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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 7 mars
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi organisant le jury d’assises.
Second vote des articles. Fait personnel (Devaux, Dumortier)
3) Projet de loi relatif au droit sur le timbre
(Demonceau)
4) Projet de loi organisant le jury d’assises.
Second vote des articles. Mode de délibération du jury (Pirmez,
Ernst, de Behr, Pirmez, Dolez, Verhaegen, de Behr, Verhaegen, Dolez, de Behr, Raikem, Verhaegen, Ernst, Dolez, Raikem, de
Brouckere, de Behr, de Brouckere, de Behr, Raikem, Dolez, de
Brouckere)
5) Fixation de l’ordre des travaux de la
chambre. Taxe des barrières (Desmanet de Biesme)
6) Projet de loi prorogeant la loi sur les
étrangers (de Theux, Dumortier,
de Theux, (+sûreté de l’Etat) de
Brouckere, de Theux, Verhaegen,
de Theux, Dumortier, Verdussen, de Theux, Demonceau)
(Moniteur belge n°68, du 9 mars 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M. Kervyn
donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier, dont la rédaction est
adoptée.
M.
de Renesse donne communication des pièces suivantes
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
Le sieur E.-H. Simoens, commis-greffier près le tribunal de première instance à
Gand, demande une augmentation de salaire. »
_____________________
« Le
sieur F. Ronse, porteur de contraintes à Furnes, demande le paiement d’une
somme de 274 fr 45 c. qu’il prétend lui revenir sur le recensement des patentes
et remboursements. »
_____________________
« Les fabricants de tabac de la ville de Fumes
adressent des observations sus le projet relatif aux tabacs. »
_____________________
« Des négociants et armateurs d’Anvers
adressent des observations en faveur du droit différentiel sur les
cafés. »
_____________________
« Le sieur P. Duhoux, négociant en vins à
Tirlemont, demande à être indemnisé des pertes qu’il a essuyées lors de
l’agression hollandaise en 1831, par le pillage de ses caves. »
_____________________
« Le sieur E. Woeste, né en Prusse, et
habitant la Belgique depuis 1819, demande la naturalisation. »
_____________________
-
Cette dernière pétition est renvoyée à M. le ministre de la justice ; la pétition
relative aux tabacs sera renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du
projet de loi sur cet objet ; la pétition concernant le café restera déposée
sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la matière ; les
autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, chargée d’en
faire le rapport.
PROJET DE LOI ORGANISANT LE JURY D’ASSISES
Incident
M.
Devaux. - Messieurs, le procès-verbal dont on vient de
donner lecture ne fait pas mention de l’incident qui s’est élevé hier entre un
honorable membre et moi. Comme la chambre n’a pas pris de décision et qu’elle
n’avait pas à en prendre, je ne me suis pas levé pour demander une
rectification au procès-verbal. Mais la relation que le Moniteur donne de cet incident est telle que je ne puis permettre
que cette affaire en reste là.
Je
ne comptais prendre la parole que lorsque M. Dumortier serait entré à la séance
; mais puisqu’il y est, je vais m’expliquer devant la chambre.
Vous
vous rappellerez, messieurs, qu’hier M. Dumortier s’est servi à mon égard d’une
expression que je regardais comme outrageante ; j’en fis l’observation à M. le
président, en lui demandant le rappel à l’ordre de l’orateur. Vous vous
rappellerez que M. le président me répondit qu’avant de juger l’expression de
M. Dumortier, il était juste de l’entendre dans ses explications ; que
l’honorable membre s’étant expliqué, et ses explications ne n’ayant pas paru
bien claires, je priai M. le président de prononcer ; qu’alors M. le président
dit qu’il entendait les explications dans ce sens : que M. Dumortier n’avait
aucunement inculpé mes intentions, mais qu’il avait voulu seulement critiquer
l’amendement que j’avais eu l’honneur de soumettre à la chambre. Comme
l’explication de M. le président ne me paraissait pas être en parfaite
conformité avec l’opinion de M. Dumortier, je me suis levé pour demander à cet
honorable membre si ses intentions avaient été telles que M. le président
venait de les énoncer ; M. Dumortier a répondu affirmativement, en disant qu’il
n’avait pu en avoir d’autres. Là-dessus, je me suis levé de nouveau, pour me
déclarer satisfait. M. Dumortier ne s’est plus levé alors pour prendre la
parole ; je ne sais si sur son banc il a dit quelque chose, du moins rien de ce
qu’il a pu dire n’est arrivé jusqu’à moi ; mais je trouve dans le Moniteur, à
la suite des dernières paroles que j’ai prononcées ces paroles de M. Dumortier
:
« Il n’était pas difficile de vous satisfaire
; au reste ce n’est pas pour vous que j’ai répondu, mais pour M. le
président. »
Comme
l’orateur a l’habitude de réviser ses opinions, je dois croire que les paroles
que je viens de citer, il les a prononcées, bien que je ne les aie pas
entendues, et que beaucoup de membres m’aient déclaré ne pas les avoir
entendues. Je ne veux pas mettre en doute la véracité du rapport du moniteur ;
mais puisque le Moniteur a attribué
de telles paroles à M. Dumortier, j’ai besoin d’une nouvelle explication ; car
je dois savoir si ces paroles détruisent l’explication que M. Dumortier avait
donnée ; en un mot, je veux savoir si M. Dumortier a entendu inculper mes
intentions.
M. le président.
- Notre honorable collège qui m’a remplacé hier au fauteuil, m’informe qu’il
n’a pas entendu les paroles qu’on vient de rappeler.
M.
Devaux. - Je prie M. Dumortier de s’expliquer ; je le
prie de dire s’il a prononcé ces paroles oui ou non.
M.
Dumortier. - Messieurs, je ne veux pas me charger de ce
que je n’ai pas dit mais je ne veux pas non plus retrancher un mot à ce que
j’ai dit.
Voici
comment les choses se sont passées :
Quand
M. le président eut fini de parler, j’ai déclaré qu’on ne pouvait entendre mes
paroles que de la manière dont les avait expliquées M. le président. M. Devaux
s’est levé alors, et a dit qu’il retirait son observation, ou quelque chose de
semblable. A cela, j’ai répondu : « Ce n’est pas pour vous que j’ai parlé,
mais pour M. le président. » Mais je dois déclarer que je n’ai pas dit :
« Vous êtes facile à satisfaire. » J’ai seulement répondu : « Ce
n’est pas pour vous que j’ai parlé. » Comme mon honorable ami, M. Dubus,
remplaçait alors le président, j’avais cru pouvoir répondre à son invitation ;
mais si mon honorable ami n’avait pas été au fauteuil, j’aurai demandé à la
chambre de décider si l’expression dont je m’étais servi était injurieuse ou
non. Du reste, avant que M. Devaux ne demandât hier la parole, j’avais expliqué
la manière dont j’entendais cette expression, et qui était tout à fait conforme
à l’explication que M. le président a donnée à mes paroles ; de sorte qu’il ne
m’a pas été possible de donner plus tard un autre sens à mes paroles.
Voilà
la seule explication que je crois devoir donner en ce moment. Si M. Devaux
croit que je suis disposé à me mettre à genoux, il se trompe ; c’est à la
chambre et à la chambre seule à me censurer, s’il y a lieu.
De
toutes parts. - Assez ! assez !
M.
Devaux. - Puisque M. Dumortier déclare n’avoir pas
prononcer les paroles dont il s’agit, je serais bien difficile si je ne me
déclarais pas satisfait.
PROJET DE LOI RELATIF AU DROIT DE TIMBRE
M.
Demonceau dépose le rapport sur le projet de loi relatif
au timbre.
-
Ce rapport sera imprimé et distribué.
PROJET DE LOI ORGANISANT LE JURY D’ASSISES
M.
Dubus (aîné) occupe le fauteuil.
Second vote des articles
Article 8
M.
le président. - Nous passons à l’objet du jour qui est la
suite de la discussion de la loi concernant le jury.
M. de
Behr, rapporteur. - Messieurs, je dois faire observer qu’il s’est
glissé une erreur dans la rédaction de l’article 8, qui est devenu l’article 9
; cet article porte que : « Ne seront pas compris sur la liste des 30
jurés… ; » il faudrait retrancher le chiffre 30 ; car ce chiffre n’est
plus en harmonie avec les articles qui suivent. D’abord la liste n’est plus de
30 jurés, mais de 34, puisqu’il y a 4 jurés supplémentaires.
Je
propose donc de retrancher le chiffre 30.
-
Ce retranchement est mis aux voix et adopté.
Article 22 (et article 20)
M.
le président. - Nous en sommes restés à l’article 22 ainsi
conçu :
«
Après chaque scrutin, le chef du jury le dépouillera en présence des jurés, et
consignera immédiatement la résolution en marge de la question, sans exprimer
le nombre des suffrages, et ce n’est dans le cas où la déclaration affirmative
sur le fait principal n’aurait été formée qu’à la simple majorité. »
M. Pirmez. - Messieurs,
j’avais demandé hier la parole pour faire une observation sur cet article, parce
qu’il me paraissait qu’il y avait une lacune dans la loi ; jusqu’à présent, je
pense qu’il a toujours été admis que jusqu’au moment de la lecture de la
décision du jury, la résolution du jury pouvait être modifiée. Il me paraissait
que le cas devait se présenter assez souvent, savoir qu’un juré, du moment
qu’il connaissait les conséquences de son, demanderait à revenir sur ce vote ;
jusqu’à présent, les jurés ont pu modifier leur vote jusqu’à la lecture de la
déclaration.
Maintenant,
en vertu de la loi que nous faisons, sera-ce encore jusqu’au moment de la
lecture de la déclaration que le vote pourra être modifié ? Quand le scrutin
sera-t-il définitif ? Voilà sur quoi la loi n’a rien dit jusqu’ici. Si c’est
jusqu’à la lecture de la déclaration que l’on peut modifier son vote, il s’en
suit qu’il doit y avoir plusieurs scrutins ; s’il peut y avoir plusieurs
scrutins, il faut qu’il y ait une autorité qui décide si ces scrutins auront
lieu. Ainsi, sera-ce à la majorité du jury à décider si un nouveau scrutin aura
lieu ? ou, en d’autres termes, la majorité pourra-t-elle refuser à la minorité
de procéder à un autre scrutin ? Un seul juré qui dirait qu’il s’est trompé,
pourrait-il forcer la majorité du jury à recommencer le scrutin ? ou la
majorité du jury pourra-t-elle se refuser, sur la demande d’un juré, à
recommencer le scrutin. ? Voilà les observations que j’avais à soumettre à la
chambre.
M. le ministre de la justice (M. Ernst).
- Messieurs, quoiqu’en dise l’honorable préopinant, la législation actuelle ne
contient aucune disposition sur les cas qu’il a supposés, et cependant depuis
le grand nombre d’années que le code d’instruction criminelle est appliqué,
nous n’avons pas vu qu’à cet égard il se soit présenté des difficultés.
Je
crois, messieurs, qu’il n’y a aucune nécessité de prévoir ces cas dans la loi
nouvelle malgré l’introduction du vote secret, cela pourrait même être
dangereux. Il vaut mieux laisser ces questions dans le domaine des principes
généraux du droit et les abandonner à la jurisprudence.
M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, si on
voulait tout prévoir, je ne sais où cela nous conduirait. On a supposé le cas
où un juré voudrait changer l’opinion avant la lecture de la déclaration ; mais
que serait-ce si, au moment où on donne lecture de la déclaration, un juré
s’avisait de dire : J’ai changé d’opinion ; on n’a pas encore achevé la lecture
; j’ai le droit de modifier mou opinion ? Mais, messieurs, on ne s’arrêterait
donc jamais.
Je
pense que du moment que le juré a déposé son vote, comme il a eu le temps de
réfléchir, et qu’on a délibéré, tout est consommé ; il y a droit acquis, soit
en faveur de l’accusé, soit en faveur de la société. Il ne dépend plus d’un
juré de dire : Je me suis trompé. En effet, quelle serait la conséquence d’un
pareil système ? D’après le projet le vote doit être secret ; si un juré venait
dire : J’ai voté pour l’accusation, mais j’ai changé d’avis, est-il certain
qu’on croira ce juge sur parole ? Quelle preuve donnera-t-il qu’il a voté pour
ou contre l’accusation ?
Je
crois, avec M. le ministre de la justice, que nous ne devons pas prévoir de
pareilles questions dans la loi.
M. Pirmez.
- Les honorables préopinants ne paraissent pas avoir bien saisi mon observation
; j’avais demandé seulement s’il pouvait y avoir un second scrutin, et j’ai
ajouté que la loi ne le disait pas : c’est une question que je soumettais aux
jurisconsultes de la chambre. Puisque ces messieurs trouvent qu’il y aurait
danger à prévoir ce cas dans la loi, je ne persiste pas dans mon observation.
M.
Dolez. - Messieurs, je crois qu’il y a une observation
péremptoire à ajouter à celles que vous ont soumises M. le ministre de la
justice et M. le rapporteur de la section centrale : c’est que, dans le vote
oral, ce vote appartient à celui qui l’émet jusqu’au moment où il est
publiquement appelé ; aujourd’hui, au contraire, le vote est secret ; par la
nature même de ce vote, le résultat en appartenant à tout le monde, il ne peut plus appartenir à un seul de le
faire modifier.
M.
Verhaegen. - Messieurs, l’article 22 mis en rapport avec
les dispositions existantes me paraît inexécutable. La question, dans le
système actuel de la législature est posée, d’une manière complexe, et je ne
vois pas que l’article 337 du code d’instruction criminelle ait été abrogé par
l’un ou l’autre des articles du projet en discussion. Ainsi la question devra
être posée telle qu’elle résulte de l’acte d’accusation, c’est-à-dire d’une
manière complexe : L’accusé est-il coupable, avec toutes les circonstances
comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ?
L’article
337 est resté en son entier, puisqu’il n’y est pas dérogé par aucun des
articles du projet actuel. Ainsi l’on posera au jury la question telle qu’elle
résulte du résumé de l’acte d’accusation. S’agit-il par exemple d’un meurtre,
l’on demandera : Est-il constant qu’un tel se soit rendu coupable de meurtre
avec les circonstances reprises dans l’acte d’accusation ?
Il
en était, messieurs, tout autrement sous la législation précédente. Pour éviter
des inconvénients, et surtout des erreurs, il eût mieux valu peut-être adopter
les dispositions de cette législation.
La
loi de 1791 divisait toutes les questions. On demandait : Tel fait est-il
constant ? Ou tel est-il convaincu d’en être l’auteur ? L’a-t-il fait dans des
intentions criminelles ? Y a-t-il telles circonstances aggravantes ?... Dans le
code d’instruction criminelle, que nous suivons actuellement, ce n’est plus
cela : les questions sont réunies ; on ne pose que des questions complexes.
Cependant,
avec le vote secret on ne peut pas délibérer sur une question complexe comme le
veut l’article 337 ; et puisque nous adoptons le vote secret, nous devons en
subir les conséquences. Qu’ont fait les auteurs du projet et discussion ? Dans
l’article 20 on dit que les jurés voteront séparément et distinctement sur le
fait principal, sur chacune des circonstances aggravantes… Je vois là que le
jury délibère sur des questions séparées, mais je voudrais bien qu’on me dît
qui divisera les questions : sera-ce la cour ou le chef du jury ? La question complexe
posée, il faut bien que quelqu’un la divise. Ce sera probablement le président
du jury ; comment la divisera-t-on ? C’est ce que ne dit pas le projet.
Le
chef du jury reçoit des mains du président de la cour d’assises la question
complexe : Un tel est-il coupable d’avoir commis tel fait, avec les
circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ? Il entre dans
la chambre du conseil ; comment fera-il la division ? Va-t-il séparer le fait
de l’intention ; va-t-il prendre telle circonstance abstraction de telle autre
?
Quand
le vote sera terminé, comme la question posée était complexe, il faut y faire
une réponse complexe ; ainsi il faudra que le président du jury, après avoir
divisé la question, réunisse les réponses. Voilà deux travaux intellectuels qui
lui sont dévolus ; mais un tel système doit entraîner bien des inconvénients et
peut même conduire à l’erreur.
D’après l’économie de votre loi, pour éviter de
grands inconvénients, ne faudrait-il pas en revenir au système de la loi de
1791 et dire que les questions remises au jury seront divisées par la cour ? On
demanderait aux jurés : Tel fait est-il constant ? un tel est-il convaincu d’en
être l’auteur ? l’a-t-il commis dans une intention criminelle ? existe-t-il
telle ou telle circonstance aggravante ?
L’expérience
m’a appris que l’article 337 du code d’instruction criminelle donnait lieu aux
plus graves abus. Il est arrivé à ma connaissance que des jurés, ayant à
répondre à des questions complexes, ont conduit, par leurs réponses , à des résultats
contraires à ceux qu’ils croyaient obtenir. Et les défenseurs ne sauraient trop
s’attacher à montrer aux jurés les dangers ou les erreurs que peuvent entraîner
les questions complexes qui leur sont soumises. Il n’y a pas longtemps qu’un
juré, pensant acquitter, a occasionné une condamnation aux travaux perpétuels.
Le
système du ministre n’est pas coordonné. Je l’engage à réfléchir sur les
observations que je présente ; et je prie M. le rapporteur de vouloir nous
éclairer.
M. de Behr, rapporteur.
- Toute l’argumentation du l’honorable préopinant tend réellement à faire
revenir la chambre sur son vote. Il sait bien que l’article 337 du code
d’instruction criminelle n’est pas exécuté rigoureusement dans la pratique ;
jamais on n’a vu un résumé d’acte d’accusation se terminer autrement que de
cette manière : « En conséquente, un tel est accusé d’avoir commis
volontairement un homicide sur la personne de tel. » Le jury, entrant dans
la chambre du conseil, pourra facilement diviser cette question complexe en
celle-ci : « Un tel a-t-il commis l’homicide ? l’a-t- il commis
volontairement ? l’a-t-il commis avec préméditation ? Cette division est toute
naturelle. »
On
nous parle de la loi de 91 ; mais on a reconnu que cette loi avait donné lieu
aux plus graves abus. Il y a peu de jurés qui se soient rendu compte de ces
mots : « L’a-t-il fait dans une intention criminelle ? » Et l’on a vu
qu’il fallait ne pas diviser les questions à l’infini.
Je
crois qu’il n’y a rien à changer au projet que nous discutons pour la seconde
fois. Quant à moi, je proposerais, contre tout changement, la question
préalable.
M.
Verhaegen. - Je suis véritablement étonné d’entendre dire
que l’article 337 du code d’instruction criminelle n’a pas reçu d’exécution
dans notre pays. Je ne pense pas que l’on puisse prétendre qu’il y ait
abrogation d’une disposition aussi formelle par le non-usage. Il ne peut y
avoir abrogation par abus ; mais l’honorable rapporteur de la section centrale est
dans l’erreur. Depuis 2 ans que j’ai l’occasion de suivre la procédure de la
cour d’assises, je n’ai pas vu d’autres questions que des questions complexes ;
et j’en appelle ici à tous mes collègues qui peuvent avoir quelque chose de
commun avec la justice criminelle ; j’en appelle à leurs souvenirs. Il est
certain qu’on ne soumet pas les questions au jury d’une autre manière que celle
indiquée dans l’article 337 du code d’instruction criminelle. On a souvent
senti les inconvénients de cet état de choses. J’ai eu l’honneur de le dire.
Des gens qui ne sont pas habitués aux affaires se sont trouvés dans le cas
d’obtenir, en répondant aux questions posées, un résultat contraire à celui
qu’ils croyaient avoir. L’exemple que j’ai cité tantôt est frappant. Que fera-t-on
? Probablement ce qu’on faisait précédemment, à moins que le législateur ne
trace une autre ligne que celle tracée par l’article 337. Les cours d’assises
continueront de poser les questions comme le veut l’article 337. C’est pour
éviter cela que je propose de dire que l’article 337 sera abandonné, qu’on ne
pourra plus poser de questions complexes, que les questions relatives au fait
principal seront divisées des questions relatives aux circonstances
aggravantes. De cette manière, s’il y a doute, on le fera disparaître.
Je
ne puis croire qu’on veuille établir en principe qu’on ne doit rien changer au
projet ; je me plais à croire que d’honorables collègues qui veulent le bien
s’opposent par amour-propre à ce qu’il soit rien changé à leur travail. Loin de
moi cette idée. Pourquoi, s’il n’en est pas ainsi, lorsqu’on démontre les
inconvénients graves du système adopté au premier vote, opposer la question
préalable à une proposition qui tend à une amélioration réelle ?
Je
ne veux pas changer le système adopté au premier vote ; je respecte la majorité
et les conséquences de son vote. Mais je suis intéressé à ce que les lois
auxquelles je concours puissent être exécutées ; voilà pourquoi je présente mon
observation. Je n’y attache pas d’autre importance que celle-là.
C’est une erreur de croire que l’article 337 du
code d’instruction criminelle soit tombé en désuétude. Cet article existe ; il
est appliqué tous les jours par la cour d’assises. Pour ne parler que de ce qui
se passe à Bruxelles, jamais à Bruxelles on ne fait autrement. Il y a
d’honorables collègues qui peuvent dire ce qui se fait dans d’autres provinces.
Si l’article 337 existe, il ne se concilie pas avec les dispositions du projet
relatives au vote secret, à moins qu’on ne veuille laisser au président la
latitude de faire tout ce qu’il jugera à propos, ce qui pourrait être dangereux
; car le président peut se tromper.
En
adoptant la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre, vous aurez
introduit dans la législation nouvelle une amélioration réelle, et vous aurez
évité les graves abus qui résultent de la disposition de l’article 337 du code
d’instruction criminelle. Je pense donc qu’on peut s’accorder sur ce point,
qu’il faut mettre de côté l’article 337 et déclarer, en principe, qu’on ne peut
jamais poser au jury des questions complexes, mais qu’on devra proposer
séparément les questions relatives au fait principal et celles relatives aux
circonstances aggravantes, Je proposerai un amendement dans ce sens.
M.
Dolez. - Sans revenir au système de la division du
fait matériel, et de l’intention dans les questions soumises au jury, je pense
qu’il importe de faire droit à une partie des observations de l’honorable
préopinant. Je ne puis croire que, comme l’a dit l’honorable M. de Behr, il y
ait des cours où l’on ne se conforme pas à l’article 337 du code d’instruction
criminelle. Quant à moi, j’ai toujours vu suivre cette disposition. Je crois
que l’honorable membre, en consultant ses souvenirs, les trouvera conformes aux
nôtres.
Je
crois qu’il serait facile de parer aux inconvénients signalés par l’honorable
M. Verhaegen, sans entrer dans un système qui entraînerait la division des
questions à l’infini, Il suffirait d’adopter une disposition ainsi conçue :
« Les
questions remises au jury par le président de la cour d’assises seront conçues
de façon à ce que les jurés votent séparément et distinctement, d’abord sur le
fait principal, ensuite sur chacune des circonstances aggravantes. »
Je
crois que la chambre ferait chose utile en adoptant cet article.
M. Verhaegen. - Je ne veux pas
séparer le fait de l’intention, mais seulement le fait principal des
circonstances aggravantes. Je proposerai dans ce but une disposition
additionnelle à l’article 20, ainsi conçue :
« Il
ne sera pas soumis au jury de questions complexes. La question relative au fait
principal sera séparée des questions qui concernent les circonstances
aggravantes. »
M. de Behr, rapporteur. - La disposition que
la chambre a adoptée n’est pas une disposition nouvelle. C’est une disposition
que j’ai prise littéralement dans la loi française. Cependant, cette loi
française s’exécute depuis trois ans à peu près en France, et elle n’a donné
lieu à aucune difficulté. Cependant, la législation française est la même que
la nôtre. Les questions sont posées en France comme elles sont posées ici. Nous
avons là une garantie qu’il n’y a pas beaucoup d’inconvénients et d’abus dans
cette manière de procéder.
Ensuite,
quand j’ai dit qu’on ne pose pas de questions complexes au jury, j’ai parlé de
ce qui se fait à la cour de Liége. A. la cour d’appel de Liége les questions ne
sont jamais complexes. On dit toujours, par exemple : « Un tel est prévenu
d’avoir commis volontairement un homicide sur la personne d’un tel, » parce que
le code pénal définit le meurtre l’homicide commis volontairement. Je ne sais
pas à la vérité comment on procède dans les cours de Bruxelles et de Gand, si
on procède dans ces cours par questions complexes. Cependant, je le répète, la
disposition empruntée à la loi française s’exécute en France ; et l’on peut
voir dans les ouvrages des criminalistes que jamais il n’y a eu de difficulté
en France sur l’exécution de cette loi.
M. Raikem.
- Je crois que l’amendement de l’honorable M. Verhaegen est dangereux, et qu’il
ne remédie à aucun des inconvénients qu’on a voulu prévenir lors de la
discussion du code d’instruction criminelle ; en effet, comme le porte
l’amendement, la loi de 1791, la constitution de l’an III et le code de
brumaire an IV, disposent formellement qu’il ne sera posé au jury aucune
question complexe. Les inconvénients d’une telle disposition ont été reconnus
lors de la discussion du code d’instruction criminelle ; et je crois qu’il est
inutile d’entrer dans les détails des différents motifs qu’on a fait valoir
contre une telle disposition.
En
effet, quel serait le résultat de ce qu’il ne pourrait pas être posé de
questions complexes ? Ce ne serait pas seulement de détacher des faits qui
constituent le crime lui-même les circonstances appelées aggravantes, pour en
faire l’objet de questions particulières, mais ce serait que la question
elle-même qui se rapporte à la culpabilité devrait être divisée en ce qui
concerne le fait matériel et en ce qui concerne l’intention. Voilà les
conséquences nécessaires de la disposition de la loi qu’on vient de citer et
qui portait : « Il ne sera posé aucune question complexe. «
Aujourd’hui
les questions sont complexes, et il me semble qu’elles doivent nécessairement
rester complexes. L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre ? Eh
bien, messieurs, quoique le fait matériel soit constant, quoique l’accusé ait
commis l’homicide, si cependant il l’a commis dans le cas de légitime défense,
le jury répondra : « Non, l’accusé n’est pas coupable. » Si vous divisez
la question, il faudra poser des questions dont on ne saurait prévoir le nombre
et qui embarrasseraient singulièrement le jury. Je crois donc qu’il faut
maintenir les questions complexes comme elles existent maintenant ; je crois
que la disposition qui nous occupe remplit parfaitement son objet et qu’il
n’est besoin d’aucune disposition additionnelle.
J’en
viens à l’article 337 du code d’instruction criminelle, qui porte :
« La
question résultant de l’acte d’accusation sera posée en ces termes :
« L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre, tel vol on tel
autre crime, avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de l’acte
d’accusation ? »
Remarquez,
messieurs, qu’aux termes de l’article 341 du même code, l’acte d’accusation
lui-même doit être remis au jury. Ainsi les jurés ont les questions posées par
le président ; le président leur a rappelé les fonctions qu’ils ont à remplir ;
il leur a donné toutes les explications relatives au nouveau mode de voter
adopté par la chambre ; ils trouvent dans l’acte d’accusation l’énumération de
toutes les circonstances qu’on prétend avoir accompagné le crime ; ils doivent
d’abord répondre sur le fait principal ; je suppose le cas de meurtre : eh
bien, la première question à laquelle le jury aura à répondre sera celle-ci : «
L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre ? » Si, par suite de
la délibération et du vote (qu’il ait lieu, comme aujourd’hui, à haute voix, ou
qu’il ait lieu au scrutin secret) ; si, dis-je, la réponse à cette première
question est négative, il n’y a plus lieu d’interroger le jury sur aucune autre
circonstance ; si, au contraire, la réponse est affirmative, alors il y a lieu
d’interroger le jury sur les circonstances aggravantes qui peuvent se rattacher
au fait principal et qui sont énumérées dans l’acte d’accusation, que les jurés
ont sous les yeux. Soit que le jury vote à haute voix, soit qu’il vote au
scrutin secret, toujours faut-il s’en rapporter à l’acte d’accusation, à moins
que des circonstances ne soient signalées que pendant le débat, et alors le
président doit poser une question particulière à cet égard ; il peut, s’il le
trouve plus convenable, poser les questions d’une autre manière, cela est de
jurisprudence. Or, messieurs, soit qu’on s’en rapporte à l’acte d’accusation,
soit qu’on pose les questions d’après le résultat des débats publics, est-il
plus difficile de répondre par le vote au scrutin secret que de répondre à
haute voix ? Evidemment non, car il est aussi facile de rayer le mot oui que de
dire non, de rayer le mot non que de dire oui ; il ne sera donc pas plus
difficile au jury de voter au scrutin secret que de voter à haute voix, sur le
fait principal, comme sur chacune des circonstances aggravantes, et je crois
par conséquent que les amendements qu’on nous propose sont complétement
inutiles et que la loi est très praticable.
Remarquez, messieurs, qu’aux termes de l’article
25, le président de la cour d’assises est obligé d’avertir les jurés sur la
manière dont ils doivent procéder et émettre leurs votes ; on voudra bien me
permettre de croire que le président connaîtra la loi, qu’il sera au courant de
la cause ; eh bien, il apprendra aux jurés ce qu’ils ont à faire : il leur dira
d’examiner d’abord le fait principal, de voter ensuite de telle ou telle
manière, conformément à ce qui sera prescrit par la loi ; il leur dira que s’il
résulte du vote que l’accusé est déclaré coupable d’avoir commis le fait
principal, ils auront ensuite à examiner les circonstances de ce fait. Dans le
cas, par exemple, où un individu sera accusé d’un meurtre avec préméditation,
le président dira aux jurés : « Vous examinerez en premier lieu la question de
savoir si l’accusé est coupable d’avoir commis le meurtre qui lui est imputé ;
si la majorité du jury déclare que l’accusé n’est point coupable de ce crime,
vous n’avez plus rien à examiner ; mais si la majorité du jury déclare que
l’accusé est coupable, alors vous délibérerez sur la circonstance de la préméditation,
et vous voterez ensuite au scrutin secret sur cette question. »
Je
vous demande, messieurs, quand le président aura ainsi expliqué aux jurés ce
qu’ils ont à faire, quand il leur aura tracé, dans les moindres détails la
manière dont ils doivent procéder, l’intelligence la plus bornée ne
comprendra-t-elle pas parfaitement ce qu’il y a à faire dans la chambre de
délibération ? Je persiste donc à repousser l’amendement comme tout à fait
inutile.
M.
Verhaegen. - Messieurs, je n’abuserai pas de la parole,
mais la chose est tellement importante que je ne puis m’empêcher de réclamer
encore un instant votre attention. Je ne puis réellement concevoir pourquoi,
lorsqu’on a obtenu le principe qu’on désirait obtenir, on met tant d’instance à
ne pas vouloir l’expliquer d’une manière catégorique : ce que je propose ne
doit avoir d’autre résultat que de donner les moyens d’exécuter la loi et de
l’exécuter franchement et sans inconvénients ; je ne veux pas, comme l’a
prétendu l’honorable M. Raikem, séparer l’intention du fait ; j’abandonne cette
partie de la législation de 1791, parce que j’en reconnais les inconvénients ;
mais je veux séparer les questions relatives au fait principal des questions
relatives aux circonstances aggravantes ; je ne veux en un mot, que ce qu’ont
voulu les auteurs du projet quand ils ont dit dans l’article 20 :
«
Les jurés voteront séparément et distinctement, d’abord sur le fait principal,
ensuite sur chacune des circonstances aggravantes, et, s’il y a lieu, sur
chacune des questions posées dans les cas prévus par les articles 339 et 340 du
code d’instruction criminelle. »
Je
suis si loin de vouloir autre chose que ce qu’ont voulu les auteurs du projet
que, si cela peut apaiser leurs scrupules, je consentirai volontiers à modifier
la rédaction de mon amendement en me servant des mêmes expressions dont ils se
sont servis.
Je
voudrais qu’on me dît pourquoi l’on ne veut pas que le président soumette les
questions au jury de la même manière que le jury doit les voter, d’après ce
qu’on vient de dire dans l’article 20.
Dans
cet article on établit que les jurés voteront séparément et distinctement,
d’abord sur le fait principal et ensuite sur chacune des circonstances
aggravantes ; pourquoi donc ne veut-on pas que le président de la cour
d’assises leur soumette les questions de la même manière ?
Une
chose vraiment singulière c’est que l’honorable M. Raikem et le rapporteur de
la section centrale ne sont plus d’accord. M. Raikem veut que les questions
restent complexes, il veut maintenir l’article 37, tandis que l’honorable
rapporteur n’adopte pas le principe de cet article, qu’il prétend être tombé en
désuétude.
Je
crois qu’il faut en venir à cette idée que puisqu’on a changé la nature du
vote, il faut nécessairement subir les conséquences du principe qu’on a posé ;
on a admis le vote secret, dès lors il faut naturellement prendre des mesures
pour que ce vote présente le moins d’inconvénients possible : lorsqu’on votait
ouvertement, chacun des jurés disait son opinion tant sur le fait principal que
sur les circonstances aggravantes ; le président tenait note de l’opinion de
chacun des jurés, et chacun des jurés contrôlait la note du président ;
aujourd’hui la manière de voter est complétement changée, et si la chambre n’adopte
pas une disposition de la nature de celle que je lui propose, il sera
impossible d’atteindre le but de l’article 345 du code d’instruction
criminelle. En effet, voici ce que porte cet article :
«
Le chef du jury interrogera les jurés d’après les questions posées, et chacun
d’eux répondra ainsi qu’il suit : 1° si le juré pense que le fait n’est pas
constant, ou que l’accusé n’en est pas convaincu, il dira : Non, l’accusé n’est
pas coupable. En ce cas, le juré n’aura rien de plus à répondre ; 2° s’il pense que le fait est constant et que
l’accusé en est convaincu, il dira : Oui, l’accusé est coupable d’avoir commis
le crime avec toutes les circonstances comprises dans la position des questions
; 3° s’il pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais
que la preuve n’existe qu’à l’égard de quelques-unes des circonstances, il dira
: Oui, l’accusé est coupable d’avoir commis le crime avec telle circonstance,
mais il n’est pas constant qu’il l’ait fait avec telle autre ; 4° s’il pense que
le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais qu’aucune des
circonstances n’est prouvée, il dira : Oui, l’accusé est coupable, mais sans
aucune des circonstances. »
Voilà
donc les termes de cet article 345 du code d’instruction criminelle, qui
donnent la preuve que c’est du résumé de l’acte d’accusation que sont tirées
les questions que le président soumet au jury.
Tout
cela allait très bien quand il n’y avait pas de vote secret, quand les jurés
délibéraient ouvertement. Le président prenait le résumé de l’acte
d’accusation, et soumettait les questions aux jurés qui répondaient verbalement
; tout était contrôlé. Mais il n’y a plus rien de ce contrôle, aujourd’hui que
vous avez adopté le vote secret. Peut-on marcher encore avec des questions complexes
? Si vous dites que oui, vous abandonnez au président du jury la faculté de les
diviser pour les soumettre aux jurés, et de les recomposer pour mettre la
réponse en rapport avec la question posée par le président de la cour. Ce sont
là deux fonctions très importantes que vous donnez au chef du jury.
Notre
président vous a dit que maintenant les jurés seront des hommes ayant des
connaissances et qu’on peut leur abandonner quelque chose. Si l’institution se
trouve améliorée dans l’opinion de ceux qui ont été d’avis de l’épuration, il
n’en est pas moins vrai que l’inconvenance qu’a cette faculté de faire peser
une grande responsabilité sur le président du jury subsiste. Si ceux qui ne
sont pas de mon avis signalaient des inconvénients devant résulter de mon
amendement, je pourrais croire que j’ai eu tort de le présenter. Mais ils n’en
signalent aucun, tandis que moi, je signale ceux auxquels ma proposition a pour
but d’obvier. On a même reconnu la possibilité de quelques-uns des
inconvénients, mais on a dit qu’ils seraient très rares. Quand, sur mille cas,
l’inconvénient ne se présenterait qu’une seule fois, encore faudrait-il le
prévenir si on en a la possibilité. Comme on n’objecte aucun inconvénient à ma
proposition, je ne vois d’autre motif pour la repousser que celui de ne vouloir
apporter aucun changement au projet qu’on a présenté. Un projet n’est cependant
pas une arche sainte à laquelle on ne peut pas toucher.
Les
principes généraux de la loi ont été admis, il ne s’agit plus que d’organiser
l’exécution ; je ne comprends pas pourquoi on met tant d’insistance à repousser
une modification qui est une véritable amélioration.
Je pense que mon amendement est de nature à
fixer votre attention. Pour mettre de côté toute susceptibilité, je prendrai
les termes des auteurs du projet, pour formuler mon amendement. Il serait ainsi
rédigé.
« Le
président de la cour d’assises remettra aux jurés les questions sur lesquelles
ils auront à répondre, séparément et distinctement, d’abord sur le fait
principal et ensuite sur chacune des circonstances aggravantes. »
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - L’opposition que
nous faisons à l’amendement de l’honorable préopinant ne provient pas, comme il
le suppose, de cette idée étroite de repousser tout changement aux dispositions
proposées par la section centrale, mais de la crainte de faire naître des
difficultés qui n’existent pas dans l’état actuel de la législation. Ainsi que
notre honorable président l’a très bien expliqué, le code d’instruction
criminelle a substitué au droit criminel antérieur de règles plus simples et
plus claires : les doutes, les embarras causés par les questions complexes, par
la division des questions, surtout en ce qui concerne l’intention, ont disparu
complétement. Or, l’amendement de l’honorable député de Bruxelles soulèverait
de nouveau tous ces doutes.
D’après
les articles 337 et 344 du code d’instruction criminelle, les questions se divisent
pour ainsi dire d’elles-mêmes ; le fait principal et chacune des circonstances
qui s’y rattachent, en font successivement l’objet.
L’exécution
de ces dispositions n’a présenté aucun inconvénient dans la pratique
judiciaire, il n’y a donc pas de nécessité d’y apporter des changements. Il y a
d’autant moins de raisons de le faire, que les jurés nous donneront à l’avenir
plus de garanties de capacité.
On prétend que les dispositions qui introduisent
le mode nouveau de répondre par bulletin secret ne seraient pas exécutables,
qu’elles ne pourraient se concilier avec les articles du code d’instruction
criminelle. Je ne puis partager cette opinion, il est tout aussi facile
d’appliquer les règles du vote secret, que celles du vote oral, aux questions
sur le fait principal et sur chacune des circonstances. Il n’y a là aucune
difficulté sérieuse ; je rappellerai d’ailleurs que le président de la cour
d’assises, en remettant les questions aux jurés, doit leur donner toutes les
explications nécessaires.
Je
le répète, l’amendement de l’honorable M. Verhaegen est inutile, et tel qu’il
est conçu, il pourrait même donner lieu à des inconvénients.
M.
Dolez. - Comme l’honorable M. Verhaegen, j’ai quelque
peine à comprendre l’insistance qu’on met à repousser la moindre modification
au projet primitivement adopté. Il me paraît cependant que dans l’espèce
actuelle, il n’est question que d’une amélioration au projet du ministre, pour
écarter tout doute dans la pratique. Quand chacun de nous reconnaît tout le
danger qu’il y a ce que le juré éprouve de l’incertitude, au moment où il
émettra son vote, il ne faut pas tenir à ce qu’une première disposition adoptée
soit maintenue, il faut la modifier si on présente un moyen de prévenir cette
incertitude.
On
a prétendu qu’il y aurait des dangers à adopter l’amendement, mais on s’est
gardé de les signaler. Je défie les honorables membres qui ne sont pas de notre
avis, d’en signaler un seul.
Sera-ce
de changer la pratique comme dit le ministre ? Mais quand on change la loi, il
est tout naturel de changer la pratique. Si le code d’instruction criminelle
était resté intact, je comprendrais cette objection ; mais quand on a changé
une loi, le changement qu’on y apporté doit réagir sur la pratique nouvelle.
C’est pour éviter toute incertitude sur cette pratique nouvelle que nous
proposons de rendre la loi plus formelle.
Selon
ce qu’a dit M. Raikem et, après lui, le ministre de la justice, rien ne serait
changé par les dispositions actuelles, tout pourrait marcher de la même
manière, il n’y aurait aucun danger de plus dans l’application. Si, disent-ils,
avec l’institution du jury comme elle est maintenant, la pratique pourrait être
telle qu’elle est aujourd’hui, si on pouvait s’en rapporter au bon sens du juré
pour répondre par déclaration complexe, il n’y a pas de raison, aujourd’hui que
les jurés seront choisis, pour faire diviser les questions par le président de
la cour. Mais alors, comme on l’a déjà fait observer, il y avait un correctif
dans le vote oral, dans les explications que le président et chacun des chefs
du jury pouvaient donner à celui qui aurait eu quelque défiance sur la
virtualité du vote qu’il allait émettre. Aujourd’hui que tout doit se résoudre
par de simples oui et non exprimés en secret, où trouverez-vous le correctif ?
On
m’a demandé de signaler les dangers que la loi présentait. Le plus saillant,
c’est d’appeler le jury à répondre à d’autres questions que celles qui lui sont
soumises par le président de la cour d’assises.
On
a dit : la question sera présentée d’une manière complexe, mais dans le sein du
jury on la divisera, on posera d’abord la question : l’accusé est-il coupable
du fait principal ? Ensuite, est-il coupable avec telle ou telle circonstance ?
En un mot, vous soumettrez à l’arbitraire du chef du jury dont le degré de
connaissance est éminemment problématique, le soin de poser la question sur
laquelle les jurés auront à répondre. Pourquoi ne pas remettre ce soin au
magistrat chargé de diriger les débats et le jury et de lui prêter son
assistance jusques dans le sein de la chambre du conseil, pourquoi ne pas
charger le président des assises de poser d’une manière définitive la question
sur laquelle le jury aura à répondre oui ou non ?
M.
Verhaegen a présenté une rédaction qui répond à la crainte qu’on a exprimée de
voir diviser à l’infini les questions. Elles resteront complexes, quant au fait
d’intention, mais elles seront divisées de manière à pouvoir être résolues
d’après le vœu de notre loi.
Tout
à l’heure on me faisait une observation en ce sens qu’il est impossible de
revenir sur l’article 20, que le règlement s’opposait à ce qu’on présentât une
rédaction nouvelle d’un article adopté, au second vote. S’il en était ainsi,
nous pourrions produire cette disposition à l’article 25. C’est à ce but que
tend la nouvelle rédaction de l’article 25 que je propose. Je déclare
abandonner le premier amendement que j’ai proposé tout à l’heure.
L’article
25 serait ainsi rédigé :
« Le
président de la cour d’assises, en remettant les questions aux jurés, les
avertira de la matière dont ils doivent émettre leur vote.
« La
question relative au fait principal sera séparée des questions qui concernent
chacune des circonstances aggravantes.. »
Je
ferai une dernière observation sur le danger du système présenté par M. Raikem
. Suivant lui, on pourrait abandonner au chef du jury le soin de spécialiser
les questions, afin d’avoir des solutions séparées qui seraient réunies pour
former la réponse complexe du jury. Mais il est à remarquer que les
circonstances aggravantes sont déterminées par la loi pénale, et comme les
réponses devront être en concordance avec ces circonstances que la loi pénale
détermine, vous appellerez les jurés à examiner les dispositions de la loi
pénale, au moment de répondre aux questions posées. Or, cet examen est une
chose à laquelle ou ne veut pas que le jury se livre. Ce serait un danger de
plus dans le système préconisé par M. Raikem .
M.
Raikem. - Dans le discours que vous venez d’entendre,
on m’a prêté certain système que je ne crois pas avoir mis en avant.
En
se plaçant dans cette position, il était facile de me combattre. L’honorable
préopinant ne m’aura pas compris ; peut-être me serais-je mal exprimé, je vais
tâcher de le faite plus clairement.
Auparavant,
je crois devoir dire quelques mots relativement à ce qui a été avancé par
l’orateur qui l’a précédé. Il nous a dit qu’il s’agissait d’améliorer la loi
par des dispositions additionnelles qu’on proposait, qu’il s’agissait de lever
un doute. Pour moi, je crois que si on examine attentivement le projet, on ne
peut pas trouver de doute sur les diverses dispositions adoptées. Mais, dit-on,
vous n’avez pas signalé le danger des dispositions que nous présentons, et
nous, de notre côté, nous avons signalé les dangers résultant du nouveau mode
introduit dans la loi. Je crois, au contraire, que quand on propose une
innovation, on doit en démontrer les avantages : ce ne sont pas ceux qui
combattent l’innovation qui doivent établir les avantages du système existant,
qui a reçu la sanction de l’expérience.
Je
ne crois pas qu’il résulte aucun danger nouveau du mode adopté, en suivant,
pour la position des questions, les dispositions actuellement en vigueur.
Voyons on l’on veut nous conduite avec le système qu’on nous propose
actuellement. Il ne s’agit plus maintenant de la manière de voter, mais de la
manière de poser les questions. C’est, dit-on, une amélioration de l’article
337 du code d’instruction criminelle. Maintenant on a abandonné le système de
ne pas vouloir de question complexe, car on sait ce qu’on entendait par
questions complexes, on séparait le fait matériel de l’intention. On veut bien
que le mot coupable résume le fait matériel et l’intention, mais on veut que
les circonstances aggravantes qui se rapportent au fait principal fassent
l’objet de questions distinctes du fait principal lui-même. Ainsi, tandis que
le président d’une cour d’assises a un pouvoir discrétionnaire pour diriger les
débats, on ne voudrait pas s’en rapporter à ce magistrat pour la position des
questions.
Car,
c’est un point de jurisprudence conforme aux plus pures lumières de la raison
que cet article est démonstratif et nullement limitatif, que le président peut
poser les questions comme il le juge convenable, sans qu’il soit obligé de s’en
référer littéralement à l’acte d’accusation, dès toutefois qu’il pose toutes
les questions qui en résultent ; il peut comprendre les circonstances
aggravantes dans la position de la question ; il doit, en outre, poser celles
qui résultent des débats. Ainsi, l’amendement proposé ne présente aucun
avantage sur le système existant, je crois l’avoir démontré.
On
veut que l’on fasse toutes questions séparées. Mais l’acte d’accusation est
remis aux jurés.
Dans
le résumé de l’acte d’accusation se trouve par exemple « En conséquence N...
est accusé d’avoir commis tel vol avec escalade et effraction. » Le jury
doit répondre sur chacune des circonstances. Le président doit expliquer
comment les réponses doivent être faites.
Je
suppose que le président pose la question ainsi :
Un
tel est-il coupable de vol avec escalade et effraction ?
Il
n’y a pas de différence, l’acte d’accusation étant sous les yeux des jurés, si
la question est posée comme je viens de l’indiquer, on a comme ceci : « Un
tel est-il coupable de tel vol avec toutes les circonstances reprises dans
l’acte d’accusation ? » Mais on ne se contenterait pas que la question fût
posée ainsi : « Un tel est-il coupable de tel vol avec escalade et
effraction ; » on voudrait qu’on dît :
1°
Un tel est-il coupable de tel vol ?
2°
Le vol a-t-il été commis avec escalade ?
3°
Y a-t-il eu effraction ?
Eh
bien, je vous le demande, un jury appelé à statuer sur toutes les questions que
je viens de poser, trouvera-t-il une différence, soit que les circonstances se
trouvent rappelées dans les questions du président, soit dans le résumé de
l’acte d’accusation ? Tout ce qui pourrait résulter, ce serait non pas plus de
facilité pour les jurés, car il y en a autant dans un cas que dans l’autre,
mais c’est que si on ne se conformait pas au mode de numérotage prescrit par la
loi, on pourrait faire casser des procédures et ouvrir la porte à de nouveaux
procès. Voilà tout ce qui peut résulter du système qu’on propose, à moins qu’on
ne suppose les jurés totalement dépourvus d’intelligence.
Mais
on m’a fait dire que je voulais faire appeler le jury à répondre à d’autres
questions que celles posées. C’est une erreur ; je n’ai jamais rien dit de
semblable, ou du moins je n’en ai jamais eu l’intention ; s’il en était ainsi ,
je me serais mal exprimé. Toutes les questions sont posées par le président.
Les jurés ayant l’acte d’accusation sous les yeux, il importe peu que le
développement des questions soit pris dans le résumé de l’acte d’accusation ou
écrit sur le papier du président.
Le
juré peut aussi facilement répondre à la question dans un cas que dans l’autre.
Il n’y a pas de différence. Tout revient à savoir si les questions seront
écrites sur un papier ou sur un autre, et si on les divisera par numéro. Je demande
quelle importance peut avoir un pareil amendement. C’est une innovation qui n’a
aucune utilité et qui ne ferait naître que des inconvénients.
Je
serais aussi convenu, dit-on, qu’on abandonnerait au chef du jury le soin de
rechercher les circonstances aggravantes ; il devrait entrer dans la question
de droit ! Je n’ai nullement dit cela.
Je crois m’être expliqué assez clairement. Les jures, ai-je dit, ont sous les
yeux et la question posée par le président et le résumé de l’acte d’accusation
; c’est là qu’ils doivent trouver les circonstances. Ils ne peuvent voter que
sur la question du président ou sur le résumé de l’acte d’accusation, si la
question s’y réfère.
En un mot, tout ce qui résulterait serait que
les circonstances aggravantes se trouveraient sur un papier écrit par le
président, et qu’il ne pourrait plus s’en référer au résumé de l’acte
d’accusation. Je ne vois à cela aucune utilité. Le président a un pouvoir
discrétionnaire bien plus étendu dans certains cas que celui qu’il s’agit de
lui laisser. Il verra comment il doit poser les questions ; il suffit qu’il
sache qu’il ne peut les puiser que dans l’acte d’accusation ou les débats ; il
avertira les jurés de la manière dont il doivent répondre. Il leur donnera les
éclaircissements nécessaires : n’en exigeons pas davantage ; et craignons qu’un
surcroît de précautions, au moins inutiles, n’ait d’autre résultat que de faire
naître des contestations et de donner lieu à des pourvois qui, lorsqu’ils n’ont
pas pour objet des formalités essentielles, sont toujours préjudiciables au
bien public. On a toute confiance dans les présidents de cour d’assises, et
l’adoption de l’amendement serait une marque de défiance contre ces magistrats
qui jouissent de la confiance publique.
M.
de Brouckere. - Il me semblait que les orateurs qui ont pris
la parole en faveur de l’amendement de M. Verhaegen avaient suffisamment
démontré qu’il aurait pour but d’introduire dans la loi actuelle une grande
amélioration. Cependant l’honorable préopinant a porté un défi à ceux qui
partagent leur opinion, en disant que jusqu’ici ils étaient restés en demeure
de démontrer l’intérêt et l’avantage qui pourraient résulter de cet amendement.
Je
vais maintenant répondre à ce défi, parce que, comme je l’ai dit, je suis grand
partisan de l’amendement de l’honorable M. Verhaegen .
Je
m’en vais simplifier la question ; je l’exprimerai en très peu de mots telle
qu’elle se présente réellement. D’après la législation actuelle, quand une
question est complexe, quand il résulte de l’acte d’accusation que l’individu
traduit devant la cour d’assises est accusé d’un fait avec plusieurs
circonstances, le président de la cour d’assises pose la question d’une manière
complexe. Je vais le prouver. L’article 337 du code d’instruction criminelle
est ainsi conçu :
« Art.
337. La question résultant de l’acte d’accusation, sera posée en ces termes :
« L’accusé
est-il coupable d’avoir commis tel meurtre ou tel autre crime, avec toutes les
circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ? »
Ainsi,
d’après la loi, la question est posée d’une manière complexe par le président
de la cour d’assises. Au dire d’un honorable adversaire on s’écarte en fait de
cette disposition. Les magistrats ne doivent pas s’écarter de la disposition
formelle de la loi. Si ce qu’a dit cet honorable orateur est vrai dans
certaines localités, il n’est pas vrai dans d’autres. Je connais des localités
où jamais le président de la cour d’assises ne s’écarte du prescrit de
l’article 337. Ainsi il reste vrai que les présidents de cours d’assises qui se
conforment au prescrit de la loi, posent la question d’une manière complexe
lorsque le fait résultant de l’acte d’accusation est complexe.
Mais
qu’arrive-t-il ? Comme on ne peut discuter à la fois beaucoup de questions,
comme il peut s’en présenter beaucoup, par exemple lorsqu’un vol a été commis
avec les circonstances suivantes : l’escalade, l’effraction intérieure et
extérieure, la nuit, la maison habitée, la réunion de plusieurs personnes
porteurs d’armes apparentes ou cachées ; voilà toutes circonstances qui peuvent
à la fois accompagner un vol. Comme il est impossible que les jurés discutent
toutes ces questions à la fois, le législateur a dit :
« Art.
344. (code d’instruction criminelle.) Les jurés délibéreront sur le fait
principal, et ensuite sur chacune des circonstances. »
Ainsi
donc la délibération dans la salle des jurés aura lieu sur chacune des
circonstances ; mais comme la question a été posée d’une manière complexe, il
faut que le jury réponde d’une manière complexe. C’est ce que prescrit
formellement l’article 345 qui porte :
« Art.
345. Le chef du jury les interrogera (les jurés) d’après les questions posées,
et chacun d’eux répondra ainsi qu’il suit :
« 1°
(…)
« 2°
S’il (le juré) pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu et
que la preuve existe à l’égard de toutes les circonstances, il dira :
« Oui,
l’accusé est coupable d’avoir commis le crime avec toutes les circonstances
comprises dans la position des questions.
« 3°
S’il pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais que la
preuve n’existe qu’à l’égard de quelques-unes des circonstances, il dira :
« Oui,
l’accusé est coupable d’avoir commis le crime avec telle circonstance ; mais il
n’est pas constant qu’il l’ait fait avec telle autre.
« 4°
S’il pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais
qu’aucune des circonstances n’est prouvée, il dira :
«
Oui, l’accusé est coupable, mais sans aucune des circonstances. »
Vous
voyez qu’il faut que le jury réponde par une seule et même réponse à tout le
résumé de l’acte d’accusation. Comme on vous l’a dit, l’erreur est extrêmement
facile lorsque les questions ne sont pas posées par l’homme qui a l’habitude de
la discussion et qui se connaît un peu en matière criminelle.
A
quoi maintenant se réduit toute la question ? A savoir si vous voulez que les
questions soient simplifiées et divisées par le président de la cour d’assises,
c’est-à-dire par un homme capable qui a l’habitude des affaires criminelles et
qui mérite toute votre confiance, ou si vous voulez que ce soin soit abandonné
au chef du jury qui peut être un homme sans aucune espèce de connaissances,
sans aucune capacité, ce que je vais vous prouver : S’il était de toute nécessité
que les 12 jurés choisissent leur chef, il serait alors à présumer que le chef
serait le plus capable de tous, et, de la manière dont le
jury sera composé, il est présumer que parmi les 12 jurés il y en aura un au
moins qui sera un homme capable ; mais je vous prie de remarquer que le chef du
jury ne sera pas toujours choisi par les jurés. En effet, le second paragraphe
de l’article 342 porte : « Leur chef sera le premier juré sorti par
le sort, ou celui qui sera désigné par eux et du consentement de ce
dernier. » Vous voyez que le premier juré désigné par le sort est, de
droit, chef du jury s’il le veut, et que les jurés ne désignent leur chef que
si cela leur convient, et dans le cas où le premier juré sorti par le sort y
consentît. De là résulte nettement qu’il peut se présenter des cas où le chef
du jury ne sera pas un homme capable. Eh bien, je le répète, je ne conçois pas
que l’on s’oppose à la proposition de M. Verhaegen, alors qu’elle a évidemment
pour but de confier à un homme capable, à un magistrat, la division et la
simplification des questions, confiées maintenant à un homme de la capacité
duquel rien ne nous répond. Je le répète, l’amendement de M. Verhaegen est si
bien une amélioration que M. le rapporteur a dû convenir qu’il est préférable à
la législation actuelle.
Par
ces motifs je voterai, et sans hésiter, pour l’amendement.
M. de
Behr, rapporteur. - Il me semble que les honorables préopinants
perdent de vue l’article 19 que la chambre a adopté :
« Art.
19. Après la délibération, chaque juré recevra un de ces bulletins, qui lui
sera remis ouvert par le chef du jury.
« Dans
les provinces où les langues flamande on allemande sont en usage, chaque juré
recevra, outre le bulletin en français, un bulletin en flamand ou en allemand.
« Le
juré qui veut répondre oui, efface ou raie le mot non, ou le mot correspondant
en flamand ou en allemand. Le juré qui veut répondre non efface ou raie le mot
oui ou le mot correspondant en flamand ou en allemand. »
« Il fermera ensuite son bulletin et le
remettra au chef du jury, qui le déposera dans une urne à ce destinée. »
Voilà
le devoir tracé aux jurés ; mais je ne sais où l’honorable M. de Brouckere a lu
dans le projet de la section centrale que ce serait le chef du jury seul qui
serait chargé de faire la division des questions. Les jurés concourront tous à
ce travail qui sera d’ailleurs extrêmement facile ; car ils trouveront dans
l’acte d’accusation qu’on est obligé de leur remettre, l’accusation principale
et chacune des circonstances aggravantes. Mais je vais plus loin : à côté de
chaque question, après le dépouillement, il faudra que le chef du jury consigne
le résultat du scrutin. Pour consigner le résultat du scrutin, il faudra que
les jurés soient d’accord sur la manière de voter ; il faudra dresser une liste
des diverses questions qui feront l’objet des scrutins, et les jurés ne
voteront sur le fait principal et chacune des circonstances qu’après s’être mis
d’accord à cet égard. Quant à moi je ne vois aucun inconvénient à ce système.
Ce qu’on propose est un changement au code
d’instruction criminelle dont je ne puis, quant à moi, mesurer toute la portée.
Je crains qu’il ne donne ouverture à des pourvois en cassation qui sont déjà
trop multipliés.
D’un
autre côté, ne va-t-on pas avec le système proposé diviser les questions à
l’infini ? C’est là vraiment où échoue d’ordinaire le jury. Ne prétendra-t-on
pas qu’il faut diviser l’intention du fait matériel ? Les conseils des accusés
ne viendront-ils pas le soutenir ? Ce sera encore la matière de pourvois en
cassation.
Quant
à moi, je crois qu’il serait dangereux de toucher au code d’instruction
criminelle, et l’article 19 me semble prévenir tous les inconvénients.
M.
de Brouckere. - Je n’ai nullement perdu de vue l’article 19.
C’est parce que je le trouve incomplet que je veux le voir complété par la
disposition que je défends. Je sais que la délibération aura lieu sur le point
principal et sur chacune des circonstances. Il n’était même pas nécessaire de
le dire, puisque l’article 344 du code d’instruction criminelle prescrit cette
même obligation ; mais de l’article 19 il ne résulte nullement que le président
de la cour d’assises pose les questions ; cet article abandonne à cet égard les
jurés à eux-mêmes ; c’est ce que nous voulons éviter. Ainsi, on ne nous a
nullement répondu.
Un
argument plus singulier de l’honorable M. de Behr, c’est lorsqu’il dit qu’il
serait dangereux de toucher au code d’instruction criminelle. Mais que fait
toute votre loi ? Elle ne fait pas autre qu’apporter des modifications au code
d’instruction criminelle. Nous en voulons une de plus parce qu’elle est bonne ;
ce qui est tellement vrai, que ses adversaires mêmes n’en ont pas contesté les
avantages. La seule raison par laquelle on s’est opposé à l’amendement de M.
Verhaegen, c’est qu’on craint de changer quelque chose au projet. On n’a pas
fait valoir d’autre argument.
J’ajoute
un dernier mot : L’expérience a appris, j’en appelle à tous les hommes qui ont
de l’expérience en cette matière, que lorsque des questions qui doivent être
divisées sont soumises au jury, cela est cause qu’il se trompe. Il arrive
souvent que quand le jury doit répondre d’une manière complexe, il doit rentrer
dans la salle les délibérations pour recommencer, attendu qu’il a omis quelques
circonstances ou qu’il n’a pas répondu complétement à une réponse tellement
complexe qu’il n’a pas pu la saisir. Ainsi je crois que la chambre n’hésitera
pas à adopter l’amendement de M. Verhaegen .
-
La chambre, consultée. décide qu’il y a lieu de revenir sur la rédaction de
l’article 20, par suite de la disposition additionnelle proposée par M.
Verhaegen .
La
rédaction proposée par M. Verhaegen est mise aux voix et adoptée, et forme
l’article 20.
La
chambre avait commencé hier la discussion de l’article 22 ainsi conçu ;
« Après
chaque scrutin, le chef du jury le dépouillera en présence des jurés, et
consignera immédiatement la résolution en marge de la question, sans exprimer
le nombre des suffrages, si ce n’est dans le cas où la déclaration affirmative,
sur le fait principal, n’aurait été formée qu’à la simple majorité. »
-
Cet article est adopté.
« Art.
23. Le bulletin sur lequel les mots oui et non seraient tous les deux effacés
ou rayés, ou ne le seraient ni l’un ni l’autre, sera compté comme portant une
réponse favorable. »
Sur
la proposition de M. de Behr, rapporteur,
on rédige ainsi cet article :
« Le
bulletin sur lequel les mots oui et non, ou les mots correspondants en flamand
on en allemand, seraient rayés, ou ne le seraient ni l’un ni l’autre, sera
compté comme portant une réponse favorable à l’accusé. »
L’article
23 ainsi modifié est adopté.
Article 24
«
Art. 24. Après le dépouillement de chaque scrutin, les bulletins seront brûlés
en présence du jury. »
-
Adopté.
Article 25
« Art.
Le président de la cour d’assises, en remettant les questions aux jurés, les
avertira de la matière dont ils doivent émettre leur vote.
« Les
articles 18, 19, 20, 21, 23, 24 et 25 seront imprimés en gros caractères et
affichés dans la salle des délibérations du jury. »
-
Cet article est adopté.
Article 26
«
Art. 26. Dans le cas où le fait imputé sera punissable de la réclusion, et que
sur le rapport fait à la chambre du conseil les juges sont unanimement d’avis
qu’il y a lieu de commuer cette peine en celle de l’emprisonnement, par
application de l’arrêté du 9 septembre 1816 (Journal officiel, n°34), ils
pourront renvoyer le prévenu au tribunal de police correctionnelle en exprimant
les circonstances atténuantes, ainsi que le préjudice causé.
« La
chambre des mises en accusation pourra, à la simple majorité, exercer la même
faculté.
« Le
ministère public et la partie civile pourront former opposition à l’ordonnance
de la chambre du conseil, conformément aux dispositions du code d’instruction
criminelle. »
Le
commencement de l’article 26 résulte d’une rédaction présentée par M. de Behr,
et il est adopté avec cette rédaction,
Article 27
«
Art. 27. Le tribunal de police correctionnelle devant lequel le prévenu sera
renvoyé, ne pourra décliner sa compétence en ce qui concerne les circonstances
atténuantes et le préjudice causé. »
Adopté
sans changement.
M. de
Behr, rapporteur, propose de réunir les articles 28 et 29 en un
seul avec la rédaction suivante
« L’article
2 du décret du 19 juillet 1831 (Bulletin officiel, n’ 185), l’article 3 de la
loi du 1er mars 1832 (Bulletin officiel, n’ 128), et les articles 345, 346,
382, 384, 385 et 386 du code d’instruction criminelle, sont abrogés. »
M.
Raikem. - Puisque l’on veut changer les dispositions
de l’article 337 du code d’instruction criminelle, il faut qu’on nous présente
une disposition complète qui remplace cet article ; sans cela on sera fort
embarrassé pour poser les questions, et il y aura des difficultés pour les
pourvois en cassation. Il faut lever tous les doutes.
M. Dolez.
- Je ne pense pas qu’il y ait lieu à abroger l’article 337 qui, à mon sens,
reste entier malgré l’amendement. Cet article a pour but de faire poser la
question conformément au résumé de l’accusation ; eh bien, la question sera
encore posée conformément au résumé de l’acte d’accusation, seulement elle ne
sera plus complexe. L’article de notre loi est simplement explicatif de
l’article 337 et ne l’abroge pas. Il n’y a pas lieu à faire cette abrogation.
M.
Raikem. - On vient de dire, messieurs, que l’article
est explicatif de l’article 337 : ainsi l’article 337 subsisterait, et en même
temps la disposition dont il s’agit en ce moment ; mais ne craint-on pas que
cela puisse donner lieu à des doutes ? et ne serait-il pas préférable qu’on
nous présentât une disposition à insérer dans la loi, qui rappelât les
dispositions de l’article 337 que l’on entend conserver, et les dispositions
additionnelles qui seraient ou modificatives ou explicatives de cet article 337
? Cela serait beaucoup plus rationnel.
M.
de Brouckere. - D’abord, messieurs, il est de principe
qu’une loi postérieure abroge toujours une loi antérieure avec laquelle elle est
en opposition ; il est donc tout à fait inutile de dire que l’article 337 est
abrogé. Ensuite, comme l’a fort bien dit M. Dolez, il y a encore quelque chose
de l’article 337 qui reste debout ; c’est la disposition qui ordonne au
président de la cour d’assises de poser la question qui résulte de l’acte
d’accusation, seulement l’article 20 impose au président une obligation de
plus, c’est celle de diviser la question : il me semble donc que la chose ne
peut souffrir aucune difficulté, qu’il n’y a aucun doute à craindre,
-
Les articles 28 et 29, réunis en un seul, sont mis aux voix et adoptés.
Article 30
L’art.
30, qui devient l’art. 29 est mis aux voix et adopté.
Vote sur l’ensemble du projet
On
procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi ; en voici le résultat :
81
membres prennent part au vote.
2
s’abstiennent.
72
adoptent.
9
rejettent.
En
conséquence, la loi est adoptée.
Ont
voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Berger,
Coghen, Coppieters, Corneli, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de
Foere, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode,
Demonceau, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de
Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny,
Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia,
Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Meeus, Mercier,
Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Polfvliet, Raikem,
Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont,
Troye, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck,
Verdussen, Vergauwen, H. Vilain XIIII, Wallaert, Willmar, Zoude.
Ont
voté le rejet : MM. Desmaisières, Doignon, Dumortier, Jadot, Lecreps, Metz,
Pirson, Seron et Stas de Volder.
MM.
de Puydt et Verhaegen se sont abstenus ; ils sont appelés à énoncer les motifs
de leur abstention.
M.
de Puydt. - Messieurs, je n’ai pas voulu voter contre le
jury, parce qu’il est établi en vertu de la constitution que je respecte ; d’un
autre côté, je n’ai pas pu accepter une loi qui expose la vie et l’honneur des
citoyens au hasard des décisions d’un tribunal qui peut être composé d’hommes
qui ne savent ni lire, ni écrire.
M.
Verhaegen. - J’ai trouvé, messieurs, que la loi apporte
quelques améliorations dans l’institution du jury, et dès lors, je n’ai pas
voulu la repousser par mon vote ; mais comme la loi renferme aussi des
dispositions contraires à mes principes, je n’ai pas pu la sanctionner.
M. le
président. - L’ordre du jour appelle maintenant la
discussion du projet de loi, concernant les étrangers résidant en Belgique.
M. Desmanet de Biesme.
- Je pense, messieurs, que la loi concernant les étrangers peut entraîner d’assez
longs débats, tandis que la loi sur les barrières pourra encore être votée
séance tenante ; celte loi est extrêmement urgente, car le 12 de ce mois on
doit faire des adjudications qui ne pourront avoir lieu si la loi n’est pas
promulguée. Je pense donc que nous ferions bien de commencer par la loi
concernant les barrières, qui figure également à l’ordre du jour.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je ne prévois
pas, messieurs, que la discussion du projet de loi concernant les étrangers
puisse être longue ; je pense donc, puisque l’assemblée s’est attendue à
discuter ce projet immédiatement après la loi sur le jury, qu’il convient de
s’occuper maintenant de cette discussion et de passer aussitôt après à la loi
des barrières.
-
La chambre, consultée, décide qu’elle s’occupera immédiatement du projet de loi
concernant les étrangers.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Messieurs, la
section centrale a proposé de proroger la loi jusqu’au 1er janvier 1842 ; je
crois qu’en effet cette date est préférable, puisqu’à cette époque les chambres
sont toujours réunies. J’adopte donc le motif de la section centrale, ainsi que
sa proposition.
M.
Dumortier. - Messieurs, je déclare que je fais mienne la
proposition primitive du gouvernement, quant au terme de l’expiration de la
loi, et vous allez, messieurs, en comprendre les motifs. Nous avons à voter,
avant le 1er janvier, les budgets ainsi qu’une foule de lois obligatoires ; il
me paraît dangereux d’accumuler ainsi à une seule et même époque, la discussion
obligée de toutes les lois, tandis qu’en laissant l’échéance de la loi dont il
s’agit au mois d’octobre, ainsi que l’a proposé le gouvernement, la chambre
aura tout le temps nécessaire pour se livrer à une discussion convenable de la
loi.
Vous
le savez, messieurs, la loi qui nous occupe est une loi de confiance ; ces lois
sont nécessairement momentanées ; celle qu’il s’agit de proroger a d’ailleurs
été votée pour des circonstances données qui ne doivent pas exister toujours.
Il restera, à l’expiration du terme de la loi, à examiner si la Belgique se
trouve encore, oui ou non, dans de pareilles circonstances ; mais dans tout
état de cause, il faut nous laisser le temps de nous livrer à cet examen.
Or,
vous ne pourrez pas discuter convenablement une pareille loi, si elle doit être
votée avant le 1er janvier. Rappelez-vous ce qui a lieu pour les lois qui
doivent être portées avant le 1er janvier ? Plusieurs d’entre elles, ne nous
sont présentées que quelques jours avant notre séparation. Il en résulte qu’il
n’est pas possible de délibérer sur ces lois, comme il conviendrait de le
faire.
Je
ne pense pas, messieurs, qu’il faille encore augmenter la masse des lois
obligatoires qui doivent être votées avant le 1er janvier ; il me paraît sage
de proroger la loi dont il s’agit jusqu’à l’époque que le gouvernement avait
lui-même proposée.
Venant
maintenant au fond de la question, je déclare que je ne puis donner mon
assentiment au projet de loi. Je ne pense pas que les circonstances qui nous
ont engagés à voter la loi, il y a quelques années, soient encore les mêmes.
Nous avons fait cette loi par suite des attentats politiques qui avaient eu
lieu en France ; vous savez qu’à cette époque la Belgique était menacée d’être
inondée d’une partie des personnes qui avaient pris part à ces attentats : c’est
le motif principal qui nous a fait voter cette disposition ; Maintenant que ces
circonstances n’existent plus, je vous le demande, est-il nécessaire de
continuer une loi dont chacun de nous connaît les abus ? Car personne n’ignore
qu’il y a eu un grand nombre d’abus en matière d’expulsion, on a et j’ai
signalé à diverses reprises des abus graves qui ont été commis au moyen de la
loi que nous avons votée ; il est à ma connaissance qu’il s’en est commis
aujourd’hui même.
Le
gouvernement n’est pas resté dans les termes de la loi. La loi ne lui
permettait d’expulser que les étrangers qui, par leur conduite, compromettent
la tranquillité publique. Il fallait donc que les étrangers eussent compromis
la tranquillité publique par leur conduite, pour qu’il y eût lieu de les
expulser. Eh bien, le gouvernement a expulsé, ou a voulu expulser, plusieurs
étrangers dont la conduite était inoffensive envers la tranquillité publique.
Je
ne pense pas, messieurs, que de pareils faits doivent engager la chambre à
voter légèrement la continuation de la loi.
Je
pourrais citer un commerçant de l’arrondissement de Tournay, auquel une
expulsion a été notifiée sans qu’on pût alléguer contre lui la moindre charge.
Je pourrais citer encore d’autres particuliers qu’on a voulu expulser, et
contre lesquels il n’a jamais été dressé le moindre procès-verbal, de quelque
nature que ce soit, soit pour délit politique, soit pour délit privé. L’on
expulse les hommes paisibles qui viennent en Belgique se reposer à l’ombre de
l’arbre de la liberté ; on les expulse impitoyablement comme des criminels, ou
comme des gens qui ont troublé la tranquillité publique.
Quel
recours avez-vous, messieurs, en pareil cas ? Il n’y en a aucun ; Vous avez pu
vous en convaincre par l’affaire qui a été présentée à votre vote, il y a
quelques mois ; on a dit que s’il y avait des abus dans l’exécution de la loi
sur les expulsions, il n’y avait qu’à mettre le ministre en accusation. Je vous
le demande, messieurs, mettra-t-on jamais un ministre en accusation, par le motif
qu’une expulsion plus ou moins arbitraire a eu lieu ? Nous savons ce qu’est en
pareil cas la mise en accusation d’un ministre, nous en avons déjà eu un
exemple. Nous ne devons donc pas croire que la chambre mette jamais un ministre
en accusation pour de pareils faits. La chambre, si tant est qu’elle se décide
jamais à mettre un ministre en accusation, ne le mettra en accusation que pour
des faits qui exposent la sûreté de l’Etat, et non pas pour des affaires
particulières.
Ainsi,
messieurs, l’arme que nous confions au gouvernement prend entre ses mains une
extension immense, puisqu’il expulse des étrangers sans aucun motif ; et
puisque j’ai la parole, j’appellerai votre attention sur une pétition que je
reçois à l’instant et que je n’ai pu par conséquent déposer à l’ouverture de la
séance. Elle est signée par M. Adolphe Soyez, l’un des plus honorables citoyens
de la Champagne ; c’est le fils d’un des négociants les mieux famés de Reims.
Il habitait la Belgique depuis cinq ans ; il était resté entièrement étranger à
la politique ; il résidait paisiblement chez son beau-frère, brasseur à
Bruxelles ; et on l’expulse sans qu’il ait troublé la tranquillité publique,
sans qu’il y ait la moindre plainte à sa charge.
Et
cependant la loi dont on propose la prorogation porte que, pour être expulsé,
il faut avoir troublé la tranquillité publique par sa conduite, ou s’être rendu
coupable d’un des crimes ou des délits qui donnent matière à extradition. Eh
bien, messieurs, lorsqu’on force un étranger honorable, qui n’a rien à se
reprocher, ni dans sa conduite politique, ni dans sa conduite privée ; qui n’a
jamais, en aucune manière, troublé la tranquillité publique ; qui n’a jamais
été condamné par les tribunaux étrangers pour aucun des crimes ou délits qui
autorisent l’extradition ; lorsqu’on force, dis-je, un étranger de se retirer
du pays, je dis qu’on viole la loi, et qu’une semblable loi entre les mains du
ministère est une véritable calamité.
En
présence de pareils faits, je vous demande si la loi qu’il s’agit de proroger
est une bonne loi ; je vous demande si c’est une loi en harmonie avec nos
mœurs. Comment ! un étranger honorable vient résider paisiblement en Belgique,
et vous l’expulsez à cause qu’il ne vous convient pas. Mais, messieurs, réfléchissez
donc que vous auriez pu vous trouver dans une position semblable, si à la suite
de la révolution, le roi Guillaume eût triomphé ; nous aurions été heureux
alors de trouver un pays qui nous aurait offert une pierre pour reposer notre
tête.
Messieurs,
tandis que le gouvernement expulse impitoyablement d’honorables citoyens
français qui viennent sur notre sol exercer en paix leur industrie, une
pareille rigueur ne se fait pas sentir envers ceux des étrangers qui troublent
réellement la tranquillité publique ; car attenter à la prérogative de la
chambre des représentants, chercher à la dénigrer dans l’opinion, c’est
troubler la tranquillité publique. Eh bien ! je tiens en mains une brochure que
je vous ai déjà signalée une fois et dans laquelle on représente la chambre des
représentants comme étant l’ennemi le plus acharné de l’armée ; ce qui
certainement n’est pas vrai, puisque la chambre s’est toujours montrée très
libérale envers l’armée. Et quelles mesures le gouvernement a-t-il prises en
pareil cas ? Il a laissé faire, comme s’il approuvait.
Un
membre. - Quel est le nom de l’individu ?
M.
Dumortier. - Le nom a été mentionné dans tous les
journaux, et personne ne l’a ignoré. D’ailleurs, on a imprimé cette aux bureaux
du Journal de l’armée Belge, aux
bureaux d’un journal qui est destiné à être mis entre les mains des officiers ;
la brochure a été répandue avec profusion dans les rangs de l’armée.
Ainsi,
l’on tolère qu’on injurie la législature ; qu’on excite l’armée contre la
représentation nationale, et l’on trouve que par là l’ordre et la tranquillité
publique ne seront nullement compromis. Mais vienne en Belgique un honnête
étranger, qui veut se reposer à l’arbre de la liberté ; qui désire exercer
paisiblement son industrie chez nous ; oh s’il a le malheur de déplaire à M.
l’administrateur de la sûreté publique, vite on l’expulse impitoyablement.
Je
ne veux pas pour ma part confier au gouvernement une arme qui, entre ses mains,
produit de pareils résultats. Je déclare que si la loi venait à passer, je
déposerais un amendement, pour que le président de chacune des chambres ait le
même pouvoir que le gouvernement pour les faits d’attentat qui seraient commis
contre les chambres. Voilà ce que je ferai, et nous verrons si le gouvernement
s’y opposera ; puisqu’il est aussi peu soucieux de la prérogative de la
chambre, et qu’il tolère qu’on mette la représentation nationale au ban de
l’armée. Nous ne pouvons avoir toute confiance dans sa conduite en pareil cas.
Messieurs,
je viens de vous citer un fait très grave. Et voici un autre qui ne l’est pas
moins. Il s’agit d’un sieur Floury, habitant Leuze, et qui faisait le commerce
de vin. Cet homme, dans le commencement de son établissement, avait eu des
malheurs, mais il avait depuis fait face à ses engagements. Il venait de faire
un voyage lorsque, rentrant chez lui, il fut tout surpris de voir un arrêté qui l’expulsait. Il se demande :
Qu’ai-je fait, moi qui exerce paisiblement mon industrie, qui vends du vin, qui
paie mes marchands, qui fais un commerce licite ? Pourquoi puis-je être ainsi
expulsé ? Il a fallu une protection auguste pour faire revenir sur cette
mesure. Il paraît que le sieur Floury s’était trouvé avec un homme de M.
François et qu’il l’avait traité de mouchard. Ce n’est pas une expression d’une
grande politesse sans doute, mais ce n’est pas là un fait d’expulsion ; ce
n’est pas troubler la tranquillité publique, ni un délit qui donne lieu à
l’extradition. Voilà l’emploi qu’on fait de la loi. Je vous le répète, cette
loi à laquelle vous avez mis une réserve dans l’intérêt du pays et non de ceux
qui administrent, a été exécutée sans tenir compte de cette réserve et comme si
le gouvernement pouvait expulser qui bon lui semble de la Belgique.
Je ne pense pas que nous puissions consentir à
proroger cette loi. Nous y avions mis des garanties pour le pays, elles ont été
manifestement violées ; nous avions mis des garanties en faveur des étrangers
qui ne troublaient pas l’ordre public, elles ont été violées. Nous avions voulu
que la loi fût une garantie d’ordre public, et le respect dû à la chambre des
représentants tient à l’ordre public. En ce point, la loi a encore été violée.
Dans un pareil état de choses, je ne puis voter la continuation de cette loi.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je commencerai
par demander s’il y a un arrêté d’expulsion contre le sieur Soyez. Je ne crois
pas qui y en ait. Je ne connais pas cette affaire ; je m’abstiendrai donc de la
discuter en ce moment. Mais puisqu’il s’est adressé à la chambre, je prendrai
des renseignements sur le fait. Quoi qu’il en soit, toute l’argumentation de
l’honorable préopinant n’a aucun trait à la loi dont il s’agit, car cette loi
exige pour toute expulsion un arrêté royal contresigné par un ministre
responsable ; j’assume volontiers sur moi la responsabilité de chacune des
expulsions qui ont eu lieu en vertu de la loi du 1er octobre 1835 ; j’assume
sur moi la responsabilité de ces expulsions parce que je n’en ai proposé aucune
qu’après avoir examiné l’affaire par moi-même.
Quant
à Floury, il ne s’est pas adressé à la chambre ; je ne crois pas devoir entrer
en explications à son égard. Lorsqu’il s’agit de questions de personnes, il
faut user de beaucoup de réserve, à moins que la nécessité n’oblige à agir
autrement.
Revenant
au principe de la loi, je dis qu’elle a été extrêmement utile, parce qu’elle a
fourni au gouvernement le moyen d’éloigner un grand nombre de personnes qui se
trouvaient dans les cas déterminés par la loi sur les extraditions. Je dis
qu’il n’a été fait aucun abus de la loi. Au contraire, le gouvernement a mis
une grande réserve dans son exécution, puisqu’aucune expulsion véritablement
politique n’a eu lieu ; c’est une preuve de l’extrême réserve avec laquelle on
a fait usage de cette loi.
Il
arrive souvent que des orateurs confondent la loi des passeports avec la loi
d’expulsion. La loi d’expulsion n’est applicable qu’à des cas déterminés, à
ceux qui compromettent la tranquillité publique et à ceux qui sont dans un des
cas spécifiés dans la loi sur les extraditions.
L’honorable
membre a parlé de l’auteur d’une brochure qui a été répandue dans l’armée et
dans laquelle on aurait attaqué la chambre des représentants. Je ne l’ai jamais
lue, je ne connais pas non plus l’auteur.
M.
Dumortier. - Je vais vous la remettre.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux).
- Mais l’honorable membre qui critique avec tant de sévérité la conduite de
l’administration envers les étrangers n’a pas toujours montré la même
tolérance. Il s’est plaint, dans certaine circonstance, qu’on n’ait pas ordonné
l’expulsion d’un étranger habitant depuis longtemps la Belgique, ayant une
maison de commerce importante à Bruxelles, et cela sous le prétexte d’atteinte
portée à la dignité de la chambre dans une pétition dans laquelle je ne pense
pas que la chambre ait vu une atteinte portée à sa dignité, ni l’intention d’induire
la législature en erreur.
Je
me bornerai à ce peu d’explications, chacun de vous comprend la nécessité de
maintenir la loi d’expulsion. On ne veut pas sans doute que la Belgique soit le
rendez-vous de tous ceux qui ont à leur charge des griefs aussi graves que ceux
compris dans la loi d’extradition. Si nous voulons que notre pays offre une
résidence agréable aux étrangers honorables que seuls nous avons intérêt à
attirer, il faut que le gouvernement puisse éloigner ceux dont la présence
compromettrait l’ensemble des étrangers, pour qu’on ne puisse pas dire que la
Belgique est le refuge des mauvais sujets.
M.
de Brouckere. - Je voterai contre la loi, et je vais motiver
mon vote.
La
loi du 22 septembre 1835 contient des dispositions exorbitantes, on n’en
saurait disconvenir. Je pourrais cependant consentir à en prolonger
l’existence, si son exécution appartenait exclusivement à un ministre
responsable, qui ait notre confiance. Mais le ministre lui-même met, sous ce
rapport, toute sa confiance dans des fonctionnaires subalternes, qui n’ont pas
la nôtre, qui n’ont à coup sûr pas la mienne. Le ministre s’en rapporte
entièrement à eux ; il regardent les renseignements qu’ils lui donneraient
comme exacts, les résolutions qu’ils lui présentent comme justes, et il en
résulte que les décisions du ministre sont souvent entachées d’erreur et même
vexatoires.
Je
m’attends à ce que M. le ministre va me dire : Prouvez donc par des faits ce
que vous avancez. Je pourrais le faire bien facilement, mais cela est inutile.
Presque chaque année j’ai signalé de nombreux abus ; d’autres orateurs en ont
fait autant, nous n’avons jamais obtenu du ministre une seule explication
satisfaisante.
Pour
toutes nos interpellations il a toujours trois réponses prêtes ; il n’en sort
pas. Une fois il dit : « Je n’ai pas de renseignements suffisants, j’en
prendrai. » En attendant, la loi ou le budget dont on s’occupe sont votés,
et nous n’apprenons rien.
Une
autre fois : « On a cité des noms propres ; je suis obligé d’user de
réserves dans l’intérêt de ceux dont on parle, sous peine de leur faire tort
; » et nous ne sommes pas plus avancés.
Enfin,
il nous dit d’une manière générale, et sans entrer en explications : « Je
prends son ma responsabilité tout ce qui a été fait. » Il ne sort pas de
ces trois réponses, dont l’une ne nous avance pas plus que l’autre.
Aujourd’hui
encore je suis prêt à signaler des abus scandaleux, si le ministre m’en donne
le défi, bien que je sache d’avance que je n’aurai pour toute satisfaction
qu’une des trois réponses que je viens de dire.
Je
voterai donc contre la loi, parce que le ministre ne veut pas, comme je le lui
avais demandé lors de la discussion du budget, se charger personnellement de
son exécution, et que je n’ai point confiance dans les fonctionnaires auxquels
il abandonne cette exécution.
Puisque
j’ai la parole, je vous demanderai, contre mon habitude, à vous dire quelques
mots de moi : c’est la première fois que cela m’arrive.
En 1834, comme je l’ai fait à peu près chaque année,
j’ai vivement attaqué, dans cette chambre, l’administration de la police ;
l’administrateur m’a répondu dans une brochure qu’il a envoyée non seulement à
chacun de vous, et aux différents journaux, mais à une foule de personnes. J’ai
fait de cette brochure le cas que j’en devais faire ; Je n’ai pas répondu par
la voie des journaux, et je n’en ai jamais dit mot ici. Cette année, j’ai
encore attaque la marche de la police ; nouvelle brochure de la part de
l’administrateur. Il est parfaitement dans son droit, et pendant dix ans
encore, il pourra en publier contre moi,
si cela lui convient ; cela m’est parfaitement égal, car cela ne peut me faire
ni bien, ni mal. Mais voici ce que je dois relever. Du silence que j’ai gardé
sur sa première brochure, et de ce que je suis sorti de la chambre au moment
d’un certain vote (chose qui est possible, mais dont je ne me souviens pas),
l’administrateur conclut que j’ai trouvé juste tout ce qu’il m’a adressé, et
que je n’ai pas su le réfuter. Je veux seulement prévenir la chambre que si je
ne réponds pas à ce que publient contre moi l’administrateur de la police et
ses pareils, ce n’est pas impuissance de ma part, mais c’est que je pense qu’un
député doit s’abstenir de semblables polémiques.
L’administrateur
de la police peut donc écrire sur moi ou contre moi, avec ou sans l’approbation
du gouvernement, autant de brochures qu’il voudra ; il peut être sûr de n’avoir
jamais de ma part un seul mot de réponse.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - L’honorable
préopinant a perdu de vue que dans plusieurs circonstances j’ai répondu à des
interpellations, lorsque tout à l’heure il a dit que je n’avais jamais répondu.
Dans plusieurs circonstances, des étrangers se sont adressés à la chambre, des
discussions se sont élevées et des réponses détaillées ont été faites.
L’honorable membre est encore en erreur quand il
dit que j’ai déclaré que je ne me mêlais pas de la loi d’expulsion, que je m’en
rapportais à un subordonné. J’ai dit qu’avant de proposer au Roi une expulsion
je me faisais toujours un devoir d’examiner chaque affaire en particulier, et
que je ne proposais l’arrêté que quand je pensais que l’individu qui en était
l’objet se trouvait dans les cas prévus par la loi.
Mais,
messieurs, il est très vrai que je ne puis entrer dans les détails du service des passeports. C’est de
toute impossibilité. Je puis indiquer des règles générales à l’administration
de la sûreté publique, lui donner des instructions, éveiller son attention sur
les abus qui sont signalés ; mais sans doute on n’exigera pas qu’un ministre se
charge du service des passeports. (Non !
non ! ce serait trop exiger.) Voilà le seul sens dans lequel je me suis
expliqué lors de la discussion du budget de l’intérieur, en disant que je ne
voulais pas prendre sur moi d’entrer dans ces détails, parce qu’il me semble
que les passeports sont un service spécial qui doit être abandonné à
l’administrateur de la sûreté publique, et des détails duquel il est impossible
à un ministre de s’occuper.
M.
Verhaegen. - Moi aussi, je crois devoir m’opposer à la
loi en discussion, et je pense que la déclaration de M. le ministre que le plus
souvent on ne fait pas usage de la loi, est une indication donnée aux agents
subalternes qui commettent de nombreux abus.
L’honorable
M. Dumortier a signalé des faits ; M. le ministre a répondu qu’il n’y a pas
d’arrêtés d’expulsion. En effet, le plus souvent il n’y a pas d’arrêtés
d’expulsion ; on s’arrange de manière à ne pas en avoir besoin ; on se dit
qu’il vaut mieux prévenir le mal avant qu’il soit fait, et par suite de ce
raisonnement on empêche les étrangers d’entrer en Belgique, ceux-là même qui
ont un passeport en règle et qui ont toutes les pièces nécessaires pour
séjourner en Belgique. Voici comment les choses se passent ; car j’ai sous les
yeux une réclamation qui mérite de fixer votre attention : Un nommé François
Brakart, né à Amsterdam, habitait la Belgique avant la révolution ; il avait
épousé une femme belge et avait eu trois enfants de ce mariage. Par des
circonstances indépendantes de sa volonté, il fut obligé de retourner à
Amsterdam. Un de ses parents étant mort à Bruxelles, il désira rentrer en
Belgique.
Un
de mes confrères du barreau de Bruxelles fit dans ce but des démarches
multipliées ; mais il n’obtint rien. On prétendit que cet étranger ne pouvait
se prévaloir de la disposition de l’article 2, portant que la loi d’expulsion
ne sera pas appliqué à l’étranger marié avec une femme belge, attendu qu’il y a
une restriction relative aux étrangers appartenant à un pays qui n’est pas en
paix avec le nôtre. Si cet étranger était venu en Belgique, ou aurait pu
l’expulser ; mais on n’a pas attendu qu’il y fût ; on lui a dit : Vous ne
viendrez pas ; c’est comme cela qu’il n’y a pas d’arrêtés d’expulsion. Voilà le
grand inconvénient, c’est que des autorités subalternes se servent de la loi
pour s’arroger le droit d’interdire l’entrée de la Belgique à des étrangers qui,
s’ils résidaient en Belgique, pourraient, dans l’opinion de ces agents
subalternes, être expulsés en vertu de la loi d’expulsion. De cette manière il
est bien certain que nous ne verrons guère d’arrêtés d’expulsion. J’appelle,
messieurs, votre attention sur ce point, car je trouve qu’il est contraire à
notre dignité et à notre intérêt national de repousser du sol belge des
étrangers dont la conduite ne peut inspirer aucune crainte.
Sans doute, si l’on pouvait redouter que des
étrangers vinssent chez nous pour exciter des désordres il faudrait prendre des
mesures pour les éviter. A l’époque où on a voté cette loi, sans que je veuille
m’associer à ce vote, il a pu y avoir des raison semblables ; il n’en est pas
de même aujourd’hui, les raisons qui pouvaient exister alors n’existent plus
maintenant. Vous voyez les abus qui résultent de la loi ; M. Dumortier vient
d’en signaler plusieurs. M. de Brouckere vous en a signalé plusieurs fois, je
viens d’en signaler un. Je crois que nous devons mettre un terme à cet état de
choses en ne renouvelant pas la loi d’expulsion.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Alors même qu’il
n’y aurait pas de loi d’expulsion, ce qui est arrivé au sieur Brakart pourrait
se représenter. Je n’ai pas connaissance des motifs pour lesquels on lui a
refusé l’entrée de la Belgique, ni des motifs pour lesquels il voulait y
rentrer. Le sieur Brakart, à la révolution, est retourné en Hollande ; il a
voulu revenir en Belgique, je ne sais pas dans quel but, mais cela importe peu.
Je dis que pareille chose peut se représenter lors même qu’il n’y aurait pas de
loi d’expulsion ; car les Hollandais ne peuvent venir en Belgique qu’avec une
permission spéciale de l’administration de la sûreté publique. Je demanderai
d’ailleurs si les Belges peuvent aller librement en Hollande, s’ils n’y sont
soumis à aucune loi de police particulière ? Je ne le pense pas.
M. de Brouckere.
- Nous ne voulons pas imiter le gouvernement hollandais.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je ne prétends
pas non plus le prendre pour modèle.
M.
Dumortier. - M. le ministre de l'intérieur a prétendu que
j’ai demandé l’expulsion d’un étranger, cela n’est pas exact. Si j’avais voulu
demander l’expulsion d’un étrange, je sais dans quels termes j’aurais dû le
faire ; mais j’ai dit et je répète que, tandis que le gouvernement s’est montré
si facile en matière d’expulsion dans mainte et mainte circonstance, ii n’en
est pas de même lorsque l’on porte atteinte à la dignité de la chambre,
lorsqu’on trompe la législature.
Dans
sa réponse M. le ministre de l’intérieur, comme l’a fait remarquer l’honorable
M. de Brouckere, s’est absolument renfermé dans des fins de non-recevoir. Il
dit qu’il n’y a pas eu d’arrêté d’expulsion ; mais l’honorable M. Verhaegen
vient de vous l’expliquer, s’il n’y a pas d’arrêté d’expulsion, c’est qu’on
expulse sans arrêté, c’est qu’on viole la loi, ce qui est pis encore puisqu’on
expulse sans accomplir les formalités que la loi avait prescrites pour donner
des garanties aux étrangers. Dès que ces garanties sont effacées, dès qu’un
agent subalterne trouve dans la loi d’expulsion la faculté d’expulser, sans
rime ni raison, l’étranger qui lui déplaît, il est évident qu’il ne faut pas
renouveler cette loi et qu’il faut laisser les étrangers résidant en Belgique
dans la position que leur donne l’article 128 de la constitution, qui leur
garantit la protection accordée aux personnes et aux biens.
Quant
au sieur Floury, on dit qu’il n’y a pas de pétition ; qu’importe, dès qu’il est
manifeste qu’on a voulu expulser cet étranger quoiqu’il ne soit dans aucun des
cas prévus par la loi d’expulsion ou par la loi d’extradition ? Peu importe que
cet individu ne se soit pas adressé à la chambre si je m’adresse à la chambre,
si je la saisis de ce fait.
Sans
nous égarer dans des questions particulières, n’a-t-on pas vu le gouvernement
rester impassible en présence d’une provocation contre la chambre, alors qu’il
expulse avec tant de facilité des étrangers paisibles qui ne troublent
aucunement la tranquillité du pays ? Qu’a répondu M. le ministre de l'intérieur
? « Je ne connais pas la brochure dont il s’agit. » Mais M. le
ministre de l'intérieur ne peut pas faire une pareille réponse ; le fait que je
signale a déjà été signalé à la chambre avec publicité, et dès lors le
gouvernement connaissait le fait qu’il prétend ne pas connaître. C’est là la
circonstance la plus grave.
J’ai
toujours regardé comme un grand malheur que le congrès, lorsqu’il a organisé le
pouvoir des chambres législatives, les ait laissées sans aucun moyen de
défense, en présence du pouvoir exécutif ; de telle sorte que si le pouvoir
exécutif voulait miner, renverser la constitution, voulait faire un coup
d’Etat, les chambres seraient absolument sans pouvoir pour l’en empêcher.
Alors, ce ne seraient pas les Belges que l’on irait chercher pour renverser la
constitution, ce seraient des étrangers, et l’on choisirait ceux qui déjà ont
cherché à démonétiser la chambre dans l’opinion publique. Ce que je dis est
autant dans l’intérêt bien entendu du gouvernement, que dans celui du pouvoir
législatif, car le gouvernement doit désirer que la représentation nationale
organisée par la constitution soit entourée de toute la dignité que la
constitution a voulu lui donner.
Vous
voyez combien il est facile de violer la constitution, surtout avec l’appui
d’étrangers soudoyés peut-être par le gouvernement.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Nous ne soudoyons
personne.
M.
Dumortier. - Je ne dis pas que ce soit vous, je dis
peut-être, chacun en prendra ce qu’il voudra.
Il
faut de deux choses l’une, ou que l’expulsion n’existe plus, ou bien que les
étrangers qui viennent en Belgique pour injurier la chambre ne puissent plus le
faire. C’est dans ce sens que je déclare de nouveau que je rédigerai un article
additionnel. Je voterai contre la loi ; mais si la majorité adopte la
prorogation, je l’adjurerai de faire en sorte qu’on puisse sévir contre les
étrangers qui ne viennent dans notre pays que pour nous insulter.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je n’ai qu’un mot
à dire. Les étrangers ne se laissent pas expulser sans arrêté. Si un étranger a
été renvoyé de la Belgique soit en vertu de la loi des passeports, soit de
toute autre manière, sans mériter une mesure aussi sévère, il peut s’adresser
au ministre. Mais la loi sur les passeports et la loi d’expulsion sont des
choses distinctes, et les étrangers savent qu’ils peuvent invoquer la
constitution et la loi si on les expulsait d’une manière arbitraire.
En
ce qui concerne les chambres vous ne pouvez croire que le gouvernement
favoriserait les étrangers qui se permettraient de l’attaquer. Du reste, le
gouvernement a usé de la loi avec beaucoup de ménagement.
M. le
président. - M. Verdussen propose de proroger la loi du
22 septembre 1835, relative aux étrangers, jusqu’au 1er mai 1841 ; la section
centrale propose la prorogation jusqu’au 1er janvier 1842. Le ministre se
rallie à la proposition de la section centrale.
M. Verdussen.
- C’est parce qu’au 1er janvier nous avons ordinairement beaucoup de travaux
urgents à exécuter que j’ai proposé le 1er mai.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je crois que la
date du 1er janvier, indiquée par la section centrale, est la plus convenable.
Cette loi ne peut donner lieu à de grandes discussions, et les chambres auront
toujours le temps nécessaire pour examiner la proposition de prorogation qui
leur serait faite. Si la disposition du la section centrale n’est pas admise,
je demanderai que la loi soit prorogée de trois ans ou jusqu’au 1er octobre
1841.
M.
Demonceau, rapporteur. - D’après la constitution, les membres
s’assemblent nécessairement le second mardi de novembre si la loi expirait le
1er octobre, elle pourrait être un temps sans vigueur ; c’est par ce motif que la
section centrale a proposé le 1er janvier 1842.
-
L’amendement de M. Verdussen n’est pas admis ; celui de la section centrale est
adopté.
M. le
président. - M. Dumortier propose un article additionnel
qui a pour but d’accorder aux présidents des chambres législatives le même
pouvoir qui est conféré, par l’article premier de la loi, au gouvernement.
M.
Dumortier. - Je retire mon amendement et me réserve d’en
faire l’objet d’une proposition spéciale.
___________________
On
procède à l’appel nominal sur la prorogation de la loi concernant les
étrangers.
65
membres sont présents.
57
votent la prorogation.
8
votent contre.
En
conséquence, le projet est adopté et sera transmis au sénat.
Ont
voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert, Berger, Corneli,
Dechamps, de Foere, de Langhe, de Longrée, F. de Mérode, Demonceau, de
Perceval, de Renesse, de Roo, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux,
d’Huart, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Heptia,
Keppenne, Kervyn, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel,
Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C.
Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen,
Van Hoobrouck, Van Volxem, Vergauwen, Wallaert, Peeters.
Ont
voté contré : MM. De Brouckere, d’Hoffschmidt, Dumortier, Lecreps, Liedts,
Vandenbossche, Verhaegen, H. Vilain XIIII.
La
séance est levée à cinq heures.