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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance du
mercredi 13 mars 1839
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projets de loi concernant le
traité destiné à régler la séparation entre
(Moniteur du jeudi 14 mars 1839,
n° 71)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à 10 heures ½.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M.
Lejeune fait connaître l’objet des pièces adressées à la
chambre :
« Des habitants notables et industriels de la commune de Niel (Anvers) demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
_____________________
« M. Valerius, docteur en sciences, adresse des observations sur la nomination des membres du jury d’examen. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
_____________________
Il est fait hommage à la chambre, par M Valerius, de sa traduction du traité de chimie de Mitscherlich.
- Dépôt à la bibliothèque.
Discussion générale
M. le président – La parole est à M. Manilius, inscrit
contre le projet.
M. Manilius – Si je viens élever la voix dans cette discussion grave et solennelle, ce n’est point pour me lamenter sur le sort futur de nos frères du Limbourg et du Luxembourg, parce que nous devons les conserver.
Mais, messieurs les ministres, c’est à vous que je m’adresse, c’est contre vous que je viens me prononcer sans détour. Comme représentant de la nation, je crois remplir mon devoir en vous faisant le reproche que, dans mon opinion, vous avez mal servi les intérêts de mon pays.
Eh quoi, vous avez négocié avec tout l’appui moral et matériel dont un peuple peut disposer, et après nous avoir bercés par un mystérieux secret, que tout le monde connaissait, vous nous soumettez un odieux projet, accompagné de documents où l’on ne voit nulle part la volonté que vous auriez pu soutenir ! Vous n’en aviez donc pas ? Quelles étaient vos résolutions ? vous n’en aviez donc pas ? Quelles tentatives sérieuses avez-vous faites pour prévenir ou vaincre aucun obstacle ? C'est en vain que l’on cherche un acte d’énergie qui justifie vos mots sublimes de « persévérance et courage ». Il semble que c’est au gré des vents que vous avez abandonné le vaisseau de l’état, et, dans la détresse, vous venez implorer notre appui.
Mais non, criez-vous, c’est l’industrie, c’est le commerce, c’est la finance qui réclament mon projet ; c’est à eux que je cède sous le besoin d’une impérieuse nécessité. Je veux sauver le pays de la ruine qui le menace. Quelle sollicitude inattendue !
Depuis quand pouvez-vous, messieurs les ministres, vous laisser attendrir des souffrances du commerce et de l’industrie ? toujours ils vous ont trouvé durs comme un rocher. Depuis quand pouvez-vous avouer si facilement que le commerce et l’industrie peuvent souffrir ? Quand jadis les souffrances étaient réellement poignantes, vous l’avez nié, vous avez poussé votre aversion jusqu’à mépriser leurs doléances, à étouffer leurs plaintes. Quoi ! l’industrie qui vous a réclamé constamment les marchés les plus étendus, vous viendrez leur dire aujourd’hui que c’est en leur nom, en leur faveur, que vous vous empressez à céder un sixième du territoire avec 400,000 consommateurs ! Vous décimez le marché, vous embarrassez les grands fleuves, vous vous obstinez, je ne sais en faveur de qui, contre l’érection de banques d’escompte, qui ne vous demandent pas des millions, mais qui veulent en importer ; et c’est ainsi que vous venez nous dire sérieusement que toute votre sollicitude est pour le commerce et l’industrie souffrante ! Quelle dérision !
Détrompez-vous, M. le ministre, ce n’est pas ainsi que vous pouvez gagner notre confiance ; le commerce et l’industrie indépendante vous apprécient mieux ; ce n’est pas par des paroles qu’on efface les faits, vos antécédents sont là ; les manufactures, les raffineries se ressentent tous les jours du bien que vous leur voulez ; Anvers, Gand, Liége, Verviers, ont appris à vous connaître à leurs dépens.
Le commerce maritime ne vous apprécie pas moins défavorablement ; la sincérité de votre sollicitude est connue partout.
Certes, messieurs, l’industrie et le commerce auxquels je me rallie sont prêts à faire tous les sacrifices possibles pour la paix, mais quelle paix ! pour une paix honorable et équitable qui ait des chances de durée basées sur des fondements solides.
Nous repoussons aussi une guerre générale, mais nous ne craignons pas celle que vous nous présentez en prophétie, que vous avez conçue de manière à produire une vive impression sur le public, que vous consultez quand vous l’avez alarmé par un cri équivalant au terrible « sauve qui peut » devant une chimère.
Certainement j’ai senti toute la gravité de ma position : peu touché de ce cri d’alarme, j’ai réfléchi, j’ai consulté, j’ai fouillé dans les nombreux documents émanant du commerce et de l’industrie, j’ai trouvé partout dans les enquêtes, dans les avis des chambres de commerce que, dans chaque occasion on s’est plaint de l’exiguïté de notre territoire, du peu d’étendue de notre marché ; et vous voulez que nous consentions à le réduire encore d’un sixième, c’est impossible.
Si l’industrie n’est pas un corps sans âme, les sentiments élevés, le génie qui le pousse à l’amour du travail, le poussent aussi à celui de l’honneur ; aussi sauraient-ils abandonner leurs frères par un froid intérêt ? c’est impossible.
Or donc, messieurs, vous le voyez, ce lambeau de cabinet ou de conseil de ministres se trouve accablé sous un concert unanime de reproches, partis de tous les bancs de cette enceinte ; pas une voix n’a su empêcher de désavouer leur marche ; plus, messieurs, l’autre partie retirée du conseil, qui est égale en nombre, repousse aussi le projet ; ainsi, d’après l’article 38 de la constitution, la chambre rejette la proposition mise en délibération en cas de partage de voix ; partant, les trois ministres cramponnés à leurs bancs ne représentent point à mes yeux la majorité du conseil, ils ne se trouvent pas même en nombre pour délibérer, car il y a six ministères.
Je sais bien, messieurs, que cette maxime ne peut pas être applicable au conseil du cabinet ; mais, dans une question aussi grave, est-il prudent de s’obstiner à ne recourir qu’à son propre avis ? Je sais bien aussi qu’on peut répondre qu’il y a six ministres d’accord quand on considère M. de Theux, ministre de l’intérieur, d’accord avec M. le ministre des affaires étrangères ; M Nothomb, ministre des travaux publics, d’accord avec M. le ministre de la justice ; M. le général Willmar, ministre de la guerre, d’accord avec les finances.
Mais, messieurs, dans une question de la plus haute importance où il y va du sort de l’état, peut-on mépriser ainsi les lumières d’un conseil convenablement composé ?
Réfléchissez, Messieurs les ministres, recomposez votre ministère s’il vous est possible, ou bien retirez-vous ; malgré tout le mal que vous avez fait, dans mon opinion vous feriez encore un bien en vous retirant.
Messieurs, l’on vous a dit : La révolution est close ; mais elle l’est depuis l’avènement au trône de notre auguste monarque, qui a sanctionné notre constitution. Nous possédons des lois organiques à l’envi de tous les peuples voisins ; nous avons une armée régulière et fière, capable de défendre nos droits et de venger les torts que l’on pourrait nous faire. La révolution a fait place depuis longtemps à un corps social, composé d’éléments le mieux, le plus heureusement conçus et établis.
C’est sur de telles bases que nous pouvons prétendre rester ce que nous sommes. Conservons nos frères ; l’on se gardera de heurter cet édifice compact, qui est destiné à faire un jour l’orgueil de l’Europe entière.
C’est dans cette conviction, messieurs, que je repousse le projet de toutes mes forces, projet d’ailleurs qui n’émane que d’un conseil incomplet de la couronne, qui a résolu sans majorité.
– La parole est à M. Andries, inscrit pour le projet.
M. Andries – Messieurs, j’ai écouté avec une attention religieuse les différents orateurs qui ont parlé en faveur de la résistance aux propositions du 23 janvier, car j’avoue que c’est de ce côté que me portent toutes mes sympathies, et je serais déterminé à me prononcer définitivement pour ce parti, si un système se présentait qui fût réellement acceptable. Je n’ai encore rien trouvé de semblable dans les différents discours que j’ai entendus.
Le député de Tournay qui a parlé dans la séance du 5 de ce mois, où il s’est fortement prononcé pour la résistance, a fini par avouer qu’il n’a pas de plan de résistance. « C’est une affaire toute gouvernementale », dit-il, et c’est pour cela qu’il ne s’est pas occupé de l’affaire. Cependant, comme il sait que le gouvernement ne veut pas de la résistance, il devait savoir que le gouvernement ne s’est pas occupé d’en faire des plans. Il aurait donc dû en faire un lui-même, et s’il eut trouvé les moyens de conserver nos frères, la plus belle ovation qui eût jamais été faite à un citoyen, l’attendait ; la chambre entière l’aurait porté sur le banc des ministres.
J’ai entendu avec
beaucoup d’intérêt un autre orateur aussi partisan de la résistance. Chez
celui-ci j’ai trouvé un système : « La thèse de la résistance, a dit
l’honorable M. Decamps, c’est l’impossibilité d’exécution. » Et d’où
vient-elle cette impossibilité d’exécution ? Le brillant orateur
l’explique ainsi : « Nous sommes dans la position d’un homme en face
d’ennemis nombreux ; il est seul, faible par lui-même, mais il tient une
torche allumée à côté d’une mine chargée sous lui. » Messieurs, ces
paroles doivent remplir d’effroi ; c’est la résistance du désespoir, du
suicide. C’est comme si l’orateur s’écriait, s’adressant aux puissances :
« Gare à vous, n’approchez-pas de
L’orateur, après avoir
tenu la langage que nous venons d’entendre, a-t-il bien raison de se plaindre
de ce que
Messieurs, je ne veux pas
de cette résistance au moyen de la mine, car à coup sûr ce serait
D’ailleurs, je le demande à l’honorable député de Virton, cette résistance, poussée jusqu’aux dernières limites de ce qui est « raisonnablement » possible, est-elle bien définie ? lorsque, lui, il croira qu’on sera arrivé à ces dernières limites, à ce point où la résistance cesse d’être raisonnablement possible, d’autres prétendront qu’il n’en est pas ainsi, et soutiendront que s’arrêter, c’est se montrer plus lâche que si on n’avait jamais commencé. Je le demande : quel est l’homme qui, après avoir soulevé les flots de la résistance, pourra leur dire : « Vous viendrez jusqu’ici et vous n’irez pas plus loin. »
J’en viens au système de l’honorable abbé de Foere, qu’il a développé dans la séance du 11. Les principes de l’éternelle justice qu’il invoque mènent à ceci : « Si vous ne pouvez réussir à sauver un membre, il faut que tout le corps périsse, et après que le cadavre sera mis en pièces, chaque lambeau sera plus digne d’honneur que le corps entier conservé à ce prix. » C’est là, messieurs, la doctrine du suicide, et l’honorable député de Thielt doit la repousser autant que moi.
Pour qu’on ne m’accuse pas d’avoir
trouvé dans le discours de l’honorable abbé de Foere ce qui ne s’y trouve pas,
je vais citer ses propres paroles : « L’importante question qui nous
occupe est dans ce seul principe : Vous ne pouvez pas disposez du bien
d’autrui pour acheter votre propre bien-être. Or, c’est que vous nous proposez.
Le rapport de la section centrale, les discours des ministres, les discours de
tous les acceptants nous disent : Repoussez les populations
luxembourgeoises et limbourgeoises, c’est à ce prix que votre nationalité est
acquise, à ce prix que vous éviterez la guerre, à ce prix que vous ferez cesser
la crise industrielle. C’est vendre évidemment un bien qui ne vous appartient
pas pour acheter votre propre bien-être. Ce bien, ce sont vos frères, ce sont
les membres d’une longue communauté auxquels vous voulez faire subir une
liquidation inique, auxquels vous voulez imposer par la violence de vos votes,
tout le passif, et vous réserver l’actif de la communauté… Si, par la
résistance de notre inertie, le pays même était partagé, chaque lambeau de
Malgré mes sympathies pour la résistance, j’en suis donc réduit à ne trouver aucun système acceptable ; il n’y en a pas un seul qui ne fasse retomber sur le pays plus de maux que ceux auxquels je voudrais le soustraire.
Je dois dire un mot de la pétition de Courtray en faveur de la résistance, déposée depuis peu et couverte de signatures très respectables. Pour nous engager au rejet du traité, les pétitionnaires invoquent la presqu’unanimité des journaux des deux Flandres. Je respecte la presse modérée et consciencieuse, parce que celle-là se respecte elle-même ; mais j’avoue que je ne porte pas si loin le respect pour l’opinion des journaux, que de vouloir en faire une règle de conduite. Si cet argument, tiré de l’unanimité même des journaux, peut être de quelque poids, alors il faut dire que le congrès a fait chose grandement blâmable, lorsqu’il adopta les 18 articles et appela le prince Léopold au trône ; car à cette époque, il n’y eut pas de journal en Belgique qui ne s’y montrât contraire. L’opposition du congrès avait l’opinion des journaux pour elle ; il n’y eut de toute part que prédictions sinistres et exagérations passionnées, comme aujourd’hui, et cependant ce fut alors que le congrès sauva le pays. Certes, les honorables signataires de la pétition ne feront pas un crime au congrès de ne pas avoir écouté alors la voix de la presse ; il en est plusieurs parmi eux qui, en leur qualité d’anciens membres du congrès, seraient les premiers capables.
La pétition dit plus loin : « Nous conserverons les sympathies des peuples, et même nous pourrons au besoin compter sur l’appui de nombreux volontaires de toutes les nations. » Ce sont là, messieurs, de idées qui appartiennent à une époque qui est déjà loin de nous ; et convenons avec l’honorable abbé de Foere (Lettre sur la situation politique du pays, 16 février 1839) que compter sur la sympathie active des peuples, c’est une « dangereuse utopie. »
Messieurs, je le répète, mes sympathies vont pour la résistance ; mais, tant que les systèmes qu’on présente ne seront, en dernière analyse, qu’un remède pire que le mal, la douleur dans l’âme, je croirai devoir me résigner à subir le traité. Je choisis le moindre mal, tout en protestant de toute mon énergie contre ces diplomates morceleurs qui se plaisent à déchirer les entrailles d’une nation royale. Je le subirai avec courage ; car, à l’heure qu’il est, le grand acte que nous allons poser exige un dévouement complet. Les beaux sentiments sont le partage des hommes de la résistance, mais la raison est pour nous, et ce n’est pas avec du sentiment seul qu’on sauve une nation. Quant à moi, je me mettrai au-dessus des invectives de la passion, de quelque part qu’elles viennent ; mon unique ambition, c’est d’être utile à mon pays.
M. Dumortier – Messieurs, ce qui se passe en ce moment dans cette enceinte est sans exemple dans l’histoire des peuples. C’est la première fois que l’on voit une assemblée législative, composée des élus d’une nation, délibérer froidement sur l’abandon d’une partie des siens et le morcellement du territoire, alors qu’elle n’y est nullement forcée, alors qu’elle n’y est pas contrainte par l’invasion étrangère. Après l’engagement pris envers nous dans le discours du trône de maintenir nos justes droits avec persévérance et courage, nous devions nous attendre à voir le gouvernement repousser, comme il le devait, les injustes propositions de la conférence. Mais non, les hommes profondément incapables qui nous gouvernent, après avoir perdu l’état par leur incurie, viennent aujourd’hui proposer à la chambre de sanctionner l’œuvre de leurs iniquités.
Quoique beaucoup de choses aient été
dites dans cette discussion, j’espère encore pouvoir vous présenter des
considérations nouvelles, et vous démontrer que vous ne pouvez accepter le
traité qui vous est présenté, et que ce traité entraînerait la ruine de
Mais je rencontrerai d’abord une objection d’une grande importance qui a été faite dans la séance d’hier.
Un honorable député d’Anvers a invoqué la foi des traités. Suivant lui, nous sommes liés par des engagements antérieurs ; nous ne pouvons, sous aucun prétexte, nous empêcher d’accepter le traité qui nous est proposé.
Messieurs, je suis aussi un de ceux qui ont foi dans les engagements internationaux et qui regardent leur accomplissement comme le premier devoir d’un peuple. Mais aussi les engagements internationaux doivent être et ont toujours été considérés comme des contrats synallagmatiques qui lient tous les contractants, quelle que soit leur puissance, quelle que soit leur grandeur.
Lorsqu’à la suite des malheureux
événements de 1831,
Les puissances, en déclarant que le
traité était final et irrévocable, prenaient en même temps l’engagement
vis-à-vis de nous de le faire exécuter immédiatement, quand même, disait la
note annexée au traité,
C’est, messieurs, principalement sur la foi de cet engagement, pour consolider sans retard le pays, pour obtenir la reconnaissance immédiate du roi Guillaume que nous adhérâmes alors au traité qui consacrait les plus grands sacrifices. S’il eût été possible de prévoir à cette époque que le traité ne serait accepté par le roi Guillaume que huit années plus tard ; s’il eût été possible de prévoir que la chambre serait de nouveau appelée à délibérer en 1839 sur un acte semblable, messieurs, pas un seul d’entre vous n’y eût donné son assentiment.
Le roi Guillaume a laissé passer
huit années sans adhérer au traité ; il a spéculé sur le temps, comme on
spécule en bourse ; le traité lui a été défavorable, et dès lors
D’un autre côté le gouvernement belge, après avoir adhéré au traité du 15 novembre, a montré sa haute bonne foi et sa grande probité ; il s’est toujours prêté à l’exécution intégrale du traité ; il a fait plus ; il a été jusqu’à en réclamer lui-même l’exécution de la part des puissances. Et, remarquez le bien, lorsque le traité était signé, la clause de garantie des puissances était insérée dans le traité, elle en formait le vingt-cinquième article.
Le gouvernement belge, d’accord avec
les chambres, considéra alors le traité solennel conclu entre les grandes
puissances et
Que firent les puissances dans ces circonstances ? Exécutèrent-elles le traité, comme elles en avaient pris l’engagement vis-à-vis de nous ? Forcèrent-elles le roi Guillaume à adhérer au traité ? Non, messieurs, elles s’y refusèrent, et toute la garantie d’exécution se borna à la prise de la citadelle d’Anvers.
La prise de la citadelle d’Anvers
est certainement un grand fait, un fait immense dans le cours de nos
négociations. Mais, messieurs, ce n’était pas là l’accomplissement des
engagements que les cinq puissances avaient pris envers nous. Les cinq
puissances, en effet, ne s’étaient pas engagées à faire exécuter une partie du
traité. Mais elles s’étaient engagées envers
Le jour où, se détachant des
engagements pris envers
Mais lorsque l’Europe refusa
d’exécuter les engagements qu’elle avait pris envers
Voilà, messieurs, comment les faits
se sont passés. Est-il juste dès lors de venir dire que nous sommes encore liés
par toutes les stipulations du traité du 15 novembre ? Je ne veux pas
prétendre que nous devions choisir certaines stipulations du traité, en
rejetant toutes les autres ; non, messieurs, je dis que l’ensemble du
traité avait cessé de lier
L’honorable préopinant auquel je réponds s’est encore gravement trompé lorsque, dans la même séance, il a déclaré à l’assemblée que pendant 8 ans les chambres et le gouvernement avaient constamment réclamé l’exécution du traité qui nous occupe ; c’est là, messieurs, une grave erreur : les chambres ont réclamé l’exécution du traité jusqu’à la convention du 21 mai.
Mais depuis le jour où la convention
du 21 mai a été conclue ; depuis le jour où l’on nous a fait espérer un meilleur
avenir, la chambre a pris à tâche de ne jamais parler dans ses traités du
traité du 15 novembre 1831. Il y avait dans ce silence solennel quelque chose
de très significatif ; c’est que l’assemblée avait décidément reconnu que
les puissances n’ayant pas exécuté leurs engagements,
Dans la partie du discours du trône
relative à la convention du 21 mai, le gouvernement avait déclaré aux chambres
que le traité du 15 novembre était resté intact. La chambre répondit-elle aussi
que le traité était resté intact ? nullement ; elle déclara qu’en
souscrivant la convention du 21 mai avec
C’est dans la séance du 24 juin 1833
et sur ma proposition que la chambre fit cette importante déclaration lors de
son adresse en réponse au discours du trône ; permettez-moi d’en rappeler
les expressions : « En souscrivant à la convention du 21 mai avec
Vous le voyez, messieurs, la chambre
déclarait que les puissances n’avaient pas le droit de se dégager de la
garantie d’exécution qu’elles avaient contractée envers nous, garantie qui
était la cause corrélative à nos engagements, et la chambre ajoutait cette
phrase bien remarquable et que vous ne pouvez trop peser : que s’il en
était autrement,
Mais est-il vrai de dire, comme
l’ont prétendu plusieurs honorables membres, que la convention du 21 mai avait
été une coercition permanente de la part des puissances, dans le but de contraindre
le roi Guillaume ? Messieurs, je conçois que ceux qui veulent trouver de
mauvaises raisons contre
Comment ! la convention du 21
mai a été une coercition pour obtenir le consentement du roi Guillaume, elle
qui n’avait pour but que de faire cesser les mesures de coercition entreprises
contre
Pour apprécier la portée de cette assertion, il suffit de se rappeler les causes qui ont amené la convention du 21 mai.
En 1832,
Comment donc peut-on prétendre que
cette convention, faite uniquement dans le but de cesser l’emploi des mesures
coercitives, soit un motif de coercition employé contre
Messieurs, je viens de vous démontrer que le système de notre adresse du 17 novembre n’a pas violé la foi jurée, puisque ce sont les cinq cours, qui, dès 1833, se sont déliées de leurs engagements envers nous.
Mais ce n’est pas la première fois
que des traités ont été signés, ratifiés, et n’ont cependant pas reçu
d’exécution. Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’histoire de
notre Belgique. On a beaucoup parlé d’un traité qui fut funeste à
Le traité de la barrière signé le 15
novembre 1715 avait, comme le traité du 15 novembre 1831, stipulé en faveur de
Eh bien, messieurs, les stipulations
relatives au territoire et à la rente furent-elles exécutées ? Cependant,
remarquez-le bien, c’était aussi un traité solennel auquel les plus grandes
puissances de l’Europe avaient pris part comme à celui des 24 articles, et qui
avait également pour but une reconnaissance, la reconnaissance du règne de la
branche d’Autriche sur nos provinces. Par l’article 17 de ce traité, 17
communes de
Vous trouvez donc dans notre histoire des pages qui vous démontrent qu’un traité peut être conclu, arrêté, ratifié, sans que la foi jurée en rende l’exécution obligatoire, quand les circonstances qui l’ont amené se modifient.
Je pourrais vous citer beaucoup
d’exemples semblables, mais je ne puis m’empêcher de vous rappeler un fait qui
offre beaucoup d’analogie avec la question du Luxembourg, celui relatif au
comté de Bourgogne sous François Ier. Vous le savez, messieurs, ce comté était
l’apanage de la maison de Bourgogne qui régnait sur nos provinces, comme le
Luxembourg était l’apanage de la maison d’Orange. Sous la faible Marie, le
duché fut pris par Louis XI, envahi en violation de toute espèce de droit.
Lorsqu’à la suite de la bataille de Pavie, Charles-Quint eut fait François Ier
prisonnier, il fut stipulé dans un traité que le duché de Bourgogne serait
rendu à l’Autriche. Mais les états de Blois refusèrent leur assentiment à
l’exécution de cette stipulation et déclarèrent qu’on ne pouvait pas les céder
sans l’assentiment des Bourguignons eux-mêmes. Ils furent consultés, et comme
ils avaient contracté avec
C’est qu’alors on avait le sentiment
de la dignité de l’homme ; on sentait qu’on ne pouvait pas vendre ses
semblables comme un vil troupeau ; on sentait qu’à moins d’y être
contraint par la force des armes, il fallait que les habitants d’un pays cédé
consentissent à la cession. C’était une maxime de droit public européen.
Aujourd’hui on veut arracher les habitants du Limbourg et du Luxembourg de la
famille belge, quoiqu’ils protestent de toutes leurs voix contre la séparation
de
Messieurs, prenez les exemples que j’ai fait passer sous vos yeux, et vous verrez d’après cela que, dans les circonstances où vous vous trouvez, vous pouvez repousser un acte tellement injuste que l’histoire ne présente rien de semblable.
Mais, dira-t-on, vous avez bien
accepté le traité du 15 novembre. Eh quoi ! ne voyez-vous pas la
différence immense qui existe entre notre position d’alors et notre position
actuelle ? En 1831,
Mais en 1839
En 1839, le temps a fait ce que les
meilleurs traités auraient pu faire ; il a consacré
Quant à la reconnaissance du roi Guillaume, on ne peut contester que du jour où le roi Guillaume a déclaré même conditionnellement qu’il était prêt à donner son adhésion au traité, il a reconnu implicitement le roi des Belges.
Voilà les faits.
Maintenant je vous le demande, n’y a-t-il pas une immense différence entre la position actuelle et la position de 1831 ?
En 1831, le traité nous était imposé ; aujourd’hui il ne nous est que proposé.
En 1831, la force était contre nous,
aujourd’hui la force est avec nous. En 1831, notre Roi n’était pas
reconnu : dans aucun protocole il n’était fait mention de notre Roi ;
la royauté belge était envisagée comme un fait et non comme un droit. Dans les
protocoles, jamais on ne disait autrement que le « gouvernement
belge » et le « plénipotentiaire belge ». Aujourd’hui la
reconnaissance de
Vous voyez donc que les positions sont complètement différentes.
C’est surtout dans cet état de choses que nous avions lieu d’espérer que le ministère serait resté fidèle aux engagements qu’il avait pris dans cette enceinte, en disant que nos droits auraient été défendus avec persévérance et courage et en votant avec nous pour l’adresse du mois de novembre ; nous avions lieu d’espérer qu’il se serait conduit « avec persévérance et courage », en un mot qu’il aurait repoussé, comme il le devait, les propositions qui nous étaient faites.
Mais ces propositions, il importe que nous les examinions ; il importe surtout que nous examinions quelle a été la conduite du ministère dans la marche des événements. C’est en envisageant les fautes commises que nous pourrons mieux apprécier ce qui nous reste à faire, et voir quelle marche il convient d’imprimer aux négociations. Ne croyez pas que dans mes paroles il n’y ait rien de personnel contre vous qui êtes au ministère ; vos personnes me sont totalement indifférentes ; mais quand je vois que vous êtes cause du malheur du pays, que, par votre incurie et votre faiblesse, vous avez entraîné la patrie dans une aussi cruelle position, je croirais manquer à mes devoirs si je n’examinais pas franchement les fautes immenses que vous avez commises.
En juillet dernier, l’Europe entière était pour nous : j’entends parler de l’Europe constitutionnelle, celle principalement qui nous a toujours soutenus ; l’Allemagne même, éclairée sur la justice de notre cause, avait reconnu qu’il fallait faire droit à nos justes demandes. En juillet dernier, à la suite de la mission si dignement remplie à Londres par l’honorable prince de Ligne, notre cause avait reçu un nouveau degré de splendeur.
Nous avions pour nous le bon droit,
la justice, l’opinion publique à l’étranger, l’unanimité du pays à
l’intérieur ; nous avions pour nous la possession, et vous savez que dans
toutes les questions de contrats la possession vaut titre ;
Mais ce n’est pas tout, nous avions
de plus pour nous le discrédit de notre ennemi ; car du jour où il fut
démontré que
Est-il possible, grands dieux, ! qu’alors que nous avions pour nous la justice, le bon droit, la possession et le discrédit de notre ennemi, nous avons perdu notre cause ! Ah ! qu’il a fallu commettre de fautes pour avoir ainsi perdu la plus belle, la plus sainte des causes ! J’ai vu, messieurs, j’ai vu plus de trahison, plus de perfidie, mais je n’ai jamais vu plus d’incapacité.
Comment, en effet, les négociations ont-elles été conduites ? ouvrez le rapport du ministère des affaires étrangères. Qu’y verrez-vous ? Vous y verrez l’absence la plus complète de sagacité et de perspicacité. Vous y verrez que le gouvernement a toujours été en arrière d’une pensée d’une journée. La mesure qu’il prenait un jour aurait pu nous sauver la veille, mais jamais il n’a su poser un acte qui puisse nous sauver le lendemain.
Quand il a été question de négocier,
le ministre des affaires étrangères a cru devoir se bercer de l’espoir de
conserver un statu quo indéfini, espoir chimérique ; car du jour où
Les négociations commencent ; on introduit la question de la dette. Nos commissaires à Londres cherchent en vain, c’est le ministre même qui nous l’apprend afin de pouvoir les rectifier, les données qui avaient déterminé la fixation du chiffre de 3 millions de florins réduits par la conférence.
On introduit la question de la
dette ; et l’on avait raison ; car la question de la dette était le
triomphe de la cause belge, et devait nous mener à la solution des autres
difficultés. On introduit la question de la dette ; mais on omet de faire
valoir tous les droits de
Mais ce n’est pas tout. Il existait dans le traité une foule de stipulations qui auraient pu embarrasser la conférence le jour où il aurait fallu l’exécuter. Eh bien, le gouvernement n’a pas su profiter de cela pour enrayer les négociations le jour où elles nous devenaient hostiles. La question de l’Escaut avait donné lieu à des négociations qui avaient duré deux années, et au bout de deux ans rien n’était terminé. Dans le rapport du ministre des affaires étrangères, il est dit qu’il paraît que les plénipotentiaires belges avaient consenti au droit de tonnage que le nouveau projet de traité établit sur l’Escaut. J’ai parcouru le rapport fait par le général Goblet le 4 octobre 1833, quand les secondes négociations étaient terminées, et je n’y ai rien vu de semblable. Au contraire, j’y ai vu que l’article relatif à l’Escaut n’avait pas même été paraphé. Eh bien, aujourd’hui, on vous propose sur l’Escaut un droit de tonnage qui ne paraît pas même avoir été discuté.
Messieurs, la première chose qu’il
fallait faire dans l’intérêt de
Ce qui importait avant tout, c’était
d’empêcher la conférence de reprendre les négociations au point où elles
étaient restées ; car alors la question du territoire restait ; en
reprenant au contraire les négociations au point où on les avait laissées en
1831, la question du territoire était perdue pour
Il fallait rappeler le plénipotentiaire qui était chargé des négociations en 1831, et au besoin, désavouer ses actes. De là dépendait en grande partie l’issue des négociations. C’est ce qu’avait déjà fait le gouvernement, lorsqu’à la suite de l’adresse du mois de mai 1831, un système politique nouveau fut adopté. A cette époque, le gouvernement n’hésita pas à rappeler son plénipotentiaire ; et même à plusieurs reprises, il désavoua ses actes. Ce rappel, ce désaveu n’a rien de déshonorant dans l’ordre de la diplomatie. Mais lorsque le gouvernement change de système, lorsqu’il veut introduire un système nouveau dans les négociations, il ne peut confier au défenseur du système précédent la défense du système nouveau.
Alors, messieurs, il est trop facile de mettre le représentant d’une nation en opposition avec lui-même, et d’ailleurs un plénipotentiaire ne peut pas plaider le pour et le contre, dire aujourd’hui que ce qu’il soutenait être blanc est complètement noir. Une cause confiée à de pareilles mains est nécessairement une cause perdue.
Eh bien, messieurs, ce qu’il fallait faire à cette époque, ne fut point fait ; il fallait rappeler le plénipotentiaire belge qui avait contre-signé avec le plénipotentiaire hollandais les dispositions du traité des 24 articles ; eh bien, on laissa à ce plénipotentiaire seul le soin de conduire les nouvelles négociations. D’un autre côté, nous savons que ce plénipotentiaire était fortement occupé pour lui-même, qu’il avait d’autres intérêts à défendre que les intérêts du pays. (Rires.) Ce que je dis, messieurs, n’est point pour faire rire, c’est seulement pour faire comprendre les fautes que le gouvernement a commises. Lorsque la cause du pays repose tout entière sur les résolutions d’une conférence, évidemment la chose vaut bien que ceux qui sont chargés de la défense de nos droits s’occupent exclusivement de cette défense.
Le gouvernement hollandais ne s’est pas conduit de cette manière, il ne s’est pas contenté d’envoyer à Londres un seul plénipotentiaire ; dans tout le cours des négociations, il a été représenté au moins par deux plénipotentiaires, parce qu’il comprenait que ce n’est pas trop de plusieurs personnes pour défendre des intérêts aussi importants. Eh bien, nous avons, nous, confié la défense de nos droits à un seul plénipotentiaire, et vous savez, messieurs, combien de distractions ce plénipotentiaire devait avoir dans les circonstances particulières où il se trouvait.
Plus tard on a envoyé un autre plénipotentiaire à Londres pour défendre nos droits sur les territoires contestés : eh bien, messieurs, le choix n’a pas été plus heureux que tout ce qui avait été fait précédemment, si nous en jugeons par un écrit qui a été récemment publié par ce plénipotentiaire. Cet homme pour lequel j’ai toujours eu une grande vénération, dont j’ai toujours su apprécier les services, cet homme n’a pas cependant pu défendre convenablement des droits qui, à ses yeux, n’étaient point fondés.
Ainsi, messieurs, quand les ministres viennent nous dire que tout a été tenté, ils disent une chose absolument contraire à la vérité. Le ministère a-t-il réclamé notre part de la flotte hollandaise ? A-t-il réclamé notre part de l’arsenal d’Anvers et de la flotte française ? A-t-il réclamé notre part des colonies ? A-t-il réclamé les droits du pays dans la question de l’Escaut ? A-t-il réclamé, dans leur intégrité, les droits du pays dans la question de la dette ? A-t-il introduit en temps la question des territoires ? Evidemment, rien de tout cela n’a été fait.
Que diriez-vous, messieurs, d’une
personne qui, se trouvant en présence d’un tribunal, viendrait réclamer sur la
question principale lorsque le procès serait décidé, lorsque le jugement serait
prononcé ? Vous diriez évidemment que cette personne est atteinte
d’imbécillité et qu’il faut la mettre aux petites-maisons. Eh bien, messieurs,
c’est précisément là ce qu’a fait le gouvernement ; lorsqu’il est venu
réclamer la conservation du territoire en notre possession après que la
question était décidée, après que le protocole était signé par les cinq
puissances. Et après cela il viendra dire que tout a été fait ! Non,
messieurs, rien n’a été fait de ce qu’il fallait faire et c’est ce qui a perdu
la cause de
M. le ministre des travaux publics a déclaré qu’à ses yeux la question du Luxembourg n’a jamais eu de chances d’être résolue en notre faveur, que la solution donnée à cette question par le traité des 24 articles était nécessairement inévitable.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb) –
Si
M.
Dumortier –
J’ai vu dans le temps une proclamation adressée aux habitants du Luxembourg par
un certain M Nothomb (ce n’est probablement pas le même qui est en ce moment
ministre des travaux publics.) Cette proclamation disait qu’alors même qu’elle
serait abandonnée par toutes les puissances y compris
Rappelez-vous, messieurs, ce qui
s’est passé en 1831, immédiatement après la révolution : lorsque la
révolution fut un fait accompli, les cinq puissances se réunirent à Londres et
arrêtèrent un traité en 12 articles, qui devait servir de base aux arrangements
territoriaux et autres à intervenir entre
Voilà, messieurs, comment les choses
se passaient peu après la révolution ; alors on comprenait la dignité
nationale, alors on avait de l’énergie, et les grandes puissances reculaient
devant les protestations du congrès. C’est dans ces circonstances que M.
Nothomb alors secrétaire général du comité diplomatique déclara aux
Luxembourgeois que jamais
Non, messieurs, la question du
Limbourg et du Luxembourg n’est pas irrévocablement décidée ; elle ne
l’est pas plus aujourd’hui qu’en 1831, lorsque le congrès protesta contre le
morcellement du pays et amena ainsi la conférence à déclarer qu’elle
emploierait ses bons offices pour procurer à
Oui, messieurs, voilà ce que la
conférence déclara dans son protocole n°24, après que le congrès national eut
protesté qu’il ne consentirait jamais au morcellement de
On a prétendu qu’il faudrait déclarer la guerre à la confédération germanique, qu’il y a dans la question hollandaise une question allemande que nous ne pouvons pas empiéter sur la souveraineté d’un état voisin : c’est là, messieurs, bien mal exposer la question.
La question du Luxembourg se réduit, à mon avis, à des termes très simples ; elle renferme deux questions distinctes, l’une de souveraineté, l’autre de suzeraineté. La confédération germanique n’a aucun droit de souveraineté sur le Luxembourg, pas plus que sur les autres états dont elle se compose ; le roi de Prusse est souverain en Autriche, le roi de Bavière est souverain en Bavière, le grand-duc de Luxembourg est souverain dans le Luxembourg ; le lien qui réunit les divers états de la confédération germanique n’est pas un lien de souveraineté, c’est un lien de suzeraineté.
Eh bien,
Il ne s’agit donc que de la
souveraineté, et la question se réduit à savoir qui règnera sur le Luxemburg,
de Guillaume ou de Léopold. Eh bien, messieurs, nous avons des exemples qui
prouvent que
Mais, messieurs, est-ce avoir défendu convenablement nos droits que d’avoir proposé à la conférence la cession des territoires, alors que le traité était signé, alors que tout était fait ?
C’est cependant, messieurs, ce qui nous a amené la position dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, et le ministère, après avoir manqué de capacité dans l’ordre des négociations, a manqué complètement de cœur le jour où il fallait résister, et maintenant, pour se justifier, il vient vous dire que nous n’avons jamais eu de chances de conserve le Limbourg et le Luxembourg ; on a blâmé la conduite de la commission d’adresse ; je tiens à m’en expliquer. Dans le sein de la commission d’adresse dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur, nous avons soumis notre projet à M. le ministre des affaires étrangères, et je dois cette déclaration à l’assemblée, afin qu’elle sache que le gouvernement a pris part à cette position de la représentation nationale. Vous le savez, messieurs, il est contraire à tous les usages que l’on communique jamais à un gouvernement un projet d’adresse, quel qu’il soit, puisque l’adresse est faite pour examiner la conduite des ministres ; mais, messieurs, les circonstances étaient graves, il fallait de l’union, beaucoup d’union, nous avions confiance (confiance qui a été amèrement déçue), nous avions confiance dans les hommes qui nous gouvernaient ; eh bien, la commission d’adresse n’hésita pas un instant à communiquer le projet d’adresse à M. le ministre des affaires étrangères ; elle en discuta les articles en sa présence, et aucun paragraphe ne fut admis sans son adhésion.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande la parole.
M. Dumortier – Voilà comment les faits se sont passés ; nous avons dans cette circonstance fait la preuve de la plus bonne foi, de la plus grande loyauté envers le gouvernement ; il pouvait donc comprendre la portée de l’adresse ; il l’a votée, et si, dès cette époque, il savait réellement que nous n’avions aucune chance de conserver le territoire contesté, et que la question était tranchée sans retour, il a forfait à ses devoirs, en ne nous le déclarant pas, comme il a trahi la patrie en conservant la direction des affaires, alors qu’il n’avait pas foi dans notre cause et qu’il ne votait l’adresse avec nous que pour conserver le portefeuille.
Maintenant, messieurs, la conférence a arrêté un nouveau traité des 24 articles, elle vous donne l’option entre ce traité et le premier traité que vous avez voté en 1831.
Il importe, messieurs, de comparer les deux traités ; il importe de voir si le traité nouveau offre en tout ou en partie les rectifications que nous étions en droit d’attendre et de la marche des négociations, et du temps qui s’était écoulé depuis le premier traité.
Messieurs, vous le savez, trois questions principales sont soulevées par le traité qui nous occupe : la question des territoires, la question de la dette, la question de l’Escaut.
Dans la question des territoires,
rien n’est modifié, toutes les choses sont restées dans le même état. Dans la
question de la dette, on vous accorde une réduction de 3,400,000 florins, mais
aussi on se tait sur le compte du syndicat et de ses possessions en Belgique,
sur le compte des los-renten, sur le compte de la banque, les arriérés
disparaissent, mais tout à l’heure nous verrons si
Je vous ai dit que les stipulations du territoire étaient restée les mêmes. Examinons donc ce qui, dans le nouveau traité, consacre les modifications les plus importantes : je veux parler de la question de la dette.
La dette, qui, par le premier
traité, avait été fixé au chiffre de 8,400,000 florins, se trouve maintenant
réduite à 5,000,000 florins. Mais, en revanche, il n’est pas tenu compte du
syndicat d’amortissement ; il n’est plus tenu compte de ce qui vous
revenait de divers chefs. D’abord le gouvernement se prévaut d’avoir obtenu
pour
Ainsi, dès l’époque du 11 juin 1832, la conférence avait reconnu que la question des arrérages était une question tranchée. Le gouvernement n’a donc rien fait sous ce rapport : la question des arrérages est une question résolue depuis plusieurs années.
Je reviens maintenant à la question
de la modification du chiffre. La dette, il est vrai, est réduite au chiffre de
5 millions ; mais d’une autre part, on vous enlève la moitié du boni dans
le partage du syndicat ; or, messieurs, remarquez bien que les trois
emprunts, dont la moitié forme précisément la réduction qu’on vous oppose, sont
ceux qui se trouvaient dans le syndicat, et que, par le premier traité, vous
deviez avoir la moitié de leur valeur représentative dans le boni du syndicat.
Si donc la question du syndicat a été bien posée, car je mets cette condition
comme condition absolue, je ne doute pas que
Vous le savez, messieurs, le
syndicat avait des possessions considérables en Belgique, il avait des domaines
qui lui avaient été cédés ; il avait une redevance annuelle d’un million
de francs que la banque devait lui payer ; il avait les fonds de
l’industrie, il avait encore d’autres fonds de divers genres. Eh bien, rien de
cela n’est établi dans le traité. A la vérité, le gouvernement nous dit que
nous pouvons être dans une parfaite quiétude, que tous ces fonds resteront à
Mais quand nous nous trouvons en
présence d’une puissance aussi chicanière que
Mais ce n’est pas tout ; il existe en Belgique un grand-livre de la dette publique qui est connu sous le nom de By Boek et qui s’élève au capital de 25 millions. Dans le rapport de la section centrale, l’on vous dit que les sommes composant ce By Boek resteront en Belgique, et qu’elles entreront en dégrèvement de la dette. Cela est possible, mais encore une fois, le texte du traité n’est pas favorable à cette supposition. Que portait le premier traité ? Lisez son article 13 :
« A partir du 1er
janvier 1832,
Vous le voyez, messieurs, les
capitaux de la partie de la dette que l’article 13 nous imposait pouvaient être
transférés, soit du débet du grand-livre à Amsterdam, soit du débet du trésor
général du royaume-uni des Pays-Bas, sur le débet du grand-livre de
Il y a ici un très léger changement
de rédaction, on a supprimé le mot « ou », et on l’a remplacé par le
mot « et », changement plus important qu’on ne pourrait le croire,
puisqu’il peut avoir pour résultat de faire mettre à la charge de
Et encore une fois, quand vous aurez
affaire à une puissance chicanière comme
M. d’Huart – C’est une erreur !
M. Dumortier – Je le désire, mais, dans mon opinion, ce n’est pas ainsi que les choses auraient dû être traitées. Il fallait de la clarté dans cette affaire, je n’y vois que de l’obscurité.
J’entends dire autour de moi que
j’ai tort de faire cette observation. Qu’on ne s’y trompe pas,
Je viens à la grande question de l’Escaut.
Le ministre des travaux publics, à
la séance d’hier, en se prévalant des grands services que le gouvernement a
rendus, services immenses, vous en conviendrez, le ministre, dis-je, a déclaré
que le gouvernement avait maintenu quant à l’Escaut les engagements avantageux
qui existaient d’abord. Je lui répondrai que c’est absolument l’inverse, et que
la question de l’Escaut est par le nouveau traité entièrement perdue pour
En effet, que portait le traité de 1831 ? D’abord, pour ce qui concerne la navigation des fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais, le traité appliquait toutes les dispositions des articles 108 à 117 de l’acte général du congrès de Vienne. C’était là, vous le voyez, une règle générale, et cette règle était celle précédemment écrite dans le traité des 18 articles. A la suite de cette disposition générale du traité du 15 novembre venait une disposition spéciale quant à l’Escaut ; que portait-elle ?
« En ce qui concerne spécialement la navigation de l’Escaut, il sera convenu que le pilotage et le balisage, ainsi que la conservation des passes de l’Escaut en aval d’Anvers, seront soumis à une surveillance commune ; que cette surveillance commune sera exercée par des commissaires nommés à cet effet de part et d’autre, que des droits de pilotage modérés seront fixés d’un commun accord, et que ces droits seront les mêmes pour le commerce hollandais et pour le commerce belge. »
Vous le voyez, il n’était aucunement question d’établi aucun droit de péage sur l’Escaut ; un seul droit pouvait y être établi., c’était un droit de pilotage, et encore ce droit devait-il être modéré. Quant au droit de péage, il était formellement écarté par la disposition.
Maintenant, après avoir ainsi
stipulé pour ce qui concerne les fleuves et rivières, qui séparent et
traversent
« Il est également convenu que la navigation des eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin, pour arriver d’Anvers au Rhin et vice versa, restera réciproquement libre, et qu’elle ne sera assujettie qu’à des péages modérés qui seront provisoirement les mêmes pour le commerce des deux pays. »
Ainsi le traité du 15 novembre, après avoir stipulé de simples droits de pilotage sur l’Escaut, établit un droit de péage sur les eaux intérieures qui sont exclusivement hollandaises.
Vous le savez, l’acte général du congrès a établi que la navigation de tous les fleuves et rivières serait libre, sauf des droits de péage, avec cette stipulation formelle, dit ce traité, que dans aucun cas ces droits n’auraient pu être plus élevés que maintenant. Or, c’est un fait qu’on ne peut pas contester, qu’à l’époque du traité de Vienne il n’existait aucun droit sur le Hondt depuis que l’Escaut avait été ouvert en vertu du traité du 27 floréal an III, qui avait déclaré que la navigation de l’Escaut était libre ; la liberté du fleuve une fois proclamée, il n’y avait pas eu de droit possible sur son embouchure principale, d’après le texte de l’acte général du congrès de Vienne ; mais, pour éviter tout doute, toute contestation à ce sujet, une disposition spéciale avait été introduite dans le traité du 15 novembre, disposition qui n’existait pas dans les 18 articles, disposition qui n’admettait sur l’Escaut que des droits de pilotage modérés.
Ce qui prouve que la conférence
voulait rendre l’Escaut libre, c’est que, dans le même moment, elle ajoute dans
le traité du 15 novembre une disposition spéciale pour établir la
co-souveraineté de l’Escaut, et qui ne se trouvait pas dans les 18
articles ; elle établit en même temps à la charge de
Mais revenons au traité du 15 novembre.
L’article 9, après avoir maintenu la
libre navigation des fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent
à la fois
« En attendant et jusqu’à ce que ledit règlement soit arrêté, dit l’article 9, la navigation des fleuves et rivières navigables ci-dessus mentionnés restera libre au commerce des deux pays qui adopterait provisoirement à cet égard les tarifs de la convention signée le 31 mars 1831 à Mayence, pour la libre navigation du Rhin, ainsi que les autres dispositions de cette convention, en autant qu’elles pourront s’appliquer aux fleuves et rivières navigables qui séparent et traversent à la fois le territoire hollandais et le territoire belge. »
Ainsi, en attendant le règlement à faire conformément au paragraphe 4, la conférence appliquait aux fleuves et rivières le tarif de la convention de Mayence ; mais il va de soi qu’une mesure provisoire ne peut s’appliquer que là où une mesure définitive doit intervenir. Or, comme d’après le traité il ne devait pas y avoir de droits de péage sur l’Escaut, on ne devait pas non plus en mettre provisoirement. Le provisoire devait suivre les conséquences de la règle définitive.
J’admettrai même que provisoirement
Comment est-il possible qu’une
disposition aussi favorable aux intérêts de
Ce que je ne puis concevoir, c’est que le gouvernement n’ait pas compris la portée de l’article 9. Il aurait dû déclarer qu’il ne consentirait à aucun changement à cet article, d’autant plus qu’en 1833 l’article 9 n’avait pas été paraphé, et qu’ainsi le gouvernement belge n’était aucunement lié par cette stipulation.
Messieurs, je viens de passer en
revue les grandes bases du traité. J’ai démontré que la question territoriale
était restée la même et que dans la question de la dette, les améliorations
obtenues auraient pu trouver une compensation ou à peu près dans la liquidation
du syndicat, si les comptes avaient été posés par des hommes entendus et
capables. Et quant à la question de l’Escaut, les intérêts de
Eh bien, que résulte-t-il de cette triple démonstration ? Vous le comprenez d’avance, il en résulte que le traité qui nous est proposé maintenant est plus onéreux que celui du 15 novembre, sauf la question des arriérés, qui, ainsi que je l’ai dit, était depuis longtemps résolue à notre avantage.
En outre il ne fait pas disparaître des dispositions à contestations incessantes qui se trouvaient dans l’ancien traité, et qui étaient de nature à amener continuellement de nouvelles négociations.
Maintenant quelle position le
nouveau traité fait-il à
A
A
M. Rogier – Je demande la parole.
M.
Dumortier –
Vous le voyez, le traité est tout à l’avantage de
Maintenant, je vous le demande, la
reconnaissance équivaut-elle à un si énorme sacrifice ? pour moi, je ne le
crois pas, surtout quand je réfléchis que c’est du bout des lèvres que le roi
Guillaume nous reconnaîtra. Parcourez les journaux dévoués à la maison déchue,
vous verrez avec quelle complaisance ils s’étendent sur le bonheur que vont
avoir les parties cédées de se retrouver sous le sceptre de leur bon père, de
leur bon maître. Elles vont apprendre, disent-ils, à connaître les douceurs du
règne de Guillaume ; et bientôt
C’est ainsi que nous avons vu naguère le roi Guillaume supprimer la mouture, redresser les griefs des catholiques ; mais ces suspensions n’étaient que momentanément, que transitoires ; on ne dissimulait pas la pensée de tourmenter un jour les catholiques, de rétablir la mouture, et on agissait en secret dans ce sens.
Ce qui importe au roi Guillaume, c’est que le principe d’une restauration soit proclamé à la face de l’Europe. La restauration partielle opérée, il espère toujours une restauration générale. Le jour où une révolution transige, elle se suicide. C’est pour suicider la révolution, qu’on exige de vous d’aussi immenses sacrifices.
Ecoutez les orateurs qui parlent en
faveur du projet du gouvernement. De toutes parts, vous les entendez
s’écrier ;: « Avant tout, il faut que
Mais, puisqu’on a prétendu que le
traité devait définitivement constituer
Que stipule le traité relativement
au syndicat ? rien, absolument rien. Cependant, le syndicat était en
possession des forêts de
Que stipule le traité pour le fonds
de l’industrie ? rien, absolument rien. Pour les domaines vendus ?
rien, exactement rien. Pour le fonds spécial d’avances à diverses
industries ? encore exactement rien. Pour le fonds d’agriculture, pour le
solde de la société générale ? encore exactement rien. Vous voyez que ce traité
par lequel on prétend constituer définitivement
Un membre – Non ; le roi Guillaume viendra à Bruxelles.
M. Dumortier – Eh bien, moi, je ne veux pas que le roi Guillaume vienne s’asseoir sur les bancs de la cour, pas plus d’ailleurs à Bruxelles.
Par l’article 13 des statuts de la banque, il est dit qu’en 1849 cette société versera dans la caisse de l’état, pour prix intégral des domaines et pour en tenir lieu, une somme de vingt millions de florins ou 42 millions de francs.
Eh bien ! quel est l’état
auquel la banque paiera cette somme ? Sera-ce à
L’article 22 du traité établit une source de nouvelles liquidations à intervenir, sur le fonds des veuves, les « leges », la caisse des retraites civiles et militaires, les cautionnements, les dépôts judiciaires, les consignations et jusqu’aux rentes dites françaises. Voilà donc de nouvelles matières à contestation. Est-ce là constituer l’état ?
Je vous ai exposé combien sont graves les dispositions relatives au By Boek. Il n’y a encore rien de stipulé sur ce point qui est aussi matière à contestation.
Ce n’est pas tout. En Belgique il y a plusieurs domaines qui sont des sujets à contestation. Il y a les palais du prince héréditaire d’Orange à Bruxelles et à Tervueren. J’ai bien vu dans une note que le gouvernement désirait garder les propriétés payées avec les deniers de l’état. Mais c’est là une prétention du gouvernement. Où en est-il question dans le traité ? Nulle part. Je vous le demande, pouvez-vous dire que vous allez faire du définitif lorsque le traité ne contient aucune stipulation sur ces points importants et que tout est encore à discuter ?
En résumé, il n’y a rien de stipulé, tout est dans le doute, tout est dans le vague, et vous dites que ce traité vous constitue.
La question de l’Escaut est-elle résolue ? Evidemment non. Le gouvernement dit qu’il faut un traité nouveau pour l’Escaut. Ainsi, pour l’Escaut, rien de stipulé ; tout est dans le provisoire.
Sur la question des territoires chacun de vous sait qu’il n’y a rien de définitif, puisque le roi Guillaume conserve l’esprit de retour en Belgique. Tous les orateurs qui ont parlé en faveur du projet du gouvernement ont dit qu’ils ne croyaient pas abandonner pour toujours les populations du Limbourg et du Luxembourg ; d’autre part le roi Guillaume ne considérera la mise en possession de ces territoires comme un acheminement vers son trône de Belgique. Ainsi c’est encore du provisoire que de part et d’autre nous entendons faire.
Il y a plus : originairement,
dans le traité à signer par
Je vous ai exposé, messieurs, que
Nous avons trop méconnu les enseignements de l’histoire ; cependant, sans sortir de nos annales, nous avions de grandes pages à consulter, mais on n’y a point fait attention.
Maintenant, messieurs, quelles
seront les conséquences du traité qu’on nous propose ? la première de ces
conséquences sera évidemment la décadence de l’état, car lorsqu’une nation
quelconque laisse morceler son territoire, elle prépare nécessairement sa
chute ; le jour où le premier démembrement de
Lorsque vous isolez
Déjà vous avez entendu les orateurs
qui défendent le morcellement, préconiser le pouvoir fort dont nous avons déjà
éprouvé les douceurs ; le pouvoir fort traînant à sa suite les
destitutions et les pillages ; eh bien, ce pouvoir on cherchera à le
rétablir malgré les répugnances du pays, et dès lors l’anarchie sera
inévitable. Vous aurez donc l’affaiblissement à l’étranger, l’anarchie à
l’intérieur ; vous aurez en outre établi la division entre les diverses
provinces de
J’avais toujours pensé, messieurs,
qu’il existait chez nous un lien sacré entre tous les citoyens, j’avais
toujours pensé que ce n’était point en vain qu’on avait inscrit dans la
constitution cette devise : « L’union fait la force », mais
lorsque je vois aujourd’hui des députés de toutes les provinces consentir à la
cession des malheureux habitants du Limbourg et du Luxembourg, alors que dans
mon opinion il n’y aurait pas assez de voix pour flétrir un traité qui nous
enlevât ne fût-ce que quelques villages d’une partie quelconque du pays ;
lorsque l’union n’existe plus parmi nous, lorsque nous ne défendons plus
Partisan sincère et désintéressé de
la monarchie, dans laquelle je vois l’avenir du pays, je ne puis voir sans une
profonde douleur la conduite du ministère alors qu’une bouche auguste a
prononcé dans cette enceinte des paroles qui ont eu un retentissement si
magique dans tous les cœurs. Un honorable député de Bruges a eu soin de nous
rappeler à plusieurs reprises que les paroles du discours du trône sont des
paroles ministérielles et rien de plus, nous sommes tous convaincus de cette
vérité, messieurs, mais pour le peuple ce n’est pas la même chose ; le
peuple voit dans les paroles du discours du trône un engagement pris envers
lui, et aujourd’hui le ministère vient nous proposer de rompre cet
engagement ! Je le dis avec une profonde douleur, messieurs, vous
sacrifiez l’élément monarchique qui devait sauver l’état dans toutes les
circonstances pénibles où il peut se trouver. Vous qui préconisez le traité, et
qui vous dites en même temps les défenseurs du principe monarchique,
voulez-vous qu’on vienne dire plus tard :
Voilà, messieurs, ce que je ne veux pas qu’on puisse dire : je veux que la monarchie reste pure d’une pareille tache ; je veux conserver la monarchie, je veux la constituer sur des bases solides parce que, je le répète, elle doit nous sauver de tous les périls auxquels nous pourrions nous trouver exposés, parce qu’en elle est l’avenir du pays.
Vous avez vu, messieurs, quels ont été, dans ces graves circonstances, les efforts tentés par l’industrie pour faire accepter le traité qui nous est proposé. Industriel moi-même, je blâme hautement l’industrie de cette intervention dans les affaires du pays ; l’industrie doit rester passive, elle ne doit pas prendre part à la solution des questions d’intérêt national ; l’industrie et la bourse doivent subir les nécessités politiques et non pas les créer (Marques d’approbation.) Le jour où l’industrie et la bourse pourront venir siéger dans les conseils de la nation et chercher à renverser l’état pour ¼ pour cent d’agio, ce jour-là la patrie sera à la merci de tous ses ennemis, puisque ceux-ci pourront toujours, lorsqu’ils le voudront, exciter des crises financières, dans lesquelles on trouvera des motifs pour céder à toutes les exigences de l’étranger.
Une autre chose qui m’afflige
extrêmement, c’est le système qui doit découler du principe posé par les
partisans du projet, que nous devons nous-mêmes sacrifier
Vous avez, messieurs, dans votre constitution une liberté qui excite au plus haut degré l’attention de l’Europe, je veux parler de la liberté religieuse.
En 1830, la question belge était une
question bien minime ; aujourd’hui elle est immense ; en 1830
On vous a dit : Hâtez-vous,
Comme vous avez pu le voir,
messieurs, deux systèmes contraires sont révélés à la tribune française, lors
de la discussion de la dernière adresse. L’un de ces systèmes, voulait
absolument s’écarter de la politique anglaise, pour se rattacher à la politique
russe ; l’autre voulait le maintien de l’alliance anglaise. Eh bien,
qu’est-il arrivé ? Un appel a été fait au peuple français, et quel a été
le résultat de cet appel ? c’est que le système politique russe a été
écarté. Ainsi
L’on vous a dit : Constituez-vous,
car
Eh ! mon Dieu, Napoléon a été
reconnu par toute l’Europe, et l’Europe ensuite l’a renversé. Vraiment,
n’est-ce pas le comble de la déraison que de venir, pour une reconnaissance
chimérique, nous proposer d’affaiblir notre nationalité, vous qui prétendez que
dans quelques années nous aurons besoin d’une nationalité forte pour résister
au choix de l’étranger. Vous parlez d’étourderie, mais est-il possible
d’imaginer d’étourderie comparable à un pareil système qui tend à dire à
Vous le savez tous, messieurs, la
seule force que possèdent les petits états est la force morale. Ce n’est pas
par le nombre d’hommes qu’ils peuvent mettre sous les drapeaux que les petits
états peuvent lutter contre les grands ; ils n’ont d’appui que dans leur
force morale, dans leur position et leurs alliances. Or, le traité qu’on vous
propose, après avoir tué votre force morale, a pour résultat de vous dessaisir
à jamais de l’Allemagne ; pour mon compte, je regarde ce résultat comme
calamiteux pour
Beaucoup de personnes ont cru que
c’était une charge pour
Je le répète, messieurs, j’apprécie
avec un sentiment d’une haute reconnaissance l’alliance française, les services
qu’elle nous a rendus ne doivent jamais sortir de notre mémoire ; mais
j’apprécie aussi, comme ils le méritent, les grands services que l’Allemagne
nous a rendus et qu’elle peut encore nous rendre. Dans la position où je trouve
Ainsi le traité, s’il est adopté,
aura pour conséquence de faire disparaître à toujours pour nous cette grande
chance d’existence nationale, d’affaiblir notre nationalité, de compromettre
notre constitution et notre royauté. 1830, a-t-on dit,
Voilà quels doivent être, dans mon
opinion, les résultats de ce système qui aura préparé les voies à la
restauration de la domination de la maison d’Orange-Nassau sur nos provinces.
Du jour où vous aurez donné à
Mais, n’avons-nous donc pas de
chances pour conserver la position que nous avions acquises ? ne
pouvons-nous donc pas écarter le traité qu’on nous a présenté ? Je ne
saurais le croire, messieurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous en dire les
motifs. Les traités sont certainement des actes sacrés ; mais lorsque les
engagements n’ont pas été remplis de part et d’autre, ces traités ont toujours
subi des modifications. N’avons-nous pas pour exemple les traités relatifs à
notre histoire, et qui prouvent que notre politique mieux comprise aurait pu
amener des résultats infiniment meilleurs ? Or, si maintenant vous
repoussez le traité, vous arriverez à ce résultat : que la conférence
devra faire des concessions à
Voilà, messieurs, les faits dans leur vérité native. Vous le voyez, messieurs, celui qui a résisté à la diplomatie a toujours triomphé de la conférence, celui qui s’est montré ferme et inébranlable a toujours vu mollir devant lui la diplomatie.
Et cela devait être ainsi, car la conférence n’est qu’un moyen d’abattre un faible au profit des forts ; la conférence n’est qu’un moyen d’éviter la guerre que tout le monde redoute, et celui qui dit : La guerre plutôt que de succomber, est toujours sûr de triompher
Nous avons donc de grandes chances
pour obtenir des conditions meilleures, en cas de rejet du traité. Et ici
permettez-moi, messieurs, de vous faire une remarque qui aura frappé vos
esprits. Lorsqu’au mois de janvier dernier, le gouvernement belge envoya à
Londres un plénipotentiaire pour faire des propositions nouvelles,
propositions, qui, comme vous le savez, n’étaient que la réalisation de votre
adresse, que déclara la conférence ? La conférence écarta-t-elle purement
et simplement ces propositions ? Non, messieurs, elle déclara uniquement
que ces propositions étaient relatives à la question germanique, elle n’était
pas appelée à statuer sur ces propositions. C’était là une fin de non recevoir,
mais on ne déclarait pas que les conditions proposées étaient
inadmissibles ; il résulte au contraire de l’évidence des faits que la
conférence ne méconnaissait pas que ces conditions fussent acceptables ;
mais comme on avait vu
Si vous vous étiez montrés fermes,
si vous aviez montré la virilité qui sied à un état jeune et nouveau, un état
qui veut maintenir son indépendance, la conférence aurait obtenu l’assentiment
de l’Autriche et de
Mais comment ! c’est dans ce
moment où en France un retour immense s’est fait dans le sens de nos intérêts,
c’est quand une chambre nouvelle vient de sortir de l’urne électorale, et est
prête à apporter un vote favorable à
Ne semble-t-il pas que ce sont les
affaires de
Il est temps encore, messieurs, rejetons le projet qui nous est présenté, rentrons dans la voie des négociations, déclarons formellement que nous ne voulons pas adhérer aux propositions nouvelles, puisqu’elles sont plus onéreuses, ainsi que je l’ai démontré, que les premières. Ayons confiance dans la marche des événements. C’est ici une question de temps, de capacité et d’argent. Sans doute, avec les hommes qui ont si mal conduit nos affaires jusqu’ici, c’est se perdre. Mais nos droits pour avoir été mal défendus ne sont pas moins incontestables ; il est encore possible de les sauver.
Mais, dit-on, il faut maintenir notre armée sur un pied suffisant pour résister à l’Europe. Est-ce bien sérieusement qu’on vient dire que l’Europe va fondre sur nous ? Nous savons que pas un seul ennemi, pas une baïonnette ne menace nos frontières, et on veut que nous proclamions que nous sommes exposés à un envahissement. Nous savons que l’armée hollandaise a reculé devant notre armée, dont la présence a suffi pour lui faire peur, et nous irions nous déclarer vaincus à la face de l’Europe.
Sans doute notre position est grave et mérite d’être profondément méditée ; mais il n’y a pas lieu d’en désespérer, et avec du cœur il est encore facile de faire sortir la patrie triomphante du milieu de ces événements.
Remarquez que ce qui vous est
proposé n’est pas un traité signé. J’ai entendu dire par plusieurs
orateurs : Pensez-vous que
Et ne savons-nous pas ce que c’est
qu’un protocole ? nous en avons eu 85 qui tous contenaient des
dispositions finales et irrévocables. Tous sont successivement passés. Celui-ci
n’est pas, non plus que les autres, une disposition finale et irrévocable. Dès
que vous résisterez, un nouveau protocole interviendra qui sera favorable à
Je ne viens pas vous dire :
Levez la propagande en Europe. Je désapprouve tout système de propagande. Pour
ma part, j’ai toujours blâmé les écrits tendant à présenter
L’honorable député de Diekirck vous a exposé la position réelle des choses. Il n’y a, vous a-t-il dit, dans les provinces rhénanes que 14 mille hommes de troupes réunies ;et c'est précisément ce qu’il faut pour comprimer les populations dans ces localités.
Vous savez que
Quant à la confédération, je ne
méconnais pas son importance, mais jusqu’à ce que je voie ses corps organisés
marchand sur nos frontières, je la regarderai comme un épouvantail dont on veut
nous effrayer. Vous n’avez donc en définitive devant vous que
Mais l’esprit fanfaron des Hollandais ne trouverait pas assez de sarcasmes pour nous conspuer ! Le Hollandais proclamerait : Je les ai vaincus deux fois : la première, dans les plaines de Louvain, en 1831, et la seconde en 1839 !
Messieurs, je ne puis consentir à ce
que le drapeau tricolore se retire devant le drapeau orange, alors surtout que
je suis sûr que si un engagement avait lieu, notre armée marcherait victorieuse
jusqu’au cœur de
J’ai dit que la question de
résistance se réduisait à une question de temps et d’argent. Or, les moyens ne
nous manquent pas, car il n’est pas de pays qui offre autant de ressources que
En 1833 nous avions sous les
drapeaux une armée de
Nous ne sommes pas tenus en 1839 à
avoir des armements plus considérables qu’en 1833, car alors c’était avant la
convention du 21 mai, à une époque où on redoutait à chaque instant un
engagement entre
Je dis donc que
Mais, dit-on, à l’intérieur vous
avez la crise industrielle, qui menace d’envahir l’état, et avec laquelle il
importe d’en finir. Pour moi, messieurs, je regrette que des questions d’industrie
viennent se mêler à des questions de ce genre. Si vous aviez consulté la bourse
en 1830, pensez-vous que vous auriez fait la révolution ? Si vous aviez
provoqué en 1830 une réunion des grands industriels de
Quant à présent je vois bien une
crise dans certaines opérations d’agiotage, dans certaines opérations de
bourse ; mais je ne vois pas de crise industrielle. Je vois une crise dans
des sociétés qui ont porté leur apport à des valeurs démesurées, à des valeurs
absurdes, qui ont par cette exagération spéculé sur la crédulité
publique ; mais une crise pour des sociétés de ce genre ne pouvait manquer
d’arriver, parce qu’il ne peut se faire que ce qui vaut 30,000 francs vaille jamais
un million. Quant au surplus, la crise n’est que chimérique, elle n’existe pas.
S’il y avait crise en Belgique, vous verriez tous les ateliers fermés, les
tribunaux de commerce assaillis de faillites, le commerce entièrement suspendu.
Voilà ce qui constitue une crise, voilà ce que nous avons vu en 1830. mais où
donc sont les faillites, les protêts qui prouveraient la crise actuelle ?
je me suis fait présenter le relevé des faillites et de protêts dans les plus
grandes villes de
Je conviens que la chute de la
banque de Belgique a été un événement funeste pour le pays, en ce que cet
événement a empêché les opérations de change de s’effectuer. La banque de
Belgique, vous le savez, était le plus grand banquier de
Eh bien, le gouvernement n’a rien fait. Ne suis-je pas en droit de supposer que par cette inaction, alors que la conduite à tenir était si simple, le gouvernement a entretenu la crise et n’a eu d’autre but que d’amener la nécessité des concessions que l’on voulait arracher au pays.
On a parlé de résistance désespérée ; on a dit qu’il ne fallait pas se battre au premier sang, qu’il fallait se faire écraser ou ne pas se battre. En vérité, je ne comprends rien à tout cela. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que ceux qui nous parlent ainsi ne veulent pas de résistance, comme le ministre de la guerre. S’il entend par la résistance désespérée que, dans le cas où l’Europe envahirait le Limbourg et le Luxembourg, nous devrions faire la guerre pendant dix années, soutenir une guerre continuelle contre l’Europe , évidemment, c’est une chose déraisonnable.
Pour nous, quand nous disons qu’il faut résister, nous demandons une résistance sérieuse et efficace ; mais ces mots de résistance désespérée, de demi-résistance, de quasi-résistance, ne signifient rien.
D’ailleurs, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire, nous ne sommes attaqués, contraints par personne. Aucune armée ne menace notre frontière ; pourquoi parler de résistance désespérée lorsqu’il n’y a personne contre qui nous puissions nous battre ?
Ecoutez les partisans du traité. Les uns disent : Nous aurons la guerre ; les autres disent : Nous n’aurons pas la guerre ; les uns disent : On nous contraindra par les armes ; les autres disent : On nous contraindra par une force d’inertie.
Je voudrais au mois qu’on se mît
d’accord, car c’est une position trop commode que de supposer à la fois le
blanc et le noir dans une assemblée comme celle-ci. Pour moi, je pense que nous
n’avons pas d’exécution militaire à craindre. Nous n’avons rien à craindre de
Vous avez entendu lord Palmerston le déclarer lui-même. Qu’avez-vous à craindre, qui vous force d’accepter ce traité, lorsque rien ne vous y force, lorsque votre nationalité n’est plus en question, que votre Roi est reconnu et nominativement désigné dans les pièces mêmes signifiées au roi de Hollande ; et c’est alors que vous voulez acheter une reconnaissance équivoque au prix d’énormes sacrifices ! C’est un vertige inexplicable qui ne pourra jamais se justifier.
Je repousserai donc le traité qui nous est proposé ; il ne contient que du provisoire ; il blesse trop profondément l’honneur national pour que je puisse jamais y donner mon assentiment.
Un honorable membre qui a parlé hier
a soutenu que l’honneur de
Evidemment le traité est déshonorant
pour
Mais qu’on cite un seul peuple qui ait jamais rien fait de semblable, et je passe condamnation !
Comment ! si l’on vous
contraignait à aller dans la rue avec un pan de moins à votre habit, vous vous
croiriez déshonorés, et vous voudriez que
Vous n’avez pas d’ailleurs le droit de vendre vos frères pour faire vos propres affaires, pour faire les affaires de votre industrie. Vous n’avez pas le droit de faire la traite des blancs, car c’est une traite qu’on vous propose, pour sauver vos intérêts matériels, lorsqu’on vous dit : Vendons quatre cent mille Belges pour faire hausser les fonds publics.
Je vous dénie un droit semblable
alors que la force n’est point là pour nous contraindre, et si j’avais été
député du Limbourg ou du Luxembourg, j’aurais protesté de toutes mes forces
contre toute discussion relative à la cession d’une partie de
Messieurs, nous sommes occupés à remplir une des plus grandes pages de notre histoire ; faisons en sorte qu’elle ne soit pas souillée ; je vous ai dit ce qui s’est passé sous François Ier, ce qui s’est passé en Flandre à l’époque du traité des barrières ; alors on reconnaissait que, sans y être contrainte par la force des armes, une nation n’a pas le droit d’arracher un seul homme à sa patrie.
Serons-nous moins justes que nos ancêtres ? commettrons-nous une iniquité, une infamie, qu’ils ont repoussée avec l’indignation qu’elle méritait ? Pour mon compte, messieurs, j’emploierai tous les efforts dont je suis capable pour faire rejeter le traité.
Messieurs, je regarde ce traité comme profondément immoral et malhonnête, comme un acte auquel nous n’avons pas le droit de souscrire, comme un acte destructif de notre indépendance, de notre nationalité, qui aura pour effet de nous faire passer sous les fourches caudines à chaque nouvelle exigence de l’étranger, comme un acte qui mettra à la merci de nos voisins notre territoire, notre liberté et jusqu’a notre industrie et notre commerce.
Ah ! messieurs, lorsque dans quelques années les fausses terreurs qui vous oppriment auront fait place au calme et à la raison, lorsque vous verrez que vous n’étiez pas en face de la nécessité, alors vous rougirez de vote déshonorant que vous aurez émis, alors ce vote sera un remords cuisant que vous porterez dans votre cœur jusqu’au tombeau.
Pour moi, je veux aussi constituer l’état, mais je veux le constituer sur l’honneur et la dignité nationale ; je veux conserver le nom belge pur et intact ; je ne veux pas le flétrir par une semblable iniquité ; je ne veux point que, lorsque je me promènerai sur la terre étrangère, on puisse dire de moi : « C’est un Belge, il a vendu le Limbourg et le Luxembourg ; c’est un Belge, il a livré ses frères à leur oppresseur, pour conserver son industrie et sa propre liberté. Il est libre, mais il a trahi l’honneur. Il est libre, mais il est malheureux de sa liberté même, car que sert la liberté avec l’ignominie. » (Nombreux applaudissements.)
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – La sortie que l’honorable préopinant s’est permise contre moi, ne m’a point étonné je sais depuis longtemps que, pour produire quelque effet oratoire, il consent volontiers à être injuste. Je lui en sais gré, néanmoins : non qu’il m’accorde par là le droit de lui répondre par des personnalités ; je me vengerai de lui à ma manière, en vous prouvant qu’il n’a pas compris le premier mot de la question de l’Escaut ; je prendrai une seconde fois la parole soit aujourd’hui soit demain ; je traiterai la question de l’Escaut, non pas avec mon imagination, mais avec des pièces. Si je lui sais gré de sa sortie, c’est qu’elle m’accorde le droit de vous parler de moi, de vous demander quelques instants d’attention ; les explications que je vous donnerai, se rattachent d’ailleurs à la discussion générale.
Ma position peut être pénible, mais elle n’est point fausse. Elle n’est point fausse parce que je me suis toujours montré vrai et conséquent.
Je me suis associé au
mouvement du Luxembourg ; je l’ai expliqué et non produit. M’attribuer
l’insurrection luxembourgeoise, c’est méconnaître ce qui fait le caractère de
ce mouvement, ce qui le rend légitime : la spontanéité. Resté réuni à
Tout en m’associant à la
révolution et en Belgique et dans le Luxembourg, j’ai dit que
Comme rapporteur de la commission chargée de présenter le projet de protestation contre le protocole du 20 janvier 1831, je disais déjà dans mon rapport le 30 janvier : « Sans doute nous ne pouvons prétendre résoudre seuls nos contestations territoriales, mais on ne peut les décider sans nous ; elles peuvent faire l’objet de traités, dans lesquels nous serons parties, qui ne seront obligatoires que par notre concours. »
Je suis, depuis 1830, député d’Arlon ; depuis que je suis ministre, j’ai été réélu deux fois. L’on ne m’a pas donné de mandat spécial, local ; si l’on m’avait offert un mandat spécial, local, exclusivement luxembourgeois, je l’aurais refusé comme incompatible avec mes idées d’homme politique, ave ma mission de ministre belge, j’ajouterai même avec ma qualité de Belge.
Vous connaissez mes
discours : vous m’avez souvent encouragé par votre assentiment, dans nos
grands débats diplomatiques, alors que je n’étais qu’un simple député ;
pouvait-on supposer que, devenu ministre de Belgique, j’abjurerais le système
politique sans lequel, selon moi, je l’ai dit tant de fois, il ne peut y avoir
de Belgique ? Comment ! lorsque je n’étais point, devant cette
chambre, le représentant du gouvernement de
J’en appelle à vos
souvenirs, j’en appelle, si je puis parler ainsi, aux méfiances de l’honorable
préopinant. Si on lui avait dit que mon intention était de proposer de faire la
guerre à l’Allemagne, à
Permettez-moi encore deux citations très courtes pour établir ce que j’appellerai la moralité de ma position parlementaire.
Dans la préface de la
première édition de l’ « essai sur la révolution belge », je
disais (mars 1833) : « Citoyen d’une province dont l’existence était
contestée, sa position individuelle était difficile ; il pense avoir
accordé aux affections locales tout ce qu’elles pouvaient exiger de lui :
homme, Belge, Luxembourgeois, il n’a pas osé croire qu’on pût sacrifier
Deux mois avant de devenir ministre, le 12 novembre 1836, dans la dernière de nos discussions diplomatiques, je disais dans cette chambre :
« Je voudrais,
messieurs, pouvoir aller plus loin ; je voudrais pouvoir dire que le
traité du 15 novembre 1831 n’existe plus, ou qu’il nous est libre de le
révoquer. Pourquoi s’obstiner, m’objectera-t-on, à regarder comme valable un
acte que
Personne n’a donné à ses opinions une plus grande publicité ; à l’étranger comme en Belgique, on en a pris acte ; je tiens à le constater ; car le seul reproche que je redouterais serait d’avoir manqué de bonne foi envers mes concitoyens.
Ces antécédents étant connus d’eux, faut-il conclure qu’en me réélisant, ils m’avaient autorisés à abandonner légèrement la cause particulière du Luxembourg ?
Non, sans doute ; mais ils étaient prévenus que je serais avant tout Belge, que, forcé d’opter dans une alternative fatale entre la nationalité belge et la conservation intégrale du Luxembourg, je n’accorderais pas à ce dernier intérêt une importance prépondérante, absolue. Il y a des limites dans mes engagements, tacitement contractés ; ces limites résultaient de mes antécédents, antécédents qui n’étaient ignorés de personne, que personne ne m’a demandé de renier, que je n’aurais point reniés si on me l’eût demandé.
J’avais applaudi à la convention du 21 mai, qui est venue non pas détruire, mais suspendre le traité du 15 novembre ; les électeurs savaient que je ferais tout ce qui serait possible pour maintenir le statu quo ; c’est ce que j’ai fait.
En mars dernier, le roi Guillaume a adhéré aux arrangements territoriaux ; me suis-je empressé de déclarer qu’il fallait se hâter de les exécuter sans se ménager aucune chance du maintien du statu quo ? Sincèrement, quoiqu’avec peu d’espoir, je me suis associé à toutes les tentatives qui ont été faites : si je m’y étais refusé, si je m’étais séparé du cabinet il y a un an, les Luxembourgeois auraient pu me faire des reproches ; ils m’avaient dit : « Essayer au moins » ; et j’ai essayé avec mes collègues.
Je m’arrête, car la
guerre contre l’Allemagne, sans
Je m’arrêté, car la
prolongation du statu quo, au milieu de la crise qui dévore
Ce n’est pas, messieurs, qu’en conseillant la paix je croie dans cette extrémité, placé entre deux maux, méconnaître, dans le choix que je fais, les intérêts bien entendus du Luxembourg allemand.
Je vous l’ai déjà dit.
La cession était inévitable, la faut-il pacifique ou violente ? la faut-il administrativement ou la faut-il pas une exécution militaire ?
Telle est l’alternative.
Il ne s’agit pas de savoir si le traité du 15 novembre sera exécuté, mais comment il le sera.
Si j’avais pu croire que
la présence dans cette chambre d’un partisan de plus du système belliqueux pût
mettre
Vous avez, me dit-on,
pris part à l’insurrection, donc vous ne devez point en abandonner la
cause ; c’est-à-dire, messieurs, qu’en s’associant au mouvement de 1830,
j’ai contracté l’engagement de précipiter mes compatriotes dans tous les maux.
En 1830 j’espérais, en 1839 je n’espère plus. En 1830
La proclamation du 9
janvier 1831 s’explique par sa date ; il ne fut pas l’isoler. La
révolution était faite, consommée dans le Luxembourg depuis le mois d’octobre
1830, ce n’est donc point cette proclamation qui a opéré le mouvement.
La loi provinciale, au lieu d’exiger le serment ordinaire, a prescrit une explication dont elle n’a point dispensé les habitants des territoires cédés ; ce fait, messieurs, m’offre une nouvelle occasion de vous prouver combien je suis toujours resté conséquent dans des détails même ; seul dans cette chambre, je me suis opposé à cette proposition qui vous était faite par un membre de la minorité, M. Dumortier ; la majorité a suivi ses inspirations plutôt que les miennes. Ceci se passait dans la séance du 13 mai 1834.
Je ne désavoue
personne ; je comprends, tout se fait par sentiment, tout ce qui se fait
d’entraînement et d’enthousiasme ; les discours des députés du Limbourg et
du Luxembourg m’ont profondément ému ; je n’en ai que senti davantage la
grandeur de ma tâche. J’ose le dire, il y a dans le Luxembourg deux opinions
également belges, également loyales, également patriotiques, également
honorables. L’une de ces opinions veut une dernière tentative, tentative
extrême, désespérée ; une de ces tentatives qui changent quelquefois les
destinées des nations, tentative, pour laquelle il ne faut reculer devant aucun
moyen, ni devant l’appel aux sympathies étrangères, ni devant les périls de
l’anarchie ; tentative qu’il faut accepter quand elle serait le prélude
d’un grand bouleversement. L’autre opinion, messieurs, moins aventureuse, se
rend compte des moyens, calcule ce qui est possible, balance les chances, elle
accepte la lutte, pourvu qu’elle offre des probabilités de succès ; elle
sait qu’elle ne peut entraîner
C’est de cette deuxième opinion que je me fais l’organe ; l’organe que, dans des temps plus calmes, tout le monde avouera. Sauvez notre territoire du démembrement ; si vous le pouvez, dites-le, sauvez-nous de maux inutiles. Si vous ne pouvez nous conserver la nationalité belge, épargnez nos personnes, nos familles, nos propriétés. Mais, en nous abandonnant, vous avez contracté une dette envers nous ; vous nous devez des mesures réparatrices et pour nous-mêmes et pour nos intérêts ; nous les attendons, nous ne serons jamais des étrangers pour vous, mais des compatriotes exilés.
Je puis donc dire qu’en conseillant la paix, je donne dans cette triste occurrence l’avis le moins désavantageux aux intérêts bien entendus, aux intérêts matériels, si l’on veut, du Luxembourg allemand ; je ne veux pas appeler la guerre et l’anarchie sur notre province ; l’exposer à une occupation militaire. J’ai vu les désastres de 1814, et l’on m’a conté ceux de 1795 ; à cette dernière époque, l’on nous a conseillé au nom de l’Autriche de résister à l’invasion française ; ces conseils ont été suivis ; nos villages ont été saccagés, nos populations décimées : Dudlange, Esch-sur-l’Alzette ont été livrés aux flammes. De distance en distance dans nos montagnes de la frontières se rencontrent des croix qui rappellent des victimes ; je n’oserais reparaître dans le Luxembourg, si j’étais exposé à me dire : « Ici a péri un homme pour une cause que je savais désespérée. » C’est ainsi que j’entends ma responsabilité.
Cette opinion dont je
n’hésite point à me faire le représentant et qui me semble avoir aussi le droit
d’être représentée, n’a point anticipé sur les événements ; elle s’est tue
aussi longtemps qu’elle a pu espérer ; elle a applaudi à toutes vos tentatives,
elle vous en gardera une éternelle reconnaissance, elle n’en a affaibli aucune
en se produisant prématurément ; mais aujourd’hui que, par la défection de
Je serai, je le sais,
méconnu aujourd’hui, je le serai par ceux-là même à qui je pourrais imputer
l’extrémité à laquelle nous sommes arrivés. Vous n’avez peut-être pas oublié ce
que j’ai dit l’été dernier, dans le comité secret du 28 avril ; ces
paroles, je n’ai cessé de les répéter.
Mes conseils n’ont point
été écoutés ; la réaction intérieure qui réduit
Je vous ai dit, messieurs, de quelle manière j’entendais, dans cette extrémité, mes devoirs de député luxembourgeois ; ces devoirs, au fond, ne sont pas en désaccord avec ceux de belge et de ministre. La constitution n’a pas permis que la question de paix ou de guerre vous fut posée : on a dû vous demander directement votre adhésion au projet de traité ; néanmoins, je dois le reconnaître, j’aurais voulu, comme député, que la question pût m’être posée en d’autres termes.
Je me résume, messieurs. Je ne suis point l’exécuteur des hautes œuvres de la conférence de Londres ; je veux seulement que cette exécution, puisqu’elle est inévitable, ne soit pas désastreuse et sanglante. Cette opinion ne m’est pas commandée par ma position de député ou de ministre ; je la soutiendrais comme simple particulier ayant dans la provinces des affections et des intérêts.
M.
de Puydt –
L’honorable M. Nothomb vient de se défendre de l’imputation qui a été faite
contre lui qu’il se trouverait dans une fausse position ; M. Nothomb ne se
trouve point dans une fausse position, il se trouve uniquement dans une
position étrange. Les opinions ont constamment été connues, il les a professées
depuis le commencement de la révolution jusqu’à ce jour, il n’est pas
inconséquent avec lui-même, mais il ne faut pas non plus accuser le Luxembourg
d’être inconséquent : deux fois de suite M. Nothomb a été réélu par le
district d’Arlon ; deux fois de suite les électeurs d’Arlon ont rendu
hommage au talent distingué de leur compatriote ; mais alors ils ne
songeaient pas le moins du monde à l’exécution du traité des 24 articles, qui,
comme chacun le sait, avait été complètement perdu de vue par suite du refus
d’acceptation du roi Guillaume ; lorsque les électeurs d’Arlon ont élu M.
Nothomb, ils ne croyaient pas qu’on pût encore en venir jamais au morcellement
de
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je me borne à répéter que l’opinion d’après laquelle il ne faut pas exposer inutilement le Luxembourg allemand aux calamités d’une résistance imparfaite et d’une occupation militaire, est une opinion vraie, qui existe dans le Luxembourg ; je m’en fais l’organe.
M. le ministre de l'intérieur et
des affaires étrangères (M. de Theux) – Le député de Tournay, en déclarant qu’appelé au sein de la
commission d’adresse, j’ai donné mon plein assentiment au projet de la commission,
m’a mis dans la nécessité de prendre la parole. Cette assertion, messieurs, est
inexacte, voici les faits tels qu’ils se sont passés : Appelé dans la
commission, j’y trouvai deux projets très étendus émanant de deux membres de
l’opinion de la résistance ; la délibération s’étant établie sur ces
projets, j’ai fait tous mes efforts pour faire supprimer les passages que je
trouvais trop compromettants, et je dois dire que j’ai été assez heureux pour
réussir souvent ; toutefois, il est resté dans le projet de la commission
plusieurs expressions, et notamment en ce qui concerne la question
territoriale, auxquelles je n’ai point donné mon assentiment ; ces
expressions ont été acceptées malgré l’opposition que j’ai faite contre leur
maintien. Voilà, messieurs, les faits dans toute leur exactitude, et je déclare
ici que je n’eusse pas hésité à combattre les expressions dont il ‘agit, en
séance publique, si je n’eusse pas craint de faire tomber par là les espérances
que la chambre fondait sur un appel à la tribune des nations voisines,
Une voix – Mais vous avez voté pour le projet.
M.
le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai voté pour le projet afin de ne pas détruire
l’effet que la chambre voulait produire, et en cela j’étais d’accord avec un
grand nombre de membres de cette assemblée, qui n’ont voté que dans la même
pensée comme ils me l’ont affirmé dans de nombreuses conversations que j’ai
eues avec eux à cet égard.
Maintenant, je toucherais quelques-uns des points qui ont été traités
par le même orateur.
Il aurait fallu, dit-il, dès l’ouverture des négociations rappeler le
plénipotentiaire de
On est revenu, messieurs, sur la nomination de l’envoyé extraordinaire
qui a été chargé de porter à Londres la note du 14 janvier ; mais, comme
je l’ai dit dans une séance précédente, il s’agissait uniquement de développer
à Londres des considérations de haute politique qui devait déterminer la conférence
à accepter la proposition de laisser à
On a dit que la note présentée à Londres le 14 janvier est arrivée trop
tard, que tout était consommé, que le protocole du 6 décembre était
signé ; c’est là une grave erreur : indépendamment que le protocole
du 6 décembre n’était pas revêtu de la signature du plénipotentiaire français,
il faut remarquer que ce protocole n’empêchait nullement la conférence
d’accepter notre proposition, puisque nous offrions une immense compensation
pour le territoire que nous cherchions à conserver. Et pense-t-on, messieurs,
que si la proposition avait été faite plus tôt, elle eût été accueillie ?
Non, elle ne l’eût pas été ; les motifs qui ont déterminé la conférence à
ne point l’accueillir le 14 janvier, l’eussent déterminée à ne point
l’accueillir plus tôt. Mais, messieurs, pour mieux réussir dans la proposition
que nous comptions soumettre à la conférence, nous avions à faire des
tentatives à La Haye, pour rendre le cabinet hollandais favorable à notre
proposition ; nous avions, en outre, à attendre le changement de ministère
en France, qui, à cette époque, paraissait imminent et qui a failli se réaliser
par la démission donne par le cabinet qui vient de se retirer définitivement.
Si l’orateur qui a le plus vivement soutenu nos intérêts à la tribune française
était parvenu alors au ministère, il eût peut-être pu nous prêter un appui plus
efficace. Quoi qu’il en soit, messieurs, ce sont là les motifs qui nous ont
déterminés en ce qui concernait l’opportunité de la remise de la note dont il
s’agit.
Je ne traiterai pas en ce moment la question de la dette, Messieurs.
Fallon et Dujardin, qui ont été membres de la commission des finances, qui ont
ensuite été chargés par le gouvernement de la négociation de cette importante
question à Londres, sont décidés à prendre la parole dans ce débat et à exposer
toutes les considérations propres à renverser tout ce que le député de Tournay
a allégué contre la négociation.
Toutefois je dois réfuter une assertion de cet honorable membre, en ce
qui concerne les arrérages. La question des arrérages, a-t-il dit, n’est pas un
succès de la négociation de 1838, cette question a été résolue par le protocole
n°65 du 11 juin 1832.
Mais déjà, messieurs, j’ai eu l’honneur de vous faire observer que le
protocole du 11 juin 1832, qui ne portait d’ailleurs pas de décision sur
l’article des arrérages, et qui énonçait seulement une espérance en faveur de
Mais cela est encore constaté par les propositions mêmes émanées du
gouvernement belge. Au mois de septembre 1832, le gouvernement belge a consenti
à l’abandon de la liquidation du syndicat pour la remise d’une partie des
arrérages ; il en a été de même en 1833, nos plénipotentiaires ont proposé
de nouveau l’abandon de la liquidation du syndicat, moyennant la remise des
arrérages ; ils étaient même autorisés à se contenter d’une remise
partielle de ces arrérages.
Ainsi donc, de l’aveu
unanime des membres de la conférence, et de l’aveu du gouvernement belge
lui-même, au mois de septembre 1832 et au mois d’août 1833, le protocole du 11
juin 1832 n’établissait pas la remise des arrérages en faveur de
Messieurs, ce qu’on a dit du péage sur l’Escaut n’est pas plus fondé que ce qu’on a avancé sur les arrérages de la dette. J’ai dit dans mon rapport que la conférence n’avait jamais posé en doute qu’un péage dût être établi sur l’Escaut, aux termes de l’article 9 du traité du 15 novembre. Cette opinion est constatée par plusieurs actes, d’ailleurs elle est incontestable ; les termes de l’article 9 ne peuvent laisser le moindre doute, lorsqu’on le lit avec attention et avec un esprit dégagé de toute prévention.
Le paragraphe 1er est ainsi conçu :
« Les dispositions des articles 108 à 117 inclusivement de l’acte général du congrès de Vienne, relatives à la libre navigation des fleuves et rivières navigables, seront appliquées aux fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais. »
Le dernier paragraphe du même article porte :
« En attendant, et jusqu’à ce que ledit règlement soit arrêté, la navigation des fleuves et rivières ci-dessus mentionnés restera libre au commerce des deux pays, qui adopteront provisoirement, à cet égard, les tarifs de la convention signée, le 31 mars 1831, à Mayence, pour la libre navigation du Rhin, ainsi que les autres dispositions de cette convention, en autant qu’elle pourront s’appliquer aux fleuves et rivières navigables, qui séparent et traversent à la fois le territoire hollandais et le territoire belge. »
Eh bien,quel est le
fleuve qui traverse à la fois le territoire belge et le territoire
hollandais ? c’est l’Escaut occidental, il est impossible d’en indiquer un
autre, il n’y a que celui-là ; quelle est la rivière qui traverse à la
fois le territoire belge et le territoire hollandais, c’est
Et en effet, messieurs, par suite de la modification apportée au traité du 15 novembre, et qui supprime l’application provisoire du tarif de Mayence pour y substituer le péage fixé d’un florin 50 cents, l’on a eu soin de retrancher du 1er paragraphe de l’article 9 le mot « fleuve », et l’on s’est borné à y conserver le mot « Meuse », rivière à laquelle le tarif de Mayence restait applicable.
Cet article ne pouvait donc laisser de doute sérieux ; le gouvernement belge, après avoir inutilement contesté l’interprétation que la conférence avait donnée à cet article, fut lui-même amené à consentir en 1832 l’application du droit d’un florin, et de celui d’un florin 50 cents en 1833, comme péage définitif sur l’Escaut, destiné à remplacer le péage provisoire que la conférence avait établi, et qui, par suite de l’application des tarifs, pouvait s’élever à 4 florins 50 cents.
Si le droit d’un florin 50 cents a pu être substitué au droit beaucoup plus élevé du tarif de Mayence, c’est que ce dernier droit ne devait être appliqué que provisoirement, en attendant qu’un droit convenable pût être déterminé, de commun accord entre les parties. Eh bien, messieurs, ce droit convenable a été reconnu par la conférence être celui d’un florin 50 cents.
L’on a dit que la
question était restée entière en 1833 ; c’est là une erreur. Le
gouvernement avait fait connaître au ministre britannique le consentement qu’il
donnait à l’application du page d’un florin 50 cents ; le ministre
britannique avait lui-même communiqué cette proposition aux plénipotentiaires
de Hollande et, dans la dernière négociation, la conférence a considéré ce
point comme irrévocablement décidé par suite de l’adhésion que le cabinet néerlandais
a donné à ce droit en 1838.
C’est en vain qu’en présence de ces actes que l’on prétendait que la
somme de 600,000 florins, pour avantages commerciaux, compris primitivement
dans la somme de 8,400,000 florins, et aujourd’hui dans celle de 5,000,000
florins, est représentative du péage sur l’Escaut. Non, messieurs, cette somme
était uniquement représentative des avantages que le gouvernement néerlandais
accordait à
Revenant à la question territoriale, le même orateur auquel je réponds,
vous dit : « Ne pressez pas vos délibérations, attendez la
composition d’un nouveau cabinet à Paris. » Eh bien, messieurs, je vous
dirai : Ne vous faites pas illusion, les hommes qui peuvent être appelés à
composer ce cabinet, ont leur opinion tout arrêtée, leur ligne de conduite
toute tracée. Leur ligne de conduite résulte des engagements qui ont été pris
par le ministre précédent, engagements qui, quoi qu’on en ait dit, sont
irrévocables. Indépendamment de ces engagements, les hommes qui vont arriver au
pouvoir, sont encore liés par ceux qu’ils ont pris envers
Messieurs, si les maximes émises à cette tribune par quelques orateurs
devaient prévaloir, c’est serait fait désormais de la civilisation ; aucun
traité ne serait plus possible, l’on ne vivrait plus que dans un état de
possession, les questions territoriales ne pourraient jamais être tranchées par
un traité, parce que celui qui se croirait opprimé ne pourrait jamais consentir
à une injustice ; l’on rentrerait dès lors tout droit dans l’état de
barbarie.
L’on a dit, messieurs :
M. Dumortier (pour un fait
personnel) – Messieurs, je dois répondre
une déclaration que M. le ministre des affaires étrangères vient de
faire : le ministre a déclaré qu’il ne serait pas exact que, dans le sein
d’une commission d’adresse, nous lui ayons communiqué le projet, et que tous
les articles aient été discutés de commun accord avec lui. Messieurs, je
réitère ma déclaration, et comme on pourrait inférer des paroles du ministre
que, comme ancien rapporteur du projet d’adresse, j’aurais, de ce chef, induit
la chambre en erreur sur un point aussi grave, je dois repousser de tous mes
moyens une semblable supposition.
Nous avons communiqué notre projet à M. le ministre, ce qui ne s’était pas fait jusque-là. Deux autres
avaient été présentés. M. le ministre a assisté à plusieurs discussions, dans
lesquelles il a fait écarter plusieurs phrases très fortes ; mais j’en
appelle à tous les membres de la commission, ils vous diront qu’aucune phrase
n’a été admise sans l’assentiment du ministre des affaires étrangères.
D’ailleurs, le vote du ministre dans cette enceinte est là. (Interruption.
Silence. Parlez ! parlez !)
Il vient de vous dire qu’il a voté l’adresse pour ne pas rompre l’unanimité
de la chambre et du pays.
De deux choses l’une : ou il avait foi dans l’attitude que prenait
la chambre, ou il n’y avait pas foi. S’il avait foi, il a tort de dire
maintenant que la chambre n’a jamais eu aucune chance de réussir dans la
question de territoire, il ne nous en a rien dit alors, s’il n’avait pas foi,
il a violé son devoir en restant au ministère, étant en désaccord avec la
chambre ; un ministre constitutionnel doit suivre le vote de la
chambre ; mais le plaisir de rester dans son double portefeuille lui a
fait sacrifier son devoir. Il est évident que dans l’un et l’autre cas,
il a trahi son mandat.
M. F. de Mérode – J’étais membre de la commission, je dois dire,
pour rendre hommage à la vérité, que le ministre des affaires étrangères a
toujours cherché à modérer toutes les phrases insérées dans l’adresse, à leur
ôter ce qu’elles pouvaient avoir de trop énergique. (Interruption.)
Messieurs, j’ai soutenu la résistance, et je la soutiens encore, mais
non en voulant des choses impossibles. Je dois reconnaître un fait vrai, c’est
que le ministre a toujours cherché à diminuer l’excès d’énergie qui pouvait se
trouver dans telle ou telle phrase.
C’est à tort qu’on vient dire que les choses étaient alors dans la même
position qu’aujourd’hui. Il n’en est rien. Alors, les chambres françaises
n’étaient pas réunies, il n’y avait pas d’adresse votée par elles. Guillaume
n’avait pas accepté. J’étais au ministère : les choses n’étaient donc pas
les mêmes.
Je le répète, les accusations qu’on adresse aux ministres sont
déplacées, injustes, et entr’autres celles qu’on adresse au ministre des
affaires étrangères, car il s’est opposé, dans la commission, à toutes les
phrases énergiques qu’on voulait insérer dans l’adresse.
M. le ministre de l'intérieur et
des affaires étrangères (M. de Theux) – Je déclare
formellement que je n’ai pas donné mon adhésion au projet d’adresse de la
commission, quand je me suis rendu dans son sein. J’ai combattu plusieurs
expressions qui y ont été maintenues.
M.
Dumortier – C’est inexact.
M.
le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – C’est de la dernière exactitude. Maintenant, on me
dit : vous avez voté pour l’adresse, et cependant vous n’y aviez pas foi.
Il y a une nuance ; sans doute, je n’avais pas une foi absolue, cependant
je n’étais pas sans espérance ; il me suffisait d’une espérance pour ne
pas me séparer de l’unanimité de la chambre, afin de ne pas détruire l’effet
que la chambre se promettait. Quand l’adresse n’aurait pas été votée, la
question territoriale n’en aurait pas pour cela été résolue autrement. Si
j’avais pensé que le vote de l’adresse pût compromettre la question
territoriale, rien au monde ne m’aurait fait garder le silence. Mais puisque
vous regardiez votre adresse comme un moyen d’exercer de l’influence à
l’extérieur, je n’ai pas voulu vous ôter un moyen dans lequel vous aviez
confiance.
Je regarde comme au-dessous de moi la personnalité que m’a adressée le
préopinant ; je me serais associé à l’adresse de la chambre dans un but
indigne d’un homme d’honneur, indigne d’un homme qui se respecte, en vue de
garder un portefeuille ! Quels sont donc les si grands avantages du
ministère ? sacrifier sa santé et son existence, être exposé à des propos
injurieux !
Je n’ai jamais fait de la question qui nous occupe une question de
portefeuille, mais une question de devoir. J’avais le portefeuille des affaires
étrangères et de l’intérieur quand, au mois de mars de l’an dernier, le roi
Guillaume a adhéré au traité ; je savais toute la responsabilité qui
pesait sur moi, je savais qu’aucun homme politique soucieux de son avenir
n’aurait voulu accepter le pouvoir pour consommer cette pénible et périlleuse
négociation. Je n’ai pas reculé devant les difficultés et les dangers de ma
position, j’en ai assumé la responsabilité, trop heureux si je puis assurer à
mon pays la paix et l’indépendance ; si je suis méconnu par quelques
adversaires, l’unanimité du pays me rendra justice, j’en ai la conviction.
M.
Dechamps – Je ne veux pas
rendre la position de M. le ministre des affaires étrangères plus désagréable
qu’elle n’est, mais comme membre de la commission de l’adresse, je crois devoir
dire, pour rendre les faits tels que ma mémoire me les rappelle, que M. le
ministre des affaires étrangères, dans la discussion des projets soumis à la
délibération des membres de la commission, s’est opposé à certaines expressions
qu’il trouvait trop fortes et qu’on a supprimées pour la plupart. Je ne me
rappelle pas que des phrases aient été adoptées contre l’assentiment du
ministre. Je n’oserais pas affirmer qu’il a formellement appuyé et voté le
projet, mais je ne me souviens pas qu’il se soit formellement opposé à une des
expressions qui ont été maintenues.
Je crois me souvenir, et j’ai consulté mes collègues qui sont d’accord
avec moi, que M. le ministre, répondant à quelques objections, à certains
reproches qu’on lui adressait, à cause de certaines suppressions qu’il
demandait, a dit : la preuve que ce n’est pas par faiblesse que j’en agis
ainsi et que je veux de l’énergie jusqu’à un certain point, c’est que je suis
parvenu dans la commission du sénat à faire renforcer l’adresse.
Je n’aurais pas cité ce fait si le ministre n’avait pas voulu prendre
ici position contre les membres de la commission de l’adresse. Il s’est conduit
avec beaucoup de loyauté dans la commission, il s’est efforcé de faire
supprimer tout ce qui pouvait compromettre le gouvernement. Mais je ne veux pas
qu’il prenne ici une position à part en faisant entendre qu’il se serait
opposé, dans la commission, au projet d’adresse qui vous a été présenté et qui
a été adopté par la chambre à l’unanimité.
M. le ministre de l'intérieur et
des affaires étrangères (M. de Theux) – Il n’est jamais
entré dans ma pensée de décliner une responsabilité : c’est à tel point
vrai que jamais je n’ai dit que j’avais fait une opposition quelconque à la
rédaction de l’adresse. Je ne vous aurais pas entretenu de ces faits si le
député de Tournay ne m’avait forcé à m’expliquer. Après avoir combattu les
expressions que je trouvais trop fortes, lorsque j’ai vu la majorité prête à
adopter le projet, toute protestation devenait inutile ; je devais me
réserver d’examiner si le ministère voterait ou combattrait l’adresse lors de
la discussion.
Maintenant on dit que je suis convenu, dans le sein de la
commission que j’avais fait renforcer le
projet d’adresse de la commission du sénat.
Voici ce qui s’est passé : un projet avait été présenté par un
membre de la commission du sénat. Dans le sein de la commission on y a proposé
des modifications, mais ce n’est pas moi, ce sont des membres de la commission.
Je n’ai pas proposé une seule phrase. Seulement il y a des propositions qui ont
été accueillies parce que je ne m’y suis pas opposé.
M. Dujardin, commissaire du Roi – J’avais demandé la
parole immédiatement pour répondre à diverses allégations de M. Dumortier,
relativement à la dette, mais sachant que M. Fallon doit traiter cette question
dans son discours, je renonce à la parole pour le moment, me réservant d’y
revenir.
Motion d’ordre
M. Gendebien – Lorsqu’avant la discussion qui nous occupe, j’ai
demandé le dépôt sur le bureau de la chambre de toutes les pièces diplomatiques
relatives à ce fatal traité, on s’est prévalu de je ne sais quels scrupules
diplomatiques ; on a dit qu’il y avait des secrets qui ne concernaient pas
Il est un point sur lequel le même scrupule ne peut pas arrêter le
gouvernement, ce sont les négociations relatives à la dette ; je demande
donc le dépôt de tous les documents qui ont amené le règlement du chiffre de
notre dette. C’est une question de chiffre. On veut que nous puissions
apprécier, à la simple audition, je ne sais quel nombre de chiffres. A moins
que le gouvernement ne veuille nous tromper sur la dette, comme il n’a cessé de
le faire depuis 8 ans sur toutes les questions diplomatiques, il est de son
devoir de nous communiquer toutes les pièces qui y sont relatives.
Il est de la loyauté des deux membres qu’on vient de désigner, s’ils
veulent éviter le reproche de nous avoir surpris, de nous remettre toutes les
pièces avant d’établir leurs raisonnements sur des chiffres que nous ne
pourrions suivre.
Je fais cette observation quoique je sois persuadé qu’elle n’aura pas de
suite ; je la fais comme une protestation qui servira de jalon pour
arriver un jour à la grande accusation nationale au sujet de ce qui se fait
depuis 8 ans, et particulièrement depuis 5 mois.
- M. Fallon, vice-président, replace M. Raikem au fauteuil.
M.
le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Tous les documents relatifs à la question de la
dette ont été examinés par la commission des finances, présidée par mon ancien
collègue. Je crois qu’il n’y a pas lieu de fournir de nouveaux documents sur
cette question. il convient, ce me semble, pour se former une opinion,
d’entendre les discours de Messieurs Fallon et Dujardin. Je ne connais pas ces
discours ; mais je suis convaincu que ces messieurs qui ont traité la
question à Londres, sont à même d’établir les chiffres d’une manière
satisfaisante.
M.
Gendebien – Je ne doute en
aucune façon que l’honorable membre de la chambre et le commissaire du Roi,
dont on vient de parler ne jettent par leurs discours de grandes lumières sur
la question de la dette ; mais il me semble qu’en soumettant tous les
éléments de la question à 102 membres, on est plus sûr d’éclairer la chambre et
d’arriver à la vérité qu’en les soumettant à un seul membre, auquel viendra se
joindre M. le commissaire du Roi. Nous en demandons pas autre chose que d’être
éclairés des mêmes lumières et par les mêmes moyens qui ont amené la conviction
de ces deux messieurs. Je ne sais pas pourquoi on refuse d’accéder à cette
demande. Nous n’avons pas la prétention d’avoir la science infuse. Nous
demandons à nous éclairer. Si ces messieurs, qui doivent nous donner des
lumières sur la question de la dette, étaient appelés à juger sur nos simples
aperçus, je crois qu’ils sont trop prudents pour s’engager à rendre
consciencieusement un jugement sans connaître les pièces du procès.
Au reste que la chambre fasse ce qu’elle trouvera bon ; je n’ai,
quant à moi, d’autre intention que celle de protester contre toute surprise et
contre tout reproche qu’on ne manquera pas de nous adresser plus tard.
M.
Desmet – Que demande l’honorable
M. Gendebien ? La communication des notes échangées concernant la dette.
Il est constant que cette question a été mal comprise en 1831 ; le
protocole n°38 en fait foi. Qui nous garantit que la question est mieux
comprise aujourd’hui ? Nous devons nous en assurer ; nous ne pouvons
le faire autrement que par l’examen des pièces. Pourquoi les
refusez-vous !
M. Pirson – Ce n’est pas là une question européenne.
M.
Gendebien – Mes voisins de gauche
désirent que je fasse une proposition formelle. Eh bien, je vais les
satisfaire : Je fais la proposition formelle que le gouvernement remette
tous les documents relatifs aux négociations sur la dette.
Un membre – On les a
communiqués à la commission.
M.
Gendebien – Eh bien, nous avons
les mêmes droits que la commission. Je fais la proposition formelle que l’on
dépose sur le bureau toutes les pièces communiquées à la commission, et toutes
celles qui peuvent nous éclairer.
M. A. Rodenbach – Je désire savoir si toutes les pièces qu’on
réclame ont été communiquées à la commission.
M.
Dolez, rapporteur – S’il s’agit de la
section centrale, je répondrai. S’il s’agit au contraire de la commission des
finances, je n’ai rien à dire.
M.
le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je me suis borné à communiquer verbalement à la
section centrale les explications qu’elle a désirées ; et je crois que la
section centrale a été d’avis qu’elle devait être sobre de renseignements sur
cette question dans son rapport.
M. Devaux – On a annoncé qu’un membre de la chambre et M. le
commissaire du Roi traiteraient la question de la dette. Lorsqu’ils auront
parlé, la chambre pourra juger si de nouveaux renseignements sont nécessaires
pour prononcer sur cette question. Je ne connais pas les pièces ; je ne
sais combien il faudra de temps pour les imprimer ; car après la demande
de dépôt des pièces viendra la demande d’impression ; et je ne veux pas
qu’on fonde là-dessus un ajournement de je ne sais combien de jours. Je demande
donc l’ordre du jour sur la proposition.
M.
Gendebien – C’est une étrange
manière de chercher la lumière que de demander l’ajournement des renseignements
jusqu’à ce que les personnes chargées d’un travail spécial aient fait un
rapport. Quand sera fait ce rapport ? Je n’en sais rien. Mais quand le rapport
sera fait, on dira sans doute qu’on n’a plus le temps de donner des
renseignements. On dira : Vous voulez prolonger la discussion, alors
qu’une solution est urgente. On veut éluder ma proposition ; on fera enfin
ce qu’on a fait en 1831.
En 1831, je l’ai déjà dit, la discussion a été étouffée de mille
manières : d’abord elle a eu lieu à huis clos ; et l’on a dit, et
l’on a affirmé qu’il n’y avait pas un centime à rabattre, que les calculs
étaient rigoureusement justes ; on a dit même, en montrant un portefeuille :
Toutes les pièces sont là. Il serait dangereux de les montrer maintenant ;
mais elles seront remises au greffe de la chambre dans un paquet cacheté ;
et après l’acceptation du traité, chacun pourra se convaincre par l’examen des
pièces qu’il n’y a pas un centime à retrancher sur le chiffre de 8,400,000
florins. Eh bien, malgré toutes les assertions, toutes les convictions, tous
les documents authentiques, qu’est-il arrivé ?
La conférence, la plus cruelle ennemie de
Si on s’est trompé en 1834 de près de moitié, pourquoi ne se
tromperait-on pas encore de moitié aujourd’hui ? Quelle garantie nous
donnez-vous de votre infaillibilité en 1839 ?
Est-il un homme en Belgique qui doute que les onze millions de francs
qu’on nous impose ne soient au moins trois fois plus que nous ne devons ?
Est-il un homme en Belgique qui doute que si l’on établissait un partage
équitable du passif et de l’actif de notre ancienne communauté, nous ne
devrions rien ou très peu de chose à
C’est dans cet état de choses, c’est après une espérance de huit ans de
déceptions, c’est en présence d’une conférence qui n’a jamais rendu justice à
Cette confiance qui en
J’insiste sur ma proposition. La chambre fera ce qu’elle trouvera bon de
faire ; pour moi, je ne veux pas être solidaire d’une confiance aveugle
qui n’est que de l’imprudence et de la duperie. J’insiste pour que ma
proposition soit mise aux voix, parce que je tiens à ce que ma protestation
reste dans nos archives.
M. le président – Je vais mettre aux voix la proposition de M.
Gendebien.
M. Devaux – J’ai proposé l’ordre du jour. Je demande qu’il
soit mis aux voix. J’ai une raison pour proposer l’ordre du jour ; c’est
que je désire que l’on connaisse d’abord les renseignements annoncés par le
ministre. Après avoir voté l’ordre du jour, on pourra renouveler la proposition
si on le croit utile, par exemple dans le cas où les renseignements fournis ne
paraîtraient pas suffisants.
M.
Gendebien – C’est là un
faux-fuyant. On recule devant un vote tendant à éclaircir l’assemblée et on
n’ose l’avouer. Voilà tout.
M. Devaux – Ce n’est pas un faux-fuyant. Le faux-fuyant serait
d’ajourner la discussion par un moyen indirect.
M.
Gendebien – Je ne veux pas
ajourner la discussion. Je travaillerais, s’il le faut, toute la nuit ;
pendant trois nuits, s’il est nécessaire.
M. Devaux – Je suis dans mon droit quand je propose l’ordre du
jour.
M.
Gendebien – Je suis dans mon
droit quand je qualifie votre proposition de faux-fuyant.
M. Devaux – Je qualifie la vôtre de la même manière.
- L’ordre du jour est mis aux voix par appel nominal ; en voici le
résultat :
89 membres prennent part au vote.
50 adoptent.
39 rejettent.
En conséquence l’ordre du jour est adopté.
Ont voté l’adoption : MM. Bekaert-Baeckelandt, Coghen,
Coppieters, David, de Behr, de Florisone, de Langhe, F. de Mérode, W. de
Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, Dequesne, de Roo, de Sécus, de
Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, Donny, Dubois, Duvivier, Eloy de Burdinne,
Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Liedts, Mast de Vries, Meeus,
Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, Raikem, Rogier,
Smits, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Volxem, Verhaegen, H. Vilain
XIIII, Wallaert, Willmar et Fallon.
Ont voté le rejet : Beerenbroeck, Berger,
Brabant, Corneli, Dechamps, de Foere, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel,
Demonceau, de Puydt, de Renesse, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet,
d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Ernst, Gendebien,
Heptia, Lejeune, Manilius, Metz, Pirson, Pollénus, A Rodenbach, C. Rodenbach,
Scheyven, Seron, Simons, Stas de Volder, Thienpont, Vandenbossche, Van
Hoobrouck, Vergauwen et Zoude.
M. C. Rodenbach – Messieurs, j’aurais désiré pour ma part que la discussion
qui nous occupe n’eût pas eu lieu ; j’aurais voulu que la question
préalable écartât dès le premier jour le projet honteux qui nous est soumis.
Mais puisqu’il a fallu descendre dans l’arène, la circonstance est trop
solennelle pour ne pas dire toute notre pensée. Le pays a le droit de réclamer
une entière franchise de ses représentants.
On a dit que M. de Talleyrand avait déclaré qu’il n’y
avait pas de Belgique possible, qu’il n’y en aurait jamais. Si je rapproche ces
paroles d’un homme initié à tous les mystères de la diplomatie et qui
connaissait le sort qu’on nous réservait, des paroles tant de fois citées, qui
furent prononcées dans cette enceinte, lors de l’émission du Roi, j’y trouve
une identité complète : « sans le Luxembourg, le Roi ne règnerait pas
six mois en Belgique. » Ainsi celui qui devait avoir une connaissance de
la situation du pays, et le diplomate célèbre qui pénétrait toutes les
arrière-pensées des puissances, se sont trouvées d’accord pour proclamer cette
vérité : « Avec le morcellement, point de Belgique possible. »
Je le crois comme M. de Talleyrand, comme M. Lebeau. C’est une question de vie
ou de mort, et qu’il convient de poser en ces termes : « Y aura-t-il une
Belgique ? »
Je n’examinerai pas, messieurs, les questions de
compétence, de constitutionnalité, la question de commerce, celle de la dette,
si bien mises au jour par plusieurs orateurs ; j’insisterai seulement sur
deux points : le morcellement du territoire nous conduit à la restauration
ou à la réunion à
Dans la vie des peuples, comme dans celle des
individus, il n’y a que deux phases, la croissance et le dépérissement ;
ainsi l’a voulu la nature, ainsi nous l’apprend l’inexorable histoire. Il faut
marcher, il faut grandir, il faut graviter ou déchoir, il n’y a pas de milieu.
Depuis la révolution notre pays a gagné en prospérité et en bien-être une force
qui ne peut être niée. Sommes-nous déjà las de grandir, d’exister ?
Faut-il déjà commencer la phase de dépérissement, cesser d’être en quelque
sorte avant d’avoir été ?
Où donc est cette touchante unanimité qui, lors de la
discussion de l’adresse, s’empressait d’offrir au ministère tous les moyens
possible de résistance ? Que s’est-il donc passé depuis ? Quelle est
cette opinion flottante au gré du gouvernement, si on peut appeler opinion ce
qui n’est que de la faiblesse. Quand le ministère avait l’air de vouloir
résister, on ne trouvait rien d’impossible, rien de ridicule à la résistance ;
on allait au-devant de ses vœux ; on lui offrait hommes, argent,
crédit ; on était prêt à tous les sacrifices. Qu’est-il arrivé
depuis ? Le ministère a changé de pensée (du moins de pensée officielle),
et voilà que tout ce courage d’emprunt se fond en un clin d’œil. Nous, qui
étions les modérés d’alors, nous devenons des brouillons, des fanatiques, nous
voulons à tout prix la guerre, nous méconnaissons nos devoirs et nos droits.
Qui le croirait ? dans ce débordement de civisme improvisé, un homme, un seul
parmi nos adversaires, a eu le courage de la franchise ; il a eu le
courage de résister à l’entraînement général. Il était dans le vrai. Je
n’approuve pas son opinion, je n’approuve pas ses actes, mais je dis qu’il fut
le seul à lutter contre cet acte de ministérialisme, qu’il eut seul le courage
de son opinion, et je le loue de sa franchise. Peut-être était-il initié à la
pensée secrète du gouvernement. Il était indigne sans doute de la grande
mystification qu’on faisait subir à la nation ce drame joué à nos dépens nous a
convaincus que l’énergie est une chose rare, et que le courage civil est bien
moins commun que la valeur militaire.
Suivant nous, messieurs, il ne s’agit nullement de
guerre ici. Nous prétendons, au contraire, qu’on l’éloigne, qu’on l’évite par
un vigoureux élan de nationalité. On a dit qu’un petit pays comme le nôtre ne
pouvait se mettre en opposition avec les puissances. Je poserai ce
dilemme : ou les puissances sont d’accord, et dans ce cas rien ne leur est
plus facile que de nous réduire par la force, ou elles ne s’entendent pas.
Alors, c’est nous, au contraire, qui sommes forts pour la résistance. Mais si
la guerre générale a lieu, nous ne saurions en être cause. C’est qu’elle est
dans les principes mis en présence, c’est qu’elle est dans la force des
choses ; elle est dans l’air que l’on respire. Nommez-moi la puissance qui
est en état de venir nous attaquer sans danger pour elle-même, et je me rends.
Le danger des ennemis forme notre sécurité, constitue notre force morale.
On a dit qu’il valait mieux céder sans secousses ce
qui nous serait également enlevé par les armes. Par les armes ! je le nie.
Mais cela fût-il ainsi ce que la force arrache, la force peut le
reprendre ; mais ce que l’on cède par des traités, jamais. En diplomatie
la conquête ne fait pas le droit. Les traités seuls ont de la valeur. C’est un
motif, messieurs, pour ne les admettre que lorsqu’ils ne sont pas nuisibles,
onéreux au pays. N’avons-nous pas assez d’exemples, n’avons-nous pas été
témoins des conquêtes de vingt ans arrachées en un jour ? mais ce que les
traités ont enlevé à la nation la plus valeureuse du monde, le
reprendra-t-elle ? Hélas !!!
Vous figurez-vous, messieurs, l’effet que produirait
sur nos populations la présence d’un prince de la famille d’Orange-Nassau dans
les parties cédées ? le Limbourg et le Luxembourg ! deux provinces
qui nous étaient attachées par tant de liens et qui, après s’être séparés de
nous avec le ressentiment du mal fait à leur cause, attendront peut-être le
jour de l’abandon pour se jeter avec désespoir dans de sanglantes réactions.
Pensez-vous que ces deux provinces, constituées en état indépendant, sous le
titre de duché de Limbourg et de Luxembourg, ne seront pas les jalons de notre
ruine ?
Oh ! je ne puis m’appesantir là-dessus.
Non ! je ne puis croire que le mal soit consommé. Il a fallu s’entourer
d’une armée pour proposer à la chambre l’infâme traité ; l’armée éprouve
pour nos frères la sympathie la plus vive, et l’on a osé la ranger en bataille
à la frontière, et l’on a osé faire un appel à son courage ; d’une main on
lui présente le vainqueur d’Ostrolenka, de l’autre le traité de la honte. Mais
votre plus cruel ennemi ne pouvait vous conseiller davantage, et maintenant
vous croyez, imprudents que vous êtes, pouvoir retourner sur vos pas !
Quoi ! vous avez pris le calme de la nation pour de l’indifférence ;
vous avez pris sa patience pour de la peur.
Après avoir soulevé dans le pays les passions les plus
énergiques, celles qui se rattachent à l’amour de la patrie et du sol ;
après avoir partagé
Oh ! messieurs, ne reculez-vous pas devant les
malédictions des peuples que vous asservissez à jamais ? Vous craignez le
sang et les larmes . Ah ! que de larmes, que de sang, vous allez
faire couler dans l’avenir, le sang de la résistance, les larmes du
désespoir ! Vous avez été jusqu’ici une bannière de probité et de bonne
foi, n’assumez pas sur vous une horrible responsabilité, ne méprisez pas les
enseignements de l’histoire ; aucun peuple, à aucune époque, ne vota son
propre suicide. Voulez-vous prendre cette initiative ? Donnerez-vous ce
spectacle au monde qui vous contemple ? Compatriotes de Charles-Quint, des
Artevelde, déchirerez-vous les nobles parchemins de vos ancêtres ?
Oh ! laissez-vous toucher à la voix de la patrie. Cédez à l’élan
populaire, à cette voix infaillible d’honneur qui ne retentit jamais en vain.
Pendant qu’il en est temps encore, hâtez-vous de retirer le fatal projet qui
fait de
Si cependant l’iniquité se consomme, si contre mon
attente on rivait à jamais les chaînes des peuples, en donnant gain de cause à
l’absolutisme, je vous ajourne, messieurs ! Vous viendrez ici déplorer la
faiblesse qui vous fait sacrifier l’avenir du pays à l’intérêt du moment.
Dans cette chambre, messieurs, nous avons fait une
constitution, nous avons fait un Roi ; vous êtes, sans le vouloir, occupés
à les défaire !
- La séance est levée à quatre heures et demie.