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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du mercredi 16 février 1842
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative à l’acquisition du British Queen (Dedecker)
2) Projet de loi tendant à ce que les sommes versées dans les
caisses du trésor public du chef des premiers emprunts et dont le remboursement
n'aurait pas été demandé avant le 1er août 1842, soient déchirées
définitivement acquis à l'Etat
3) Projet de
loi tendant a ouvrir un crédit au département de l'intérieur pour l’acquisition
et l'exploitation du steamer le British Queen (navigation transatlantique),
pour les exercices 1841 et 1842. Lecture d’une pétition (Nothomb,
Dedecker, Liedts, Desmet, Nothomb, Dedecker, Nothomb, Desmet, (+politique commerciale du gouvernement) de Foere, Doignon, de Behr, Verhaegen)
(Moniteur
belge n°48, du 17 février 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à midi et demi.
M.
Scheyven donne
lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l'analyse des pièces suivantes :
PIECES ADRESSEES A
«
Le sieur P. De Cuyper, milicien de 1838, incorporé
dans le 7e régiment, passé le 15 novembre suivant, à la marine
royale, ayant gagné des infirmités au service, demande une pension. »
« Le
sieur Michel, ex-officier an service de France, pensionné en 1825, demande une
augmentation de sa pension. »
- Ces
deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
_____________________
« Le sieur Obert adresse des
considérations sur les négociations relatives au British Queen et réclame
l'arbitrage de la chambre entre la société anglo-américaine et lui pour établir
les droits qu'il prétend avoir à exercer contre elle. »
-
La chambre ordonne le dépôt de cette pétition sur le bureau, et, sur la
proposition de M. Dedecker, ordonne qu'il en sera donné lecture à l’ouverture de la
discussion.
_____________________
« Le
conseil communal et les habitants et propriétaires de la commune de
Saint-Laurent demandent la prompte construction du canal de Zelzaete. »
- Renvoi
à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif au canal de
Zelzaete et dépôt sur le bureau pendant la discussion.
_____________________
« Les
conseils communaux de Vlytengen, Rampet,
Herderen, Millen, Wanck, Boxmeer, Hees, Vroenhove, Veltweselt, demandent le maintien du canton de
Maestricht-Sud, et la réorganisation au moyen de l'adjonction de quelques
localités isolées de leur chef-lieu. »
-
Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif à la
circonscription cantonale.
PROJET DE LOI TENDANT A CE QUE LES SOMMES VERSEES DANS LES CAISSES DU TRESOR PUBLIC DU CHEF DES PREMIERS EMPRUNTS ET DONT LE REMBOURSEMENT N'AURAIT PAS ETE DEMANDE AVANT LE 1ER AOUT 1842, SOIENT DECLAREES DEFINITIVEMENT ACQUISES A L'ETAT
M.
Le ministre des finances (M. Smits) présente un projet de loi tendant à ce que les sommes
versées dans les caisses du trésor public du chef des premiers emprunts (de 5
millions, de 10 millions et de 12 millions) et dont le remboursement n'aurait
pas été demandé avant le 1er août 1842, soient déclarées définitivement
acquises à l'Etat.
-
La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi et le
renvoie à l'examen de la commission des finances.
PROJET DE LOI TENDANT A OUVRIR UN CREDIT AU
DÉPARTEMENT DE L'INTERIEUR POUR L'ACQUISITION ET L’EXPLOITATION DU STEAMER LE BRITISH QUEEN,
POUR LES EXERCICES 1841 ET 1842
Discussion générale
M.
le président.
- La discussion générale continue.
La
parole est à M. le secrétaire pour donner lecture d'une pétition relative à la
matière.
M. de Renesse, secrétaire, donne lecture de la pétition suivante :
« A
Messieurs les président et membres de
« Messieurs,
« Dans
le compte-rendu de la négociation de
« La
compagnie British and american steam
navigation company menaçait de soumettre cette
affaire à l'arbitrage de l'amirauté anglaise, c'eût été compromettre la dignité
de la nation, que d'entrer pour quelques centaines de mille francs, en
discussion avec une société particulière ; le ministre l'a compris, il a
ratifié.
Messieurs,
ce que la compagnie British and american steam navigation company voulait
faire devant l'amirauté anglaise à l’égard du gouvernement de
«
Voici les faits.
« Chargé
par des banquiers anglais d'offrir un nouveau capital à la banque de Belgique,
je fis plusieurs démarches au ministère de l'intérieur ; à cette époque l'on
s'occupait de l'établissement d'une ligne de navigation entre Anvers et
New-York ; l'on me dit que je ferais une chose utile au pays, si je pouvais
décider nos correspondants en Angleterre, à entreprendre cette affaire ; en
conséquence je la proposai â M. William Campbell Gillan, qui m'adressa M. Colden de New-York, réunissant toutes les connaissances,
les conditions et l'expérience acquises. Je rédigeai la proposition que vous
connaissez tous, je lui fis consentir un cautionnement et nous eûmes l’honneur
d'être reçus par MM. les ministres de l'intérieur, des affaires étrangères, et
des travaux publics, pour lesquels il avait des lettres de recommandations
toutes particulières.
« Les
propositions de M. Colden furent agréées. Je rédigeai
les statuts que vous connaissez, messieurs, et qui furent signés par M. le
ministre de l'intérieur et par M. Colden, qui partit
immédiatement pour Londres, et de là pour New-York, ou il arriva
malheureusement au moment de l'élection du nouveau président, époque de
fermentation générale, où toutes les affaires sont délaissées pour ne s'occuper
que de celles de la république. M. Colden, prévoyant
les difficultés de la circonstance, s'empressa de demander un délai afin de
pouvoir exécuter son contrat auquel il ne voulait pas renoncer. Une
indiscrétion, qui pouvait embarrasser la marche de cette affaire, et qui me fut
attribuée à tort, me valut des reproches de la part de M. le ministre de
l'intérieur, qui était fortement contrarié du retard que paraissait de voir
éprouvé la mise à exécution du contrat par M. Colden.
« Afin
de mettre M. le ministre promptement à couvert de toute responsabilité, je
proposai de négocier l’achat du British
Queen auprès de la compagnie British
and american steam
navigation company, qui paraissait vouloir se
dissoudre, proposition qui fut agréée, mais dont on ne croyait pas la
réalisation possible.
« Pour
entamer une négociation, je partis en décembre 1840, muni de tous les
renseignements nécessaires et M. William Campbell Gillan me mit en rapport avec
M. Laird, secrétaire de ladite compagnie, et lui transmis mes propositions, lui
disant que jamais le gouvernement belge n’achèterait le navire pour son compte.
Je lui indiquai le moyen, la fondation, par ces messieurs, d’une société qui
achèterait le British Queen, à un prix dont le gouvernement belge garantirait
une partie, mais tout au plus moitié. M. Laird agréa nos propositions et il fut
convenu qu’en cas de vente de
« Malgré
l’assurance que je lui donnai, que le gouvernement ne garantirait qu’une partie
du prix, M. Laird décida qu’il se rendrait à Bruxelles dans les premiers jours
de janvier 1841 ; je le précédai de quelques jours, et vers la fin de décembre
1840, je remis à M. le ministre de l'intérieur le plan de
« Mais,
à partir de cette visite, M. Laird me témoigna de la froideur, il me dit qu’il
ne ferait rien dans ce voyage et retournait immédiatement à Londres prendre de
nouvelles instructions près des administrateurs de la compagnie, mais il ajoura
que je pouvais être tranquille : que la commission convenue me serait payée,
soit que la vente se fît maintenant ou plus tard.
« Effectivement,
après un voyage à Anvers, ces messieurs retournèrent à Londres et je n’entendis
plus parler de cette affaire, ni par eux ni par le ministère.
« Cependant
la presse ayant annoncé que le gouvernement avait acheté le British Queen et le Président, j’écrivis à M. William Campbell Gillan pour lui
témoigner mon étonnement sur son silence, le priant de demander à M. Laird si
le fait annoncé était exact (il m’était impossible de rien savoir au ministère)
et le 15 avril
« Les
dénégations de M. Laird ne pouvant tenir devant la notoriété publique, je me
rendis à Londres pour réclamer l'exécution de nos conventions. M. Laird
reconnut que j'avais effectivement entamé la négociation pour la vente de
« Je conviens, messieurs, que les bases sur lesquelles j'avais établi
cette négociation étaient moins avantageuses et moins favorables à la compagnie
anglaise que celles qu'elle a obtenues. Mais ces conditions, elle les avait
consenties, et si plus tard elle a pu les rendre meilleures, s’ensuit-il
qu'elle ait le droit de contester la commission convenue, ou n'agit-elle ainsi
que parce que moi, agent de M. Colden, bien connu
d’eux en cette qualité, j'adressai de Londres à M. le ministre de l'intérieur,
le 4 février 1841, une proposition de M. Colden,
datée de New-York, le 29 décembre 1840, par laquelle il annonçait qu’il était
en mesure d’exécuter son contrat dans toute son intégrité, sauf le changement
du port, qui serait Philadelphie au lieu de New-York. Cette proposition était
accompagnée d'une lettre de M. William Campbell Gillan en date du 21 janvier
1841, par laquelle il proposait, pour éviter tout retard, de faire ratifier le
contrat par le consul belge à New-York, entre les mains duquel on aurait déposé
le cautionnement convenu.
« Le
27 septembre 1841, en réponse à ma réclamation, messieurs, les directeurs de la
compagnie m'écrivent que le ministre de l’intérieur n’ayant pas avoué mes
démarches auprès d'eux, ils ne me doivent rien. Cette prétention est
inconvenable, jamais je ne me suis présenté à Londres comme envoyé du ministre,
car dès alors il eût été inconvenant, de ma part, de stipuler en ma faveur une
commission ; je suis entré en négociation avec ces messieurs simplement comme
étant en position de les renseigner sur la meilleure marche à suivre dans cette
affaire.
« Que
M. le ministre n'ait pas avoué mes démarches, cela est naturel et devait être,
car je n'étais qu'un intermédiaire agissant sans caractère officiel ; mais il
n'en n'est pas moins vrai que ces messieurs me doivent cette affaire, c'est là
ce que je désire qui soit établi.
« J'ose espérer, messieurs, que vous ne me refuserez pas
votre bienveillante intervention pour établir mes droits, et vous ferez
justice.
« OBERT.
« Bruxelles,
le 15 février 1842. »
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette pétition est parvenue au bureau hier
vers la fin de la séance. On a bien voulu m'en informer, et j'en ai pris
connaissance. Ce qui fait que dès à présent, je suis à même de donner quelques
explications à la chambre. Je regarde cette pièce comme absolument sans
importance, sauf une seule assertion que je relèverai tout à l'heure. Le
pétitionnaire prétend qu'il a fait deux démarches près de mon honorable
prédécesseur, M. Liedts : la première pour proposer la reprise de la
négociation Colden ; la seconde pour proposer de se
charger de l'achat des navires ou de l'un des navires de la compagnie
anglo-américaine. Le sieur Obert demandait que la
négociation Colden fût reprise ; cette démarche doit
avoir été faite en janvier 1841.Vous aurez vu, par le compte-rendu que j'ai
présenté à la chambre, que le sieur David Colden, qui
avait conclu une convention conditionnelle avec M. le ministre de l'intérieur,
était resté en retard de remplir une obligation préalable (le dépôt d'un
cautionnement). Je vais donner lecture à la chambre de la pièce par laquelle le
sieur Colden a annoncé à mon prédécesseur qu'il
n'était pas à même de déposer le cautionnement, et qu'il demandait un nouveau
délai. Je donnerai ensuite lecture de la lettre par laquelle le ministre refuse
tout nouveau délai.
« New-York,
le 4 novembre 1840.
« Monsieur
le ministre,
« Dans
la lettre qui m'a été remise à Londres par M. Van de Weyer, de la part de M. le
ministre de l'intérieur, laquelle accompagnait le contrat antérieurement passé
à Bruxelles, S. Exc. offre de vouloir bien différer jusqu'au 20 courant sa
décision au sujet des propositions qu'on pourrait lui faire pour
l'établissement d'une ligne de bateaux à vapeur entre Anvers et New-York. Cette
époque rapprochée me fait une loi d'informer M. le ministre de l'intérieur
qu'il me sera impossible de me présenter devant lui, ledit jour, prêt à remplir
les conditions du contrat.
« Il
est également de mon devoir de soumettre à M. le ministre de l'intérieur les raisons
qui m'empêchent de me rendre à Bruxelles au temps fixé, conformément aux
termes des règlements de la société anonyme dont j'ai été nommé le fondateur.
« M.
le ministre voudra bien se rappeler la position compliquée des affaires
d'Europe, lorsque j’eus l'honneur de prendre congé de lui. La crainte d'une
guerre continentale dont s'étaient emparés tous les esprits, et qui semblait
justifiée par de considérables préparatifs, avaient gagné l'Amérique : les
nouvelles apportées par le vaisseau même sur lequel j'étais passager
augmentèrent encore ces craintes, et les personnes qui jusqu'alors avaient été
convaincues du maintien de la paix européenne commencèrent à ne plus douter du
commencement des hostilités. Voilà la grande objection que m'ont faite mes
compatriotes, et la cause de leur refus à devenir, en pareilles circonstances,
actionnaires de la société belge-américaine transatlantique pour la navigation
à vapeur. A mon arrivée, je m'empressai de soumettre nos statuts à l'examen des
hommes les plus éminents et les plus recommandables de notre ville, mais entièrement
étrangers aux entreprises des paquebots établis entre New-York et les
différents ports d'Europe ; je citerai parmi eux M. James G. King, de la maison
Prins, Ward et King, et M. de Rham, de la maison de Rham et Moore : à ces deux messieurs, je communiquai
d'abord l'arrangement que j'eus l'honneur de faire avec M. le ministre de
l'intérieur ; comptant sur nos relations intimes et sur leur grande expérience,
j'étais convaincu qu'ils mettraient tout leur zèle à m'éclairer quant à la
possibilité de trouver des personnes qui voulussent devenir actionnaires de la
compagnie.
« Mais
en même temps qu'ils applaudirent à la libéralité du gouvernement belge et
qu'ils m'exprimèrent leur désir d'encourager une si louable entreprise, ils
m'assurèrent qu'à pareille époque, on ne pourrait guère trouver personne qui
voulût y coopérer. L'inutilité de mes efforts, pour trouver des actionnaires
parmi mes compatriotes, a prouvé combien était correcte l'opinion exprimée par
mes amis, MM. King et de Rham. Les négociations et
les industriels à qui je proposai des actions de la compagnie ont unanimement
regretté que l'aspect rembruni de l'horizon politique les empêchât de
participer pour le présent à une entreprise tellement honorable pour notre
pays. Je dois aussi dire à M. le ministre de l'intérieur avoir rencontré des
objections au sujet de quelques articles des statuts que l'on ne pourrait
réussir à faire adopter dans notre pays. J'aurai l'honneur de les énumérer dans
la lettre que je me propose de lui écrire sous peu de jours. Veuillez bien, M.
le ministre, me faire l'honneur de m'informer s'il y a quelque possibilité
d'obtenir une prolongation du terme spécifié dans le contrat. Dans cette
attente,
« J'ai
l'honneur d'être, etc.,
« DAVID
C. COLDEN. »
Vous
voyez que le sieur Colden annonce qu'il se propose de
demander quelques modifications aux statuts, c'est-à-dire à la convention
projetée, et que, dans tous les, cas, il demande un nouveau délai.
Voici
la réponse de l'honorable M. Liedts :
« Lettre du ministre de l'intérieur.
« Bruxelles,
le 9 décembre 1840.
« Monsieur,
« En
réponse à votre lettre du 4 novembre dernier, je me vois à regret forcé, en
présence de son contenu et vu l'expiration du délai endéans lequel devait
s'exécuter la convention projetée pour l'établissement d'une ligne de bateaux à
vapeur entre Anvers et New-York, de vous déclarer que les arrangements
projetés entre vous et le gouvernement doivent être considérés comme non
avenus.
« Je
me plais, du reste, à vous remercier ici, monsieur, du concours que vous avez
eu la volonté de prêter au gouvernement belge dans cette affaire et à
reconnaître que vous avez agi avec loyauté et convenance envers lui.
« Veuillez
agréer, etc.
« Le
ministre de l'intérieur, « (Signé) LIEDTS. »
C'est
ainsi que les négociations entre le sieur Colden et
le ministre de l'intérieur ont été déclarées rompues. Le sieur Obert prétend qu'il a fait des démarches pour reprendre
ces négociations. M. Liedts s'est borné à lui déclarer qu'il ne reprendrait
aucune négociation avec Colden, à moins du dépôt
préalable du cautionnement, comme il avait été stipulé dans la première
convention. En cela, je trouve que mon prédécesseur a parfaitement bien fait.
Le
sieur Obert prétend qu’une nouvelle lettre datée de
New-York du 29 décembre 1840 aurait été transmise au ministre de l’intérieur.
Ce serait une lettre par laquelle M. Obert prétend
demander la reprise des négociations. Cette lettre, je ne la trouve pas. Je
dois supposer qu’après la déclaration de M. Liedts on aura trouvé convenable de
ne pas remettre cette lettre. Au reste, que la lettre ait été remise ou qu'elle
ne l'ait pas été, cela ne fait rien à l’affaire.
La
seconde démarche eût donc consisté en ce que, au cas du refus de la reprise de
la négociation Colden, le sieur Obert
se serait chargé d'acheter, pour compte du gouvernement belge, un des navires
de la compagnie anglo-américaine. Je trouve, en effet, une lettre du 26
décembre 1840, par laquelle le sieur Obert demandait
une audience au ministre de l'intérieur, en lui donnant quelques détails. Voici
cette lettre :
« Bruxelles,
le 26 décembre 1840.
« M.
le ministre,
«
De retour de Londres, je suis heureux de vous annoncer un plein succès dans mes
démarches relatives à l'établissement des bateaux à vapeur, ainsi que vous en
aurez la preuve par la lettre de M. W. Campbell Gillan.
« Deux
puissantes sociétés anglaises (qui se réuniraient aux Belges, si ceux-ci le
désirent) sont prêtes à vous soumettre des propositions pour l'établissement
immédiat d'une ligne de bateaux à vapeur entre Anvers et New-York, qui pourrait
s'étendre jusqu'à l'Amérique du centre.
« Je
puis dire, M. le ministre, que je suis parvenu à amener cette affaire au point
qu'il ne dépend que de vous qu'elle se réalise, et cela tout en ménageant les
intérêts du trésor ; car tout en étendant de beaucoup l'opération, l'on ne
réclamera pas le subside entier.
« Si,
avant l'arrivée de M. Mac-Gregor Laird esq., qui sera ici demain, vous vouliez
bien me recevoir, j'aurais l'honneur de vous communiquer les propositions que
l'on aura l'avantage de vous faire, de sorte que, si vous jugiez quelques
changements nécessaires à ces propositions, je suis encore à même de les faire
modifier selon vos désirs avant qu'elles ne vous soient présentées.
« J'ai
l'honneur, M. le ministre, etc.
« (Signé)
OBERT. »
Il
paraît qu'en effet le sieur Obert a été reçu. Mais M.
Liedts n'a pas voulu de son intervention dans les négociations. Je pourrais
donner lecture d'une note de M. Liedts indiquant les motifs du refus fait au
sieur Obert. Mais je veux user de ménagement. Le gouvernement
a donc refusé les offres qui lui étaient faites le 26 décembre 1840 par le
sieur Obert, et il a chargé de la négociation M. Van
de Weyer, notre ministre à Londres, auquel il a adjoint officieusement M.
Lejeune.
Quant
à ce qui s'est passé entre le sieur Obert et la
société anglo-américaine, nous l'ignorons. Y a-t-il eu des engagements pris
entre lui et cette société ? nous l'ignorons.
Toutefois l'assertion que je ne dois pas passer sous silence, c'est que le
sieur Obert fasse entendre que les conditions qu'il
proposait étaient moins favorables, moins avantageuses que celles que la
compagnie a obtenues. Quand on se permet une assertion aussi grave dans une
affaire qu'on a entourée déjà de tant de préventions, on doit produire des
pièces à l'appui. Du reste j'éclaircirai ces faits. Je ne doute pas, messieurs,
que tout se soit loyalement passé dans cette affaire, que le prix qui a été
obtenu était le prix minimum, si je puis m'exprimer ainsi, qu'on pouvait
obtenir de la compagnie.
Ainsi,
messieurs, sauf cette assertion, la réclamation de M. Obert
est sans importance ; elle est tout à fait étrangère à la véritable discussion.
Nous ne pouvons pas intervenir, en Angleterre, auprès de la compagnie
anglo-américaine, pour obtenir une indemnité quelconque en faveur de M. Obert. C'est ce que je lui ai fait déclarer l'été dernier.
Quant à l'assertion en elle-même, je la dénie dès à présent. Je recueillerai les
renseignements nécessaires ; si cette assertion était produite
ailleurs, par exemple, dans un écrit qui pût être poursuivi, je n'hésiterais
pas à faire des poursuites.
M.
Dedecker, rapporteur. - Je commence par déclarer que je ne connais M. Obert
que depuis hier. Il est venu me trouver, pour me prier, en ma qualité de
rapporteur de la section centrale, de vouloir remettre la pétition dont il
vient de vous être donné lecture.
Messieurs,
je ne suis pas tout à fait de l'avis de l'honorable M. Nothomb lorsqu'il dit
que celte réclamation de M. Obert serait sans
importance. Je conviens avec M. le ministre qu'elle ne concerne en rien la
législature, et quant aux conclusions à prendre sur la pétition, je crois que
la chambre ne peut que passer à l'ordre du jour. Mais les faits qui y sont
relatés méritent cependant l'attention de la chambre.
Jusqu'à
présent, messieurs, d'après le compte-rendu de l'honorable M. Nothomb et les
dires de MM. Liedts et Rogier dans les séances d'hier et d'avant-hier, il
paraissait certain qu'après que, par une lettre du 9 décembre, le gouvernement
se fut refusé à accorder un délai illimité à M. Colden,
il n'avait plus été question de ce dernier. L'attention de M. Obert tendrait au contraire à prouver qu’il y a eu une
seconde proposition de M. Colden. Par une lettre du 9
décembre, arrivée à la fin de janvier, et remise par M. Obert
lui-même au ministère, M. Colden déclarait s'en
référer entièrement à sa convention primitive avec M. le ministre de
l'intérieur, sauf à changer le lieu où aboutirait la ligue de navigation, ce
lieu devant être Philadelphie au lieu de New-York.
De
plus, on avait refusé de continuer les négociations avec M. Colden,
parce qu'il n'avait pas opéré le dépôt du cautionnement exigé. Or, si je suis
bien renseigné, dans sa seconde lettre, M. Colden
offrait de déposer ce cautionnement entre les mains du consul belge à New-York.
Je
suis vraiment étonné que cette seconde lettre ait disparu du ministère.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous ne savez pas si elle y a jamais été.
M.
Dedecker. - M.
Obert l'a remise lui-même.
M.
Liedts. - Je
demande la parole.
M.
Dedecker. -
Cette seconde proposition de M. Colden était d'autant
plus importante qu'il me semble qu'on aurait pu, dans 1'intérêt de la
négociation, la faire valoir, auprès de la société anglo-américaine. C'était un
excellent moyen pour obtenir une baisse de prix, que d'exploiter la rivalité
qui existait entre les capitalistes anglais et américains. C'est sous ce
rapport que je considère la seconde proposition de M. Colden
comme importante par l'influence qu'elle aurait pu exercer sur les
négociations entamées avec la société anglo-américaine.
Le
second fait qui me paraît très grave, c'est qu'on aurait fait à M. Obert, qui a été l’agent particulier, pas officiel ni même
officieux, je le reconnais, entre le gouvernement belge et la société anglo-américaine,
la promesse formelle d'une commission de 5 p. c. sur un seul navire, en
supposant qu'il fût acheté au prix de 1,800,000 francs ; cette commission
aurait déjà fait 90,000 fr., et par conséquent pour les deux navires 180,000
francs. Cette commission a-t-elle été accordée depuis à d'autres personnes, je
ne le crois pas d'après le caractère honorable de ceux qui ont été les agents
officiels du gouvernement. Mais alors on a fait une position bien belle à la
société anglo-américaine, puisqu'elle offrait une commission de 5 p. c. pour
pouvoir vendre ses navires, tandis qu'elle les a vendus au gouvernement sans
payer aucune commission.
J'appelle simplement l'attention de la législature sur ces
deux points.
M.
Liedts. - Je
n'étais pas ici lorsqu'on vous a donné lecture de la pièce dont il est
question, et par conséquent je m'en rapporte à ce que vous a dit M. le ministre
de l'intérieur. Il est d'ailleurs plus à même de vous donner des
éclaircissements, attendu qu'il est en possession de toutes les pièces.
Je
me bornerai donc à déclarer à la chambre que je n'ai jamais, ni officiellement
ni officieusement, donné une mission au pétitionnaire, et je m'étonne de
l'importance qu'on attache à la pièce qu'il a adressée à la chambre. Il ne se
passait pas de semaine que je ne reçusse des correspondances de cet homme ; je
n'ai jamais voulu qu'il fût l'intermédiaire du gouvernement. Tout ce que je lui
ai permis, c'est qu'il accompagnât quelquefois les personnes qui venaient me
parler d'affaires.
Maintenant,
s'il est mis en contact avec la société anglo-américaine, si elle lui a fait
l'offre d'une espèce de pot-de-vin, pour le cas où il pourrait faire accepter
les bateaux par
Je
le répète, tout ce qui m'étonne, c'est l'importance qu'on attache à la demande
du pétitionnaire.
Quant
à une lettre qu'il m’aurait écrite, il m'en est arrivé un très grand nombre du
pétitionnaire ; elles doivent se trouver au ministère.
M.
Dedecker. - Il
s'agit d'une lettre de M. Colden.
M.
Liedts. - Je
n'ai aucun souvenir qu'après la lettre de M. Colden,
par laquelle il me faisait connaître l'impossibilité où il se trouvait de
réunir les capitaux nécessaires, et par laquelle il demandait un délai
illimité, il me soit arrivé de nouvelles propositions de M. Colden.
II est possible que, dans cette même lettre, par
laquelle il demande un délai illimité, il ait déclaré que, si on lui accordait
ce délai, il déposerait un cautionnement entre les mains du consul belge à
New-York.
Un membre. - Il ne s'agit pas de
cela.
M.
Liedts. - S'il
ne s'agit pas de cela, je déclare de nouveau n’avoir aucun souvenir qu'il
m'aurait été fait des offres nouvelles. D'ailleurs, s'il
est était arrivé, elles se trouveraient dans les bureaux.
M.
Desmet. - La
section centrale, dont je faisais partie, a été fortement attaquée et même dans
ses intentions. Cependant un travail qui a dure trois semaines, qui a été fait
avec toute la conscience possible, ne peut être incriminé avec justice.
Messieurs,
nous nous sommes souvent trouvés arrêtés dans nos délibérations, parce que les
pièces nous manquaient ; quand nous les avons demandées, il nous a été répondu
qu'on avait négocié verbalement. Voilà cependant encore une pièce dont on nous
parle et qui manque au dossier.
Je
fais cette observation pour que la chambre sache bien que la section centrale
n'a pas été à même de compléter ses délibérations, comme elle le désirait ; si
elle avait eu connaissance de toutes les négociations, elle aurait pu mieux
établir les faits.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois qu'il est inexact de dire qu'on reconnaît
qu'il manque des pièces au dossier. On vient dire qu'une pièce, qui devrait se
trouver au ministère, ne s'y trouve pas ; mais il se peut très bien que cette
pièce n'ait jamais été remise au ministère.
Je
persiste à dire que la pétition qui vous est adressée est sans aucune
importance, qu'elle n'a aucun trait à l'affaire en discussion
; et je suis d'avis qu'il faut passer à l'ordre du jour.
M.
Dedecker, rapporteur. - J'ai moi-même demandé l’ordre du jour ; je n'appuie en aucune manière
les réclamations du pétitionnaire ; mais je dis qu’il est de l'intérêt de la
législature de profiter des révélations qui lui sont faites et de demander des
explications sur ces révélations. Je n'entends accuser personne de complicité,
je le déclare sérieusement.
Mais
je dois aller plus loin : le pétitionnaire, en me remettant sa réclamation, m'a
fait voir une copie de la deuxième lettre de M. Colden,
dont l'original a été remis au ministère. Cette copie est-elle exacte ? je n'en sais rien ; on aurait pu s'en assurer si l'original
existait au ministère. Mais j'y ai vu que M. Colden
s'en référait à sa première convention, moyennant le changement du lieu
d'arrivage en Amérique, qu'il demandait être Philadelphie, parce que c'était là
que se trouvaient les principaux actionnaires. Il offrait aussi de fournir un
cautionnement et de le déposer entre les mains du consul
belge à New-York.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Quoique mon intention ne soit pas de prolonger
cette discussion, je vais donner lecture à la chambre d'un passage d'une lettre
que M. Obert m'a adressée à la fin du mois d’avril
dernier. Vous verrez dans quels termes il rend compte des démarches faites par
lui auprès de mon prédécesseur. Vous verrez notamment jusqu'à quel point M. Colden avait offert à M. Liedts de reprendre la
négociation.
M. Obert m'écrivait ceci. Sa lettre est sans date ; mais elle
a passé par l'indicateur général du ministère ; elle est inscrite sous la date
du 24 avril :
« Dans
le courant de janvier dernier, M. Colden a annoncé à
M. le ministre qu'il était parvenu à réunir de riches négociants de
Philadelphie, qui consentaient à prendre son contrat sous toutes les conditions
acceptées par lui, sauf qu'ils demandaient que la destination fût changée, et
que les navires soient dirigés d'Anvers sur Philadelphie, au lieu d'aller à
New-York ; offrant de faire immédiatement le dépôt de cautionnement, si ce
changement était accordé par le ministre.
« Ces
propositions furent adressées par MM. Campbell Gillan, de Londres, à M. le
ministre de l'intérieur, avec quelques observations sur le commerce, la
position de Philadelphie, et les avantages que cette place présente au commerce
de
« Sur
l'autorisation de M. le ministre, auquel préalablement j'ai remis copie de la
lettre que j'écrivis à M. Gillan, je fis part de cette réponse à ce dernier,
qui l'a transmise à. M. Colden, et nous attendons sa
réponse d'ici à quelques jours. »
Ainsi,
messieurs, M. Obert attendait la réponse, à la fin
d'avril, de l'Américain M. Colden, notamment sur le
point très important, le point capital, du dépôt du cautionnement. Ainsi il
attendait à la fin d'avril, date où tout était consommé, des renseignements de
M. Colden. Il faut donc croire que les négociations
étaient fort peu avancées en janvier. Voilà du moins ce qui résulte du récit
que me fait M. Obert.
Du
reste, messieurs, je persiste à dire que, sauf l'assertion de M. Obert, une proposition plus avantageuse que celle qui a été
acceptée aurait été faite par M. Colden, assertion
que je dénie formellement, que, sauf cette assertion, la pétition n'a aucune importance.
M. Desmet. - Je ne m'opposerai pas à l'ordre du jour, et je déclare
même que je n'attache que peu d'importance à la pétition qui est l'objet de la
discussion ; mais j'ai demandé encore la parole pour expliquer à la chambre de
quelle manière j'ai fait remarquer tout à l'heure que le dossier de l'affaire de
- L'ordre du jour est mis aux voix et adopté.
(Moniteur belge n°49, du 18 février 1842)
M. de
Foere. - Je ne
me proposais pas, messieurs, d'entrer dans la discussion des questions de
légalité qui ont été examinées dans les premières parties du rapport de la section
centrale ; mais notre honorable collègue M. Osy a été attaqué avec autant
d'injustice que de violence. J'éprouve le besoin de soutenir l'honorable
membre.
J'étais
membre de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi du 18 mai
1840, relatif à la navigation à vapeur vers les Etats-Unis ; j'ai été témoin
des communications qui ont été faites par le ministère ; j'ai assisté et pris
part aux délibérations qui ont eu lieu dans cette chambre sur ce projet qui a
été converti en loi. Si, en présence de cette loi, malgré tous les considérants
et les engagements qui l'ont précédée, malgré son texte clair et positif,
l'achat du Président et du British Queen, les anticipations sur
les 400,000 fr., le mode de payement et la substitution du gouvernement à une
société particulière, peuvent être justifiés par les interprétations violentes
et absurdes que ces actes gouvernementaux ont reçues d'une fraction de la
section centrale annuelle, et par quelques membres de cette chambre, je le
déclare, messieurs, je ne comprends plus notre mission ; toute confiance dans
la stricte exécution des lois est détruite ; il est complètement inutile que le
pays ait une législature, et sacrifie les deniers publics à la confection des
lois. Si le pouvoir exécutif, concentré dans un ministère responsable, peut se
livrer impunément à des actes aussi arbitraires, s'il peut violer aussi
ouvertement les lois, le pouvoir législatif n'est plus qu'une amère dérision.
J'en appelle à tous mes collègues de la section centrale de 1840, et je leur
demande si la loi n'a pas été ouvertement violée dans ses moyens d'exécution.
Les
chicanes, dignes de l'ancienne école d'Alexandrie, d'une fraction de la section
centrale, ont pris leur source dans une théorie qui, si elle n'était pas
flétrie à sa naissance, jetterait l'exécution des lois dans la plus déplorable
confusion.
Cette
théorie consiste à dire qu'aux moyens d'exécution d'une loi, déterminés par la
loi elle-même, le pouvoir exécutif peut en substituer arbitrairement d'autres,
et qu'il remplit ses devoirs, pourvu qu'il atteigne le but de la loi, n'importe
par quels moyens ! Ainsi, messieurs, d'après cette nouvelle invention
d'administration générale, les moyens d'exécution d'une loi, prescrits par la
loi elle-même, ne font plus partie de la loi ; ils ne sont plus aussi sacrés
que le but de la loi !
L'honorable
M. Osy a été aussi attaqué, parce qu'il a exposé les dangers que la navigation
de
Cette
objection, messieurs, est complètement dénuée de fondement. En Angleterre, en
Allemagne, aussi bien qu'en Belgique, les mêmes craintes ont été manifestées
longtemps avant que la presse belge s'en soit occupée. J'ai aussi sur moi un
rapport d'un constructeur de navires qui a examiné
J'entre
maintenant dans la discussion de la question la plus utile de toutes celles qui
se rattachent à
Ce
but, messieurs, est celui d'ouvrir de plus larges débouchés à nos industries.
Les
partisans du British Queen sont d'opinion qu'un grand transit s'établira
dans le port d'Anvers. Dans ce cas, il est certain qu'il arrivera dans ce port
un nombre de navires américains proportionné aux besoins de ce transit. Le transit
étant parfaitement libre, ils arriveront pour importer non seulement des
Etats-Unis, mais de tous les ports du monde, les marchandises à transiter vers
l'Allemagne ou vers
Voilà
donc encore une augmentation considérable de navires américains dans nos ports.
Ceux
qui pensent qu'un grand transit s'opérera au port d'Anvers, sont aussi de
l'opinion, opinion que je partage, qu'une partie du transit du Havre se
reportera sur le port d'Amers. Or, ce sont les navires américains qui, au port
du Havre, servent les besoins du transit vers les Etats-Unis.
Si
donc une partie du transit, qui s'opère au Havre, vient à échoir au port
d'Anvers, nous aurons encore de ce troisième chef un accroissement considérable
de navires américains qui, lorsqu'ils quitteront nos ports, exporteront vers
les Etats-Unis les produits du pays et les marchandises allemandes et suisses,
qu'ils transportaient, avant ce déplacement du transit du port du Havre vers
cette même destination.
La
très grande majorité des négociants et des industriels du pays y compris même
la ville d'Anvers, soumis à l’enquête parlementaire, professent l'opinion, que
j'ai toujours partagée, qu'il faut rompre, en grande partie, nos relations avec
les entrepôts de l'Europe.
Depuis
douze ans, nous commettons la faute énorme d'aller chercher des produits
coloniaux dans ces entrepôts où, à cause des tarifs exorbitants qui excluent
nos fabricats, nous ne pouvons les échanger. Nous achetons aussi dans les ports
voisins une partie des produits des Etats-Unis. Lorsque cette rupture,
commandée par l'intérêt de nos exportations et de nos échanges sur les marchés
lointains, sera opérée par une augmentation de droits différentiels, appliquée
aux arrivages indirects, elle aura pour résultat une augmentation d'arrivages
directs de navires américains dans nos ports. Les produis américains que nous
allons chercher quelquefois au Havre et à Liverpool arriveront directement de
l'Amérique dans nos ports.
Voilà
donc encore de ce chef une nouvelle augmentation du nombre de navires
américains.
Messieurs,
je corroborerai les opinions que je viens d'énoncer par des faits authentiques
et officiels.
II existe
au port du Havre un transit considérable vers les Etats-Unis ; un autre,
quoique d'une importance moindre, a lieu à Liverpool et à Londres vers le même
pays. Savez-vous, messieurs, quelle est l'importance du tonnage américain
comparé au tonnage français et anglais entre les ports réciproques ?
Du
30 septembre 1839 au 1er octobre 1840, le tonnage américain a excédé celui de
Tels
sont les effets immanquables des rapports commerciaux qui s'établissent
directement entre deux pays, par le seul fait de l'importation et de
l'exportation de leurs produits mutuels, surtout lorsqu’un de ces deux pays
produit en grandes quantités des matières premières nécessaires à la
fabrication et possède une grande navigation de long cours. Les mêmes causes
produisent chez nous les mêmes effets. Le tonnage américain surpasse de beaucoup
dans nos relations réciproques le tonnage belge.
Le
même excédant de tonnage américain a eu lieu dans les mouvements commerciaux
entre les ports de
Croyez-vous
que
Enfin,
messieurs, si un transit considérable s'établit au port d'Anvers, on ne peut
douter que les Américains n'établissent, entre ce port et les Etats-Unis, une
navigation périodique de paquebots à voiles, comme ils le font dans tous les
ports où il a des importations ct des exportations régulières à effectuer. Cela
entre dans les intérêts de leurs industries, de leur commerce et de leur
navigation.
Sans
aucun doute, messieurs, dans tous les cas, la navigation américaine pourvoira à
tous nos besoins. Il n'est nullement nécessaire d'établir, à des frais énormes,
une navigation à vapeur. Nous avons devant nous l'exemple des ports du Havre,
de Liverpool, de
Messieurs,
voudrait-on peut-être justifier la nécessité ou l'utilité de ce nouveau moyen
de transport par la rapidité avec laquelle nos produits seront exportés aux
Etats-Unis ? Ni la nature, ni la quantité des produits que nous exportons aux
Etats-Unis n'exige pas cette rapidité de transport. Les exportations, quelque
peu importantes que nous faisons aux Etats-Unis, se composent
presqu'exclusivement de verres à vitres, d'autres verreries, de tissus de laine
ou de draps et de zinc ; or, voici la valeur des exportations que, du 30
septembre 1839 au 1er octobre 1840, nous avons faites de chacun de ces articles
vers les Etats-Unis :
Verres
à vitres, 33,336 piastres.
Autres
verreries, 10,312
Tissus
de laine et draps, 93,637
Zinc,
48,649
Je
vous le demande, messieurs, si la nature et si la quantité de ces marchandises
exige une vitesse extraordinaire de transport ? Ne suffit-il pas que nos
agences, ou nos magasins sur les marchés des Etats-Unis soient toujours
convenablement fournis ? Ce même moyen d'approvisionnement n'a-t-il pas
suffisamment réussi par la navigation à voiles dont les moyens de transport
excèdent de beaucoup nos besoins en exportations vers les Etats-Unis ? Si les
existences des susdits articles manquaient aux marchés de l'Amérique, la cause
n'en serait pas due à nos moyens de communication, mais à l'imprévoyance ou à
l'incurie de nos négociants ou de nos producteurs.
Je
crois avoir prouvé que cette navigation à vapeur vers les Etats-Unis est
complètement inutile. J'irai maintenant plus loin ; je tâcherai d'établir
qu'elle sera encore nuisible à nos intérêts.
D'après
les aveux des partisans de la navigation à vapeur vers l'Amérique du Nord,
Si
ce résultat doit être opéré par ce bateau à vapeur, remarquez que les matières
premières, telles que cotons, tabacs, potasses, l'huile de baleine, importées
dans nos ports par les navires des Etats Unis, vont être grevées de tout le
fret de sortie des ports des Etats- Unis.
Je
vous le demande, messieurs, ce résultat est-il dans l'intérêt de nos
industriels ? Ne leur serait-il pas plus avantageux d'abandonner aux navires
américains, conformément à la pratique de
Ensuite,
messieurs, on veut aussi établir à Anvers un marché général. Si
C'est
une des graves raisons pour lesquelles
Il
résulte de ce traité, ainsi limité, qu'aucun tonneau de marchandise entreposée
n'est exporté des ports de France et d'Angleterre aux Etats- Unis, par navires
français ou anglais. Exportées par navires français, pour la consommation de
l'Amérique du Nord, ces marchandises n'arriveraient sur les marchés des
Etats-Unis qu'avec de grands désavantages. Elles auraient à payer d'énormes
droits différentiels qui montent à un dollar par tonneau et à 10 p. c. sur les droits de douane
qui sont très élevés. Les mêmes surcharges pèsent sur les importations, par
navires américains dans les ports de France, de marchandises qui ne sont pas
les produits des Etats-Unis.
La
législation anglaise prohibe à la navigation américaine, l'importation de tous
les produits de l'Asie, de l'Afrique et des Amériques, à l'exception des
produits des Etats-Unis ; ceux-ci frappent, par contre, de prohibition
l'importation par navires anglais de tous les produits de l'Europe.
Je
m'étonne que l'honorable député de Liége qui, dans une séance précédente, nous
a tant vanté le transit du Havre, et nous a tant exhorté à prendre les mêmes
moyens pour arriver au même résultat, soit venu, dans la séance d'hier, nous
proposer des moyens que
Le
tableau qui nous a été fourni par le précédent ministère, à l'appui de son
projet de loi relatif à l'établissement d'un service de bateaux à vapeur entre
En
voici le résultat :
1833,
26,979,108
1834,
36,957,261
1835, 50,791,132
1836,
80,136,238
1837,
40,004,480
1838,
50,974,226
Cependant,
une navigation à vapeur n'a point été établie pendant ces six années entre le port
du Havre et les Etats-Unis. Pourquoi les mêmes moyens de navigation, employés
par
Messieurs,
le troisième détriment qui va résulter de cette navigation à vapeur pour nos
intérêts matériels est beaucoup plus considérable que les deux premiers que je
viens de signifier.
Pour
alimenter la navigation de
Je
suppose toujours gratuitement que le transit allemand et suisse s'opérera par
Si,
contrairement à la pratique de
Ils
ont une navigation commerciale prodigieuse. Ils importent dans leurs ports
toutes les espèces de produits du monde. Nos moyens d'échanger nos articles
manufacturés avec les denrées des pays lointains seront rétrécis dans la même
proportion dans laquelle ils nous amèneront ces denrées.
Nos
moyens d'échanges nous seront en grande partie enlevés. Un commerce régulier et
suivi avec les pays lointains, est pour nous, comme pour toutes les autres
nations, impraticable, sans avoir des éléments de retour. L'unique but pour
lequel nous avons demandé l'enquête commerciale, a été de proposer au pays les
moyens d'accroître ces retours, afin de pouvoir exporter plus facilement et
plus largement nos manufactures dans les pays d'outre-mer. Si vous traitez sur
cette base avec les Etats-Unis, vous démolissez d'avance et en grande partie
tous les effets de l'enquête et les moyens d'élargir vos débouchés qui vous
seront proposés.
Cette
opinion est très bien prouvée même par les partisans de
Déjà
les Etats-Unis importent beaucoup de sucres sans réciprocité, c'est-à-dire en
payant les droits différentiels. Ces importations augmenteront considérablement
si vous assimilez au nôtre leur pavillon important dans nos ports des marchandises
qui ne sont pas leurs propres produits.
D'après
le tableau fourni par le ministère précédent, ils ont importé, en 1837, 134,680
kil. de sucres bruts. C.es
importations se sont depuis considérablement accrues. D'après les tableaux
officiels des Etats-Unis, du 30 septembre 1839 au 1er octobre 1840, il en est
arrivé dans nos ports par navires américains, non de
Voulez-vous
restreindre vos échanges, voulez-vous que l'Amérique du nord, et non
Je
sais très bien que la chambre de commerce d'Anvers prétend, dans sa pétition du
mois de mars dernier, dans laquelle elle cherche à défendre cette base de
réciprocité, qu'il est impossible que les navires américains transportent avec
avantage, de leurs ports, même par assimilation de pavillon, des denrées
coloniales telles que le sucre et le café. Les importations qu'ils ont faites,
même en payant les droits différentiels, prouvent évidemment le contraire. Une
objection quelconque ne peut se soutenir contre les faits. Il y a plus, du 30
septembre 1839 au 1er décembre 1840, d'après les tableaux officiels, les
navires des Etats-Unis ont importé dans nos ports des marchandises étrangères
qui n'étaient pas les produits de leur pays et sur lesquelles ils ont payé les
droits différentiels belges, pour une somme de 2,626,700
francs. Je vous demande, messieurs, si ces faits ne démolissent pas entièrement
une objection, quelle que soit l'autorité dont elle émane.
Les
Etats-Unis emploient entre leurs ports et les ports de l'île de Cuba une
navigation de 367,468 tonneaux ; ils importent de Cuba dans leurs ports en
denrées de cette colonie, surtout en sucres, une valeur de 53,111,575
fr. Toutes les fois que les navires des Etats-Unis reviennent de cette colonie
et des autres dans les Indes Occidentales, ils n'ont qu'à décrire une ligne peu
oblique, surtout pour arriver au port de Charleston, le plus rapproché de Cuba.
S'ils trouvent le marché surchargé de ces denrées, ils les chargent en
destination des pays où ils croient pouvoir les écouler. C'est un fait bien
prouvé. On sait que, dans les moments de besoin d'argent, les négociants des
Etats-Unis se livrent a des importations et à des exportations ruineuses. Ils
déroutent souvent le commerce normal par leur prodigieuse navigation maritime.
On
objectera peut-être que le transit ne s'établira pas, si l'on n'admet pas la
navigation de
Dans
tous les cas, si le transit vers les Etats-Unis est, ou non, considérable au
port d'Anvers, il ne manquera pas à ce port de navires américains pour le
servir. Dans le premier cas, je l'ai déjà prouvé, les navires américains
afflueront dans la proportion des besoins. Dans l'autre, les 89 navires
qui déjà arrivent directement des ports des Etats-Unis pour importer nos
besoins, suffiront à ceux du transit vers leur pays. Il en est de même en
Hollande : 107 navires viennent directement des ports des Etats-Unis dans ceux
de
Une
autre objection qu'on pourra faire, c'est celle qui consiste à dire que
Café.
Par
navires hollandais et pour
Par
navires hollandais et pour d'autres destinations. – fr. 5 par picol.
Par
navires étrangers et pour
Par
navires étrangers et pour d’autres destinations. – 3 par picol.
Sucre.
Par
navires nationaux. Libre à la sortie,
Par
navires étrangers sans distinction de destination. fr.
1 par picol.
Poivre.
Par
navires nationaux. 1 par picol.
Par
navires étrangers. 2 par picol.
Etain.
Par
navires nationaux, 2 par picol.
Par
navires étrangers, 5 par picol.
Il
résulte de là qu'aucune nation ne peut importer ces denrées en Hollande avec
avantage. Les Etats-Unis ont exporté, au contraire, des ports de
J'ai
répondu en grande partie aux raisonnements qui ont été développés par
l'honorable M. Liedts et par l'honorable M. David. Je ne puis non plus être
d'accord avec l'honorable M. Liedts sur les avantages que le débouché des
Etats-Unis nous offre préférablement aux débouchés d'autres pays lointains. Je
crois, en premier lieu, qu'il est infiniment plus important aux débouchés de
Sans
doute, messieurs, pour nous engager à voter le projet de loi qui a établi une
navigation à vapeur vers les Etats-Unis, le ministère précédent vous avait dit,
dans son exposé des motifs, que l'Angleterre exportait vers l'Amérique une
valeur de 400 millions. C'est là une exagération grave ; l'Angleterre n'exporte
pas aux Etats-Unis la moitié de cette valeur. Mais si cette somme n'était pas
exagérée, elle viendrait à l'appui de l'opinion que je soutiens ; car ces
exportations aux Etats-Unis auraient été faites par navires à voiles et sans
traité de réciprocité pour l'importation assimilée de toutes espèces de
provenances. Depuis l'établissement d'une navigation à vapeur entre les
Etats-Unis et l'Angleterre, ses exportations aux Etats-Unis ont, au contraire,
diminué. Le meilleur marché de l'Angleterre est actuellement le Brésil. D'après
les tableaux officiels de la douane anglaise, il n'a été exporté au Brésil, de
1830 à 1839, que pour une valeur moyenne d'a peu près 66 millions. Cependant,
de 1839 à 1840, la douane brésilienne porte la somme des exportations de l'Angleterre
au Brésil à 175 millions.
Quelle
est la raison du décroissement des exportations anglaises aux Etats-Unis ? Elle
est évidente : Il n'y a pas de nation transatlantique qui fasse plus de progrès
généraux et rapides en industries similaires que les Etats-Unis. Un second
motif, c'est l'élévation du tarif protecteur de ce pays. Il vient de porter à
20 p. c. les droits sur les marchandises qui, auparavant, n'étaient pas
imposées ou qui étaient imposées à des droits inférieurs. Nous rencontrerons
donc aux Etats-Unis les mêmes obstacles.
Maintenant,
messieurs, pour vous faire voir quel espoir nous est laissé d'augmenter nos
exportations aux Etats-Unis, je vous dirai que vous n'avez pas seulement à
lutter contre ces 20 p. c. ad valorem, mais que vous avez encore à
supporter des frais de commission, d'assurance, de déchargement,
d'emmagasinage, et surtout des frais de transport que vous ne pouvez porter à
un taux moindre qu'à 50 fr. par tonneau. Je vous demande dès lors quelles sont
les espérances sur lesquelles, vous vous fondez pour croire que vous pourrez
considérablement augmenter vos exportations vers les Etats-Unis.
Messieurs,
M. Huskisson, dans un discours prononcé en 1827 au
parlement anglais, émet l'opinion que déjà, avant cette époque, les Américains
se vantaient de consommer le cinquième de leur énorme production en cotons. Ils
exportent aujourd'hui en cotons communs sur les marchés sur lesquels nous
pouvons nous rencontrer pour une somme d'au-delà de 19 millions. Il est même
reconnu que cette exportation se serait élevée de 40 à 60 millions, si, dans
ces dernières années, leur marché d'argent n'avait point été dérangé par l'abus
qu'ils ont fait de la circulation de leur papier-monnaie, abus qui a élevé
considérablement les intérêts des avances et a porté le prix de revient de 25 à
33 p. c.
En
draps, messieurs, les Etats-Unis fabriquent aussi les quatre cinquièmes de leur
consommation. En fers, leurs maîtres de forges les plus habiles produisent le
fer brut à 23 p, c. meilleur marché que le même fer anglais, et le fer en barre
à peu près au même prix que le même fer qui est importé.
Je
vous demande dès lors, messieurs, si en dehors des marchandises que vous
exportez déjà aux Etats-Unis et que vous pourriez continuer à exporter, s'ils
ne parviennent pas à travailler mieux et à un prix inférieur, vous pouvez
espérer d'accroître considérablement vos exportations aux Etats-Unis en
articles autres que vous y exportez maintenant, sans qu'il soit besoin d'une
navigation à vapeur vers ce pays. Si les exportations anglaises décroissent,
comment pouvez-vous espérer d'accroître les vôtres ? Si vous les augmentez,
vous trouverez toujours assez de moyens de transport dans vos ports, sans que
vous en veniez à une navigation dispendieuse et dangereuse par bateaux à vapeur.
L'honorable
M. Liedts a avoué, avant-hier, que la navigation à voiles établie vers le
Brésil et Valparaiso contribuait aussi à augmenter nos exportations. Vous voyez
que nous avons fait des progrès. Il est maintenant généralement avoué, ce qui
avait toujours été contesté, qu'il faut protéger votre propre navigation. Il
n'y a plus de discussion sur ce point. Malheureusement, messieurs, pendant
douze ans, vous avez mis tout votre espoir dans la navigation étrangère,
contrairement à tous les faits commerciaux. Aujourd'hui on est d'accord que
vous devez protéger votre propre navigation, si vous voulez exporter.
Messieurs,
ce n'est pas moi qui serai responsable de la situation dans laquelle le pays
s'est trouvé depuis onze ans. Mais s'il est vrai, comme je le crois, que nos
importations, ainsi que celles de l'Angleterre, vers le Brésil et Valparaiso,
ont été améliorées par la protection accordée à la navigation à voiles, comment
se fait-il que l'honorable M. Liedts et ceux qui partagent son opinion ne croient
pas que ces effets seraient produits par une navigation régulière à voiles vers
les Etats-Unis ?
Dans
un discours que l'honorable M. Devaux a prononcé lors de la discussion de la
loi sur l'établissement d'un service de bateaux à vapeur, il ne dit pas un seul
mot sur le seul point qui fut en discussion dans cette chambre. Ce point,
c'était la préférence à accorder soit à la navigation à la vapeur, soit à la
navigation à voiles. Tous nous étions d'accord qu'il fallait établir des
relations directes avec les Etats-Unis. En m'appuyant sur les faits commerciaux
établis au Havre, à Londres, à Liverpool, à Rotterdam, et dans les ports anséatiques,
je soutiens encore qu'en employant des navires à voiles partant périodiquement,
vous arriverez exactement aux mêmes résultats que par votre navigation à
vapeur. Et, remarquez-le bien, si tant est qu'un transit considérable
s'établisse au port d'Anvers, les navires que les Américains eux-mêmes
établiront, seront des navires à voiles, des paquebots avec partance régulière.
Messieurs,
si les 400,000 fr. qui ont été votés pour protéger, remarquez-le bien, la seule
navigation vers les Etats-Unis, si même la moitié de cette somme, ou peut-être
le quart, avait été votée pour protéger une navigation régulière vers les plus
grands centres de commerce en Asie, en Afrique, et dans les deux Amériques,vous
auriez obtenu des résultats beaucoup plus rapides et beaucoup plus
considérables. Maintenant vous voulez dépenser 400,000 fr. par an uniquement
pour protéger la navigation vers un seul pays, et vers un pays où l'avenir ne
nous sourit pas, attendu que l'industrie américaine fait tous les ans en
produits similaires des nôtres des progrès rapides.
Je
formule mes conclusions contre l'exploitation de
Le
meilleur parti que l'on puisse tirer de
(Moniteur belge n°48, du 17 février 1842)
M. Doignon. - Messieurs, c'est dans le
compte-rendu de l'exécution de la loi de juin 1840, qui nous a été distribué
par M. le ministre, ainsi que dans le rapport de la section centrale, que je
puiserai les motifs de mon opinion sur l'objet en discussion. En lisant ces
pièces, messieurs, la plupart d'entre vous n'auront pu, je crois, se défendre
d'une pénible impression. Tous les membres de la section centrale ont été
unanimes pour exprimer, au moins implicitement, des regrets sur le résultat de
cette affaire.
Aujourd'hui
que tout est livré à la publicité, il serait superflu de le dissimuler ;
d'après l'ensemble des actes et des circonstances, on peut dire que le
gouvernement a fait un marché imprudent, qui nous coûte quelques millions, un
marché qui, à cause même des essais qu'il nécessite et des chances auxquelles
il nous expose, peut compromettre gravement l'entreprise elle-même, qui est
toute dans l'intérêt du commerce extérieur ; un marché, enfin, qui compromet au
même degré les intérêts du trésor public.
La
section centrale et tous les orateurs qui ont parlé jusqu'ici, M. le ministre
lui-même, tous ont reconnu qu'il faudrait commencer l'exploitation par un
essai. Or, un essai est toujours chose essentiellement chanceuse. Lorsqu'un
gouvernement surtout s'engage dans une entreprise maritime nouvelle, il est
contre les règles d'une bonne administration de débuter par des essais ; la prudence
ne veut-elle pas que, dans ce cas, l'on commence d'abord par suivre peu à peu
les routes tracées par le temps et l'expérience ?
On
nous dit : Mais dans l'état actuel des choses il est impossible qu'il en soit
autrement. Mais, messieurs, en supposant même qu'il en soit ainsi, je dis que
c'est précisément pour cette raison qu'il y a ici imprévoyance et imprudence.
Lorsque
le British Queen est arrivé à Anvers, l'opinion générale, celle même des
hommes du métier, s'est élevée contre cette entreprise ; le rapport de la section
centrale confirme en tout point cette opinion défavorable.
La
section centrale a décidé, à l'unanimité, qu'elle ne pouvait considérer
comme des actes de bonne administration le contrat d'acquisition du 17
mars et la convention conclue avec MM. Cateau-Wattel
et compagnie, en supposant même que le gouvernement ait eu le pouvoir de poser
ces actes. Elle a déclaré que le gouvernement ne pouvant s'exposer à
dépasser les limites de la loi, il n'avait pas le pouvoir de faire
l'acquisition des deux navires dont il s'agit pour les mettre ainsi à la
disposition d'une société ayant pour but d'exploiter le service de la
navigation transatlantique.
La
section centrale a été unanime aussi à penser que le mode de paiement était,
soit irrégulier, soit illégal ; elle a également décidé que le gouvernement
avait outrepassé les pouvoirs qui lui étaient donnés par la loi du 29 juin
1840, dans la convention conclue avec MM. Cateau-Wattel
et consorts le 3 avril 1841.
Elle
a décidé de même que le gouvernement a encore outrepassé ses pouvoirs dans la
nouvelle convention faite le 26 novembre, avec les mêmes personnes.
Messieurs,
après des déclarations aussi graves, aussi claires et précises, j'aurais cru au
moins que, pour mettre à l'avenir un frein à l'administration, la section
centrale eût conclu en proposant à la chambre d'exprimer une désapprobation
quelconque. Mais non, la majorité de la section centrale s'est, paraît-il,
résignée en silence à cette malheureuse affaire, et comme si déjà l'extrême
facilité des chambres depuis 1830, n'avait pas trop enhardi le pouvoir à se
mettre au-dessus des illégalités et des irrégularités en matière de finance ;
elle ne craint pas que cette manière d'agir l'enhardisse davantage encore dans
cette mauvaise voie.
Je
le dis avec regret, messieurs, si la chambre se tait dans de semblables
circonstances, on peut dire que désormais les ministres peuvent tout faire,
tout entreprendre, si pas tout oser. Je ne sais plus, dès lors, ce que nous
venons faire ici. Je ne comprends plus le gouvernement représentatif
Personne
plus que moi ne désire donner de la stabilité au cabinet actuel, mais il ne
faut pas, cependant, que ce désir nous porte oublier nos devoirs de députes
jusqu'à fermer les yeux sur d'aussi graves abus. La section centrale elle-même
nous a cependant fait entendre des paroles assez sévères, elle nous dit
elle-même que, dans les circonstances actuelles, les actes du ministère doivent
être examinés en eux-mêmes sans aucune considération de personnes.
Toutefois,
messieurs, j'aime à croire, quoi qu'en ait dit M. le ministre de l'intérieur
dans la séance précédente, que si l'initiative de l'affaire eût appartenu au
cabinet actuel, il ne se serait pas embarqué dans le British Queen.
J'ai
entendu, messieurs, caractériser en deux mots toute cette affaire : «
La
section centrale a démontré à l'évidence que l'acquisition du British Queen est
un acte de mauvaise administration. Je ne puis que me référer à cet égard aux
développements qui se trouvent dans son rapport.
« Etait-ce
à
Comment,
messieurs, le ministère ne s'est-il pas entouré d'assez de lumières, d'assez de
renseignements pour reconnaître combien il était dangereux de faire le début de
notre navigation transatlantique avec un navire appartenant à un système de
construction qui n'a pas encore reçu la sanction du temps, avec un navire dont
les proportions sont, en tout cas, trop grandes, et l'exploitation trop
dispendieuse, eu égard au peu de relations que nous avons avec les Etats-Unis.
»
Cette
entreprise, messieurs, devait nécessairement exposer le gouvernement à dépasser
les limites de la loi, car, ainsi que le dit encore la section centrale :
«
Le moindre événement désastreux, ou cas de force majeur, non compris dans la police
d'assurance, l'eut forcé de cesser le service ou de demander à la nation de
nouveaux sacrifices. Le défi énorme qu'on nous prédit aujourd'hui
officiellement pour l'exploitation d'un seul navire, prouve mieux que tous les
renseignements la légèreté des calculs de l'administration.
Une
chose, messieurs, qui doit étonner, c’est que ce nouveau système de grand
tonnage qui domine ici toute l'affaire, selon moi n'aurait pas même fait
d'abord l'objet d'une instruction. Ni M. Van de Weyer, ni l'amirauté, ni aucun
ingénieur n'ont été appelés ; donner des éclaircissements sur la question ;
aucun d'eux n'a été appelé à l'examiner ni à juger lequel des deux systèmes
pouvait convenir à
Je
dis que je ne considère pas les raisons invoquées par M. Lejeune comme fondées
; en effet, la section centrale y a répondu en peu de mots, voici ce qu'elle
dit à cet égard :
« Les
navires que l'Angleterre construit aujourd'hui (à l'exception du Mamouth, de 3,600 tonneaux, qui ne sera
probablement jamais achevé, ni lancé du chantier), ne sortent pas, en général,
des proportions de ceux de la première catégorie (ce sont ceux de 1200 à 1400
tonneaux) ; et il est à remarquer que c'est aux navires de cette dimension
que le gouvernement anglais accorde, de préférence et exclusivement des
subsides. Cette préférence ne s'explique pas uniquement par la circonstance que
ces navires estafettes, chargés du transport des dépêches, sont construits pour
obtenir plus de vitesse, puisque, d'après des données que nous croyons exactes,
les navires acquis par le gouvernement belge ont une vitesse égale ou à peu
près. D'autres motifs, qu'il ne nous appartient pas de rechercher, doivent
donc avoir engagé le gouvernement anglais à exclure ces derniers navires du
partage de ses subsides. »
Dans
sa lettre du 12 juin, il paraît que M. Lejeune se place même à côté de la question,
car il ne s'agissait pas de connaître s'il convenait d'avoir un navire de
telle ou telle dimension pour transporter en Amérique telle quantité de
marchandises, mais bien de savoir s'il n'était pas plus sûr d'employer, pour
commencer, des navires d'une dimension ordinaire, des navires de 100 à 150
tonneaux plutôt qu'un navire colossal portant 5 à 600 tonneaux.
Il
y a, en outre, une erreur grave dans cette lettre. On y estime le déficit
annuel à cent mille fr., tandis que, d'après une estimation faite par les soins
de la section centrale, le déficit pour la première année serait de 270,000 fr.
Mais
à qui s'adresse-t-on encore pour s'éclairer ainsi après coup ? On s'adresse à
celui-là même qui avait négocié toute l'affaire, et il eut été plus qu'étrange
qu'après avoir lui-même conseillé le marché, il eût tout à coup démontré qu'il
ne valait rien.
C'est
encore la section centrale qui nous révèle cette circonstance.
« Le
gouvernement, dit-elle, avait la certitude morale qu'une société serait formée.
Un membre de cette future société avait donné l'idée de l'acquisition des deux
navires, et en avait été le plus actif négociateur. »
Eh
bien, nous pouvons le dire puisque toutes les pièces ont été communiquées et
publiées, le négociateur n'était pas désintéressé dans la question. Il résulte
des pièces que non seulement il devait être membre de la future société, mais
qu'il devait encore être chargé de son exploitation et de son administration,
et que de ce chef il devait avoir des émoluments peut-être considérables, ou
deux pour cent sur les transports ou neuf pour cent sur le produit des
recettes, ou un traitement et des indemnités de déplacement, des jetons de
présence. Or, messieurs, vous le savez, avec même la meilleure foi du monde, on
désire quelquefois voir dans les affaires ce que l'on a intérêt d'y voir. Il y
a cependant de respectables exceptions, je le reconnais.
Mais
il y a plus : le ministère a reconnu lui-même que l'opération n'est pas un acte
de bonne administration ; et sur ce point, il exprime son opinion en deux mots,
dans le compte-rendu qu'il nous fait distribuer. Après nous avoir exposé les
faits, il conclut ainsi, page 8 :
«
Il n'est nullement déraisonnable de commencer l'opération et de la borner même
longtemps à un seul navire. »
Lorsqu'il
s'agit de favoriser une nouvelle entreprise dans le pays, il ne suffit pas de
dire qu'elle n'est pas déraisonnable, mais il faut qu'elle soit positivement
raisonnable, positivement avantageuse au pays.
Quant
à l'ancien ministère, l'époque de la négociation est un fait remarquable.
« Le
vote de la chambre, dit la section centrale, avait eu lieu le 2 mars ; le
contrat d'acquisition fut signé le 17 mars, jour du vote du sénat ; et c'est le
3 avril, quand probablement le cabinet avait déjà déposé sa démission entre les
mains du Roi, qu'il ratifie indirectement le contrat d'acquisition, en mettant
les navires achetés à la disposition d'une société d'exploitation. La section
centrale, dit-elle, n'a pas mission de rechercher les motifs d'une telle précipitation,
que l'intérêt général ne paraissait pas réclamer. »
Il
est, en effet, probable qu'à cette époque les ministres avaient remis leurs
démissions au Roi ; mais dans ce cas, le ministère de cette époque n'avait
certainement pas qualité pour consentir l'acte dont s'agit. Il a déjà été
soutenu dans cette enceinte, et notamment par l'honorable M. Devaux, que, dans
une pareille situation, les ministres ne peuvent que faire des actes de simple
administration, des actes d'urgence. Or, à coup sûr, une acquisition aussi
importante, une acquisition de quelques millions, ne tombait pas dans cette
catégorie. Lorsque des ministres sont démissionnaires, ils se soustraient déjà
par cela même à la responsabilité qui résulte de l'exécution de leurs actes,
puisque l'exécution est destinée à passer en d'autres mains. Or, si la
responsabilité n'existe plus, le pouvoir doit également cesser d'exister, au
moins quant aux actes de haute administration, tels que celui dont il s'agit.
Le
ministère nous a dit qu'à cette époque il fallait bien faire l'acquisition de
ces deux navires, parce qu'à cause des événements politiques des affaires
d'Orient, on ne trouvait plus de société de capitalistes qui voulussent se
charger de l'opération.
Effectivement,
lorsqu'on a voté la loi du 29 juin 1840, on avait la certitude morale de
rencontrer une compagnie de capitalistes qui voulût bien entreprendre
l'affaire.
Mais
les événements politiques ont fait disparaître cette certitude, dès lors, les motif de la loi, les vues que
nous avions à cette époque n’existant plus, la loi interprétée sainement ne
devait plus recevoir d’exécution ; il était alors du devoir du gouvernement de
suspendre l’exécution de la loi, d'en faire rapport à la chambre et de
demander d’autres moyens d'exécution. Voilà, selon moi, comment on aurait dû
procéder.
Nous
disons donc que le ministère a fait un acte de mauvaise administration. Nous
disons, en second lieu, avec la section centrale, qu’il a eu peu de respect
pour l'esprit et le texte de la loi. Son texte est clair :
« Le
gouvernement est autorisé à favoriser l'établissement d'un service de bateaux à
vapeur entre les Etats Unis el
L’expression
favoriser un établissement, ce n'est
pas l'acquérir soi-même, ni le créer, mais c'est aider à le créer au moyen d'un
concours pécuniaire.
L’expression
favoriser, encourager, se rencontre
dans beaucoup de nos lois, dans presque tous les budgets. Jamais on ne l'a
entendue autrement. On vient de nous rappeler aujourd'hui les explications qui
ont été données pendant la discussion et dans le sein de la section centrale.
Mais on oublie ici la règle que, quand un texte est clair, il n’y a pas lieu à
interprétation. Peu nous importe les explications qui ont été données ; ce ne
sont pas ces explications qu’on a votées, c’est le texte, et quelle qu’ait été
la discussion, c’est le sens naturel à ce texte qu’en définitive la chambre est
censée avoir adopté.
On
a dit que la chambre avait rejeté un amendement relatif au subside ; mais elle a
bien fait de le rejeter ; il était entièrement inutile. L’expression favoriser rendait parfaitement l’idée
d’un subside, d’une subvention. Ainsi, de ce que la chambre a rejeté cet
amendement, il ne s’en suit pas qu’on puise donner à l'expression favoriser une extension qu'elle ne
saurait avoir d'après sa signification naturelle.
Je
dirai plus, le ministre, en 1840 et au commencement de
Voici
le premier appel qui a été fait aux capitalistes par le dernier ministère :
« Le
ministère de l’intérieur,
« Considérant
que la législature a autorisé le gouvernement à favoriser par son concours pécuniaire l’établissement d’un service de bateau
à vapeur entre
Au
§ 8 nous lisons :
« Comme le veut la loi, le concours pécuniaire
du gouvernement ne peut avoir lieu que pendant 14 années. »
Dans
le premier contrat de la société qui a été présenté au ministère, il était dit
formellement, art. 15 :
« En
exécution de la loi du 29 juin 1840, afin d’encourager
l’établissement des bateaux à vapeur transatlantiques, le gouvernement,
pour garantir autant que possible la société de toute perte éventuelle, lui
accorde pendant 14 années consécutives la somme de 400,000 fr. »
On
lit ensuite plus bas :
« Moyennant
ce subside, la société
s’engage… »
Dans
un autre §, on trouve :
« Les
deux premières années des subsides
commenceront à courir du jour de l’approbation donnée par le Roi aux présents
statuts… »
Dans
les instructions envoyées par le gouvernement à M. Van de Weyer, le 9 février
1841, on ne parle aussi que de subside.
On
lit dans le 9e § :
« En
échange de ces obligations, le gouvernement concéderait à la compagnie anglaise
le subside annuel de 400,000 fr.,
voté par la loi du 29 juin 1840. Ce subside
lui serait payé… »
On
lit dans le § suivant :
« …
Le subside, pendant la 2e
et 3e année serait payé… »
Dans
le § suivant, on trouve encore, « le subside
ne serait alloué… »
Chose
singulière, même jusqu’au 9 février 1841, il n'était question que d’un subside
; on donne des instructions dans ce sens ; eh bien, à la même date, le même
jour, le gouvernement, sans indiquer de motifs, change d’opinion, et donne des
instructions pour l’achat du Président
et du British Queen.
Et
ensuite non seulement on achète, mais on n'hésite pas à prendre une grande part
dans l'exploitation, l'administration et la direction de l’entreprise, et l’on
se met ainsi hors des bornes tracées par la loi elle-même. On s’exposait
évidemment par là à entrer dans une voie d’engagement, dans une voie de
sacrifices et de dépenses dont on ne pouvait pas apercevoir la fin ; car, dans
toute supposition, à défaut d’une société convenable pour exploiter le navire,
ou en cas de dissolution de la société exploitante ; dans toute hypothèse,
dis-je, ce navire devait finir par rester sur les bras de l’Etat, qui se
trouvait ainsi obligé de devenir armateur, d’en faire l’exploitation pour son
compte, et cela encore par forme d’esssai. Je vous
demande, messieurs, si c’est là administrer ?
Dans
le dernier contrat de société qui est intervenu avec la même compagnie, le 26
novembre dernier, nous voyons que le gouvernement garantit le remboursement des
200,000 francs, fonds de roulement du service, et, en outre, il s’oblige à
pourvoir à tous les autres fonds nécessaires pour le même service, de sorte que
sous tous les rapports on s’engage indéfiniment, sans prévoir aucune limite, et
l’on se met ainsi au-dessus et en dehors de la loi.
Il
est donc clair, pour moi, que le gouvernement a excédé ses pouvoirs ; ce qu’il
a fait, il n’avait pas le droit de le faire ; ce qu’il a fait est nul ou plutôt
provisoire, jusqu’à la ratification des chambres, et nous dirons plus, jusqu’à
ce que S. M. ait d’abord sanctionné les actes du ministère, jusqu’ici nous ne
savons pas si ses actes ont obtenu l’approbation royale.
En
supposant même que la ratification des chambres ne soit pas nécessaire, nous
soutenons qu’au moins il n’appartenait pas aux ministres de ratifier eux-mêmes,
que cette ratification n’appartenait qu’au Roi. Ici je dois vous soumettre deux
articles de l’instruction qui a été envoyée à M. Van de Weyer. L’art. 11 porte :
« S’il
intervient un contrat avec cette compagnie, il ne pourra jamais être définitif
sans l’approbation ultérieure que je me réserve formellement de donner, après
examen de toutes les pièces et documents, endéans le terme de trois semaines,
si faire se peut, à partir du jour de la signature du contrat provisoire. Il
est également entendu que, non seulement la convention elle-même, comme toutes
les dispositions réglementaires y relatives, devront être soumises à ma ratification,
mais encore qu’il sera facultatif au (manque
quelques mots) d’achat au vote des chambres législatives, sous forme de
projet de loi ; dans ce cas, le délai pour la ratification définitive devra
être d’un mois au moins.
« Dans
quelque cas de non-ratification que ce puisse être, la compagnie anglaise ne
pourra prétendre à une indemnité ou dommages-intérêts de ce chef ni de toute
autre.»
Vous
voyez que le ministre suppose que c'est à lui qu'il appartient de ratifier le
contrat. C'est là une erreur évidente que nous devons relever.
M.
Van de Weyer l'a tellement senti lui-même, qu'il a formellement subordonné le
marché à la ratification du Roi. Quand il s'agit seulement d'accorder un
subside d'une chétive somme, un subside de deux ou trois cents francs, on prend
un arrêté royal, et quand il s'agit d'une affaire aussi majeure, de l'achat de
quelques millions, un ministre aurait le droit de disposer seul ! Cette manière
de procéder est contraire à nos principes constitutionnels.
Au
Roi seul appartient le pouvoir exécutif, au Roi seul appartient le droit de
faire des arrêtés ou ordonnances pour l'exécution des lois. Aussi, à cet égard,
M. Van de Weyer n'a-t-il pas suivi les instructions qu'on lui avait données. Il
y a dérogé expressément. Voici la stipulation qu'il a fait insérer dans le
contrat du 17 mars :
«
Vu que ledit Sylvain Van de Weyer, veut référer le présent contrat et les
stipulations y comprises à Sadite Majesté, pour être
par Elle approuvées et ratifiées, avant que ledit Sylvain Van de Weyer ou Sadite Majesté, s'y soit absolument obligé et engagé ; il
est par ces présentes de plus convenu qu'en ce qui regarde ledit Sylvain Van de
Weyer et Sadite Majesté, ces présentes sont faites et
signées par ledit Sylvain Van de Weyer, à condition expresse, que Sadite Majesté les approuve et ratifie (mais toutefois,
cette condition n'aura pas l’effet d'empêcher la livraison des lettres de vente
comme il en est ci-dessus convenu), et que dans le cas où Sadite
Majesté ne les trouve pas bonnes et ne les ratifie pas, ou que l'approbation et
la ratification, de la part de Sadite Majesté, ne
soit pas donnée et signifiée, adressée et envoyée auxdites parties
contractantes de la première part, ou à quelques-uns d'eux, comme il en est
ci-dessus mentionné, moyennant le délai de 42 (quarante-deux jours) à
partir du jour de la date de ces présentes ; ces présentes et toute clause et
chose y comprises, seront absolument et à tous égards nulles, invalides et sans
force, et aucune action ou procès ne saurait en être intenté pour en
exiger l'exécution, nonobstant toute ordonnance on précepte de loi ou
d'équité. »
Ainsi,
en vertu de cette clause expresse, les ministres actuels n'avaient pas plus le
droit que les anciens de ratifier le marché dont il s’agit.
J'ajouterai
une observation importante. Malgré les communications nombreuses qui nous ont
été faites, il ne conste pas encore que Sa Majesté aurait donné la ratification
à défaut de laquelle, aux termes même de l'acte du 17 mars, l'achat et toute
clause y comprise sont absolument et à tous égards nuls, invalides et sans
force. Si cette sanction royale n'existe pas, tout est nul par ce seul
motif, indépendamment de la ratification des chambres.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'ai déjà
dit qu'il y avait un arrêté royal.
M.
Doignon. - Si cet arrêté existe nous
demanderons par qui il est contresigné et s'il ne convient pas de le
communiquer aux chambres.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L'arrêté royal est du 19 avril 1841 et il est
contresigné par le ministre d'alors, par moi.
M.
Doignon. - Mais voici, messieurs, le
trait le plus remarquable dans toute cette affaire. La compagnie anglaise, qui
avait, quoi qu'on en dise, avantageusement vendu son navire, car elle aurait
bien difficilement trouvé des acheteurs ailleurs qu'en Belgique, cette
compagnie pouvait craindre que son marché fut compromis, modifié ou même
annulé, parce que les chambres le critiqueraient comme on le fait aujourd'hui,
ou le répudieraient sans vouloir le ratifier.
Il
fallait donc trouver un moyen d'échapper à ce grand inconvénient. C'était de
stipuler le paiement au comptant, soit par des obligations au porteur, soit en
espèces. Eh bien ! c'est à quoi le gouvernement a
également consenti. Ce paiement comptant rendait par le fait même illusoire, et
même dérisoire, le vote des chambres qui dès lors n'avaient plus de recours que
contre des ministres responsables, recours également illusoire d'après les
antécédents de la chambre, antécédents auxquels on devrait bien mettre fin une
fois. Dans le contrat du 17 mars, il avait d'abord été stipulé un autre mode de
paiement ainsi conçu : « Et il est par ces présentes convenu, dit le
contrat, que ledit Sylvain Van de Weyer, en sa qualité d'agent, ses héritiers
exécuteurs, etc., livreront des obligations du gouvernement belge pour la somme
de 143,500 liv. st. payables au porteur en 14 ans, avec intérêt pendant
l'intervalle au taux de 5 p. c. par an, à dater du 1er mai prochain. »
Mais
la compagnie, qui était en détresse et qui voulait liquider, désirait avoir des
écus. Elle fit à cet effet une démarche près du ministère. Ici c'est le
ministère lui-même qui, dans son exposé, nous rapporte comment les faits se
sont passés :
« Un
nouveau mode de paiement fut demandé et accordé.
« Ce
nouveau mode a été stipulé en ces termes par les dispositions additionnelles
signées le 28 avril 1841 :
« Ledit
bateau the British Queen sera livré et cédé, suivant les termes dudit
contrat ci-dedans écrit et mentionné, au prix de soixante-dix mille livres
sterling, en monnaie de
Veuillez
faire attention que c'est la compagnie elle-même qui demande le changement du
mode de paiement. Et comme si elle voulait faire un acte de générosité, elle
offre de faire une réduction, un léger sacrifice de 2 mille livres sterlings environs ; mais en retour et en compensation
elle obtient le paiement comptant en espèces. Une fois ainsi nantie de toute
la somme, la compagnie n'avait plus à courir aucun risque, aucuns
chance résultant de nos débats, de la non-ratification de la part des chambres.
L'affaire se trouvait entièrement consommée au profit de la compagnie ou,
plutôt de ses créanciers et de ses actionnaires. A l'heure qu'il est les
créanciers ont sans doute déjà partagé entre eux les écus de
Voilà,
messieurs, la position qu'on nous a faite. On a ainsi paralysé l'action des
membres ; et l'on nous a ainsi enlevé le droit de désapprouver utilement le marché
; l'on nous a empêché d'arrêter le gouvernement dans une mauvaise entreprise,
et de faire déclarer nuls des actes qui devraient l'être aux termes du contrat
du 17 mars. Cependant on est venu vanter ce nouveau mode de paiement ;
s'appuyant sur des raisons spécieuses, on l'a présenté comme avantageux, tandis
qu'on a sacrifié et le droit de refuser la livraison et le droit de
ratification de la chambre, en la mettant dans une situation qui rend ce droit
illusoire ; ce mode de paiement a été, au surplus, déclaré irrégulier ou plutôt
illégal par la section centrale. Puisqu'avec un peu de réflexion, en consultant
les hommes du métier ; il n'était pas bien difficile de reconnaître que cette
entreprise était au moins hasardeuse, la prudence ne commandait-elle pas de
chercher à s'en retirer ? Le gouvernement avait, à cet effet, à sa disposition
trois moyens légitimes, avoués par la bonne foi et l'équité qui doivent
présider aux transactions. D'abord, aux termes de la clause insérée dans le
contrat du 17 mars, par suite de la perte du Président, le gouvernement
n'était pas tenu d’accepter
On
dit que, dans ce cas, nous aurions manqué de bonne foi, que nous aurions manqué
à un engagement d'honneur. Mais à qui dit-on cela ? Dans le commerce ne
stipule-t-on pas, tous les jours, que l'une des parties contractantes aura un
certain délai pour réfléchir et se dédire même si elle le juge à propos ?
Il
est, en effet, certaines circonstances où, après avoir conclu un marché, on
veut l'examiner de plus près, faire de nouvelles recherches, prendre de
nouveaux renseignements, afin de s'assurer si on n'est pas dupe, afin de tout
prévoir, de calculer à l'avance toutes les chances de l'exécution et. du succès
de l'entreprise, et c'était bien le cas dans l'espèce, d'autant plus que le
gouvernement avait dit en termes formels dans ses instructions, qu'il voulait
avant tout la certitude d'une bonne réussite, un essai malheureux, disait-il
alors, devant entraîner les plus graves inconvénients. Dans un cas semblable,
quand on ne ratifie pas, on ne fait qu'exécuter la convention d'une manière
franche et loyale ; et puisqu'en pareil cas l'on observe religieusement la loi
du contrat, il n'est même pas dû de dommages-intérêts. C'est d’ailleurs ce qui
a même été stipulé en termes formels. Voici à cet égard l'article qui se trouve
dans les instructions de M. le ministre du mois du février.
« Dans
quelque cas de non-ratification que ce puisse être, la compagne anglaise ne pourra
prétendre à une indemnité ou à des dommages-intérêts de ce chef, ni de tout
autre. »
Ainsi
il n'y avait aucune indélicatesse à refuser le marché, d'autant moins que les
parties étaient prévenues par la convention elle-même et qu'elles avaient dû
prévoir les conséquences de cette clause.
Ce
n'est pas tout, M. le ministre a reconnu lui-même que jusqu'à la ratification,
il n'était pas lié, qu'il n'y avait rien de fait et que tout était dans
le provisoire. Dans une lettre écrite en juillet dernier à M. Van de Weyer,
voici comment il s'exprime :
« Si
le rapport est satisfaisant, c'est-à-dire s'il démontre que
Donc
jusqu'alors tout était provisoire ; ce n'était qu’un contrat provisoire fait
avec la compagnie, et elle ne pouvait l’ignorer, puisque telle était la
conséquence des instructions et des clauses formelles du contrat. M. le
ministre au surplus ne faisait en cela que se conformer aux instructions
données par son prédécesseur. « S'il intervient un contrat avec cette
compagnie (écrivait M. Liedts à M. Van de Weyer le 9 février 1841), il ne
pourra jamais être définitif
sans l'approbation ultérieure que je me réserve formellement de donner après
examen de toutes les pièces et documents, endéans le terme de trois semaines,
si faire se peut, à partir du jour de la signature du contrat provisoire. Il
est donc incontestable qu'il ne s'agissait que d'un contrat d'achat
provisoire. »
En
troisième lieu, le marché était provisoire, parce que, dépassant les termes de
la loi du 29 juin 1840, il était de droit subordonné à la sanction des
chambres, parce que M. Van de Weyer, n'agissant que comme mandataire du
gouvernement, n’était censé s'obliger que dans la limite de son mandat des
pouvoirs qui résultent de notre droit public.
Ainsi
l'on dénature, selon moi, toutes les choses, lorsqu'on vient nous dire que le
gouvernement ne pouvait se dispenser d'accepter, qu'il y avait
engagement moral, qu'il y avait impossibilité morale de désavouer. M. Van de
Weyer, puisqu'il s’était conformé a ses instructions. D'abord on l'a vu, ses
instructions elles-mêmes ne l'autorisaient qu'à faire une convention provisoire
sujette à ratification ; mais on raisonne dans tout cela comme si l'on avait
négocié une affaire politique, un traité international, comme si M. Van de
Weyer était intervenu dans cette affaire en sa qualité de ministre
plénipotentiaire du Roi. Mais, messieurs, il n'y a rien de tout cela.
De
quoi s'agissait-il ? d'un acte commercial, de l'achat
d'un navire, d'une transaction commerciale entre le gouvernement et un
particulier. Qu'on lise les deux conventions du 17 mars et du 28 avril 1841,
on verra que M. Van de Weyer ne contracte pas en qualité de ministre
plénipotentiaire, comme dans une affaire diplomatique, mais il prend une autre
qualité, un titre spécial, celui d'agent du Roi des Belges. M. Van de
Weyer avait trop de sagacité pour ne pas penser qu'il devait agir ainsi.
Voici
ce que porte le premier contrat : « Conditions de contrat faites le 17
avril 1841, entre Henri Baindbridge, etc., d'une part,
et M. Sylvain Van de Weyer, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
de Sa Majesté Léopold, Roi des Belges, auprès de la cour de
Dans
le contrat d'avril dernier, M. Van de Weyer prend encore la même qualité
d'agent du Roi des Belges. Dans ce dernier contrat, on ne rappelle même plus sa
qualité de ministre plénipotentiaire. Ainsi, il n'existe aucun doute à cet
égard, M. Van de Weyer n'a pas traité en sa qualité de ministre
plénipotentiaire.
Nous
savons que lorsqu'il est intervenu un traité entre deux nations, la ratification
n'est, en règle générale, qu'une pure formalité ; cependant, on doit s'en
souvenir ,cette règle n'a pas été suivie à notre égard ; mais en matière
d'engagements commerciaux ou civils, la réserve de ratification et de
non-acceptation a un tout autre caractère, et une tout autre portée ; on ne
fait qu'user d'un droit légitime en faisant usage d'une réserve stipulée par
prudence et dans l'intérêt bien entendu de l'une des parties ; en usant ici de
son droit on ne fait tort à personne, et l'on ne fait que se conformer à ce qui
est d'usage dans le commerce et à ce qui est généralement consacré par la bonne
foi, l'équité et l'honneur. En se conduisant ainsi, on ne blesse ni l'équité,
ni la bonne foi, ni l'honneur, c'est plutôt en ratifiant imprudemment et avec
précipitation qu'on a compromis le nom et l'honneur belge.
Il
est si peu vrai qu'on ait employé la voie diplomatique, que M. Van de Weyer n'a réellement figuré que de
nom, et que le véritable négociateur n'a pas été M. Van de Weyer, mais
M. Lejeune, négociant à Anvers.
Cette
clause de ratification a été insérée dans le contrat du 17 mars conformément
aux instructions du ministre ; par conséquent, en ne ratifiant pas, l'on n'a
fait que se conformer à ses instructions. Et puisque, tout considéré, cet acte
n'était évidemment pas un acte de bonne administration, en ne le ratifiant pas,
on faisait un acte de sagesse et non un acte de caprice, comme on l'a dit.
Sur
ce point, M. le ministre de l'intérieur nous a donné lecture d'une lettre de M.
Van de Weyer, du mois de janvier dernier ; mais, dans cette lettre, je ne vois
rien de concluant. M. Van de Weyer nous parle d'engagement d'honneur, de manque
de bonne foi, etc. ; mais il ne nous démontre rien, absolument rien ; ce sont
des assertions purement gratuites.
Je
vous demande, d'ailleurs quel crédit nous devons accorder à cette lettre,
lorsque précédemment M. Van de Weyer avait dit, dans son rapport, que l’achat
de
En
second lieu, on vous a dit qu'on était dans l'impossibilité morale de désavouer
l'amirauté. Je ne conçois pas cette objection, je ne sais ce que l'amirauté
vient faire dans cette question. L’amirauté ne peut être désavouée puisqu'elle
n'avait pas négocié le marché. Elle n'est pas intervenue dans cette négociation
et elle n'a point été chargée d'y intervenir. On sait que c'est par
l'intermédiaire de M. Lejeune que le marché s'est fait. L'amirauté n'a eu
qu'une mission : c'était de constater l'état du bâtiment, de faire constater
par ses ingénieurs si le navire était dans un bon état de réparation
d'entretien, s'il réunissait les conditions d'une bonne construction. C'est
encore ce qui résulte du rapport de M. Van de Weyer. Nous y lisons :
« Mes
informations et celles de mes agents ne me laissaient aucun doute sur le parfait
état de
Vous
voyez qu'il s'agit d'opérations tout à fait étrangères à la négociation, et par
conséquent à la ratification. La plus grande question était de savoir si l'acquisition
de
La
société anglo-américaine n'aurait eu aussi aucun reproche à faire si l'on
n'avait pas ratifié, puisqu'elle-même avait consenti aux réserves faites dans
les contrats, et qu'elle-même avait fixé les délais dans les conventions de
mars et d’avril. Assurément, on ne lui fera pas l'injure de n'avoir pas compris
ses propres stipulations, et de ne pas en avoir apprécié les conséquences.
Il
me paraît donc que rien ne saurait justifier la conduite du gouvernement dans
la négociation de cette affaire, laquelle, au dire de la section centrale, doit
déjà produire un déficit de 270,000 fr. pour la première année. Ce chiffre, dit
la section centrale, est vraiment effrayant, et elle ne cherche pas à cacher
l'impression que cette perspective désastreuse a faite sur son esprit.
N'est-il
pas évident que, dans l'état des choses, il valait mieux suivre d'abord les
anciens errements, l'exemple des autres nations, employer des navires de 200 à
250 tonneaux, et se borner, comme en France et en Angleterre, à accorder des
subsides. Au lieu de cela, l'on a agi, il faut le dire, inconsidérément et à la
légère.
C'est
le 13 avril que le ministère est entré aux affaires. A peine installé, c'est le
19 avril qu'il ratifie. On dirait qu'il n'ait pas encore voulu se donner le
temps d'examiner. Il avait cependant jusqu'au 28 pour instruire cette
importante affaire ; mais en ratifiant le 19, il était même physiquement
impossible qu'il pût en faire un examen convenable.
Je
pense, du reste que, dans tous les cas, on pouvait obtenir à un prix moindre
Pourquoi,
messieurs, cette société a-t-elle croulé ? Parce qu'elle voulait opérer trop en
grand ; parce qu'elle avait voulu employer ces grands navires, prétendant
écraser ainsi ses concurrents. Mais elle a été punie de sa témérité. Cette
société est tombée. Et cependant c'est le système suivi par elle, ce même
système qui l’a ruinée, qu'on veut établir ici.
Quant
au mode de paiement, messieurs, puisqu’il n'y avait que 400,000 fr. alloués au
budget, il est clair que le gouvernement ne pouvait disposer sur la caisse de 2
millions environ. C'est là une illégalité qui ne doit plus se reproduire.
Au
total, messieurs, le gouvernement a, selon moi, franchi les limites de la loi,
il a excédé ses pouvoirs, La section centrale a reconnu et déclaré qu'il avait
fait acte de mauvaise administration. Je pense donc que, vu l'importance de
l'affaire, il est de la dignité de la chambre de formuler cette déclaration,
qu'il est de sa dignité d'exprimer sa haute désapprobation, sauf à délibérer
ensuite sur le recours à exercer du chef de la responsabilité ministérielle.
Depuis
dix ans, messieurs, on a trop abusé des bills d'indemnité pour que je sois
disposé à en accorder un aujourd'hui. En vain, vous ferez des lois de
comptabilité ; du moment qu'on ne respecte plus la loi, vos bills d'indemnité
seront autant d'actes de faiblesse ; et il faut le dire, nous sommes arrivés
aujourd'hui à cette situation que c'est vraiment une nécessité fâcheuse, il est
vrai, mais inévitable, de prendre enfin en sérieux la responsabilité
ministérielle.
Qu'on
me permette cette comparaison : dans les circonstances actuelles, la chambre
doit faire l'office qu'une bonne mère, qui, tout en voulant donner une leçon au
fils qu'elle préfère, n'entend pas pour cela le chasser de la maison
paternelle.
En
parlant comme je viens de le faire, je croirai avoir bien mieux servi la cause
de l’autorité gouvernementale que si j’avais approuvé les actes des
ministères. Aux yeux du pays, messieurs, une telle approbation affaiblirait
plutôt cette autorité, et elle déconsidérerait tout à la fois et le
gouvernement et la chambre.
II
me reste un mot à dire sur l'emploi futur de
M.
le ministre de l'intérieur a fait remarquer que ce débat pourrait nuire à
l'exploitation de
M. de Behr. - Messieurs, j'ai partagé,
dans le sein de la section centrale, l'opinion des membres qui ont considéré
comme rentrant dans l'exécution de la loi l'acquisition des deux steamers
anglais, et je persiste dans le même sentiment. La loi du 29 juin contient, en
réalité, un vote de confiance ; elle est formulée dans des termes tellement
vagues que le gouvernement avait un pouvoir discrétionnaire sur le choix des
moyens propres à l'établissement du service qu'elle avait en vue. Aussi, qu'on
lise et relise les explications données par l'auteur du projet dans le sein de
la section centrale et de la chambre, et l'on verra qu'il a bien indiqué divers
modes d'exploitation, mais qu'il a entendu ne se lier définitivement à aucun.
Le gouvernement avait, sans contredit, le droit de traiter avec une société
pour la navigation transatlantique à vapeur, et d'engager toutes et chacune des
annuités mises à sa disposition ; à plus forte raison, pouvait-il, selon moi,
employer une partie de la somme à l'achat de navires pour les remettre, au lieu
d'écus, à une société sérieuse et concourir ainsi à l'établissement d'une ligne
de navigation entre
« Alors
il sera licite et permis audit sieur Van de Weyer ; (mais toutefois ledit sieur
Van de Weyer n'y sera pas obligé) de prendre et accepter l'autre desdits
bateaux à raison de 71,750 liv. st., payables en obligations du gouvernement
comme ci-dessus spécifié, aux termes et conditions ci-dessus déclarées. »
Il y a certes autre chose dans cette stipulation qu'une simple clause
résolutoire ; il y a là une véritable obligation avec tous les caractères qui
constituent une promesse de vente telle qu'elle est définie par Pothier et
d'autres auteurs ; et cette obligation est toute distincte et indépendante de
celle qui a pour objet la vente des deux navires. Je sais fort bien qu'il était
parfaitement libre à la partie qui avait stipulé cette clause en sa faveur d'y
renoncer ; mais en attendant, elle ne liait pas moins la compagnie anglaise, et
la forçait à conserver
Mais,
dit l'honorable membre, il y a une clause de résolution dont la section
centrale n'a pas fait état dans son rapport ; c'est celle de la résiliation du
marché pour le cas de non-livraison des deux navires au terme convenu. Je
répondrai d'abord que cette clause doit se combiner avec celle qui renferme la
promesse de vente, et qu'elle doit nécessairement en subir l'influence.
Ensuite, je ferai remarquer que des clauses résolutoires de l’espèce sont
toujours considérées comme ayant un caractère comminatoire, qu'elles n'opèrent
jamais de plein droit et que les tribunaux peuvent, suivant les circonstances,
en mitiger les effets. C'est en ce sens que celle dont il s'agit a été comprise
par le préopinant lui-même, puisque, par le contrat du 16 avril passé avec Cateaux-Wattel et compagnie, il s'est obligé de remettre,
purement et sans condition, à la disposition de la société anonyme les deux
bateaux à vapeur qu'il venait d'acquérir. J'ajouterai que, d'après la
convention du 17 mars, toutes contestations auxquelles elle pouvait donner lieu
devaient être jugées par des arbitres, qui, en général, s'attachent plutôt à
l'équité qu'à la rigueur du droit.
L'honorable
membre a posé cet exemple : Vous achetez deux maisons ; vous stipulez que si
l'une des deux maisons vient à brûler avant le 24 mai le contrat sera résolu
pour le tout ; que si l'acheteur cependant le désire, il pourra conserver
l'autre maison. Vous croyez sans doute que si le sinistre se réalise, vous ne
serez pas tenu d'acheter la maison restante : détrompez-vous, la section
centrale vous apprend que cet acheteur est moralement obligé d'acheter cette
maison. Je répondrai à mon contradicteur, que pour donner à cet exemple
quelqu'analogie avec l'affaire qui nous occupe, il faut supposer que, par des
raisons quelconques l'acheteur n'ait pu prendre de résolution immédiate, et
qu'il ait par ce retard empêché le vendeur de céder ou louer sa maison à un prix
avantageux ; eh bien, je le demande, l'acheteur ne devrait-il pas alors dans le
for intérieur et en équité, acquérir la maison ou au moins dédommager le
vendeur de la perte qu'il a éprouvée ? Messieurs, c'est en ce sens que la
section centrale a estimé qu'il y avait obligation morale de ratifier le marché
pour le British Queen ; elle savait certainement que le gouvernement
pouvait, en strict droit, ne donner aucune suite à la promesse de vente et
laisser la compagnie anglaise se débattre avec les pertes qu'elle avait pu en
ressentir ; mais elle a pensé, avec un moraliste, que le droit rigoureux ne
serait qu’une injustice, et avec le jurisconsulte romain : non omne quid licet
honestum est.
En
présence de la clause si formelle du contrat, qui pouvait aller jusqu’à forcer
la compagnie à vendre un seul de ses deux navires, si l’autre n’avait pas été
de retour au 24 mai, j’ai peine à croire que ce soit sérieusement que le
préopinant prétend que le contrat d’acquisition de
(Moniteur belge n°49, du 18 février 1842)
M.
Verhaegen. -
Messieurs, je croirais manquer à mon devoir de député si, dans une discussion
aussi importante, je ne faisais connaître au pays les motifs de mon vote qui, à
tous égards, sera négatif.
En
prenant la parole immédiatement après l'honorable M. de Behr, je pourrai
rencontrer de front les arguments qu'il a fait valoir et il ne me sera pas
difficile de démontrer qu'au moment où le ministère actuel a jugé a propos de
première livraison de
Sur
plusieurs points je suis d'accord avec mon honorable collègue M. Doignon.
Plusieurs de ses prémisses sont les miennes, mais nos conséquences sont
différentes du tout au tout.
Comme
moi, M. Doignon prétend que les contrats des 17 mars et 28 avril n'étaient que
des contrats provisoires et ne liaient aucunement le ministère actuel, et
cependant il rejette tout l’odieux de l'opération sur l'ancien cabinet.
Ce
n'est pas, messieurs, que je veuille dans cette affaire m'occuper de questions
de personnes ou procéder par esprit de camaraderie ; car si j'avais à
m'expliquer sur la nature de l'acte du 17 mars en rapport avec la loi du 29
juin 1840, je le ferais avec
indépendance et impartialité ; mais la discussion actuelle exclut cet examen.
En effet, l'acte du 17 mars 1841 n'ayant reçu aucune exécution, nous n'aurions
pas à justifier le fait du ministère précédent, mais bien à scruter son
intention. Or, l'intention non suivie d'un fait échappe à notre contrôle.
Le
plan qu'avait conçu l'ancien cabinet pour donner exécution à la loi du 29 juin
1840, était d'acheter deux grands navires, et d'établir de cette
manière une correspondance avec New-York. Ce plan n'a pas été exécuté et n'a
pas pu l'être par suite de la perte d'un de ces navires ; tout le monde est
d'accord sur ce point, et ce serait contester l'évidence que de soutenir le
contraire.
Il
fallait, dans l'opinion du ministère précédent, deux navires pour atteindre le but
proposé. L'acte du 3 avril qu'il avait projeté avec la société anversoise
supposait aussi deux navires ; et c'est en rapport avec ce projet qu'on devait
exécuter l'acte du 17 mars 1841.
Messieurs,
à en croire l'honorable M. Doignon, tout le monde condamnerait l'opération
quant à
Messieurs,
c'est là la question qui a été examinée par l'honorable M. de Behr et dont, à
mon tour, je vais m'occuper. Je le dis tout de suite et avec une entière
conviction, en prenant les actes dans leur ensemble et non en les tronquant,
comme s'est permis de le faire M. le ministre de l'intérieur il est impossible
de trouver aucune obligation de la part du gouvernement, soit morale soit
légale.
Nous
avons à examiner, messieurs, l'acte du 17 mars 1841 en lui-même ; nous
l'examinerons ensuite en rapport avec l'acte du 28 avril 1841, mais avec l'acte
du 28 avril 1841 dans son entier et non avec l'acte tronqué, tel que M. le
ministre de l'intérieur a jugé à propos de transcrire dans son rapport, page 8
; car il a laissé de côté tout ce qui pouvait lui être défavorable pour ne
transcrire que la seule clause qu'il considérait, lui, comme portant changement
de mode de paiement.
A
en croire M. le ministre de l'intérieur, le contrat du 28 avril n'aurait été
que la confirmation du contrat du 17 mars, sauf le seul changement relatif
au mode de paiement. Eh bien, messieurs, je prouverai que, lorsque le
contrat du 28 avril a été conclu, il ne restait plus rien du contrat du 17
mars, et que le contrat du 28 avril est un contrat entièrement nouveau ; mais
j'arriverai à cette preuve en prenant le contrat dans son entier et non pas en
me bornant à la seule clause que M. le ministre a copiée dans son rapport.
Aussi c'est parce que M. le ministre n'a reproduit que cette clause isolée que
la section centrale a été induite en erreur.
Messieurs,
en examinant d'abord l'acte du 17 mars 1841 en lui-même, j'y trouve un achat de
deux navires fait sous une condition suspensive. Ce n'est pas à dire pour cela
que ceux qui prétendent que la clause est une clause résolutoire n'arrivent
pas au même résultat ; car l'honorable M. Liedts a établi d'une manière claire
et précise, que, par suite de la condition résolutoire, le contrat du 17 mars
1841 avait perdu toute sa force, et devait être considéré comme non avenu, et
ici je m'empresse de faire remarquer à l'honorable M. de Behr la grande
différence qu'il y a entre une condition résolutoire résultant de la loi et
une condition résolutoire écrite dans une convention : Quant à la
condition résolutoire qui résulte d'une disposition légale, le juge peut la
mitiger, Il peut donner des délais, suivant les circonstances, il peut
consulter l'équité, etc. ; mais quand il s'agit d'une condition résolutoire
stipulée dans un contrat, aucune autorité quelconque ne peut mitiger une
semblable condition, parce qu'il n'est permis à personne de déchirer un
contrat. Eh bien, messieurs, dans le cas actuel, en prenant la condition comme
résolutoire, il ne s'agirait pas d'une condition résolutoire résultant
de la loi, mais d'une condition résolutoire écrite dans le contrat et
qui devrait recevoir son exécution comme toutes les autres stipulations qui y
sont insérées.
Mais,
messieurs, si j'établis que la condition sous laquelle l'achat des deux navires
La
différence qu'il y a entre la condition suspensive et la condition résolutoire,
c'est que, lorsque l'on contracte sous une condition suspensive, la
convention n'existe, ne reçoit son exécution que lorsque la condition
suspensive est accomplie ; tandis que lorsque le contrat ne renferme qu'une
condition résolutoire, la convention est parfaite, reçoit son exécution dès le
moment où elle est conclue, sauf à en demander la révocation dans le cas où la
condition résolutoire viendrait à s'accomplir. Dans ce cas la condition
n'opère pas de plein droit, la résolution du contrat doit être demandée en
justice et ce serait dans ce cas seul que pourrait se réaliser l'éventualité
qui a été signalée par M. le ministre de l'intérieur, à savoir qu'il faudrait
le présenter devant les tribunaux et courir les chances d'un procès. Mais cette
éventualité n'existe pas dans le cas d'une condition suspensive ; car si
pareille condition n'est pas accomplie, il n'y a jamais eu d'obligation, c'est
comme si le contrat n'avait jamais existé et dès lors il ne peut pas être
question de devoir en demander la résolution.
Les
honorables membres de cette assemblée qui sont initiés dans la science du
droit, comprendront parfaitement la distinction que je viens d'établir, et ils
savent de reste que la condition rétroagit jusqu'au moment où la convention a
été conclue.
Messieurs,
on a beaucoup parlé de ratification et l'on est tombé à cet égard dans
une véritable confusion d'idées, sans doute pour nous détourner du vrai point
de la contestation. L'on a cité l'autorité de Merlin à l'effet de démontrer
que la ratification est indispensable de la part de celui qui a donné un mandat
lorsque le mandataire n'a pas outrepassé ses pouvoirs. C'est là, messieurs,
une véritable triviale et personne n'oserait la contester.
Ainsi,
je ne contesterai pas que le gouvernement belge fût obligé de ratifier ce que
M. Van de Weyer avait fait en son nom en vertu du mandat qu'il avait reçu.
J'admets,
au contraire, que le contrat du 17 mars devait nécessairement être ratifié, et
je dis que si le ministère actuel a donné sa ratification, il n'a fait que ce
qu'aurait dû faire et ce qu'aurait fait le ministère précédent.
Mais,
messieurs, quelle est la conséquence de cette ratification ? C'est que le
gouvernement belge est censé avoir fait lui-même ce qui a été fait par M. Van
de Weyer, le 17 mars 1841. Prenons donc cette conséquence pour point de départ,
ne parlons plus de la ratification et considérons le contrat du 17 mars comme
fait par le gouvernement lui-même. Eh bien, messieurs, quelle est la portée de
ce contrat ? A en croire l'honorable M. de Behr (et ici je rencontre de front
ses objections), à en croire l'honorable M. de Behr, dans une des clauses du
contrat on aurait laissé à M. Van de Weyer, c'est-à-dire au gouvernement belge,
la faculté de prendre un seul des deux navires, si avant le 24 mai l'autre
venait à périr on subissait des avaries trop importantes pour qu'on pût en
prendre livraison.
« C'est
là, dit M. de Behr, une clause que l'on doit considérer comme renfermant une
condition résolutoire ; mais, ajoute-t-il, comme elle est tout en faveur du
gouvernement belge, il ne serait pas délicat, il ne serait pas moral de s'en
prévaloir pour échapper aux conséquences du contrat. »
Je
prie mon honorable collègue, M. de Behr de faire attention que ce n'est pas
dans ce paragraphe qu'il a cité que se trouve la condition que j'invoque ;
l'honorable membre a sauté à pieds joints sur tout ce qui constitue le
véritable point de la difficulté ; il faut remonter un peu plus haut, et je
vais faire voir qu'il est dans le contrat une clause constituant non pas une
condition résolutoire, mais une condition suspensive. Je prie l'honorable
membre de bien vouloir me suivre, et je l'engage instamment à me répondre.
Le
contrat du 17 mars est fait pour deux navires, le British Queen et le Président.
Au moment ou ce contrat a été conclu, un de ces navires le British Queen
était en route ; l'autre, le Président, était sur le point de partir
; on contracte donc pour ces deux navires, on stipule un prix global et l'on
dit que si ces deux navires ne sont pas livrés le 24 mai, au plus tard, dans le
port de Londres ou dans celui de Liverpool, le contrat sera considéré comme
non avenu, sans qu'il puisse y avoir matière à procès, sans qu'il soit
besoin d'aucune formalité, sans que l'on puisse invoquer même l'équité, le
contrat étant dans ce cas considéré comme non avenu, comme s'il n'avait jamais
existé. Tels sont les termes dont on s'est servi. Je ne parle pas encore de la
faculté laissée à M. Van de Weyer pour compte du gouvernement belge de prendre
moyennant certaines conditions l'un des deux navires si l'autre venait à périr
ou à éprouver de fortes avaries, c'est là un petit contrat séparé, qui se rencontre
à côté du contrat principal ; je m'en occuperai tout à l'heure. Je ne parle en
ce moment que du contrat concernant les deux navires qui devaient être livrés
avant le 24 mai dans l'un des ports indiqués et ce contrat porte en termes
formels, que si les deux navires ne sont pas livrés le 24 mai, soit à Londres,
soit à Liverpool, le contrat sera considéré comme nul et non avenu. Je prie mes
honorables collègues de bien vouloir me suivre dans mes observations en jetant
les yeux sur la page 39 du rapport de M. le ministre de l'intérieur, où le
contrat du 17 mars se trouve copié.
« Cependant
il est toujours pourvu et formellement convenu et accordé (sauf l'exception
ci-après déclaré), que dans le cas où audit jour du 24 mai prochain, lors de la
possession, en soit livrée comme par ces présentes il en est convenu, ledit bateau
Ainsi,
on contracte pour deux navires, on fixe un prix global pour ces deux navires ;
et on ajoute que si les deux navires ou l'un d'eux ne sont pas livrés au plus
tard le 24 mai avec tous leurs accessoires, le contrat sera considéré, comme
non avenu, cassé, révoqué ; donc, du moment que le terme est écoulé, il n'y a
plus de contrat.
C'est
là le véritable caractère de la condition suspensive. Et la condition
suspensive est bien différente, comme je le disais tout à l'heure, de la
condition résolutoire. La condition résolutoire, avec laquelle auraient encore
gain de cause ceux qui, au fond, partagent notre opinion, a pour effet de
révoquer une obligation qui a existé, qui a été exécutée et qui, à tous égards,
est parfaite, tandis que la condition suspensoire est
celle qui suspend l'obligation, jusqu'à ce que l'événement prévu arrive, qui
empêche l'exécution de l'obligation.
Après
avoir ainsi stipulé, on arrive à la clause dont a parlé l'honorable M. de Behr.
Elle porte :
« Et
il est par ces présentes de plus convenu que, dans le cas où l'un ou l'autre
desdits bateaux à vapeur ne soit pas de retour au port de Londres ou de
Liverpool avant ledit 24 mai prochain, ou bien dans le cas ou l'un ou l'autre
desdits bateaux à vapeur fera naufrage dans l'intervalle d'ici audit 24 mai, ou
subira des avaries importantes, telles qu'elles ne sauraient être réparées,
afin que ledit bateau soit dans ci-dessus stipulé pour être livré le 24 mai ou
dans le délai d'un mois, à partir dudit jour, suivant les stipulations de ce
contrat ci-dessus mentionnées, alors il sera licite et permis audit S. Van de
Weyer (mais toutefois ledit S. Van de Weyer n'y sera pas obligé) de prendre et
accepter l'autre desdits bateaux à vapeur à raison du prix de
Cette
clause ne retranche rien à ce qui avait été stipulé précédemment : à savoir que
si la livraison ne se faisait pas au 24 mai, il n'y avait plus de contrat,
toute obligation venant à cesser et étant considérée comme non avenue.
L'honorable
M. de Behr voit donc que ce n'est pas sur cette clause que nous nous sommes
étayés, et que dès lors ce n’était pas non plus cette clause qu’il avait à
s'occuper. En effet, cette clause ne constitue pas une condition résolutoire,
mais une condition de vente tout à fait indépendante du contrat principal.
Dira-t-on
que la loyauté exigeait que le gouvernement belge acceptât, bon gré mal gré, la
faveur qui lui avait été faite par cette promesse accessoire ? Ce serait le
comble de l'absurde.
Revenons
à l'obligation principale qui est conditionnelle dans toute la force du terme
et voyons par quels principes elle se trouve régie.
Une
obligation est conditionnelle, dit la loi civile (et la loi civile, quoi qu'on
dise et quoi qu'on pense est faite pour les gouvernements comme pour les
particuliers) ; l'obligation est conditionnelle, dit la loi civile, lorsqu’on
l'a fait dépendre d'un événement futur et incertain ; on peut l'en faire
dépendre de deux manières, l'une pour suspendre l'obligation, en sorte
qu'elle n'existe et ne puisse être exécutée qu’après
l'accomplissement de la condition ; l'autre pour la résoudre, en sorte que
l'accomplissement de la condition opère la révocation, la résolution, et remet
les choses dans le même état que si l'obligation n'avait pas existé.
L’exemple
d'une condition suspensoire donné par les lois
romaines et par tous les auteurs qui ont écrit sur la matière est celui-ci :
« Je vous achète tel navire pour une somme déterminée, si à telle époque
il est arrivé dans un port désigné. »
Cet
exemple convient tout à fait à notre espèce, l'obligation était conditionnelle,
elle dépendait de l'arrivée des deux navires dans l'un des ports désignés,
Londres ou Liverpool, et son exécution devait être et a été réellement
suspendue.
Puisqu'on
a parlé hier de Merlin au sujet d'un point de ratification qui n'était pas en
doute, je me permettrai de citer ce que dit cet auteur sur la question.
L'exemple qu'il donne de la condition suspensive est celui que je viens de
donner moi-même.
Il
dit qu'il n'y a pas d'obligation, si la condition défaillit.
Et
il réduit le tout à une éventualité, à l'espoir d'un droit subordonné à
l'existence d'un événement.
Ainsi,
le contrat du 17 mars 1841 ne donne absolument rien à la compagnie américaine
si ce n'est un droit éventuel ou l'espoir d'un droit.
L’obligation
étant éventuelle dépendant de l'arrivée des navires à une époque fixée. Il n'y
avait encore rien de fait au 17 mars 1841.
Si
un arrêté royal a ratifié le contrat du 17 mars 1841, cela veut dire uniquement
qu'on a reconnu que si les deux navires étaient arrivés avant le 24 mai, il y
avait obligation d'exécuter le marché, en d'autres termes que le gouvernement a
pris fait et cause pour son mandataire qui était resté dans les termes de son
mandat.
Voilà
pour le 19 avril 1841. Mais l'époque la plus remarquable, c'est celle du 28
avril. C'est sur cette époque que le ministère actuel voudrait se taire ;
c'est cependant cette époque qui est décisive dans le débat engagé en ce
moment. C'est sur cette époque que je fixerai votre attention, parce qu'ici
commence la responsabilité entière du ministère actuel.
Le
ministère précédent était dégagé de toute obligation, de toute responsabilité ;
le projet par lui conçu n'avait pas pu avoir d'exécution. Je n'ai pas à
m'occuper de ses intentions, je ne veux voir que ses actes. Si la convention du
17 mars avait reçu exécution je l'aurais appréciée ; comme elle n'a pas
subsisté, je la laisse de côté.
Le
19 avril, le ministère actuel a ratifié le contrat du 17 mars, mais c'est lui
qui fait le contrat du 28 avril 1841. Dans quelle position était-il placé ? était-il obligé de donner exécution à un fait du ministère
précédent ? Non ; il n'y avait plus rien du contrat fait par le ministère
précédent, la condition venant à défaillir, le contrat était censé n'avoir
jamais existé. Ce contrat avait été conclu pour deux navires à livrer le 24
mai, au plus tard, et le ministère actuel va, au 28 avril, faire tout autre
chose que ce que le précédent ministère avait fait.
Ceci
mérite toute votre attention. Je suis arrivé au véritable point du litige, et
comme les arguments que je vais présenter ne l'ont pas été jusqu'à présent, je
crois que la chambre voudra bien me prêter encore quelques instants
d'attention.
Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
M. Verhaegen, - Si la chambre veut renvoyer la discussion à demain, je
demanderai que la parole me soit continuée.
M.
le président.
- La parole vous sera maintenue à l'ouverture de la séance de demain.
(Moniteur belge n°48, du 17 février 1842)
- La séance est levée à 5 heures.