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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 7 novembre 1837

(Moniteur belge n°312, du 8 novembre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure.

M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier dont la rédaction est adoptée, après une observation faite par M. Lardinois, et qui n’a pas de suite.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées la chambre.

« Les sieurs Louis Peerts et A.-J. Geluwe, commis-greffiers près les justices de paix des cantons ouest et nord de Gand, demandent que leurs fonctions soient rétribuées par l’Etat. »


« Le sieur Grégoire, entrepreneur de messageries, adresse de nouvelles observations à l’appui de sa pétition tendant à obtenir une diminution du droit de barrière pour les voitures à six roues de M. Dietz. »


« Le sieur François Blondeau demande la croix de fer. »


« Le sieur P. Vandeven, à Louvain, ex-greffier suppléant au tribunal de simple police à Louvain, demande qu’il lui soit alloué une indemnité du chef d’avoir rempli pendant 17 mois les fonctions de greffier, après le décès de son père, titulaire de cette place. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, chargée d’en faire le rapport.


« Le sieur Havard, demeurant à Bruxelles, fait hommage à la chambre de ses Eléments du droit administratif en Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Diekirch

M. Corneli, organe de la commission de la vérification des pouvoirs, présente le rapport suivant sur l’élection de Diekirch. - Messieurs, l’examen du procès-verbal et des pièces y jointes, a fait connaître que, dans les deux sections, 625 électeurs ont déposé leurs bulletins dans l’urne que la majorité était, par conséquent de 313.

Les voix ont été partagées entre MM. Watlet, procureur du roi, et de Puydt, colonel, à Bruxelles. Le premier a obtenu 265 voix et le second 361, ce qui donne à M. de Puydt 48 voix de plus que la majorité absolue ; aussi a-t-il été proclamé représentant par le président du bureau.

On doit cependant remarquer que le procès-verbal fait connaître et explique comment au premier bureau, il s’est trouvé six bulletins de plus qu’il n’y avait de votants : quatre de ces bulletins portaient : Nicolas Watlet, et deux, colonel de Puydt. Voici le procès-verbal.

« Au second bureau, il est résulté du dépouillement deux voix de plus que de bulletins comptés. » Le procès-verbal ne dit pas d’où cette erreur provient, ni à qui ces deux voix ont profité.

Il est encore constaté, par une note insérée en marge au procès-verbal, qu’un nommé Reitz Christophe d’Asselborn, qui ne figure ni sur la liste générale ni sur celle de sa commune, a été admis à voter, et le bureau a motivé cette admission sur ce que Reitz avait reçu un billet de convocation et qu’aucun des électeurs présents ne lui contestait sa qualité et ses droits. (Art. 23 de la loi électorale.)

Messieurs, votre commission pense, relativement à ces trois irrégularité, que l’explication donnée par les rédacteurs du procès-verbal sur la première doit être admise, et que, du chef des deux dernières, on pourrait, à la rigueur, retrancher trois voix à M. le colonel de Puydt, et, dans ce cas, il lui resterait encore 45 voix de majorité ; aussi ne s’est-on pas arrêté longtemps à ces difficultés. Mais une plus grave paraissait résulter de la liste générale des électeurs de l’arrondissement, dressée le 25 octobre dernier par M. le commissaire de district : 41 fils de gendres de veuves, 6 et 7 personnes qui ne sont pas Belges de naissance, en tout 48 personnes, semblaient indûment inscrites, ce dont on a été d’autant plus surpris que les élections de ce district du mois de juin dernier avaient déjà été attaquées du chef de pareilles irrégularités ; on ne s’attendait pas à le voir reproduites. Toutefois, le bureau a été plus sage, il n’a pas admis les fils et gendres de veuves. Les listes des votants, tenues en double par les scrutateurs, constatent que les sieurs Gengeler, de la commune de Clervaux, Nipper Th., d’Eschweiler, sont les seuls électeurs qui, quoique inscrits comme fils de veuves, ont été admis à voter, et que seulement 3 étrangers qui n’ont point obtenu la grande naturalisation, Steichen Nicolas, de Medernach, Arrens, de Basbelain, et Sunschensky, de Diekirch, ont déposé leurs bulletins dans l’urne. La commission n’a pas cru nécessaire de s’occuper des droits que ces électeurs peuvent avoir ou ne pas avoir ; car, supposé même qu’ils soient indûment inscrits et qu’il faille les retrancher de la liste, ainsi que les deux fils de veuves et diminuer encore, de ce chef, de cinq le nombre des voix obtenues par M. de Puydt, il lui resterait encore une majorité de 40 voix.

Du reste, messieurs, le procès-verbal est régulier ; il constate que toutes les formalités prescrites par la loi électorale ont été observées.

Aucune réclamation n’a été élevée contre les opérations du collège.

Par conséquent la commission me charge de proposer l’admission de M. le colonel de Puydt comme membre de la chambre.

- Ces conclusions sont adoptées.

Arrondissement de Mons

M. Corneli, présente ensuite le rapport suivant sur l’élection de Mons. - Messieurs, il résulte d’un procès-verbal qui a paru à votre commission régulier en tout point, que les formalités prescrites par la loi électorale ont été observées ; que 879 électeurs répartis en cinq sections ont concouru à l’élection ; que la majorité absolue était de 440 ;

Que M. Gérard, juge à Mons, a obtenu 283 voix, M. Lecreps (Gabriel), 227, M. Colmant, avocat, 173, M. Lignian, receveur des domaines, 79, et une douzaine d’autres personnes le reste des voix.

On a donc procédé à un second scrutin de ballottage entre MM. Gérard, juge, et Lecreps (Gabriel) ; 797 électeurs y ont pris part. Le résultat en est : pour M. Gérard, 381 voix, tandis que M. Lecreps (Gabriel) obtient 408 voix. Aucune réclamation n’a été faite contre les opérations du collège électoral. La commission dont je suis l’organe m’a donc chargé de proposer l’admission de M. Lecreps comme membre de la chambre des représentants.

- Ces conclusions sont également adoptées.

M. de Puydt, qui est présent à la séance, prête serment.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l'exercice 1838

Rapport de la section centrale

M. Van Hoobrouck de Fiennes dépose le rapport sur le budget des affaires étrangères.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La discussion en sera fixée ultérieurement.

Fixation de l’ordre des travaux de la chambre

M. de Brouckere. - Je profite de cette occasion pour faire une interpellation.

Je pense qu’il est à désirer que des rapports sur d’autres budgets nous soient présentés incessamment, parce que le moment sera bientôt arrivé à les discuter, si l’on veut avoir les budgets à temps. Je demanderai donc que les rapporteurs des sections centrales des autres budgets déposent leurs rapports le plus tôt possible. Je me réserve de proposer alors un jour pour la discussion des budgets. (Appuyé.)

Projet de loi qui ouvre un crédit supplémentaire de 500,000 francs, au budget de la justice pour 1837, pour achat de matières premières dans les prisons

Discussion et vote de l'article unique

M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :

« Article unique. Il sera ouvert à l’art. 6 du chapitre VIII du budget du département de la justice, pour 1837, un crédit supplémentaire de la somme de 500 mille francs. »

- Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur le projet de loi.

Le projet est adopté à l’unanimité des 62 membres qui ont répondu à l’appel nominal et qui sont : MM Andries, Bekaert, Berger, Coppieters, Corneli, Metz, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Foere, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Nef, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, d’Huart, Doignon, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Hye-Hoys, Maertens, Lardinois, Lebeau, Mercier, Lejeune, Liedts, Manilius, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenbossche, Van Hoobrouck, Verdussen, Vergauwen, Angillis, de Langhe, de Florisone, de Puydt, Zoude et Raikem.

Projet de loi qui accorde un transfert de crédit de 18,100 fr. au budget de la justice pour 1836 (frais de justice et du Moniteur)

Discussion de l'article unique

M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :

« Article unique. Une somme de dix-huit mille cent francs (fr. 18,000) est distraite de l’article 5 chapitre II du budget du ministère de la justice, exercice 1836, et transférée, savoir : douze mille (fr. 12,000) au chapitre IV, article unique, et six mille cent francs (fr. 6,100) à l’article 2 du chapitre IV dudit budget. »

M. Dumortier. - Messieurs, j’ai toujours été opposé au système de transfert que je regarde comme un véritable abus en matière de comptabilité. Il est clair que les lois financières doivent être libellés de telle sorte que nous puissions y voir clair lorsqu’un jour nous aborderons la loi des comptes. Or, au moyen de ces transferts qu’on adopte peut-être avec trop de facilité, la loi des comptes deviendra d’une difficulté inextricable.

Dans l’espèce l’inconvénient n’est pas très grand, parce que le transfert est opéré du chapitre du budget d’une année à un autre chapitre du budget de la même année. Mais plus d’une fois le département de la guerre est allé bien plus loin en demandant des transferts d’un exercice à un autre exercice. Or, dans un système semblable, il est impossible d’avoir une comptabilité claire, une comptabilité percée à jour, si je puis m’exprimer ainsi.

Un semblable système est donc extrêmement vicieux ; ce système a d’ailleurs un autre inconvénient, en ce qu’il ne donne presque jamais lieu à une discussion ; et pourquoi ? parce qu’on se borne à dire dans la loi que telle ou telle somme est transféré de tel ou tel chapitre du budget de telle ou telle année à tel ou tel autre chapitre du budget de la même année. Tous les chapitres et les articles des budgets ont un libellé spécial ; mais dans les projets de transfert il ne e trouve jamais de libellé qui puisse nous éclairer sur la nature et l’objet du transfert de manière qu’on est toujours exposé à voter sans connaissance de cause.

Le système des transferts est un mode vicieux. Depuis plusieurs années je me suis toujours abstenu sur les projets de transfert ; je le ferai encore aujourd’hui, non que je trouve la proposition mauvaise au fond, mais parce que je considère le système des transferts comme de nature à embrouiller la comptabilité. J’invite le gouvernement à faire en sorte à l’avenir d’éviter les transferts et à demander plutôt de nouveaux crédits.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, l’honorable préopinant n’a pas contesté l’utilité des dépenses que j’ai l’honneur de proposer. L’une a pour objet de faire face au paiement de frais de justice, et l’autre d’accorder un supplément pour le Moniteur. La section centrale a reconnu la nécessité de ces dépenses, et a proposé à l’unanimité l’adoption des deux projets de loi. L’observation de l’honorable membre tombe sur la forme et non sur le fond des propositions. Je ne vois pas de difficulté à ce qu’on alloue les sommes demandées, c’est pour cela qu’il s’abstiendra ; il préférerait que ce fût d’une autre manière que par voie de transfert que le crédit fût alloué ; il voudrait que je demandasse un nouveau crédit de 18,000 fr.

Il est possible que le système de transfert ait des inconvénients quand il s’agit de transférer une somme d’un exercice à l’autre ; mais quand c’est dans le même exercice qu’on opère un transfert d’un article à l’autre, sans changer la somme totale du budget, il n’y a point d’inconvénients. Quand on s’occupera de la loi des comptes d’un département, on réunira tous les crédits alloués pour ce département, les crédits alloués par le budget et ceux accordés par des lois subséquentes ; les transferts ne changeront rien au chiffre total ; la législature aura sous les yeux le budget normal et le nouveau budget, il n’y’ aura pour les transferts qu’à faire un changement dans le tableau à l’article dont le chiffre a été augmenté, en diminuant d’autant celui qui aura subi une réduction.

Il ne peut y avoir ni doute ni confusion. Je pense que l’honorable membre peut se rassurer ; il n’y aurait de danger dans ce mode de procéder que si la chambre se montrait plus facile à voter des transferts qu’à accorder de nouveaux crédits. Mais je ne crois pas que personne soit disposé à voter une somme, sous quelque forme que ce soit, sans une pleine connaissance de cause.

Du reste, le but des transferts dont il s’agit se trouve développé et justifié dans l’exposé des motifs du projet de loi et dans le rapport de la section centrale.

M. Dumortier. - La question que j’ai soulevée n’est pas indifférente, comme vient de le dire M. le ministre ; ce n’est pas sur l’objet de la demande, mais sur sa forme qu’a porté mon observation. Si nous étions dans un pays où la loi des dépenses balance avec celle des recettes, je concevrais l’utilité du transfert, pour ne pas changer la balance arrêtée. Mais pour nous qui faisons notre loi de dépenses sans nous occuper de la loi des recettes, et la loi des recettes sans nous enquérir du chiffre du budget des dépenses, le système des transferts est inutile ; il y a plus, il est dangereux ; car si on continuait à le suivre, la comptabilité ne présenterait plus que confusion : je suis d’accord à cet égard avec plusieurs personnes attachées à la cour des comptes, qui sont à coup sûr compétentes en matière de comptes.

Vote sur l'ensemble du projet

- Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 61 membres qui ont pris part au vote.

En conséquence, le projet de loi sera transmis au sénat.

M. Dumortier qui s’est abstenu se réfère, pour les motifs de son abstention, aux observations qu’il a faites sur la demande de crédit par voie de transfert.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Second vote du tableau du tarif

Draps

M. le président. - Dans la séance d’hier vous avez adopté la proposition de M. Dubus qui est ainsi conçue :

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre d’ajourner le vote définitif de l’article draps de la loi jusqu’au moment où elle sera mise à même de se prononcer sur les amendements dont l’ajournement est demandé. »

Bas et bonneteries

M. le président. - Les tableaux présentés par la commission sur la question des bonneteries ont été imprimés et distribués.

De quel article du projet la chambre désire-t-elle s’occuper ?

Plusieurs voix. - Des bonneteries ! des bonneteries !

M. Smits. - Il me serait difficile de prendre part à la discussion relative à la bonneterie si elle devait être reprise aujourd’hui, car quelque soin que j’aie mis examiner les tableaux qui ont été distribués, je n’ai pas pu en terminer l’examen. Je ne m’oppose pas à ce que la discussion commence maintenant, mais je me réserve de prendre la parole plus tard.

M. Dumortier. - Je ferai remarquer que l’honorable préopinant faisait partie de la commission et qu’il a eu par conséquent les calculs assez longtemps sous les yeux. Au reste, si la chambre veut remettre la discussion à demain, je ne m’y oppose pas.

- La chambre consultée fixe à demain la reprise de la discussion sur l’article bas et bonneteries.

La chambre reprend la discussion sur les articles suivants du tarif.

Fromages du Limbourg

« Fromages du Limbourg, 100 kil. : droit à la sortie : fr. 05 cent. »

Fil de lin, de chanvre et d’étoupe

« Fil de lin, de chanvre et d’étoupe, écru et à tisser. »

M. B. Dubus. - Messieurs, la loi générale des douanes de 1822 et la loi du 8 janvier 1824 ont imposé à la sortie du droit de 5 p. c. sur le fil de mulquinerie écru et non tors. Ce droit fût établi pour favoriser les tordeurs et les fabricants de dentelles. Mais cette protection est devenue en grande partie inutile depuis que le fil de coton, dit fil d’Ecosse, se trouve généralement employé dans la fabrication des tissus de ce genre. Dans l’état actuel de l’industrie de la mulquinerie, presque tous ses produits s’exportent en France, où ils servent à la fabrication des baptistes, et de quelques autres étoffes où le lin est employé concurremment avec la soie et le coton.

Les auteurs d’une pétition imprimée, et qui a été distribuée à tous les membres de cette chambre, affirment qu’il ne se consomme pas dans le pays plus d’un vingt-cinquième du fil de mulquinerie qui s’y fabrique ; et la chambre de commerce de Mons, juge compétent en semblable matière, et qui a cru de son devoir de vous adresser une demande formelle d’abolition du droit de sortie sur le fil de mulquinerie ; la chambre de commerce de Mons, dis-je, assure que sur cinquante kilogrammes environ de ce fil que produisent annuellement les cantons de Soignies, Enghien, Roeulx, et Lens, cent kilogrammes au plus entrent dans la consommation intérieure. C’est un cinquantième de la production ! On sait en outre, ajoute la même chambre, que la majeure partie du fil mis en œuvre pour la fabrication des dentelles est du fil de France reconnu plus propre que le nôtre à ce genre de fabrication. D’après cela, messieurs, n’est-il pas absurde de voir figurer dans notre tarif des douanes un droit de sortie sur des objets presque exclusivement destinés à l’exportation ? Et veuillez le remarquer, ce droit pèse entièrement sur une classe de malheureux ; ce sont de pauvres femmes surtout et des enfants qui s’occupent de la filature du fil de mulquinerie, et je ne crains pas d’exagérer en portant leur nombre à dix mille dans le seul district de Soignies.

Pour achever de vous démontrer, messieurs, combien la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre est fondée, je vous rappellerai que le lin brut ne paie à la sortie qu’un léger droit de balance. Eh bien ! ce même lin, après avoir acquis dans le pays par la manipulation une valeur 30 et 40 fois plus considérable que la matière première, selon la qualité du fil, paie à la sortie un droit qui avec les additionnels s’élève à 5 3/4 p. c.

Messieurs, je crois pouvoir me dispenser d’entrer dans de plus amples détails. A plusieurs reprises, un grand nombre de pétitions ont été adressées à la législature pour obtenir la levée de ce droit odieux, puisque, sans être notablement utile à personne, il frappe un grand nombre d’ouvriers pauvres, et qui, par cela même, méritent toute votre sollicitude. Il me semble qu’il y a urgence à faire disparaître de notre tarif une anomalie aussi choquante. Messieurs, le district que j’ai l’honneur de représenter, et que je connais plus particulièrement, renferme un grand nombre de personnes qui se livrent à la filature du fil de mulquinerie. Les rigueurs de l’hiver qui approche et le prix élevé du combustible leur présagent de rudes souffrances. Vous avez en main les moyens de les soulager ; car vous augmenterez sensiblement leur bien-être en réduisant à un léger droit de balance le droit de sortie sur le fil à dentelles, dont la fabrication, pendant cette saison surtout, forme leur principal moyen d’existence.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - La proposition de l’honorable M. B. Dubus, quoiqu’en apparence peu importante, a cependant en réalité une certaine portée ; je vais le faire voir en peu de mots.

Les fils dentelles simples et non tors, ceux dont l’honorable M. B. Dubus demande la libre exportation, sont frappés dans d’un droit de demi p. c. à l’entrée et de 5 p. c. à la sortie.

Les fils dentelles (appelés fils de France) écrus et non tors sont libres à l’entrée et paient à la sortie un droit de 5 p. c.

Les mêmes fils, lorsqu’ils sont tors et blanchis, sont libres à la sortie. Vous remarquerez par là que le législateur a voulu donner au blanchissage et au tordage des fils une protection ; or, cette protection de 5 p. c. qui paraît être peu de chose, devient cependant forte, quand on considère qu’un kilog. de fil à dentelle de qualité peut coûter plus de 3,000 fr.

Je sais que ce droit, par cela même qu’il est fort, peut être aisément fraudé, parce qu’un petit volume de fils à dentelles ayant un grand prix est facile à soustraire à la surveillance des douaniers, ce qui milite pour la proposition d’abaisser le tarif. La question néanmoins mérite un examen ultérieur, car il s’agit de savoir si nous devons ou non conserver à l’industrie du tordage des fils à dentelles les avantages dont on a voulu l’entourer, avantages qui peuvent aussi réagir sur la fabrication des dentelles, très importante pour Bruxelles et Malines. Il résulte de ces observations que l’amendement de l’honorable membre doit simplement être ajourné, car je suis loin de dire qu’il est inadmissible ; j’ajouterai que le tordage du fil à dentelle compte pour beaucoup dans la valeur de ce fil, ce que par conséquent, cette manipulation n’est pas indigne de votre sollicitude.

De reste, messieurs, quant à la rédaction de la proposition, je ferai une observation secondaire à son honorable auteur. Il parle d’un droit de 10 centimes à la sortie ; mais il ne dit pas sur quelle base le droit sera perçu.

M. B. Dubus. - Sur la base actuelle.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Eh bien, il faut le dire, en ajoutant que les 10 centimes s’appliquent pas 100 fr. de valeur et au-dessous.

M. A. Rodenbach. - L’honorable M. B. Dubus ne parle pas des fils tors dont vient de parler M. le ministre des finances ; il parle seulement des fils écrus et non tors propres à fabriquer la batiste ; mais je ferai observer à M. . le ministre des finances que lorsque le tarif a été fait on fabriquait la dentelle avec du fil, tandis que depuis la rédaction du tarif cette industrie a complétement changé ; car il est à ma connaissance que l’on ne fait presque plus de dentelle avec du fil.

Puisque l’honorable M. B. Dubus vous a dit que nous n’employons pas la cinquantième partie du fil que nous cultivons, il faut dans un système libéral favoriser la sortie du fil. Chez nos voisins, on favorise la sortie des produits fabriqués au moyen de primes qui s’élèvent de 10 à 25 p. c. Sans vouloir ici préconiser ce système, je dis que nous devons favoriser la sortie de toutes les matières dont nous avons du superflu. J’appuie donc la proposition de l’honorable M. B. Dubus ; car les observations de M. le ministre des finances ne m’ont pas touché.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Mes observations n’avaient pas pour but de faire rejeter, mais de faire examiner une proposition qui, vous le reconnaîtrez après un examen approfondi, a une certaine importance. Elle tend à permettre la sortie libre des fils écrus et non tors, et il pourrait arriver de là que l’étranger se chargeât du blanchissage et du tordage du fil, et nous revendît ce fil après avoir gagné cette main-d’œuvre ; or, les industries du tordage et du blanchissage sont des industries assez importantes pour qu’il ne soit pas prudent de changer ses conditions d’existence sans connaître bien quelles peuvent être les conséquences de ce changement.

On serait dans l’erreur si on croyait qu’il ne se fait plus de dentelle avec du fil de lin ; au contraire, ce mode de fabrication reprend et les produits en sont très recherchés. A Bruxelles surtout on recommence à faire de la dentelle avec du fil de lin, et depuis que la France a levé la prohibition et a permis l’importation de nos dentelles à un droit modéré, les fabricants ne peuvent suffire aux commandes.

M. le président. - Voici la proposition qui vient d’être déposée par M. B. Dubus :

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de réduire à un droit de balance de 10 centimes par cent francs de valeur le droit de sortie sur le fil à dentelles écru et non tors de toute provenance. »

M. Dubus (aîné). - Il me semble que l’examen de la proposition ne doit pas être ajourné et que vous pouvez l’accueillir sur-le-champ, puisque son but est de faire disparaître une anomalie assez choquante de notre tarif.

La question est de savoir si nous allons laisser libre à la sortie des matières brutes et imposer des droits à la sortie des matières ouvrées ; ce qui serait engager les ouvriers à quitter le pays pour aller travailler à l’étranger.

Je vous prie de remarquer que le lin brut ne paie presque rien à la sortie, ou 50 centimes par 100 kilog. M. le ministre vient de faire remarquer que la fabrication de ce fil multiplie la valeur de la matière première d’une manière extraordinaire ; il a parlé de 3,000 fr. le kilog. ; à l’exposition de 1835, il en a été présenté qui en valait 10,000 fr. le kilog. ; mettrez-vous des entraves à la sortie du lin dont la main-d’œuvre augmente aussi la valeur ?

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Mais le tordage ?

M. Dubus (aîné). - Je veux bien admettre que dans ces trois mille francs de valeur acquise au lin, il y en a la moitié donnée par la main-d’œuvre des ouvriers de la campagne, et la moitié par les tordeurs habitants des villes ; mais voulez-vous empêcher le pauvre ouvrier des campagnes de gagner son pain ? Actuellement le lin peut sortir brui et travaillé de manière à valoir mille fois autant, et il ne pourrait sortir qu’en payant le droit de 5 p. c. à la valeur, droit qui serait pris, non sur la valeur du lin brut, qui n’est que de trois ou quatre francs la botte, mais sur cette valeur multipliée par 800, 1,500, multipliée par 2,000, de sorte que vous serez étonnés du revient.

La chambre de commerce de Mons vous dit que le fil de dentelle fabriqué dans le pays s’y emploie peu, qu’il s’en emploie à peine le cinquantième ; dans l’état actuel de notre tarif, force est aux ouvriers d’exporter le reste. Je demande de quelle utilité est le droit de sortie ? Vous voyez que le travail ne manque pas aux tordeurs ; qu’il ne leur manquera pas, par suite de la proposition, et qu’il ne manquera pas non plus aux fabricants de dentelle.

Le ministre paraît craindre qu’il ne résulte du défaut de protection dans notre tarif que l’on serait incliné à aller faire retordre le fil à l’étranger ; mais, dans l’état actuel du tarif, il y a plus lieu de craindre que la fabrication de ce fil n’aille en diminuant, que les ouvriers ne soient disposés aller travailler à l’étranger, puisqu’ils y trouveraient le lin brui, et ils fabriqueraient le fil de dentelle qui ne paierait pas un droit de sortie pour alimenter la consommation à l’étranger.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il y a ici deux industries en présence : le filage, d’une part, et le tordage des fils de lins, d’autre part ; il s’agit de savoir si, modifiant ce qui existe, on veut favoriser l’une de ces industries au détriment de l’autre ; or c’est là une chose qu’il ne convient pas de résoudre à l’instant même.

Je ne m’oppose pas à l’amendement de M. Dubus ; mais comme une industrie qui intéresse principalement la capitale est mise en cause, je crois qu’on doit procéder avec précaution. Nous avons ajourné mon amendement ; on peut ajourner également celui-ci, afin d’obtenir au moins quelques renseignements des parties intéressées à Bruxelles.

M. Desmet. - Messieurs, je commencerai à demander à M. Dubus (aîné), et aux autres députés de Tournay, si, par la présentation du présent amendement, ils abandonnent leur proposition relative à la sortie du fil de lin en général.

M. A. Rodenbach. - C’est autre chose !

M. Desmet. - Eh bien ! si c’est, comme vous le pensez, autre chose, je vais donc uniquement parler sur l’amendement que l’honorable M. Bernard Dubus vient de déposer sur le bureau.

Je crois que l’auteur de l’amendement n’a pas assez clairement défini le fil qui fait l’objet de son amendement, ce fil de mulquinerie dont il veut parler, et qui se file particulièrement dans quelques communes du district de Soignies. Cette espèce de fil est de deux différentes sortes ; celui qui sert pour tisser la batiste, qui ne se file que dans le district de Soignies, et qui s’exporte en chaîne ; je crois que ce fil pourrait bien sortir sans aucun droit, car les toiles fines de lin, connues sous le nom de baptiste, de linon, etc., pour le tissage desquelles il est employé, sont toujours l’apanage exclusif de la France. Nous n’avons qu’une seule fabrique en Belgique où on fait des batistes, c’est celle de M. Monier à Saintes, village du Brabant ; cependant on dit que ses toiles sont très bien faites et que sa fabrication fait de grands progrès. Si on peut donc avantager la France sans nous faire du tort, je le voudrai toujours.

La deuxième sorte est ce fil de mulquinerie qui est employé pour la fabrication des dentelles et qui ne se file pas uniquement dans les communes aux environs de Soignies, mais qu’on file aussi dans les Flandres et dans le Brabant : à Bruges vous avez la maison des demoiselles Hubéné, et à Malines celle de M. Vanbomberghen.

Je ne pourrai pas dire qu’on pourrait laisser sortir ce fil du pays sans aucun droit de sortie, car je n’ai pas assez de notions sur cet article pour me convaincre qu’on pourrait le faire sans faire du tort à la fabrication des dentelles, et ici je partage fortement l’opinion de l’honorable ministre des finances, qu’il faut avant tout prendre des renseignements sur l’opportunité de la mesure qui est l’objet de l’amendement présenté.

Je ne puis finir sans relever l’assertion qu’a faite tout à l’heure l’honorable M. Rodenbach, que la fabrication des dentelles avec le fil de lin est tellement abandonnée, qu’on n’en fabrique presque plus et que toutes nos dentelles se fabriquent avec du fil de coton. L’honorable membre est dans l’erreur, et je dois, messieurs, le faire remarquer, afin que notre commerce n’en souffre pas à l’étranger ; la fabrication des dentelles avec le fil de lin reprend entièrement, on commence à s’apercevoir que les dentelles en fil de coton, après avoir été une fois lavées, sont comme de véritables loques, tandis que celles en fil de lin conservent toujours leur solidité et leur brillant ; je demanderai à l’honorable membre si les Anglais achètent d’autres dentelles que celles au fil de lin. Non, messieurs, désabusez-vous, la fabrication des dentelles reprend considérablement, et il serait peut-être très dangereux et contraire à l’intérêt de cette fabrication d’adopter l’amendement qu’on vient de présenter ; il faut auparavant prendre des informations.

M. Angillis. - Je suis assez disposé à adopter l’amendement de M. Dubus, mais une considération m’arrête. La chambre voudra bien remarquer que lorsqu’il s’agit de faire des changements à un tarif de douanes, il faut agir avec la plus grande circonspection ; que ces changements peuvent avoir sur l’une ou l’autre branche de nos industries nationales la plus grande influence : il faut donc examiner mûrement de semblables questions, et ne pas voter de suite et sans connaissance de cause.

Il faut que les articles de douanes soient mis en concordance les uns avec les autres ; chaque article dans le tarif est bien une loi particulière, mais il tient à d’autres articles qui sont autant de lois.

Trop de latitude dans les importations et les exportations peut avoir des suites désastreuses, et l’on pourrait détruire des industries qui promettent beaucoup par des modifications intempestives aux tarifs.

Je désire donc qu’on remette la discussion de l’amendement de M. Dubus jusqu’à la fin du projet de loi dont nous nous occupons ; alors nous aurons tout le temps d’examiner la question, et chacun pourra voter en pleine connaissance de cause. Quant à moi, je serais pris au dépourvu si on délibérait actuellement ; cependant je désire voter avec l’acquit de ma conscience.

Je propose formellement de renvoyer l’amendement à la fin de la discussion du projet de loi.

M. le président. - Un amendement est déposé par M. Demonceau. Il demande que le fil de laine écru et non teint soit imposé à l’entrée de 48 fr. par 100 kil., et que le fil de laine tort, teint ou non teint, soit imposé à l’entrée de 64 fr. par 100 kilog.

M. Demonceau. - La part que j’ai prise à la discussion sur les draps m’a suggéré cet amendement. Les tarifs français sont tellement favorables aux exportateurs que nos ouvriers vont s’établir en France, pour nous envoyer ensuite les fils de laine tout préparés. Ils obtiennent une prime d’exportation de la part de la France, et ils ne paient à l’entrée en Belgique qu’un droit très modique. Je pense que si vous voulez atteindre la prime accordée à l’exportation des fils de laine, vous devez admettre ma proposition.

- L’amendement est appuyé.

Des voix. - L’ajournement ! l’ajournement !

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - On propose un droit égal à quatre fois le droit actuel.

M. le président. - On propose l’ajournement.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Si la chambre ne prend pas la résolution de faire des lois séparées de toutes ces propositions, nous ne sortirons jamais du tarif des douanes, et nous aurons des propositions nouvelles sur chaque article, car chaque article du tarif se subdivise à l’infini.

La proposition de M. Demonceau tend à quadrupler le droit actuel, car les fils de laine paient 12 fr. par 100 kiog. Quand ils sont écrus et non teints, et 16 fr. par 100 kilog. quand ils sont tors, teints ou non teints. J’en fais la remarque pour que chacun sache bien ce que nous demande M. Demonceau.

Messieurs, je fais la motion formelle que la chambre n’admette la discussion d’aucun des amendements qui sont étrangers au projet dont nous nous occupons, car sans cela nous n’en finirons pas.

Il est bon de remarquer d’ailleurs que nous sommes au second vote de la loi, et qu’on ne peut, d’après le règlement, examiner les nouvelles propositions qui n’ont pas un rapport intime avec ce qui a été adopté par le vote primitif.

D’après le règlement, tout amendement étranger aux articles adoptés au premier vote doit être écarté lorsqu’il s’agit du vote définitif. Observons le règlement, car si nous accueillions tous ces amendements, nous n’en finirions pas ; tout le monde en proposerait successivement sur chaque article du tarif, et dans un an la loi qui nous occupe ne serait pas votée.

M. Verdussen. - Messieurs, ce n’est pas sans quelque répugnance que je viens également appuyer l’ajournement de la proposition de l’honorable M. Dubus, car, à la première vue, je vous l’avoue, elle m’avait paru admissible. Cependant lorsque j’examine le tarif actuel, je crains qu’en improvisant ainsi des amendements de la nature de celui de l’honorable M. Dubus, nous n’allions jusqu’à introduire un système tout à fait nouveau. Voici, en deux mots messieurs, les motifs sur lesquels je fonde mon opinion à cet égard :

Je trouve dans le tarif actuel que les fils à dentelle écrus et non tors sont libres à l’entrée en même temps qu’ils sont frappés à la sortie d’un droit de 5 p. c. à la valeur. Pour celui qui est blanc ou tors, c’est précisément le contraire, il est libre à la sortie et paie à l’entrée un droit de 5 p. c. Vous voyez donc, messieurs, que le législateur a attaché une grande importance à cette qualité de blanc ou tors, et qu’il a voulu réserver à l’industrie nationale l’avantage de l’espèce de fabrication dont il s’agit. Si maintenant le blanchissage et le tordage du fil n’ont plus un besoin indispensable de la protection que le tarif actuel leur accorde, et si l’on ne consomme dans le pays que la cinquantième partie des fils à dentelle qui s’y fabriquent, il faudrait compléter le système de l’honorable M. Dubus, et imposer ces fils d’un droit de 5 p. c. à l’entrée en même temps qu’on les laisserait sortir librement. Mais je vous avoue, messieurs, qu’admettre sans un mûr examen des propositions de cette nature, ce serait entrer dans une voie extrêmement dangereuse.

D’ailleurs, messieurs, ne perdons pas de vue que nous sommes aujourd’hui au second vote ; il est bien vrai que la chambre dans sa sagesse a décidé que, pour cette fois, tous les amendements qui seraient présentés au second vote seraient encore admissibles ; mais il s’agissait là évidemment des amendements relatifs aux articles déjà votés, et non pas de toutes les propositions quelconques ; car il y aurait trop de danger à suivre une pareille marche ; les principes de haute prudence qui ont dicté l’article 45 du règlement se trouveraient ainsi violés, et il pourrait en résulter qu’une proposition ayant été admise sur des apparences favorables, on ne pourrait plus y revenir, quand bien même quelques jours après on s’apercevrait qu’elle est réellement nuisible.

Ainsi, messieurs, quoique je sois loin d’être défavorable à la proposition de M. Dubus, je n’en demande pas moins l’ajournement, afin que nous puissions l’examiner mûrement et émettre notre vote en connaissance de cause.

M. B. Dubus. - Je ferai observer à M. le ministre des finances qu’il a d’abord demandé l’ajournement de ma proposition jusqu’au vote définitif, et qu’il a proposé ensuite l’ajournement indéfini : je désirerais savoir à laquelle de ces propositions il veut s’en tenir ; je ne m’opposerai pas à ce que ma proposition soit ajournée jusqu’au vote définitif, mais je combattrai l’ajournement indéfini.

M. Dumortier. - Je ne conçois pas, messieurs, comment on peut demander l’ajournement d’une proposition aussi simple. Le lin ne paie aucun droit à la sortie, et quand il est ouvré, il paie 5 p. c. : c’est là, messieurs, une véritable absurdité, et certes quand on voit une absurdité il faut la supprimer. L’industrie des fils de mulquinerie occupe un nombre considérable d’ouvriers ; dans une partie de la province du Hainaut, on évalue à 10,000 le nombre de ceux qui n’ont que ce seul moyen de subsistance. D’un autre côté, il est incontestable que ce fil sert exclusivement à la fabrication des batistes ; or, ce qui n’est pas moins constant, c’est qu’à l’exception d’une petite fabrique qui existe en Belgique, les batistes ne se fabriquent qu’en France. Le fil de mulquinerie ne peut donc être employé qu’en France ; c’est donc sur le travail de nos ouvriers que frappe le droit de 5 p. c. dont ce fil est imposé à la sortie ; ce droit est donc nuisible à l’industrie de ces ouvriers, sans profiter à aucune autre. Il me semble, messieurs, que cette question est tellement évidente, que nous ne pouvons nous dispenser de la décider de suite.

M. Maertens. - Je dois nécessairement m’opposer, messieurs, à la prise en considération, à la discussion et au vote des divers amendements qui nous sont ainsi soumis à l’improviste, et dont l’adoption pourrait porter un grand préjudice è certaines industries. Je viens donc appuyer l’ajournement jusqu’à ce que nous ayons recueilli tous les renseignements nécessaires pour voter en connaissance de cause.

M. Dumortier. - Messieurs, quand on demande l’ajournement, on doit le motiver ; c’est cependant ce qu’on ne fait pas dans cette circonstance. Nous signalons un abus, et que nous répond-on ? On dit qu’il pourrait y avoir des abus dans le système par lequel nous voulons remplacer le système ancien. Mais quels sont ces abus ? S’il y en a, qu’on les signale. Ce n’est pas en arguant d’éventualité qu’on peut empêcher la chambre de prononcer sur une question aussi simple que celle dont il s’agit.

Comme je l’ai déjà dit, messieurs, on n’emploie le fil de mulquinerie qu’en France. Il y a plus, on ne peut pas même en fabriquer en Belgique ; la batiste doit se faire dans des caves construites dans des terrains de craie ; si elle est exposé dans un endroit trop humide, le fil se pourrit ; dans un endroit trop sec il se rompt ; il faut donc que la température des caves où l’on fabrique de la batiste soit bien appropriée, et qu’elle soit constamment la même. Or, il n’est possible de construire des caves qui présentent ces conditions que dans les terrains de craie qui se trouvent depuis Saint-Quentin jusqu’à Valenciennes. On a fait anciennement de grands sacrifices pour introduire la fabrication de la batiste à Tournay ; mais en n’a pu y parvenir par la cause que je viens d’indiquer ; on ne peut pas davantage y parvenir à Mons, qui est encore plus près de Valenciennes, ni dans aucune autre partie de la Belgique, sauf la seule exception, bien peu importante, dont j’ai parlé tout à l’heure.

Mais, si nous ne pouvons pas fabriquer les batistes, nous faisons une grande partie des trames qui y servent, et c’est là l’industrie qui est si fortement lésée par le droit de sortie dont l’honorable M. Dubus demande l’abolition. L’industrie du fil de mulquinerie ne demande pas comme l’industrie des sucres des primes d’exportation ; elle ne demande qu’une seule chose, c’est qu’on ne l’entrave pas, en l’empêchant d’exporter ses produits. Eh bien, messieurs, beaucoup de membres de cette assemblée sont partisans de la liberté du commerce ; qu’ils appliquent donc ici leurs principes ; puisqu’ils veulent laisser entrer les marchandises étrangères, qu’ils laissent donc aussi sortir les produits indigènes.

Rien ne peut donc motiver la demande d’ajournement sur un article aussi nécessaire à l’existence d’une grande partie de nos ouvriers, qui certes ont droit à notre bienveillance. Aussi, j’espère que ce ne sera pas en vain qu’ils font un appel à la chambre des représentants, dans cette circonstance.

M. Angillis. - Je ne veux pas, messieurs, contester les arguments de l’honorable M. Dumortier, je crois qu’il a raison ; mais je demande de pouvoir m’éclairer, et c’est à cet effet que j’appuie l’ajournement jusqu’au vote définitif : cette demande est bien raisonnable, je pense. Ceux qui veulent la discussion immédiate de la proposition sont sans doute réellement convaincus de l’utilité de cette mesure, mais il est juste aussi que moi et plusieurs de mes honorables collègues nous puissions aussi former notre conviction.

L’honorable M. Dumortier a dit que le fil dont il s’agit n’est employé qu’à la fabrication des batistes ; mais M. le ministre des finances a répondu qu’on l’emploie aussi maintenant à faire des dentelles de Bruxelles. S’il en était ainsi, la question deviendrait beaucoup plus grave, et c’est principalement pour ce motif que je demande l’ajournement jusqu’au vote définitif. Je crois, messieurs, qu’il n’y a rien que de rationnel dans cette demande.

M. Dumortier. - Je ne m’oppose pas à l’ajournement jusqu’au vote définitif, mais je repousse l’ajournement indéfini.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, lorsqu’il ne s’agissait que de l’amendement de M. Dubus, j’avais demandé moi-même qu’on le renvoyât à la commission d’industrie, afin qu’il y fût examiné de suite, et que nous puissions, avant de voter sur l’ensemble de la loi, le soumettre à nos délibérations ; mais lorsque j’ai vu les amendements pleuvoir sur le bureau, j’ai craint que cette manière de procéder ne nous conduisît beaucoup trop loin, et j’ai demandé l’ajournement indéfini.

Je suis encore d’avis que quant à la proposition de M. B. Dubus, les seuls intéressés qui pourraient être lésés par son adoption, se trouvant principalement à Bruxelles, nous pourrions en peu de jours obtenir les renseignements nécessaires pour nous prononcer en connaissance de cause avant le vote définitif. Mais en ce qui concerne la proposition relative aux fils de laine et les autres de ce genre qui pourraient surgir, si nous ne prenons pas le parti de les renvoyer à un autre temps, nous n’en finirons jamais.

M. Demonceau. - M. le ministre des finances a proposé un amendement par lequel il veut atteindre la prime d’exportation pour les draps, casimirs et leurs similaires : eh bien, messieurs, il est des étoffes similaires aux draps et casimirs qui se fabriquent avec les fils de laine dont il s’agit en ce moment ; si l’amendement qui est relatif à ces fils et dont on demande l’ajournement n’est pas adopté, l’amendement de M. le ministre des finances n’atteindra pas la prime pour ces étoffes, car les fabricants français enverront leurs fils à la frontière et les feront tisser sur le territoire belge, où ils peuvent aujourd’hui les introduire moyennant un droit de 22 fr. par 100 kil., c’est-à-dire de 1 p. c. à la valeur, puisque 100 kil. valent à peu près 1,200 fr.

- La chambre décide que la discussion de la proposition de M. B. Dubus est ajournée jusqu’au vote définitif de la loi.

Sur la motion de M. le ministre des finances (M. d’Huart), cette proposition est renvoyée à la commission d’industrie avec la demande d’un rapport.

M. le président. - Il reste à statuer sur la proposition de M. Demonceau.

M. Demonceau. - Je pense que M. le ministre des finances ne s’opposera pas au renvoi de ma proposition à la commission d’industrie, puisqu’il a appuyé cette mesure, lorsqu’il s’est agi de la proposition de M. Bernard Dubus.

M. Dumortier. - Messieurs, je pense que l’amendement de M. Demonceau n’atteindra pas le but qu’il se propose ; il est, selon moi, un moyen plus facile d’arriver à ce but.

Le véritable abus qui existe actuellement quant aux fils de laine est celui-ci : les fils de laine qui sortent de France reçoivent une prime de sortie d’environ 10 p. c. Or, l’amendement de l’honorable M. Demonceau, qui en quadruplant le droit qui frappe aujourd’hui l’entrée de cet article, ne parera que médiocrement à l’inconvénient qui existe.

Dans l’état actuel de la législation, le droit sur les fils de laine est de 1 p. c. ; le droit quadruplé, comme le propose M. Demonceau, serait de 4 p. c. ; mais la France accordant à la sortie un droit de 10 p. c., il en résultera que les exportateurs français de fil de laine jouiront encore d’une prime de 6 p. c.

Ainsi vous voyez que le but que se propose M. Demonceau ne sera pas atteint, puisque l’entrée des fils de laine français pourra encore ruiner une de nos industries.

Un moyen plus simple pour atteindre le but est celui que j’ai voulu proposer dans la séance d’hier. Il consistait à dire dans la loi que les fils de laine ainsi que les draps et bonneteries en laine devraient payer à l’entrée une augmentation de droit égale à ces primes que certaines puissances accordent à la sortie de ces articles.

Je demande en conséquence que lorsqu’on en viendra au paragraphe de la disposition ministérielle relative à la prime accordée par les pays voisins, on y comprenne aussi les fils de laine.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, en vérité, je ne comprends pas comment M. Demonceau, qui s’est posé le défenseur de l’industrie drapière, vienne présenter à la chambre une proposition qui est complétement hostile à cette industrie. En effet, le député de Verviers veut protéger avant tout, dit-il, l’industrie drapière, et en même temps il propose d’empêcher l’entrée en Belgique d’une matière première nécessaire à cette industrie ; mais dans son système il devrait plutôt proposer une diminution sur le droit qui frappe l’entrée des fils de laine, car agir comme il le fait en ce moment, c’est vouloir entraver la fabrication des casimirs à côtes, dont il vient de parler comme d’un nouveau tissu dont il faut cependant assurer la vente à nos industriels. C’est en vérité comme si l’on demandait de frapper l’importation de la laine d’un droit élevé pour en faciliter l’achat à nos drapiers.

Ainsi, messieurs, la proposition de M. Demonceau va en sens inverse du but qu’il veut atteindre. Il en sera probablement de même de toutes ces propositions improvisées dont nous serons saisis incidemment.

Les questions de douanes qui au premier abord paraissent faciles, parce que, presque toujours, on ne les considère que sous une seule face, sont cependant très ardues ; chaque article du tarif embrasse une foule d’intérêts différents et opposés. C’est ainsi que la proposition de M. Demonceau aurait pour effet, si elle était admise, de protéger le filage indigène de la laine au détriment du fabricant de draps ; tout à l’heure c’était le filage qui était aux prises avec le tordage.

L’augmentation de droit que l’honorable M. Dumortier voudrait introduire d’une autre manière aurait nécessairement le même résultat que celle de M. Demonceau.

M. Pirmez. - Messieurs, c’est une dérision d’appeler amendements toutes les nouvelles propositions que l’on fait ; ce ne sont pas des amendements, ce sont de nouvelles lois. Nous procédons maintenant au second vote. Il est bien vrai que l’on est convenu que l’on pourrait proposer des amendements. Mais cette tolérance ne va pas jusqu’à permettre de présenter à propos de l’article « fils » tel qu’il a été adopté lors du premier vote, un amendement concernant les fils de laine ; car il n’y a pas d’analogie entre ces deux fabricats. Il ne tiendrait donc qu’à moi de proposer un amendement relativement aux fils de fer et autres, car c’est aussi du fil.

M. Lardinois. - Messieurs, vous voyez que l’honorable M. Pirmez est en opposition avec la déclaration de M. le ministre de l’intérieur qui, répondant, dans une séance précédente, à M. Verhaegen, a dit en termes formels que chaque membre de la chambre aurait le droit de présenter des amendements.

L’honorable M. Demonceau vous a proposé un amendement tendant à augmenter le droit sur l’entrée des fils de laine, et il était dans son droit, puisque dans l’article que nous discutons il s’agit de toute espèce de fils.

Le but de la proposition de M. Demonceau n’est pas d’atteindre la prime française. Pour atteindre cette prime, il faudrait demander un droit de 10 à 15 p. c., car je crois que la prime française pour l’exportation des fils de laine, est de 15 p. c. L’amendement de M. Demonceau ne tend qu’à demander une protection de 4 à 5 p. c. pour protéger nos filatures, lesquelles emploient un nombre considérable d’ouvriers ; ce droit est destiné à frapper principalement les fils de laine peignée et non le fit de laine cardée qui sert à la fabrication des draps. C’est avec de la laine peignée que se fabriquent les étoffes sèches, telles que mérinos, etc., et c’est surtout dans le district de Tournay qu’on en fait le plus grand emploi.

Je suis surpris que M. Dumortier s’oppose à l’amendement de M. Demonceau, car je sais que la plus grande masse de fils qu’on reçoit à Tournay sont des fils anglais et allemands. Or ce sont ces fils anglais et allemands que nous voulons atteindre ; le droit que nous proposons n’est qu’un droit de 5 p. c. L’Allemagne et l’Angleterre importent en Belgique pour deux à trois millions de fils de laine ; c’est cette consommation que nous voulons assurer à l’industrie indigène.

Messieurs, vous avez admis l’amendement de M. Dubus ; vous l’avez renvoyé à la commission d’industrie pour plus ample informé. Je ne pense pas que la proposition de M. Demonceau puisse subir un autre sort : que la chambre s’instruise ; nous ne demandons pas que l’on vote de suite.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, sans combattre pour le moment l’amendement de M. Demonceau, je pense qu’il convient que la chambre décide que cet amendement suive l’instruction ordinaire et qu’il soit considéré comme projet séparé.

L’honorable M. Lardinois dit que l’importation des fils de laine est considérable ; mais il faut bien remarquer que la valeur des fils de laine ne consiste pas seulement dans la main-d’œuvre, mais aussi dans la matière première qui est la laine.

Quant à l’augmentation du droit, il faudrait examiner si par là on ne ferait pas souffrir l’une en l’autre industrie qui fait usage des fils de laine, si l’on adoptait sur-le-champ cette augmentation au taux qu’on la propose. Il serait peut-être prudent de fixer une époque à laquelle une majoration serait adoptée, afin que les filatures soient à même de suffire à tous leurs besoins.

En tout cas, je ne vois aucun inconvénient de laisser la proposition suivre l’instruction ordinaire. Si les renseignements sont favorables, la chambre pourra admettre la proposition ; si, au contraire, les renseignements sont défavorables, ce sera un motif de plus pour la chambre de s’applaudir d’avoir pris le temps d’instruire convenablement cette proposition.

Il est évident que le mode de procéder qu’on a introduit actuellement présente les plus grands inconvénients. Des propositions nouvelles sont jetées à chaque instant dans la discussion, et on demande que ces propositions ne subissent que l’épreuve d’un seul vote.

Ce n’est pas là une manière de procéder qui garantit les intérêts réels de l’industrie et du commerce. Il est certain qu’en ces matières il est indispensable de faire subir aux proposition l’épreuve du double vote.

M. Lardinois. - Messieurs, ce que l’honorable ministre de l’intérieur vient de dire est exact. La valeur des fils dont nous nous occupons ne consiste pas seulement dans la main-d’œuvre, mais aussi dans la laine. Or, le but de l’amendement de M. Demonceau (j’avais oublié de le faire remarquer tout à l’heure) tend aussi à protéger l’agriculture, parce que nos filatures étant plus occupées, les propriétaires de troupeaux vendront plus facilement leurs laines et pourront en améliorer la qualité, qui n’a pas toute l’élasticité et tout le lustre des laines anglaises.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, cette considération que l’amendement de M. Demonceau aurait aussi pour but de protéger l’agriculture ne me fait nullement changer d’opinion, quant à la motion que j’ai faite : si on veut protéger l’agriculture, il ne faudrait pas seulement imposer les fils de laine, mais encore certaines espèces de laine étrangère si les manufactures pouvaient s’en passer.

Je dis donc que cette considération ne me touche pas, quant à la motion que j’ai faite ; mais quant à présent je ne m’explique pas sur le fonds de la proposition ; je demande seulement qu’elle soit instruite régulièrement et qu’elle fasse l’objet d’un projet de loi séparé.

M. Verhaegen. - J’ai demandé la parole, non pas pour examiner l’amendement en lui-même, mais pour défendre un droit existant en vertu d’une promesse solennelle. Quand nous avons demandé qu’on recommençât la discussion de la loi de douane pour les nouveaux membres, on nous a dit qu’on pourrait présenter tous les amendements qu’on jugerait convenable ; qu’il ne serait fait à cette faculté aucune exception, qu’on n’opposerait pas de fin de non-recevoir ; je viens demander que l’exécution soit donnée à cette promesse solennelle. La proposition de M. Demonceau ne peut pas être considérée comme un projet nouveau. J’ai le projet en main. J’y trouve « Fils de lin, de chanvre et d’étoupe, écrus, à tisser ; puis les autres fils (en marge) comme au tarif actuel ! »

On présente un amendement sous ce titre : les autres fils. Je ne pense pas qu’on puisse soutenir qu’on doive faire une exception pour les fils de laine, car quand, après avoir énuméré les fils de lin, de chanvre et d’étoupe, les fils écrus et les fils à tisser, on ajoute « les autres fils, » on comprend tous les fils dont il n’a pas été parlé avant, les fils de coton et de laine. Cet amendement peut être présenté, d’après la promesse faite que tous les amendements seraient acceptables.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je ne rappellerai pas ici que l’honorable membre avait annoncé qu’il ferait tous ses efforts pour faire rejeter la loi. J’aime à croire que mieux éclairé, il reviendra de sa résolution. Mais je dois relever cette assertion que la chambre aurait déclaré qu’on pourrait présenter toute espèce d’amendements. Il a été dit que tous les articles adoptés seraient susceptibles d’être amendés au second vote. Voilà la déclaration qui a été faite ; mais nous n’avons pas eu l’absurdité de dire qu’on pourrait faire toute proposition nouvelle, dont il n’aurait pas été question lors de la première discussion et qui ne subirait l’épreuve que d’un seul vote. Si nous avions dit cela, nous aurions dit une chose monstrueuse, une chose contraire au règlement et contraire à l’intérêt du pays, qui veut qu’on n’admette des modifications au tarif de douanes qu’après les avoir mûrement approfondies.

M. Dubus (aîné). - Le rappel au règlement ne peut pas avoir lieu ; car dans cette circonstance la chambre s’est mise en dehors du règlement. Ce second vote se discute comme un premier vote ; il ne peut en être autrement. La chambre du mois d’avril dernier n’a pas pu lier la chambre renouvelée de plus de moitié, non plus qu’elle n’aurait pu lier une chambre totalement renouvelée. Alors de deux choses l’une : il fallait recommencer le premier vote, ou sortir du règlement et soumettre la loi à un vote unique, dans lequel chacun eût pleine liberté d’action, comme s’il s’agissait d’un premier vote. Sans cela on sort et du règlement et de la constitution.

Du reste je ne suis pas convaincu que les mots « les autres fils, » introduits au premier vote, aient le sens que leur donne l’honorable préopinant. Cet article avait pour objet seulement les fils de fin, de chanvre et d’étoupe ; mais on ne voulait modifier le droit que relativement aux deux espèces de fils de lin et de chanvre écrus et à tisser. Il y a encore les fils à coudre, des fils à filets ; c’est pour cela qu’on a mis les autres fils. On aurait dû ajouter « de lin, de chanvre et d’étoupe. »

Il n’en est pas moins vrai que la proposition de M. Demonceau est en rapport direct avec la loi que nous discutons. Si on veut prendre le temps de l’examiner, on peut en ajourner la discussion, mais ce n’est pas à dire pour cela qu’il faille en faire l’objet d’un projet de loi séparé.

M. Rogier. - Je crois que les membres qui ne veulent pas de la loi feraient bien de s’expliquer franchement ; nous perdons un temps précieux ; on le dit non seulement dans cette enceinte, mais au-dehors. Voilà deux fois qu’on discute cette loi de douane. La première fois on y a consacré plusieurs semaines.

Depuis notre rentrée nous ne nous occupons que de cela, et nous n’avons encore rien fait ; car, après avoir arraché un vote sur les draps, j’apprends qu’hier on a rétrogradé, qu’on a détruit ce qu’on avait fait la veille. Qu’on en vienne donc à un vote définitif en se réservant de dire non : pour ma part je déclare que, si la loi reste telle qu’elle est dans certaines de ses parties, je répondrai non ; mais qu’on renonce à des moyens dilatoires qui sont indignes de la chambre. Nous nuisons au système constitutionnel, messieurs, en agissant ainsi. Le régime constitutionnel n’est pas un régime de bavardage, c’est un régime d’action, avec la responsabilité ministérielle et le contrôle des chambres. Nous ne faisons absolument rien ; il est temps de sortir de ce dédale où nous nous trouvons ; je fais un appel au patriotisme de la chambre, et j’espère qu’il sera entendu.

Quoique je ne veuille attaquer les intention de personne, je ne puis m’empêcher de dire que ces amendements qu’on entasse les uns sur les autres, ressemblent à une tactique de la part de ceux qui ne veulent pas de la loi.

Les amendements nouveaux devraient être considérés comme de nouvelles propositions et subir les formalités sagement prescrites par le règlement.

J’étais partisan de la proposition de M. Bernard Dubus, car je serai toujours disposé à favoriser la sortie des produits belges ; mais la manière dont elle avait été introduire et les sages observations présentées par M. le ministre des finances m’ont déterminé à appuyer, au moins par mon silence, l’ajournement. A plus forte raison demanderai-je l’ajournement de cette autre proposition, inconcevable de la part de son auteur, relativement aux fils de laine. On est venu demander à satiété protection pour l’industrie drapière, on est venu la présenter comme étant dans un état d’infériorité, comme ne pouvant pas soutenir la concurrence avec l’étranger, et voilà maintenant qu’on veut la placer dans une position plus mauvaise qu’elle ne l’est d’après le tarif actuel. Le tarif porte un droit modéré sur les fils de laine qui servent à la fabrication des draps, on veut les faire frapper d’un droit quadruple. Je voudrais qu’on fût un peu plus conséquent dans les systèmes qu’on soutient.

Pour ma part, j’engage fortement les membres qui veulent que nous fassions chose sérieuse, à voter comme moi contre toute proposition nouvelle. Je m’opposerai même à un renvoi à une commission ou à la section centrale, surtout à ce que le vote définitif soit subordonné à l’examen de toutes ces questions, amassées les unes sur les autres pour encombrer la discussion et frapper la loi de mort. L’intérêt du pays et la dignité de la chambre y sont engagés ; je demande qu’un tel état de choses cesse ; la plaisanterie a duré assez longtemps ; il est temps de venir à un résultat sérieux.

M. Lardinois. - M. Rogier est dans l’erreur quand il pense que les fils de laine sur lesquels on demande un droit servent à la fabrication des draps.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Et les casimirs à côtes, avec quoi les fabriquez-vous ? (Aux voix ! aux voix !)

- La chambre, consultée, ajourne la proposition de M. Demonceau, et décide qu’elle fera l’objet d’un projet de loi séparé.

M. le président. - Il reste à mettre aux voix les dispositions suivantes :

« Fils de lin, de chanvre et d’étoupe :

« Ecru, par 100 kilog., 1/2 p. c. à l’entrée.

« A tisser, par 100 kilog., 1 p. c. à l’entrée, 1/2 p. c. à la sortie. »

Pour les autres fils, d’après la décision que vous venez de prendre, il ne peut en être question.

(Moniteur belge n°313, du 9 novembre 1837) M. Desmaisières. - Messieurs, on a fait tout à l’heure, à propos du fil de lin, le procès au législateur auteur de notre tarif actuel sur les fils ; on a dit qu’il était absurde d’avoir imposé le fil de lin appelé de mulquinerie d’un droit de 5 p. c., et le fil écru propre à faire la toile d’un droit de 3 p. c. à la sortie, tandis qu’il n’y a presque pas de droit sur le lin, matière première pour confectionner ces fils, et qu’on peut dire même que la sortie du lin est libre.

S’il en était ainsi, le législateur français serait encore beaucoup plus absurde que le législateur auteur de notre tarif ; car le législateur français n’a imposé le lin à la sortie que d’un simple droit de 25 centimes par 100 kilog. ; et cependant il a prohibé à la sortie le fil de mulquinerie ; et pourquoi ? parce qu’il a voulu conserver à la France le monopole de la fabrication de la batiste.

Depuis notre dernière session j’ai fait des recherches dans les archives de la commission d’industrie. J’y ai trouvé deux avis donnés à cette commission sur sa demande par les chambres de commerce de Bruges et de Courtray sur la question du fil de lin.

Voici ce que disaient les fabricants de toiles à carreaux et autres de Bruges :

« Les soussignés, fabricants de toiles à carreaux et autres, en cette ville, ont l’honneur d’exposer qu’ayant été interrogés par MM. les membres de la chambre de commerce sur la question de savoir si l’exportation du fil de lin écru en exemption de tout droit serait préjudiciable à leur fabrique, ont, d’après leur intime conviction, répondu que cette mesure ne serait pas seulement préjudiciable, mais tendrait à une entière ruine de leur fabrique, la seule existante en cette ville et qui s’y est soutenue. »

Voici maintenant ce que disait la chambre de commerce de Courtray, en réponse à la lettre que lui avait écrite la commission d’industrie de la chambre :

« Votre commission, par sa missive du 25 novembre dernier, demande nos vues soit sur la suppression, soit sur la modération de ce droit de sortie sur le lin écru.

« La chambre a la plus profonde conviction qu’il ne peut être aucunement question ni de suppression, ni de modération du droit de sortie, mais qu’il est nécessaire de maintenir le droit actuellement existant à la sortie sur le fil écru.

« Le droit actuel est intimement lié à la prospérité de notre industrie. Il nous a toujours paru évident qu’un principe éminemment conservateur de notre industrie commerciale et manufacturière serait d’établir des droits à la sortie sur le lin, produit de notre sol nécessaire à nos voisins, en faisant décroître ces droits d’après le degré de manipulation que le lin aurait subi, et nous prenons la confiance de vous exposer succinctement que le droit actuel sur le lin écru est en concordance avec l’urgente nécessité d’établir sur les lins, à leur sortie du royaume, des droits en harmonie avec les besoins du commerce et que nous avons toujours proposés (mais en vain) à l’ex-gouvernement, et dont nous sentons de plus en plus le besoin de les proposer dans l’intérêt général. »

Ce passage explique ce que le législateur auteur de notre tarif a en en vue. Il n’a pas voulu imposer le lin à la sortie pour faire céder les intérêts de l’industrie linière à ceux de l’agriculture. Mais comme le lin devenu fil est matière première de la fabrication de la toile, il a voulu satisfaire aux demandes de la fabrication des toiles et il a imposé, à la sortie, le fil matière première de cette fabrication.

Maintenant, je dois le dire, ces avis sont un peu anciens ; ils sont de décembre 1831. Il serait possible qu’il fût survenu des modifications telles dans notre fabrication, que peut-être nous n’ayons plus besoin de droit de sortie. C’est ce que j’ignore et c’est ce que tout le monde doit ignorer ici.

Je crois donc que l’on peut ajourner la question des fils de lin propres à faire les toiles et coutils, aussi bien que la question des fils de mulquinerie, jusqu’à plus ample informé.

(Moniteur belge n°312, du 8 novembre 1837) M. Dubus (aîné). - Pour cette fois, je crois qu’on ne dira pas qu’on a été pris au dépourvu, puisque la proposition a été discutée et adoptée à la fin de la précédente session, et qu’elle est entre les mains de tout le monde depuis le commencement de la discussion. Ainsi je ne vois pas la nécessité de l’ajourner ; on a pu demander des avis, prendre des renseignements depuis le mois de mai dernier.

Dans les avis de décembre 1831 dont il vient d’être lu des extraits, on invoque l’intérêt de la fabrication des toiles. Vous avez apprécié sur-le-champ jusqu’à quel point cet intérêt existe dans la question actuelle. Quels fils étaient frappés d’un droit de sortie ? les fils écrus ? Non ; mais les fils à tisser ; ainsi quand le fil a reçu une préparation de plus qui le rend propre au tissage, au lieu de 3 p. c., il ne paie plus qu’un pour cent. Il est probable que ce n’est pas dans l’intérêt de la fabrication de la loi que ce droit a été établi.

Je pense que l’honorable préopinant n’aura rien à répliquer à cela, et que, selon toute apparence, les auteurs des avis n’auront pas fait attention qu’il y a deux articles dans le tarif : l’un de 3 pour cent pour le fil écru ; l’autre de 1 p. c. pour le fil à tisser qui a reçu une préparation de plus. Ce droit de 3 pour cent on n’a pu l’introduire que pour favoriser la fabrication du fil retors ; or, il est reconnu qu’il se fabrique cent fois plus de fil écru qu’il n’est nécessaire pour la fabrication du fil retors. Je pense que personne ne songe à mettre cela en doute. Pour citer un exemple, je dirai qu’à Tournay une seule fabrique fait à elle seule 30 fois autant de fil écru qu’on en emploie à Tournay pour la fabrication du fil retors ; indépendamment de cela, une quantité énorme de fil écru se fabrique dans les campagnes ; c’est le travail de toutes les campagnes de nos environs.

Dans cet état de choses est-il possible de dire que ces droits sont établis pour favoriser la fabrication du fil retors ? Evidemment non. Le lin devenu fil est frappé d’un droit de 3 p. c. ; cela favorise les fileurs à l’étranger, au détriment des fileurs indigènes. Le résultat de ce système serait à la longue de faire émigrer nos fileurs et de leur faire porter leur travail à l’étranger ; c’est ce qui est arrivé en partie pour le fil de lin, et c’est ce qui arrivera également pour le fil de laine.

Dans l’état actuel du tarif et à cause de cette prime française, la laine est exportée à l’étranger ; là elle est convertie en fil ; elle rentre alors dans le pays pour être fabriquée. La même chose arrivera pour le fil de lin. Tel sera le résultat du tarif qu’on veut maintenir.

M. Desmet. - Certainement, maintenant nous ne sommes pas pris à l’imprévu ; mais nous avons été pris à l’imprévu au premier vote, ainsi que l’a fait observer M. de Muelenaere, qui vous a fait voir toute l’imprudence et même l’inconvenance de voter avec tant d’empressement et sans examen préalable une proposition dont on ne pouvait mesurer toute la portée, et qui aurait pu faire beaucoup de mal à une industrie si importante que celle de la fabrication des toiles de lin ; et vous devez l’avouer, messieurs, ce n’est pas chose commune dans nos délibérations qu’un amendement ou proposition de l’importance de celle qui a été faite au premier vote par les trois députés de Tournay ait été votée sans avoir eu l’avis des chambres de commerce, et sans avoir été soumise aux sections.

Pour les bois de réglisse, l’acide muriatique, l’acide carbonique, l’acide sulfurique, et d’autres objets de même valeur, vous avez fait prendre l’avis des chambres de commerce, et pour un objet de si grande importance que l’industrie linière, vous voudriez y passer sans aucun examen. C’est chose très difficile à comprendre, et veuillez prendre attention qu’il existe un projet de loi qui concerne cette industrie : c’est la proposition qui a été faire dans le temps par l’honorable M. de Foere, laquelle embrassait le lin et le fil, et dont vous avez ajourné la discussion parce que la question n’était pas encore assez éclairée, et à présent en scindant cette proposition, vous voudrez en faire voter une partie, qui pourrait faire beaucoup de tort à notre fabrication de toiles et enlever à cette intéressante industrie la seule protection qu’elle a dans le tarif.

Tout le cheval de bataille de l’honorable M. Dubus consiste à dire : « Dans votre tarif, il y a contradiction puisqu’on paie 3 p. c. à la sortie pour le fil écru, et on n’en paie que 1 p. c. pour le fil à tisser. » Mais je demanderai à tous ceux qui ont quelque connaissance de la fabrication des toiles, quelle est la différence du fil écru et de celui à tisser ; l’un et l’autre sont des fils simples, et pour en fabriquer des tissus, ils n’ont besoin d’aucun apprêt, sinon qu’on voudrait faire passer pour un apprêt le collage qu’on fait à la chaîne quand elle est tendue sur le métier.

Si on veut connaître le motif pourquoi le tarif donne la désignation spéciale de fil à tisser, c’est pour distinguer, comme je viens de le dire il y a un moment, dans l’espèce de mulquinerie, la sorte de fil qui est ordinairement employée pour la fabrication des dentelles avec celle qu’on emploie pour le tissage des batistes, parce que ce fil s’exporter toujours en chaînes ; il ne peut alors servir que pour le tissage et nous plus pour le tordage.

Mais, messieurs, veuillez-y prendre attention, ce n’est pas pour le tissage qu’on enlève chez nous en abondance le fil écru, mais c’est uniquement pour le tordage, pour nourrir en matière première nos rivales les fabriques de Lille ; c’est surtout pour trafiquer ce commerce d’interlope qui fait passer nos fils simples dans le département du Nord ; c’est la commune de Templeuve qui fait ce commerce, et aussi quarante colporteurs de cette commune ont adressé à la chambre une pétition en faveur de la libre sortie du fil écru. Les fabriques de Lille ne peuvent se passer de notre fil, car si elles ne pouvaient avoir nos fils écrus, nous pourrions facilement lutter contre elles, et nous ne devrions pas craindre leur concurrence.

Nos fabriques commencent à faire des progrès, et à lutter contre celles de Lille pour le fil à coudre : pour fabriquer ce fil, qu’on nomme vulgairement fil de Lille, elles le font avec le simple avantage qu’elles ont sur celle de France, c’est qu’elles ont la matière première, meilleure et à meilleur compte ; si donc vous allez ôter tout le droit à la sortie, et favoriser ainsi l’entrée de nos fils écrus en France, n’en doutez pas, vous ferez un grand tort aux fabriques du pays, et vous allez être cause qu’elles ne pourront plus soutenir la concurrence avec celles de Lille.

Mais je demanderai quelles sont les pétitions qui sont arrivées à la chambre pour la sortie libre des fils écrus. A l’exception de celles des quarante colporteurs de Templeuve et de quelques communes du district de Soignies, qui concernent uniquement le fil de mulquinerie, je n’en connais point du tout ; tandis que nous sommes nantis d’une grande quantité d’autres pétitions qui demandent le maintien du droit à la sortie.

L’honorable M. Desmaisières vous a fait connaître l’avis des chambres de commerce de Courtray et de Bruges, qui demandent positivement de conserver le droit de sortie de 3 p. c. sur les fils écrus ; Bruges surtout ne peut s’en passer pour ses toiles à carreaux pour matelas, et les fabricants de cette ville ne savent que trop que quand les fabricants français n’ont point de fil de Belgique, ils ne peuvent lutter contre eux et ainsi venir sur notre propre marché avec les matières premières qu’ils viennent chercher.

J’ai encore près de moi un avis de la chambre de commerce de Saint-Nicolas, qui a été adressé à notre commission d’industrie ; on ne pourra pas taxer cette chambre de partialité, car vous savez, messieurs, que le district de Saint-Nicolas, le pays de Waes, n’est point fabricant en toile ; qu’au contraire, il est essentiellement attaché à la culture du lin et toujours intéressé que cette matière première soit du pays et soit au prix le plus élevé.

Eh bien, messieurs, la chambre de commerce de ce district s’énonce cependant bien clairement sur la sortie libre de nos fils écrus ; voici comment elle s’exprime dans son avis :

« Le fil de lin écru, taxé à la sortie à 3 p. c., peut supporter ce droit modique, et ne peut être réduit, afin de ne pas nuire à la fabrication du fil en couleur et blanc, la rubanerie en fil et la toile, de même que les différents genres de tissus avec fil de coton ou avec de la laine ; si le fil pouvait sortir sans ces droits, ce procédé favoriserait l’étranger qui, en ce cas, aurait au même prix que le fabricant belge le fin de lin supérieur à celui de son pays, et cela le mettrait à même de faire des étoffes pareilles à celles de Belgique. »

Ceci est certainement bien clair et ne présente aucune équivoque ; je pense donc que quand on est en présence d’une telle déclaration, et qui vient surtout d’une chambre de commerce qui n’est pas du tout intéressée dans la chose, on ne doit pas être si empressé pour faire passer un amendement sans en pouvoir apprécier toute la portée et le tort qu’il pourrait faire à une industrie que vous devez reconnaître pour la plus importante de toute la Belgique, pour lui procurer une exportation annuel qu’on peut évaluer sans exagération de 40 à 45 millions de francs.

J’ose me flatter que la chambre aura égard à la déclaration de la chambre de commerce de Saint-Nicolas.

Mais, messieurs, vous ne pouvez ignorer que pour la fabrication de plusieurs espèces de toiles comme pour la fabrication du fil à coudre, la France a besoin de nos fils simples et écrus ; en beaucoup d’endroits, les fabriques ne peuvent s’en passer et particulièrement pour le tissage des coutils, connus sous le nom de coutils de Bruxelles, de la même espèce que ceux qu’on fait si bien à Turnhout. L’enquête française en fait foi ; je vais vous dire ce que j’ai trouvé à ce sujet dans l’avis de la chambre consultative d’Evreux : « … D’un autre côté, une grande partie des fils employés par nos fabriques (c’est celle de coutil, dit façon de Bruxelles), tant en blanc qu’en couleur, vient de la Belgique, sous le nom générique de fils d’Allemagne, sauf à recevoir la teinture chez nous.

« Un droit de 34 fr. par 100 kilogrammes et en outre les frais de transport forment une différence qui nous place encore dans une position désavantageuse auprès de la Belgique. M. le ministre du commerce sera donc instamment prié de soutenir le maintien du droit de 200 fr. par 100 kilogrammes établi à l’importation des coutils étrangers par la loi du 17 mai 1822, droit sans lequel la fabrication de ces tissus ne pourrait soutenir la concurrence avec la Belgique et serait immédiatement anéantie, lorsqu’il est au contraire du plus grand intérêt de soutenir la seule fabrication française en ce genre qui rivalise avec les produits de Turnhout, vulgairement dits de Bruxelles. Faisons cependant observer que ce droit deviendrait insuffisant, si celui de 24 fr. sur les fils étrangers, fixé par la loi du 27 juillet 1822, venait à être augmenté dans un nouveau tarif. »

Vous voyez donc, messieurs, que les fabriques de France ne peuvent fabriquer ni lutter avec nous dans la confection des coutils, si elles n’ont pas nos propres fils. Et quand on voit cela, on voudrait encore nous citer la minime protection que nous avons pour nos propres fabriques !

Messieurs, pour vous convaincre combien l’étranger a besoin de nos fils écrus, et combien il en sort annuellement, vous ne devez que consulter le livre statistique :

En 1831, il en est sorti 597,884 kil.

En 1832, 882,106 kil.

En 1833, 913,147 kil.

En 1834, 1,223,066 kil.

Je n’ai pas le relevé des années 1835 et 1836, mais je ne doute aucunement que l’augmentation n’ait encore été progressive.

Ces chiffres sont bien patents, et devront faire voir combien les étrangers out besoin de nos fils, fils qu’ils ne peuvent faire chez eux !

L’honorable M. Dubus a encore trouvé dans le tarif une contradiction à l’égard de la tarification du fil, c’est que le lin, qui est la première matière première, peut entrer sans droit, et que le fil écru doit payer 3 p. c.

Mais, messieurs, de telles contradictions se trouvent multipliées dans les tarifs de douane et surtout dans celui de France ; vous ne devez que voir la tarification de l’objet qui nous occupe, vous trouverez que le lin peut sortir avec un simple droit de balance, et que le fil de mulquinerie est prohibé à la sortie. Et cependant les Français savent bien ce qu’ils font en fait de tarifs ; ils savent qu’ils ne peuvent se passer des fils fins de mulquinerie, et que cependant ils n’ont pas besoin de tous leurs produits de lin brut. Messieurs, ceci est si facile à comprendre que je n’ai pas besoin, je pense, de m’y appuyer plus longtemps.

J’appuie donc l’ajournement demandé par l’honorable M. Desmaisières et je me flatte que MM. les députés de Tournay même ne s’y opposent pas.

M. A. Rodenbach. - Je soutiendrai autant les intérêts des tisserands de la Belgique que mon honorable ami M. Desmet ; j’habite dans un district où l’on fait les plus belles toiles de l’Europe, à l’usage des riches comme à l’usage du pauvre ; je dois donc désirer autant que mon honorable ami de voir protéger les tisserands. Eh bien, j’en ai interrogé une foule, et tous m’ont dit qu’on pouvait laisser sortir le fil de lin de la Belgique, que cela ne le ferait aucun tort, que nous avions du fil en masse et au-delà de nos besoins ; qu’on n’en employait pas la dixième partie de ce qui s’en fabriquait, il est donc nécessaire de protéger la sortie du fil et non de l’empêcher.

Dans les Flandres, il y a un demi-million de personnes qui tirent leur subsistance de la fabrication du fil : je vous le demande, est-ce qu’il ne convient pas de protéger l’industrie de ce demi-million de pauvres ouvrières qui ne gagent souvent que sept à huit cents par jour en filant ?

Dans ce moment il y a une espèce de crise dans la fabrication des toiles ; une des causes de cette crise, c’est qu’en Angleterre on file notre lin à la mécanique ; et déjà, en France, dans le département du Nord, on tisse de ces fils provenant de la filature à la mécanique.

On a dit qu’il n’y avait pas de pétition adressée à la chambre sur cet objet : c’est une erreur ; ii y en a une de Roulers, centre du marché aux fils ; mon honorable ami ne s’en souvient pas ; mais qu’on cherche dans les cartons de la chambre, on l’y trouvera.

Messieurs, il faut favoriser la sortie des fils.

On nous a dit, dans une autre discussion : Votre industrie souffrira si vous ne vous mettez pas à la hauteur des Anglais : aussi depuis cette époque on a cherché à établir des machines à filer le lin ; la banque a fait une entreprise semblable ; mais comment concilierait-on l’excitation donnée à la fabrication du fil à la mécanique, avec des entraves que l’on voudrait mettre à la sortie du fil ? Vous agiriez en sens contraire de vos véritables intérêts ; vous paralyseriez vos affaires, et il ne s’en ferait plus qu’à l’étranger.

M. Dubus (aîné). - C’est par erreur qu’on a dit qu’il n’y avait pas de pétition pour réclamer sur la sortie du lin, car je sais qu’il en existe. Je crois avoir prouvé par le tarif même que ce n’est pas dans l’intérêt de la tisseranderie que ce droit a été introduit, puisqu’on a mis un droit différent sur le fil écru et sur le fil à tisser : si l’on avait voulu protéger la tisseranderie, on aurait mis le droit sur le fil à tisser. On considère comme fil à tisser le fil écru qui a reçu une dernière opération qui le rend propre au tissage. Le droit n’a été introduit que pour favoriser les fabriques de fils retors ; et il est reconnu que ces fabriques n’ont pas besoin d’un droit semblable.

Ceux qui exportent le fil à tisser n’ont pas à payer simplement un droit de sortie ; en arrivant en France, ils ont encore à payer le droit d’entrée, ce qui élève quelquefois les droits jusqu’à 26 fr. pour 100 kilogr. Il importe beaucoup de considérer la réunion de ces deux droits à la sortie et à l’entrée.

Car si vous laissez subsister l’état de choses actuels, il en arrivera ce résultat que la France attirera chez elle nos fileurs pour y filer le lin que nous lui enverrons.

Une autre considération, messieurs, c’est que les fils écrus, qui sont les produits du travail de nos ouvriers, travail qui s’exerce sur les produits de notre agriculture, que les fils écrus qui se vendent sur les marchés de France, ont là à soutenir la concurrence des autres nations, et notamment des Allemands et des Anglais, dont les fils passent même en transit par notre pays.

Eh bien, messieurs, si vous maintenez le droit de sortie sur nos fils écrus, ceux de l’Angleterre et de l’Allemagne acquerront de plus en plus la prépondérance sur les marchés français et finiront par s’y rendre à l’exclusion des nôtres.

Tous les motifs se réunissent donc, messieurs, pour que vous adoptiez la disposition dont il s’agit ; d’autant plus que lorsqu’elle a été présentée, elle n’a rencontré aucune opposition de la part du gouvernement qui a eu le temps de l’examiner, puisqu’elle a été déposée plusieurs jours d’avance, et qui a pu reconnaître qu’elle était réellement calculée sur les intérêts de notre industrie.

M. Desmaisières. - Messieurs, j’ai dit que nous n’avons d’autres pièces propres à éclairer la question que les avis des chambres de commerce de Bruges et de Courtray, qu’après quelques recherches j’ai réussi à trouver dans les archives de la commission d’industrie.

Selon nos adversaires, il serait parvenu à la chambre un grand nombre de pétitions de Tournay et de Roulers, demandant la suppression du droit de sortie sur les fils propres à faire de la toile. Il est vrai qu’il existe une pétition de quarante colporteurs de fil de lin écru, domiciliés à Templeuve, qui se plaignaient, vers 1831, précisément vers l’époque où la commission d’industrie a cru devoir prendre des renseignements près des chambres de commerce, qui se plaignaient, dis-je, du droit de 3 p. c. que les fils de lin écrus paient à la sortie : « Ce droit, disaient-ils, les oblige à faire une déclaration, comme ils en font le transport le plus souvent en brouette, il en résulte qu’ils arrivent quelque fois trop tard au marché de Lille, et qu’aussi la pluie vient détériorer leurs marchandises. »

Vous voyez donc, messieurs, que même l’amendement de l’honorable M. Dubus ne satisfera pas encore à la demande des quarante colporteurs de Templeuve, puisque ce qu’ils veulent, c’est la libre sortie, c’est de ne pas devoir faire de déclaration et de pouvoir porter leurs fils sur le marché de Lille à l’instant même.

Maintenant, messieurs, que demandons-nous ? Nous demandons un ajournement très court, afin de pouvoir nous éclairer ; car, comme j’ai eu l’honneur de vous le faire remarquer, les avis des chambres de commerce de Courtray et de Bruges où se pratique principalement l’industrie toilière sont contraires à la pétition dont j’ai parlé, et ces avis ont été donnés à la même époque que cette pétition a été présentée, ou plutôt postérieurement, car c’est par suite de cette pétition que la demande de renseignements faite par la commission d’industrie a eu lieu. Mais, comme je l’ai déjà dit, cette époque est assez éloignée ; je crois donc que les positions de l’industrie et du commerce peuvent ne plus être les mêmes. Toutefois nous ne pouvons pas, en conscience, nous exposer à faire tort à une industrie aussi importante que la fabrication des toiles, comme cela pourrait arriver si nous votions définitivement avant d’avoir recueilli de nouvelles lumières.

Nous devons d’autant plus prendre de nouveaux renseignements qu’il ne faudra que peu de temps pour les obtenir.

Il est très possible, messieurs, que quand nous serons suffisamment éclairés, je serai peut-être le premier à adopter l’amendement de M. Dubus, mais il m’est impossible de me prononcer quant à présent ; car j’ai interrogé des négociants, des tisserands, et j’ai trouvé les avis très partagés.

C’est pourquoi j’ai voulu une espèce d’instruction, qui d’ailleurs sera très courte, afin que nous pussions au moins voter en connaissance de cause. Alors, je le répète, je serai peut-être le premier à demander l’adoption de l’amendement, mais je désire que la chambre se détermine avant de prendre une décision.

M. Dumortier. - Je dois faire remarquer, messieurs, que déjà au premier vote l’ajournement de cette disposition a été demandé et qu’alors il a été écarté ; depuis lors, six mois se sont écoulés, et, dans cet intervalle, chacun de nous a pu prendre tous les renseignements qu’il désirait. Eh bien, messieurs, pendant ces six mois est-il arrivé une seule pétition contraire à la disposition ? Non, messieurs, il n’en est arrivé aucune ; dès lors vous devez reconnaître que tout le commerce qui a eu le temps d’examiner à loisir cette disposition n’y a point vu le plus léger inconvénient ; tandis qu’au contraire il existe des inconvénients réels à maintenir le droit de sortie sur nos fils de lin.

N’est-il pas absurde, messieurs, que nous maintenions un droit par suite duquel nos fils écrus doivent arriver au marché de Lille à 3 p. c. plus cher que ceux de l’Angleterre et de l’Allemagne, et qui nous empêche ainsi de soutenir la concurrence avec ces pays ?

Remarquez d’ailleurs, messieurs, que la production de nos fils peut prendre une grande extension, si l’exportation n’en est pas entravée ; vous n’ignore pas qu’il s’élève en ce moment un grand nombre d’établissements pour travailler le lin d’après un mode beaucoup plus parfait que l’ancien ; ces établissements ont besoin d’un débouché, et c’est encore le marché de Lille qui le leur offre. Irez-vous-le leur fermer en maintenant le droit de sortie sur leurs produits ?

La Belgique produit beaucoup plus de fil qu’il n’en faut pour sa consommation ; j’ai consulté à cet égard plusieurs fabricants de fils retors de Tournay ; car, comme la mesure qu’il s’agit de supprimer avait été prise autrefois dans l’intérêt de cette industrie, j’ai voulu, avant de me prononcer, savoir si le retrait de cette mesure ne pourrait pas lui être préjudiciable. Eh bien, messieurs, tous m’ont répondu que le droit de sortie sur les fils de lin ne leur était nullement utile, et que par conséquent ils étaient les premiers à en demander la suppression.

Il n’y a donc aucun motif pour ajourner la disposition dont il s’agit ; mais il y a au contraire nécessité de l’adopter. Notre industrie a le plus grand intérêt à ce que la chambre maintienne ici la décision qu’elle a prise au premier vote.

De toutes parts. - La clôture ! la clôture !

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L’ajournement est ensuite mis aux voix et adopté.

M. Dumortier. - L’ajournement que la chambre vient de prononcer est-il défini ou indéfini ? Il faut qu’on s’explique.

Des membres. - On s’expliquera demain.

- La séance est levée à 4 heures et demie.