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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21
février 1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif aux droits sur le café
(de Foere)
3) Projet de loi relatif à la canalisation de la
Grande-Nethe (Peeters)
4) Projet de loi organisant le jury d’assises.
Discussion des articles. Conditions d’exemption aux fonctions de jurés
(notamment des membres de la cour des comptes) (Ernst, Ernst, de Behr, Dubus
(aîné), Ernst, de Behr, Lebeau, de Muelenaere, Pollénus, Ernst, Angillis, Pollénus, Gendebien, Pollénus, Ernst, de Behr, Gendebien),
nombre de jurés convoqués et/ou incompatibilités parlementaires (Ernst, Pollénus, Ernst,
Dumortier, de Behr, Metz, de Behr, Ernst,
Verdussen, Dumortier, Raymaeckers, de Behr, Pollénus), jurés supplémentaires (Verhaegen,
Ernst, de Behr, Verhaegen, Ernst, Gendebien, Metz, Lebeau,
Ernst, Gendebien, Metz), possibilité de reporter des affaires d’une série à une
autre (Verhaegen, de Behr, Ernst, Maertens, Metz,
Ernst), nécessité de réviser l’ensemble de la
législation sur les assises (Gendebien, Lebeau, Dubus (aîné)), modalités de
délibération du jury (vote secret) (Verdussen, Gendebien, Ernst, (prise en
compte de la langue flamande) de Langhe, Metz, Gendebien)
(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est adoptée.
M.
B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
L’administration communale de Lavaux-Ste-Anne (Namur) demande qu’il soit
apporté des modifications à la loi de 1817 sur la milice nationale. »
________________
« Le
sieur van Dael, chevalier de la légion d’honneur, à Mons, demande que la
chambre fasse droit aux réclamations des légionnaires. »
________________
« Des négociants en toiles et fils de lin,
filateurs, fileuses et tisserands de la ville de Tournay et de la commune de
Luingné (Flandre occidentale) demandent qu’il soit frappé les mêmes droits sur
les fils et les lins venant de l’étranger que ceux que nous payons à l’entrée
en France. »
________________
« Le sieur Bumolle, receveur de
l’enregistrement et des domaines à Arlon, adresse des observations sur le
projet relatif aux frais d’adjudication des barrières. »
________________
« Le sieur de Bruyne, à Furnes, demande une
augmentation d’indemnité en faveur des jurés. »
________________
-
Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
________________
« Le sieur Hubert Rogittart, propriétaire
à Mons (Luxembourg), né en France et habitant la Belgique depuis 1821, demande
la naturalisation.
-
Cette pétition est renvoyée à M. le ministre de la justice.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS SUR LE CAFE
M.
de Foere, au nom de la section centrale chargée de
l’examen du projet de loi relatif aux droits d’importation et d’exportation sur
le café, dépose le rapport sur le projet de loi.
-
La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et en fixe la
discussion au lundi 5 mars.
PROJET DE LOI RELATIF
A LA CANALISATION DE LA GRANDE-NETHE
M.
Peeters. - Un projet de canalisation de la Grande-Nèthe
a été présenté à la chambre par M. le ministre de l’intérieur, le 28 avril 1835
; ce projet (sur lequel une commission d’enquête a été convoquée il y a plus de
deux ans) a été envoyé à une commission de neuf membres, laquelle jusqu’ici n’a
fait aucun rapport.
Je
propose donc que cette commission soit invitée à présenter son rapport le plus
tôt possible, afin que ce projet puisse être mis à l’ordre du jour en même
temps que le canal de Zelzaete.
J’insiste
d’autant plus sur cette proposition, que je vois dans le rapport de M.
l’ingénieur en chef des ponts et chaussés que les pavés pour la route de
Turnhout à Diest, décrétée il y a quatre ans, et dont on attend l’exécution
avec impatience, doivent être transportés en partie par cette rivière
canalisée, et que d’ailleurs l’économie que l’on trouvera sur le transport des
pavés par eau, couvrirait en partie les frais à faire pour la canalisation,
avantage que l’on perdrait entièrement si l’on remettait la construction de ce
canal.
- La proposition de M. Peeters est adoptée ; en
conséquence la commission est invitée à faire un prompt rapport sur le projet
de canalisation de la Grande-Nèthe.
PROJET DE LOI ORGANISANT LE JURY D’ASSISES
Discussion des articles
Article premier
M. le
président. - La discussion continue sur l’article premier
et sur l’amendement proposé à cet article par M. Lebeau .
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - La chambre a
témoigné le désir qu’il fût produit pour les autres provinces du pays, un
tableau comme il en a été présenté un hier pour la province du Brabant.
J’ai
eu l’honneur de dire à la chambre que si les matériaux se trouvaient dans mon
ministère, je ferais faire cette statistique le plus tôt possible. Je puis
annoncer que les matériaux se trouvent dans mon ministère, et qu’on n’a pas
cessé de s’occuper de ce travail : mais quelque activité qu’on y ait apporté,
il a été impossible de le terminer. Une partie du travail pour quelques
provinces sera terminée pendant le courant de la séance ; tout sera terminé
pour demain.
Je
puis prendre l’engagement de produire demain le tableau statistique dont il est
question.
La
chambre renvoie à demain la discussion du n°1 de l’article premier, et passe au
n°2 du projet de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie et qui
est ainsi conçu :
« Les
jurés seront pris (…)
«
Et 2°, indépendamment de toute contribution, parmi les classes de citoyens
ci-dessous désignées :
«
a. Les membres de la chambre des représentants.
«
b. Les membres des conseils provinciaux.
« c.
Les bourgmestres, échevins, conseillers communaux, secrétaires et receveurs des
communes de 4,000 âmes et au-dessus.
«
d. Les docteurs et licenciés en droit, en médecine, en chirurgie, en sciences
et en lettres ; les officiers de santé, chirurgiens de campagne et artistes
vétérinaires.
«
e. Les notaires, avoués, agents de change ou courtiers.
« f.
Les pensionnaires de l’Etat jouissant d’une pension de retraite de 1,000 fr. au
moins.
« Ces
citoyens rempliront les fonctions de juré près la cour d’assises dans le
ressort de laquelle est établi leur domicile réel. »
-
Cette disposition est mise aux voix et adoptée.
M. le
président. - La chambre passe à l’article 2 qui est ainsi
conçu :
« Art.
2 (projet du gouvernement). Ne seront pas portés ou cesseront d’être portés sur
la liste des jurés :
« 1°
Ceux qui ont atteint leur 70ème année ;
« 2°
Les ministres, les gouverneurs des provinces, les membres des députations
permanentes des conseils provinciaux, les commissaires de district, les juges,
procureurs-généraux, procureurs du Roi et les substituts ;
« 3°
Les ministres des cultes ;
« 4°
Les membres de la cour des comptes ;
« 5°
Les secrétaires-généraux et les directeurs d’administration près d’un
département ministériel ;
« 6°
Les militaires en service actif, les auditeurs militaires et les membres des
tribunaux militaires. »
« Art.
2 (projet de la section centrale). Ceux qui ont atteint leur soixante-dixième
année ne seront point portés sur la liste générale du jury. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst).
- Je maintiens le projet du gouvernement tel qu’il est. Voici les deux raisons
pour lesquelles je n’ai pas pu me rallier au projet de la section centrale.
J’ai vu un avantage à ce que les exemptions fussent indiquées dans la loi à
côté des conditions exigées pour être juré. Ensuite, il y a dans l’article du
projet du gouvernement des exemptions qui ne se trouvent pas dans le code
d’instruction criminelle, et qu’il est utile de maintenir.
Je
prie l’honorable rapporteur de vouloir bien nous dire s’il est entré dans la
pensée de la section centrale de ne pas maintenir les exemptions formulées dans
l’article 2. Je lui serai obligé de vouloir bien donner à cet égard une
explication.
M. de Behr, rapporteur. - Il y a,
relativement aux motifs de dispense, des dispositions très précises dans le
code d’instruction criminelle. Je les crois suffisantes.
On
parle, dans l’article du gouvernement, des membres des députations permanentes
; mais, dans le code d’instruction criminelle, les conseillers de préfecture ne
sont pas dispensés.
Quant
aux ministres des cultes et aux directeurs d’administration générale, ils sont
dispensés par le code d’instruction criminelle.
Un
autre motif qui a déterminé la section centrale à s’en tenir aux dispositions
en vigueur, c’est la crainte d’aller trop loin en établissant de nouvelles
exemptions ; car d’autres fonctionnaires et les médecins de campagne auraient
des droits à faire valoir à l’exemption. En nous en tenant aux motifs de dispense
admis aujourd’hui, personne n’aura à se plaindre, voilà ce qui a détermine la
section centrale.
M.
Dubus (aîné). - Je lis dans l’article. 384 du code
d’instruction criminelle :
« Art.
384. Les fonctions de juré sont incompatibles avec celles de ministre, de
préfet, de sous-préfet, de juge, de procureur-général, de procureur du Roi et
de leurs substituts.
«
Elles sont également incompatibles avec celles de ministre d’un culte
quelconque.
« Les
conseillers d’Etat chargés d’une partie d’administration, les commissaires du
Roi près les administrations ou régies, les septuagénaires, seront dispensés,
s’ils le requièrent. »
Je lis ensuite dans le décret du congrès du 19
juillet 1831 :
«
Art. 3. L’incompatibilité établie par l’art. 384 du code d’instruction
criminelle, pour les fonctions de préfet et de sous-préfet, est remplacée par
celle de membre de la commission permanente du conseil provincial, de
gouverneur et de commissaire de district, sans préjudice des autres
incompatibilités établies par ledit article 384. »
Il
résulte de ces deux dispositions, dont l’une maintient et explique l’autre, que
la plus grande partie de l’article est inutile.
Quant
aux nouvelles dispenses proposées dans l’article du gouvernement, il faudrait,
ce me semble, les justifier.
M. le ministre de la justice (M. Ernst).
- Il s’est présenté des doutes à l’égard des fonctionnaires indiqués dans cet
article. C’est pour cela qu’il a paru nécessaire d’en donner l’énumération.
Pour
les membres de la cour des comptes, il a paru convenable de les mettre,
relativement au jury, sur la même ligne que les membres de l’ordre judiciaire.
La
même observation s’applique aux secrétaires-généraux des départements
ministériels et aux directeurs-généraux des branches d’administration. Chacun
comprendra combien serait embarrassée dans un ministère la marche des affaires
lorsqu’un secrétaire-général serait pendant 15 jours à la cour d’assises. Il en
est de même pour un directeur d’administration. Ce n’est pas dans l’intérêt de
ces fonctionnaires que l’exemption est proposée, ce n’est pas pour leur
procurer un avantage ; car ils seront moins occupés, ils auront moins de charge
en suivant les audiences de la cour d’assises qu’en travaillant de 9 à 5 heures
dans les bureaux de l’administration.
M. de Behr, rapporteur. - La loi que nous
faisons n’est pas complète. La section centrale a proposé la suppression de la
disposition relative à l’âge de 25 ans. Il faudra donc bien recourir pour l’âge
au code d’instruction criminelle. Pourquoi ne ferait-on pas de même pour les
dispenses ?
Quant
aux membres de la cour des comptes, je ne vois pas le motif d’exemption. On
veut des jurés éclairés. Il ne faut pas exclure toutes les professions où il y
a des garanties de lumières. Les travaux de la cour des comptes ne seront
entravés que si plusieurs de ses membres étaient appelés dans une même session
à faire partir du jury. Cela est possible, mais ce n’est pas probable. Dans ce
cas on pourra faire valoir ce motif d’excuse, et la cour en jugera. Je ne vois
aucun motif pour admettre ces innovations.
M. Lebeau.
- Je conviens, messieurs que ce n’est pas un très grand avantage que de
reproduire dans la loi actuelle les incompatibilités établies par les lois
antérieures ; cependant c’est un avantage puisque la loi mettra sous les yeux
des autorités locales qui doivent dresser les listes, la nomenclature des personnes
qui ne peuvent pas y être portées.
L’honorable
rapporteur de la section centrale vous a parlé de plusieurs catégories de
fonctionnaires qui ne sont pas compris dans les lois antérieures : par l’effet
de l’appel de deux membres de la cour des comptes, dans un jury, ce qui est
possible, vous vous exposez à paralyser l’action de cette cour.
Il
s’élève un doute relativement aux membres de cette cour ; on pourrait soutenir
que ce sont des juges. Ce sont des magistrats, et leurs fonctions présentent
beaucoup de similitude avec celles des juges. Il ne faut pas proposer des
énigmes aux députations permanentes qui dresseront les listes des jurés ; il
faut trancher la question. Il y a plus de raisons pour exempter les membres de
la cour des comptes que pour exempter les membres des députations provinciales
qui se composent de sept membres, et qui peuvent prendre des décisions à quatre
membres. Cependant personne ne veut qu’on mette les membres des députations
permanentes sur les listes : il y aurait un inconvénient bien plus grave à y
porter les membres de la cour des comptes.
Je
demande que l’on adopte les dispositions des différents paragraphes de
l’article 3.
M. de Muelenaere.
- Le projet de loi ne renferme que quelques modifications ; il me semble qu’il
faudrait faire une loi complète sur cette matière, et qu’il serait urgent de
s’en occuper. Je remarque dans le rapport de la section centrale que quatre
sections ont adopté le paragraphe 2 du gouvernement, et qu’une cinquième, en l’adoptant,
a proposé d’exempter les personnes âgées de 70 ans. La section centrale a admis
l’exemption pour l’âge, mais a rejeté le paragraphe 2, en disant qu’il n’y
avait pas d’importance à répéter ce que disent les lois antérieures.
Ce
n’est pas là un motif bien impérieux.
Dans
le projet du gouvernement ni dans le code d’instruction criminelle on ne parle
pas des avocats-généraux, on n’y parle pas non plus des greffiers ; cependant,
il faut exempter les uns et les autres. Les greffiers des tribunaux de première
instance peuvent être appelés à être greffiers d’une cour d’assises elle-même ;
il y a donc incompatibilité réelle entre leurs fonctions et celles de juré.
Dans le code d’instruction criminelle, il est parlé des sous-préfets ; mais les
commissaires d’arrondissement ne sont pas exactement des sous-préfets. Il y
aurait donc avantage à déclarer, dans l’article 3, quelles personnes ne doivent
pas faire partie du jury, afin de lever tous les doutes. En ce sens, la
nomenclature proposée par le gouvernement dans l’article 3 a un grand degré
d’utilité. A moins de motifs puissants pour écarter cet article, il faut
l’adopter. C’est beaucoup que de faire cesser des doutes.
M.
Pollénus. - Messieurs, ainsi que l’a déjà dit M. le
rapporteur de la section centrale, elle a pensé que les motifs d’exemption
devaient être puisés dans des considérations d’incompatibilité et non dans des
considérations de convenance. On a dit que les fonctions de juré étaient
envisagées comme une charge ; mais les particuliers ainsi que les
fonctionnaires sont chargés de travaux et de travaux continuels ; cependant ils
ne sont pas exemptés, parce qu’il n’y a pas incompatibilité ; il faut de même
ne pas exempter les magistrats dont les fonctions ne sont pas incompatibles
avec celles des jurés.
Un
honorable préopinant a demandé si les avocats-généraux étaient compris dans les
incompatibilités. Le texte de la loi sur l’organisation judiciaire répond à
cette objection ; ce sont deux des substituts du procureur-général qui prennent
le titre d’avocats-généraux, et qui se trouvent ainsi compris dans la
dénomination de substitut.
On
a fait une objection relativement à la cour des comptes : je crois devoir
l’examiner. Si deux membres de la cour des comptes étaient appelés à faire
partie d’un même jury, cette cour serait exposée à voir entraver ses travaux.
D’abord
je ferai remarquer que les membres de la cour des comptes siègent dans la même
ville où siège le jury, par conséquent les inconvénients du déplacement
n’existent pas. Mais il y a une autre considération à faire valoir ; c’est que
si deux membres d’un même collège se trouvaient, par l’effet du hasard, appelés
à fane partie d’un même jury, ils obtiendraient facilement que l’un d’eux pût
se retirer, à l’aide des récusations. C’est ce qui aurait lieu en faisant
valoir de bons motifs.
J’ai
entendu soulever la question de savoir si les juges de paix se trouvaient
compris dans les catégories d’incompatibilités du code d’instruction
criminelle. Il n’y a pas de doute, puisque les juges de paix sont des juges.
On voudrait voir réunies dans la même loi toutes
les dispositions qui ont quelque corrélation entre elles. Mais ne voyez-vous
pas que ces réunions sont impossibles par suite des lois successives que nous
faisons sur les mêmes matières. Dans la loi qui nous occupe. par exemple, le
ministre de la justice ne vient-il pas demander qu’on donne le caractère
correctionnel à une foule de faits qualifiés crimes par le code pénal ? Ainsi
on change d’un trait de plume toute l’économie du code criminel.
Nous
avons entendu, depuis quelque temps, parler des travaux nombreux dont sont
chargés les conseillers des mines : si l’on n’envisageait que cette
considération, on pourrait les exempter avec autant de raison que les membres
de la cour des comptes ; mais la section centrale, je le répète a posé le
principe : les exemptions doivent résulter d’incompatibilités, et non de
convenances ; et c’est d’après ce principe qu’il faut juger les diverses
propositions qu’elle a faites.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs si
l’article 3 proposé par le gouvernement n’avait d’autre but que de réunir en
quelque sorte dans un même cadre les diverses exemptions, on pourrait en
contester l’utilité ; mais il a encore pour objet de faire cesser les
contestations qui se sont élevées relativement aux exemptions et en outre
d’introduire quelques exemptions nouvelles ; on ne s’est pas suffisamment
expliqué sur ces nouvelles exemptions, mais si nous sommes d’accord pour les
sanctionner ainsi que celles qui ne sont que répétées dans l’article, on
conviendra que cet article ne peut donner lieu à aucun inconvénient et qu’il
réunit certains avantages. Est-il vrai, oui ou non, qu’il y a actuellement des
doutes sur la question de savoir si les membres de la cour des comptes doivent
faire partie du jury ? Plusieurs honorables membres de l’assemblée disent que
ces fonctionnaires sont des juges et que comme tels ils doivent être exemptés ;
d’un autre côté, le personnel de la cour des comptes est extrêmement limité, et
c’est encore une raison pour exempter du jury les membres de cette cour, car si
deux d’entre eux étaient appelés à faire en même temps partie du jury, le
service si important de la cour des comptes serait interrompu. De plus un
membre de la cour pourrait être empêché par d’autres motifs et alors il
suffirait qu’un seul membre fît partie d’un jury pour que l’inconvénient dont
je viens de parler existât. On dit que les récusations peuvent remédier à ce
mal ; c’est là une erreur ; les récusations ne sont pas établies dans un but
semblable.
Je pense comme l’honorable préopinant que les
juges de paix ne doivent pas être portés sur la liste des jurés, parce qu’ils
sont compris dans la dénomination générale de juges.
Quant
aux membres du conseil des mines, si l’on croyait nécessaire de les exempter.
on pourrait le proposer, mais, je pense qu’il n’y pas les mêmes motifs que pour
les membres de la cour des comptes ; il ne s’est pas présenté jusqu’à présent
des doutes à cet égard.
Je
persiste donc soutenir la proposition du gouvernement, et je répéterai en
finissant que ce n’est pas par des motifs de convenance, que ce n’est pas dans
l’intérêt des fonctionnaires dont il s’agit qu’on propose de les exempter ;
c’est dans l’intérêt du service et dans ce sens il y a incompatibilité,
puisqu’ils ne peuvent pas remplir convenablement leurs fonctions pendant qu’ils
sont obligés de prendre part aux travaux du jury.
M.
Angillis. - Tout le monde convient, messieurs, qu’il
faut chercher à composer le jury de manière qu’il réunisse le plus d’hommes
capables possible ; cependant le projet du gouvernement dispense une foule
d’hommes capables. Je ne sais pas, par exemple, pour quel motif on veut
dispenser les gouverneurs de provinces ; il en est plusieurs qui siègent dans
cette chambre, qui y sont fort assidus, et cependant dans les provinces qu’ils
administrent tout le monde dit qu’on est très content d’eux. Ces fonctionnaires
peuvent donc sans inconvénient s’absenter quelquefois et ils pourraient
d’autant mieux faire partie du jury que la cour d’assises siège ordinairement
dans la ville où ils résident. Ces observations s’appliquent également en
partie aux maires, aux membres des députations permanentes ; ces fonctionnaires
n’ont pas une besogne tellement forte qu’ils ne puissent pas s’absenter tous
les trois ans ou tous les six ans, peut-être, pour assister à quelques
jugements.
Quant aux membres de la cour des comptes, je
crois qu’il y a réellement des motifs pour les exempter, parce que ces
fonctionnaires ne peuvent pas se faire remplacer comme les gouverneurs ;
ceux-là donc ont droit à l’exemption.
Des
personnes qu’il faudrait peut-être exempter aussi, ce sont les médecins et les
chirurgiens dont la présence est quelquefois très nécessaire dans leur commune
: un médecin traite une personne atteinte d’une maladie dangereuse dont il a
seul le secret ; s’il doit abandonner son malade, il peut en résulter les
conséquences les plus graves pour celui-ci ; quoiqu’il en soit, je ne
proposerai pas d’exemptions nouvelles, et j’adopterai plutôt la proposition de
la section centrale que celle du gouvernement, à moins qu’on ne maintienne pas
l’exemption des gouverneurs et des membres des députations provinciales.
M. Pollénus.
- L’honorable préopinant a perdu de vue, messieurs, que d’après le décret du 19
juillet 1831, ce sont les députations permanentes présidées par le gouverneur
qui sont chargées de dresser les listes du jury ; c’est là un motif pour que les
gouverneurs et les membres des députations provinciales ne fassent pas partie
du jury.
M.
Gendebien. - Je commencerai, messieurs, par exprimer le
regret de ce qu’on ne veut pas dévier de cette malheureuse habitude de toujours
faire ce qu’on est convenu d’appeler des bouts de lois. Il n’est rien de plus
pernicieux, il n’est rien de plus difficile à faire que ces bouts de loi. Il
résultera de la loi que nous discutons, si elle est adoptée, que la population
tout entière qui doit composer le jury, aura à consulter le code d’instruction
criminelle, la loi du congrès, la loi de 1832 et la loi que vous allez faire ;
ainsi quatre lois à rechercher, à consulter. L’institution du jury est, dit-on,
une charge peu goûtée. Eh bien, messieurs, le moyen d’en dégoûter encore plus
nos concitoyens, c’est de les laisser toujours dans l’incertitude sur les
devoirs qu’ils ont à remplir ; dans l’impossibilité ou peu s’en faut de s’en
instruire.
Je
voudrais, messieurs, qu’une bonne fois on vînt à faire une loi complète sur le
jury, et que cette loi complète fût distribuée au meilleur marché possible, ou
plutôt distribuée gratuitement à toutes les personnes qui peuvent être appelées
à faire partie du jury : alors chaque citoyen dans ses moments de loisir,
pourrait s’occuper des devoirs qu’il peut avoir à remplir, comme membre du
jury, et l’on ne verrait plus, comme l’a affirmé le ministre de la justice, des
hommes qui ignorent complétement leurs devoirs de juré ; ce qui n’est pas
étonnant puisqu’on ne fait rien pour instruire les citoyens ; qu’au contraire
on semble faire tout ce qu’on peut pour embrouiller les lois qui doivent les
instruire de leurs devoirs.
Je
voterai en faveur de l’article proposé
par le gouvernement parce qu’il tend à compléter la loi et que j’espère
qu’avant de finir cette discussion, on sentira la nécessité de faire une loi
qui comprenne toutes les dispositions concernant le jury, tant celles du code
d’instruction criminelle, que celle de la loi du congrès qu’on jugera utiles de
conserver.
Si
j’ai bien compris l’honorable rapporteur de la section centrale et un membre
qui siège à sa gauche, et qui a parlé après lui, il résulterait des
observations de ces deux honorables préopinants que l’un pense qu’en adoptant
l’article 2 tel qu’il est proposé par la section centrale, on maintiendrait
toutes les exemptions déterminées par l’article 384 du code d’instruction
criminelle, et que l’autre orateur est d’avis qu’on supprimerait par ce fait
toutes ces exemptions ; au moins j’ai entendu le second orateur combattre même
les exemptions prononcées par le code d’instruction. Je le demande, messieurs,
dans cet état de choses, n’est-il pas nécessaire de faire une loi complète qui
dise positivement quels sont les droits et les devoirs de chacun ; car en
admettant que ces deux honorables membres soient d’accord, toujours est-il
certain qu’il faut compulser et combiner plusieurs textes, ce qui n’est pas
toujours fait le mieux par les hommes qui en font leur état.
Je
regrette de ne pouvoir partager l’opinion de l’honorable préopinant qui ne
trouve aucune espèce d’inconvénient à admettre dans le jury les gouverneurs,
les commissaires de district et les membres des députations provinciales, etc.
J’y vois, moi, de graves inconvénients, non pas précisément parce que cela les
distrairait de l’exercice de leurs fonctions de tous les jours, de tous les
instants ; mais à cause de l’influence qu’ils pourraient exercer sur la
délibération du jury. On veut le vote secret parce que, disait-on hier et
avant-hier, on craint l’influence de certains hommes sur leurs collègues ; et
l’on voudrait admettre dans le jury des hommes qui par leur position, peuvent
exercer la plus grande des influences, celle des gouverneurs, des premiers
magistrats administratifs des provinces.
Je
déclare qu’il n’y a absolument rien de personnel dans ce que je dis ; je
considère tous les gouverneurs et commissaires de districts en masse et chacun
d’eux en particulier, comme des hommes incapables d’exercer une influence soit
nuisible soit trop favorable à l’accusé ; mais enfin, messieurs, la loi aura
toujours cet inconvénient de mettre les gouverneurs et les commissaires dans
une fausse position, surtout dans les cas où il s’agirait de délits politiques
ou de presse.
Mais, dira-t-on, la récusation pourra remédier à
cet inconvénient. Eh pourquoi, messieurs, exposer les fonctionnaires dont il
s’agit à l’affront d’une récusation presque certaine ? Je pense, messieurs, que
nous ne pouvons mieux faire que de suivre l’exemple qui nous est donné par le code
napoléonien qui n’est pas trop libéral, et que nous ferons sagement de
maintenir les dispenses imposées aux gouverneurs, aux commissaires de district
et aux fonctionnaires indiqués dans l’article 384. Je voterai l’article 3 dans
ce but et afin de préparer un acheminement à une loi générale et complète, et
j’espère qu’avant la fin de la discussion, on comprendra la nécessité de
renvoyer le tout à la section centrale, afin qu’elle nous présente une loi
complète, afin que tous les citoyens qui peuvent être appelés à faire partie du
jury puissent y recourir sans recherches et s’y instruire facilement de leurs
droits et devoirs du jury.
M. Pollénus.
- L’honorable préopinant a mal saisi mes paroles ; il n’existe pas le moindre
dissentiment sur le point qui nous occupe entre l’honorable rapporteur et moi.
Nous avons entendu l’un et l’autre maintenir les dispositions actuellement en
vigueur sur les incompatibilités, sans modification aucune. Du reste, je me
joins à l’honorable M. Gendebien pour émettre le désir qu’il ne soit pas ainsi
introduit des changements partiels dans la législation ; je comprends tous les
inconvénients de cette manière de procéder qui détruit complétement les
avantages de la codification.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Messieurs, il est peut-être inutile de
répondre à une observation d’un honorable préopinant, que la tendance du projet
serait d’éloigner les hommes capables du jury, lorsque nous cherchons tous à y
faire rentrer le plus possible d’hommes capables. Comme j’ai eu l’honneur de
vous le dire, c’est la nécessité du service qui exige que nous éloignions
certains fonctionnaires. Quant à ce qui concerne les gouverneurs, c’est ici une
question d’incompatibilité à raison de leurs fonctions, c’est une question de
convenance que tous les membres de cette chambre comprendront, et je ne pense
pas que personne songe à modifier l’état de la législation actuelle à cet
égard.
M. de
Behr, rapporteur. - Je conviens avec l’honorable M. Gendebien,
qu’il y aurait une grande utilité à avoir une loi complète ; mais le code
d’instruction criminelle n’est réellement qu’une loi d’exécution du code pénal,
c’est donc seulement après la révision de ce code que l’on pourra songer à
réviser le code d’instruction criminelle. D’ailleurs, c’est une obligation que
le congrès nous a déférée.
M.
Gendebien. - Je dois répondre à l’honorable préopinant
que si nous devons attendre la révision du code d’instruction criminelle pour
organiser définitivement le jury, nous attendrons encore longtemps.
D’un
autre côté, je ne puis voir aucune espèce d’inconvénient à organiser le jury
dès aujourd’hui d’une manière complète ; car si le travail est jugé complet, on
pourra, lorsqu’on s’occupera de la révision générale du code d’instruction
criminelle ; on pourra, dis-je, l’y enchâsser. Si le travail n’est pas complet,
eh bien, l’on aura l’avantage de quelques années d’expérience pour le compléter.
Je
pense qu’en attendant, il est utile et même urgent de s’occuper d’une loi
destinée à compléter l’organisation du jury.
-
L’article 3 du projet du gouvernement est adopté.
M. le
président. - La chambre passe à la discussion de
l’article 3 du projet de la section centrale, ainsi conçu :
«
Ne seront point compris sur la liste des 36 jurés ou seront dispensés d’office,
les membres du sénat et de la chambre des représentants, pendant la durée de la
session législative, les membres de conseils provinciaux durant l’assemblée de
ces corps ; ceux qui déjà auraient fait partie d’un jury pendant l’une des
trois derniers sessions de la cour d’assises. »
Cet
article 3 remplace l’article 4 du projet du gouvernement ainsi conçu :
« Les
membres du sénat, de la chambre des représentants et des conseils provinciaux
qui auront été désignés par le sort pour faire partie d’un jury pendant la
durée de la session législative ou des conseils provinciaux, en seront
dispensés d’office pendant la durée de cette session. »
M. le président.
- M. le ministre se rallie-t-il à l’article de la section centrale ?
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Non, M. le
président, je maintiens la proposition du gouvernement.
M. Pollénus. - Messieurs, il me
paraît qu’à l’occasion de l’article 3 se présente la question qui a été
soulevée dans la séance d’hier, celle de savoir s’il n’y aurait pas utilité à
réduire le nombre de 36 jurés à 24. Je crois que les développements qui ont été
donnés hier par l’honorable M. de Muelenaere me dispensent d’entrer dans aucune
considération. Je me borne à proposer un article qui serait ainsi conçu et qui
précéderait l’article 3 :
« La
liste des jurés est réduite à 24. »
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, ainsi
que j’ai eu l’honneur de le dire hier, un changement aussi notable que celui-là
ne peut être introduit dans la législation, avant qu’on ait eu le temps de
l’examiner d’une manière approfondie et d’en calculer les conséquences. Je
crois qu’il serait convenable de renvoyer cette disposition à la section
centrale ; j’en fais la proposition.
-
Le renvoi à la section centrale, auquel M. Pollénus déclare se rallier, est mis
aux voix et adopté.
M.
Dumortier. - Messieurs, je crois qu’il y a lieu d’adopter
l’article 3 de la section centrale, qui remplace l’article 4 du projet du
gouvernement, sauf à supprimer provisoirement le nombre 36 qui y est relaté,
puisque ce nombre donnera lieu à une discussion nouvelle.
Il
résulte du texte de l’article du gouvernement que les membres des deux chambres
et ceux des conseils provinciaux seront portés sur la liste des jurés, et c’est
seulement lors de l’assemblée du jury qu’ils en seront dispensés par la cour
d’assises, séance tenante. Or, il y a une différence notable dans le texte de
la section centrale ; car, d’après ce texte, les membres des deux chambres et
des députations provinciales ne sont pas portés sur la liste des jurés, lorsque
la session de la cour d’assises est en rapport avec la session des chambres ou
celle du conseil provincial. Pour mon compte, je préférerais beaucoup le
système de la section centrale.
Si,
comme on le propose, le nombre des jurés est réduit à 24, et qu’au moment où la
cour d’assises est assemblée, quatre ou cinq membres de la législature ou du
conseil provincial sont désignés par le sort, comment voulez-vous encore former
un jury ? Vous ne le pourrez plus. Il est donc de toute nécessité d’adopter la
rédaction de la section centrale qui est préférable à celle du gouvernement.
D’ailleurs,
il y a une autre observation. Pour mon compte, j’aurais désiré vivement que les
membres de la législature eussent été exempts de faire partie du jury ; et
pourquoi ? parce que la chambre est un grand jury national qui siège pendant
huit ou neuf mois de l’année, et qui certainement peut alors obtenir un congé
de quelques mois pour se reposer de ses travaux.
Il peut ensuite arriver que la session de la
cour d’assises coïncide avec une dissolution ou un renouvellement partiel de la
chambre, et que plusieurs des membres qui doivent être réélus fassent partie du
jury, et seraient ainsi éloignés du chef-lieu électoral où ils doivent être
élus, cela pourrait donner lieu à de graves inconvénients.
Comme
l’article de la section centrale apporte une modération à cet état de choses,
je voterai pour cet article, sauf à supprimer provisoirement le nombre 36 qui y
est énoncé, puisque l’adoption de ce chiffre préjugerait une question qui est
pendante devant la chambre.
M. de
Behr, rapporteur. - Messieurs, l’honorable préopinant vous a
déjà fait connaître une partie des motifs qui ont déterminé la section
centrale. Il y avait doute sur la question de savoir quel tribunal était chargé
d’arrêter la liste des 36 jurés. Or, si ce soin devait appartenir au président
de la cour d’assises, il aurait pu arriver que dans les listes des jurés se
trouvassent compris plusieurs membres des chambres.
Et
alors vous aurez une grande difficulté pour composer le jury. Voilà un des
motifs qui ont déterminé la section centrale. Il y en un deuxième, c’est
l’obscurité de la rédaction du projet. Voici comme elle est conçue :
« Les
membres du sénat, de la chambre des représentants et des conseils provinciaux
qui auront été désignés par le sort pour faire partie d’un jury pendant la
durée de la session législative ou des conseils provinciaux, en seront
dispensés d’office pendant la durée de cette session. »
Eh
bien, la conséquence toute naturelle de cet article est que lors mène qu’il n’y
aurait pas de session législative, les membres des deux chambres auraient pu se
faire dispenser dans le cas où les conseils provinciaux seraient réunis, car
ils auraient dit que la loi les exemptait quand les chambres législatives ou
les conseils provinciaux se trouvaient réunis.
La
rédaction, comme vous voyez, laissait beaucoup à désirer.
Nous
ayons ajouté une disposition sur la proposition d’une section, pour autoriser
le président du tribunal de première instance à ne pas comprendre dans la liste
des jurés celui qui a déjà fait partie d’une des sessions précédentes, et à le
remplacer en tirant une autre nom de l’urne.
Je
persiste dans la rédaction de la section centrale, parce qu’elle est plus
claire et prévient les doutes que présente l’article du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Ernst).
- Je reconnais la justesse des observations de l’honorable préopinant ; la
rédaction de la section centrale est meilleure, je déclare m’y rallier.
M. de
Behr, rapporteur. - Toutes les fois qu’on accorde une faveur à
quelqu’un, il est libre d’y renoncer. Nous avons dit que des membres des deux
chambres et des conseils provinciaux pourront renoncer au droit d’être
dispensés de faire partie du jury ; alors ils en témoigneront l’intention par
écrit au président du tribunal de première instance qui les portera sur la
liste.
M. Metz. - Je partage l’opinion que la rédaction de la
section centrale est meilleure que celle du gouvernement et qu’il faut
l’admettre. Mais j’ai cru que par ces mots « ne seront pas compris sur la liste
les 36 jurés ou seront dispensés d’office, » on avait entendu que si, par
erreur, la députation provinciale avait compris dans les jurés des personnes
ayant droit à l’exemption, le président de la cour, au moment du tirage,
écarterait les personnes qui sont dispensées par la loi. C’est ainsi que j’ai
entendu l’article de la section centrale, et je crois que c’est comme cela
qu’il doit l’être.
D’après
l’article 3, la députation ne doit pas comprendre les membres des deux chambres
et des conseils provinciaux ; si la députation se trompe, il faut ouvrir un
autre moyen d’assurer à celui qui est porté par erreur sur la liste des jurés,
la dispense que lui accorde la loi. Le président ne mettra pas leurs noms dans
l’urne du tirage, il les dispensera d’office.
L’honorable
M. Dumortier a pensé que si on comprenait des membres des deux chambres parmi
des citoyens appelés à remplir les fonctions de juré, on ne pourrait souvent
parvenir à composer un jury de jugement, si on réduit le nombre à 24 au lieu de
36. D’après la loi, quand le nombre des jurés est incomplet, on fait un tirage
supplémentaire parmi les jurés résidant dans le lieu où siège la cour.
M. de Behr, rapporteur. - Je vais ajouter
quelques mots pour répondre à l’observation présentée par le préopinant. La
députation n’intervient pas pour éliminer de la liste générale du jury les
personnes qui feraient partie de la représentation nationale et du conseil
provincial ; c’est le président, chargé de former la liste des 36 jurés pour la
session, qui, quand ces noms sortent de l’urne, ne les porte pas sur la liste
et continue à tirer. Mais il peut arriver que le président du tribunal ignore
que telles et telles personnes font partie de la représentation nationale ou du
conseil provincial ; il peut y avoir une session extraordinaire après le tirage
des 36 jurés, la cour d’assises peut seule alors prononcer la dispense.
Le
président écartera tous ceux qui auront droit à l’exemption aux termes de la
loi ; si quelques erreurs sont commises par lui, la cour d’assises sera
investie du même droit, elle pourra dispenser d’office. Sous ce rapport, je
pense que la rédaction de la section centrale doit avoir la préférence.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Je répète la déclaration que j’ai faite, que
d’après les observations de M. le rapporteur, que je trouve satisfaisantes, je
voterai pour la rédaction de la section centrale.
M.
Verdussen. - Je proposerai un léger changement de
rédaction, qui est de substituer au mot « l’assemblée » de ces corps,
ceux-ci : « les sessions » de ces corps, parce qu’on pourrait
supposer qu’on n’entend parler que du temps pendant lequel ils sont en séance.
-
Cet amendement est adopté.
M.
Dumortier. - Il faudrait provisoirement supprimer le
chiffre 36 pour ne pas préjuger la question de nombre.
Par suite de ces modifications l’article est mis
aux voix et adopté dans les termes suivants :
« Ne
seront point compris sur la liste des jurés ou seront dispensés d’office, les
membres du sénat et de la chambre des représentants, pendant la durée de la
session législative ; les membres des conseils provinciaux pendant les sessions
de ces corps ; ceux qui déjà auraient fait partie d’un jury pendant l’une des 4
dernières sessions de la cour d’assises. »
M. le président. - Viennent
maintenant les dispositions additionnelles, présentées par MM. Raymaeckers et
Pollénus.
M. Raymaeckers. - M. Pollénus proposant de réduire à 24 le
nombre des jurés, que je propose de maintenir à 36, mon amendement ne peut
venir qu’après que la chambre se sera décidée sur la question du nombre.
M. de
Behr, rapporteur. - Je ne pense pas qu’on puisse réduire le
nombre des jurés. Aux termes du code d’instruction criminelle on ne peut
procéder au tirage que quand il y en a 30. Si vous réduisez le nombre à 24, il
sera à plus forte raison nécessaire d’avoir des jurés supplémentaires. Je ne
vois aucun motif pour renvoyer ces propositions à la section centrale. Nous
pouvons les discuter immédiatement.
M.
Pollénus. - La proposition de M. Raymaeckers est
rationnelle. Il est impossible de se dispenser de renvoyer à la section
centrale les articles additionnels. Vous verrez si dans le système de mon
amendement il y a lieu de conserver le nombre de jurés supplémentaires que l’on
propose.
M.
le rapporteur qui ne partage pas mon avis, objecte que si le nombre des jurés
se trouve réduit à 24, il faut admettre le nombre des jurés supplémentaires
qu’il propose dans ses articles additionnels.
Je
ferai remarquer que la question du nombre des jurés supplémentaires dépendra
d’une autre question, de celle des récusations.
Je
proposerai donc un article portant :
« L’accusé
aura la faculté de récuser six jurés, le ministère public aura la faculté d’en
récuser quatre. »
Dans
ce système il resterait toujours deux jurés disponibles : on pourrait se
contenter de ces deux jurés comme jurés supplémentaires.
-
La chambre, consultée, prononce le renvoi à la section centrale des diverses
propositions additionnelles.
La
chambre passe à la discussion de l’article 4 du projet de la section centrale
auquel le gouvernement se rallie et qui est ainsi conçu :
«
Art. 4. Lorsqu’un procès criminel paraître de nature à entraîner de longs
débats, la cour d’assises pourra ordonner, avant le tirage de la liste des
jurés, qu’indépendamment des douze jurés, il en sera tiré au sort un ou deux
autres qui assisteront aux débats ; en ce cas les récusations que pourront
faire l’accusé et le procureur-général s’arrêteront respectivement lorsqu’il ne
restera que treize ou quatorze jurés.
«
Si l’un ou deux des douze jurés se trouvaient empêchés de suivre les débats
jusqu’à la déclaration définitive du jury, ils seront remplacés par les jurés
suppléants.
«
La cause de l’empêchement sera jugée par la cour et le remplacement se fera
suivant l’ordre dans lequel les jurés suppléants auront été appelés par le
sort. »
M.
Verhaegen. - Je lis dans l’article en discussion :
«
Si l’un ou deux des douze jurés se trouvaient empêchés de suivre les débats
jusqu’à la déclaration définitive du jury, ils seront remplacés par les jurés
suppléants. »
Je
désire savoir ce que l’on fera des jurés supplémentaires lorsque les jurés
seront entrés en délibération. Entreront-ils dans la chambre des jurés ?
J’entends que l’on répond non. Dans ce cas je demande ce que vous faites de
l’article 343 du code d’instruction criminelle. D’après cet article, une fois
que les jurés ont commencé leurs délibérations, ils ne peuvent communiquer avec
personne. Les jurés supplémentaires resteront donc chez eux pendant que les
jurés délibéreront. Mais si un juré tombe malade, on laissera donc sortir ce
juré et on ira chercher le juré supplémentaire qui aura quitté la cour
d’assises ? Cela aurait de grands inconvénients et ce serait mettre entièrement
de côté l’article 343 du code d’instruction criminelle ; il est impossible de
le méconnaître. Cela me fait voir que ces bouts de lois, comme on le disait,
présentent de grands inconvénients.
J’ai l’honneur de prier M. le ministre de la
justice et MM. les membres de la section centrale de vouloir bien dire comment
on agira dans leur opinion à l’égard des jurés supplémentaires.
Je
pense que ce qu’il y aurait à faire, ce serait de supprimer dans cet article
les mots : « Jusqu’à la déclaration définitive du jury, etc. ; » de cette
manière, si un juré est empêché, après la délibération commencée, on fera comme
aujourd’hui, on recommencera les débats. Car il y aurait les plus graves
inconvénients à ce qu’un juré supplémentaire, qui n’aurait pas assisté au
commencement de la délibération du jury, vint prendre part à sa décision après
avoir communiqué avec le dehors.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Il me semble que le texte doit être entendu dans
le sens indiqué par l’honorable préopinant. L’article dit : « Si l’un ou
deux des douze jurés se trouvaient empêchés de suivre les débats, » il en
résulte que la possibilité de l’empêchement pour laquelle des jurés suppléants
sont institués, ne concerne que les débats, et qu’il ne peut plus être question
d’appeler ces jurés quand ces débats sont clos, quand la délibération est
commencée.
M.
Verhaegen. - Il ne s’agit pas de rédaction, l’article est
très clair. Il faudrait seulement en retrancher les mots : « jusqu’à la
déclaration définitive du jury. »
M. de
Behr, rapporteur : L’article a été emprunté textuellement à la
loi française du 2 mai 1827. Quant à moi, j’ai toujours compris que si un juré
était empêché dans la chambre des délibérations du jury, il devait être
remplacé par un juré supplémentaire, et qu’’il faut dans les affaires
extraordinaires et dont les débats durent longtemps, que les jurés
supplémentaires restent à part jusqu’à la rentrée du jury.
Il
n’y pas d’inconvénient à ce qu’il en soit ainsi, c’est ainsi que cette
disposition s’exécute en France.
M. Verhaegen. - Il me semble que
ces messieurs de la section centrale ne sont plus d’accord avec M. le ministre
de la justice ; cependant la rédaction de la section centrale est la même que
celle du gouvernement. D’après M. le ministre de la justice, une fois que les
jurés sont entrés dans la salle des délibérations, on ne peut plus appeler les
jurés supplémentaires ; d’après les membres de la section centrale, on peut
encore les appeler alors même que la délibération du jury est commencée ; cette
dernière opinion ne me paraît pas admissible :j’admettrais plutôt l’opinion de
M. le ministre de la justice qui consiste à dire que lorsqu’un jury est
empêché, une fois la délibération commencée, il faut recommencer les débats, ce
qui se fait aujourd’hui.
La
disposition est empruntée, dit-on, à la loi française ; mais ce n’est pas une
raison pour que nous l’adoptions. Vous empruntez à la loi française des
dispositions qui ne valent rien. Ce n’est
pas là un argument en faveur de ces dispositions. Nous avons prouvé que
ce qu’on a emprunté à la loi française ne vaut rien. La circonstance que cette
disposition est en vigueur dans un pays voisin ne peut prévaloir contre cette
preuve. Pour moi, je pense qu’il y a eu erreur dans cet article et je trouve
qu’il est nécessaire d’en retrancher les mots : « Jusqu’à la déclaration
définitive du jury. »
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Ce qui m’a toujours fait croire, ainsi que
je l’ai déjà dit, qu’il ne pouvait être question que du terme marqué par la
clôture des débats, c’est qu’il n’y a aucune disposition spéciale qui dise ce
que deviennent les deux jurés supplémentaires pendant la délibération des douze
jurés. J’en ai conclu que leur mission cesse dès que la clôture des débats est
prononcée.
M.
Gendebien. - La seule raison donnée par la section
centrale pour justifier sa proposition de faire intervenir les jurés
supplémentaires après la clôture des débats, c’est qu’elle l’a puisée dans la
législation française. Eh bien, elle a eu tort d’adopter la disposition
française ; car l’expérience a démontré combien elle était vicieuse.
Au
milieu d’une délibération, un ou deux membres du jury n’osant pas se prononcer,
peuvent se déclarer malades, ce qui est arrivé ; on fit venir des hommes de
l’art pour constater l’état de leur santé ; il fallut attendre longtemps et
suspendre la délibération du jury. Il arrivera donc souvent que dans les procès
très graves, les douze jurés étant dans la chambre des délibérations, s’il y en
a un ou deux qui se déclarent malades, il faudra constater cette cause de
maladie ; et il en résultera que les jurés supplémentaires qui entreront dans
la chambre des délibérations forceront leurs collègues à recommencer la
délibération.
Ainsi il y aura communication inévitable des
jurés avec le dehors, puisqu’il faudra constater les maladies. Cela arrivera
d’autant plus fréquemment que la disposition proposée encouragera les jurés
timides à en agir ainsi, certains qu’ils seront de pouvoir se faire remplacer
par des jurés suppléants. On ne peut donc pas admettre la disposition dont il
s’agit, non parce qu’elle vient de France, je n’improuve pas tout ce qui vient
de France, mais parce qu’elle est mauvaise. Tout bons Belges que nous sommes,
nous ne sommes pas obligés d’adopter ce qui vient de l’étranger, aveuglément et
sans discussion.
M. Metz.
- On ne peut se dissimuler qu’il n’y ait
des difficultés des deux côtés. Le ministre de la justice entend la disposition
dans ce sens : Que les jurés suppléants restent jusqu’à la clôture des débats,
et qu’ils peuvent s’en aller chez eux quand les douze jurés entreront dans la
salle des délibérations. Mais si, comme l’a dit M. Gendebien, parmi les douze
un ou deux se déclarent malades, les jurés supplémentaires ayant communiqué
avec le dehors, puisqu’ils auront pu retourner chez eux, ne pourront plus faire
partie du jury. Ainsi il faudra recommencer les débats. Ceci est très grave
puisqu’il faudra renouveler les tortures morales que l’accusé a déjà subies par
une première épreuve judiciaire, et prolonger sa détention provisoire.
Si
on regarde les fonctions de jurés comme une charge, il faut la faire peser de
tout leur poids sur ceux qui sont appelés à les remplir ; il faut donc retenir
les jurés supplémentaires dans une chambre à part pendant que les autres
délibèrent ; mais ceci est-il sans inconvénients ?
Il y a des affaires où on pose six mille
questions, les jurés suppléants seront-ils séquestrés pendant leur solution ?
Il y a assez souvent cinquante questions dans une affaire criminelle, et la
délibération des jutés dure quelquefois douze heures ; peut-on séquestrer les
jurés supplémentaires pendant douze heures ?
Il
est donc nécessaire de faire une loi complète, puisque des inconvénients se
présentent de toutes parts dans le projet qui nous occupe. Renvoyons la loi
entière sur le jury à la section centrale, cela vaudra mieux que de faire une
loi partielle.
M.
Lebeau. - Je suis de l’avis du préopinant qu’il
vaudrait mieux faire une loi complète. Mais le projet actuel, composé de cinq
articles, ayant pour but de mettre un terme à des réclamations nombreuses, est
là depuis quatre ans, et il est probable que nous ne l’aurions pas encore
abordé s’il eût compris un grand nombre d’articles. Il faut considérer en outre
que cinquante projets sont soumis à la chambre, et sur lesquels il y a des
rapports faits ou à faire. D’après la marche des travaux de la chambre, si l’on
voulait une loi complète sur le jury, ce serait vouloir ajourner indéfiniment
des améliorations dont l’urgence est reconnue de tout le monde.
Je
doute d’ailleurs qu’on puisse faire une bonne loi sur le jury sans réforme
auparavant le code d’instruction criminelle, lequel ne peut être réformé sans
réformer le code criminel lui-même. Il faut donc céder à l’empire des
circonstances qui veulent qu’on ne procède que par des améliorations
partielles.
On
dit qu’il peut résulter des inconvénients de la disposition dont il s’agit.
Mais ces inconvénients existent aujourd’hui ; ils sont dans la nature des
choses.
Faut-il faire une loi pour prévoir le cas où il
y a six mille questions ? Mais on ne fait pas des lois pour des cas
exceptionnels. Le cas de maladie des jurés, pendant qu’ils sont dans la chambre
des délibérations, est aussi fort rare. Continuons donc notre ouvrage.
Quelque
parti que l’on prenne, on ne peut éviter les inconvénients. Mais si un juré se
trouve malade, il faut renvoyer la cause à quelques mois, retenir un
malheureux, rappeler les témoins : ces inconvénients sautent aux yeux.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Je me réfère aux observations faites par
l’honorable préopinant ; j’ajouterai que s’il pouvait arriver qu’un juré timide
se déclarât malade pour ne pas se prononcer, pour ne pas donner un vote qui lui
coûte, cet inconvénient se présenterait d’autant plus souvent que vous prendriez
plus de précautions pour y porter remède ; ainsi il ne faut pas prévoir ce cas,
il suffit de retrancher les expressions qui ont été critiquées. Quand la
délibération est commencée, les jures suppléants cessent leurs fonctions.
M.
Gendebien. - Je crois avec M. Metz qu’il conviendrait de
renvoyer la loi à la section centrale. On dit que depuis quatre ans la chambre
est saisie du projet en discussion, et qu’on pourrait attendre encore quatre
autres années avant d’avoir une loi complète : je ne crois pas qu’il puisse en
être ainsi. Je crains bien plus que parce qu’on aura fait ce que l’on appelle
un bout de loi, on ne croie avoir satisfait aux réclamations, et que l’on reste
vingt ans peut-être dans la même situation.
Pendant
tout ce temps on dira, comme l’a dit le ministre de la justice, que c’est parce
que le plus grand nombre des membres du jury ne connaissent pas leurs devoirs
qu’il arrive tant d’erreurs, et qu’on en trouve si peu de disposés à remplir
leurs devoirs de juré. En attendant, vous allez dégoûtez le peuple belge du
jury si vous ne lui facilitez pas les moyens de s’instruire de ses devoirs sur
ce point. Je le répète, je crois qu’il faudrait renvoyer le tout à la section
centrale ou à une commission, pour qu’il nous soit présenté un projet complet.
Maintenant que nous avons élaboré quelques articles, il deviendra facile d’en
finir. Et je déclare, pour mon compte et pour la centième fois, qu’il est cent
fois plus difficile de faire ce qu’on appelle un bout de loi qu’une loi
complète.
Si
l’on avait proposé de prime abord une loi complète, vous n’auriez pas été
obligés de recourir tantôt à tel texte, tantôt à tel autre ; de rechercher si
tel libellé est conforme au code d’instruction criminelle ou à la loi du
congrès. Un projet de loi complet vous débarrasserait de la moitié des
questions qui ont été agitées. Depuis quatre jours que l’on discute, la moitié
du temps a été employée pour savoir si l’on était d’accord avec les
dispositions des lois existantes. En un mot, si l’on voulait que les
discussions fussent moins longues dans la chambre, il faudrait que le travail
fût complet dans les sections. Eh bien, investissons la section centrale du
droit de compléter le projet sans avoir autrement égard aux propositions qui
ont été faites que comme moyen d’y prendre des dispositions pour faire quelque
chose de complet.
On
vous a dit, messieurs, qu’il y aurait des inconvénients à retrancher la
disposition, parce que dans le cas où il serait nécessaire de recommencer, il
faudrait renvoyer l’accusé en prison pour trois mois ; oui, messieurs, c’est là
un inconvénient très grave et que j’ai signalé dans d’autres circonstances et à
plusieurs reprises ; mais je demanderai pourquoi il n’y a que quatre sessions
par an. Pourquoi ne pas en faire 8 ou 12 ? Si vous faisiez un plus grand nombre
de sessions, les prévenus n’attendraient pas justice pendant plusieurs mois ;
d’un autre côté, on ne tiendrait pas les citoyens absents de chez eux pendant 6
semaines et même souvent pendant deux mois, sans qu’ils sachent seulement s’ils
devront siéger comme jurés une seule fois pendant la session ; l’absence des
jurés ne se prolongerait plus guère alors au-delà de 8 ou 10 jours, et l’on
peut bien abandonner ses affaires pendant 8 ou 10 jours qu’on ne peut pas les
abandonner pendant 6 semaines ou 2 mois ; il y a une grande différence.
Multipliez
donc les sessions, il n’en résultera pas de graves inconvénients si vous
retranchez de la loi les dispositions qui obligent les cours d’appel de fournir
des conseillers aux cours d’assises du chef-lieu du ressort de la cour d’appel
; il y aurait à cela l’avantage de ne pas disloquer les cours d’appel, de ne
pas les empêcher, comme on l’a dit, de vaquer à leurs affaires par suite de
l’obligation où elles sont d’envoyer quatre fois par an 5 conseillers à la cour
d’assises, Vous aurez ainsi plusieurs avantages à la fois : vous déchargerez
l’ordre judiciaire d’une partie de la besogne dont il est accablé ; vous ne
retiendrez plus les jurés pendant un temps considérable éloignés de leurs
affaires ; vous ne renverrez plus l’accusé en prison pendant trois mois parce
qu’il aura manqué quelques témoins, ou quelques formes à la procédure ; au
moins alors, quand il faudra le renvoyer, ce ne sera pas pour longtemps, et il
saura que dans un mois ou six semaines au plus tard son sort sera déterminé
d’une manière définitive ; le trésor y gagnera aussi sous tous les rapports.
C’est encore là un point sur lequel il y a lieu de renvoyer ce projet à la
section centrale.
Je ne puis, messieurs, qu’appuyer l’observation
faite par M. le ministre de la justice et que j’avais déjà faite avant lui, que
si vous admettez des jurés supplémentaires qui pourraient intervenir dans la
délibération par suite de maladie ou d’autre empêchement d’un membre du jury,
vous provoquerez par là des excuses nombreuses ; on s’excusera d’autant plus
facilement qu’on aura derrière soi un ou deux hommes par lesquels on saura
pouvoir être remplacé ; tandis que quand un juré saura que son départ devra faire
recommencer toute l’affaire, il y pensera à deux fois avant de chercher des
prétextes pour s’abstenir.
M. Metz.
- Je dois déclarer à la chambre que quoique j’aie insisté pour le renvoi à la
section centrale, je n’en étais pas moins décidé, comme je le suis encore, à
voter avec l’honorable M. Verhaegen le retranchement proposé, dans le cas où la
chambre n’admettrait pas le renvoi.
M.
Verhaegen. - Certes, messieurs, je suis parfaitement
d’accord avec l’honorable M. Gendebien, que s’il n’y a pas d’autre moyen de
parer aux inconvénients qu’il a signalés, il faudrait augmenter le nombre des
sessions ; toutefois cela serait peut-être nuisible à l’administration de la
justice. On pourrait arriver d’une autre manière au résultat que désire
l’honorable préopinant : il y a aujourd’hui plusieurs séries ; s’il se présente
dans une série des événements de force majeure, qui empêchent de terminer une
affaire, on pourrait permettre le renvoi à une série prochaine au lieu du
renvoi à la prochaine session ; j’aurai l’honneur de présenter à cet égard une
disposition ainsi conçue :
« Si,
en raison d’événements de force majeure, une affaire doit être remise, le
renvoi d’une série à une autre pourra être demandé et prononcé. »
L’article 331 du code d’instruction criminelle
ne permet le renvoi d’une affaire que d’une session à une autre ; mais lorsque
le législateur a placé cet article dans la loi, il n’y avait pas plusieurs
séries ; aujourd’hui cela existe, et nous avons vu les cours d’assises trouver
des difficultés à prononcer le renvoi d’une série à une autre, s’appuyant de
l’article 331 ; nous pouvons parer à cet inconvénient en levant tous les doutes
par une disposition formelle. Si le renvoi d’une série à une autre peut être
prononcé, l’accusé n’aura plus à subir des délais aussi longs, et
l’administration de la justice n’en souffrira pas. Je soumets donc aux
méditations de la chambre la disposition que je viens d’avoir l’honneur de lui
proposer et que je vais déposer sur le bureau.
- La proposition de M. Verhaegen est appuyée.
M. de
Behr, rapporteur. - Je crois, messieurs, que la proposition de
l’honorable M. Verhaegen peut offrir certains avantages ; mais elle sera sans
résultat dans beaucoup de provinces : dans la province de Liége, dans le
Luxembourg, dans le Limbourg, dans la province de Namur, il n’y a jamais plus
d’une série par session, de sorte que dans ces provinces la disposition
proposée par l’honorable préopinant ne changera rien à l’état actuel des
choses.
(Moniteur belge n°54, du 23 février 1838)
M. le ministre de la justice (M. Ernst). -
Messieurs, un honorable préopinant a témoigné le désir de voir multiplier les
sessions, mais en même temps il a élevé l’objection que la cour d’appel
pourrait être entravée dans ses travaux par un trop grand nombre de sessions ;
en effet, cet inconvénient est grave. Il a ajouté qu’on y remédierait en
faisant siéger aux cours d’assises les membres des tribunaux de première
instance des chefs-lieux des cours l’appel, comme cela se fait dans les autres
chefs-lieux des provinces, mais j’aurai l’honneur de rappeler à la chambre
qu’elle est saisie depuis nombre d’années d’un projet de loi qui renferme une
disposition de ce genre. Si le rapport est fait, ce projet pourra, l’un ou
l’autre jour, être soumis aux délibérations de l’assemblée.
Quant
à l’idée de renvoyer tout le projet à la section centrale pour qu’elle formule
une loi complète dans laquelle elle réunirait toutes les dispositions
concernant le jury, je crois que l’honorable M. Lebeau a déjà fait comprendre à
la chambre les graves inconvénients qui résulteraient d’une semblable manière
de procéder. Depuis longtemps on réclame des améliorations dans l’institution
du jury ; vous ne perdrez pas l’occasion, messieurs, de faire jouir le pays de
ces améliorations ; si un projet complet vous était présenté, il est certain
qu’on ne pourrait pas s’attendre à le voir discuter avant deux ou trois ans. Je
vous rappellerai, messieurs, un projet qui semblait si urgent, le projet de loi
qui avait pour objet d’étendre les attributions des juges de paix, et
d’augmenter leurs traitements, afin de débarrasser les tribunaux de l’arriéré.
Combien de fois n’a-t-on pas demandé ce projet ? Eh bien, messieurs, il y a
plus de trois ans qu’il est présenté ; il contient une trentaine d’articles, et
c’est peut-être là la cause des retards qu’éprouve la discussion de ce projet.
Messieurs, la proposition de l’honorable M.
Verhaegen, si elle est nécessaire, me paraît utile ; je m’explique : le code
d’instruction criminelle parle du renvoi de la cause d’une session à une autre
; l’honorable membre s’est demandé si la cour ne pourrait pas renvoyer d’une
série à une autre ? Je pense qu’elle le pourrait, messieurs, et c’est aussi
l’opinion d’un grand nombre de magistrats et de jurisconsultes. Cependant, s’il
y a quelques difficultés à cet égard, je ne m’opposerai pas à ce qu’on les lève
par une disposition expresse ; si une semblable disposition est inutile dans
les provinces où il n’y a qu’une série par session, au moins elle serait très
utile dans quelques autres provinces, dans le Brabant et la Flandre orientale
où il y a souvent un grand nombre de séries.
(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838)
M. Maertens. - Je vous ferai remarquer
messieurs, qu’à mon avis, la proposition de l’honorable M. Verhaegen est tout à
fait inutile ; certainement les dispositions des lois actuelles permettent au
président de la cour d’assises de renvoyer une affaire d’une série à une autre
; ceci n’a jamais souffert de difficulté, les présidents ne se sont jamais fait
scrupule de renvoyer à la seconde série des affaires qui n’ont pu être jugées
dans la première ; mais dans l’état de notre législation actuelle, je pense que
ce résultat peut être rarement atteint.
D’abord, l’article 3 de la loi du 1er mars 1832,
dont vous a parlé l’honorable M. de Muelenaere, et dont il a eu quelque sorte
demandé l’abrogation, oblige d’afficher 24 heures avant le tirage des jurés, le
rôle des affaires qui seront comprises dans cette série. Les séries se
succèdent régulièrement l’une après l’autre, de telle manière qu’il n’y a aucun
intervalle entre elles. La première série dure de 10 à 15 jours, la seconde est
ouverte le 15ème jour. Pour l’ouverture de la seconde, il faut dix ou douze
jours d’avance pour faire le tirage des jurés ; il faut donc connaître dix ou
douze jours à l’avance les affaires qui seront comprises dans cette série, Or,
à cette époque on ne pourrait savoir si telle ou telle affaire devra ou ne
devra pas, pourra ou ne pourra pas être jugée, de manière que la proposition
dont il s’agit me paraît inutile d’une part, et d’autre part ne me semble pas
susceptible d’amener aucun résultat.
Je
bornerai là mes observations. J’engagerai M. le ministre de la justice à nous
présenter un projet de loi tendant à abroger l’article 3 de la loi du 1er mars
1832.
M. Metz.
- Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale vous a fait
connaître que la proposition qui vous a été soumise par l’honorable M.
Verhaegen, serait pour ainsi dire inapplicable dans beaucoup de cas et dans la
plupart des provinces. A la vérité, il est peu de provinces où se présente le
cas de deux séries dans une session ; mais enfin, il se présente des
circonstances où la proposition trouve son application et peut produire du bon,
et c’est assez pour que nous devions nécessairement accepter la proposition.
Mais à entendre l’honorable préopinant, la
proposition est inutile, parce qu’elle se trouverait déjà comprise dans les
lois qui nous régissent aujourd’hui ; c’est une erreur, ou au moins je crois
que l’opinion de l’honorable M. Maertens n’est pas partagée par plusieurs
présidents de cour d’assises.
J’ai
entendu avec étonnement l’honorable M. Lebeau soutenir qu’il fallait songer
avant tout à réviser le code d’instruction criminelle et le code pénal.
L’honorable M. Lebeau sait aussi bien que moi, que le jury constitue un titre
entièrement à part, qu’il forme réellement une parenthèse dans le code
d’instruction criminelle ; et que dès lors l’on peut faire du jury l’objet
d’une loi complète, sans qu’il faille pour cela changer une lettre au code
d’instruction criminelle.
Je
voterai pour la proposition de l’honorable M. Verhaegen.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Messieurs, il serait prudent de renvoyer
cette proposition à l’examen de la section centrale, comme la chambre l’a décidé
pour les autres amendements. La section centrale pourrait s’occuper
simultanément de la question soulevée par l’honorable M. Maertens, concernant
la nécessité d’afficher le tableau des causes quinze jours avant l’ouverture
des assises.
M.
Gendebien. - Messieurs, je n’ai pas perdu l’espoir de
voir renvoyer toute la loi à la section centrale, car je ne vois absolument
aucun motif pour qu’on ne fasse pas une loi complète. Qu’a-t-on dit pour
repousser cette proposition ? On vous a dit qu’il faudrait au moins quatre ans
pour faire ce travail. Une simple observation répond à cette objection : nous
faisons en ce moment une loi de dérogation au code d’instruction criminelle,
une loi destinée à introduire des améliorations dans ce code.
Eh
bien, si les projets des deux ministres et celui de la section centrale n’ont
amélioré que les points qui sont indiqués dans chacun d’eux, c’est, il faut
bien le supposer pour leur honneur, qu’ils n’ont pas cru nécessaire de déroger
aux autres parties du code d’instruction criminelle et à la loi du congrès. Il
suffirait donc de reproduire pour former un code unique, de reproduire dans la
loi les articles du code d’instruction criminelle. Il me semble dès lors qu’il
n’y a aucune espèce de difficulté qui nous empêche d’améliorer la loi dans son
ensemble.
Vous
voulez des améliorations ? et moi aussi ; mais je veux des améliorations
réelles, je ne veux pas une complication plus grande, et c’est ce que vous
allez faire ; car, messieurs, vous avez d’abord le code d’instruction
criminelle : voilà une première loi qu’il faut se procurer quand on est membre
du jury ; vous avez ensuite le décret du congrès dont on doit également se
pourvoir ; vous avez la loi de 1832 ; vous allez avoir la loi actuelle, et je pense
qu’il sera assez convenable de se procurer également la loi sur la composition
des cours d’assises dont nous avons parlé tout à l’heure.
Au
lieu de laisser subsister ces lois dans leur isolement, je propose de réunir
dans un seul texte de loi toutes les dispositions qui régissent, tant les
dispositions nouvelles que celles auxquelles on n’a pas dérogé.
Ainsi, la question se réduit à ceci : s’il faut
reculer devant un mince travail, celui de transcrire hors du code et des lois
que nous avons précédemment votées, les dispositions relatives au jury, qui
manquent à la loi actuelle, et de les insérer dans un seul texte de loi.
Si
nous avions commencé par là, nous aurions évité une grande perte de temps, car
nous avons consacré plus de la moitié de la discussion à nous assurer si l’un
ou l’autre des articles du projet de loi actuel n’était pas en opposition ou
n’était pas compris dans une des dispositions législatives qui ont régi le jury
jusqu’ici. Eh bien, tous ces doutes disparaîtraient, s’il y avait un ensemble ;
mais on ne veut pas de cet ensemble, sous prétexte qu’il faudra trois ou quatre
ans pour arriver à ce résultat. Qu’on y mette un peu plus de franchise ; qu’on
dise qu’on veut dégoûter le peuple belge du jury. Dans le fait, le meilleur
moyen d’y parvenir, c’est d’augmenter la difficulté de connaître ses devoirs et
de les accomplir.
M.
Lebeau. - Messieurs, je crois que si l’on renvoie la
loi à la section centrale, pour avoir un projet complet, la section centrale
sera fort embarrassée de remplir sa mission, car qu’est-ce qu’un projet complet
sur le jury ? C’est tout ce qu’il y a de plus vague. A l’occasion de 4 ou 5
articles, tendant à faire cesser des abus, vous avez vu pleuvoir une masse
d’amendements. Que serait-ce, si nous avions à discuter en ce moment une loi
complète sur le jury ?
Messieurs,
quand il s’agit de faire des lois complètes, la chambre recule constamment.
Depuis trois ou quatre ans, aux termes d’une disposition sur l’organisation de
la cour des comptes, la chambre aurait dû vérifier cette loi, et elle n’a
encore rien fait. Il y a quatre ans qu’un projet de refonte du code pénal vous
a été soumis, et je doute qu’il soit livré à la discussion dans quatre ans.
Voulez-vous,
dans l’espoir d’avoir un projet de loi complet sur le jury, perpétuer des abus
qui sont notoires ? Voulez-vous permettre à certaines députations provinciales
de continuer à appliquer la loi, de manière à considérer comme jurés de droit
les membres des conseils communaux dans les communes les plus infimes, les
membres des bureaux de bienfaisance, les conseillers de fabrique, etc. ? Quel
moyen auriez-vous de faire cesser une semblable interprétation de la loi
actuelle ? Voilà des abus sur lesquels tout le monde est d’accord ; il est
urgent d’y porter remède, et lorsque la chambre est mise en position de le
faire, elle assume en quelque sorte la responsabilité des graves
inconvénients qui résultent de l’état
actuel des choses.
Je
crois donc qu’il ne faut pas vouloir atteindre tout d’un coup le but que se
propose l’honorable préopinant. En fait de réforme législative, le mieux est
l’ennemi du bien. Quand l’occasion se présente de faire cesser des abus contre
lesquels tour le monde réclame, il faut s’empresser de la saisir. Quant aux
autres réformes, elles seront l’objet d’un examen ultérieur. Mais celles qui
ont été examinées par les sections et ont obtenu leur adhésion ainsi que celle
de la section centrale, après avoir été de sa part aussi l’objet d’un mûr
examen, il n’y a pas de raison pour ne pas les adopter.
Si on a discuté longuement, ce n’est pas, comme
on le prétend, par suite de la nécessité où on s’est trouvé de coordonner les
dispositions avec celles auxquelles on ne proposait pas de modifications, mais
parce qu’on a prématurément occupé l’assemblée du vote secret pendant deux
séances.
Je
me bornerai à demander le renvoi des dispositions nouvelle à la section
centrale ; mais, quant aux articles qui lui ont déjà été soumis, que nous
passions immédiatement au vote.
M.
Dubus (aîné). - J’avais demandé la parole pour combattre
l’opinion de ceux qui proposent le renvoi à la section centrale pour avoir une
loi complète sur la matière. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de prendre ce
parti. Je crois que ce serait renvoyer à une époque indéterminée et assurément
à une autre session les améliorations que réclame la loi du jury. Ce n’est pas
peu de chose que de revoir toute la législation sur cette matière.
On
a dit que les affaires soumises au jury font l’objet d’un titre à part dans le
code d’instruction criminelle. Mais je ferai observer que ce titre comprend 200
articles sur 643 dont se compose le code d’instruction criminelle.
Si
on me dit qu’on doit en négliger une partie et ne prendre que ceux qui
affectent particulièrement le jury, je répondrai que c’est encore compliquer
considérablement la question. On dit qu’il ne s’agira, pour beaucoup de
dispositions, qu’à les rappeler et à les mettre matériellement dans la loi Mais
alors vous allez les soumettre à une discussion et à une foule d’amendements
qui surgiront de toutes parts, et vous aurez une discussion interminable qui
sera beaucoup plus longue, n’ayant pas eu de travail de révision, que s’il y en
avait eu. Si vous ne voulez pas ajourner les améliorations que réclame l’organisation
du jury, vous ne pouvez pas admettre une semblable motion.
Quant
aux inconvénients de faire des lois partielles, on les a beaucoup exagérés. Je
ne vois pas que ce soit un si grand inconvénient pour ceux qui doivent
appliquer la loi comme pour ceux qu’elle doit régir, que d’être obligé de
recourir à deux et même trois lois distinctes, contenant des dispositions
différentes, car alors qu’il n’existait que le code d’instruction criminelle,
il fallait bien que le juré cherchât dans un code de 600 articles ce qui
pouvait le concerner, combiner ces dispositions entre elles pour en comprendre
le véritable sens. Tout ce qu’on peut faire si la loi est admise, c’est de
publier une édition du code d’instruction criminelle qui contiendra en note la
loi que nous faisons et celle du congrès, ou seulement la loi que nous faisons
si elle comprend toutes les dispositions de la loi du congrès, et le juré
pourra combiner les articles du code et de ces lois, avec autant de facilité
que quand ces dispositions étaient confondues au milieu de toutes celles qui se
trouvent dans le code d’instruction criminelle,. Plus tard on révisera le code
d’instruction criminelle ; on pourra alors tout refondre, ou faire un seul code
où le juré trouvera toutes les dispositions qui le concernent.
Fréquemment
nous faisons des lois incomplètes. Quand le besoin d’une amélioration se fait
sentir, on peut, sans refaire tout le code, voter la disposition améliorant.
Nous sommes saisis d’un projet de loi relatif au renouvellement des inscriptions
hypothécaires : faut-il pour cela refaire tout le code hypothécaire ? Quoique
cette amélioration soit nécessaire, faut-il la reculer jusqu’au moment où nous
pourrons réviser le code civil lui-même ? Quand la chambre des représentants
élue après le congrès a fait la loi d’organisation judiciaire, elle a reconnu
qu’à moins de renvoyer cette loi à une époque éloignée, elle devait se former
et s’occuper des dispositions relatives aux points sur lesquels un changement,
une amélioration était urgente. Je crois que jusqu’à ce que nous puissions nous
occuper de la révision du code nous devons procéder de la même manière. (Aux voix ! aux voix !)
-
La proposition de M. Verhaegen est renvoyée à la section centrale.
L’article
est ensuite adopté avec le retranchement des mots : « jusqu’à la
délibération définitive du jury. »
__________________
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai eu l’honneur
de proposer un amendement à l’article 13. J’en demanderai le renvoi à la
section centrale, afin qu’elle puisse s’en occuper en même temps que les autres
amendements qui lui sont déjà renvoyés.
« Art.
5. Le vote du jury aura lieu au scrutin secret sur les questions posées en
exécution des articles 337 et suivants du code d’instruction criminelle.
« A cet effet, des bulletins seront imprimés
et marqués du timbre de la cour d’assises. Ils porteront en tête les mots :
« sur mon honneur et ma conscience, ma déclaration est. »
«
Au milieu, en lettres noires très lisibles, le mot : « non. »
« Et
au bas, en lettres rouges très lisibles, le mot ; « oui. »
« A
côté de ces mots seront imprimés de mêmes ceux correspondants de l’idiome
flamand ou allemand, dans les provinces où ces langues sont en usage. »
M. Verdussen.
- Je demande la suppression des mots : « sur mon honneur et ma conscience,
ma déclaration est, » qu’on propose de mettre en tête de chaque bulletin,
et de n’y porter que les mots « oui » et « non. »
On
a supposé le cas où un juré ne saurait pas lire : avec l’adjonction de ces
mots, il pourrait se méprendre sur ce qu’il doit effacer, et rayer le préambule
au lieu d’effacer le oui ou le non. Je demande donc qu’on borne le bulletin à
ces deux mots.
(Moniteur
belge n°54, du 23 février 1838) M. Gendebien. -
Messieurs, je ne puis consentir à laisser voter sur cet article, sans présenter
quelques observations sur le système qu’on veut adopter.
Je
ne vous rappellerai pas qu’en France on a adopté le vote secret dans un moment
d’intimidation, et parce que le gouvernement voulait faire de l’intimidation
son système. Comme l’action violente est ordinairement suivie d’une réaction,
le gouvernement d’intimidation avait raison de craindre qu’une réaction ne se
fît sentir jusque dans le jury. Nous ne sommes pas dans la même position.
Il
n’y a aucune raison politique, aucune raison d’expérience qui puisse nous
déterminer à introduire un changement aussi exorbitant dans notre législation.
J’y vois de graves inconvénients et je n’y vois aucun avantage. Le premier
inconvénient, c’est que vous supprimez toute discussion. Il est impossible
qu’alors que la législature avertit les membres du jury qu’il y a danger pour
eux dans les conséquences de l’expression de leur opinion ; il est impossible
que le citoyen averti législativement de ce danger n’éprouve quelque inquiétude
à discuter. Il est certain que le plus grand nombre ne discutera pas. Mais,
a-t-on dit, il n’y a pas nécessité, il n’y pas obligation à discuter. Sans
doute, il n’y a pas nécessité de discuter dans la salle des délibérations du
jury ; ici aussi, nous pourrions nous dispenser de discuter, et venir chacun de
notre côté, avec notre contingent individuel de science, de lumière, et
d’expérience, voter sur les propositions qui nous sont faites ; mais il faut
convenir que le vote alors ne représentera plus que la capacité individuelle.
Il ne présentera plus le résultat de toute délibération, c’est-à-dire une
moyenne de capacités et de lumières ; ce sera un vote de hasard, selon que la
chambre sera composée de tels ou tels éléments individuels. Ici, le vote secret
peut être une calamité ou une bonne chose ; à plus forte raison pour le jury,
où il y a une préoccupation que nous n’avons pas en entrant dans cette chambre.
Là vous avez réuni 12 hommes, les uns timides et inexperts, les autres plus
habiles, instruits ou peu instruits ; si vous les avertissez qu’il y a danger
pour eux à exprimer leur opinion, il n’y aura pas de discussion, par de moyen
de s’éclairer, celui qui doutera en entrant dans la salle du conseil, doutera
jusqu’à la fin de la délibération. Dans le doute, que fera-t-il ? il
s’abstiendra toujours ; et le vote secret, que vous proposez dans le but de
diminuer les acquittements que vous trouvez trop nombreux, ira en sens
contraire de ce que vous vous proposez ; car s’il n’y a pas de discussion, il y
aura plus de doutes, et s’il y a plus de doutes, il y aura plus de chances
d’acquittement.
Pour
l’exécution, viennent des difficultés sans nombre. Sur chaque question, on remettra
aux jurés une liste sur laquelle ils doivent biffer le oui ou le non. Je ne
parle pas des inconvénients résultant de la circonstance où le juré ne sait pas
lire.
Dans
la crainte de se tromper, il n’effacera ni oui ni non ; il n’osera pas
communiquer sou embarras à son voisin, d’abord parce qu’il est averti du danger
de communiquer son opinion, et ensuite il n’osera pas par amour-propre, parce
qu’on éprouve quelque pudeur à avouer qu’on ne sait pas lire. Dans le doute, il
ne raiera ni oui ni non, ou il les bâtonnera tous deux, ce qui amènera un
acquittement, d’après votre loi. L’acquittement trouve donc encore là une
chance de plus. Vous vous plaignez que les grands coupables échappent à la
justice ; mais ils échapperont plus facilement encore.
On
a parlé de l’influence qu’un juré habitué aux affaires peut exercer sur ceux
qui sont inexpérimentés ; on prétend que le vote secret parera à cet
inconvénient. Mais vous n’y échapperez pas à cette influence, parce qu’il sera
libre à ce membre influent de parler, et que si personne ne lui répond, sa
parole n’en aura que plus de poids. Et précisément parce que personne n’osera
répondre, parce que chacun aura été averti par la législature du danger qu’il y
a à exprimer son opinion, les hommes à influence seront plus à craindre
précisément parce qu’il n’y aura pas de discussion. Cette influence qui aurait
pu être neutralisée par la discussion, entraînera des absolutions. Ainsi
nouvelles chances de plus nombreux acquittements, alors que vous prétendez les
diminuer.
La
corruption, mais avec le vote secret et quand il n’y aura pas de discussion, la
corruption sera plus facile que quand on votait par oui ou par non ; car tel
juré disposé à céder à la corruption n’aurait pas osé dire non, en face de ses
collègues et pour ainsi dire contrôlé par eux ; il osera le dire par bulletin
secret, quelle que soit l’évidence des preuves. C’est encore là une chance
d’acquittement ; cependant, vous vous plaignez de ce qu’ils sont trop nombreux,
et vous favorisez la corruption ; vous tuez le jury.
Maintenant
examinons l’opération matérielle en elle-même. On vous a parlé de certaines
causes où il y a eu jusqu’à six mille questions. Ces circonstances sont rares,
mais vous allez nécessairement multiplier le nombre des questions ; car il est
telle question qui, devant être résolue par oui ou par non comme aujourd’hui,
pourrait être soumise seule au jury, et qui, avec le vote secret, devra être
subdivisée en 10 ou 15 questions. Ainsi, en général le nombre des questions
étant de 25 à 30 ou 40 dans les affaires un peu importantes, ce nombre sera
décuplé.
Les
débats d’une affaire grave pourront durer 10 ou 15 jours ; le jury arrivera
exténué dans la chambre des délibérations ; là il pourra y avoir une discussion
qui absorbera un certain temps. Il pourra y avoir discussion sur chaque
question. Si après discussion on procédait au vote oral par oui ou par non, la
discussion abrégerait l’opération ; mais, par le vote secret, ce sera tout
autre chose ; car qu’il y ait délibération ou non. Il faudra toujours en venir
à l’opération matérielle du vote par écrit ; il faudra remettre un bulletin à
chaque juré ; chacun se rendra dans sa case, il faudra qu’il réfléchisse avant
d’émettre son vote, il pourra réfléchir longtemps. car rien ne pourra
contraindre le juré de voter immédiatement ; sans doute vous ne placerez pas
derrière chaque juré un huissier chargé de le stimuler et qui le mettra en
demeure de voter de suite ; si un seul juré déclare qu’il lui faut un quart
d’heure pour se faire une opinion sur chaque question, il faudra bien que ses
onze collègues attendent ; il faudra toujours, alors même qu’on n’y inclura pas
mauvaise volonté, un temps moral pour la réflexion ; après le vote, il faudra
faire le dépouillement avec certaine précaution, tenir note du résultat, puis
il faudra distribuer de nouveaux bulletins, recommencer la même opération.
Il
en sera ainsi pour la première question, ainsi pour la seconde, ainsi jusqu’à
la 100ème ou la 300ème, s’il y a 100 ou 300 questions. Combien de temps cela
prendra-t-il ? Il résultera de là de deux choses l’une : ou les opinions se
formeront avec maturité, avec conscience et réflexion : dans ce cas, vous
prolongerez à l’infini la durée des opérations du jury, qui deviendront
interminables, et vous dégoûterez ainsi des fonctions de juré, dont on n’est
que trop déjà dégoûté ; ou bien, les jurés voudront en finir au plus vite,
alors il y aura nécessairement de la précipitation pour arriver à la solution
de 100 ou 200 questions. Alors que d’erreurs funestes, sanglantes ! Ils
effaceront un oui pour un non, ou plutôt, dans le doute, ils n’effaceront ni
l’un ni l’autre. Et dans ce cas, d’après votre loi, il y a acquittement : mais
déjà vous vous plaignez de ce qu’il y a trop d’acquittements, et vous proposez
le vote secret pour en diminuer le nombre.
Je
vous demande si ces inconvénients ne sont pas de nature à vous arrêter ? Quels
avantages espérez-vous de ce secret ? Qu’on veuille bien le dire ? Je n’en vois
aucun, et il en faudrait d’immenses pour compenser les inconvénients que j’ai
signalés. Je n’en ai montré qu’une partie minime, les premiers qui se sont
montrés à mon esprit. On en signalera bien d’autres dans l’exécution.
On a discuté cette question en France en août
1835. Malgré toute la préoccupation de la chambre, résultat d’une tentative
d’attentat sur la personne du roi, tous ces graves inconvénients ont été
reconnus ; le ministre de la justice lui-même a reconnu qu’il était impossible
de mettre à exécution ce système. C’est ce que vous reconnaîtrez aussi dans la
pratique. Consultez les débats de cette époque et vous ne pourrez pas en
douter.
Il
vous reste donc le vote par boules ; mais le ministre, la section centrale,
tout le monde est et doit être d’avis que ce système est inadmissible. Dès
lors, vous devez vous en tenir au système suivi aujourd’hui, à moins de réfuter
ce que nous avons dit contre le système du vote secret ; or, toute cette
discussion a démontré votre impuissance à nous réfuter, et la chose est
impossible, car nous sommes dans le vrai.
Je
crois en avoir dit assez pour justifier mon opinion ; je voterai contre le
système du vote secret, parce qu’il rendra le jury impossible dans son
exécution, ou funeste dans ses résultats.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Je serai aussi
court que possible, car il n’y a plus rien de neuf à dire sur cette question.
Le
vote secret a été introduit en France à l’occasion de circonstances
extraordinaires qui n’existent pas chez nous, j’en conviendrai volontiers ;
mais la question est de savoir si la mesure en elle-même est bonne et utile.
C’est précisément parce que la proposition de la section centrale a été faite
dans un temps calme, sans influence, sans aucune préoccupation politique, qu’il
y a lieu de croire qu’une maturité plus grande a présidé à ses délibérations,
qu’une conviction plus profonde a dicté sa résolution.
La
section centrale, a-t-on dit, s’est faite gouvernement ; non, messieurs, la
section centrale a donné à la justice une garantie importante dont elle avait
besoin ; elle a voulu protéger le jury, la vérité, la société, prévenir les
acquittements scandaleux, les condamnations injustes.
On
prétend que le vote secret est une innovation qu’aucun motif ne justifie ; mais
; entourer le suffrage du juré d’une liberté complète, garantir son
indépendance, sa sécurité, faire en sorte que le dernier juré vote avec la même
conviction que le premier, ne sont-ce pas là des raisons puissantes confirmées
par l’expérience ?
Qu’on
ne se trompe pas, le secret du vote n’est pas une innovation, seulement les
moyens d’assurer ce secret sont nouveaux. Le secret des suffrages des jurés est
dans l’esprit de toute la législation, il est de l’essence même de
l’institution. Le juré ne doit compte de son opinion qu’à sa conscience et à
Dieu. C’est un droit pour chaque juré que son vote ne soit pas connu ; c’est un
devoir pour chaque juré de conserver un silence absolu sur tout ce qui se fait
dans la chambre des délibérations. Si tous les jurés remplissaient toujours ce devoir,
il serait inutile de recourir à des moyens extraordinaires pour empêcher la
publicité des votes ; mais l’expérience a démontré la nécessité de donner une
sanction législative à une obligation morale, d’introduire des dispositions
nouvelles pour prévenir la violation du secret.
Le
vote secret entraîne-t-il la suppression de la délibération ? Evidemment non :
chaque juré pourra discuter les faits, élever des doutes sur tel ou tel point,
provoquer des éclaircissements de ses collègues, relever des assertions
inexactes, des raisonnements erronés, rappeler telle ou telle preuve, délibérer
enfin sans qu’on puisse en conclure quel sera son vote ; délibérer ce n’est pas
voter, sinon il serait inutile de conférer pour s’éclairer.
Le
juré qui a des raisons particulières de craindre pour lui ou pour sa famille,
pour sa personne ou pour ses propriétés, la vengeance de l’accusé, des amis,
des ennemis puissants de l’accusé, ce juré pourra ne pas faire connaître son
opinion ; on est d’autant plus sûr qu’il votera d’après sa conscience.
On
objecte que le vote secret favorise la corruption des jurés, je pense le
contraire. Supposez que l’accusé soit en butte aux clameurs, aux accusations
passionnées d’ennemis nombreux, actifs, que la presse le poursuive avec
acharnement ; les exemples ne sont pas loin de nous, et je ne fais pas allusion
à des délits politiques. Le juré aura-t-il toujours assez de force pour voter
en faveur de l’accusé innocent ? La crainte même de l’autorité publique ne
peut-elle pas exercer de l’influence sur le juré fonctionnaire, lorsqu’il la
croit intéressée à une condamnation ? Le secret du vote n’est-il pas encore,
sous ce point de vue, une garantie ?
De quelque manière que j’envisage la question,
je ne puis voir qu’un grand bienfait dans les dispositions qui assurent le
secret du vote, et si une chose m’étonne, c’est qu’elles n’aient pas toujours
existé. Si elles existaient, et qu’on tentât de les abolir, ah ! alors il
faudrait être sur ses gardes.
C’est faire injure aux jurés que de les supposer
pusillanimes Il faut prendre les hommes comme ils sont et non tels qu’ils
devraient être ; le courage civil n’est pas donné à tous, il est le partage du
petit nombre.
(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838)
M. de Langhe. - Je demande que le dernier
paragraphe de l’article 5 soit ainsi rédigé : « A côté de ces mots seront
imprimés de même ceux correspondant en flamand ou en allemand dans les
provinces où ces langues sont en usage. »
M. Metz.
- Il ne faut pas se dissimuler que la demande du vote secret proposé par la
section centrale n’a en réellement d’autre cause que les acquittements appelés
scandaleux et dont la société aurait eu à gémir ; mais la section centrale
s’est-elle bien rendu compte de cette première pensée qui aurait dû la dominer
: le vote secret que l’on va proposer empêchera-t-il les acquittements que nous
déplorons ?
A
cette question, la section centrale a-t-elle répondu oui ? Les observations
faites par le ministre de la justice vous ont-elles fait sentir cette vérité ?
Quant à moi, mon doute existe encore, et je partage l’opinion émise par M.
Gendebien, émise hier par moi, que bien loin de diminuer cette rage
d’acquittement, comme on dit, qui possède le jury, on l’augmentera. Voyons quelles
sont les causes des acquittements.
Le
jury, ainsi que l’a dit M. Angillis, n’est pas une institution à laquelle on
façonne tout un peuple en un jour ; c’est une haute magistrature que l’on
n’apprend pas à remplir à des hommes de la campagne en quelques heures. On
avait bien plus à se plaindre du jury dans les commencements qu’actuellement ;
le jury marche mieux que jamais, et j’ai entendu des présidents de cours
d’assises dire aux jurés : Nous aurions été fiers d’avoir rendu les mêmes
verdicts que vous. Il faut attribuer les nombreux acquittements aux essais, aux
tâtonnements, à l’hésitation des jurés, mais ces hésitations se dissipent tous
les jours.
En
France, avez-vous entendu une voix s’élever pour dire qu’il fallait s’empresser
d’abolir le jury ? Le ministre de la justice dit : La loi nouvelle est
présentée par nous dans une occasion plus favorable que celle où elle a été
présentée en France ; nous ne sommes pas dans un mouvement politique ; nous
pouvons délibérer, abstraction faite de tout intérêt politique : mais c’est là
justement ce qui devrait nous faire écarter le vote secret. Il ne serait jamais
venu dans l’esprit du gouvernement de le proposer, s’il n’y avait été entraîné
par les graves inconvénients résultant de l’abus de la presse.
Ce
sont ces abus qui ont déterminé la chambre française, malgré ses scrupules,
malgré ses répugnances, à adopter le vote secret. Cette nécessité n’existe pas
chez nous, on a fait un mauvais emprunt à la France qui n’a admis ce vote
secret qu’à raison des crimes politiques.
Mais
dit-on, on ne doit compte de son vote qu’à Dieu et à sa conscience ; un vote
étant une affaire de conscience est par là même une chose essentiellement
secrète. Pourquoi s’il en est ainsi, ne faites-vous pas voter les juges
secrètement ?
Le
principe doit être le même pour tous, et eux aussi ne doivent compte qu’à Dieu
et à leur conscience de leur vote. Mais c’est une autre pensée qui a dicté la
manière dont les magistrats doivent voter : il faut que les hommes qui en
jugent un autre puissent rendre compte de leurs opinions à toute la société ;
voilà la haute pensée qui a présidé au vote des juges.
Si
vous intimidez le jury, si vous lui fermez la bouche quand il doit prononcer,
vous allez multiplier les acquittements.
Ce
sont les menaces qu’on peut faire aux jurés qui motivent le vote en secret ;
mais quels sont donc les jurés qui ont été menacés dans leurs biens ou dans
leurs personnes ?
Le
ministre de la justice a dit quelque chose qui me rendrait encore plus sensible
la nécessité du vote public : selon lui la disposition n’empêchera pas la
délibération ; seulement celui qui craindra d’être l’objet des vengeances de
l’accusé ou de ses amis sera libre de n’y pas prendre part. Mais de là on
conclura que tout individu qui a gardé le silence a voté la condamnation. Un
vote secret permettra d’exercer sur le jury une influence fort ordinaire, celle
de bienveillance. Si une affaire intéresse un homme tant soit peu considéré
dans le pays, il aura toujours pour auxiliaires quelques individus qui aborderont
les jurés pour les rappeler à des sentiments d’indulgence, sinon de miséricorde
; l’urne muette sera très favorable pour satisfaire à ces sentiments, tandis
qu’on n’oserait pas s’en prévaloir en face de la société qui demande réparation
et un exemple.
Mais qu’arrivera-t-il quand par le moyen du vote
secret, un juré ne voudra pas déposer son vote dans l’urne ? Tout est enveloppé
de ténèbres dans la manière de déposer le vote ; vous dites aux jurés :
défiez-vous de vos collègues, faites tout en secret. On dépouille le scrutin ;
et on ne trouve que onze bulletins au lieu de douze ; faudra-t-il recommencer ?
Trouverez-vous le moyen d’obtenir la condamnation ou l’acquittement dans un
semblable cas ?
Il
n’y a pas de meilleur moyen d’arriver promptement à un beau résultat que de
laisser au vote sa publicité ; cette publicité est digne du jury ; n’altérons
pas une des plus belles institutions, et une des plus belles conquêtes de notre
révolution. (Aux voix ! aux voix !)
(Moniteur belge n°54, du 23 février 1838)
M. Gendebien. - Il me semble que la
question est assez importante pour continuer la discussion. Si vous êtes
pressés de consacrer une anomalie, une monstruosité dans les institutions du
gouvernement représentatif, je ne serai pas long ; ainsi veuillez prendre
quelque peu patience. Je n’ajouterai que peu de mots à ce que j’ai dit.
Messieurs,
je vous ai signalé tout à l’heure les inconvénients du mode proposé par la
section centrale. M. le ministre s’est bien gardé de me répondre ; il est venu,
comme si la discussion commençait, proposer des généralités, des lieux communs
qui ont laissé debout toutes mes objections. J’ai dit, messieurs, que le vote
secret devait, au dire de ses partisans, diminuer le grand nombre d’acquittements
dont on se plaint, et je vous ai démontré que le système proposé aura pour
effet d’augmenter ces acquittements.
On
vous a dit, messieurs, que si le vote n’est pas secret, lorsque sept jurés
auraient voté dans un sens et quatre dans un autre, le dernier juré serait
intimidé et se prononcerait toujours pour l’acquittement ; l’honorable M. Metz
a détruit cette objection, et personne n’a essayé de le réfuter, parce qu’il
n’était pas réfutable. Je suis ce raisonnement et je dis : Lorsqu’on vote par
oui et par non sur l’interpellation du chef du jury, si la question est grave,
s’il y a doute, et si 4 jurés ont voté dans un sens et 7 dans un autre, le
dernier n’hésite pas à se ranger du côté de la minorité qui a voté la
condamnation, parce qu’alors il compte sur les lumières de la cour, qui se
joint au jury pour décider ; isolez maintenant chaque juré, placez-le
séparément dans sa loge ; ne sachant pas ce que font ses collègues, s’il y a
doute, si le cas est grave, le jure, qui n’eût pas hésité à se mettre du côté de
la minorité des quatre qui votent pour la condamnation, votera sans doute pour
l’acquittement, tandis que si l’on avait voté oralement par oui et par non, il
se serait prononcé de manière à décharger sa conscience du doute qui l’obsède,
en laissant à la cour le soin de décider l’affaire par son intervention ; il y
aura donc ainsi une chance d’acquittement de plus, et c’est du trop grand
nombre d’acquittement que vous vous plaignez ! Et veuillez bien le remarquer,
messieurs, dans les affaires graves les votes de sept contre cinq se présentent
très fréquemment.
Je
ne répondrai plus qu’à une seule observation du ministre. Si l’autorité, a dit
M. le ministre de la justice, pouvait être intéressée à obtenir une
condamnation, si elle attachait de l’importance à obtenir une condamnation, des
fonctionnaires publics qui se trouveraient au nombre des jurés pourraient
hésiter à se prononcer pour l’acquittement ; mais si le vote est secret, nul
n’hésitera à voter selon sa conscience. Je n’ai pas voulu, messieurs, mettre la
discussion sur ce terrain, je n’ai pas voulu faire une supposition semblable ;
mais puisqu’elle a été faite par le ministre lui-même, j’en ferai usage. Si le
gouvernement se croyait un jour intéressé à obtenir une condamnation, avec le
vote secret il arrivera bien plus facilement à son but, au moyen de la
corruption, qu’avec le mode actuel de voter ; un fonctionnaire public qui a le
courage de l’indépendance et vote selon sa conscience, a rarement à craindre
des indiscrétions de la part de ses collègues du jury, et si une indiscrétion
était commise, le gouvernement qui voudrait molester un fonctionnaire, membre
du jury, qui aurait voté oralement, selon sa conscience, serait atroce ; ce
gouvernement serait flétri. Ce cas n’est donc pas à craindre ; mais ce qui est
à craindre, dans la supposition faite par M. le ministre et qui est sans doute
possible, c’est la corruption. Supposez que le gouvernement se croie intéressé
à faire condamner un accusé, qu’il mette de l’acharnement à le poursuivre ; de
là à la corruption il n’y a qu’un pas que les gouvernements hésitent rarement à
faire ; or, la corruption est sans remède avec le vote secret, elle agit dans
l’ombre, elle n’a rien à craindre. Je le demande donc, messieurs, la seule
observation qui a été faite par M. le ministre ne doit-elle pas nous faire
repousser le vote secret ?
Je
crains, messieurs, que sous l’apparence de vouloir protéger le jury, on ne
veuille en venir à un système d’intimidation comme en France, qu’on ne cherche
plus tard à obtenir des condamnations par l’obsession, par la corruption.
L’importance qu’on met à obtenir le vote secret me donne le droit d’être
défiant, car c’est toujours dans l’ombre que s’agitent les mauvaises passions ;
c’est dans l’ombre que l’hypocrisie et les plus lâches vengeances trouvent leur
aliment.
Il
faut bien, en finissant, messieurs, que je répète ce que j’ai dit au
commencement des débats. Vous voulez, dites-vous, soustraire un juré timide,
menacé dans sa personne, dans ses biens, dans sa famille ; vous voulez le soustraire
à la vengeance de celui qu’il aura condamné ; mais réfléchissez-y, messieurs ;
si vous reconnaissez la nécessité de donner de pareilles garanties aux membres
du jury qui votent aujourd’hui à huis clos et sous la promesse du secret, que
ferez-vous donc pour donner des garanties aux témoins qui appartiennent presque
toujours à la commune de l’accusé, qui se trouveront chaque jour en contact
avec les amis, avec les parents de l’accusé, avec l’accusé lui-même, s’il n’est
pas condamné ? Si d’un côté vous croyez devoir avertir les membres du jury
qu’ils ont quelque danger à redouter des conséquences de leur vote, si vous
croyez devoir leur assurer une garantie, pourquoi laissez-vous les témoins sans
garantie ? Que ferez-vous pour les témoins lorsque vous proclamez
législativement qu’il y a des dangers à courir pour les jurés, lorsqu’ils
exercent leurs fonctions de manière que leur vote soit connu ? Lorsque vous
faites une semblable déclaration, ne déclarez-vous pas en même temps que les
témoins ont un danger bien plus grand ? Car ce n’est pas le jury qui crée le
fait entraînant la condamnation, il ne fait que déclarer en son âme et
conscience qu’il résulte des débats que ce fait est constant ; ce qui constitue
le fait, le corps du délit, c’est la déposition des témoins ; la position des
témoins est donc cent fois plus redoutable que celle des jurés, et cependant
vous reconnaissez votre impuissance pour venir au secours des témoins ! Dans un
pareil état de choses le législateur prudent doit dissimuler le danger au lieu
de le proclamer, s’il existe. Mais, encore une fois, ce danger existe-t-il
réellement ? On a interpellé tout à l’heure encore les partisans du vote
secret, on leur a demandé dans quelle circonstance un juré avait été menacé
dans sa personne, dans ses propriétés, dans sa famille ; personne n’a pu citer
un seul fait.
Vous
voyez donc, messieurs, que, de quelque manière qu’on envisage la proposition,
elle ne présente que les plus grands inconvénients. J’ai signalé
l’impossibilité physique d’exécuter le nouveau mode ; on ne m’a pas répondu un
mot ; j’ai dit qu’on allait introduire dans les délibérations du jury un moyen
de corruption, et j’ai fait ressortir la facilité qu’il y aura à s’acquitter
des engagements de la corruption, parce que personne ne pourra contrôler le
vote. Quand il sera constant qu’un homme a été assassiné, quand il résultera de
la déposition de 20 témoins que l’accusé a assassiné un citoyen, avec le vote
secret vous n’avez aucune garantie qu’un juré corrompu ne votera pas pour l’acquittement,
tandis qu’il n’oserait pas le faire s’il devait se prononcer à haute voix en
présence de ses collègues. (Aux voix !
aux voix !)
(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838)
Sur la demande de plus de membres, la chambre vote par appel nominal sur la
disposition qui établit que le vote du jury aura lieu au scrutin secret.
Voici
le résultat du vote :
57
membres sont présents.
47
adoptent.
10
rejettent.
En
conséquence la disposition est adoptée.
Ont
voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Coppieters, David, de Behr,
Dechamps, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel. F. de Mérode, Demonceau,
de Muelenaere, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Theux,
Devaux, Donny, Dubus aîné, Eloy de Burdinne. Ernst, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne,
Kervyn, Lebeau, Liedts, Maertens, Manilius, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel,
Pirmez, Polfvliet, Pollénus, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven,
Ullens, Verdussen, Vergauwen, Zoude, Peeters et Raikem.
Ont
voté le rejet : MM. Angillis, Gendebien, Lecreps, Metz, Pirson,
Seron, Stas de Volder, Vandenbossche, Van Volxem et Verhaegen.
-
La séance est levée à 5 heures.