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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 2 février 1842

(Moniteur belge n°34, du 3 février 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l'appel nominal à midi un quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn communique les pièces de la correspondance.

« L'administration communale de Cruyshautem demande que les communes de Worleghem, Oycke, Olsène et Aspere soient réunies au canton actuel de Cruyshautem. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


M. le ministre des travaux publics adresse à la chambre des explications sur la pétition des industriels et propriétaires de l'arrondissement de Châtelineau, qui réclamaient contre l'interprétation de l'art. 7, § 14 de la loi du 18 mars 1833, concernant l'impôt des barrières.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. Osy. - Messieurs, à la séance d'hier, on a renvoyé à la section centrale des travaux publics une pétition des poldres de Lille. Comme la section centrale est occupée à faire son rapport, je demande que cette pétition soit en outre renvoyée à M. le ministre des travaux publics, afin qu'il puisse s'expliquer lors de la discussion de son budget, sur la réclamation des pétitionnaires.

- Ce renvoi est ordonné.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l'intérieur

Discussion générale

M. Angillis. - Je demande la parole pour une motion d'ordre, afin de donner quelques nouvelles explications sur la proposition que j'ai eu l'honneur de faire à la séance d'hier, proposition dont le but et la portée ne semblent pas avoir été bien compris par la chambre. J'ai eu pour but, en premier lieu, d'abréger les débats. Mais ce premier but est déjà manqué, car la discussion est prolongée de tout le temps qu'on a employé et qu'on emploiera encore pour discuter ma proposition. Mon deuxième motif est plus noble et plus élevé, par conséquent plus digne de l'attention de la chambre. J'ai voulu faire cesser et mettre fin une bonne fois pour toutes, à ces débats irritants, à ces reproches, à ces récriminations qui s'adressent à trois générations ministérielles.

Tous ces débats n’avancent aucunement les affaires du pays. Ils font parfois rire le public, mais c'est presque toujours aux dépens de la dignité de l'assemblée. Je pense qu'il faut en finir avec le passé, il appartient à l'histoire : et nous occuper sérieusement du présent et de l'avenir sans autre passion que celle du bien public. En agissant ainsi et en portant dès ce moment une attention sévère sur le maniement des deniers publics, la nation, qui est toujours juste, dira que ses représentants ont bien fait, la seule ambition que nous puissions avoir.

Voilà la justification des motifs qui m'ont déterminé à vous faire ma proposition. Je soumets ces motifs à l'appréciation de l'assemblée ; et si elle pense qu'elle ne peut pas adopter ma proposition, j'ai la conviction qu'elle rendra justice à la pureté de mes intentions.

Maintenant je vais expliquer et appliquer le montant du chiffre que j'ai eu l'honneur de proposer.

M. le ministre demande en tout une somme de 177,556 fr. 61 c. Pour lui fournir cette somme, d'abord on lui accorde d'imputer une somme de 20 mille fr. sur le crédit de 50 mille fr. ouvert au budget de 1842, pour élever des monuments à la mémoire des grands hommes, puis on lui accorde le transfert de 65 mille fr. restés sans emploi sur l'exercice de 1841, à l'article relatif aux primes pour construction de navires. Je propose d'allouer une nouvelle somme de 82,080 fr. Il manquerait pour parfaire la somme demandée, 12,500 fr. qui seront portés sur le budget de l'année prochaine. Le ministre a eu tort de dire que ma proposition ne se rapportait qu'à l'art. 2. Elle comprend tous les articles de son projet et je crois qu'au moyen de la somme que je propose tout l'arriéré sera soldé, à l'exception d’une somme reportée à l’année prochaine.

Maintenant je dirai un mot de la condition que j'ai cru devoir adopter à ma proposition. Il paraît que cette condition n'a pas le bonheur de plaire a tout le monde ; cependant, si je n'avais pas ajouté cette condition, elle n'était pas moins sous-entendue, parce qu'il est de principe que la cour des comptes doit examiner si aucune des allocations portées au budget n'a pas été dépassée ou employée à d'autres fins. Il est encore de principe que tout paiement généralement quelconque doit être soumis a l’examen, a la liquidation et à l'enregistrement de la cour des comptes, avant d'être admis comme dépense de l'Etat. Vous voyez que j'aurais pu me dispenser de présenter cette condition, parce qu'elle n'est pas strictement nécessaire, elle est sous-entendue. Il est de principe, et chacun des ministres doit savoir qu'il ne peut pas dépasser les limites de son budget.

Il demeure donc constant et incontestable qu'aucun ministre ne peut prendre aucun engagement, soit pour le présent, soit pour l'avenir, de payer des dépenses qui n’ont pas été prévues dans le budget. Les ministres doivent savoir que le budget est une barrière qu'ils ne peuvent franchir sans compromettre leur responsabilité. Je le répète donc, à la rigueur, je n'avais pas besoin de poser la condition à côté de ma proposition, parce que cette condition est de rigueur ; elle est toujours sous-entendue, elle est dans le principe constitutionnel transcrit dans l’art. 116 de la constitution et dans toutes les règles de comptabilité. J ai placé cette condition comme une espèce de poteau-indicateur qu'on place à la frontière de l'Etat pour rappeler au voyageur dans quel pays il se trouve. Voilà le but et la portée de la proposition que j’ai eu l’honneur de faire à la chambre.

Si on trouve que la condition n'est pas nécessaire, qu'elle est même dangereuse, je ne tiens pas à ce qu'elle reste ; j'admets tous les changements qu'on voudra faire. Je tenais seulement à expliquer mon but et mes motifs. J’abandonne le reste à l’appréciation de la chambre. Seulement je dois faire remarquer que si ma proposition est admise, il n'y a plus rien à discuter, parce que, je le répète, ma proposition s'applique à toute la demande du ministre.

M. Dedecker. - Nous nous sommes mal compris avec M. Angillis quant au chiffre, car il me semble vouloir appliquer son chiffre de 82,080 fr. à tout le projet. J'ai pris la parole pour lui demander de s’expliquer à cet égard.

M. le président. - On demande si M. Angillis applique sa proposition à tout le projet ou seulement à l'art. 2 ?

M. Angillis. - Je l'applique à tout le projet.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le malentendu provient de ce qu’on n’a pas passé à la discussion spéciale et qu'on n'a pas suivi l'ordre naturel de cette discussion spéciale. Toute la discussion d'hier, qui a suivi la clôture de la discussion générale à porté sur l'art. 2 ; on aurait dû commencer par voter l'art. 1er, aucune difficulté ne se présente ici, pas même la question de principe.

M. le président. - M. Angillis vient de dire qu'au moyen de la somme qu’il propose, tout votre projet disparaît.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les beaux-arts présentent un déficit de 114,580 fr., en y comprenant les 20 mille fr des deux statues. Si on fait la distraction de ces 20 mille fr., il reste 94,580. Relativement à cette somme de 94,580 fr., il y a cette observation qu’une somme de 12,500 fr., bien qu'engagée ne sera due que l'année prochaine, ce qui réduit la somme nécessaire à 82,080 fr. C’est la somme que propose M. Angillis. Mais cette somme ne peut porter sur l'ensemble du projet. Elle n'a trait qu'à l'art. 2.

Il me semble que les faits sont assez connus pour que cette explication soit acceptée par la chambre.

Maintenant je fais de nouveau la motion qu'on procède comme l'exige la discussion spéciale, qu'on commence par l'art. 1er, et qu'on aborde ensuite l’art.. 2. Je le répète, l’art. 1er ne soulève pas de question de principe, si tant est qu’il y ait question de principe ; l'article 1er est relatif à une dépense faite par suite de faits indépendants de la volonté du ministre. Il est évident qu’il faut distinguer entre les crédits nécessités par des faits indépendants de la volonté du ministre et par le cours forcés des choses, et les crédits rendus nécessaires par la volonté plus ou moins directe du ministre. Ainsi il n'y a aucun inconvénient à voter l'art. 1er ; la question de principe, si tant est qu'il y a en ait une, reste entière.

M. Eloy de Burdinne. - Si mes renseignements sont exacts, il paraît que la ville d'Anvers aurait reçu une part énorme dans la distribution du fonds des beaux-arts.

Ainsi elle aurait reçu

Tableau de Teniers, fr. 16,000.

Pour la statue de Rubens, fr. 10,000

Pour son exposition des beaux-arts, fr. 6,000

Total, 32,060

Ce n'est pas tout : il y a quelques jours vous avez accordé à l'académie de cette ville une augmentation de subside de 16,600 fr.

Si mes renseignements sont exacts, on accorderait encore à la ville d'Anvers, pour restauration des bâtiments de l'académie, une somme de 5,000 fr. pendant 6 ans.

M. Rogier. - Tout cela est voté.

M. Eloy de Burdinne. - Sans doute. Mais je crois qu'on doit avoir égard aux sommes votées pour restreindre ce que le ministre a encore à dépenser, car il ne faut pas que tout soit donné à la même ville : toutes les parties du pays ont le même droit dans la répartition du fonds des beaux-arts.

Si mes renseignements sont exacts, la majeure partie des sommes distribuées aux artistes seraient données aux artistes d'Anvers. Les trois quarts des sommes votées pour les beaux-arts sont pour Anvers.

Je vous avoue que je ne puis approuver une distribution aussi peu équitable. La répartition doit avoir lieu entre les diverses provinces du royaume. Je prie M. le ministre de dire si les faits que j'ai avancés sont exacts ou ne le sont pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me permettrai de considérer cette interpellation comme sans objet, puisque les faits allégués par l'honorable membre résultent des pièces communiquées à la chambre. Tous ces faits sont constatés. La ville d'Anvers a obtenu :

Le tableau de Teniers, fr. 16,000.

Le subsides pour l’exposition des beaux-arts en 1840, fr. 6,000

La statue de Rubens, fr. 10,000

Total, 32,060, somme imputée ou imputable sur le fonds général des beaux-arts.

En outre elle a obtenu :

Une augmentation de 16,600 fr. pour les frais de son académie, le subside n'était auparavant que de 8,400 fr., et étant maintenant de 20,000 fr. ;

Une somme de 30,000 fr. payable par sixième, pour subside dans la reconstruction de son académie.

C'est là ce que la ville d'Anvers a obtenu sous l'administration de M. Rogier, si tant est qu'on puisse considérer le tableau de Teniers comme définitivement déposé au Musée d'Anvers ; ce que je n'admets pas.

Après cela, il est juste de dire qu'Anvers est par excellence la ville des arts en Belgique. Néanmoins, moi j'ose croire que peut-être en présence du déficit existant l'an dernier, on pouvait s'abstenir d'acheter le tableau de Teniers.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est mon opinion personnelle. Je ne fais aucune critique. Je veux expliquer pourquoi je m'abstiens d'acheter les tableaux qu'on m'offre. Je m'abstiens d'acheter un Hemmeling très remarquable qui m’est offert ; je crois le budget trop grevé pour qu'il me soit possible de faire cette acquisition. La situation où je me trouve maintenant exige cette réserve de ma part. Je crois que, l'an dernier, on aurait pu avoir la même réserve ; car il ne faut pas seulement examiner les engagements à remplir ; il faut examiner les dépenses nouvelles faites sous l'administration précédente, parce que ce sont les dépenses nouvelles qui ont empêché de remplir les engagements antérieurs. Si le tableau de Teniers n'avait pas été acheté, les 16,060 fr. restant libres auraient été employés à remplir des engagements antérieurs. Du reste, c'est une opinion toute personnelle que je fais connaître pour expliquer pourquoi je m'abstiens de toute acquisition de ce genre, notamment pourquoi je refuse d'acquérir le tableau d’Hemmeling qui m'est offert.

Du reste, j'attendrai la discussion de l'art. 2 pour rentrer dans le détail des faits, s'il est nécessaire.

Discussion des articles

Article premier

La chambre passe au vote de l'art. 1er. ; elle adopte cet article qui est ainsi conçu :

« Art. 1er. L'art. 2 du chap. V du budget des travaux publics (frais des jurys d'examen pour les grades académiques) pour l'exercice 1841, est majore d'une somme de vingt mille francs : fr. 20,000. »

Article 2

La chambre passe à la discussion de l'art. 2 et des amendements y relatifs ainsi conçus :

« Art. 2. L’art. 8 du chap. V du même budget (beaux-arts) est majoré d'une somme de 60,600 fr.

Amendement de M. Coghen : Je propose de majorer la somme de 60,000 fr. de 3,000 fr.

Amendement de M. Angillis : J'ai l'honneur de proposer que la chambre accorde à M. le ministre de l'intérieur la somme de 82,080 fr. pour le total de la demande qu'il a faite à la chambre, à la condition cependant, qu'à l'avenir la chambre n'allouera plus aucunes dépenses hors des limites du budget.

Amendement de la section centrale : Art. 2. L'art. 8 du chap. V du même budget (beaux-arts) est majoré d'une somme de quarante mille six cents francs (fr. 40,600 ).

M . Van Hoobrouck. - Je commence par déclarer qu'hier, lorsque l'honorable M. Angillis a proposé son. amendement, j'al cru qu'il s'appliquait à l’art. 2. Quoi qu'il en soit, si cet amendement avait été mis aux voix hier, j'aurais été singulièrement embarrassé. Depuis lors, j'ai examiné avec soin l'amendement, et j'ai acquis la conviction non seulement que nous pouvons adopter l'amendement, mais encore qu'il y aurait danger à ne pas l'adopter. Que veut cet amendement ? Que toutes les dépenses soient conformes aux budgets votés, en un mot que l'on respecte l'art. 115 de la constitution. Tout autre système est évidemment irrationnel, et tend à détruire une des plus belles prérogatives de la chambre, celle de voter les dépenses et de les équilibrer avec les besoins du service ; il aurait pour conséquence de détruire l'action de la cour de comptes, ce pouvoir qui émane de vous, et auquel vous avez imposé la mission de ne liquider les dépenses que dans les limites du budget et avec la destination que lui a donnée la législature. Tout autre système a des inconvénients graves, et pourrait donner ouverture à des abus.

Si dans le cours de l'administration de l'honorable M. Rogier, les dépenses des beaux-arts ont, comme cela résulte des calculs, dépassé de 129,000 fr. le chiffre que nous avons alloué, je vous demande si en présence de l'art. 115 de la constitution, une pareille interprétation peut avoir lieu, et si vous pouvez la consacrer, soit par votre silence, soit en rejetant l'amendement de l'honorable M. Angillis.

Mon intention n'est pas de revenir sur le passé ; j'admets même pour le quart d'heure que tous les engagements de dépense pris par l’honorable M. Rogier….

M. Rogier. - Cela est parfaitement inexact.

M . Van Hoobrouck. - … aient été pris en connaissance de cause, ne pourrait-il arriver qu'un autre ministre vint se poser en Mécène ? ou dans un but de popularité, se laisse entraîner sur une pente déjà trop rapide ? Et qu'en résulterait-il ? messieurs, c'est que le ministre serait obligé de venir, comme aujourd'hui, vous demander périodiquement des crédits pour liquider les dépenses résultant d’engagements de deux ou trois exercices antérieurs ; et vous devriez accorder ces crédits parce que vous vous trouveriez placé devant la triste raison des faits accomplis.

A la séance d'hier, un honorable membre vous a dit que la Belgique était le berceau des beaux-arts. Je n'ai aucun motif de contester cette assertion. Il a ajouté que les chambres seraient toujours disposées à voter des encouragements pour les beaux-arts. Messieurs, je n'ai pas la mission, et je ne crois pas qu'aucun membre de la chambre ait cette mission de prendre des engagements au nom de la législature tout entière. Je dirai toutefois, pour ce qui me concerne, que je serait toujours disposé à voter des encouragements pour les beaux-arts, mais dans de justes et prudentes limites.

On semble trop souvent, me paraît-il, oublier dans cette enceinte que s’il est convenable de montrer de la munificence pour les beaux-arts d’un autre côté, il faut songer aux ressources pour y faire face.

En votant pour l’amendement de l'honorable M. Angillis, je dois dire quelle est la portée que j'entends donner à mon vote.

Mon intention n’est nullement de circonscrire le pouvoir dans des limites tellement étroites que son action soit en quelque sorte annulée. Je crois que le gouvernement peut et doit, dans l'administration des beaux-arts, prendre des engagements par anticipation. Mais l’amendement de l'honorable M. Angillis n'est nullement contraire à ce système ; et je demande la permission de m'expliquer par un exemple.

Je reconnais que, dans l'administration des beaux-arts, le gouvernement est dans le cas de prendre des engagements par anticipation pour les ouvrages qui ne peuvent être terminés dans l'exercice courant, mais qui le seront dans les exercices subséquents. J’admets que ces engagements montent à 10,000 fr. Eh bien ! qu'en résultera-t-il ? C'est qu'il restera au ministre 50,000 fr. pour les besoins ordinaires.

J’irai plus loin. J'admets le cas où un artiste distingué se trouve momentanément dans le besoin. Le ministre, avec raison, voudrait conserver à son pays un artiste qui l'honore ; il voudrait en même temps doter l’avenir d'un monument du présent et il commanderait à cet artiste un tableau de 30,000 fr. Je suppose encore qu'il lui donne une avance de 10,000 fr. Les exercices suivants resteraient grevés de 20,000 fr.

Dans ces deux hypothèses, l'allocation de 60,000 fr. serait réduite à 30,000. Eh bien ! si la somme de 30,000 fr. était insuffisante, le ministre ne pourrait-il donc pas demander, pour un exercice, une majoration de crédit ? Je crois qu'il n'y aurait personne qui ne fût prêt à sanctionner par son vote une pareille conduite. Mais alors vous resteriez juges de la question, et on en verrait pas un ministre venir placer son omnipotence à côté de l'omnipotence de la chambre.

Je crois, messieurs, avoir démontré que l’amendement de l’honorable M. Angillis est tout à fait compatible avec les règles d’une sage et prudence administration, qu’il ne porte aucune atteinte à l’action régulière du pouvoir, et ces motifs me déterminent à l’adopter. J’ai la confiance que vous partagerez mon opinion ; car refuser votre assentiment à l’amendement de l’honorable M. Angillis, ce serait annuler l’action de la chambre, l’action de la cour des comptes, et porter la perturbation dans la comptabilité de l’Etat. Or, telle ne peut être votre intention.

M. Rogier. – Je demanderai à adresser une question à l’honorable M. Van Hoobrouck. Il a dit, je pense, que, s’il était bien informé, j’aurais dépassé de 129,000 francs les crédits alloués. Je crois que c’est là ce qu’il a dit. (Oui ! oui !)

Eh bien ! si l’honorable M. Van Hoobrouck, au lieu de s’en rapporter aux on dit, avait vérifié les calculs que j’ai faits hier, et il le pouvait, car il a sous les yeux le tableau des dépenses, elles y sont parfaitement détaillés, il se serait épargné et il aurait épargné à la chambre une grave erreur.

M. de Behr. - Messieurs, une dépense ne me paraît guère susceptible de critique, lorsqu’elle ne dépasse que légèrement le crédit destiné à y faire face et qu'elle est de nature à subir un report partiel sur l'exercice prochain, sans inconvénient pour le service. Mais si le déficit s'est accru au point qu'il excède la totalité et une moitié en sus de la somme allouée, il y a véritablement un abus qu’il importe de faire cesser au plus tôt. C’est ce qui est arrivé à l’occasion des dépenses faites pour les beaux-arts, puisqu'indépendamment d'un déficit de 60,600 fr., le crédit alloué pour l'exercice courant est entamé de plus de moitié par des engagements antérieurs. La section centrale a dû vous signaler cet abus qui a sa source dans le mode de disposer par anticipation sur des exercices dont les budgets ne sont pas encore votés par la législature. Du reste la section centrale n'a entendu faire de reproche à aucun des ministres qui se sont succédé depuis quelque temps, parce qu’ils n’ont fait que suivre la route tracée par leurs prédécesseurs, lorsqu’ils sont arrivés aux affaires. On prétend néanmoins qu'il y nécessité d’en agir ainsi et de pouvoir engager l'avenir dans une certaine limite ; mais quelle sera alors la proportion à observer et le nombre d'exercices à grever ? Sera-ce deux ou plusieurs budgets, le ¼, le 1/3, la ½ du crédit qu'il sera permis d'engager d’avance ? Vous voyez, messieurs, ou nous irions avec le système suivi jusqu’à ce jour, puisque dans une période de quelques années seulement, il a été dépensé plus de 100,000 fr. au-delà des sommes allouées pour les beaux-arts. C'est pour qu'un pareil abus ne se renouvelle plus à l’avenir que la section centrale a pensé que le chef de chaque département devait se renfermer rigoureusement dans les allocations, telles qu'elles sont fixées par son budget. On dit qu’il y a des engagements dont le prix doit se payer par termes, et qu’il est impossible d’acquitter sur le même ; je suis d'accord sur ce point avec d'honorables préopinants, mais nous différons dans le mode de supputation de la dépense. Ainsi, par exemple, si M. le ministre de l’intérieur commande, un tableau pour un prix convenu, c’est ce prix qu’il doit prendre en considération pour régler la dépense sur l’allocation du budget, et non pas uniquement la somme partielle qu'il paie par anticipation. Mais à ce compte, objecte-t-on, le gouvernement sera dans l'impossibilité de faire exécuter un monument dont le prix excédera le montant du crédit alloué, tandis que le paiement ne devra s'opérer qu'en plusieurs termes reportés sur des exercices différents. Je réponds qu'en pareille circonstance, il est loisible au gouvernement de porter au budget un crédit spécial pour cet objet ou de réclamer une majoration d’allocation et de mettre ainsi les chambres à même de voter en pleine connaissance de cause et de savoir à quoi elles engagent le trésor de l’Etat. Au surplus, dans le système qui permettrait à un chef de département d’engager l’exercice suivant à concurrence d'une quotité déterminée de la somme mise à sa disposition, ses successeurs auraient naturellement le même pouvoir, et dès lors les choses reviendraient au même point que la mesure indiquée par la section centrale, qui tend à assurer à chaque ministre la libre et pleine disposition des sommes allouées à son département, sans qu'il puisse, en aucun cas, prendre des engagements dont le résultat serait de grever des exercices subséquents sans l'intervention des chambres.

Quant à l'imputation proposée par la majorité de la section centrale, en ce qui concerne les subsides alloués par le gouvernement pour les statues de Rubens et de Grétry, je la trouve très rationnelle, puisque ces subsides n'ont été accordés qu'en vue d'une allocation qui était alors demandée pour les statues des grands hommes du pays. Néanmoins, je n'ai pu me réunir à l'avis de la majorité par la considération que le crédit alloué pour les beaux-arts, en 1842, est absorbé de plus de moitié par des engagements contractés antérieurement. En conséquence, je me rallierai pour le chiffre à l'amendement de l'honorable M. Angillis, qui rentre absolument dans l'opinion que j'ai émise dans le sein de la section que j'ai eu l'honneur de présider.

M. Cogels. - Je me rallierais également à l'amendement de M. Angillis, s'il s'appliquait exclusivement aux beaux-arts (car il y aurait effectivement des inconvénients à généraliser une semblable disposition) et s'il était rédigé dans un sens moins absolu. Je ne sais pas si j'ai bien compris l'honorable M. Angillis, mais il me semble être allé plus loin, dans la rédaction de son amendement, qu'il ne le voulait lui-même. En effet, l'amendement ne lierait pas seulement le gouvernement, mais il lierait aussi la chambre, puisqu'il porte : « Cependant, à l'avenir, la chambre n'allouera plus aucune dépense hors des limites du budget. »

Ainsi, messieurs, dans le cas où, par exemple, dans l'intervalle des sessions, un événement imprévu obligerait le gouvernement à dépasser les limites du budget, pour un objet dont l'utilité serait universellement reconnue, dans ce cas même il serait en quelque sorte interdit à la chambre de voter un crédit supplémentaire, de donner au gouvernement un bill d'indemnité. C'est là ce que l'honorable M. Angillis n'a pu vouloir.

M. le président. - Voici un amendement proposé par M. Dedecker :

« Je propose de rédiger ainsi l'art. 2 :

« L'art. 8 du chap. V, du même budget (beaux-arts) est majoré d'une somme de 82,080 fr. »

M. Dedecker, rapporteur. - Comme vous l'aurez remarqué, messieurs, le chiffre que je propose est exactement le même que celui de l'honorable M. Angillis, mais cet honorable membre applique ce crédit à l'ensemble du projet, tandis qu'il ne doit être appliqué qu'à l'article relatif aux beaux-arts.

Voici, messieurs, le motif pour lequel je propose d'accorder à M. le ministre une somme plus forte que celle qu'il nous demande ; c'est que je désire qu'on puisse appliquer dès à présent le principe posé par la section centrale, principe qui n'est pas nouveau, comme l'a prouvé hier l'honorable M. Dubus (aîné). En effet, messieurs, la section centrale n'a entendu en aucune manière innover, elle n'a pas voulu se poser en réformatrice ; elle a simplement demandé que l'art. 115 de la constitution ne soit pas une lettre morte.

Pour arriver à l'application de cet art. 115 de la constitution, je conviens qu'il faut faire à M. le ministre actuel une position nette et franche. Pour cela il faut, liquider tout l'arriéré, ou, comme l'a dit hier l'honorable M. Angillis, vider le sac ; si vous n'accordez à M. le ministre de l'intérieur qu'un crédit de 60,600 fr. comme il le demande, le budget de 1842 sera encore grevé d'abord des 28,980 fr., ensuite de 12,500 fr. destinés à payer le monument du chanoine Triest. Mon amendement tend à comprendre ces deux sommes dans le crédit à allouer à M. le ministre, à la condition qu'il entre décidément et se maintienne, dans la voie constitutionnelle indiquée par la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, pour qu'une dépense soit régulière, il faut qu'elle ait été utilement faite et qu'elle ait été légalement faite, il faut que la légalité soit unie à l'utilité. La légalité suppose l'autorisation préalable résultant du budget annuel C'est le système complet. Mais une dépense peut être utilement faite, sans qu'elle soit dans les termes de la stricte légalité ; le principe qu'aucune dépense ne peut être faite en dehors des crédits alloués au budget annuel est-il tellement rigoureux, que dans aucun cas un ministre ne puisse faire une dépense utile, alors que le crédit du budget courant est insuffisant ? Messieurs, tout principe trouve sa restriction dans l'application ; il ne faut demander que ce qui est possible, et le principe dont je viens de parler ne peut pas être appliqué d'une manière absolue dans une infinité de cas, à commencer par l'art. 2 de chaque budget : « Matériel de l'administration centrale. »

Je vais citer un exemple, qui paraîtra peut-être futile dans cette discussion, qui semble prendre des proportions toutes nouvelles. Rien que pour le chauffage du ministère, les approvisionnements se faisant avant l'hiver, le ministre fait une dépense dont une partie est imputée sur l'exercice suivant. Je demande pardon à la chambre de citer cet exemple un peu trivial, mais j'y suis amené par la discussion, et il prouve que le principe dont il s’agit ne saurait être toujours rigoureusement appliqué.

Il y a, messieurs, d'autres exemples, beaucoup plus importants. J'ai déjà cité un de ces exemples ; je veux parler des fonds alloués pour les travaux publics, du fonds des barrières. Ce fonds est aujourd'hui de un million, il était sous mon administration d'environ 7 à 800,000 fr. ; au prix auquel se font aujourd'hui les travaux des routes, vous ne pouvez faire avec 800,000 fr. tout au plus que 7 ou 8 lieues de route ; si le ministre est forcé de rester dans la stricte application du budget annuel, il ne pourra adjuger que 7 ou 8 lieues de route par an, c'est-à-dire trois routes, en bornant chaque route à un peu plus de deux lieues.

Le ministre sera donc forcé de ne rien faire pour les deux tiers des provinces du pays. Comment, messieurs, a-t-on procédé au ministère des travaux publics, avant mon administration, pendant mon administration et pendant l'administration de l'honorable M. Rogier ; comment procède-t-on aujourd'hui ? On adjuge une route de 2 lieues par exemple ; mais, comme il ne se fait qu'une lieue de route par an , l'adjudication est faite pour deux ans, et le cahier des charges porte que la première lieue de route qui sera faite, par exemple, en 1842, sera payée sur cet exercice et que la 2e lieue de route, qui ne sera faite qu'en 1843, sera payée sur le budget de 1843. Voilà, messieurs, comme on procède, toutefois avec cette limite que le ministre n'ira pas faire des adjudications tellement considérables qu'il absorberait les crédits des années suivantes.

Messieurs, c'est d'après ces principes, c'est en me posant ces limites que j'ai administré le fonds des barrières. J'ai quitté le ministère des travaux publics le 19 avril 1840 ; le fonds des barrières était d'environ 700,000 fr. Cette année-là, si ma mémoire est fidèle j'ai laissé un excédant disponible, sur le produit général des barrières, en défalquant les frais d'entretien et d'amélioration, j'ai laissé un excédant disponible de 400,000 fr. à cette époque de l'année. Remarquez cependant, messieurs, que j'ai quitté le ministère à la fin du quatrième mois de l’année, et que c’est pendant les premiers mois de l'année que se font les adjudications les plus considérables, les travaux devant commencer au printemps ; vous voyez donc que je suis resté dans les limites que je viens d'indiquer.

M. Rogier. - Vous aviez dépensé la moitié du crédit en trois mois.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je viens d'expliquer pourquoi j'avais dépensé la moitié du crédit, non pas en trois mois, mais en quatre mois environ. C'est que j'ai quitté le ministère à la fin du quatrième mois, et que c'est pendant les premiers mois de l'année qu'on fait les adjudications, attendu que les travaux doivent commencer au printemps ; si donc j'avais dépensé beaucoup plus, j'aurais pu me justifier par cette considération.

Ainsi, messieurs, une dépense utilement faite peut se justifier devant les chambres, quoiqu'elle n'ait pas été faite dans les limites rigoureuses des sommes allouées au budget de l'année courante, quoiqu'il y ait eu anticipation ; une semblable dépense peut se justifier, lorsqu'il y a eu urgence, ou bien lorsque la force des choses, la nature des choses l'exigeait. Or la force des choses, la nature des choses exigent les dépenses dont je viens de parler.

Ce n'est pas de gaieté de cœur, messieurs, que je suis venu demander à la chambre des crédits supplémentaires ; je serais désolé si mon honorable prédécesseur pouvait croire qu'il m'était possible de me soustraire à la nécessité de demander ces crédits supplémentaires. Quand je suis arrivé au ministère, le 15 avril dernier, je me suis fait rendre compte de la situation financière de toutes les parties du budget et entre autres du fonds des beaux-arts ; il s'est trouvé que les engagements existants étaient tels qu'une très faible somme restait disponible. Dès lors je me suis complètement abstenu de toute dépense ; je vous prie, messieurs, de jeter les yeux sur le tableau B, qui se trouve aux pages 9 et 10 de l'exposé des motifs et dont il résulte que je n'ai dépensé en 1841 que 6,782 fr. J'arrivais aussi au quatrième mois de l'année et je n'ai pas trouvé la moitié du crédit disponible, comme l'avait trouvé mon successeur au ministère des travaux publics en ce qui concernait le fonds des routes. Je me suis donc abstenu de faire des dépenses, et cependant si j'avais voulu ne pas tenir compte des engagements pris par mes prédécesseurs, si j'avais voulu ne pas respecter ces engagements j'aurais pu à mon tour faire de nouvelles dépenses, payer ces dépenses et laisser derrière moi une espèce de dette flottante.

Je n'ai pas augmenté le déficit ; je me suis complètement abstenu ; j'aurais pu, par exemple, acheter le tableau d'Hemmeling et le payer ; car l'argent n'était pas employé. Bien que les engagements existassent, les dépenses n'étaient pas encore effectuées.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je désire que ma position vis-à-vis de la chambre et vis-à-vis des artistes soit bien connue. Quand je suis venu au ministère l'année dernière, je me suis trouvé dans l'impossibilité de faire quelque chose pour les artistes ; j'ai dû m'interdire toute commande, pour me servir d'une expression dont on s'est servi hier, je me suis vu frappé complètement d'impuissance. Je n'ai pas voulu ajouter aux engagements existants des engagements nouveaux.

Cette année, messieurs, je vais me trouver dans une situation presque identique si la chambre adopte la proposition de la section centrale. Vous voyez. par le tableau, page 12, état D, que 28,980 fr. se trouvent déjà engagés sur l'exercice courant. Il faut encore y ajouter 12,500 fr, si, par la réduction faite à l'allocation nouvelle de 50,000 fr., on me met dans l'impossibilité de reporter le subside pour le monument du chanoine Triest sur cette allocation. Il se trouvera donc, messieurs, en ajoutant aux 41,000 fr., 12,000 fr., dépense à peu près obligée pour continuation de subsides, que j'aurai à ma libre disposition environ 7,000 fr. L'année dernière, J'ai eu 6,000 fr. ; cette année, j’en aurai 7,000, mille francs de plus.

Je vais maintenant, messieurs, donner à la chambre quelques détails qui lui prouveront qu'il y a impossibilité, pour le fonds des beaux-arts, de ne pas anticiper. On a déjà cité l'exemple de commandes de tableaux. Un tableau ne se fait pas toujours en un an ; les grands tableaux se font en plusieurs années ; il en est de même des grands monuments. C'est ainsi qu'on a échelonné sur six ans la dépense pour le monument du chanoine Triest ; c'est ainsi que de grands tableaux, se faisant en deux ou en trois ans, se paient par moitié, par tiers.

Mais il y a d'autres cas où l'on est forcé de prendre des engagements par anticipation. Ainsi des subsides sont accordés aux artistes pour voyager à l'étranger. Ils sont absents deux ans ; y a-t-il possibilité de ne pas prendre un engagement envers ces artistes, pour la seconde comme pour la première année. L'arrêté royal est pris en 1841 ; mais il est évident qu'il y a engagement pris pour la continuation du voyage en 1842.

Il y a des ouvrages qui paraissent par livraisons, il y a des recueils périodiques auxquels on souscrit. Ce sont autant d'engagements pris par anticipation ; mais c'est la force des choses qui le veut ainsi.

Vous voyez, messieurs, qu'il y aurait impossibilité absolue de ne prendre aucun engagement par anticipation. Mais ces engagements par anticipation doivent être pris dans certaines limites. J'ai dit quelles étaient les limites que je m'imposais ; j’ai dit que c'était la limite du tiers ou un peu plus de l'allocation courante, et en considérant cette allocation comme l'allocation probable pour l'année suivante. Voilà les limites que je me suis imposées et que je compte bien respecter.

La proposition faite par l'honorable M. Angillis, et reprise par l'honorable M. Dedecker, me mettrait dans un très grand embarras. D'une part, elle doit me convenir, puisqu'on liquide complètement l'arriéré et qu'on rend disponible entre mes mains l'allocation entière de 60,000 francs votée pour cette année.

Mais l'on me créerait, d'un autre côté, les plus grandes difficultés en m'interdisant toute anticipation pour l'année prochaine, anticipation qui serait même justifiée par toutes les raisons que je viens de développer.

J'ai du reste vu avec satisfaction que des honorables membres de cette chambre, tout en adoptant cette proposition, n'y mettent pas des conditions aussi rigoureuses, Il me semble que les observations faites par l'honorable M. Van Hoobrouck se rapprochent beaucoup de celles que j'ai données à mon tour. J'attendrai, pour savoir jusqu'à quel point je devrais moi-même faire une proposition nouvelle.

M. Rogier. - Messieurs, la discussion a pris depuis hier une proportion exagérée, suivant moi, si on compare l'importance qu'on lui donne à celle des sommes engagées. Cependant comme une question de principe est venue s'y rattacher, et que cette question de principe s'applique non seulement aux arts, mais à tous les chiffres du budget, la chambre fera bien maintenant de s'y arrêter quelque temps.

Quant à moi, messieurs, dussé-je me répéter (et il me semble que je n'ai pas encore été suffisamment compris par tout le monde), dussé-je me répéter, je déclare positivement que si un crédit supplémentaire est devenu nécessaire, ce n'est point par mon fait ; que l'arriéré qu'il s'agit de combler n'est pas le résultat de mon administration, que je me suis, quant à moi, renfermé dans les limites des budgets de 1840 et 1841.

L'honorable M. de Theux, en quittant le ministère au mois d'avril 1840 (et j'espère bien qu'on ne prendra pas ceci pour des récriminations ; je déclare d'avance que je donne mon approbation aux actes de l'honorable M. de Theux ; ce que j'ai à dire, se borne à une simple explication ; il ne serait pas juste de mettre à ma charge des faits qui me sont étrangers) ; je dis donc que l'honorable M. de Theux, en quittant le ministère au mois d'avril 1840, avait dépensé 80,000 fr. sur le chiffre total du budget des beaux-arts, s'élevant 123,000 francs, de manière que je n'ai pu disposer pour 1840, que d'une somme de 43,000 francs.

Ce n'est pas tout : mon honorable successeur a engagé sur les exercices postérieurs à son administration une somme de 88,000 francs, indépendamment des 80,000 francs que je viens de mentionner. Ainsi, si j'avais voulu agir comme mon honorable successeur, j'aurais dû venir demander un crédit supplémentaire pour me débarrasser de tout cet arriéré : je n'avais pas même, comme mon successeur, à dépenser 6,000 francs ; je n'avais à dépenser rien du tout. Cependant, je ne suis pas venu mettre à nu un tel arriéré, j'ai continué à administrer, en espérant qu'avec le temps on parviendrait à rétablir l'équilibre.

C'est aussi principalement dans cette vue que j'avais proposé l'année dernière, des augmentations dans le budget des beaux-arts ; ces augmentations, il ne m'a pas été donné de les justifier dans cette enceinte, mais elles avaient leur source première dans la nécessité de couvrir l'arriéré.

M. le ministre de l'intérieur a agi d'une manière, pour lui, plus commode ; il n'a pas demandé d'augmentation au budget, mais il est venu proposer des crédits supplémentaires pour faire face à l'arriéré laissé par ses prédécesseurs. Chacun de vous, messieurs, pourra apprécier la différence de conduite des deux ministres dans cette circonstance.

Il faut encore remarquer que dans la somme proposée au budget de chaque année, il a toujours été tenu compte des engagements antérieurs, il a toujours été entendu qu'une partie de la somme affectée aux beaux-arts était destinée à couvrir ces engagements. La position qui serait faite au ministre de l'intérieur actuel serait beaucoup plus facile, puisqu'il aurait à dépenser 60,000 mille fr., sans aucune charge antérieure. Quant à moi, je ne m'opposerai pas à ce qu'on facilite ainsi la marche de l'administration des beaux-arts. Je crois que si l'on doit se montrer généreux, c'est envers cette administration ; mais il n'en est pas moins vrai que je ne suis nullement responsable des embarras où le ministre de l'intérieur est venu déclarer qu'il se trouvait.

J'avais, à la rigueur, le droit d'absorber tout le crédit de 1841. Ce budget m'avait coûté assez cher à l'obtenir, pour que je pusse si pas dépenser, au moins engager tout le crédit que j'avais demandé ? Eh bien, je me suis trouvé absolument dans la même position que le ministre de l'intérieur actuel, je me suis abstenu et je n'ai pu faire aucune commande sérieuse à aucun artiste, lié que j'étais par des antécédents, par des charges très considérables que mon prédécesseur m'avait léguées.

M. le ministre de l'intérieur est venu me reprocher d'avoir acheté un tableau de Teniers ; il a dit que dans les circonstances où je me trouvais, j'aurais dû m'abstenir de faire cette acquisition.

Mais, messieurs, est-ce que des tableaux d'un tel mérite, d'un tel maître sont à vendre tous les jours ? Si j'avais laissé échapper l’occasion d'acquérir ce tableau, une nouvelle occasion se serait-elle présentée l'année suivante ? Si j'ai acheté ce tableau en 1841, c'est qu'il était en vente publique ; je le déclare, je n'aurais pas eu un centime au budget pour cette acquisition que j'aurais pris sur moi de la faire sous ma responsabilité.

Quant à ce tableau, en lui-même, l'on vient de me reprocher d'en avoir fait don à la ville d Anvers. Messieurs, je n'ai pas fait don du tableau à la ville d'Anvers, un ministre n'a pas le pouvoir de faire don de propriétés publiques ; j'ai déposé le tableau dans le musée d'Anvers. Je l'ai déposé dans le musée de la ville d'Anvers pour deux raisons : d'abord, parce que le musée d'Anvers, qui est jusqu'ici le seul musée national, ne possédait pas encore de tableau de ce grand maître, qui appartient par sa naissance à la ville d'Anvers. En second lieu, je n'avais pas d'endroit plus propre pour déposer un tableau aussi précieux. Je l'avais d'abord placé dans un des salons du ministère des travaux publics mais je crois que plusieurs de mes honorable adversaires ont trouvé mauvais que je me permisse d'avoir un tel tableau dans un de mes salons. Je l'ai dès lors faire transporter dans le musée de la ville d'Anvers, c'est un dépôt et non pas un don.

Messieurs, je ne sais si je dois répondre aux autres reproches relatifs aux libéralités dont la ville d'Anvers aurait été l'objet de ma part. Il est vrai que 25,000 francs ont été accordés à son académie et que cette ville a obtenu, en outre, 30,000 francs répartis sur six années, non pas pour réparer le musée actuel, mais pour construire un musée nouveau.

Si l'on compare ces dépenses à celles qui sont faites pour d'autres localités, l'on reconnaîtra qu'elles sont bien minimes. Je crois que si la ville d'Anvers faisait ici entendre sa voix, que si l'esprit de clocher, comme on dit, animait plus vivement ses représentants, la ville d'Anvers pourrait établir que sa position vis-à-vis de beaucoup de localités est tout à fait défavorable, que la plupart des localités importantes de la Belgique sont beaucoup mieux traitées, mais ce n'est pas ici le lieu de faire des récriminations.

Si ce sont les artistes d'Anvers qui reçoivent le plus de subsides, c'est que la ville d'Anvers a toujours eu le privilège d'en produire un grand nombre. Mon Dieu ! si la commune de Waremme venait à produire des artistes, je suis persuade que le gouvernement leur accorderait des subsides avec d’autant plus de plaisir que l'existence de ces artistes serait enfin plus rare et plus extraordinaire. (On rit.)

Quant à la réserve posée par l’honorable M. Angillis, plusieurs membres pensent qu’il faudrait l’appliquer seulement au crédit des beaux-arts . Eh bien, il me semble que s'il y avait une exception à faire, une latitude à donner au gouvernement, ce serait précisément pour les beaux-arts qu'il faudrait introduire cette exception et accorder cette latitude.

Mais voyez, messieurs, quelle anomalie résulterait de l'adoption de la réduction proposée par l'honorable M. Angillis, si on l'appliquait seulement à l'art. 2. Pour cet article relatif aux beaux-arts, il serait dit qu'à l'avenir le gouvernement ne pourra pas dépasser les crédits du budget ; mais à l'article 5, où l'on demande un crédit supplémentaire pour le commerce et l'industrie on dirait que pour le commerce et l'industrie le gouvernement pourra dépasser les articles du budget. Posera-t-on ainsi un privilège en faveur de toutes les dépenses auxquelles la restriction ne serait pas applicable ? Il faut qu'on s'explique ; il faut que la réserve s'applique à toutes les dépenses, ou qu'elle ne s'applique à aucune.

Maintenant, si c'est une simple recommandation qu'on a voulu faire, je m'y associe pour ma part, surtout si l'on accorde à M. le ministre de l'intérieur de quoi se décharger de tout l'arriéré ; si M. le ministre de l’intérieur a 60,000 fr. nets à dépenser, je crois qu'il peut, sans gêne, se renfermer dans cette limite.

Je ne sais pas si, dans l'opinion de la section centrale, la restriction devrait également s'appliquer à l'art. 5 : Commerce et industrie ; je demanderai à M. le rapporteur ce qu'il en pense.

M. Dedecker, rapporteur. - Le système de dépense défendu par la section centrale n'est pas nouveau ; il est l'application rigoureuse de l'art. 115 de la constitution ; il s'applique à toutes les dépenses ; il ne peut y avoir d'exception à cette règle que pour des cas d'urgence et de nécessité absolue.

M. Rogier. - C'est donc une règle générale qui ne doit pas s'appliquer exclusivement à l'art. 2. Mais, messieurs, il y a quelque chose de bien plus fort que toutes vos prescriptions, c'est la constitution ; la constitution défend formellement au gouvernement de dépasser les crédits. Une défense faite dans cette chambre par amendement affaiblirait les prescriptions de la constitution. Pour ma part, je me déclare complètement désintéressé dans cette question. Mais je crois que la chambre ne doit faire que des choses praticables, et surtout ne pas affaiblir, par des amendements inopportuns, les prérogatives que la constitution lui donne.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L'honorable préopinant m'a adressé un reproche qui me force à prendre de nouveau la parole. Il vous a dit, en parlant de lui : je me suis trouvé en arrivant au ministère d'avril en 1840, en présence d'engagements pris antérieurement, et je me suis tu. Mon successeur, a-t-il ajouté, en parlant de moi, a trouvé en arrivant quelques-uns de ces engagements qui embarrassaient sa marche. Il ne s'est pas tu, il est venu vous demander des crédits supplémentaires. Jugez de la conduite de l'un et de l'autre. Il a semblé vous constituer juges de la délicatesse mise par l'un et l'autre de nous dans sa conduite. Je vous demande à mon tour si je pouvais agir autrement, si, en présence d'engagements aussi considérables que ceux qui existaient, je pouvais ne pas demander de combler une partie de cet arriéré, je demande si je n'étais pas forcé par des circonstances impérieuses de vous révéler ce qu'on considère, je ne sais pourquoi, comme une espèce de secret d'Etat. Je repousse donc le reproche qu'on a voulu me faire. Je n'ai entendu incriminer personne. Ce n'est pas moi qui ai pris le premier la parole pour rejeter toute la responsabilité du passé sur l'honorable M. de Theux. C'est l'honorable préopinant qui a pris l'initiative.

M. Rogier. - Vous auriez dû prendre la parole le premier pour défendre vos prédécesseurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n'avais plus à prendre la parole le premier pour défendre mes prédécesseurs. J'ai eu soin de faire connaître exactement les dates à tel point, que c'est vous qui, à l'aide des tableaux que j'ai joints au projet, avez pu établir la situation de l'administration pendant que vous en étiez le chef. Vous devriez me remercier, moi, d'avoir fourni tous les renseignements nécessaires pour établir votre défense, si tant est que vous ayez besoin d'être défendu. (Interruption).

Je fais remarquer de nouveau, que le préopinant a cherché à démontrer que tout l'arriéré remontait à l'administration de M. de Theux. J'en demande pardon à l'honorable membre, j'ai suivi tous les détails qu'il a donnés, et en consultant les tableaux que chacun a sous les yeux, j'arrive à un résultat qui n'est pas celui qu'il a trouvé.

Je vous prie de jeter les yeux sur l'état B, les cinq premiers numéros concernent l'administration de M. de Theux, ils s'élèvent à la somme de 29,983 fr. Je passe à l'état C, les deux premiers numéros se rapportent à l'administration de M. de Theux, mais on ne peut pas dire qu'il y eût de la part de M. de Theux engagement absolu ; le tableau de M. Gallait était commandé, le prix n'était pas fait, mais une somme considérable avait été payée d'avance, on avait payé 14 mille francs à compte sur ce tableau. C'est aujourd'hui le ministre de l'intérieur qui demande 11 mille francs pour compléter le payement de ce tableau. Quant au deuxième, celui de M. Debiefve, M. de Theux a alloué cinq mille francs, et les sept mille francs que je demande sont en dehors du contrat, c'est une question d'équité. Je dis donc que les deux premiers numéros de l'état C ne doivent être mis sur le compte d'aucun des ministres. C'est une question d'équité en dehors des engagements formels.

Enfin, j'arrive à l'état D, les trois premiers numéros se rapportent à l'administration de M. de Theux. Ce sont de simples souscriptions.

M. Rogier.- Mais il y a trois tableaux que j'ai indiqués et qui ont été commandés par M. de Theux, ce sont les tableaux de Robbe de Leys, de Verboeckoven et celui de Dickmans, pour lequel il y avait engagement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ces tableaux ont été commandés en vertu d'arrêtés royaux contresignés par vous ; c'est ce que porte au moins l'état D.

Les 3 numéros de l'état D montent à 1,500 francs, auxquels j'ajoute les deux derniers sixièmes du monument du chanoine Triest et j'arrive à la somme de 50,000 fr.

M. Rogier. - Et les quatre tableaux que je viens d'indiquer.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai vérifier.

M. Rogier. - M. de Theux est là qui pourrait s'en expliquer ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le surplus du déficit créé en douze mois est de plus de 50,000 fr. Il provient de l'administration précédente.

M. Rogier a été ministre 12 mois, et il a dépensé, de son chef, sur le budget de 1840, 33,941 fr., et, sur le budget de 1841, 30,700 ; de plus les engagements de ce ministre s'élèvent à 40,100 fr., y compris les 20,000 fr. pour les 2 statues. De sorte qu'il a imputé, payé ou engagé une somme de 104,741 fr., d'avril 1840 à avril 1841. (Interruption.)

On me dit que c'est sur deux budgets. C'est impossible, car s'il s'attribue à lui seul le budget de 1841, M. de Theux aura le droit de s'attribuer le budget de 1840, puisque c'est lui qui l'avait obtenu dans cette chambre ; il pourrait aussi invoquer les peines qu'il s'était données pour l'obtenir. Il n'est donc pas exact de dire que les deux budgets aient appartenu à l'honorable M. Rogier.

M. Rogier. - Je ne les ai pas absorbés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. Rogier a été ministre 12 mois, et il a payé de son chef ou pris des engagements jusqu'à concurrence d'une somme de 104,741 fr.

Je fais cette observation, parce qu'il semble que c'est de gaieté de cœur que j'ai demandé des crédits supplémentaires, que j'aurais dû continuer la marche de mes prédécesseurs. En arrivant au ministère, je me suis fait rendre compte de la situation du fonds des beaux-arts, et j'ai reconnu que je devais m'abstenir de toute dépense. Si les crédits que j'ai demandés ne sont pas intégralement alloués, je suis réduit à 7 mille francs. C'est la seule somme disponible. Je tenais à ce qu'il fût démontré qu'il m'était impossible de faire autrement que de porter la question devant la chambre, mais ce n'est pas moi qui lui ai donné les proportions qu'on lui donne en ce moment.

M . Van Hoobrouck. - Je ne reviendrai pas sur les calculs que j'ai présentés. Je veux m'abstenir, même aux dépens de mon amour-propre, de jeter de l'irritation dans ces débats. Mais toujours est-il que nous sommes en présence d'un déficit de 100 et tant de mille francs, puisque c'est le montant des crédits supplémentaires demandés par M. le ministre de l'intérieur.

M. Rogier a pensé qu'il suffisait de voter chaque année une somme pour les dépenses antérieures. C'est ce système que je blâme et que je trouve déplorable, car en accumulant ainsi des dépenses d'années en années, on arrive à un déficit dont la chambre n'a pas connaissance. Et la somme que vous êtes appelés à voter, vous la votez en aveugles.

Vous devez une bonne fois mettre un terme à un pareil état de choses. Je ne veux pas d'autre preuve des inconvénients de ce système que les observations présentées par trois honorables collègues arrivés successivement au ministère de l'intérieur. A l'un il n’est rien resté à dépenser et à l'autre il n'est resté que 6 ou 7 mille fr., alors que tous les ans vous avez voté une somme de 60 mille fr. pour face aux dépenses des beaux-arts. Je dis qu'il est temps de mettre un terme à ce système, et pour y arriver, il n'y a pas autre chose à faire que d'adopter l'amendement de M. Angillis.

Maintenant je crois devoir donner quelques explications sur la portée de cet amendement comme je le comprends, parce que je pense qu'il n'a pas été bien saisi. Que dit l'amendement ? Que le ministre ne peut pas faire de dépenses par anticipation, à moins que celles que commande une bonne et sage administration, quel nécessitent les circonstances. Mais il dit que le crédit alloué ne peut pas être dépassé. Voilà où est la question. C'est-à-dire que si vous allouez 60 mille francs pour les beaux-arts, il faut que le ministre se renferme dans ce cercle. Il ne faut pas que, soit par engagement antérieur qui se prolonge à un autre exercice ou autrement qu'il engage les exercices subséquents, de manière que les crédits suivants soient absorbés. C'est avec cette réserve que je donnerai mon appui à l'amendement, parce qu'il ne présente aucun inconvénient et qu'il est temps de remédier à un grand abus, celui d’anticiper sur les exercices futurs.

M. Dumortier. - Une très longue discussion a déjà eu lieu sur l'article qui nous occupe, cependant je ne puis m'abstenir de faire un observation. Il y a ici deux questions, une question de droit et une question de fait. Quant à la question de droit, les principes qui ont été posés sont incontestables. Je crois que personne ici n'oserait les révoquer en doute. En droit, les limites dans lesquelles doit se renfermer un ministre sont tracées par le budget. En fait, il faut cependant convenir qu'en certaines matières il est impossible de ne pas prendre certaines mesures qui modifient le droit rigoureux. L'article qui nous occupe est dans ce cas. Par exemple, comment souscrire aux ouvrages qui se publient par livraison, si on ne peut pas s'engager à payer les livraisons qui paraîtront l'année suivante. Pour les bibliothèques de l'Etat, on ne pourra pas souscrire aux ouvrages périodiques, pour ne pas engager l'avenir. Vous voyez que le principe qu'on a invoqué, poussé à l'extrême, devient d'une application très difficile. Dans l'espèce il faut examiner les faits. Les voici : Le gouvernement est dans l'impossibilité de marcher ; c'est pour cela qu'il demande un crédit supplémentaire. Je voterai ce crédit, Je ne voterai ni la proposition de la section centrale ni celle de M. Angillis. D'abord je ne voterai pas la proposition de la section centrale parce qu'elle propose d'allouer 82,000 fr. tandis que le gouvernement n'en demande que 60,000 et que je n'ai pas l'habitude de donner au gouvernement plus qu'il ne demande.

Je ne voterai pas l'amendement de l'honorable M. Angillis, parce qu'il lierait la législature et qu'en tout état de choses nous ne devons pas lier la législature ; nous devons, au contraire, lui laisser toute liberté. Ne pouvant lier les ministres, nous ne devons pas nous lier nous-mêmes. C'est à quoi tendrait l'amendement de l’honorable M. Angillis.

Je pense que nous n'avons qu'une chose à faire, c'est de voter l'article du projet du gouvernement.

Puisque j'ai la parole, je voudrais avoir une explication sur une question de fait ; car je me préoccupe plus des faits que des principes, sur lesquels nous sommes tous d'accord.

Je vois qu'on demande 10,000 fr. pour la statue de Rubens, 10,000 fr. pour la statue de Grétry.

Si je suis bien informé, des souscriptions avaient été faites ; des villes avaient voté des fonds ; les deux statues étaient érigées ; enfin, depuis plusieurs années la dépense était effectuée. Je comprends que le gouvernement donne un subside pour une dépense qui se fait, ou pour une dépense à faire, mais pour une dépense faite, je ne le comprends pas. Je voudrais savoir s'il y a eu déficit dans les souscriptions, ou si l'on a voulu se montrer généreux pour les villes qui ont élevé les deux monuments.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les souscriptions ont été insuffisantes ; le déficit excède même de beaucoup la somme de 10,000 fr. Si mes renseignements sont exacts, le déficit est de plus de 15,000 fr. ; c'est à tel point que l'on se propose de demander une nouvelle somme de 5,000 fr. pour achever ce monument. Mais je serai dans l'impossibilité d'accorder à la ville d'Anvers ce supplément de subside qu'elle se propose de me demander ; je saisis avec empressement cette occasion de le déclarer.

A Liége les souscriptions ont été également insuffisantes ; 10,000 fr. ont été accordés ; là on ne demande pas de supplément.

Je ferai remarquer qu'un subside de 10,000 fr., pour une statue n'est pas une somme bien considérable. C'est un encouragement que le gouvernement a donné, sans aller aussi loin que lorsqu'il commande des tableaux. Il a fait faire une dépense de plus de 50,000 fr. en accordant une somme de 10,000 fr.

M. Dedecker, rapporteur. - Je suis vraiment étonné de voir que certains orateurs que vous venez d'entendre trouvent extraordinaire l'importance qu'on attache à ce débat. En effet, si l'on jugeait de l'importance de la question par la hauteur des chiffres qui sont en jeu, l'importance ne serait pas très grande. Mais ici il s'agit d'un principe consacré par la constitution ; certainement, comme vient de le dire l'honorable M. Dumortier, il y a aussi une question de fait ; mais nous ne pouvons pas utilement nous en occuper, puisque le fait est malheureusement accompli. Tout vos raisonnements, toutes vos récriminations ne feront pas disparaître ce fait devant lequel nous n'avons plus à discuter que pour l'avenir, et pour tâcher d'arriver à une saine application des principes.

Pour moi, loin de faire au ministre un reproche de la franchise avec laquelle il a dévoile la situation réelle du fonds des beaux-arts, je lui sais gré d'avoir eu le courage de révéler des abus qui pouvaient avoir pour eux la légitimité de l'habitude, mais dont la gravité a ouvert les yeux de la chambre sur la nécessité de résoudre la question de constitutionnalité qui s'y rattache.

Un honorable membre, dans la séance d'hier, s'est étonné de voir une si grave question, à l'occasion d'une simple demande de crédit. Je trouve, moi, que jamais la discussion de cette question ne s'est présentée avec plus d'à-propos. Pour la première fois la législature, saisie d'une demande de crédit de cette nature, assiste à la révélation officielle de la violation continuelle de l'art. 115 de la constitution.

L'honorable ministre de l'intérieur est venu justifier sa manière de faire, en matière de beaux-arts, en vous alléguant la jurisprudence administrative relative à la construction des routes ; mais remarquez la différence entre les deux cas. Pour la construction des routes, il y a une loi, qui a mis à la disposition du département des travaux publics l'excédant du produit des barrières. Ainsi, il y a là d'avance une recette légale. On conçoit donc que le ministre puisse prendre des engagements relatifs à la construction des routes, puisque, d'avance, il a, en vertu de la loi, un moyen sûr et déterminé d'y satisfaire. Seulement, comme on ne peut prévoir exactement le produit des barrières, le gouvernement ne peut s'engager à des dépenses fixes pour la construction des routes, puisque la recette n'est pas fixe.

M. le ministre de l'intérieur, pour justifier le système du gouvernement, en matière de dépenses, allègue l'urgence ou la nécessité absolue. La section centrale paraît d'accord avec M. le ministre de l'intérieur ; elle aussi, elle admet les raisons d'urgence ou d'absolue nécessité. Elle accuse encore un excédant dans la dépense, quand il est le résultat de l'exécution de la loi ; c'est le cas pour les 20,000 francs demandés pour frais des jurys d'examen. Mais ici, en matière de beaux-arts, quand un ministre, connaissant la somme qui est à sa disposition, prend des engagements qui excèdent cette somme, il n’y a pas nécessité absolue ; c'est bien volontairement, et de propos délibéré, que le ministre s'engage au-delà, du chiffre qui lui est alloué.

Encore comprendrais-je ces engagements, quand ils ne se font que par des promesses ministérielles ; mais il n'en est pas de même quand la prérogative de la Couronne est engagée par des arrêtés royaux.

Le système que la section centrale propose est si peu nouveau que, dans le budget de l'intérieur, pour différents allocations absolument de même nature, on a admis un libellé spécial au budget. Vous avez admis pour les encouragements à donner à l'industrie cotonnière un subside dont l'ensemble montera à 250, 000 fr. On vous a demandé une somme de 70,000 fr. imputable sur le budget de cette année ; cependant, on aurait pu aussi, d'après le système de M. le ministre de l'intérieur, porter cette somme engagée par l'honorable M. de Theux sur le chiffre général : Encouragements au commerce.

Vous avez le subside de 30,000 fr. accordé à la ville d'Anvers pour l’agrandissement du local de son Musée ; pour cette année, la chambre a voté un libellé spécial de 5,000 fr., sixième de la somme totale.

Le crédit pour le monument de la place des Martyrs appartient à la même catégorie. Chaque année on a demandé, sous un libellé spécial, une partie de la somme nécessaire pour la construction de ce monument.

Je ne puis donc, messieurs, que persister à défendre le système de la section centrale, qui, je le répète, n'est que le système consacré par la constitution.

L’honorable M. Dumortier reconnaît que l'art. 115 de la constitution est formel en matière de budget ; cependant, par les exceptions qu’il admet, il en permet la violation. Je ne conçois pas cette manière de raisonner ; la section centrale a du moins le mérite d’être conséquente avec elle-même.

M. Desmet. - J’ai demandé la parole, quand j'ai entendu que M. le ministre de l'intérieur ne se ralliait pas aux observations de la section centrale. J’avais pensé que le ministre aurait reconnu qu’il devait se renfermer dans les limites de son budget. Pour soutenir le système contraire, il a cité plusieurs exemples ; il a cité les dépenses du chauffage du ministère ; mais pour ces dépenses qui sont toujours les mêmes, il est facile de rester dans les limites du budget. Il est vrai qu’une année, on a demandé une augmentation à l’article matériel d’un ministère, afin de faire une provision double de bois ; mais je ne pense pas que cela soit nécessaire tous les ans. Il a également cité les routes ; là les dépenses sont de trois espèces : nouvelles constructions ; entretien ordinaire ; entretien extraordinaire ; les deux premières espèces de dépenses sont faciles à prévoir ; mais pour la dernière, par exemple dans le cas d’un dégel, quand on n’a pas fermé les barrières à temps, il peut y avoir des dépenses imprévues, dans ce cas, le ministre doit faire la dépense sous sa responsabilité et se présenter devant les chambres pour demander un bill d’indemnité.

Quoique d’accord avec l’honorable M. Angillis, je ne pourrai voter son amendement, surtout à cause de la finale qui lierait la chambre. Le vœu de la section centrale était que l’on fît maison nette et que l’on respectât désormais le principe consacré par l'art. 115 de la constitution.

On a parlé d'un tableau qu'il fallait absolument acheter. Mais si tous les tableaux de haut prix dont la vente se présente devaient être absolument achetés, il se présenterait tous les ans des marchés pareils à faire ; tous les ans on voit vendre des Van Dyck, des Crayers, des Teniers. Si chaque fois le gouvernement devait acheter, on pourrait tous les ans dépenser 3 à 4 cent mille francs. Il va encore se faire une vente où on pourra acquérir un Van Dyck, le gouvernement donc aussi l'acheter.

Je crois, messieurs, qu'il faut adopter la proposition que vous fait l'honorable rapporteur de la section centrale ; qu'il faut voter le crédit nécessaire, et décider que le ministre doit rester dans les limites des crédits votés.

J’ajouterai encore un mot.

La section centrale a cru devoir défalquer du fonds accordé pour élever des statues aux grands hommes les 20,000 fr. engagés pour les statues de Rubens et de Grétry ; je crois, quant a moi, qu'il ne faut pas faire cette réduction, il faut que le ministre de l'intérieur ait l’article pour les beaux-arts libre pour cette année. D'ailleurs, que voulons-vous ? que veut surtout votre section centrale ? Que vous liquidiez totalement les arriérés des dépenses faites ; mais tous les arriérés payés, que les ministres restent dans les rigoureuses limites de chaque article du budget. Nous voulons la constitution, rien de plus que la constitution, mais nous voulons aussi que la constitution ne soit pas une lettre morte entre les mains des ministres et que le principal objet de cette constitution, qui est le budget, soit religieusement observé, et quoiqu'on en dise, la chose est très praticable, c'est même un moyen, comme je l'ai dit hier, pour les ministres, de se défaire plus facilement des sangsues du budget.

M. de Theux. - Messieurs, nous sommes tous d'accord sur un principe : c'est que le gouvernement ne peut jamais sortir des limites du budget en ce sens que les chambres ne peuvent jamais être liées par un acte du gouvernement excédant les allocations du budget.

Cependant nous ne sommes pas d'accord sur l'amendement de M. Angillis, ni sur celui de M. Dedecker.

Quant à moi je pense que, quoi que vous votiez relativement à ces amendements et surtout à celui de l'honorable M. Dedecker, rien ne sera décidé. Tout ce qui sera décidé avec ce dernier amendement, c’est que la chambre aura majoré le crédit demandé par M. le ministre de l'intérieur.

Si l'on veut décider quelque chose, messieurs, c'est, comme l'a fort bien dit M. Angillis dans le discours qu'il a prononcé à l'appui de son amendement, c'est dans la loi de comptabilité qu'il y aurait une disposition à introduire, si tant est que la chambre croie que cela est nécessaire. .

Du reste la discussion qui a eu lieu jusqu'à présent ne sera pas perdue. Chacun pourra faire ses réflexions, et le gouvernement lui-même aura le temps de méditer les conséquences d'une disposition qui pourrait être proposée dans la loi de comptabilité.

Remarquez, messieurs, que l'honorable M. Dedecker et d'autres membres qui ont appuyé son amendement, reconnaissent qu'il suffirait, pour que le ministre se mit à l’abri de tout reproche, qu'il indiquât, par exemple, dans les développements de son budget les dépenses qu'il se propose de faire, comme pour un tableau dont le prix serait imputé sur plusieurs exercices. Mais, messieurs, cette indication qui pourrait suffire pour satisfaire la chambre, suffira-t-elle pour satisfaire le sénat, pour satisfaire la cour des comptes ? Il n'y a pas de vote sur les développements du budget ; il n'y a de vote que sur le chiffre.

Ainsi si on prétendait que l'adoption de l'amendement de M. Dedecker constituât une loi, je dis qu'aucune exception ne serait possible et qu'on ne pourrait se prévaloir, devant la cour des comptes des développements du budget.

Il faudrait faire autant d'articles spéciaux ; et si vous entriez dans le système de faire autant d'articles spéciaux qu'il y a de différentes dépenses à faire sur plusieurs exercices, je vous garantis qu'il en résultera une très grande majoration dans les dépenses ; parce que, indépendamment des dépenses spéciales qu'on aura indiquées, on demandera toujours un crédit global pour les éventualités.

Déjà, dans une session précédente, j'avais dit que la chambre se trompait en croyant obtenir des économies, en divisant les crédits qu'on avait toujours votés globalement pour les beaux-arts et les lettres. La chambre avait adopté mon opinion et n'avait pas divisé le crédit, Mais maintenant qu'on divise le crédit, il en est résulté des majorations considérables sur divers libellés. C'est une maxime incontestable, que plus la chambre divisera les crédits, plus les dépenses augmenteront ; parce que le gouvernement demandera toujours à conserver une certaine latitude, indépendamment des crédits spéciaux, et la chambre sera forcée de lui accorder sa demande.

Ce qui s'est passé jusqu'à présent n'avait donné lieu à aucune difficulté. Cependant les faits n’étaient pas inconnus. Tous les ans on a fait connaître à la section centrale du budget la situation des dépenses faites et souvent aussi des imputations à faire sur le crédit pour les beaux-arts. Ainsi, en ce qui concerne le monument du chanoine Triest, dont la dépense doit se faire en six exercices, ce fait n'a pas été ignoré par la chambre, au moins après l'arrangement pris, et la cour des comptes, régulatrice des dépenses, n'a pas fait de difficulté à cet égard. Elle a appliqué, pendant trois ans que j'ai été ministre, les trois premiers sixièmes sur le crédit pour les beaux-arts, et elle en continue l'application sur les budgets de 1841 et de 1842. Ceci justifie l'entière bonne foi de l'administration relativement aux errements suivis jusqu'à présent.

Mais tout dépend, comme je l’ai dit, des bornes que le ministre s'impose dans les imputations qu'il répartit sur les exercices futurs. Ainsi, quand le travail commandé doit durer pendant plusieurs années, il est naturel de répartir la dépense sur plusieurs exercices.

C'est ce qui est arrivé pour le monument du chanoine Triest qui ne devait être achevé qu'en six ans. C'est ainsi encore que le prix des tableaux commandés pour l'exposition de cette année a dû être réparti sur différents exercices, parce que les artistes ne peuvent en général faire des avances assez considérables pour l'exécution de leur œuvre. Et cependant il est nécessaire, lorsque l'on sait qu'une exposition aura lieu à des époques déterminées, de faire quelques commandes. C'est une marche qui a été généralement suivie. C'est d'ailleurs un moyen d'avoir quelques bons sujets de peinture, et d'engager les bons artistes à travailler pour l'exposition.

Toutefois je n'approuve pas qu'on se mette dans le cas de demander des crédits supplémentaires pour les dépenses décrétées. Ainsi, par exemple, des engagements se trouvent pris sur l'exercice courant. On a connaissance de ces engagements. Si on veut faire des dépenses au-delà de ce qui reste libre sur l'exercice courant, il faut en avertir la chambre avant de contracter ces dépenses, et de cette manière on évite les demandes de crédits supplémentaires.

Quant à ce qui me concerne, je n'ai jamais nié et je reconnais encore aujourd’hui que j'ai contracté plusieurs obligations imputables sur les exercices suivants ; mais je dis encore que, quoique je n'aie pas pu vérifier les dossiers relatifs à ces imputations, je ne suis jamais sorti des bornes d’une juste modération, en suivant l'usage tacitement reconnu par la chambre, et explicitement reconnu par la cour des comptes ; M. Rogier a cru pouvoir disposer comme si aucun engagement n'avait existé, il a même dû reconnaître qu'il s'était engage pour 131,000 fr., en y comprenant les statues de Rubens et de Grétry, ce qui surpasse de 11,000 fr., le crédit libre d'une année, et cela indépendamment de l'arrêté pour l'Académie d'Anvers.

En ce qui concerne le peu de fonds qui sont restés libres il est cependant une observation à faire qui n'a pas encore été présentée dans cette chambre, c'est que des dépenses spéciales assez considérables ont été proposées et votées cette année.

Ainsi, quant au crédit nouveau de 50,000 fr., pour monuments à élever aux grands hommes, l'honneur en revient à M. le ministre de l'intérieur qui a proposé ce crédit, et qui l'a obtenu. Il a également obtenu de la chambre la première allocation de 16,000 fr. pour majorer le subside à l'académie d'Anvers. Cette majoration avait été décidée sous l'administration de l'honorable M. Rogier, je le sais ; mais l'honneur d'avoir obtenu les fonds appartient à M. Nothomb. Il est plusieurs autres majorations qui ont été proposées au budget et qui ont été accordées, et dont M. le ministre de l'intérieur peut revendiquer l'honneur.

J'approuve donc beaucoup qu'il ne demande pas une somme de 60 000 fr, pour encouragements généraux ; car s'il obtenait cette somme, il se trouverait dans une position infiniment plus agréable qu'aucun de ses prédécesseurs.

Je dois messieurs, rectifier encore un fait. L'honorable M. Rogier vous a dit que j'avais laissé à mes successeurs une dette de 75,000 fr. pour le monument du chanoine Triest. C est une erreur. Le monument entier ne devait coûter que 75,000 fr. Or la moitié de cette somme avait déjà été payée sous mon administration, de sorte qu'il n'était plus dû que la moitié.

Du reste je n'ai fait aucune espèce de récrimination, j'ai donné l'explication de ce qui s'est passé, je reconnais avec franchise les engagements que j'ai pris ; je n'en dénie aucun ; mais je dis que cette marche a été tacitement reconnue par la chambre, et explicitement approuvée par la cour des comptes.

En terminant, je déclare que je ne voterai pas pour l'amendement de l'honorable M. Dedecker, parce que son adoption n'aurait pour effet que d'augmenter les dépenses pour cette année, sans atteindre le but que se propose son auteur. Mais quand on discutera la loi de comptabilité, je suis prêt à poser de justes limites aux abus qui pourraient résulter des imputations sur les budgets futurs ; car je reconnais que des abus graves pourraient être commis. Toutefois les dangers ne sont pas tout à fait aussi graves qu'on se l'imagine. Car chaque ministre, en s'engageant à des dépenses de cette nature, sait fort bien qu'il pourrait devenir civilement responsable de ces engagements, si la chambre ne les reconnaissait pas ; de telle manière que jamais un ministre ne s'exposera à voir refuser, par la chambre, les fonds qu'il engage. A mon avis il faut une utilité évidente, une certitude morale de l'approbation de la législature, pour qu’on engage une dépense sur un exercice futur.

M. Donny. - Je crois avec la section centrale que le système qu'on a suivi jusqu'ici ne doit pas durer plus longtemps. S'il pouvait rester quelque doute sur le vice de ce système, il suffirait, à mon avis, pour le faire disparaître, de se rappeler ce que se sont dit les ministres d'autrefois et les ministres d'aujourd'hui.

Vous avez entendu l'honorable M. de Theux dire à plusieurs reprises qu'il était constamment resté dans les bornes de la modération, et cependant son successeur, l'honorable M. Rogier, s'est plaint de ce que son prédécesseur lui avait lié les mains, de ce qu'il ne lui avait laissé qu'une somme minime à dépenser. L'honorable M. Rogier, à son tour, a protesté qu'il avait été fort modéré ; et son honorable successeur M. Nothomb vous présente une demande de crédit supplémentaire en vous disant qu'il ne lui reste plus rien.

Vous voyez donc, messieurs, que, dans le système actuel, lorsque les ministres sont modérés, l'avenir est non seulement engagé, mais pour ainsi dire épuisé, que sera-ce si jamais ils sortent des bornes de la modération. (Hilarité.)

Messieurs, je n'ai entendu opposer au système de la section centrale qu'un seul argument qui semble mériter quelque attention, et cet argument a été présenté par tous les adversaires du système de la section centrale ; il consiste à dire que ce système est impraticable, parce qu'il mettrait le ministre dans l'impossibilité de prendre des engagements pour plus d'une année. Si cette impossibilité était réelle, l'argument serait extrêmement grave, mais rien n'est moins réel que cette impossibilité. Je suppose, en effet, qu'on accorde à un ministre 60,000 fr. pour les beaux-arts ; un artiste se présente et demande à faire un tableau qui doit lui prendre deux années de travail et qui devra coûter 20,000 francs, payables en deux ans ; dans le système de la section centrale, le ministre se trouvera-t-il dans l'impossibilité d'accepter l'offre de cet artiste ?

Mais non, indubitablement non, la seule différence qu'il y ait à cet égard entre le système suivi jusqu'ici et celui de la section centrale, c'est que dans le système actuel le ministre paiera 10,000 fr. sur l'exercice courant et léguera une dette de 10,000 fr. à l'exercice suivant, tandis que dans le système de la section centrale, il paiera les 20,000 fr. sur le budget de l'exercice courant ; dans l’un cas et dans l’autre le paiement sera fait en deux fois ; il sera fait en deux années, mais dans le système de la section centrale il sera imputé sur un seul budget ; on sait qu'un budget n'est pas clos dans une année, on peut pendant trois années payer sur un même budget et dès lors on peut payer l'année prochaine sur le budget de l'année présente.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - De cette manière on ne pourrait commander que deux ou trois tableaux par an.

M. Donny. - Cette objection ne peut pas être sérieuse et je vais le prouver. M. le ministre lui-même a dit à plusieurs reprises qu'il s'était imposé le système suivant : « J'admets, a-t-il dit, qu'un ministre doit prendre à sa charge une dette contractée par son prédécesseur, mais je soutiens en même temps qu'il a le droit d'engager l'avenir dans une proportion semblable. »

Eh bien, messieurs, lorsque le ministre aura agi d'après ce principe que lui restera-t-il de plus que dans l'autre système ? Rien, absolument rien. Je suppose que les chambres lui aient alloué un crédit de 60,000 fr. ; qu'il ait trouvé une dette de 20,000 fr. contractée par son prédécesseur et qu'il engage à son tour l'avenir pour 20,000 fr. ; il aura à sa disposition 60,000 fr. et rien de plus. Ne sera-ce pas précisément la même chose que s'il n'avait accepté aucune charge du passé ni grevé l'avenir d'aucune charge nouvelle ?

Je crois donc que le système de la section centrale ne présente aucun inconvénient et qu'il faut revenir à ce système.

L'honorable M. de Theux a fait observer avec raison que l'adoption de l'amendement de M. Dedecker ne lierait pas légalement le ministère ; mais, messieurs, ce qui se dit dans cette enceinte en faveur d'une disposition adoptée ensuite par la chambre, forme un lien moral tellement fort, que si un ministre, après le vote d'un amendement semblable à celui de M. Dedecker, se permettait d'agir contrairement à l'opinion qui aurait triomphé à la chambre, ce ministre courrait fortement risque de voir refuser le crédit supplémentaire qu'il viendrait demander plus tard pour faire face à une dépense qu'il se serait ainsi permis de faire en opposition avec l'intention manifestée par la législature ; pour ma part, je serais très disposé à repousser un crédit de ce genre et à laisser la dépense pour le compte du ministre qui l'aurait faite.

M. Eloy de Burdinne. - M. le ministre de l'intérieur nous a dit messieurs, que la ville d'Anvers est la ville des beaux-arts par excellence. Cela ne prouve pas cependant qu'il n'y ait pas d'autres villes ayant également le droit de voir encourager leurs artistes. J'ai demandé à M. le ministre s'il était vrai que la presque totalité des subsides destinés à l'encouragement des beaux-arts eussent été distribués à des artistes d'Anvers. Si Anvers s'est distingué sous le rapport des arts, nous avons d'autres villes cependant où il y a aussi des artistes ; n'avons-nous pas Gand, Bruxelles, Tournay et Liége ? L'honorable M. Rogier a parlé de Waremme ; eh bien, messieurs, s'il y avait des artistes à Waremme, devraient-ils être exclus de la distribution des encouragements donnés aux beaux-arts ? On a donné 300 fr. pour la musique de Waremme ; or, si Waremme a des musiciens, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas avoir des artistes d'un autre genre, et certainement, s'il y en avait, ils auraient autant de droit que ceux d'Anvers à recevoir des encouragements. La répartition des subsides destinés aux beaux-arts doit être faite avec équité sans partialité.

On nous demande, messieurs, une somme de 80,000 fr. pour combler le déficit que présente l'article des beaux-arts, en d'autres termes on nous demande une nouvelle allocation de 80,000 fr. pour les beaux-arts. Sans doute, je suis, autant que qui que ce soit, partisan des beaux-arts ; mais il faut cependant régler ses dépenses sur ses ressources. Quand nous nous sommes occupés du budget des voies et moyens,on disait de toutes parts qu'il serait impossible de couvrir les dépenses par les revenus portés à ce budget ; mais, messieurs, c'est là une raison qui devrait nous porter à ne pas voter à chaque instant des dépenses nouvelles, alors surtout que nous voyons nos ressources diminuer ; nous examinons en ce moment dans les sections un projet de loi qui tend à réduire la patente des bateliers de manière à faire subir au trésor une perte de 100 à 150,000 fr. Si nous continuons à marcher dans cette voie à augmenter sans cesse nos dépenses et à diminuer en même temps nos recettes, nous arriverons infailliblement à un déficit énorme.

M. le ministre de l'intérieur a dit que la proposition de l'honorable M. Angillis le met dans un grand embarras. Je ne conçois pas trop comment nous pourrions embarrasser M. le ministre en lui accordant 80,000 fr. ; il me paraît que M. le ministre serait bien plus embarrassé s'il n'avait à sa disposition que 6 ou 7 mille francs. C'est sans doute la condition à laquelle l'honorable M. Angillis veut accorder ces 80,000 fr. qui embarrasse M. le ministre. Eh bien, je déclare que, pour ma part, je ne donnerai jamais mon assentiment à ce qu'un ministre puisse anticiper sur les exercices futurs. Je pense que le gouvernement doit se renfermer strictement dans les limites du budget ; si des dépenses indispensables se présentent en dessous de ces limites, c'est au ministère à venir demander aux chambres les fonds nécessaires pour couvrir ces dépenses. Sans doute il est des circonstances où un ministre peut engager l'avenir, c'est lorsque les chambres ont autorisé une dépense qui doit être répartie sur plusieurs années. La loi relative aux barrières, par exemple, statue que l'excédant du produit des barrières doit être employé à la construction de routes nouvelles ; le gouvernement peut donc parfaitement adjuger des travaux de routes qui doivent être payés sur des exercices futurs, parce qu'il est toujours certain d'avoir à sa disposition les fonds nécessaires pour payer ces travaux. Mais le gouvernement ne peut pas anticiper sur des crédits de la nature de celui dont il s'agit en ce moment, car ce sont là des crédits annuels que la chambre est toujours libre de refuser.

Les beaux-arts, messieurs, présentent en ce moment un déficit de 60 et des mille fr. provenant de ce qu'on a anticipé sur les exercices futurs ; tous les ministres passés se déclarent parfaitement innocents de ces anticipations, Comment voulez-vous reconnaître, messieurs, à qui il faut attribuer ces dépenses faites contre les intentions de la législature, contre le vœu de l'art. 115 de la constitution ? Si les ministres ont le droit de dépenser plus d'argent qu'on ne leur en accorde, alors, messieurs, il faut effacer l'art. 115 de la constitution, alors il est parfaitement inutile de voter des budgets.

L'honorable M. de Theux, messieurs, dit que c'est une question de savoir si les ministres ne peuvent pas sortir des limites de leur budget. Je crois que ce n'est pas du tout là une question. Que s'est-il passé à cet égard dans un pays voisin ? En France un ministre a pris sur lui de faire une dépense à laquelle il n'était pas autorisé par la législature ; eh bien, la législature a laissé cette dépense pour le compte du ministre qui l'avait faite. Dans mon opinion, c'est ainsi que les choses doivent se passer, et lorsqu'un ministre se permettrait d'acheter, par exemple, un tableau sans que la chambre ait mis à sa disposition les fonds nécessaires, je laisserais le tableau à ce ministre et il n'aurait qu'à le payer.

Je bornerai là mes observations.

M. Angillis. - Messieurs, la condition que j'ai proposée dans mon amendement, je l'ai puisée dans la constitution : la constitution défend à un ministre de dépasser les allocations de son budget. Cette règle est observée dans tous les pays qui ont une constitution, et par conséquent des budgets. C'est là la règle, mais toute règle admet des exceptions. Si donc, dans l'intervalle des sessions, il y a des dépenses urgentes et imprévues à faire, la chambre ne se refusera pas sans doute à les ratifier, en votant les fonds nécessaires pour les payer.

Messieurs, d'honorables députés ont pensé que ma proposition tendait à lier la chambre pour l'avenir. C'est une erreur : la chambre ne peut pas se lier pour l'avenir ; il s'agissait uniquement dans ma proposition d'une recommandation, d'un appel à l'attention des ministres, pour ne pas sortir des limites des budgets avec menace, si j'ose le dire, de ne plus allouer facilement des crédits supplémentaires. Voilà tout le but de la condition posée dans ma proposition, et la discussion qui a eu lieu dans cette chambre a fait connaître assez cette intention. Maintenant que la chambre a clairement exprimé sa volonté, la proposition devient, selon moi, sans objet, le but que j'avais en vue étant atteint, je déclare retirer ma proposition.

M. Demonceau. - Messieurs, je vous ai déjà dit dans une séance précédente que je voulais rester étranger à toutes les récriminations que MM. les ministres se sont adressées. Cependant, je dois dire une chose, et une chose qui me peine : c'est que j'ai cru m'apercevoir que les ministres pensaient que nous votions les allocations pour eux et non pour le pays, car ils se sont reproché des choses qui bien certainement n’ont pas préjudicié aux artistes.

La question de légalité, disions-nous hier, est une question incontestable ; aujourd'hui, il n'y a plus de doute à cet égard ; le seul doute qui reste, c'est que tous les ministres ne veulent pas reconnaître le véritable principe constitutionnel.

La constitution veut que toutes les dépenses soient votées par les chambres, et préalablement par la chambre des représentants. On ne peut donc rien dépenser, ni rien engager qu’autant que la chambre ait voté un crédit. Voilà ce que dit la constitution en toutes lettres.

C'est la chambre qui la première est appelée à voter les dépenses. Si, lorsque vous avez voté une dépense, le pouvoir exécutif, qui est chargé de l'exécution de la loi, excède les allocations qui lui ont été accordées, il enfreint la constitution.

Le pouvoir exécutif exerce ses attributions de la manière dont elles sont réglées par la constitution. Ainsi, lorsque par un arrêté royal, contresigné par un ministre, le pouvoir exécutif confère un subside, avant qu'il n'ait obtenu une allocation de la chambre, le pouvoir exécutif empiète et commet une inconstitutionnalité ; mais la chose est bien différente lorsqu'un ministre personnellement se borne à faire une promesse à quelqu'un ; il y a entre ces deux cas une différence du tout au tout. Le pouvoir exécutif ne pose un acte qu'autant que la signature royale soit engagée avec le contreseing d'un ministre ; mais il n'y a pas d'engagement lorsqu'un ministre promet de faire accorder un subside, sous la condition que les chambres lui alloueront les fonds nécessaires. J'avoue que je partage entièrement l'opinion de l'honorable M. Rogier sur ce point.

Mais, je le répète encore, le pouvoir exécutif n'a pas le droit d'accorder un subside, lorsque la chambre ne lui a pas alloué un crédit ; en l'accordant dans ce cas, il commet une inconstitutionnalité. Je pourrais citer plusieurs actes qui ont été posés dans ce sens ; mais je vous déclare que pour moi je n'ai rien à dire contre les allocations qui ont été faites dans ces circonstances, puisque je crois qu'elles ont profité aux artistes, et que toute dépense faite utilement, dans le but de propager de plus en plus l'instruction et les beaux-arts, aura mes sympathies.

Je n'ai entendu dans cette discussion que soutenir un principe constitutionnel, un principe tel que si le gouvernement ne l'accepte pas, c'est qu'il ne veut pas la constitution.

Ainsi je termine en disant que si le ministre de l'intérieur actuel déclarait : J'entends la constitution telle qu'elle est, je n'excèderai pas les crédits qui me seront accordés. Eh bien, nous serions tous d'accord. Mais si le ministre veut aller au-delà, quelle sera la position ? Vous ne pouvez certainement pas, M. le ministre, contester à la chambre dans cette circonstance le droit de vous refuser l'allocation que vous demandez. Vous avez engagé, dites-vous, le pouvoir exécutif. Il n'est pas engagé, selon moi, il ne peut l’être légalement ; vous avez promis, il est vrai, mais vous n'êtes pas engagé. Il est si vrai que vous n'aviez pas le droit d'engager la chambre, que vous ne pouvez payer qu'autant que vous obteniez un crédit de la chambre.

L'on a dit qu'une loi de comptabilité porterait remède à cet état de choses. Je ne le pense pas ; les prescriptions de la constitution sont seules efficaces pour réprimer les empiètements des ministres. Vous aurez beau adopter tous les amendements du monde, vous ne parviendrez jamais à faire rien de plus clair que la constitution ; vous n'avez qu’à combiner les articles 115, 116 et 129 de la constitution, et vous trouverez que le pouvoir exécutif n'a le droit de mandater des subsides qu'autant que la chambre des représentants, la première et le sénat ensuite aient voté les fonds nécessaires.

- La clôture est demandée par plus de 10 membres.

M. d’Hoffschmidt (contre la clôture). - Messieurs, on a discuté jusqu'à présent sur l'amendement de l'honorable M. Angillis : M. Angillis vient de le retirer. Mais il reste l'amendement de M. le rapporteur de la section centrale, qui a à peu près la même pensée, du moins quant au chiffre. Or, sur ces amendements, il n'a pas encore été dit grand'chose et je désirerais présenter quelques observations à cet égard. Je voudrais faire voir que nous allons sans aucun but d'utilité voter 22,000 fr. de plus que le ministre ne demande. Ce point n'a pas encore été longuement discuté.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Nous sommes en présence de quatre chiffres :

1° Le chiffre de 82,080 francs qui fait l'objet de l'amendement de M. Dedecker ;

2° Le chiffre de 63,600 francs qui fait l'objet de l'amendement de M. Coghen ;

3° Le chiffre de 60,600 francs qui, est le chiffre demandé par le gouvernement ;

4° Le chiffre de 40,600 francs qui est le chiffre proposé par la section centrale.

Conformément aux antécédents de la chambre, je mettrai d'abord aux voix le chiffre le plus élevé.

M. Dedecker. - Je demande la parole pour la position de la question.

Il importe que je rappelle à la chambre que si je consens à accorder au ministre 22,000 fr. de plus qu'il en demande, c'est à la condition bien expresse qu'il y ait de la part du gouvernement engagement à exécuter rigoureusement l'art. 115 de la constitution, non seulement en matière de beaux-arts, mais pour toutes les autres dépenses. Ne conviendrait-il pas dès lors de poser d’abord la question de principe ? (Non ! non !) au moins faut-il que le ministre s'explique.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, de deux choses l'une, ou le principe existe, ou il n'existe pas. Si le principe existe, il se trouve inscrit dans la constitution, et le ministre doit l'observer. S'il n'existe pas, ce n'est pas de cette manière qu'il faut procéder pour l'inscrire dans une loi. Il faut faire une proposition spéciale. Voilà ma réponse. Mon intention est d'observer la constitution que j'ai jurée comme député et comme ministre.

Je ne pense pas que la chambre puisse voter sur cette condition. J'ai expliqué de quelle manière j'entendais administrer le fonds des beaux-arts, j'ai dit jusqu'à quel point, considérant les circonstances d'urgence, de force majeure, d'équité, j'engagerais l'avenir, j'ai rappelé les précédents de l'administration, des précédents personnels, et j'espère que la chambre y trouvera des crédits suffisants.

M. Dedecker. - Je demande d'une manière catégorique si dans le cas où la chambre accorderait les 82,080 fr., le ministre entend ne pas prendre d'engagements sur les budgets subséquents ?

M. Lebeau. - Le ministre ne peut pas répondre.

M. Dedecker. - Je retire mon amendement, puisque le ministre accepterait la somme sans admettre le principe, et j'en reviens au chiffre proposé par la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je conçois que l'honorable membre retire son amendement s'il y attache la condition rigoureuse qu'il a indiquée. Il m’expose à la tentation à laquelle je résiste. Je sais que si j'acceptais la condition qu'il met à sa proposition, je ne pourrais pas la remplir.

Si la constitution ne contient pas le principe qu'on veut établir, il faut formuler un projet de loi, puisque l'amendement a disparu.

Je dois dire quel est le sens véritable de la demande de 60,600 fr. faite par le gouvernement. On peut supposer que les 12,600 fr, seraient pris comme ils l'ont été auparavant sur le fonds général des beaux-arts, Alors la somme disponible ne serait plus que de 7 mille francs. Mon intention est de prendre la somme sur 50 mille francs alloués pour les statues et monuments à ériger aux grands hommes. Je suis dans cette nécessité. De cette manière il me restera environ 20 mille francs sur l’année courante, ce n'est pas être exigeant. Voilà dans quel sens je demande le maintien du chiffre que j'ai proposé.

M. Vandenbossche. - Le principe est dans la constitution ; quelques-uns prétendent qu'il ne s'y trouve pas. Je crois que la chambre doit voter sur la question de savoir si ce principe se trouve oui ou non dans la constitution.

Un grand nombre de voix. - Non ! non !

M. Coghen. - Hier j'ai eu l'honneur de proposer un amendement, ayant pour but de majorer de 3 mille francs la somme de 60 mille francs demandée par le gouvernement, afin d'accorder un supplément à Debiefve pour le superbe tableau qu'il a exposé à Bruxelles. J'ai demandé que ce supplément fût joint à la somme de 60 mille francs, ce qui ferait 63 mille francs. Si on rejetait le chiffre du gouvernement et qu'on adoptât celui de la section centrale, mon amendement devrait encore s'y appliquer et porter le chiffre de 40 à 43 mille francs, sans cela mon amendement serait écarté sans avoir été soumis a la décision de la chambre.

M. d’Hoffschmidt. - L'amendement de M. Dedecker avait pour objet d'accorder au ministre 22 mille francs de plus pour l'engager à observer la constitution. Comme M. le ministre a déclaré qu'il avait toujours observé et qu'il observerait toujours la constitution, il n'y avait plus nécessité de lui donner un encouragement de 22,000 fr., aussi M. Dedecker a retiré son amendement. Nous avons à voter maintenant sur le chiffre de la section centrale.

M. le président. - Sur trois chiffres, celui de M. Coghen, celui du gouvernement, celui de la section centrale, je vais mettre aux voix le chiffre le plus élevé, qui est celui de 63,000 fr., il comprend l'amendement de M. Coghen.

M. Verhaegen. - Il y a nécessité de voter d'abord sur l'amendement de M. Coghen. Il pourrait se faire qu'on adoptât le chiffre le plus élevé qui est celui du gouvernement en y ajoutant 3 mille francs et qu'il n'y eût pour cela rien de fait pour l'artiste dont il s'agit, parce qu'un chiffre absorberait l'autre. Une question doit être décidée avant tout, c'est celle de savoir si quel que soit le chiffre qu'on adoptera, il y aura 3 mille francs pour le but que s'est proposé M. Coghen. Je demande qu'on vote sur cet amendement comme division.

M. Dedecker. - Je pense qu'il faudrait commencer par voter sur la question de savoir si les 20 mille fr. pour les statues de Rubens et de Grétry seront pris sur les crédits supplémentaires ou sur le crédit de 50 mille francs, alloués au budget de 1842, pour des monuments à élever aux grands hommes du pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je puis consentir à cette marche, mais à une condition, c'est que si on répondait négativement, si on répondait que cette somme ne sera pas imputée sur les crédits supplémentaires, mais sur l'allocation nouvelle de 50 mille fr. Dans ce cas, je me réserve de présenter un sous-amendement qui consisterait à demander qu'au moins on m'accorde 12,500 fr. pour le monument du chanoine Triest. Il n'entre pas, je pense, dans les intentions de la chambre de me réduire à 7 mille francs,

On me dit qu'il me restera 18 mille francs ; mais on ne tient pas compte des 12 mille francs, engagés pour subsides aux artistes. En présence des engagements qui existent, je le répète, le fonds général pour encouragements aux beaux-arts ne me laisse que 7 mille fr. disponibles. Si on veut procéder comme le propose M. Dedecker, en cas d'adoption de la proposition, je présenterai un sous-amendement, pour qu'on m'accorde un subside pour le subside à payer cette année à l'artiste chargé du monument du chanoine Triest. J'aurai ainsi 19,500 fr. disponibles.

- La proposition de M. Dedecker, d'imputer les 20,000 fr. pour les statues de Rubens et de Grétry, sur le crédit de 50,000 fr. ouvert au budget de 1842, est mise aux voix et adoptée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande à la chambre de m'allouer les 40,000 fr. proposés par la section centrale, plus 12,500 fr., ce qui fait 53,100 fr. En m'allouant cette somme, je le répète, je n'aurai à ma disposition que 19,500 fr. pour cette année. Si au contraire on me la refuse, je suis réduit à 7,000 fr.

M. Osy. - Nous venons d'imputer 20 mille francs sur le crédit de 50 mille, il reste 30 mille sur lesquels il y a 12,000 fr. d'engagement ; donc il reste 17,500 fr. à la disposition du ministre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois croire que l'honorable membre n'a pas suivi la discussion, Il suppose qu'on prendra les 12,500 fr. sur les 50 mile. C'est sur le fonds général qu'on devra les prendre. Vous avez imputé 20 mille francs sur ces 50 mille ; et sur les 30 mille francs qui restent, 10 mille sont engagés pour la statue de Vésale et 10 mille pour celle de Simon Stevin. Restent 10 mille fr. avec lesquels il faudra pourvoir aux négociations ouvertes avec différentes villes entre autres avec la ville de Mons. Maintenant je demande sur quoi je dois imputer les 12,500 francs ? Sur le fonds général déjà si grevé de 60 mille fr., à moins que vous ne consentiez à me donner le subside que je réclame.

M. Eloy de Burdinne. - Je comparerai la position de M. le ministre de l'intérieur à celle d'un particulier qui, ayant 60,000 fr. de rente, aurait fait en une année des dépenses excédant son revenu de 53,000 fr., et à qui il ne resterait par conséquent que 7,000 fr. pour l'année suivante ; il devrait faire des économies, et borner sa dépense à cette somme. J'engagerai M. le ministre à faire de même ; car enfin que la somme ait été dépensée l'année dernière au lieu de l'être cette année, toujours est-il qu'elle a été dépensée, et que les artistes en ont profité.

M. Dolez. - D'honorables membres pensent que l'on pourrait imputer sur le crédit de 50,000 fr. pour statues à ériger aux grands hommes, les 12,000 francs restant à payer pour construction du monument du chanoine Triest, Cela ne me paraît pas possible ; car ce monument est un tombeau. Quand nous avons voté 50,000 fr. pour statues à ériger aux grands hommes, nous n'avons pas entendu que l'on imputât sur ce crédit des tombeaux construits dans des vues pieuses. Je crois donc que cette proposition ne peut être admise.

M. Vandenbossche. - Je pense que nous devons laisser le ministre libre de prendre les 12,1500 fr. soit sur le crédit de 50,000 fr., soit sur le fonds ordinaire des beaux-arts.

M. Demonceau. - L'honorable M. Coghen a présenté un amendement qui a pour but d'augmenter de 3,000 fr. le prix d'un tableau. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il veut augmenter le prix de ce tableau. Le gouvernement a traité avec l'artiste, qui est sans doute content. Nous ne faisons pas ici de donations ; nous payons nos dettes.

M. Lejeune. - J'ai demandé la parole, lorsque l'honorable M. Verhaegen a proposé de voter spécialement sur l'augmentation de 3,000 fr. Je ne crois pas qu'il soit convenable de voter un crédit spécial pour un artiste nominativement désigné. Je ne m'oppose pas à l'augmentation proposée ; mais je crois qu'il faut joindre le chiffre à celui du projet de loi, et ne pas faire une disposition de loi spéciale pour un artiste nominativement désigné. C'est un acte purement administratif qu'il faut laisser au ministre. Si l'on vote spécialement les 3,000 fr., je voterai contre le crédit.

M. Verhaegen. – Je ne tiens pas du tout à la forme. Je crois que l'honorable M. Lejeune peut avoir raison. L'effet moral de la discussion suffira.

M. Lejeune. - J'ajouterai une autre considération, c'est que si le crédit proposé par l'honorable M. Coghen n'était pas admis par la chambre, le ministre resterait entièrement libre de payer sur les fonds à sa disposition une espèce d'indemnité plus convenable à l’artiste auteur du tableau.

M. le président. - Je mettrai d'abord aux voix, le chiffre de 56,100 fr., comprenant l'amendement de M. Coghen.

M. Simons. - Je veux voter les 12,500 fr. demandés par le ministre et rejeter l'augmentation de 3,000 fr. proposée par M. Coghen. Je demande donc la division.

M. Lebeau. - Quelle que soit la justesse des observations de l'honorable M. Lejeune, je crois qu'il est absolument indispensable de voter d'une manière spéciale sur le chiffre proposé par l'honorable M. Coghen. Il ne sera pas donné une affectation spéciale à ces 3,000 fr. ; le ministre en disposera sous sa responsabilité ; il restera entièrement libre.

Si l'on met aux voix le chiffre de 56,100 fr., ceux qui veulent admettre les 3,000 fr. proposés par M. Coghen et repousser l'imputation proposée par M. le ministre pour la somme de 12,500 fr. seront fort embarrassés. La question est complexe ; il faut donc diviser. Ainsi l'on maintiendra la démarcation qu'a voulu établir M. Lejeune entre la législature et l'administration.

Puisqu'à cette occasion, un honorable membre, très certainement sans le vouloir, a induit la chambre en erreur, en disant que l'artiste serait content de la somme qui lui a été allouée, je dois dire qu'il n'en est rien, que l'artiste est en réclamation instante auprès du gouvernement, et que beaucoup de connaisseurs impartiaux déclarent que la somme allouée à l'artiste est insuffisante et qu'il a droit à une indemnité plus élevée que celle que propose de lui allouer l'honorable M. Coghen. .

Il est délicat de s'occuper de questions de personne. Mais j'ai dû mettre la chambre en garde contre l'assertion erronée de l'honorable préopinant.

M. Eloy de Burdinne. - Le gouvernement est à même de juger s'il doit augmenter le prix du tableau. S'il le juge à propos, il le fera, s'il croit ne pouvoir le faire, libre à l'honorable M. Coghen d'acheter le tableau.

M. Demonceau. - La réponse que pouvait faire M. le ministre à la question que j'ai faite était de nature à exercer de l'influence sur le vote de la chambre. J'ai demandé si le gouvernement doit ou ne doit pas la somme ? S'il la doit je voterai pour l'amendement ; s'il ne la doit pas, je voterai contre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai d'abord remarquer à la chambre qu'en votant par division, la chambre ne s'écarte pas des précédents adoptés pour les crédits supplémentaires. Vous savez qu'aux lois de ce genre il est annexé un tableau ; chaque fois qu'il en est fait la demande, on procède par division, en consultant le tableau ; on fait d'une manière indirecte de l'administration ; mais c'est une nécessité qui résulte des lois exceptionnelles qui consistent à donner des crédits supplémentaires. Il existe un arrêté du 31 décembre 1837, par lequel l'honorable M. de Theux a fixé le prix du tableau commandé à M. Debiefve à 5,000 fr. ; de sorte que rigoureusement le gouvernement ne doit que 5,000 fr. à l'artiste ; et le tableau lui appartient. Je crois que nous ne pouvons nous en tenir rigoureusement à ces conditions. C'est une question d'équité. J'ai pensé qu'il fallait allouer une somme de 7,000 fr. Il m'est arrivé des réclamations, des renseignements ; on a cherché à établir que le tableau vaut plus de 12,000 fr., qu'il pourrait même en valoir 20,000. Je ne suis pas à même de me prononcer sur cette question ; c'est une question d'équité. Si la chambre alloue 10,000 fr. au lieu de 7,000, certainement le supplément sera remis à l’artiste. C'est, je le répète, une question d'équité que chacun de vous peut apprécier aussi bien que moi. Le tableau le Compromis des nobles est connu de vous tous.

M. Lejeune. - Malgré l'observation de l'honorable M. Lebeau que nous resterions fidèles à nos précédents en votant par division, je ne vois pas l'inconvénient à voter d'abord sur le chiffre de 56,100 fr. Alors même que ce chiffre ne serait pas adopté, le ministre est libre de faire un acte d'équité en faveur de l'artiste dont il s’agit ; c'est dans ce sens que je préfère que l'on procède au vote du chiffre le plus élevé ; et du rejet de ce chiffre il ne s'ensuivrait pas, selon moi, que la chambre s'opposerait à ce qu'on augmente l'indemnité due à un artiste. Je crois qu’il y a un autre motif pour procéder ainsi. Si vous votez simplement sur un amendement en faveur d'une personne nommée ici, vous vous exposez à faire naître à chaque instant de pareils amendements, à voir discuter le talent, le mérite d'un artiste et à mettre pour ainsi dire la chambre dans la nécessité de décider du mérite de tableaux.

Je crois qu'il faut éviter cela. Et dans tous les cas, je crois qu'on ne doit pas craindre pour cela que l'artiste qui a droit à une juste indemnité ne l’obtienne pas.

M. Dolez. - Messieurs, après les explications qui ont été données par M. le ministre de l'intérieur, il me semble qu'il est un point de fait qu'il importe d'éclaircir.

On a parlé d’un traité fait par l'honorable M. de Theux pour le Compromis des Nobles, et on a rappelé que ce traité n'engageait le gouvernement envers l'artiste que pour une somme de 5,000 fr. Je ne sais si je connais exactement les faits ; mais il m'a été assuré que le tableau n’avait pas été fait sur le pied de ce contrat ; il m'a été assuré notamment que les dimensions devaient d'abord en être beaucoup moins grandes, mais qu'un premier croquis ayant été soumis à M. le ministre de l'intérieur, il avait engagé l'artiste à augmenter le cadre de son tableau, en lui disant qu'on ne s'en tiendrait pas à la lettre du contrat, si le travail de l'artiste répondait aux espérances qu’on était en droit d'en concevoir.

S’il en était ainsi, il y aurait iniquité profonde à s'attacher judaïquement à la lettre du traité. Partant du chiffre qui y avait été convenu, on paraît croire que l'on fait un acte de générosité en accordant à l’artiste une somme de 12,000 fr., alors qu'on aurait pu s’en tenir à 5,000. Messieurs, mes connaissances artistiques sont très bornées, et je n’hésite pas à proclamer mon incompétence en ce matière ; mais j’ai entendu beaucoup de connaisseurs rendre un éclatant hommage à la création de M. de Biefve. Je dois penser dès lors qu’il serait peu digne du gouvernement, peu digne de cette chambre, de vouloir se tenir dans les limites d’un contrait, pour refuser à un artiste l’indemnité à laquelle la valeur réelle de son œuvre lui donne consciencieusement droit de prétendre.

Il me semble, messieurs, que dans un pays habité comme le nôtre à honorer les arts qui contribuent si puissamment à la splendeur d’un Etat, le gouvernement qui a traité avec un article dans des vues d’encouragement, ne doit point hésiter à sortir des stipulations du contrat, quand l’artiste a dépassé ce que l’on attendait de son travail et de son talent jeune encore.

Eh bien, messieurs, le public tout entier, et les connaisseurs particulièrement, ont reconnu que le tableau de M. de Biefve avait dépassé toutes les espérances ; qu’il était une production fort remarquable assignant à son auteur un rang distingué parmi nos peintres. N’est-il pas évident, dès lors, qu’il ne doit plus être parlé du contrat et que le gouvernement doit y substituer un prix équitable, qui indemnise le peintre et de ses dépenses et d’une partie de son travail. Or, il m’a été assuré que la somme de 12,000 francs n’atteindraient point ce résultat. C’est donc pour nous un devoir de mettre le gouvernement à même d’aller au-delà, et ce sera par suite faire acte de dignité et de justice que de voter l’amendement qui vous est proposé dans ce but.

M. de Theux. - Je ne puis, relativement aux engagements pris avec M. de Biefve, que me référer à ce qui est porté au dossier. Pendant tout le temps de mon administration, j'ai toujours évité de prendre des engagements verbaux, parce que je sais que ces pourparlers sont fugitifs et donnent souvent lieu a des contestations par suite d’un malentendu.

Je dois donc déclarer que je n'ai aucun souvenir qu'il ait existé entre moi et M. de Biefve aucun pourparler. Le fait peut être vrai, puisque cet artiste le prétend ; mais je répète que je n'en ai pas de souvenir.

Toutefois, je suis charmé que le succès de l'artiste ait dépassé mon attente et même la sienne, puisqu'il n'avait été question que d'un tableau de 5,000 fr.

Je voterai la somme de 3,000 fr. ; mais quant à un engagement pris, je dis encore que je n’en ai aucune espèce de souvenir.

M. Rogier. - Messieurs, d'après ce qui m'a été rapporté, lorsque l’honorable M. de Theux a fait un traité avec l'artiste dont il s'agit, le sujet même n’avait pas été déterminé ; il paraît qu'il avait été laissé à son choix. Mais le tableau s'est en quelque sorte agrandi avec le sujet. Ce sujet historique a été trouvé, par bien des connaisseurs et par d’excellents patriotes, un sujet fort heureux et en outre fort bien traité. A cet égard, je crois que l'opinion publique ne ferait que ratifier toutes les dispositions favorables qui seraient prises par la chambre.

On vous a dit que, dans le principe, l'engagement passé avec M. de Biefve n’était que de 5,000 fr., et que le gouvernement pourrait, en strict droit, se tenir à cet engagement. Mais, messieurs, il y a des antécédents qui justifient la marche contraire que l'on vous propose de suivre. C’est ainsi que pour un tableau confié par moi à M. de Caisne, et destiné à reproduire les illustrations de la Belgique, le prix avait primitivement été fixé, non pas à 5,000, mais à 4,000 fr. Et cependant, si je suis bien informé, mon successeur a payé ce tableau près de 20,000 fr. Voilà donc un antécédent qui serait entièrement favorable à l’auteur du Compromis des Nobles.

Je ferai observer que les tableaux .de cette dimension ont en général été payés un prix supérieur à 12,000 fr. Des tableaux égaux en dimension, et non pas très supérieurs en mérite (je n'ai pas à les comparer, mais si j'avais une opinion personnelle à donner sur le tableau de M. de Biefve, je dirais que j'en fais le plus grand cas) ont été achetés à des prix plus élevés.

Du reste, je reconnais que la marche serait très peu régulière, s'il passait en usage dans cette chambre d'introduire des amendements en faveur de tel ou tel artiste. Quant à moi, je combattrais un pareil système. Mais j'espère qu'il sera bien entendu que nous ne posons pas d'antécédents dont on puisse se prévaloir pour l'avenir.

Il est regrettable, si M. le ministre avait la conviction que le tableau de M. de Biefve valait 15,000 francs au lieu de 12,000, qu'il n'ait pas lui-même proposé 3,000 fr. en plus ; nous ne serions pas dans le cas de poser un acte qui deviendrait un grave inconvénient, s'il faisait antécédent. M. le ministre ne combat du reste pas l'amendement ; il acceptera l'augmentation de crédit ; je crois donc qu'on peut la voter pour cette fois en sûreté de conscience.

M. Demonceau. - Messieurs, vous aurez beau faire toutes les protestations imaginables, vous posez un précédent tel que je ne puis lui donner mon assentiment, à moins que le gouvernement ne s'explique formellement. Vous aurez beau dire que vous ne désignez pas ici l'artiste ; toutes les raisons que vous avez données sont pour forcer le gouvernement à payer les 3,000 fr. à l'artiste. Eh bien, c'est faire de l'administration. Si vous posez ce précédent, je viendrai demain alléguer les mêmes raisons en faveur d'un artiste que je connais ; je viendrai peut-être les donner en faveur d'un entrepreneur de constructions. Voilà où vous allez avec l'antécédent que vous voulez poser.

Si M. le ministre de l'intérieur a besoin de 3,000 fr., qu'il le dise ; mais ce n'est pas à nous à lui imposer l'obligation de donner 3,000fr. à un artiste. Comment ! le ministre lui-même ne sait pas s'il doit ces 3,000 fr., et vous voudriez que nous le sussions, nous, tout à fait ignorants dans cet art, nous tout à fait étrangers à ces espèces de marchés ! Ce serait là une monstruosité.

Ce n'est pas pour les 3,000 fr. que je proteste ; c'est contre le précédent que l'on veut poser.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – 0n peut soutenir, messieurs, que le tableau de M. de Biefve vaut plus de 12,000 fr. Il m'a même été démontré par des comptes que ce tableau avait coûté matériellement une somme énorme. En tenant compte des frais de séjour de l'artiste à Paris, des modèles et d'autres dépenses, il est établi que le tableau a considérablement coûté.

Maintenant il y a ici deux précédents ; il y a le précédent qui résulterait de l'amendement et le précédent qui résulte de l'augmentation en elle-même. Il est certain qu'il y a eu contrat entre cet artiste et le gouvernement, mais il serait de toute impossibilité de s'en tenir au contrat primitif. Le tableau, comme on la dit, s'est agrandi par le choix même du sujet. Si la chambre veut porter l'augmentation de 7,000 à 10,000 fr., je ne m'y opposerai pas.

M. Lebeau. - J'ai un mot à dire sur la position de la question.

Ceux qui s'opposent à la division voudront bien répondre à la question que je vais leur adresser. Je suppose que je ne veuille pas du chiffre ministériel, mais que je veuille du chiffre de la section centrale et du chiffre proposé par l'honorable M. Coghen, chiffre auquel le ministre s'est rallié. Qu'arrivera-t-il lorsqu'on mettra le chiffre ministériel aux voix : comment voulez-vous que je vote si tout est consommé pas le rejet de ce chiffre ?

Vous me forcez donc à voter pour le chiffre ministériel, alors que je ne le veux pas.

Vous voyez que la division est indispensable. Sans cela vous me mettriez dans l'impossibilité de voter sur le chiffre auquel je consens.

Voilà la situation où vous mettriez certains membres de la chambre, si vous n'admettiez pas la division, qui d'ailleurs est de droit.

M. le président. – Il avait été convenu que dans le cas du rejet du chiffre le plus élevé, on mettrait aux voix le chiffre de la section centrale augmenté de celui de 3,000 fr.

M. Lebeau. - S'il en est ainsi, je n'insiste pas sur mon observation.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, on dit qu'on veut encourager un artiste ; quant à moi, je ne m'y oppose pas, mais je demanderai qu'on prenne les fonds nécessaires sur le budget. Je crois d'ailleurs que nous n'avons pas le moyen d'acquérir des tableaux. Les tableaux conviennent à des puissances, à des particuliers riches et nous ne le sommes pas. Nous avons déjà acquis beaucoup de tableaux, et on ne sait pas seulement où les placer.

Je le répète donc, qu'on encourage un artiste, je ne m'y oppose pas ; mais qu'on prenne cet encouragement sur les fonds alloués par la chambre.

M. de Behr. - Je voulais faire la proposition qui a été faite tout à l'heure par M. le président, d’ajouter à chacun des chiffres proposés, celui de 3,000 francs qui fait l'objet de l'amendement de M. Coghen.

- Le chiffre de 53,100 francs demandé par M. le ministre joint à celui de 3,000 francs qui est proposé par M. Coghen, et formant ainsi 56,100 francs, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

- Le chiffre de 53,100 francs, seul, est mis aux voix et adopté.

M. Verhaegen. - Et l'amendement de M. Coghen ?

Plusieurs membres. - Il est rejeté.

D'autres membres. - Il n'a pas été mis aux voix.

M. le président. - Il a été joint à celui de M. le ministre, avec lequel il formait un total de 56,100 francs, ce chiffre a été rejeté, et la chambre a adopté ensuite celui de 53,100 fr.

M. Verhaegen. - Il doit y avoir au moins malentendu, voici comment j'ai compris la chose : il y avait le chiffre du gouvernement et le chiffre de la section centrale ; j'ai compris qu'à chacun de ces chiffres on ajouterait celui de 3,000 fr., proposé par M. Coghen, on l'a en effet ajouté au chiffre du gouvernement, et j'ai cru qu'on l'avait ajouté ensuite à celui de la section centrale ; J'ai cru voter le chiffre de la section centrale réuni à celui de 3,000 fr. proposé par M. Coghen.

M. Lebeau. - Je suis convaincu que personne ici ne voudrait profiter d'une erreur matérielle ; il est tellement vrai qu'il y a eu erreur, que je n'ai pas voté pour le premier chiffre.

Plusieurs membres. - M. Rogier non plus.

D'autres membres. - Ni nous.

M. Lebeau. - Plusieurs de nos honorables collègues qui partageaient mon opinion sur la justice qu'il y avait à faire droit a la réclamation de l'artiste dont il s'agit n'ont cependant pas voté sur le chiffre qui a été mis le premier aux voix, dans la conviction où ils étaient que l'on voterait ensuite sur le chiffre proposé par la section centrale majoré des 3,000 fr. demandés par M. Coghen. Je crois, messieurs, qu'il faudrait considérer le vote comme non avenu et remettre de nouveau les différents chiffres aux voix.

M. Demonceau. - Voici, messieurs, comment j'ai compris la chose et comment je pense qu'elle a été comprise par la plupart des membres de la chambre : M. le président a rappelé que le gouvernement a demandé 53,100 fr. et il a ajouté qu'il ajouterait à ce chiffre celui de 3,000 fr. proposé par M. Coghen, ce qui ferait 56,100 fr., c'est ce chiffre qui a été mis aux voix et qui n'a pas été adopté. Si maintenant on veut recommencer, je ne m'y opposerai pas ; cependant je crois qu'il y aurait des inconvénients à le faire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois déclarer que pour moi il n'y a pas eu malentendu. J'ai compris que la somme de 3 mille francs était jointe aux 53,100 fr. que j'avais demandés. Il est possible que d'autres membres n'aient pas compris la question de la même manière, mais n'y aurait-il pas quelque danger à voter de nouveau sur l'amendement de M. Coghen, à émettre un vote spécial sur cet amendement ? Quand la chambre a rejeté le chiffre de 56,100 fr. dans lequel les 3 mille francs proposés par M. Coghen se trouvaient compris, elle n'a pas par là créé un obstacle pour le gouvernement ; le ministre reste libre de donner à l'artiste dont il s'agit 13,000, 14,000, 15,000 fr., en un mot plus de 12 mille francs ; mais prenez-y garde (et je fais cette observation aux partisans de l'amendement de M. Coghen), si l'amendement de M. Coghen était soumis à un vote spécial et s'il était rejeté, on pourrait en inférer qu'il est défendu au gouvernement de donner plus de 12 mille francs. .

M. de Mérode. - J'ai voté pour le chiffre le plus élevé, afin de laisser au gouvernement le moyen d'ajouter ce qu'il croirait équitable au prix du tableau dont il s'agit, mais je ne connais pas ce tableau, je ne l'ai pas vu ; d'autres membres de la chambre ne l'ont peut-être pas vu non plus ; il me paraît d'ailleurs impossible de faire voter la chambre sur la somme qui doit être attribuée à un tableau quelconque. Je pense donc que l'amendement ne peut plus être mis aux voix.

M. Coghen. - D'après les explications de M. le ministre, je retire ma proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il ne faut pas inférer cependant de ces explications, que j'ai pris un engagement quelconque.

Articles 3 et 4

« Art. 3. L'art. 4 du chap. VI du budget du département de l'intérieur (agriculture) pour l'exercice de 1840, est majoré d'une somme de dix mille francs (10,000 fr.) »

- Adopté.


« Art. 4. L'art. 3 du chap. XIII du même budget (frais d'acquisition, pour compte de l'Etat, d'une maison enclavée dans l'hôtel du gouvernement provincial d'Anvers), est majoré d'une somme de mille francs (1,000 fr.) »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. L'art. 1er du chap. XIV du budget du même département pour l'exercice de 1841 (litt. A et B, encouragements divers pour le commerce et l'industrie et frais de l'exposition de 1841), est majoré d'une somme de quatre-vingt-cinq mille francs (85,000 fr.). »

La section centrale propose la rédaction suivante :

« L'art. 1er du chap. XIV du budget du même département pour l'exercice 1841 (litt. A et B, encouragements divers pour le commerce et l'industrie et frais de l'exposition de 1841), est majoré d'une somme de vingt mille francs (fr. 20,000). »

« La somme de soixante-cinq mille francs (65,000 francs) est transférée de l’art. 3 du chap. XIV du même budget, exercice 1841 (primes pour construction de navires), à l'art. 1 du même chapitre (litt. A et B, encouragements divers pour le commerce et l'industrie et frais de l'exposition de 1841. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me rallie à la proposition de la section centrale.

M. Van Cutsem. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire une interpellation à M. le ministre de l'intérieur sur l’emploi qu'il a fait d'une somme de 20,000 francs, qui est comprise dans le crédit supplémentaire de 177,556 francs 61 c. qu'il pétitionne de la chambre, et qui, d'après les renseignements fournis par lui à la section centrale auraient été employés en primes d'encouragement de 8 p. c. accordés à l'exportation des produits de l'industrie linière : M. le ministre voudra donc dire à la chambre, à quelle époque ces produits ont été exportés, par qui, d'où ils venaient, s'ils appartenaient a l'ancienne ou a la nouvelle industrie linière, et pour quels motifs les personnes que la chose concernait n'ont eu aucune connaissance de la faveur que le gouvernement a faite à une industrie dont ils s'occupaient ; en effet pas un marchand de toile de Courtrai, le centre de cette production, n'en a eu connaissance.

Je prierai encore M. le ministre de l'intérieur de nous apprendre quels sont les motifs qui l'ont porté à ne pas faire connaître aux membres du comité qui donne son temps et ses soins à l'industrie linière, qu'il tenait une somme de 20,000 fr. à la disposition de l'industrie qu'il protége, pour être répartie en primes d'encouragement de 8 p. c. sur le total du prix des objets exportés, prime qui peut avoir fait exporter deux mille cinq cent pièces de toile.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, à la page 15 de l'exposé des motifs, il est dit :

« 2° Le gouvernement, pour encourager quelques expéditions d'essai vers des points du globe où les produits belges, du moins plusieurs d'entre eux, n'ont pas encore pénétré jusqu'à ce jour, s'est engagé vis-à-vis de plusieurs fabricants du pays, soit en allouant une prime proportionnelle à la valeur des produits indigènes expédiés, soit en accordant une garantie de 6 ou 8 p. c. contre toute perte éventuelle. »

Deux expéditions d'essai en Chine, en Moldavie et en Valachie, dans le sud des Etats-Unis, à Valparaiso, etc., ont été encouragées de cette manière, les expéditions consistent principalement en produits de l'industrie linière.

Vous voyez, messieurs, que les expéditions dont il s'agit, consistent principalement et non pas exclusivement en produits de l'industrie linière.

Il m'est de toute impossibilité de répondre maintenant aux détails que vient d'indiquer l'honorable préopinant. Ces détails seront consignés au Moniteur, et je promets à l'honorable préopinant ainsi qu'à la chambre, de donner les renseignements demandés, aussitôt que l'occasion s'en représentera.

M. Demonceau. - Je pense qu'au lieu de faire un transfert, il faudrait voter un crédit nouveau et annuler le crédit précédent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cela revient absolument au même ; il est indifférent que vous adoptiez la proposition de la section centrale ou celle du gouvernement ; il y a une déclaration de la part du gouvernement qui regarde l'article 3 du chapitre XIV du budget comme annulé ; il ne fera pas emploi du crédit de cet article.

M. Dedecker, rapporteur. – Messieurs, si vous adoptez la proposition du gouvernement, vous accordez une somme nouvelle de 85,000 francs, mais alors la somme de 65,000 francs, allouée en 1841 sous le libellé : Primes pour construction de navires, reste disponible ; mais si vous adoptez le transfert proposé par la section centrale, le gouvernement ne pourra plus disposer du crédit de 65,000 francs, qui sera, de fait, annulé. J'insiste pour la proposition de la section centrale.

- La proposition de la section centrale est adoptée.

Article 6

« Art. 6. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit supplémentaire de neuf cent cinquante-six francs soixante et un centimes (fr. 956 61 c.), pour frais de voyages dus à M. de Mathelin, comme membre d'une commission d'enquête instituée pour parvenir à l'expropriation, pour cause d'utilité publique, de divers terrains nécessaires à l'établissement du canal de Meuse et Moselle. »

Cette allocation formera le chap. XVI, article unique, du budget du même département, pour l'exercice 1841.

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

La chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 59 membres qui ont répondu à l'appel. Il sera transmis au sénat.

La séance est levée à 4 heures et demie.