres français avaient fait et tenté de faire
pour la Belgique. On voit, dans le mémoire que j’ai cité, que les ministres
français, à certaines époques, avaient tenté de faire lever la prohibition à
l’entrée des draps belges en France ; qu’un cri s’était élevé dans ce pays
contre une pareille proposition, et que l’on a dû céder à l’opinion. Voilà ce qui
est ; et c’est dans de telles circonstances qu’on demande des équivalents aux
concessions qui nous ont été faites !
Ce que nous désirions a été
demandé par le ministère français, mais a été rejeté par les chambres ; ce
n’est donc pas le cas de déroger à nos lois et d’en adopter une qui n’aurait
pour but que de nous rendre ridicules aux yeux des peuples civilisés.
Il faut avoir égard au temps
où l’on traite et au pays avec lequel on traite ; en temps de crise, l’utilité
des mesures prohibitives ne peut être méconnue ; ce principe que les auteurs du
mémoire développent, est également certain. C’est au temps qu’il faut
s’attacher, c’est aux peuples avec lesquels on traite qu’il faut avoir égard :
vous connaissez notre position vis-à-vis de la France, vous connaissez les
propositions faites à la chambre française, et vous savez ce qui en est advenu.
Ce principe concourt donc avec le premier au rejet d’un projet de loi subversif
de toutes les règles d’économie politique.
Un troisième principe est
relatif aux aménagements qu’il faut apporter dans les changements de tarifs par
rapport aux industries que ces changements peuvent atteindre. Nous vous
parlerons de l’importance de la fabrication des draps quand nous en serons à
son article ; il s’agit actuellement de la bonneterie, industrie intéressante
puisqu’elle est exercée par les cultivateur en certaines saisons, lorsque les
travaux de l’agriculture leur en laissent le loisir ; l’abaissement des tarifs
l’anéantirait ; cependant nous n’apprécierons pas les propositions de ceux qui
veulent une augmentation de tarif, et nous croirons avoir concilié les intérêts
de cette classe d’industriels avec ceux du pays par le statu quo, ou par le
rejet de la loi dans son ensemble.
Ces ménagements sont à considérer
dans les capitaux immobilisés, dans la situation des finances ; mais sur ces
points divers, je vous prie de recourir au mémoire pour les détails.
Quatrième règle : il est
essentiel de respecter l’opinion. Messieurs, la France, l’Angleterre et tous
les pays chez lesquels nous pouvons chercher des exemples ont respecté cette
opinion.
Jamais une loi en matière de
douanes n’a été accueillie, présentée même, que conformément à l’opinion qui
domine. Nous en avons encore la preuve dans ce qui a été fait par le ministère
français : on sait, messieurs, qu’il avait proposé de laisser entrer nos draps
en France, moyennant, il est vrai, un droit très élevé, et qu’il a dû renoncer
à son projet et le retirer. Ici, messieurs, l’opinion publique a prononcé sur le
projet que nous discutons ; d’un bout de la Belgique à l’autre, il n’y a qu’un
cri à cet égard ; l’industrie, messieurs, se trouve dans une crise, l’industrie
est effrayée des résultats de la loi. Je ne vous parlerai pas seulement de
Verviers, de Tournay, de telle ou telle autre localité ; je suis étranger à
toutes les localités que la chose concerne, mais ce que je sais c’est que d’un
bout de la Belgique à l’autre il n’y a qu’une opinion contre le projet qui nous
est soumis. Pourquoi donc accorder des concessions, s’écrie-t-on, à ceux qui
n’en veulent pas faire à leur tour ? Pourquoi lever la prohibition en faveur de
ceux qui veulent la maintenir ? Vous avez usé de représailles, ayez le courage
de les maintenir jusqu’à ce que les mesures qui les ont provoquées aient été
retirées. C’est en agissant de cette manière que vous parviendrez à obtenir
justice de vos voisins.
C’est là, messieurs, le
quatrième principe que j’invoque ; je crois qu’il ne peut pas souffrir de
difficulté.
La cinquième règle, c’est de
ne jamais sacrifier une industrie sans lui offrir à l’instant même une
compensation au moins équivalente. Vous voulez ici, messieurs, le sacrifice de
telle et telle industrie ? Eh bien, si vous le demandez dans l’intérêt général,
les principes exigent que vous puissiez indemniser les industries que vous
voulez sacrifier. Quel est donc le dédommagement que vous offrirez aux
industries que la loi viendrait frapper de mort ? Si la loi passait, c’en
serait fait de l’industrie drapière, qui est si intéressante, et de beaucoup
d’autres encore Or, je le demande, que deviendront les capitaux engagés dans
ces industries ? Que deviendront les nombreux ouvriers auxquels elles
fournissent du travail ? Quelles seront les conséquences d’une mesure qui
réduira à la dernière misère un aussi grand nombre d’ouvriers ? N’auriez-vous
pas à craindre de nouvelles commotions politiques ? Quant à moi, je suis
persuadé, messieurs, que notre position n’est pas encore telle que nous
puissions dire qu’en portant atteinte à des intérêts, aussi multipliés que ceux
qui seraient froissés par la loi dont nous nous occupons, nous ne donnerions
pas lieu à des inconvénients semblables à ceux que nous avons déplorés
précédemment.
La sixième règle, c’est qu’il
n’y a de bonnes lois de douanes que celles qui sont discutées et votées avec
une parfaite indépendance ; c’est là un principe, messieurs, que personne ne
peut révoquer en doute et qui doit surtout fixer votre attention. Or,
messieurs, y a-t-il indépendance des concessions à faire à un pays qui ne veut
pas en faire lui-même ; à lever la prohibition en faveur d’une nation qui la
maintient à l’égard de nos produits ? On dit : « C’est un pays allié, c’est un
pays qui nous a rendu des services ; il faut le traiter avec ménagements, et on
veut lui faire des concessions quand même. » Mais, messieurs, c’est là mettre
de côté l’indépendance nationale ; je dirai plus, c’est compromettre l’honneur
du peuple belge. Car enfin, j’espère au moins qu’au moment où nous vivons, nous
pouvons dire que la Belgique est indépendante ; nous savons au moyen de quels
immenses sacrifices elle a acquis cette indépendance. Eh bien, messieurs,
soyons donc indépendants, non seulement de nom, mais en fait ; montrons cette
indépendance quand il s’agit de voter une loi de douane, et ne la faisons pas
de manière que tous les peuples civilisés nous reprochent de nous être mis à la
remorque d’une puissance, dont nous croyons avoir besoin.
J’ai vu, messieurs, dans les
amendements qui ont été adoptés, des tempéraments de nature à satisfaire
quelques hommes, parce que l’intérêt de telle et telle localité s’en trouverait
avantagé ou au moins ne serait pas sacrifié. Je dis parce que telle et telle
localité se trouverait avantagée ou ne se trouverait pas sacrifiée, car c’est
peut-être encore une question de savoir si l’industrie de la bonneterie
gagnerait à l’amendement qui a été adopté, et si le statu quo ne serait pas
plus favorable à cette industrie que ce qui résulterait de l’amendement qui a
été voté. Je laisse cette question indécise ; mais, tout en la laissant
indécise, je voterai contre l’amendement, parce que je le regarde comme étant
de nature à pouvoir peut-être, par l’assentiment des députés des localités qui
seraient avantagées, procurer à la loi, lors du vote définitif, une majorité de
quelques voix, et sacrifier ainsi d’autres intérêts locaux. Voilà, messieurs,
ce que je vous prie de ne pas perdre de vue, car c’est le point culminant de
toute la discussion. Il est bon de savoir qu’au moyen de quelques amendements
qui semblent favoriser certains intérêts, on parvient quelquefois à faire
passer des lois qui en sacrifient beaucoup d’autres.
Pour la draperie, on a adopté
un amendement en vertu duquel la prohibition ne serait levée qu’en 1839 ; eh
bien, messieurs, je vous dirai que j’ai la conviction qu’au lieu de faire
quelque chose pour cette industrie, on a rendu sa position beaucoup plus
défavorable que si l’on n’avait pas introduit dans la loi la disposition dont
il s’agit. Quoi ! vous tenez la massue suspendue sur la tête des fabricants de
draps depuis 1837 jusqu’en 1839, et vous voulez que l’industrie qui ne vit que
de confiance, puisse prospérer dans cet état de choses ! La confiance est avant
tout nécessaire à l’industrie, et vous lui dites qu’en 1839 ses capitaux
n’auront plus d’emploi, ses ouvriers plus de travail ! Dites-moi après cela
quel avantage résulte pour l’industrie drapière de l’amendement dont il s’agit
?
Cette disposition, messieurs,
est une véritable dérision ; elle dit aux fabricants de draps :
Travaillez, prospérez jusqu’en 1839, augmentez vos établissements, mais en 1839
ce sera fini ; alors votre industrie sera arrêtée, alors elle sera frappée de
mort. C’est là ôter entièrement la confiance qui est la base nécessaire de
toute industrie .
On dit que nous devons nous en
rapporter à la bonne foi de la France, que nous avons tout lieu d’espérer qu’il
n’y a pas de doute qu’elle nous fera des concessions. Messieurs, il faut encore
ici consulter l’expérience ; l’Angleterre a tout fait pour la France. et qu’on
me dise ce que la France a fait pour l’Angleterre ? La Suisse laisse entrer
chez elle tous les produits français, et qu’on me dise ce que la France a fait
pour elle ? Peut-être l’Angleterre a-t-elle changé tant soit peu d’opinion,
peut-être commence-t-elle à s’apercevoir, elle qui a eu des idées peut-être
trop libérales sur ce point, qu’elle a été dupe des concessions qu’elle a
faites à la France ; aussi avons-nous vu récemment qu’elle a perçu des droits
sur les marchandises françaises chargées dans des ports anglais et destinées
pour Alger. Est-ce politique ? Est-ce l’arrière-pensée d’en venir là où
l’Angleterre n’a jamais voulu aller ? Je ne déciderai rien à cet égard, mais
toujours est-il que ceux qui ont été assez bénévoles pour faire des concessions
à la France n’ont rien obtenu : l’Angleterre n’a rien obtenu, la Suisse n’a
rien obtenu ; accordez tout et vous n’obtiendrez rien.
Je réduis maintenant la
question à ses véritables éléments : j’ai entendu hier les questions que
l’honorable M. Desmaisières a adressées aux ministres ; j’ai cru qu’à
l’ouverture de la séance ces questions auraient reçu une réponse : cette
réponse sera-t-elle donnée ou ne le sera-t-elle pas ? Je l’ignore. Mais
toujours est-il que ces questions sont d’une haute portée et qu’elles se
rattachent tellement à l’opinion que je viens d’émettre, que je les considère
en quelque sorte comme en étant le résumé. M. Desmaisières demande au ministère
: « Vous prétendez qu’il y a eu une espèce d’arrangement (je ne dis pas un
arrangement formel, car jamais dans un pays constitutionnel il n’en a été
conclu de semblable sans l’assentiment des chambres) ; eh bien, veuillez donner
quelques explications sur les points suivants
« Première question.
Quels sont les divers articles du tarif français, qu’ont eu en vue de faire
modifier les mesures de représailles prises par l’arrêté du 20 août 1825,
converti en loi le 8 janvier 1824 ? »
Ces prémisses, il importe de
les connaître pour fixer ensuite l’opinion sur ce qui doit en être le résultat.
« Deuxième question. Quelles
étaient les modifications demandées au tarif français dans l’intérêt commun de
la Belgique et de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées seulement ou
plus particulièrement dans l’intérêt de la Hollande ? Quelles étaient celles
demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Belgique ?
Quelles sont celles que, relativement à notre position politique, industrielle
et commerciale actuelle, il nous importe le plus d’obtenir ? »
« Troisième question.
Quelles sont les diverses concessions en faveur de la France et les diverses
suppressions de mesures de représailles que le congrès national et la
législature ont décrétées depuis la séparation de la Belgique et de la Hollande
? »
« Quatrième question.
Quels sont les avantages qui résultent pour la Belgique des modifications
apportées au tarif des douanes de France par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ?
Quels sont ceux qui seraient résultés des projets de loi, si la législature ne
les avait pas modifiés ? »
Les lois des 2 et 5 juillet
1836 sont déjà réduites à leur véritable valeur ; ces lois devaient consacrer
les ordonnances d’octobre 1835 ,qui renfermaient l’équivalent de ce qu’on nous
demandait ; il ne fallait pas nous retirer la plupart des avantages que nous
promettaient les ordonnances dont il s’agit, car c’était là les concessions que
la Fronce devait nous faire pour que nous lui en fissions à noire tour.
« Cinquième question. Les
lois françaises des 2 et 5 juillet 1836 ou les projets ministériels de ces
lois, et le projet de loi soumis en ce moment à notre examen, sont-ils le
résultat de négociations établies entre les gouvernements des deux pays ? Y
a-t-il eu des engagements pris de part et d’autre, et de quelle nature
sont-ils, s’il y en a eu ? »
Cela est très rationnel. On
nous avait dit hier que des promesses avaient été faites, que l’honneur
national était engagé, que la Belgique devait tenir sa parole. Mais, messieurs,
la Belgique a un mot à dire par l’organe de ses représentants, et son
gouvernement ne peut traiter, sans y être autorisé. Quoi qu’il en soit, il nous
importe de savoir en quoi toutes ces promesses consistaient.
« Sixième question.
Est-il à la connaissance du ministère que des commissaires français, les uns à
mission ouverte, les autres à mission secrète, sont venus, préalablement à la
présentation des projets de loi des 2 et 5 juillet, recueillir des
renseignements nombreux en Belgique ? Est-il à sa connaissance que depuis le
premier vote émis par nous sur le projet actuel en discussion, il est venu en
Belgique des agents français chargés de l’une ou de l’autre de ces mêmes
missions de la part de leur gouvernement ? »
L’honorable M. Desmaisières
doit à cet égard en savoir un peu plus que nous, et comme dans la circonstance
présente il importe d’avoir des renseignements, je pense que M. Desmaisières a
encore parfaitement bien fait, en posant cette question ; car les réponses
qu’on donnera à cette question sont de nature à nous fournir des lumières
précieuses.
M. Desmaisières a terminé sa
série de questions par celle-ci :
« Le gouvernement belge
a-t-il envoyé, et à quelles époques, des agents chargés de semblables missions
en France ? Dans ce cas, quels sont les renseignements qu’ils ont réussi à
recueillir ? »
Cette
question, messieurs, me semble encore très opportune. On nous a parlé de
négociateurs que le gouvernement belge a envoyés à Paris ; il nous importe de
savoir quels ont été les résultats de leur mission. Je sais bien que quand nous
envoyons des commissaires en France, ils y sont parfaitement reçus, qu’ils sont
fêtés de la manière la plus amicale ; mais quant à des concessions en notre
faveur, ils n’en obtiennent jamais. Et nous irions répondre à un semblable
résultat par des concessions réelles ! Mais, messieurs, la chose est impossible
; et je crois en avoir dit assez pour établir que ce que nous avons de mieux à
faire, c’est de maintenir le statu quo. En cela, je suis d’accord avec
l’honorable M. Rogier. Si nous maintenons le statu quo, on ne pourra nous
adresser aucun reproche, ni de loyauté, ni de manque de parole. Un temps plus
heureux viendra peut-être ; nous attendrons que de nouvelles négociations
soient ouvertes, et qu’elles aient produit quelques résultats ; alors nous
ferons ce que la justice exigera de nous. Mais pour le moment, le maintien du
statu quo doit être notre ligne de conduite, et c’est dans l’intime conviction
qu’il doit en être ainsi, que je voterai le rejet de toute la loi ; je voterai
également contre tous les amendements, pour les motifs que j’ai déjà fait
valoir.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). – Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole, je me
proposais de répondre aux questions qui ont été adressées hier au gouvernement
par l’honorable M. Desmaisières, et en même temps de rencontrer quelques-uns
des arguments de l’honorable préopinant. Je dois dire cependant, que les
questions posées par M. Desmaisières n’ont rien qui doive jeter un jour nouveau
dans cette discussion, attendu que tous les faits essentiels ont déjà été
établis dans la dernière session :
« Première question.
Quels sont les divers articles du tarif français, qu’ont eu en vue de faire
modifier les mesures de représailles prises par l’arrêté du 20 août 1825,
converti en loi le 8 janvier 1824 ? »
A cet égard, je ne puis donner
d’autre réponse que celle-ci : nous ne possédons pas les archives de l’ancien
gouvernement ; nous ne trouvons pas non plus énumérés dans les considérants,
soit de l’arrêté de 1823, soit de la loi de 1824 qui l’a suivi, les motifs
spéciaux qui ont provoqué cette disposition législative. Mais personne n’ignore
que ces mesures ont été prises parce que la France avait adopté un système de
commerce restrictif.
A ce sujet, on aurait pu
adopter une question bien plus importante et demander quels avantages la loi de
1824 avait procurés à la Belgique. Je crois qu’on eût été très embarrassé de
prouver que la Belgique a profité d’une manière quelconque de ces dispositions
prises par le gouvernement des Pays-Bas.
« Deuxième question.
Quelles étaient les modifications demandées au tarif français dans l’intérêt
commun de la Belgique et de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées
seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Hollande ? Quelles
étaient celles demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de
la Belgique ? »
A ces questions ; je dois
encore répondre que nous ne possédons par les anciennes archives, et que, par
conséquent, il nous est impossible de fournir avec certitude les renseignements
demandés. Cependant chacun pourra supposer, avec beaucoup de fondement, que le
gouvernement des Pays-Bas réclamait du gouvernement français l’adoption des
mesures les plus favorables au commerce du pays en général.
« Quelles sont celles que.
relativement à notre position politique, industrielle ou commerciale actuelle,
il nous importe le plus d’obtenir ? »
Ici, messieurs, nous ne sommes
nullement embarrassés pour notre réponse. Nous indiquerons en premier lieu la
levée de la prohibition, ou l’abaissement des droits pour tous les produits
manufacturés en Belgique. Nous indiquerons ensuite l’abaissement des droits sur
les produits de notre agriculture, sur nos fers, etc. Il est évident que si ces
concessions pouvaient être obtenues de la part de la France, il en résulterait
un grand avantage pour la Belgique. Mais là n’est pas la question ; il s’agit
de savoir si la Belgique est à même de répondre, par des compensations
équivalentes. aux dispositions que la France prendrait à cet égard en notre
faveur.
« Troisième question. Quelles sont les diverses concessions en
faveur de la France et les diverses suppressions de mesures de représailles que
le congrès national et la législature ont décrétées depuis la séparation de la
Belgique et de la Hollande. »
A cet égard, messieurs, je
puis m’en rapporter au discours que j’ai prononcé dans la séance du 22 avril
dernier ; je disais alors :
« L’on a parlé, dans le rapport de la section centrale, de la
suppression de la différence de la patente à l’égard des bateliers charbonniers
; mais, messieurs, cette suppression a été également faite dans notre intérêt,
pour augmenter la concurrence pour l’exportation des charbons.
« On a parlé d’une loi qui a laissé introduire certaines qualités
de charbon français ; mais dans quel but cette loi a-t-elle été portée ?
Evidemment dans l’intérêt de nos chaufourniers. Les modifications apportées à
notre tarif, quant à l’introduction des vins de France qui en ont permis
l’entrée par terre, ces modifications étaient dans l’intérêt du consommateur
belge et de nos rouliers. Il n’y avait pas de motifs plausibles pour priver
plusieurs de nos provinces du commerce direct avec la France et de les obliger
de recevoir cette denrée par l’un de nos ports. C’est une des considérations
qui ont déterminé à retirer cette disposition, tout en admettant qu’on ait eu
en vue de faire une chose qui fût agréable à la France et de nature à obtenir
une réciprocité de sa part. »
« Quatrième question.
Quels sont les avantages qui résultent pour la Belgique des modifications apportées
au tarif des douanes de France par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ? Quels
sont ceux qui seraient résultés des projets de loi, si la législature ne les
avait pas modifiés ? »
Cette question est double.
Quant au premier point : quels sont les avantages qui résultent pour la
Belgique des modifications apportées au tarif des douanes de la France par les
lois des 2 et 5 juillet 1836 ? il a été répondu au moyen de l’imprimé que nous
avons communiqué à la chambre, il contient les diverses modifications apportées
par les lois nouvelles au tarif ancien. Voilà, messieurs, pour le point
législatif. Quant au point de fait, il est évident que les exportations vers la
France ont considérablement augmenté, depuis les ordonnances du mois de
décembre 1835, converties en loi au mois de juillet 1836.
On a demandé quels avantages
seraient résultés pour nous, si le projet de loi avait été adopté par les
chambres françaises, tel qu’il leur avait été soumis par le gouvernement.
Chacun de vous, messieurs, a
pu consulter le projet de loi qui a été imprimé dans le Moniteur, et en faire la comparaison avec la loi qui a été adoptée.
Cependant, pour éviter des recherches, j’indiquerai succinctement ces
modifications.
Une première modification, et
c’est la plus importante, a été apportée dans la classification des toiles.
Mais ici je dois à la vérité de déclarer à la chambre que l’adoption de la
proposition du gouvernement était en grande partie subordonnée à la condition
qu’on administrerait la preuve que le tarif, tel qu’il existait en France,
produisait par son application des droits supérieurs à ceux qu’on avait
réellement eu en vue d’établir. Or, cette justification n’a pu être faite au
gré des chambres françaises, et dès lors le gouvernement français a été dans
l’impossibilité d’obtenir sur ce point un entier assentiment à son projet.
Les autres modifications sont
au nombre de sept ; je les indiquerai succinctement.
Le projet portait : Tissus
croisés en coutils pour vêtements 200 fr. les
Le droit sur le linge de
table, ouvragé et écru, avait été proposé à 125 fr. ; il a été porté à 150 ; il
y a donc ici augmentation d’un cinquième.
Le droit proposé sur le linge
de table était du 250, il a été porté à 300 fr. Majoration d’un cinquième.
Mais en revanche le droit de
300 fr. proposé pour le linge de table damassé sans distinction de blanc ou
d’écru, a subi une réduction de 150 fr. ; c’est-à-dire de moitié sur le linge
écru.
Le droit de 10 fr. proposé sur
les poulains a été porté à 15 fr.
Le droit de 50 fr. proposé sur
les peaux tannées pour semelles, a été porté à 75 fr.
Sur les chapeaux de feutre, il
y a eu une modification, en faveur du commerce belge ; le droit de 1 fr. 50
proposé pour les qualités communes a été étendu aux qualités fines au lieu du
droit de 6 fr. dont le gouvernement voulait les laisser grevées.
Telles sont les modifications
qui ont été faites au projet. J’oubliais cependant de mentionner que dans son
projet de loi le gouvernement a étendu la ligne pour l’introduction de la fonte
et du fer au moindre droit beaucoup au-delà de ce que son commissaire avait cru
pouvoir promettre, et que cet article du projet a été adopté.
« Cinquième question. Les
lois françaises des 2 et 5 juillet 1836 ou les projets ministériels de ces
lois, et le projet de loi soumis en ce moment à notre examen, sont-ils le
résultat de négociations établies entre les gouvernements des deux pays ? Y
a-t-il eu des engagements pris de part et d’autre, et de quelle nature
sont-ils, s’il y en a eu ? »
Ici je dois de nouveau donner
lecture d’une partie du discours que j’ai prononcé le 2 avril dernier, où se
trouve la réponse la plus complète à cette question :
« Quelques orateurs ont désiré d’obtenir des explications sur les
négociations qui, selon eux, auraient eu lieu avec la France dans le but de
conclure un traité de commerce ; je crois, messieurs, devoir déclarer qu’il n’a
jamais été question de négocier un traité de commerce avec la France ; il y a
eu uniquement des conférences qui avaient pour but d’engager la France à
apporter certaines modifications à son tarif de douanes, comme de son côté la
France en a réclamés de la Belgique dès le principe de notre révolution. Ces
conférences ont été d’abord officieuses ; on a recueilli au préalable tous les
renseignements ; dès la fin de 1831 il a été institué un grand comité chargé
d’éclairer le gouvernement sur la direction à donner aux réclamations qu’il
aurait à faire auprès des pays étrangers ; des commissaires ont été nommés ;
ils se sont empressés de recueillir également dans leurs localités tous les
renseignements qui pouvaient les guider dans les négociations.
« En 1834, les négociations devinrent officielles ; le gouvernement
français nomma des commissaires, et le gouvernement belge en nomma de son côté
; les négociations furent interrompues par suite d’un changement de ministère
en France, mais elles furent reprises officieusement à Bruxelles ; c’est par
suite de ces conférences que des ordonnances ont paru en France, et que des
projets de loi ont été présenté aux chambres, tant en France qu’en Belgique.
Nous n’avons jamais pensé qu’il pût être sérieusement question de négocier un
traité de commerce qui portât sur l’ensemble des intérêts des deux pays, et
qui, par sa nature de traité, eût été obligatoire ; nous avons cru que chaque
pays devait demeurer libre dans la fixation de son tarif de douanes comme dans
les modifications qu’il croirait devoir y apporter ; nous avons atteint le même
but en présentant simultanément des projets de lois qui accordent des
concessions réciproques et à peu près équivalentes. J’aborderai successivement
les diverses objections qui ont été présentées contre le projet que par suite
de ce système nous vous avons soumis. »
« Sixième question.
Est-il à la connaissance du ministère que des commissaires français, les uns à
mission ouverte, les autres à mission secrète, sont venus, préalablement à la
présentation des projets de loi des 2 et 5 juillet, recueillir des
renseignements nombreux en Belgique ? »
En effet il est venu des
commissaires français dans le pays, personne ne l’ignore. Ce fait a été signalé
dans la dernière discussion, et tous les journaux l’ont annoncé au public.
« Est-il à sa connaissance
que depuis le premier vote émis par nous sur le projet actuel en discussion, il
est venu en Belgique des agents français chargés de l’une ou de l’autre de ces
mêmes missions de la part de leur gouvernement ? »
Je dois dire qu’il n’est pas
ma connaissance qu’aucun commissaire soit venu dans le courant de cette année à
l’occasion du projet de loi que nous discutons. Je pense que si un agent du
gouvernement français est venu, ce n’est pas à propos des points qui sont en
discussion.
« Septième question. Le
gouvernement belge a-t-il envoyé, et à quelles époques, des agents chargés de
semblables missions en France ? Dans ce cas, quels sont les renseignements
qu’ils ont réussi à recueillir ? »
(Erratum inséré dans le Moniteur n°295, du 22 octobre 1837) Je
répondrai qu’en France il y a eu une enquête commerciale qui a été imprimée et
que nous avons eu le soin d’examiner, que les commissaires belges se trouvaient
à Paris au moment de l’enquête, et qu’ils ont pu recueillir les renseignements
dont ils avaient besoin. J’ajourerai que les principaux points en discussion,
ne devaient nullement dépendre d’un enquête. Je le prouverai.
En effet, messieurs, il est
évident en ce qui concerne l’article actuellement en discussion, la bonneterie,
que le droit de 20 p. c. n’était pas perçu à la frontière française, que
l’importation se faisait en fraude, et l’opinion du gouvernement à cet égard
n’a pas été démentie dans cette enceinte ; au contraire, elle a été confirmée
par des faits, puisqu’hier un député a annoncé qu’il tenait en main une facture
dont il constait qu’on s’engageait à importer des articles bonneterie moyennant
une prime de 15 p. c. sans aucun risque pour le négociant belge.
Pour ce qui concerne la
draperie, il était bien inutile de faire une enquête en France, pour savoir
quel serait le résultat de la levée de la prohibition en Belgique.
L’honorable M. Devaux, dans la
séance du 2 mai dernier, a rappelé à la chambre des faits et des documents
d’une grande importance qui se rattachent au point en discussion. Qu’il me soit
permis de vous les indiquer en peu de mots. Après avoir rapporté l’opinion de
tous les députés de Verviers sur l’inutilité de la prohibition des draps
français, pour soutenir leur industrie, il a cité l’opinion de la chambre de
commerce de Verviers sur la question de savoir s’il fallait adopter la
prohibition des cotons français en représailles de la prohibition des cotons
belges.
Voici ce que disait la chambre
de commerce de Verviers : (Addendum
inséré dans le Moniteur n°295, du 22 octobre 1837) « Voici donc ce qu’en 1835, époque où en quelque sorte
elle avait plus de liberté d’exprimer son opinion entière sur la prohibition
des draps français, la chambre de commerce de Verviers en pensait. Voici les
faits qu’elle signalait. On peut changer de principes tant qu’on voudra, on ne
peut pas changer des faits :
« Notre
industrie a besoin de débouchés ; nous demandons à la France des concessions,
notamment la réduction du droit d’entrée sur nos toiles ; comment pourrons-nous
espérer de réussir, si, par des mesures prohibitives, nous autorisons nos
voisins à se montrer rigoureux envers nous ? D’ailleurs la législature
serait-elle disposée à voter une loi dont l’exécution nécessiterait les visites
domiciliaires ? Nous ne le pensons pas ; or, sans la saisie à domicile des
marchandises non revêtues d’une marque constatant qu’elles sont d’origine
indigène, la prohibition est illusoire. N’en avons-nous pas la preuve avec les
draps de France, qui, quoique prohibés, se trouvent dans tous les magasins de la
Belgique ? Les draps n’étant soumis à aucune formalité pour constater leur
origine, les fabricants français peuvent, sans le moindre obstacle, introduire
leurs draps chez nous par la frontière maritime, ou par la frontière
d’Allemagne, en les faisant passer pour des draps allemands ou anglais, et en
acquittant le droit d’entrée qui équivaut à 5 p. c. environ en terme moyen. Il
n’est pas même nécessaire de s’y prendre de cette manière ; car la fraude est
si bien organisée sur la frontière de France, que la prime de fraude ne
surpasse pas le droit ci-dessus. »
Dès lors avons-nous besoin
d’instituer une enquête, pour proposer la levée d’une prohibition aussi
illusoire ? N’était-il pas plus dans l’intérêt du pays d’accepter les
concessions que la France nous faisait, en nous relâchant des mesures
restrictives contre la France et dont notre pays ne profitait pas.
Le gouvernement, en agissant
de cette manière, n’a fait que répondre aux vœux manifestés cent fois dans le
sein de la législature avant que le projet de loi dont il s’agit ne fut
présenté.
Messieurs, le système de
droits élevés et de prohibition me semblait avoir été irrévocablement jugé en
1835 par la chambre des représentants ; je ne supposais pas qu’il serait de
nouveau mis en avant, après l’échec qu’il avait éprouvé. Et dans quelles
circonstances avait-il éprouvé cet échec : quand l’industrie cotonnière jetait
les hauts cris et ne cessait d’importuner le gouvernement et la législature,
usant du dernier des moyens, en faisant signer des pétitions par les ouvriers.
Vous vous rappelez que des pétitions sont arrivées dans cette chambre,
couvertes de milliers de signatures.
On n’annonçait que malheurs
dans la classe ouvrière, ruine parmi les capitalistes. La chambre a été sourde
à ces clameurs, elle a discuté les raisons ; elle a vu que la prohibition était
impossible en Belgique, à moins d’établir la seule garantie de la prohibition,
la recherche à l’intérieur. La chambre n’a pas voulu d’un moyen aussi
vexatoire, aussi antipathique à nos habitudes et qui aurait exigé un
renforcement de douanes dont la dépense aurait surpassé les bénéfices qui en
seraient résultés pour notre industrie. Eh bien, forts de la résolution de la
chambre, forts des raisons données par plusieurs membres qui sont aujourd’hui
nos adversaires (car si l’on se réfère à la discussion de 1835, on verra que
plusieurs orateurs qui sont aujourd’hui partisans de la prohibition et des
droits élevés, combattaient alors la prohibition et les mesures vexatoires qui
en sont la conséquence), nous avons suivi vos principes dans le projet que nous
avons présenté et qui est essentiellement dans les intérêts de la Belgique ;
pouvions-nous dès lors nous attendre à être accusés de négliger les intérêts du
pays ?
Je le déclare, la Belgique n’a
pas d’intérêt commercial plus pressant que de persister dans la voie où elle a
voulu entrer dès les premiers temps de la révolution à l’égard de la France, et
le plus grand danger à redouter pour la Belgique serait que le projet de loi
ayant été repoussé, la législature de France revînt sur la loi qu’elle a portée
et qu’alors nous fussions dans la même position où nous nous sommes trouvés
sous le gouvernement des Pays-Bas. Je me demande quels adoucissements au tarif
français a obtenus le gouvernement des Pays-Bas après son arrêté de 1823 et la
loi de 1824 ? Quels ont été les succès des négociations tentées depuis par ce
gouvernement ?
Je pense qu’il est démontré
que le projet de loi a été librement rédigé, et qu’il a été présenté par le
gouvernement belge à l’abri toute influence étrangère.
Nous avons été les premiers à
recourir à la France pour obtenir des avantages commerciaux ; la France nous en
a accordé ; nous ne devons pas déserter nos premières démarches.
Je reviens à l’article actuellement
en discussion, et je crois qu’il me sera très facile de prouver que la
disposition proposée ne porte nullement atteinte à l’industrie du tricot ; mais
je réserve cette démonstration pour la discussion spéciale qui aura lieu sur ce
point. Je me bornerai à dire un mot sur la tarification au poids, à l’appui de
ce que j’ai dit hier, puisque c’est le seul point maintenant en discussion.
Si la perception au poids est
utile dans certaines circonstances, c’est lorsqu’il s’agit de marchandises où
il n’y a pas une très grande variété de qualités et de poids. Mais dans la
bonneterie, dans les bas, il y a une très grande variété ; on devrait établir
autant de droits différents. Dès lors il est facile de comprendre que tout
commerce deviendrait impossible. D’ailleurs, la mode amène tous les ans quelque
nouvelle qualité d’objets fabriqués ; il faudrait donc chaque année ajouter un
article nouveau au tarif pour atteindre ces nouveaux objets. Le système à la
valeur, au contraire, s’applique à toutes les variétés, à toutes les
circonstances ; on ne peut donc soutenir qu’il faille préférer le droit au
poids renfermant une injustice flagrante et frappant le pauvre à l’avantage du
riche, au système de la tarification à la valeur.
- La séance est levée à 4
heures et demie.