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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 24 octobre
1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Proposition de loi tendant à augmenter les
traitements des membres de l’ordre judiciaire (Verhaegen,
A. Rodenbach, Desmanet de Biesme,
Verhaegen, A. Rodenbach, Desmanet de Biesme, (+personnel du tribunal de Charleroy)
(Gendebien, Ernst, Pirson, Seron, Gendebien,
Ernst, Gendebien, Pirson, Gendebien, Ernst), Verhaegen, de Langhe)
3) Projet
de loi portant des modifications au tarif des douanes. (Politique commerciale du
gouvernement et négociations commerciales avec la France) Second vote. Bas et bonneteries
(coton, laine ou lin) ((+arrêtés de 1823) Pirson, Trentesaux, Desmaisières, Dubus (aîné), Rogier, A. Rodenbach, d’Huart, Coghen, Gendebien, de Theux, Gendebien, d’Huart, de Theux, Rogier, Dubus (aîné), Desmet, de Theux, Verdussen, Dubus (aîné), d’Huart)
(Moniteur belge
n°298, du 25 octobre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier
dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Adam
(H.-P.-L.), inspecteur au département des finances, fait hommage à la chambre
de son Essai sur la perception des droits de douanes et d’accises. »
- Dépôt à la bibliothèque.
_______________
« Le sieur Bosch (A.) fait
également hommage à la chambre de son ouvrage sur le droit pénal et la
discipline militaires.
Dépôt à la bibliothèque.
M. le président. - L’ordre du jour appelle en premier lieu les
développements de la proposition de M.
Verhaegen.
(Cette proposition et ces
développements ne nous ont pas été communiqués.)
- La proposition est appuyée.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, l’honorable préopinant vient de
développer avec talent sa proposition tendant à augmenter d’un tiers les
traitements des membres de l’ordre judiciaire dans la capitale, et d’un quart
dans les provinces. Je dois m’opposer à la prise en considération de cette
proposition, parce qu’elle me paraît tout à fait inopportune dans ce moment. En
effet, lorsque nous sommes à la veille de discuter un budget qui demande de
nouveaux millions, le moment est-il bien choisi pour venir proposer une
nouvelle augmentation ?
Si cette proposition venait à
être accueillie par la chambre, il surgirait une foule de demandes de l’ordre
civil ; ainsi nous aurions des réclamations des gouverneurs, des commissaires
de district et des percepteurs de contributions, qui depuis la révolution ont
déjà subi une diminution de leurs traitements. Ils viendront vous dire :
Comment ! vous avez diminué nos traitements, depuis vous avez augmenté ceux des
membres de l’ordre judiciaire, et vous voulez encore les augmenter ! Mais c’est
là une injustice.
Le budget de 1838 est déjà de
96 millions ; avec cette tendance aux augmentations, il s’élèvera bientôt à 100
millions. Songez messieurs, que nous devrons probablement augmenter la somme de
nos sacrifices, si nous venons plus tard à conclure un traité avec les
Hollandais. Loin donc de penser à augmenter le poids de nos charges, nous
devons en contraire entrer dans un système d’économies sérieuses.
D’après ces motifs qu’un grand
nombre de mes collègues apprécieront sans doute comme moi, je voterai contre la
prise en considération de la proposition de M. Verhaegen.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, je ne viens pas m’opposer à la prise en
considération de la proposition, parce que, quelle que soit l’opinion que l’on
puisse avoir sur le fond, je trouve que les égards que nous devons à l’ordre
judiciaire exigent qu’une proposition qui le concerne soit prise en
considération. Je ne veux donc pas traiter le fond de la question. Je vous
avoue cependant que c’est toujours avec peine que je vois des membres proposer
des augmentations au budget, parce que je pense qu’en principe les
augmentations doivent être proposées par les ministres, qui connaissent les
besoins de leurs départements. C’est ainsi que l’année dernière, à l’occasion
de la discussion du budget de la guerre, deux membres de la chambre sont venus
proposer des augmentations, l’un pour les sous-officiers, et l’autre pour
l’état-major de l’armée. M. le ministre naturellement a accepté ces majorations
comme je suppose que M. le ministre de la justice accepterait celle qui est
proposée en ce moment.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Très volontiers !
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, je pense qu’avant de songer à augmenter
les traitements de l’ordre judiciaire, il y a quelque chose de plus urgent à
faire, c’est de prendre des mesures pour que prompte justice puisse être
obtenue. En ce moment, il y a des tribunaux où l’on ne peut obtenir justice, vu
l’insuffisance du personnel. Vous vous rappelez, entre autres, messieurs, que
déjà depuis longtemps les députés de Charleroy et l’honorable M. Gendebien ont
signalé l’insuffisance du tribunal de cette ville. Le nombre des causes
arriérées dans ce tribunal augmente tous les ans, parce que le district de
Charleroy se couvre de fabriques de jour en jour, et que c’est un pays où les
propriétés sont singulièrement morcelées. Des personnes à même de le savoir
m’ont dit qu’une cause portée au tribunal de Charleroy devait rester cinq ans
avant qu’elle pût être jugée.
Comme la chambre est saisie
depuis longtemps d’un projet de loi à cet égard, je désirerais qu’avant de
s’occuper de l’augmentation des traitements, on songeât à compléter le
personnel de ceux des tribunaux dont le personnel actuel ne peut évidemment
suffire aux causes pendantes.
M. Verhaegen. - Messieurs, c’est avec peine que j’ai entendu dire
que parce que le budget contient des augmentations notables dans les dépenses,
il faut négliger ce qui est juste, et ce qui est dans l’intérêt de la
magistrature, qui depuis longtemps a élevé des plaintes et qui a raison d’en
élever. C’est également avec peine que j’ai entendu d’autre part un honorable
membre vous dire qu’une pareille proposition ne devait se faire que par les
ministres, et qu’au lieu de donner des augmentations aux tribunaux, il faudrait
les rappeler à leur devoir, parce que dans certaines localités il était
impossible d’obtenir justice...
M. Desmanet de Biesme. - Je n’ai pas dit cela ! J’ai dit que l’insuffisance
du personnel dans certains tribunaux empêchait que prompte justice fût rendue.
M. Verhaegen. - Oui, oui, c’est ainsi que je vous ai compris.
Messieurs, je répondrai à M.
Rodenbach que ce n’est pas une raison, parce que le budget renferme des
augmentations de dépenses, de ne pas rendre justice à celui à qui justice est
due.
Comme j’ai déjà eu l’honneur
de le dire, et vos sections à cet égard en rendront compte aux sections
centrales, plusieurs économies ont été reconnues possibles, et la somme qui
fait l’objet de ma proposition n’occasionnera aucune majoration dans les
dépenses.
Messieurs, la magistrature
doit certainement se trouver dans une position indépendante, c’est là le
principe qui est la base de tout mon système ; car, qu’on ne m’attribue pas
d’autres intentions que celles qui sont puisées dans la constitution même. En
faisant ma proposition, je n’ai en en vue que de faire luire dans tout son jour
l’indépendance de la magistrature. L’inamovibilité des magistrats qui est
écrite dans notre constitution n’est rien, si à cette inamovibilité on n’ajoute
pas une majoration de traitement qui mette ces magistrats au-dessus du besoin ;
car, sans cela, ils sont conservés dans la dépendance du pouvoir, et la
constitution qui consacre l’indépendance des juges, n’est plus alors qu’une
lettre morte.
Tel a donc été mon but,
messieurs ; je n’ai été mu, en faisant ma proposition, par aucun esprit de
camaraderie ou d’engouement pour la magistrature ; je n’ai voulu que faire
sanctionner un principe écrit dans la constitution.
Comme j’en ai fait
l’observation dans mes développements, nous avons vu naguère des magistrats
répudier leur indépendance, pour avoir une augmentation de traitement.
Il est désolant de voir la
magistrature placée dans une pareille position ; et cependant pourrait-on faire
un crime à un juge de Bruxelles, qui a une femme et une nombreuse famille à
entretenir et qui n’a qu’un traitement de 3,200 francs, pourrait-on lui faire
un crime, dis-je, de chercher à quitter une position indépendante et peu
lucrative pour en occuper une autre plus dépendante, il est vrai, mais plus
avantageuse sous le rapport pécuniaire ? Ces désertions dans l’ordre judiciaire
continueront aussi longtemps que la position de la magistrature n’aura pas été
améliorée.
L’on vous dit, messieurs,
qu’il ne faut pas augmenter les dépenses, parce que nous sommes encore dans une
position à peu près semblable à celle où nous étions immédiatement après la
révolution. « Il faudra, vous a dit M. Rodenbach, faire plus tard de nouveaux
sacrifices, et où tout cela nous mènera-t-il ? A-t-il ajouté ; je suis effrayé
de la tendance que l’on manifeste pour les augmentations. »
Messieurs, à Dieu ne plaise
que nous proposions des augmentations qui seraient de nature à produire les
résultats que semble craindre M. Rodenbach ! mais justice avant tout. La
position de la magistrature avant la révolution était meilleure qu’elle ne
l’est depuis les événements de 1830 ; les conseillers étaient dans une
condition plus favorable qu’elle ne l’est aujourd’hui ; et peut-on soutenir
sérieusement qu’un conseiller, avec un traitement de 5,000 francs par an, peut
garder honorablement son rang ?
Le budget renferme des sommes
considérables pour frais de représentation, mais ce n’est pas pour la
magistrature. Il semble que la magistrature doive être abandonnée à elle-même,
elle qui pourtant constitue pourtant un des pouvoirs indépendants de l’Etat ;
l’on favorise des fractions d’autres pouvoirs ; et un pouvoir indépendant par
lui-même, on le néglige ; on veut qu’un conseiller à Bruxelles soutienne la
dignité de sa position avec un traitement de 5,000 fr., et l’on veut qu’on
obtienne justice et prompte justice !
Sans vouloir signaler aucune
localité spéciale, je dirai que peut-être un certain découragement a gagné la
magistrature ; et ce découragement s’explique lorsqu’on voit que la justice est
constamment oubliée, et que des occupations nombreuses ne cessent d’accabler
les magistrats qui n’ont, pour le prix de leurs services, qu’un traitement
insuffisant. Peut-être que nous-mêmes, si nous étions placés dans les mêmes
positions, nous serions frappés du même découragement qui se fait sentir
aujourd’hui dans la magistrature.
Si
vous voulez, messieurs, que bonne et prompte justice soit faite, proportionnez
le traitement aux peines qu’on se donne ; que les magistrats soient placés dans
la position à laquelle ils ont droit comme pouvoir indépendant ; qu’ils soient
mis au-dessus de tout besoin et de tout soupçon, voilà l’intérêt des
justiciables ; que la magistrature puisse enfin soutenir dignement le rang que
lui assigne sa position, voilà ce que réclament les convenances.
Qu’on fasse des économies,
rien de mieux. On vous dit que le budget renferme des allocations
considérables, cela est vrai ; tous, nous avons eu occasion de l’examiner dans
les sections, et nous nous en expliquerons plus tard. Mais maintenant qu’il
s’agit de faire ce que la nécessité commande, on vient vous parler comme s’il
était question ici d’une somme considérable ; on vient dire que nous allons
aggraver notre position. Non, non, notre position ne sera pas aggravée, le budget
ne sera pas gonflé de nouvelles charges ; les économies qu’il sera possible de
faire dépasseront de beaucoup la somme de 500 mille francs qui fait l’objet de
ma proposition.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je répondrai d’abord à l’honorable préopinant qu’il ne
peut pas ainsi décider par anticipation que le budget ne sera pas augmenté ;
pour ma part je pense qu’il subira une augmentation. Quant à la proposition de
l’honorable préopinant je répète ce que j’ai déjà dit : c’est que le moment de
sa présentation est inopportun. Quant à la manière dont les magistrats peuvent
remplir leurs devoirs, je ne pense pas qu’elle soit subordonnée au taux plus ou
moins élevé de leurs traitements. J’ai trop haute opinion de notre magistrature,
pour croire qu’elle remplira mieux ses devoirs, si les traitements qui lui sont
alloués viennent à être augmentés de 25 p. c.
M. Desmanet de Biesme. - J’aime à croire qu’il ne reste pas le moindre
doute sur le sens des paroles que j’ai prononcées tout à l’heure ; je n’ai pas
dit que les juges manquent à leurs devoirs. (Non ! non !) Je tiens, messieurs, à ce que ma pensée soit
parfaitement comprise.
M. Gendebien. - Convaincu que la chambre n’hésitera pas à prendre
en considération la proposition de M. Verdussen, ce n’est pas sur ce point que
je me propose de parler ; je me réserve de l’appuyer quand on la discutera à
son retour des sections : Je dois appuyer les observations de M. Desmanet de
Biesme, an sujet du tribunal de Charleroy.
Depuis cinq ans on réclame une
augmentation du personnel du tribunal de Charleroy ; depuis cinq ans la preuve
est acquise que le personnel actuel est insuffisant ; depuis cinq ans on ne
cesse de répéter chaque année qu’il est absurde de prétendre faire juger les
affaires de l’arrondissement de Charleroy avec le même nombre de juges qu’il y
a 40 ans, par la raison que les affaires ont plus que décuplé, depuis 40 ans,
en nombre et en importance.
J’avais
été compris par le précédent ministre de la justice qui avait reconnu la
nécessité la plus absolue de venir au secours de la justice et des justiciables
de Charleroy. Vous savez après quels détours infinis on est parvenu à écarter
cette proposition si simple. On veut, dit-on, des statistiques ! Mais la
statistique du tribunal de Charleroy est toute faite ; il n’est pas besoin
d’instruction nouvelle pour un arrondissement où, de l’aveu de tous ceux qui
prendront la peine de parcourir cet arrondissement, les affaires ont décuplé en
nombre et en importance depuis 40 ans. Cependant le tribunal de cet
arrondissement est toujours le même.
J’ai été à Charleroy depuis la
séparation de la chambre et j’ai eu occasion de m’y entretenir de cet objet.
L’arriéré est tel qu’en nommant une seconde chambre et en n’admettant ce qu’on
ne peut pas méconnaître, que les juges feront leur devoir, ce n’est pas dans
cinq ans qu’ils pourront avoir évacué l’arriéré ; il faudra une chambre
supplémentaire pour que les justiciables puissent obtenir jusque dans les
délais prescrits par le code.
J’espère que le ministre de la
justice d’ici à la discussion de son budget, nous fera une proposition ou nous
donnera de bonnes raisons pour ne pas augmenter le personnel du tribunal de
Charleroy ; sinon, je repousserai son budget.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Personne ne s’oppose à la
prise en considération de la proposition du député de Bruxelles. Le gouvernement
a déjà eu l’occasion de s’expliquer sur les traitements des fonctionnaires de
l’ordre judiciaire, et il s’expliquera encore sur le fond et sur la forme de la
proposition, quand la chambre sera saisie du rapport de la section centrale.
Je dois répondre à l’honorable
préopinant qui vient de dire qu’il repousserait mon budget si avant cette
époque je n’avais pas fait de proposition et ne m’étais pas expliqué sur la
demande d’augmentation de personnel du tribunal de Charleroy. Il peut être
assuré qu’avant cette époque je ferai un rapport à la chambre. Je n’aurai pas
de proposition à faire ; car, il y a près de trois ans, j’ai proposé un moyen
de débarrasser le tribunal de Charleroy de l’arriéré dont il est surchargé. Le
rapport sur cette proposition n’est pas encore fait.
Depuis, une proposition a été déposée par un honorable
membre, à l’effet d’augmenter définitivement le personnel du tribunal de
Charleroy. La commission chargée de l’examiner n’a pas cru, malgré tout ce qui
avait été dit au nom de ce tribunal, qu’il y eût lieu de se prononcer
immédiatement. Cette commission a pensé ainsi que la chambre qu’il convenait
d’attendre une statistique judiciaire du pays. Ce travail est maintenant
terminé, il pourra être soumis à la chambre dans peu de jours. Alors la section
centrale pourra faire son rapport sur la proposition dont elle est saisie.
Vous n’avez pas d’autre
proposition à recevoir, messieurs, que le projet présenté par le gouvernement,
et la proposition qui vous a été soumise par un honorable membre. Vous
déciderez en connaissance de cause s’il y a lieu d’augmenter le personnel du
tribunal de Charleroy ou de prendre une mesure temporaire.
M. Pirson. - Messieurs, depuis quatre ans les justiciables de
Dinant ont demandé une augmentation de personnel de leur tribunal.
M. Seron. - Et Philippeville demande un tribunal.
M. Pirson. - Un tableau de l’arriéré des causes est remis tous
les ans au ministre de la justice. Il est indispensable qu’on se décide
promptement sur la proposition d’augmenter le personnel du tribunal de Dinant,
ou de créer un tribunal à Philippeville.
Je ne m’opposerai pas à la
prise en considération de la proposition de M. Verhaegen, quoique dans mon opinion
elle ne doive pas être admise dans sa généralité. Mais ce n’est pas le moment
de l’examiner en détail, ce sera quand la chambre sera saisie du rapport qu’il
y aura lieu de le faire.
M. Gendebien. - M. le ministre de la justice a annoncé qu’il
remettrait à la chambre le travail sur la statistique judiciaire. Il y a trois
ans qu’on nous le promet ; j’espère qu’il nous le remettra à temps pour que
nous puissions obtenir une solution avant la discussion de son budget.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il n’y a pas trois ans que j’ai ce travail à ma
disposition, il vient seulement d’être terminé ; je n’ai pas pu le livrer jusqu’à
présent ; il n’y a même pas trois ans qu’il est commencé ; et il y a ici des
membres de l’ordre judiciaire qui peuvent dire si on y a mis ou non de
l’activité.
Je prie l’honorable membre
d’attendre que le travail dont il s’agit ait été soumis à la chambre avant de
juger s’il était possible de le faire en moins de temps. Il est facile de
parler d’un document qu’on ne connaît pas, et de prétendre qu’on aurait dû le
présenter il y a trois ans, quand on ne sait pas de quelle nature sont les
travaux auxquels il est nécessaire de se livrer.
M. Gendebien. - Je n’ai pas dit que vous auriez dû nous livrer ce
travail depuis trois ans, mais que vous nous le promettiez depuis trois ans. Il
me semble qu’en trois ans on a eu plus que le temps nécessaire pour faire un
pareil travail.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Il n’y a pas trois ans que
la chambre est saisie de la proposition à propos de laquelle ce travail a été
entrepris.
M. Pirson. - Je l’ai déposée en février 1835.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - C’est après cela que la
commission s’est adressée au ministre de la justice : c’est après que des
renseignements m’ont été demandés que j’ai commencé le travail statistique, et
il a été suivi sans interruption. Il était impossible de le terminer plus tôt
qu’il ne l’a été.
M. Gendebien. - Pour prouver combien le ministre est dans l’erreur
je rappellerai que j’avais fait la proposition d’augmenter le personnel du
tribunal de Charleroy, sous le ministère de M. Lebeau, vers la fin de son
ministère. Il a dit alors, que comme homme, il était convaincu de la nécessité
de cette augmentation, mais que, comme ministre, il ne pouvait pas l’être ;
qu’il prendrait des renseignements.
Ainsi c’est avant l’arrivée du
ministre actuel de la justice que la proposition a été faite, et j’avais raison
de dire que depuis trois ans on nous promettait des renseignements.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Je ne voulais pas parler
de ce qui s’est passé avant mon arrivée au ministère, car ce que je rends
hommage à la conduite de mon prédécesseur ; je ne voulais pas toucher cette
corde.
J’ai déclaré que l’instruction
de cette affaire n’était pas commencée lors de mon arrivée au ministère.
M. Gendebien. - Je ne dis pas le contraire.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Vous dites le contraire !
M. Gendebien. - Je n’ai pas dit cela !
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Vous avez dit le
contraire, et je ne permettrai pas…
M. Gendebien. - Je n’ai que faire de votre permission.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Il vous est facile de
toujours revenir sur ce point ; mais il m’est plus facile de me défendre.
Il était nécessaire de faire la
statistique judiciaire du pays, elle avait été demandée par la chambre. Il ne
s’agissait pas seulement de la demande de Charleroy, mais encore de Dinant, de
Philippeville, de Tournay.
La chambre a voulu un travail général
pour connaître l’état des affaires dans les divers tribunaux. Je répète que dès
que la chambre, saisie par la section centrale, a demandé l’enquête, je m’en
suis occupé. Ce n’est pas en deux ou trois mois qu’une enquête semblable
pouvait se faire. J’ai dit à l’honorable membre de venir visiter mes bureaux ;
s’il y était venu, il aurait vu les masses de papiers, de pièces qu’il fallait
consulter pour faire ce travail. J’en appelle à cette assemblée ; quand le
travail lui sera remis, elle jugera s’il comportait le temps qu’on y a employé.
M. Gendebien. - On dénature mes paroles ; c’est un moyen facile de
se faire une position sur laquelle on puisse se défendre.
Je n’ai pas dit que le
précédent ministre de la justice avait commencé le travail dont il s’agit. J’ai
dit, en rappelant ses paroles, que, comme homme, il était convaincu de la
nécessité de l’augmentation du personnel du tribunal de Charleroy, mais que,
comme ministre, il ne l’était pas et devait se livrer à un travail, prendre des
informations. J’ai dit que par conséquent il avait été question de ce travail
avant l’arrivée du ministre actuel. J’ai reconnu la nécessité de ce travail,
parce qu’un ministre doit agir avec prudence. Mais je me plains de la lenteur
qu’on a mise faire ce travail. Si vous vouliez faire une statistique générale
des affaires judiciaires, il fallait plus de trois mois sans doute ; mais pour
le tribunal de Charleroy il ne fallait pas trois mois pour savoir à quoi s’en
tenir. Il ne fallait pas quinze jours, il fallait simplement demander l’état
des causes inscrites au tribunal de Charleroy, et avoir tant soit peu de
perspicacité, pour se convaincre que depuis 40 ans tout avait changé de face
dans le ressort du tribunal de Charleroy, excepté le tribunal. Je n’entends pas
préjuger le travail général que le ministre a fait faire, je n’entends pas non
plus préjuger le temps qu’il nécessitait, ce qui serait absurde, puisque je ne
le connais pas ; mais je dis que ce travail était inutile pour justifier la
demande d’augmentation du personnel du tribunal de Charleroy.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Je regrette de devoir
encore prendre la parole, mais je ne puis m’empêcher de faire remarquer que le
reproche de l’honorable préopinant s’adresse à la chambre et non au ministre de
la justice.
La section centrale était
saisie des renseignements concernant la demande du tribunal de Charleroy, mais
elle a voulu savoir dans quelle position étaient les autres tribunaux dont
plusieurs faisaient une demande semblable. C’est ce travail que j’ai annoncé et
qui m’a demandé tant de temps. Si elle avait partagé l’avis de l’honorable
préopinant, la section centrale aurait pu se prononcer sur la demande de
Charleroy, mais elle n’a pas jugé à propos de le faire.
- La prise en considération de
la proposition de M. Verhaegen est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Veut-on que cette proposition soit renvoyée aux
sections ou à une commission ?
Plusieurs voix. - Aux sections ! aux sections !
M. Verhaegen. - Messieurs, vous venez de prendre en considération
la proposition que j’ai en l’honneur de vous soumettre. Je pense que qui veut
la fin, veut les moyens. Il s’agit d’examiner cette proposition de telle
manière, que l’examen puisse avoir lieu au moment de l’examen du budget, et
même avant.
Ne serait-il pas convenable
(je viens vous en faire la proposition) d’envoyer l’examen de ma proposition à
la section centrale chargée de l’examen de ma proposition considérée comme
commission ?
Plusieurs membres. - Non ! non ! Il faut le renvoi en sections.
M. Verhaegen. - Cependant, messieurs, cette marche est extrêmement
naturelle. La section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre a été
souvent considérée comme commission spéciale et chargée en cette qualité de
l’examen de divers objets. Il me semble que ma proposition est de nature à être
examinée de cette manière. En effet, si vous n’adoptez pas le renvoi que je
demande, qu’adviendra-t-il de ma proposition ? Non seulement elle ne sera pas
votée, mais même elle ne sera pas examinée avant l’achèvement des budgets. Elle
sera donc ajournée d’une année.
Ainsi, c’est ajourner ma
proposition d’une année que la renvoyer aux sections. Je crois donc qu’il
convient de la renvoyer à l’examen de la section centrale du budget de la
justice. J’en fais La proposition.
M. de Langhe. - Je crois qu’il est bon que tous les membres de la
chambre aient l’occasion de s’exprimer sur la proposition importante et
complétement inattendue de l’honorable préopinant. Je demande le renvoi aux
sections.
- Le renvoi de la proposition
de M. Verhaegen, à la section centrale du budget de la justice considérée comme
commission, est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
Le renvoi de la proposition de
M. Verhaegen à l’examen des sections est mis aux voix et adopté.
Projet de loi portant des modifications au Tarif des douanes
Second vote des modifications apportées au tableau du
tarif
Bas et bonneteries
M. le président. - La discussion continue sur l’article
« bonneterie » et les amendements y relatifs qui sont ainsi conçus :
Amendement de M. le ministre
des finances, à ajouter à la proposition primitive du gouvernement : « Le
droit ci-contre, quant aux articles en laine, sera augmenté à l’égard des
provenances de pays où il est accordé, sur les articles de l’espèce, des primes
d’exportation, du montant de ces primes.
« Le gouvernement prendra
les mesures nécessaires pour régler et assurer la perception de cette
augmentation à chaque bureau de douanes.
« L’importateur sera tenu
de représenter en bureau d’entrée les documents officiels du pays de provenance
constatant la déclaration de la valeur sur laquelle ces primes auront été
basées, et, indépendamment des conditions et pénalités établies par la loi en
matière de douanes, l’importation pourra être interdite jusqu’à ce qu’il ait
été satisfait à cette formalité. »
Amendement de MM. Dubus (aîné)
et Dumortier :
« Coton.
« Gilets, manches,
jupons, bretelles, caleçons ; droit d’entrée, 2 fr. le kilog.
« Bas, chaussettes,
bonnets, lorsque le poids de la douzaine est de 5 hectogrammes et au-dessus ; 4
fr. le kilog.
« Idem, lorsque le poids
de la douzaine est supérieur à 5 hectogrammes ;
gants et mitaines de toute espèce : 6 fr. le kilog.
« Laine.
« Echarpes, gilets,
manches, camisoles, jupons, caleçons : 2 fr. 50 c. le kilog.
« Bas, gants, mitaines,
bonnets : 5 fr. le kilog.
« Tricots de toute espèce
: 2 fr. 50 c. le kilog. »
Amendement de M. A. Rodenbach
: « En remplacement du chiffre ministériel de 10 p. c. à l’entrée sur les
bas et bonneteries, je propose d’élever ce droit à 15 p. c. »
Sous-amendement de M. Pirson,
à l’amendement de M. A. Rodenbach, au tarif des douanes : « Je propose
d’établir les droits de douane à l’entrée, sur la bonneterie étrangère, d’après
la valeur, et de porter ce droit à 12 p. c. au lieu de 10 que propose le
gouvernement et de 15 que propose M. Rodenbach. »
M. Pirson. - Je ne sais comment nous sortirons de l’ornière
dans laquelle nous paraissons tous les jours nous enfoncer davantage. La
discussion devient interminable ; que dis-je ! il en ressortira peut-être des
imprudences ; elle peut faire naître des embarras diplomatiques, elle peut
refroidir des sympathies précieuses, si, pour nous décider relativement à la
loi d’économie politique, qui nous occupe, nous n’apprécions pas bien notre
position centrale, nous, peuple de quatre millions d’individus, au milieu de
grandes nations, sur lesquelles nous ne pouvons jamais espérer d’agir assez
fortement pour les faire dévier du système qui leur convient, et qu’elles
croiront leur être convenable.
La France, l’Angleterre et la
Prusse qui nous entourent, tiennent encore à leur système de droits élevés de
douane et de prohibition. J’ai entendu vanter le libéralisme de l’Angleterre en
fait de commerce. Oui, elle a partout des missionnaires très libéraux ; mais
croyez-moi, ils prêchent des maximes auxquelles ils sont bien éloignes de se
soumettre pour leur propre compte. Toutefois je ne vois pas qu’ils y
perdissent, si en les pratiquant ils étaient certains d’être imités par tout le
monde ; mais c’est une utopie à laquelle personne ne s’arrête.
L’Angleterre, plus avancée que
les autres peuples de l’Europe en fait de liberté politique, a pensé à ses
intérêts matériels, lorsque les vieilles monarchies absolues croupissaient dans
une apathie complète, j’ai presque dit dans la barbarie. Le système restrictif
a fait la fortune de l’Angleterre. Aujourd’hui, plus avancée que tous les
autres en fait d’industrie, le système de liberté commerciale lui conviendrait
beaucoup.
Mais à leur tour tous les gouvernements
sentent aujourd’hui la nécessité de s’occuper des intérêts matériels de leurs
peuples. L’industrie fait partout des progrès ; le plus grand obstacle qu’elle
rencontre maintenant, c’est un excès de protection qui ressort des premières
mesures que les gouvernements ont prises pour la favoriser : en effet ces
gouvernements ont pensé d’abord qu’il ne s’agissait que d’établir des droits
très élevés ou prononcer la prohibition à l’égard des fabricats étrangers
similaires à ceux que l’on voulait protéger et encourager chez soi : ce moyen
était bon dans son temps, mais bientôt la contrebande est venue déranger tous
ces calculs.
Tel est le nouvel état des
choses : c’est avec celle-ci aussi bien qu’avec l’industrie étrangère qu’il
faut compter. La contrebande est plus puissante par ses ruses que les
gouvernements par leur barrière de douanes ; c’est en vain que ceux-ci
s’obstinent à maintenir la prohibition ou des droits trop élevés, il faut
qu’ils tombent en dépit de la routine et des vieux préjugés. La France est très
arriérée sous ce dernier rapport, et le gouvernement de ce pays ne pourrait
peut-être sans danger les mépriser et aller trop vite en avant.
Quant à nous, peuple neuf et
cependant le second, je crois, en progrès industriels, nous pouvons sans danger
et surtout sans déshonneur, que dis-je !, nous devons pour notre plus grand
avantage baser tout notre système de douanes sur l’équilibre à tenir entre le
tarif des droits et celui de la fraude ; pour les articles qui ont le plus
besoin de protection, nous pouvons élever le tarif des droits un peu au-dessus
du tarif de la fraude, parce que quand il n’y aura pas une grande différence,
la voie légale sera généralement suivie par le commerce plutôt que par la voie
frauduleuse. Peu m’importe le système de la France, peu m’importe celui de
l’Angleterre ou de la Prusse : je ne veux point de concession plutôt à l’une
qu’à l’autre puissance, je ne veux point ce qu’on appelle des représailles, je
ne veux point retirer les batteries hostiles de notre douane dirigées contre la
France par le roi Guillaume, pour les tourner contre l’Angleterre ou la Prusse.
Je n’en veux d’aucun côté. Eh
! mais, à quoi servent ces représailles de notre part ? La chambre de commerce
de Verviers vous l’a dit : la prohibition sans sanction est une puérilité. Elle
alimente la fraude au préjudice du trésor ; elle démoralise les populations de
la frontière. Vous avez refusé la prohibition à l’industrie cotonnière qui vous
la demandait naguère ; vous ferez plus, vous l’abolirez pour tout. Vous
protégerez l’industrie belge sur toutes les frontières sans distinction. Je ne
veux même pas de distinction du côté de la Hollande. Mais quand je parle
d’abolir toute prohibition, il va de soi qu’en cas de guerre tout ce qui peut
servir sous ce rapport à l’ennemi, reste probité à la sortie. Je veux même
qu’en ce cas et en l’absence des chambres, le gouvernement puisse prendre telle
mesure qu’il jugera convenable.
Ici, messieurs, je ne peux
laisser sans réponse les paroles prononcées à la fin de la séance de samedi par
notre respectable collègue Trentesaux, plus anciennement mon collègue des états
généraux.
Pour assurer le maintien des
mesures prises par le roi Guillaume contre les provenances françaises, il nous
a dit que le susdit roi, assailli par les clameurs de la Belgique à la suite du
système de finance adopté en 1821 et 1822, avait en la bonté paternelle de se
rendre à ses vœux ; qu’il avait d’abord pris des arrêtés contre les provenances
françaises, qu’ensuite il avait fait confirmer ces arrêtés par une loi, que
cette loi avait été votée à l’unanimité par les députés des provinces
septentrionales et par les députés des provinces méridionales.
Il fallait donc que tous
ceux-ci n’y voyassent goutte, s’est-il écrié deux fois, s’ils vantaient
unanimement une mauvaise loi. Eh bien, oui, je le dis sans détour, ils n’y
voyaient goutte. Pirson, où étais-tu donc alors ? Messieurs, je fais cette
question parce que j’ai annoncé tout à l’heure que j’avais été le collègue de
M. Trentesaux aux états-généraux, mais j’avais cessé de l’être à l’époque dont
s’agit. Le roi Guillaume, bien servi par ses ministres et le gouverneur de
Namur, m’avait fait éliminer par la fraude aux élections de 1822.
J’avais osé dire à la tribune
que quatre millions de Belges ne continueraient pas longtemps à se laisser
gourmander par deux millions de Hollandais ; que, pour éviter une révolution,
je ne voyais qu’un moyen, c’était une séparation financière ; que, si en nous
la refusait, il fallait que les Belges s’adressassent aux puissances créatrices
du royaume des Pays-Bas et les prissent pour arbitres dans le différend de nos
intérêts opposés. J’avais eu à cette occasion une altercation violente avec le
comte de Hogendorff ; il y avait eu une terrible agitation dans l’assemblée, un
fameux rappel à l’ordre s’était ensuivi. Ainsi c’est pour avoir le premier
provoqué notre séparation de la Hollande que j’ai été rappelé à l’ordre à
l’assemblée des états généraux ; c’est pour avoir voulu m’opposer à ce que nous
restassions ses tributaires par suite des 24 articles que j’ai été rappelé à
l’ordre le jour de tous les Saints au congrès.
Si le bon vouloir du roi
Guillaume envers la Belgique était fondé, comme le prétend notre collègue Trentesaux,
nous serions bien coupables d’avoir fait la révolution de 1830. Mais suivons-le
dans sa marche gouvernementale, messieurs ; ne vous épouvantez pas de la
longueur du trajet. J’irai aussi vite que par le chemin de fer.
Premier échantillon de tendresse
du roi Guillaume envers les Belges.
Vous souvient-il de la disette
de 1816 et 1817.
Les céréales étaient partout
en hausse ; la Belgique cependant en possédait assez pour sa consommation, mais
il fallait les conserver dans le pays. On demandait à grands cris une défense
de sortie ; elle a été prononcée, mais seulement pour la frontière de terre,
c’est-à-dire vers la France ; ce n’était donc pas le roi Guillaume qui alors
avait droit à des représailles, mais la France ne l’avait-elle pas, épuisée par
la présence des alliés ? Qu’est-il résulté de la mesure du roi Guillaume ? Les
Hollandais sont venus accaparer tous nos grains, ils les ont obtenus à des prix
encore modérés ; ils ne craignaient point la concurrence de la France, on avait
eu soin de l’écarter. La défense de sortie de ce côté était si sévère que de
malheureux paysans de Sugni, allant au marché de Sedan avec quelques pommes de
terre sur leurs épaules, ont été tués par les douaniers hollandais. Une disette
affreuse s’est fait sentir chez nous ; les Hollandais sont venus nous revendre
nos grains au triple prix d’achat.
Nous avons crié haut. Le
gouvernement a créé à Dinant un grenier de réserve, mais il tenait ses prix
toujours au-dessus du cours aussi longtemps qu’il est resté quelque argent pour
payer les prix marchands. Enfin, quand le pays a été épuisé de monnaie, il a
fait une vente publique de ses farines. Elles étaient plus ou moins avariées,
elles ont occasionné des fières putrides et la dysenterie. Voilà la tendresse
paternelle à la façon du roi Guillaume.
En 1821 et 1822, il est
parvenu à faire passer son système de finances au moyen de la trahison de
quelques Belges.
Je me rappelle que dans
l’exposé des motifs on s’étendait sur la belle théorie de la liberté illimitée
du commerce. Donnons l’exemple à l’Europe, disait le ministre hollandais.
Cependant l’on a réclamé fortement en Belgique, et notamment Tournay, nous a
dit M. Trentesaux ; aussitôt le gouvernement a pris des mesures sévères contre
le commerce français. Mais M. Trentesaux a été bien bon de croire que c’était
pour favoriser notre industrie ; non, mais c’était pour déplacer les arrivages
en Belgique. Les Hollandais n’avaient aucun profit sur ce qui entrait par
terre, ils voulaient tout amener par la voie maritime.
Pour justifier son système et
donner le change à l’opinion publique, le roi a insinué que ses mesures étaient
dictées par le droit de représailles envers la France.
Ici il faut considérer dans
quelle situation celle-ci s’était trouvée depuis la crise de 1813, jusqu’au départ
des alliés qui ont occupé son territoire : pendant tout ce temps, il y a eu à
peu près absence de douanes chez elle, elle a été inondée de marchandises
anglaises plutôt que de marchandises belges, elles lui arrivaient par notre
frontière. Lorsqu’elle a pu commencer à mettre ordre à ses affaires, et à
rétablir ses douanes, elle a dû redoubler de sévérité ; mais les mesures
qu’elle a prises ne s’adressaient à aucune nation en particulier, elles
s’adressaient à toutes, elle n’était pas plus hostile à la Belgique qu’à tout
autre pays. Il n’y avait donc point cas de représailles de la part du roi
Guillaume ; son système à lui, c’était la liberté commerciale ; celui de la
France, c’était la protection de son industrie par des mesures exorbitantes à
la vérité, mais enfin c’était son système. C’était puérilité à lui, roi des
Pays-Bas, de croire qu’il pouvait agir assez fortement sur ce vaste empire pour
le faire changer de système ; mais non, il n’était pas assez sot pour croire
cela. Seulement il a profilé de ces circonstances, pour donner, comme je l’ai
dit, le change à l’opinion publique sur ses véritables intentions, qui
n’avaient point du tout pour but de favoriser la Belgique, mais bien la
Hollande.
J’insiste fortement sur cette
particularité qui démontre la partialité du roi Guillaume, parce que j’ai
entendu ici un orateur distingué justifier ses prétendues représailles et en
demander le maintien par le statu quo de notre tarif.
C’est à la même époque que le
roi Guillaume voulait bon gré mal gré nous imposer à tous exclusivement
l’idiome hollandais, par suite de la haine qu’il avait vouée à la France ; il
repoussait jusqu’à sa langue qui est pourtant celle de la diplomatie de
l’Europe. C’est à la même époque qu’il voulait nous protestantiser tous.
C’est un peu plus tard que,
comptant sur l’apathie dans laquelle il croyait nous avoir réduits, il lança ce
fameux arrêté, véritable manifeste du gouvernement absolu. Eh bien, il y a des
Belges qui l’ont accepté baise-main aussi bien que son système de liberté commerciale.
Cela prouve-t-il que nous
avons eu tort de faire une révolution en 1830 ? Cela prouve-t-il que nous
devons maintenir le statu quo du système commercial hollandais ?
A mon avis nous ne saurions
trop tôt réviser notre tarif des douanes, et le baser sur l’équilibre à tenir
entre le montant des droits et celui de le fraude ; notre industrie n’y perdra
rien, notre trésor y gagnera, et nous détruirons une des causes de
démoralisation.
En attendant, je vais dire
quelques mots sur l’article bonneterie que nous discutons. Je voterai pour un
droit à imposer uniquement d’après la valeur.
Ce qui me détermine, c’est
qu’il y a un trop grand nombre de catégories, et qu’en voulant combiner le
poids et la valeur de chaque catégorie, il est impossible qu’il n’y ait pas de
graves erreurs. Quoi ! nous ne pouvons nous accorder ici ni sur le poids, ni
sur la valeur, et vous voulez que les douaniers ne se trompent pas à la
frontière.
M.
Dumortier, qui a soutenu si chaleureusement le système au poids et à la valeur
d’une infinité de catégories, a fini, à la séance de samedi, par dire qu’il
consentirait à ne faire que deux parts de toutes les catégories. Eh bien !
voilà toutes les catégories intermédiaires exposées nécessairement à des droits
tout à fait disproportionnés.
Je propose un sous-amendement
à l’amendement de M. A. Rodenbach. C’est de fixer le droit à 12 p. c. de la
valeur au lieu de 15. Ces 12 p. c. se réduisent à huit par suite de
l’abaissement des déclarations, et s’il y a sur certains objets des primes de 6
ou de 7 p. c. accordées par les gouvernements étrangers, le droit sera de 14 ou
15 sur ces objets d’après l’amendement de M. le ministre des finances.
Je n’ai pas besoin de répéter
tout ce qui a été dit pour prouver que le déclarant ne risque jamais rien
d’abaisser d’un tiers la valeur réelle de sa marchandise à cause des
difficultés et des remboursements que le préempteur est obligé de faire. Pour
avoir huit, il faut demander 12 : comme je le propose, on ne peut pas dire
qu’une protection de 8 p. c. pour notre industrie soit exorbitante.
M. Trentesaux. - Dans son long exposé des motifs, à l’appui de son
sous-amendement, l’honorable M. Pirson a, à différentes fois, mêlé mon nom. Je
ne suis pas bien certain de toutes les choses qu’il a dites ces différentes
fois où il a mêlé mon nom. Je me réserve, si je crois devoir y répondre, de le
faire après avoir lu son discours dans le Moniteur
; je crois que ce sera le plus prudent.
Du reste, je le déclare, je
n’ai fait autre chose qu’exposer des faits, lesquels, dans le cours de la
discussion, me paraissaient ne pas avoir été assez pris en considération ; et
peut-être, en posant ces faits, al-je fourni au gouvernement des armes pour un
cas qui peut résulter de notre discussion. J’ai peut-être fourni des armes dont
il pourra faire usage envers le gouvernement français.
M. Desmaisières. - Avant d’entamer la discussion des réponses faites
par M. le ministre de l’intérieur aux sept questions que j’ai eu l’honneur de
lui adresser, je crois devoir dégager d’abord ces réponses de tout ce qui y est
véritablement étranger.
Je crois devoir d’abord
aborder la question des reproches que les bancs ministériels ont semblé avoir
pris à tâche d’adresser continuellement à plusieurs honorables membres de cette
assemblée qu’aujourd’hui, selon MM. les ministres, auraient déserté, pour
passer dans le camp opposé, la cause que naguère ils avaient chaleureusement
défendue contre les réclamations de l’industrie cotonnière.
Certes, messieurs, s’il était
permis à quelqu’un d’adresser de pareils reproches à ces honorables membres, si
de pareilles reproches, dirai-je même, étaient aussi justes qu’ils sont
injustes, ce serait bien à ceux qui ont défendu le plus chaleureusement et avec
le plus de conviction les intérêts de l’industrie cotonnière, ce serait bien à
moi surtout qui compte à honneur et compterai toujours à honneur de n’avoir pas
tenu le dernier rang parmi les défenseurs de l’industrie cotonnière, qu’il appartiendrait
avant tout de les faire, ces reproches.
Eh bien, messieurs. Loin de là
: pas un mot de reproche, pas un mot de récrimination n’est sorti de notre
bouche.
C’est avec un tel sentiment de
conviction que nous avons défendu les intérêts de l’industrie cotonnière, qu’il
nous est impossible de ne pas croire que c’est aussi avec un même sentiment de
conviction que nos honorables adversaires dans cette question nous ont
combattus et qu’il nous est impossible de ne pas croire que cette conviction
chez eux étaient fondée sur des erreurs qui dominaient alors leurs esprits.
Mais, je le déclare ici
hautement et sincèrement, quand bien même ces honorables membres viendraient
nous dire franchement d’avance que si jamais ces discussions devaient se renouveler
plus tard, ils nous combattraient encore à outrance ; alors encore nous ne nous
en mettrions pas moins en ligne à côté d’eux aujourd’hui pour soutenir les
intérêts des industries qu’ils défendent. Ces intérêts sont trop grands, la
nécessité qu’il y a de les appuyer par qui veut soutenir les intérêts généraux
du pays est trop évidente pour que nous allions, pour de misérables questions
d’amour-propre nous laisser entraîner à les abandonner. Déjà nous avons donné
plus d’une preuve, déjà dans cette enceinte, on a vu plus d’une fois soutenir
avec chaleur les intérêts d’industries qui se pratiquent ailleurs que dans nos
localités ; déjà, dis-je, nous avons souvent prouvé que pour nous à l’égard de
toute industrie nationale, peu importe dans quelle localité elle se pratique,
peu importe par quels hommes elle est pratiquée, il suffit que ce soit en
Belgique qu’elle se pratique pour que nous voyons en elle l’intérêt général de
la nation à défendre ; et pourquoi sommes-nous donc ici, si ce n’est pour défendre
les intérêts généraux de la nation !...
Il paraît qu’il n’en est pas
de même, je le dis à regret et je désire qu’il puisse me prouver le contraire,
car j’ai toujours eu pour lui la plus parfaite estime ; il paraît qu’il n’en
est pas de même du ministre auquel je réponds en ce moment.
Permettez-moi, messieurs, de
vous donner lecture d’un passage du discours qu’il a prononcé dans notre séance
de vendredi dernier et auquel je n’ai pu répondre qu’aujourd’hui parce que j’ai
dû conformément au règlement attendre mon tour de parole. Voici ce passage :
« Messieurs, le système
de droits élevés et de prohibition me semblait avoir été irrévocablement jugé
en 1835 par la chambre des représentants ; je ne supposais pas qu’il serait de
nouveau mis en avant, après l’échec qu’il avait éprouvé. Et dans quelles
circonstances avait-il éprouvé cet échec : quand l’industrie cotonnière jetait
les hauts cris et ne cessait d’importuner le gouvernement et la législature,
usant du dernier des moyens, en faisant signer des pétitions par les ouvriers.
Vous vous rappelez que des pétitions sont arrivées dans cette chambre,
couvertes de milliers de signatures.
« On n’annonçait que
malheurs dans la classe ouvrière, ruine parmi les capitalistes. La chambre a
été sourde à ces clameurs, elle a discuté les raisons ; elle a vu que la
prohibition était impossible en Belgique, à moins d’établir la seule garantie
de la prohibition, la recherche à l’intérieur. La chambre n’a pas voulu d’un
moyen aussi vexatoire, aussi antipathique à nos habitudes et qui aurait exigé
un renforcement de douanes dont la dépense aurait surpassé les bénéfices qui en
seraient résultés pour notre industrie. »
En vérité, messieurs, il m’a
fallu, et je rends grâces au règlement qui m’y a forcé, il m’a fallu plusieurs
jours d’intervalle après lecture de ce passage dans le Moniteur, quoique d’autres qui ont mieux entendu que moi prétendent
qu’on en ait encore beaucoup radouci les expressions, il m’a fallu plusieurs
jours d’intervalle pour atteindre tout le calme que doit chercher à s’imposer
tout membre qui prend la parole dans cette honorable assemblée.
Je dois même avouer que si la
voix peu sonore de M. le ministre et le ton froid et impassible avec lequel il
a prononcé ces paroles peu agréables pour notre industrie cotonnière ne
m’avaient pas fait prendre le change, je n’aurai pas pu me contenir et j’aurais
fait à l’instant même éclater toute l’indignation que ces paroles devaient
nécessairement faire naître en moi.
C’est contre mon opinion que
mon honorable collègue de Gand n’a pas cru devoir attendre son tour
d’inscription pour faire, lui, éclater son indignation ; mais je dois le dire,
c’est à tort, tout à fait à tort qu’il a été empêché de parler ; Car,
messieurs, il est, lui, un de ces fabricants de coton qui, au dire de M. le
ministre de l’intérieur, n’auraient cessé d’importuner le gouvernement et les
chambres, et dès lors il s’agissait ici bien réellement d’un fait personnel
pour lui.
Importuner le gouvernement et
la législature ! Comment ! c’est un ministre protecteur-né de l’industrie qui
ose, à la face de la nation, proférer un pareil blasphème contre la
constitution, où le droit de pétition se trouve sans doute écrit aussi bien
pour l’industrie que pour tous les autres intérêts.
Je ne crains pas de le dire
hautement, messieurs, si ces paroles étaient aussi vraies qu’elles sont peu
exactes, pour ne pas me servir d’un autre mot, elles prouveraient que le
gouvernement et les chambres sont indignes de la nation. Messieurs, si l’on
avait laissé parler mon honorable collègue, il vous aurait prouvé par la
statistique des calamités qui ont affligé cette belle industrie dans notre pays
depuis les prétendues clameurs élevées par elle ; il vous aurait prouvé par là
combien ces plaintes qu’il a fait entendre étaient fondées.
M. le ministre lui-même
n’a-t-il pas acheté, pour le compte de l’Etat, une fabrique que le propriétaire
a vendu parce que ne voulant pas s’exposer à perdre une fortune acquise par un
grand nombre d’années d’honorables et utiles travaux, il a préféré cesser de s’adonner
à une industrie qui ne lui présentait plus que des chances de perte.
M. le ministre lui-même encore
n’est-il pas venu nous annoncer que les assurances de la société cotonnière
avaient été désastreuses à la loi Yales et comp. que nous avons votée ? Ne nous
a-t-il pas appris que cette fabrique était en grande perte quoique cependant on
nous l’eût présentée, lors de la discussion de notre proposition, comme étant
en telle prospérité qu’elle ferait honte aux fabriques de Bruxelles el de Gand
? Mais aujourd’hui, dit-on, les fabriques sont en pleine prospérité et ne
peuvent suffire aux commandes qui leur sont faites. Non, messieurs, elles ne
sont pas en pleine prospérité, mais elles se soutiennent tant bien que mal, et
il serait étonnant qu’il n’en fut pas ainsi après la chute d’un grand nombre
d’elles ? Oh ! si c’est ainsi que M. le ministre du commerce et de l’industrie
entend faire prospérer une industrie, il n’a qu’à attendre, pour lui porter
secours, encore quelques années, il n’a qu’â attendre que les fabriques soient
réduites à 3 ou 4, et alors bien certainement celles-ci seront en telle
prospérité qu’il ne sera plus nécessaire de leur porter le moindre secours.
Voulez-vous connaître,
messieurs, par quelques lignes extraites des archives du commerce qui se
publient en France sous les auspices du gouvernement, quelle est en Angleterre
l’importance de cette industrie cotonnière traitée ici avec tant de mépris par
notre ministre du commerce ? Voici ces lignes :
« Aujourd’hui, d’après les
supputations de M. Mac-Culloch, la valeur totale des produits des diverses
manufactures de coton est de 34 millions de livres sterling (850 millions de
francs), desquelles si l’on déduit 7 millions de livres sterling pour l’achat
de cotons bruts, et 21 millions de livres sterling pour les salaires de 900,000
personnes qu’emploie cette industrie, il reste pour les frais d’administration,
d’entretien des machines, de réparation des bâtiments, et pour les profits des
entrepreneurs, 6 millions de livres sterling (150 millions de francs). »
Eh bien, messieurs, voilà
l’industrie qui a fait l’un des plus beaux ornements de notre exposition de
l’industrie nationale ; voilà l’industrie que le jury de cette exposition a
placée au nombre des trois premières industries nationales ; voilà l’industrie
qu’un ministre, protecteur-né de l’industrie, n’a pas craint d’accuser de
l’avoir importuné par ses justes plaintes !!
Non, M. le ministre, la
chambre n’a pas regardé les plaintes de l’industrie cotonnière comme importunes
; non, elle n’a pas refusé d’y faire droit, elle a, au contraire, voté à la
presque unanimité qu’il y serait fait droit ; et si les mesures à prendre en
vertu de cette décision ont été ajournées et sont encore à prendre aujourd’hui,
c’est que les moyens d’exécution que la section centrale avait cru devoir
proposer parce qu’elle n’en connaissait pas d’autres qui fussent efficaces, et
qu’elle ne voulait point faire une loi qui fût un mensonge, c’est que ces
moyens d’exécution qui avaient d’abord répugné à nous-mêmes auteurs de la
proposition (voir mes développements), ont été rejetés par la chambre après que
le ministère eût annoncé qu’il connaissait, lui, d’autres moyens de rendre la
loi efficace, que ces moyens seraient d’autant mieux accueillis qu’ils
s’appliqueraient à toutes les industries, et qu’il présenterait incessamment à
la chambre un projet de loi que l’agriculture et l’industrie belges en général
recevraient avec la plus vive satisfaction, mais que, malgré des promesses
aussi formelles, nous attendons encore à l’heure qu’il est.
J’en viens maintenant aux
réponses faites à mes questions par M. le ministre de l’intérieur.
C’est le Moniteur à la main que je vais répliquer, une à une, à ces
réponses.
« Première question.
Quels sont les divers articles du tarif français, qu’ont eu en vue de faire
modifier les mesures de représailles prises par l’arrêté du 20 août 1825,
converti en loi le 8 janvier 1824 ?
« A cet égard, je ne puis
donner d’autre réponse que celle-ci : nous ne possédons pas les archives de
l’ancien gouvernement ; nous ne trouvons pas non plus énumérés dans les
considérants, soit de l’arrêté de 1823, soit de la loi de 1824 qui l’a suivi,
les motifs spéciaux qui ont provoqué cette disposition législative. Mais
personne n’ignore que ces mesures ont été prises parce que la France avait
adopté un système de commerce restrictif.
« A ce sujet, on aurait
pu adopter une question bien plus importante et demander quels avantages la loi
de 1824 avait procurés à la Belgique. Je crois qu’on eût été très embarrassé de
prouver que la Belgique a profité d’une manière quelconque de ces dispositions
prises par le gouvernement des Pays-Bas. »
Ainsi, on croit donc pouvoir
dire plus loin, en répondant à la première et deuxième question, que les
négociations ont en lieu, et l’on avoue ici que l’on ne s’est pas mis en état
au préalable, que l’on ne sait point encore aujourd’hui quels sont les divers
articles du tarif français qu’a eu en vue de faire modifier l’arrêté de 1823 ;
on croit savoir seulement, en terme général, que cet arrêté a été pris parce
que la France avait adopté un système de commerce restrictif.
Mais, ajoute-t-on : « A ce
sujet on aurait pu adopter une question bien plus importante et demander quels
avantages la loi de 1824 avait procurés à la Belgique. Je crois qu’on eût été
très embarrassé de prouver que la Belgique a profité d’une manière quelconque
de ces dispositions prises par le gouvernement des Pays-Bas. »
Comment ! l’on serait très
embarrassé de prouver quels avantages nous a procurés l’arrêté de 1823,
converti en loi en 1824 aux applaudissements unanimes de toute la Belgique,
comme vous l’a dit notre honorable collègue M. Trentesaux, qui faisait alors
partie des états généraux !
Mais n’est-ce donc rien
peut-être que l’immense avantage d’avoir, comme vous le dites vous-même encore,
en répondant à ma cinquième question, amené la France, un peu tardivement
peut-être, mais enfin à l’avoir amenée du moins à chercher à traiter avec nous
?
N’est-ce donc plus rien que
ces lois des 2 et 5 juillet 1836 et les projets de ces lois ici tant vantés par
vous ; cependant, comme nous accordons de si fortes concessions qu’il nous faut
maintenant à l’instant même anéantir tout l’arrêté de 1823, arrêté cependant,
qui seul nous permet de faire voir que nous jouissons d’une indépendance
réelle, et qui seul aussi cependant nous permet d’espérer d’obtenir qu’enfin la
France fasse justice et à nos intérêts matériels et aux siens propres bien
entendus ?
Il faut être ici juste avant
tout, messieurs : l’arrêté de
M. le ministre termine sa
réponse ici par dire que la question n’est pas à savoir quelles sont les
concessions que nous avons intérêt de demander à la France, qu’il s’agit seulement
de savoir si la Belgique est à même de répondre, par des compensations
équivalentes aux dispositions que la France prendrait en notre faveur, et en
même temps il vient nous proposer, quoi ? de nous départir de toutes les
concessions que nous avons à faire, et que nous avons à faire seuls, grâces à
la loi de 1823, et cela sans avoir rien obtenu de la France ; en vérité, je ne
sais comment expliquer une pareille contradiction.
« Troisième question.
Quelles sont les diverses concessions en faveur de la France et les diverses
suppressions de mesures de représailles que le congrès national et la
législature ont décrétées depuis la séparation de la Belgique et de la
Hollande. »
A cette question, les auteurs
du mémoire remarquable de Verviers, je suis fâché de devoir le dire, ont mieux
répondu que M. le ministre ; ils ont fort bien énuméré et fait ressortir tous
les avantages qui en sont résultés pour la France, et ne se sont point livrés
eux à toutes espèces d’interprétations erronées pour faire voir que ces concessions
étaient totalement dans l’intérêt belge.
Mais j’oublie que l’honorable
membre de cette chambre qui dirige le bureau de commerce au ministère de
l’intérieur, et qui n’a pas été jusqu’ici démenti par le ministre de son
département à cet égard, nous a donné la clef de ce que nous devons penser d’un
pareil langage ; il nous a dit : C’est dans le seul but de faire passer sa loi
que M. Passy a dit aux chambres françaises que le projet de loi actuelle en
discussion ici contenait de bien plus grandes concessions faites la France que
celles demandées à celle-ci en faveur de la Belgique.
« Quatrième question.
Quels sont les avantages qui résultent pour la Belgique des modifications
apportées au tarif des douanes de France par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ?
Quels sont ceux qui seraient résultés des projets de loi, si la législature ne
les avait pas modifiés ? »
Quant au point de fait, répond
ici M. le ministre, les exportations vers la France ont considérablement
augmenté depuis les ordonnances du mois de décembre 1835, converties en lois au
mois de juillet 1836.
Les exportations vers la
France ont considérablement augmenté, c’est possible ; mais ce n’est pas tout
que de poser ce fait, il faut encore voir quelles en ont été les causes, et si
ce sont les ordonnances de décembre et les lois de juillet qui en sont les
causes, si le mauvais effet que ces lois devraient avoir pour notre commerce
n’ont pas poussé et les négociants français et les négociants belges à chercher
à se soustraire à ces mauvais effets par de forts achats et de fortes
livraisons faites à l’avance.
« Une première
modification, et c’est la plus importante, a été apportée dans la
classification des toiles. Mais ici je dois à la vérité de déclarer à la
chambre que l’adoption de la proposition du gouvernement était en grande partie
subordonnée à la condition qu’on administrerait la preuve que le tarif, tel
qu’il existait en France, produisait par son application des droits supérieurs
à ceux qu’on avait réellement eu en vue d’établir. Or, cette justification n’a
pu être faite au gré des chambres françaises, et dès lors le gouvernement
français a été dans l’impossibilité d’obtenir sur ce point un entier
assentiment à son projet. »
Ici, messieurs, je vous prie
de vouloir bien prendre acte des paroles du ministre, de l’aveu formel qu’il
fait ici.
Il paraît que dans les
négociations avec la France il a soutenu à l’égard des toiles comme il le
soutient ici encore à l’égard de la bonneterie, avec une persistance que j’ai
vraiment peine à expliquer, que les droits sur les toiles en France se
trouvaient, par suite du mode de perception au poids, fort au-dessus du taux
que le législateur avait voulu établir. Eh bien, quand il a fallu en venir à la
preuve de cette assertion, elle n’a pas être administrée ni par notre ministère
au ministère français, ni par le ministère français aux chambres françaises.
N’est-ce pas la meilleure preuve que l’on puisse donner de l’admirable système
de perception que nous n’avons, nous, jamais cessé de préconiser et que nous avons
été assez heureux de faire prévaloir aussi dans votre opinion.
Je n’entrerai pas dans plus de
détail à l’égard des toiles, le mémoire de Verviers dit presque tout ce qu’il y
a à dire à cet égard.
J’ajouterai seulement que M.
le ministre n’a point parlé du droit différentiel qui à notre défaveur se
trouve dans le tarif français, non pas nominativement, il est vrai, mais de
fait : j’ai déjà prouvé tant de fois qu’il en est ainsi que je n’y reviendrai
plus.
Enfin je ferai remarquer
encore que M. le ministre dans son énumération n’a trouvé en tout et pour tout
à ajouter aux modifications prétendument favorables à nos toiles, qu’un
changement dans le tarif à l’article « chapeaux de feutre » qu’il
m’est impossible d’apprécier, et un autre qu’il a dit être favorable à notre
fonte et à notre fer dont la France a le plus extrême besoin.
« Cinquième question. Les
lois françaises des 2 et 5 juillet 1836 ou les projets ministériels de ces
lois, et le projet de loi soumis en ce moment à notre examen, sont-ils le résultat
de négociations établies entre les gouvernements des deux pays ? Y a-t-il eu
des engagements pris de part et d’autre, et de quelle nature sont-ils, s’il y
en a eu ? »
Il y a eu seulement des
conférences, me répond M. le ministre, qui avaient pour but d’engager la France
apporter certaines modifications à son tarif des douanes, comme de son côté la
France en a réclamé de la Belgique dès le principe de notre révolution.
Ainsi c’est de la part de la
France que seraient parties les premières ouvertures, c’est chose bonne à
constater.
« Ces considérations ont
d’abord été officieuses ; on a recueilli au préalable tous les
renseignements. »
S’il en est ainsi, comment se
fait-il qu’on ne nous en donne pas de renseignements, ou du moins qu’on nous en
donne si peu à nous qui sommes appelés à décider la question en dernier ressort
?
« En 1834 les
négociations devinrent officielles.
« Nous n’avons jamais
pensé qu’il pût être sérieusement question de négocier un traité de commerce.
« Nous avons atteint le même
but en présentant simultanément des projets de loi qui accordent des
concessions réciproques à peu près équitables. »
Ainsi voilà au moins un point
qui est bien constaté : il y a eu des négociations officieuses d’abord, puis
elles sont devenues officielles, et au lieu et place d’un traité de commerce on
a présenté aux deux législatures des projets de loi modifiant les tarifs des
douanes des deux pays dans le sens que l’on aurait pu faire ce traité de
commerce.
C’est donc, comme je l’ai dit,
au fond un traité de commerce dont il s’agit, et un traité de commerce qui se
traduit en lois de douanes que nous sommes appelés à voter, et dès lors je
m’étonne, je le dis encore une fois, qu’on ne nous fournisse aucun document,
aucun renseignement propre à nous éclairer, et qu’on paraisse même dans
l’impossibilité de nous en donner.
Quand une fois des
négociations faites par le gouvernement sont arrivées à un tel point que la
législature se trouve appelée en cause pour juger, pour décider, messieurs, ce
doit être cartes sur table qu’il faut traiter ; il ne serait pas digne de la
représentation nationale d’en agir autrement, et cependant, vous le voyez, on
voudrait que nous votassions en aveugles, sans connaissance de cause, puisqu’on
se borne à dire, sans le prouver en aucune manière, que ces projets de loi ou
ces lois accordaient ou accordent réellement des conditions réciproques et à
peu près équitables.
« Sixième question.
Est-il à la connaissance du ministère que des commissaires français, les uns à
mission ouverte, les autres à mission secrète, sont venus, préalablement à la
présentation des projets de loi des 2 et 5 juillet, recueillir des
renseignements nombreux en Belgique ?
« Est-il à sa
connaissance que depuis le premier vote émis par nous sur le projet actuel en discussion,
il est venu en Belgique des agents français chargés de l’une ou de l’autre de
ces mêmes missions de la part de leur gouvernement ? »
« Septième question. Le
gouvernement belge a-t-il envoyé, et à quelles époques, des agents chargés de
semblables missions en France ? Dans ce cas, quels sont les renseignements
qu’ils ont réussi à recueillir ? »
Je dois d’abord faire
connaître à la chambre comment j’ai été amené à poser ces deux questions.
Personne n’ignore que vers la
fin de la session dernière, j’ai été nommé rapporteur de la commission que vous
avez chargée de l’examen de la question des sucres.
Bien que la chambre se soit
séparée en laissant indécise la question de savoir si j’avais un rapport à
faire ou non, en outre des conclusions de la commission qu’en conformité d’une
décision de la chambre j’avais déposées sur le bureau, je n’en ai pas moins cru
de mon devoir de mettre à profit le temps de nos vacances pour me mettre en
mesure de satisfaire aussi promptement que possible à toute demande de travail
qui me serait faite par vous, messieurs, en ce qui concerne cette question à la
fois si importante, si délicate, si compliquée et si difficile à résoudre.
J’ai donc remis, peu de temps
après notre séparation, à M. le ministre des finances, une série de questions
et de demandes de renseignements.
Je dois rendre ici toute
justice à cet honorable ministre, je l’ai vu très empressé à me satisfaire, et
il y a mis une telle activité que dès le 18 août il m’a transmis un volumineux
dossier en réponse à mes demandes.
Pour la dixième de ces
demandes, j’ai témoigné le désir d’obtenir la statistique des sucreries de
betteraves, leur importance, les dates de leur création et de leur mise en
activité, et enfin leur production annuelle. Et voici comment on m’a répondu :
« M. le ministre de
l’intérieur, consulté sur l’objet, a fait connaître que dans quelque temps il
serait à même de fournir les renseignements réclamés ; aussitôt qu’ils
parviendront, ils seront soumis à M. le rapporteur. »
Mais j’ai cru me pas devoir
borner là mes recherches ; j’ai aussi cherché à recueillir des documents et
renseignements près de notre commerce et de notre industrie, et comme en France
on venait après de longues et lumineuses discussions de voter une loi sur la
matière, j’ai aussi frappé à la porte de la questure de la chambre française
ainsi qu’à celle du ministère français lui-même.
Là mon négociateur a été notre
archiviste. M. Bourcier, qui, je suis heureux de pouvoir lui rendre ici
publiquement cette justice, a rempli la mission dont je l’avais prié de se
charger pour moi, avec le plus grand zèle, avec la plus parfaite intelligence
et aussi avec le plus grand succès.
Il m’a remis, entre autres
pièces et documents, le rapport que je tiens ici en mains et qui a été fait en
novembre 1836, au ministère français, par M. Vandoule, relativement à la
fabrication du sucre de betteraves à l’étranger.
Eh bien, messieurs, je n’ai
pas été peu surpris quand j’ai trouvé dans ce document précieux, et que je
propose dès à présent de faire imprimer pour être distribué à tous les membres
de la chambre, une grande partie des renseignements sur notre industrie belge
que le ministère belge m’a promis de m’envoyer aussitôt qu’il les aura
recueillis et que j’attends encore à l’heure qu’il est. Cependant c’est depuis
novembre 1836.
J’avais beaucoup entendu
parler, mais vaguement il est vrai, d’agents, les uns à mission ouverte, les
autres à mission secrète. Ils étaient venus, me disait-on, en Belgique
recueillir des renseignements nombreux, tant avant les lois des 2 et 5 juillet
qu’après, et aussi que depuis notre premier vote du projet de loi actuellement
en discussion.
Mais vous jugerez bien
qu’ayant eu par le rapport de M. Vanboule la certitude que de pareils agents
français sont venus en Belgique avant la discussion en France d’une loi sur les
sucres, j’ai dû par là acquérir aussi la certitude morale, si vous le voulez,
qu’il en est venu de même pour des lois où les intérêts des deux pays sont tout
à fait en présence, tout à fait en cause vis-à-vis les uns des autres.
Ce n’est pas toutefois que
j’entende blâmer le gouvernement français d’en avoir agi ainsi. Au contraire,
on ne peut avoir que des éloges pour un gouvernement qui entend aussi bien les
intérêts de son pays, et il m’eût été agréable d’apprendre, ce que
malheureusement ne m’apprennent pas les réponses de M. le ministre de
l’intérieur, et il m’eût été infiniment agréable d’apprendre que notre
gouvernement avait agi avec autant de prudence et de sagesse.
« Mais en France, dit-on,
il y a eu une enquête politique qui a été imprimée, et les commissaires belges
s’étant trouvés à Paris au moment de cette enquête, ont pu recueillir les
renseignements dont ils avaient besoin. »
Messieurs, nous avons eu ici
aussi une enquête publiée sur une branche importante de l’industrie nationale,
nous avons eu une enquête sur l’industrie cotonnière, et des agents français
n’en sont moins venus visiter nos fabriques, chose que, je le dis à regret, n’a
point faite ni M. le ministre de l'intérieur, ni M. le directeur du commerce et
de l’industrie, quoiqu’ils prétendent aujourd’hui que cette industrie les a
importunés par ses plaintes.
En résumé, messieurs, il est
avéré aujourd’hui, il est démontré clair comme le jour par les réponses faites
à mes questions, que des négociations ont eu lieu entre le gouvernement
français et le gouvernement belge, et qu’elles ont eu pour résultat la
présentation de deux projets de lois modifiant les tarifs de douanes, dont l’un
a été présenté à la législature française qui l’a fortement modifié dans un
sens défavorable aux intérêts belges, et dont l’autre est dans ce moment pour
la seconde fois soumis à notre examen ; que dans ces négociations le
gouvernement français a pris toutes les précautions, s’est entouré de tous les
éléments convenables et propres à ne rien céder de ce qui pourrait blesser
l’intérêt de l’industrie française, et que, malheureusement, il n’en a pas été
de même de notre gouvernement.
Qu’aujourd’hui encore, le
ministère belge après les négociations terminées, ne connaisse encore
aucunement quel a été le but de l’arrêté de 1823 ; qu’il a fallu que nous le
lui apprissions, et qu’il a fallu aussi que ce soit nous qui le tirions de
l’embarras où il se trouvait ; pour vous dire quels sont les avantages que cet
arrêté converti en loi en
Voilà quelles sont les données
du problème que nous avons à résoudre, et voici dans mon opinion quelle devrait
être la solution à y donner par nous.
Je pose d’abord en principe et
en fait que s’il est deux pays qui sont à même de se faire des concessions
réciproques sous le rapport des intérêts matériels, qui pourraient même établir
entre eux une association douanière à l’instar de celle allemande, ces pays
sont bien la France et la Belgique.
L’empire est là pour le
prouver, et les regrets que depuis la séparation des deux pays les Français ne
cessent d’exprimer, sont là pour prouver que du moins les intérêts matériels de
la France ne seraient nullement blessés par une pareille association.
Cela posé, examinons si par
les lois des 2 et 5 juillet la France a fait au moins preuve de vouloir en
venir à traiter avec nous. Or, nous ne pouvons nier qu’il y a eu sous ce
rapport un commencement d’exécution, infiniment faible à la vérité, mais
toujours est-il qu’il y a eu un commencement, et s’il n’en était pas ainsi, je
n’hésiterais pas à me rallier à l’opinion que notre honorable collègue M.
Verhaegen a si savamment développée dans son discours si remarquable à tous
égards.
Mais, encore une fois, je
crois qu’il en est ainsi, qu’il y a commencement, très faiblement commencement,
mais enfin commencement d’exécution de la part de la France, bien qu’il soit
certain que c’est, et aujourd’hui plus que jamais, la Belgique qui est en
avance de concessions vis-à-vis de la France. Je ne veux pas du rejet total de
la loi ; je ne veux pas que la France puisse interpréter ce rejet comme une
marque de mauvais vouloir de notre part, comme un refus formel de traiter avec
elle.
Ces prémisses admises, je
crois que nous devons examiner chacun des articles du tarif proposé,
séparément, sous les rapports suivants : nous devons examiner d’abord, à
l’égard de chacun de ces articles, s’il nous a été demandé par la France ; dans
quel sens et dans quelles limites il nous a été demandé ; si d’une part nous
sommes assez certains de ne pas porter, par notre résolution, un préjudice réel
à notre industrie nationale en adoptant soit le projet, soit tel autre
amendement ; et enfin si, d’autre part, nous ne nous départissons pas trop des
compensations qu’il nous reste à offrir à la France.
Maintenant, j’applique immédiatement
ce mode d’examen à l’article bonneterie actuellement en discussion.
Cet article nous a été demandé
par la France ; mais dans quel sens, dans quelles limites ? Le gouvernement
français a dit au gouvernement belge : Vous ne faites payer aux autres nations
que la moitié des droits que vous nous faites payer. Nous ne nous inquiétons ni
de la protection qui est nécessaire à votre industrie, ni de la quotité des
droits, ni du mode de perception ; nous demandons seulement que nous soyons
placés avant tout dans le droit commun, que vos lois n’établissent pas
d’exceptions défavorables à notre égard.
Certes, faire rentrer la
France dans le droit commun est le premier pas à faire par nous, si nous
voulons lui tendre une main amie ; mais pourquoi, alors que rien ne s’y oppose,
n’établirions-nous pas ce droit commun, de manière à ce qu’il réponde aux
besoins de notre industrie ? pourquoi ne fixerions-nous pas les droits à la
quotité nécessaire à la prospérité de notre bonneterie ? pourquoi ne
choisirions-nous pas le mode de perception au poids qui, quoi qu’on en dise,
est le seul qui peut atteindre le but que l’on veut atteindre en décrétant un
droit de douane ? Car, messieurs, il faut prendre garde de confondre un droit
de douane avec l’impôt. Un droit de douane est essentiellement protecteur de
l’industrie nationale. C’est pour la protéger et rien que pour la protéger
qu’on le décrète.
Or, le mode de perception au
poids (j’ai pris le ministère tout à l’heure, à l’égard des toiles, en aveu
formel de cette vérité) est le seul qui permette d’assurer à l’industrie cette
protection qu’on veut lui accorder ; donc c’est pour ce mode que nous devons
nous prononcer.
Le mode de perception, vous le
savez tous, messieurs, n’a de garantie, n’a de sanction que dans la préemption,
et vous savez tout aussi, les plaintes générales du commerce vous l’ont appris,
combien cette garantie d’un côté est peu sûre et combien, d’un autre côté, elle
donne lieu à toutes sortes de vexations.
Mais,
nous dit-on, et c’est la seule objection derrière laquelle se retranchent
aujourd’hui nos honorables adversaires, dans certains cas l’introducteur de
bonneterie étrangère aura à payer un droit plus élevé que celui que vous aurez
voulu établir. Eh bien, c’est très possible, je ne le nie pas ; mais comment
doit se traduire cette objection ? C’est que dans certains cas l’industrie
nationale de la bonneterie sera plus protégée que nous n’avons cru nécessaire
de la protéger, tandis que si le mode de perception à la valeur déclarée était
adopté, ce ne serait pas dans certains cas, mais dans tous les cas que
l’introducteur de bonneterie étrangère paierait moins que nous n’avons voulu
lui faire payer, et ce serait alors dans tous les cas aussi que la bonneterie
belge ne serait pas à beaucoup près aussi protégée que nous avons voulu qu’elle
le fût.
Par ces motifs, je voterai
pour le mode de perception au poids.
M. Dubus (aîné). - Il faut qu’on puisse répondre aux diverses
objections qui ont été faites, et s’occuper de la quotité du droit.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - C’est ainsi
que je l’entends.
M. Dubus (aîné). - Alors c’est fort bien.
M. Rogier. - Il me semble qu’il y a une question préalable à
celle posée par M. le ministre des finances, et qu’il faudrait d’abord décider
quel sera le montant du droit, sauf à régler ensuite le manière dont le droit
sera perçu. C’est la marche qui a été suivie, notamment dans la discussion de la
loi des toiles. On a discuté assez longtemps le mode de perception ; mais, sur
la proposition (je pense) de l’honorable M. Gendebien, la chambre finit par
borner la discussion au taux du droit. Ensuite on a examiné quel était le
meilleur mode de percevoir ce droit.
Je crois qu’on pourrait statuer sur chacune de ces
questions, l’une après l’autre. C’est le moyen de simplifier et d’abréger la
discussion.
Dans l’état actuel, il y a
différents taux proposés soit par le gouvernement, soit par divers membres.
Le gouvernement propose 10 p.
à la valeur.
Un membre, 15
Un autre membre, 12
La chambre pourrait, ce me
semble, statuer entre ces différents taux ; et lorsqu’elle aurait décidé si ce
droit sera de 10, 15 ou 12 p. c., on viendrait à la deuxième question, celle de
savoir comment le droit sera perçu. Je demande que cet ordre soit suivi.
M. A. Rodenbach. - Je pense que l’on doit préférer la proposition de
M. le ministre des finances à celle de M. Rogier ; car si la chambre veut adopter
un droit de 15 p. c., moi j’adopterai ce droit s’il est à la valeur. Mais si le
droit est au poids, je n’admettrai pas le taux de 15 p. c. Je demande donc que
la chambre décide avant tout si le droit sera à la valeur ou au poids.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Quel que soit
l’ordre dans lequel on vote sur ces deux questions, il faut laisser la
discussion libre à la fois sur le mode de perception et le taux du droit, parce
qu’on ne peut apprécier l’un sans parler de l’autre. Par exemple, l’honorable
M. Dubus veut la tarification au poids des droits équivalent à 15 p. c., tandis
que si la tarification à la valeur était admise, il voudrait probablement un
droit de 20 p. c., parce que dans son opinion, le droit sera en réalité réduit
par les déclarations au-dessous de son chiffre nominal. Il faut donc laisser la
discussion libre sur ces deux points.
Quant à l’ordre dans lequel on
votera sur ces deux questions, cela me paraît peu important ; cependant, il me
semble qu’il faudrait décider d’abord si le droit sera au poids ou à la valeur.
M. Coghen. - J’ai demandé la parole pour appuyer la proposition
de l’honorable ministre des finances. Il me paraît important de décider d’abord
si le droit sera au poids ou à la valeur ; en effet, si le droit est au poids,
il sera perçu d’une manière positive ; s’il est à la valeur, je ne puis me
contenter d’un droit de 10 ou 12 p c., parce que ce droit sera réduit, en
réalité, à 6 ou 8 p. c. Il faut donc avant tout décider quel sera le mode de
perception. Je crois que ce sera le seul moyen d’atteindre le but que nous nous
proposons tous, qui est de protéger le travail, l’industrie nationale et de
nous rendre, le moins possible, tributaires des nations étrangères.
M. Gendebien. - J’appuie la proposition de M. Rogier, et je crois
que c’est la manière de finir le débat dans lequel nous nous traînons depuis
cinq ou six jours, et qui déjà nous avait occupés dix-sept séances dans la
précédente session. Ce qu’on a fait pour les toiles est ce qu’il convient de
faire. Il s’agit d’établir un droit réellement perceptible. Quand vous aurez
discuté, par exemple, un droit de 10 p. c. sur l’entrée des tricots, si vous
adoptez la perception au poids, vous n’aurez rien à changer ; seulement vous
avez à régler les diverses espèces d’après le type de 10 p. c. ; si vous
établissez la perception à la valeur, vous aurez à tenir compte des fausses
déclarations, et pour obtenir réellement 10 p. c.. vous élèverez le tarif à 15
ou 20 p. c. Mais toujours est-il qu’il faut commencer par poser le droit, par
déclarer quel est le degré de protection nécessaire à la bonneterie. C’est dans
ce sens que la proposition de M. Rogier est facile ; c’est dans ce sens que je
l’ai faite pour les toiles. Fixez donc la hauteur du droit nécessaire, si vous
voulez arriver à un résultat prompt. La proposition de M. Rogier me semble tout
à fait rationnelle.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux).
- Je pense que les raisons données par le préopinant prouvent que sa
proposition ne doit pas être adoptée. De moment que l’on suppose qu’il y a lieu
de voter un droit différent selon la base de la perception, il est évident
qu’il faut d’abord fixer le mode de cette perception, et il est démontré que la
proposition du ministre des finances est la plus logique.
Si j’ai renoncé à répondre aux
observations faites par M. Trentesaux et par M. Desmaisières. ç’a été pour
abréger la discussion et ne pas prolonger davantage le trop long exposé des
considérations générales qui vous ont été soumises, car j’aurais pu répondre
avec la plus grande facilité.
M. Gendebien. - Quand vous aurez décidé que l’on percevra au
poids, vous n’aurez rien fait, car il faudra discuter comment vous pourrez
effectuer cette perception. Quand je vois que ce qui semble ne devoir donner au
poids que 15 p. c. rapportera un droit de 28, 30 ou 40 et même 74 p. c., je
crois qu’il ne sera pas facile de procéder à l’examen à faire pour la mise à
exécution de cette manière de percevoir ; je crois même qu’il sera impossible
d’y procéder, s’il n’établit pas d’avance la base du droit : or, quelle sera la
base ou le type de cet examen ? ce sera la hauteur du droit. C’est pour ce
motif que j’ai appuyé la proposition de M. Rogier.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - La question
actuellement soumise aux délibérations de la chambre est celle de savoir si le
droit de douane sur la bonneterie sera perçu au poids ou à la valeur ; or, si
nous continuons de rentrer dans la discussion générale, épuisée depuis
longtemps, nous n’en sortirons pas d’ici au 1er janvier. Il conviendrait de ne
s’occuper que de chaque article spécial de la loi, et en ce moment de la
bonneterie. Le droit sera-t-il au poids ou à la valeur ? Telle est, selon moi,
l’unique question à discuter ; je demande que la chambre veuille entendre ainsi
la continuation de nos débats. (Adhésion.)
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - La marche proposée par le ministre des finances
est toute rationnelle : quand on aura décidé que la perception se fera à la
valeur, il n’y aura plus de difficulté ; si l’on décide que c’est au poids, il
y aura en outre à déterminer la hauteur de droit et à faire des catégories ;
mais dans tous ces cas il faut choisir la manière de percevoir le droit.
M. Rogier. - Mon intention n’est pas de faire perdre du temps à
la chambre, mon intention est de l’engager à se prononcer d’une manière franche
sur la hauteur de la protection qu’elle prétend accorder à la bonneterie. Si
l’on suppose que la perception à la valeur fournit toujours des produits
au-dessous du taux fixé par le tarif, on élèvera d’autant le taux auquel on
veut atteindre. C’est la marche que vous avez suivie dans la discussion des
toiles ; alors, voulant percevoir 7 p. c., et rien de plus, vous avez fixé le
tarif à 10 p. c, afin d’obtenir effectivement 7. Je tiendrais beaucoup à ce que
la chambre, et à ce que différents membres de cette chambre, surtout,
s’expliquassent nettement sur le taux qu’ils veulent pour favoriser la
bonneterie : ils avaient d’abord cru qu’une protection de 7 p. c. était
suffisante ; c’était l’opinion de la section centrale ; c’était l’opinion d’un
grand nombre de membres qui ont changé d’avis ; et je voudrais que l’on
constatât ce changement d’avis, je voudrais que la chambre déclarât qu’elle a
changé de principes, et que ceux qui l’ont dirigée en 1834 ne sont plus ceux
qui la dirigent en 1837.
Rien n’est plus facile que de
commencer la discussion par la fixation de taux du droit, et c’est le seul
moyen de donner de la clarté à la discussion, ainsi que de lui donner une
issue.
Je pense que ceux qui
proposent de commencer la délibération par le mode de perception ont un but ;
ce serait en quelque sorte de détourner l’attention de la hauteur de droit à
laquelle il veulent atteindre, ce serait de dissimuler leurs intentions à cet
égard. Cependant rien n’est plus facile que de dire quelle est son opinion sur
la protection réelle que l’on exige pour la bonneterie. Je persiste dans la
proposition que j’ai faite, j’en ai fait connaître clairement le but. Cependant
si j’étais en opposition avec les ministres, comme c’est à eux à savoir de
quelle manière la discussion doit être dirigée, je ne persisterais pas.
M. Dubus (aîné). - Le rapport de la section centrale avait si bien
éclairé la matière en discussion que la motion de l’honorable préopinant était
inutile. Qu’a fait la section centrale ? Elle a examiné la question de savoir
s’il fallait la perception au poids ou à la valeur ; elle s’est décidée pour le
poids ; elle a examiné ensuite à quel taux il fallait élever le droit dans ce
mode de perception, et elle a pensé qu’il suffisait du taux de 15 p. c. : si
elle avait préféré la perception à la valeur, elle aurait proposé le droit de
20 p. c. comme il existe sur la frontière de France.
On désire connaître ceux qui
soutenaient qu’un droit de 7 p. c. serait suffisant ; quant à moi, je ne
saurais satisfaire ce désir mais je connais des membres qui croyaient que le
droit de 1 p. c. sur les toiles n’était pas protecteur, et qui ont pensé qu’on
devait le décupler ; et je ne comprendrais pas comment aujourd’hui ils
pourraient refuser une augmentation bien minime, en comparaison de celle qu’ils
demandaient alors.
On voudrait diviser la
discussion ; mais je ne crois pas que cela soit possible, les deux questions
ont une connexion si intime qu’elles se réunissent forcément dans la discussion
; c’est par le vote que vous les séparerez.
- La proposition faite par M.
Je ministre des finances est mise aux voix et adoptée. Ainsi la chambre
délibérera premièrement sur la question de savoir si le droit sur la bonneterie
sera perçu au poids ou à la valeur ; secondement sur l’élévation du droit.
M. Desmet. - Si j’eusse pu parler, comme je complais de le
faire pour répondre aux divers discours, je comptais aussi relever les
reproches que, relativement à la question cotonnière, le chef du département de
l’intérieur a adressés à quelques honorables membres ; je comptais également
prouver à nos adversaires, et particulièrement aux ministres, que la France ne
sert que de prétexte pour faire subir à la Belgique le tarif hollandais de
1821, cette législation de douane qui était particulièrement inventée par les
Hollandais et le parti Hogendorp pour appauvrir la Belgique et la rendre
esclave de la Hollande ; j’eusse aussi démontré à la chambre que nos
ministres avaient été au-devant des exigences de la France, et promis des
concessions dont elle n’avait aucunement que son gouvernement n’avait jamais
demandées.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Mais je serai obligé de répondre aux observations
qu’on me fera, et si l’on rentre dans la discussion générale, je devrai y
rentrer aussi.
M. Desmet. - Je me bornerai donc à ce qui concerne la
bonneterie.
Quoi qu’en dise le ministère,
messieurs, il est bien certain que la bonneterie est en souffrance ; toute la
Belgique est remplie aujourd’hui de bonneterie de Saxe ; je suis étonné qu’on
ne sait pas cela, je suis étonné que M. le ministre de l'intérieur ne sait pas
combien les fabricants de bas ont souffert cette année, qu’il ne sait pas quel
grand nombre d’ouvriers sont sans travail ; il est vrai que ce qui concerne
l’industrie nationale est le cadet des soucis du département de l’intérieur.
La bonneterie étrangère fait
un tel tort à nos fabriques, que les trois quarts de cette marchandise qui se
débite chez nous vient de l’étranger ; je demanderai à M. le ministre de
l'intérieur s’il pourrait actuellement mettre sous les yeux de la chambre deux
cents douzaine de bas blancs de coton, qui seraient fabriqués en Belgique ;
j’en donne le défi ; la grande quantité de bas blancs qui se porte chez nous
vient toute des fabriques étrangères, de France, mais en majeure partie de
Saxe. Vraiment, messieurs, c’est déplorable, pour notre pays, que les
adversaires les plus dangereux de l’industrie nationale, ce sont ceux qui
devraient être ses défenseurs, car c’est particulièrement au département de
l’intérieur que nous trouvons les plus grands protecteurs des produits
étrangers.
M. le ministre de l’intérieur
a dit que le tarif prussien est le seul où le droit soit fixé au poids : il est
tout à fait dans l’erreur : il n’y a qu’un seul pays au monde où les droits
d’entrée ne soient pas perçus au poids, ce sont les Etats-Unis ; comme la
chambre est pressée, je ne lui soumettrai pas des extraits des différents
tarifs de douanes, mais j’ai en mains tous les tarifs du monde, et si M. le
ministre de l'intérieur veut bien se donner la peine de les consulter, il
pourra se convaincre de la vérité de mes assertions.
M. le ministre a
particulièrement indiqué l’Angleterre comme rejetant la perception au poids ;
mais qu’il jette un coup d’œil sur le tarif anglais, et il verra qu’il renferme
un grand nombre d’articles tarifés au poids : par exemple, les bas de soie (qui
est la seule espèce de bonneterie qui s’y trouve déjà tarifée ) sont tarifés au
poids, et même on y a suivi la même échelle proportionnelle qui a été présentée
dans le projet de loi pour protéger l’industrie cotonnière.
Les Anglais ont quantité
d’articles dans leur tarif qui sont tarifés au poids, et même différents le sont
au poids et à la valeur, au choix des employés. Je vais, messieurs, vous en
donner un exemple, je l’ai pris d’un ouvrage qui contient les divers tarifs du
monde et les taux qui concernent les douanes ; une décision de la douane
anglaise avait assimilé les rubans dites tissus-foulards aux tissus-gazes ;
c’est-à-dire qu’elle les avait soumis aux droits de 17 sch., par livre sur la
gaze unie, et de 11.17 sch. 6 d. sur la gaze façonnée ou de 30 p. c. de la
valeur, au choix des employés, tandis qu’ils payaient comme tissus unis 15 sch.
par livre ou 25 p. c. de la valeur.
Le gouvernement français ayant
réclamé contre cette décision l’administration britannique a déclaré ne pouvoir
la révoquer, mais, par une sorte de concession motivée sur ce que les rubans dont
il s’agissait, étaient d’invention nouvelle, et que le droit spécifique les
atteint plus directement que celui à la valeur, elle a retiré aux employés de
douanes la faculté de liquider au poids, et prescrit de ne percevoir qu’un
droit de 30 p. c. Veuillez, messieurs, prendre attention que ce que je viens de
vous répéter est l’extrait d’un ouvrage anglais que j’ai en mains.
Je voudrais bien que M. le
ministre de l'intérieur revît les avis des chambres de commerce, où il verra
qu’aucun avis ne préconise la perception ad valorem, mais que toutes les
chambres qui ont traité le mode de perception, ont donné la préférence à celui
au poids ; même la chambre de commerce d’Anvers a, dans son avis, parlé en
faveur de la perception au poids, pour les droits dont sont taxés les ac (mot incomplètement typographié), etc. Je
pourrais tous vous les énumérer ; mais comme la chambre a l’air si pressé, je
citerai seulement un passage du rapport de la chambre de commerce de Bruxelles
; il y est dit :
« Nous croyons donc, M. le
ministre, que la perte de ce genre d’industrie est certaine si vous persistez
dans l’idée de diminuer les droits d’importation ; nous pensons, au contraire,
qu’il faudrait les élever quant à l’Allemagne, et que, pour que la mesure soit
efficace, il conviendrait d’établir les droits au poids, et les proportionner à
la valeur des objets qu’il serait utile de classifier. »
Que l’on consulte l’enquête
française, qui est vraiment remarquable et qu’on peut consulter avec utilité.
Je défie encore M. le ministre
de l'intérieur de citer un seul cas où la perception ad valorem est proposée ;
partout où l’occasion se présente on y trouve que les droits perçus à la valeur
ne sont pas réels, mais absolument illusoires, et que si on veut obtenir
quelque résultat de la protection accordée, on doit employer un mode de
perception au poids ou à la pièce.
M. le ministre dit qu’il y a
un moyen de prévenir les fausses déclarations, c’est la préemption ; mais je
demanderai à M. le ministre s’il ne sait pas comment se font les envois ; au
lieu d’en faire qui contiennent des assortiments, comme on en a besoin pour le
débit de détail, on en fait tous d’une même espèce de la marchandise, non
seulement des articles, par exemple, tous dépareillés et qui ne peuvent pas
servir, mais encore d’articles tous d’une même grandeur, même qualité, même
couleur, enfin qu’on ne peut pas débiter et que les employés ne pourraient
vendre s’ils devaient faire la préemption. D’ailleurs, messieurs, il faut être
bon connaisseur pour pouvoir bien évaluer les valeurs des articles de la
bonneterie.
Je vous citerai un exemple,
messieurs, qui prouve combien il est souvent difficile d’apprécier la valeur
réelle des objets. Vous savez qu’il s’est fait pendant l’été dernier, à
Bruxelles, une vente considérable d’objets de bonneterie qui, je crois,
provenaient d’une grande maison de commerce qui avait fait faillite ; il y
avait à cette vente plusieurs dames qui y achetaient des bas blanc de coton
fin, croyant acheter à très bon compte ; je crus qu’on les avait à 24 fr. la
douzaine ; c’étaient des bas très fins ! mais les marchands en détail
n’achetaient pas de cette espèce on les croyait très bon marché ; après la
vente on fut informé qu’on pouvait se procurer la même qualité à 18 fr. la
douzaine ; la cause que les acheteurs s’étaient trompés, était qu’au lieu
d’avoir des tricots à trois et quatre fils tors, ils n’étaient qu’à deux, ce
qui faisait que la qualité était très médiocre et qu’on avait acheté hors du
prix ; c’étaient des bas de Saxe !
M. Verdussen a dit aussi, en
parlant du mode de perception, que la ganterie était irrégulièrement tarifée,
et il se plaignait surtout que les articles fins, ceux de luxe, payaient
beaucoup trop peu et hors de proportion avec les gros, que c’était favoriser le
riche au détriment du pauvre.
Nous savons qu’il est fort
difficile de taxer les gants ; car c’est un article qui a un si grand nombre de
variétés, qu’il y a impossibilité de les atteindre toutes, même
approximativement, et même il n’y a pas grande nécessité, car on en fait très
peu en Belgique, puisque tous les gants de tricot viennent de l’étranger, on en
fait très peu en Belgique.
Mais si l’honorable membre
désire avoir une tarification plus étendue, il y a beaucoup de facilité pour le
satisfaire, il n’y aurait qu’à prendre le tarif qu’il a présenté dans le temps
qu’on a discuté le projet de loi sur la modification à porter au tarif actuel
pour l’industrie cotonnière, là les articles fins sont beaucoup plus taxés que
les gros.
Mais qu’est-ce que cela
prouve, messieurs, que nous ne voulons que le pur nécessaire, que nous ne
voulons défendre que l’entrée des articles qui font du mal à nos fabriques, et
qui donnent le travail à nos ouvriers, que pour ce qui concerne les fins, nous
voulons les laisser entrer à peu près librement. Qu’en un mot nous ne voulons
protéger que ce que nous fabriquons.
Je n’en dirais pas plus sur le
mode de perception,, mais je n’ai pas peur de déclarer que si nous adoptons le
mode ad valorem, la Belgique sera le seul pays où on perçoit ainsi les droits
de douanes sur les articles de la bonneterie, et que la protection sera
entièrement illusoire.
J’espère que la Belgique ne
donnera pas l’exemple funeste de tuer l’industrie au profit du commerce de
commission, et qu’à la fin on y verra une fois qu’on y est dupe d’un système de
douane qu’on y veut préconiser à l’ombre d’un certain libéralisme, et qui n’est
réellement que duperie et au profit de quelques maisons étrangères qui sont
établies à Anvers.
Quant au taux du droit, je
crois, messieurs, qu’il est facile de prouver que notre industrie a besoin
d’une protection de 20 p. c. pour pouvoir lutter avec avantage contre la
concurrence étrangère. En effet, messieurs, la prime de fraude est aujourd’hui
de 13 p. c., ajoutez à cela 8 p. c. de prime d’exportation, voilà 21 p. c.
C’est bien là le droit que vous payez aux marchandises qui viennent de France.
C’est la Saxe qui nous fait le
plus grand mal, surtout à la faveur de la disposition perfide sur les
bonneteries Klappembourg qui peuvent entrer moyennant 3 p. c., disposition à
l’aide de laquelle on introduit beaucoup de bonneteries saxonnes comme produits
de Klappembourg.
Je dirai plus, messieurs, il
est de l’intérêt de la France que nous prenions des mesures contre
l’importation des bonneteries de Saxe ; en effet, nous avons en Belgique des
dépôts de ces marchandises, et c’est de là qu’on les introduit en France.
On vous a dit, messieurs, que
le tableau qui vous a été soumis par la section centrale n’est pas exact ; on
vous a déjà fait connaître de quelle manière ce tableau a été dressé. Je vous
ai fait voir que le prix est énorme, entre autres j’en ai trouvé un qui était
coté au tableau à 48 francs, et le prix réel était de 57 francs.
On a parlé aussi d’une
expérience à faire en présence de la chambre ; je demanderai que, si cette
expérience a lieu, on ne fasse pas chercher les objets qui devront y servir
chez des personnes intéressées à protéger le commerce de la bonneterie
étrangère. Je dirai à cet égard que j’ai été voir le dépôt de ces échantillons
qui est dans le palais, je n’ai pas pu ouvrir et examiner les paquets déposés,
mais j’en ai trouvé un entre autres qui contenait des bas de laine. Eh bien !
messieurs, ces bas étaient du pays, ils étaient de la fabrique de Leuze, et
cependant on vous les donne pour du produit étranger ; mais voyez ici la malice
: on vous présente des bas de Leuze, qui sont très pesants, et on y applique
une facture de provenance étrangère, c’est alors très facile de trouver des
taux élevés et aussi de critiquer le travail de votre section centrale.
Vous
savez aussi, messieurs, que pour ces expéditions il se fait toujours deux
factures, l’une qui s’envoie d’avance et qui est la véritable, et une autre qui
accompagne les marchandises et qui est faite pour tromper la douane,
c’est-à-dire pour pouvoir établir une évaluation sous le prix réel ; on
doit donc être très circonspect quand on veut connaître le vrai sur le prix de
marchandises qui nous arrivent de l’étranger.
Aussi quand j’ai voulu prendre
des renseignements, je ne me suis pas adressé à des étrangers, mais à des
personnes du pays, qui sont à la fois marchands et fabricants ; là, je suis sûr
d’avoir des renseignements sincères et exacts ; c’est ce que les ministres
auraient dû faire quand ils voulaient contrôler les opérations de la section
centrale.
J’ai la certitude que les
trois quarts des bonneteries qui se trouvent dans le commerce sont des
bonneteries saxonnes. J’espère donc que la chambre verra la nécessité qu’il y a
de fixer le droit à 20 p. c. et de le percevoir au poids, car c’est là le seul
moyen de ne pas voir éluder les dispositions du tarif. J’ai dit.
M. Verdussen. - Messieurs, j’avais demandé la parole samedi
dernier, lorsque M. Dumortier avait semblé dire que j’avais usé de moyens
déloyaux pour insinuer à la chambre que la pesée des bas au sein de la section
centrale avait été faite sur des paquets choisis d’avance. Je vous avoue que
j’avais été choqué de cette insinuation, et que je croyais devoir la relever ;
toutefois, je m’abstiendrai de répondre, parce que la chambre s’éloignerait de
plus en plus de la véritable discussion, et qu’elle paraît déjà passablement
fatigué.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, j’examinerai successivement la double
question à laquelle la discussion est restreinte, savoir la question du mode de
perception du droit sur les bonneteries, puis celle du taux de ce droit.
Quant au mode de perception,
la section centrale, après un mûr examen, s’est prononcée sur la perception au
poids, et la chambre, lors de son premier vote, s’est prononcée dans le même
sens.
Les objections que l’on fait
aujourd’hui contre ce mode de perception, on les avait déjà faites alors, et je
dois le dire, il y avait déjà été répondu. On les a reproduite cependant, sans
se soucier de rencontrer les réfutations qu’elles avaient déjà reçues dans la
discussion précédente.
Ces objections revenaient pour
la plupart à une seule, c’est que dans l’application du droit, il y aurait
inégalité, et que, quelque nombreuses que fussent les catégories, le poids au
droit pour chaque catégorie, appliqué à des qualités diverses, aurait donné des
résultats différents.
Et en effet messieurs, il en
est ordinairement ainsi pour tous les droits au poids. Ouvrez le tarif : vous y
voyez que le droit est établi au poids sur les tissus en coton, sur les
porcelaines et faïences, et à la quantité, ce qui revient au même, sur les
vins. Eh bien, dans tous les cas se présente dans toute sa force l’objection
que l’on fait seulement lorsqu’il s’agir de bonneterie. La différence qu’il y
a, c’est que lorsqu’il s’agit de tissus de coton, etc., on se borne d’ordinaire
à répondre à l’objection, que le droit au poids est préférable, parce que la
perception en est plus certaine,
La vérification étant purement
matérielle, sans que rien soit abandonné à l’appréciation de l’employé ; au
lieu que dans le cas de la bonneterie, on a une seconde réponse à donner. En
effet, l’objection s’évanouit, lorsqu’on considère que, précisément pour cette
marchandise, les expéditions se font par assortiment, de manière que les
qualités se compensant l’une et l’autre en quelque sorte, il en résulte un taux
moyen. Et sur ce point j’invoque le témoignage de tous ceux qui connaissent
l’article des bonneteries, et je suis sûr que je ne serai pas démenti.
L’avantage de la perception au
poids est tel qu’on n’a pas tenu d’objection, lorsqu’il s’est agi des tissus de
coton, etc. ; et à coup sûr, la perception au poids d’un droit uniforme, sur
les tissus de coton, ou sur les porcelaines et faïences, donne lieu à des
inégalités quelquefois bien graves ; et l’on peut ajouter qu’en ce qui
concernent particulièrement les tissus de cotons, il est très ordinaire
d’expédier toute une balle de ces tissus d’une seule qualité ; de sorte que si
ce sont des qualités pesantes, le droit deviendra très considérable, et que si
les qualités sont superfines, le droit sera tout à fait minime.
Eh bien, il n’en est pas ainsi
pour la bonneterie ; et si vous voulez vous convaincre, prenez inspection de
toutes les factures qui ont été déposées sur le bureau à l’occasion de cette
discussion. Vous verrez que chaque facture comprend une série de questions
diverses dont les unes, par l’application isolée du droit au poids, peuvent
donner lieu à un droit assez élevé, tandis que les autres seraient frappées
d’un droit bien inférieur au taux moyen qu’a invoqué la section centrale ; mais
en établissant une moyenne, d’après les éléments que fournissent les factures,
vous arrivez à peu près au taux moyen dont parle la section centrale, de
manière que ces factures peuvent être présentées comme une preuve de plus à
l’appui du travail de cette section.
Ainsi, en ce qui concerne la
bonneterie, il y a une réponse à l’objection, qui ne se présente dans aucun des
trois cas que j’ai énumérés et où cependant le droit à la valeur a été
abandonné par la considération des abus qui en résulteraient. Or, ces abus sont
manifestement aussi grands et plus grands même, quant à la bonneterie.
Pour faire abandonner la
perception du droit à la valeur, sur les tissus de coton, on disait que des
déclarations faites de beaucoup au-dessous de la véritable valeur n’amenaient
aucune préemption, et que des marchandises entraient impunément ainsi à un taux
très inférieur à la valeur réelle.
Eh bien, c’est ce qui arrivera
inévitablement pour les bonneteries. A coup sûr, il est plus aisé à un employé
d’apprécier la valeur de 100 pièces de tissus de coton d’une seule qualité que
celle de 20 ou 50 pièces de bonneteries, toutes de qualités et de valeurs différentes
; cela saute aux yeux.
J’ai parlé des tissus de
coton. Vous avez encore le droit sur les porcelaines et les faïences. On a
reconnu la nécessité d’abandonner également pour ces articles la perception à
la valeur, pour revenir à la perception au poids. Vous avez encore le droit sur
les vins : ce droit est établi à la quantité. Ici encore, il arrivera
fréquemment que des transports de vins comprendront tous vins de la même
qualité, ce seront tous gros vins, ou tous vins fins. N’est-il pas évident que le
droit à la quantité calculé au revient sur la valeur, donnera un droit beaucoup
plus élevé sur les uns que sur les autres ? et cependant l’on s’est vu forcé
d’adopter pour les vin le mode de perception au poids. Et quand on vous propose
ce mode pour les bonneteries, il semble que ce soit une innovation à notre
système de douanes ; que ce soit la chose du monde la plus étrange.
Ce qui serait étrange,
messieurs, ce serait que la chambre repoussât cette amélioration de notre
tarif, surtout après qu’elle a fait plusieurs pas nouveaux dans cette voie
depuis quelques années.
J’ai répondu, messieurs, à
l’objection tirée du principal inconvénient qu’on a signalé. Je dois cependant
faire remarquer qu’on a singulièrement exagéré cet inconvénient, que, par
exemple, on aurait fait porter toutes les critiques sur le tableau relatif aux
articles de ganterie, parce que la section centrale, jugeant cet article
beaucoup moins important que la bonneterie dite des bas, on n’avait fait qu’une
seule catégorie.
Le travail avait été fait sur
trente qualités différentes entre lesquelles on avait pris une moyenne ; mais
quant aux autres tableaux, ils ont donné beaucoup moins de prise à cette
objection, puisqu’il y avait là plusieurs catégories différentes et plusieurs
droits différents.
Le droit au poids, messieurs,
est le seul remède contre les abus qui se pratiquent. Nous avons la preuve que
les déclarations sont parfois au-dessous même de la moitié de la valeur, que
ces déclarations sont admises et que la marchandise entre ainsi dans le pays
à moins de 5 p. c. de droit d’entrée.
Les abus, vous ne pouvez les faire cesser que par le moyen proposé par la
section centrale.
On dira : la loi offre le
remède ; les marchandises sont examinées, visitées et appréciées à la frontière
; les employés sont armés du droit de préemption.
Mais si l’expérience n’était
pas là pour nous prouver que dans le cas dont il s’agit le remède que l’on
indique est tout à fait inefficace, le raisonnement seul suffirait pour le
démontrer.
Quelle est cette faculté de
préemption ? Quelles sont les conditions auxquelles elle est assujettie ? Vous
apprécierez d’après cela que ce n’est pas là un palliatif évidemment
insuffisant.
Il faut que l’employé qui veut
préempter connaisse parfaitement l’article ; il faut, par exemple, lorsqu’on
lui déclare, comme dans la pièce qui se trouve fortuitement sous les yeux de la
chambre, un paquet contenant treize douzaines de bas demi-laine, quatre
douzaines de bas de coton, trente douzaines de gants de coton, d’une valeur
globale de 299 fr., il faut dis-je que l’employé ouvre tous les paquets
contenant des qualités différentes ; il faut qu’il connaisse toutes ces
qualités, qu’il puisse assigner approximativement le prix de chacune, qu’il
fasse un total, et qu’il apprécie d’après cela si la déclaration est suffisante
ou non.
Je vous demande combien il y a
d’employés qui soient capables d’un pareil travail, si vous croyez même qu’il y
en ait un seul qui puisse le faire. Ce n’est pas tout ; après que l’employé
aura fait cette vérification impossible dans un article qui compte des
centaines de qualités différentes, s’il trouve que la déclaration est
insuffisante, s’il veut user du droit de préemption, il faut qu’il paie dans
les 24 heures au déclarant le montant de la déclaration et 10 p. c. en sus ; ou
s’il veut attendre 2 fois 24 heures, il doit payer 11 pour cent, et s’il attend
trois fois 24 heures, il faut qu’il paie 12 pour cent ; de sorte que le retard
d’un seul jour lui coûte gros. Ce n’est pas encore tout ; il faut qu’il fasse
une nouvelle déclaration et paie les droits sur la déclaration augmentée. Quand
il a ainsi acheté et payé la marchandise et les droits, il faut qu’il la vende
avec bénéfice, car pour ne pas faire un bénéfice même notable, aucun employé ne
s’avisera d’user du droit de préemption. Pour cela, il faut qu’il se transporte
dans un lieu où cette marchandise puisse être vendue. S’il est dans un lieu
voisin de la frontière dans un village, il ne trouvera personne pour acheter
son ballot, il faut donc qu’il se rende dans une ville où on fasse ce commerce
et qu’il trouve à l’y placer avec avantage. S’il ne peut pas s’y transporter
lui-même, il faut qu’il s’adresse à un commissionnaire et qu’il le paie. Voilà
tout ce que doit faire l’employé qui a usé du droit de préemption. Dès lors,
vous concevrez qu’il ne sera pas très soucieux de recourir à ce remède, alors
qu’il supposerait que la déclaration est insuffisante. Il le fera d’autant
moins quand il s’agira d’articles comme celui-ci dont il est impossible qu’il
connaisse les détails.
A cette occasion, je
rencontrerai une autre objection principale qui a été faite au mode de
perception au poids. On a dit : ce mode de perception va empêcher tout
commerce, car pour peser la marchandise, il faudra ouvrir non seulement les
ballots, mais les paquets pour peser les espèces de catégories différentes.
Véritablement, il m’étonne
qu’une pareille objection ait pu se produire dans cette assemblée. Comment !
c’est un inconvénient attaché à la perception au poids, qu’il faille ouvrir les
ballot et les paquets ? Mais si vous voulez que l’employé contrôle la
déclaration à la valeur, pourra-t-il le faire sans ouvrir les paquets ? Peut-on
juger si la déclaration est suffisante, sans avoir vu la marchandise ? C’est là
une chose que je ne puis concevoir. Je comprends que pour de certaines espèces
de marchandise, comme une balle de coton, par exemple, il suffit d’ouvrir la
balle par un coin, d’en tirer une certaine quantité pour juger du tout : mais
en fait de bonneterie, quand vous aurez ouvert un paquet, vous ne serez pas
plus en état d’apprécier si la déclaration est suffisante. Ce n’est que quand
vous aurez tout vu que vous pourrez porter un jugement en connaissance de cause
sur la véritable valeur du ballot.
Nous nous trouvons sous ce
rapport encore dans cette position particulière que cette objection s’applique
aussi bien à la perception à la valeur qu’à la perception au poids. Je le
maintiens, avec le mode de perception à la valeur, les employés sont obligés
d’ouvrir les ballots et les paquets, car il est impossible sans cela qu’ils
puissent se faire une idée, même approximative, de la valeur du ballot.
D’après ces observations, vous
ne devez pas être étonnés que le mode de perception au poids ait réuni tant de
suffrages et vous est demandé par le commerce de Tournay, par la régence et par
la chambre de commerce de cette ville. On dira que leur demande est intéressée,
qu’elle a pour but de dissimuler la hauteur du droit ; mais il vous est demandé
par d’autres chambres de commerce ; on vous a cité la chambre de commerce de
Bruxelles qui s’est formellement prononcée pour la perception au poids. Cette
perception, vous la rencontrez dans d’autres tarifs. C’est un droit perçu au
poids qui protège la bonneterie allemande contre la bonneterie étrangère. C’est
aussi un droit perçu au poids qui protège la bonneterie française contre la
bonneterie étrangère. Mais, me répond-on, la bonneterie française est protégée
par la prohibition ! Cela est vrai pour les bonneteries de laine et de coton, mais
il y a plusieurs autres espèces de bonneteries qui sont protégées par une
tarification au poids. Cela a été considéré par ceux qui ont fait le tarif
français comme le seul moyen efficace d’assurer une protection réelle.
On a fait une troisième
objection qu’il faut que je rencontre aussi. On a dit : mais votre droit au
poids, le supposât-on calculé sur le taux moyen de la valeur de marchandises de
diverses catégories, ce droit sera immobile, tandis que la valeur peut varier.
Ainsi, qu’il survienne une hausse de 20 p. c. notre droit sera le même, tandis
que la valeur sera haussée. Mais, messieurs, est-ce là un grand inconvénient ?
Et n’est-il pas au contraire désirable que si la valeur s’élève, le droit ne
s’élève pas. Si la valeur s’élève, est-ce une raison d’en augmenter encore le
prix par une surtaxe ?
Pour moi, je trouve un
avantage, bien loin d’y trouver un inconvénient, dans cette immobilité du
droit. J’y trouve un avantage parce que si le droit s’élevait en raison de ce
que la marchandise augmenterait de prix par une circonstance du moment, il en
résulterait que le consommateur serait doublement grevé ; tandis que le droit
étant immobile, le consommateur ne paie que l’augmentation résultant de
l’enchérissement de la marchandise, sans devoir y ajouter une augmentation de
droit proportionnée.
Messieurs, dois-je maintenant
rencontrer ce qu’on a dit que la perception du droit au poids ferait retomber
sur le pauvre et non sur le riche les frais de la protection que l’on doit
accorder à l’industrie ? J’ai déjà répondu que cette objection pourrait
être de mise s’il s’agissait de droits au poids sur les tissus de coton, sur la
faïence, et des droits fixes sur les vins surtout, car le droit est infiniment
plus élevé sur les vins communs que sur les vins fins servis sur la table du
riche. Mais ici, encore une fois, vous avez l’expérience de la manière dont on
fait les expéditions de bonneterie, ce sont toujours des assortiments. Le
négociant qui ferait venir de la bonneterie d’une seule qualité ne saurait
qu’en faire, le boutiquier auquel il a affaire a besoin d’être assorti, il lui
faut de toutes les qualités pour pouvoir fournir toute espèce que le chaland
peut venir lui demander.
La bonneterie est une espèce
de marchandise qui est toujours assortie dans les commandes et dans les
expéditions, parce qu’il faut que les magasins soient assortis. Ainsi encore
une fois, pour que vous fassiez une objection qui mérite d’être examinée, il
faut que vous fassiez voir que dans les expéditions, le taux moyen présente un
résultat exagéré en trop ou peu. Mais si vous trouvez qu’il ne s’éloigne pas de
la proposition de la section centrale, ce sera une preuve à l’appui de cette
proposition-là même.
On a prétendu que ce droit
converti ainsi en un tantième au poids, il était difficile de reconnaître le
revient à la valeur, au point qu’il est impossible d’être convaincu si les
travaux de la section centrale sont exacts ou inexacts. Messieurs, il est
difficile de convaincre ceux qui ne veulent pas l’être. Mais ceux qui voulaient
l’être avaient la faculté de contrôler le travail de la section centrale. Elle
n’a pas travaillé dans l’ombre ; elle a travaillé en public, pour tous les
membres ; tous ont été admis ; plusieurs de nos adversaires y ont assisté et
ont même tenu note des résultats ; ils peuvent dire si les résultats consignés
dans les pièces imprimées sont exacts ou inexacts.
On n’a pas choisi les qualités
qui pouvaient être favorables plutôt à un système qu’à un autre. On a pris des
factures venant de Saxe même, et on a produit une série de marchandises de tous
les articles compris dans les factures. Ainsi vous voyez qu’il n’y a pas eu là
de choix prémédité puisqu’on a présenté la facture avec les marchandises qui
l’accompagnaient. Dès lors ce travail mérite toute confiance.
S’il y a un travail qui ne
mérite pas de confiance, c’est celui que l’on a opposé à la section centrale.
Le travail de la section centrale n’est pas anonyme, il est avoué par elle ; il
n’a pas été fait dans l’ombre ; il a été fait en quelque sorte en présence de
tous les membres de cette assemblée, il a été fait du moins en présence de tous
ceux qui ont voulu y assister. A ce travail on oppose un travail anonyme dont
personne ne voudrait prendre la responsabilité ; car je ne pense pas que M. le
ministre des finances, M. le ministre de l’intérieur ou l’honorable député
d’Anvers consentissent à prendre la responsabilité d’un pareil travail. Ils
laissent peser cette responsabilité sur l’individu étranger ou non (mais
probablement étranger) qui a fourni le tableau tout dressé ; je dis,
probablement étranger ; car c’est des étrangers que viennent les objections
qu’on oppose dans cette enceinte à l’industrie indigène. Cela n’est pas
étonnant ; ces étrangers agissent dans l’intérêt de leur pays ; nous ne devons
pas leur en savoir mauvais gré, mais nous aussi n’avons à consulter que
l’intérêt de notre pays.
Mon honorable ami vous a déjà
fait remarquer, en ce qui concerne la bonneterie en coton, une erreur grave
dans le tableau n° 2 du travail qu’on oppose à celui de la section centrale. Je
vous rappellerai quelles sont les catégories dont se compose le tableau n° 2.
Il s’agit de bas, chaussettes et bonneterie ; le droit est de 4 fr. par
kilogramme pour les marchandises de cette espèce qui ont un poids supérieur à 5
hecto. la douzaine. Il est proposé par la section centrale un droit de 8 fr.
pour les marchandises dont la douzaine a un poids inférieur à 5 hecto. La
section centrale a opéré pour la première catégorie qui est frappée d’un droit
de 4 fr., sur 20 espèces différentes, depuis le prix de 11 fr. jusqu’à celui de
30 fr. Elle a opéré en quelque sorte sur toutes les qualités : le poids moyen
est de 7 hecto et demi. L’auteur anonyme du travail auquel je réponds a opéré
sur 4 qualités ; il a choisi les plus pesantes, à savoir : celles pesant 7
hectogr. et demi, 8 hectogrammes et même un kilogramme.
Il
y a plus, c’est qu’il a opéré aussi sur des qualités ayant un poids moindre de
7 hect. et supérieur à 5 hect. ; et, au lieu de les indiquer comme frappées
d’un droit de 4 fr., il les a supposées frappées d’un droit de 8 fr., et les a
mises par là dans une catégorie autre que celle à laquelle elles appartiennent.
Il est alors arrivé pour les deux catégories à deux résultats nécessairement
faux ; mais faites rentrer dans la catégorie où elles devraient être les
qualités placées dans l’autre, de suite vous trouverez la moyenne de la section
centrale à peu de chose près. C’est une confirmation de son travail. Vous
comprenez au reste qu’en prenant la moyenne de 6 qualités seulement on
n’obtienne pas exactement le même résultat que celui qui a opéré sur le tout et
consciencieusement, comme opère une commission de la chambre.
Ainsi ce tableau n° 2 n’est
d’aucune conséquence : voilà pour le droit principal de la bonneterie en coton
; maintenant voyons ce qui concerne le droit principal de la bonneterie en
laine ; voyons si l’on n’a pas opéré à peu près dans le même sens.
L’auteur anonyme du tableau...
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - C’est un document
officiel.
M. Dubus (aîné). - Le gouvernement l’a déposé ; mais il ne l’a pas
fait faire.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Je vous
demande pardon ; il l’a fait faire dans les bureaux de l’administration.
M. Dubus (aîné). - Je l’apprends maintenant ; je dirai désormais « le
travail présenté par le gouvernement. »
Dans le tableau n° 6 présenté
par le gouvernement (on rit) et qu’il
oppose au travail de la section centrale, on s’occupe des bas de femme, en
laine, et ensuite des bas d’homme. La section centrale dans son tableau a opéré
sur 10 qualités ; ces dix qualités présentent un poids moyen de 9 hect. la
douzaine.
Le gouvernement n’a opéré que
sur 5 qualités ; il n’a certainement pas pris les qualités du moindre poids
puisque a moyenne, au lieu, d’être de 9 hectogr., est de 1 kilogr. 12 ; mais il
y a plus, c’est qu’il a opéré presque toujours sur des marchandises du pays au
lieu d’opérer sur des marchandises étrangères qu’on introduit dans le pays.
Ainsi l’échantillon n°33,
pesant 1 kilogr. 17, ce sont des bas fabriqués à Leuze que l’on n’introduit pas
de l’étranger dans le pays.
Ainsi l’échantillon n°35 du
poids de 1 kilogr. 20, ce sont des bas fabriqués à Montmigny, arrondissement de
Charleroy ; des bas que l’on ne fabrique que là et pas du tout à l’étranger. Il
en est de même de l’échantillon n°38 du poids de 1 kilogr. 55.
Enfin l’échantillon n°36, ce
sont aussi des bas que l’on fabrique exclusivement en Belgique.
Ainsi c’est avec des articles
de bas belges fabriqués exclusivement en Belgique et que jamais assurément on
n’introduira à notre frontière, que l’on voudrait prouver que le travail de la
section centrale manque d’exactitude, tandis que la section centrale a opéré
exclusivement, comme elle devait le faire, sur des bas introduits de l’étranger
dans notre pays.
Quant aux bas d’homme, la
section centrale avait opéré sur 3 qualités différentes dont le poids moyen
était de 1 kilog. 1/2 par douzaine ; mais le gouvernement a si bien opéré sur
les qualités les plus pesantes qu’il a obtenu le poids moyen de 2 kilog. 1/2
par douzaine. Il est certain qu’en prenant ainsi les marchandises les plus
pesantes on arrivera toujours à un faux résultat.
Dira-t-on que la section
centrale a choisi les qualités les moins pesantes ? Bien loin de le prouver, on
n’a pas même avancé cette critique ; tandis que moi, j’accuse le gouvernement
d’avoir choisi les qualités les plus pesantes à l’exclusion des autres. Je ne
dis pas qu’il ait eu le dessein prémédité d’obtenir un faux résultat ; s’il n’a
pas eu ce dessein, il a obtenu ce qu’il ne cherchait pas : un faux résultat.
Voilà mes réponses aux
diverses objections qui ont été faites contre le mode de perception au poids.
Je crois que, fidèles à vos antécédents, vous donnerez à ce mode la préférence
sur la perception à la valeur.
J’arrive maintenant au taux du
droit ; mais si la chambre le permet, je remettrai à demain pour m’en occuper.
Plusieurs membres. - Oui, à demain.
- La séance est levée à 4
heures 3/4.