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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 mars 1840
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre (notamment pétition
relative à une indemnité due sur le budget de la guerre (Lange))
2) Projet de loi portant le budget du département de
la guerre pour l’exercice 1840. Discussion générale. Rétablissement dans les
cadres de l’armée belge du général Vandersmissen par suite du traité des 24
articles (Willmar, Pirson, Dumortier, Willmar, de Theux), neutralité belge (de Foere),
(Lebeau), rétablissement dans les cadres de l’armée
belge du général Vandersmissen par suite du traité des 24 articles (Willmar, Trentesaux, F. de Mérode, Nothomb, Willmar, de Brouckere, Willmar, Nothomb, de Theux, Dumortier, de Brouckere, Pirson, Demonceau, Dolez, Milcamps, F. de Mérode, Mercier, Pirmez)
(Moniteur belge n° 73 du 13 mars 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à 1
heure.
M. Mast de
Vries donne
lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.
M. Scheyven fait l’analyse des pièces
adressées à la chambre
PIECES ADRESSEES A
« La régence de Liége
demande qu’il soit apporté des modifications à la loi sur la garde
civique. »
« Des habitants de la
commune de Baer-le-Heroy demandent le rétablissement de la langue flamande dans
certaines provinces, pour les affaires de la commune et de la province. »
- Renvoyé à la commission
des pétitions.
M. Lange – Dans notre séance de samedi
dernier, un sieur Bertrand a présenté une pétition dans laquelle il prie la
chambre d’allouer un crédit au ministère de la guerre pour l’indemniser des
pertes qu’il a éprouvées pour la construction de la forteresse de
Charleroy ; il a obtenu jugement contre l’administration de la guerre
relativement à cette indemnité. La pétition a été renvoyée à la commission des
pétitions avec demande d’un prompt rapport ; je demande si ce rapport est
prêt ou sur le point de l’être.
M. Zoude, rapporteur de la commission des pétitions – Si M. le ministre de la guerre n’a pas payé l’indemnité due
au pétitionnaire, c’est qu’il n’a pas de somme à sa disposition pour cet
objet ; la commission propose le renvoi du mémoire au ministre, afin que,
pendant la discussion de son budget, il demande le crédit nécessaire pour
satisfaire aux condamnations dont l’administration a été l’objet. Ce n’est
point par mépris pour la chose jugée que le directeur de l’administration n’a
point payé ; c’est uniquement par manque de crédit.
- Le renvoi au ministre de
la guerre est ordonné.
Discussion générale portant sur le rétablissement dans les
cadres de l’armée belge du général Vandersmissen par suite du traité des 24
articles
M. le ministre de la
guerre (M. Willmar) – Messieurs, la section
centrale, qui avait été chargée de l’examen du budget de la guerre, a proposé,
comme un préliminaire de la discussion, celle qui devait avoir lieu sur le
rétablissement dans les cadres de l’armée belge de général Vandersmissen. On a
déjà fait dans cette chambre, à l’occasion de la discussion générale du budget
des voies et moyens, l’objection que cette affaire ne concernait pas
spécialement le ministre de la guerre ; toutefois, il n’en est pas moins
vrai que le moment de discuter cette question est arrivé, et je pense que cette
voie, ouverte par la section centrale, de faire de cette discussion incidente
un préliminaire aux débats sur l’administration de la guerre, peut être
convenablement suivie, et c’est aussi sur cette question que j’ai voulu donner
sur-le-champ des explications à la chambre.
Je commencerai par relever
les erreurs qui ont déjà été commises au sujet de cette affaire.
On a prétendu que M.
Vandersmissen avait été mis en disponibilité, et on a présenté cette position
comme étant une récompense qui lui aurait été accordée.
Il y a d’abord une erreur de
fait dans ces assertions ; c’est que la position du général Vandersmissen
est celle de la non-activité, qui est la moins bonne des positions légales qui
appartiennent aux membres de l’armée. Ce n’est donc pas ce qu’on peut appeler
une récompense.
On a prétendu aussi que la
réintégration de cet officier dans les cadres de l’armée était une atteinte
portée à la discipline. Il est bien certain que, s’il y avait eu dans ce fait,
récompense, il n’y aurait pas eu encouragement pour la discipline ; mais
cela n’est nullement exact. L’inexactitude cette assertion résulte de
l’explication que je viens de donner. La position faite à M. Vandersmissen est
une position purement légale, qui lui était due rigoureusement en vertu de la
constitution même du pays. Cette position, loin d’être une récompense, peut,
selon les circonstances qui la font donner, être considérée comme constituant
une véritable peine.
Messieurs, respecter la
constitution et les lois du pays, même dans les circonstances extraordinaires,
même contre son opinion personnelle, ce n’est pas donner l’exemple de
l’atteinte à la discipline, c’est au contraire, donner l’exemple de la
discipline ; car la discipline n’est autre chose que l’obéissance à la
loi. Cette vérité, du reste, a été comprise par l’armée elle-même. Certainement
il y a eu, au moment où M. Vandersmissen a été replacé dans les cadres de
non-activité, un sentiment de regret qui s’est manifesté chez beaucoup
d’officiers ; il y même eu quelques manifestations de réprobation qui, du
reste, n’ont pas eu de durée, parce que la position donnée au général
Vandersmissen a été expliquée.
On comprend très bien que la
délicatesse sur le point d’honneur militaire devait faire craindre de devoir se
trouver sous le commandement d’un homme dont la conduite politique avait mérité
une juste réprobation.
J’en viens maintenant à la
manière dont cette question a été traitée dans les sections. La première et la
troisième section se sont exprimées avec beaucoup d’énergie contre l’acte du
gouvernement ; j’en dirai autant de la sixième, quoique ses motifs n’aient
pas été expliqués.
Quant à la section centrale,
qui a vu avec un profond regret la conduite du gouvernement dans cette
circonstance, je ferai ici une distinction. Si ce regret implique un blâme…
M. Dumortier – Oui ! oui !
M. le ministre de la
guerre (M. Willmar) – Ne m’interrompez pas,
monsieur, vous pourrez parler à votre tour. Si ce regret implique un blâme, je
dis que le gouvernement a le droit de le repousser et le repousse. Si c’est un
simple regret, quant à l’acte en lui-même qui a été jugé nécessaire par respect
pour la constitution et les traités, ce regret est partagé par le gouvernement
lui-même et particulièrement par moi, comme ministre de la guerre.
Messieurs, le principe que
j’ai cherché à établir et à maintenir avec les plus grands efforts, même dans des
circonstances difficiles, c’est celui que l’armée doit s’abstenir de toute
manifestation de principes politiques. Je le dis franchement, partout où j’ai
vu une tentative de semblable manifestation, je l’ai réprimée sur-le-champ.
Certes, il m’eût été bien plus agréable de pouvoir réprimer une manifestation
politique aussi blâmable que celle dont il s’agit, que de la laisser sans
conséquences futures au moins pour celui qui s’en était rendu coupable. Mais
c’est ici que je crois devoir prier la chambre de penser aux circonstances
politiques.
Dans les temps de révolution
il se passe beaucoup de choses extraordinaires ; il se crée bien des
positions extraordinaires qu’il faut savoir accepter. Du reste, ceci paraît
avoir été senti par la majorité de la chambre ; et en effet, sur les six
sections qui forment la chambre, il n’y en a eu que trois qui ont émis une
opinion. Et certes si les autres ne l’ont pas fait, ce n’est pas faute d’y
avoir été sollicitées.
Messieurs, la cause première
de la mesure prise par le gouvernement à l’égard de M. Vandersmissen, c’est le
traité du 19 avril. Ce traité a été regardé comme renfermant une amnistie pour
tous les faits politiques. C’est un principe général que cette question
d’amnistie doit toujours s’entendre dans le sens le plus absolu, le plus
libéral.
Au moment de la paix,
surtout d’une paix entre nations séparées par suite d’une révolution, l’idée
d’amnistie se présente à tout le monde. L’idée d’un procès politique au moment
de la paix, au moment où toutes les dissensions doivent cesser, cette idée-là,
au contraire, choque tout sentiment de générosité.
Ce ne sont pas seulement les
considérations générales de cette nature qui ont porté à faire à M.
Vandersmissen l’application de l’amnistie qu’on a regardée comme renfermée dans
l’article 20 du traité ; on a regardé cette application comme étant
légalement fondée.
Plusieurs membres de la
section centrale, car il y eu loin d’y avoir unanimité sur cette question, plusieurs
membres ont nié que l’amnistie fût applicable au fait dont il s’agit, et ils se
sont fondés sur ce que, suivant eux, il n’y avait pas changement de domination
pour le pays tout entier ; que par conséquent M. Vandersmissen ne se
trouvait pas compris dans la catégorie à laquelle l’article 20 est applicable.
Ils ont prétendu que le changement de domination avait été consommé par
l’expulsion des troupes hollandaises du pays, par l’exclusion des Nassau du
trône.
Si cet état de choses était
exact, si le changement de domination avait été entièrement consommé avant le
traité, alors je demanderai : pourquoi le traité du 15 novembre
1831 ? Ce traité n’a été combattu en principe par personne ; il a
rencontré une opposition très forte, très vivace, très naturelle d’ailleurs
dans quelques-unes de ses conditions ; mais, je le répète, en principe, il
n’a été combattu par personne. Il est donc évident que le traité lui-même a été
regardé comme très utile.
Eh bien, pourquoi cette
nécessité si généralement reconnue du traité ? Parce qu’il faisait entrer
dans le droit politique européen l’indépendance et la nationalité belge :
c’est-à-dire le changement de domination. L’indépendance existait certainement
comme fait ; le traité l’a sanctionnée comme droit. Cette sanction, c’est
l’observation de la part de l'Europe des clauses du traité. Eh bien, cette
observation de la part de l’Europe doit exiger de notre part une observation
égale, tout aussi étendue.
Nous devons reconnaître au
traité tous ses effets, parce que nous voulons qu’ils soient tous observés à
notre égard. Eh bien ! parmi ces effets se trouve comprise, quant à nous,
l’observation de l'amnistie, comme pour l’Europe la consécration en droit de
notre indépendance.
Mais, dit-on, si
Messieurs, le fait, pour les
parties du Limbourg et du Luxembourg dont il s’agit, c’est leur existence sous
la domination du Roi des Belges ; le changement de domination, c’est le
passage de fait sous le gouvernement des Pays-Bas. Ainsi le fait existant et ne
pouvant être nié, la conséquence du fait, qui est l’amnistie, doit
nécessairement suivre le fait lui-même, et par conséquent on se serait jamais
fondé à dire que l’amnistie peut être contestée en faveur des populations du
Limbourg et du Luxembourg, par cela seul qu’on entend qu’elle est applicable à
tous les pays qui ont été sous la domination des Pays-Bas.
Une autre objection qu’on a
faite, a été celle qu’en admettant même que le traité fût applicable dans ce
sens, il ne pouvait l’être à M. Vandersmissen, parce que les faits qui lui sont
relatifs sont étrangers à ceux dont le traité sanctionne les résultats. Je
pense que ce n’est pas sérieusement qu’on fait une semblable objection. Quel
était l’objet du fait dont il s’agit ? mais évidemment d’empêcher le
changement de domination ; d’annuler les effets de ce changement. Comment
peut-on prétendre que ce fait soit étranger au traité, dont l’effet principal,
au contraire, a été de consacrer ce changement de domination ? Si le
projet avait réussi, évidemment il n’y aurait pas eu de traité.
On a encore comparé ce fait
à celui d’un fonctionnaire hollandais qui aurait commis un acte de trahison
contre son gouvernement. Cette comparaison n’est certainement pas plus exacte
que la première. Est-ce que
Je pense donc que toutes les
objections qu’on a faites contre l’application de l’amnistie à M.
Vandersmissen, manquent de fondement. L’application faite de l’amnistie a eu
lieu en vertu de la loi par laquelle le gouvernement a été autorité à conclure
le traité. Dès lors l’application de l’amnistie a eu lieu en vertu de l’article
78 de la constitution, et il n’y a certainement pas eu violation de l'article 73 ;
il n’y a pas eu excès de pouvoir ; il n’y a pas d’acte à réprimer, suivant
l’expression de quelques membres, ni d’actes à excuser, suivant l’indulgence
que d’autres ont bien voulu professer.
Mais, dit-on (ce sont
d’autres membres de la section centrale qui ont soutenu cette opinion), quand
même l’amnistie aurait été applicable, elle n’aurait pas dû avoir pour
conséquence la réintégration de M. Vandersmissen dans son grade, c’est-à-dire
que l’amnistie étant impliquée par suite du sens qu’on voudrait appliquer à ce
mot, M. Vandersmissen se trouvant rétabli dans la position qu’il avait avant le
fait dont il s’est rendu coupable, et se trouvant ainsi replacé dans le droit
créé par l’article 124 de la constitution, il aurait fallu lui enlever ce
droit.
Certes, la position de M.
Vandersmissen étant reconnue telle que je viens de la présenter, si on avait
refusé de lui reconnaître le droit résultant de l’article 124 de la
constitution, une application contraire se serait fait jour ?
Les motifs que l’on a fait
valoir pour prouver que le général Vandersmissen n’aurait pas dû être réintégré
dans son grade, c’est d’abord que la loi de 1836 prononce la perte du grade
contre les officiers reconnus coupables d’une absence illégale hors du royaume.
Messieurs, si l’on
avait relu cette loi de 1836 que l’on invoque, on aurait vu sur-le-champ
qu’elle ne s’applique qu’aux militaires compris dans les cadres de l’armée au
moment où la loi dont il s’agit a été portée. Or, en
Le second motif pour lequel
on prétend que le général Vandersmissen n’aurait pas dû être réintégré dans son
rang, c’est qu’il aurait encouru la déchéance avant son jugement, parce qu’il
n’a pas accompli les obligations imposées par les articles 3 et 4 des décrets
du 16 mars et du 20 juillet 1831, décrets qui établissent l’obligation du
serment.
Messieurs, un principe
général que ne méconnaissent pas non plus ceux qui jugent les choses en
elles-mêmes, d’après les principes généraux et non pas d’après leurs passions,
c’est qu’en fait de violations des lois, celles-là seules qui sont volontaires
sont punissables. Il est certain que M. Vandersmissen n’a point prêté le
serment prescrit par les décrets du congrès ; c’est qu’il y a donc à
examiner, ce n’est pas la question de savoir s’il s’est trouvé dans la
possibilité de le faire.
L’ordre d’arrêter M
Vandersmissen a été donné le 29 mars 1831 ; à cette époque l’obligation
légale de prêter serment n’existait pas encore pour lui, c’est-à-dire que la
déchéance prononcée par la loi ne pouvait pas encore lui être appliquée. En
effet, le décret accorde un délai d’un mois, à partir de sa publication, pour
l’accomplissement de la formalité du serment. Or, c’est le 16 mars que le
décret a été promulgué, c’est donc jusqu’au 16 avril que courait ce délai. Il
n’y avait donc pas, avant le 29 mars, obligation pour le général Vandersmissen, de prêter
serment.
Non seulement cette
obligation de prêter serment n’existait pas à cette époque, mais il n’y avait
pas même possibilité pour lui de le faire. Dans l’état militaire, partout où
règne l’ordre, partout où il y a hiérarchie, rien ne se fait, en matière de
devoirs, sans ordre, et certes, messieurs, vous comprendrez que ce serait une
chose assez peu exemplaire de voir, dans des circonstances semblables à celles
dans lesquelles on se trouvait à l’époque dont il s’agit, les subalternes de
tout grade venir sommer leurs chefs de recevoir leur serment. Partout où une
loi concernant les militaires a été portée, l’exécution en a été réglée par une
disposition du gouvernement. Eh bien, il n’y a eu de disposition de la part du
gouvernement pour l’accomplissement de la formalité du serment que le 27 mars,
et le 27 mars l’ordre de prêter serment n’a été demandé que pour Bruxelles, où
le serment a été en effet prêté par tous les officiers de l’armée qui s’y
trouvaient ; mais dans les autres parties du pays l’ordre n’a été donné
que dans les premiers jours du mois d’avril. Le 27 mars, M. Vandersmissen,
contre lequel un ordre d’arrestation n’avait, à la vérité, pas encore été
donné, était parti de lui-même ; l’ordre de prêter serment, donné le 27
mars, ne le concernait pas, puisqu’il ne faisait pas partie de la garnison de
Bruxelles. On sait, en effet, qu’il était commandant militaire de la province
d’Anvers ; il y avait donc pour lui non seulement absence d’obligation,
mais encore impossibilité de prêter serment avec le moment de son départ. Dès
lors y avait-il possibilité, messieurs, de le rendre responsable du fait de ne
l’avoir pas prêté ?
Nous venons de voir qu’il a
été impossible à M. Vandersmissen de prêter serment après le décret du 16 mars.
Il s’est trouvé dans la même impossibilité après le décret du 20 juillet. En
effet, lorsque ce décret a été porté, M. Vandersmissen était poursuivi devant
la haute cour du chef de trahison, du chef d’un crime entraînant une peine
infâmante, entraînant la perte des droits civiques, entraînant la perte de la
position qui rendait le serment nécessaire. Certes, dans une telle position,
personne ne l’eût admis au serment, personne n’eût été autorisé à le recevoir.
Ainsi, messieurs, avant
comme après le 16 avril, il était impossible que M. Vandersmissen prêtât
serment, et dès lors, je le répète, il y avait véritablement impossibilité de
le rendre responsable de son défaut de prestation de serment.
J’ai une observation
ultérieure à faire en ce qui concerne l’application du décret du 20 juillet,
c’est que ce décret n’était nullement applicable à M. Vandersmissen. En effet,
les articles 1 et 2 de ce décret désignent les personnes auxquels il était
applicable ; et les catégories de ces personnes ne sont qu’au nombre de
deux : ce sont les membres des chambres et les fonctionnaires publics
avant d’entrer en fonctions. Or, M. Vandersmissen, fugitif, déchu de son rang
militaire, n’était certainement pas fonctionnaire public prêt à entrer en
fonctions ; il ne tombait donc pas dans l’application du décret, et dès
lors on est tout à fait mal fondé à prétendre qu’il a encouru la déchéance du
chef de non prestation de serment.
Il n’y a donc ici encore aucune
violation d’une loi quelconque, de la part du gouvernement, il n’y a point
excès de pouvoir, il n’y a point de blâme à encourir, pas même d’indulgence à
rencontrer.
Je ne résumerai pas
autrement mon opinion ; je crois d’ailleurs pouvoir m’en référer au résumé
qui se trouve dans le rapport même de la section centrale et qui est mieux fait
que je ne pourrais le faire.
M.
Pirson – Messieurs, c’est sans doute
de moi que M. le ministre de la guerre a voulu parler lorsqu’il a dit que l’on
avait déjà soulevé cette question de la réintégration du général Vandersmissen
sur les contrôles de l’armée, car dans la discussion générale des budgets, j’ai
dit quelques mots de cette question, me réservant d’en parler plus longuement
dans la discussion actuelle si je le jugeais convenable. Mais M. le ministre de
la guerre me fait dire quelque chose que je n’ai point dit. Je n’ai pas parlé
de la réintégration du général Vandersmissen comme d’une récompense ; je
me suis bien servi du mot récompense, mais c’était après avoir parlé de
trahison, et je crois que quand on parle de la récompense d’une trahison, c’est
tout autre chose que si l’on parlait de la récompense méritée par un
fonctionnaire ou par un militaire qui a bien servi la patrie. Ce n’est donc
qu’au figuré que le mot de récompense se trouve dans ce que j’ai dit dans la
première discussion des budgets.
Et comme M. le ministre de
la guerre aime beaucoup à expliquer les choses, je les explique, moi, à ma
façon ; il n’y a pas ici de métaphysicien, car j’avoue que je ne suis pas
aussi bon métaphysicien que M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre
dit que j’ai parlé de discipline. J’avoue que j’ai parlé de discipline. J’ai
dit que c’était donner un mauvais exemple, l’armée que de replacer dans les
cadres un homme qui avait ouvertement trahi son pays.
Il y a une expression dont
je me suis servi dans ce discours, et que je considère comme mal choisie. J’ai
dit que le ministre avait « déshonoré » l’armée, en replaçant le
général Vandersmissen dans les cadres ; eh bien non, il n’a pas déshonoré
l’armée, l’armée ne pouvait pas être déshonorée ; mais je dirai, en
expliquant mon expression, que M. le ministre a insulté l’armée. Le général
Vandersmissen ne pouvait pas plus déshonorer l’armée belge, que Bourmont ne
pouvait déshonorer l’armée française.
Voilà ce que j’avais à dire
sur le fait personnel.
M.
Dumortier – Messieurs, le discours que vient
de prononcer M. le ministre de la guerre est trop subtil pour que j’entreprenne
de le suivre pas à pas ; je déclare que la subtilité de ses arguments
n’est pas venue jusqu’à moi ; j’avoue que je n’ai pas l’esprit assez
ouvert pour les comprendre : il me faut, moi, des arguments clairs et
simples. Et il me semble, messieurs, que la matière qui aujourd’hui se présente
devant vous, est tellement évidente pour chacun de nous, qu’il est inutile
d’entre dans de pareilles subtilités pour se former une conviction au sujet de
l'affaire du général Vandersmissen.
Cette conviction, les
sections qui ont examiné la question se la sont formées ; cette
conviction, votre section centrale se l’est formée aussi. Et il ne faut pas que
le ministère s’y trompe : les expressions de regret dont il est parlé dans
le procès-verbal de la section centrale ont été, dans sa volonté, un blâme de
la conduite du gouvernement.
A cet égard, on a d’abord
agité, au sein de la section centrale, la question de savoir si le ministère serait
ou non blâmé, en quels termes il le serait.
La majorité de la section
centrale s’est prononcée pour le blâme, et les membres de cette majorité ont
adopté la rédaction que vous voyez insérée dans le rapport. Ainsi, à cet égard,
il ne peut y avoir aucune espèce d’équivoque. Voyons maintenant la question.
M. le ministre de la guerre
prétend qu’en replaçant dans les rangs de l’armée le général Vandersmissen, il
n’a fait qu’agir en vertu de la constitution et en exécution des lois du pays.
Là, messieurs, est en effet
une partie de la question, non pas toute la question, car il y a ici une
question d’honneur et de dignité nationale qui doit dominer la question de
droit, la question de légiste. Mais enfin, en admettant même cette position de
la question, je dis qu’il est impossible que le ministère ait été en droit de
replacer le général Vandersmissen en vertu des lois qui nous régissent.
Vous connaissez, messieurs,
comment les faits se sont passés. Le général dont il s’agit, après avoir pris
une part assez grande à la révolution, avait trahi la cause du pays, d’une
manière que je ne veux pas qualifier. Il avait fait des propositions à une
partie de l’armée belge, pour marcher sur la capitale, en expulser le congrès
et proclamer ensuite le retour de la dynastie déchue. Mais ses manœuvres furent
déjouées ; et il fut obligé de se réfugier dans un pays voisin, pour
échapper à la peine réservée aux parjures.
Maintenant que les faits
nous sont connus, vous remarquerez qu’il y a ici culpabilité, 1° du chef de
trahison ; en second lieu, du chef de désertion ; 3° en omettant de
prêter le serment prescrit par le congrès, serment qui devait, sous peine de
déchéance, être prêté dans le mois postérieur à la date du décret du congrès.
Vous remarquerez que, par
cette déchéance, le général avait perdu son grade, et que dès lors il ne
pouvait pas rentrer avec ce grade dans l’armée belge, puisque la loi n’autorise
pas le gouvernement à faire des généraux d’emblée, et que, pour arriver au
généralat, il faut passer par tous les grades inférieurs.
Mais, vous dit-on, il y
avait une amnistie, le traité du 19 avril avait proclamé une amnistie ;
cette amnistie, nous l’avons exécutée.
Messieurs, pour comprendre
s’il y a eu ou non une amnistie par suite du traité, il faut d’abord lire l’article
du traité qui s’y rapporte ; cet article est le vingtième du traité du 19
avril, et est ainsi conçu :
« Personne, dans les
pays qui changent de domination, ne pourra être recherché ni inquiété en aucune
manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux
événements politiques. »
Voilà l’article que le
ministre invoque, pour prétendre qu’il était dans son droit lorsqu’il a replacé
dans les rangs de l’armée, un homme coupable de haute trahison envers le pays.
« Personne dans les
pays qui changent de domination » … mais quels sont les pays qui changent
de domination ? Evidemment ce sont les territoires qui ont été remis au
roi Guillaume ; car la domination est une question de fait, le traité
n’est venu que donner à ce fait la consécration du droit.
On ne peut donc, selon moi,
sortir de ce dilemme : ou bien l’article 20 du traité s’applique seulement
aux habitants du Limbourg et du Luxembourg, et dans ce cas, il est une garantie
pour ces habitants ; mais alors il ne vous accorde nullement le droit
d’amnistie à l’intérieur des traîtres à la patrie ; ou bien, l’article 20
du traité s’applique à
Ainsi dans le sens du
ministère, le roi Guillaume pourrait opprimer, torturer les habitants du
Limbourg et du Luxembourg cédés, nous n’aurions à réclamer en leur faveur
aucune garantie, nous n’aurions pas même le droit de nous en plaindre. Ainsi
encore, nous pourrions être forcés de replacer dans l’armée tous les traîtres à
la révolution qui ont été pris les armes à la main, nous n’aurions pas le droit
de nous y opposer.
Voilà les conséquences qui
résulteraient du système qui a été défendu par M. le ministre de la
guerre ; car, remarquez-le bien, l’article du traité sur lequel il s’est
appuyé ne peut pas s’appliquer simultanément au fait et au droit, comme le
prétend le ministre, il est obstatif de l’un ou de l’autre.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux) – Je demande la parole.
M. Dumortier – « Les pays qui
changent de domination », dit l’article 20 du traité… Il s’agit de savoir
ce que c’est que ce changement de domination… Est-ce
Si c’est
Messieurs, voila la
conséquence inévitable du système que le ministère a adopté, pour soutenir une
cause insoutenable.
Mais malheureusement, il
n’en est pas ainsi ; notre existence, comme nation, ne date pas seulement
du traité du 19 avril, mais elle a été aussi consacrée par le traité du 15
novembre et inévitablement on ne peut pas prétendre que depuis le jour où nous
avons été reconnus pour la première fois par les cinq puissances, nous ayons
été en état d’hostilité avec l’Europe, et que notre Roi ait été un usurpateur.
Mais ce qui, d’ailleurs, ne
laisse aucun doute sur ce qui constitue « les pays qui changent de
domination », c’est l’article 24 du traité. Que porte cet article ?
« Aussitôt après
l’échange des ratifications du traité à intervenir, les ordres nécessaires
seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des
territoires, villes, places et lieux qui changent de domination. »
Voilà donc définis les pays
auxquels doivent s’appliquer les mots : « qui changent de
domination. » Eh bien, quels sont ces pays ? C’est de la part de
Il est donc hors de doute,
et toutes les subtilités du monde ne pourront détruire cet argument, il est
hors de doute que les parties « qui changent de domination » sont
uniquement les territoires qui, en fait, ont changé de domination par suite de
l’exécution du traité, et que la garantie que le traité renferme n’est relative
qu’aux seuls habitants de ces territoires.
Il n’y a donc aucun moyen
d’appliquer cette disposition au général Vandersmissen. Et ici je ne comprends
pas l’argument du ministre, lorsqu’il a dit qu’il est de l’essence des actes
d’amnistie d’être interprétés dans le sens le plus large.
Interprétez les actes
d’amnistie dans le sens le plus large, je le veux bien, mais cette
interprétation large ne peut vous donner le droit de donner au traité un sens
diamétralement opposé à celui qu’il a. Car, je le répète, si vous adoptiez le
système qui vient d’être développé par le gouvernement, il ne resterait du
traité aucune garantie pour les habitants des deux provinces cédées. Et
cependant vous devez vous souvenir que, lorsque nous discutâmes le traité
d’odieuse mémoire, on a fait sonner bien haut les garanties que le traité
devait offrir aux habitants des territoires cédés, on a fait sonner bien haut
le privilège ; qu’ils ne pourraient en aucune manière être poursuivis du
chef d’actes exécutés pendant la domination du gouvernement belge.
Que répond à cet argument M.
le ministre de la guerre ? Si, dit-il, le changement de domination avait
été exécuté avant le traité, pourquoi aurions-nous fait un traité ?
Pourquoi nous aurions fait
un traité ?... Mais la chose est bien simple, c’est pour faire la paix
avec
Que le gouvernement aille
voir comment en Hollande on a compris la disposition dont il s’agit. Qu’il nous
dise si
Un membre – Ils ne les porteront pas.
M. Dumortier – Messieurs, je sais qu’en
Belgique l’armée est trop remplie de sentiments patriotiques pour jamais
consentir à s’abaisser jusqu’à mettre la main au chapeau en présence d’un
traître. Mais je dis que le ministre la met dans l’obligation de manquer à son
devoir ou bien de faillir à l’honneur.
Messieurs, ce n’est pas sans
un grand étonnement que j’ai entendu M. le ministre de la guerre prononcer un
discours qui est la justification de tous les traîtres, heureusement fort peu
nombreux, que la révolution a pu compter ; mais il a été plus loin, car
son discours est l’apologie de Grégoire, de Debast et de tous les autres
traîtres qui ont été pris les armes à la main. Je n’ai pas besson de vous dire
quelles peuvent être les conséquences d’un pareil discours. Mais que dit encore
le ministre de la guerre ? Si on avait refusé, dit-il, de replacer le
général Vandersmissen, on se serait mis en opposition avec l’article 124 de la
constitution, qui garantit la conservation des grades aux officiers de l’armée.
Or, le général Vandersmissen a perdu son grade par plusieurs faits :
d’abord par le fait de sa culpabilité et du jugement qui l’a établie ; en
second lieu par le fait de sa désertion ; en troisième lieu pour ne pas
avoir prête, dans le délai voulu, le serment prescrit par le congrès en faveur
du régent.
M. le ministre de la guerre
trouve d’excellents moyens pour justifier le général Vandersmissen. D’abord,
quant à sa désertion, il a trouvé tout simple ; il a dû déserter, car il
était accusé ; il ne pouvait pas rester sous la main de ceux qui pouvaient
le prendre. Dans cette nécessité, il quitta
Voilà donc pour la
désertion. Quant à la non-prestation de serment, « le général avait le
délai d’un mois pour prêter serment, délai qui expirait le 27 mars. A cette
époque, il était parti. Il était donc dans l’impossibilité de prêter serment,
par conséquent on ne peut pas le rendre responsable de ne l’avoir pas
prêté. »
En vérité, messieurs, voilà
des arguments d’une subtilité admirable. Je n’aurais jamais pensé que la
justification de pareils faits fût sortie de la bouche du ministre de la
guerre. Si on admet de pareils arguments, tous les déserteurs, tous les
traîtres, tous ceux qui ont manqué à leurs devoirs, pourront prétendre qu’ils
sont purs et irréprochables.
Le général Vandersmissen
était parti, il se trouvait dans l’impossibilité de prêter serment. Mais qui
donc l’avait obligé de partir si ce n’est sa trahison ?
Au reste, quand on la
considère sous toutes ses faces, toute l’argumentation de M. le ministre de la
guerre se réduit à ceci : le général Vandersmissen s’est trouvé tourmenté
en Belgique, il est allé faire un voyage jusqu’à la paix ; il revient, il
reprend sa place. Voilà à quoi se résume toute l’argumentation du ministre de
la guerre.
Je pense qu’il suffit de
présenter cette argumentation dans toute sa nudité pour qu’elle soit condamnée.
Il suffit aussi de signaler les faits pour démontrer combien le gouvernement a
été coupable de remettre dans les rangs de l’armée un homme qui avait commis le
triple crime de trahison, de désertion et de non prestation de serment.
Maintenant comparez la
conduite du gouvernement dans cette circonstance avec sa conduite envers les
hommes de la révolution. Eh bien, ce même gouvernement qui replace dans les
rangs de l’armée un homme qui fut traître à la patrie, qui voulu faire échouer
la révolution et ramener la restauration, qui déserta son drapeau et ne prêta
pas serment, comme se conduit-il envers les hommes auxquels
Pendant les grandes
journées, journées mémorables que des événements malheureux n’ont pas
obscurcies, cette capitale fut défendue par des braves qui méritaient d’être
récompensés des services signalés rendus par eux à la patrie. Eh bien, le brave
général Mellinet fut mis en non activité comme le traître dont il s’agit ;
le colonel Parent qui a commandé le premier jour et une partie du second jour
la place Royale, on ne lui a pas même donné la part de la somme votée à
laquelle il avait droit comme chef de volontaires. On l’a congédié purement et
simplement, c’est-à-dire qu’on l’a abreuvé de dégoûts jusqu’à ce qu’il se
retirât.
Le baron de Creheu, l’un des
hommes qui ont rendu le plus de services à la révolution, on l’a maintenu dans
le grade de capitaine d’artillerie qu’il avait avant la révolution. On l’a
laissé partir pour le Portugal, et quand il est revenu, on a voulu le faire
passer dans l’infanterie, d’officier d’artillerie qu’il était, on a voulu le
faire sortir de son arme. Voilà comment on se conduit envers les hommes de la
révolution.
A l’égard du général
Niellon, qui avait conduit nos armées à la victoire, qu’a-t-on fait ? on
l’a mis en disponibilité ; qu’à-t-on fait encore à l’égard du général le
Hardi de Beaulieu ? on l’a mis en disponibilité. Comment a-t-on agi à
l’égard du général Daine qui s’était emparé de Venloo ? Il a été mis en
disponibilité pendant six à sept ans ; on ne lui a rendu de l’activité de
service qu’en lui faisant expier la faute d’avoir pris Venloo, en l’obligeant à
remettre cette place aux mains des Hollandais. Il y avait encore un brave
colonel, frère d’un de nos collègues, qui avait aussi rendu des services
signalés à la révolution ; il fallait encore le sacrifier ; on l’a
mis en disponibilité ; on lui a ôté le commandement qu’il avait. Le
général Vandermeer, on en a fait très bon marché, il est depuis longtemps hors
des rangs de l’armée. Ce n’est pas tout, ce même gouvernement renvoyait,
destituait l’un des hommes qui ont rendu les plus grands services à la
révolution, le baron de Stassart, au moment même où il accordait une faveur au
général Vandersmissen.
Cependant on ne devrait
jamais oublier les services rendus à la patrie.
Si une discussion a pu avoir
lieu entre le ministre de l’intérieur et un gouvernement, cela ne nous regarde
pas. Nous ne voyons qu’un fait : quand le gouvernement d’un côté replaçait
dans les rangs de l’armée un homme qui avait déshonoré la cocarde belge, qui
avait déserté et refusé de prêter serment, et d’un autre côté, il
destituait un des hommes qui avaient
rendu le plus de services à la révolution, un homme qui n’avait pas même pu
siéger en Hollande, tant son nom était connu des Hollandais, pour l’opposition
qu’il aurait faite.
Voilà la conduite du
gouvernement.
Messieurs, quand je vois de
pareils faits, quand je vois poursuivre, écarter des fonctions publiques les
hommes qui ont rendu des services au pays et replacer des hommes qui ont trahi
au su et vu de tout le monde, qui ont été condamnés pour trahison, je dis qu’un
gouvernement qui agit ainsi est un gouvernement déplorable, un gouvernement qui
ne sait ni récompenser ni punir.
Vous avez tous présent à
l’esprit, messieurs, l’effet produit par le replacement dans l’armée d’un
officier déserteur, condamné pour désertion. Cet effet n’était pas douteux, il
est incontestable que quiconque porte un cœur belge, et tous les officiers et
les soldats de notre armée portent un cœur belge, devait voir avec un regret
infini, avec un déplaisir amer, replacer dans les rangs de l’armée un homme qui
avait déshonoré sa cocarde.
Comment M. le ministre
parle-t-il de ce sentiment de réprobation ? Quelques réclamations, dit-on,
ont eu lieu, dans quelques localités on s’est permis des propos inconsidérés.
Des propos inconsidérés ! c’est ainsi que vous qualifiez les sentiments
d’honneur, de respect pour le devoir qu’ils éprouvent à la vue du général qui
avait trahi et que vous remettez à leur tête ! Je ne puis laisser passer
de pareilles expressions sans protester de toutes mes forces.
Mais voyez combien est
grande la prédilection du gouvernement pour ceux qui ont trahi la révolution.
Le général Mellinet avait rendu de grands services à la révolution ; après
l’avoir mis en disponibilité, on l’a envoyé à Philippeville avec ordre d’y
résider ; et il y serait encore aujourd’hui, sans une maladie grave dont
il est atteint.
Le général Niellon était
gênant, on l’a envoyé dans le fond des Ardennes où il est encore aujourd’hui.
Le major Schavaye, qui lui
aussi avait rendu les plus grands services, offusquait, on lui a ordonné
d’aller à Bouillon ou à Philippeville. Quant à Vandersmissen, il n’avait pas
servi la révolution, il avait été traître à la patrie ; on lui a assigné
une résidence aux portes de la capitale, au faubourg d’Ixelles. Faites la
comparaison, voyez la préférence qu’on donne aux hommes de la trahison sur ceux
qui ont agi sous l’inspiration des sentiments nationaux et vous aurez la mesure
de la règle de conduite du ministère. Vous vous plaignez de ce que les journaux
injurient le Roi et
Messieurs, j’ai entendu
dire, je ne sais jusqu’à quel point cela est vrai, peut-être un honorable
membre pourrait-il en dire quelque chose, que les motifs de la réintégration du
général Vandersmissen étaient tout autres que ceux annoncés, que ce n’était ni
une question de droit, ni une question de légalité, ni une question de
constitution, ni une question concernant le traité des 24 articles, mais une
question de mémoire. J’ai entendu dire que le général Vandersmissen aurait
menacé de publier un mémoire dans lequel il aurait relaté tous les faits de la
révolution et nommé tous les traîtres qui avec lui auraient pris part à la
conspiration et que ce serait pour empêcher la publication qu’on aurait violé
les lois et les convenances sociales en replaçant le général Vandersmissen dans
les rangs de l’armée.
J’ai lu cela dans les
journaux de l’époque. Je ne sais si cela est vrai ; mais je déclare que je
suis assez porté à le croire. Si cela est vrai, comment peut-on qualifier la
conduite d’un ministre, qui, pour empêcher la révélation d’un traître, lui
accorde une faveur ? Eh, mon Dieu ! s’il y a dans l’armée quelques
hommes (car certes ils ne sont pas nombreux) qui aient voulu livrer la patrie,
quel si grand mal y a-t-il qu’on les connaisse ? Pour moi je vois avec
regret ceux qui ont voulu trahir, conserver un commandement dans l’armée ;
et la raison en est simple : notre armée est jeune ; elle est brave
et bien disciplinée sans doute ; mais on ne peut contester qu’elle soit
jeune. Eh bien, rappelez-vous ce qui s’est passé au mois d’août. Un seul mot a
causé notre perte. On s’est écrié : « Nos chefs ont trahi, ils
trahissent encore. » Voilà quelle a été la cause du désastre du mois
d’août. Dans l’incertitude des événements qui peuvent planer sur
Messieurs, des actes tels
que celui que je signale ont un effet terrible sur l’avenir des nations.
Lorsqu’un gouvernement
respecte assez peu les lois, dans une circonstance aussi grave, pour faire
rentrer un traître dans les rangs de l’armée, alors qu’il n’y avait pas
nécessité absolue (et cette nécessité absolue n’existait pas, elle ne pouvait
pas exister), lorsqu’un gouvernement respecte assez peu la morale publique pour
ne pas tenir compte de tout ce qu’il y a de plus sacré, de l’horreur que la
trahison inspire à tout bon citoyen, je dis que dans un pays ainsi gouverné
tout tend à une dissolution sociale.
Déjà nous avons été frappés,
messieurs, par un acte qui a fait à
Dans tous les cas, je
présume que vous n’hésiterez pas à émettre le vœu qu’a émis la section
centrale, pour blâmer le gouvernement dans l’affaire Vandersmissen.
M.
le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je n’entrerai pas dans la discussion de tous les
arguments qu’a faut valoir le député de Tournay. Je prétends les avoir presque
tous réfutés à l’avance. Mais il y a dans ce qu’il a dit des assertions
auxquelles je dois donner sur-le-champ le démenti le plus formel.
M. Dumortier a dit que l’on
avait craint les révélation de M. Vandersmissen, cela n’est pas vrai ; il
n’y a rien eu de semblable.
J’ai encore un mot à dire,
parce que je ne puis souffrir qu’on porte atteinte au sentiment de discipline
que j’ai pris tant de peine à faire régner dans l’armée. Il n’y aurait pas un
sentiment d’honneur dans les manifestations publiques de réprobation que des
militaires se permettraient contre un acte du gouvernement. Il y aurait de
l’insubordination, et l’insubordination est un sentiment que j’ai réprimé et
que je réprimerai tant que je serai ministre de la guerre.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M.
de Theux) – Messieurs, l’honorable
député de Tournay vous a dit que les questions d’honneur doivent passer avant
celles de droit. Pour nous, nous sommes de cette opinion que le véritable
honneur pour le gouvernement consiste à exécuter loyalement les traités et les
lois. Ainsi, dans notre opinion, toute la question se réduisait à celle de
savoir quel est le véritable sens de l’article 20 du traité. Le général
Vandersmissen a-t-il été amnistié par ce traité ? S’il a été amnistié, a-t-il perdu son grade par
défaut de prestation de serment dans le délai fixé par le décret du congrès ou
par l’absence prolongée en contravention à la loi du 16 juin 1836.
Avant de traiter cette
double question, je dois donner un démenti formel en ce qui concerne le bruit
répandu par les journaux, que le gouvernement aurait cédé à l’influence d’une
menace du général Vandersmissen de publier un mémoire outrageant pour quelques
citoyens. Il n’en est rien. Il n’est à la connaissance d’aucun membre du
gouvernement que le général Vandersmissen aurait formé un tel projet ; la
question a été envisagée en elle-même et sa solution est à l’abri de toute
influence.
Avant d’énoncer les motifs
qui nous ont guidés, dans l’interprétation de l’article 20, nous devons
déclarer que, dans notre pensée, l’Etat belge était dûment et légitimement
indépendant avant la signature du traité ; mais telle n’est pas la
question qu’il s’agissait de résoudre. Il s’agissait de savoir quel est le sens
que la conférence a attribué à l’article 20 du traité.
Pour rechercher ce sens, il
ne sera pas inutile de comparer l’article 16 des 18 articles avec l’article 20
dont il s’agit.
Bien qu’à la suite de
l’adoption des 18 articles, le Roi ait accepté la couronne, sur les instances
suprêmes des grandes puissances, on sait que, par suite des événements du mois
d’août 1831, les 18 articles ont été remplacés par les 24 articles. On ne
pourrait donc plus invoquer les 18 articles comme autorité, mais on peut en
comparer le texte avec celui des 24 articles pour voir quels peuvent avoir été
les motifs des changements de rédaction introduits dans l’article 20, dont nous
nous occupons.
Voici ce que portait
l’article 16 des 18 articles :
« Art. 16. Aucun
habitant des villes, places et territoires réciproquement évacués ne sera
recherché, ni inquiété pour sa conduite politique passée. »
L’article 20 du traité du 19
avril porte :
« Art. 20. Personne,
dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché, ni inquiété
en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte
aux événements politiques. »
A la simple lecture, vous
vous serez aperçu des changements importants apportés à l’article 16. il
commençait ainsi : « Aucun habitant. » L’article 20 dit :
« Personne ». Ainsi il ne s’agit pas seulement des habitants, mais
des personnes en général. L’article 16 disait : « des villes, places
et territoires réciproquement évacués ». L’article 20 dit :
« Dans les pays qui changent de domination. » Ici le changement de
rédaction a une grande portée. Sous l’empire de l’article 16 des 18 articles,
assurément le général Vandersmissen n’aurai pas pu invoquer l’amnistie, mais il
en est tout autrement sus l’empire de l’article 20. L’article 16 finissait
ainsi : « Ne sera recherché ni inquiété pour sa conduite politique
passée. » L’article 20 se termine ainsi : « ne pourra être
recherché, ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation
directe ou indirectes aux événements politiques. »
Il est constant que
l’application du traité devait être réciproque pour les deux
gouvernements ; or, je le demande, peut-on sérieusement qualifier du nom
de pays les forts de Lillo et Liefkenshoek ? Assurément non. Ce sont là
des lieux, des endroits, mais Lillo et Liefkenshoek n’ont jamais formé, ne
formeront jamais un pays. D’ailleurs, peut-on sérieusement penser que l’article
20 aurait été, en ce qui concerne l’amnistie garantie par le gouvernement
belge, uniquement stipulé en faveur des habitants de Lillo et Liefkenshoek,
alors que ces localités n’avaient jamais été dans la possession du gouvernement
belge et que leurs habitants n’ont jamais pu commettre un délit politique, de
nature à être couvert par l’amnistie ?
Il est donc évident que dans
l’article 20 le mot « domination » rapproché du mot
« pays » a un sens bien plus étendu. Le mot domination doit être pris
dans le sens le plus large ; c’est-à-dire, domination de droit ou de fait.
Il n’y a pas de distinction ; le mot doit donc être entendu dans le sens
le plus large ; c’est d’ailleurs le sens consacré par l’ensemble des
articles du traité.
Il y avait, avant le traité,
contestation entre le gouvernement belge et le gouvernement néerlandais. Le
gouvernement belge prétendait avoir la domination absolue de tous les
territoires qu’il possédait. Le gouvernement néerlandais, au contraire,
prétendait avoir conservé, au moins en droit, la domination que lui avaient
accordée les anciens traités. C’est cette prétention des deux gouvernements que
le traité a eu pour objet d’aplanir.
Ce n’est ni au point de vue
du gouvernement belge, ni au point de vue du gouvernement néerlandais qu’il
faut interpréter l’article 20 du traité, mais au point de vue de la conférence
qui a imposé l’acceptation de ce traité aux deux parties. Or, au point de vue
de la conférence, le gouvernement des Pays-Bas a renoncé aux droits qu’il
revendiquait sur le territoire qui constitue le royaume de Belgique :
droits que la conférence ne lui contestait pas en théorie, mais dont elle lui
prescrivait l’abandon dans l’intérêt de la paix européenne. De là, messieurs,
le traité entre les grandes puissances et le roi des Pays-Bas, traité par
lequel ce dernier reconnaît dissoute l’union qui a existé entre
D’après les articles 1 et 2,
il est dit que « le royaume de Belgique sera formé des territoires…,
etc. » D’après l’article 2, le roi grand-duc consent à ce que dans le
Luxembourg, etc. » D’après l’article 6 il est dit : Moyennant les
arrangements territoriaux arrêtés ci-dessus, chacune des deux parties renonce
réciproquement à toute prétention sur les territoires, villes, places et lieux
situés dans les limites des possessions de l’autre partie, telles qu’elles se
trouvent décrites dans les articles 1, 2 et 4. C’est chacune des deux parties
qui renonce : ainsi la conférence reconnaît positivement que la question
de domination était en litige, et qu’en ce qui concerne
Par l’article 17, il est
dit : « dans les pays dont la séparation a lieu en conséquence des
présents articles… » Ainsi, c’est en conséquence des articles du traité
que la séparation des deux pays a eu lieu.
De là, messieurs, la réponse
de la conférence à une note du plénipotentiaire de
« Les plénipotentiaires
observent que lesdites libertés qui par leur nature sont exclusivement du
ressort des Etats auxquels sous un point de vue légal, les territoires en
question n’ont pas cessé d’appartenir. »
Ainsi le Luxembourg n’avait
pas, dans le sens de cette réponse, cessé d’appartenir à la confédération, et
le Limbourg n’avait pas cessé d’appartenir au royaume des Pays-Bas.
Il est donc de toute
évidence que, dans la pensée de la conférence comme dans la pensée de
Mais, dit-on, la domination
est une ; elle ne pouvait appartenir à la fois à
Telle a bien été la pensée
de la conférence, et cette pensée se révèle encore dans les dernières
expression de l’article 23 :
« Dans les parties du
Limbourg et du Luxembourg dont Sa Majesté le roi des Pays-Bas, grand-duc de
Luxembourg, va être remis en possession… »
Mais on ne peut tirer de là
aucun argument contre l’application de l’amnistie aux partie du Limbourg et du
Luxembourg dont le roi grand-duc a été remis en possession ; car il est
évident que la conférence a donné au mot domination l’acception la plus
étendue, l’acception de domination de fait, et de domination de droit ; et
c’est pour cela que la conférence a exigé que
L’article 6 est en corrélation
avec l’article 17, avec l’article 20. les territoires auxquels il est renoncé
par l’article 6, sont compris dans les pays désignés à l’article 17. ils sont
compris dans les pays qui, aux termes de l’article 20, changent de domination.
Voyez, messieurs, quand il
s’agit d’appliquer un article du traité aux seules territoires abandonnés par
L’article 23 dit :
« Seront maintenus dans leur force et vigueur les jugements passés sous
l’administration belge, dans les parties du Limbourg et du grand-duché de
Luxembourg dont S.M. le roi grand-duc va être remis en possession. »
Ici il n’est plus question
de pays ; on désigne positivement les territoires du Limbourg et du
Luxembourg.
Il est vrai que dans l’article
24, invoqué par l’honorable préopinant, on retrouve le mot de domination
employé pour indiquer l’empire qu’exerçaient les deux gouvernements sur les
territoires dont ils avaient l’administration ; cet article est ainsi
conçu :
« Aussitôt après l’échange
des ratifications du traité à intervenir, les ordres seront envoyés pour
l’évacuation des territoires, villes, places et lieues qui changent de
domination. »
Nous ferons remarquer que le
mot « domination » qui est employé ici prouve précisément que, dans
la pensée de la conférence, il y a une double acception : celle de fait et
celle de droit, car dans l’article 23 la conférence ne reconnaissait à
Mais il ne s’en suit
nullement que l’article 20 relatif à l’amnistie ne comprend pas
Je ne sais si je dois
répondre à cette objection qui a été faite, qu’un déserteur hollandais ne
pourrait point rentrer dans les cadres de l’armée ; l’on sait parfaitement
que
Sur la seconde question, je
n’ai que peu de mots à dire. Si le général Vandersmissen a été amnistié par
l’article 20 du traité, peut-on invoquer contre lui le défaut de prestation du
serment et son absence sans permission ? En ce qui concerne le défaut de
prestation de serment, on ne peut s’en prévaloir ; car, pour qu’on puisse
se prévaloir contre quelqu’un du non accomplissement d’un fait, il faut qu’il
ait dépendu de cette personne de pouvoir l’accomplir. Or, je dis que le général
Vandersmissen rentrant dans le pays et se soumettant aux tribunaux, n’aurait pu
prêter serment avant que la cause ne fût jugée contradictoirement ; il
n’aurait pas été admis à le prêter.
Je suppose que le général
Vandersmissen ait comparu devant la haute cour militaire, et qu’il ait été
acquitté ; pourrait-on se prévaloir contre lui du défaut de prestation de
serment pour prétendre qu’il a perdu son grade ? Assurément non ; or,
ce qu’un arrêt d’acquittement aurait opéré le traité l’a opéré de la même
manière, et à plus forte raison parce que les poursuites étaient impossibles
dès qu’on reconnaissait que le traité lui était applicable.
Quant à la loi du 16 juin
1836, il suffit de faire remarquer qu’on ne peut en faire l’application au
général Vandersmissen sans lui donner un effet rétroactif, puisque son absence
remontait au mois de mars 1831.
D’après ces motifs, je
persiste à croire que le gouvernement n’a manqué ni aux prescriptions de la
constitution, ni aux prescriptions des lois ; mais qu’au contraire il a
suivi littéralement et les prescriptions de la constitution et celles des lois
qui conservent aux militaires leurs grades lorsqu’ils n’en ont pas été
légalement déchus.
M.
de Foere – Les armées entretenues par
les nations ont deux buts avoués. Elles sont considérées comme des moyens de
défendre l’indépendance nationale contre les agressions extérieures et de
maintenir l’ordre intérieur. J’exposerai les motifs pour lesquels je crois que,
dans la position actuelle du pays, ni l’un ni l’autre but ne peut être atteint
par une armée permanente.
Afin de prévenir tout
préjugé contre cette proposition, que je me propose d’établir, je vous dirai
d’avance que, malgré cette opinion, j’ai l’intime conviction que les droits
d’une nation ne sont respectés par cela seul que son indépendance et sa
nationalité sont reconnues par les autres nations. Pour soutenir une thèse
contraire, il faut s’abandonner aux illusions d’une imagination qui renoncer à
tous les enseignements de l’histoire. Dans ma conviction, c’est la force
supérieure qui, seule, décide du sort des nations. Je sais que c’est un abus,
mais l’abus ne détruit pas le fait ; il le laisse subsister. Après ces
préambules, j’entre dans le développement de mon opinion.
L’agression part du midi ou
du nord, votre armée, quelque nombreuse qu’elle soit, ne peut résister avec
succès à l’attaque. Votre indépendance, votre nationalité, votre territoire
seront violés. En politique surtout la condition du possesseur est la
meilleure. Il ne prend conseil que de sa force ; il décide de votre sort
selon les circonstances du moment.
Dans les Etats
représentatifs l’influence des dynasties décline chaque jour devant la
puissance des nations. Le Roi règne et ne gouverne pas. Le gouvernement
parlementaire est établi, depuis longtemps, en Angleterre. En France, le
principe n’a plus qu’une ligne à franchir et rien ne l’arrêtera. Il y a neuf
ans, à cette même tribune, j’ai énoncé et développé ces prévisions dans la
discussion sur l’élection du chef de l’Etat ; elles s’accomplissent. Nous
n’avons donc aucun soutien à espérer du côté des alliances des familles
dynastiques.
Si vous en doutiez encore,
le traité du 19 avril est là pour dissiper tous vos doutes. L’Angleterre a
manœuvré de manière que vous ne fussiez pas une nation maritime. Elle ne vous
considère que comme une colonie utile. C’est là toute l’importance que, pour le
moment, elle attache à votre nationalité.
La paix n’est intervenue que
par le même principe de la force. Dans l’intervalle qui sépare les guerres, ce
sont les forces balancées par l’équilibre des alliances qui maintiennent la
paix. Les alliances sont rompues, et les hostilités sont près d’éclater de
toutes parts.
Le système politique actuel
de l’Europe des cinq puissances, est fondé sur les armées permanentes. Ce
système explique tout. Je n’entends pas déterminer la durée de l’alliance de
Vous direz – En temps de
paix, comme en temps de guerre, avec une armée nombreuse, nous pourrons mettre
notre poids dans la balance, et nous affermir par des alliances.
En théorie, ce système est
spécieux. En fait, ce n’est qu’une opinion démentie par l’histoire. Croyez-vous
sérieusement que la conquête de votre nationalité soit due à l’armée de votre
révolution ? Vous ne la devez qu’à la situation internationale des
puissances de l’Europe. Vous ne la devez qu’aux intérêts compliqués qui
balancent leur politique, et leur position actuelle. Cette même position sera,
en grande partie, la sauvegarde de votre nationalité, pourvu que vous ne
commettiez pas l’imprudence de la compromettre en vous mêlant aux querelles de
l’Europe, et en rompant votre neutralité.
Vous ne rencontrez aucune
difficulté à former une alliance avec de grandes nations. Non seulement elles
l’acceptent avec empressement, elle la recherchent avec avidité. Mais quel est
leur but ? c’est leur propre intérêt et non le vôtre. En temps de paix,
elles vous engagent, par tous les moyens de déception puisés, à les en croire,
dans votre intérêt, à entretenir une armé nombreuse. Leur véritable but est de
raffermir, en temps de paix, leur propre position par le système des armées
permanentes, et de se servir, en temps de guerre, de votre armée pour défendre
leurs propres intérêts. En temps de paix, vous épuisez vos ressources par votre
établissement militaire ; après la guerre, vous êtes livrés à la merci du
plus fort. J’ai l’intime persuasion que c’est
Les ministres de l’intérieur et des travaux publics ont soutenu sérieusement dans cette chambre, et dernièrement dans l’autre, que, par leurs efforts, ils sont parvenus à réduire de trois millions notre part dans la dette hollandaise. Ils soutiennent, dis-je, cette thèse sérieusement, alors que notre part dans l’actif du capital du syndicat était de beaucoup supérieure au chiffre de trois millions d’intérêt, et après avoir avoué dans leurs rapports diplomatiques que la conférence a même refusé d’entrer en compte. En effet, nos envoyés financiers à Londres ont disparu comme des ombres chinoises sur la scène de la conférence.
La
politique du roi de Hollande est la seule qui nous convienne. Il ne sacrifie
pas les intérêts intérieurs de
Durant la
paix, il est maître chez lui. Les intérêts de
Vous
objecterez que cette politique n’est pas suivie par les petites nations qui
forment l’union allemande. Vous n’observez pas que la réunion de ces petits
Etats constitue une force égale à celle de
Depuis
quelque temps on nous entretient de l’achat d’une colonie. Comme je
n’appartiens à aucune coterie, j’ignore si c’est un leurre jeté en avant pour
entretenir l’espoir du pays, ou si le projet est réel. Dans le premier cas, la
question ne vaut pas la peine de nous en occuper. Dans l’autre, il est probable
que c’est la politique extérieure qui, dans ses propres intérêts, pousse à
l’exécution de ce projet. Possédant une colonie,
Depuis les
temps les plus reculés jusqu’aux temps les plus modernes, l’histoire a prouvé
que celui qui est maître de la mer est maître de la terre. Cette assertion est
même traduite en proverbe, tant il est vrai qu’une longue expérience l’a mise
en dehors de toute contestation. C’est là le véritable levier de la force de
l’Angleterre et de la puissance d’action qu’elle exerce sur les destinées du
monde politique. Ce sont ses propres aveux et sa profonde conviction politique.
Aussi elle voit avec un œil inquiet l’agrandissement de la marine militaire de
J’ai dit
aussi que, dans la situation actuelle de
J’arrive à la conclusion.
Dans mon opinion, l’établissement d’une armée considérable, qui dépasse la proportion d’un Etat neutre et compromet ses ressources est inutile. Elle est, pendant la paix, dans une puissante volonté d’indépendance et de nationalité dans une ferme résolution d’être maître chez vous contre toutes les exigences de l’extérieur.
A cette condition, vous serez respectés, en temps de paix par les Etats voisins ; à cette seule condition, vous gouvernerez vous-mêmes vos propres affaires. Vous ne dépendrez pas honteusement de prétendus alliés pour établir un système commercial qui convient aux vrais intérêts du pays.
Aux approches d’une guerre, les nations fortes rechercheront elles-mêmes votre alliance. Alors, si les circonstances vous font sortir de votre neutralité, vous accepterez les alliances que l’intérêt du moment vous conseillera.
Je voterai contre les exagérations exorbitantes du budget de la guerre. Cependant il est tout à la fois juste et politique d’avoir égard à notre brave armée. Je voterai pour tous les subsides qui seraient destinés à faire une position aisée et honorable aux militaires auxquelles on accorderait des pensions de retraite.
M. le président – La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau – Messieurs, j’étais disposé à parler dans la discussion générale, et il me semblait que le lieu convenable pour s’occuper de la question qui a été soulevée au commencement de cette discussion était la solde de non-activité des généraux, mais M. le ministre de la guerre a fait en quelque sorte de cet épisode la préface obligée de la discussion de son budget ; je crois dès lors ne pas devoir, pour le moment, m’engager dans la discussion générale.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je ferai remarquer à la chambre que ce n’est pas le ministre de la guerre, mais la section centrale qui a soulevé la question dont il s’agit en ce moment. Ordinairement la discussion des budgets s’établit sur le rapport de la section centrale.
M. Trentesaux – J’ai demandé la parole, messieurs, pour parler sur l’article 20 du traité du 19 avril, parce que je ne suis pas d’accord avec MM. les ministres sur la manière d’interpréter cet article.
Je suis d’accord
avec l’honorable. M. Dumortier sur le sens de l’article 20 du traité du 19
avril, mais je ne suis pas d’accord avec lui sur l’application. Quand j’ai vu
dans les journaux ce qui avait été fait relativement au général Vandersmissen,
je vous avoue, messieurs, que d’abord j’ai été surpris, mais après y avoir
réfléchi, je me suis dit :
Pour bien
comprendre le traité du 19 avril, il faut d’abord se rappeler quelles sont les
parties contractantes ; ces parties sont d’une part,
« Aussitôt après l’échange des ratifications du présent traité, les ordres nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des territoires, places et lieux qui changent de domination. »
Evidemment, messieurs, lorsqu’on met cet article en présence de l'article 20, il ne peut plus y avoir le plus léger doute sur la question de savoir ce qu’il faut entendre par ces mots : « les pays qui changent de domination. »
Je le répète, messieurs, j’ai été blessé lorsque j’ai vu la manière dont le gouvernement veut interpréter l’article 20 du traité. La révolution belge s’est toujours montrée magnanime, le gouvernement pouvait encore se montrer magnanime à l’égard du général Vandersmissen ; mais lorsqu’il envisage la mesure prise à l’égard de ce général comme un acte obligatoire, comme un acte qui lui était imposé par le traité du 19 avril, alors il n’y a plus de magnanimité, alors il n’y a plus rien que l’accomplissement d’un devoir.
Je ne conçois réellement rien à l’inintelligence de nos ministres, qui font tous leurs efforts pour se mettre dans la position qui leu est la plus désavantageuse.
M. F. de Mérode – Messieurs, c’est en vertu de nos lois constitutives et de nos règlements civils et militaires que nos officiers possèdent leurs grades et ne peuvent en être privés arbitrairement ; or, si M. Vandersmissen n’a pas été à même de remplir les formalités exigées par ces mêmes règlements et lois, n’est-ce point par sa faute, par son fait bien volontaire, non, j’en conviens, quant à l’acte lui-même ? Supposez que M. Vandersmissen n’ait pas été réintégré dans l’armée belge avec le grade de général, pensez-vous que le gouvernement hollandais eût réclamé de notre gouvernement cette réintégration comme conséquence d’une loyale exécution du traité ? Quoi ! le gouvernement fût venu vous dire : « Des hommes qui se sont mêlés aux mouvements insurrectionnels par lesquels mon pouvoir a été détruit en Belgique ont obtenu, par ce moyen, une position supérieure. Un major en retraite sous la cocarde orange est devenu général sous la cocarde tricolore, qu’il a déclarée ensuite publiquement une cocarde d’intrigants et de misérables. Eh bien, je vous somme de lui rendre un grade auquel il a renoncé lui-même, et en vertu du traité par lequel je reconnais votre drapeau.
Non,
messieurs ; le gouvernement hollandais n’eût jamais songé à donner une
interprétation pareille à un article pacificateur dans sa lettre et dans son
esprit, mais non pas absurde et immoral dans l’une et l’autre, s’il avait la
portée que lui a donnée bénévolement le ministre. Eh bien, messieurs, tout au
plus pour reconnaître la componction avec laquelle M. Vandersmissen protestait,
en 1832, de l’intérêt qu’il portait au bonheur du prince contre lequel il avait
d’abord prononcé lui-même ; tout au plus, pour reconnaître ce repentir
inopiné, le gouvernement de
Aller plus loin ne pouvait venir, dans l’esprit de qui que ce soit, ni dans la conférence, ni ailleurs. Je regrette donc vivement que M. le ministre de la guerre et ses collègues aient si légèrement porté la plus grave atteinte au principe qui sert de fondement à l’existence de toute armée.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, le gouvernement n’avait pas, comme l’a avancé l’avant-dernier orateur, à examiner s’il fallait user de magnanimité ou non. Il n’avait pas non plus, comme le pense l’honorable préopinant, à se demander s’il était exposé ou non à une réclamation de la part du gouvernement hollandais. Le gouvernement avait à se demander ce qu’il devait faire dans la circonstance donnée, pour agir légalement, si l’on veut, pour être juste, dans le sens légal ; il n’a été que forcément juste dans le sens légal ; c’est ce que nos honorables collègues le ministre de la guerre, et le ministre des affaires étrangères ont déjà établi, c’est cette considération que je chercherai à faire ressortir. Nous avons été forcément justes sous le point de vue légal, nous l’avons été bien à regret, mais nous ne pouvions faire autrement ; s’il nous avait été permis de nous abstenir, nous nous serions abstenus ; s’il nous avait été permis d’attendre, nous aurions attendu ; mais nous ne le pouvions pas.
Rappelons-nous, d’abord, messieurs, qu’il ne s’agit pas d’une condamnation contradictoire, qu’il ne s’agit que d’un arrêt rendu par contumace. Lorsque le condamné se présente, aux termes des principes sur la contumace, l’arrêt porté contre lui vient à tomber, indépendamment de toutes les considérations qui peuvent se rattacher dans le cas présent à l’amnistie. C’est là, messieurs, un premier point qui est évident, l’arrêt par contumace rendu le 29 octobre 1831 contre le général Vandersmissen, cet arrêt est venu tomber par suite de la comparution volontaire de ce général.
Une voix – Il doit être jugé de nouveau.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – J’y viendrai.
Voici ce que porte l’article 476 du code d’instruction criminelle.
« Si l’accusé se constitue prisonnier, ou s’il est arrêté avant que la peine soit éteinte par prescription, le jugement rendu par contumace et les procédures faites contre lui depuis l’ordonnance de prise de corps ou de se représenter, seront anéantis de plein droit, et il sera procédé à son égard dans la forme ordinaire. »
Qu’est-il arrivé, messieurs ? Le condamné s’est présenté, il a dit : « Ma position doit être régularisée, je demande, ou bien que je sois jugé, ou bien que l’on déclare que je ne puis être jugé. » Remarquez-le bien : l’arrêt par contumace du 29 octobre 1831 n’existe plus ; il n’existe plus par le seul effet du principe sur la contumace.
Maintenant se présente une question que je poserai très nettement : Y avait-il possibilité de juger de nouveau le général Vandersmissen ? Non, messieurs, la possibilité de juger le général Vandersmissen n’existait plus ; elle n’existait plus, parce qu’il n’y avait plus de peine applicable, parce qu’il pouvait invoquer le bénéfice de l'article 20 du traité du 19 avril 1839.
« Personne, dans les pays qui changent de domination, dit l’article 20 du traité, ne pourra être recherché ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
De deux choses l’une, nous dit le général Vandersmissen, je demande à être jugé, s’il y a possibilité de me juger ; si la possibilité de me juger n’existe plus, déclarez-le.
Voilà la position dans laquelle le gouvernement s’est trouvé placé par la comparution du général Vandersmissen.
Je n’ai donc pas besoin d’invoquer l’article 20 du traité pour établir que l’arrêt de contumace du 29 octobre 1831 est non avenu par l’amnistie, bien que ce résultat soit aussi un des effets de l’amnistie ; l’arrêt de contumace est déjà non avenu par la comparution volontaire du condamné.
Je le répète, je n’ai pas besoin d’invoquer sur ce point le bénéfice de l’amnistie ; je n’ai à examiner les effets de l’amnistie que dans un sens plus limité, je n’ai qu’à examiner la question de savoir s’il y avait possibilité ou non de juger encore le général Vandersmissen, de le juger contradictoirement, puisqu’il le demandait.
M. le ministre des affaires étrangères, et avant lui M. le ministre de la guerre, vous ont démontré que l’article 20 du traité doit recevoir une application générale. Ils vous ont prouvé que l’expression : « les pays qui changent de domination », doit être prise dans un sens général, comprenant la domination de fait comme la domination de droit ; ils vous ont aussi expliqué le sens du traité en lui-même, sens que l’honorable M. Trentesaux vient de remettre en doute.
D’après l’honorable membre, il s’agirait, dans le traité d’un simple échange territorial. Mais les cessions territoriales ne forment que les stipulations particulières, les conditions du traité. Le but du traité a été la constitution définitive de l’Etat belge vis-à-vis de l’Europe, et notamment vis-à-vis de la dynastie déchue ; une des conditions de la constitution définitive de l’Etat belge était la cession territoriale.
C’est là le véritable but du traité du 19 avril 1839 ; c’est là la véritable portée du traité, et c’est une portée que dans notre propre intérêt nous ne devons pas méconnaître.
Sans doute,
avant ce traité,
Je
m’associe à tous les honorables préopinants pour rendre hommage à la
souveraineté nationale. Je reconnais l’indépendance de
Partant de
là, on doit donner au mot de « domination » le sens le plus large, et
reconnaître que
De fait, il y a eu, en outre, un changement de domination dans les deux provinces dont nous avons été malheureusement forcés d’abandonner une partie ; là il y a un changement de domination de fait.
Le premier orateur que vous avez entendu, M. Dumortier, a très bien senti que si on parvenait à rendre l’article 20 du traité applicable au général Vandersmissen, quelles que fussent les répugnances personnelles, il faudrait accepter les conséquences de cette application.
Aussi l’honorable membre a-t-il fait tous ses efforts pour restreindre l’application de l’article 20. Selon lui, l’amnistie ne s’applique qu’aux habitants des deux parties que nous avons été forcés d’abandonner dans le Limbourg et le Luxembourg.
D’après cette interprétation, il n’y aurait eu changement de domination qu’à l’égard du Luxembourg allemand et du Limbourg hollandais.
Eh !
messieurs, l’amnistie ne pourrait donc plus être invoquée, non seulement en
faveur des habitants de
J’appelle toute l’attention de la chambre sur cette interprétation extrêmement restrictive de l’amnistie. Ainsi, moi, par exemple, qui pourrait avoir besoin du bénéfice de l’article 20, et qui appartient non pas à la partie allemande, mais à la partie belge du Luxembourg, je ne pourrai pas invoquer l’article 20 du traité, tandis qu’il pourra être invoqué par un habitant de la partie allemande du Luxembourg.
Il n’y aurait donc pas même réciprocité dans l’application de l’article 20…
M. Dumortier – Il n’y a pas d’application possible ; les habitants restent sous la même domination ; ils n’ont pas besoin d’invoquer l’article 20.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il y a une application possible, en ce sens que le Luxembourg belge a changé de droit de domination par l’effet du traité du 19 avril 1839, et qu’un habitant du Luxembourg belge pourrait invoquer l’amnistie, en se rendant dans le Luxembourg allemand.
M. Dumortier – Le Roi Léopold a donc été un usurpateur.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – M. Dumortier répète une expression dont il s’est servi dans son discours : le Roi Léopold, dit-il, aura donc été un usurpateur dans le grand-duché, par exemple. Messieurs, ne jetons pas dans la discussion des mots qui prêtent à l’exagération : il y avait simplement occupation du Luxembourg par le gouvernement belge ; il n’y a pas eu une souveraineté reconnue par le droit public européen.
Je suis étonné, messieurs, de devoir tant insister sur la portée du traité. Il me semble que chacun de nous pourrait consulter ses souvenirs et se demander quels ont été nos motifs déterminants, quand nous avons accepté cet acte si douloureux sous tant d’autres rapports.
Je dis que, d’après l’interprétation de l’honorable M. Dumortier, il n’y aurait pas même réciprocité dans l’amnistie, car je ne puis pas admettre qu’il y ait réciprocité, si vous bornez l’application, quant aux Belges de l’amnistie aux habitants de Lillo et de Liefkenshoek ; en définitive, ce serait à quoi se réduirait le bénéfice de l’amnistie, quant à nous.
Nous
soutenons, au contraire, que l’amnistie doit recevoir l’application la plus
générale ; que l’amnistie doit profiter à tous ceux qui, soit dans le
Limbourg belge, ou le Limbourg hollandais, soit dans le Luxembourg allemand,
soit dans le Luxembourg belge, soit enfin dans
En donnant cette interprétation à l’article 20 du traité, nous nous conformons à tous les précédents du droit public, et nous croyons agir dans le véritable intérêt de tous les Belges. Comment, messieurs, soutenir qu’il y a eu changement de domination seulement pour le Limbourg hollandais et la partie allemande du Luxembourg, en présence du texte du traité ? Je pourrais vous donner lecture des articles du traité un à un, pour vous démontrer qu’on ne peut admettre une semblable interprétation.
L’article premier, par exemple, énumère les provinces qui doivent constituer le royaume de Belgique, mais pourquoi cette énumération ? Pourquoi cette expression : « le territoire belge se composera » : de telle et de telle province ? Evidemment il s’agissait de constituer le nouvel Etat belge aux yeux de l’Europe, il s’agissait de sanctionner le changement de domination qui était survenu, pour l’Europe, dans toutes les provinces méridionales de l’ancien royaume des Pays-Bas. Il faut interpréter le traité du 19 avril au point de vue de la conférence, il faut l’interpréter, non pas au point de vue du droit interne, mais au point de vue du droit externe.
Il est impossible et il serait très impolitique de donner une interprétation aussi restrictive de l’article 20 du traité du 19 avril.
En admettant la nécessité de donner une application aussi complète à l’article 20 du traité, la position du général Vandersmissen se simplifie singulièrement. Un arrêt de contumace a été porté contre lui. Il se présente, il offre de se constituer prisonnier. Aux termes des principes sur la contumace, l’arrêt qui le condamne est censé non avenu. Il demande à être jugé ; mais il y a impossibilité de le juger par suite de l’article 20 du traité. Du moment qu’il y a impossibilité de procéder à un nouveau jugement, que l’arrêt de contumace est tombé, on est forcément amené aux conséquences que le gouvernement s’est borné à reconnaître, c’est-à-dire, qu’un militaire à l’égard duquel, d’une part, un arrêt qui le condamnait est non avenu, et à l’égard duquel, d’autre part, il y a impossibilité de procéder à un jugement nouveau, est replacé dans son grade.
Voilà les conséquences auxquelles a été conduit le gouvernement en ne voyant ni question de personne, ni question de sentiment, mais en s’attachant à la question de droit, à la question de légalité.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – J’ai besoin de protester contre l’accusation de légèreté qu’a fort légèrement lancée contre le gouvernement l’honorable comte de Mérode. Le gouvernement n’a pas agi avec légèreté mais avec réflexion. Il y a eu seulement de sa part exécution consciencieuse et scrupuleuse de la loi.
Ce n’est pas là tout ce que j’ai à relever dans les paroles de l’honorable comte de Mérode. Il a prétendu qu’un mécontentement s’était manifesté et que la mesure prise portait atteinte au principe qui maintient toute armée. J’ai établi que le gouvernement avait voulu rendre hommage au principe qui maintient en tout temps, en tout pays, l’ordre public, le respect pour la loi. Il n’a fait que cela, il n’a pas porté atteinte au principe qui maintient toute armée, au principe de la discipline, en donnant à un officier qui s’était rendu coupable d’un fait de la plus haute gravité.
M. d’Huart – D’un crime !
M. Rodenbach – Oui d’un crime !
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Dans les circonstances où cet officier s’est trouvé, la constitution ne permettait pas qu’on lui enlevât son grade, le gouvernement l’a mis dans la plus mauvaise position légale que la législation du pays autorisait, il l’a mis hors des cadres de l’armée. C’est là une chose qu’on perd de vue, que cette position de non-activité est une position hors cadres ; c’est, je le répète, la position la plus mauvaise, une vraie position de réprobation quand elle est donnée dans les circonstances semblables à celles dont il s’agit. Aussi le gouvernement a fait dans cette circonstance, dans l’intérêt de la discipline, tout ce que le respect du traité et le respect de la loi lui permettaient de faire.
Ceci me permettra, comme je l’ai d’ailleurs déjà fait, de faire justice de ces expressions de faveur accordée au général Vandersmissen, que l’on a encore reproduites dans le précédent discours.
La position faite au général Vandersmissen est celle qui a été faite à un petit nombre d’officiers de l’armée ; et on fait au gouvernement le reproche d’avoir été injuste, rigoureux envers ces officiers, de les avoir mis en disgrâce. De sorte que la même position pour l’un est une faveur, et pour les autres une disgrâce.
M. Dumortier – Ceux-là avaient rendu des services au pays.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – La position de non-activité étant la plus mauvaise, étant dans le cas actuel une position de réprobation, le gouvernement en y plaçant un officier général qui avait commis la faute la plus grave…
Plusieurs membres – Un crime ! un crime !
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Le gouvernement, dis-je, a rendu hommage à la loi ; s’il lui avait été permis de se montrer plus sévère, il n’eût pas hésiter, soyez-en persuadés, messieurs.
M. de Brouckere – Je m’étais fait inscrire pour parler sur l’ensemble du budget de la guerre. Je désire conserver mon tour de parole. Je ne comptais pas parler sur l’incident ; mais ce que vient de dire le ministre des travaux publics me force à rompre le silence.
Si, dans l’esprit de quelques-uns d’entre vous, il pouvait rester du doute sur le sens de l’article 20 du traité des 24 articles, ce doute serait levé par la faiblesse même des considérations qu’ont fait valoir trois ministres successivement ; pour soutenir un système véritablement insoutenable.
En effet, pour quiconque veut lire l’article 20 avec impartialité sans préoccupation, sans nécessité de falsifier son sens, ce sens est de toute évidence.
« Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché ni inquiété en aucune manière, pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
C’est là, messieurs, un de ces articles que l’on emploie dans toutes les traités, qui sont conclus soit après une guerre, soit après une révolution, quand il y a entre deux pays, après que les hostilités ont cessé, cession réciproque de territoire. Les deux nations stipulent qu’aucunes poursuites politiques ne pourront avoir lieu dans les pays qu’on se cède réciproquement. Si cet article avait besoin d’explication, il en aurait une dans l’article 24, cité par l’honorable M. Dumortier. Les pays qui changent de domination sont d’un côté le Limbourg et le Luxembourg, et de l’autre les forts de Lillo et de Liefkenshoek. Peu importe si ces contrées sont plus ou moins étendues, on les appelle pays.
Je suppose, d’ailleurs, que la partie du Limbourg que nous avons cédée mérité bien une semblable qualification. Ainsi, le traité ne contient pas d’amnistie. Il est impossible de tirer cette conséquence de l’esprit ou du texte du traité, si on veut le lire avec impartialité et sans préoccupation.
M. le ministre des travaux publics est venu présenter un argument d’une nouvelle espèce, mais qui n’est pas pour cela plus heureux que ceux présentés par ses collègues. Le général Vandersmissen, dit-il, avait été condamné par contumace ; il se présente, l’arrêt présenté contre lui tombe. Et, d’après la manière dont le ministre entend la loi, l’arrêt de contumace venant à tomber, le général rentre dans la classe de citoyen ; il n’y a plus, de la part des fonctionnaires de l’ordre judiciaire, aucune obligation à remplir, le général lui-même n’a plus rien à faire. Autant de mots, autant d’erreurs.
Je ferai remarquer d’abord que le ministre des travaux publics s’est trompé, quand il a cité le code d’instruction criminelle ; car ce code n’est pas applicable à la juridiction militaire. Pour un moment, je vais abonder dans le sens de M. le ministre ; supposé qu’il eût été condamné par une cour d’assises, il aurait été condamné non pas au bannissement, mais à la peine comminée par les lois contre le crime dont il était accusé. Le général se représentant, l’arrêt de contumace venait à tomber ; mais l’arrêt de la chambre des mises en accusation restait ; il fallait nécessairement un arrêt de la cour d’assises pour faire tomber l’arrêt de la chambre des mises en accusation ; il ne suffisait pas qu’il se présentât, il fallait qu’il fît ce qu’on appelle purger sa contumace. Cela est écrit dans le code d’instruction criminelle. Le plus mince avocat de village sait cela aussi bien que chacun de nous.
Je vais citer non plus le code d’instruction criminelle, mais le code d’instruction criminelle militaire ; vous verrez que la question est aussi simple pour les militaires que pour les citoyens non militaires :
L’article 200 du code d’instruction criminelle militaire porte :
« Lorsque le conseil de guerre aura trouvé les rapports et les autres pièces justificatives en ordre, il déclarera l’ajourné et réajourné déchu de sa charge militaire ; et il le bannira du territoire de l’Etat, en condamnant ledit accusé aux frais causés jusqu’au jour actuel, tant par sa contumace que par les accusations intentées contre lui. »
Ainsi donc, suivant le code criminel militaire, un accusé fugitif n’est pas condamné du chef du crime pour lequel il est poursuivi, il est condamné parce qu’il ne se présente pas. Après l’ajournement et le réajournement, on le déclare déchu de sa charge militaire et on ne condamne au bannissement.
L’article 201 ajoute :
« Nonobstant ce jugement, l’auditeur militaire est obligé de compléter, autant que possible, ses informations et l’accusé conserve la faculté de produire ses moyens de défense ; mais ledit accusé devra payer les frais auxquels il aura été condamné par contumace et se rendre dans la prison militaire du lieu où réside le conseil de guerre. »
Ainsi, vous le voyez, ce condamné comme latitant ou fugitif est condamné à la dégradation militaire et au bannissement. S’il se présente, non pas pour se promener dans les rues de Bruxelles, c’est-à-dire, s’il se constitue dans la prison militaire, et que connaissance en est donnée à l’auditeur militaire, la condamnation tombe, mais à charge de comparaître devant la cour ou conseil de guerre qui porte alors un arrêté définitif.
En effet, l’article 102 dit positivement qu’on continuera à procéder comme s’il ne s’était pas absenté.
Cet article est ainsi conçu :
« Dans ce cas on continuera à procéder contre l’accusé, comme s’il ne s’était pas absenté, pour autant que cela, d’après l’état du procès original, lui sera encore applicable. »
Ainsi, vous le voyez, on ne laisse pas au ministère public, l’organe du gouvernement devant le conseil de guerre, la faculté de poursuivre ou de ne pas poursuivre.
Quand un militaire a été condamné par contumace, il faut que cette condamnation soit purgée. L’obligation pèse sur les organes du gouvernement de la faire purger ; elle l’est par arrêt du conseil de guerre, ou de la cour militaire, qui l’a condamné au bannissement.
Les principes que je viens d’énoncer sont tellement clairs que je ne crois pas qu’il soit possible de les contester.
J’oubliais de répondre à une observation qu’a faite M. le ministre des travaux publics et que je n’ai pas comprise. C’est lorsqu’il a dit qu’il n’y avait pas possibilité de mettre M. Vandersmissen en jugement.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Sans doute. A cause de l’article 20 du traité.
M. de Brouckere – Mais il n’y avait pas lieu à amnistie, puisqu’il est établi que la condamnation devait nécessairement être purgée.
Mais, dit-on, au moment où la paix venait d’être signée, où une réconciliation de bonne foi s’opérait entre deux nations ennemies depuis neuf ans, n’aurait-il pas été bien fâcheux qu’une condamnation sévère eût été prononcée du chef d’un crime politique. Qu’une condamnation eût été prononcée, je ne vois pas ce que cela aurait eu de fâcheux. Si elle avait été suivie d’une exécution, je l’aurais trouvée déplorable. Mais personne ne songe à demander une exécution pour crime politique. Ce que nous voulons, c’est l’exécution de la constitution et des lois.
Qu’y avait-il à faire ? Une chose bien simple. Le général Vandersmissen, condamné par contumace, se constituait prisonnier dans la prison militaire, conformément à l’article 201 du code d’instruction criminelle militaire ; l’affaire était portée devant la haute cour. Là l’auditeur général présentait telle réquisition qu’il jugeait convenable ; il pouvait même demander l’acquittement de M Vandersmissen. La cour prononçait son arrêt, et, en supposant qu’elle se fût crue obligé de prononcer une condamnation quelconque contre le général, le droit de grâce n’était-il pas là ? N’était-ce pas le moment d’en faire l’application ? l’application du droit de grâce en cette circonstance n’aurait-elle pas eu lieu aux applaudissement de la nation entière ? Quant à moi, j’aurais été heureux de voir le ministère observer la constitution, remplir son devoir ; et le souverain faire un si noble usage du droit de grâce que lui confère la constitution.
Au lieu de cela, la conduite du ministère n’a-t-elle pas été imprudente, je ne veux pas me servir d’une autre expression. On a violé la constitution ; je le prouverai. On a violé la loi, et on a commis un acte qui a eu la réprobation de la plus grande partie de la nation et je puis dire de l’armée, puisque M. le ministre de la guerre l’a reconnu. (M. le ministre de la guerre fait un signe négatif.)
Je crois que je pourrais dire de l’armée entière ; mais comme je n’aime pas l’exagération, je me borne à dire, avec M. le ministre de la guerre, d’une partie de l’armée. Je dis donc que cette mesure a eu la réprobation de la grande majorité de la nation et d’une partie de l’armée.
Je dis que vous avez violé la constitution. En effet la constitution donne au Roi le droit de grâce dans l’acception la plus large ; mais le droit d’abolition des poursuites dont on faisait usage sous le roi Guillaume, parce que la constitution était muette à cet égard, le droit d’abolition de poursuites est interdit par la constitution. Or, c’est une véritable abolition de poursuites que vous avez prononcée. Vous avez arrêté le cours de la justice.
Vous avez empêché qu’il ne fût donné suite à la procédure contre un contumace, que le contumace ne fût pas purgé ; vous avez violé les lois, car les articles 201 et 202 du code d’instruction criminelle militaire font partie de nos lois et, je le répète, vous avez fait un acte qui a déjà eu et qui aura encore les conséquences les plus fâcheuses ; un acte qui a entraîné le blâme de la grande majorité de la nation et qui, dans ma pensée, aura les plus funestes résultats sur l’esprit militaire de l’armée ; un acte qui doit nécessairement porter atteinte à l’esprit de subordination que M. le ministre de la guerre, avec tant de raison, a cherché à inculquer à l’armée.
On croit que l’on a paré à tout, parce que l’on a imposé silence à des officiers ; mais dans leurs cœurs germe un profond mécontentement et il est des circonstances que je ne veux pas indiquer où ce mécontentement éclatera.
Je pense donc que la chambre doit se prononcer contre cette mesure ; je regarde cela comme un devoir impérieux qui lui est imposé.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Quand il s’agit de porter la parole au nom de l’armée, de parler des sentiments de l’armée, je crois avoir le droit, plus que personne, de parler contre l’interprète réel de ses sentiments.
On dit que la mesure prise par le gouvernement a été un objet de réprobation pour l’armée entière, et on se rectifie soi-même en disant pour une partie de l'armée.
Que des officiers aient éprouvé un sentiment douloureux, je crois que cela est réel, j’aurais été fâché que cela n’eût pas eu lieu ; j’ai déclaré que le ministre de la guerre l’avait éprouvé lui-même. Mais quant à une réprobation, expression qui veut dire qu’il y a eu plainte ou blâme, je dois déclarer qu’une expression de ce genre n’est échappée qu’à un très petit nombre d’officiers. On a insinué que c’était la crainte d’un châtiment sévère qui avait réprimé cette expression. Je dois démentir cette assertion.
M. Dumortier (à M. le ministre de la guerre) – Vous-même avez tout à l’heure menacé les officiers.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Certainement ; et si un acte d’insubordination quelconque se manifestait, il serait assurément réprimé. Mais ce que j’ai dit est pour l’avenir, et non pas pour le passé.
Quant au fait dont il s’agit, il a suffi de quelques remontrances pour que le très petit nombre d’officiers qui avaient exprimé un blâme aient senti qu’ils avaient manqué à leur devoir, et pour qu’ils y soient rentrés sur le champ.
Qu’on ait éprouvé un sentiment pénible, en voyant rendre, non une position dans l’armée (puisqu’il n’y a rien de cela), mais un grade à un homme qui a violé ses devoirs militaires, cela est naturel ; je le répète, je serais fâché qu’il n’en eût pas été ainsi dans l’armée. Mais entre ce sentiment et une manifestation de réprobation il y a une différence immense que tous ceux qui sont imbus de l’esprit militaire, tous ceux qui ont le droit d’en parler auront sentie.
Ce n’est pas pour violer les lois et la constitution, c’est pour respecter les lois et la constitution que l’on a reconnu un droit à un homme à la condamnation duquel il ne pouvait plus être donné suite.
On a parlé d’imprudence, messieurs ; il y a, selon moi, haute imprudence à prédire que, dans une circonstance quelconque, des hommes manqueront à leur devoir par un motif quelconque. Des prédictions de ce genre portent atteinte à l’ordre public ; ce sont de véritables prédictions au désordre. S’il y a eu de l’imprudence, elle est dans ces expressions.
On a prétendu que la loi a été violée parce qu’il n’y a pas eu jugement ; mais certainement s’il n’y eût pas eu l’article 20 du traité où le gouvernement a vu l’application de l’amnistie, toutes les dispositions du code d’instruction criminelle militaire auraient dû être appliquées. Il y aurait eu devoir pour le gouvernement, lorsque M. Vandersmissen s’est présenté, de le mettre en jugement sur-le-champ. Ce qui n’a pas permis de tenir cette conduite, c’est le respect pour le traité. C’est le respect pour le traité qui a fait reconnaître à un homme qui ne pouvait être puni, le droit d’être réintégré dans sa position, laquelle a été réduite autant qu’il a été possible.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Lorsque je me suis attaché tout à l’heure à faire connaître la position prise par le gouvernement Vandersmissen, je pourrais dire son attitude vis-à-vis du gouvernement, c’est parce que plusieurs orateurs avaient semblé croire que le ministère avait agi spontanément, sans nécessité ; qu’il aurait pu s’abstenir ou attendre. Je vous au fait connaître les circonstances qui ont précédé l’acte du gouvernement ; elles prouvent à la chambre que le ministère n’a pas agi de son propre mouvement, qu’il a été en présence de faits qu’il ne pouvait méconnaître. J’ai cité le code d’instruction criminelle ordinaire, parce qu’en matière de contumace les principes sont les mêmes devant la juridiction militaire que devant la juridiction ordinaire.
L’arrêt rendu par contumace tombe « à la charge de poursuivre contradictoirement », ajoute M. de Brouckere. Sans doute, si la possibilité de la poursuite contradictoire existe. C’est la considération sur laquelle j’avais insisté et à laquelle l’honorable membre n’a pas cru devoir s’arrêter.
L’honorable
membre trouve qu’il n’y avait pas lieu à l’application de l'amnistie. Il nous
dit ce qu’il aurait fait à la place du ministère : il aurait laissé juger.
C’est-à-dire que le général Vandersmissen aurait été traduit devant la haute
cour ; son avocat aurait excipé de l’article 20 du traité ; la haute
cour aurait déclaré l’amnistie applicable. Je dis que, dans cette manière
d’agir que l’honorable membre conseille au ministère, il y aurait eu imprudence
et légèreté. Après l’arrêt de la haute cour, on serait venu dire ; le
ministère n’a eu qu’un but, celui d’échapper à la responsabilité qui pouvait
résulter pour lui de l’application franche, complète, a priori, de l’amnistie.
On aurait élevé contre le ministre une accusation bien plus grave, on l’aurait rendu
responsable des mesures de réaction qui ont été prises dans les parties cédées
du Luxembourg, qui pouvaient l’être dans les parties cédées du Limbourg. On les
aurait mis sur le compte de la conduite légère et imprudente du ministère on
aurait dit : Il avait une occasion unique d’interpréter l’amnistie et d’y
donner l’application la plus large ; il ne l’a pas voulu ; il a voulu
échapper à toute responsabilité ; il n’a pas voulu, il n’a pas osé poser
un précédent dont il aurait pu se prévaloir contre le cabinet de
Plusieurs membres – Aux voix ! la clôture.
M. Pirson – Je demande la parole.
M. le président – Voici la proposition que fait parvenir au bureau M. Dumortier :
« La chambre a vu avec regret la conduite du gouvernement dans l’affaire du général Vandersmissen. »
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande que la discussion sur la proposition qui vient d’être déposée soit renvoyée à demain ; Elle est assez importante pour être discutée. M. Dumortier reconnaîtra lui-même qu’il n’y aurait pas de loyauté à lancer une proposition à la fin d’une séance, et à prendre une délibération sur-le-champ. Je suis prêt à répondre à différents arguments que l’on a fait valoir ; toutefois je désire la remise de la discussion à demain.
M. Dumortier – Dès le commencement de la séance j’ai annoncé la proposition que j’ai déposée ; cette proposition est celle qui exprime l’opinion de la section centrale, seulement j’ai mis la chambre au lieu de la section centrale. Toutes les convictions sont faites ; il est temps d’en finir.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Lorsqu’à la fin d’une séance on lance un amendement et que la remise de la délibération au lendemain est demandée, elle est acceptée sans difficulté, il me semble que la question soulevée par la proposition est assez importante pour mériter aussi une remise ; je ne dis pas quant à la position du ministère ! mais quant aux relations internationales en ce qui concerne l’application ultérieure du traité.
M. de Brouckere – Je désire que la discussion soit terminée aujourd’hui parce qu’elle est extrêmement délicate ; elle a quelque chose de désagréable puisqu’elle porte à nommer une personne qui est dans une position fâcheuse. Pour ma part, je n’ai pas reculé devant mon devoir, toutefois je désire que la discussion soit terminée le plus tôt possible. La proposition n’est pas nouvelle ; elle est contenue textuellement dans le rapport de la section centrale ; et les ministres ont dû s’y préparer.
M. Pirson – Je demande le renvoi à demain. N’avez-vous pas entendu dire aux ministres, pendant toute la discussion, qu’ils avaient été forcés ; que c’est avec regret qu’ils ont été obligés de prendre la mesure.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est avec répugnance que nous l’avons prise !
M. Pirson – Si, comme les ministres, vous ne faites que regretter, il en résultera que demain, dans l’Indépendant, on dira : « Le ministère est blanc comme neige ; la chambre, comme les ministres, s’est trouvée sous l’empire des circonstances, et n’a pu trouver ni d’autres moyens, ni d’autres termes qui ceux qui ont été employés ; les choses sont pour le mieux du monde… »
Le ministre de l’intérieur ayant déclaré prendre la responsabilité de la mesure, je fais la proposition suivante :
« Le ministère a blessé l’honneur national… » (On rit.)
Cela est un peu fort ; mais on peut mettre :
« Le ministère a blessé toutes les convenances en rétablissant le général Vandersmissen sur les contrôles de l’armée, quoiqu’en le plaçant en non-activité. »
M. Demonceau – La question est excessivement délicate, et c’est une raison pour y réfléchir avant de la discuter. J’ai pour habitude de faire grande attention aux conséquences d’une résolution. J’ai écouté attentivement ceux qui ont blâmé la mesure ; ils voudraient que le pouvoir judiciaire décidât ; mais si le pouvoir judiciaire est compétent, vous n’avez pas à vous occuper de la question, et d’après ce que vous avez dit, lorsqu’un jugement par contumace vient à tomber, la cour militaire doit juger.
Vous prétendez que l’article 20 du traité n’est pas applicable à l’individu dont il s’agit, mais les tribunaux, que vous dites seuls compétents pour en connaître, peuvent être d’un avis contraire à l’opinion que vous émettez ; sans doute la chambre est omnipotente, mais est-il prudent de préjuger la question ?
Ecoutez-moi, bien, je vais dire ma pensée sur ce point. Le jugement de contumace, aux termes de la loi militaire, a pu priver le général Vandersmissen de son grade ; l’on peut soutenir que ce jugement doit subsister aussi longtemps qu’il n’est pas révoqué par l’autorité qui l’a prononcé ; mais lorsque le condamné se présentera devant elle, je dis qu’elle a qualité pour décider si l’article 20 du traité est applicable. Vous portez atteinte au pouvoir judiciaire si vous adoptez la proposition qui vous est faite, ou au moins vous vous exposez à voir juger le contraire de ce que vous aurez résolu ; que ferez-vous en ce cas ? veuillez bien y réfléchir.
M. Dolez – M. Demonceau vient de produire une doctrine que je ne puis qualifier que d’étrange. Le gouvernement a pris une mesure qui a ému tout le pays, qui émeut la chambre elle-même, et M. Demonceau vient nous refuser le droit d’examiner la conduite du ministère : c’est confondre deux choses. Les tribunaux ont le droit de juger le général Vandersmissen ; mais à nous, et à nous seuls appartient le droit de juger la conduite du ministre. Si c’était à l’autorité judiciaire à en connaître, n’est-ce pas déclarer que le gouvernement a eu tort d’appeler à lui ce qui devait aller devant les tribunaux ? Si le texte de l’article 20 était douteux, c’était aux tribunaux à en décider ; puisque le gouvernement a appelé l’affaire à lui, qu’il a décidé contrairement à ce que commandent les lois sur la procédure et contrairement à ce que commandent les lois sur la procédure et contrairement au texte du traité ; je dis que la chambre a le droit de blâmer une telle conduite, et je crois qu’elle n’hésitera pas un seul instant à émettre son vote sur la proposition de M. Dumortier.
Je ne parle que sur l’incident ; mais je me réserve de parler sur la question si la discussion est renvoyée à demain.
M. Milcamps – J’appuie la proposition de remettre à demain. La section centrale n’a pas fait de proposition ; elle a exprimé un regret, et ce regret ne provoque ni blâme, ni vote ; c’est la proposition de M. Dumortier qui provoque le vote. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole ; mais aujourd’hui qu’il y a une proposition déposée sur le bureau, et une proposition fort grave, je désire pouvoir motiver mon vote sans dire quel il sera ; je veux examiner, et je demande le renvoi à demain.
M. F. de Mérode – Il me serait difficile de me décider sur une proposition pareille à celle que vient de faire M. Dumortier ; j’ai bien eu l’intention de manifester mon opinion sur un acte du gouvernement ; mais de là à une censure par un scrutin, il y a loin, et c’est une chose à laquelle je ne me suis pas préparé. Je ne puis me décider aujourd’hui, je demande la remise à demain.
M. Mercier – Je demande aussi que la discussion soit remise à demain, aussi longtemps qu’une proposition n’a pas été déposée sur le bureau, beaucoup de membres ont cru pouvoir se dispenser de prendre la parole pour développer les motifs de leur vote ; il en est qui, bien que ne pouvant partager l’opinion du ministère sur le sens de l’article 20 du traité, ne veulent pas cependant inculper ses intentions. Il est donc convenable de leur permettre d’expliquer leur pensée et d’ajourner le vote à demain.
Je demande que le vote soit ajourné à demain.
M. Pirmez – Je pense, messieurs, aussi que le vote doit être ajourné à demain. L’honorable comte de Mérode a fait tout à l’heure une observation qui a excité de l’étonnement, mais qui n’en est pas moins juste ; il y a une grande différence entre le fait de blâmer le gouvernement et celui de contribuer par son vote, à faire blâmer le gouvernement par la chambre. Nous n’étions pas appelés par le rapport de la section centrale à émettre un vote semblable à celui qu’on nous demande en ce moment et qui aurait une bien autre portée que l’expression d’opinions particulières sur un acte du gouvernement.
Il est donc juste que nous puissions réfléchir jusqu’à demain avant de voter sur la proposition dont il s’agit.
M. Rodenbach – Messieurs, dans la section centrale, j’ai voté dans le sens de la proposition de l’honorable M. Dumortier, mais je demande que la discussion soit remise à demain, parce que je désire motiver mon vote.
- La proposition d’ajournement à demain est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 5 heures.