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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 6 mars 1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
lettre d’Alexandre Gendebien annonçant le décès de son père (Jean-François
Gendebien) (Gendebien)
2) Projet de loi accordant un crédit
supplémentaire au budget du département des affaires étrangères pour l’exercice
1838. Mission extraordinaire de Constantinople (Kervyn)
3) Rapport sur une pétition relative à la taxe
des barrières (de Jaegher)
4) Projet de loi accordant un crédit
supplémentaire au budget du département de la justice pour l’exercice 1838.
Service des prisons
5) Projet de loi organisant le jury d’assises.
Second vote des articles. « Epuration » par les députations
provinciales ou les tribunaux (Maertens, de Behr, Donny, Dumortier,
Devaux, Ernst, Verhaegen, Liedts, Lebeau, Ernst, Dolez,
Dumortier, Ernst, de Behr, Dolez, de Brouckere, Dolez, de Brouckere, Dolez, de Behr, Dumortier, de Behr, Devaux), conditions
d’admissibilité aux fonctions de jurés (condition de cens) (Dolez,
de Behr), jurés supplémentaires (de
Behr), « épuration » des listes (Devaux),
jurés supplémentaires (de Behr, Dumortier,
Ernst), mode de délibération du jury (vote secret) (Maertens, Dumortier, Ernst, de Behr)
(Moniteur belge n°66, du 7 mars 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance
d’avant-hier, dont la rédaction est adoptée.
M.
de Renesse donne communication des pièces suivantes
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le
sieur François Lajoie, cultivateur à St-Nicolas (Liège), demande que son fils
Walter, milicien de 1835, mis à la réforme pour infirmité et incapacité de
service, soit rendu à sa famille. »
Renvoi
à la commission des pétitions.
« M.
le président,
« Hier
4 mars, à midi, notre père a terminé sa longue et laborieuse carrière ; je
désire qu’il conserve une place honorable dans votre souvenir et dans celui de
tous ses anciens collègues.
« J’attends
de l’obligeance de la chambre un congé illimité.
« Agréez,
etc.
« A.
Gendebien.
« Mons,
5 mars 1838. »
M. le
président. - Chacun de nous s’associera aux regrets
qu’inspire la perte que M. Gendebien vient de faire de son honorable père, et
je pense que personne ne s’opposera au congé demandé.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU
BUDGET DU DEPARTEMENT DES AFFAIRES ETRANGERES POUR L’EXERCICE 1838
M.
Kervyn dépose le rapport de la commission chargée
d’examiner le projet de loi relatif à la mission extraordinaire de
Constantinople.
-
Ce rapport sera imprimé et distribué.
RAPPORT SUR UNE PETITION
M. de Jaegher. - Messieurs,
la chambre a, par décision du 2 de ce mois, renvoyé à la commission chargée de
l’examen du projet de loi sur la taxe des barrières, deux requêtes
successivement présentées par le sieur Grégoire, entrepreneur de messageries à
Bruxelles, tendantes à ce que les voitures à six routes de l’invention du sieur
Dieste soient assimilées pour la taxe des barrières à celles à quatre roues.
La
commission a voulu d’abord s’assurer si le pétitionnaire s’était déjà adressé
directement à l’autorité administrative compétente, et dans l’affirmative,
quelle était la disposition dont sa demande avait fait l’objet.
S’étant
à cette fin adressée à M. le ministre des travaux publics, elle croit utile de
vous faire connaître les renseignements qu’elle en a obtenus.
D’abord
M. le ministre ne conteste aucunement que le système du sieur Diest, à la fois
léger et bien combiné, ne soit, dans son application aux voitures publiques,
moins susceptibles que tout autre de causer des dégradations aux routes ; mais
il n’admet pas que les attelages sont, comme le prétend le pétitionnaire,
imposés en raison de l’usure et des dégradations qu’ils peuvent occasionner ;
il fait remarquer qu’au contraire, suivant le principe fondamental sur lequel
repose le péage des routes, la taxe se perçoit à raison du nombre de roues
d’une voitures et des chevaux qui y sont attelés, et non d’après le poids de
son chargement et sa construction plus ou moins légère ; ce qui le prouve,
c’est que la taxe se perçoit sans distinguer si la voiture est sur ressorts ou
non, si elle a telles ou telles jantes, etc.
Si,
fait remarquer M. le ministre, le principe invoqué par le sieur Grégoire était
admis, il faudrait nécessairement diviser les différentes voitures circulant
sur les grandes routes en catégories, distinction de nature à soulever des
réclamations et des contestations à l’infini, c’est-à-dire impossible en
pratique. Quel que soit son désir personnel de voir réussir ce nouveau système
de voitures, M. Le ministre conclut, par ces diverses considérations, que la
demande du sieur Grégoire, qui ne tend à rien moins qu’à changer entièrement
l’économie de la loi sur la taxe des barrières, n’est pas susceptible d’être
favorablement accueillie.
Votre
commission n’a pas un seul instant tiré en doute qu’il fût désirable que le
système de M. Dietz réussisse.
Elle
croit à ce titre qu’il ne faut pas qu’il soit sujet à plus de charges que celui
qui l’emploie que le système qu’il tend à remplacer ; mais, pour être juste
dans la comparaison, il faut que l’on mette ces charges respectives en présence
des avantages qui les compensent, et dès lors la balance pourrait rester de
bien loin encore, malgré l’augmentation du droit de barrières, en faveur du
système du pétitionnaire. Il se pourrait effectivement qu’avec un même nombre
de chevaux, les voitures Dietz puissent opérer le transport d’un nombre plus
considérable de voyageurs que les voitures à quatre roues, et par conséquent,
mettre ceux qui les emploient largement à même de supporter le droit pour les
deux roues supplémentaires.
La
commission n’étant pas à même d’établir cette balance, hésite d’autant moins à
vous proposer de ne pas faire un accueil immédiat à la demande, qu’elle n’a pas
pu se rendre un compte exact de l’extension que pourrait prendre l’application
du système en question, et de l’influence que pourrait exercer sur d’autres
industries la protection que réclame le sieur Grégoire pour la sienne.
Le
service des voitures, pour lequel le sieur Grégoire, demande une diminution de
droit, n’existant d’ailleurs pas encore, la loi ne pourra que disposer pour
l’avenir.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU
BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1838
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Le Roi m’a chargé
de vous présenter un projet de loi de crédit supplémentaire au budget de 1837
pour le service des prisons, entretien des détenus. Les prévisions ont été
dépassées ; un nombre plus considérable de prisonniers est survenu.
Je
prierai la chambre de s’occuper le plus tôt possible de ce projet, afin qu’il
puisse être soumis au sénat lors de sa prochaine réunion, car les fournisseurs
qui ont fait des avances au gouvernement le pressent pour en être payés.
Le
projet est ainsi conçu :
« Il
est ouvert à l’article premier du chapitre VIII du budget du département de la
justice pour l’exercice de 1837 un crédit supplémentaire de 70,000 fr. »
-
Ce projet de loi est renvoyé à la section centrale qui a examiné le budget de
la justice, constituée en commission spéciale
PROJET DE LOI ORGANISANT LE JURY D’ASSISES
Second vote des articles
Article 3
M.
Dubus (aîné) remplace M. Raikem au fauteuil.
M.
Maertens. - Messieurs, l’expérience de sept années a
démontré à tout le monde que l’organisation du jury, telle que l’a établie le
congrès national, est vicieuse, et l’on est généralement d’accord qu’il
importer d’aviser aux moyens de l’améliorer. Parmi ces moyens il en est un qui
ne paraît point susceptible de contestation, c’est celui de l’augmentation du
cens requis pour être juré. Sur ce point tout le monde semble être d’accord.
Mas,
quelle que soit l’élévation du cens, il sera cependant toujours impossible
d’exclure de la liste des jurés généralement toutes les personnes qui, soit à
raison d’incapacité, soit à raison d’immoralité, ne conviennent point pour
remplir les fonctions délicates et importantes de juré. C’est ce qu’ont senti
les législateurs des pays dans lesquels l’institution du jury a pris naissance,
c’est ce qu’a également senti M. le ministre de la justice. Le système des
épurations qui puisse produire un jury digne de sa haute mission. Aussitôt que
dans la séance de vendredi dernier, M. le ministre en a fait l’ouverture à la
chambre, la presque totalité des membres présents a paru goûter ce système, et
la grande majorité semble encore décidée à l’adopter aujourd’hui. M. le
ministre qui n’avait pas de plan arrêté, voyant les dispositions de la chambre,
proposa de faire opérer l’épuration par la députation des états, en déclarant
toutefois que si une meilleure proposition était faite, il ne serait pas
éloigner de s’y rallier. La section centrale, appelée à émettre son avis,
proposa un projet tendant à donner le droit d’épuration à l’autorité judiciaire
; ce projet, auquel se rallia le ministre, présente un système complet ; il
fait passer les épurations par les deux degrés de juridiction, dont la dernière
est composée des magistrats les plus haut placés, qui n’ont rien à attendre ni
à craindre soit du pouvoir, soit des particuliers, et qui, inaccessibles aux
menaces comme aux prières, offrent toutes les garanties qu’il soit possible de
désirer. Ce projet, je n’hésite pas à le dire, doit valoir à ses auteurs toute
notre reconnaissance, et a le rare mérite de présenter un ensemble très bien
coordonné, sans rien contenir qui soit en contradiction ou en opposition avec
aucune autre disposition légale sur la matière. Ce projet je viens l’appuyer,
et j’engagerai le ministre et la section centrale de le soutenir de toutes
leurs forces. Je m’estimerai heureux, si je puis contribuer à déterminer la
chambre à l’adopter sans aucune modification. Elle aura rendu un véritable
service au pays.
Cependant,
et malgré tous les avantages que présente ce projet, dans la séance d’hier
divers membres se sont levés pour le combattre, et ont tour à tour proposé des
amendements, qui ont pour but les uns de confier l’épuration exclusivement aux
députations permanentes des états, les autres de la confier à ces députations
concurremment avec l’autorité judiciaire. Lorsque j’aurai fait ressortir les
inconvénients inévitables que présente la députation des états dans cette
occurrence, vous ne balancerez plus, messieurs, à donner la préférence à
l’autorité judiciaire et à conformer par un second vote le projet de la section
centrale.
Et
d’abord je demanderai pourquoi l’on veut faire intervenir la députation des
états, une autorité administrative, dans les affaires judiciaires ? Qu’est-ce
qu’en effet l’administratif a à démêler avec le judiciaire ? Lorsque l’autorité
administrative a un simple intérêt civil à vider, mais c’est l’autorité
judiciaire qui le décide, et lorsqu’il s’agirait de la vie, de l’honneur des
citoyens, vous voudriez accorder à l’autorité administrative le droit de
désigner ceux qui seront appelés à être juges ! C’est là certes, messieurs, une
anomalie que vous ne consacrerez pas.
Je
demanderai ensuite pourquoi vous voulez accorder le droit d’épuration, le droit
de former les listes des jurés, a des personnes qui, étrangères à la partie
judiciaire, sont loin de pouvoir apprécier les besoins du service d’une cour
d’assises, lorsqu’au contraire vous pouvez confier ce soin à des magistrats,
les seuls aptes à cette besogne ? Pourquoi vous voulez l’accordez à des
personnes qui ne prennent aucun intérêt à l’ordre judiciaire, lorsque vous
pouvez y employer des magistrats qui, par devoir autant que par honneur,
tiennent, non pas à faire condamner des innocents ou acquitter des coupables,
mais à voir rendre bonne et équitable justice et à maintenir dans la
considération publique tout ce qui tient à l’ordre judiciaire ?
Je
demanderai enfin pourquoi vous voudriez dans l’occurrence accorder la
préférence à des personnes qui sont dans la dépendance directe et nécessaire de
ceux qu’ils doivent désigner comme jurés, plutôt qu’aux premiers magistrats du
royaume, qui sont inamovibles et complétement indépendants de tout le monde ?
Ces
considérations générales me paraissent déjà péremptoires. Elles prouvent à
toute évidence que le droit d’épuration doit être accordé à la magistrature de
préférence à la députation des états. Mais, en jetant un simple coup d’œil à la
composition de cette députation, l’on demeure convaincu que cette autorité doit
être exclue de tout ce qui a rapport à l’épuration du jury. Et en effet comment
se compose la députation des états ? Ses membres doivent être pris dans divers
arrondissements de la province. De là chaque membre appartenant à une localité
différente, de là chaque membre sous la dépendance des jurés qui habitent cette
localité et desquels il tient son mandat. S’agit-il maintenant de la formation
du jury, chaque membre se voit assiégé par les jurés ; il a de plus ses parents
et ses amis à ménager, et chaque membre de la députation se trouvera sous ce
rapport dans la même position. Qu’en résultera-t-il ? Que chacun de ces membres
se verra obligé de proposer l’exemption de ceux qu’il doit favoriser, que
chaque membre soutiendra à cet égard ses collègues, parce que tous ont les
mêmes ménagements à observer, tous ont besoin de s’appuyer, et que d’ailleurs,
en écartant même toute présomption de partialité, les jurés de chaque localité
ne pouvant être connus que par le représentant de cette localité, les membres
de la députation devront s’en rapporter respectivement les uns aux autres.
Voilà, messieurs, ce qui arrivera lorsque vous confierez la formation de la
liste des jurés aux députations des états. Ce sera, comme vous le voyez, bien
souvent et inévitablement la faveur qui présidera à l’exemption, et le fardeau
en deviendra d’autant plus lourd pour ceux qui devront le supporter. Certes,
messieurs, un pareil système ne peut être sanctionné par une chambre
législative.
Mais,
me dira-t-on, les gouverneurs président à ces assemblées, et par les
informations qu’ils prendront auprès des autorités locales, ils connaîtront la
moralité et la capacité des jurés et pourront ainsi contredire les exemptions
proposées par les divers membres de la députation. Mais, messieurs, vous
convenez vous-mêmes que les renseignements que l’on doit attendre de ces
autorités locales sont suspects : vous n’en avez pas voulu lorsqu’il s’agissait
de leur faire constater si tel ou tel juré savait ou ne savait pas lire et
écrire, vous n’avez pas hésité à les considérer comme capables de donner dans
cette occurrence une fausse déclaration, et certes vous n’aurez pas plus de
confiance en eux lorsqu’il s’agira, non de constater un fait qui peut être
controuvé, mais simplement lorsqu’il s’agit d’émettre leur opinion sur la
moralité et la capacité des divers jurés. Et maintenant ce gouverneur, cet
agent direct et intéressé du gouvernement, qui, comme tout le monde le sait,
exerce une si grande influence sur la députation des états, vous voudriez
laisser la formation de la liste des jurés à un corps présidé et influencé par
un fonctionnaire de cette espèce ! Vous qui pensez que dans les premiers mois
du dernier trimestre d’une année l’on peut déjà prévoir quels seront les crimes
qui se commettront l’année suivante, vous qui prétendez que sur une liste de
1,000 personnes, par exemple, toutes les premières notabilités d’une province,
l’on puisse trouver et désigner 20 personnes serviles, sans conscience, prêtes
à condamner quand on leur demande une condamnation et propres à servir les
intrigues malveillantes, prétendument supposées à l’autorité judiciaire dans
des causes dont elle ignore, encore l’existence, vous préférez l’intervention
directe du gouverneur, l’homme le plus influent de toute la province, aux
simples renseignements à fournir par un membre du ministère public à des
magistrats qui sont à l’abri de toute influence !
Tels
sont, messieurs, les inconvénients graves que présente la formation de la liste
des jurés par la députation des états. Redoutez-vous l’influence du pouvoir ?
Vous devez la repousser, parce que le plus grand soutien du gouvernement y
prend une part active. Voulez-vous que la liste soit formée avec impartialité
et sans aucune faveur ? Vous devez
encore la repousser comme je l’ai démontré tantôt. Voulez-vous enfin que le
plus grand discernement possible y préside, que jusqu’au moindre soupçon de
partialité disparaisse ? Abandonnez-en la formation à l’autorité judiciaire,
adoptez les propositions de la section centrale, qui sont élaborées par des
magistrats, des hommes pratiques qui ont pour eux et la science et
l’expérience.
Voyez
les précautions que prend la section centrale ; voyez les garanties que son
système présente. Ce sont d’abord les plus anciens juges, au nombre de trois,
du chef-lieu de chaque arrondissement judiciaire, qui réduisent de moitié la
liste générale. Personne ne viendra méconnaître que ces trois magistrats, qui
tous ont régulièrement plusieurs années de service dans le même tribunal, ne
soient parvenus, par l’exercice de leurs fonctions et leurs relations
continuelles, à connaître la presque totalité des personnes notables habitant
leur arrondissement. Joignez à cela le greffier, qui est présent, qui peut
aussi donner des renseignements, et enfin le résultat général des informations
prises par le ministère public, et vous aurez un travail complet sur tous ceux
qui conviennent ou qui ne conviennent pas aux fonctions de juré. Mais on
redoute l’avis du ministère public. Mais, messieurs, cet avis n’est pas à
redouter, car de deux choses l’une : ou bien il sera conforme à la connaissance
personnelle des juges, et alors il ne peut mener à aucune conséquence fâcheuse
; ou bien il sera contraire à leur connaissance ou il frappera des personnes
inconnues, et alors les juges, pour s’assurer de la vérité, prendront sur ce
petit nombre de personnes des renseignements particuliers. Si ces
renseignements sont conformes à l’avis du ministère public, cet avis sera
accueilli ; s’ils y sont contraires, mais le ministère public aura perdu tout
son crédit, et les juges ne tiendront aucun compte de son avis. Et remarquez-le
bien, messieurs, ces demandes d’avis et de renseignements ne se renouvelleront
pas tous les ans, la liste générale variera peu, et ce ne sera que sur ce petit
nombre de nouveaux jurés que les informations devront annuellement tomber. Les
renseignements une fois recueillis pour les autres subsisteront, et le peu de
changements qui pourront intervenir dans la position de l’un ou de l’autre des
jurés, seront faciles à vérifies et à être connus par les juges.
Vous
trouvez donc dans cette première réduction de liste toutes les garanties de
lumières et d’indépendance. Car les juges agiront d’après leur connaissance
personnelle ; et d’une part inamovibles, d’autre part dans une position qui les
met à l’abri de toute influence, la faveur sera toujours exclue de leurs
décisions.
Après
cette première épuration, une nouvelle réduction de moitié est dévolue aux
premiers magistrats du royaume, au premier président et aux deux plus anciens
présidents de chambre des cours d’appel. Dire que ces magistrats inamovibles
sont, par leur position, à l’abri de toute influence, et sauraient toujours
faire justice des avis du ministère public, est chose qui n’est douteuse pour
personne : supposer le contraire serait faire injure à la magistrature belge. Ces
magistrats reçoivent les listes déjà épurées, ils examinent les noms qui s’y
trouvent et recueillent des renseignements sur ceux qui leur sont inconnus ; et
ces renseignements, comme je l’ai déjà dit pour la première épuration, ne
doivent pas se renouveler tons les ans. Ces magistrats pourront même se
procurer toute la liste et prendre, d’une seule fois, des informations
générales sur tous les jurés, informations qui leur serviront, pour la suite,
qui les mettront à même de vérifier celles que leur, fournira le ministère
public, et d’avoir à celles-ci tel égard que de raison.
Voilà, messieurs, les avantages que présente le
système de la section centrale. Est-il raisonnablement possible d’y trouver le
moindre inconvénient, est-il possible de ne pas lui donner la préférence sur le
système qui tend à faire intervertir dans la formation des listes la députation
des états, intervention qui, sans offrir des garanties, présente les plus
grands dangers ? Repoussons donc les amendements qui nous sont présentés : les
développements que leurs auteurs y ont donnés, la manière tâtonnante de
laquelle ils s’y sont pris, prouvent qu’ils ne sont point rassurés sur les
conséquences de leurs propositions. Le système de la section centrale est un
système complet, et quoi que vous fassiez, j’ai pour moi la certitude, basée
sur mon expérience, que vous ne ferez rien de mieux. Pour ma part, je
préférerais abandonner complétement le système des épurations plutôt que d’y
voir intervenir une autorité autre que l’autorité judiciaire, et je pense qu’il
faut l’abandonner si on le fait rentrer dans les attributions de la députation
des états.
M. de
Behr, rapporteur. - Dans la séance précédente, plusieurs
orateurs ont signalé les inconvénients de confier à des corps politiques la
réforme des listes du jury. On a objecté que la députation, par ses relations
habituelles avec la province était plus à même que l’autorité judiciaire de
recueillir les renseignements nécessaires. Mais par quelle voie pourra-t-elle
obtenir ces renseignements ? Elle aura recours aux commissaires de district,
qui, à leur tour, s’adresseront aux bourgmestres. De leur côté, les présidents
des tribunaux sont en correspondance journalière avec les juges de paix ou
leurs suppléants. Or, ces hommes indépendants, qui ne sont investis de leurs
fonctions qu’après une enquête sur leur capacité et leur moralité, ne
mériteront-ils pas autant de confiance lorsqu’ils seront consultés par leurs
supérieurs, que tels bourgmestres de communes rurales qui savent à peine lire
et écrire, et que vous avez exclus du jury, comme incapables d’en remplir les
fonctions par le paragraphe littera C de l’article premier du projet en
discussion ?
L’honorable
M. Dechamps exclut par son amendement l’intervention des membres de la cour
d’appel, qui ne pourraient agir qu’au hasard, selon le dire de l’honorable
membre. Mais dans les grandes villes, où siègent les cours d’appel, les
présidents de ces corps ont certainement les mêmes relations que leurs
collègues de première instance ; dans les autres arrondissements, ils peuvent
s’adresser non seulement aux juges de paix, mais aux membres des tribunaux qui
ont leur confiance ; ils peuvent enfin consulter les autres magistrats de la
cour qui appartiennent à toutes les localités du ressort.
L’honorable
membre que je viens de nommer a répété hier que le jury avait été institué par
une sorte de méfiance contre les magistrats. On pourrait expliquer cette
méfiance dans un pays où le jury serait appelé dans toutes les affaires qui
intéressent l’honneur et la fortune des citoyens, mais je ne saurais la
comprendre en présence d’institutions qui défèrent aux magistrats le pouvoir de
juger toutes les affaires correctionnelles, et d’appliquer aux prévenus des
peines qui peuvent s’élever jusqu’à dix années d’emprisonnement.
Je
citerai un exemple entre cent pour rendre ma pensée plus sensible. Supposez un
individu prévenu d’avoir volé un pain avec effraction, c’est un crime. Dans le
système de M. Dechamps, les magistrats sont en état de suspicion pour concourir
à la formation de la liste du jury ; mais si cet individu est prévenu d’avoir
dévalisé toute une boutique sans commettre d’effraction, il est jugé par ces
mêmes magistrats qui peuvent le condamner à cinq années de prison ; on ne
craint plus alors de trouver des hommes endurcis, des hommes habitués à ne voir
que des coupables sur le banc des prévenus. Portons maintenant nos regards sur
ce qui se passe à la cour d’assises. Un accusé est déclaré coupable par le
jury. Alors commence la mission des juges. Ils appliquent la peine, et ces
magistrats inexorables, au cœur de bronze, vous leur confiez le pouvoir de
condamner depuis 8 jours d’emprisonnement jusqu’à 10 années de réclusion dans
le cas de l’arrêté de 1814 ; depuis 5 années de réclusion jusqu’à 20 années de
travaux forcés, d’après l’arrêté de 1813. L’honorable M. Verhaegen a été plus
loin, et vous a proposé de laisser aux cours d’assises l’alternative cruelle
d’appliquer la peine de mort ou celle des travaux forcés.
En
présence d’un pouvoir aussi illimité, aussi exorbitant, il faut convenir que la
formation d’une liste de plusieurs centaines de jurés est un objet bien peu
important, et qui ne me semble pas devoir exciter la défiance à laquelle
l’honorable M. Dechamps a fait allusion.
Je
ne vois aucune espèce de motif pour empêcher l’action des membres des cours
d’appel qui sont à portée de recueillir les mêmes renseignements que les
tribunaux de première instance.
Quant
à l’amendement de M. Devaux, j’y trouve une confusion de pouvoirs. L’administration
provinciale commencerait par dresser une liste de jurés, cette liste serait
transmise aux présidents des tribunaux, on ne les obligerait pas à faire
d’élimination, on leur laisserait seulement le pouvoir de modifier la liste.
S’il peut résulter une flétrissure de l’exclusion du jury pour les citoyens qui
seront l’objet de cette mesure, c’est alors que vous laissez à une autorité la
faculté de prononcer des exclusions sans lui en imposer l’obligation.
Quand
vous imposez l’obligation de réduire la liste, il ne peut résulter de
flétrissure pour aucune des personnes éliminées, c’est une obligation que doit
remplir l’autorité à laquelle vous renvoyez la liste. Si au contraire vous
l’appelez à exercer un contrôle, elle pensera à deux fois avant de faire usage
du droit que vous lui donnez, pour ne pas compromettre dans l’opinion tel ou
tel membre qui serait exclu.
Ces
listes, dans le cas de modification par le tribunal de première instance,
seront renvoyées aux présidents de la cour d’appel. Ces magistrats donneront
souvent la préférence au travail du tribunal de première instance, parce que le
tribunal de première instance aura consulté les juges de paix, qui sont des
magistrats qui méritent toute confiance.
Le
travail de la députation deviendra alors sans objet. Il y aurait d’autres
inconvénients très graves. Pour former les listes de l’année suivante, il
faudrait avertir la députation de ce qui s’est passé l’année précédente, lui
renvoyer la liste arrêtée par la cour d’appel ; tout le secret sera divulgué, et
la députation pourra se formaliser de voir que son travail n’a pas reçu
l’approbation de la cour d’appel. Pour éviter ces inconvénients, on admettra
les listes telles qu’elles auront été formées et transmises par la députation.
A
l’article 5 on trouve dans le juge d’instruction un homme qui aurait abdiqué sa
conscience. Voici comment les choses se passent quand on fait un rapport en
chambre du conseil. C’est le juge d’instruction qui fait le rapport, et il est
au nombre de ceux qui décident s’il y a lieu de mettre le prévenu en liberté,
ou, s’il y a charge suffisante contre lui et que le fait ne constitue pas un
crime, le renvoient devant la police correctionnelle.
Quels sont alors les juges qui prononcent ? Ce
sont ceux qui avaient composé la chambre du conseil. Et cela en vertu de
dispositions positives de la loi. On ne trouve pas que les juges qui ont déjà
examiné l’affaire inspirent de la défiance. Pourquoi le juge d’instruction
inspirerait-il plus de défiance, quand on l’appelle à concourir à la formation
d’une liste de 300 ou 400 jurés ?
Je
ne parlerai pas de l’inconvénient qu’on a trouvé à faire intervenir le
ministère public : M. Maertens a répondu aux objections présentées, je ne crois
pas devoir revenir sur ce point. Je persiste dans les propositions de la
section centrale.
M.
Donny. - Il me semble que l’intention de la grande
majorité de la chambre est d’admettre le système de la réduction des listes. Il
est donc inutile de revenir encore sur ce point ; sans cela, je me serais
permis d’engager nos honorables contradicteurs à consulter ce qui se fait en
Angleterre, pays où le jury a pris naissance ; là, le jury est éminemment et
populaire ; là, le jury est respecté ; là, on considère unanimement les
verdicts du jury comme le jugement du pays. Et là, cependant, les listes des
jurés ne sont ni composées de censitaires, que le hasard rassemble, comme cela
a eu lieu jusqu’ici en Belgique, ni le produit d’une réduction comme le propose
le projet ; elles sont formées par un seul magistrat, agissant selon son bon
plaisir, par le schérif.
Un
point sur lequel il paraît surtout y avoir dissidence dans l’assemblée, c’est
la question de savoir s’il convient que le ministère public soit entendu.
D’abord il est de principe que chaque fois que la société est intéressée dans
les opérations des cours et tribunaux, on entende le ministère public. On ne
voit pas pourquoi, dans cette occurrence, il en serait autrement. La société
est intéressée, fortement intéressée, à ce que les listes de jurés soient bien
faites.
Mais,
dit-on, il ne faut pas que le ministère public intervienne dans la formation de
la liste, parce qu’il cherchera à la faire réduire dans son sens. Or, dans le
sens du ministère public, un bon jury, c’est un jury qui condamne.
Pour
que cet argument ait la moindre signification, il faut supposer trois choses :
d’abord que les trois premiers magistrats inamovibles des cours et tribunaux
abdiqueront leur indépendance et se laisseront influencer par les officiers du
ministère public. Il faut supposer de plus que le ministère public cherchera,
par système, à composer un jury qui condamne par système ; il faut supposer
enfin qu’il se trouve des Belges disposés à condamner systématiquement, et
qu’il s’en trouve en assez grand nombre pour pouvoir vicier les listes des
jurés. Or, je vous le demande, messieurs, peut-on raisonnablement admettre un
ensemble de suppositions aussi étranges, je dirai presque aussi absurdes ?
Sans doute, lorsque les preuves de la
culpabilité sont évidentes, quand le doute raisonnable n’est pas permis à un
homme sensé, le jury qui condamne est un bon jury ; mais il l’est, non
seulement pour le ministère public, mais encore pour la société tout entière. Lorsque,
au contraire, la culpabilité n’est pas clairement démontrée, quand les preuves
des faits à charge sont contrebalancées par des preuves contraires, lorsque le
doute raisonnable est permis à un homme de bon sens, le jury qui condamnerait
ne serait pas un bon, mais un détestable jury. Il serait tel, aussi bien pour
le ministère que pour la société, car ils n’ont, l’un comme l’autre, qu’un seul
et même intérêt, celui de la justice. On s’est donc créé des chimères, et on
vous a présenté des choses qu’on ne peut pas admettre sans abdiquer en quelque
sorte la raison, et tout cela pourquoi ? Pour écarter un simple avis que
donnerait le ministère public à des magistrats complétement indépendants et
dont, après tout, ils feront l’usage qui leur conviendra. Je ne veux pas
prolonger cette discussion qui a déjà duré longtemps, je me bornerai à dire que
j’appuie le système présenté par la section centrale.
M.
Dumortier. - J’ai déjà déclaré que j’étais opposé à tout
système d’épuration ; vous sentirez combien cette observation est fondamentale.
D’après le système proposé par le gouvernement et que la chambre a admis, le
nombre des jurés se trouvera réduit dans chaque province à environ 400. Si donc
ce nombre est réduit au quart, il n’y aura plus que 100 personnes sur la liste.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - C’est une erreur
; il y aura au moins mille jurés dans chaque province.
M.
Dumortier. - Nous avons voté un amendement dont il est
difficile de comprendre la portée.
S’il
y a mille jurés par province, le quart sera de 250, nombre dans lequel on devra
prendre 30 personnes. Vous voyez donc que la charge du jury tombera presque
toujours sur les mêmes personnes. Au reste, j’ai dit hier les motifs par
lesquels je suis opposé au système d’épuration ; je ne reviendrai pas sur ce
point.
Mais
dans l’hypothèse où l’on admettrait le système de la réduction des listes, je
ferai remarquer à la chambre que l’honorable M. Dotez a cité un fait important
relatif à la différence qui peut exister dans le mode d’application du mode
d’épuration ou du choix. Il ne s’agit pas d’une différence d’expression, mais
d’une différence réelle et notable dans la composition du jury.
Je
suppose qu’il s’agisse de former le jury : le tribunal de première instance, mû
par des préoccupations politiques, soit de lui-même, soit par l’influence du
ministère public qui est derrière lui, écarte les personnes qui ne conviennent
pas à telle opinion, parmi lesquelles peuvent se trouver des personnes du plus
grand mérite. La liste, ainsi réduite d’un quart, arrive au président de la
cour d’appel qui reconnaît que l’on a eu l’injustice d’écarter de la liste des
hommes de premier mérite, mais il n’y peut rien ; il a bien le pouvoir
d’écarter à son tour un quart des noms, mais il n’a pas celui de remettre les
noms qui y ont été injustement écartés. Ces noms sont définitivement écartés.
C’est là le vice du système. C’est ainsi qu’une flétrissure est appliquée aux
personnes éliminées de la liste. Il n’en serait pas de même si on procédait par
choix au lieu de procéder par réduction. Dans ce cas, la seconde autorité
pourrait comprendre dans la liste les personnes qui y auraient été
primitivement omises par ignorance ou par mauvaise volonté. Alors si le
tribunal de première instance ne comprend pas dans la liste les hommes les plus
recommandables de l’arrondissement, le président de la cour d’appel aura le
droit de les comprendre dans la liste. Vous voulez, d’après les amendements
déposés, arriver à un jury réduit au quart de la liste totale. Admettez au
moins une disposition qui présente des garanties. Dites que la première
autorité formera une liste du huitième des noms portés sur la liste générale,
et dites que la seconde autorité ajoutera un nombre égal de jurés à chacune des
listes. De cette manière, si la première autorité a omis des noms honorables
qui dans une cause politique lui feraient ombrage, la deuxième ne les omettra
pas. Vous voyez que ce système est plus simple que celui du gouvernement et
qu’il offre de grandes garanties. J’invite les auteurs des amendements à
réfléchir à cette différence à laquelle m’ont fait songer les observations
présentées hier par l’honorable M. Dolez .
L’honorable
M. Devaux a proposé un amendement d’après lequel la liste du jury serait formée
par la députation provinciale et soumise ensuite à l’approbation du président
et des deux juges les plus anciens du tribunal de première instance, qui
pourraient la modifier. Il ajoute que, « dans le cas où de pareilles
modifications auront lieu, le président et les deux vice-présidents les plus
anciens de la cour d’appel arrêteront définitivement la liste. » Dans mon
opinion cet amendement contient autant d’erreurs que de phrases. D’abord on
fait former des listes par la députation provinciale. Dans ce cas il est à
craindre que dans plusieurs provinces les listes ne soient fournées totalement
par le gouverneur, et même, dans quelques provinces, par de simples
bureaucrates.
M. Lebeau.
- Et la députation provinciale !
M.
Dumortier. - J’entends un honorable membre qui connaît
très bien et aussi bien que moi l’influence du gouverneur, qui dit : « Et
la députation ! » Je dirai à cet honorable membre que s’il est des
provinces où la députation provinciale exerce dans les affaires une influence
très salutaire, il y en a d’autres où il n’en est pas ainsi et où il n’y a pas
d’autre influence que celle du gouverneur.
M.
Lebeau. - Je ne connais pas ces provinces-là.
M.
Dumortier. - D’un autre côté, d’après la loi provinciale
le gouverneur a seul la correspondance. C’est lui qui écrira aux commissaires de
district, aux bourgmestres pour avoir des renseignements ; en définitive ce
sera lui qui fera les listes et qui dira ensuite aux membres de la députation
provinciale : « Signez. » Car je crois que dans certaines provinces c’est
à signer que se bornent les fonctions de la députation. Je dis que ce système
est éminemment vicieux, et que s’il n’y est pas apporté une correction
quelconque, il est inadmissible. Le contrôle des membres du tribunal de
première instance serait peut-être une garantie ; mais voyons comment M. Devaux
organise cette garantie : Le tribunal de première instance pourra retrancher
certains noms et les remplacer par d’autres noms ; mais remarquez que ces
modifications apportées à la liste seront soumises à la cour d’appel.
Pour que la cour d’appel juge, il faudra qu’elle
connaisse les motifs sur lesquels est fondée la décision qu’il s’agit de
réviser. Il faut donc que le tribunal de première instance indique le motif des
modifications qu’il apporte à la liste. Vous avez ainsi des jugements de
personnes, système toujours vicieux et qu’on doit réprimer. Mais ce n’est pas
tout : les tribunaux de première instance, craignant qu’on ne réforme leurs
jugements, y regarderont à deux fois avant de changer quelque chose à la liste,
et si leurs jugements sont une seule fois réformés par la cour d’appel, ils
seront plus pusillanimes que jamais. La garantie que semble donner l’amendement
de M. Devaux est donc complétement illusoire. Ainsi son système est tout
simplement une mystification et rien autre chose.
M.
Devaux. - Pas d’impertinence.
M.
Dumortier. - Je ne réponds point à des expressions aussi
peu parlementaires.
M.
Devaux. - Je prie M le président de rappeler à l’ordre
M. Dumortier, sans cela je serai obligé de me faire justice. Je prie M. le
président de faire justice de l’expression employée par M. Dumortier.
M.
le président. - Je ne veux pas juger l’expression employée
par M. Dumortier .
M.
Dumortier. - Si M. Devaux veut s’appliquer l’expression
que j’ai employée, il le peut, c’est son affaire ; pour moi, je ne m’occupe que
de son système, et je dis que le système qu’il a proposé ne peut amener aucun
résultat ; j’ai donc pu dire que c’était une mystification, et je répète que sa
proposition est une mystification.
M.
Devaux. - Je demande que M. le président fasse justice
de l’expression employée par M. Dumortier . M. Dumortier dit que ma proposition
est une mystification ; c’est une impertinence, c’est une expression défendue
par le règlement, puisqu’elle implique mauvaise intention. Je demande
formellement que M. le président rappelle M. Dumortier à l’ordre ; je lui
rappelle que s’il ne fait pas justice de l’expression, il me donne le droit de
me faire justice comme je l’entendrai.
M.
Lebeau. - Très bien !
M.
Dumortier. - M. Devaux peut se faire justice comme il
l’entendra ; mais je maintiens mon expression. D’ailleurs cette expression a
été employée cent fois dans cette enceinte et même par le membre qui
m’interrompt. Mon expression s’appliquait à son système et ne lui était pas
personnelle ; au reste, s’il veut la considérer comme lui étant personnelle,
libre à lui, je ne l’en empêche pas.
Dans
tous les cas, je n’en retranche pas un seul mot.
M. le président. - Je crois avoir entendu,
dans les explications que vient de donner M. Dumortier, qu’en se servant de
l’expression « mystification, » il a voulu rendre cette idée : que
l’effet de la proposition de M. Devaux serait d’égarer ceux qui l’adopteraient
; mais il n’a pas voulu dire que l’intention de l’auteur de la proposition ait
été d’égarer ou de tromper l’assemblée. J’invite M. Dumortier à s’expliquer sur
ce point.
M.
Dumortier. - Je ne crois pas qu’il soit possible de
l’entendre autrement.
M.
Devaux. - Je me déclare satisfait.
M.
Dumortier. - il n’était pas difficile de vous satisfaire.
Au reste, ce n’est pas pour vous que j’ai répondu, mais pour M. le président .
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - La nécessité de
réduire la liste des jurés à un certain nombre de citoyens capables paraît
reconnue par tout le monde ; l’expérience que nous avons faite, l’exemple des
pays où le jury existe, suffisent pour nous conduire à ce résultat.
Un
honorable préopinant a dit que c’était à tort qu’on appelait ce système un
système d’épuration ; je suis d’accord avec cet honorable membre : nous n’avons
jamais parlé d’épuration, mais de choisir un certain nombre de citoyens que
leur capacité et leur moralité recommandent à la confiance publique.
Ce
que nous avons désiré, c’est qu’une autorité indépendante, qu’une autorité qui
mérite la confiance générale, choisisse de bons jurés, et parmi les bons
choisisse les meilleurs. Voilà ce qui se passe en France, ce qui se fait en
Angleterre.
Ce
n’est pas en haine des personnes que le choix se fait, c’est dans l’intérêt de
la justice qu’il s’exerce. Qui a donné le nom d’épuration à la réduction de la
liste des jurés ? Ce n’est pas le ministère, ce n’est pas la section centrale,
ce sont les orateurs qui ont attaqué la mesure et cherché à la faire rejeter.
Mais reconnaissons dans quel esprit le système a été conçu et adopté ; ce n’est
pas dans un esprit de parti, dans des vues d’intérêt local, mais afin de réunir
les jurés qui offrent le plus de garantie et pour l’accusé et pour la société.
Notre
honorable contradicteur prétend que le nombre des jurés réduit au quart,
c’est-à-dire à 250 ou 300, est trop petit ; que la liste ainsi réduite ne
présente pas assez de noms : à cette objection, nous répondrons encore en
rappelant la législation des pays où le jury est en honneur.
En
France et en Angleterre le nombre des jurés dans lequel le sort désigne le jury
de jugement est moins considérable que ce que nous proposons.
L’honorable
orateur perd en outre de vue que les 30 jurés qui sortent sont remplacés par 30
autres, et que le nombre de 250 ou de 300 sera augmenté par les adjonctions
successives qui auront lieu dans le cours de l’année.
Je
ferai d’ailleurs remarquer que les jurés d’une année ne peuvent figurer sur la
liste l’année suivante. Mais on ne peut pas dire que les personnes qui ne sont
pas comprises dans le premier choix sont exclues ; on porte d’abord 300
citoyens sur la liste, l’année suivante on en porte 300 autres, et probablement
300 nouveaux la troisième année ; car il y a lieu de croire que ceux que l’on
jugera indignes de figurer sur ces listes formeront le très petit nombre, et
que les magistrats voudront appeler chacun à son tour à remplir ses devoirs
civiques. Ainsi, former les listes, ce n’est pas épurer, exclure ; c’est
choisir, et pas autre chose
Je
suppose, dit l’honorable membre, que je sois le tribunal de Tournay, chargé de
faire le choix, et qu’ayant pris le mot du ministère public, j’élimine de la
liste des hommes qui appartiennent à une certaine opinion… Et d’abord si le
préopinant voulait exclure de la liste ceux qui professent une certaine
opinion, il ne doit pas mettre de moitié le ministère public dans une telle manœuvre
; car je n’admets pas qu’un fonctionnaire qui agit sous les yeux du
gouvernement exerce une intervention hostile à telle opinion ; une semblable
intervention est contraire à la volonté du gouvernement et à nos institutions.
Et il n’est pas plus permis de supposer qu’un tribunal se laisse aller à un
esprit de parti ou de coterie, qu’un parquet. L’impartialité forme le caractère
dominant de la magistrature ; elle a d’ailleurs besoin de conserver la
confiance des justiciables, et elle la perdrait bientôt par des exclusions
systématiques.
Nous
avons chez nous une garantie puissante, dont on ne tient pas assez de compte
dans les théories, quoiqu’en pratique on ne les méconnaisse pas ; c’est
l’opinion publique. La presse est libre dans notre pays, et l’opinion se fait
jour tôt ou tard.
Mais,
poursuit l’orateur, les magistrats de la cour ne pourront pas rétablir sur la
liste ceux qui n’y auront pas été portés par les magistrats de première
instance ; ils réduisent seulement de moitié la liste qu’on leur présente. Sans
doute ils n’ont d’autre mission que de réduire la liste à moitié, parce qu’on a
voulu un double contrôle, et non, je le répète, une double épuration.
La
cour choisira les meilleurs jurés dans la liste faite par le tribunal ; cette
opération sera plus facile et plus utile que si elle avait à faire un premier
choix dans la liste générale.
Je
pense du reste avec M. Dumortier que le système de la section centrale est
préférable au système de l’honorable député de Bruges, de M. Devaux .
Dans
le système de cet honorable membre, je vois l’administration contrôlée par la
magistrature ; c’est ce que je ne crois pas pouvoir admettre ; lorsque la
magistrature et l’administration concourent dans l’exercice d’une fonction,
leur position doit être égale ; l’une ne doit pas être supérieure à l’autre.
Telle est la position relative qu’elles doivent avoir dans notre ordre
politique, et ce n’est pas celle que leur fait M. Devaux . Il place dans une
situation subalterne qui ne peut lui convenir ; les jurés mis sur la liste par
l’administration pourraient être éliminés par le tribunal de première instance
; il est vrai qu’il y aura appel à la cour. C’est une chose qui est naturelle
pour les tribunaux, mais à laquelle l’administration ne peut consentir.
On
objectera que le conseil provincial et les cours font concurremment
présentation de candidats pour des fonctions judiciaires ; mais dans ce cas le
pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif sont sur la même ligne ; et le
gouvernement choisit dans les deux listes qui lui sont soumises. Au reste, si
ce système de concurrence entre les deux pouvoirs pour la présentation des
listes de candidats à certaines fonctions publiques était à établir, et s’il
fallait le mettre en parallèle avec le libre choix du gouvernement, ce serait
une question qui mériterait un sérieux examen.
Le
système de M. Devaux a un grave inconvénient, c’est qu’il fait tomber la
discussion sur des noms propres. Car, sur celle présentée par l’administration,
les magistrats de première instance auront à conserver on à rejeter les noms ;
et s’il y a débat sur les noms, ce sera la cour qui décidera. Il y a là quelque
chose de fâcheux puisqu’il faudra établir une enquête sur des citoyens.
C’est
tout autre chose dans le système de la section centrale, car les magistrats de
première. instance commencent par faire leur liste, et la cour en choisit la
moitié. Ce choix n’a rien de désagréable ; on n’est pas déclaré incapable parce
qu’on n’est pas compris sur la liste. D’ailleurs, si on n’y est pas une année,
on y sera l’année suivante.
Par le système de M. Devaux, quand le tribunal
écarte un nom compris dans la liste formée par l’administration, c’est qu’il le
juge indigne. La cour peut confirmer cette déclaration d’indignité, et cette
déclaration pèsera à la fois sur l’individu qui en sera l’objet et sur
l’administration qui l’avait porté sur la liste.
Je
ne crois pas devoir revenir sur la question de l’intervention du ministère
public ; M. Donny et M. Maertens ont fait observer que consulter le ministère
public n’est pas une exception, que c’est une règle de droit commun dans les
matières d’ordre public. C’est un simple avis que le ministère public donne ;
et si vous avez confiance dans la magistrature, permettez-lui de prendre des
informations, parce que, soyez-en sûrs, ces informations ne peuvent tendre
qu’au bien. Au reste, il sera libre à la magistrature de suivre ou de ne pas
suivre les avis qui lui seront donnés.
M.
Verhaegen. - Messieurs, on déplace la question. On ne
peut le dissimuler, le système actuel du ministre de la justice n’est plus le
même qu’au commencement de la discussion. J’en appelle à vos souvenirs :
lorsqu’on a proposé de choisir dans le listes des jurés, c’était pour faire une
épuration ; il était malheureux, disait-on, de voir figurer sur les listes de
jurés des noms d’individus ignares, ou dont la profession fait honte à ce point
qu’on n’oserait pas les nommer ; il faut donc, ajoutait-on, faire disparaître
de la liste de semblables noms.
Le
Moniteur est là, et les discours du
ministre de la justice vous prouveront que le système qu’il défendait le
premier jour n’est plus le même que celui qu’il soutient actuellement. Le
premier système du ministre était insoutenable, aussi transforme-t-on
l’épuration en choix : il ne s’agit plus maintenant que le prendre les
meilleurs parmi les bons.
L’inexorable
Moniteur prouve l’exactitude de mon
observation. Mais ce second système ne peut être admis à moins que vous ne
rayiez du projet l’article premier.
Pour
être juré, il faut payer un cens ou exercer une profession spéciale.
Maintenant,
d’après les articles suivants et d’après le nouveau système, qui n’est plus un
système d’épuration, mais un système de choix, vous allez mettre de côté les
trois quarts des personnes qui, aux termes de l’article premier, ont l’aptitude
nécessaire pour être jurés. Le changement de système exigeait donc un
changement dans l’article premier, car sans cela il y aurait contradiction :
vous commencez par dire : Sont aptes à être jurés tous les individus qui paient
tel cens ; et plus tard vous éliminez les trois quarts de ces individus !
Puisqu’on
nous a dit, messieurs, que la grande majorité de la chambre est décidée à
adopter ce système, et que je n’entends pas contrarier une majorité imposante,
je ne perdrai pas votre temps ni le mien à combattre cette idée capitale ;
puisqu’il en est ainsi il faut bien se résigner et subir les conséquences du
principe ; mais alors de deux maux je choisirai le moindre, et j’appuierai tous
les amendements, n’importe lesquels, pourvu qu’ils écartent le ministère
public, car l’influence du ministère public est ce qu’il y a de plus mauvais
dans tout le système. S’il y avait donc un amendement qui écartât le ministère
public, qui pût réunir une majorité dans la chambre, fût-il le plus mauvais de
tous, je l’adopterais.
On
dit, messieurs, que le ministère public n’exercera- aucune influence ; mais
alors pourquoi insiste-t-on tant pour obtenir son intervention ? Pourquoi donc
discutons-nous, depuis 4 ou 5 jours, la question de savoir si le ministère
public interviendra ou n’interviendra pas ? Que le gouvernement retranche de
son projet l’intervention du ministère public, alors il trouvera peut-être de
l’adhésion, alors plusieurs membres qui combattent maintenant l’article seront
peut-être disposés à l’appuyer ; mais, qu’il y fasse bien attention, s’il
persiste pour avoir l’intervention du ministère public, le sort du projet peut
être compromis.
Les
craintes que l’intervention du ministère public nous a inspirées à juste titre,
ces craintes augmentent encore de beaucoup par suite du changement de système
de M. le ministre de la justice ; si ce n’est plus un simple système
d’épuration, qui aurait eu pour but d’écarter les gens ignares, les gens dont
la moralité est suspecte, mais une faculté de choisir de bons jurés, et, parmi
ces bons, les meilleurs, alors je le demande, pourquoi l’intervention du
ministère public ? De bons jurés, les meilleurs jurés, tout cela n’est-il pas
relatif ? Comme on l’a déjà dit, un juré sera fort bon aux yeux de tel individu
et fort mauvais aux yeux de tel autre ; le ministère public, par exemple, dans
une circonstance donnée, trouvera un juré très mauvais lorsqu’il aura acquitté,
tandis que l’avocat du prévenu trouvera le même juré très bon. N’avons-nous pas
entendu parler d’acquittements scandaleux ? N’est-ce pas aux acquittements
scandaleux qu’on doit le projet de loi ? Eh bien, messieurs, le ministère
public ne dira-t-il pas que tel ou tel acquittement scandaleux est le résultat
de l’opinion de tels ou tels jurés, et ces jurés ne seront-ils pas de mauvais
jurés aux yeux du ministère public ? Je me rappelle fort bien, messieurs, que
lorsque je m’occupais encore d’affaires criminelles, nous connaissions les
jurés qui étaient habitués à condamner ; c’étaient ceux-là que le défenseur du
prévenu récusait ; eh bien, le ministère public les connaîtra aussi, et il
saura bien les faire porter sur la liste ; en agissant de cette manière, il
n’aura fait que céder aux habitudes de sa profession, il croira avoir rempli
son devoir et il l’aura rempli en effet, comme notre honorable doyen d’âge le
remplissait, d’après la confession qu’il nous a faite. Voilà, messieurs, à quoi
mènera l’intervention du ministère public, et l’insistance qu’on met pour obtenir
cette intervention, augmente singulièrement les craintes que nous avons
manifestées à cet égard.
« Mais,
dit le rapporteur de la section centrale, pourquoi craignez-vous le ministère,
lui qui intervient dans toutes les affaires qui se plaident devant la cour
? » Les cas sont bien différents : lorsque le ministère public donne son
avis devant la cour d’assises, l’accusé est là pour lui répondre ; lorsque le
ministère public accuse ou provoque une mesure, l’avocat du prévenu est là pour
le combattre ; mais ici, en chambre du conseil le ministère public sera seul,
il n’y aura personne pour défendre les intérêts de l’accusé. Si quelqu’un
venait demander par amendement que le bâtonnier les avocats, par exemple, fût
aussi présent à l’opération, afin de représenter les accusés, on ne voudrait
pas d’une semblable disposition, on dirait : « Pourquoi les avocats
interviendraient-ils en chambre du conseil ? » Mais pourquoi le ministère
public interviendrait-il, lui, dans une opération préalable, et dont les résultats
peuvent être funestes à l’accusé ? Comme l’a fort bien dit l’honorable M.
Dolez, tout doit être égal entre le ministère public et l’accusé ; l’un doit
avoir les mêmes droits que l’autre, et si quelque différence est inévitable,
elle doit être à l’avantage de l’accusé. Ici on fait tout le contraire, on fait
tout à fait pencher la balance en faveur du ministère public.
J’avais
oublié hier, messieurs, de répondre à une observation de M. le ministre de la
justice, je dirai un mot à cet égard. M. le ministre s’est appuyé de l’exemple
de l’Angleterre, il a dit que là le schérif choisit tout bonnement 48 personnes
qu’il prend où bon lui semble et parmi lesquelles on tire au sort 12 jurés.
Mais aurions-nous par hasard tous les avantages dont on jouit en Angleterre ?
M. le ministre a-t-il dit quelles sont les fonctions du schériff ? Les
fonctions du schériff tiennent autant du pouvoir judiciaire que du pouvoir
administratif, et certes si ‘on veut examiner la constitution anglaise, on
verra que le mode suivi en Angleterre pour la composition du jury présente des
garanties qu’on chercherait vainement dans le projet que nous discutons.
Lorsque
M. le ministre de la justice a parlé de l’Angleterre relativement à
l’institution du jury, il aurait dû, pour être exact dans la partie historique,
ajouter que ce n’est pas dans ce pays que le jury a pris racine, mais qu’il y a
été importé des pays du Nord ; c’est de la Scandinavie que vient le jury, c’est
de là qu’il a été importé en Angleterre, et si l’on recourait au principe qui a
présidé à l’établissement de cette institution, on trouverait tout autre chose
que ce qui existe aujourd’hui en Angleterre. Tous les arguments qu’on a voulu
tirer des institutions, anglaises, portent donc entièrement à faux.
Je
me résume, messieurs : forcé de subir les conséquences du principe dont il
s’agit (puisque, s’il faut en croire M. le ministre de la justice, la grande
majorité est décidée à proclamer ce principe ) ; forcé, dis-je, de subir les
conséquences du principe adopté au premier vote je voterai tous les
amendements, n’importe lesquels, qui auront pour résultat d’écarter l’influence
du ministère public.
De
toutes parts.- La clôture ! la clôture !
-
La clôture est mise aux voix et prononcée.
L’article
premier des propositions de M. Pirson est d’abord mis aux voix ; il n’est pas
adopte.
M. le président. - Je vais mettre
aux voix l’amendement de M. Dolez à l’article 3.
-
Cet article 3 est ainsi conçu :
« En
exécution de l’article premier la députation du conseil provincial dressera une
liste générale par chaque arrondissement judiciaire de la province, et
transmettra cette liste au président du tribunal avant le 30 septembre de
chaque année
M. Dolez propose de rédiger cet article comme
suit :
« Chaque
année, avant le 1er septembre, la députation du conseil provincial dressera,
pour toute la province, la liste des citoyens dont il est parlé à l’article
premier. »
M. Liedts.
- Il serait plus simple, me paraît-il, de demander la division de l’article 3
du projet que nous avons sous les yeux ; car l’adoption de la première partie
de cet article entraînerait l’adoption de l’amendement de M. Dolez .
M.
Lebeau. - Je pense qu’il y a lieu de procéder ici par
une question de principe, celle de savoir si l’autorité administrative
interviendra dans la réduction des listes.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - La question serait celle-ci : La députation
permanente des conseils provinciaux sera-t-elle chargée de faire la réduction
de la liste ? La réduction sera -t-elle faite par l’autorité administrative ou
par la magistrature ; en d’autres termes, est-ce le système de M. Dolez ou
celui de la section centrale qui doit prévaloir ?
M.
Dolez. - L’adoption de ma proposition ne comporte pas
seulement un changement d’autorité, mais elle comporte encore ce changement,
fort notable à mon sens, qu’au lieu de procéder par exclusion, ce que fait
réellement le projet adopté au premier vote, nous procéderions par élection.
Ainsi
donc il y a deux principes à résoudre ; le premier concerne l’autorité qui sera
chargée d’épurer, et le second est relatif au mode d’épuration.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs,
l’honorable préopinant donne à l’article une portée qui n’a jamais été dans la
pensée du gouvernement, ni de la section centrale. La question a été de savoir
si une liste de jurés serait formée par une autorité quelconque ; mais il ne
s’est pas agi d’épurations, pas plus dans le système du gouvernement et de la
section centrale, que dans celui de M. Dolez . Ce sera donc seulement une
question de rédaction sur laquelle il sera facile de se mettre d’accord.
J’entends
dire derrière moi qu’il ne suffit pas de demander si la députation sera chargée
de faire la réduction des listes, mais qu’il faut demander si la députation en
sera chargée exclusivement. Je crois qu’en ajoutant le mot
« exclusivement, » on satisfera tout le monde. (Adhésion.)
M.
le président. - Voici la question que je vais mettre aux
voix :
« La
députation permanente du conseil provincial sera-t-elle chargée exclusivement
de faire la réduction de la liste ? »
Plusieurs
membres. - L’appel nominal !
-
Il est procédé au vote par appel nominal.
79
membres sont présents.
17
répondent oui.
60
répondent non.
2
(MM. Devaux et Mast de Vries) s’abstiennent.
En
conséquence, la chambre décide que la députation permanente du conseil
provincial ne sera pas chargée exclusivement de la réduction de la liste.
Ont
répondu oui : MM. Desmaisières, de Terbecq, Doignon, Dolez, Jadot, Lebeau,
Lecreps, Mercier, Metz, Pirson, Polfvliet, Seron, Troye, Vandenhove, Verhaegen,
Vilain XIIII et Zoude.
Ont
répondu non : MM. Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Berger, Coppieters,
Corneli, de Behr, de Brouckere., Dechamps, de Florisone, de Foere, de Jaegher,
de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, Demonceau, Dequesne,
de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, de Theux,
d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubois, B Dubus, Dumortier, Duvivier, Eloy de
Burdinne, Ernst, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Liedts, Maertens,
Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach ;
Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van
Hoobrouck, Van Volxem, Verdussen, Vergauwen, Wallaert, Willmar, Peeters et
Dubus (aîné).
M.
le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés
de faire connaître les motifs de leur abstention.
M.
Devaux. - Messieurs, je me suis abstenu, parce que je
préfère le système de l’honorable M. Dolez à celui de la section centrale, et
cependant je ne pouvais pas l’adopter avant qu’on se fût prononcé sur le
système de l’honorable M. Dechamps et pour le mien, systèmes que je préfère à
ceux de la section centrale et de M. Dolez.
M. Mast de Vries.
- Je me suis abstenu, parce que je n’ai pas assisté à la discussion.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Il me semble que
la question à mettre aux voix maintenant serait celle-ci :
« L’autorité
judiciaire sera-t-elle exclusivement chargée de la réduction des listes
? » (Assentiment.)
M.
le président. - Je vais mettre cette question aux voix.
-
Après une double épreuve, elle est résolue affirmativement.
En
conséquence, la chambre décide que l’autorité judiciaire sera exclusivement
chargée de la réduction des listes.
M.
le président. - En ce qui touche l’article 3, il n’y a plus
qu’à mettre aux voix la proposition de la section centrale adoptée au premier
vote et qui est ainsi conçue :
« En
exécution de l’article premier, la députation du conseil provincial dressera
une liste générale par chaque arrondissement judiciaire dans la province, et
transmettra cette liste au président du tribunal avant le 30 septembre de chaque
année. »
-
Adopté.
« Art.
4. Le président du tribunal, assisté des deux membres les plus anciens dans
l’ordre du tableau, formera une liste de la moitié des noms portés sur la liste
générale, et adressera cette liste, avant le 1er novembre, au premier président
de la cour d’appel. »
M. Dumortier. - C’est ici que
vient l’application d’une observation que j’ai faite hier et aujourd’hui. Il me
semble qu’il faut ici mettre aux voix la partie de la proposition de M. Dolez
relative à la question de savoir si on procédera par exclusion ou par élection.
Si on veut avoir une liste composée, en définitive, du quart des citoyens aptes
à être jurés, il faut dire que le président du tribunal, assisté des deux plus
anciens membres, formera une liste du huitième de la liste générale, et que les
présidents de la cour d’appel y ajouteront également un huitième des noms
portés sur la liste générale ; de cette manière vous donnez à chaque autorité
une égale part dans la formation de la liste.
Le
ministre a reconnu tout à l’heure qu’il y avait deux questions à décider :
l’une de principe, sur laquelle on devait prononcer d’abord, et l’autre de
forme, qu’on décidera plus tard. C’est ici le moment de s’occuper de cette
dernière question.
M.
le président. - Le mot d’exclusion n’est pas dans l’article
; on ne peut pas y substituer celui d’élection. D’ailleurs, il n’y a pas
d’amendement déposé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst).
- L’observation de l’honorable M. Dolez avait pour but d’indiquer l’esprit dans
lequel on opérerait plutôt que de changer le mode d’opérer. Il vous a dit qu’il
ne s’agissait pas d’épuration, qu’il fallait éviter de se servir de cette
expression ; nous avons déjà répondu qu’à cet égard nous sommes d’accord avec
lui, que nous ne voulons ni le mot ni la chose, que dans notre pensée il faut
désigner les bons et choisir les meilleurs parmi les bons.
Maintenant
l’honorable M. Dumortier propose un nouvel amendement ; il veut que l’autorité
supérieure intervienne directement, que le tribunal de première instance
choisisse le huitième des personnes à porter sur la liste générale, et la cour
d’appel un autre huitième. Je me suis opposé à ce système, je l’ai combattu, la
chambre décidera ; mais, je le répète, il ne s’agit pas d’épuration ; dans tous
les systèmes, on choisit.
M. de Behr, rapporteur. Dans le système de
la section centrale, il n’y a pas d’épuration. L’article premier ne dit pas que
tous les citoyens remplissant les conditions qu’il détermine seront jurés, mais
que les jurés seront pris parmi’ eux.
On
dresse une liste de tous ces citoyens, le tribunal de première instance réduit
cette liste à la moitié, et la cour d’appel réduit encore de moitié la liste
qu’on lui transmet. Il n’y a pas épuration, il y a choix ; mais il n’y a
exclusion de personne.
M. Dolez.
- Je n’entretiendrai pas longtemps la chambre sur cette question qui a presque
perdu tout son intérêt depuis que la chambre a rejeté mon amendement. Je tiens
à faire remarquer qu’il me paraît indispensable de modifier la rédaction de
certaines dispositions adoptées au premier vote. Si on maintient intactes ces
dispositions, il en résultera, quoi qu’on en dise, contrairement au vœu du
ministre de la justice et au vôtre, qu’on procédera par exclusion, au lieu de
procéder par élection. Je ne veux pour preuve que le paragraphe final de l’article
premier, qui porte : « Ces citoyens exerceront les fonctions de juré,
etc. »
Les
voilà donc déclarés jurés par l’article premier dès l’instant qu’ils en
remplissent les conditions. Maintenait, si d’après les articles suivants, vous
les éliminez de la liste, n’est-il pas vrai que vous les excluez, que vous les
dépouillez du caractère qui leur avait été conféré par l’article premier ?
Votre loi a donc pour base un système d’exclusion contrairement aux intentions
qu’on a exprimées. Je ne fais pas de cette observation l’objet d’un amendement,
mais je crois que dans l’intérêt de la loi et du système qu’il a adopté, le
ministre ferait bien de proposer une autre rédaction.
On
en fera ensuite ce qu’on voudra.
M.
de Brouckere. - Nous nous occupons véritablement de
questions de mots.
M.
Dolez. - Dans les lois, les mots sont quelque chose.
M.
de Brouckere. - Ici, cela ne conduit à aucun résultat.
Plusieurs
voix. - Si ! si !
M. de Brouckere. - Permis à ceux qui
disent si, si, de ne pas partager mon opinion, ils pourront me répondre.
L’article
premier porte : « Les jurés seront pris parmi les citoyens dont la
nomenclature suit... » L’article suivant dit que la liste des citoyens
sera réduite à moitié par le tribunal de première instance. L’article suivant
dit que cette seconde liste sera encore réduite à la moitié par les présidents
de la cour d’appel. Maintenant on veut qu’au lieu de dire que ces listes seront
réduites, on dise que parmi les noms portés sur la liste on en choisira la
moitié. Je demande si ce n’est pas la même chose ? Eh bien, il sera entendu par
ceux à qui cela convient que, dans l’opération que les tribunaux de première
instance et d’appel, c’est un choix que l’on fait et non une élimination.
Je
suppose une liste de 100 personnes ; de ces 100 personnes, 50 doivent être
conservées et 50 ne doivent pas l’être. Maintenant je demande quelle différence
il y a à mettre de côté ceux qu’on ne conserve pas ou à mettre sur la liste
ceux qu’on présente.
M.
Dolez. - Ce n’est pas cela, la différence est très
grande.
M.
de Brouckere. - Montrez-la.
M. Dolez.
- C’est facile. Cette question sera bien simple. Si la première autorité
chargée de choisir, choisit 25 noms, il en reste encore 75 parmi lesquels la
seconde autorité chargée également d’en choisir 25 peut faire son choix.
Ne
nous écartons pas de l’interpellation. J’ai déclaré que je ne proposais pas
d’amendement ; je réponds au défi que m’a porté M. de Brouckere de trouver que
ce n’était pas la même chose de procéder par exclusion ou par élection. Dans le
système d’exclusion, la partie exclue ne peut plus être l’objet du choix de
l’autorité qui vient en second ordre, tandis que, dans le système d’élection,
le choix de cette seconde autorité peut s’exercer dans une plus grande étendue.
Cela me paraît d’une telle évidence que je ne comprends pas qu’on puisse le
mettre en question.
Je
reprends les chiffres posés par M. de Brouckere. Cent noms sont portés sur la
première liste. Si on procède par exclusion de la moitié, le choix de la
seconde autorité ne peut plus porter sur les membres exclus ; si, au contraire,
la première autorité procédait par élection, personne n’aurait été exclu, le
choix pourrait encore s’exercer sur tout le monde.
M.
de Brouckere. - Le système dont parle l’honorable préopinant
est tout à fait nouveau dans sa bouche. Il n’en avait pas encore parlé ; c’est
celui que vient d’indiquer M. Dumortier. J’avais dit que votre système était un
jeu de mots. J’avais fait justice de votre proposition.
Voici
maintenant le système présenté par M. Dumortier qui est tout nouveau, et auquel
je serais venu si vous ne m’aviez pas interrompu. Si 200 personnes sont aptes à
être jurés, par le cens qu’elles paient ou la profession qu’elles exercent, M.
Dumortier dit que le tribunal de première instance en choisit 25 et la Cour
d’appel 25 autres.
Voilà
le système de l’honorable M. Dumortier. Je comprends que ceci renferme un sens
; c’est quelque chose de nouveau ; j’en abandonne la discussion à la chambre.
Quant à moi je persiste dans l’opinion que j’ai émise. Je préfère à ce nouveau
système celui adopté au premier vote.
M.
le président. - M. Dumortier vient de déposer un amendement
tendant à introduire dans les articles 4 et 5 les modifications suivantes :
Article
4 : au lieu de « une liste de la moitié des noms, etc., » dire :
« une liste du huitième des noms, etc. »
Article
5, premier paragraphe : au lieu de « réduiront à la moitié chacune des listes,
» dire : « ajouteront un nombre égal de jurés à chacune des listes. »
Article
5, deuxième paragraphe ; au lieu de « les listes ainsi réduites, » dire :
« les listes ainsi formées. »
-
L’amendement proposé par M. Dumortier à l’article 4 est mis aux voix ; il n’est
pas adopté.
L’article
4 est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Le premier président et les
deux présidents de chambre les plus anciens réduiront à la moitié chacune des
listes envoyées par les présidents des tribunaux respectifs du ressort de la
cour.
« Les
listes ainsi réduites des arrondissements de la même province seront réunies eu
une seule liste pour le service du jury de l’année suivante. »
M.
Dolez. - En cas de nombre impair, comment
procédera-t-on ? Il faudrait que la loi prévît cette éventualité. Si la loi se
tait sur ce point, vous verrez des pourvois en cassation fondés sur
l’irrégularité de la formation des listes de jurés.
M. de
Behr, rapporteur. - La loi française se sert des mêmes
expressions, et en France il n’en est résulté aucun inconvénient. En France ce
sont les préfets qui font la réduction des listes.
-
L’article 5 est adopté.
Article 6
« Art.
6. Les opérations prescrites par les deux articles précédents auront lieu dans
la chambre du conseil, après avoir entendu le ministère public. Il sera fait
mention du nom de l’officier qui en fera les fonctions, et chaque liste sera
signée par les président et juges qui auront concouru à sa formation, ainsi que
par le greffier : en cas d’empêchement des président ou juges, ils seront
remplacés d’après le rang d’ancienneté dans l’ordre des nominations.
M.
le président. - M. Dumortier demande que l’on supprime les
mots « après avoir entendu le ministère public. Il sera fait mention du
nom de l’officier qui en fera les fonctions. »
-
Sur la demandé de plusieurs membres on procède à l’appel nominal sur cette
question.
78
membres sont présents.
47
votent contre l’amendement.
31
votent l’adoption.
En
conséquence rien ne sera supprimé dans l’article 6.
Ont
voté contre l’amendement de M. Dumortier : MM. Bekaert, Berger, Coghen,
Coppieters, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Foere, de
Jaegher, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, Demonceau, Dequesne, de Roo, de
Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Donny, B. Dubus,
Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia, Keppenne, Kervyn, Liedts, Mercier,
Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Scheyven,
Simons, Smits, Thienpont, Maertens, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, H. Vilain XIIII,
Wallaert, Willmar, Peeters.
Ont
voté pour l’amendement de M. Dumortier : MM. Beerenbroeck, Corneli, de Langhe,
de Longrée, de Renesse, Desmaisières, Desmet, Devaux, Doignon, Dubois, Dubus
(aîné), Dumortier, Hye-Hoys Jadot, Lebeau, Lecreps, Metz, Pirmez, Pirson,
Polfvliet, Seron, Troye, Vandenbossche, Van Hoobrouck, Verdussen, Vergauwen,
Verhaegen, Zoude.
L’article
6, dans son ensemble, mis aux voix est adopté.
« Art.
7. Avant le premier décembre la liste pour le service du jury sera transmise
par le premier président ou président du tribunal du lieu où siégera la cour
d’assises ; il sera tiré au sort trente noms pour chaque session ou série,
conformément aux dispositions en vigueur. »
M.
Dumortier. - Une des choses qui, en Belgique, ont pour
effet de rendre le jury peu populaire, c’est l’obligation où sont les jurés de
se déplacer. Je connais une personne qui depuis l’organisation du jury a été
forcée de se déplacer quatre années de suite. C’est une chose fâcheuse que
d’être contraint à faire sept ou huit lieues. On doit remédier à cet
inconvénient. Et pour cela, il faudrait dire, dans l’article 7, que ceux qui
ont fait partie du jury dans les quatre années précédentes en seront exempts.
M.
Demonceau. - C’est à l’article 8 qu’il faudrait faire cet
amendement.
M.
Dumortier. - Je reproduirai mon observation, et la retire
pour le moment.
L’article
7 est adopté.
« Art.
8. Ne seront point compris sur la liste des 30 jurés, ou seront dispensés
d’office, les membres du sénat ou de la chambre des représentants, pendant la
durée de la session législative ; les membres des conseils provinciaux, durant
les sessions de ces corps ; ceux qui déjà auraient fait partie d’un jury
pendant l’une des quatre dernières sessions de la cour d’assises. »
M. de
Behr, rapporteur. - La dernière partie de l’article 8 est sans
objet ; elle doit faire partie de l’article 9.
-
La première partie de l’article 8 est mise aux voix et adoptée.
Le
restant de l’article, dont M. de Behr a demandé le retranchement, est mis aux
voix et rejeté.
M.
Lebeau. - Je crois, messieurs, qu’on pourrait
maintenant revenir à l’article premier.
M.
le président. - Il a été adressé au bureau une observation
sur la rédaction de l’article 4 ; on croit qu’au lieu de : « Le président du
tribunal assisté des deux membres les plus anciens dans l’ordre du tableau,
etc., » il faudrait dire : « Le président du tribunal assisté des deux
membres les premiers dans l’ordre du tableau, etc. »
M. de Behr, rapporteur. - Je crois,
messieurs, qu’il faut adopter ce changement de rédaction car, sans cela il
pourrait arriver que là où il y a des vice-présidents, ils fussent exclus de
l’opération.
-
Le changement de rédaction est mis aux voix et adopté.
M.
le président. - Il y a encore une disposition additionnelle,
qui fait partie de l’amendement de M. Devaux et qui consiste à interdire au
juge d’instruction de prendre part à la réduction des listes des jurés.
M.
Devaux. - La chambre ayant décidé que le ministère
public prendrait part à la discussion, à plus forte raison voudra-t-elle ne pas
exclure le juge d’instruction. Je n’insisterai donc pas pour l’adoption de mon
amendement, que je considère comme indirectement repoussé par le vote concernant
l’intervention du ministère public.
Article premier
M.
le président. - Nous passerons donc à l’article premier ; il
a été adopté au premier vote dans les termes suivants :
« Art.
1er. Les jurés seront pris :
« 1°
Parmi les citoyens portés sur la liste électorale, qui versent au trésor de
l’Etat, en contributions directes, la somme ci-dessous indiquée :
« Dans
la province d’Anvers : 250 fr. (chef-lieu) ;170 fr. (les autres communes) ;
« Dans
la province de Brabant : 250 fr. (chef-lieu) ; 170 fr. (les autres
communes) ;
« Dans la province de Flandre
orientale : 250 fr. (chef-lieu) ; 170 fr. (les autres communes) ;
« Dans la province de Flandre
orientale : 200 fr. (chef-lieu) ; 170 fr. (les autres communes) ;
« Dans la province de Liége : 200
fr. (chef-lieu) ; 170 fr. (les autres communes) ;
« Dans la province de Hainaut, Mons
et Tournay : 200 fr. (chef-lieu) ; 170 fr. (les autres communes) ;
« Dans la province de Namur : 140
fr. (chef-lieu) ; 120 fr. (les autres communes) ;
« Dans la province de Luxembourg :
120 fr. (chef-lieu) ; 120 fr. (les autres communes) ;
« Dans la province de Limbourg : 110
fr. (chef-lieu) ; 110 fr. (les autres communes).
« Et
2°, indépendamment de toute contribution, parmi les classes de citoyens
ci-dessous désignées :
« a.
Les membres de la chambre des représentants ;
« b.
Les membres des conseils provinciaux ;
« c.
Les bourgmestres, échevins, conseillers communaux, secrétaires et receveurs des
communes de 4,000 âmes et au-dessus ;
« d.
Les docteurs et licenciés en droit, en médecine, en chirurgie, en sciences et
en lettres ; les officiers de santé, chirurgiens et artistes vétérinaires ;
« e. Les notaires, avoués, agents de change
ou courtiers ;
« f.
Les pensionnaires de l’Etat jouissant d’une pension de retraite de 1,000 fr. au
moins.
« Ces
citoyens rempliront les fonctions de juré près la cour d’assises dans le
ressort de laquelle est établi leur domicile réel. »
M. Dolez a proposé un
changement de rédaction au dernier paragraphe de cet article ; il demande qu’on
dise :
« Ces
citoyens seront habiles à remplir les fonctions de juré, etc. »
M. de
Behr, rapporteur. - Messieurs, les fonctions de juré peuvent
être considérées comme une espèce de prérogative, et en même temps une
obligation ; dans le paragraphe dont il s’agit, on oblige les jurés à remplir
leurs fonctions près la cour d’assises dans le ressort de laquelle ils ont leur
domicile réel ; avec l’amendement de M. Dolez, cette obligation n’existe plus ;
or, il arrive tous les jours, dans les localités situées aux limites des
provinces, que des citoyens ont leur résidence habituelle dans une province et
leur domicile réel dans une autre ; il faut trancher la question de savoir près
de quelle cour d’assises ces personnes devront exercer leurs fonctions de juré
si elles y sont appelées. L’amendement de M. Dolez n’atteindrait pas ce but.
D’ailleurs, l’article premier ayant été adopté sans modification au premier
vote, il ne peut plus être amendé ; je demande donc la question préalable sur
l’amendement de M. Dolez.
-
La question préalable est mise aux voix et adoptée.
Article 2
M.
le président. - D’après cette décision, l’article premier ne
doit pas être soumis à un second vote, et nous passerons à l’article 2. Il est
ainsi conçu :
«
Ne seront pas portés ou cesseront d’être portés sur la liste des jurés :
« 1°
Ceux qui ont atteint leur 70ème année ;
« 2°
Les ministres, les gouverneurs des provinces, les membres des députations
permanentes des conseils provinciaux, les commissaires d’arrondissement, les
juges, procureurs-géneraux, procureurs du Roi et leurs substituts ;
« 3°
Les ministres des cultes ;
« 4°
Les membres de la cour des comptes ;
«
5° Les secrétaires-généraux et les directeurs d’administration près d’un
département ministériel ;
«
6° Les militaires en service actif, les auditeurs militaires et les membres des
tribunaux militaires. »
-
Cet article est mis aux voix et définitivement adopté.
M.
le président. - Nous passerons maintenant à l’article 9 ; il
a été adopté au premier vote dans les termes suivants :
« Le
nombre de 30 jurés fixé par l’article 395 du code d’instruction criminelle, est
réduit à 24. »
M. de
Behr, rapporteur. - Messieurs, cet article n’a pas été imprimé à
sa place : il doit venir immédiatement avant l’article 13, qui n’en est, en
quelque sorte, que le complément.
M.
le président. - S’il
n’y a pas d’opposition, je considérerai cette modification dans l’ordre
des articles comme adoptée.
Article 12
«
Art. 10 (qui devient l’article 9). Ceux qui auront fait partie des trente jurés
et qui auront satisfait aux réquisitions prescrites par l’article 391 du code
d’instruction criminelle, ne seront pas portés sur les listes des autres
sessions de l’année, ni sur les listes de l’année suivante. »
M. de
Behr, rapporteur. - Je prierai M. le président de vouloir bien
mettre d’abord en discussion l’article 12. Le motif est que cet article prévoit
le cas où il serait nécessaire de tirer des jurés supplémentaires, et cette
disposition a déjà été adoptée par la chambre. Maintenant, par l’article 7,
vous avez prescrit au président du tribunal de première instance de tirer au
sort 30 jurés sur la liste qui lui aura été transmise par le premier président.
Je
crois donc que l’article 12 devrait être fondu dans cet article. Il faudra
ajouter un qui contiendra l’article 12 ; cet article serait ainsi conçu :
« Il
sera tiré en outre quatre jurés supplémentaires parmi les citoyens mentionnés
dans l’article premier, et résidant dans la commune. »
Vous
voyez que ce paragraphe reproduit tout à fait l’article 12 ; mais il doit faire
un paragraphe de l’article 7 que vous avez adopté.
-
La proposition de M.de Behr est mise aux voix et adoptée ; en conséquence, le
paragraphe dont il s’agit sera mis à la suite de l’article 7.
M.
Devaux. - Messieurs, on a fait tout à l’heure une
observation à laquelle on n’a pas fait droit, et qui, pour être minutieuse,
n’en est pas moins juste : c’est qu’on n’a pas prévu le cas où, par suite de la
réduction d’une liste à moitié, il y aurait une fraction. Messieurs, il peut se
présenter des difficultés. Comme ceux qui doivent réduire sont très nombreux,
il se trouvera que dans telle localité on forcera la fraction, et que dans
telle autre, on la négligera, Il serait facile, au moyen de deux lignes
d’explication, d’éviter ces inconvénients. Voici la disposition que je propose
à cet effet :
«
Dans tous les cas où il y a lieu de réduire une liste de moitié, le nombre à
réduire est impair, on le supposera augmenté d’une unité. »
-
Cette disposition est mise aux voix et adoptée ; elle formera l’article 6 ;
l’article 6, déjà adopté par la chambre, deviendra l’article 7, l’article 7
l’article 8, et ainsi de suite.
M.
le président. - Nous revenons maintenant à l’article 10.
M. de
Behr, rapporteur. - Je propose de rédiger l’article 10 ainsi
qu’il suit :
« Ceux
qui auront fait partie des jurés titulaires et supplémentaires, et qui
auront... (le reste comme dans l’article). »
Il
me semble qu’il y a lieu d’accorder aux jurés supplémentaires qui auront
satisfait à leurs obligations, l’exemption que l’on accorde aux autres.
M.
Dumortier. - Messieurs, l’observation de l’honorable
rapporteur de la section centrale est très fondée ; mais je rappellerai à
l’assemblée celle que j’ai eu l’honneur de lui faire tout à l’heure sur le
terme trop court que présente l’article actuellement en discussion.
Au
dire de M. le ministre de la justice il y a 1,000 jurés dans chaque province,
de manière qu’il en restera 250, après que l’on en aura écarté les trois quarts
; d’un autre côté, le nombre des jurés se trouve réduit à 24, de façon que si
vous prenez les jurés les uns après les autres, chacun d’eux ne devrait siéger
qu’une fois tous les 10 ans. D’après le système de l’article 10, au contraire,
chaque juré pourra siéger une fois tous les deux ans. Il faut convenir,
messieurs, que ce terme est trop rapproché ; vous aurez nombre d’avocats et de
médecins qui pourront se trouver éloignés de 8 à 10 lieues de l’endroit ou
siège la cour d’assises, et qui tous les deux ans pourront tomber au sort ;
cela deviendra fatigant et même onéreux pour celles de ces personnes dont la
profession exige un séjour permanent dans leur localité.
Il me paraît donc que si l’on disait dans l’article
que les personnes qui ont été portées sur la liste d’une année ne pourront plus
être portées pendant quatre années, cela serait raisonnable, que cette
proposition ne donnera pas lieu à une contestation. Pour rallier toutes les
opinions, je consens même à réduire le terme à trois ans. L’article serait
alors conçu ainsi qu’il suit :
« Ceux
qui auront fait partie des 30 jurés et qui auront satisfait aux réquisitions
prescrites par l’article 391 du code d’instruction criminelle ne seront pas
portés sur les listes des autres sessions de l’année, ni sur les listes des
deux années suivantes. »
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, il
résulte de la disposition, telle qu’elle a été adoptée au premier vote, qu’on
ne peut être forcé, en aucun cas, d’être juré plus d’une fois en deux ans.
D’un
autre côté, les sessions ne seront plus très longues, puisqu’en
correctionnalisant un grand nombre de crimes, il en résultera que les assises
seront beaucoup moins chargées. Ainsi, l’on ne sera pas appelé aussi souvent
qu’on l’a été jusqu’ici, et le service ne sera pas laborieux.
J’ajouterai
qu’il est à croire que les magistrats chargés de faire les choix, distribueront
les fonctions de juré avec équité, et appelleront, autant que possible, chacun
à son tour.
Cela
posé, il faut leur laisser une certaine latitude, car il y aurait des
inconvénients à les obliger à prendre, pendant trois ou quatre années, de
nouveaux jurés ; il est possible qui ne s’en trouve pas assez qui puissent convenablement
remplir les fonctions de jurés à cause de la langue ou d’autres raisons
particulières. On doit compter sur la magistrature. il suffit que la loi porte
que l’on ne peut être forcé de remplir les fonctions de juré plus du fois en
deux ans.
-
L’amendement de M. de Behr est adopté.
Celui
de M. Dumortier est rejeté.
L’article
est adopté tel qu’il a été amendé.
Articles 11 à 17
«
Art. 11. A chacune des trois dernières sessions, les membres de la cour d’appel
ci-dessus désignés compléteront la liste qui a servi au tirage au sort de la
session précédente, par un nombre de citoyens égal à celui des jurés dispensés
aux termes de l’article précédent.
« Ces
citoyens seront pris dans les listes transmises par les président des tribunaux
de première instance. »
-
Adopté.
_________________
« Art.
12. Le nombre de 30 jurés fixé par l’article 393 du code d’instruction
criminelle est réduit à 24. »
_________________
«
Art. 13. Si, au jour indiqué pour chaque affaire, il y a moins de … jurés
présents, non excusés ou non dispensés, ce nombre sera complété par les jurés
supplémentaires dans l’ordre de leur inscription sur la liste formée par le
président du tribunal.
« Les
jurés supplémentaires seront tenus de se rendre à chaque audience de la cour
d’assises, à moins qu’ils n’en soient dispensés par la cour. »
-
Adopté.
________________
«
Art. 14. Si le nombre de jurés supplémentaires est insuffisant, il sera procédé
conformément à l’article 395 du code d’instruction criminelle. »
-
Adopté.
________________
« Art. 15. Les articles 396, 397 et 398
du code d’instruction criminelle sont applicables aux jurés supplémentaires. »
-
Adopté.
________________
« Art.
16. Lorsqu’un procès criminel paraîtra de nature à entraîner de longs débats, la
cour d’assises pourra ordonner, avant le tirage de la liste des jurés,
qu’indépendamment de douze jurés, il en sera tiré au sort un ou deux autres qui
assisteront aux débats ; en ce cas, les récusations que pourront faire l’accusé
et le procureur-général, s’arrêteront respectivement lorsqu’il ne restera que
treize ou quatorze jurés.
« Si
l’un ou deux des douze jurés se trouvaient empêchés de suivre les débats, ils
seront remplacés par les jurés suppléants.
« La
cause de l’empêchement sera jugée par la cour et le remplacement se fera
suivant l’ordre dans lequel les jurés suppléants auront été appelés par le
sort. »
Adopté.
________________
« Art.
17. Lorsqu’il y aura plusieurs séries, la cour d’appel pourra, dans les cas où
la loi autorise le renvoi de l’affaire à une prochaine session ordonner le
renvoi d’une série à une autre, si l’accusé en forme la demande. »
-
Adopté.
« Art.
18. Le vote du jury aura lieu au scrutin secret sur les questions posées en
exécution des articles 337 et suivants du code d’instruction criminelle.
« A
cet effet, des bulletins seront imprimés et marqués du timbre de la cour
d’assises. Ils porteront en tête les mots : « Sur mon honneur et ma
conscience ma déclaration est…
« Au
milieu, en lettres noires très lisibles, le mot : oui ;
« Et
au bas, en lettres noires très lisibles, le mot : non.
M.
Maertens. - Il me semble qu’il est inutile de dire que
les mots oui et non seront imprimés en lettres noires. Quand on imprime, c’est en
noir, c’est de droit commun. Je propose donc de retrancher les mots
« noires. »
M. de
Behr, rapporteur. - Quand on a dit que le mot oui serait écrit
en lettres noires, c’est parce que d’un autre côté on avait dit que le mot non
serait en lettres rouges ; maintenant qu’on a supprimé cette distinction, je me
rallie à la proposition de M. Maertens .
-
L’article 18 est adopté avec la suppression des mots « noires. »
« Art.
19. Après la délibération, chaque juré recevra un de ces bulletins, qui lui
sera remis ouvert par le chef du jury.
« Dans
les provinces où les langues flamande on allemande sont en usage, chaque juré
recevra, outre le bulletin en français, un bulletin en flamand ou en allemand.
«
Le juré effacera ou rayera le mot non s’il veut répondre oui ; il effacera ou
rayera le mot oui s’il veut répondre non.
« Il
fermera ensuite son bulletin et le remettra au chef du jury, qui le déposera
dans une urne à ce destinée. »
M. Dumortier. - Cet article me
paraît contenir une disposition très sérieuse ; en ce que le juré devra mettre
la plume sur le mot qu’il voudra opposer à celui qu’il voudra amener. C’est une
opération complexe qui pourra donner lieu à des erreurs très fâcheuses. Puisque
vous voulez le vote secret par bulletins imprimés portant oui et non, puisque
vous voulez le système de la Suisse, adoptez-le tout à fait, dites que le juré
mettre une croix auprès de la décision qu’il veut amener. Ce système est
préférable à celui que nous avons adopté au premier vote. Il y a deux manières
d’argumenter, l’une directe, l’autre par exclusion. C’est par exclusion qu’on
propose de procéder. Ceux qui n’ont pas l’habitude de procéder par exclusion
seront embarrassés quand il faudra indiquer leur opinion. Il vaut mieux adopter
le système que le juré fasse une crois à côté du mot qu’il veut désigner comme
sa réponse. La chose sera beaucoup plus simple et ne donnera pas lieu à erreur.
Quand on veut un moyen qui rend l’erreur impossible, il faut s’y rallier et
écarter celui qui peut en amener.
Je propose de modifier l’article dans ce sens.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Il y a maintenant
moins de doute qu’au premier vote. Car, d’après les dispositions que vous avez
adoptées, ce ne sont plus des jurés tirés au hasard, mais des jurés choisis,
qui sauront ce qu’ils font. Ils seront d’ailleurs avertis par le président de
la cour qu’ils ont à effacer le mot dont ils ne veulent pas. Il n’y a pas là
d’épuration.
M. de
Behr, rapporteur. - On a déjà fait l’observation que le mode
adopté en Suisse a des inconvénients et peut entraîner des erreurs. Il est plus
simple de dire d’effacer le mot dont on ne veut pas que de mettre une croix
près de celui qu’on veut conserver, car le juré peut mettre la croix à côté et
désigner le mot qui ne représentera pas sa pensée.
Dans
l’économie du projet, le juré sera averti par le président de la cour d’assises
qu’il devra effacer tel ou tel mot, il fixera donc sa pensée sur le mot qu’il
doit effacer ; ce système est fort simple ; il me paraît préférable à celui
proposé par M. Dumortier .
Au
reste il n’y a pas eu d’amendement adopté au premier vote : la chambre a adopté
la proposition de la section centrale à laquelle M. le ministre de la justice a
déclaré se rallier ; si donc M. Dumortier insiste, je demanderai la question
préalable.
Dans
le système de la section centrale, les jurés devaient opérer sur les mots
français, bien qu’il y eût à côté les mots allemands et les mots flamands ;
aujourd’hui vous avez admis des bulletins séparés ; il faut donc prévoir le cas
où un juré effacera l’un des mots qui correspond en allemand ou en flamand aux
mots oui et non.
Voici
donc la nouvelle rédaction que je propose pour le troisième paragraphe :
« Le
juré qui veut répondre oui, efface ou raie le mot non, ou le mot correspondant
en flamand ou en allemand. Le juré qui veut répondre non efface ou raie le mot
oui ou le mot correspondant en flamand ou en allemand. »
-
Cette nouvelle rédaction est mise aux voix et adoptée et forme le troisième
paragraphe de l’article 19.
L’article
19 est mis aux voix et adopté avec cette modification.
La
séance est levée à 5 heures.