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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 27 décembre 1837

(Moniteur belge n°362, du 28 décembre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des négociants de Chimay adressent des observations sur la question des sucres. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les sucres.


« Des négociants détaillants de Roulers demandent la suppression du droit de patente sur les échoppes couvertes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des fabricants et négociants en huile et chandelles du Borinage demandent le maintien des droits actuels sur les houilles étrangères. »

- Renvoi aux ministres de l’intérieur et des travaux publics.


« Des habitants de Soignies et les conseils communaux de diverses communes du canton de Soignies demandent la suppression du droit de sortie sur le fil à dentelle simple et écru. »

- Renvoi à la commission d’industrie sur la proposition de M. B. Dubus.


« Le sieur Ivo Parmentier, marchand de boissons fortes à Aelbeke, dans la ligne du territoire réservé, demande qu’il soit apporté des modifications à la loi du 22 août 1822 sur le distilleries. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Par divers messages, le sénat informe la chambre qu’il a adopté dans sa séance du 23 décembre courant :

1° Le budget de la dette publique et des dotations pour l’exercice de 1838.

2° Le budget du département de la marine pour l’exercice de 1838.

3° Le projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1838.

4° Le projet de loi autorisant la séparation du village de Gembes, d’avec la commune de Haut-Fays (Luxembourg), et son érection en commune séparée.


M. Polfvliet informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance de ce jour.

Pris pour notification.

Projet de loi qui accorde un crédit à l'effet de pourvoir aux dépenses résultant de la création du conseil des mines

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) dépose un projet de loi ayant pour objet d’ouvrir au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 23,390 fr. 30 c. pour l’exercice de 1837, à l’effet de pourvoir aux dépenses résultant de la création du conseil des mines.

- Sur la proposition de M. le ministre des travaux publics, ce projet est renvoyé à la section centrale du budget du ministère des travaux publics, comme commission spéciale.

Projet de loi fixant les droits sur le sucre

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - La discussion continue sur la question du rendement.

Nouvelle rédaction de l’amendement de M. Dubus (aîné) :

« Je propose de fixer la décharge pour l’exportation des sucres, en principal :

« à 41 fr. les 100 kilog. des sucres raffinés désignés, dans la proposition de M. le ministre des finances, sous le litt. A ;

« et à 38 fr. les 100 kil, des sucres raffinés, dits lumps, désignés, dans la même proposition, sous le litt. B. »

Nouvelle proposition de M. Dumortier. :

« Je propose de fixer le rendement comme suit :

« 1° Sur les sucres raffinés de la catégérie A du ministre, à 75 p. c.

« 2° Sur les sucres raffinés de la catégorie B du ministre, à 78 p. c.

« 3° Sur les sucres raffinés de la catégorie D du ministre, à 90 p. c. »

M. Hye-Hoys. - Messieurs, dans la séance du 19 de ce mois, je me suis élevé contre le projet de modifier la législation sur le sucre ; mais je ne puis m’empêcher de revenir sur ce qu’a dit l’honorable M. Dubus aîné dans la séance du 23. En parlant, contre l’abaissement du drawback, voici comment je m’exprimais : « Si nous abaissons le drawback d’une manière sensible, nous livrons tous les marchés, où nous exportons aujourd’hui, aux Hollandais et aux Anglais, parce que nous mettons nos producteurs dans une position trop désavantageuse, pour pouvoir concourir avec leurs rivaux. Mais si nous n’abaissons que faiblement le drawback, nous n’aurons rien fait non plus pour le trésor.

« La Hollande a aussi, dans des vues financières, apporté un jour des modifications au drawback des sucres ; mais l’activité des producteurs a bientôt augmenté à un point tel, qu’ils ont infailliblement absorbé toute la somme que le gouvernement croyait voir entrer dans ses caisses ; et voilà ce qui arriverait chez nous aussi si le gouvernement belge tombait dans la même erreur. »

Messieurs, je viens de vous rappeler le dilemme que je posais il y a quelques jours et que personne n’a attaqué avec succès ; l’honorable M. Dubus, en rapportant mes paroles, a cru me combattre avec mes propres armes en s’appuyant sur un des membres de mon argumentation, et il a passé sous silence le premier de ces membres ; ainsi il prétend qu’à l’inverse de ce qu’on a fait en Hollande, on doit fortement abaisser le drawback, pour rendre cette mesure productive ; mais il n’a pas remarqué que dans ce cas il retombait dans le premier mal que j’ai signalé, en disant qu’on ruinerait l’industrie des raffineurs. Plus loin, M. Dubus dit que si la mesure qu’il propose produisait l’effet que j’ai annoncé, c’est-à-dire une augmentation d’exportation, nous devrions nous empresser d’y souscrire ; mais il est à remarquer que dans ce cas on n’aura rien fait pour le trésor, et qu’on aura donné l’exemple d’un remaniement législatif tout à fait inutile et parlant toujours d’un mauvais exemple. Comme je n’ai rien vu de concluant dans ses paroles, et qu’il n’a nullement réfuté mes arguments, je persiste dans ce que j’ai dit, et j’affirme qu’on ne peut toucher au drawback sur les sucres sans danger.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, l’honorable préopinant dit que j’ai passé sous silence un des membres de son dilemme ; mais il est dans l’erreur : je l’ai si peu passé sous silence que j’ai reproduit textuellement les paroles de l’honorable membre, comprenant les deux parties de son dilemme ; ainsi, je n’ai pas eu du tout l’intention d’en lasser une sous silence, C’est donc par inadvertance que l’honorable préopinant a produit cette allégation. J’ai présenté et discuté son opinion telle qu’elle était, j’ai fait voir que d’après son avis, si nous n’allions pas plus loin que les Hollandais ne sont allés, infailliblement (c’est l’expression de l’honorable membre) toute la somme que l’on se proposerait d’obtenir pour le trésor irait encore dans les mains des raffineurs. L’honorable préopinant ne peut pas le méconnaître. Il est donc vrai, d’après son opinion à lui-même, que si l’on se bornait à la mesure qui a été admise en Hollande, les raffineurs auraient un grand intérêt à y souscrire puisqu’il en résulterait une augmentation dans les exportations.

Aussi je ne me suis pas borné à cette mesure, j’ai voulu aller plus loin : j’ai voulu que l’exportation se trouvât restreinte et que le trésor reçût quelque chose ; mais j’ai voulu cependant ne pas aller trop loin, pour ne pas porter un coup trop sensible à cette industrie. A cet effet, j’ai pris pour point de comparaison le chiffre français, qui n’a pas empêché l’exportation, puisque l’exportation, pour 1836, s’est élevée à 6 millions 12 de kil. Si nous nous tenons au-dessous du chiffre français, l’exportation sera plus considérable en Belgique qu’en France ; par conséquent les raffineurs belges exporteront encore.

Au moyen de ces termes de comparaison, j’ai démontré que la mesure que j’ai eu l’honneur de proposer est véritablement modérée et qu’elle doit déterminer la majorité de cette chambre à s’y rallier.

M. Hye-Hoys. - Je dois de nouveau répéter à l’honorable député de Tournay que si nous n’augmentons que faiblement le rendement, nous ne ferons rien pour le trésor, et que si vous l’augmentez considérablement, il faut cesser toute exportation ; et ainsi vous ruinez nos raffineries qui ne travailleront plus pour l’exportation, et vous anéantissez les 2/3 de nos établissements.

M. Desmet. - Messieurs nous sommes en présence de deux systèmes, celui du ministre des finances qui veut garantir au trésor la certitude d’obtenir quelque revenu de la consommation du sucre et celui présenté par l’honorable M. Dubus, qui ne garantit rien au trésor, mais qui augmente le taux du rendement du sucre raffiné qui doit servir à le faire jouir du drawback ou de la restitution des droits à son exportation.

Si je n’avais qu’à consulter les intérêts du trésor, certainement j’appuierais et je voterais l’amendement présenté par l’honorable ministre des finances, car je serais certain qu’alors le sucre produirait quelque chose au trésor, mais comme je remarque que par cet amendement le principe du drawback est entièrement paralysé, je crains que le coup qu’on porterait en une fois aux raffineries de sucre existantes actuellement dans le pays, serait trop sensible et pourrait causer trop de pertes, tandis qu’avec la modification portée, par l’amendement de M. Dubus, au rendement légal, je suis convaincu qu’on pourra exporter en profitant entièrement de la restitution du droit. Je n’ai qu’une seule crainte, que si l’exportation des sucres raffinés continue à se faire comme elle a eu lieu dans les dernières années, le trésor ne reçoive encore que peu de chose de l’impôt sur le sucre ; mais j’ai plus de crainte à faire tort au trésor qu’à froisser trop à la fois une industrie existante, qui cependant, je dois encore le dire, jouit d’un privilège que les autres n’ont pas, quoique elle emploie une matière première qui n’appartient pas au pays.

D’après ces observations, je me bornerai à traiter la question du rendement. L’honorable M. Verdussen, dans la séance de samedi dernier, nous a donné un cours de raffinage de sucre ; si l’honorable membre nous a donné cette leçon, il a eu, je pense, le but de démontrer à la chambre qu’il était à même d’administrer la preuve qu’il y avait impossibilité que le sucre brut produisît autant de sucre raffiné que le prétendaient plusieurs membres. Je ne critique point l’instruction qu’il a donnée à la chambre, mais j’aurais voulu que son cours de raffinage fût plus complet, qu’il ne laissât pas tant à désirer et que les principaux procédés n’eussent pas été omis.

L’honorable membre a cru que le raffinage de sucre n’avait fait que peu de progrès et que les améliorations qu’il avait reçues n’avaient aucun effet sur le poids du sucre raffiné, mais uniquement sur les couleurs ; je m’étonne que l’honorable M. Verdussen, qui a des connaissances spéciales dans la partie, ignore les améliorations importantes que cette industrie a reçues depuis quelques années, améliorations qui ne portent pas, comme paraît le croire l’honorable membre, sur la couleur seule du sucre, mais principalement sur la cristallisation qui, en rendant plus nombreuses les parties cristallisables d’une quantité donnée de sucre brut, doit nécessairement en faire augmenter le poids du produit raffiné.

Messieurs, vous ne pouvez ignorer que c’est dans la cuite du sucre brut, qui, après sa défécation, se fait pour son évaporation ou rapprochement, qu’existe la principale cause de l’altération du sirop, c’est-à-dire que de cette évaporation bien ou mal faite dépend une plus ou moins parfaite cristallisation, et par conséquent la plus ou moins grande quantité de sucre raffiné à pouvoir se tenir en pain et rendre propre à l’exportation, soit en lumps, soit en sucre fin.

Pendant la cuite qui est nécessaire pour le rapprochement, les sirops s’altèrent toujours plus ou moins, suivant que les opérations se font plus ou moins parfaitement. Les principales causes de ces altérations sont : la température et surtout la trop longue durée de l’opération ; et l’ébullition pendant trente et quarante minutes, suivant l’ancien mode, rendait incristallisable une grande quantité de sucre, ainsi que le grand degré de chaleur.

Certain qu’on était que la durée de l’ébullition et l’élévation de la température étaient les principales causes de l’altération des sucres, on a cherché de nouveaux procédés pour y remédier et faire plus avancer la cuisson en employant toutefois un moindre degré de chaleur.

Déjà l’une de ces causes, la durée de l’ébullition, avait été considérablement diminuée par les chaudières à bascule de Gitton, à un tel point qu’elle durait de 30 à 40 minutes, selon l’ancien mode, et qu’aujourd’hui cette durée est réduite de 5 à 6 minutes.

Cette chaudière à bascule, inventée par Gitton, a beaucoup été perfectionnée par Taylor ; mais les procédés de Roth et d’Howard ont porté le perfectionnement de la cuisson du sucre à un haut degré ; ce sont eux qui ont trouvé le moyen de diminuer le degré de chaleur pourlta cuisson et ont par ce moyen été la principale cause de la grande altération que subissait le sirop dans l’opération de l’évaporation.

On savait depuis longtemps que les liquides bouillaient à une température d’autant plus basse qu’ils supportaient une moindre pression ; c’est pourquoi, dans les appareils de Roth et d’Howard, il y a une pompe pneumatique, qui est en communication avec les vases contenant les sirops, afin d’y entretenir un vide et maintenir en ébullition les sirops à une température peu élevée.

Ce sont les Anglais qui les premiers ont mis en usage les nouveaux procédés, et c’est la raison pourquoi le rendement des sucres raffinés dans leurs usines a été le plus élevé ; car vous savez, messieurs, que depuis plusieurs années il est connu en Angleterre que le rendement des sucres lumps était de 80 à 86.

J’ai voulu donner ces détails à la chambre pour répondre aux assertions de l’honorable M. Verdussen, qui croit que le raffinage de sucre n’a pas fait de progrès, pour augmenter la quantité du sucre raffiné ; mais, au contraire, il n’est que très certain que toutes les améliorations ont eu lieu pour faire augmenter cette quantité et rendre considérablement plus grand le rendement.

L’honorable membre auquel je réponds, a aussi voulu insinuer que l’honorable M. Dubus n’avait pas bien compris la signification du mot lumps, quand il en a parlé dans le discours qu’il a prononcé dans une des dernières séances, Je pense, au contraire, que l’honorable député de Tournay a bien compris ce qu’il nous a dit sur le compte des sucres lumps et surtout sur l’usage frauduleux qu’on en a souvent fait dans l’exportation des sucres pour jouir de la prime.

Les lumps ne sont pas d’un demi-raffinage, dit M. Verdussen ; nous savons bien qu’on peut donner aux lumps plus ou moins de raffinage, mais nous savons aussi qu’il y a deux espèces de lumps, les lumps terrés et les lumps verts, et que les lumps verts sont ceux qui n’ont subi qu’un léger raffinage, qu’un seul égouttage, et qui, à cause de leur grand volume, peuvent se tenir plus facilement en pain.

Quand M. Dubus a donc dit que les sucres lumps qu’on fabriquait pour les transports à l’extérieur, et principalement en Prusse avant le nouveau tarif, étaient des sucres qui étaient tellement peu raffinés, qu’ils pouvaient être envisagés comme du sucre brut, il a avancé une chose très exacte.

Messieurs, j’ai encore une remarque faire sur ce qu’a avancé l’honorable M. Verdussen, quand il a soutenu que le raffinage du sucre n’avait pas fait de progrès pour en augmenter le rendement ; j’ignore si l’honorable membre a connaissance que, pour le terrage, la bouillie d’argile a été remplacée par une quantité d’alcool de la force de 34 à 35 degrés ; c’est encore une grande amélioration dans le terrage, parce que le passage de l’alcool dans le pain altère beaucoup moins les parties cristallisables du sucre que celui de l’eau argileuse, et ici je dois vous faire remarquer qu’on fait un grand usage de ce procédé dans les colonies où est récoltée la canne à sucre s’il sert à ôter des sirops une grande quantité de leur mélasse et ainsi envoyer en Europe des sucres plus riches et moins sirupeux ; d’où suit une conséquence bien naturelle que les sucres bruts étant plus riches donnent un plus grand rendement.

Messieurs, j’aurais encore d’autres observations à présenter sur les assertions de l’honorable député d’Anvers, mais je crains que cette discussion ne soit déjà trop longue et ne fatigue la chambre ; mais il me paraît être incontestable que le taux du rendement, tel qu’il est présenté par M. Dubus, n’est pas trop élevé et qu’il n’empêchera pas l’exportation de nos sucres raffinés, s’il n’y a pas d’autres causes que celle de la modification portée à la législation actuelle : je dis s’il n’y a pas d’autres causes, car je pense que la dernière mesure prussienne contre l’entrée de nos sucres lumps sera un plus grand obstacle à l’exportation que les changements portés au taux du rendement légal, et il est bon de le faire remarquer, afin que quand l’exportation serait diminuée comme je m’y attends, on n’aille pas de suite l’attribuer à la nouvelle loi.

Que ce rendement, d’après que le propose l’honorable M. Dubus, n’est pas trop élevé, nous en trouvons la preuve dans tous les autres pays où on a été obligé de le changer ; en France, quand il a été porté à 75 pour les sucres fins et pour les lumps à 78, presque personne de la chambre des députés ne s’y est opposé de même que le gouvernement, et l’un des premiers savants de l’Europe, qui comme député assistait à la discussion, Gay-Lussac, a formellement déclaré que le terme moyen de 75 pour le rendement des sucres raffinés était au-dessus de la réalité. En Angleterre, comme vous le savez, messieurs, il y a deux modes pour constater le rendement des sucres raffinés, celui en exportant avec le rendement légal, et le deuxième en travaillant sous l’inspection et sous la clef de la douane ou de l’accise ; ceux qui travaillent sous la surveillance immédiate des employés des accises sont tellement diminués en nombre qu’il n’en existe presque plus qui travaillent de cette manière, ils préfèrent presque tous exporter avec le rendement légal, parce qu’ils trouvent que le rendement légal, aussi élevé qu’il soit, est encore moindre que le rendement réel.

Je pense donc que nous ne risquons rien en adoptant l’amendement de M. Dubus, que je trouve plus favorable aux raffineries de sucre et à l’exportation des sucres raffinés, que toutes les propositions qui tendent à garantir au trésor la perception certaine d’une partie des droits d’entrée, et ainsi paralyser plus ou moins la jouissance du drawback en entier.

M. Zoude. - J’ai peu de chose à dire sur la question des sucres. Si je m’en étais expliqué, j’aurais été peut-être plus libéral envers les raffineurs que ne l’ont été leurs plus zélés défenseurs, car si les besoins du trésor n’étaient urgents et n’exigeaient impérieusement de frapper toutes les matières imposables, j’aurais voulu que tout le produit de l’impôt eût été absorbé par les restitutions. Le sucre cristallisé n’en serait pas moins cher, il supporterait l’impôt comme il le supporte déjà, mais cette qualité de sucre n’est guère employée que sur la table des personnes aisées ; les qualités secondaires, telles que cassonade et autres, servant à l’usage du peuple, leur sont livrées, je crois, en dessous du prix de revient, comme le charbon menu l’est dans les houillères.

Le pays, dans ma manière de voir, aurait été amplement dédommagé par les grands avantages qu’il en aurait retirés, et je ne doute pas que les betteraves y auraient trouvé une grande protection ; mais le trésor ayant besoin de toutes ses ressources, je renonce à un projet que des temps plus prospères pourront réaliser.

Je n’ai guère pris la parole que pour relever une expression échappée à un honorable membre et à laquelle il n’a pas habitué la chambre ; aussi en a-t-elle paru affectée, et cependant le même langage dans la bouche de tel de ses collègues n’aurait fait aucune impression.

L’honorable M. Verdussen, en reportant ses souvenirs au temps où il exploitait une raffinerie de sucre, nous a parlé avec sa bonne foi accoutumée en nous assurant qu’alors le rendement était à peu près comme il est fixé par la loi en vigueur ; mais on ignorait alors la puissance des os, le noir animal n’était pas connu, et c’est depuis son application à la décoloration du sucre qu’on obtient 10 p. c. de plus en sucre cristallisé, parce que les substances étrangères sont entraînées par le charbon.

Donc, si à l’époque où travaillait M. Verdussen, et encore lors de la loi de 1822, le rendement du sucre raffiné était de 55, il est évident qu’aujourd’hui il s’élève à 65, et peut-être à plus encore, si d’autres perfectionnements ont été introduits dans le raffinage ; mais je ne veux rien hasarder à cet égard, et je me borne à appuyer l’amendement de M. Dubus, qui fixe le rendement légal à 65.

M. Verdussen. - Messieurs, l’honorable M. Desmet a souvent prononcé mon nom en répondant au discours que j’ai prononcé dans la dernière séance. Je crois devoir lui répondre quelques mots. Il a dit que j’aurais dû m’attacher à démontrer que l’industrie telle qu’elle est actuellement est, quant au rendement, la même que ce qu’elle était lorsque j’ai rappelé mes anciens souvenirs. Quoique j’aie quitté la partie depuis plusieurs années, je ne suis pas resté étranger aux progrès que la science peut avoir faits.

L’honorable membre auquel je réponds nous a parlé de la chaudière à bascule que nous ne connaissions pas anciennement. Mais il s’est étrangement trompé lorsqu’il a pensé que la chaudière à bascule ajoutait quelque chose au poids du sucre en pain et par conséquent au rendement du sucre brut. La chaudière à bascule n’est rien qu’une accélération de travail. Autrefois il nous fallait, lorsque la cuisson était faite, décharger la chaudière au moyen de grandes cuillères. Aujourd’hui, on soulève toute la chaudière, et au moyen d’une bascule on la verse d’un seul coup dans le réservoir.

Voilà toute la différence. Ce procédé offre un grand avantage ; car autrefois il fallait commencer à décharger la chaudière, lorsque le sucre n’était pas entièrement cuit, afin de compenser par là le sucre qui restait au fond de la chaudière et qui allait être trop cuit. Aujourd’hui le raffineur est plus sûr de son fait et ne donne pas tant au hasard.

De même le procédé de la machine à vapeur est une manière d’accélérer l’action du feu et l’évaporation de l’eau, de telle sorte qu’on a plus vite terminé le travail. Mais je le répète, cela n’ajoute rien au poids du sucre fin à tirer du sucre brut.

J’ai la même observation à faire à l’honorable M. Zoude, qui a parlé du noir animal. Aujourd’hui c’est au moyen de ce noir qu’on sépare du sucre brut ses parties hétérogènes, en le faisant passer par un tamis qui retient ces parties hétérogènes, lesquelles s’attachent au noir animal, comme elles s’attachaient jadis aux œufs et au sang de bœufs dont on faisait usage pour clarifier le sucre brut au moyen d’une écumoire.

On est revenu sur la signification que doit avoir le mot lumps. Je ne puis, à cet égard, que persister dans ce que j’ai eu l’honneur de dire : le mot lumps n’indique autre chose que de grands pains ; c’est la forme seule des pains qui donne lieu à cette dénomination. On peut faire des sucres lumps avec du sucre très fin dont on fait de beaux candis ou de petits pains ; mais on ne peut pas faire de petits pains avec la matière qu’on emploie ordinairement pour faire des lumps ; je dis ordinairement, parce que communément les lumps ne sont que le produit du second ou du troisième raffinage, et alors ils sont d’une qualité plus commune, qui ne permettrait pas qu’on en fît des mélis.

La Prusse a reçu beaucoup de lumps, parce qu’elle les a envisagés comme un sorte de sucre brut ; dès ce moment nous avons vu, par une espèce de fraude, une quantité assez considérable de raffineurs ne plus faire que des lumps, même du plus beau sucre, afin de les introduire en Prusse comme sucre brut ; c’est ainsi que se trouve expliquée l’observation de l’honorable M. Dubus. On faisait entrer le sucre sous la forme de lumps, parce qu’on ne pouvait pas le faire entrer sous la forme de petits pains.

L’honorable M. Dubus me fait observer qu’il n’y a que les raffineurs qui pouvaient recevoir ces sucres ; mais on conçoit que lorsque ces sucres étaient entrés en Prusse, ils pouvaient par la fraude (car il y a des fraudeurs en Prusse comme ailleurs) être facilement répandus dans la consommation au lieu d’être expédiés à des raffineurs.

L’honorable M. Dubus a parlé aussi de la France. Est-ce donc le système français qu’il nous faut adopter ? Permettez-moi d’établir une comparaison entre notre importation et notre exportation d’une part, et l’importation et l’exportation de France d’autre part.

Ici nous importons de sucre brut 22 millions de kilog. et notre consommation intérieure, lorsqu’elle était bornée au sucre exotique s’élevait à 10 millions de kilog. ; nous exportions donc 12 millions de kilog.

En France, il a été importé, en 1835, 66 millions de kilog. de sucre brut, et dans la même année il n’a été exporté qu’un seul million de kilog. de sucre raffiné. En 1836, l’importation étant la même, l’exportation a été de 6 millions, donc le onzième de l’importation.

Veut-on réduire nos exportations au 11ème de nos importations ? Veut-on réduire notre commerce à n’exporter que 2 millions de kilog. ? Est-ce à cela qu’on veut descendre ? Qu’on le dise.

Il y a encore une autre considération à faire valoir. L’honorable M. Dubus a parlé des exportations de France en 1836 ; mais il n’a pas fait attention à la destination des sucres exportes. S’il y eût fait attention, il eût reconnu que la plupart des exportations étaient pour les colonies françaises. Ces mêmes colonies qui envoient à la France leur sucre brut, reçoivent d’elle leur sucre raffiné. La France européenne expédie à la France américaine ; voilà tout.

L’honorable M. Desmet nous a dit en terminant qu’il appuie l’amendement de l’honorable M. Dubus, et qu’il le trouve très modéré. Je ne ferai ici qu’une simple observation ; je m’adresse à votre bon, sens. Lorsque voulez établir un rendement (vrai ou faux, cela ne fait rien à la question), qui outrepasse la limite établie dans d’autres pays, n’est-ce pas dire que vous voulez tuer notre exportation sur les marchés étrangers ? Ce sera la conséquence inévitable de la loi, si elle vient à passer avec l’amendement de M. Dubus.

M. Desmaisières, rapporteur. - A en juger par la manière dont on nous combat, il faut croire que la cause que nous défendons est tellement juste, tellement évidente que l’on n’a à nous opposer que quelques opinions individuelles, quelques calculs présentes par tel ou tel raffineur, comme si nous étions solidaires de toutes les opinions quelconques que ceux qui avec nous défendent la même cause peuvent avoir émises.

C’est ainsi qu’on vient nous opposer constamment le dilemme présenté par un de mes honorables collègues du district de Gand ; ce dilemme, je vous avoue que précédemment je ne l’avais pas compris de la manière que cet honorable collègue vient de l’expliquer tout à l’heure, car il ne pouvait entrer dans mon opinion que ce qui produit une augmentation d’exportation pût produire aussi une diminution d’exportation. Mais ce n’est pas en s’appuyant sur ce dilemme qu’on aurait dû raisonner pour combattre l’assertion émise dans notre rapport, assertion par laquelle nous faisons connaître qu’en Hollande on a augmenté le rendement, et que malgré cela les recettes ont diminué encore plus fortement qu’auparavant.

C’était cette assertion même qu’il fallait combattre, et bien certainement de cette assertion qui est vraie (puisque c’est le ministre des finances de Hollande lui-même qui l’a émise dans le sein des états-généraux) il y aurait eu à tirer une tout autre conséquence que celle qu’en ont tiré nos honorables adversaires ; car, selon eux, parce que l’augmentation du rendement a diminué les recettes du trésor en Hollande, il s’ensuit qu’on va augmenter les recettes en augmentant le rendement en Belgique. Mais c’est tout le contraire ; si l’augmentation du rendement en Hollande a eu pour effet de diminuer les recettes du trésor de ce pays, je crois qu’on peut dire qu’une augmentation de rendement aurait le même effet en Belgique. C’est ce que nous disons.

On a dit que mon honorable collègue de Gand, auquel je fais allusion, avait, lui, émis l’opinion que lorsqu’on augmenterait le rendement dans une faible proportion, on ne ferait qu’augmenter les exportations ; qu’il y aurait une plus grande activité dans les raffineries, et que cette activité absorberait le droit qu’on veut obtenir par une faible augmentation de rendement. Encore une fois, c’est là l’opinion de cet honorable membre. Je ne pense pas que ni l’industrie du sucre exotique ni nous soyons solidaires de cette opinion. A cette opinion j’ai une autorité à opposer, c’est celle du ministre des finances de Hollande, qui a dit aux états-généraux que l’augmentation faible du rendement avait amené un résultat tout contraire. Il a dit que les raffineries de Hollande périclitaient, qu’elles allaient de plus en plus en périclitant, et que déjà même il y avait 5 grandes raffineries qui avaient fait faillite.

Il y a loin de là à une grande activité. Cette augmentation de rendement a eu aussi, dans l’opinion du ministre des finances de Hollande, pour effet de diminuer les recettes du trésor ; cette opinion est corroborée par la déclaration qu’a faite, dans la séance de samedi, M. le ministre de la justice au nom de M. le ministre des finances.

L’honorable M. Desmet vous a dit qu’une preuve qu’il y a de grands avantages dans le système du drawback, c’est qu’en Angleterre où il y a deux législations, l’une qui consacre le système du drawback, l’autre qui autorise les raffineurs à exporter les produits moyennant qu’ils soient restés sous la clef de l’administration des douanes, les raffineurs préfèrent tous le système du drawback. Mais l’honorable membre n’a pas fait attention à une chose essentielle, c’est que s’il y a deux législations en Angleterre, l’une, celle du drawback, se rapporte exclusivement au sucre provenant des colonies anglaises, l’autre au sucre provenant des colonies non-anglaises.

On vient de me remettre à l’instant un extrait d’un prix courant anglais, envoyé de Londres et daté du 22 de ce mois. Voici ce qu’on y lit : « Une loi relative à un changement de droit sur les sucres est en discussion en Belgique ; si elle est adoptée, cela pourra influer avantageusement sur nos affaires d’exportation. »

Ainsi voilà les Anglais prêts à s’emparer de nos débouchés pour leur sucre exotique que nous avions réussi à leur enlever.

Voilà, messieurs c’est bien loin d’augmenter nos exportations ; vous les diminuez, et au profit de qui ? Au profit des nations auxquelles nous avions enlevé les marchés étrangers au moyen de la législation actuelle, dont nous demandons le maintien.

M. Eloy de Burdinne. - Si je prends la parole, ce n’est pas pour rentrer dans la discussion. Je crois qu’on ne peut rien dire de nouveau, à moins de nous donner des leçons sur la manière de raffiner le sucre. Je me bornerai à faire observer aux défenseurs des sucreries, du commerce et de la navigation, qu’ils se trompent étrangement quand ils pensent que leurs adversaires veuillent tuer les raffineries, le commerce et la navigation, et surtout tuer Anvers, comme on nous l’a reproché dans les séances précédentes. Nous soutenons que le sucre le plus raffiné, que les cassonades et que les sirops sont des matières très imposables et doivent être imposées.

La cassonade et le sirop ne sont pas seulement destinés à la consommation du pauvre ; le riche fait usage de la cassonade et du sirop aussi bien que du sucre fin ; ces matières saccharines peuvent donc être imposées. Je voudrais trouver moyen de favoriser les raffineries, le commerce et la navigation, et la ville d’Anvers, mais de façon que le trésor reçût 4 à 5 millions. Au lieu de nous donner des leçons sur le raffinage du sucre, si on avait cherché le moyen de concilier les intérêts du trésor avec les intérêts des raffineurs, des commerçants et des armateurs, j’aurais été le premier à voter la proposition que l’on aurait faite pour atteindre ce but.

Dans la discussion qui a eu lieu samedi, j’ai entendu dire, par un de nos adversaires, auquel on faisait remarquer que nos sucreries de betterave devaient être protégées : « Si elles ne peuvent pas marcher, qu’elles cessent. » Cela serait, en effet, très favorable aux armateurs, puisqu’ils iraient nous chercher des sucres étrangers pour remplacer les sucres indigènes qui manqueraient.

Mais si l’on admettait un pareil système, les navigateurs, les armateurs, ne pourraient-ils pas venir vous dire : Pourquoi produisez-vous du grain ? La Pologne en produit abondamment, et nos navires en iront chercher. Que le peuple de la campagne en produise pour sa nourriture, à la bonne heure ; mais la navigation peut alimenter l’armée et les villes. Ils pourraient dire de même pour les houilles : Ne vous occupez plus des extracteurs de ce combustible ; nous irons en Angleterre chercher de la houille, et notre navigation s’accroîtra d’autant. Quant aux maîtres de forges. ils auraient aussi à leur dire : Vos fers ne valent pas ceux de Suède ; renoncez à votre industrie ; et avec nos navires nous irons en Suède prendre ce métal, et nous le livrerons à meilleur marché. Eh bien, messieurs, ce que diraient les armateurs relativement aux grains, aux houilles et aux fers, s’applique aux sucres de betterave ; et l’un est aussi absurde que l’autre.

On a critiqué le système présenté par M. Dubus, et plus encore la proposition faite par M. Dumortier, lequel vous a déclaré se borner à reproduire le système français. Je comprends que l’on n’admette pas cette proposition, parce que nous ne sommes pas dans la même position que la France : ce pays repousse les sucres étrangers pour favoriser les sucres de ses colonies. Mais nous, qui n’avons pas de colonies, nous devons être plus favorables encore que la France à nos sucres indigènes. La France qui a une marine militaire, doit protéger sa marine marchande qui forme les marins ; nous ne devons pas être déterminés par des considérations semblables. Le sucre est une matière très imposable et qui doit être imposée puisque le gouvernement a besoin de ressources, S’il était possible d’imposer la consommation du sucre de manière à faire disparaître l’impôt du sel, j’adopterais sur-le-champ le système qui atteindrait ce but.

Je provoque l’attention de la chambre sur ce point. Il faut autant qu’on le peut reporter l’impôt du sel sur le sucre. On vous a apitoyé sur le sort des malheureux : c’est le pauvre, a-t-on dit, qui consomme les sucres de moyenne qualité, ceux dont on ne peut faire les candis et les sucres blancs ; il ne faut pas les imposer. Mais, messieurs, s’il ne faut pas les imposer, à plus forte raison ne doit-on pas imposer le sel, bien autrement utile au pauvre que le sucre ; car il peut se passer de l’un et ne saurait se passer de l’autre.

Par ces considérations je ne puis qu’appuyer le chiffre du rendement le plus élevé. Je pense même qu’avec ce chiffre on n’atteindra pas encore au but désirable. Toutefois, quand ce chiffre sera posé, nous aviserons aux moyens d’éviter la fraude et de lui faire produire toute la recette dont doit en attendre.

M. Desmet. - Je suis fâché d’être en discordance avec M. Desmaisières ; nous n’avons cependant que le même but, qui est de faire le moins de mal possible aux raffineries de sucre. J’avais dit qu’en Angleterre les raffineries opéraient sous l’empire de deux systèmes ; qu’elles travaillaient sous la condition d’un rendement législatif, ou qu’elles travaillaient, la clé étant dans les mains de l’administration. Là-dessus l’honorable rapporteur fait une distinction, et nous dit que le travail par rendement législatif a lieu pour les sucres des colonies anglaises, et que le travail sous clé dans les mains de l’administration a lieu pour tous les sucres qui ne viennent pas des colonies anglaises ; mais cette distinction n’infirme pas mon assertion ; j’ai dit qu’en Angleterre on préférait travailler sous rendement législatif ; et je n’ai pas voulu en dire davantage,

L’honorable M. Verdussen a parlé des chaudières à bascule sans en comprendre l’importance : elles ont pour effet de verser tout le sucre qui peut cristalliser. L’avantage du système évaporatoire, du système de M… c’est principalement de diminuer la quantité des sirops incristallisables d’une manière très sensible, et par conséquent, d’augmenter le rendement.

Je voterai préférablement l’amendement de M. Dubus à celui du ministre des finances, parce que l’amendement de M. Dubus conserve le drawback.

M. Hye-Hoys. - Il me semble que M. le rapporteur n’a pas compris la supposition que j’ai faite. J’ai dit qu’en augmentant légèrement le rendement, cela donnerait plus d’activité aux raffineries, et cela est évident. Si je prends 22 millions de kilogr. à raison de 55 par 100 kil., il faut que j’exporte 12 millions pour la consommation ; mais si le rendement est plus élevé que 55, il faut exporter plus de 12 millions pour la consommation. Si donc on parvenait à exporter plus de 12 millions, on donnerait évidemment plus d’activité à nos raffineries. Mais j’ai soutenu qu’en augmentant le rendement, loin d’augmenter l’exportation, on l’anéantirait entièrement, on la tuerait.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, voilà plusieurs jours que nous discutons la question, et je pense que tout le monde est maintenant à même d’émettre un vote en connaissance de cause ; je crois donc qu’il faut en finir, d’autant plus que nous avons à nous occuper d’autres travaux, qui sont de la plus haute importance. J’ai appris que le ministère se propose de présenter un nouvel amendement ; s’il en est ainsi, je crois qu’il en serait temps de le faire.

Je demande donc que si le ministère a une proposition à faire, il la dépose et que la discussion soit close.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je regrette que M. le ministre des finances n’ait pu encore se rendre à la séance de ce jour ; cependant il m’a autorisé à déclarer à la chambre qu’après s’être entretenu à diverses reprises avec une députation des raffineurs de sucre exotique et les armateurs, il a pensé que, quant à présent, pour ne point s’exposer à jeter au moins l’inquiétude parmi ces industriels, on pourrait se borner à adopter une légère majoration du rendement et en même temps la rétribution fixe de 10 p. c., proposée par l’honorable M. Liedts.

Le chiffre auquel M. le ministre des finances consentirait, quant au rendement, est celui de 57 pour les mélis et les candis, et de 60 pour les lumps. Je dois ajouter que c’est les 10 p. c. proposés par M. Liedts que M. le ministre des finances compte principalement comme moyen de recette.

Je dois encore vous faire connaître, messieurs, que cette proposition a été goûtée par la députation dont je viens de faire mention, de manière que la chambre peut l’adopter sans crainte de porter la perturbation dans l’industrie, ce qui pourrait avoir lieu si l’on adoptait un chiffre plus élevé que celui que je viens de proposer.

C’est dans un esprit de conciliation et pour éviter les inquiétudes majeures que la discussion présente a répandues parmi les industriels dont il s’agit, que le gouvernement s’est déterminé à soumettre à la chambre la proposition que j’ai l’honneur de lui présenter. Si l’expérience venait démontrer dans la suite qu’une nouvelle majoration peut encore être établie, et surtout si le gouvernement hollandais, qui a encore un plus grand besoin de ressources financières que nous, se décidait à majorer le rendement, ou à favoriser moins qu’il le fait en ce moment les raffineries de sucre exotique, alors nous pourrions de notre côté, sans aucune crainte de porter atteinte à l’industrie raffinière, augmenter également le rendement. Ainsi, messieurs, la proposition que j’ai l’honneur de vous faire doit être considérée comme une mesure transitoire, en attendant que nos voisins majorent le droit, comme ils en ont annoncé l’intention ; il est bien certain qu’en cette matière il y a rivalité entre la Belgique et la Hollande sur les marchés étrangers, et par conséquent il est naturel que, de part et d’autre, on ne fasse que des pas lents dans la majoration du droit.

M. Eloy de Burdinne. - Je ne puis, messieurs, partager l’opinion de M. le ministre des finances, transmise à la chambre par M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, M. le ministre nous apprend que la députation des raffineurs est partie très contente ; c’est tout naturel puisqu’elle a gagné son procès ; que si nous adoptons la proposition de M. le ministre, les raffineurs pourront continuer à percevoir 3 ou 4 millions sur les consommateurs belges. M. le ministre dit que quand la Hollande changera le rendement, nous pourrons en faire autant ; je lui ferai remarquer que la Hollande perçoit aujourd’hui sur les sucres un impôt de consommation de 200,000 florins, et que par conséquent nous devrions percevoir au moins un million de francs.

M. de Jaegher. - La proposition de M. le ministre produira cette somme.

M. Eloy de Burdinne. - Si l’honorable député veut garantir que la proposition ministérielle produira un million, je suis prêt à l’appuyer, mais je ne le crois pas, moi ; car si cette proposition devait produire un million, les députés des raffineurs ne seraient pas partis dans une si grande jubilation.

Je pense, messieurs, que si la proposition qui vient de nous être soumise était adoptée par la chambre, M. le ministre des finances aurait un jour à se repentir de l’avoir faite.

Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. de Jaegher. - J’espère bien, messieurs, que l’opinion qui vient d’être émise par M. Eloy de Burdinne ne trouvera pas d’écho dans la chambre. Lorsque la discussion a été entamée, je me suis réservé de me rallier à telle proposition qui me paraîtrait convenable ; j’ai écouté avec beaucoup d’attention les développements qui ont été donnés aux différentes propositions que la discussion a vues surgir et je dois avouer qu’il me semble que de toutes ces propositions, il n’en est pas une qui présente au trésor autant de garantie que celle qui vient d’être faite par M. le ministre et que l’honorable M. Eloy de Burdinne aurait dû appuyer dans l’intérêt du trésor qu’il défend.

C’est avec conviction, messieurs, que je prononce ces paroles : je me suis, dès le principe, prononcé en faveur de la perception de l’impôt dont il s’agit, parce que je crois qu’effectivement le sucre est une matière très imposable ; mais c’est précisément pour ce motif qu’il ne faut pas nuire à l’exportation, car si nous empêchons l’exportation, l’impôt nous échappe. C’est là, messieurs une vérité dont on ne tient pas assez compte. (Aux voix ! aux voix !)

M. Gendebien. - Je trouve fort étonnant, messieurs, que, quand à la fin d’une longue et trop longue discussion un amendement est jeté à l’improviste dans cette enceinte par M. le ministre de l’intérieur, chacun se croie à même d’en juger la portée, sans qu’il ait reçu aucun développement.

M. Rogier. - L’amendement de M. Liedts a été déposé il y a plusieurs jours.

M. Gendebien. - Je sais fort bien cela, mais je ne sais pas, et je désire qu’on nous dise, quelle sera la portée de l’amendement de M. Liedts, combiné avec la modification relative au rendement qui vient de nous être présentée par le gouvernement. Je demande qu’on veuille bien m’éclairer à cet égard, car j’ai l’habitude de ne voter qu’en connaissance de cause.

Permettez-moi, messieurs, une observation sur une objection qu’on vient nous faire sans cesse, c’est que si nous augmentons le rendement, nos raffineurs ne pourront plus soutenir la concurrence avec les raffineurs hollandais : veuillez bien remarquer, messieurs, qu’en Hollande on fait précisément valoir le même argument contre ceux qui veulent augmenter le rendement dans ce pays ; cela n’a pas cependant empêché la Hollande de prendre l’initiative d’une semblable mesure. Si nous augmentons le rendement, il est bien certain, on au moins bien probable, que la Hollande, dans le fâcheux état financier où elle se trouve, en fera autant de son côté ; car la Hollande est aussi fatiguée des exigences du haut commerce que nous commençons à l’être des prétentions du nôtre ; et le jour où le gouvernement hollandais pourra s’étayer de l’exemple de la Belgique, il s’empressera d’augmenter le rendement.

Maintenant, messieurs, n’est-il pas déraisonnable (c’est par esprit de modération que je me sers de cette expression), n’est-il pas déraisonnable de soutenir qu’on peut maintenir l’état de choses actuel, qu’on doit rester dans le statu quo, alors que nos adversaires viennent nous dire qu’il entre 20 millions de sucre brut, qui paient en entrant 7 millions 4 cent mille et autant de flancs, et qu’il ne s’exporte que dix millions de sucre raffiné ? Si des 20 millions de sucre qui est importé dans le pays il ne s’exporte que dix millions, c’est-à-dire la moitié, l’autre moitié est consommée dans le pays, et doit payer le droit de consommation ; par conséquent la nécessité du droit d’entrée, c’est-à-dire 3 millions 8 cent mille et quelques francs, devrait être acquise au trésor : eh bien, messieurs, le trésor ne perçoit rien.

Je sais bien que les raffineurs prétendent nous démontrer qu’ils n’en mettent rien en poche, que le trésor n’y perd pas et que les consommateurs ne paient rien ; mais ce ne sont là que de pitoyables subterfuges. J’ai souvent entendu, devant les tribunaux, soutenir des absurdités pour sauver un malheureux débitant des trop grandes exigences de ses créanciers ; mais je déclare sur l’honneur que je n’ai jamais entendu un aussi grand nombre de chicanes que celles qui se sont produites depuis huit jours dans cette enceinte ; jamais je n’ai entendu soutenir, devant un tribunal, une thèse aussi absurde que celle-là par des sophismes plus absurdes.

Primitivement on niait que le commerce du sucre exotique jouît d’une prime ; on protestait chaudement contre cette assertion. Maintenant l’on est obligé d’en convenir, en ajoutant que cette prime est indispensable pour le soutien des raffineries et de la navigation. Cette prime est indispensable pour le soutien de la navigation ! ... Mais un des souteneurs de la navigation et du haut commerce disait, il y a un an, pour prouver les services du haut commerce, qu’il avait mission de faire les transports par mer de tous les produits, comme les entrepreneurs de roulage fournissent les moyens de transport par terre. J’accepte cette définition ; mais a-t-on jamais imaginé de donner une prime aux voituriers sur terre, pour faire arriver les marchandises indigènes à destination à l’étranger, à meilleur compte ? Mais pourquoi alors donneriez-vous 4 à 5 millions pour le simple voiturage par mer, alors surtout qu’il a été prouvé qu’il y a une telle concurrence, que beaucoup de bâtiments quittent nos ports sur lest ?

Pour ma part, je déclare franchement que je ne me soucie nullement d’une industrie qui a besoin de quatre ou de cinq millions pour exister, et je déclare consciencieusement qu’il m’importe peu qu’une pareille industrie périsse aujourd’hui plutôt que demain, car ce n’est pas une industrie, mais un abus.

Que se passe-t-il en Angleterre et en France où l’on a un tout autre intérêt à soutenir la marine marchande, parce qu’elles y trouvent, outre les avantages de l’exploitation de leurs colonies, celui de recruter des marins pour leur marine militaire ? Et nous n’avons ni l’un ni l’autre. Eh bien, malgré cette différence de position, en Angleterre les trois quarts à peu près du droit payé à l’entrée restent acquis au trésor ; en France, le trésor perçoit les deux tiers, et chez nous le trésor reçoit zéro ! Cet état de choses est intolérable.

Et veuillez remarquer, ainsi que l’ont fait observer judicieusement M. Eloy de Burdinne et d’autres orateurs, que nous sommes sous tous les rapports dans une position tout autre que la France et l’Angleterre : nous n’avons pas de colonies à favoriser ; nous avons d’un autre côté, dans le pays, une nouvelle industrie, à l’abri des événements du dehors puisqu’elle est attachée au sol, et on veut la sacrifier à sa naissance.

Les choses sont poussées à tel point par les puissants du haut commerce, que personne dans cette enceinte n’ose élever la voix pour soutenir une mesure de protection en faveur d’une industrie indigène cent fois plus recommandable que l’industrie exotique.

En un mot comme en cent, le sucre est une matière imposable, elle peut produire 4 à 5 millions, sans molester personne ; or, vous ne recevez rien ; il faut aviser aux moyens d’obtenir quelque chose ; dans ce but j’appuierai l’amendement de l’honorable M. Dubus ; je déclare toutefois que je donnerai avant tout mon assentiment à l’amendement de M. Dumortier, comme allant plus directement au but que nous nous proposons et que tout bon citoyen doit s’efforcer d’atteindre ; mais je rejetterai tous les autres amendements que je déclare franchement ne pas comprendre pour la plupart.

Je ne comprends pas, par exemple, l’amendement de M. Rogier, qui est, il me semble, en contradiction avec tout ce que lui et les partisans de son opinion vous ont dit. Ces messieurs ont prétendu pendant dix jours que les raffineries de sucre exotique ne pouvaient se soutenir sans la prime qui leur est actuellement accordée. Eh bien, ils viennent tout à coup faire l’abandon de cette prime ; ils consentent même à payer sans restitution 4 fr. de droit aux 100 kil.

Je ne puis pas comprendre qu’on ait pu sérieusement présenter cet amendement. Quant à moi, si je n’avais pas voulu jusqu’à ce moment d’un impôt de consommation sur le sucre exotique, je l’adopterais bien volontiers et en toute sécurité, mais je dirais aussi aux partisans du haut commerce : « Alors que nous soutenons des droits prohibitifs en faveur des raffineries de sucres exotiques, vous acceptez 60 fr. aux 100 kil. de sucres raffinés, pour favoriser vos raffineries de sucres exotiques : comment se fait-il que vous ayez la prétention d’exiger des producteurs du sucre indigène qu’ils se contentent d’une protection de 4 fr. au cent kilogrammes de sucres bruts introduits en Belgique ? »

Voilà, messieurs, où l’on voulait arriver, ainsi que l’a fait observer l’honorable M. Dubus. Les raffineurs voyaient bien que les gains illicites, scandaleux résultant du partage entre eux d’une somme de 4 à 5 millions, allaient leur échapper, non par une conséquence des changements qui seraient intervenus dans la législation actuelle, mais par suite du changement des rapports avec les nations qui nous environnent, et surtout de la culture de la betterave chez nous et chez nos voisins. Les raffineurs se sont dit alors : Nous nous dédommagerons sur le monopole de la consommation intérieure ; nous aurons le monopole de la raffinerie de sucre exotique, aux dépens de la production et de la raffinerie du sucre de betterave.

Je ne puis donc comprendre, à moins que le haut commerce n’ait eu l’intention d’exploiter exclusivement la consommation intérieure du pays, je ne puis comprendre dans quel but l’honorable M. Rogier aurait présenté son amendement qui allait tout à fait à l’inverse de ce que lui et les partisans du haut commerce avaient soutenu jusqu’à présent.

Si leur proposition est sincère, et j’aime à croire qu’elle est sincère, s’il est vrai qu’ils peuvent payer 4 fr. aux 100 kilog. de sucre brut sans obtenir aucune restitution, dès lors tombe tout cet échafaudage sur lequel ils ont étayé la nécessité d’une prime pour se maintenir, à l’étranger, en concurrence avec la Hollande et l’Angleterre. Dès lors aussi nous pouvons, en conscience et sans craindre de compromettre cette industrie, exiger une restriction plus équitable dans la restitution du droit. Nous pouvons restreindre le drawback à sa juste proportion. Nous pouvons au moins adopter l’amendement de M. Dubus qui assure à nos raffineurs un avantage de 15 p. c. sur les raffineries de France.

Je n’en dirai pas davantage. Je déclare que je voterai en première ligne pour l’amendement de M. Dumortier, et ensuite, s’il y a lieu pour celui de M. Dubus ; mais je rejetterai tous les autres amendements.

M. de Langhe. - J’ai à faire une question au ministère, et de la solution qui y sera donnée, dépendra mon vote.

Je demande comment il se fait que l’amendement de M. Liedts, que le ministre des finances a déclaré ne pouvoir produire que très peu au trésor, se trouve tout à coup changé en une disposition qui doit produire un million.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, l’honorable M. Gendebien avait parfaitement raison de dire que le simple droit de douane aurait pour objet de faire perdre au sucre exotique le commerce extérieur et de lui assurer exclusivement le marché intérieur. C’est aussi une des raisons pour lesquelles le gouvernement n’a pu se rallier à la proposition de M. Rogier. Cette proposition aurait dû être faite avant que des intérêts aussi considérables ne fussent engagés dans les sucreries de betterave ; maintenant la proposition nous paraît intempestive.

Au contraire, la proposition que j’ai eu l’honneur de soumettre augmente, il est vrai, le rendement dans une proportion plus forte, mais enfin elle l’augmente, et elle procure aussi un nouvel avantage à la concurrence des sucreries de betterave ; le rendement n’est aujourd’hui que de 55 1/2, tandis que d’après ma proposition, il sera de 57 et 60. D’autre part, les 10 p. c. fixes qui seront perçus, seront encore un désavantage pour les négociants et raffineurs de sucre exotique.

Il s’en suit donc que ma proposition assure une protection à l’industrie du sucre de betterave, et qu’elle crée en même temps une ressource pour le trésor.

L’honorable M. Gendebien a dit que la Hollande avait pris l’initiative dans la majoration du rendement sur les sucres exotiques ; que par conséquent nous ne devons pas craindre d’admettre une majoration de notre côte, même une majoration très considérable, parce que la Hollande ne manquera pas de nous imiter, vu la pénurie de son trésor.

Je pense aussi que la Hollande augmentera le rendement. Il n’en est pas moins vrai de dire, que si tout à coup nous augmentons le rendement d’une manière trop considérable, la Hollande pourrait bien s’abstenir de majorer le rendement à son tour, pour attirer chez elle tout le commerce du sucre exotique. C’est pour cela qu’il faut procéder avec une certaine prudence.

Il est à remarquer que le rendement actuel en Hollande est de 61 1/3 pour le sucre mélis, et de 64 1/4 pour les lumps. Ce que nous proposons est à la vérité inférieur à ces chiffres ; mais aussi nous proposons la perception fixe d’un dixième, augmentation qui compense largement la différence entre le rendement tel qu’il existe actuellement en Hollande, et le rendement que nous proposons.

M. de Langhe demande comment il se fait que les 10 p. c. produiront tout à coup un million. Messieurs, il est très vrai que les 10 p. c. ne sont pas destinés à produire un million. Pour obtenir ce million, il faudrait arriver à l’importation d’environ 20 millions ; mais je crois qu’on peut compter sur un minimum de 14 millions d’importation : ce qui produirait un droit certain de 518,000 fr.

Il est à remarquer que M. le ministre des finances ne renonce pas à ses autres propositions relatives à la prise en charge, etc., propositions qui sont de nature à ajouter à la perception du droit.

Sans doute, M. le ministre des finances et moi-même nous aurions désiré pouvoir imposer, tout d’un coup, d’un droit plus fort au profit du trésor, le sucre, cette matière essentiellement imposable comme objet de luxe ; mais nous avons été arrêtés par l’inquiétude que ces mesures répandaient dans une industrie où de grands capitaux sont engagés. C’est cette considération qui nous a engagés à modifier la proposition dans le sens que j’ai indiqué ; bien entendu que si l’exportation prenait un développement plus considérable et si la Hollande, persistant dans le système où elle est entrée, établissait une nouvelle augmentation à l’entrée des sucres, nous ne manquerions pas de proposer immédiatement la même mesure.

La proposition qui vous est faite doit être considérée comme transitoire, comme se rattachant à la législation de la Hollande et destinée à mettre un terme à l’inquiétude et à la perturbation qui s’étaient répandues dans le commerce et dans la raffinerie de sucre exotique.

M. Dubus (aîné). - Après les observations faites par l’honorable M. Gendebien pour faire apprécier le véritable caractère de la proposition, prétendue conciliatrice, déposée à l’instant par M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, il me restera peu de chose à dire.

Je crois cependant devoir déclarer que je ne retire pas mon amendement ; je le maintiens, et je crois qu’il est absolument nécessaire que la chambre l’adopte.

Je veux faire remarquer à la chambre que la proposition du ministre, dans une de ces bases, est insignifiante et nulle. Il valait mieux ne pas changer le rendement que le changer ainsi. Le rendement était calculé à 55 1/2. Il était reconnu par tout le monde, je pense, que ce rendement était insuffisant. On vous propose d’élever le rendement le sucre métis à 57, ce qui fait tout au plus une différence de 3 p. c. Lorsqu’il y a un vice dans le calcul du rendement, assurément on ne le corrigera pas par une modification qui équivaut à peine à 3 p. c.

Pour le sucre lumps on porte le rendement à 60.

Une chose qui n’est contestée par personne, qui est avouée par ceux-là même qui combattent mon amendement, c’est que le chiffre du rendement adopté en Hollande est maintenant insuffisant. Le ministre vient se placer entre le rendement actuel et le rendement adopté en Hollande. Encore se rapproche-t-il beaucoup plus du rendement actuel. De sorte qu’il est évident que ce changement de rendement n’amène aucune amélioration.

Le chiffre hollandais est de 61-64. Vous voyez que ce chiffre est plus au-dessus du chiffre propose par le ministre que ce dernier chiffre n’est au-dessus du rendement actuel.

La commission vous dit que le rendement tel qu’il est en Hollande donne lieu à des recettes de plus en plus désastreuses. M. Hye-Hoys vous dit que cette faible augmentation du rendement a augmenté l’activité des raffineries, de telle sorte qu’elles ont absorbé la totalité des droits que le gouvernement voulait faire rentrer dans le trésor. Ainsi le droit établi en Hollande est évidemment insuffisant.

Entre deux chiffres évidemment insuffisants, 55 et 64, le ministre propose une moyenne. On ne comprend pas une pareille manière de procéder. En présence de deux chiffres insuffisants, on ne propose pas une moyenne ; on se place au-dessus de ces chiffres : Telle est ma proposition.

Sur ce point je dois ici rencontrer une observation de l’honorable M. Verdussen, qui vous a dit que la France n’exportait que le onzième de son importation et que je voulais réduire nos exportations à cette proportion. En supposant la prémisse, je dois contester la conséquence.

Si l’honorable M. Verdussen pouvait dire : « Avec le chiffre. français l’exportation est du 11ème de l’exportation ; or, vous proposez le chiffre français ; donc vous voulez réduire nos exportations au 11ème de nos importations, » à la bonne heure ; mais pas du tout. Je propose une moyenne entre le chiffre hollandais et le chiffre français, et même ma proposition se rapproche plus du chiffre hollandais que du chiffre français. Par conséquent, la conséquence à laquelle arrive l’honorable M. Verdussen n’est pas admissible.

M. le ministre a demandé l’adoption de l’amendement de l’honorable M. Liedts pour qu’il rentre quelque chose au trésor ; mais alors il peut douter si le chiffre que je propose fera rentrer quelque chose dans le trésor. Eh bien, alors qu’il doute si le chiffre de 70 est suffisant, il propose les chiffres de 57 et 60.

Si l’on veut adopter l’amendement de l’honorable M. Liedts, et en même temps porter une modification au rendement, c’est la modification que je propose qui doit être adoptée, parce que c’est celle-là qui présente le plus de chances d’opérer une modération utile dans les exportations, et de faire rentrer quelque chose dans le trésor.

Je ne puis donc que maintenir ma proposition.

M. Coghen. - Je n’ai pas encore pris part à la discussion de l’objet important qui nous occupe. J’ai voulu laisser aller les débats et je les ai écoutés attentivement.

La proposition faite par M. le ministre des finances pour le traitement d’un quart du droit d’accise, et celles faites par d’autres honorables membres et tendant à forcer le rendement, allaient trop loin dans un sens, et ceux-ci sans atteindre peut-être le but.

La proposition soumise à la chambre par M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, et qui serait de frapper le sucre par un dixième du droit, combiné avec une augmentation du rendement de 55 à 57 et à 60, en admettant le système de la suppression de la surtaxe de 4 p. c. et du déchet, renforcé par la différence quant au transfert, puisqu’on sera obligé au transfert réel des marchandises, produira, je crois, plus d’un million de revenu pour l’Etat.

Il doit être dans la pensée de nous tous de ne pas écraser les industries considérables qui existent dans le pays. Si cela est vrai, nous devons aussi, je crois, faire contribuer un objet qui, par sa nature, doit contribuer aux charges de l’Etat ; car il est d’autant plus imposable qu’il est presque exclusivement consommé par le riche.

Dans ma pensée, je puis admettre la proposition de M. le ministre de l’intérieur comme disposition transitoire. Nous verrons l’effet qu’elle aura eu au bout d’un an.

Nous sommes ici dans une position embarrassante. Nous ne devons pas nous faire illusion. Les événements qui ont assuré l’indépendance de la Belgique, ont eu pour résultat de restreindre notre commerce maritime ; et jusqu’au moment où nous pourrons réunir l’Escaut au Rhin, je crois qu’il importe de favoriser par une disposition transitoire le peu de commerce qui nous reste pour l’introduction et l’exportation du sucre.

La proposition de l’honorable M. Rogier n’aurait pas rencontré mon approbation.

Cette proposition serait mortelle une industrie naissante, une industrie nationale que nous devons appuyer, car elle finira par affranchir le pays d’un impôt de 12 millions de francs que nous payons à l’étranger.

Mais sans doute le calcul a été celui-ci ; on a cru porter par infiltration en Hollande, en Prusse et surtout en France, le produit de nos raffineries, et de trouver ainsi la compensation des débouchés actuels d’exportations qui nous manquerait si un admettait ce système.

La disposition transitoire proposée par M. le ministre de l’intérieur aura mon appui, en attendant l’époque où l’on pourra prendre d’autres mesures pour les sucres exotiques et les sucres indigènes qui doivent aussi plus tard, quand cette industrie sera affermie, payer des droits au trésor.

- La clôture est mise aux voix et adoptée.


L’amendement de M. Dumortier, ainsi conçu :

« 1° Sur les sucres raffinés de la catégorie A du ministre, à 75 p. c.

« 2° Sur les sucres raffinés de la catégorie B du ministre, à 78 p. c.

« 3° Sur les sucres raffinés de la catégorie D du ministre, à 90 p. c. », est mis aux voix ; il n’est pas adopté.


L’amendement de M. Dubus (aîné), ainsi conçu : « A 41 fr. les 100 kil, des sucres raffinés désignés, dans la proposition de M. le ministre des finances. sous le litt. A

« Et à 38 fr. les 100 kil, des sucres raffinés, dits lumps, désignés, dans la même proposition, sous le litt. B. », est mis aux voix par appel nominal.

Voici le résultat du vote

73 prennent part au vote ;

41 votent pour l’adoption ;

32 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Bekaert-Baeckelandt, Berger, Brabant, Coppieters, Corneli, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel, de Mérode (F.), de Mérode (W.), Demonceau, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, d’Hoffschmidt, Doignon, Dolez, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de Burdinne, Gendebien, Heptia, Jadot, Lardinois, Lecreps, Mercier, Metz, Morel-Danheel, Pirmez, Raymaeckers, Seron, Simons, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Van Volxem, Wallaert, Zoude.

Ont voté contre : MM. Andries, Coghen, de Brouckere, de Florisone, de Foere, de Jaegher, de Man d’Attenrode, de Nef, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, Donny, B. Dubus, Duvivier, Ernst. Hye-Hoys, Kervyn, Lejeune, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Milcamps, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Smits, Thienpont, Ullens, van Hoobrouck, Verdussen.


M. le président. - La chambre a maintenant à statuer sur l’amendement de M. Liedts .

M. Liedts. - Je le retire.

M. Dumortier. - Je le reprends.

M. Rogier. - Je pense que M. le ministre des finances a proposé un amendement qui doit être mis aux voix avant l’amendement de M. Liedts ; car il s’écarte davantage de la proposition de la commission puisqu’il établit un droit non de 10, mais de 25 p. c. Je suis étonné même que M. Dumortier n’ait pas repris, au lieu de l’amendement de M. Liedts, cet amendement de M. le ministre des finances.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Il est bien certain que l’amendement de M. le ministre des finances est écarté par suite de la proposition que j’ai faite.

Quant à la disposition relative aux 10 p, c., si nous en demandons l’adoption, c’est dans la pensée que la chambre reviendra au second vote sur la décision qu’elle vient de prendre quant au rendement.

M. Gendebien. - Lorsqu’on a parlé de 10 p. c. sur les droits, les droits étaient de 37 fr. ; ce serait donc 3 fr. 70 que le sucre paierait à l’entrée par 100 kilog. Je trouve que ce n’est pas trop.

M. Coghen. - Comme vient de le dire l’honorable préopinant, le droit étant de 37 fr., la disposition proposée représente un droit de 3 fr. 70 c., et par conséquent ne permettrait à l’exportation d’agir que sur les 9 autres dixièmes du droit.

M. Verdussen. - J’ai entendu l’honorable M. Gendebien énoncer un chiffre qui n’est pas exact.

Il faut bien comprendre la portée de l’amendement sur lequel on va voter.

D’après ce qu’ont dit les honorables préopinants, le droit serait simplement fixé à 37 fr.

M. Gendebien. - C’est ainsi que je l’ai entendu !

M. Verdussen. - De sorte que si l’importation est décuplée, il faudra tout de même que le dixième soit payé ? Telle est la portée de l’amendement sur lequel vous allez voter.

M. Gendebien. - C’est bien cela !

M. Lardinois. - Je demande la parole sur la position de la question. Je voudrais savoir si l’amendement de M. Liedts, reproduit par M. Dumortier, ne consacre pas le principe de la rétroactivité.

M. le président. - Cet amendement est rédigé de la même manière que l’article premier du ministre des finances.

M. Dumortier. - Comme j’ai fait mien l’amendement de M. Liedts, j’ai le droit de répondre. Il y aurait rétroactivité si l’on faisait payer le droit sur des sucres qui ont déjà payé pour entrer en consommation...

M. le président. - C’est le fond !

M. Dumortier. - J’ai droit de répondre, et je répondrai. On ne peut faire payer que sur les quantités de sucre qui peuvent être déclarées en consommation. Au reste, l’amendement ne dit pas à quelle époque on percevra sur les sucres d’après la loi nouvelle.

M. de Brouckere. - Mais c’est bien là entrer dans le fond.

M. Coghen. - Au second vote, j’expliquerai pourquoi on ne peut admettre la rétroactivité.

M. Desmaisières. - Je voudrais expliquer ce qu’a dit M. Dumortier. La rétroactivité ne sera mise en discussion que quand on délibérera sur l’article dernier. Si vous mettiez la loi en vigueur au 1er janvier, il y aurait rétroactivité.

M. Gendebien. - Il y aura un second vote ; vous pourrez méditer d’ici là sur la portée des dispositions que vous admettez. Si elles consacraient la rétroactivité, je serais le premier à les repousser. Nous votons l’amendement de M. Liedts ; dans quatre jours nous serons éclairés sur son effet, et nous pourrons revenir sur cet amendement, s’il n’est pas convenable.

- Ou procède par appel nominal sur l’amendement de M. Liedts, reproduit par M. Dumortier.

76 membres sont présents.

49 votent l’adoption.

23 votent le rejet.

4 s’abstiennent de prendre part à la délibération.

En conséquence, l’amendement est adopté.

MM. de Foere, Rogier, Smits, Verdussen, qui se sont abstenus, en expriment les motifs de la manière suivante :

M. de Foere. - Messieurs, si l’amendement de M. Dubus n’avait pas été adopté, j’aurais voté pour celui de M. Liedts. Dans ma pensée, cette dernière proposition conciliait tous les intérêts, celui du trésor et celui de l’industrie des sucres. Maintenant que les bases sur lesquelles reposait l’amendement de M. Liedts ont été totalement renversées, j’ai cru que c’était une espèce d’absurdité de le rattacher à celui de M. Dubus qui vient d’être adopté. Aussi, dans l’état où se trouve la question, je n’ai pu examiner la portée de l’amendement de M. Liedts ; par conséquent, je n’ai pu voter ni pour ni contre cet amendement.

M. Rogier. - J’étais, en principe, pour l’amendement de M. Liedts ; je n’ai pas voulu voter contre parce que j’espère qu’au second vote il sera écarté ; je n’ai pas voulu en voter l’adoption parce qu’après l’adoption de la proposition de M. Dubus c’est frapper deux fois une industrie qui a besoin de protection, c’est une double absurdité.

M. Smits. - Je me suis abstenu par les motifs que vient d’exposer l’honorable préopinant.

M. Verdussen. - J’ai trouvé que ceux qui étaient appelés en juger avaient fait une grande concession en adoptant le principe de l’amendement de M. Liedts ; mais je ne pourrais admettre cet amendement en l’accolant à la proposition de M. Dubus .

Ont voté l’adoption : MM. Andries, Bekaert, Berger, Brabant, Coppieters, Corneli, de Brouckere, de Florisone, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Puydt, de Renesse, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, Doignon, Dolez, Dubus (aîné), Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Gendebien, Heptia, Jadot, Lecreps, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Seron, Simons, Vandenbossche, Van Volxem, Wallaert et Zoude.

Ont voté le rejet : MM. Coghen, de Nef, Dequesne, Desmaisières, Desmet, Devaux, Donny, B. Dubus, Hye-Hoys, Kervyn, Lardinois, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Metz, Milcamps, Thienpont, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenhove, Van Hoobrouck de Fiennes.

Article 2 (du projet ministériel) et article 2 (du projet de la commission)

M. le président. - Voici l’article 2 du projet du ministre des finances :

« Art. 2. La décharge pour l’exportation du sucre est fixée en principal :

« A. A 48fr. les cent kil. de sucres raffinés en pains dits métis, entiers, blancs, parfaitement épurés et durs, et de sucres candis à larges cristaux, clairs et reconnus secs.

« B. A 46 fr. les 100 kilog. de sucres raffinés en pains dits lumps, entiers, blancs, sans teinte rougeâtre, durs, non spongieux et bien épurés.

« C. Au taux respectivement établi aux A et B pour les sucres en pains, mélis et lumps, concassés en morceaux, ou pilés dans un magasin spécial de l’entrepôt libre out public du dernier port de l’exportation, pour autant qu’ils réunissent les qualités indiquées auxdits paragraphes A et B.

« D. A 26 71 20/100fr. (12 fl. 60 cents, à raison de 2 f. 12 c. par florin) par 100 kil. de tous autres sucres raffinés, tels que sucres candis dits manqués à petits cristaux humides revêtus de croûte, et sucres spongieux de teinte rougeâtre. »

Voici l’article 2 de la proposition de la commission, regardé comme proposition primitive :

« Art. 2. La décharge pour l’exportation des sucres est fixée :

« A. A 70 fr. 80 c. par cent kilogrammes de sucres candis et de sucres en pain ou en morceaux entièrement épurés et blanchis.

« B. A 69 fr. 56 c. par cent kilogrammes de sucres raffinés dits lumps, de nuance blanche, entièrement épurés.

« C. 40 fr. par cent kilogrammes de sucres bruts ou de tous autres sucres raffinés, non raffinés ou mélangés de sucré brut, en tenant compte pour les premiers de la tare et autres conditions sous lesquelles ils ont été importés.

« La décharge des droits ne sera pas accordée pour exportation de sucres bruts ou de sucres raffinés, mélanges avec du sucre brut. »

M. Verdussen. - Messieurs, vous avez adopté l’amendement de l’honorable M. Liedts, et, par conséquent, une partie de l’article de M. le ministre, sauf à remplacer les mots trois quarts par ceux de neuf dixièmes ; mais, messieurs, vous n’avez pas encore décidé si cette disposition sera applicable aux comptes déjà ouverts comme aux comptes à ouvrir ; c’est cette question qu’il faudrait maintenant discuter ; il s’agit de savoir si nous voulons donner à la loi un caractère de rétroactivité, et ce n’est pas, comme on l’a dit, à l’article dernier qu’il s’agira de cela, mais à l’article premier qui, tel qu’il est proposé par M. le ministre, consacrerait cette rétroactivité.

Je pense toujours, messieurs, que la disposition ne peut pas s’appliquer aux reliquats de comptes ouverts, car il y a là une espèce de contrat synallagmatique entre le gouvernement et le raffineur ; c’est le gouvernement qui a dit au raffineur : « Je vous débite de telle somme que vous pourrez acquitter, soit en espèces, soit en exportant du sucre raffiné. » C’est là, messieurs, un engagement de la part du gouvernement, et il ne peut être dispensé de le remplir ; le raffineur qui a introduit du sucre sous la foi de ce contrat doit pouvoir, jusqu’à la fin, jouir des conditions auxquelles il l’a importé.

Je demande donc qu’on vote sur l’article 1er avec l’amendement de M. Liedts, et qu’on en retranche les mots : « les reliquats de comptes ouverts. »

M. le président. - L’amendement de M. Liedts, qui a été adopté, s’applique aux comptes ouverts comme aux comptes à ouvrir ; si l’on veut revenir sur cette disposition, on pourra toujours le faire au second vote.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, avant que la séance ne soit levée, je dois rappeler à la chambre la nécessité de s’occuper du renouvellement du jury d’examen ; il faut que les deux chambres et le gouvernement fassent leurs choix avant le 1er janvier. Nous pourrions soit tenir une séance du soir, soit nous réunir demain et après-demain à 11 heures, pour nous occuper de cet objet ; de cette manière nous pourrions reprendre, vers une heure, nos discussions, et nos travaux ne seraient pas interrompus.

M. Mast de Vries. - On a toujours nommé les membres du jury d’examen dans une séance du soir ; je demande qu’on se réunisse demain soir à 7 heures pour cet objet.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Si l’on veut se réunir le soir, cela m’est indifférent ; mais je demande qu’on s’occupe de cet objet dès demain, car il faut que le sénat ait aussi le temps de faire ses choix.

M. de Nef. - Je propose à la chambre de se réunir vendredi à midi précis.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Si l’on veut s’occuper de cet objet le matin, je demanderai alors qu’on se réunisse à 10 heures précises ; de cette manière nos travaux ne seront pas interrompus.

M. Mast de Vries. - Si l’on ne veut pas de séance du soir, je demande que la chambre se réunisse vendredi matin à dix heures, pour s’occuper du renouvellement du jury d’examen.

Cette proposition est adoptée.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, vous venez de décider que vous nommeriez vendredi les membres du jury d’examen ; les deux années précédentes, vous m’aviez fait l’honneur de me choisir pour remplir une place pour la délivrance des diplômes de docteur en droit ; d’autres fonctions que je remplis et l’état de ma santé sont cause que je n’ai pas pu prendre part aux travaux du jury d’examen en 1837, et comme je prévois la même chose pour 1838, j’ai cru devoir en prévenir ceux de mes honorables collègues qui voudraient encore m’honorer de leur suffrage.

M. le président (M. Raikem). - Je dois, messieurs, faire une semblable déclaration. Cette année et l’année précédente j’ai cherché à remplir, avec tout le zèle dont je suis capable, les fonctions que la chambre m’avait confiées ; maintenant il ne me serait plus possible de m’acquitter des mêmes fonctions ; je prie par conséquent les membres qui voudraient m’honorer de leur suffrage, de le reporter sur un autre candidat.

Proposition de loi

Dépôt

M. le président annonce qu’une proposition a été déposée par M. C. Rodenbach, et qu’elle est renvoyée aux sections pour voir si la lecture en sera autorisée.

Projet de loi fixant les droits sur le sucre

Discussion des articles

Article 1

M. Dumortier demande qu’on passe au vote sur l’article premier.

M. Verdussen déclare ne pas s’y opposer, se réservant de revenir sur cet article au second vote.

L’article premier, amendé par M. Liedts, est mis aux voix et adopté.

Article 2

M. Verdussen. - Messieurs, j’ai plusieurs observations à faire sur l’article 2 ; comme je serai obligé d’être un peu long, je désirerais que la discussion fût remise à demain.

M. Dumortier. - Si nous voulons avoir quelques jours de vacance, il faut absolument voter la loi des sucres ; je demande donc qu’on entende l’honorable M. Verdussen, et qu’on vote aujourd’hui sur l’article 2.

M. Gendebien. - A moins que la chambre ne soit décidée à lever la séance, je ne vois le moindre inconvénient à ce qu’on entende aujourd’hui l’honorable M. Verdussen ; ce sera une demi-heure de gagnée sur la séance de demain, et alors nous pourrons au moins espérer de voter demain quelque chose.

M. Verdussen. - Messieurs, je ne puis comprendre dans un seul examen, tous les litteras qui se trouvent dans l’article du projet de M. le ministre des finances. Je commencerai par le littera A.

Je trouve que si M. le ministre des finances avait puisé ses lumières aux sources de l’expérience, il aurait sans doute élagué du paragraphe A de l’article 2 plusieurs mots qui s’y trouvent.

Cet article 2 pose entre autres que la restitution sera établie par 100 kilog. de sucres raffinés en pain, dits métis, « entiers. » Entiers ! mais, messieurs, le projet du ministre des finances admet plus loin, au paragraphe C, que les sucres en pain, mélis, ne doivent pas être entiers, puisqu’il sera permis de les briser dans un entrepôt libre ou public, sous la surveillance de l’administration.

On ne tient donc pas essentiellement à cette circonstance, que le pain soit entier, et en effet il y a quelque absurdité à vouloir que le pain soit entier.

C’est la qualité du sucre et non sa forme qu’il s’agit de fixer ici. Il faudrait connaître la manière dont les raffineurs sont quelquefois obligés de livrer à la consommation des pains qui ne sont pas entiers. Croiriez-vous que lorsque leurs pains sont sur le point d’être retirés des formes, un orage, un feu un peu trop ardent, un rayon du soleil qui donne trop fortement sur les sucres, qu’un de ces incidents, dis-je, peut faire que les pains ne soient plus entiers, et deviennent ce que nous appelons des cassons ?

Ainsi, messieurs, nous ne pouvons pas exclure du paragraphe A de l’article 2 les pains qui, pour avoir la tête coupée, n’en sont pas pour cela d’une qualité de sucre plus inférieure.

Je propose donc de retrancher le mot « entiers » du paragraphe A.

A la fin du même paragraphe se trouvent ces mots :

« Et de sucres candis à larges cristaux, clairs et reconnus secs. »

« A larges cristaux, » messieurs ; mais ce serait une bataille à soutenir tous les jours, par les raffineurs qui exportent, contre les préposés de l’administration. Quand les cristaux seront-ils assez larges ? Quand ne le seront-ils pas ? A cet égard, messieurs, n’introduisons pas dans la loi des dispositions aussi vagues et qui prêteront beaucoup à l’arbitraire ; dans tel bureau, on trouvera que le candi est à petits cristaux, qui, dans telle autre localité, sera trouvé assez diamanté. D’ailleurs, ici, c’est encore le cas de dire que la beauté de la forme n’ajoute rien à la qualité du sucre, qui n’est pas moins fin pour avoir moins d’éclat ; un accident qu’on ne peut ni toujours prévoir ni prévenir, en décide quelquefois. Lorsque les pots à candi se trouvent dans l’étuve où l’ouvrier travaille, si celui-ci a le malheur de heurter la planche sur laquelle ils sont placés, toute cette rangée de pots donnera du candi raide, tandis que la planche à côté, qui n’aura pas bougé, en donnera de beau ; l’un et l’autre proviennent cependant du même sucre ; un courant d’air un peu vif peut produire le même effet sur les pots à candi récemment remplis ; il y aurait donc de l’injustice à faire souffrir le raffineur de pareils accidents, et je pense que les sucres candis auxquels ils arrivent ne doivent pas être par là exclus du bénéfice du paragraphe A de l’article 2 ?

Je pense donc qu’il ne faut conserver dans ce paragraphe ni le mot « entiers, » ni ceux-ci : « à larges cristaux. » J’en propose la suppression.

M. Mercier. - Toutes les qualités stipulées dans les différents paragraphes de l’article ne peuvent y avoir été introduites que pour empêcher les abus qui sont résultés de l’absence d’une définition précise des sucres admis à l’exportation, avec jouissance de la haute décharge dans la loi actuellement en vigueur. Du reste, il faut entendre par sucres en pains entiers ceux que l’on considère comme tels dans le commerce. On a cru qu’il était convenable d’exiger cette condition pour ne plus être exposé à devoir admettre du sucre brut pour du sucre raffiné, la distinction étant souvent très difficile à établir, et surtout à prouver. Ainsi, du sucre de havane blanc, par exemple, est réellement plus beau que bien des sucres déclarés impunément à l’exportation comme sucres raffinés, et il a pu facilement y être substitué. Toutefois, il serait absurde de supposer que le gouvernement n’admît à l’exportation que des pains de sucre dont aucune parcelle ne serait enlevée. Si quelques têtes de pains de sucre sont tombées sans qu’il y ait doute sur la qualité du sucre même, il est évident qu’on n’ira pas, pour ce seul motif, refuser l’exportation de la partie déclarée. En procédant avec une telle rigueur, pas un seul pain de sucre ne serait exporté ; car il serait toujours possible de trouver qu’une parcelle en a été détachée. C’est donc simplement une condition dont l’expérience a fait reconnaître la nécessité pour empêcher que du sucre brut ne soit substitué au sucre raffiné. Il est vrai, ainsi que l’a fait observer l’honorable M. Verdussen, que le paragraphe C autorise l’exportation des sucres concassés, en morceaux ou pilés ; mais remarquez bien, messieurs, que dans ce cas les sucres doivent préalablement réunir les qualités indiquées par les paragraphes A et B, et que c’est dans l’entrepôt libre ou public, sous les yeux des agents du gouvernement, qu’ils subissent une manipulation. Les sucres candis à larges cristaux sont également ceux qui sont bien connus comme tels dans le commerce et que l’on considère comme sucres candis bien raffinés. Je pense donc que pour mettre fin à tous les abus dont on s’est plaint, il convient de laisser subsister ces deux conditions dans l’article 2 de la loi.

M. Coghen. - Messieurs, le paragraphe 2 de l’article 2 dit que les pains doivent être entiers ; la loi s’exprime donc d’une manière positive. L’administration peut-elle adoucir l’expression de la loi ? Je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que lorsque la disposition est écrite dans la loi, il faut l’exécuter. Or, maintenir cette disposition, me paraît devoir nuire encore à l’exportation. Je crois donc qu’on peut supprimer sans aucune crainte le mot « entiers. »

M. Desmet. - Messieurs, j’aurais bien aimé que M. le ministre des finances qui a proposé l’amendement eût été présent pour s’expliquer sur l’amendement. Messieurs, veuillez prendre attention que la disposition contient le mot de « pain, » ainsi donc il y a facilité de voir si c’est un pain ou morceau ; si au pain il manque quelques parties qui seraient brisées, ce ne serait pas moins un pain. Qu’on veuille m’en croire, la définition telle qu’elle a été présentée par le ministre, est nécessaire pour prévenir les exportations frauduleuses, que des sucres simplement égouttés seront exportés pour des sucres entièrement raffinés ; il est connu que pour un raffinage parfait toutes les parties du pain doivent être blanches, et c’est là le but principal de la définition du ministre, parce qu’il sait, comme tout le monde, que la plus grande partie de l’exportation, pour jouir de la prime, consistait en des lumps verts, qui n’étaient que très peu raffinés, qui n’avaient subi qu’un simple égouttage.

M. Rogier. - On a dit, messieurs, que le mot « entiers » pouvait rester sans inconvénient, parce qu’il est bien entendu qu’un pain qui aurait perdu un petit morceau serait toujours considéré comme entier. Beaucoup des pains qu’on exporte n’ont pas seulement perdu un petit morceau, mais ils ont perdu la tête. Je demande s’il entre dans les intentions de l’administration de considérer ces pains comme entiers ?

M. F. de Mérode. - Dans toutes ces questions il y a une espèce de modus in rebus. Certainement si vous entendiez par pain entier un pain auquel il ne manque absolument rien, il y en aurait un grand nombre qui ne pourraient pas passer pour entiers ; mais il est évident que lorsqu’il manquera un morceau à la pointe du pain, celui-ci n’en sera pas moins considéré comme entier.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, il est évident qu’il faut supprimer le mot « entiers ; » les lois, avant tout, doivent être précises ; et, quand la législature insère une disposition dans une loi, elle peut certainement que cette disposition soit appliquée dans la pratique.

Ainsi, lorsqu’on dit ici que les pains doivent être entiers pour jouir de la haute décharge, il est bien certain que lorsqu’une exportation se présentera pour jouir de la haute décharge, le pain qui ne sera pas entier, dont ou aura coupé la tête, comme l’a dit l’honorable M. Rogier, pourra ne pas être admis.

L’on ne peut pas laisser à l’administration le droit de dire : Ceci un pain entier, parce qu’il n’y manque que telle partie ; cela n’est pas un pain entier, parce qu’il y manque telle partie. Quand l’exportateur voudra procéder contre l’administration, il devant les tribunaux ; il dira : L’administration soutient que je ne dois pas jouir de la haute décharge, parce qu’il manque la tête à mon pain. Eh bien, le tribunal devra condamner l’exportateur, parce qu’il devra interpréter la loi d’une manière précise. Il faut supprimer le mot « entiers. »

Ceci n’est pas un pain, parce qu’il y manque tel morceau.

Quand l’exportateur se présente devant les tribunaux, il dit : L’administration prétend que je ne puis pas jouir de la haute décharge, parce que ces pains manquent de tête ; et le tribunal doit condamner l’exportateur, parce qu’il doit appliquer la loi dans son sens précis ; il faut donc absolument supprimer le mot « entiers. »

M. F. de Mérode. - C’est précisément pour éviter les facilités que les tribunaux pourraient donner à l’exportateur qu’il faut maintenir le mot « entiers. » Si ce mot est supprimé il sera difficile de décider si la haute décharge doit être accordée. Les tribunaux sont plutôt disposés à être favorables aux particuliers qu’au trésor ; de manière que je vois dans ce mot « entiers » une garantie contre une fraude qui pourrait avoir lieu s’il n’y était pas.

D’ailleurs, lorsque l’administration verra que la haute décharge doit être accordée, elle l’accordera. Elle ne s’attache pas à vexer les négociants et les autres particuliers avec lesquelles elle a affaire ; car si l’administration voulait mettre les points sur les i, il n’y aurait pas moyen d’exister.

M. Gendebien. - Je n’ai pas la prétention d’éclairer cette discussion, mais on m’a dit que lorsqu’on voulait frauder les droits en portant du sucre tapé comme sucre raffiné, on peut le reconnaître à l’extrémité du cône qui ne peut jamais sécher complétement. Je voudrais savoir si cette circonstance est à la connaissance de l’administration.

Il me semble ensuite que l’administration devrait se mettre en mesure de justifier le mot « entiers » qu’elle croit nécessaire d’insérer dans la loi. J’ai entendu faire des objections sérieuses contre la proposition du mot « entiers ; » je voudrais qu’on les réfutât ; je voudrais que le ministre s’entourât de notions suffisantes pour les réfuter. Pour moi, j’avoue que quant à présent je ne comprends pas très bien l’utilité du mot « entiers ; » je voudrais que l’on nous donnât des renseignements.

M. Coghen. - Il y a eu beaucoup d’abus pour l’exportation, parce qu’on est parvenu à mettre le sucre brut dans des formes et à lui donner la forme de sucre en pain ; ce sucre prend ainsi toutes les formes qu’on veut lui donner ; mais il est facile à reconnaître, car il n’est pas dur et cède au moindre toucher.

Quant au mot « entiers, » il n’est pas nécessaire ; car le paragraphe de la loi contient le mot « en pain, » ce qui exclut les morceaux, lesquels sont régis par un autre paragraphe.

M. Mercier. - On nous dit que la qualification de pain de sucre suffit et qu’ainsi on pourra admettre ceux qui sont plus ou moins endommagés ; mais alors quelle sera la limite à laquelle on s’arrêtera pour décider que tel sucre qui a perdu jusqu’à un certain point la forme de pain de sucre pourra encore être considéré comme tel, et comment en agira-t-on à l’égard du sucre qui sera présenté comme partie détachée ? Je ne puis que répéter que la condition stipulée dans l’article me paraît nécessaire pour empêcher que la haute décharge ne soit accordée à l’exportation de sucres bruts, ou mal raffinés, ou mélangés, au lieu de sucres réunissant les qualités voulues.

Le moyen de fraude indiqué par l’honorable M. Gendebien a aussi été signalé à l’administration ; lorsque j’ai pris la parole il y a quelques instants, j’ai fait remarquer que de nombreux abus ont été commis par suite de l’absence de dispositions précises sur cet objet, mais je n’ai pas cru devoir entrer dans l’énumération de toutes les manœuvres à l’aide desquelles on a abusé de la loi en vigueur.

Du reste, on ne doit pas considérer la disposition qui fait l’objet de la contestation comme devant être exécutée avec rigueur. On n’examinera pas chaque pain de sucre comme a paru le supposer un honorable membre : le gouvernement qui ne peut avoir d’autre but que d’empêcher la reproduction d’abus préjudiciables à l’Etat et au commerce même fera exécuter la loi avec loyauté et de manière à n’entraver que l’importation des sucres qui, en général, seront défectueux.

Je me bornerai à ces explications ; la chambre reconnaîtra, je l’espère, s’il y a lieu de maintenir ou de supprimer les conditions indiquées par l’honorable M. Verdussen.

M. Rogier. - Je demande que M. le ministre des finances soit entendu sur cette question ; nous n’avons été que trop privés de son concours. Il s’agit ici d’une question d’interprétation sur laquelle il est utile que la chambre connaisse l’opinion de M. le ministre des finances. Je demande le renvoi à demain afin que M. le ministre des finances s’explique, soit par lui-même, soit par l’organe de ses collègues.

Plusieurs membres. - Oui, demain !

Projet de loi relatif à la canalisation de l'Escaut et de Lys

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) présente le projet de loi suivant :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut.

« De l’avis de notre conseil des ministres,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Notre ministre des travaux publics est chargé de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :

« Considérant qu’il est devenu nécessaire de perfectionner la navigation de l’Escaut et de la Lys par des travaux de canalisation :

« Vu l’article premier de la loi du 19 juillet 1832, portant : « Le gouvernement est autorisé à concéder des péages pour un terme qui n’excédera pas 90 ans, en se conformant aux lois existantes. Sont exceptées de la présente disposition les concession pour travaux de canalisation des fleuves et des rivières. »

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété, et nous ordonnons ce qui suit :

« Art. 1. La navigation de l’Escaut et de la Lys sera perfectionnée, celle de l’Escaut au moyen de barrages éclusés, et celle de la Lys au moyen de barrages avec écluses à sas.

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à faire exécuter ces travaux, séparément ou réunis, par voie de concession de péages en se conformant aux dispositions de la loi du 19 juillet 1832.

« Toutefois il pourra, directement et sans adjudication publique, accorder la concession aux provinces intéressées ou à l’une d’elles.

« Mandons et ordonnons, etc.

« Bruxelles, 27 décembre 1837.

« Léopold.

« Par le Roi : Le ministre des travaux publics, Nothomb. »

- La chambre ordonne l’impression de ce projet de loi et de l’exposé de ses motifs.

La séance est levée à 4 heures 3 quarts.