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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 mars 1841

(Moniteur belge n°69 du 10 mars 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi un quart.

M. de Villegas donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne lecture des pièces de la correspondance.

« L’administration communale de Pont-de-Loup (Hainaut) demande des mesures protectrices du sucre indigène. »

- Renvoi à la section centrale pour le budget des voies et moyens.


« Des cultivateurs de la commune de Liment adressent des observations sur le projet de loi relatif aux céréales.

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de ce projet.


« Des fabricants de farine de Menin adressent des réclamations contre quelques dispositions du projet de loi sur les céréales. »

- Renvoi à la section centrale chargé de l’examen de ce projet.


« Des habitants de la commune de Zeveren (Flandre orientale) demandent une majoration du droit sur le lin à la sortie et sur les tissus étrangers à l’entrée. »

« Même pétition de la ville de Thielt et des communes de Deuterghem, Mareghem et Aerseele. »

« Le comité directeur de l’association nationale pour favoriser l’ancienne industrie linière demande qu’il soit pris des mesures protectrices de cette industrie. »

Ordre des travaux de la chambre

M. de Foere – Quatre pétitions, que j’ai déposées sur le bureau, demandent la discussion du projet de loi sur les droits à imposer sur les lins à la sortie, projet qui, en 1834, a été envoyé en section centrale et sur lequel cette section a fait un rapport. Trois de ces pétitions présentent un caractère particulier sur lequel j’attire l’attention de la chambre. Ces pétitions sont couvertes d’un grand nombre de signatures. Une colonne particulière présente le chiffre de contributions que chaque signataire paye à l’Etat. Les quatre pétitions sont, en même temps, couvertes d’un grand nombre de signatures que nos adversaires nous présentent comme intéressées à la libre sortie de nos lins. Un grand nombre de fermiers de ces quatre communes ont signé ces pétitions.

Je le répète, messieurs, ces pétitions réclament la mise en discussion immédiate du projet de loi, présenté en 1833, et envoyé en 1834 en section centrale.

M. Delehaye – Messieurs, si je viens vous entretenir si souvent de l’industrie linière, c’est pour obéir à un devoir impérieux. J’ai la conviction que tous les palliatifs qu’on a voulu donner à cette industrie, ne pourront jamais la relever de la décadence où elle est arrivée. L’association linière composée d’un grand nombre de personnes qui portent à cette industrie une sollicitude toute particulière et à la bienveillance desquelles je me plais à rendre hommage, cette association est dans une incapacité complète pour relever cette industrie. Sans une loi elle ne parviendra pas à la rendre prospère. Une loi protectrice est indispensable.

Accorder un subside, permettre à quelques-uns d’acheter le lin à un prix modéré, alors que ce bas prix n’est qu’un acte de bienveillance, je dirai presque un acte de charité, avec ces moyens, il lui est impossible d’atteindre un degré quelconque de prospérité, il est impossible surtout de lui donner une activité bien soutenue. Je pense qu’il est temps, messieurs, d’avoir recours aux dispositions législatives. J’ai compulsé les archives de la chambre. J’ai vu que depuis 1834, plusieurs projets ont été présentés et renvoyés en sections, et qu’une section centrale a été nommée pour les examiner. Mais cette section n’a rien fait. Maintenant elle est incomplète. Je ne demanderai pas que le bureau soit chargé de la compléter, parce que le bureau ne peut pas faire ce que les sections devraient faire. Mais il est urgent d’apporter quelque remède efficace aux souffrances des tisserands. Je demanderai que le projet dont la chambre a été saisie dans le temps soit immédiatement mis à l’ordre du jour.

M. de Brouckere – Les deux honorables préopinants se sont proposé pour but de faire mettre à l’ordre du jour le projet dont ils ont entretenu la chambre. J’espère que la chambre ne mettra aucun projet à l’ordre du jour avant la loi d’indemnité. Je prierai un des membres de la commission chargée d’examiner cette loi, j’en vois plusieurs dans la chambre, de nous dire, oui ou non, si nous seront bientôt saisis du rapport.

M. Desmaisières – L’honorable M. Delehaye s’est trompé quand il a dit que la section centrale nommée par la chambre en 1833-1834 pour examiner les propositions de MM. Desmet et de Foere sur la sortie du lin n’avait pas terminé son travail. Elle l’a terminé. C’est moi qui était rapporteur de cette section centrale. Ce rapport a été soumis à la chambre en même temps que le rapport sur les toiles et les fils. Mais la chambre alors, il y a dans cette enceinte beaucoup de membres qui en faisaient partie, la chambre a séparé les articles fils et lins de celui des toiles. On se rappellera que dans le temps je me suis opposé à ce qu’on ajourne la question des fils et du lin, en disant que c’était la renvoyer aux calendes grecques. L’avenir a confirmé l’opinion que j’ai émise alors. Cependant on me répondait alors que j’avais tort, qu’on avait l’intention de discuter cette question immédiatement, et pourtant on n’en a rien fait.

M. Van Cutsem – Messieurs, me trouvant au nombre des auteurs de la pétition que le conseil général d’administration de l’ancienne industrie linière a adressé à cette assemblée, vous ne serez pas étonné de me voir appuyer le renvoi de cette pièce à M. le ministre de l'intérieur ; je n’étaierai pas ce renvoi sur l’urgence qu’il y a de donner des secours à une population de plusieurs centaines de mille âmes qui demandent du pain à la législature, d’autres orateurs vous ont entretenu à une précédente séance des besoins de nos tisserands et de nos fileuses, moi-même je vous en ai parlé à différentes reprises, mais je vous dirai ainsi qu’à M. le ministre de l'intérieur, que les deux Flandres attendent avec impatience la solution des questions qui ont donné lieu de la part du gouvernement à une enquête, dont les travaux commencés depuis seize à dix-sept mois ne nous sont pas encore soumis, et j’inviterai ce haut fonctionnaire à nous les communiquer le plus tôt possible dans leur entier, parce qu’une communication partielle ne pourra jamais nous donner cette conviction parfaite de la position de notre industrie linière et des moyens à employer pour la secourir, que nous acquerrons par la lecture de tous les documents recueillis par la commission d’enquête.

Il me paraît que M. le ministre peut faire de cette enquête ce que la commission d’enquête parlementaire a fait de la sienne, elle distribue dans son entier son travail à cette assemblée, et de cette manière, nous voyons tout ce qui a été fait, nous savons qu’aucun membre n’a cherché à faire dominer son opinion en fournissant plus tôt tels documents que tels autres, et que nous aurions à craindre, si nous n’avions sous les yeux tous les renseignements que la commission a recueillis.

Il y a environ six semaines que j’ai prié M. le ministre de l'intérieur de soumettre à la chambre le travail de la commission d’enquête sur l’industrie linière, et de nous dire franchement ce qu’il pensait pouvoir faire pour cette industrie souffrante ; s’il était d’avis d’imposer les lins à leur sortie de Belgique, de prélever sur les fils étrangers des droits tels qu’ils ne pussent plus venir faire une concurrence désastreuse aux nôtres, enfin, s’il croyait pouvoir, oui ou non, secourir nos malheureux compatriotes des Flandres, et M. le ministre de l'intérieur me répondit à cette époque que la commission d’enquête lui aurait soumis son travail à la fin de la semaine suivante, qu’il se serait empressé de le faire imprimer en entier ou par analyse, et que la question de l’industrie linière serait vidée avant la fin de la session ; toutefois, comme six semaines se sont écoulées sans que la distribution de ces documents ait eu lieu, et que je ne veux pas dire de nouveau à mes commettants, lorsque je rentrerai chez moi, d’attendre jusqu’à la prochaine session la solution de question d’où dépend leur existence, je crois de mon devoir de demander à M. le ministre, à présent qu’il en est temps encore, de nous communiquer ces documents avant le vingt de ce mois, pour que nous fassions décider ensuite qui doit triompher dans la question d’industrie linière, nous ou nos adversaires de l’intérieur et du dehors.

Si le ministère prouve dans la discussion de ces questions, qu’il a quelque sympathie pour les quatre ou cinq mille tisserands et fileuses qui se sont adressés à lui pour qu’il améliore leur sort, il acquerra dans les Flandres une popularité qui lui donnera de la force et une longue existence ; si, au contraire il sacrifiait les intérêts de mes malheureux commettants aux exigences de la diplomatie étrangère, dont il doit laisser à d’autres de rechercher les bonnes grâces, quand même, alors, loin d’avoir l’appui de ces deux provinces, ses mandataires ne viendront dans cette enceinte que pour le combattre, et cette attaque serai juste et fondée, parce qu’elle aurait pour base les misères publiques qui ne seraient que l’œuvre du gouvernement ; mais j’espère que le ministère, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, saura prouver qu’il est le ministère du peuple belge et non de l’étranger ; je l’attends du reste à l’œuvre.

M. Smits – Je remercie l’honorable M. de Brouckere de l’interpellation directe qu’il m’a adressée, parce qu’elle me fournit l’occasion de m’opposer à la mise en discussion de tout projet autre que celui de l’indemnité. Je ferai observer qu’il y a ici engagement pris par la chambre ; quand la chambre a renvoyé à une commission spéciale les amendements présentés par M. le ministre de l'intérieur, elle a, comme j’ai eu l’honneur de le dire, décrété l’urgence de la loi. Déjà trois fois elle avait été mise à l’ordre du jour, et trois fois des circonstances sont survenues qui n’ont pas permis à la chambre de s’en occuper. Il est temps qu’on soulage ces infortunés qui attendent depuis 10 ans un acte de justice que, j’espère, on ne leur refusera pas.

Quant à la commission, elle a examiné les amendements qui lui ont été renvoyés. M. de Mérode a été nommé rapporteur, et je suis certain qu’il s’occupera sans retard de son rapport.

M. de Mérode – Je le ferai le plus tôt possible.

M. de Muelenaere – La question que soulèvent les pétitions dont il s’agit semble extrêmement grave. Cependant elle est à l’ordre du jour depuis si longtemps, que tout le monde a pu se former une opinion à cet égard. Quoi qu’il en soit, il est incontestable que les souffrances de l’industrie linière vont en augmentant, on peut presque dire chaque jour.

La misère dans les campagnes des Flandres est réelle ; elle ne saurait être révoquée en doute par personne. Je crois qu’il est indispensable, qu’il est de toute nécessité de s’occuper le plus tôt possible d’un projet de loi qui ait pour but d’alléger les souffrances des fileuses et des tisserands des Flandre. Je désire que la chambre veuille bien le faire sans retard. Je viens donc appuyer la réclamation de l’honorable M. de Foere, pour que le projet de loi proposé sur cette matière soit mis en discussion dans le plus bref délai.

M. Delehaye – D’après les renseignements que j’avais pris, je croyais que la section centrale n’avait pas terminé son travail. Mais il paraîtrait que la chambre est saisie d’un rapport. Il ne me resterait qu’a demander la mise à l’ordre du jour de ce rapport. J’envisage la loi d’indemnité comme ligne de toute votre sollicitude, mais nous ne pouvons pas préciser l’époque où nous serons saisis du rapport sur cette loi, et il se pourrait que celle dont je demande la mise à l’ordre du jour pût être votée avant que nous ne fussions à même de nous occuper de la loi d’indemnité. Le rapport sur la loi relative aux fils et aux lins est présenté, tandis que le rapport sur la loi d’indemnité n’est pas fait encore, et même l’honorable comte de Mérode ne peut pas préciser l’époque à laquelle il le sera. Au surplus, si ce rapport était achevé très prochainement, la chambre pourrait revenir sur la décision que je sollicite.

M. de Mérode – il me semble que les deux objets sont très importants, celui qui concerne l’industrie linière, comme l’autre. Quant à mon rapport, il sera très court ; il est basé sur celui de l’honorable M. Quirini ; il sera prêt pour lundi prochain.

M. de Brouckere – S’il en est ainsi, je demande que la chambre maintienne sa résolution de s’occuper de la loi des indemnités, avant tout autre objet. Si le rapport doit être prêt pour lundi, on peut le discuter deux jours après l’impression. Ce n’est pas une matière nouvelle. La chambre est saisie du projet de loi depuis un grand nombre d’années ; depuis plusieurs années elle est saisie du rapport. Ce n’est que sur quelques amendements que porte l’amendement de l’honorable M. de Mérode.

On parle de la misère des Flandres. Je suis loin de la nier. Mais je ne pense pas qu’il s’élève une voix pour nier les misères résultant de la révolution auxquelles la loi des indemnités doit mettre un terme. Si on les nie, je suis prêt à en administrer la preuve.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Je pense qu’il est d’autant plus facile de maintenir la priorité à la loi des indemnités, que si j’en crois le tableau des projets de loi dressé chaque année par les soins de la questure, la proposition de l'honorable M. de Foere relative à la protection à accorder à l’industrie linière est soumise aux sections ; aucun rapport n’est fait.

M. Desmaisières – C’est moi qui ai fait le rapport, en mars 1834.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Alors, c’est une erreur du tableau.

M. Desmaisières – Sans doute.

M. le président – On va s’en assurer. Si le rapport a été imprimé, et s’il se trouve épuisé, on le réimprimera.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Quoi qu’il en soit, vous voyez que cet objet a été perdu de vue par tout le monde. Il serait à désirer que la chambre ne s’en occupât que lorsque les faits seraient mieux présents à la mémoire ; pour le moment, personne ne se rappelle au juste l’état des choses ; ou tout au mois que la chambre ordonnât une nouvelle distribution du rapport.

Pour revenir à la commission instituée par le gouvernement pour rechercher la cause du malaise de l’industrie linière et les remèdes à y apporter, je dirai que cette commission se compose d’hommes très dévoués, très zélés, dont quelques-uns siègent dans cette enceinte, et qui ont bien voulu se charger de la mission honorifique de faire cette enquête. Cette enquête a eu lieu. Cette commission se réuni plusieurs fois par semaine, pour examiner le questions qui naissent de l’enquête, et pour les résoudre ; le rapport qui en résultera, je l’attends de jour en jour. Cependant, il m’est impossible d’exiger de cette commission plus qu’elle ne fait. Aussitôt que j’aurai reçu son rapport, je le ferai imprimer avec toute la diligence possible. On a demandé si l’on ferait imprimer l’enquête intégrale à laquelle cette commission s’est livrée. Il faudrait des motifs bien graves pour que le gouvernement fît le moindre retranchement au travail de la commission. Il faudrait qu’elle signalât un danger à la publication d’une partie de l’enquête. En l’absence de ce danger, que je ne vois pas, je me ferai un devoir de vous soumettre l’enquête dans son intégralité.

Ce n’est que sur les moyens que nous pouvons être partagés ; car la sympathie du gouvernement est acquise à cette industrie qui occupe une part si importante de la classe ouvrière dans les Flandres.

M. Desmet – Quoique membre de la commission, j’ose prendre la parole, surtout puisqu’il s’agit de l’impression des documents. Trois espèces de documents émanent de la commission linière. Le document original, qui est l’enquête concernant les dépositions, est celui qui est achevé. Je crois même que déjà il est à l’impression avec l’autorisation de M. le ministre. C’est un document original, dont nous avons besoin ; je crois que M. le ministre de l'intérieur pourrait le faire distribuer ; et vous y trouverez tous les renseignements dont vous aurez besoin pour votre gouverne et vous pourrez juger par vous-même.

Je parle dans ce sens, parce que je vois la nécessité de donner quelque apaisement aux malheureux ouvriers des Flandres et d’autres provinces ! Vous venez d’entendre l’honorable comte de Muelenaere, gouverneur de la Flandre occidentale, il a fait un tableau sinistre de la misère des Flandres ; en effet, elle est trop patente, pour vouloir en douter encore.

Je pense que l’on pourrait donner suite à la proposition de l’honorable M. Delehaye ; quand vous aurez l’enquête originale, vous pourrez asseoir vos idées. On pourrait faire pour la question des lins, comme on a fait au sénat pour la question des fils. Qu’a-t-on fait au sénat ? On a renvoyé à l’avis de la commission d’enquête la question du droit d’entrée sur les fils étrangers.

Je ne m’occuperai pas de la question de priorité entre la loi des indemnités et celle relative à l’industrie linière. Il s’agit de deux classes de réclamants. Mais je crois que ceux qui souffrent par suite de la situation de l’industrie linière sont plus nombreux que les victimes de la révolution. Ensuite nous ne demandons pas d’argent ; nous voulons au contraire en verser ; nous demandons simplement une protection pour l’industrie la plus importante du pays et qui intéresse la classe la plus intéressante et qui souffre le plus pour le défaut de protection.

Du reste, je ne demande pas la priorité ; je demande seulement que la loi sur la sotie des lins soit votée dans cette session.

M. de Brouckere – Qu’on mette à l’ordre du jour les indemnités et les lins.

M. Delehaye – L’honorable M. de Mérode ayant déclaré que le rapport sur le projet de loi relatif aux indemnités serait déposé lundi prochain, je ne m’oppose pas à ce que ce projet de loi soit mis à l’ordre du jour avant celui qui concerne l’industrie linière.

M. Rodenbach – J’ai déjà tant de fois appuyé des pétitions des Flandres que je me dispenserai d’en parler. J’ajouterai seulement que je donne mon assentiment à ce qu’ont énoncé mes honorables collègues des Flandres, mais pour pouvoir discuter promptement le projet de loi présenté par l’honorable M. de Foere, il conviendrait de faire imprimer le rapport qui a été fait sur ce projet de loi. Je me rappelle qu’en 1834 j’ai fait une proposition pour mettre un droit sur les toiles. La chambre l’a discutée. Il y avait aussi un projet de loi sur les fils. Mais quant à celui relatif aux lins et à la sortie des lins, le rapport a été fait ; mais on a ajourné la discussion. Je demande qu’on imprime ce rapport de la section centrale, qui a été fait en 1834 par l’honorable M. Desmaisières. Alors, par urgence, dans cette session, on pourra s’en occuper. La misère des Flandres ne peut être contestée. Le gouverneur de la Flandre occidentale vient de le confirmer. Puisque des rapports officiels sont annoncés, je pense qu’on commencera à y croire. J’ai dit.

M. le président – Le rapport sur le projet de loi relatif aux lins a été fait en mars 1834. Mais ce rapport avait également pour objet les toiles. Je suppose qu’il ne faudra faire réimprimer que la partie concernant les lins.

M. Desmaisières – Je crois qu’il y aurait un travail à faire, à raison de ce que les questions étant connexes, leur examen se trouve confondu. Peut-être sera-t-il possible de réduire le rapport. Mais je ne pourrais pas en répondre.

M. le président – Le bureau se mettra en relation avec M. le rapporteur. (Adhésion.)

M. Mast de Vries – Si l’on veut mettre à l’ordre du jour la loi sur les lins, je demande si nous aurons auparavant l’interrogatoire de la commission d’enquête.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Loin de m’opposer à ce qu’on réimprime le rapport de M. Desmaisières sur cette question, je me réunis à ceux qui font cette demande que la chambre ne s’occupe de sa mise à l’ordre du jour que lorsqu’il aura été distribué. Alors je pourrai sans doute dire quel jour on pourra distribuer l’interrogatoire dont a parlé M. Desmet. Maintenant cela me serait impossible.

M. le président – Il ne s’agit, pour le moment, que de décider de la priorité entre le projet de loi relatif aux indemnités et le projet de loi relatif à l’industrie linière. (Adhésion.)

La chambre consultée donne la priorité au projet de loi relatif aux indemnités.

M. de Theux – Il conviendrait d’imprimer avant la discussion non seulement l’interrogatoire, mais encore l’opinion de la commission d’enquête. (Adhésion.)

M. Manilius – Je demande le dépôt des pétitions sur le bureau pendant la discussion. Ainsi il n’y aura pas nécessité de les renvoyer. Sans cela, il faudra un nouveau rapport.

M. Smits – La question des lins se divise en trois parties : la défense de sortie, la tarification des toiles et la tarification des fils. Je crois me rappeler qu’en 1833 et 1834 la commission supérieure d’industrie a fait un rapport très volumineux sur cette matière ; et peut-être serait-il intéressant que ce travail fût également déposé sur le bureau pendant la discussion. Cette pièce, je ne la possède pas, mais je suppose que M. le ministre de l'intérieur pourra la retrouver dans ses archives et la communiquer à la chambre.

- Le dépôt des pétitions sur le bureau, pendant la discussion du projet, est décidé.


M. Pirmez informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance.

- Pris pour notification.

Projet de loi, disjoint du projet de budget des voies et moyens, augmentant le droit d'importation sur le café

Discussion générale

M. le président – M. Rodenbach a fait parvenir au bureau un amendement ainsi conçu : « Au lieu du chiffre ministériel de 14 francs, je propose 12 francs par 100 kil. »

- La parole est à M. Rodenbach pour développer son amendement.

M. Rodenbach – Messieurs, le droit actuel sur le café est de 8 francs ; je propose qu’on le majore de 4 francs, c’est-à-dire qu’on le porte à 12 francs par 100 kilog.

Les adversaires de la majoration du droit sur le café ont assuré à la chambre que si on admettait une majoration quelconque, le commerce interlope n’aurait plus lieu. Je ne partage pas cette opinion ; je crois qu’avec une augmentation de 4 centimes par kilog., ce commerce continuera, et voici mes motifs :

En Prusse, le droit sur le café est de 5 thalers 15 silbergrossen, par centner ; cela fait 48 francs par 100 kilog. ; c’est donc un droit quatre fois plus élevé que celui que je propose. Je ne vois donc pas pourquoi le commerce interlope avec ce pays n’aurait plus lieu. Je sais que ce commerce n’est pas moral, mais on le pratique ailleurs, ce ne sont que des représailles.

En France, le droit sur le café importé par navire étranger est de 102 francs par 100 kilog. C’est un droit énorme. Le droit sur les qualités des colonies françaises est de 50 francs, et sur d’autres qualités de l’étranger de 75 francs. On peut considérer le droit, terme moyen, comme étant de 60 à 70 francs par 100 kil.

Ainsi donc le fraudeur qui introduira de la Belgique en France une charge de 15 kil. fera un bénéfice de plus de 5 francs ; dès lors, le commerce interlope pourra encore se pratiquer avec la France. Nos honorables opposants nous ont dit qu’on allait introduire frauduleusement des cafés de la Hollande en Belgique. Eh bien, je crois que cette fraude ne se fera pas, parce que le bénéfice qui est résulterait serait trop minime.

15 kil. forment la charge ordinaire d’un contrebandier ; à raison de 12 centimes, cela fait 1 fr. 80. Ajoutons les centimes additionnels, cela fera 2 francs. Je vous le demande, un contrebandier peut-il passer une nuit entière, exposé aux intempéries des saisons, pour gagner une pareille bagatelle ? Je ne le pense pas, il est d’autres articles à importer, qui peuvent lui fournir un plus grand bénéfice. L’infiltration ne pourrait avoir lieu que pour autant que le bénéfice fût de 4 à 5 francs.

Messieurs, le café en France vaut par kil. 70 à 1 fr. 75 c. ; en Prusse, et dans la partie du Luxembourg cédé, il vaut 1 fr. 70 par kil. ; tandis qu’avec le droit que je propose, celui de 12 centimes par kil., le café de Batavia, qui est une des premières qualités, ne vaudra que 1 fr. 40 par kil. Il reste donc 35 c. par kil. pour protéger le commerce interlope, pour former le bénéfice de celui qui introduira ce café en Prusse et en France.

Je demanderai que les honorables opposants veuillent bien répondre à ces chiffres ; je suis prêt encore à les combattre sur ce qu’ils ont avancé hier.

Je crois donc que le droit sur le café peut-être porté à 12 francs. Peut-être qu’en le portant à 14 francs les 100 kil., la majoration eût été trop loin, la transition eût été trop forte. Le ministère s’était complètement trompé lorsqu’il avait demandé 20 francs ; c’était monter trop brusquement que d’aller de 8 à 20 fr.

Mais je suis convaincu qu’avec le droit de 12 fr., l’impôt sur le café, qui est maintenant de 1,300,000 fr. donnera une augmentation de revenu d’un demi-million.

Voilà, messieurs, mon opinion. Je prie les honorables députés qui s’opposent à toute augmentation de droit sur le café, de nous faire connaître leurs motifs et de combattre les arguments que je viens de produire.

M. Smits – Messieurs, je ne puis admettre ni l’amendement proposé par l’honorable M. Rodenbach ni l’amendement proposé par M. le ministre des finances.

L’honorable M. Rodenbach croit qu’avec un droit de 12 fr. aucune fraude ne sera possible. Messieurs, j’ai une opinion contraire.

Il faut d’abord remarquer que le droit établi en Hollande sur le café n’est que de 4 fr. ; conséquemment le droit portée à 12 fr. serait plus élevé de 200 p.c.

La différence est ainsi de 8 fr. Or, quiconque connaît cette immense ligne de bruyère qui s’étend de Esschen et Calmphout jusqu’à Maestricht, sait qu’une fraude de 100 kil. peut se faire facilement par un seul individu et dans un court espace de temps. Dans ces espèces de déserts, les frontières ne sont pas même indiquées, et on n’a souvent qu’une ligne en quelque sorte imperceptible à traverser pour être d’un territoire sur l’autre. Pour 8 francs un contrebandier fraudera volontiers toute une nuit, et déjouera toutes les surveillances.

Messieurs, je vous disais hier que le café formait un des articles les plus importants de notre économie commerciale, et je crois que, sous le rapport industriel et maritime, il est presque aussi important que le sucre exotique.

Où exportons-nous aujourd’hui nos produits industriels ? C’est vers le Brésil, c’est vers la Havane, c’est à Saint-Domingue. Mais pour exporter nos produits vers ses parages, il faut nécessairement prendre en retour ou du café ou du sucre. Si vous ne pouvez pas faire ce retour, vos navires perdent un fret, et conséquemment la marchandise exportée bien à supporter un double fret. Dès lors il est impossible à nos produits industriels de lutter sur ces marchés avec les produits similaires de l’étranger.

Ce sont là des conséquences que vous ne devrez pas perdre de vue. Vos exportations industrielles vers les contrées transatlantiques ne sont possibles que lorsque vous pouvez prendre des cargaisons de retour.

Si, messieurs, nous n’étions pas entourés par des peuples rivaux en commerce, si nous n’avions pas la Hollande d’un côté et les villes anséatiques de l’autre, je dirai : frappez ces articles de consommation, ils peuvent supporter de hauts droits. Mais il n’en est pas ainsi. Notre législation doit se baser, en grande partie, sur le système de nos voisins comme le système de nos voisins doit aussi un peu se baser sur le nôtre. Celui qui offrira le plus de chances à son commerce maritime l’emportera nécessairement. Mais, je le répète, vos exportations industrielles ne sont qu’à ce prix que les navires puissent prendre des cargaisons de retour ; et ces cargaisons se composent de sucre et de café.

Messieurs, on a été généralement d’opinion que du tiers au quart de nos importations en café était livré à l’étranger, c’est-à-dire les trois quarts et les deux tiers sont livrés à la consommation intérieure. Je crois que ces calculs ne sont pas exacts. Je crois que la partie de marchandises que nous exportons, après avoir payé les droits au pays, est beaucoup plus considérable.

En Belgique, il est difficile de constater exactement les choses ; parce que, comme les droits se paient sur toute la masse importée ; nous ne savons réellement pas ce qui se livre réellement à la consommation.

Pour me rendre un compte exact sur cette matière, pour me donner une règle d’appréciation, j’ai consulté le tableau du commerce de la France où le droit est élevé, et où conséquemment, tous les cafés déclarés en consommation sont réellement consommés.

Eh bien ! j’ai constaté que les importations ordinaires de la France s’élèvent à 22 millions. De ces 22 millions 9 sont livrés à l’exportation ; restent donc pour la consommation intérieure 13 millions.

Supposons maintenant, messieurs, que nous, 4 millions de Belges, nous consommons autant de café que les 34 millions de Français. Il resterait encore une différence sur nos importations en général de 11 millions, puisque nos importations de 1838 ont été de 25 millions.

Ainsi, messieurs, le trésor, par la législation actuelle, perçoit aujourd’hui un droit sur la moitié de nos importations générales, bien que cette moitié ne soit pas livrée à la consommation ; et quand je dis la moitié, j’exagère évidemment en moins, puisqu’il n’est pas présumable que nous consommions autant de café que toute la France entière.

Eh bien ! si maintenant vous n’étiez pas satisfait de ce bénéfice, si vous augmentez le droit existant qu’il y donne lieu, il est à craindre que les ressources du trésor, au lieu d’augmenter, ne diminuent au lieu d’augmenter.

Et veuillez remarquer, messieurs, qu’en général les cafés qui s’exportent sont des cafés Saint-Domingue, des cafés Haïti, des cafés Brésil ; ces cafés sont précisément ceux que nos propres navires prennent en retour de leurs expéditions ; de sorte que si notre commerce d’exportation venait à casser par l’augmentation du tarif, et il cesserait évidemment dans mon opinion ; dès ce moment aussi nos exportations industrielles vers les contrées transatlantiques seraient paralysées.

Je dis plus, les navires belges qui font retour au pays seraient obligés d’aller se réfugier en Hollande, pour leur cargaison être importée de là sur notre territoire, et de là à l’étranger. Est-ce là ce résultat que vous voulez. Non, messieurs, et tel il serait cependant si vous adoptiez la loi qui vous est proposée.

Aujourd’hui messieurs, le commerce d’exportation du café entretient la vie dans presque toutes nos villes frontières ; c’est par ce commerce seul, qui en alimente beaucoup d’autres, qu’elles prospèrent quelque peu. Le détruire serait un mal d’autant plus grand, qu’on créerait la fraude au détriment du pays, au lieu de le laisser subsister au profit du pays.

Messieurs, nous avons eu beaucoup de lutte à soutenir ; c’est grâce au courage de notre commerce, à ses efforts, que la Belgique doit d’avoir reconquis son ancien marché. Ce marché grandit tous les jours. Si par un changement brusque dans la législation, comme celui qu’on vous propose, vous portez atteinte au système actuel, je désespérerai véritablement de l’avenir commercial et industriel du pays.

M. Milcamps – Messieurs, il est remarquable que lorsqu’il s’agit d’augmentation d’impôts sur les objets qui touchent à l’agriculture, elles sont toujours reçues avec faveur ; c’est le contraire, lorsqu’il s’agit d’augmentation d’impôts sur les objets qui touchent au commerce ou à la navigation.

Nous avons voté, presque sans débats, de majorations d’impôts sur la contribution foncière, sur le genièvre ; c’étaient des lois de contributions directes et d’accises qui affectaient l’agriculture.

Aujourd’hui, il s’agit de majorer le droit sur le café, il s’élève des débats contre, c’est parce que c’est une loi de douane qui affecte le commerce et la navigation.

Dans l’origine, je le reconnais, les lois de douanes avaient pour objet de protéger l’industrie, mais aujourd’hui elles forment l’une des branches les plus importantes du revenu des Etats.

C’est uniquement sous ce dernier point de vue qu’une majoration de droit est proposée sur le café.

M. le ministre craint de dire qu’après qu’on a dépensé et dépensé énormément, il faut faire face à ses dépenses, je le dis pour lui ; et j’ajoute qui veut la fin veut les moyens.

Or, vous avez voulu la fin, c’est vous, et non pas moi, qui avez voulu toutes ces dépenses de construction de chemins de fer, de canaux, de routes, et qui voulez les continuer, c’est donc à vous à y pourvoir, et j’avoue que je ne comprends pas ce refus de voies et moyens dont il s’agit.

M. le ministre avait proposé de porter le droit sur le café à 20 francs par 100 kilogrammes, il réduit ce droit à 14 francs.

Y a-t-il lieu de porter le droit sur le café à 14 francs par 100 kilogrammes ?

J’ai pesé les raisons qui motivent la majoration, et je dois le dire, je les trouve péremptoires.

C’était l’opinion de M. d’Huart, ancien ministre des finances ; c’est l’opinion de M. le ministre actuel, qu’un impôt modéré peut être établi sur le café sans entraver les opérations commerciales, sans diminuer la consommation de cette denrée, et sans faire naître la fraude ; seulement une condition est exigée, celle du maintien des avantages du transit et de l’entreposage, mais le projet de loi n’enlève rien aux avantages du transit et de l’entreposage.

C’était également l’opinion de la commission d’industrie en 1835. Elle disait que les droits imposés en France et en Prusse étant considérablement plus élevés qu’en Belgique, il resterait aux négociants de nos frontières une marge très large pour continuer leurs affaires. Son honorable rapporteur, M. de Foere, en disant qu’il était douteux que la Belgique sans colonies pût avoir une marine marchande, y trouvait une raison d’appuyer la nôtre sur des droits différentiels. Ce système des droits différents, présenté en thèse générale, n’a aucun sens ; mais appliqué à certains objets, ainsi que l’entend sans doute l’honorable membre, il peut avoir sa bonté.

Toute la question se réduit donc à savoir si un droit de 14 francs par 100 kilogrammes de café a le caractère d’un droit modéré.

Mais cela est évident, si on le compare à celui qui se perçoit chez nos voisins. En France, le droit est de 50 à 100 francs par 100 kilog. Cela est évident encore puisque d’après le discours de l’honorable M. Lys, la régence de Verviers n’a trouvé aucune difficulté à assujettir le café à un droit d’octroi.

M. le ministre examinant s’il n’y a pas à craindre qu’une augmentation de droit nuise au commerce interlope et tout à fait de détail que la Belgique fait avec la Franc, la Prusse et le Luxembourg, évalue le minimum du prix du café en consommation :

En France, à fr. 1,76 le kilog. ;

En Prusse, à fr. 1,70 ;

Dans le grand-duché à fr. 1,70 ;

tandis que le prix du café en Belgique n’est, y compris l’augmentation de droit, c’est-à-dire à raison de 20 francs par 10 kilog., n’est, dis-je que de fr. 1,43 le kil., ce qui laisse à notre commerce de détail une marche, un avantage de 26 centimes par kilogramme sur les marchés qui lui sont le moins favorables.

Personne n’a relevé les calculs et ne les a contestés, et aujourd’hui que M. le ministre des finances ne vous propose plus qu’un droit de 14 fr. par 100 kilogrammes, il en résulte que l’avantage de la Belgique sera, sur le marché étranger de 32 centimes par kilogramme.

Comment dès lors présumer que l’augmentation de 6 centimes par kilog. anéantisse le commerce interlope avec la France et la Prusse au préjudice de ceux qui l’exercent. ? Comment penser, pour rencontrer une métaphore de nos contradicteurs, que, sous prétexte du transit, on infiltrera du café dans le pays et qu’on l’y fera passer comme fluide ou filtre.

On dit qu’on propose en Hollande un droit de 8 francs. Le nôtre serait de 14 ; ainsi, une différence de 6 fr. par 100 kil. ou de 6 c. par kil. Je ne puis supposer que pour un si faible bénéfice on se livre à la fraude ; mais comment se fait-il que cette considération ne soit d’aucune importance en France. La France, qui a une marine à alimenter, devrait craindre bien autrement que nous l’infiltration du café et cependant elle assujettit le café à un droit très élevé.

Messieurs, dans mon opinion, il n’y a aucune bonne raison à opposer à la majoration proposée par M. le ministre, aussi ne l’attaque-t-on que par des généralités ; mais on sent aujourd’hui la nécessité de prendre les faits pour base et pour règle, qu’aucune idée générale ne peut avoir de valeur réelle si elle n’est sortie du sein des faits.

On dit : le café est la boisson du pauvre. Cette raison ne prouve rien, parce qu’elle prouve trop. Si cette raison avait de la valeur, nous devrions affranchir de tout impôt, ou diminuer considérablement les impôts sur les grains, sur le charbon, sur le sel. Ce sont là pour les pauvres des objets de première nécessité. Toutefois ce serait un retour vers les bonnes idées, si ce moyen n’était pas présenté dans un autre intérêt pour faire rejeter l’impôt, car c’est la première fois que j’entends prendre en considération l’intérêt des consommateurs. Sans doute le cas est une boisson du pauvre, mais elle est aussi celle du riche. Pour le riche, c’est presque une dépense de luxe. Il me serait facile de démontrer que le pauvre ne payera l’impôt relativement au riche que dans la proportion de un à huit.

Je cherche vainement quelle influence une augmentation de droit sur le café pourrait exercer sur les négociations à intervenir entre la Belgique et la Hollande, relativement à un traité commercial. Est-elle de nature à empêcher les négociations ? On ne nous a signalé aucun inconvénient, d’où je dois conclure qu’il ne s’en présente pas ; et je répète qu’après avoir pesé les raisons contre la majoration de droit proposé sur le café, je n’en ai trouvé aucune qui eût de la valeur. Ce sont les lieux communs ordinaires qu’on emploie pour faire rejeter toute majoration de droits sur les objets qui affectent le commerce et la navigation.

Seulement, on pourrait objecter que nous ne pourrions pas soutenir la concurrence avec la Hollande pour l’introduction du café en Prusse, mais je demanderai si vous pouvez lutter avec la Hollande ; je demanderai si vous faites avec la Prusse un si grand commerce ; s’il était important, vous ne manqueriez pas de le dire et de l’établir. Vous ne prouvez rien ; la Hollande n’a pas besoin de recourir à ce moyen pour faire verser ses cafés sur les marchés de la Prusse, vous ne pourrez jamais lutter avec cette puissance. Je voterai donc pour la majoration.

M. de Foere – Messieurs, lorsque les augmentation de dépenses nous ont été proposées par le ministère, je m’y suis opposé. Nous avons prévu qu’il serait extrêmement difficile de trouver les moyens de faire face à ces majorations. Cette prévision, j’ai eu l’honneur de la communiquer à la chambre. Elle n’a pas tardé d’être justifiée.

Il est une règle d’administration générale qui est suivie par tous les gouvernements : la balance entre les recettes et les dépenses doit être indispensablement maintenue. Je me suis trouvé dans la minorité ; je me soumets à la décision de la majorité ; c’est la conduite parlementaire que j’ai toujours suivie. Les majorations ont été posées, il est du devoir de la chambre de les rencontrer par un équivalent de recettes. Le niveau entre nos dépenses et nos recettes doit être rigoureusement établi. Ce devoir incombe aussi au ministère.

Voulez-vous, messieurs, suivre encore les errements dans lesquels vous êtes entrés depuis la révolution ? Voulez-vous continuer de combler vos déficits au moyen d’une émission de bons du trésor ou par d’autres emprunts ? L’honorable M. Duvivier a dernièrement porté aux nues les effets de la dette flottante ; il semble que la chambre a accepté cet éloge. Mais lorsque, dans d’autres discussions, les désastreux effets de cette dette flottante sont signalés à la chambre, alors la chambre accepte aussi le juste blâme jeté sur la dette flottante. Les intérêts contraires qui animent nos discussions décident le pour et le contre. Lorsqu’elle nous est présentée comme un moyen de combler nos déficits, tout le monde est d’accord pour la trouver détestable.

Dans l’intérêt du trésor, dans l’intérêt de ce besoin impérieux de combler nos dépenses annuelles par de revenus annuels, je défendrai la proposition du gouvernement.

Je rencontrerai les objections qui ont été présentées contre le chiffre proposé.

L’honorable M. Cogels, dans le discours qu’il a prononcé dans la séance d’hier, vous a d’abord objecté, messieurs, que vous porteriez un préjudice notable à la prospérité commerciale du pays. Il eût été désirable que l’honorable membre nous eût donné une définition de la prospérité commerciale, telle qu’il l’entend. Quant à moi, je n’en connais d’autre que celle qui résulte de l’échange de nos produits contre les produits étrangers. Je ne puis considérer notre prospérité commerciale comme consistant dans l’importation du nombre de balles de café qui s’importent aujourd’hui dans le pays, sans que cette importation donne lieu à l’échange de nos produits.

Je le répète, c’est dans cet échange seul que, selon moi, la prospérité commerciale du pays puisse consister.

Un honorable préopinant, M. Smits, que vous venez d’entendre, vous a lui-même présenté la question sous ce point de vue. Il vous a dit que les cafés sont un des éléments les plus considérables pour échanger nos propres marchandises contre cette denrée. « Nous allons, dit-il, chercher les cafés au Brésil et à Saint-Domingue. » Je lui demanderai quels sont les produits que jusqu’à présent nous avons échangés contre les cafés importés. Une statistique d’importation de cette denrée nous a été fournie par un membre de la chambre de commerce d’Anvers, lorsque l’enquête commerciale a été instituée, devant cette chambre de commerce ; cette statistique vous prouvera à l’évidence que les deux honorables députés d’Anvers sont complètement dans l’erreur. Dans les 6 premiers mois et demi de l’année 1840, il nous a été importé 146,000 balles de café. De quels ports ces cafés nous ont-ils été importés ? La note remise par un membre de la chambre de commerce d’Anvers va vous le dire.

11,000 balles provenaient des entrepôts d’Europe. Or, là vous n’aurez pas échangé vos marchandises contre ce café, attend que vous êtes exclus des Etats européens par des droits exorbitants.

La navigation des Etats-Unis nous a importé 100,000 balles de différents ports et provenances. Or, vous savez que les navires des Etats-Unis quittent nos ports sur lest, après nous avoir importé des cafés qu’ils ont échangés contre de marchandises de leur propre pays.

Il nous est arrivé directement du Brésil 6,200 balles. Elles nous ont été importées, en grande partie, par la navigation étrangère.

Ensuite, 29,000 balles ont été importées par les voies intérieures de la Hollande.

146,200 balles ont donc été importées en Belgique, dans les six dernier mois et demi de l’année 1840.

Je le demande maintenant, quelle est la valeur de l’opinion que les honorables MM. Smits et Cogels viennent d’exprimer ? dans l’état actuel de notre législation et de l’importation des cafés, cette denrée nous fournit-elle les moyens d’échanger nos propres marchandises ? Ces moyens sont complètement nuls. Les faits les plus incontestables le démontrent.

Messieurs, nous consommons annuellement 12 millions de kilog. de café. Ces 12 millions peuvent donner lieu à une navigation nationale de 60 navires, chacun de 200 tonneaux. Si nous avions une législation commerciale qui réduisît le droit suer le café importé par cette navigation, vous pourriez échanger vos propres marchandises sur les marchés lointains qui sont seuls ouverts à nos produits.

Les faits nous démontrent à l’évidence que l’opinion des honorables députés d’Anvers est complètement erronée. Je n’entends pas établir que le café ne soit un élément et un élément considérable pour échanger nos produits ; mais je conteste cette prospérité commerciale qui, selon eux, serait résultée de l’importation du café, je conteste que jusqu’à présent le café ait été pour nous un élément d’échanges commerciaux.

Commet, messieurs, avons-nous payé ces 12 millions de kilog. de café qui sont consommés dans le pays ? Nous les avons payés en argent. (M. Cogels fait un signe de dénégation.) Si l’honorable M. Cogels doute que les denrées coloniales non échangées contre des marchandises, ne doivent point être payées en écus, j’invoquerai, à l’appui de mon opinion, les faits financiers qui dernièrement se sont présentés en Angleterre, et qui souvent se reproduisent aux Etats-Unis.

Il y a deux ans, la banque d’Angleterre a été sur le point de devoir suspendre ses paiements. Pour faire face à ses engagements, elle a eu recours à la banque de France. L’Angleterre a été obligée d’importer beaucoup de grains des pays étrangers qui ne lui offraient pas, dans la même proportion, des éléments d’échanges commerciaux. Il lui a fallu payer ces grains en numéraire. Cette cause des embarras que la banque d’Angleterre a éprouvés dans cette circonstance, a été universellement reconnu en Angleterre.

Il en a été de même des banques des Etats-Unis. L’excédant des importations de ce pays qui ne balancent pas en Europe et ailleurs ses exportations, leur fait souvent suspendre leurs paiements en numéraire. Souvent elles ont recours aux banques d’Angleterre.

Ce résultat, messieurs, n’influe pas seulement sur l’état financier ; mais il exerce encore son influence funeste sur le commerce et sur l’industrie. Aux Etats-Unis et en Angleterre, leur commerce et leur industrie en ont été considérablement affectés.

Que l’honorable M. Cogels se rassure, le droit majoré n’empêchera pas l’importation ou la consommation des cafés en Belgique. La majoration de 4 centimes ne changera pas les habitudes du pays, pour ce qui regarde la consommation du café. La production répondra toujours à la demande. Cette cause produit cet effet dans tous les ports du monde.

Le droit sur le café importé de ses propres colonies est en Angleterre de 100 pour cent de la valeur, et malgré ce droit, l’usage du café y prend chaque année une plus grande extension ; la consommation de café en Angleterre descend de plus en plus dans les classes inférieures.

Le droit sur le café importé en Angleterre, d’autres colonies que les siennes, mais importé de ports qui sont compris dans les limites de la charte de la compagnie des Indes orientales, ce café est imposé à 150 p.c. de la valeur (9 pence la livre.)

Depuis le 26 avril 1838 jusqu’au 24 mars 1840, l’Angleterre a importé, pour sa propre consommation, du cap de Bonne-Espérance, 21 millions de livres de cafés étrangers, imposés à 9 pence par livre.

La compagnie des Indes orientales a une charte qui renferme dans ses limites le cap de Bonne-espérance. La navigation anglaise et hollandaise transporte des marchés de Rotterdam, Amsterdam et Hambourg au cap de Bonne-Espérance, des cafés que la navigation anglaise importe ensuite en Angleterre à 9 pence la livre, pour ne pas devoir payer le droit établi sur les cafés venant de colonies étrangères et imposés à un schelling trois pence la livre (250 p.c. de sa valeur.) Pendant ce laps de temps que je viens d’indiquer, et malgré ce droit de 150 p.c. de la valeur, augmenté de tout le fret de la navigation de la Hollande au cap de Bonne-Espérance et du cap de Bonne-espérance dans les ports de l’Angleterre, ce pays a importé, pour sa consommation, l’énorme chiffre de 21 millions de livres de cafés étrangers.

Pourquoi l’Angleterre impose-t-elle ce droit sur le café ? Elle l’impose dans l’intérêt de son trésor, dans le but de couvrir des dépenses. En effet, il n’existe pas d’article qui se prête mieux aux impôts de consommation que le café.

En 1839, ce droit a rapporté en Angleterre à peu près 19 millions et demi, quoique la consommation de cette fève dans ce pays ne soit que d’une livre et ¼ par tête. Reconnaissons donc que le café est un des éléments les plus propres à l’impôt.

La place d’Anvers, a dit l’honorable M. Cogels, était, avant la révolution, le premier marché de l’Europe en café.

Personne, dans la Belgique entière, ne pense que cette position puisse être acquise à la place d’Anvers, en maintenant le droit actuel sur le café.

La Hollande maintiendra à tout prix son marché général de cafés, et nous n’avons aucun moyen de réagir contre ce marché général. Tout ce que vous pouvez espérer, c’est d’établir à Anvers un marché partiel de cafés Brésil et Saint-Domingue.

Or, ce n’est pas une majoration de droit sur le café importé pour la consommation de la Belgique qui puisse mettre obstacle à l’établissement de ce marché partiel. C’est le transit seul qui puisse l’établir, si vous pouvez offrir à ce transit des conditions plus favorables que le transit hollandais. Les marchandises de transit sont affranchies de tout droit. Mais ce qui s’opposera toujours à l’exportation de nos produits, c’est l’importation des cafés pour les entrepôts lointains qui ne vous permettra pas d’opérer des échanges. C’est le système en vigueur qui s’oppose à nos exportations ; tant que vous le maintiendrez, vous ferez un tort considérable à l’exportation de vos propres produits ; le seul moyen que vous ayez de l’exporter, c’est celui de les échanger contre les denrées coloniales des contrées lointaines ; vos éléments d’échange seront restreint dans la même proportion dans laquelle vous permettriez d’importer les denrées coloniales par la voie des entrepôts, et que vous n’avantagerez pas efficacement les retours en denrées coloniales du commerce du pays.

Nous sommes, a dit l’honorable membre, à la veille de faire un traité de commerce avec la Hollande, et par conséquent cette majoration de droit sur le café est inopportune.

Messieurs, sur quels éléments ce traité de commerce avec la Hollande doit-il être basé ? Evidemment sur des concessions réciproques. Or, quelles sont les concessions que vous pouvez offrir à la Hollande ?

L’honorable M. Cogels va directement contre le but qu’il veut atteindre ; ces sortes de traités de commerce sont négociés par des concessions réciproques. Quels sont les éléments des négociations qui existent maintenant entre l’Angleterre et la France ? Ce sont des concessions mutuelles, des abaissements réciproques de tarif. Ces mêmes éléments ont servi pour base au dernier traité de commerce conclu entre la France et la Hollande. Il est impossible de conclure de semblables traités, sans faire de part et d’autre des concessions.

Or, c’est la majoration du droit sur le café, surtout sur le café de Java qui vous donnera le moyen de négocier un traité de commerce. Si vous n’avez pas d’éléments de concession, vous n’obtiendrez pas de traité, et vous n’en obtiendrez pas qui vous soit favorable.

Les autres nations se trouvent bien de notre tarif, elles n’ont aucun motif de traiter avec nous de réciprocité douanière.

C’est la cause que je signale dans cette chambre depuis dix ans. Vous vous désarmez d’avance ; vous n’avez pas de moyens de concessions ; votre tarif est trop bas pour engager les nations étrangères à traiter avec vous sur un abaissement mutuel de tarifs et pour les intéresser à traiter avec vous sur le pied de cette réciprocité. Lorsque vous aurez majoré le droit sur le café de Java et que, par cette majoration, vous serez parvenus à diminuer, dans le pays, la consommation de ce café et à augmenter celle du café Brésil et Saint-Domingue, la Hollande sentira alors le besoin de conclure avec vous un traité de réciprocité qui soit favorable aux intérêts des deux pays.

L’honorable M. Cogels et d’autres honorables opposants à la proposition du gouvernement vous ont signalé, comme obstacle, la fraude. Je partage, à cet égard, l’avis de l’honorable ministre des finances et de tous les fonctionnaires en chef de son ministère ; la majoration proposée n’est pas de nature à encourager la fraude. Lorsque le gouvernement vous demande une majoration sur un article quelconque, il doit être armé des moyens d’exécution. S’il veut arriver à son but, il doit avoir devers lui les moyens de réprimer efficacement la fraude. Ces moyens ne lui manquent pas. Le ministère peut présenter un projet de loi tendant à défendre, sous des peines sévères, de pratiquer, pendant la nuit, les fausses voies sur la frontière hollandaise. Il peut convertir en douaniers les soldats qui sont en observation sur le même frontière. Il peut prohiber l’entrée du café par les frontières de terre. Cette prohibition a été demandée à l’unanimité par la chambre de commerce d’Anvers et par les autres négociants de cette ville. C’est d’ailleurs un moyen de ne pas voir jeter des entraves dans notre commerce considéré en général. Lorsque cette prohibition sera établie, les saisies se pratiqueront avec facilité et efficacité, si le gouvernement accorde aux employés de la douane une large part dans les saisies qu’ils opéreront. Par ces moyens vous parviendrez à réprimer efficacement la fraude.

Le commerce de la province de Liége éprouvera, dit-on, de grandes entraves à l’égard du commerce interlope qu’elle exerce. Déjà il vous a été observé que le droit proposé laisse une marge assez considérable entre le prix du café dans les provinces de Prusse et celui auquel il serait élevé en Belgique, pour que ce commerce puisse continuer. En Prusse, le café paie un droit de 40 fr. par 100 kilog. Cet impôt est presque double en France. Il reste donc sur ces deux frontières une grande marge pour exercer ce commerce interlope.

La France, la Prusse et l’Angleterre ne reculent pas devant la crainte de la fraude, alors que afin de trouver les moyens d’établir la balance entre les recettes et des dépenses, ces trois pays imposent un droit considérable sur la consommation du café. Dans tous les cas, ni la fraude ni le commerce interlope ne sont pas assez importants pour pouvoir exercer un grand effet sur le résultat général de la loi.

L’honorable M. de Brouckere dit, en m’interrompant, que si nous imposons un droit de 14 fr. sur le café, nous ne ferons plus le commerce interlope avec les provinces rhénanes, et que ce sera la Hollande qui le fera à notre place. Si tel devait être le résultat de la loi, déjà il serait établi par le droit actuel qui est de 8 fl. par 100 kil. ; en Hollande le café Java se vend à un florin par 100 kil. au-dessous du prix de nos marchés. Malgré cette différence, ce commerce interlope se pratique, dites-vous. Je ne vois pas de raisons péremptoires pour lesquelles ce commerce, si toutefois il se pratique dans une proportion considérable ne continuerait pas, si le droit était porté à 14 francs.

Je terminerai par une dernière observation. Les honorable membres qui ne veulent pas de majoration de droit sur le café, nous vous en ont pas proposé sur d’autres articles pour établir la balance entre nos dépenses et nos recettes. Il est très commode de combattre des impôts nécessaires à la bonne administration des finances du pays ; mais est-il aussi commode d’indiquer d’autres articles imposables ?

Si l’on ne veut pas mener le pays à la ruine, et si le café ne paraît pas à nos adversaires une matière imposable, il eût été au moins rationnel de nous faire d’autres propositions, tendantes à combler les déficits dont ils ne nient pas la certitude.

Tout en voulant soustraire au trésor un revenu sur une matière éminemment imposable, les besoins du trésor auraient dû les engager à proposer soit d’autres majorations, soit de nouveaux impôts. Or aucun d’eux n’a songé à ces besoins.

Telles sont, en général, les considérations que j’ai l’honneur de présenter à la chambre, à l’appui de l’augmentation de 6 francs proposée sur la consommation intérieur du café. Je me réserve de répondre aux moyens que nous adversaires opposeront à ces observations.

M. Cogels – Quand j’ai pris la parole hier dans cette discussion, je ne m’attendais pas à ce qu’on s’occupât des cafés. Je n’ai pu présenter que quelques considérations générales, n’ayant pas avec moi toutes les notes que j’avais prises pour pouvoir mieux éclairer la question. Je vous ai dit que nous avions autrefois le marché principal de l’Europe pour le café. Nous avions non seulement le marché des cafés du Brésil, de Saint-Domingue et de la Havane, mais encore le marché principal des cafés des colonies hollandaises. C’est par suite de la révolution que nous avons perdu ce dernier marché. Nous n’avons donc conservé que le marché des cafés de qualité médiocre. Nous devons chercher à la conserver, nous devons tâcher d’en éviter le déplacement.

Vous le savez, messieurs, en Allemagne, comme dans tous les pays on consomme diverses qualités de café ; les cafés Java sont préférés, ils sont de prix et de qualité supérieurs aux cafés de Saint-Domingue et du Brésil dont le goût est moins délicat. Les importations que nous faisions autrefois en Allemagne, en Java, c’est la Hollande qui nous les a enlevés. Mais comme la Hollande a un marché très considérable pour les cafés de ses colonies, elle n’a pas de marchés pour les autres qualités ; ce marché nous l’avons conservé à force de soins, à force de persévérance, je dirai même à force de sacrifices. Si vous allez établir une majoration de droit, quelle est sera la conséquence naturelle. C’est que, pour toutes nos exportations vers l’Allemagne, vous vous exposez à voir ce marché se déplacer et se réunir au marché immense que la Hollande possède déjà. C’est là un véritable danger, c’est là le véritable état de la question. Je sais qu’il faut envisager ici la question sous deux points de vue ; les intérêts du trésor, les intérêts du commerce. Pour moi, je vous dirai qu’en fait d’impôts, les intérêts du commerce, c’est-à-dire les intérêts de la fortune publique domineront toujours les intérêts du trésor, parce que, ainsi que je vous l’ai dit, faire entrer un million dans le trésor, en privant le pays d’un bénéfice de deux millions, est une très mauvaise opération. Mais je veux bien cependant faire le sacrifice momentané de cet accroissement de la fortune publique à l’intérêt du trésor, si le sacrifice est efficace. Or, il ne me sera pas difficile de prouver qu’il en sera pas efficace, que la mesure proposée aura plutôt pour effet une diminution de ressources qu’une augmentation. Je citerai une circonstance à laquelle on n’a pas fait attention. C’est le fait de la majoration adoptée en 1838. En 1837, les importations ont été de 23 millions. En 1838, c’est au mois de mars que la majoration de 4 fr. a été discutée, et elle a été adoptée peu de temps après ; eh bien, en 1838, vos importations ont été réduites à 17 millions de kilogrammes, sur 23 millions, la réduction a été de 6 millions. Ne devons-nous pas craindre une nouvelle réduction, si nous augmentons le droit ? Ne devons-nous pas craindre de voir la Hollande nous remplacer dans ces exportations, si nous portons le droit à 14 fr. ? Ne devons-nous pas craindre de voir les rôles changer et la Hollande, par nos frontières qui sont si difficiles à garder, nous infiltrer ses cafés sans payer de droit ?

Je ne m’étendrai pas davantage à ce sujet. Je dirai seulement qu’alors que je me tromperais dans mes calculs pour l’avenir, pour l’exercice présent, la loi proposée ne peut, en tout cas, guère avoir d’efficacité. Voilà longtemps que les cafés sont menacés d’une augmentation d’impôt, on doit avoir fait des approvisionnements.

J’ai pris des renseignements sur l’existence de ces approvisionnements. On peut les évaluer à 100 mille balles ou 6 millions de kilogrammes, ce qui fait au moins la moitié de la consommation annuelle du pays. Or, avant que la loi puisse être mise à exécution, nous arriverons à la fin du mois. Il ne restera que neuf mois de l’exercice, et l’augmentation ne pourra plus porter que sur la consommation de trois mois.

L’honorable M. Milcamps a dit, que quand il s’agissait de frapper l’agriculture et le foncier ou d’établir un droit d’accise, la chambre était toujours prêter. Je pense que la chambre se décide à regret à ces majorations d’impôt. Mais pourquoi prend-elle alors une résolution si promptement ? C’est qu’elle voit que, dans ces augmentations d’impôt, il n’y a pas le même danger, ni la même incertitude dans le résultat. C’est que là, quand vous frappez d’une augmentation vous pouvez dire : elle sera efficace. C’est que là deux et deux font toujours quatre, tandis que quand il s’agit de droits de douane, deux et deux font souvent un et demi.

Ceci répond également aux observations qu’avait faites l’honorable M. de Foere sur la nécessité d’établir la balance entre les recettes et les dépenses. Je sens comme lui la nécessité d’établir cette balance. Je serai prêt à concourir aux moyens de l’établir dès qu’on me démontrera que les moyens ne sont pas plus qu’éventuels. Je ne suivrai pas le député de Thielt dans la discussion sur le commerce en général. Déjà, en 1838, quand il s’est agi d’augmenter le droit sur le café, il a exposé son système de droits différents, que nous ferons bien d’ajourner jusqu’à ce que nous soyons saisis du rapport sur l’enquête. Je dirai que je ne comprends pas trop les renseignements qu’il a donnés, et d’après lesquels 100 mille balles de café nous auraient été importés par la navigation des Etats-Unis.

Les Etats-Unis n’ont pas d’entrepôt ; ils ne nous envoient que très rarement du café, ce n’est que leur trop plein qu’ils peuvent nous déverser dans les moments de crise. Il est possible qu’une partie du café qui nous vient de la Havane et du Brésil nous ait été apportée par pavillon américain, mais je ne pense pas que ce soit la totalité. Du reste, comme je n’ai pas mes notes sur cet objet, je ne conteste pas ce qui a été dit ; je ne le confirme pas non plus.

L’honorable M. de Foere a dit que les 12 millions de kilog. de café que la Belgique consomme seraient un aliment à la navigation de 60 navires de 200 tonneaux. Cela est vrai. Ils fourniraient même un aliment à la navigation de 120 navires de 100 tonneaux. Mais si nous voulons établir des relations avec les pays lointains, ce n’est pas avec des navires de 200 tonneaux que nous devons le faire. Je crois qu’alors nous ne pourrons guère lutter contre le pavillon étranger ; et cette marine belge qu’on voudrait élever à un très haut degré de prospérité ne serait jamais que ce qu’on pourrait appeler à juste titre la petite marine.

D’ailleurs, ce n’est pas à la consommation du pays que nous devons borner nos importations ; ce sont principalement les exportations que nous devons avoir en vue, car si nous bornons nos importations à la consommation, il n’y a plus de commerce. Ce sont justement les parties de café que nous exportons en Allemagne et ailleurs qui doivent fournir le principal aliment aux exportations de notre industrie vers les pays lointains, qui doivent former un des principaux éléments de nos relations commerciales.

L’honorable M. de Foere a dit que toutes les importations avaient été payées en espèces. J’ai peine à le comprendre, car je n’ai vu expédier d’espèces ni aux colonies, ni en Angleterre. Je crois donc que les échanges sont faits, sinon directement, au moins indirectement ; car je ne vois pas que la fortune publique soit diminuée. Au contraire, nous avons une grande abondance d’argent, tandis qu’en Angleterre l’argent est très rare. Cependant, d’après le système de l’honorable M. de Foere, on devrait alors en Angleterre des pyramides de souverains.

Or, il y a si peu d’argent en Angleterre, que la banque d’Angleterre a été gênée au point de recourir à la banque de France. Où est donc la réalité de ce système ? J’avoue que je ne saurais admettre les théories de mon honorable contradicteur ; car s’il avait raison, l’Angleterre devrait regorger d’argent ; et je vous ai fait voir, messieurs, qu’il en était tout autrement, que son principal établissement financier a été obligé de demander des secours à la banque de France.

M. de Foere – Je demande la parole.

M. Cogels – L’honorable membre a dit encore que l’Angleterre n’a pas craint de frapper le café d’un droit très élevé. Ici, il (manque quelques mots) consommation du café ; parce qu’en Angleterre toutes les boissons soit également frappées de droits très élevés. Un autre motif c’est que les colonies anglaises ne produisent en café qu’une faible partie de ce qui est nécessaire à la consommation. C’est pour cela que l’Angleterre, sans déroger à son système, a consenti à un moyen par lequel on l’élude ; c’est-à-dire que les navires venant des colonies hollandaises touchent le Cap pour que le café qu’ils importent soit admis en Angleterre comme café venant des colonies anglaises.

Enfin, un autre motif est la situation territoriale de l’Angleterre. En Angleterre, la fraude est très difficile, parce qu’il n’y a pas de frontières ; toute fraude doit se faire par mer. Il est inutile d’entrer dans des détails à cet égard, car vous comprendrez tous la différence qu’il y a entre un pays comme celui-là et un Etat comme la Belgique, entouré d’une immense frontière, avec un très petit territoire.

L’honorable député de Thielt nous a demandé si Anvers, qui a été un des premiers marchés pour le café, pourrait le devenir encore. Je répondrai négativement. Anvers ne peut redevenir le première marché pour le café, mais il peut devenir encore un marché très important. En effet, en 1839, comme j’ai eu l’honneur de le dire, ses importations ont été de 300,000 balles, tandis qu’en 1829, au beau milieu de notre prospérité commerciale, les importations avaient été de 377,000 balles. Il n’y a donc eu une diminution que de 77,000 balles. Il est vrai que les importations de 1829 représentent aujourd’hui une importation beaucoup plus forte, parce que depuis lors la culture du café aux Indes a augmenté, et que les colonies hollandaises qui n’envoyaient alors que 300,000 balles, à ce que je crois, en ont envoyé 800,000 l’an dernier, et en enverront probablement un million cette année.

Quant à ce qui a été dit par l’honorable M. de Foere sur les concessions réciproques que nous aurons à faire lorsqu’il s’agira de conclure un traité avec la Hollande, il est vrai que si nous avions un droit élevé, et si nous consentions à le réduire, ce serait une concession. Mais comme la conclusion de ce traité est probablement assez prochaine, et comme probablement aussi nous aurons bientôt à nous occuper de la révision du tarif, est-ce la peine de jeter encore une fois la perturbation dans le commerce, en élevant le droit pour l’abaisser dans quelques mois ? Car ici, j’en demande pardon à la chambre, je ferai une comparaison peut-être triviale ; je comparerai l’état de notre commerce à un malade entouré d’une foule de médecins occupés à disserter sur les remèdes à lui administrer, mais ne lui laissant pas un quart d’heure de sommeil pour se refaire, et qui, dès qu’un de ses membres reprend un peu de vigueur et de santé, s’empressent d’y faire une application de sangsues.

Je n’abuserai pas plus longtemps des moments de la chambre, je crois que les considérations que j’ai fait valoir et celles qu’on a fait valoir hier, suffiront pour vous déterminer à adopter la proposition de la section centrale, tendant à repousser toute majoration sur le café.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Avant de rencontrer les différentes objections présentées par les honorables préopinants, je crois devoir appeler l’attention de la chambre sur cette considération que nous sommes en présence de nécessités impérieuses, et qu’il est impossible de trouver des impôts qui ne froissent pas quelques intérêts, qui ne contrarient pas soit le commerce, soit l’industrie, soit l’agriculture.

La discussion me paraît cependant avoir fait un pas dans ce sens que l’honorable M. Cogels n’a plus parlé que de notre commerce interlope avec l’Allemagne. On semble donc convenir que notre commerce avec la France ne pourra pas être altéré. On insiste même moins sur la possibilité de fraude qui se ferait de Hollande en Belgique. J’expliquerai toutefois comment il est impossible que le commerce interlope avec la France subisse la moindre altération. Le droit en France, ainsi que je l’ai fait observer, est de 50 fr. pour tout ce qui est importé des colonies françaises par navire national, et de 75 et de 102 fr. pour ce qui est importé d’une autre manière. J’ai fait le relevé des importations faites en France pendant 6 années ; j’ai trouvé que la moyenne du droit était de 90 fr. en principal.

Avec l’augmentation proposée, le droit sera de 14 fr. taux nominal. J’ai déjà expliqué à la séance d’hier, comment ce droit se trouvait réduit à 11 fr. 84 c. Cependant, adoptons pour un moment le chiffre de 14 fr., et nous trouvons que la différence avec le droit établi en France est de 76 fr. : ce qui laisse, je pense, une prime assez considérable pour qu’on puisse être en pleine sécurité sur le commerce dont on a parlé.

Je rappellerai qu’en Prusse le droit est de 49 fr., que par conséquent la différence sera encore de 35 fr. ce qui fait encore une prime assez forte pour notre commerce interlope.

Je ferai observer en outre que le commerce avec la France est au moins quatre fois plus considérable que celui qui se fait avec l’Allemagne. Cela résulte des renseignements très précis, fournis par les fonctionnaires du département des finances, consultés dans les différentes provinces. Le commerce avec la France n’a pas subi de changement depuis plusieurs années ; quant à celui que nous faisions avec l’Allemagne, nous en avons perdu une partie par la cession du Limbourg. Ce commerce ne se faisait que par les communes avoisinant la frontière de Prusse ; pour cette partie, ce commerce est perdu irrévocablement. En définitive, le commerce avec l’Allemagne n’est pas très considérable.

Quant à la fraude que nous aurions à redouter de la Hollande, je pense que cette crainte est tout à fait mal fondée. J’ai fait à cet égard quelques calculs que je vais mettre sous les yeux de la chambre.

Je suppose un ballot de 60 kilog., subdivisé en quatre ballotins, puisque chaque fraudeur prend d’ordinaire une charge de 15 kilog. On peut évaluer les frais de manipulation et de surveillance à 80 c. sur 60 kilog. Je ne porte les frais de passage à la frontière qu’à 2 fr. 50 c.

D’après les renseignements qui me sont parvenus depuis les dernières dispositions qui ont été prises pour l’arrestation des fraudeurs, les porteurs exigent généralement, sur la ligne de France, 7 fr. 50 c. la charge.

Précédemment ils n’exigeaient que 5 fr. ; aujourd’hui qu’un grand nombre d’arrestations ont eu lieu, on n’obtient plus de semblables services que moyennant 7 fr. 50.

Eu égard donc à ce que la fraude du café peut présenter quelque facilité que ne présente pas celle des tissus, je ne suppose la journée du fraudeur qu’à 2 fr. 50 c., et sur ce point je ne suis pas d’accord avec l’honorable M. Smits, qui pense qu’on peut faire 8 ou 10 transports par jour. Il faudrait pour cela qu’il y eût des dépôts à l’extrême frontière ; mais ces dépôts sont surveillés par les agents de la douane, ils seraient bientôt saisis. Il faut donc que les fraudeurs traversent la ligne de deux lieues, et devant parcourir cette ligne, ils ne pourront faire ce trajet plusieurs fois en une nuit.

J’établis donc que, pour ces quatre charges, il y aura une dépense de 10 francs. Il y a en outre une perte occasionnée par les différentes manipulations que ce commerce exige. Je ne la porte qu’à 1 fr. par 60 kil. Il faut aussi admettre qu’au moins une charge sur vingt peut être saisie, ce n’est pas beaucoup. La somme que donnerait cette réduction serait de 3 fr. 65 c. sur 60 kil. Ainsi, les frais de toute nature pour la fraude de 60 kil. de café seraient de 15 fr. 43 c. ou par charge 6 fr. 88 c. Le droit établi à 14 francs, y compris les centimes additionnels, ne serait que de 15 fr. 94 c., dont 2 fr. 38 c. par charge de 15 kil. Ainsi le fraudeur serait en perte de 1 fr. 50 c., en établissant les calculs qui lui sont le plus favorables.

Messieurs, il n’est pas à présumer que l’on s’expose à de tells pertes uniquement pour le plaisir de frauder ; aussi je suis pleinement convaincu qu’avec le droit de 14 francs nous n’avons aucune fraude à redouter ou tout au moins que cette fraude sera insignifiante.

Messieurs, rappelons-nous que depuis plusieurs exercices nos dépenses ont excédé les recettes. Il faut absolument que nous sortions de cette voie, qui nous obligera chaque année à augmenter notre dette flottante pour couvrir le déficit.

Messieurs, en 1837, l’insuffisance des recette a été de près de 2 millions ; en 1838, elle a été d’un million et demi ; en 1839, de 2 millions ; en 1840, elle serait plus forte encore si on n’avait pas fait usage de capitaux pour couvrir les dépenses ordinaires.

Eh bien ! Si nous persistons dans cette voie, il arrivera un moment où il sera impossible que nous puissions faire face à notre dette. Nous serons constamment en déficit.

Je ne puis donc que vous engager à adopter l’augmentation qui vous est proposée, malgré les quelques inconvénients qu’elle peut présenter, parce que jamais vous ne trouverez de loi d’impôt qui ne froisse quelques intérêts.

Rappelez-vous que déjà des propositions vous ont été faites sans succès sur des objets qu’on indiquait comme pouvant donner lieu à des augmentations d’impôts ; que des propositions faites par mes prédécesseurs pour augmenter les recettes n’ont pas été agréées.

C’est ainsi qu’en 1838 des centimes additionnels ont été repoussés. Eh bien, cette année a donné lieu à une insuffisance de 1,500,000 fr. C’est ainsi que des moyens ont été proposés à la chambre pour obtenir un plus grand produit sur l’impôt sur le sel. Ces moyens vous ont été proposés par l’honorable M. d’Huart. Le principe de cette loi ayant été rejeté par la chambre, la loi a été retirée. Les produits qu’on attendait des dispositions de cette loi n’ont pas pu venir au secours du trésor, pour éviter le déficit que je viens de signaler.

Si on repousse aussi cette année les augmentations qui vous sont proposées, nous arriverons de nouveau à la fin de l’exercice avec un déficit.

M. Metz – Nous sommes pour le cours de la présente année en présence d’un déficit probable de plus de 4 millions. Le département des finances pour l’année prochaine nous en fait craindre un de plus de 10 millions.

Par quel moyen parviendrons-nous à les couvrir ? Des bons du trésor, il ne peut en être question ; c’est un moyen ridicule de parer à un déficit. Des emprunts, mais les cheveux se dressent dans cette enceinte quand on entend parler d’emprunts nouveaux.

Comment donc, messieurs, le pourrons-nous ? Car, je pense que nous ne voulons pas mettre en principe l’axiome que quand on paie ce qu’on peut, on a tout payé. Il faut inévitablement payer, et tout payer ; pour cela le département des finances vous a proposé, avec beaucoup de raison je crois, des objets imposés déjà, mais qui pouvaient facilement souffrir une majoration. Parcourons ces bases, messieurs, en très peu de mots, et nous allons voir quel est le résultat probable des propositions faites par le gouvernement.

La majoration d’impôts qui devait amener pour le trésor 7 millions de recettes, s’appliquer principalement aux distilleries, aux brasseries, au sucre, aux douanes et aux hypothèques.

Quand il s’agit des distilleries, vous entendez l’agriculture, les éleveurs de bétail jeter les hauts cris. La majoration sur les distilleries produira quelques centaines de mille francs, et rien de plus.

Les brasseries ! mais quand on parle d’imposer la bière, vous en entendez beaucoup, et les brasseurs surtout, s’émouvoir pour le pauvre ; on rejettera la majoration sur la bière.

Le sucre ! oh ! quand il s’agit de frapper un impôt sur le sucre, la canne se fâche, la betterave est en larmes. Vous ne pouvez pas toucher au sucre.

Les douanes ! mais on ne veut pas du droit sur le café, et c’est le seul productif.

Le droit sur les hypothèques ! mais on nous renvoie à un projet qui ne produira probablement rien. Car si on veut revenir à l’ancienne législation, le renouvellement des hypothèques au bout de dix années, et on y reviendra, M. le ministre a dit lui-même qu’il n’y aurait pas lieu alors à majorer le droit actuel.

Voilà donc que nous avons signalé toutes les matières que le gouvernement juge imposables, et voyez que ces matières ne donneront que les quelques centaines de mille francs que doit produire la loi nouvelle sur les distilleries.

Et pourtant il faut des millions, et il faut que nous sortions de la voie dangereuse dans laquelle nous sommes engagés, et qui consiste à toujours marcher de déficit en déficit ; il faut équilibrer enfin entre nos ressources et nos dépenses.

Ce que je viens de vous dire, ce que j’entends tous les jours autour de moi, me rappelle une pensée fort juste , suggérée par la discussion à l’honorable ministre des finances, c’est que l’on est beaucoup plus facile pour les impôts à créer dans l’avenir que pour les impôts à établir de suite ; on en a dit la raison déjà ; mais pour les impôts dans l’avenir, qu’on nous indique donc les matières imposables, si vous ne voulez des nôtres.

L’un vous a parlé d’équipages ; l’autre a dit à l’instant qu’ils ne pouvaient rien produire. Veut-on rappeler le droit sur les célibataires ? Comment les atteindre ? Les imposera-t-on la valeur comme hier les fruits verts et secs ? Mais enfin indiquez-nous des bases imposables. Car j’en viens toujours à ce système devant lequel tous les arguments doivent se taire ; il faut que le déficit soit comblé, le pays doit marcher, le trésor être à l’aise. Qu’on nous en donne les moyens.

Il est une chose qui se remarque dans cette enceinte et qui est réellement affligeante ; c’est que, lorsqu’il s’agit d’impôts, la chambre se divise pour ainsi dire en deux fractions. S’agit-il d’impôts directs sur l’agriculture, aussitôt le haut commerce vient vous dire, comme à l’instant l’honorable M. Cogels, qu’en fait d’impôts fonciers 2 et 2 font quatre, frappez. Mais, en matière d’impôts prélevés sur le haut commerce, on vous dit que 2 et 2 ne font pas 1 ½, n’y touchez pas. On me permettra toutefois de douter de l’exactitude de ce dernier calcul dans l’espèce.

Mais s’il est vrai que 2 et 2 font 4 en fait d’impôts foncier ou directs, ménagez-vous donc ces ressources qui, au jour du besoin, ne vous manqueront jamais. Il ne faut pas une grande imagination pour frapper les impôts directs, ils ne peuvent échapper.

Ce n’est pas là l’étude du financier. Il faut rechercher les articles de grande consommation et qui, par les charges faciles que supporte sans peine le consommateur, rapportent le plus au trésor.

Voyons pour le café s’il convient de majorer les droits. Les honorables MM. Cogels et de Foere vous ont parlé tout à l’heure de la prospérité commerciale. A entendre ceux qui se portent les champions de la prospérité commerciale, la Belgique doit tout sacrifier pour elle. Avec ce système de prospérité commerciale, qui est l’épouvantail qu’on apporte chaque fois qu’il s’agit de quelque nouveau droit qui atteigne le commerce ; avec ce système, on veut des primes, des protections coûteuses, des concessions de toute espèce, on oublie le trésor, et c’est lui que l’on épuise à force de prospérité ; voilà où l’on arrive.

Quant à moi, dans la lutte entre les intérêts commerciaux et les intérêts de l’agriculture, je n’hésiterais pas à donner la préférence aux intérêts agricoles ; ce sont les intérêts les plus réels, c’est la véritable existence de la Belgique.

Cependant je ne crois pas le moins du monde que la prospérité commerciale soit menacée par la loi que nous discutons. J’ai entendu avec beaucoup de plaisir l’honorable M. de Foere nous prouver, il n’y a qu’un instant, que les arrivages du café à Anvers étaient dirigées de telle manière qu’ils ne pouvaient que peu de choses sur la prospérité du pays, parce qu’ils ne donnaient lieu à aucun échange de nos produits. J’ai entendu avec beaucoup de plaisir l’honorable membre nous dire que la prospérité commerciale ne sera pas entamée. L’honorable M. Cogels et autres soutiennent le contraire : c’est le cas de dire ; choisis si tu l’oses.

Quant à moi, je crois qu’elle ne sera pas entamée, et par beaucoup de raisons, elles ne manquent pas. Le droit qu’on propose sur le café n’influera en rien sur les arrivages que constatent aujourd’hui nos documents douaniers : six centimes de plus par kilog. quel droit ! Le nôtre sera de 14, celui des nations voisines de 50, de 60, de 100 p.c.

Nous avons à peu près 17 millions de kil. de café mis en consommation. Il en est qui l’ont fixée à 12 millions ; les uns disent plus encore, les autres moins, les autorités sont également respectables : ce débat me semble assez indifférent.

Otez la partie qui entre dans la consommation, que faisons-nous du reste : nous l’exportons. Eh bien, nous l’exporterons encore ; non, nous dit-on, le résultat du droit que vous frappez, ce n’est pas seulement d’empêcher l’exportation, mais vous allez encore faire arriver sur notre marché les cafés hollandais par la fraude.

Je dis que ces deux propositions sont entièrement inconciliables, on ne peut prétendre que le café hollandais entrera en fraude sur notre marché, à cause du droit, et que notre café n’arrivera plus sur les marchés étrangers. C’est là une erreur. Car remarquez que la Hollande n’aura sur nous qu’un avantage de 14 p.c. au plus.

Eh bien, si l’on croit que cet avantage de 14 p.c. est suffisant pour permettre la fraude de Hollande en Belgique. Il est certain que rien n’empêchera la fraude de Belgique en Prusse, ni surtout en France, puisque vis-à-vis de la Prusse nous avons encore une marche de 33 p.c. et que vis-à-vis de la France nous en avons une de 50 p.c., c’est bien plus de 14.

Si avec 14 p.c., on peut introduire du café de Hollande chez nous, à plus forte raison pourra-t-on en introduire de chez nous en Prusse avec 33 p.c. et en France avec 50 p.c.

D’ailleurs, messieurs, qu’est-ce que ce commerce de contrebande dont il s’agit ? C’est une infiltration qui se fait par petites quantités et qui ne tient pas du tout à ce que le droit soit un peu plus ou un peu moins élevé ; cette infiltration tient à une espèce d’engouement. Chacun veut avoir, croit devoir préférer des objets qui viennent de l’étranger, de loin ; c’est ainsi que l’on va chercher à une ou deux lieues ce que l’on pourrait trouver chez soi-même, à quelques centimes de plus et sans peine, ainsi pour le sel, pour le café, le sucre, le tabac, etc.

Il est donc évident que les quelques centimes dont vous allez augmenter le droit n’empêcheront nullement le commerce interlope dont il s’agit.

Il n’existe pas de commerce de grande contrebande ; en supposant qu’on veuille le protéger, il n’en existe pas pour le café, de nous à l’étranger ; l’avantage est trop minime, il est d’autres articles qui paient mieux les dangers de ce commerce, et quant à l’infiltration, elle continuera à se faire comme par le passé, de nous à la frontière de Prusse ou de France ; l’infiltration de la Hollande vers nous restera la même et elle ne nous enlèvera pas celle de la Prusse, et à coup sûr, pas celle de la France, dont elle ne touche pas comme nous la frontière sur toute notre ligne.

On a parlé, messieurs, d’un traité à conclure avec la Hollande. Eh bien, sous ce rapport, je suis aussi de l’avis de ceux qui disent que la Hollande est peut-être le seul pays qui offre des ressources aussi avantageuses à notre industrie ; je crois qu’il faut chercher par tous les moyens possibles à remettre notre industrie en possession du marché de la Hollande, marché qu’elle regrette encore si vivement aujourd’hui.

Ailleurs nous n’avons rien à espérer ; la France ne nous prend que ce qui lui est indispensable ; l’Angleterre nous inonde et est inabordable presque pour nos produits. Nous devons donc nous tourner du côté de la Hollande, dont nous avons beaucoup à attendre.

Quant à moi, je partage entièrement l’opinion de l'honorable M. de Foere, que pour obtenir quelque chose de la Hollande, nous devons pouvoir lui offrir des concessions en retour de celles que nous lui demanderons. Or, ce ne sont que des concessions chimériques, celles qui consisteraient à dire à la Hollande : « Nous pouvons à l’avenir augmenter le droit sur le café et empêcher ainsi votre commerce. » Commençons par augmenter ce droit, puis offrons à la Hollande de le réduire en sa faveur moyennant compensation de sa part. Quand , en 1837, la France afin d’abaisser le droit à l’entrée de nos fers, quand elle a abaissé le droit sur nos houilles, nous avons répondu par la levée de la prohibition sur ses draps, par la diminution du droit d’entrée sur ses vins, et c’est ainsi qu’il faut procéder encore, et de cette manière nous obtiendrons des concessions ; car la Hollande nous livre 6 millions de kilog. de café sur les 17 millions que nous prenons en consommation. C’est donc un point capital pour la Hollande de conserver ce commerce ou de l’agrandir.

Nous agirons d’une manière tout à fait politique en commençant par frapper les cafés d’un droit qui, d’ailleurs, ne nuira nullement ni au commerce intérieur, ni au commerce extérieur, mais qui pèsera uniquement sur la consommation.

« Mais, dit l’honorable M. Cogels, qui croit que le traité avec la Hollande est immédiat, d’ici à 6 mois, le droit ne produira rien, parce que les approvisionnements sont faits. » Eh bien, messieurs, c’est un argument pour nous ; si le droit ne produit rien d’ici à 6 mois, le commerce n’en sera nullement entravé, et d’ici là nous pourrons conclure un traité avec la Hollande, traité qui pourra avoir pour conséquence la réduction du droit. Le droit n’aura donc existé que pendant 6 mois, et pendant ces 6 mois le commerce n’en aura pas souffert, on aura obtenu un traité favorable à nos industries, on aura donc concilié tous les intérêts ; on aura rassuré le haut commerce en abaissant les droits, et on aura contenté l’industrie en lui procurant des débouchés en Hollande au moyen de l’abaissement de ces droits ; je voterai la majoration aujourd’hui.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, j’ai demandé la parole pour motiver mon vote.

Les arguments émis sur l’impôt du café, par différents membres qui croient qu’il est dangereux et malencontreux d’imposer ce produit exotique, ne m’ont pas fait changer d’opinion. Je crois que le café peut supporter une majoration de droit à l’entrée, ou de consommation ; le riche en consomme huit fois plus que le pauvre ; c’est la chicorée que consomment en grand les malheureux. Si on avait proposé cette majoration en même temps qu’on nous a proposé de réduire l’impôt sur le sel, ou sur la bière, pas de doute, j’aurai applaudi à cette proposition ; j’aurais voté la majoration demandée par le gouvernement.

Je l’aurais encore votée, si avant de nous demander de nouveaux impôts ou des majorations sur cette fève exotique, le gouvernement avait révisé nos lois financières susceptibles de donner un produit supérieur, sans atteindre la classe pauvre, et, selon moi, cette révision devait avoir la priorité. Puisqu’il (le gouvernement) n’en a rien fait, je me verrai forcé à persister dans l’opinion que j’ai manifestée précédemment, qui est de voter contre toute majoration d’impôt, ainsi que de refuser mon vote à des dépenses de dépenses.

Si le gouvernement avait cherché le moyen de faire rentrer a trésor quatre à cinq millions sur la consommation du sucre ; s’il avait cherché à faire en sorte que l’impôt sur le sel fût perçu intégralement au profit du trésor, tout en réduisant la quotité de cette contribution supportée plus particulièrement par la classe pauvre, contribution qui peut être fixée sur cette matière à plus de huit millions à charge du consommateur, et dont il ne rentre que 3,700,000 fr. au trésor.

J’aurais aussi voté cette majoration, si je voyais dans le cabinet et dans la chambre des dispositions à rentrer dans des voies d’économie que réclame notre position financière.

Si le cabinet n’acquiesçait pas si facilement et s’il ne proposait pas de lui-même des réductions d’impôts, pour la plupart supportés par les producteurs étrangers ; en un mot, s’il suivait en matière de douane le système de nos voisins et particulièrement le système suivi en France ; par exemple, s’il ne nous avait pas proposé de réduire le droit d’entrée sur l’orge, droit qui était payé au moins pour la plus grande partie par celui qui nous l’introduit ; mais non, on exempte de cet impôt l’étranger et on en frappe le consommateur de bière par une augmentation sur la fabrication. Singulière conduite financière !

M. Smits – Il me paraît, messieurs, que quelques honorable membres se sont tout à fait mépris sur l’état de la question. S’il s’agissait de frapper d’un impôt plus élevé le café comme objet de consommation, je comprendrais parfaitement la chose, et je voterai moi-même dans ce sens, mais il ne s’agit pas d’un droit de consommation ; il s’agit d’un droit d’entrée général, qui frappe indistinctement toutes nos importations, soit qu’on les livre à la consommation, soit qu’on les exporte.

Les honorables membres auxquels je réponds demandent qu’on procure des ressources au trésor. Nous pensons comme eux qu’il faut mettre les recettes au niveau des dépenses : c’est là le devoir de la législature, mais nous soutenons que la loi proposée n’aura pas du tout ce résultat. Cela se conçoit aisément. Aujourd’hui le droit se paie sur toute la masse des importations ; augmentez le droit et la Hollande nous supplante pour les exportations ; dès lors nos importations diminuent de moitié et vous ne percevrez plus le droit que sur la moitié de la quantité sur laquelle vous le percevez maintenant ; ainsi au lieu d’une augmentation, vous aurez une diminution de recettes.

M. le ministre des finances a dit que nos exportations vers le Midi ne souffriront pas de la mesure proposée et que nous avons déjà perdu nos exportations vers l’est. Je ne citerai pas les pays, par une convenance que vous apprécierez, mais je maintiens que nous n’avons pas perdu un seul de nos débouchés. La Hollande en voie bien par le Rhin quelques quantités de café Java, mais nous continuons à exporter les cafés Brésil, et le café Saint-Domingue que nous portons également vers le Midi ; nous continuerons ces exportations si le droit n’est pas augmenté ; mais si vous élevez ce droit, la Hollande les enlèvera, et il ne s’importera plus de café en Belgique que pour la consommation intérieure. Dès ce moment, on doit le comprendre, le trésor perdra tous les droits qu’il perçoit aujourd’hui sur le café destiné à être exporté. (Aux voix ! aux voix !)

Je n’entrerai pas dans d’autres détails car il me paraît que la chambre est disposée à clore la discussion.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ferai remarquer à l’honorable préopinant que la chambre a très bien compris la question. Il s’agit en effet d’une grande partie du café livré à la consommation et d’une moindre partie faisant l’objet d’un commerce interlope. L’honorable membre pense que la moitié du café importé est destiné à ce commerce ; je suis persuadé, moi, qu’il n’y en a pas plus d’un cinquième.

Je ne répéterai pas ce que j’ai dit précédemment, je me bornerai à rappeler à la chambre que je lui ai démontré que nous n’avons rien à craindre de l’importation de Hollande en Belgique, que nous ne perdrons rien non plus des importations qui se font vers le Midi, et qu’il en est à peu près de même de celles qui se font vers le Nord et qui du reste sont considérablement réduites par suite des événements politiques.

Un grand nombre de membres – La clôture !

M. de Foere – Je désirerai répondre quelques mots à l’honorable M. Cogels.

M. de Brouckere – L’honorable M. de Foere demande à répondre à l’honorable M. Cogels ; mais avant lui il y a six orateurs inscrits, parmi lesquels je me trouve. Je ne pense pas que la chambre veuille perpétuer cette discussion. Toutes les réponses que l’on fera ne changeront l’opinion de personne. Je demande donc la clôture, et je renonce volontiers à la parole.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Vote de l'article unique

M. le président – Conformément aux usages de la chambre, je mettrai d’abord aux voix le chiffre le plus élevé. C’est celui de 14 francs.

De toutes parts – L’appel nominal !

- Il est procédé à l’appel nominal.

74 membres y prennent part.

27 répondent oui.

47 répondent non.

En conséquence, le chiffre proposé par le gouvernement n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Buzen, Coghen, Cools, de Foere, de Langhe, de Mérode, de Muelenaere, de Puydt, Devaux, de Villegas, Lange, Lebeau, Leclercq, Liedts, Mercier, Metz, Milcamps, Peeters, Pirmez, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Rogier, Sigart, Thienpont, Troye, Vandenbossche et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Cogels, de Behr, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Florisone, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Potter, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, d’Hoffschmidt, Doignon, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Eloy de Burdinne, Fallon, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Rodenbach, Scheyven, de Baillet, Simons, Trentesaux, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Vandensteen, Vanderbelen, Vilain XIIII, Zoude.

M. le président – Je vais mettre aux voix le chiffre de 12 fr. proposé par M. A. Rodenbach.

Des membres – L’appel nominal !

- Il est procédé à l’appel nominal.

74 membres y prennent part.

35 répondent oui.

39 répondent non.

Le résultat de cet appel nominal est le même que celui du premier à l’exception que MM. de Brouckere, Donny, Manilius, Rodenbach, Trentesaux, Van Cutsem, Vandenhove et Zoude, qui avaient voté contre dans le premier appel nominal, ont voté pour dans le second appel.

Projet de loi, disjoint du projet de budget des voies et moyens, portant des modifications à la législation sur les sucres

Discussion générale

M. le président – Nous passons maintenant à la discussion de la majoration de l’impôt sur les sucres.

M. Demonceau – Messieurs, la section centrale a émis son opinion sur la question des sucres, mais depuis la distribution de son rapport, vous lui avez renvoyé un amendement proposé par l’honorable M. Verhaegen ; pour pouvoir apprécier cette proposition, la section centrale a soumis à M. le ministre des finances, deux questions auxquelles il n’a pas répondu jusqu’à présent. Je prie la chambre de me permettre de lui donner lecture de ces questions ; les voici, telles qu’elles ont été posées à peu près :

1° A quel taux doit être fixé le rendement pour atteindre le double but de rendre l’exportation parfaitement indemne de l’impôt et faire produire à la consommation intérieure l’intégralité du droit ?

2° Dans quelle proportion doit être imposé le sucre indigène, pour que le sucre exotique puisse soutenir la concurrence ?

M. le ministre n’a pas encore répondu à ces questions, la chambre peut-elle commencer la discussion avant de savoir à quoi s’en tenir sur ce point ?

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, le projet de loi en discussion n’a aucun rapport avec le rendement, ni avec la quotité du droit, ni avec l’impôt dont il faudrait frapper le sucre de betterave. La section centrale à laquelle la proposition de l’honorable M. Verhaegen a été renvoyée, m’a en effet demandé les renseignements dont il vient d’être question. Mais, messieurs, est-ce là une législation complète ? Si j’avais été à même de fournir ces renseignements, j’aurais présenté à la chambre un projet de loi : cette question est en instruction. J’ai promis seulement à la section centrale de lui communiquer une circulaire qui va être adressée aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture, circulaire dans laquelle j’émets quelques doutes, j’exprime une opinion, sans m’être définitivement arrêté sur le système à adopter. Je ne pourrais donc pas répondre d’une manière formelle aux questions de la section centrale, mais je lui donnerai tous les renseignements qui sont en ma possession.

M. Demonceau – Messieurs, la chambre a voulu que la section centrale examinât un amendement qui lui a été présenté par l’honorable M. Verhaegen. La section centrale a cru devoir, pour remplir son mandat, poser les deux questions qui ont été adressées au gouvernement. Sans doute le gouvernement a le droit de ne pas répondre à la section centrale, mais la section centrale a aussi le droit de dire toute sa pensée ; c’est à l’honorable auteur de l’amendement de déclarer s’il veut oui ou non maintenir son amendement ; mais, comme membre de la section centrale, je déclare hautement que je ne peux donner mon opinion sur l’amendement, qu’autant qu’il ait été répondu aux questions que j’ai été d’avis de voir poser au gouvernement.

M. Manilius – Nous ne sommes pas en présence d’un projet de loi, il était donc inopportun de proposer des amendements ; M. le ministre a uniquement présenter des mesures réglementaires pour la répression de la fraude, et la chambre doit se borner à l’examen de ces mesures.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, l’honorable député de Bruxelles qui a présenté l’amendement que nous connaissons tous, était dans son droit en le présentant ; et je crois qu’il ne serait pas difficile de prouver si la discussion s’engageait sur ce point que l’amendement est tout à fait à sa place ici, et qu’il y a lieu d’en aborder actuellement l’examen.

En ce qui concerne les observations que vient de faire M. le ministre des finances en réponse à celle d’un membre de la section centrale, l’honorable député de Verviers, j’ai fait momentanément partie de la section centrale, lorsque l’amendement de l’honorable M. Verhaegen lui a été renvoyé. M. le ministre des finances se le rappelle , après lui avoir écrit jeudi dernier pour lui communiquer les questions posées par la section centrale, je me suis adressé à lui verbalement vendredi ; je lui ai demandé si l’on pouvait espérer que les réponses arriveraient assez à temps pour que la section centrale pût s’assembler le samedi. M. le ministre m’a répondu que c’était impossible ; je lui ai ensuite demandé si les réponses pouvaient être prêtes pour lundi, il m’a dit que c’était également impossible. J’ai déclaré alors que la section centrale serait convoquée pour mardi, et le lundi, j’ai reçu la lettre de M. le ministre qui est déposée sur le bureau du président, lettre où il annonce qu’il adressera sa réponse dans quelques jours, et où il nous dit pas que ce ne sera pas une réponse. Je prie M. le président de vouloir bien donner lecture de cette lettre (M. le président fait cette lecture). Vous voyez donc, messieurs que ces renseignements nous ont été promis, et maintenant M. le ministre déclare qu’il ne les donnera pas.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je n’ai pas dit que je ne donnerais pas de réponse. Je donnerai des renseignements qui se rapportent aux questions posées. J’ai déclaré que si j’avais eu une opinion arrêtée sur la quotité du rendement et sur le chiffre de l’impôt imposé sur le sucre de betterave, j’aurais présenté un projet de loi. Mais je crois que j’ai dit verbalement à l’honorable M. Dubus que les renseignements que je pourrais lui donner ne seraient pas formels, que je lui communiquerais une circulaire que je préparais pour être adressée aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture, que cette circulaire représentait mes vues, mais qu’elles pourraient se modifier d’après les avis de ces commissions.

Les paroles que j’ai prononcées tout à l’heure n’avaient pas d’autre signification.

M. Verhaegen – Comme l’a dit l’honorable M. Dubus, j’ai présenté un amendement auquel je tins et que je ne suis pas du tout disposé à retirer. J’ai fait mes réflexions avant de le présenter. J’ai trouvé qu’il n’y avait pas d’autre moyen de faire produire l’impôt sur le sucre que de proposer cet amendement. Je crois avoir été dans mon droit en le proposant. Dès à présent, je dirai en deux mots quels sont les motifs qui m’ont guidé. J’ai trouvé dans les voies et moyens des articles concernant les sucres ; ces articles ont pour but de prévenir la fraude. J’ai pensé que les dispositions proposées n’atteindraient pas ce but et qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’y arriver que par mon amendement. Telle est mon opinion. Elle sera combattue, je le sais ; mais je demande à (manque quelques mots) je suis dans mon droit en proposant un amendement dans ce sens.

Cet amendement que j’ai présenté, je le soutiendrai en temps et en lieu. Je crois que les observations faites pour engager la chambre à ne pas s’en occuper ne sont nullement fondées.

M. Cogels – Messieurs, une foule d’intérêts sont ici en présence : Les intérêts de l’agriculture, les intérêts du commerce, et les intérêts du trésor. Le grand nombre de pétitions qui vous sont venues de toutes parts, tant des fabricants de sucre indigène, que des raffineurs de sucre exotique, prouvent combien la question dont il s’agit est difficile à résoudre, combien il est difficile de concilier tous ces intérêts. Ce n’est pas le moment d’entrer dans des développements à cet égard. Ils trouveront mieux leur place quand nous aurons à discuter le système entier. Ce système, le ministère s’en occupe. Mais il faut qu’il nous soit présenté complet pour que nous ne fassions pas de mauvaise besogne.

Voici l’exposé des motifs de l’amendement que propose l’honorable M. Verhaegen : « En attendant la révision complète, etc. »

Il reconnaît donc la nécessité d’une « révision complète » de la législation sur les sucres. Mais en attendant cette révision, en attendant que la chambre juge quelle sera la part qu’il faudra faire au sucre indigène, au trésor et au sucre exotique, voici ce qu’il dit : Tuons d’abord le sucre exotique, ensuite nous nous occuperons des moyens de l’enterrer ou de le ressusciter. Maintenant la chambre jugera si elle doit s’occuper d’un amendement qui n’a d’autre portée que celle que je viens d’indiquer.

M. de Mérode – Il y a moyen de ne tuer le sucre exotique, comme vient de le dire M. Cogels, c’est d’imposer aussi le sucre de betterave. A cet égard, je regrette que le ministère ne se prononce pas plus hardiment sur une question semblable. Ces questions se lient ; et pour pouvoir exiger un rendement plus fort du sucre de canne, il faut imposer le sucre de betterave. Le moment est venu de s’en occuper sérieusement. Vous venez de rejeter l’impôt sur le café, comment voulez-vous marcher si vous ne tirez rien de ces moyens de contribution ? Il est indispensable que le sucre rapporte au trésor plus qu’il ne rapporte maintenant.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je n’hésite pas à dire que dans ma pensée, en augmentant le rendement du sucre exotique, il faudrait en même temps imposer le sucre de betterave. La difficulté consiste dans la proportion à établir. Voici sur quel point nous ne sommes pas fixés.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je voulais dire à peu près la même chose que M. le ministre des finances. Je ne comprends pas que la section centrale et la chambre exigent que le gouvernement ait immédiatement une opinion arrêtée sur une des questions les plus controversées, les plus difficiles qui se soient présentées à nos délibérations, sur une question dont la chambre des représentants s’est occupée pendant cinq ou six séances, il y a environ deux ans et devant la solution de laquelle elle a reculé.

Qu’a fait le ministre des finances ? Il a proposé une amélioration à la perception du droit sur le sucre, une amélioration qu’il a étudiée et pour laquelle il a obtenu toutes les justifications désirables. Maintenant on vient enter sur cette proposition tout un système nouveau sur le sucre. Cette fois il s’agit non seulement d’augmenter le chiffre du rendement, mais d’imposer le sucre indigène ; tout cela sans instruction préalable, alors que s’il s’agit d’autres industries, on institue des enquêtes dont quelques-unes durent depuis un an et demi ; ici on improvise tout un système qui n’a rien de commun avec ce qui est en délibération. M. le ministre des finances a bien fait de répondre comme il l’a fait. A sa place, je n’aurais pas répondu autrement. Je me serais déclaré incompétent pour répondre à de pareilles questions, ayant besoin de m’entourer de tous les renseignements possibles.

M. Delehaye – Messieurs, il a suffi de la proposition de M. Verhaegen jetée dans cette enceinte pour que toutes les transactions s’arrêtent à Gand et à Anvers ; j’en appelle à tous mes collègues d’Anvers, il ne se fait plus aucune transaction en sucres dans ces deux villes. Pourquoi ? Parce qu’on a entendu répéter qu’il fallait introduire dans la législation sur les sucres des modifications dont personne ne comprenait la portée. Je dis que pour le moment, l’assemblée n’est pas prête à examiner une loi sur les sucres. Je vais examiner en peu de mots l’amendement de l’honorable M. Verhaegen. Il dit que c’est dans l’intérêt du trésor qu’il l’a présenté, afin d’en augmenter les ressources. Eh bien, moi je dis que le trésor n’y gagnera pas une obole. De deux choses l’une : ou le rendement est inférieur au rendement réel, ou il est supérieur. S’il est inférieur, le trésor ne recevra rien, car la loi permet d’apurer le compte. S’il est supérieur, l’industrie du sucre exotique est anéantie. Vous ne pouvez pas exiger une quantité que je ne peux pas extraire. La proposition ne peut donc pas remplir le but qu’on s’est proposé, celui d’augmenter les revenus du trésor.

M. Demonceau – Je prie la chambre de vouloir entendre l’opinion de la section centrale. La section centrale a été appelée à examiner le projet de loi présenté par le gouvernement. Elle lui a soumis toutes les questions propres à instruire le projet. Après avoir entendu le gouvernement, la section centrale a été d’avis que le système qu’il proposait n’avait pas pour but d’amener une amélioration dans la législation. Elle s’en est expliquée ; Là a dû finir le mandat de la section centrale. Vous me permettrez de vous lire cette partie du rapport.

Voici les questions qui ont été posées par notre honorable président :

« 1° Demandera-t-on qu’il soit pris des mesures, sot en haussant le rendement, soit par tout autre moyen, pour que le sucre exotique qui se consomme en Belgique, supporte réellement l’impôt ?

« Demandera-t-on, en outre, un impôt sur le sucre indigène, soit comme mesure propre à empêcher la fraude sur le sucre exotique, soit par tout autre considération ?

« Ces deux propositions ont été adoptées à l’unanimité des six membres présents.

« Il résulte donc des résolutions qui précèdent, que la section centrale croit insuffisantes les mesures proposées par M. le ministre. »

La section centrale avait épuisé son mandat. Elle avait dit : nous ne voulons pas des propositions du gouvernement. Un membre de cette chambre usant du droit que personne ne peut lui contester de présenter un amendement, en a proposé un dont la chambre, après de longs développements, a ordonné le renvoi à la section centrale. Que devait faire alors la section centrale ? Vous l’avez saisie de l’examen de l’amendement de l’honorable M. Verhaegen. Elle devait aviser aux moyens ou d’en proposer le rejet ou d’en faire l’objet d’une mesure quelconque pour atteindre le but qu’avait eu en vue l’auteur de l’amendement. Pour arriver à la solution de la question qui lui était soumise, la section centrale a adressé des questions au gouvernement ; mais elle n’a point eu l’intention de l’entraver. Le gouvernement devrait lui rendre justice ; elle n’a voulu se prononcer qu’après l’avoir consulté. M. le ministre des finances avait promis une réponse et maintenant le gouvernement paraît ne pas vouloir en donner. (Réclamation.)

La chambre saura maintenant ce qu’elle aura à faire. Quoi qu’il en soit, la section centrale sera probablement satisfaite de ne pas devoir prendre fait et cause dans cette question, que je trouve excessivement délicate. Sans doute il y a ici bien des intérêts à consulter et concilier si possible, mais on veut constamment parler de déficit ; eh bien, il faut vouloir des revenus pour le combler ; et certes rien n’est plus propre que les sucres pour fournir ces revenus. Le sucre est une matière imposable, s’il en fut jamais, et je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne cherche pas à l’imposer de préférence, surtout à la bière et au café.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il ne faut pas qu’on fasse au gouvernement une position autre que celle qu’il a prise. En fait, qu’a voulu et pu vouloir le gouvernement ? Il a présenté un projet de loi ayant pour but l’amélioration de la perception de l’impôt sur le sucre. Il n’a pas présenté ce projet comme important, car quand il présente des améliorations de ce genre, il doit procéder avec la plus grande circonspection. Le gouvernement a donc saisi la chambre d’une proposition qu’il avait étudiée et pour laquelle il a pris tous les renseignements désirables.

Cette proposition a été l’occasion d’une proposition nouvelle, beaucoup plus importante que celle du gouvernement et à laquelle se rattachent des intérêts très importants, intérêts dont la conciliation est plus facile à souhaiter qu’à obtenir, ainsi que les débats qui ont eu lieu dans cette chambre, il y a deux ou trois ans, l’ont prouvé. Non seulement, à l’occasion d’un projet beaucoup moins important, on ressuscite la question qu’on a agitée pendant si longtemps ; mais on présente un nouveau système d’impôt. Je dis que ce sont là des questions toutes différentes, et que le gouvernement eût été dans son droit, en venant vous dire : « Il m’est impossible de vous répondre ; car si j’avais les lumières que vous me supposez, je ne laisserais pas présenter par d’autres ce moyen de venir au secours du trésor public. »

On nous dit que quand on a annoncé un déficit dans le trésor public, on doit chercher tous les moyens de le couvrir ; mais le gouvernement cherche ces moyens ; il les a cherchés et poursuivis ave persévérance ; mais le gouvernement vient encore d’échouer dans une des mesures proposés pour courir le déficit. L’honorable préopinant, qui accuse le gouvernement d’être indifférent aux moyens d’augmenter les ressources du trésor, a voté contre cette mesure. Je ne lui en fais pas un reproche. Je ne suppose pas le préopinant capable de vouloir rendre le trésor public victime de misérables rancunes de parti. Je ne fais pas de pareilles suppositions.

M. Demonceau – M. le ministre ne doit se permettre contre moi aucune insinuation. J’ai voté contre la loi qui vient d’être rejetée, parce que je la crois mauvaise et j’ai dit pourquoi.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je ne fais pas d’insinuation. Je dis que le préopinant, alors qu’il vient de repousser une mesure que d’honorables membres de cette chambre regardaient comme très conciliables avec les intérêts du commerce, n’a pas le droit d’accuser le ministère (car je me défends) de se montrer indifférent sur les mesures propres à venir au secours du trésor public.

M. Verhaegen – Je ne sais où l’on veut en venir ; on dit de toutes parts que la question est extrêmement importante, et mérite un mûr examen. Je l’ai toujours considérée comme telle. Je prie la chambre de croire que ce n’est qu’après réflexion et avoir pris des renseignements de toutes parts que j’ai pris la résolution de présenter mon amendement. A en croire quelques honorables préopinants, j’aurais jeté la perturbation dans le commerce.

Dans quel commerce ? Dans celui d’Anvers et de Gand. Ce que vous a dit mon honorable ami M. Metz est parfaitement exact. Nous sommes en présence de deux intérêts. A qui faut-il donner la préférence ? Faut-il frapper le sol et l’agriculture, ou le commerce ? Ou bien faut-il que le commerce concourt avec l’agriculture ? Voilà toute la question.

Nous allons nous occuper d’un projet de loi qui va soulever beaucoup d’opposition, peut-être pas de la part du haut commerce, mais auquel je ne puis donner mon assentiment : c’est le projet de loi relatif au droit sur la bière. La bière qui paie le quinzième de tous les impôts de l’Etat, on veut lui faire payer par le nouveau projet un tiers du déficit.

Voilà donc les deux systèmes en présence. Après bien des réflexions, j’ai pensé que s’il pouvait y avoir des inconvénients d’un côté et d’un autre, le système le plus favorable à l’agriculture devait prévaloir, d’autant plus que dans l’autre système je n’ai pas vu les beaux résultats qu’on a préconisés.

Quoi qu’il en soit, quand nous arriverons à la discussion, je donnerai tous les renseignements désirables. Mais le moment n’est pas arrivé ; car la chambre ne peut discuter mon amendement que lorsque la section centrale a qui il a été renvoyé en aura fait l’objet d’un rapport.

M. Raikem – Je crois que la section centrale a agi comme elle devait agir. Vous vous rappelez que diverses pétitions, concernant le sucre indigène, avaient été adressées à la chambre, et renvoyées à la section centrale. Mais elle n’était saisie que d’un rapport à faire sur ces pétitions. Elle ne pouvait excéder son mandat. L’honorable M. Verhaegen, voyant que, dans l’état de la question, la section centrale ne pourrait se prononcer sur le taux du rendement, a présenté son amendement. Cet amendement a été renvoyé à la section centrale, sans qu’il y eût aucune opposition de la part du gouvernement. Sans doute, le renvoi à la section centrale, c’était pour qu’elle s’occupât de l’amendement ; ce n’était pas pour que le section centrale se contentât d’en prendre lecture. Si vous vouliez que la section centrale fît un rapport, il lui fallait nécessairement des renseignements ; car comment sur une telle question faire un rapport sans renseignements ? C’est chose réellement impossible ; et l’on ne voulait pas sans doute que la section centrale fît un rapport simplement pour vous dire qu’elle ne pouvait, dans la réalité, en faire un, à défaut de renseignements !

Ici je ferai observer, non pas que M. le ministre des finances devrait être fixé (car je conçois que la question est très importante), mais qu’on pouvait croire que M. le ministre des finances était préparé sur ces questions. En effet, quand on a examiné dans la section centrale les pétitions qui lui ont été renvoyées, on a fait à M. le ministre des finances des observations sur le rendement et sur la question de savoir si l’on établirait un impôt sur le sucre indigène ; ce qui avait donné lieu à cette observation, c’était un mémoire distribué à la chambre, de la part des fabricants de sucre indigène, où ils regardent l’impôt comme une condition de leur existence. On se rapprochait donc sur certains points, puisque les fabricants ne reculaient pas devant un impôt. Je ne m’explique pas sur le taux de l’impôt. Mais lorsqu’on s’est occupé de cette question, en décembre dernier, des observations avaient été faites dans les sections. A l’observation d’une section sur la convenance d’établir un impôt sur le sucre indigène, M. le ministre des finances avait répondu que le gouvernement avait manifesté l’intention de l’établir dans l’exposé des motifs du budget des voies et moyens. Nous savions donc l’intention de M. le ministre, de frapper d’un impôt le sucre indigène. Mais nous n’avions pas de renseignements. A qui devions-nous nous adresser ? Fallait-il que la section centrale vînt proposer à la chambre de faire une enquête ? Déjà vous avez ordonné une enquête commerciale. Dès lors, la section centrale ne devait-elle pas s’adresser au ministre pour avoir des renseignements ? C’est ce qu’elle a fait, et avec grande raison. Nous avions tout lieu de croire que nous recevrions ces renseignements ; témoin la lettre que M. le président a lue à la chambre. La section centrale se proposait après avoir reçu ces renseignements, d’entendre l’honorable auteur de l’amendement et de faire son rapport. Je crois donc qu’il n’y avait aucun reproche à faire à la section centrale, et qu’elle a agi comme elle devait agir.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne sais de quelle part un reproche a été adressé à la section centrale. Il me semble plutôt que c’est la section centrale, ou du moins l’un de ses membres, qui est venu se plaindre de n’avoir pas reçu les renseignements réclamés.

Que la section centrale ait demandé des renseignements au gouvernement, rien de plus juste ; elle était dans son droit. Mais je ferai observer que ce ne sont pas seulement des renseignements que la section centrale a demandés, mais un système complet de législation sur la matière.

L’honorable membre que nous venons d’entendre s’étonne que la question n’ait pas, dit-il, été étudiée. Mais enfin la question est en instruction, et nous n’avons pas attendu les observations de la section centrale pour l’examiner, puisque déjà dans notre exposé des motifs à l’appui du budget nous signalions quelques-unes des difficultés qu’elle présente. L’instruction est donc commencée depuis assez longtemps, elle s’est continuée sans interruption, bien que ce ne soit pas la seule question grave que nous ayons à examiner.

Voilà ce que j’ai à répondre à l’honorable préopinant.

Quant au projet qui vous est présenté, il ne fait qu’apporter quelques légères modifications à des dispositions secondaires de la loi actuelle sur les sucres ; et ce qu’on appelle amendement à ce projet est un changement radical de législation. Il me semble qu’il faudrait faire de cet amendement une loi spéciale.

Dans tous les cas, le gouvernement ne se refuse pas à donner des renseignements ; il communiquera à la section centrale ceux qu’il a devers lui ; mais il ne se prononcera pas sur un système complet ; et c’est un système complet que le gouvernement devrait indiquer pour satisfaire aux renseignements demandés.

M. Metz – La question qu’on paraît agiter à l’occasion de l’amendement de M. Verhaeren est une question très grave, qui ne peut passer légèrement devant la chambre. Car il se présentera à côté de cette question : faut-il élever le rendement ?, la question plus délicate de savoir s’il faut imposer le sucre de betteraves et à combien.

Je crois, avec l’honorable M. Cogels, qu’en élevant fort haut le rendement, vous tuez les raffineries de sucre exotique ; mais je crois, d’un autre côté aussi, qu’en frappant d’un droit le sucre de betterave, vous tuez également cette industrie. La discussion prouvera plus tard la justesse de ce que je viens de vous dire. Je doute que les deux sucres puissent exister simultanément en présence du trésor.

L’expérience le prouve. En France, on avait frappé le sucre de betterave d’un droit. Les doléances des raffineries de sucre exotique n’en ont pas moins continué, et le gouvernement français mû cependant par un intérêt, qu’à la vérité nous n’avons pas, celui des colonies, n’a trouvé d’autre ressource que des moyens qui anéantiront bientôt le sucre de betteraves.

C’est, je le répète, un grand système à découvrir que de pouvoir faire marcher ensemble les raffineries de sucre exotique et les raffineries de sucre de betteraves sans qu’elle se nuisent l’une à l’autre, et sans qu’elles lèsent le trésor.

Je crois qu’à défaut de renseignements que n’a pu lui donner M. le ministre des finances, et je reconnais qu’il est difficile d’en donner avant d’avoir procédé à un examen scrupuleux de la question, la section centrale pouvait entendre l’honorable M. Verhaegen et examiner les motifs qu’il présentait à l’appui de sa proposition, et conclure à sa discussion ou à son ajournement.

C’est par là, je crois, qu’on devrait commencer ; Que la section centrale veuille bien entendre l’honorable M. Verhaegen ; si elle trouve ses explications satisfaisantes, elle nous proposera la discussion de son amendement, si non, elle nous proposera l’ajournement.

M. Raikem – M. le ministre des finances a fait l’observation que ce n’était pas des renseignements que la section centrale avait demandés, mais un système complet de législation. Eh bien, si on avait pu se procurer un bon système de législation, c’aurait été une chose très bonne et très agréable à la chambre que de pouvoir s’occuper d’un bon système sur la matière.

Mais si M. le ministre n’a pu encore suffisamment étudier la question, il peut au moins nous donner les renseignements qui sont en son pouvoir, afin que la section centrale puisse examiner l’amendement qui lui a été renvoyé, et faire son rapport, dans lequel elle présenterait des conclusions que je n’entends préjuger en aucune manière.

Mais il paraîtrait, à entendre M. le ministre, que la section centrale serait étonnée de ce qu’il n’aurait pas étudié la question. Quant à moi, je n’ai pas dit un mot de cela. Je crois bien que M. le ministre a étudié la question : je reconnais moi-même que cette question est très grave ; mais si elle est tellement grave que M. le ministre n’ait pu encore asseoir son jugement, lui qui a toutes les facilités de l’étudier, comment voulez-vous que la section centrale, sans avoir reçu aucun renseignement, vienne vous présenter un rapport et des conclusions ? Cela est-il possible à la section centrale qui n’a pas des moyens de se procurer des renseignements aussi facilement que le gouvernement ? La réponse est aisée à donner.

Quant à ce qu’on a dit que, vu les dispositions du projet, l’amendement ne serait pas en réalité un amendement, je crois que ce point incombe surtout à l’honorable auteur de l’amendement. Mais je ferai observer que vous l’avez renvoyé comme amendement à la section centrale, que la section centrale ne pouvait le prendre d’une manière autre que la chambre l’avait qualifié en le lui renvoyant et qu’elle devait examiner le fond de cet amendement et les dispositions qu’il contient.

Mais, dit un honorable membre, la section centrale peut entendre l’auteur de l’amendement et voir si, après, elle peut nous présenter un rapport. Mais je demanderai si la section centrale, étant en quelque sorte constituée juge, quoique ce ne soit pas en définitive, peut vous présenter une conclusion même préliminaire sans avoir entendu les deux opinions ; à moins que l’honorable auteur de l’amendement n’eût été d’accord avec le gouvernement ; ce qui ne paraît pas.

Et si l’honorable auteur de l’amendement et le gouvernement ne sont pas d’accord, comment peut-on mieux élucider la question qu’en entendant les deux parties, qu’en entendant tous les moyens ? Car en demandant des renseignements à M. le ministre, il ne s’en suivait pas que nous ne devions pas entendre l’honorable M. Verhaegen. C’est, dit-on, du choc des opinions que jaillit la lumière, et du choc de l’opinion de l’honorable membre et de celle du gouvernement aurait peut-être pu sortir la solution de la question qui s’agite depuis bien longtemps.

Mais par cela même qu’il s’en agit depuis si longtemps, il semblerait en résulter qu’il faut enfin en venir à une solution, et que la solution doit avoir reçu une certaine instruction. Nous ne pouvions pas douter que M. le ministre ne s’empressât de nous communiquer les renseignements qu’il pouvait avoir recueillis comme chaque fois qu’il s’est agi, soit dans les sections, soit dans la section centrale, d’une proposition quelconque, on s’est empressé de la communiquer au ministre pour avoir des renseignements. Toujours ces renseignements ont été donnés et nous pouvions croire qu’ils le seraient encore.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, le ministre des finances a proposé à la chambre une modification à la loi des sucres, mais une modification d’un caractère purement administratif. Voilà, messieurs, quel est l’objet de la loi, et il me semble que tout amendement à une loi purement administrative devrait aussi avoir ce caractère.

Mais à l’occasion de cette loi, un soi-disant amendement a été présenté qui, s’il était adopté, bouleverserait toute la législation. Cet amendement soulève une question qui, à la vérité, n’est pas nouvelle dans cette chambre, qui a été discutée il y a deux ou trois ans, et sur laquelle un vote suprême est intervenu, après une discussion les plus approfondies qui aient eu lieu dans cette enceinte.

La chambre a donc formulé son opinion sur la question des sucres ; elle l’a fait, il y a 2 ou 3 ans. Certes, elle peut revenir de cette opinion ; mais depuis lors on doit considérer la question comme décidée.

S’agit-il de revenir sur la législation actuelle ; de substituer un système nouveau à celui adoptée par la chambre ; c’est là une grave question, et ce n’est pas en un jour, ce n’est pas en 8 jours qu’on pourra la décider.

Je suppose que la section centrale a été saisie de tous les renseignements que M. le ministre des finances puisse lui procurer ; je suppose que M. le ministre soit dès maintenant en mesure de se former une opinion complètement arrêtée et de la faire connaître à la section centrale ; eh bien alors encore la chambre ne serait en position de s’occuper immédiatement de la question, et alors encore la prudence nous commanderait d’adopter d’abord l’amélioration administrative qui vous est proposée par M. le ministre des finances.

Cette loi de peu d’importance en elle-même peut parfaitement être adoptée tout de suite.

Mais faut-il revenir sur le système législatif des chambres en ce qui concerne les sucres ? C’est là une question à examiner à part ; c’est un grande question commerciale, industrielle, agricole, une des plus grandes questions d’économie publique que vous puissiez examiner. Il faut donc vous donner le temps convenable, nécessaire pour l’examiner, pour l’approfondir. Il faut une loi nouvelle, une loi spéciale. Vouloir rattacher l’amendement de M. Verhaegen, à la proposition de M. le ministre des finances, c’est ajourner indéfiniment cette dernière proposition.

Le gouvernement n’attache pas une très grande importance à la loi que nous discutons ; mais il croit que l’amélioration qu’il propose pourra aussi améliorer les revenus du trésor, sans toujours à l’essence même de la loi. Eh bien, discutez ce premier moyen et réservez la discussion sur l’amendement de l’honorable M. Verhaegen, qui bouleverserait de fond et comble la législation actuelle, pour le moment plus opportun où vous aurez recueilli des lumières de toutes parts. Que la section centrale entende l’auteur de l’amendement, qu’elle insiste même auprès du ministre des finances pour avoir des renseignements qu’il n’a pas entendu lui refuser, qu’elle laisse au gouvernement le temps de se former une opinion, et nous ne reculerons pas devant l’examen de la question. Car nous croyons qu’il y a quelque chose à faire pour que le sucre rapporte davantage ; nous ne l’avons pas dissimulé. Dans son exposé des motifs à l’appui du budget, M. le ministre des finances vous a dit que pour les sucres il y a quelque chose à faire.

Lors de la discussion solennelle de la loi des sucres, il n’a pas été question d’imposer le sucre indigène. Les partisans d’un accroissement d’impôt sur le sucre, telles sont les conclusions de la commission d’enquête, reconnaissent qu’il est indispensable de faire marcher le sucre exotique et le sucre indigène sur la même ligne. Eh bien ! cela complique et agrandit la question. La question était déjà difficile quand il ne s’agissait que de sucres exotiques ; maintenant vous aurez à rechercher les moyens d’imposer à la fois le sucre exotique et le sucre indigène, de manière que les deux industries puissent vivre simultanément.

Pour arriver à ce résultat, ce n’est pas huit jours qu’il faut, ce sont des mois ; la France a une législation beaucoup plus ancienne ; elle a passé des années avant d’arriver à un système, et le système adopté n’est pas praticable. A l’heure qu’il est, la France a fait des sacrifices énormes pour revenir des dispositions arrêtées sur le sucre indigène. Il y avait cependant eu enquête sur enquête.

Vous ne pouvez donc improviser ainsi tout un système.

Je suis persuadé que l’honorable auteur de l’amendement, lorsqu’il y aura réfléchi mûrement, sera un des premiers à appuyer l’ajournement de la discussion.

Nous voulons, messieurs, procurer au trésor le plus de ressources possibles, mais nous voulons prendre des mesures efficaces pour atteindre ce but. Il ne suffit pas de porter le rendement de 40 à 75 pour que l’impôt rapporte dans la même proportion. Loin de là, il est reconnu que si vous augmentiez à ce point le rendement, le sucre exotique ne produirait plus rien, parce qu’il serait exclu de nos marchés par le sucre indigène et que le sucre indigène ne paie aucun droit.

Du reste, ceci se rattache au fond de la question, et mon intention n’est pas de la traiter en ce moment. Je conclus à ce que la chambre s’occupe immédiatement du projet de loi de très peu d’importance qui lui a été proposé par M. le ministre des finances et qui n’a d’autre objet qu’une simple amélioration administrative. Je conclus en second lieu à ce qu’on ajourne toute autre proposition qui toucherait à l’essence même de la législation.

M. Smits – J’admets en tous points les observations que vient de présenter l’honorable ministre des travaux publics. Je crois, comme lui, qu’il faut commencer immédiatement la discussion de la loi proposée par M. le ministre des finances, et je ne comprends pas comment l’honorable M. Verhaegen dans le but d’améliorer la situation du trésor, soit venu improviser en quelque sorte tout un nouveau système.

Rappelez-vous, messieurs, la discussion de 1838 ; rappelez-vous combien il a fallu de peine pour arriver au système qui a été établi alors.

On dit, messieurs, que l’impôt du sucre a diminué. Mais cela n’est pas étonnant ; d’abord l’industrie du sucre de betteraves s’est introduite dans le pays ; elle s’est développée ; aujourd’hui elle fournit à peu près au pays 6 millions de kilogrammes de sucre, qui remplacent autant de sucre exotique. Or le sucre de betteraves ne paie aucun droit. Faut-il maintenant imposer le sucre de betteraves ? C’est là une question grave que nous ne pouvons pas examiner maintenant. Il s’agirait là de formuler un système qui puisse concilier tous les intérêts, et cela n’est pas l’affaire d’un jour.

Je demande que la chambre discute la proposition de M. le ministre des finances et qu’elle renvoie à un autre temps la discussion de l’amendement de l’honorable M. Verhaegen.

M. Milcamps – Messieurs, il est de principe dans le gouvernement représentatif, que les ministres sont obligés de donner aux chambres les renseignements qu’elles leur demandent ; ce n’est qu’à ce prix qu’ils peuvent mériter leur confiance. Aussi, je suis bien persuadé que M. le ministre des finances n’a pas entendu refuser à la section centrale les renseignements qu’elle lui avait demandés, et l’honorable ministre des travaux publics vient de dissiper toute espèce de doute à cet égard.

Un membre – M. le ministre des finances a fait la même déclaration.

M. Milcamps – Si je l’avais entendu, j’aurais pu me dispenser de présenter cette observation. J’étais au reste convaincu que telle était sa pensée.

Maintenant, messieurs, puisque l’amendement a été renvoyé à la section centrale, je crois que la section centrale doit faire son rapport, qu’on obtienne ou qu’elle n’obtienne pas les renseignements demandés à M. le ministre, car lorsqu’il s’agit d’un amendement, M. le ministre, s’il n’a pas les idées fixées, peut se réserver de s’expliquer dans la discussion. Lors de la discussion il doit nécessairement y prendre part et se rallier à l’amendement ou le combattre. Comme l’amendement est dans les termes du règlement, je pense, messieurs, que vous ne pouvez pas le séparer du projet du gouvernement.

Je n’entrerai pas dans le fond de la question, mais je ferai cependant observer qu’il ne s’agit pas d’augmenter les revenus du trésor, mais qu’il s’agit d’empêcher qu’on accorde une prime aux exportations de sucre. Il s’agit purement et simplement de fixer le rendement de manière qu’il n’y ait pas de prime d’exportation. Voilà la véritable question, mais je ne m’en occuperai pas en ce moment puisqu’il ne s’agit pas du fond.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – L’insistance de l’honorable préopinant fait croire, messieurs, que l’on s’est trompé sur nos intentions à l’égard de la section centrale. Je crois que tout ceci est le résultat d’un malentendu. Je crois que lorsque l’amendement de M. Verhaegen a été présenté, l’on s’est complètement trompé sur la portée de cet amendement ; on ne l’a pas assez examiné, on a cru que c’était réellement un amendement au projet de loi proposé par M. le ministre des finances, c’est-à-dire qu’il rentrait dans le système de ce projet ; et tout naturellement, sans autres explications, peut-être d’une manière un peu inattendue, on a demandé le renvoi à la section centrale. La section centrale a reçu ainsi le mandat d’examiner la proposition mais, sans vouloir en aucune manière critiquer l’opinion de la section centrale, il me semble qu’au premier examen de la proposition il était facile à la section centrale d’y voir une véritable proposition de loi nouvelle, qui n’a qu’un rapport très éloigné avec le projet beaucoup plus restreint de M. le ministre des finances.

Maintenant, si la section centrale croyait la proposition de M. Verhaegen urgente, elle a bien fait d’en continuer l’examen ; mais tout en continuant cet examen, il y a cependant, ce me semble, peu de logique à vouloir considérer cette proposition comme un amendement au projet de M. le ministre des finances. La proposition de l’honorable M. Verhaegen a une portée bien autrement grave que le projet présenté par le gouvernement ; elle touche à des questions que la proposition de M. le ministre des finances laisse tout à fait intactes.

Si la section centrale pense que la proposition de l'honorable M. Verhaegen peut avoir des résultats avantageux pour le trésor, qu’elle en continue l’examen, qu’elle lui fasse subir toute l’instruction qu’elle juge convenable, qu’elle appelle M. le ministre des finances dans son sein ; certainement celui-ci ne lui refusera pas son concours. Mais, lorsque hier, sur une observation que j’ai eu l’honneur de vous présenter, vous avez décidé que la proposition de l’honorable M. Mast de Vries relative aux droits sur le foin, devait faire l’objet d’une loi spéciale, à plus forte raison devez-vous prendre une résolution semblable pour la proposition de l'honorable M. Verhaegen.

M. Verhaegen – Je pense, messieurs, que toute discussion doit s’arrêter devant l’article 43 du règlement. Cet article porte que la chambre ne délibère sur aucun amendement si, après avoir été développé, il n’est appuyé ; il porte encore que lorsqu’un amendement est renvoyé à la section centrale ou à une commission, la discussion est interrompue jusqu’à ce que le rapport soit fait. Eh bien, messieurs, j’ai déposé mon amendement, je l’ai développé, il a été appuyé (et j’en appelle à l’honorable M. Dubus (aîné) qui occupait ce jour-là le fauteuil), mon amendement a été appuyé et l a été ensuite renvoyé à la section centrale considérée comme commission spéciale.

Il ne s’agit donc plus de revenir là-dessous. Ce qu’on dit aujourd’hui on aurait dû le dire avant que mon amendement ne fût renvoyé à la section centrale. Toute discussion ultérieure serait parfaitement inutile ; l’article 45 du règlement tranche la question.

M. Eloy de Burdinne – On a parlé, messieurs, de la révision qui a été faite de la législation sur le sucre, en 1838 ; mais je ferai remarquer qu’alors notre situation financière ne se trouvait pas dans l’état où elle se trouve aujourd’hui. Nous n’étions pas alors en présence d’un déficit aussi énorme que celui qui existe aujourd’hui.

M. le ministre des finances (M. Mercier) fait un signe affirmatif.

M. Eloy de Burdinne – M. le ministre des finances me fait signe que ce déficit existait ; s’il existait, on ne nous l’avait pas fait connaître.

Eh bien, messieurs, la situation de nos finances exige que le sucre soit imposé d’une manière ou de l’autre ; nous ne pouvons tarder plus longtemps à apporter des modifications à la loi et des modifications telles que le sucre rapporte 5 ou 6 millions au trésor.

S’il faut que le sucre indigène soit imposé, qu’on l’impose ; mais on doit cependant protéger une industrie toute nationale qui commence à s’établir, il faut la mettre à même de marcher.

Ce qui doit nous engager encore à nous occuper de cette question, c’est que de différentes localités il nous est arrivé des pétitions qui demandent une protection pour l’industrie du sucre indigène, qui est toute favorable à l’agriculture.

Ici, messieurs, je dois combattre l’opinion de ceux qui pensent que la culture de la betterave nuit à la culture du froment, que la betterave tend en quelque sorte à remplacer le froment. C’est là une erreur grave, messieurs, car il est prouvé que les localités où l’on cultive la betterave produisent plus de froment maintenant qu’elles n’en produisaient avant que cette culture n’y fût introduite.

Les classes ouvrières, messieurs, auxquelles la chambre doit certes s’intéresser, les classes ouvrières des campagnes qui, en hiver sont à rien faire, trouvent dans l’industrie du sucre de betterave de l’occupation pour tout le temps pendant lequel elles ne peuvent travailler aux champs.

Eh bien, messieurs, si vous n’accordez pas à cette industrie la protection que toutes les industries ont droit de réclamer, elle sera bientôt frappée de mort.

J’insiste donc, messieurs, pour que vous vous occupiez, non pas aujourd’hui, mais dans un temps très rapproché, d’une question que je considère comme une question de vie ou de mort pour l’industrie du sucre indigène, et qui est en même temps de la plus haute importance pour le trésor public.

Quand il s’agit d’accorder des faveurs en Belgique, c’est l’étranger qui les obtient.

S’agit-il d’impôt ? C’est le régnicole qui les supporte. Toutes les charges lui sont réservées ; à l’étranger, les faveurs.

Vous en conviendrez, messieurs, nous avons le système financier le plus déplorable, qui nous conduira à une ruine certaine.

Non, messieurs, il m’est impossible de donner mon vote à de nouveaux impôts avant qu’on ne rendre dans des voies financières plus sagement combinées.

Le gouvernement doit chercher la sympathie de la majorité, et la majorité en Belgique, se compose des propriétaires et des cultivateurs. Il doit éviter de provoquer de l’irritation, et on ne me contestera pas que le projet de loi sur les céréales, qui vient de nous être soumis, ne soit de nature à irriter les classes que je viens de citer, et, remarquez-le bien, messieurs, l’adoption de ce projet de loi est de nature à réduire les recettes de l’Etat de plus de 10 millions dans un temps très rapproché.

Je ferai remarquer que, par suite du bon prix des grains qui s’est soutenu, le produit de l’enregistrement a augmenté, depuis 1834, de 3,444,000 francs, et sous peu, les terres diminuant de valeur, cette augmentation disparaîtra.

Sur l’enregistrement des actes de vente ou d’échange seulement je puis assurer que sous peu il y aura une réduction de plus de 3 millions de francs, résultat de la hausse des propriétés, par suite de la diminution considérable du prix du blé ; et par suite réduction sur le droit d’enregistrement à la conservation des hypothèques, sur les successions, sur les accises, sur les douanes.

Ajoutez à ces réductions, la privation en faveur du trésor du droit d’entrée sur les céréales quand l’hectolitre de froment est coté de 18 à 17 francs, l’étranger l’importe sans droit en Belgique, au terme de la loi qui nous est proposée ; tandis que dans pareille circonstance le gouvernement français perçoit 7 fr. 50 c. à charge du producteur étranger.

Tels sont les motifs qui m’imposent le triste devoir de me prononcer contre toute demande de majoration d’impôts et contre toute proposition de dépense, et cela jusqu’à ce que le gouvernement revienne à des principes de recette et de dépense plus conformes à nos moyens ainsi qu’à nos habitudes.

Et comme, dans mon opinion, la conduite que nous tenons en matière de finances, d’impôt et de dépense, devant tôt ou tard compromettre mon pays, en donnant mon vote approbatif à ce qui nous est demandé, je pourrais être taxé d’y avoir contribué ; c’est ce que je veux éviter.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, l’honorable M. Verhaegen pense que la question est décidée par un article du règlement. Mais cet article du règlement dit uniquement que lorsqu’un amendement est présenté à la chambre, qu’il est appuyé et renvoyé à la section centrale, la discussion est interrompue jusqu’à ce que la section centrale ait fait son rapport. Eh bien, messieurs, cet article ne contrarie donc en rien la demande de disjonction qui a été faite par mes honorables collègues. En effet, la discussion de la chambre resterait suspendue jusqu’à ce que la section centrale eût fait son rapport sur l’amendement qui lui a été renvoyé. La demande des ministres tend uniquement à ce que la proposition forme un projet de loi spécial, attendu que la discussion démontre que cette proposition n’a que l’apparence d’un amendement et que par sa gravité, par son essence même, elle constitue réellement une proposition de loi nouvelle.

C’est un changement complet de législation, qui est de nature dès lors à faire l’objet d’une loi spéciale ; par conséquent, comme cette question ne se rattache pas ou ne se rattache que d’une manière fort éloignée de la loi que nous discutons en ce moment, rien ne s’oppose à ce que la discussion de la proposition de l'honorable M. Verhaegen sois suspendue, jusqu’à ce que la section centrale ait proposé une loi spéciale à cet égard ; et à ce que dès lors la discussion continue sur le projet présenté par M. le ministre des finances.

Voilà à quoi tend la proposition qui a été faite par M. le ministre des affaires étrangères ; c’est une demande de disjonction. Rien ne s’oppose à ce que la proposition de l’honorable M. Verhaegen ait son cours ; rien ne s’oppose non plus à ce que la section centrale s’entoure de tous les renseignements et fasse son rapport ; la chambre a seulement à examiner dans ce moment s’il ne vaut pas mieux faire de cet objet une loi spéciale, ou si à tout prix, il faut que cette disposition soit comprise dans le projet de loi financier et purement financier qui est en ce moment en discussion. Voilà la question de disjonction sur laquelle le chambre est appelée à se prononcer actuellement.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, on a parler de continuer la discussion sur la proposition du gouvernement, concernant les sucres, mais cette discussion n’a pas même été entamée, et il me semble que rien ne nous presse pour l’aborder, alors qu’il a été présenté un amendement sur lequel on entend un rapport de la section centrale ; et que nous avons d’autres objets à l’ordre du jour, notamment la proposition relative à la bière. On pourrait donc passer à ces articles dans la séance de demain ; dans l’intervalle, la section centrale aura peut-être reçu des renseignements ou pourra faire son rapport sur la proposition de l’honorable M. Verhaegen. Je demanderai donc que les articles touchant les sucres soient postposés après la discussion des articles relatifs à l’accise sur la bière et la proposition de l'honorable M. Mast de Vries sur les foins.

M. de Mérode – L’inconvénient qu’il y a de postposer les sucres à la bière, c’est qu’il faut savoir si l’impôt sur la bière est nécessaire à voter, et d’autant plus nécessaire que celui sur les sucres rapportera moins.

Messieurs, les ministres changent, et à chaque changement de ministère, le cabinet prétend n’être pas assez éclairé sur les questions difficiles. Il y a cependant un an que le ministère actuel est au pouvoir, il a pu s’enquérir des moyens d’imposer le sucre indigène. Il se trouve cependant que M. le ministre des finances ne peut pas donner là-dessus des renseignements. Je regrette que M. le ministre ne se soit pas occupé plus sérieusement d’une question aussi importante pour le trésor. Il nous dit qu’il est difficile de décider cette question ; sans doute il est difficile de décider cette question, mais je lui demanderai comment il veut décider la question du nivellement de nos recettes et de nos dépenses, question qui est très difficile aussi et qu’il est cependant de la dernière urgence de résoudre, si l’on ne veut pas se plonger dans des dettes pour ainsi dire indéfinies.

Il me semble que la discussion sur la question des sucres doit avoir la priorité, et que la proposition de l’honorable M. Verhaegen doit être prise en sérieuse considération, d’autant plus qu’il a annoncé, je crois, qu’il ajouterait à sa proposition un article, en ce qui concerne le sucre de betterave.

M. Demonceau – Messieurs, je croyais que pour mettre un terme à cette discussion, la chambre avait donné son assentiment à la proposition de l’honorable M. Dubus. Il est certain qu’indirectement la proposition de l’honorable M. Verhaegen se rapporte au projet de loi sur les sucres. Les propositions du gouvernement ne paraissent pas avoir pour but de procurer une augmentation de ressources au trésor public ; l’honorable M. Verhaegen, au contraire, pense sans doute que tel sera le but de sa proposition.

Nous ferions bien, ce me semble, d’entamer demain la discussion sur la question de la bière, ainsi que le demande l’honorable M. Dubus ; s’il était possible de réunir demain la section centrale, nous pourrions entendre l’honorable M. Verhaegen et M. le ministre des finances, s’ils le jugeaient à propos. Quant à moi, comme membre de la section centrale, je suis à la disposition de la chambre.

M. Cogels – Messieurs, les explications qui vous ont été données par MM. les ministres des travaux publics et des affaires étrangères vous ont suffisamment prouvé que l’amendement proposé par l’honorable M. Verhaegen n’était pas un amendement ; que c’était un système tout à fait nouveau, système fort incomplet, il est vrai, proposé à l’occasion d’une loi à laquelle cet objet est entièrement étranger.

Je n’entrerai pas dans le fond de la discussion ; je ferai une seule question à l’honorable M. Verhaegen, qui a dit qu’il avait parfaitement compris la portée de son amendement ; je lui demanderai ; Est-ce sous le rapport financier ? Est-ce sous le rapport industriel ?

Si l’honorable membre a entendu seulement débarrasser l’industrie du sucre indigène d’une rivale, alors certainement il a parfaitement compris la portée de son amendement, mais s’il a voulu le présenter dans l’intérêt du trésor, je dis qu’alors il ne l’a pas compris du tout, car quiconque connait quelque peu l’amendement ne peut avoir d’autre effet que d’anéantir complètement les recettes du trésor. Dès lors, si la chambre s’est trompée sur la portée de la proposition, et l’a considérée comme un amendement, je ne vois pas pourquoi elle ne reviendrait pas sur sa première décision, en ajournant la discussion, et en passant au projet de M. le ministre des finances, qui est un projet purement réglementaire pour la répression de la fraude.

M. Verhaegen – Messieurs, l’honorable M. Cogels vient de dire que je n’ai pas compris la portée de mon amendement ; j’ai dit, tout à l’heure, et je répète, que j’ai parfaitement compris la portée de mon amendement qui a pour but de procurer des ressources au trésor, en combinant ma proposition avec un droit à établir sur le sucre de betterave.

Un membre – Vous ne parlez pas de ce droit.

M. Verhaegen – Si M. le ministre des finances avait pu donner les renseignements que la section centrale lui a demandés, il est plus que probable que la section centrale aurait pu rendre son système complet. En l’absence de ces amendements, il faudra bien que nous prenions l’initiative, et que nous arrivions à imposer le sucre de betterave de manière à fournir au trésor les ressources dont il a besoin.

Voilà un but que j’avais en vue, quand j’ai présenté ma proposition. Mais j’avais encore un autre but, celui d’empêcher que l’industrie du sucre indigène ne fût tuée avant qu’on ne vînt à son secours. Ajourner ma proposition, c’est prononcer l’arrêt de mort d’une industrie que je considère comme importante. Si on ne veut pas s’occuper maintenant de cet amendement, et le coordonner avec un système tel qu’on l’entendra, il n’y a plus de sucre de betterave, quelques mois suffiront pour anéantir complètement cette industrie.

Voilà le double but que je me suis proposé, et j’ai parfaitement compris la portée de mon amendement.

M. Smits – Messieurs, l’honorable M. Verhaegen vient de convenir lui-même que son système n’est pas complet, car il a voulu, dit-il, le combiner avec un impôt à établir sur le sucre de betterave ; mais cet impôt, il ne le propose pas. Si on ajourne, dit-il, son amendement, on tuera l’industrie du sucre indigène. J’ai peine à comprendre ce raisonnement ; car l’industrie du sucre indigène n’est frappé d’aucun impôt, tandis que le sucre exotique est frappé de toute la rigueur de la loi, frappé d’un droit plus fort que celui qui existe sur cette industrie dans les pays limitrophes avec lesquels nous sommes en concurrence.

- La proposition de M. Dubus (aîné) tendant à ce que la discussion du projet de loi sur les sucres soit postposée après celui de la loi sur la bière est mise aux voix et adoptée.

Proposition de loi

Dépôt

M. le président – Il a été déposé sur le bureau une proposition qui sera renvoyée aux sections.

- La séance est levée à 5 heures.