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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 31 octobre 1837

(Moniteur belge n°305, du 1er novembre 1837 et Moniteur belge n°306, du 2 novembre 1837)

(Moniteur belge n°305, du 1er novembre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbam

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur Théodore d’Hooghs, blanchisseur et apprêteur de tulles à Anvers, demande qu’il soit établi sur les tulles étrangères un droit protecteur de son industrie. »

« Le sieur F. Vascher, fabricant de tulles à Bruxelles, demande que la chambre maintienne son premier vote sur l’article des tulles. »


« L’administration communale de Liége demande qu’il soit alloué au budget, en faveur du conservatoire royal de musique de Liége, une somme égale à celle qui est demandée pour le conservatoire de Bruxelles. »


« Des rouliers de la commune de Jumet demandent que la charge d’hiver des voitures reste fixée au poids réglé par l’arrêté du 31 mars 1833. »


- Les deux premières pétitions resteront déposées sur le bureau pendant la discussion de la loi concernant le tarif des douanes ; les autres sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Second vote du tableau du tarif

Draps

M. le président. - La discussion continue sur l’article draps.

M. Dumortier. - Messieurs, dans une séance précédente, j’ai demandé la parole pour répondre quelques mots à M. le ministre de l’intérieur en ce qui concerne les grands avantages que, suivant lui, la législature française aurait accordés à la Belgique par les modifications qu’elle a apportés au tarif des douanes. Cette question, messieurs, est d’autant plus importante qu’elle domine toute la discussion actuelle ; car, depuis l’origine de cette discussion, on n’a cessé de nous entretenir des prétendus grands avantages qui résulteraient pour nous des dernières modifications apportées au tarif français, et c’est pour répondre à ces avantages, pour en donner à la France une sorte d’équivalent qu’on nous engage à adopter le projet de loi qui nous a été présenté par le gouvernement. Nous ne saurions donc examiner assez mûrement les modifications dont il s’agit.

Eh bien, messieurs, j’ai étudié cette partie de la question avec la plus grande attention ; comme membre de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi qui nous occupe, j’ai été à même d’en apprendre tous les détails. C’est principalement de cet objet que je désire entretenir l’assemblée, et je crois pouvoir lui démontrer d’une manière incontestable que nous pouvons très bien, sans nuire à nos grandes industries, donner à la France des équivalents plus que suffisants des avantages qu’elle nous a accordés.

Ne croyez pas, messieurs, que j’aie le moins du monde l’intention d’élever ici des récriminations contre la France ou contre le gouvernement français ; au contraire, je sais quelles sont nos relations commerciales avec cette puissance, je sais qu’en prenant des mesures en sa faveur elle nous a accordé plusieurs avantages réels ; mais, comme je l’ai déjà dit, nous pouvons de notre côté faire beaucoup pour elle, sans nuire à nos grandes industries.

Messieurs, je suis ennemi du système prohibitif, et je me suis très souvent prononcé dans ce sens dans le sein de la législature ; aussi s’il s’agissait d’établir la prohibition des draps, je serais le premier à m’y opposer ; mais, messieurs, cette prohibition existe, et il y a une différence immense entre établir une prohibition en faveur d’une industrie qui n’en possède pas, et maintenir une prohibition qui existe, et à la faveur de laquelle une industrie s’est considérablement développée : dans ce dernier cas, messieurs, il y a un droit acquis, et les droits acquis sont toujours infiniment respectables :je n’y porterai jamais légèrement la main, surtout lorsqu’en y touchant on peut renverser la fortune des citoyens.

Si vous écoutez M. le ministre de l’intérieur, il vous dira que maintenir la prohibition des draps français, c’est blesser l’amour-propre de la France, c’est repousser les avances qu’elle nous a faites. Il n’est point question, messieurs, de repousser les avances de la France, car la France ne nous a pas fait d’avances, c’est au contraire la Belgique qui en a fait à la France : nous pouvons donc maintenir la prohibition des draps français sans repousser en aucune manière les avances de la France. Mais ce serait blesser l’amour-propre de la France, Messieurs, il faut convenir que, dans ce cas, la France blesse singulièrement notre amour-propre en maintenant la prohibition de nos draps, et de la plupart de nos produits manufacturés. Au reste, il n’est pas question de cela, messieurs ; une nation ne blesse point l’amour-propre de ses voisins en réglant son tarif sur les intérêts de son industrie. Déjà dans la discussion qui a eu lieu à la tribune française, M. Thiers a déclaré dans les termes les plus formels que, dans une matière de cette nature, toutes les considérations de pays amis devaient disparaître devant l’intérêt de l’industrie nationale.

On a dit plusieurs fois (et c’est là un des principaux arguments de M. le ministre de l’intérieur et de l’honorable M. Lebeau ), on a dit plusieurs fois que les augmentations de droit qui ont été introduites en 1826 dans le tarif français sont dues aux mesures prises contre la France par le gouvernement hollandais. S’il en est ainsi, alors il faut en tirer la conséquence que la Belgique ne doit point retirer les droits différentiels dont les produits français ont été frappés par l’ancien gouvernement, avant que le gouvernement français ne retire de son côté les mesures de 1826.

Eh bien, messieurs, les mesures de 1826 ne frappaient pas seulement les objets sur lesquels le droit a été quelque peu diminué par les lois de juillet 1835, mais encore beaucoup d’autres objets et entre autres les toiles ; or, vous savez si les mesures dont nos toiles ont été frappées en 1826 ont été retirées.

La France, messieurs, nous a fait de faibles concessions ; je vais avoir l’honneur d’en faire l’énumération, et vous verrez combien ces concessions, dont on fait tant de bruit, sont peu de chose par rapport à nos grandes industries. Je dis par rapport à nos grandes industries ; car, certes, si toutes les industries sont respectables, elles ne sont pas toutes également importantes ; elles sont plus ou moins importantes selon qu’elles font mouvoir un plus ou moins grand nombre de bras, selon qu’elles nourrissent un plus ou moins grand nombre d’ouvriers. Eh bien, messieurs, toutes les concessions que la France nous a faites tournent au profit du travail de l’ouvrier français, tandis qu’on nous demande des concessions qui doivent ruiner nos industries les plus majeures.

La France a consenti d’abord à lever la prohibition de nos cuivres ouvrés. Eh bien, vous savez, messieurs, que nous produisons très peu de cuivres ouvrés ; la plus grande partie de ces objets nous viennent de France : par exemple, les cuivres dorés, les bronzes dorés, les pendules, les candélabres, etc. C’est donc là une concession nulle par rapport à nos grandes industries.

En second lieu, la France a abaissé le droit sur nos fontes et nos fers forgés ; c’est là, je me plais à le reconnaître, une concession réelle au profit d’une de nos industries majeures, car certes l’industrie de la forgerie est une des principales de la Belgique. Toutefois, la France a agi dans son intérêt en nous accordant cette concession ; personne ne peut le méconnaître, car il est démontré par l’enquête qu’une charrue ou un instrument de fer quelconque coûtait un tiers plus en France qu’en Belgique, et que l’importation des fers belges devait amener une grande diminution dans le prix de ces objets. Ainsi, messieurs, si la concession dont il s’agit est d’une utilité réelle pour la Belgique, il n’en est pas moins vrai qu’elle est d’une utilité tout aussi grande pour la France, tandis qu’on veut nous faire faire des concessions qui nuisent au plus haut degré à nos intérêts et qui servent exclusivement les intérêts de la France.

Troisièmement, la France a modifié son tarif en ce qui concerne nos toiles et coutils ; vous savez, messieurs, que cette modification est loin d’être favorable à notre industrie ; cela est tellement vrai que tous les négociants en toile se sont plaints de cette mesure et que les négociants de Lille qui viennent acheter des toiles sur nos marchés ont réclamé auprès de la chambre des pairs de France, après l’adoption de la loi par la chambre des députés, déclarant que la nouvelle disposition était plus défavorable à leur industrie que la disposition ancienne. Il est donc constant, messieurs, que cette troisième modification, loin de nous être favorable, nous est réellement nuisible.

Quatrièmement la France a réduit le droit d’entrée sur nos chevaux. C’est là, messieurs, une concession réelle ; mais examinons cependant les motifs qui ont amené le gouvernement français à nous la faire : vous savez tous, messieurs, que, comme l’a dit l’honorable M. Mast de Vries, nos chevaux passaient au grand galop la frontière française sans payer un droit quelconque : eh bien, il est tout simple que le gouvernement français ait préféré recevoir un droit moindre que de ne rien recevoir du tout.

Vous voyez donc, messieurs, que chaque fois que le gouvernement français nous accorde une concession réelle, il le fait dans son intérêt, tandis qu’on demande de nous des concessions tout à fait contraires à nos intérêts.

Cinquièmement la France a abaissé le droit sur nos tapis. Cette concession-là, messieurs, se réduit à bien peu de chose, et je puis en parler d’autant plus pertinemment qu’elle concerne la localité qui m’a envoyé dans cette chambre ; anciennement les tapis de Tournay payaient à l’entrée en France 315 fr. par 100 kilog. ; ce droit a été réduit à 265 fr. ; 315 fr. était un droit prohibitif ; 265 fr. est encore un droit prohibitif ; les choses sont donc restées absolument les mêmes. Les tapis n’en sont ni plus ni moins prohibés qu’auparavant. Aussi longtemps que le droit sera maintenu au taux de 260 fr., la Belgique ne profitera pas plus de la prétendue concession de la France que des dispositions de l’ancien tarif.

A cet égard, je vous prie, messieurs, de me permettre de vous soumettre encore une réflexion.

Il y a une différence immense entre la position de la France et la nôtre, en matière de tarif de douanes. La France frappant les produits belges et ceux des autres pays de droits extraordinairement élevés, qui vont quelquefois jusqu’à plusieurs centaines de francs, il lui est extrêmement facile de réduire ces droits de 4, de 5 ou de 6 p. c., sans nuire en rien aux différentes branches de son industrie, tandis que le tarif belge ne frappant les produits étrangers que de droits très modérés, il en résulte que la Belgique ne peut les diminuer sans faire le plus grand tort à l’industrie indigène.

Vous voyez donc, messieurs, que les concessions que la France nous a faites peuvent devenir tout à fait illusoires, comme elles le sont dans l’espèce, puisque le droit de 350 fr. qui pesait primitivement sur l’entrée de nos tapis en France était prohibitif, et que celui qui l’a remplacé l’est également. On ne peut donc pas prétendre que La France nous ait fait la moindre concession pour l’article des tapis.

Sixièmement : abaissement des droits sur le cuivre de laiton et le zinc laminé. C’est là un avantage dont un ou deux établissements pourront profiter en Belgique ; c’est entre autres l’établissement de la vieille montagne près de Verviers. Il est donc évident que les grandes industries de la Belgique n’entrent pour rien dans la réduction sur cet article, et je ne pense pas que la chambre veuille accorder des concessions immenses, nuisibles à nos grandes industries, et cela pour faire les affaires de deux ou trois riches propriétaires.

Septièmement : réduction sur les droits et pierres d’Ecaussines. Comment la réduction a-t-elle encore été admise ici ? Elle a été admise sur des marchandises non ouvrées. On permet l’entrée de nos produits bruts, pour en laisser la manipulation à la France ; mais on écarte encore en cette occasion les produits belges qui ont reçu leur dernière manipulation. Le gouvernement français qui connaît et sert admirablement les intérêts de la France, n’est pas assez maladroit pour nous abandonner le bénéfice de la main-d’œuvre ; il vient prendre chez nous des matières premières, mais a bien soin d’en conserver le travail à ses ouvriers. C’est dans ce sens qu’il admet nos pierres brutes et qu’il rejette nos pierres ouvrées. Encore une fois, il n’y a pas ici la moindre similitude entre la prétendue concession que l’on nous fait sur cet article, et celles que l’on nous propose d’accorder à la France, au détriment de grandes industries qui font mouvoir chacune de 50 à 60,000 ouvriers.

Huitièmement : importation des fromages de Herve. Vous conviendrez, messieurs, que c’est là un article tout à fait insignifiant en comparaison de l’industrie de la bonneterie et de celle de la draperie, qui sont au nombre des plus importantes de la Belgique.

Un honorable membre me fait remarquer que la disposition concernant les fromages de Herve n’a pas été accordée. Voilà donc une concession à retrancher du nombre de celles que la France nous a faites.

Neuvièmement : abaissement des droits sur la céruse. Je vous demande encore, messieurs, si c’est là une industrie assez importante en Belgique pour que l’on puisse se prévaloir de la concession que l’on nous fait à cet égard. L’on sait, en effet, que la Belgique est obligée de se fournir en grande partie de ce produit à l’étranger.

Dixièmement : abaissement des droits sur les chapeaux de feutre. Voilà encore une concession bien minime, puisque nous sommes obligés de faire venir de France la plus grande partie des produits de cet article.

Onzièmement : Levée de la prohibition sur les tulles brodés. C’est spécialement dans l’intérêt des brodeuses de la province d’Anvers que cette concession est faite, et c’est probablement pour cela que les députés de cette province se montrent si pou soucieux des intérêts de l’industrie des autres localités, eux qui veulent bien obtenir des avantages, mais seulement pour les articles qui intéressent leur province, eux qui veulent des primes de plusieurs millions par an pour un objet qui concerne spécialement leur localité.

En résumé, messieurs, les concessions que la France nous a faites ne se rapportent qu’à des industries minimes du pays, tandis que les concessions qu’on prétend que nous fassions à la France, doivent affecter les industries les plus vitales de la Belgique.

Le gouvernement français avait proposé à la chambre française un abaissement de droits sur nos toiles ; cette proposition a été rejetée ; le gouvernement français demandait encore une réduction sur l’entrée de nos bestiaux, cette demande a été également rejetée.

Dans le tarif que nous faisons actuellement, nous ne devons tenir compte que des objets qui ont été admis par les chambres françaises ; nous devons nous conserver des armes pour forcer la France à nous accorder ultérieurement des concessions plus importantes.

Si aujourd’hui, messieurs, vous accédez à toutes les propositions du gouvernement., que vous restera-t-il à accorder lorsque le gouvernement français voudra obtenir des chambres, en notre faveur, ce qu’elles ont momentanément rejeté ? Ne nous dessaisissons pas de toutes nos armes ; il faut que le gouvernement français puisse faire valoir les raisons que nous donnons dans cette enceinte en faveur de nos industries, pour obtenir des chambres françaises de nouvelles concessions pour la Belgique.

Maintenant il m’est facile de faire voir que nous pouvons donner au gouvernement français l’équivalent des concessions qu’il nous a accordées, et cela sans toucher en rien à nos grandes industries.

En effet, examinons le projet de loi qui nous a été présenté par le gouvernement. Dans ce projet se trouvent plusieurs articles que nous pouvons tous adopter, sans porter atteinte à aucune des branches principales de l’industrie nationale.

D’abord nous pouvons réduire considérablement les droits sur les eaux-de-vie françaises : vous savez, messieurs, que des droits énormes frappent aujourd’hui ces eaux-de-vie, droits qui ne sont nullement en rapport avec ceux qui pèsent sur les eaux-de-vie indigènes. Nous pourrions donc réduire de 50 p. c. le droit sur les eaux-de-vie françaises, sans nuire à notre trésor public, et sans sacrifier les intérêts de l’industrie indigène.

On demande ensuite la suppression des droits différentiels sur les bois de réglisse ; nous pouvons encore accorder cette concession à la France qui tient à cet article.

Nous pouvons également admettre la proposition du gouvernement, concernant l’abaissement des droits sur les liquides alcooliques quelconques, et sur les produits chimiques.

Nous pouvons aussi admettre l’article relatif aux soieries qui, je l’espère, est d’une immense importance pour la France, et certes la réduction que nous accordons à la France sur cet objet compensera largement l’avantage qu’elle nous a fait pour l’introduction de nos fers.

Nous pouvons enfin avantager la France par un abaissement de droits sur les vins, sur les fils de lin et sur les produits de son horlogerie.

Vous voyez, messieurs, qu’au moyen de ces diverses concessions, nous pouvons, sans faire tort à nos grandes industries, et sans compromettre le sort d’une multitude d’ouvriers, nous pouvons, dis-je, accorder largement à la France l’équivalant de ce qu’elle a fait en notre faveur.

Eh ! messieurs, quand il s’agit d’industries si importantes, quand le sort de 50 à 60 mille ouvriers est mis en jeu, il faut prendre garde de porter légèrement atteinte à ces industries. Nous nous trouvons dans une grande crise commerciale qui n’est pas terminée. Eh bien, du jour où vous aurez levé les droits de douane qui protègent maintenant les principales branches d’industrie manufacturière nationale, vous verrez tous les produits de l’industrie française affluer en Belgique, et la Belgique éprouvera à son tour la crise qui tourmente aujourd’hui les pays voisins.

Pour ma part, messieurs, je ne veux pas encourir la responsabilité de pareilles conséquences ; je ne veux pas voir mon pays exposé aux dangers d’une semblable crise ; je ne veux pas surtout donner les mains aux mesures qui doivent amener cette situation fatale, alors que par d’autres concessions nous pouvons donner satisfaction entière à la France.

D’après ces considérations, je pense que la chambre doit adopter l’amendement de l’honorable M. Demonceau, en ce qui concerne les draps ; cet amendement doit répondre à toutes les difficultés. Si la France consent à se départir en notre faveur de son système prohibitif, elle nous trouvera disposés à notre tour à la replacer dans le droit commun.

Et remarquez, messieurs, que la Belgique n’est pas placée dans le droit commun vis-à-vis de la France. Je vais en donner un exemple : Pourquoi la France a-t-elle établi une zone différentielle pour l’introduction de nos houilles ? Certes, la France nous a fait une concession à cet égard, quoiqu’il faille reconnaître que le motif principal de cette concession a été le besoin d’alimenter les établissements industriels des départements du Nord, et d’empêcher aux houilles anglaises l’entrée de la France au voisinage des côtes anglaises. Cela est tellement vrai que toute la ligne, par laquelle les charbons anglais entrent avec le plus de facilité, c’est celle par laquelle les charbons belges sont admis. Si on nous a fait cette concession, c’est que l’on savait que les houillères du département du Nord ne pouvaient pas fournir assez de combustible pour alimenter les industries de ce département et des départements voisins. On n’a pas admis sur ce point la concurrence anglaise, parce qu’on a craint qu’elle ne tuât les houillères françaises.

Le gouvernement français a donc servi les intérêts de son industrie en prenant les mesures dont il s’agit ; nous en avons, il est vrai, ressenti de bons effets, mais toujours est-il que c’est l’intérêt de la France et non l’intérêt de la Belgique que le gouvernement français a eu en vue.

Si l’entrée de nos houilles avait été admise dans notre intérêt, pourquoi la ligne n’en aurait-elle pas été étendue, pourquoi ne les admettrait-on pas sur les côtes méridionales avec les mêmes avantages que les charbons anglais ? Vous savez qu’aujourd’hui tandis qu’un navire français ou anglais qui charge de la houille à Hull, l’introduit en France moyennant un droit d’un franc, un navire chargé de charbon belge doit payer 1 fr. 50, c’est-à-dire 50 p. c en sus. En matière de droits différentiels la Belgique n’est donc pas traitée en France sur le même pied que les autres nations. Qu’on ne nous parle donc plus du droit qu’a la France d’être traitée par nous sur le même pied que les autres nations, quand elle-même nous traite avec une grande partialité, avec une grande injustice.

D’après ces réflexions, vous comprenez que c’est pour nous, et pour nous seuls, que nous devons faire notre tarif, sans nous inquiéter de ce qu’on fait en France. Le gouvernement français, comme je vous l’ai déjà fait voir, est très sage ; il ne sacrifie pas les intérêts des industries du pays : si quelquefois il prend des mesures qui présentent des avantages à des pays voisins, c’est qu’avant tout elles sont utiles à l’industrie française. Faisons de même, ne sacrifions pas notre industrie, n’ôtons pas le travail des mains de plusieurs centaines de mille ouvriers pour avoir le plaisir de recevoir un compliment du gouvernement français,

Les ouvriers de Verviers ont un droit particulier à la sollicitude du gouvernement. Sans eux, plusieurs des combats livrés lors de la révolution n’ auraient peut-être pas été gagnés.

La victoire de Ste-Walburge est due principalement aux braves Verviétois ; n’allons pas leur dire que nous les abandonnons à leur malheureux sort, n’allons pas leur faire regretter une révolution pour laquelle ils ont versé leur sang. Je ne suis pas homme à faire l’éloge du gouvernement hollandais, mais il est de fait que dans les populations tout le monde dit que le gouvernement hollandais soignait mieux les intérêts de la Belgique que le gouvernement belge lui-même. C’est une dure vérité. Moi qui n’ai jamais prôné que la révolution, c’est avec un sentiment pénible que je me vois obligé de tenir ce langage ; mais il est constant que votre loi, si elle est adoptée, est de nature à faire regretter la révolution. Dans de pareilles circonstances, je ne puis trop vous le répéter, ne soyez pas téméraires, procédez avec maturité, ne sacrifiez pas les ouvriers de Ste-Walburge, ne leur dites pas comme dans une autre localité : Adressez-vous à l’arbre de la liberté, vous verrez s’il vous donnera du pain.

M. David. - Je n’eusse pas demandé la parole pour un fait personnel si M. Lebeau n’eût relevé, hier encore, ce qui, dans mon discours du 1er mai dernier, a trait à la chambre de commerce de Verviers.

A tout prix M. Lebeau veut donc me brouiller avec ce corps respectable dont je suis fier de partager les opinions et les principes. Ces messieurs, au reste, auront lu mes paroles, et je suis sûr qu’ils les auront accueillies avec bienveillance, car il faut en torturer le sens pour y voir l’intention d’une offense.

Quant à ce qui me concerne, quant à l’accusation d’être en désaccord avec moi-même dans la même discussion, il faudrait, ce me semble, pour qu’une allégation pareille eût quelque fondement, que j’eusse parlé pour et contre dans la même question. Or, au premier vote j’ai parlé et voté pour le maintien de la prohibition ; j’en ferai certainement autant au second. Ainsi, ce n’est qu’en exhumant trois mots de mon discours, que M. Lebeau détache et place isolement afin d’altérer ou plutôt de détourner leur sens, qu’il parvient à me mettre en contradiction apparente avec moi-même. Qu’on veuille bien entendre, messieurs, la lecture du paragraphe de mon discours du 1er mai, que M. Lebeau se serait bien gardé de vous citer tout entier, parce qu’alors son observation tombait à néant ; le voici :

« Il est réellement fâcheux, messieurs, que dans les circonstances où nous nous trouvons engagés vis-à-vis de la France, nous ne puissions faire acte de désintéressement, sans que la révocation de notre prohibition nous soit on ne peut plus funeste. La France doit comprendre notre position, elle ne s’irritera point de notre refus ; et puis après tout, pourquoi tient-elle tant à la levée de notre prohibition ? La prohibition chez nous n’est qu’un vain mot, chez nous elle n’existe pas en fait. Voyez la différence de la prohibition française : là elle est flanquée de toutes les rigueurs, de la recherche à l’intérieur, de l’estampille et même de la vexation la plus odieuse, de la visite domiciliaire. »

Que l’on veuille bien me dire si, quand on compare, comme je le faisais alors, la prohibition française, armée de toutes ses rigueurs, à la mansuétude de la prohibition belge, on ne doit pas convenir que notre prohibition n’est qu’un vain mot.

Cependant, messieurs, nous y tenons à cette prohibition, et plus on fait d’efforts pour nous en dépouiller, plus on nous éclaire, et plus on nous fait comprendre les motifs de l’opiniâtre insistance de nos adversaires.

Ces messieurs veulent substituer à la prohibition, des droits légers ; de plus, ils veulent atteindre le montant des primes françaises, en en ordonnant la restitution à la Belgique.

Et ce sont ces mêmes contradicteurs qui vous soutiendront que la prohibition est inutile, parce que l’on peut introduire le drap français par la mer, par les frontières de Prusse, par la Suisse, etc. ; qui ont la bonté de croire que l’on viendra tout bénévolement déposer aux bureaux belges les primes françaises !

Je vous le demande, messieurs, est-ce là une flagrante contradiction ? Ces messieurs proposent-ils oui ou non une mesure illusoire ? Et notre prohibition, tout illusoire qu’elle soit, ne présente-t-elle pas une protection bien plus puissante par la prime qu’on est forcé de donner à la fraude (9 p. c. au moins) et par son effet moral, que votre restitution chimérique de la prime française ?

Je serai pourtant humble, M. Lebeau, quoique vous ne m’en supposiez pas le courage ; je serai même très sérieux, ce qui ne m’arrive pas souvent, et j’avouerai avec franchise que quand je me serai trompé, je ne pousserai jamais l’amour-propre jusqu’à ne pas vouloir reconnaître une erreur. C’est dans une pareille obstination que je ferais consister la honte, que je trouverais la preuve d’une véritable incapacité, ou de la mauvaise foi. Qui d’ailleurs est infaillible ? Errare humanum est. L’élévation de votre génie, M. Lebeau, n’est pas à l’abri de l’application de ce vieux proverbe ; ne concourez-vous pas à faire aujourd’hui une loi antinationale, et l’opinion publique ne vous le crie-t-elle pas de toute la force de ses poumons ?

Triomphez donc, vous et nos adversaires, M. Lebeau ; on ne tardera pas à ressentir les résultats désastreux de votre succès d’aujourd’hui. Alors nous serons aux prises avec les choses ; on aura oublié les disputes de mots et les phrases, que tout le monde n’a pas l’heureuse facilité de tourner comme vous.

M. Smits. - Messieurs, l’honorable M. Dumortier, dans le nouveau discours qu’il vient de prononcer, n’a fait que reproduire les arguments qu’il a déjà présentés, et auxquels il a été plusieurs fois répondu. Il est revenu sur cette considération, que c’était la Belgique qui avait pris l’initiative des concessions dans nos rapports avec la France, et conséquemment que la France n’avait fait que répondre à cette initiative en adoptant les lois du mois de juillet 1836.

Je ne ferai, messieurs, qu’une simple remarque à cette erreur de fait, c’est que l’honorable M. Dumortier s’obstine à ne pas vouloir reconnaître que les mesures du congrès, bien que prises par sympathie pour la France, ont eu également pour but de favoriser les intérêts de la Belgique.

Parlant de cette erreur, l’honorable membre a dit c’est à nous à nous plaindre de la France, puisqu’elle prohibe indistinctement les produits de nos grandes manufactures. Cette prohibition existe en effet, messieurs ; mais la France a un système prohibitif général applicable à toutes les nations, tandis que nous, nous prohibons exceptionnellement les produits de la France. Les positions ne sont donc pas égales.

L’honorable M. Dumortier a bien voulu reconnaître cependant que nous avions obtenu quelques concessions de la France, mais il s’est plaint de ce qu’on n’avait rien fait pour les toiles.

Je sais qu’on a contesté les avantages qui devaient résulter des changements apportés à la législation sur cet article. Mais si véritablement l’industrie belge croit avoir à se plaindre de ces changements. qu’elle s’adresse au gouvernement, et peut-être obtiendra-t-on du gouvernement français le retrait des mesures qu’il a prises.

On a levé la quasi-prohibition sur les tapis. C’est encore une chose insignifiante, d’après l’honorable M. Dumortier, tandis qu’il résulte de mes renseignements que cette mesure est au contraire très significative, un honorable industriel m’ayant déclaré que depuis l’abaissement du droit sur cet article, il lui était permis d’arriver sur les marchés français.

Quant aux broderies sur tulle je ne relèverai pas la singulière erreur et les déclamations déplacées dans lesquelles est tombé l’honorable préopinant. Je me bornerai à lui faire observer que les tulles avec broderies de dentelle se fabriquent exclusivement à Bruxelles, et que c’est sur la réclamation de la chambre de commerce de cette ville que les commissaires belges ont fait leurs efforts pour obtenir l’admission de cet article en France.

Je ne suivrai pas plus loin l’orateur dans ses argumentations. Mais j’avouerai que, pour moi, il est assez indifférent qu’un article particulier soit ou non favorisé. Il me suffit de savoir que l’industrie en général a été favorisée, que nos exportations vers la France augmentent annuellement, et que celles de 1836 ont dépassé de 17 millions celle de 1835.

L’honorable M. Dumortier a fini par conclure qu’on pourrait se borner à réduire les droits sur le bois de réglisse, les batistes, les soieries, les eaux-de-vie et les vins, mais qu’on devrait laisser subsister la prohibition et la surcharge sur tous les autres articles.

Dès lors, la question se réduit à ce seul point : ces surcharges et ces prohibitions sont-elles utiles ? Sont-elles réclamées par l’intérêt de l’industrie nationale ? C’est cette question que je vais examiner par rapport à l’article qui nous occupe.

J’abandonnerai pour un moment le côté politique de la question. Je ne vous dirai plus qu’il s’agit de replacer la France dans le droit commun, que nous avons tout à gagner en acceptant la loi et que nous avons tout à redouter en la refusant avec quelques modifications raisonnables ; je me bornerai à l’examen de cette question qui est, au point où les débats en sont venus, la seule qu’il s’agit de résoudre.

Le maintien de la prohibition exceptionnelle contre la France est-il utile oui ou non ?

Je réponds affirmativement non. Elle est non seulement inutile, elle est désastreuse pour l’industrie drapière, et je le prouve par la prime de fraude qui, d’après l’honorable M. Lebeau, est de 5 p. c., et d’après mes renseignements, de 9 à 10 p. c.

Ainsi c’est sans frein, avec impunité que les draps français viennent lutter sur le marché intérieur ; c’est au détriment du trésor et des contribuables qu’ils viennent nous faire la concurrence ; c’est en payant une prime légère qu’ils viennent paralyser la protection que nos tarifs ont voulu leur accorder. Qu’on me réponde à cette argumentation bien simple, et qu’on me dise si, à défaut de la fraude, les draps français ne peuvent pas entrer soit par les frontières maritimes, soit par le transit de l’Allemagne au droit ordinaire de 6 à 7 p. c. Si l’on me prouve le contraire, c’est-à-dire si on parvient à résoudre négativement cette question, peut-être alors voterai-je pour le maintien de la prohibition ; mais on ne saurait répondre négativement, car on ne saurait nier l’évidence de la vérité.

Aussi vous avez dû remarquer à quels faibles moyens nos adversaires ont dû avoir recours. Forcés d’avouer eux-mêmes que la fraude existe, que les importations sont faciles et que la prohibition n’existe que de nom, ils ont dû avoir recours au pathétique. Ils ont cherché à vous apitoyer sur le sort des malheureux ouvriers. Mais, dirai-je à mon tour, si le sort des ouvriers est fâcheux, ce qui arrive par moment dans toutes les industries, leur détresse ne dépend donc pas de la levée de la prohibition puisqu’elle est préexistante.

Mais je renverserai l’argumentation, et je dirai que, si détresse il y a, elle résulte peut-être de ce que la prohibition existe, de ce que les marchandises entrent sans droit et de ce qu’elles viennent concourir, comme je vous le disais à l’instant, en paralysant la protection que le tarif a voulu donner au travail national.

Et ici je dois relever une erreur qui est échappée à nos adversaires lorsqu’ils ont voulu me mettre en contradiction avec moi-même, en disant que j’ai parlé lors du premier vote pour l’ajournement à 1839 de la levée de la prohibition ; mais, messieurs, à cette époque la crise commerciale était dans toute son intensité ; aucune prévision humaine ne pouvait alors prévoir son terme ; moi, moins qu’un autre, car je connaissais tout le dévergondage des spéculations américaines. Le résultat de celles qui avaient eu lieu dans l’Inde n’était pas encore connu, et je craignais que la crise de 1836 ne se prolongeât avec une nouvelle force bien en avant de 1837.

Heureusement le calme a succédé à la tempête ; et si quelques oscillations se font encore sentir comme cela arrive toujours après l’orage. du moins peut-on dire que pour le moment, il n’y a plus de périls à courir, plus de crainte à avoir.

Les choses ont donc changé de face, et c’est par suite de ce changement parvenu dans la situation de choses, que j’oserais presque conseiller aujourd’hui la levée immédiate de la prohibition, avec l’amendement de l’honorable M. Dechamps.

Cet amendement est rationnel ; et je répète que si je le voyais combattre par MM. les députés de Verviers, je ne pourrais m’empêcher de dire qu’ils suicident les intérêts qu’ils sont appelés à défendre, et telle est aussi, je proclame de nouveau, l’opinion de beaucoup de fabricants instruits.

En effet ce droit élève la protection qui n’est aujourd’hui que de 6 à 7 p. c., à 9 et 10 p.c., non seulement contre la France qui importe aujourd’hui avec une prime de fraude de 5 à 9 p. c., mais également contre toutes les provenances.

L’honorable M. Lardinois a parfaitement compris cela ; car lorsqu’il vous a dit hier qu’il pourrait difficilement, si la clôture n’était pas prononcée sur la question de principe, vous présenter des considérations en faveur de l’amendement de M. Dechamps sans se mettre en contradiction avec lui-même ; il vous a fait sentir indirectement que cet amendement était favorable à l’industrie qu’il a défendue avec tant de courage et de talent.

On a présenté encore une autre observation ; mais vraiment, messieurs, je ne sais si je dois m’y arrêter. On vous a dit : Si vous levez la prohibition, on établira des magasins de draps français en Belgique, et on mettra sur l’enseigne « Draps français. »

Draps français ! mais encore une fois, je demande une réponse franche et catégorique : ces magasins n’existent-ils pas partout ? Le moindre des tailleurs ne tient-il pas des draps français ? La première demande qu’il fait à nos fashionables n’est-elle pas : Voulez-vous du Louvier, du Sédan, de l’Elboeuf ?

Que redoutez-vous donc ? L’enseigne. Ah ! messieurs, que cela serait puérile, qu’on me permette de le dire.

Si l’on me répond : nous n’avons pas cette crainte-là, je demanderai derechef : que craignez-vous donc ? La prime de sortie, me répondra-t-on ; eh bien, examinons la prime.

Mais d’abord, je ferai remarquer que cette question a perdu toute son importance depuis que le gouvernement vous a proposé d’augmenter le droit d’entrée, d’après la quotité des droits à la sortie accordée par les pays de provenance.

Si donc j’examine cette question, ce n’est que pour satisfaire aux désirs qui ont été exprimés hier par l’honorable M. Gendebien, et aussi, je l’avouerai, pour soutenir l’opinion que j’ai émise.

D’après moi, il n’existe pas de prime ; je l’ai dit et je le pense encore. Voici les calculs sur lesquels je me fonde.

Si mes renseignements sont exacts, la qualité moyenne des draps français, au poids de 1 kil. 125 grammes l’aune et ayant une valeur de 16 fr. 87 c., a supporté, à raison du droit d’entrée de 22 p. c. sur la laine, une somme de fr. 3 71 c.

Or, la prime de restitution à la sortie, à raison de 9 p. c., n’est que de fr. 2 75 c : donc un désavantage pour le fabricant de 96 c.

Si maintenant on ajoute à cette somme le droit payé sur les matières tinctoriales et l’huile qu’on peut estimer à 22 c. par kil, on trouve une différence totale de 1 fr. 18 c.

Ce qui prouve du reste la vérité de ces chiffres, c’est la déclaration de M. Gunin-Gridaine invoquée hier par M. Lardinois, et de laquelle il résulte que l’industrie française n’a obtenu aucun avantage de la prime dont il s’agit.

Lors de la première discussion sur la loi qui nous occupe, un honorable député de Verviers avait senti que dans une discussion pareille il fallait autre chose que des théories ; il a recherché des faits et il a appuyé sur des chiffres son opposition à la levée des prohibitions. Il a cherché à démontrer par des calculs que la prime accordée en France, contrairement à ce que nous soutenions, n’est pas un drawback, mais une prime réelle et véritable. Son discours alors a dû faire quelque impression, puisqu’on l’a rappelé hier ; et cela se conçoit, parce qu’on s’en rapporte volontiers pour le soin des calculs, pour le rapprochement des faits, pour les détails des questions aux lumières de ceux de nos collègues qui ont des connaissances spéciales sur l’objet dont on traite, ou qui peuvent puiser leurs renseignements aux sources premières, c’est-à-dire, dans les localités qui ont l’intérêt le plus direct à l’objet dont il s’agit.

Toutefois, je dois le dire, avec la sincérité que j’apporte toujours dans ces sortes de discussions, je n’ai pu découvrir le grand service que M. Demonceau a rendu à la cause qu’il défend en s’occupant de la question des primes, puisque toute l’argumentation arithmétique de l’honorable membre tourne évidemment contre lui. C’est ce que je vais prouver, ainsi que j’en ai pris l’engagement.

Les chiffres sur lesquels M. Demonceau s’est appuyé, il les a trouvé dans la discussion qui a eu lieu à la chambre des députés de France, au sujet du drawback ; mais le résultat du vote qui a été émis à cette occasion a prouvé d’une manière incontestable que les conséquences qu’on a voulu tirer de ces chiffres étaient forcés ; je crois que vous me saurez gré, messieurs, de ne pas vous citer l’opinion et les arguments des orateurs français qui étaient opposés à ceux à qui l’honorable député de Verviers a emprunté ses opinions : il vous suffit de savoir que l’opinion de ces orateurs français n’a pas triomphé.

M. Demonceau trouve qu’en 1834, 1,800,000 kilog. de draps exportés de France, avaient absorbé une prime de plus de 4 millions, et établissant la prime à 9 p. c., il trouve qu’il a fallu leur donner à la sortie de France une valeur de fr. 45,800.000. Il part de là pour défier qui que ce soit de démontrer que 1,800,000 kilog. de draps puissent valoir 45 millions 800,000 fr., et pour prouver que la prime est, par le fait, plus élevée qu’elle ne paraît l’être.

Je ferai remarquer d’abord qu’il n’y aurait rien d’impossible à ce que 1,800,000 kilog. de draps eussent une valeur de 45 millions, puisque cela ne ferait encore que 20 francs par kilogramme et que un mètre de drap pèse, terme moyen, 12 kilog., ce qui ferait du drap à 15 fr. le mètre. Or, je crois que le drap qui vient de France en Belgique est le plus souvent au-dessus qu’au-dessous de ce prix. Mais ce n’est pas en cela que M. Demonceau s’est le plus éloigné de la vérité : il a dit qu’en 1834, il a été payé pour prime de sortie sur les tissus de laine plus de 4 millions pour une quantité de 1,800.000 kilog. de drap, et il procède ensuite, calcule, tire des conclusions comme si ces 4 millions avaient été payés uniquement pour les draps.

Mais, messieurs, ces 4 millions ont été payés pour les fils de tissus de laine en général, tels que la bonneterie orientale, les étoffes de laine croisée et mélangée de coton, de soie, etc., par conséquent pour des tissus qui ont une valeur dix, vingt fois plus grande que celle des draps. Il est donc évident que les conclusions de M. Demonceau sont erronées et que la chambre ne saurait s’y arrêter.

En outre, M. Demonceau calcule, comme si la prime était de 9 p. c. et obtient ainsi une valeur exportée plus forte, tandis qu’en 1834, année que l’honorable membre a prise pour base, le drawback était encore calculé à l’ancien taux de 13 1/2 p. c. Plus loin, et pour prouver que les fabricants français trompent la vigilance de la douane en exagérant la valeur des draps qu’ils exportent et qui par suite la valeur sur laquelle le drawback est payé, dépasse la valeur réelle des quantités exportées, M. Demonceau dit que les 6 à 700,000 kilog. que la Belgique exporte ne sont évalués qu’à 5 millions, d’où il conclut que les 1,800,000 kilog. exportés de France n’ont pas la valeur qu’on leur a donnée pour la liquidation du drawback.

Je ne comprends point comment M. Demonceau ait pu faire un pareil rapprochement, car 700,000 kilog. qui n’auraient que 5 millions de valeur, donneraient par mètre de drap, qui terme moyen pèse 1/2 kilog., une valeur de 3 1/2. Or, c’est là évidemment une moyenne qui, encore une fois, doit conduire à des résultats erronés.

L’honorable membre aurait dû savoir d’ailleurs qu’en Belgique, les draps sont libres à la sortie, et que bien que la déclaration en douane soit obligatoire, cette formalité est loin d’être accomplie en 1834 comme elle l’est aujourd’hui ; mais toujours est-il qu’en 1831 les déclarations n’ont constaté qu’une exportation de 199,000 kilog. de draps, qui ont été évalués à 3,810,000 fr., ce qui donne près de 10 fr. par mètre. On voit donc qu’il y a loin de là aux calculs faits par M. Demonceau, et il reste donc démontré que toutes les conclusions qu’il a tirées des chiffres vont droit à l’encontre de l’opinion qu’il a émise.

Maintenant supposons que M. Demonceau ait raison et que c’est moi qui ait tort ; supposons que la prime exerce un pernicieux empire, comme il le prétend, son influence sur notre industrie sera-t-elle moins grande sous le régime de la prohibition que sous celui du régime normal ? Evidemment non, messieurs, puisque la prime se paie en cas de fraude comme en cas d’importation régulière et légale.

Vous le voyez donc, de quelque côté qu’on envisage la question, on aperçoit que la prohibition est inutile et qu’il est bien plus dans l’intérêt de l’industrie nationale que je veux favoriser plus qu’un autre, mais par des moyens différents à ceux de nos honorables adversaires, de préférer l’amendement de M. Dechamps à toutes les autres propositions qui vous ont été faites jusqu’à présent.

M. Desmaisières. - Dans une précédente séance, j’ai dit qu’il me paraissait qu’il fallait examiner chaque article de la loi sous les rapports suivants ; il faut examiner : 1° si l’article est demande par la France ; 2° dans quelle limite il est demande ; 3° si en l’admettant nous ne risquons pas de porter un coup fatal à telle industrie ; 4° si, après l’avoir adopté, il nous restera encore assez de compensations à offrir à la France en raison des concessions que nous avons à lui demander par suite de l’attitude hostile qu’elle prise envers nous en 1822 et 1826.

J’applique ce mode d’examen à l’article en discussion. D’abord, il n’y a pas de doute que cet article a été demandé par la France ; il n’y a pas même de doute que cet article n’ait été demandé vivement et très vivement par la France ; j’appuie sur ce mot vivement, parce qu’on ne vous demanderait pas la levée de la prohibition aussi vivement, si cette mesure ne signifiait rien pour la France. On oppose sans cesse aux honorables députés et aux industriels de Verviers qu’ils ont dit que la prohibition des draps français était un vain mot. On trouve singulier dès lors qu’ils s’opposent à la levée de la prohibition ; mais l’honorable M. David a expliqué tout à l’heure que si la prohibition est un vain mot comme prohibition, elle n’est point un vain mot comme moyen de protection en faveur de l’industrie drapière.

Mettez sur les draps français des droits aussi élevés que vous voudrez, jamais ces droits ne protégeront aussi efficacement l’industrie drapière que le fait la prohibition, toute nominale qu’elle est. Quand une marchandise peut être introduite dans un pays en payant des droits, elle peut être plus facilement introduite en fraude. Pour les fraudeurs tous les moyens sont bons. De faux acquits à caution peuvent être employés par eux, comme aussi des acquis à caution pour d’autres marchandises que celles pour lesquelles ils ont été pris.

Maintenant, dans quelle limite la levée de la prohibition nous est-elle demandée par la France ? J’ai eu d’abord quelques doutes à cet égard ; mais aujourd’hui que le ministère a présenté des amendements à sa proposition primitive, après qu’il s’est empressé sinon d’adhérer formellement à l’amendement de M. Dechamps, au moins d’appuyer cet amendement qui établit un droit très élevé à l’entrée des draps français ; après cela il n’est plus possible de douter que ce soit sans aucune limite que la France demande la levée de la prohibition.

Voici les paroles qu’a prononcées M. le ministre de l’intérieur dans la séance de samedi ; vous y verrez que s’il n’a pas adhéré formellement à l’amendement de M. Deschamps, il l’a au moins appuyé.

« Nous pensons, (dit-il), qu’avec l’amendement de M. Dechamps, l’industrie drapière serait plus efficacement protégée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Cette opinion non seulement est la nôtre, mais elle est partagée par de véritables industriels, qui sont spécialement intéresses dans cette question. »

Ainsi, le ministère appuie un amendement qui établit un droit très élevé sur les draps français, et j’en conclus que le gouvernement français a dit au nôtre : Imposez tel droit que vous voudrez à l’entrée sur nos draps, mais levez la prohibition. Et encore une fois, si cette prohibition n’était pas un moyen plus fort de protection que des droits élevés, je ne vois pas pourquoi la France aurait si vivement demandé la levée de cette prohibition et de mettre des droits aussi élevés qu’on le propose.

Messieurs, nous devons encore examiner si en adoptait l’article, si en adoptant la levée de la prohibition des draps de France, nous ne risquons pas de porter un coup funeste à notre industrie drapière. Il n’y a pas de doute à cet égard. Il me suffit que les industriels qui pratiquent cette fabrication, que les honorables députés qui représentent les localités où cette industrie s’exerce, viennent déclarer qu’en adoptant la levée de la prohibition des draps français à l’entrée en Belgique nous porterons un coup funeste à leur industrie ; il me suffit de cette déclaration pour y croire ; car il n’est pas permis de supposer que des industriels se plaignent pour le bon plaisir de se plaindre.

Je dis que les lois françaises des 2 et 5 juillet n’établissent pas des concessions telles en notre faveur, que nous devions y sacrifier plus ou moins les intérêts, soit de l’une, soit de l’autre de nos industries ; que nous devions nous déposséder des armes qui nous restent pour soutenir victorieusement cette lutte, cette guerre qui se fait, comme on a fort bien dit, à coups de tarifs au lieu de coups de canon ; que nous devions nous départir d’aucune des concessions que nous avons à faire à la France, du moment qu’elles peuvent porter atteinte à l’une ou l’autre de nos industries.

On dit sans cesse : Les modifications apportées par les lois des 2 et 5 juillet aux tarifs des toiles ne constituent-elles pas de graves concessions en faveur de l’industrie des toiles, en faveur d’une des trois premières industries du pays ? Et n’est-ce pas assez pour que, de notre côté, nous fassions des concessions à la France ? Je prouverai tout à l’heure que les prétendues concessions n’existent pas ; et quand même elles existeraient, je m’opposerais de toutes mes forces à ce qu’on y sacrifiât une autre industrie, quoique celle des toiles se pratique principalement dans les Flandres ; aucune industrie ne doit être sacrifiée à une autre ; nous devons faire en sorte que dans les concessions que nous obtiendrons, en nous tenant dans la position forte que nous a faite l’arrêté de 1823, nous les obtenions pour toutes les industries, et non pour une seule aux dépens des autres.

(Erratum inséré au Moniteur n°306 et 307, des 2 et 3 novembre 1837) Je prouve maintenant par les chiffres mêmes qui ont été présentés ici par le ministre, et la loi française à la main, que les prétendues concessions que la France aurait faites à la Belgique pour les toiles ne sont pas réelles. Voici comment s’exprime la loi française :

« Le tarif des toiles de lin et de chanvre de toute espèce est maintenu, sauf pour les cinq numéros ci-après, formant le point de section entre chaque classe, lesquels paieront, savoir :

« Toiles écrues présentant, dans la mesure de 5 millimètres,

« 8 fils, 36 fr.

« 12 fils, 75 fr.

« 16 fils, 150 fr.

« 18 fils, 180fr.

« 20 fils, 225 fr.

« (le tout) par 100 kil., sans distinction du mode de transport. »

Je vous prie maintenant de jeter les yeux sur le tableau comparatif du tarif français ancien et du tarif modifié que le ministre nous a fait distribuer. En voici les trois premiers articles :

« Toiles écrues présentant, dans la mesure de 5 millimètres,

« moins de 8 fils : tarif ancien : 30 fr. ; tarif modifié : »

« 8 fils : tarif ancien : 65 fr. ; tarif modifié : 36 fr.

« 9 fils incl. à 12 exclusivement : tarif ancien : 65 fr. ; tarif modifié : » »

Ainsi, pour les toiles de moins de 8 fils, on y trouve renseigné pour le droit ancien 30 fr. ; et dans la colonne où devrait se trouver le droit modifié, il n’y a que des guillemets.

Au second article, celui de 8 fils, on trouve pour droit ancien 65 fr., et droit modifie 36 fr. Enfin au troisième article, de 9 à 12 fils, on trouve de nouveau 65 fr. pour le droit ancien, et seulement des guillemets à la colonne du tarif modifié.

Je porte votre attention sur ce point parce qu’on a cru que les guillemets, surtout les seconds, voulaient dire 36 fr., tandis que les premiers veulent dire 30 fr. et les seconds 65 fr., et que par conséquent il en résulte que le droit ancien de 30 fr. sur les toiles de moins de 8 fils a été maintenu, ainsi que le droit de 65 fr. sur les toiles de 9 à 12 fils, le droit sur les toiles de 8 fils ayant seul été réduit de 65 à 36 fr.

Voyons à présent quels sont les chiffres d’exportation de 1835 et 1836, qui nous ont été présentés par le ministre et qui ont été imprimés au Moniteur ? Voyons aussi sur quelles classes de toiles portent ces chiffres. Vous venez de voir que, pour les toiles de moins de 8 fils, le droit est resté à 30 fr.

Eh bien, je trouve pour chiffre d’exportation de cette qualité, de Belgique en France, 1,706,982 kil, pendant 1835, tandis que l’exportation totale n’est que de 3,509,086 kil. ; par conséquent, pour cette catégorie, dont le droit a été guillemeté dans le tableau comparatif du ministère et est resté le même qu’auparavant au tarif français, le chiffre d’exportation s’élève à la moitié de l’exportation totale.

De même, en 1836, nous avons pour l’exportation de la catégorie 2,008,165 kil., c’est-à-dire la moitié de l’exportation totale de toutes les catégories qui s’élève à un peu plus de 4 millions.

Je passe à la catégorie de 8 à 12 fils ; car nous n’avons pas les chiffres d’exportation pour la catégorie de 8 fils : eh bien, cette catégorie donne pour chiffre d’exportation, en 1835, 1,482,351, et en 1836, 1,885,101 kil., c’est-à-dire respectivement encore la moitié des exportations totales, qui sont de 3,509,086 kil. pour 1835, et de 4,289,573 kil. pour 1836.

Pour les autres catégories sur lesquelles portent, remarquez-le bien, quatre des cinq modifications (des cinq prétendues concessions), les chiffres des exportations sont tout à fait insignifiants.

En résumé, pour la catégorie de moins de 8 fils, dont le droit n’a pas été modifié, les chiffres d’exportation s’élèvent à la moitié de la totalité des exportations de toute espèce ; pour la catégorie de 8 à 12 fils, où à la vérité le droit sur les 8 fils a été diminué, mais où le droit sur les 9, 10 et 11 fils est resté le même, les exportations s’élèvent à près de la moitié de celles totales ; et enfin, pour les catégories plus fines sur lesquelles portent 4 des 5 modifications accordées, les exportations sont tout à fait insignifiantes.

Voilà, messieurs, à quoi se réduisent ces prétendues grandes concessions tant vantées ici par le ministère.

Mais, dira-t-on, de 1834 à 1835 les chiffres d’exportation sont augmentés. Messieurs, j’ai eu l’honneur de le dire, tout le monde sait, lorsqu’en France il s’agit de modifications aux tarifs des douanes, quel est l’esprit des chambres à cet égard ; on sait qu’elles sont toujours disposées à prohiber, à renchérir sur les mesures qui empêchent l’entrée des marchandises étrangères ; aussi, dès qu’il s’agit de changements, dès que des projets ministériels peuvent être favorables aux marchandises étrangères, le commerce français s’en alarme et fait des approvisionnements considérables.

Mais il y a encore un autre motif, messieurs : je suis gendre du chef d’une ancienne maison de commerce considérable, qui tenait les toiles ; comme héritier, je suis en possession des livres de cette maison : eh bien, messieurs, qu’ai-je vu, en parcourant ces livres ? c’est que, chaque fois qu’il y a eu une guerre ou des troubles civils en Espagne, nos exportations vers ce pays ont diminué fortement, et que d’un autre côté nos exportations en France ont considérablement augmenté. Or, messieurs, quand a eu lieu la mort de Ferdinand VII ? quand les troubles civils ont-ils commencé à agiter l’Espagne ? quand l’effet de ces troubles a-t-il pu se faire sentir ? N’est-ce pas en 1835, en 1836, et encore actuellement en 1837 ?

Voilà, messieurs, la véritable cause de l’augmentation de l’exportation de nos toiles vers la France. Et, je le répète, les lois des 2 et 5 juillet ne peuvent avoir eu aucune influence sur cette augmentation puisqu’elles modifient les droits seulement sur les toiles que nous n’envoyons pas en France, et qu’elles ne le modifient pas sur celles que nous y envoyons.

On a dit tout à l’heure, messieurs, que la crise commerciale était passée ; que nous étions rentrés dans l’état normal. Je voudrais qu’il fût possible de croire à cette assertion, mais je crois au contraire que ce n’est peut-être qu’à présent que les effets de cette crise se font sentir en Belgique. Un honorable collègue vient de me faire remarquer dans le Journal des Flandres qui se publie à Gand, un tout petit article qui prouve ce que j’avance ; je me permettrai de vous lire cet article

« Plusieurs fabricants, magasiniers et boutiquiers de la ville de Gand ont résolu de se réunir jeudi à l’effet de prendre des mesures pour empêcher la ruine dont plusieurs d’entre eux sont menacés par suite des ventes publiques à l’encan d’objets neufs. »

Ce n’est donc que maintenant, messieurs, que l’étranger vient verser son trop plein sur notre marché ; ce n’est qu’à présent qu’il vient chez nous se défaire à tout prix des marchandises qui encombrent ses magasins et faire ainsi le plus grand tort à notre industrie ; et c’est en ce moment même que le ministère veut nous faire voter une loi qui ouvre largement la porte aux produits de l’étranger !

M. le président. - La parole est à M. Rogier.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Rogier. - Je me suis aperçu que depuis longtemps la chambre est fatiguée de cette interminable discussion, et c’est pour cela que j’appuyais hier la demande de clôture. Aujourd’hui encore je suis très disposé à appuyer cette même demande, et si la chambre veut clore, je ferai très volontiers le sacrifice du discours que je me propose de prononcer si la discussion continue. (Marques d’approbation.)

De toutes parts. - La clôture ! la clôture !

M. de Brouckere. - Messieurs, je crois aussi que la discussion est arrivée à son terme, et que la chambre doit éprouver le désir de la clore ; mais je ne sais pas s’il conviendrait que le vote eût lieu aujourd’hui, puisque la chambre est loin d’être complète : la fêle de la Toussaint suivant de très près le dimanche, plusieurs honorables membres de la chambre sont sans doute pour ce motif retournés chez eux pour y passer trois ou quatre jours ; je crois donc qu’il conviendrait, si la clôture est prononcée immédiatement ou à la fin de cette séance, de remettre le vote à la séance prochaine.

Quant à la question de savoir s’il faut clôturer maintenant on à la fin de la séance, cela dépend de cette autre question : si nous avons un objet dont nous puissions nous occuper immédiatement. Je ne crois pas que la commission qui a été chargée de s’occuper des bonneteries soit prête à faire son rapport ; ainsi, dans le cas où la clôture serait prononcée à l’instant même, nous n’aurions plus rien à faire pendant le reste de la séance. Il me semble donc qu’on pourrait entendre encore l’honorable M. Rogier, que, d’ailleurs, j’en suis persuadé, la chambre entendrait avec plaisir, et clore ensuite la discussion en décidant toutefois qu’on ne votera que dans la prochaine séance.

M. Coghen. - Je demande, comme l’honorable M. de Brouckere, qu’on ne vote que dans la prochaine séance ; il s’agit, messieurs, d’un objet de la plus haute importance, et beaucoup de membre sont absents, parce que, comme on devait s’occuper lundi des bonneteries, une grande partie d’entre nous ont cru qu’on ne s’occuperait plus de l’article draps qu’après la Toussaint. Il conviendrait donc de prononcer la clôture aujourd’hui et de remettre le vote à vendredi prochain, par exemple ; d’ici là les absents seraient prévenus et alors au moins un plus grand nombre de membres pourraient prendre part à une décision qui est d’une haute importance. (Appuyé, appuyé.)

M. Smits. - Je ne sais pas, messieurs, pour quel motif, tout en prononçant aujourd’hui la clôture, on remettrait le vote à un autre jour. il est fort probable que les membres qui se sont absentés pour passer la fête de la Toussaint chez eux seront encore absents vendredi ; je ferai d’ailleurs remarquer que les membres qui pourront revenir d’ici là n’auront peut-être pas pris une connaissance suffisante de nos débats. Du reste, messieurs, la chambre se compose en ce moment d’environ 70 députés, et je ne vois dès lors aucune raison suffisante pour ne pas décider immédiatement la question de principe, c’est-à-dire celle de savoir si la prohibition exceptionnelle contre la France sera levée oui ou non.

Cette question résolue, les débats seront loin d’être terminés, car il y aura alors à examiner les différents amendements qui ont été déposes : l’amendement de M. Dechamps, l’amendement de M. Demonceau et l’amendement de M. le ministre des finances. Je crois donc, messieurs, qu’il faut décider immédiatement la question de principe, saut à discuter ensuite s’il y a lieu, les divers amendements.

M. Verdussen. - Messieurs le nombre des membre présents n’a jamais été beaucoup au-delà de 70, même lorsque nous avons pris les décisions les plus importantes. Eh bien je crois que nous sommes à peu près ce nombre et que nous ne devons pas espérer d’être plus nombreux vendredi prochain : si quelques membres se sont absentes depuis le commencement de la semaine, pour y passer la fête chez eux, d’autres membres pourront retourner aujourd’hui pour le même motif et rester dans leur famille pendant le reste de la semaine. Je crois donc que nous ne gagnerions rien à remettre le vote à un autre jour.

M. Dubus (aîné). - Je dois répondre à l’honorable député d’Anvers que si l’on votait aujourd’hui, bien des membres pourraient considérer cela comme une véritable surprise, tandis que vendredi prochain tout le monde sera prévenu.

La proposition d’ajourner le vote mérite d’autant plus d’être accueillie que ce serait là un hommage rendu à l’opinion publique qui est vivement préoccupé de la question dont il s’agit et qu’il serait extrêmement fâcheux que cette question fût tranchée d’une manière inattendue, par un simple coup de majorité. Je crois donc, messieurs, qu’il ne faut voter que vendredi ; au moins alors ceux qui ne seront pas présents n’auront pas à se plaindre, tandis que ceux qui sont absents maintenant ont de bonnes raisons pour dire qu’ils ne s’attendaient pas à ce que la question fût décidée aujourd’hui.

M. Demonceau. - Je n’insisterai pas, messieurs, sur la question de savoir s’il faut remettre le vote à un autre jour ; mais si la chambre n’était pas résolue à voter immédiatement, comme il n’est encore que trois heures, je demanderais la permission de répondre quelques mots à l’honorable M. Smits.

Plusieurs voix. - M. Rogier doit parler si la discussion continue.

M. Rogier. - Hier on a remis à aujourd’hui la continuation de la discussion et le vote, par le motif que plusieurs membres s’étaient absentés croyant que la chambre se serait occupée des vérifications relatives à la bonneterie. Aujourd’hui on vient invoquer le même motif (avec beaucoup moins de fondement, ce me semble) pour demander que le vote soit de nouveau remis. Si des membres se sont absentés, croyant qu’on ne s’occuperait pas de la question des draps, c’est qu’ils attachent peu d’importance à cette question ; j’irai même plus loin et je dirai que les membres qui sont retournés chez eux attachent peu d’importance à la question des draps et à celle de la bonneterie, car il est impossible de supposer que ces membres aient pensé que la chambre ne s’occuperait ni de l’une, ni de l’autre de ces questions, ils pouvaient bien savoir que nous ne passerions pas deux jours à ne rien faire ; ils savaient que si l’on interrompait la discussion de l’article draps, ce serait pour faire la vérification relative aux bonneteries, et que cette vérification devait amener une discussion et un vote.

Or, messieurs, je crois qu’il serait sans exemple qu’après avoir clôturé la discussion sur une question, on remît le vote à huit jours d’intervalle, et cela pour attendre des membres qui ont montré une grande indifférence, il faut le croire, pour la question qu’il s’agit de décider. Il pourrait arriver que d’autres membres qui ont jusqu’ici suivi patiemment la question, ne puissent pas assister à la séance où l’on procéderait au vote. J’insiste donc pour que la chambre clôture la discussion, et qu’ensuite elle aille aux voix. Je ne crois pas que l’opinion publique soit aussi animée qu’on vient de la représenter ici, en ce qui concerne la question que nous agitons : on cherche à effrayer la chambre sur la situation des esprits. On vient nous présenter une espèce de fantasmagorie de 100,000 ouvriers prêts à mourir de faim.

La chambre ne prendra pas le change sur ce tableau extrêmement exagéré. Nous pouvons clôturer en toute assurance. Certes, la question présente de l’intérêt, mais je nie qu’il existe dans le pays cette grande émotion qu’on tâche de provoquer dans la chambre. Je dis qu’il ne s’agit pas de fermer les ateliers de Verviers ou de Tournay. Tout le monde est convaincu que lever la prohibition, pour substituer à une illusion un droit efficace sur les draps français, ne sera pas du tout détruire l’industrie nationale à laquelle nous voulons tous accorder une large protection. Voilà, messieurs, des raisons qui, me paraît-il, peuvent balancer celles qui viennent d’être mises en avant. En tout cas, nous pouvons délibérer ici en toute liberté. Nous ne devons pas être arrêtés par les considérations de l’influence qu’exercera notre vote sur telle ou telle localité ; car, en définitive, il faut bien que ce vote soit connu, soit maintenant, soit dans huit jours.

M. Dubus (aîné). - Je pense qu’on délibérera plus en liberté vendredi qu’aujourd’hui. A coup sûr, si tous les membres qui sont absents, sont prévenus que le vote aura lieu vendredi, il est certain que la majorité pourra se prononcer sur l’importante question qui nous occupe. Or c’est ce que le préopinant perd de vue ou cherche à faire perdre de vue. Il semble qu’on se soit compté et qu’on ait dit : « Il faut saisir ce moment pour voter ; vendredi nous ne serons pas les plus nombreux. » L’opinion publique saura faire ce calcul ; elle connaîtra par quels moyens on veut enlever une garantie à l’industrie du pays, pour sacrifier cette industrie à la France ; voilà le calcul que fera l’opinion publique, et ce n’est pas en pareille circonstance que l’on doit mépriser l’opinion publique ; c’est surtout en semblable matière qu’il faut la respecter.

M. de Brouckere. - Messieurs, si ma proposition avait dû prolonger la discussion, je ne l’aurais pas faite, car j’avoue franchement que je trouve nos débats déjà trop longs. Mais je ne vois pas quelle perte de temps serait le résultat de l’adoption de ma motion. En effet, s’il est bien entendu que l’on se bornera à émettre un vote à la prochaine séance, nous n’aurons rien perdu par ce délai. Aurons-nous gagné ? Sans contredit, le nombre des membres qui prendront part au vote sera plus grand.

Tout le monde sera prévenu qu’il y a à émettre un vote de la plus haute importance, et je suis persuadé que très peu de députés oseront prendre sur eux de ne pas se rendre à la séance. Que si parmi les représentants il s’en trouve qui manquent a un appel aussi important eh bien., je crois qu’il n’y a pas de mal à ce que le pays puisse les juger.

Je pense donc que rien ne s’oppose à ce que le vote soit remis à la prochaine séance. (Aux voix ! aux voix !)

- La chambre décide qu’il sera procédé séance tenante au vote définitif.

M. Gendebien. - On va décider si l’on maintiendra ou non la prohibition. Il est bien entendu que la question reste entière, c’est-à-dire que nous déterminerons plus tard le point de savoir à quelle époque la levée aura lieu, si la chambre vient à la décréter maintenant en principe. (Oui ! oui !) En ce cas, tout est dit.

M. de Brouckere. - Nous devons tous être d’accord sur la position de la question. Il y a trois opinions : la première est celle des membres qui veulent lever la prohibition dès aujourd’hui.

Des membres. - Personne ne demande la prohibition immédiate.

M. de Brouckere. - Eh bien, s’il en est ainsi, la question va se simplifier. Est-il entendu que la proposition la plus favorable à la levée de la prohibition est celle qui tend à la lever en 1839 ? (Oui ! oui !) Dès lors il ne peut y avoir aucune espèce de difficulté à ce qu’on pose la question comme vient de le faire M. le président, ou comme le propose M. Dubus (aîné).

M. Dubus (aîné). - La prohibition existe maintenant. La question à poser à la chambre est celle-ci :

« Lèvera-t-on la prohibition sur les draps au 1er janvier 1839 ? »

M. Gendebien. - Il faut en revenir au règlement. Le gouvernement avait, lors de la première discussion, proposé la levée de la prohibition sans aucune condition. On a amendé cette proposition en éloignant le terme de la levée de la prohibition jusqu’en 1839 ; voilà un premier amendement. Maintenant il y en a un autre qui s’écarte davantage de la proposition du gouvernement, c’est l’amendement de M. Demonceau, qui a proposé de décider que la prohibition sur les draps fronçais sera levée le jour où le gouvernement français lèvera la prohibition sur les draps belges.

Conformément au règlement on doit mettre d’abord aux voix la proposition qui s’éloigne le plus de la proposition du gouvernement, et je crois que c’est celle de M. Demonceau.

M. Demonceau. - Quand j’ai demandé la parole, c’était pour faire l’observation que vient de présenter M. Gendebien. Trois systèmes sont ici en présence. Aux termes du règlement on doit commencer par mettre aux voix celui qui s’écarte le plus de la proposition du gouvernement ; comme c’est le mien qui se trouve dans ce cas, je demande qu’il soit mis d’abord aux voix.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - J’étais occupé à rechercher dans le Moniteur la première discussion .La question se présentait dans les mêmes termes qu’aujourd’hui. La chambre fut appelée à prononcer sur une question de priorité entre la proposition reproduite aujourd’hui par M. Demonceau et celle de lever la prohibition en 1839,et donna la priorité à cette dernière ; je pense qu’il conviendrait de procéder aujourd’hui de la même manière.

M. Gendebien. - Je ferai remarquer que la proposition de M. Demonceau, tout en s’écartant le plus du projet du gouvernement, est plus favorable au système de ceux qui voudraient la levée immédiate de la prohibition, que l’amendement pour lequel M. le ministre demande la priorité ; car si demain le gouvernement français levait la prohibition sur les draps belges, le gouvernement belge pourrait la lever également sur les draps français. (Aux voix ! aux voix !)

- La chambre consultée donne la priorité l’amendement déjà adopté au premier vote, qui fixe au 1er janvier 1839 la levée de la prohibition sur les draps et casimirs français.

Cet amendement est mis aux voix par appel nominal.

72 membres prennent part au vote ;

39 répondent oui ;

33 répondent non.

En conséquence l’amendement est adopté.

Ont répondu oui : MM. Andries, Bekaert-Baeckelandt, Coppieters, de Brouckere, Dechamps, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Nef, Dequesne, de Sécus, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Dolez, Dubois, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Lebeau, Mercier, Liedts, Mast de Vries, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, A. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Troye, Ullens, Perceval, Verdussen, de Langhe, Willmar.

Ont répondu non : MM. Coghen, Corneli, van Volxem, Metz, David, Demonceau, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, Doignon, Dubus (ainé), B. Dubus, Dumortier, Frison, Gendebien, Verhaegen, Jadot. Kervyn, Lardinois, Lejeune, Meeus, Raikem, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Vandenbossche, Vandenhove, Vergauwen et Zoude.

M. le président. - La discussion est ouverte sur les amendements relatifs aux articles de la draperie. La parole est à M. Demonceau pour développer son amendement.

M. Demonceau. - L’honorable M. Dechamps a proposé un amendement qui, dans son opinion, est la reproduction du système prussien ; voici cet amendement

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre d’adopter l’amendement suivant, pour la tarification des draps :

« Draps, casimirs, péruviennes, circassiennes, castorines, et tous autres tissus similaires, 250 fr. par 100 kilog.

Voici l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer :

« Je propose de fixer définitivement la disposition du tarif comme suit :

« N°146. Draps, casimirs et tissus de laine, par 100 kil. Droit d’entrée : 250 fr. ; droit de sortie : 10 c.

« Dispositions particulières : 1° L’amendement de M. le ministre comme suit :

« Le droit ci-contre sera augmenté à l’égard des provenances de pays où il est accordé, sur les articles de l’espèce, des primes d’exportation, du montant de ces primes.

« Le gouvernement, etc., comme à l’amendement de M. le ministre, et ensuite le mien comme suit :

« Le gouvernement est autorisé à lever la prohibition dont sont aujourd’hui frappés les draps et casimirs d’origine française, ou importés de France, lorsque le gouvernement français lèvera celle frappant les draps et étoffes de laine d’origine belge. »

L’honorable M. Dechamps a dit, dans la séance où il a proposé son amendement, qu’il entendait que l’industrie belge fût protégée par les mêmes droits par lesquels le gouvernement prussien protège l’industrie prussienne ; je pense que telle a été son idée, cependant il faut faire attention que nous sommes ici dans une position spéciale. Vous avez prononcé la prohibition des draps et casimirs d’origine française. ; mais les tissus de laine ne sont pas frappés de prohibition. J’ajouterai que la plupart des tissus de laine de France entrent moyennant des droits très minimes et qui n’excèdent pas 2 p. c. Veuillez faire attention que d’après l’amendement de M. le ministre des finances, et d’après les principes admis généralement dans cette enceinte, admis même par l’honorable M. Lebeau, il faut trouver un moyen d’atteindre la prime de France.

Sur quels tissus la prime existe-t-elle en France ? Sur toute espèce de tissus de laine. Ainsi jusqu’à présent la France, qui se plaint amèrement de notre prohibition a pu détruire la plupart des industries de la Belgique, en ce qui concerne les tissus de laine ; elle nous a envoyé ces tissus en payant un droit de douane de 2 p. c. et en recevant en France une prime de 15 p. c. D’après le tableau des importations, document officiel émané du gouvernement, les draps n’ont jamais été estimés au-dessus de 16 fr. le mètre (il n’y a que 15 kil. qui aient été estimés au-dessus de 10 fr. le mètre), et la plus grande partie des draps français introduits dans le pays y sont entrés à une valeur au-dessous de 16 fr. le mètre.

Vous voyez combien votre système est favorable à la France.

Maintenant si, comme je le crois, vous voulez accorder une protection à l’industrie que vous venez de frapper, cette protection doit s’étendre non seulement aux draps et casimirs, mais aussi à toute espèce de tissus de laine. Le tarif porte à l’article 86 : « draps et casimirs autres que d’origine française ;» et à l’article 122 : « draps et casimirs de tout pays. » Or jusqu’aujourd’hui une masse de produits sur lesquels le fabricant français a obtenu des primes d’exportation s’élevant à 15 p. c, sort entrés dans le pays moyennant un droit de 2 p. c.

Lorsque M. Dechamps a présenté son amendement, je pensais qu’il s’appliquait à tous les tissus de laine ; vous reconnaîtrez, j’espère, qu’il doit en être ainsi ; l’équité l’exige.

L’honorable M. Dechamps dans son amendement a reporté une catégorie d’étoffes de laine dans la catégorie des draps et casimirs. Mais, pourra-t-on vous dire, comme vous avez indiqué des spécialités, il en résulte que les autres tissus de laine, non indiqués à cet article du tarif, restent dans la catégorie des tissus au droit de 2 p. c., et que les propositions pour atteindre la prime n’atteindront pas ce tissu.

Je voudrais que la proposition de M. Dechamps s’appliquât à toute espèce de tissus de laine ; je ne pense pas que l’on veuille accorder à l’industrie une protection illusoire ; pour que cette protection ne soit pas illusoire, il faut comprendre dans l’amendement, indépendamment des spécialités qui s’y trouvent déjà toutes les autres spécialités de tissus de laine.

Ce serait les draps en général, les draps légers, les casimirs, les castorines, toutes les espèces de tissus que l’on appelle étoffes de fantaisie ; les étoffes à carreaux, à raies ; les étoffes connues dans le commerce sous le nom d’étoffes de mode, qui servent aujourd’hui pour pantalons, pour gilets, et même pour habits d’été ; les circassiennes, les péruviennes, les castorines, les napolitaines, les flanelles, les mérinos, les mousselines-laine, les serges, les coatings, les duffels, les baies, les camelots, et autres de cette catégorie. En voilà un grand nombre de désignées.

Je sais que le ministre des finances nous a dit que par tissus similaires, il entendait désigner ces étoffes de mode ; mais je lui ferai observer que dans l’intérêt de la Belgique en général, dans l’intérêt de l’industrie de Verviers en particulier, la mesure que je propose doit être adoptée, pour faire cesser tous les doutes qui se sont élevés sur la question de savoir si de tels tissus seraient frappés des droits portés en l’article 86 de votre tarif, ou s’ils seraient portés dans la catégorie de l’article 221.

Je parle avec la franchise que j’ai toujours apportée dans la discussion. Si je me contentais de la défense des intérêts de Verviers, je serais satisfait de l’amendement de M. Dechamps, mais je défends les intérêts de toutes les industries belges ; et comme d’autres objets sont produits dans d’autres provinces que celle de Liége, je veux que mes compatriotes sachent que je soutiens aussi leurs intérêts.

J’ajouterai qu’à l’exception des coatings, des duffels, des camelots…, le droit que propose M. Dechamps ne revient pas à un demi p. c., même sur les étoffes les plus fines. Je dirai cependant que les étoffes dont je viens de donner l’énumération, ne sont pas toutes importées de l’étranger ; que nous avons en Belgique des fabriques qui les produisent. Les duffels nous viennent de la Prusse et sont fabriquées en Hollande, ce qui nuit aux mêmes étoffes qui se fabriquent chez nous.

Cependant, cette étoffe, quelque lourde qu’elle soit, ne paie pas un droit de 6 p. c.

Les coatings se font aussi en Belgique ; j’indiquerai la province où M. d’Huart a été nommé représentant, le Luxembourg, comme fabricant des étoffes de laine. Le Luxembourg se plaint amèrement de ce que son commerce est en souffrance. Si M. Zoude était à sa place, il dirait avec moi que l’industrie drapière est compromise dans ce pays à cause du concours des étoffes françaises, anglaises et hollandaises.

Les baies se fabriquent dans plusieurs localités de la Belgique, et il s’en fabrique aussi dans le Luxembourg.

Pour les camelots c’est la même chose, Il y a aussi des étoffes à longs poils, dont on avait fait l’hiver dernier beaucoup de redingotes courtes, garnies de larges boutons.

Il y a aussi des étoffes nommées molletons ; on en fabrique à Tournay, à Bruges.

En mettant le droit que je propose, vous atteindrez tous les tissus étrangers, vous ne les frapperez que d’un droit qui n’est pas très élevé, et vous favoriserez l’industrie belge.

On dira peut-être que les mérinos, les mousselines-laine, les serges ne devraient pas entrer dans la catégorie. Je répondrai que le gouvernement sait mieux que personne qu’il a été établi une société à la porte de Bruxelles pour fabriquer ces tissus, et qu’elle a été obligée de renoncer, ne pouvant soutenir la concurrence étrangère.

Voilà les explications que j’ai cru devoir donner sur mon amendement. J’espère que M. Dechamps s’expliquera sur le sien.

M. Dechamps. - Mon intention a été, tout aussi bien que celle de M. Demonceau, de ne sacrifier nullement l’industrie drapière que je considère comme une des plus intéressantes du pays. Dans ma conviction, mon amendement apportera une protection plus réelle que le tarif en vigueur en Belgique, et que le système de prohibition relatif à la frontière de France. Je ne regrette pas la levée de la prohibition que vous venez de prononcer ; je pense qu’en 1839, la chambre adoptant mon amendement ou celui de M. Demonceau, l’industrie drapière sera protégée plus efficacement qu’elle ne l’est maintenant.

La seule différence qui existe entre nos deux amendements consiste en ce que le mien ne comprend que les draps, casimirs, circassiennes, et autres tissus similaires, c’est-à-dire tous les tissus de laine qui servent aux mêmes usages que les draps, casimirs et circassiennes, ou qui ne servent qu’aux habillements d’homme.

M. Demonceau veut étendre le droit à tous les autres tissus de laine : je me sépare ici de son opinion, et je vais en dire brièvement les motifs.

Je voulais, en présentant mon amendement, protéger les produits qui se fabriquent dans le pays, d’une manière quelque peu importante ; et M. Demonceau vient d’avouer lui-même que l’industrie de Verviers était tout à fait hors de cause pour les étoffes dont je ne parle pas dans mon amendement.

Si mes renseignements sont exacts, je pense même que les tissus de laine dont il est ici question ne se fabriquent que peu ou point dans le pays : or, il me paraît d’un très mauvais système, en économie politique, de frapper de droits élevés des produits que nous ne faisons pas nous-mêmes ; je n’en verrais ni le but, ni le motif.

Lorsque j’ai présenté mon amendement, dans les développements que j’en ai donnés à la chambre, j’avais dit que je croyais qu’il était la reproduction du tarif prussien ; mais c’était dans ce sens que je rétablissais la partie de ce tarif qui frappe nos draps, nos casimirs. Je ne voulais pas rétablir le tarif prussien contre les tissus que je n’énumère pas.

Si les renseignements sur lesquels je m’appuie n’étaient pas exacts, si ces tissus de laine formaient une fabrication très importante dans le pays, alors la question changerait, et je serais très porté à admettre une protection utile.

M. Dumortier. - Il faut distinguer dans les tissus de laine ceux dont la trame est couverte par la laine ou les draps, et ceux dont la trame n’est pas couverte par la laine ou les tissus lisses. A Verviers il s’agit de la fabrication des draps ; dans d’autres villes il s’agit des tissus lisses. La ville de Renaix, par exemple, fabrique des étoffes de laine ; si vous donniez un peu de faveur à cette industrie, elle y prendrait un immense développement.

L’industrie drapière de Verriers souffre : il faut lui donner un équivalent ; il faut lui donner la facilité de fabriquer toute sorte de tissus de laine. Cette industrie qui est si avancée, pourra, dans peu de temps, fabriquer toutes les étoffes de fantaisie.

M. Verdussen. - Messieurs, j’ai besoin d’une explication ; lors de la première discussion et lorsqu’il s’est agi de la bonneterie, je me suis élevé avec quelque force contre la proposition de frapper les bas, chaussettes, etc., d’un droit uniforme au poids ; aujourd’hui pour les draps, deux amendements nous sont présentés : celui de M. Demonceau et celui de M. Dechamps ; ces deux honorables membres proposent tous deux le même droit, et cependant ils sont d’une opinion très différente sur la portée de ce droit : l’honorable M. Demonceau a dit que le droit adopté au premier vote revenait à 5 p. c. de la valeur ; or, l’amendement de M. Dechamps qui propose un droit uniforme de 250 fr. par 100 kilog., n’élevant le chiffre adopté au premier vote que d’un cinquième à peu près, le droit proposé par M. Dechamps serait, dans l’opinion de l’honorable M. Demonceau, d’environ 6 p. c. de la valeur terme moyen, tandis que l’honorable M. Dechamps évalue ce même droit à 10 p. c. de la valeur. Je désirerais savoir laquelle de deux opinions est exacte ? Est-ce un droit de 6 p. c., ou un droit de 10 p. c. qu’on nous propose de voter ? Il faut nécessairement que nous nous entendions sur une pareille question.

Je vous avoue du reste, messieurs, que conformément aux idées que j’ai émises relativement à la bonneterie, j’aimerais mieux la classification qui a été adoptée au premier vote, que le droit uniforme proposé par les honorables MM. Dechamps et Demonceau, parce que ce dernier droit est sujet aux mêmes inconvénients que j’ai signalés lorsqu’il s’est agi de frapper la bonneterie d’un droit uniforme.

M. Demonceau. - L’honorable M. Verdussen est étonné que j’aie dit que le droit adopté au premier vote ne reviendrait qu’à 5 p. c. tandis que l’amendement de l’honorable M. Dechamps, qui n’augmente que d’un cinquième le chiffre adopté au premier vote, établissait un droit de 10 p. c. Je vais expliquer d’où cela provient : c’est que le projet adopté au premier voie, établissant des catégories, on fraudera une partie du droit ; si ce projet est maintenu, on fera passer comme draps de 8 fr. ceux qui en vaudront 16, et l’on ne paiera ainsi que 85 fr. par 100 kilog. au lieu de 150 fr. ; avec l’amendement de l’honorable M. Dechamps, au contraire, cette fraude sera tout à fait impossible. J’espère que cette explication satisfera l’honorable M. Verdussen. Dans tous les cas j’ai des tableaux comparatifs par lesquels je pourrai lui démontrer clairement ce que j’avance

M. Dechamps. - Ce que je puis répondre à l’honorable M. Verdussen, c’est qu’avant de présenter mon amendement, j’ai assisté à des opérations pour trouver quel serait le taux à la valeur du droit de 250 fr. pour 100 kilog. ; il résulte de ces opérations que ce droit varierait de 9 à 11 p. c. de la valeur, mais qu’il sera dans le plus grand nombre des cas de 10 pour cent, je me suis rendu au ministère de l’intérieur dans les bureaux de l’industrie et du commerce, et les tableaux que l’honorable M. Smits a bien voulu me fournir m’ont prouvé que les opérations dont il s’agit étaient réellement exactes et que le droit de 250 fr. par 100 kilog. reviendra à 10 p. c. de la valeur pour la plus grande partie des draps qui sont importés en Belgique. Je pense que l’honorable M. Demonceau est à cet égard tout à fait d’accord avec moi.

(Moniteur n°306 et 307, des 2 et 3 novembre 1837) M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il me paraît, messieurs, qu’il serait convenable de déposer sur le bureau, pour la prochaine séance, des tableaux indiquant quel serait le résultat de l’application du tarif proposé par M. Dechamps ; de cette manière chacun de nous pourrait se rendre compte de la protection que l’amendement de cet honorable membre tend à donner à nos fabricants. Je crois, toutefois, pouvoir annoncer dès maintenant que le droit résultant de cette proposition serait de 5 à 15 p. c. suivant les qualités de la marchandise.

M. Demonceau voudrait frapper d’un droit uniforme tous les tissus de laine, quel que soit l’usage auquel ils sont destinés, soit qu’ils servent à faire des vêtements d’homme, soit qu’on ne les emploie que pour des vêtements de femme ; je ferai d’abord remarquer qu’en ce qui concerne les tissus de laine autres que le draps, casimirs et leurs similaires, l’importation n’en a été prohibé d’aucun côté : la France peut, sous l’empire de la législation actuelle, les importer moyennant un droit uniforme de 68 francs par 100 kilog. ; il ne faut donc pas confondre les draps, casimirs et les tissus similaires avec les autres tissus de laine. Je ne sais pas si l’on voudrait par une semblable confusion récupérer ce que l’on croit avoir perdu par la levée de la prohibition, mais ce serait aller beaucoup trop loin que d’imposer inutilement, du même droit que les draps, les autres tissus de laine dont l’entrée par toutes les frontières indistinctement est permise par l’ancien tarif, et qui d’ailleurs ne se fabriquent pour ainsi dire pas en Belgique.

L’honorable M. Dumortier a parlé tout à l’heure, il est vrai, de certaine espèce de tissus de laine qui se font à Renaix et dont la fabrication, a-t-il dit, s’étend tous les jours ; mais si cette industrie prospère sous l’empire de la loi actuelle, c’est précisément un motif pour ne pas adopter en sa faveur des droits prohibitifs. Il importe donc de maintenir la distinction qui existe maintenant entre les draps, casimirs et leurs similaires d’une part, et les autres tissus de laine d’autre part, comme le fait l’amendement de l’honorable M. Dechamps, et ne pas confondre avec les tissus à l’égard desquels nous venons de lever la prohibition, ceux qui n’ont jamais été prohibés.

Voilà, messieurs, les observations sommaires que je tenais à vous présenter aujourd’hui, sauf à m’étendre à cet égard dans une prochaine séance.

M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer sa prochaine séance ?

Plusieurs membres. - A vendredi.

D’autres membres. - A lundi.

- La chambre fixe sa prochaine séance à vendredi prochain.

La séance est levée à 5 heures.