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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 30 mai
1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Rapports sur des pétitions relatives 1° à l’exemption en
matière de milice, 2° à une demande d’emploi d’anciens
directeurs d’hôpitaux militaires (Rodenbach)
3)
Projet de loi de loi tendant à apporter des modifications à la loi communale
(principalement en ce qui concerne la possibilité de nommer le bourgmestre en
dehors du conseil communal) (Desmet, David,
Dechamps, Verhaegen, Dechamps)
(Moniteur belge n°150 et 151, des 30 et 31
mai 1842)
(Présidence
de M. Fallon)
M.
de Renesse fait l'appel nominal à 2 heures un
quart.
M.
Dedecker donne lecture du procès-verbal de la
séance précédente ; il est adopté.
M.
de Renesse présente l’analyse des pièces adressées
à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Plusieurs maîtres
tapissiers, établis à Bruxelles, demandent qu'on frappe d'un droit plus élevé
et au poids les objets d'ameublement confectionnés à l'étranger. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
________________________
« Les commis greffiers du
tribunal de Tournay présentent des observations concernant le projet de loi
relatif aux traitements de l'ordre judiciaire. »
- Renvoi à la section centrale
chargée de l'examen du projet de loi.
________________________
« Le conseil communal de Kessenich demande que le gouvernement fasse promptement
exécuter les travaux de défense nécessaires pour empêcher les débordements de
- Même renvoi.
________________________
« Le sieur Hasebrouck demande que dans les communes de 5,000 âmes il
soit interdit aux bourgmestres, ainsi qu'à leurs épouses d'exercer un commerce
de détail, si l'on donne aux bourgmestres une position plus indépendante vis-
à-vis de leurs administrés. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi et ensuite renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
________________________
« Le sieur Reezen, ancien maître tailleur du 1er régiment de ligne,
demande une pension pour infirmité contractée au service. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
________________________
« Les secrétaires communaux
du canton d’Herzele, ceux de quelques autres communes de l'arrondissement
d'Alost et ceux de Perwez demandent que des dispositions de nature à améliorer
la position des secrétaires communaux soient introduites dans les projets de
loi apportant des modifications à la loi communale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi et ensuite renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
________________________
Dépêche de M. le ministre de la guerre (de Liem), accompagnant ses explications sur la pétition du sieur Tack, intendant
militaire en non-activité.
- Dépôt au bureau des
renseignements.
________________________
Lettre de M. Cools annonçant que les affaires de
famille l’empêchent d'assister à la séance d'aujourd'hui et à celle de demain.
- Pris pour information.
M. Zoude, au nom de la commission des pétitions, présente, en ces termes, le rapport
sur la pétition du sieur Barthélemy - Il est bien vrai, comme l'expose le
pétitionnaire, que, dans une famille où il y a trois frères, un seul est appelé
au service de l'armée, mais à charge aux deux autres de faire valoir leur droit
à l'exemption, et c'est ce qui a été négligé.
Voici comment les choses se sont
ici passées.
L'aîné des fils du pétitionnaire,
appartenant à la classe de 1837, fut exempté par le sort.
Le second, de la classe de 1839,
fut moins heureux ; il fait partie du 3e régiment de chasseurs.
Mais la classe de 1839 ayant été
épuisée sans que le contingent de la commune à laquelle le pétitionnaire
appartient ait pu être complété, force a été, conformément à la loi de janvier
1817 sur la milice, de recourir à la classe antérieure, celle de 1838, mais
elle était également épuisée ; il a donc fallu remonter encore plus haut, à
celle de 1837, où le numéro du fils aîné du pétitionnaire fut atteint ; il
avait le droit de réclamer son titre à l'exemption, Il n'en fit rien, Dès lors
le conseil de milice a cru et dû croire qu’il n'avait aucun motif à invoquer ;
il le désigna, et cette désignation a aujourd'hui la force de chose jugée, il
n'est plus possible d'y rien changer.
Cependant lorsque le ministre de
l'intérieur eut connaissance de la chose, il chercha à atténuer, autant qu'il
était en lui, la rigueur de la loi, en demandant à M. le ministre de la guerre
de vouloir lui accorder un congé illimité.
C'est cette demande que votre
commission vous propose d'appuyer en ordonnant le renvoi de cette pétition à M.
le ministre de la guerre.
- Les conclusions de la
commission sont adoptées.
_______________________
M. Zoude, rapporteur. -
Messieurs, par vos décisions des 21 décembre et 26 avril derniers, vous avez
renvoyé à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications, deux
pétitions des ex-directeurs et autres employés d'hôpitaux militaires, qui,
quoique brevetés par le Roi pour leurs bons et loyaux services, se trouvèrent
sans emploi ni traitement depuis l'exécution du traité de paix avec
M. le ministre de la guerre vous
a fourni les explications dans la séance du 18, et c'est pour vous prier d'y
donner suite, que la pétition sur laquelle j'ai l'honneur de vous faire rapport,
vous est présentée par les anciens pétitionnaires qui supplient la chambre de
prendre en considération les explications de M. le ministre, en lui accordant
un crédit qui puisse le mettre à même d'acquitter une dette qu'ils regardent
comme sacrée.
Voici, messieurs, comment le
ministre s'explique sur les pétitionnaires :
« A mesure qu'il se
présentera une vacance dans l'administration des hôpitaux militaires, son
département, dit-il, donnera la préférence
aux ex-directeurs, sous-directeurs et autres qui n'auraient pas encore
été pourvus d'emploi.
« En attendant, eu égard à
leur fâcheuse position, il serait équitable qu'on leur vînt en aide au moyen de
subsides ou secours temporaires, car, s'ils n'ont pas droit à un traitement de
non-activité, ils n'en ont pas moins acquis des titres à la bienveillance du
gouvernement pour les services qu’ils ont rendu, dans les ambulances de
l'armée.
« Mais pour que cette mesure
fût réalisable, ajoute-t-il, il serait nécessaire que l'on majorât de 10,000
fr., l'art. 5, chap. 1er du budget de la guerre pour l842. »
Dans cet état de choses, votre commission a l'honneur de vous proposer le
renvoi des explications à M. le ministre et des pétitions qui l'accompagnent à
la commission des finances avec invitation de vous faire telle proposition
qu'elle jugera convenable.
M.
Rodenbach. - J'appuie le renvoi à la commission
des finances, d'autant plus qu'il paraît que les pétitionnaires sont dans le
besoin. D'après la réponse du ministre, ils ont quelque droit à être placés
comme directeurs des hôpitaux. Dès lors, je ne conçois pas qu'on les ait
laissés dans la misère. J'appuie le renvoi à la commission des finances. Je
demande qu'elle fasse un prompt rapport sur cette pétition.
- Les conclusions de la
commission sont adoptées.
Discussion
générale
M. le
président. - La parole est à M. Desmet.
M.
Desmet. - Je ne comptais pas prendre la parole dans la
discussion générale. Je me proposais seulement de parler dans la discussion des
articles, pour appuyer le projet de loi en discussion. Mais j'ai été provoqué à
parler par l'honorable M. Verhaegen. C'est en quelque sorte pour un fait
personnel que je demande la parole.
Je dois entrer dans quelques
explications au sujet des longues citations qui ont été faites de mes discours.
L'honorable M. Verhaegen a rappelé que j'ai appuyé l'élection directe, et que
j'ai proposé un amendement par lequel j'introduisis dans la commune
l'administration collégiale, le collège des échevins, mais que je donnais au
gouvernement la faculté de nommer le bourgmestre et les échevins. pourvu qu'il
les prenne dans le conseil communal dont les membres seraient élus. A cet
égard, je donnerai à l'honorable membre toutes les explications qu'il désire de
moi.
Ce que je désirais avant tout
dans l'administration communale, c'est l'administration collégiale.
l'administration échevinale. C'est là qu'est la véritable liberté communale, la
liberté municipale, Je l'aimais surtout parce que je sais que c'est cette
administration qui a fait le bonheur de nos anciennes communes, de nos
anciennes villes.
Je ne puis répondre à l'opinion
de l'honorable M. Verhaegen, parce qu'il n'a pas émis son opinion. Il nous a
donné des apostrophes, des citations de discours, des critiques ; mais jusqu'à
présent on ne sait quelle est son opinion. Il n'en a développé aucune.
L'honorable M. Verhaegen vous a
cité, en faveur de l'élection directe, d'abord nos anciennes franchises ; il a
cité des endroits où les chefs de l'administration communale étaient élus
directement. Sur ce point, j'ai consulté notre histoire. Je n'ai trouvé aucun
endroit où depuis bien longtemps, avant 1794, le peuple élût l'administration
municipale. A cet égard, il a cité un exemple qui est réel ; il a cité Tournai.
Il est vrai que Tournay, qui a été longtemps sans faire partie de
L’honorable membre a oublié
Malines qui, avant Philippe le Bon, avait l'élection directe par concession
obtenue d'un prince de Liége : cependant ce système fut modifié, Malines fut
privé d'élire directement le chef de son administration communale, et eut le
régime de toutes nos villes et communes.
Chose remarquable, c'est qu'à
trois époques importantes de notre histoire, on s'abstint de réclamer
l’élection directe des magistrats municipaux. Après le renversement de Charles
le Téméraire, aucune ville, excepté Bruxelles, n'insista pour l'obtenir. Il fut
apporté quelques modifications au système suivi ; entre autres, celle que les
commissaires délégués à renouveler la loi, la magistrature, auraient été des
personnes habitant la province et parlant la langue de la ville.
Dans les troubles du seizième
siècle, c'était encore le moment de demander l’élection directe des magistrats
municipaux ; on ne l'a pas fait. Qu'a-t-on fait en 1790, à la révolution
brabançonne ? On n'a pas demandé l'élection directe. Ceux qui avaient fait la
révolution ne laissèrent pas le peuple nommer le chef de l'administration
communale. Ils envoyèrent des commissaires pour former le magistrat. Je ne crois
donc pas que l'on puisse, au nom de nos anciennes franchises, réclamer
l'élection directe du chef de l'administration communale.
Ce n'était pas l'élection directe
qui était alors considérée comme la principale franchise, c'était d'abord
l'administration par corporation et aussi celle qu'avaient les villes d'envoyer
des députés aux états provinciaux et généraux. Chaque ville de quelque
importance avait le droit d'envoyer aux états provinciaux et aux étais généraux
des commissaires mandatés, et le droit qu'elles avaient par cela de voter ou de
refuser les subsides que les souverains demandaient.
Et qu'on veuille remarquer ici
que ces députés n'avaient pas un mandat individuel, ils se rendaient aux états,
non pas pour voter comme bon leur aurait semblé, mais bien pour rester dans les
bornes du mandat qu'ils avaient reçu de
leur administration municipale. On voit donc bien que les villes faisant, pour
ainsi dire partie du corps législatif, du gouvernement, trouvaient là-dedans
leur principale franchise.
On a parlé des autres pays. On a
cité l'Angleterre. On a dit que là il y avait de grandes franchises, qu'il y
avait la liberté communale. On a dit qu'en Angleterre le lord-maire était élu
directement par le peuple. Sur ce point on s'est trompé, et le lord-maire est
élu par les échevins (aldermen). Il n'y a aucune élection directe en
Angleterre ; les aldermens sont élus par les
corporations municipales, et ces corporations s'élisent elles-mêmes.
On a cité l'Allemagne,
On vous a cité
C'est le maire qui fait tout. Il
a l'exécution des règlements de police, l'exécution des lois et
règlements d'administration générale ; il a l'administration de la commune.
Enfin c'est le maire qui fait tout ; c'est le régime de l'empire, toutes les
nominations lui appartiennent.
Pour donner à présent à
l'honorable M, Verhaegen tout son apaisement sur ce que j'ai dit concernant
l'élection directe dans les administrations municipales, je lui dirai que dans
le temps je l'ai défendu chaudement, et que j’avais la conviction qu'elle
pouvait être utile ; j'étais sous une impression bien légitime, nous sortions
de l'effroyable despotisme du gouvernement néerlandais ; je vois encore ces
fonctionnaires, ces administrateurs de toute espèce qui, aveuglément et de plus
servilement exécutaient tout ce qu'il leur venait du pouvoir, el je vois aussi
ces juges si serviles qui, pour obéir aux ordres du ministre Van Maanen, condamnaient hors de la loi et de la justice, Je ne
prévoyais pas que les élections populaires auraient plutôt été un moyen pour
servir les partis que pour servir les intérêts de la commune ; je ne croyais
pas qu'elles auraient produit tant de dissension, tant d'éléments de discorde
dans les communes ; je ne voyais non plus qu'elles auraient été cause que la
commune serait si mal administrée et qu'elle avait été sans la moindre police,
que les chefs administrateurs, pour ne pas déplaire aux électeurs, et craignant
la non-réélection, auraient laissé la commune totalement dénuée de police et de
surveillance ; et quand, dans la séance de samedi, on a présenté pour une cause
du défaut de police dans les communes la bonne année que reçoivent parfois les
gardes-champêtres, je dois répondre que ces étrennes n'ont aucune action ni
influence sur la police municipale, car ce n'est pas le garde-champêtre qui est
le principal agent de la police, mais c'est le bourgmestre qui en est toute la
cheville ouvrière, c'est ce fonctionnaire qui donne l'élan, c'est lui qui forme
le garde-champêtre et tous les agents de police, sous lui ; si le bourgmestre
ne fait pas marcher la police et ne fait pas surveiller la commune pour lui
conserver la tranquillité, il est impossible, que les gardes-champêtres le
fassent ; tout dépend entièrement du chef de l'administration, et quand
celui-là ne fait rien, qu'il a peur d'agir pour ne pas déplaire aux électeurs,
je dis et je soutiens que la commune est sans police et abandonnée à elle-même.
Or, c'est un état de choses que nous ne pouvons pas tolérer, et nous sommes
obligés, d'après moi, d'employer des moyens d'y obvier, d'y apporter un remède
; et selon ma façon de voir et d'apprécier les choses, le meilleur moyen est
celui de laisser au gouvernement la faculté de prendre le bourgmestre hors du
conseil élu ; alors, je pense, l'appui des partis sera enlevé, et on concourra
avec plus d'unanimité à élire des conseils municipaux qui seront les plus
habiles et les plus aptes dans la commune pour gérer ses affaires, tandis
qu'aujourd’hui il arrive que les membres du conseil communal sont tellement
choisis, que le gouvernement ne peut faire autrement que de prendre pour
bourgmestre celui que le parti veut qu'il soit nommé,
Je pense que l'honorable député
de Bruxelles aura à présent tout l'apaisement qu'il a droit d'avoir, et qu'il
sera pleinement satisfait de mes explications. Il aura pu voir que, d'après mon
opinion, la principale liberté, la plus importante franchise ou l'indépendance
de la commune n'est pas l'élection directe des administrateurs municipaux, mais
bien dans les administrations collégiales, dans les corporations
administratives, que les communes seraient administrées, non pas par un seul
individu, non pas par un maire de l'empire, mais par des bourgmestres et
échevins, qui devraient délibérer avant de mettre une mesure à exécution ; et
il a aussi pu voir pourquoi j'avais modifié mon ancienne opinion sur l'élection
directe ; c'était par pure nécessité, que ces élections servaient plutôt à
servir l'esprit de parti que d'être réellement utiles aux communes.
Par les explications que je viens
de donner à l'honorable député de Bruxelles, vous aurez pu voir, messieurs, que
j'opinerai dans le sens du premier projet de loi, celui par lequel le
gouvernement aurait la faculté de prendre le bourgmestre hors du conseil comme
dans le conseil, mais en restant dans la liste des électeurs de la commune.
Et quand vous mettrez en
confrontation les deux systèmes, celui qui nous régit actuellement avec celui
du nouveau projet, je ne crois pas qu'on trouvera la différence si grande,
comme bien des membres voudraient le voir.
Ce bourgmestre qui sera nommé
hors du conseil n'aura pas voix délibérative au conseil. Il sera nommé sans
terme, ainsi à peu près à vie ; il aura pour toute attribution particulière la
police ; cette police définie par le code de brumaire, cette police
administrative qui se borne à prévenir les délits ; il n'aura pas même la
police des chemins. L'exécution des lois et des règlements d'administration générale
restera dans les attributions du collège, ainsi que toute l'administration
proprement dite municipale ; ce fonctionnaire, dont on paraît avoir si peur, ne
pourra rien faire sans le concours des échevins, et sans qu'il en ait été
délibéré dans le collège, où il n'aura que sa voix et où il y aura deux ou
quatre échevins qui penseront le contraire, ce ne sera donc pas sa volonté qui
prévaudra dans l'administration, mais bien celle des échevins. Je dis donc que
j'ai droit de supposer qu'avec le nouveau système, il y aura plus
d'indépendance et de liberté dans l'administration municipale qu'aujourd’hui.
Et quand on nous dit que, par la
nouvelle loi, il y aura dans le pays 3,000 bourgmestres qui seront à la
dévotion du gouvernement et des agents formidables pour le servir dans les
élections, je dois demander à ces membres s'ils ne savent pas ce qui se passe
journellement dans le pays ; ne voit-on pas très souvent que des fonctionnaires
et même des employés travaillent, et même avec passion, contre les candidats du
gouvernement. Non, messieurs, vous ne devez pas avoir cette crainte, craignez
plutôt un autre pouvoir, qui malheureusement agit aujourd'hui très souvent sur
l'esprit de nos fonctionnaires et employés et qui leur font méconnaître
l'autorité au service de laquelle ils sont.
Je voterai donc en faveur du
projet qui donne la faculté au gouvernement de prendre le bourgmestre hors du
conseil. Mais pour ce qui concerne le nouveau projet sur la nomination des
secrétaires, je suis bien décidé à voter contre, et pour le troisième projet
sur le fractionnement des élections, je m'abstiens pour le moment ; j’attendrai
la fin de la discussion pour me décider, car ce projet me
paraît très délicat et avoir une portée plus grande qu'on pourrait le croire de
premier abord.
M. David. - Je n'avais point l'intention de parler dans cette
discussion. Vous le savez, homme d'affaires, je laisse d'habitude à d'autres le
soin de traiter les questions morales ou politiques. Mais éloigné de cette
enceinte pendant quelques jours, le Moniteur est venu m'apprendre
l'importance de ces débats, ainsi que leur caractère calme et mesuré. J'ai
pensé qu'il y avait du danger à s'abstenir, qu'il était de mon devoir
d'accourir, de voter contre la loi et de motiver mon vote.
Messieurs, cette grave question
s'est présentée à moi sous trois faces, et je vais la développer aussi
succinctement qu'il me sera possible.
Elle présente d'abord un côté
administratif, ensuite un côté politique, et enfin elle touche à un principe ou
plutôt elle est elle-même un principe.
Le côté administratif est facile
à apprécier et à juger. La loi communale a décrété la nomination des
bourgmestres par le Roi au sein du conseil. Si cette partie de la loi est
mauvaise, il faut la refaire sans toucher, s'il est possible, au principe
électif.
Mais est-elle mauvaise ?
On a fait la nomenclature des
inconvénients que cette loi a présentés. Les plus exagérés citent 15 faits ;
les autres 5 ; mais j'accepte le chiffre le plus élevé. 15 faits sur 5 ans,
font 3 par an sur les 3000 élus de la commune.
La majorité, c'est-à-dire, les
bons choix ou la règle, est donc de 1,000. La minorité, c'est-à-dire les
mauvais choix ou l'exception, est donc de 1.
Ce que le gouvernement vous
propose introduira, pour ainsi dire, des fonctionnaires dans la commune.
Je sais qu'il ne bouleversera pas tout le système, mais il peut le faire, et
cela me suffit.
Or, messieurs, on vous l'a dit,
les hommes libres n'aiment pas qu'on leur impose aujourd'hui ce qu'ils
pouvaient choisir hier, surtout s'ils n'ont pas abusé de leur droit. Toutes les
communes ne résisteront pas aux bourgmestres intrus ; mais il y en aura, et à
coup sûr, plus d'un conflit s’élèvera par 1000 communes, et, alors évidemment
vous aurez remplacé un mal par un mal plus grand. Cela est si frappant que je
n'insiste pas plus longtemps sur ce point, et je me résume, en disant que c'est
peut-être la seule institution au monde qui présente d'aussi imperceptibles
inconvénients.
Le côté politique est bien
autrement grave, et ici je prie la chambre de bien vouloir m'accorder quelques
instants son attention. La façon dont j'envisage la question n'a pas encore été
appréciée de ce point de vue. Je serai aussi modéré que possible ; toutefois en
appelant les choses par leur nom.
La question qui nous occupe,
messieurs, a jeté une sorte d'agitation dans le pays. Je viens des
provinces de l'Est. Je puis vous assurer qu'elle irrite beaucoup les esprits.
Or, je dois le dire, on attribue, et à faux selon moi, on attribue cette
question à des prétentions ultra-catholiques. Je vous prie de remarquer,
messieurs, que je dis à faux, et
voici pourquoi la loi est inutile de ce point de vue. Il se trouve dans la
plupart des conseils élus par les communes, je ne dirai pas 2, 3, 4 membres,
mais à coup sûr il s'en trouve toujours un qui sympathise assez avec l'opinion
catholique, pour que le pouvoir, s'il est passionné, puisse appeler cet homme à
la direction des intérêts municipaux, Cette influence donc, que l’on craint si
fort d'accorder au gouvernement, il l'a parfaitement par la loi actuelle. Sous
ce rapport il n'a donc rien à gagner.
Du reste, cette faculté, cette
introduction spontanée de créatures dévouées dans les communes, appartiendrait
également à l'opinion libérale, si elle arrivait aux affaires, et celle-ci
repousse le projet de loi. Elle se frapperait donc elle-même, puisqu'enfin
elle n'a pas perdu tout espoir de revenir un jour au gouvernement du pays.
La question ne tient donc pas
aussi près qu'on le pense aux intérêts des partis militants, puisque tous deux
possèdent dès aujourd’hui la faculté d'introduire un homme de leur opinion, par
la nomination dans le sein du conseil.
Mais, messieurs, il y a dans le
pays une sorte de force négative qui avait autrefois des privilèges de caste,
et ces privilèges sont tombés au bruit du canon de septembre. Cette force, ou
disons le mot, puisqu'il relève ses prétention, ce parti me paraît avoir
manœuvré avec une grande habileté depuis un an. Il a laissé agir les assemblées
politiques du pays à son profit, et sans poser personnellement des actes, il
les a soufflés, conseillés, instigués, pour en tirer son profil dans un temps
donné. Je veux parler, messieurs, de l'aristocratie.
Oui, messieurs, c'est
l'aristocratie qui ne me semble point suffisamment contente du rôle qu'elle est
appelée à jouer dans les affaires du pays. La révolution de
C'est l'an dernier, vous vous en
souvenez tous, messieurs, qu'un fait sinon sans exemple, au moins extrêmement
rare dans les fastes parlementaires de tous les pays, s'est passé parmi nous.
Le sénat était sur le point de refuser un budget pour renverser un ministère
qui n'avait pas ses sympathies. Il n'a pas voulu poser un acte aussi insolite,
et je l'en félicite, mais par un biais que je n'ai point à juger ici, il est
arrivé à son but, le renversement d'un ministère qui n'avait pas l'honneur de
lui plaire. Qui a ouvert la tranchée ? Sont-ce les hommes de l'opinion
catholique ? Non, messieurs.
C'est un libéral modéré, un
honorable vicomte qui siégeait autrefois sur ces bancs ; c'est un honorable
comte qui siège encore aujourd'hui sur le banc ministériel et qui avait accepté
le concours des libéraux dans les élections, ce sont MM. de Biesme et de Briey,
qui ont rompu la première lance pour amener cette sorte d'exécution
constitutionnelle. Vous vous en souvenez, l'opinion publique que la presse
reflétait avec une certaine exagération, semblait avoir l’instinct qu'il y avait
alliance entre l'opinion catholique et le parti aristocratique. Les hommes qui
ne se livrent point facilement à leurs premières impressions dans les affaires
publiques, et je suis de ce nombre, conservaient au moins le doute ; mais,
je le répète, divers petits faits que je vais avoir l'honneur de vous énumérer
m'ont porté à croire que cette fois encore l'instinct populaire était dans la
vérité.
Et premièrement j'avais vu des
hommes influents par leur position de fortune et de relations, absorbés par
l'aristocratie et accepter des titres ; or, quand on est riche et influent, on
ne se laisse point englober dans les choses qui meurent.
Ensuite, et deuxièmement, a eu
lieu la nomination, comme directeur des beaux-arts, de M. le comte de Beaufort,
qui ne voulut point accepter d'émoluments. J'approuve beaucoup le
désintéressement de la part de l’honorable M. de Beaufort, mais je désapprouve
l’Etat de l’avoir accepté. Du reste, M. le ministre de l'intérieur nous a
dernièrement apaisés en proclamant ce fait comme un fait exceptionnel.
Troisièmement, la chasse s'ouvre
; un arrêté du gouvernement proclame qu'on ne donnera des ports d’armes qu'à
ceux qui justifieront d'un permis de chasse sur cent hectares, Cet arrêté,
messieurs, est éminemment gros d’aristocratie ; il a un parfum de temps passé
qu'apprécieront tous ceux. qui connaissent l'histoire et les mesures actuelles.
Quatrièmement, une circulaire
émanant de l'autorité supérieure, enjoint aux fonctionnaires chargés de l'état
civil de ne point admettre ni inscrire sur les registres des noms titrés que
ceux dont on justifierait complètement la possession.
Cinquièmement, il y a des
vacances dans les ambassades. Elles avaient été remplies jusqu'ici avec une
certaine distinction par des hommes de la révolution. Eh bien, messieurs, il
n'ose presque plus venir à l'idée d'un roturier de se mettre sur les rangs.
L'ambassade de Paris est vacante. La noblesse la brigue, et je ne sais si aucun
de nos ministres, excepté l'honorable comte de Briey, oserait prétendre aujourd'hui
à une ambassade importante, si des événements lui faisaient éprouver le besoin
d'aller se distraire à quelque cour étrangère.
Tout cela, messieurs, sont des
symptômes presqu'aussi concluants que des faits. Or, je l'ai déjà dit, rien ne
me semble plus naturel que la part d'hommes qui ont un beau nom et une belle
fortune, que de prétendre aux distinctions et aux influences. Mais c'est leur
manière de s'y prendre, leur finesse qui m'offusque. Ils savent bien que le
pays est rétif à l’endroit de ses libertés, mais ils savent aussi qu'il a
encore beaucoup de déférence pour les grandes ombres historiques. Or, pourquoi
la noblesse n'espérerait-elle pas de ramener graduellement les populations des
campagnes vers le respect sans restrictions, c'est-à-dire, à l'obéissance, pour
nourrir petit à petit quelques privilèges avec les rognures de la
liberté. Eh bien, messieurs, pour tenter cet essai, rien ne serait plus
efficace, selon moi, que de faire son entrée dans les communes avec un titre et
au nom du Roi. C'est un des moyens, n'en doutez pas, que l'on tenterait avec
une parfaite insistance, abrité derrière la loi qu'on vous demande.
L'honorable M. Dedecker vous a
fait samedi dernier une belle péroraison, pour vous exprimer sa douleur, sur la
séparation qu'ont faite les lois et les idées modernes, des pouvoirs temporels
et spirituels dans les sociétés politiques. Je ne crains rien de l'honorable
orateur, je le connais trop esclave de la constitution pour croire quelqu'arrière pensée à ses regrets. Mais personne ne me
contestera qu'il y a encore des bommes qui placent des espérances
à côté de ces regrets, et ces hommes n'ont sans doute pas la prétention de
vivre en parfaite harmonie avec notre pacte fondamental.
Or je pense qu'il en est de même dans les rangs du patriciat. Là aussi on veut
s'exagérer ses espérances et se heurter tout droit contre une charte dont on se
rit. Or, messieurs, tous, tels que nous sommes assis sur ces bancs, nous savons
ce qui se passe depuis 30 ans ; nous savons que tous ceux qui ont tenté des
hardiesses contre la liberté se sont fatalement venus briser contre elle ;
n'encourageons donc pas ces tendances vers le passé, ces retours
impossibles, par une loi mauvaise, inutile quoi qu'en dise M. le ministre
de l'intérieur, que dans d'autres circonstances je crois souvent volontiers.
Eh maintenant, messieurs, que je
vous ai fait toucher du doigt les symptômes extérieurs, voyous ce que nous
disent les faits dans cette enceinte, depuis que cette discussion est ouverte.
Qui a parlé ici contre la loi ? ce sont les honorables MM. Angillis, Verhaegen, Fleussu,
Doignon, Orts, Delfosse, Dolez, Devaux, Dumortier, Lys, Vau Cutsem, Dedecker,
Fallon, Delehaye et Vandenbossche. Ce sont tous hommes sortant directement de
l'élément populaire, catholiques ou libéraux ; mais leur instinct les a portés
à défendre la cause de la classe moyenne, de la bourgeoisie.
Qui a parlé pour la loi ? Ce sont
ceux qui, aux qualités acquises de leurs collègues, joignent l'ornement du
parchemin. Ce sont messieurs le comte de Mérode, le
comte de Briey, le comte de Muelenaere, le comte de Theux de Meylandt, le baron Vandensteen, le baron de Man
d'Attenrode, M. de Garcia de
Eh bien, messieurs, ces faits
caractéristiques ne sont point amenés par un pur
hasard. Ils démontrent clairement à mes yeux une cause morale, un avertissement
providentiel de veiller aux libertés que nous avons juré d'observer et de
maintenir.
Les classes moyennes, messieurs,
sont aujourd'hui la force des empires. Elles sont admirables en Belgique. Elles
ne se livreront ni aux flatteries de ceux qui les dédaignent, ni aux tentations
de ceux qui secouent devant elles le drapeau de l'utopie. Fortes de leurs
racines qui sont dans le peuple, glorieuses de leur cime qui touche au
gouvernement de l'Etat, elles sont assises pour des siècles et assises
inébranlablement.
Elles peuvent avancer par les
institutions, par l'éducation, par l’instruction ; elles ne peuvent plus
reculer ; leur seule volonté suffit pour s'y
opposer. Eh bien, messieurs, c'est à nous à respecter cette force et non point
à prêter la main à ce qu'on l'irrite. Le projet de loi dont il s'agit a non
seulement une apparence de méfiance, mais une méfiance réelle contre la
bourgeoisie, contre l'électeur. Le pouvoir, l'aristocratie, le clergé lui-même,
peuvent avoir des velléités très naturelles de reconquérir ce qu'ils ont perdu.
C'et là le vice inhérent aux corporations ; mais que votre sagesse, messieurs,
pose une barrière à toute tentative de ce genre, et vous obtiendrez un résultat
intimement plus grand, plus utile à la paix et à la conservation. Vous
empêcherez à son tour la bourgeoisie de se roidir contre ces tentatives. Vous
élèverez par votre prudence une digue contre les extravagantes prétentions de
la démagogie, que tout homme qui pense doit considérer comme un rêve affreux, comme
une impossibilité.
Je suis véritablement étonné,
messieurs, que quelques honorables orateurs, en
parlant dans cette discussion, aient semblé attribuer à nos libertés de la
presse l’esprit d’opposition qui règne dans les masses. Mais, messieurs, c'est
se tromper essentiellement. C’est confondre la cause avec l’effet. Les
calomnies de la presse, tous les honnêtes gens les méprisent et souvent elles
honorent ceux qui en sont l’objet. Mais, quand la presse raisonnable attaque,
ou seulement soupçonne, est-ce sans motif ? Quand on s’écrie dans les journaux
que la loi que nous discutons est liberticide, qu’elle froisse profondément
notre loi communale, elle ne calomnie pas, messieurs, elle exagère tout au
plus. Car cette loi est, sans conteste, un commencement de quelque chose qui
peut devenir bien mauvais, car cette loi n’est pas à coup sut un concours que
vous demandez à la confiance du pays. La méfiance vient donc du gouvernement.
Elle viendrait donc de vous, messieurs, si vous votiez la faculté que M. le ministre
de l'intérieur vous demande. Eh bien refusez ce vote, que rien ne vous démontre
être nécessaire, ni administrativement, ni politiquement. Vous n’affaiblirez
pas le pouvoir, mais vous empêcherez une lutte toute nouvelle qui surgirait
infailliblement de cette sorte de prétention aristocratique de se glisser à
l’occasion dans la commune, ou pour la combattre si elle résiste, ou pour
l’assouplir, la corrompre ou enfin l’asservir.
Je crois, messieurs, vous avoir
démontré que la loi est essentiellement politique. Je crois vous avoir
convaincus que l’opinion, quelle qu’elle soit, qui siège passagèrement sur ces
bancs capricieux, peut par la loi que nous discutons recevoir un secours
dangereux par cette invasion dans les communes de bourgmestres étrangers.
L’amendement de M. Malou, à
son insu sans doute, trahi évidemment la
pensée nobiliaire, car en choisissant dans les électeurs mêmes, ce n’est pas le
plus aimé, le plus estimé qu’on choisira (ce sont rarement les plus influents)
; mais, n’en doutez point, ce sera celui qui concourra le plus docilement aux
vœux du pouvoir et du parti qui marchera à sa suite.
J’arrive, messieurs, à la
question de principe que soulève le projet de loi.
Les franchises communales,
c’est-à-dire le droit d’avoir ses intérêts locaux administrés par les hommes
élus, est un droit héréditaire de notre pays : faire semblant ou être soupçonné
d’y toucher, c’est soulever des haines, c’est préparer un germe profond de
mécontentement. A tort ou à raison, messieurs, on a présenté ce malheureux
projet de loi comme un empiètement notable sur la loi communale elle-même. On
l’a dit dans la presse, on l’a dit à cette tribune, on l’a dit dans le pays
tout entier ; la vérité n’était pas très claire, les passions, n’en doutez pas,
l’envenimeront et le pouvoir, croyez-le bien, ne pourra que se créer des
obstacles. Aujourd’hui qu’il est admis que le projet de loi est une lutte du
pouvoir contre les communes, le gouvernement ne nommerait pas un seul
bourgmestre hors du conseil, sans que l’esprit de parti s’en fît un drapeau,
pour lutter avec cette énergie que vous connaissez à nos populations, quand
elles croient leur droits menacés.
Ainsi donc, messieurs, ne
touchons pas à cette arche sainte, à l’élection. On vous l’a dit pour cette
grande question de principes, qu’on appelle les libertés communales, et c’est
dans le mémorable discours de M. Dumortier que j’ai lu ce fait, que les deux
chefs de parti de l’Angleterre ont reconnu qu’il ne fallait point que les
franchises municipales des trois royaumes fussent
jamais remises en question.
A mon tour, j’appellerai
l’attention de la chambre sur un autre fait qui date d’hier. C’est également
une question de principe, qui vient de provoquer en France la magnifique
discussion sur le droit de visite. Cette discussion prouve à l’évidence
combien, quand le sentiment national est engagé, le parlement doit peu se
préoccuper si un ministère est plus ou moins dans l'embarras, ou s'il ressent
quelque malaise dans son action en face de ce sentiment.
En France, donc, le ministère
avait non seulement signé le traité sur le droit de visite, mais il l'avait
provoqué pour ainsi dire et amené en définitive toutes les grandes puissances à
le signer avec lui. La question arrive à la tribune. Le ministère affirme
devant
Or, le projet de loi qui nous
occupe en ce moment, que fait-il autre chose, messieurs ? il
blesse le sentiment national, il blesse l'instinct belge, il blesse le vieux
principe communal. Il est le point le point de départ d'incalculables douleurs
politiques, et voici pourquoi, messieurs, n'eussiez-vous pas même entendu les
milliers d'arguments qui le combattent et le rendent impossible, vous ne
devriez pas hésiter un seul instant et vous aurez le cœur assez belge pour rejeter la loi.
(Moniteur belge n°152, du 1er juin 1842) M.
Dechamps. - On devait s'attendre, en touchant à
la loi communale, à soulever une discussion animée, passionnée même, comme elle
le fut en 1836, parce qu'en effet, messieurs, cette loi est une de celles qui
constituent notre organisation intérieure, Après la loi électorale, c'est
peut-être la plus fondamentale de toutes nos lois organiques. Il ne faut donc
pas s'étonner si nous voyons se renouveler la lutte qui en 1834, 1835 et
Les uns, messieurs, ont cette
conviction profonde que l'affermissement de notre jeune nationalité est surtout
attaché à cette unité politique dont l'absence à toutes les époques de notre
histoire, au 16e siècle comme au 18e siècle, a fait avorter toutes nos tentatives d'indépendance politique. Les autres sont
préoccupés avant tout des libertés communales qu'ils considèrent comme
l'élément le plus profond, le plus historique de cette nationalité même.
Heureusement, messieurs, nous ne
sommes pas placés dans cette fâcheuse alternative de sacrifier l'un de ces
intérêts à l'autre. Ici encore, j'en ai la conviction, nous sommes bien plus
séparés par des phrases plus ou moins retentissantes que par les choses mêmes.
Personne dans cette assemblée ne
veut sérieusement détruire cette vie communale sans laquelle la vie politique
aurait bientôt cessé d'exister dans le pays ; comme personne non plus ne veut
revenir à ces temps reculés, à cette époque qu'on a tant vantée dans cette
discussion, à ce moyen âge où il y avait des communes belges, mais où il n'y
avait pas d'Etat belge.
La question véritable pour nos
hommes modérée, aujourd'hui comme en 1836, est de faire une part légitime à ces
exigences ; la question est de tâcher de trouver une conciliation entre ces
deux intérêts.
Messieurs, nous serons modérés,
nous serons sages, si nous restons constitutionnels ; constitutionnels en
examinant la constitution non pas à l'aide de subtilités grammaticales, mais
comme l'a fait M. le ministre de l'intérieur, en l'examinant dans son ensemble,
et dans ses principes fondamentaux. Ce que vous devez faire, messieurs, pour
être constitutionnels, pour être modérés, c'est que dans la loi que vous
voterez vous teniez compte d'un côté de cet article de la constitution qui veut
que le règlement des intérêts locaux soit exclusivement confié aux communes,
mais qu'en même temps vous teniez compte d'un autre principe, tout aussi
fondamental, et qu'il ne faut pas oublier : c'est que le pouvoir exécutif doit
s'exercer du sommet à la base, du pouvoir central à la commune, de manière à ce
que ce pouvoir ne puisse pas être neutralisé, ne devienne jamais une fiction.
La question véritable est là,
messieurs ; nos adversaires doivent nous prouver deux choses ; ils doivent nous
prouver d'abord que la loi de 1836, telle qu'elle a été faite par
l'exécution même, laisse assez de liberté au pouvoir
l'exécutif pour qu'il ne devienne pas une fiction dans la commune. Ils doivent
nous prouver en second lieu que par la loi qui vous est proposée par le
gouvernement ou par la section centrale, vous ôtez aux communes le libre
règlement des intérêts exclusivement communaux. Si on n'administre pas ces
preuves, on n'aura rien fait.
Messieurs, ce problème est assez
grave ; il est assez difficile pour que nous
sachions respecter chacun l’opinion qui nous est contraire. Je conçois cette
chaleur d’opinion que donne une conviction vive et profonde ; mais des
accusations personnelles, je ne les conçois que chez ceux qui, n'avait pas
assez sérieusement examiné cette matière n'ont pu acquérir cette haute
tolérance dont mon honorable ami M. Dedecker, vous parlait dans la dernière
séance, cette haute tolérance que possèdent ceux qui ont appris à douter sur
ces questions pleines d’incertitude.
On a dit messieurs, que nous
marchions rapidement vers la réaction, que nous étions sur la pente qui menait
à la contre-révolution. L'honorable M. Orts, tout effraye, nous a montré
l'abîme vers lequel je ne sais quelle puissance irrésistible nous poussait. Eh
bien ! messieurs, je pense pouvoir vous démontrer que s’il y a quelque chose
qui marche dans cette discussion, c’est l’exagération de certains esprits,
exagération dont nous n’avions pas eu l’exemple en 1836.
En 1836, messieurs, on défendait
chaudement son opinion, mais en restant généralement dans le domaine de la
politique administrative. Il ne s'agissait pas alors de contre-révolution ; on
ne venait pas accuser les partisans du pouvoir central de vouloir nous rejeter
en arrière jusqu'en plein milieu de la restauration, jusqu'à la septennalité de
1827. Il n'est venu à l'idée de personne de venir
comparer, par exemple, l'honorable M. Lebeau à M. de Villèle, ou l'honorable M.
Devaux à M. de Polignac. Nous en sommes là cependant, messieurs, l'exagération
marche ; et voilà notre majorité de 1842 transformée
très sérieusement en opinion de la droite sous la branche aînée.
Aujourd'hui, c'est la
septennalité que nous refaisons ; l'honorable M. Angillis l'a nommée la loi
d'amour de M. Peyronnet. Hier c'était la dîme de 1815 qu'on tentait de
réchauffer ; demain ce sera le droit d'aînesse, ce sera la censure, que sais-je
? les ordonnances de juillet que nous allons ressusciter !
Je me permettrai, messieurs, de
soumettre à ceux qui se préoccupent depuis quelque temps de cette restauration
que l’on veut refaire, dit-on, en Belgique, de leur
soumettre une petite difficulté qui pourra un peu déranger leurs théories de
prédilection, Avez-vous donc oublié que, depuis 1814 et 1815 jusqu'en 1824,
sous les ministères de Decases,
de Richelieu et de M. de Villèle, le principe des royalistes de la droite, le
principe fondamental de la réaction de 1815 était précisément celui que vous
soutenez ici ?
Quelle était la lutte engagée
entre la réaction royaliste et le parti libéral doctrinaire à cette époque ? Eh
bien, le parti de la réaction voulait précisément cette liberté communale très
étendue que l'on demande, et que combattait à outrance le parti doctrinaire à
la tète duquel se trouvaient MM. Royer-Collard et Guizot. Il est vrai,
messieurs, que ce parti doctrinaire a fait bientôt après de la démocratie
avancée, et a préparé à son insu, j'en ai la conviction profonde,
cette révolution que d'autres fomentaient derrière eux. Mais il n'en est pas
moins vrai que pendant dix années le principe fondamental de la droite était de
fonder un gouvernement provincial et municipal à
base historique, selon l'expression d'un écrivain distingué.
Et encore aujourd'hui, mais
n'est-ce pas le système que proclame le légitimisme
en France par tous ses organes ? Le double cri de ralliement du légitimisme
n'est-il pas celui que vous poussez : la réforme électorale et les libertés étendues
de la commune ?
L'honorable M. Verhaegen nous a
fait parcourir l'Europe entière, nous a conduits
au-delà de Charles-Quint, jusqu'au moyen âge, pour trouver des analogies
propres à appuyer l'opinion qu'il défend. Messieurs, ce que je viens de vous
dire lui prouvera qu'il aurait pu choisir une analogie bien plus près de lui.
L'honorable M. Verhaegen reconnaîtra maintenant que
le thème qu'il développe avec tant de chaleur à
cette tribune, est précisément celui que défendaient à une autre époque ces
réactionnaires royalistes de la restauration, dont M. de Villèle était le chef.
Messieurs, je n'ai pas l'habitude
de parler souvent de moi à la chambre, et vous reconnaîtrez que je m'abstiens
autant qu'il est en moi, de répondre à ce qu'on est habitué de nommer ici des
faits personnels. Encore aujourd’hui je garderais le silence et je ne
répondrais pas à ces attaques personnelles qui ont été dirigées contre moi dans
cette chambre et surtout en dehors de cette chambre,
si je ne trouvais là une occasion d'éclairer la discussion sur un point, en
vous démontrant quel chemin l'exagération a fait depuis
1836.
En 1836, j'ai voté pour la loi,
et j’en ai défendu les principes dans les limites que je vais indiquer. Je
voulais la nomination du bourgmestre par le Roi dans le sein du conseil, mais
dès cette époque, messieurs, j'avais reconnu que dans certaines circonstances,
le pouvoir exécutif serait gêné dans des limites aussi étroites ; dès 1836, et
le Moniteur en fait foi, j'ai présenté moi-même deux amendements
tendant à autoriser le gouvernement à choisir le bourgmestre
en dehors du conseil dans certains cas déterminés. Ainsi, messieurs, dès 1836,
j'avais admis le principe fondamental du projet que le gouvernement nous
propose, c'est-à-dire la nomination dans le conseil, en règle générale, la
nomination hors du conseil par exception.
Mais j'allais plus loin, et dans
un discours que j'ai prononcé dans la séance du 10 mars 1835, je reconnaissais
que « si nous nous bornions à cette part de nomination l'influence de l’Etat
dans la commune, nous aurions certainement peu tenu compte de l’unité
nationale. » Je voulais accorder au gouvernement le droit de révocation
directe de son mandataire, et le droit même de dissoudre les conseils
communaux.
J'admettais donc alors deux
principes que le gouvernement vous propose d'introduire aujourd'hui dans notre
législation, la nomination du bourgmestre, dans des cas exceptionnels, en
dehors du conseil, et celui de la révocation directe ; je demandais, ce qu'on
ne demande plus aujourd'hui, que les conseils communaux fussent dissolubles.
Voilà l'ensemble de mon opinion,
telle que je l'ai défendue à l'époque de la première discussion de cette loi
importante.
Eh bien, messieurs, à cette
époque je passais pour un défenseur des libertés communales, et maintenant, en
défendant, je ne dirai pas toutes les nuances d'opinion, mais le même fond
d'idées, en n'allant pas même aussi loin, sous certains rapports, je suis un
réactionnaire, je prête les mains à une œuvre d’iniquité, je suis placé sur une
pente qui mène à une contre-révolution ! En 1836, j'était placé à une égale
distance de mon honorable ami, M. Dumortier, dont je ne partageais pas
l'opinion, sous ce rapport, et de l'honorable M.
Lebeau, qui poussait plus loin, selon moi, le principe de la centralisation
administrative. Messieurs, la discussion nous prouvera si chacun des membres de
cette assemblée a gardé sa position de 1836 avec
autant de fidélité que moi.
Ainsi, l'honorable M. Verhaegen,
qui a voulu m'embarrasser en citant des passages, non pas de mes discours, mais
de quelques écrits relatifs à d'autres matières, reconnaîtra que son but n’a
pas été atteint, et que je me trouve à l'aise à l'égard de mes antécédents ; non que je tienne à maintenir en 1842 tous
les mots que j'aurais pu prononcer en 1834, cette immobilité n'est pas un
mérite que j’ambitionne, mais je ne veux pas non plus que l’on me fasse une
position qui n'est pas la mienne ; j'accepte la responsabilité de mon opinion
prise dans son ensemble, mais je n’accepte pas de fragments de discours
textuellement exacts, si l’on veut, mais qui en général, bien loin de
reproduire fidèlement une opinion, la défigurent.
Messieurs, ce que je viens de
vous dire vous prouve, comme je l'ai fait remarquer, combien depuis quelque
temps l'exagération a fait de progrès rapides, puisque, dévoué en 1836 à la
liberté communale, je deviens aujourd’hui un homme de la réaction conspirant
contre cette même liberté.
J'avais cru un moment, messieurs,
que la cause de cette exagération était en ce qu'en 1836 la question n'était
qu'une question de politique administrative, tandis qu’elle me paraissait
aujourd’hui revêtir un autre caractère ; mais l’honorable M. Verhaegen (et je
l’en remercie) nous a déclaré dans une séance précédente qu’il n’acceptait pas
cette discussion, comme ayant pour objet une question de parti, que pour lui la
question actuelle est toute sociale.
Messieurs, je n'ai pas
l'intention, ni le droit de suspecter la sincérité de cette déclaration ; je me
réjouis de ce qu'elle a été faite, parce qu'elle me fournit l'occasion de
constater qu'au moins pour l'opinion à laquelle je me fais honneur
d'appartenir, il n'y a pas dans cette question l'apparence même d'esprit de
parti. Cette opinion, messieurs, occupe aujourd'hui la même position qu'en 1836
; mes honorables amis, MM. Dumortier, Doignon, Dubus, votaient alors sur ce
point avec l'honorable M. Gendebien, comme ils voteront aujourd'hui avec
l'honorable M. Verhaegen ; MM. de Theux, de Mérode, Brabant et leurs amis
soutenaient alors, comme ils le feront aujourd'hui, l'opinion que professaient
à cette époque les honorables MM. Devaux, Lebeau, Fallon, Rogier et leurs
collègues d'opinion. Ainsi, messieurs, la position de l'opinion à laquelle
j'appartiens est aujourd'hui ce qu’elle était en 1836. Cette division profonde
de principes entre les hommes les plus considérables de ce qu'on est convenu
d'appeler l'opinion catholique, n'exclut-elle pas toute idée d'esprit de parti
?
Si l'opinion libérale (et
jusqu'ici je n'ai aucun droit d'en douter) conserve de son côté sa position de
1836, si les défenseurs du pouvoir central que cette opinion renferme se
séparent nettement de ceux que des convictions plus démocratiques animent, si
l'exemple de sincérité politique que nous donnons
est suivi, alors il sera reconnu qu'en effet la question n'est pas dans cette
chambre, ce qu'on a voulu la faire au dehors, une question de parti.
Messieurs, nous devons nous en
réjouir et féliciter le gouvernement d'avoir atteint un but politique élevé,
tout en ne voulant obtenir qu'un résultat administratif ; il aura attiré
l'activité et même les passions parlementaires sur un terrain où nos fâcheuses
divisions de parti n'existent plus.
J'arrive, messieurs, au fond même
de la question. Mon intention est de l'envisager sous deux points de vue
différents. Je m'occuperai d'abord de la question d'opportunité que l'on a
soulevée ; j'examinerai ensuite la loi de 1836 et
les projets nouveaux dans leurs principes et dans leurs résultats.
Messieurs, j'ai toujours professé
une crainte sérieuse à l'égard de cette proposition presque inhérente au
pouvoir parlementaire d'apporter aux lois existantes
des modifications trop brusquées et surtout trop
profondes. Je conviens messieurs, qu'il ne faut pas ajouter1'instabilité des
lois à l'instabilité des hommes qui se succèdent si rapidement aux affaires,
dans les gouvernements représentatifs. Mais cette crainte, je ne veux pas la
pousser jusqu'à la superstition, je ne veux pas aller jusqu'à refuser des modifications
utiles et dont l'expérience aurait démontré la nécessité. Je n'ai jamais
repoussé, (et l'honorable M. Verhaegen l'a rappelé dans les citations qu'il a
bien voulu faire), je n'ai jamais repoussé des reformes tempérées ; mais ce
qu'il faut éviter, ce sont des bouleversements dans les principes
mêmes des lois.
Maintenant il s'agit de savoir
s'il est question ici d'une réforme tempérée, d'une réforme dont l'expérience
démontre la nécessité. Eh bien, messieurs, je n’hésite pas à répondre
affirmativement, et il ne me sera pas difficile de prouver que l'objet sérieux
de la loi que nous sommes appelés à discuter est précisément de rétablir les
principes mêmes de la législation de 1836, principes que les faits sont venu
fausser le plus souvent et même parfois détruire ; il ne me sera pas difficile
de démontrer qu'il s'agit de restituer au pouvoir royal les deux grandes
prérogatives de nomination et de révocation, que les chambres ont voulu lui
conférer, mais qu'en réalité elles ne lui ont pas données.
Il est, messieurs, deux classes
de personnes qui ne peuvent pas être admises à argumenter de l'inopportunité de
la loi qui nous est soumise :
Il existe une loi, messieurs, la
plus fondamentale de toutes, une loi qui tient à la base même de notre
constitution et sur laquelle le gouvernement du pays entier repose ; cette loi,
vous l’avez tous nommée, c'est la loi électorale. « Lorsqu'on change les
bases de la loi électorale, dit Royer-Collard, c'est une révolution profonde
dans l'Etat que l'on crée. » Eh bien, messieurs, ceux qui ne reculent pas
devant la tentative, non pas d'apporter des reformes prudentes à la loi
électorale, mais d'en bouleverser les bases, de substituer au principe du cens
relatif au principe diamétralement opposé, celui du cens uniforme, ceux-là,
messieurs, ne peuvent certainement pas être admis à parler ici de l’instabilité
des lois, de l’inopportunité des propositions qui nous sont faites ; j'ai le
droit de les récuser.
J'en puis encore récuser d'autres
:
Pour nous, messieurs, qui, en
1836, avons cru que la loi pouvait jusqu’à un certain point suffire aux besoins
du moment, nous aurions quelque droit à l'hésitation et au doute. Nous
pourrions demander au gouvernement de laisser se
compléter ce qu'on a appelé l'expérience des élections prochaines.
Mais, messieurs, ceux qui depuis
1834 ont considéré la loi en vigueur comme mauvaise dans son principe, ceux qui
ont combattu ce principe avec chaleur, qui l’ont représenté comme devant affaiblir le gouvernement dans la commune, comme
devant amener la désorganisation de la commune elle-même ; ceux-là l'expérience
n'a rien à leur apprendre. Le doute ne leur est pas permis ; ils ne peuvent pas
non plus se retrancher derrière l'inopportunité du
projet en discussion. Pour eux le principe de la loi de 1836 est mauvais ; depuis 1834
jusqu’aujourd’hui ils l’ont considéré comme tel ; pourquoi donc attendre ?
Attendre, messieurs, pour eux, c’est laisser le mal s’enraciner ; c’est le
rendre peut-être irréparable.
Pour nous qui pourrions hésiter
encore, nous serions admis à demander qu’on laissât les élections du mois
d’octobre décider définitivement du bon et du mauvais résultat de la loi de
1836. Mais il faut convenir que le gouvernement se trouve dans une tout autre
position.
Je suppose que les appréhensions
manifestées par le gouvernement et par beaucoup d’honorables membres se
vérifient ; que les élections du mois d’octobre constatent les inconvénients
qu’on a signalés. Cette hypothèse doit m’être permise en présence de l’enquête
administrative.
Les élections étant consommées,
que va faire le gouvernement ? Il ne déclarera par certainement la loi
suspendue, il devra l’exécuter, il devra nommer les bourgmestres et les
échevins dans le sein des conseils ; que ces bourgmestres lui conviennent ou ne lui conviennent pas ; qu’ils lui soient
ou non imposés, il devra les choisir.
A la session qui suivra, le
gouvernement, en présence du vice patent de la loi, viendra donc proposer les
modifications qu’il vous met aujourd’hui.
Eh bien, messieurs, ces
modifications, je les suppose votées par les chambres. Que va faire le
gouvernement ? Va-t-il dissoudre les conseils communaux ? Va-t-il révoquer les
bourgmestres qui ne lui conviennent pas ? Mais dans toutes ces hypothèses,
c’est une véritable révolution que vous créez. Vous parlez d’irritation ; mais
ce serait une cause d’irritation permanente et profonde dans le pays, et
évidemment il ne faut pas se le dissimuler, ajourner la loi, c’est la retarder
à six années nouvelles.
Ainsi, messieurs, si des
modifications sont nécessaires, ces modifications doivent être introduites
avant les élections, elles ne doivent pas les suivre.
Messieurs, j'arrive à l'examen de
la loi de 1836.
Chacun envisage la position du
pays de ses yeux et avec un regard différent ; tous nous avons vu fonctionner
la loi de 1836, et nos convictions se sont formées d'après les faits, tels que
les faits nous sont apparus.
C'est sous cette impression
générale, bien plus que d'après tel ou tel détail partiel, que mes convictions
se sont établies, et je dois vous le déclarer, messieurs, ces convictions sont
que la loi de 1836, telle que l'exécution l'a faite, renferme des inconvénients
et même des dangers.
Messieurs, on a parlé d'abord de
la transaction de
La lutte qui partageait les
chambres existait entre deux systèmes : Le système de M. Fallon qui voulait un
chef unique dans la commune représentant le pouvoir
central, exécutant les lois d'intérêt général et charge de la police. Voilà le
système qui a été sur le point d'être adopté par la chambre, et qui rencontrait
beaucoup de partisans.
L'autre système était le système
du collège, système que j'ai défendu et qui consistait à faire exercer
le pouvoir exécutif dans la commune par une administration collective, par le
collège des bourgmestres et échevins que nous considérions comme un dément trop
historique pour oser le détruire.
Or, messieurs, dans le projet du
gouvernement, comme dans celui de la section centrale, le principe du collège
échevinal est maintenu.
Maintenant, messieurs, je reviens
sur une idée que j'ai indiquée tout à l'heure. Je soutiens que l'objet du
projet de loi est de rétablir le principe même de la loi de 1836, principe qui
a été faussé dans l'application ; c'est de restituer au gouvernement les deux
grandes prérogatives, la nomination et la révocation, qu'on a voulu lui donner,
mais qu'en réalité on ne lui a confiée que par fiction.
Personne n'a osé soutenir jusqu’à
présent que le bourgmestre avait une position d'indépendance à l’égard du corps
électoral, assez grande pour qu'il soit, ce que la loi voulait qu'il fût, le véritable chef de ses administrés, d'une part, et de
l'autre le représentant du pouvoir exécutif. Placé, comme on l'a dit, entre son
élection de la veille et sa réélection du lendemain ; en présence quotidienne
et continuelle de ses électeurs, ses administrés ne deviennent-ils pas
positivement ses maîtres ?
La lutte électorale dans la
commune est organisée de manière à ce que la majorité soit composée d'un seul
élément, excluant toute transaction avec la minorité ; là est la réalité. A ce
point de vue, le conseil peut être considéré comme ne formant qu'un seul homme,
comme n'ayant qu'une seule volonté.
Dès lors, vous comprenez,
messieurs, par combien de moyens faciles le conseil communal pourra imposer au
gouvernement le candidat qu’il aura désigné d'avance. Nous n'avons pas oublié
le mot d'une de nos grandes communes, mot que cette commune a répète pendant
longtemps au gouvernement qui se refusait à subir le choix qu'on voulait lui
imposer ; ce mot, nous l'aurons ! Ce mot, messieurs, n'est pas tellement
exceptionnel qu'il ne soit déjà parvenu jusque dans nos communes rurales ;
prenons garde qu'il ne soit répété plus souvent que nous le voudrons aux
élections prochaines.
Ainsi, messieurs, quand, à côté
d'un conseil communal directement élu, formant ce
qu'on a parfaitement bien nommé l'assemblée
législative de la commune, lorsqu'à côté du collège des bourgmestres et
échevins que nous avons constitués les mandataires de la commune, nous avons
voulu accorder au Roi la haute prérogative de la nomination de son agent, en
réalité, nous ne l’avons pas fait.
L'autre prérogative corrélative à
la première, et qui la complète, le droit de révocation, est encore bien plus
illusoire et plus fictive :
La révocation est une arme extrême,
irritante, dont le gouvernement ne pourra faire usage, sinon en présence d’une
impérieuse nécessité. Les cas où cette nécessite se présente sont ceux où une
majorité turbulente domine la commune, domine le conseil.
Dans ces cas où le bourgmestre
obéissant à cette influence, néglige d'une manière grave les devoirs que lui
impose le mandat qui lui a été confié par le gouvernement ; dans ces cas,
dis-je, qui sont les plus ordinaires de tous, la révocation dans les mains du
pouvoir est impossible.
Le gouvernement sait très bien
que le bourgmestre révoqué reste membre du conseil et qu'il pourra lui être de
nouveau imposé comme candidat ; eh bien, pour éviter cet échec
presqu'inévitable, que fera le gouvernement ? Il fera ce qu’il a fait ; il
renoncera à son droit de révocation.
L'honorable M. Verhaegen et
l'honorable M. Orts sont étonnés qu'on n'eût fait qu’un médiocre usage du droit
de révocation ; eh bien, moi, je m’étonne que le gouvernement ait osé et ait su
en faire usage une seule fois.
Mais si ce droit de révocation
est illusoire dans les mains du gouvernement, il ne l’est certainement pas dans
les mains de la commune. La commune dispose du sort du bourgmestre. Lorsqu’au
bout des six années son mandat expire, elle peut alors le révoquer ans aucune
entrave ; elle révoque, comme l’a très bien faire remarquer M. le ministre de
l'intérieur, elle révoque le bourgmestre, non seulement en tant qu’il est son
propre mandataire, mais en tant qu’il est le mandataire du pouvoir exécutif,
c’est-à-dire que la commune commet, en vertu de la loi de 1836, l’acte le plus
flagrant d’inconstitutionnalité.
Là est le vice radical de la loi
; M. le ministre de l'intérieur a voulu ramener la discussion sur ce terrain,
mais on s’est bien gardé de l’y suivre.
Ainsi, le droit de nomination et
le droit de révocation sont nuls entre les main du gouvernement, il sont
absolus dans les mains de la commune.
L’on peut donc sans exagération
soutenir que, dans bien des circonstances, la commune nomme et révoque
directement le bourgmestre. C’est l’élection directe, élection que nous avons
considérée comme dangereuse, et que nous avons repoussée en 1836 ; c’est
l’élection directe, avec la franchise de moins, avec l’humiliation du pouvoir
de plus.
Cette position d’humiliation pour
le pouvoir, vous la créez à un autre point de vue. Le gouvernement, pour
conserver sa dignité, pour ne pas rester aux genoux de la commune, le
gouvernement est obligé de descendre aux petits moyens, aux petites intrigues
des gouvernements absolus. C’est la loi qui le veut. Il doit s’efforcer de
détacher quelques homme de la majorité ; vous exigez de lui qu’il joue au plus
fin avec le conseil communal : il doit aller furtivement frapper à la porter de
chaque conseiller pour opérer des défections. Voilà la vérité ! Je ne puis
consentir à faire au gouvernement une position aussi humiliante. Je préférerais
cette fois l’élection directe des bourgmestres et des échevins. Par l'élection
directe, les inconvénients restent locaux, sont renfermés dans le cercle de la
commune. Au moins là la dignité du gouvernement reste sauve.
J'ai à vous signaler un autre
danger que la loi de 1836, telle qu'elle est exécutée, présente. Cette loi, on
vous l'a déjà dit, provoque essentiellement à l'agitation politique dans la
commune, elle tend à rendre les élections passionnées, à y semer l'esprit de
parti, au lieu d'y faire dominer l'intérêt communal.
Messieurs, je conviens avec mon
honorable ami M. Dedecker, que ce n'est pas par quelques modifications
heureuses que nous apporterions à la loi communale,
que nous allons faire cesser l'agitation politique dans le pays. Mais
l'honorable orateur a semblé demander un remède absolu que je ne connais pas.
Pour moi, je crois que le gouvernement aura beaucoup fait, quand il aura trouvé
des remèdes qui agissent lentement, mais progressivement.
Eh bien, messieurs que est le but
de l'élection dans la commune telle que la loi de
Placez donc autant que possible
le bourgmestre en dehors de la lutte électorale, faites que les électeurs
n'aient à s'occuper que de la nomination des conseillers et des échevins, vous
aurez ôté aux élections communales le principal mobile politique, vous les
aurez pacifiées autant qu’il est en vous de les pacifier.
J'entends qu'on va me dire :
« Mais vous voulez donc éteindre l’esprit politique, vous avez peur de la vie
politique qui doit animer les gouvernements
représentatifs. La lutte politique est de l'essence même des monarchies
parlementaires ! »
Cette vie politique, je la
comprends dans les grands corps de l'Etat, dans la sphère élevée de l'opinion,
mais je ne la veux pas dans le village, où elle prendre la place de la vie
communale. L’opposition dans le parlement est belle,
elle est légitime ; c'est le contrôle élevé que la nation a placé à côté
du gouvernement. Mais l'opposition, les partis dans le hameau, au sein même des
familles, c'est le déchirement, la désorganisation. La lutte là se rapetisse
aux proportions de l'intrigue envieuse, et l'hostilité contre les supériorités sociales, contre l'autorité, devient, dans le
village, plus personnelle, et dès lors, plus vive et plus aveugle, Vous n'avez
pas oublié que M. de Talleyrand, à la fin de sa carrière politique, n'a dû
l'honneur de siéger dans le conseil communal de Valençay, quelques voix perdues
dans un ballottage, et que le hasard lui avait jetées.
Rendons donc les élections
communales moins politiques, et pour cela plaçons le bourgmestre en dehors de
leur action. Nous avions voulu, en 1836, éviter de faire du bourgmestre un
homme politique et pour atteindre ce but, nous l'avions placé dans une espèce d'indépendance
vis-à-vis du gouvernement. Nous avons réussi de ce côté, mais nous n'avons pas
songé qu'en lui créant cette indépendance vis-à-vis du gouvernement, nous le
livrions exclusivement à l'influence élective, c'est-à-dire à l'influence des
partis, et qu'ainsi nous en faisions un homme politique par excellence.
Je dois le déclarer avec
franchise et c'est ici qu'existe la véritable différence entre l'opinion de M.
Dumortier et la mienne, je crois plus à l'impartialité du gouvernement dans
cette sphère, qu'à l'impartialité des partis, et je ne veux pas, par une peur
exagérée de l'influence gouvernementale, livrer nos populations exclusivement
aux agitateurs électoraux,
Si j'étais l'adversaire, l'ennemi
du gouvernement représentatif, si je voulais tenter de miner son influence, en
le dépopularisant, je donnerais les mains à l'extension du principe électif, je
pousserais à l'exagération de ce principe, je ferais en sorte que l'action
élective fût toujours tendue, que les élections communales, provinciales
et générales se succédassent de manière à ne pas laisser un moment les
populations en repos, persuadé que je serais, que dix ans ne passeraient pas
avant qu'une réaction n'eût lieu contre le gouvernement constitutionnel.
C'est parce que je veux conserver
un gouvernement modéré à
On nous parle d'une guerre tentée
contre le principe électif ! Mais, messieurs, si cette guerre existe, elle date
de beaucoup plus loin que de la discussion actuelle.
Je connais effectivement une
tentative faite au congrès même, contre notre régime électoral. C'est lorsque
des membres de notre assemblée constituante soutenaient le principe de
l'élévation du cens, de la restriction en matière d'élection. Cette guerre,
dont on nous parle, a été organisée une seconde fois par des partisans de la
réforme électorale, par ceux qui demandant l’uniformité du cens de manière à
l'élever pour les cinq sixièmes de notre population, c'est-à-dire pour les
communes rurales créant ainsi une véritable aristocratie électorale. (Interruption.)
Si le projet du gouvernement est
une croisade contre le principe électif, cette
croisade a commencé au congrès même, quand M. Jottrand
a demandé que le bougmestre et les assesseurs fussent nommés directement par le pouvoir
exécutif, et cela sans qu'on ait accusé M. Jottrand
et M. Lebeau qui soutenait le même système, de pousser à la contre-révolution.
Cette guerre s'est reproduite en
1834, quand M. Rogier a présenté un projet qui renfermait au fond le même
principe que celui que propose aujourd'hui le gouvernement. Cette croisade a
été continuée par les honorables amis de M. Rogier,
dans les discussions de 1834, 1835 et 1836, lorsqu’ils se posaient les
défenseurs officiels de la prérogative royale. Cette guerre a eu lieu jusque
sous le cabinet précédent. La circulaire de M. Liedts, et je me sers de
l'interprétation que lui a donné l’honorable M. Verhaegen, avait pour but
d'engager les gouverneurs et les commissaires de district à fournir les éléments
du projet que le cabinet d'alors se proposait évidemment de présenter aux
chambres.
Ainsi, cette croisade contre le
système électif ne date pas de cette discussion, et si elle existait
réellement, presque tout le monde serait convaincu
d’y avoir pris part.
Messieurs, en combattant la loi
de 1836 telle qu'elle a été appliquée, j'ai en même temps justifié, je pense,
les principes du projet de loi du gouvernement comme les principes du projet de
loi de la section centrale. Pour moi les résultats de ces projets seront de
rétablir, comme je l'ai dit tantôt, le principe même de la législation de 1836,
qui a été faussé dans l'application ; de restituer au gouvernement
le droit de nomination et le droit de révocation que nous avions voulu lui
donner alors, mais qu’en effet, nous ne lui avons donné que d'une manière
illusoire ; un autre résultat sera, en second lieu, de faire au bourgmestre une
position qui ne soit pas complètement dépendance
vis-à-vis du corps électoral ; en troisième lieu ce sera, en plaçant le
bourgmestre en-dehors de la lutte électorale, d'amener la pacification
politique dans la commune.
Veuillez ne pas perdre de vue que
L'honorable ministre de
l'intérieur vous l'a démontré à l'évidence : Deux choses manquent à presque
toutes les législations dont on est venu nous faire l'histoire, mais qu'il me
soit permis de le dire, l'histoire un peu superficielle, c'est le principe de
l'élection directe ; c'est la création dans la commune d'un conseil communal,
d'un pouvoir législatif permanent qui délibère sur tout, qui décide de tout ce
qui concerne les intérêts communaux. Jusqu'à ce qu'on m'ait prouvé que
A ceux qui veulent nous effrayer
par des phrases que je trouve exagérées, je puis répondre par ces paroles que
M. Devaux a prononcées dans cette enceinte, lors de
la première discussion. Cet honorable membre, qui soutenait qu'on a
l'expérience que le système électif a très souvent donné de bien mauvais
choix, disait :
« On me répond : vous sacrifiez
les libertés communales ; il faut laisser choisir le peuple.
« Je ferai remarquer à cette
occasion que c'est par des abstractions que la plupart de nos adversaires nous
répondent. C'est toujours par les mots abstraits de
libertés communales, de droits du peuple, qui reviennent à chaque phrase,
qu'ils raisonnent ; mais les considérations pratiques, il n'y en a pas : les
intérêts des administrés sont considérés pour rien, et la liberté communale
pour eux consiste toute entière à choisir les administrateurs communaux. Quelle
confusion de mots, si leur raisonnement était vrai ! Mais tout le royaume
serait soumis au despotisme ! »
Eh bien, ce que vous disait M.
Devaux, je vous le dis en termes, ce me semble, plus modérés. Je reste toujours
convaincu que nous ne portons aucune atteinte aux libertés communales. .
Je regarderais comme une grande
faute d'essayer de détruire, en Belgique, l'esprit communal historique chez
nous et enraciné dans les mœurs de nos populations. Mais ce que quelques-uns
prennent pour de la vie communale, je le regarde comme de la fièvre communale,
qui à la longue tuerait la première.
Il faut conserver la vie
communale, et quiconque voudrait la détruire, s'y briserait. Mais ce que je
veux aussi, ce qui n'est pas aussi traditionnel chez nous, ce qui a manqué à
toutes nos révolutions antérieures faites pour conquérir notre indépendance,
c'est le sentiment de notre unité nationale, c'est le
gouvernement, sentiment qu'il faut entretenir, si
nous ne voulons pas périr à la première secousse
européenne.
M.
Verhaegen (pour
un fait personnel) - L'honorable M. Dechamps a dit que j'avais tronqué son
opinion, vu au moins que je ne l'avais pas rapportée dans son ensemble.
M.
Dechamps. -
Permettez. J'ai dit que lorsqu'on citait des fragments de discours ou d'écrit.
Il était impossible d'être juste, qu'il y avait nécessairement infidélité dans
ces citations.
M.
Verhaegen. - C'est parce que je n"aime pas ce reproche que je veux compléter ces
citations.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Qu'est-ce que cela prouve ?
M.
Verhaegen. - On
m'accuse d'avoir tronqué. Je tiens à ne pas mériter ce reproche. Je n'ai cité jusqu'à
présent que des extraits d'un ouvrage périodique que M. Dechamps accepte comme
sien ; l'honorable ministre a cru sans doute que je n'avais pas devers moi les
extraits de ses discours ; il s’est trompé, et force m'est de les mettre sous
les yeux de la chambre.
M. Dechamps, en 1834, disait en
termes : « je veux un collège administratif ; je veux qu'on donne toutes
les attributions communales aux membres de ce collège, et que les bourgmestre
et échevins aient le pouvoir exécutif dans la localité : Je veux que le
gouvernement ne puisse révoquer ni le bourgmestre, ni les échevins sans
conditions expresses et sans limites tracées. Je veux, comme mes honorables
collègues, que les bourgmestres et échevins soient pris dans le sein du
conseil. » Et dans une
autre partie du discours, il disait encore : « que ce système était
coupé sur le patron des mœurs du peuple. »
Ailleurs, il disait :
« Il faut que le bourgmestre
soit aussi le mandataire de la commune, ou il faut
changer les attributions ; il doit donc avoir un mandat de la commun. Il est en
même temps l’agent du gouvernement. »
« Si le système de
l'élection directe est absurde, celui de la nomination par le Roi hors du
conseil est plus absurde encore…. »
Ailleurs, encore :
« Ceux qui ne veulent pas
d'élection préalable se trompent étrangement, s'ils veulent par là donner plus
de force au pouvoir. La force ce n'est pas l'arbitraire légal, ce n'est pas
la contrainte qui enchaîne, mais c'est avant tout la confiance et la justice.
« Eh bien ! imaginez deux
communes dont l'une aurait pour chef un commissaire du Roi, et l'autre un
bourgmestre qui aurait acquis la confiance du gouvernement et de la commune, et
dites moi où serait la force, où serait la faiblesse.
« Nous qui nous vantons d'être un
des peuples les plus avancés dans la voie constitutionnelle, n'allons pas
inscrire une exception dans l'histoire des franchises communales, et qu’on
le sache bien, ce serait une honteuse exception.
« La loi française de 1831
établit le même principe que celui de la section centrale, et cependant quand
on cite
« L'Allemagne a consacré un
système analogue, partout le bourgmestre y est nommé par le Roi, sur une liste
de candidats présentée par les députés.
« L'honorable M. Ernst l'a nié,
mais la source où j'ai puisé ce fait, me garantit l'exactitude.
« Et nous, messieurs, qui formons
l'anneau qui unit l'Allemagne à
Dans la séance du 5 mars 1835, il
disait :
« L'amendement de M. le ministre
de l'intérieur, qui consiste à autoriser la nomination des bourgmestres hors le
conseil n'offre aucune garantie, l'exception peut devenir un jour la règle, son
vague est trop indéfini.
« Comment savoir où finira la
règle, où commencera l'exception ?
« On objecte la responsabilité du
pouvoir, mais nous ne pouvons pas ainsi supposer pour l'avenir, l'impossibilité
d'un gouvernement à tendances rétrogrades....
« M. le ministre devra avouer que
son amendement serait une arme bien dangereuse dans les mains d'un gouvernement
qui voudrait faire invasion contre les libertés publiques.
« Or, nous faisons des lois,
non seulement pour le présent, mais aussi pour l'avenir. »
Dans la séance du 11 mars 1835,
il s'exprimait ainsi :
« Vous serez convaincus, que
toujours le principe du double mandat a été sous-entendu et supposé. Le
bourgmestre considéré, soit seul, soit en rapport avec les échevins, agit tour
à tour comme délégué du gouvernement et comme mandataire de la commune. Si nous
décidions que la nomination peut se faire par le Roi hors du conseil, nous
ferions jurer ensemble ces deux titres de la loi, nous les placerions dos à
dos de manière qu'ils ne pussent jamais se donner la main et former un
système uniforme. » (On rit.)
Après cela, l'honorable M. Dechamps ne me fera plus le reproche d'avoir
tronqué son opinion, ou de ne pas l'avoir rapportée dans son ensemble.
M.
Dechamps. - Je crois devoir répéter encore ce
que je viens de dire à l'honorable M. Verhaegen, en l'interrompant. Je n'ai pas
dit que M. Verhaegen avait travesti ses citations. J'ai dit qu'en ne donnant
que des fragments de discours, que des citations isolées, on pouvait mettre
facilement tous les membres de la chambre en contradiction avec eux-mêmes ;
qu'il fallait présenter l'opinion d'un adversaire dans son ensemble logique, si
on voulait le combattre avec loyauté.
Les phrases citées par
l'honorable M. Verhaegen ne contredisent en rien ce que j'ai avancé tout à
l'heure. J'ai eu soin de rappeler moi-même que le principe de la nomination par
le Roi, dans le sein du conseil avait été celui que j'avais défendu. Mais ce que
j'ai ajouté, ce que M. Verhaegen ne cite pas, ce sont les amendements que j'ai
présentés pour laisser au Roi la nomination du bourgmestre, en dehors du
conseil, dans certains cas déterminés, c'est-à-dire pour introduire le principe
même du projet nouveau ; ce que M. Verhaegen ne cite pas, c'est la suite du
discours dont il vous donne une partie, et dans lequel je réclame le droit de
révocation et celui de dissolution sans lesquels j'avouais que le gouvernement
serait désarmé dans la commune, avec un droit de nomination aussi limité.
Ainsi les phrases citées par M.
Verhaegen ne sont pas au fond en désaccord avec les idées que je soutiens. Je
défie de prouver que je n’aie pas présenté les amendements relatifs à la
nomination du bourgmestre, et que je n'aie pas défendu le principe de la
révocation et de la dissolution. Cela me suffit.
- La séance est levée à 4 heures et demie.