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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 juin
1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Motion d’ordre relative à l’absence de M. Angillis (Delfosse)
3) Projet de loi tendant à proroger la loi sur les péages ferroviaires et la
loi sur les attributions judiciaires des agents du chemin de fer (Delfosse, David)
4) Projet de loi de loi tendant à apporter des modifications à la loi
communale, en ce qui concerne la possibilité de nommer le bourgmestre en dehors
du conseil communal (Cools, Mercier,
Vandenbossche, de Theux, Mercier, Cools, (de
Mérode), de Brouckere), de le suspendre ou de
le révoquer (Delfosse)
5)
Proposition de loi tendant à apporter des modifications à la loi communale, en
ce qui concerne le fractionnement des collèges électoraux. Motion d’ordre
tendant à ne pas prendre la proposition en considération (Trentesaux,
de Theux, Trentesaux, Nothomb). Discussion générale (de
Theux, Lebeau, Dubus (aîné), Lebeau, de Brouckere, de Theux, Rogier, de Theux, Coghen, Dumortier, ((+situation de la ville de Gand) Delehaye, Dumortier, de Theux, Nothomb, Delehaye))
(Moniteur
belge n°161, du 10 juin 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est
adoptée.
M.
de Renesse analyse les pièces de la correspondance
:
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Jean-Louis Pirot,
propriétaire-cultivateur à Sart-Custinne, né à Hargnies (France), demande la naturalisation. »
« Le sieur Lewis Jackson, professeur de langue anglaise
à Bruxelles, né à Londres, le 25 mai 1794, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_________________________
« Le sieur Mangam demande
que la chambre veuillee statuer sur la pétition qu'il
lui a adressée sous la date du 12 décembre 1841, et qui tendait à obtenir une
augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Delfosse. - Messieurs, j'ai reçu ce matin une lettre de l'honorable M. Angillis,
par laquelle il me prie d'annoncer à la chambre qu'un accident grave l'empêche
de se rendre à son poste, Cet honorable collègue regrette fort de ne pouvoir
venir protester par son vote contre le déplorable projet de loi qui change le
mode de nomination des bourgmestres et leurs attributions.
PROJET
DE LOI TENDANT A PROROGER
M. Peeters. - Messieurs, la section centrale qui a examiné le budget des travaux
publics, et à laquelle vous allez renvoyé le projet présenté dans la séance
d'hier par M. le ministre des travaux publics, m'a charge de vous présenter son
rapport.
Ce projet tend à proroger jusqu'au 1er juillet 1843
les dispositions de la loi relative aux péages du chemin de fer et aux
attributions de police judiciaire conférées à certains agents de
l'administration des chemins de fer.
La section centrale propose à l'unanimité l'adoption
de ce projet.
Je
proposerai de discuter immédiatement ce projet.
M. Delfosse.- Je demande l'impression du rapport. Il n'y a rien d’urgent ; le sénat
n'est pas assemblé.
M. David. - Messieurs, je regarde la question comme très grave ; j'aurai des observations
à vous présenter. Je demande aussi l'impression du rapport.
M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué.
- La chambre fixera ultérieurement le jour de la
discussion.
PROJET
DE LOI APPORTANT DES MODIFICATlONS A
Second
vote des articles
M. Dubus (aîné) remplace M. Fallon au fauteuil.
M. le président. - Le premier amendement adopté est relatif à l'article 2 de la loi
communale.
Le gouvernement avait fait la proposition suivante :
« Addition à l'art. 2. Néanmoins le Roi
peut nommer le bourgmestre hors du conseil communal, parmi les électeurs de la
commune. »
La chambre a adopté la disposition suivante :
« Modifications à l'art. 2. Les
mots : le bourgmestre et sont retranchés du 2° § de l'art. 2.
« Sont ajoutées au même article les dispositions
suivantes :
« § 3. Il nomme le bourgmestre, soit dans le
sein du conseil, soit parmi les électeurs de la commune, âgés de 25 ans
accomplis. »
M. Cools. - Je crois qu'il a été entendu au premier vote qu'on
reviendrait sur l’amendement de l'honorable M. Mercier.
M. le président. - Il n'a rien été décidé à cet égard.
M. Mercier. - Messieurs, lorsqu'il s'est agi de mon amendement, j'ai demandé qu'il ne
fût pas mis aux voix. Je m'étais aussi opposé à ce que l'amendement de
l'honorable M. Fleussu fût soumis au vote au moment ou on insistait pour qu’il
le fût. Les motifs que j'avais alors étaient que le système de la section
centrale, dans son ensemble, me paraissait être, de sa nature, exclusif de tout
amendement. Ce système, en effet, n'était pas même une simple modification de
celui du gouvernement ; il était au contraire fondé sur un autre principe et
destiné à le remplacer ; il me semblait donc que ceux qui l'adoptaient dans son
entier ne pouvaient accueillir l'amendement de l'honorable M. Fleussu, ni le
projet primitif du gouvernement ; ils refusaient même par leur vote leur
assentiment au second projet du gouvernement, puisque celui de la section
centrale allait beaucoup plus loin. C'est ce qui m'a fait penser qu'il n'était
pas rationnel de vouloir insister en ce moment sur le vote de l'amendement de
l’honorable M. Fleussu et de celui que j'avais l'honneur de présenter à la
chambre.
Messieurs, ce qui m'avait déterminé à proposer cet
amendement, c’est que je remarquais que la chambre se trouvait divisée en deux
fractions presque égales à l'égard de la proposition de la section centrale.
Animé d'un esprit de modération et de conciliation, reconnaissant quant à moi
que le gouvernement dans certains cas exceptionnels devait avoir les pouvoirs
nécessaires pour choisir le bourgmestre en dehors du conseil, et sachant d'un
autre côté que plusieurs de mes honorables amis partageaient cette opinion, je
reproduisis le projet primitif du gouvernement, espérant que de part et d'autre
on se serait fait quelque concession. Cet amendement me paraissait de nature à
rallier une grande majorité.
Aujourd’hui le système de la section centrale a été
considérablement modifié dans ses dispositions essentielles. Ainsi, d'après ce
projet, le bourgmestre ne pouvait plus faire partie du conseil. D'un autre
côté, le bourgmestre devait être nommé pour un terme indéfini. Les
modifications que la chambre a fait subir à ce projet sous ces deux rapports
très importants, lui ont fait perdre ce caractère exclusif de tout amendement
dans le sens de ceux qui ont été présentés.
Cependant, messieurs, l'amendement de M. Fleussu,
renfermant la clause des motifs graves et celle de l'avis conforme de
la députation permanente, ayant été
rejeté par la chambre, je me bornerai à proposer que le gouvernement, lorsqu'il
nommera le bourgmestre hors du conseil, soit tenu de prendre l'avis de la
députation permanente.
Je ne pense pas que cette clause puisse entraîner
aucun inconvénient pour le gouvernement. En effet, M. le ministre de
l'intérieur a déclaré que dans sa pensée la nomination dans le sein du conseil
sera la règle et que la nomination en dehors du conseil l'exception. Eh bien !
Le cas où la députation permanente ne sera pas d'accord avec le gouvernement
sera l’exception de l'exception, c'est-à-dire que le nombre de ces cas sera
imperceptible. Il n'y a donc aucun inconvénient à modifier l'article de la
section centrale dans ce sens en ajoutant :
« Toutefois, dans ce dernier cas, la députation
permanente du conseil provincial devra préalablement être entendue. »
C'est un système de transaction qui ne gênera
nullement le gouvernement, parce que, comme je viens de le dire, les cas où une
députation permanente ne sera pas, d'accord avec le gouvernement, lorsqu'il y
aura des motifs plausibles d'user de l'exception, seront extrêmement rares. Mon
amendement ainsi modifié est aussi de nature à donner apaisement à ceux qui se
sont prononcés contre le projet car la
nécessité d’entendre la députation permanente sera une garantie qu’il n y aura
pas d’abus ; le gouvernement n'osera s'écarter de l'avis de la députation, que
lorsqu'il en aura des motifs bien fondés et qu’il
pourra avouer.
M. Vandenbossche. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour appuyer,
dans les circonstances où nous nous trouvons, l'amendement de l'honorable M.
Mercier.
Si le gouvernement avait voulu renoncer à la
nomination des échevins, j’aurais pu lui accorder la nomination pleine et
entière du bourgmestre parmi les électeurs de la commune ; mais maintenant que
la seconde partie de ma proposition a été rejetée, je crois que nous devons
tâcher de rester, autant que possible, dans les termes de
la loi actuelle. C'est ce qui me fera voter pour l'amendement de l'honorable
M. Mercier.
M. de Theux,
rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Mercier
a sans doute le droit de modifier son
amendement en retranchant la clause des motifs graves ; mais cd amendement ne
peut pas être mis aux voix avant la proposition de la section centrale, qui a
été adoptée au premier vote ; ce n'est que subsidiairement que cet amendement
peut être mis aux voix pour le cas où la proposition de la section centrale
serait écartée au second vote. Il a été positivement entendu dans la
discussion, que, puisque l’honorable M. Mercier s’opposait à ce que son
amendement fût mis aux voix, cet amendement ne pouvait être maintenu que pour
le cas où le projet de la section centrale serait écarté au second vote, auquel
cas l’amendement viendrait se joindre au projet du gouvernement.
Voilà
comment les choses ont été entendues dans la discussion ; sinon, l’amendement
de l’honorable M. Mercier aurait dû être mis aux voix, au premier vote, et de la
même manière que celui de l’honorable M. Fleussu, qui était une disposition
additionnelle au projet de la section centrale.
J’avais insisté pour que l'amendement de M. Mercier
fût mis aux voix ; mais il n'a pas voulu lui laisser subir l'épreuve du vote ;
il l'a retenu pour le cas où la proposition de la section centrale serait
écartée.
Maintenant le retranchement de la clause des
motifs graves que fait l'honorable M. Mercier me paraît insignifiant. La
section centrale a expliqué dans son rapport du 16 mars pour quels motifs elle
ne voulait pas que le gouvernement fût tenu de prendre l’avis de la députation
permanente. Il faut, lorsque le gouvernement use de la faculté de nommer hors
du conseil, il le fasse sous sa responsabilité pleine et entière, et surtout
sans l’intermédiaire d’aucun corps électif. On sent à combien d’abus pourrait
donner lieu l’avis obligé de la députation ; suivant que ses opinions seraient
dans l’un ou dans l’autre sens, elle pourrait aussi appuyer l’action du
gouvernement dans l'un ou dans l'autre sens, C'est ce qui ne doit pas être. Il
faut que le gouvernement ait la faculté de prendre le bourgmestre hors du
conseil, lorsqu'il le jugera nécessaire, après avoir pris l'avis de ses propres
agents, et non l'avis d'un corps électif, qui ne servirait
qu'à couvrir sa responsabilité.
M. Mercier. - J'avais moi-même été au-devant de l'objection de l'honorable M. de
Theux, en faisant observer que le projet de la section centrale, dans son
ensemble, me paraissait exclusif de mon amendement et que par conséquent mon
amendement ne pouvait pas être mis aux voix. Mais je faisais cette observation
avant le rejet de la disposition de la section centrale d'après laquelle le
bourgmestre n'aurait, dans aucun cas, fait partie du conseil communal.
M. de Theux. - C'était après.
M. Mercier. - Je ne le pense pas. Dans tous les cas, en faisant cette observation,
j'avais en vue le système complet de la section centrale ; quoiqu'il eu soit,
puisqu'il s'élève des difficultés, j'use de la faculté que me donne l'art. 45
du règlement, et je présente ma proposition actuelle comme un amendement dérivant, de l'amendement qui a été adopté au premier
vote.
M. Cools. - J'ai toujours pensé que l'organisation de 1836 ne rattachait pas assez
fortement les communes au pouvoir central. Je l'ai dit au commencement des
débats ; ma conviction est restée la même.
J'éprouvais cependant de la répugnance à admettre les
changements proposés. Je voulais un système qui offrît à la fois plus
d'indépendance aux bourgmestres, plus de garanties aux communes.
Le projet auquel la chambre s'est arrêtée ne répond
pas à mes désirs. Il se rapproche des propositions premières du gouvernement ;
il en présente les défauts. Je crains qu'il ne produise pas les effets qu'on en
attend.
Cependant, tel qu'il est, il améliore la situation
actuelle. Je pense lui donner mon assentiment ; je le ferais sans hésitation,
si je ne me trouvais sous l'empire de sérieuses préoccupations.
Je prête mon concours à la révision d'une de nos
lois organiques. Où s'arrêtera-t-on ?
Dans peu de jours j'aurai à me prononcer sur des
changements proposés au système électoral des communes.
Ami de mon pays, gardien de ses jeunes institutions,
je cherche à masquer des vices trop saillants, mais je ne veux pas remuer les
fondements de la société. Je ne déplacerai pas une pierre de l'édifice
électoral, car une première tentative en amène d'autres, et dans les Etats représentatifs,
une réforme électorale est presqu'une révolution.
J’ignore quel sort est réservé à ce projet. Je mets
mon espérance dans la sagesse de la majorité de cette assemblée. Quoi qu'il
arrive, à présent comme toujours, j'observerai la devise bien connue : Fais ce
que dois, advienne que pourra.
Mais je le déclare hautement à cette tribune, si la
proposition imprudente de l'honorable M. de Theux devait être convertie en loi,
je regretterais amèrement mon vote d'aujourd'hui.
Un sentiment que je ne sais maîtriser me commande
cette déclaration ; je veux que dans toute hypothèse on puisse assigner à mon
vote sa valeur morale. (Aux voix ! aux
voix !)
M. de Mérode. - Si l'on veut aller aux voix, je renoncerai à la parole.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Mercier.
Plusieurs membres. -
L'appel nominal.
M. de Brouckere. - Il est bien entendu que si l'amendement de M. Mercier est adopté, l’avis
de la députation ne liera pas le gouvernement. (Oui ! oui !)
- Il est procédé au vote par appel nominal sur
l'amendement de M. Mercier.
86 membres sont présents.
39 adoptent.
47 rejettent.
En conséquence, l’amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Cools, David, de Baillet,
de Behr, de Brouckere, Dedecker, Delehaye, Delfosse, de Renesse, Devaux, de
Villegas, d'Hoffschmidt, Doignon, Dumont, Dumortier, Duvivier, Fleussu, Jonet,
Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Manilius, Mercier, Orts, Pirmez, Pirson, Puisant,
Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Sigart, Trentesaux, Troye, Van Cutsem,
Vandenbossche, Van Hoobrouck, Verhaegen et Dubus (aîné).
Ont voté le rejet : MM. Brabant, de
La disposition adoptée au premier vote est ensuite
mise aux voix et définitivement adoptée.
- L'amendement tendant à modifier l'art. 48 de la
loi communale est mis aux voix et définitivement adopté sans discussion.
- Le troisième amendement, qui a été admis au
premier vote, consiste dans la disposition suivante :
« Le Roi peut suspendre ou révoquer, pour
inconduite notoire ou négligence grave, le bourgmestre. Il sera préalablement
entendu. La suspension ne pourra excéder trois
mois. »
M. Delfosse. - Le fond de votre loi est très mauvais ; tâchez du moins que le style en
soit correct : au lieu de : il sera préalablement entendu, il faut
mettre ; qui sera préalablement entendu. Si vous laissiez la phrase
telle qu'elle est, ce n'est pas le bourgmestre, c'est le Roi qui
devrait être entendu.
- La rectification proposée par M. Delfosse est mise
aux voix et adoptée.
L'amendement ainsi modifié est définitivement
adopté.
Les autres amendements introduits dans le projet
sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés sans discussion.
Vote
sur l’ensemble du projet
Il est procédé au vote par appel nominal sur
l'ensemble du projet de loi.
87 membres ont répondu à l'appel nominal.
Un membre (M. Mercier) s'est abstenu.
51 membres ont répondu oui.
35 ont répondu non.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il
sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Brabant, de
Ont répondu non : MM. David, de Baillet, Dedecker,
Delehaye, Delfosse, de Renesse, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Doignon,
Dumont, Dumortier, Duvivier, Fleussu, Jonet, Lange, Lebeau. Lys, Maertens,
Manilius, Orts, Pirmez, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier,
Sigart. Trentesaux,
Troye, van Cutsem, Vandenbossche, van Hoobrouck, Verhaegen et Dubus (aîné).
M. Mercier motive en ces termes son abstention - Je n'ai pas voté contre la loi parce
que si d'une part je crois qu'il est de l'intérêt de l'Etat que le bourgmestre
soit choisi dans le sein du conseil communal, je reconnais d'autre part que
dans des cas exceptionnels, il est utile que le gouvernement ait les pouvoirs
nécessaires pour éviter les inconvénients d'une disposition absolue.
Je n'ai pu adopter le projet de la section centrale,
malgré les importantes modifications que la chambre lui a fait subir parce que
ses termes ne donnent aucune garantie que le bourgmestre sera généralement
nommé dans le conseil communal.
(Lettre insérée au Moniteur
belge n°161, du 10 juin 1842 :
« Au directeur,
« Ce 9 juin 1842.
« Monsieur,
« N'ayant pu arriver à la séance de la chambre
avant le second vote sur la loi relative à la nomination des bourgmestres, je
croîs de mon devoir d'user de la voie du Moniteur, pour faire connaître
que mon vote eût été négatif
« Veuillez donc insérer la présence à la suite
du compte-rendu de cette séance et agréer l'assurance de ma parfaite
considération.
« Le député du district de Marche, Jadot. »)
PROPOSITION
DE M. DE THEUX RELATIVE AU FRACTIONNEMENT DES COLLEGES ELECTORAUX
M. Dubus (aîné) cède le fauteuil de la présidence à M. Fallon.
M. le président. - La parole est à M. de Theux, pour donner les motifs de sa proposition.
M. Trentesaux. - Je demande
la parole pour une motion d'ordre.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Trentesaux. -
Messieurs, je viens élever une fin de non-recevoir, une sorte de question
préalable relativement à ce projet.
On nous propose une loi ; quelle est l'origine de
cette loi ? C'est une proposition faite par un membre. Or, le règlement a déterminé
comment on doit procéder, en ce qui concerne les propositions faites par des
membres de la chambre.
Il est dit à l'art. 35 du règlement :
« Chaque membre qui voudra faire une
proposition, la signera et la déposera sur le bureau, pour être communiquée
immédiatement dans les sections de la chambre, etc. »
Je sais bien que la proposition dont il s'agit a été
présentée comme amendement à une proposition faite par le gouvernement ; je ne
vous retracerai pas l'historique de ce qui s'est passé relativement à cet
amendement et à d'autres encore ; toujours est-il que l'amendement a été
détaché du projet de loi, et qu'il est resté ce qu'il devait être, c'est-à-dire
une proposition de loi faite par un membre de la chambre.
Je suis donc dans mon droit, en demandant que le
règlement soit exécuté, c'est-à-dire que les formalités prescrites par le règlement
soient observées.
Je n'en dirai pas davantage pour
le moment.
M. de Theux. - Messieurs, la même objection a déjà été soulevée avant que la chambre
aborde la discussion générale du projet de loi qu'on vient de voter, la chambre
s'est prononcée négativement à cet égard. On a alors rejeté et l'ajournement,
et la demande de renvoi, à fin d'avis, aux autorités provinciales et la chambre
a décidé qu'elle s'occuperait immédiatement des divers projets de loi.
Il a été en même temps entendu que chaque membre pouvait déposer des
amendements, et M. le ministre de l'intérieur a même alors fait la réserve que
les amendements seraient formulés en projets de loi séparés. Nous avons usé de
la faculté de déposer des amendements, et la section centrale a adopté
l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, en formulant des projets de loi
séparés. Lorsque la discussion générale a recommence, on n'a pas même songé à
reproduire l'objection qui vient d'être présentée par l'honorable M.
Trentesaux. Il a au contraire été décidé que ce projet de loi ne resterait pas
uni au premier projet, qu'on voterait séparément sur chacun d'eux. Il y a donc évidemment décision sur la question.
M. Trentesaux. -
Messieurs, tout ce que vient de dire l'honorable préopinant ne change en rien
les faits ; il est toujours vrai que c'est une proposition qui est faite par un
membre de la chambre, que c'est une proposition isolée ; quoiqu’elles se
rattachât d'abord à un projet de loi présenté par le gouvernement, elle en a
été séparée totalement, parce qu'elle n'avait aucun rapport avec ce projet.
Messieurs, vous pouvez bien altérer la substance des
faits, mais prenez garde aux conséquences ; si jamais vous adoptiez le système
qu'on vous propose aujourd'hui, de pareils exemples pourraient se reproduire à
l'avenir, et rien ne serait plus dangereux.
Pour ces motifs, je crois devoir
persister dans ma motion.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il est évident que si
l'on veut se rappeler ce qui s'est passé, la fin de non-recevoir est couverte ;
l’honorable M. de Theux a rappelé les précédents de cette discussion, ce n'est
pas aujourd'hui, c'est lorsqu’il a agité la question de savoir si l'on
admettrait ou non les amendements, qu'il aurait fallu présenter l'objection ;
aujourd'hui on n'est plus recevable à la produire. Le rapport de la section
centrale est fait, dès lors il faut que la chambre statue.
Voyez du reste à quelle bizarre conséquence nous
serions entraînés, si nous revenions sur nos pas. Il faudrait que l'auteur de
la proposition demandât aux sections l'autorisation de lire cette proposition
que tout le monde connaît, qui est introduite à la chambre, qui est instruite
et sur laquelle la section centrale a fait son rapport.
J'insiste donc avec l'honorable auteur de
l'amendement pour que la chambre passe outre.
- Personne ne demandant plus la parole, la
proposition de M. Trentesaux est mise aux voix et n'est pas adoptée.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur la proposition faite par M. de
Theux.
M. de Theux. - Messieurs, dans l'avant-dernière séance, en déposant les deux modifications
que j'ai faite à ma proposition, j'avais exposé les motifs de ces
modifications. Il est à remarquer que ces motifs ne se trouvent pas consignés
au Moniteur ; il est probable que messieurs les sténographes, au milieu
du bruit des conversations qui règnent à la fin de la séance, n'auront pas pu
recueillir les paroles que j'avais prononcées. Je reproduis donc ces motifs en
peu de mots.
J'ai substitué d'abord le chiffre de 4,000 habitants à celui de
3,000 que j'avais propose en premier lieu ; car il est possible que dans
quelques communes de 3,000 habitants, l'application de la disposition présente
des difficultés. J'ai cru qu'il y avait d'autant moins d'inconvénients à
adopter le chiffre de 4,000 habitants, que les députations permanentes des conseils
provinciaux pourront aux termes de la loi, demander l'application de la
disposition à des communes d'une population inférieure, et que le Roi, sur
cette demande, pourra décréter cette application.
J'ai supprimé le § 3 de ma première proposition,
parce que, d'après ce § les sections de la commune eussent été divisées en deux
séries, lesquelles n'auraient été appelées qu'ultérieurement au renouvellement
par moitié. J'ai pensé qu'en prolongeant le mandat de six à huit années, il y a
moins d'utilité à ne faire élire les sections qu'alternativement. D'autre part,
pour la première application de la loi, il aurait pu surgir un
inconvénient. Toutes les sections n'eussent pas profité du bénéfice de la loi
à la même époque. En second lieu, les conseillers surtout n'auraient pas pu
se présenter tous devant leur section ; cet inconvénient n'aura pas lieu si mon
projet est adopté, car toutes les sections dans les villes qui seront
fractionnées procéderont simultanément au renouvellement par moitié.
J'ajouterai quelques observations sur le fond même
du projet. D'abord, je dois faire remarquer à la chambre que ce projet
ne tend en aucune manière à porter atteinte au système électoral de la chambre
et des conseils provinciaux. On a paru croire que c'était un premier pas de
fait pour arriver à multiplier les collèges électoraux pour les chambres et
pour les conseils provinciaux en nombre égal à celui des députés à élire aux
chambres ou aux conseils. Il n'en est rien. Cette objection aurait pu être
sérieuse, si mon projet portait qu’il y aurait autant de sections dans la
commune qu'il y aura de conseillers à élire.
Alors l'objection aurait pu se présenter d'une
manière spécieuse. Mais telle n'est pas ma pensée, ni celle de M. le ministre
de l'intérieur, qui s'est expliqué à cet égard catégoriquement dans une séance
précédente.
Au contraire, la mesure que je propose tend à mettre
le système électoral communal en harmonie parfaite avec le système électoral
pour les chambres et pour les conseils provinciaux.
En effet, la représentation nationale est élue par
arrondissement, le conseil provincial est élu par les cantons. A l'instar de
ces deux élections, les conseils communaux seront élus par les sections.
Chaque section aura un certain nombre de conseillers à élire une proportion de
sa population, ainsi que cela se pratique pour les cantons et pour les
arrondissements. Au lieu d'introduire un système nouveau, je ne fais
qu'appliquer les dispositions relatives à l'élection des chambres et des
conseils provinciaux aux conseils communaux.
Il est une chose digne de toute notre attention,
c'est que le système de fractionnement que je propose pour les élections
communales a été adopté en France et en Angleterre par des corps législatifs
dans lesquels dominait l'opinion libérale et par des gouvernements dans
lesquels dominait également l'opinion libérale. Il a été adopté en France au
mois de mars 1831, peu de temps après la révolution de juillet, et en
Angleterre sous le ministère de lord John Russell qui l'a défendu.
Avec des préjugés aussi favorables, je ne devais pas
m'attendre à l'opposition que ce projet semble devoir rencontrer dans une
partie de la chambre.
Un projet de loi communal fut présenté en France en
1829 par M. de Martignac. Ce projet ne consacrait pas le système de fractionnement.
Il fut retiré par le ministre qui l'avait présenté. Mais en 1830, immédiatement
après la révolution de juillet, la loi communale fut représentée à la chambre
des députes, et ce fut un membre de l'opposition sous Charles X qui
présentait le système du fractionnement. Ce système fut adopté par la
commission chargée de l'examen de la loi municipale, L'honorable M. Dufaure fut rapporteur.
Lors de la discussion, dans la chambre, quatre
orateurs prirent la parole. Trois se prononcèrent en faveur du fractionnement ;
un seul, M. le général Demarçay, le combattit. Ainsi
ce système fut-il adopté sans grande opposition par assis et levés. On ne
croyait pas que la question valut la peine d'un scrutin. La loi qui le
consacrait fut également adoptée à une très grande majorité, 252 voix contre
86. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que ce projet ayant été porté a la
chambre des pairs, la commission proposa, à l'unanimité, de l'adopter. Pas un
seul membre ne combattit la disposition du fractionnement. Le projet fut
adopté à l'unanimité moins quatre voix.
Qu'il me soit permis de vous reproduire
quelques-unes des observations que présenta M. Humblot-Conté,
sur la proposition du fractionnement, comme c'est le même système que je vous
propose et qu'il apporte à l'appui les motifs qui m'ont déterminé même avant
d'avoir lu les développements de sa proposition. Ces motifs en ont pour moi une
autorité d'autant plus grande. Je pense que vous les entendrez avez plaisir ;
j'en ai fait une analyse très succincte et très substantielle. Voici à peu
près en quels termes s'exprimait M. Humblot-Conté :
« D'après le projet des ministres de
« Ils pensaient que ce mode favorisait
puissamment l'intrigue des coteries et donnait un avantage presque certain à la
partie la plus remuante ; que d'ailleurs il devait en résulter que la majorité
l’imposerait toujours à la minorité son omnipotence, et priverait de toute
représentation dans le conseil des intérêts souvent très importants qui
seraient sacrifiés, faute d'être défendus. Ils croyaient, qu'il y aurait plus
d'équité à fractionner les assemblées en sections et par quartiers, et à
confier à chacune d'elles la nomination d'une partie des membres du conseil.
Ils auguraient que ce mode d'élection rendrait vains les efforts des coteries
et assurerait à la minorité le moyen d'envoyer dans le conseil des représentants
de son opinion et de ses intérêts. La nouveauté de la proposition n'est point
un motif pour la repousser, et je l'ai accueillie parce qu'elle m'a paru juste.
En effet, messieurs, j'ai dit ailleurs que le principe qui devait dominer dans
la rédaction d'une loi des communes.
« C'est qu'il importe surtout de leur assurer
une bonne administration : or, une administration est-elle la meilleure
lorsqu'une partie des administrés peut douter que leurs intérêts et leurs vœux trouvent
des organes pour les produire dans le conseil ? Les justes prétentions de la
minorité ne doivent-elles pas rester sans espérances et sans défenseurs.
Tâchons de porter la réforme dans le vieux principe du despotisme de la
majorité. Attaquons-le à son origine, et qu'il soit banni des élections de la
commune, de cette société qui devrait ne renfermer que des frères. »
M. Caumartin. « C'est dans cet article que doit se trouver la
solution du problème qui consiste à faire représenter dans le conseil tous les
intérêts. Il ne suffit pas, en effet, pour que la loi atteigne le but qu'il se
propose, d'élargir autant que possible le cens électoral ; il ne suffit pas que
chacune des parties intéressées puisse venir déposer dans l'urne son vote ; il
faut encore que toutes les masses des intérêts soient représentées dans le
conseil. »
Il cite comme exemple des intérêts industriels qui
peuvent être sacrifiés par les tarifs, les octrois. Il remarque que dans la commune
rien ne pourrait balancer la majorité, au lieu que, dans les chambres, la
minorité écartée dans un collège peut être représentée dans un autre.
Le général Demarçay
objecte que, par le fractionnement, les partis seraient introduits dans le
conseil, les carlistes, les partisans de l'église romaine, des hommes ayant peu
de lumières, des intérêts personnels,
M. Humblot dit encore : « Ce serait un grand inconvénient que d'introduire des
opinions politiques dans les conseils municipaux. Ces conseils ne sont appelés
à délibérer que sur les intérêts de la commune. »
Le colonel Paixhans réfutait ces observations ; en disant que toutes
les opinions de bonne foi étaient respectables, que toutes devaient avoir la
possibilité de se faire représenter dans le conseil, que les opinions
divergentes seraient d'autant moins dangereuses qu'elles pourraient au moins se
faire entendre.
En Angleterre, les mêmes motifs furent donnés à
l'appui du système du fractionnement, par lord John Russel, Robert Peel et lord
Stanley. Les trois chefs de parti de la chambre des communes, les trois hommes
politiques les plus considérés de l'Angleterre appuyaient donc le système du
fractionnement.
Lord Stanley ajoutait encore un autre motif que j'ai
aussi fait valoir, qu'avec les élections par sections, dans le cas d'élections
partielles et dans le cas de ballottage, il ne faudrait pas convoquer tous les
électeurs d'une grande commune.
Après de semblables autorités, il me semble inutile
d'insister davantage sur cette proposition, dont la justice doit
paraître évidente à la chambre. Je ferai cependant remarquer ici que, pour
procéder utilement à une élection, il est bon qu'il y ait une réunion
préparatoire. Mais on comprend que la réunion préparatoire, lorsqu'il y a
jusqu'à 4000 électeurs qui doivent procéder à la nomination de seize
conseillers, ne peut amener aucun résultat, ne peut faire connaître en aucune
manière l'opinion de la commune ; lorsque les élections auront lieu par
quartier (je pense que dans nos villes le nombre de quartiers varie de 4
à 8) une assemblée préparatoire pourra se faire avec fruit. Le nombre des
candidats étant moindre, les électeurs étant aussi en moindre nombre, tous les
choix pourront être raisonnés.
J'ajouterai à ces considérations que nous voyons
souvent des demandes en séparation de communes fondées sur ce que telle ou
telle partie de la commune n'est pas représentée dans le conseil. La loi aura
pour effet de diminuer le nombre de ces demandes.
Dans une séance précédente on m'avait objecté que le
système du fractionnement introduirait dans le conseil la représentation des
intérêts de localités ; mais cette représentation des intérêts de localité est
une prescription constitutionnelle à l'égard des chambres, c'est une
prescription de la loi provinciale. Il n’y a là rien que de juste. Lorsque des
intérêts de localité se produisent, le même sentiment d'équité qui y fait droit
quand ils sont fondés, les éconduit quand ils ne sont pas fondés. Il n'y a aucune espèce d'inconvénient à introduire ces
intérêts dans le sein de la représentation de la commune. On avait encore
opposé que le gouvernement pourrait choisir le bourgmestre et les échevins dans
une seule section ; mais il en est ainsi d'après la loi en vigueur. Le
gouvernement peut nommer le bourgmestre et les échevins parmi les conseillers
qui habitent un seul et même quartier. Rien ne s'y oppose. Je dirai même que
souvent le gouvernement est forcé à le faire. En effet, il est arrivé qu'il y a
eu jusqu'à huit ou neuf conseillers appartenant à une même section. Lorsque le
conseil représentera tous les quartiers de la commune, il sera plus facile au
gouvernement de les représenter aussi dans le collège échevinal.
D’ailleurs cette objection n'a pas même été produite
en France, et cependant là elle aurait eu plus de valeur, puisque c’est le
maire seul qui a le pouvoir exécutif.
Je n'ajouterai pas d'autres considérations à l'appui
de ma proposition. Je me réfère aux développements que j'y ai donnés en la
présentant et en répondant à l'honorable M. Dolez sur une
question incidente avant la discussion générale du premier projet de loi.
M. Lebeau. - En présence de cette nouvelle tentative de faire brèche à notre loi
communale, j'éprouve le besoin de dire à la chambre comment j'entends examiner
et résoudre de pareilles questions.
Quand une proposition de réforme est soumise à la
législature, si surtout cette réforme doit atteindre une de nos lois
organiques, avant d'examiner la valeur intrinsèque des modifications proposées,
il y a toujours pour moi une question préjudicielle, que je pose très sérieusement
: les inconvénient du maintien de la loi sont-ils tellement graves qu'il faille
toucher à cette loi ? Les plaintes sont-elles assez vives, assez générales ;
l'opinion publique s’est-elle prononcée d'une manière assez positive, assez
solennelle pour que les avantages de la réforme l'emportent sur les
inconvénients de toute innovation de ce genre ?
Si la réponse à cette question est affirmative, je
me résous à toucher à une loi, fût-ce même à une loi organique. Mais si les
inconvénients sont rares, sans portée, de la nature de ceux qui n'ont pas
échappé à la prévoyance du législateur, alors qu'il concourait à une œuvre
dont lui-même reconnaissait les imperfections ; oh ! alors,
je suis partisan de la stabilité législative ; je refuse de porter la main sur
une semblable loi, pour de semblables motifs. Or, il a suffi pour moi de
l’exposé des motifs des différents projets de loi, des rapports de la section
centrale et des quelques lettres qu'on a pompeusement décorées du nom d’enquête
administrative, pour rester convaincu qu'il n'y a pas de motifs sérieux, de
motifs suffisants de toucher à aucune des parties de l'organisation de la
commune.
Que dirais-je de l'instabilité législative qui n'ait
été dit dans les séances précédentes, et en de meilleurs termes, que ceux dont
je pourrais me servir ? Qui frappera la versatilité législative d'une
réprobation plus amère que ne l'a fait un honorable député que la chambre
compte depuis peu et doit s'honorer de compter dans son sein, l'honorable
député d'Ypres. Cet honorable représentant a exprimé des idées très saines, en
excellents termes, sur l'instabilité législative. Il m'a rappelé que, jusque
sur les bancs du collège, on nous enseignait qu'une des plus grandes fautes
politiques, c'était de toucher légèrement à la législation de son pays.
Il m'a rappelé ce législateur de l'antiquité
prescrivant au citoyen qui voudrait proposer une modification aux lois, de se
présenter dans l'assemblée des législateurs la corde au col, tout prêt à expier
son imprudence, si la nécessité de la loi réformatrice n'était pas
universellement et immédiatement reconnue. Cet honorable membre a aussi rappelé
ces grands enseignements de l'histoire moderne qui nous sont donnés par cette
nation-modèle, le berceau du gouvernement représentatif, l'Angleterre,
où l'on mûrit dans le silence, pendant un demi-siècle, des réformes, et les
réformes surtout qui ont trait aux lois organiques, avant de les apporter dans
le parlement, qui ne fait guère qu'enregistrer l'opinion publique manifestée
avec un caractère d'irrésistible évidence.
On a parlé dans cette chambre, et beaucoup, de la
consistance politique. Savez-vous ce qui est pour moi la vraie consistance
politique, c'est la conformité de la conduite avec les paroles ; et je le dis,
j'ai vu avec regret (car je n'ai pas besoin de ravaler un adversaire que
j'estime), j'ai vu avec une pénible surprise un magnifique éloge de la
stabilité législative servir de préface et de passeport à une réforme plus
radicale que celle du ministère même.
« On dit aux ministres : « Que
faites-vous, imprudents ? Vous venez agiter inutilement le pays. Vous venez
toucher à une loi qui a été laborieusement construite, qui a subi l'épreuve
d'une discussion approfondie pendant trois ou quatre sessions parlementaires ;
vous venez la remettre en question quand personne ne demandait de modifications
!
« Aujourd'hui, vous donnez l'exemple d'une
modification à la loi communale ; demain, on parlera de réformer la loi
électorale, plus tard, ce sera le tour de la constitution. » Et la conclusion,
conclusion si étrange ! est une prime d'encouragement
donnée an ministère au moment même où on l'accuse d'imprévoyance et de
légèreté.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point ; j'ai même
quelques regrets d'avoir dû rappeler cet épisode de la discussion.
Messieurs, c'est avec un extrême regret que je me
vois obligé d'entrer dans l'examen de quelques faits qui me sont personnels, La
chambre sait combien j'éprouve de répugnance à suivre mes adversaires sur ce
terrain. Mais, messieurs, pour aider à justifier certains revirements d'opinion
que je veux croire consciencieux, on a pensé avoir besoin de traduire mes
paroles à votre barre ; elles ont été lues à différentes reprises dans cette
enceinte ; on les a invoquées au banc ministériel, et un honorable membre de
cette chambre, qui est en même temps commissaire d'arrondissement, d'accord
avec un autre membre, comme lui fonctionnaire, qui a regardé la modération et
l'urbanité comme un hors-d'œuvre dans cette discussion, a été jusqu'à nous
accuser dans la personne d'un de nos honorables amis, d'une répudiation
solennelle de nos antécédents. Certes, messieurs, en présence d'un tel concert
d'insinuations d'une part, d'accusations directes de l'autre, nous sommes dans
le cas de la légitime défense, et la chambre est trop juste pour ne pas
accueillir avec bienveillance une explication que j'ai à cœur de rendre la plus
courte possible.
Parmi celles de mes paroles auxquelles on s'est
attaché, en voici sur lesquelles on a particulièrement insisté :
« J'ai vu beaucoup de personnes se promettre de
saisir l'occasion de fortifier le pouvoir. J'ai pensé que les lois organiques
en étaient l'occasion la plus naturelle. »
Cela est vrai, messieurs ; ces paroles, je ne les
répudie pas ; je dis plus : j'y ai été fidèle. Au ministère, chaque fois que le
cours de nos débats a amené la discussion d'une loi organique, j'ai constamment
soutenu les droits du pouvoir central, en face d'adversaires qui, par une
subite et assez étrange interversion de rôles, paraissent aujourd’hui plus
centralisateurs que je ne l'étais moi-même. Oui, messieurs, étant ministre,
lors de la discussion de la loi provinciale, lors de la discussion de la loi
communale, j'ai cherché à faire prévaloir, pour le pouvoir central, des
prérogatives qu n'ont pu y trouver place.
Je n'ai pas changé de rôle en quittant le banc
ministériel ; car ces mêmes principes, je les ai soutenus en 1835, je les ai
soutenus en 1836, sous un ministère qui, à certains égards, avait droit à mon
estime, bien que je n'eusse pas pour lui des sympathies très vives.
Mais qu'est-ce à dire ? Parce que j'ai professé ces
principes, parce que je les ai défendus chaque fois que le cours naturel de
nos débats amenait la discussion d'une loi organique, ai-je pris l'engagement,
chaque fois que le caprice d'un ministère, le besoin d'une situation,
l'initiative d'un membre viendraient remettre en question une loi de cette
nature, ai-je pris l'engagement, abdiquant toute espèce de prudence et de
circonspection, de me traîner dans cette carrière aventureuse, à la suite du
premier novateur venu.
Est-ce là le sens qu'on peut raisonnablement donner
à mes paroles ? Evidemment non, messieurs, je n'ai pas pris l'engagement de
coopérer à un remaniement perpétuel de nos lois organiques, s'il plaisait à
quelques hommes de s'en donner la fantaisie.
Bien que j'eusse, à plusieurs reprises dans les
différentes sessions, ministre ou simple député, plaidé contre la restriction
du choix royal dans le sein du conseil pour le bourgmestre, j'ai fini par
accepter la transaction, j’ai fini par la signer loyalement. Voici comment je
me suis exprimé quelques jours avant l'adoption de la loi communale :
« C'est, messieurs, par suite de cet esprit de
concession dont j'ai parle tout à l'heure, que mon honorable ami et moi avons
voté pour le nouveau système résumé dans l'amendement de l'honorable M. Desmet,
c'est-à-dire pour le choix du collège échevinal dans le conseil.
Tout en donnant mon vote à cette disposition
transactionnelle, j’ajouterai ceci, car je veux tout dire :
« Là, messieurs, nous avons persisté à voir de
grands inconvénients dans la grande limitation apportée au choix du
bourgmestre. Mais nous nous sommes dit qu'il fallait pourtant en finir de cette
loi communale, et que si chacun restait inflexible dans les principes qu'il
voulait d'abord faire prévaloir, vous discuteriez dix ans encore et vous
n'auriez pas de loi. »
Vous le voyez, messieurs, en signant la transaction,
je ne renonçais pas à mes principes ; mais je reculais devant une impossibilité
matérielle ; je reculais surtout devant la nécessité de mettre fin à une
discussion qui, pendant trois ans, avait occupé et passionné les chambres, les
avait même quelquefois mises en état de conflit, et avait profondément agité le
pays.
Je croyais donc à quelques inconvénients dans le
système auquel je me ralliais. Je dirai pourtant que ces inconvénients,
l'expérience m'a appris que je me les étais exagérés ; J'avais trop craint que
le pouvoir central une restriction que la sagesse du pays, que la moralité et
le bon sens des populations ont notablement corrigée dans la pratique.
Même en combattant le choix obligé du bourgmestre
dans le corps communal, je ne méconnaissais pas alors la puissance des raisons
que faisaient valoir nos adversaires pour exiger que le choix du roi fût limité
dans le conseil. Encore une citation, et je finis.
« Un honorable préopinant a soutenu qu'il y
avait peu de lois générales proprement dites, et que les lois administratives,
notamment, étaient essentiellement mixtes. J'ai de la difficulté à comprendre
comment les lois sur la garde civique, sur la milice, sur les passeports,
seraient des lois mixtes, bien qu'elles puissent affecter les habitants de la
commune. Mais à supposer que ces lois soient d'une nature mixte, eh bien ! il
faudrait en tirer une conclusion toute différente de celle de l'honorable
préopinant ; il faudrait en conclure non pas que le collège échevinal doit
émaner de la commune, mais qu'il doit émaner du concours du gouvernement et de
la commune, puisque les lois sont, dit-on, d'une nature mixte.
« C'est précisément ce problème qui a été
résolu par l’amendement de l'honorable M. Desmet. »
J'ai voté pour cet amendement. On voit, messieurs,
que loin d'être aussi absolu qu'on l'a prétendu dans la discussion contre le
système qui a prévalu et qui a fini par trouver place dans une de nos lois
organiques, je reconnaissais moi-même que les raisons à l'appui de ce système
méritaient d'être prises en très sérieuse considération.
J'avais dit, messieurs, que les lois organiques
seraient toujours pour moi une occasion de fortifier le pouvoir central, qui,
dans plusieurs de nos dispositions fondamentales, n'avait peut-être pas reçu
toute la force désirable. Mais je proteste aussi contre l'interprétation qu'on
tire de mes paroles pour prétendre que je devrais donner mon appui au premier
venu, ministre ou député, qui voudra perpétuellement remanier notre
législation.
Messieurs, le cours de nos débats amènera la
discussion de plusieurs de nos lois organiques. Nous avons la loi
d'enseignement moyen, nous avons la loi d'enseignement primaire sur lesquelles
on nous promet de prompts rapports. Là, messieurs, il s'agira encore de faire
la part du pouvoir central en face de pouvoirs secondaires et en face de
certain pouvoir qui n'a pas ses limites dans la constitution. Nous
verrons alors quels seront les centralisateurs ; nous verrons quels sont ceux
qui montreront le moins de défiance envers le pouvoir central. Nous verrons
alors si le pouvoir central sortira aussi victorieux de cette lutte, qu'il
vient de sortir, du moins en apparence, de la lutte dont vous venez de clore
une des premières bases. J'attends surtout certaine opinion à cette épreuve
ultérieure.
Messieurs, si toutes les occasions pour faire
prévaloir les principes qu'on a soutenus autrefois et qu'on n'a pas été assez
heureux pour faire triompher dans une loi, sont bonnes, si toutes ces occasions
sont propices, quelle que soit l’époque où elles s'offrent, quelles que soient
les arrière-pensées auxquelles on pourrait les rattacher, quels que soient les
noms de ceux qui les proposent, je demanderai pourquoi d'honorables préopinants
ne se sont pas empressés de saisir aussi cette occasion pour rester fidèles à
leurs antécédents ? pourquoi, par exemple, l'honorable M. Dubus (aîné) qui,
lors des discussions de 1834, 1835 et 1836, prenait jusqu'à cinq ou six fois la
parole dans une séance (et je n'entends pas lui en faire un reproche), pour
défendre avec une ardeur et avec une éloquence remarquable les franchises
communales ? Pourquoi l’honorable M. Dubus (aîné) n'est pas venu
reproduire le système de l'élection directe du bourgmestre par les électeurs,
système qu'il avait préconisé comme étant le plus en harmonie avec les libertés
communales. L'occasion lui en était offerte, non seulement par les projets de
M. le ministre de l'intérieur, mais aussi par l'amendement de l'honorable M.
Vandenbossche. L'honorable M. Vandenbossche a reproduit comme amendement le
système que l'honorable M. Dubus avait présenté dans le temps comme le meilleur,
comme le plus libéral.
Je demanderai, messieurs, pourquoi l'honorable M.
Liedts, qui a préconisé, quelques jours avant l'adoption de la loi, l’élection
directe des échevins et qui en a parlé, vous avez vu en quels termes, n'a pas
saisi l'occasion du projet de loi, l'occasion que lui offrait l'amendement de
l'honorable M Cools, pour faire revivre le système qu'il avait présenté ?
Je demanderai pourquoi l'honorable M. Dechamps, qui
avait proposé la nomination des échevins dans le conseil par le Roi, mais sur
une liste de présentation, ou bien parmi les conseillers qui ont obtenu le plus
de voix, pourquoi l'honorable M. Dechamps n'est pas venu reproduire ce système
? Il avait une raison excellente à donner à l'appui d'une semblable
proposition, car il pouvait dire que son système acquérait aujourd'hui d’autant
plus d'opportunité que le projet soumis à la chambre enlevait à la commune son
concours dans la nomination du bourgmestre.
Je pourrais, messieurs, multiplier ces citations ;
je pourrais mettre sous les yeux de la chambre dix systèmes soutenus avec la
conviction la plus chaleureuse par d’honorables membres de cette assemblée qui
n'ont nullement jugé à propos de reproduire ces systèmes. Au contraire, ils se
sont écartés complètement de leurs premières idées. Qu'est-ce cela prouve ?
Cela prouve que l'expérience et la réflexion profitent à tout le monde ; cela
prouve que ces honorables membres alors même qu'ils seraient convaincus que
l'économie actuelle de la loi est bien moins bonne que ce qu'ils proposaient en
1835 et en 1836, se résignent cependant au statu quo, plutôt que de
risquer de livrer la loi communale à un bouleversement complet.
Comment, nous ne pourrions invoquer avant toute
autre considération, le principe de la stabilité législative ; nous ne
pourrions dire que si même nous persistions à croire encore aujourd’hui ce que
nous demandions en 1836, meilleur que ce qui a été adopté, nous ne voulons pas
cependant changer à ce qui existe, parce que nous pensons qu'il ne faut pas
changer à tout moment les lois organiques du pays ; nous ne pourrions pas dire
cela sans être accusés de palinodie, et nous pourrions dire sans palinodie, que
nous trouvons parfait aujourd'hui ce que nous déclarions absurde il
y a six ans ! Et pourquoi, messieurs, des palinodies ? quel est le prix que
nous en recueillerions ? où est la récompense que nous en attendrions ? Est-ce
que ces palinodies nous seraient par hasard payées au prix d'une haute position
diplomatique ou administrative ?
Il est si vrai, messieurs, et c'est tellement avec
bonne foi que je me suis tracé pour règle de ne pas toucher légèrement aux lois
existantes, que lorsque, l'année dernière, j'ai été interpellé au banc
ministériel sur le point de savoir si je m'associerais à des projets de réforme
électorale, j'ai répondu sans hésiter que je les combattrais. La chambre peut
se rappeler que mes déclarations étaient parfaitement catégoriques. Et
cependant l'honorable M. Delfosse, dont je ne partage pas toutes les opinions,
mais dont j'honore infiniment le caractère loyal, l'honorable M. Delfosse
aurait pu me dire avec plus de raison tout ce qu'ont dit d'honorables
préopinants ; car cette loi électorale , ce n'est pas six ans d’existence
qu’elle a, elle compte onze années ; cette réforme électorale est demandée par
toutes les villes, la capitale en tête, et un ministre du Roi en tête de la
capitale ; la réforme communale, au contraire, est combattue par la plupart de
nos grandes villes ; la réforme communale, personne ne la demande ; au
contraire, tous nos grands corps municipaux, sauf quelques exceptions, sur
lesquelles je crois ne pas devoir m'expliquer, demandent le maintien de ce qui
existe. Je sais bien, messieurs, qu'aujourd'hui, dans les questions qui ont
quelque caractère politique, lorsque le vœu des autorités municipales arrive
jusqu'à nous, ceux-là même, qui ont autrefois poussé les corps municipaux et
provinciaux dans la politique, ceux qui ont excité ces corps à présenter des
adresses aux états généraux sur des questions politiques ; ceux-là même,
répudiant leurs antécédents, voudraient aujourd’hui dénier aux corps municipaux
le droit de se faire entendre devant les grands pouvoirs de l’Etat, sur des
questions qui intéressent leur existence même. Je sais que, renchérissant sur
quelques paroles imprudentes du ministère, on a été jusqu’à qualifier les
conseillers communaux d'hommes de désordre et d'anarchie. Hommes de désordre et
d'anarchie, messieurs ! Je ne les connais pas tous, mais je vous dirai que ces
honorables conseillers s'appellent à Liége, Nagelmaeckers
et Lesoinne, et à Tournay, Dubus et Dumortier. (Sensation.)
Messieurs, lorsque j'annonçais que je combattrais la
réforme électorale, l'honorable M. Delfosse aurait pu me dire : « Mais,
cette loi électorale, vous l'avez déclarée deux fois vicieuse ; deux fois vous
l'avez repoussée par votre vote ; je vous somme d'être conséquent, vous êtes au
pouvoir aujourd'hui ; venez donc réformer une loi que vous avez déclarée
vous-même vicieuse, que vous avez voulu corriger par des amendements qui ont
été rejetés et contre laquelle vous avez voté deux fois ; je vous somme de
proposer des modifications à cette loi ou je vous déclare coupable
d'inconséquence, d'infidélité à vos antécédents. »
Voilà ce que l'honorable membre aurait été en droit
de me dire, lorsque je repoussais la réforme électorale par la même fin de
non-recevoir que j'oppose aujourd'hui à la réforme communale.
J'ai répondu non, messieurs, lorsque, l'année
dernière, on a parlé de réforme électorale ; j’ai annoncé que si elle était
proposée, je la combattrais comme inopportune, intempestive et dangereuse, et
bien m'en a pris, car l'année prochaine, si nous continuons à marcher sur la
pente où nous sommes placés, c'est peut-être à la droite que je devrai adresser
le langage que, l'année dernière, j'adressais à la gauche. Non pas, messieurs,
que je suspecte les paroles que vient de prononcer l'honorable comte de Theux,
mais tout le monde n'est pas aussi circonspect, aussi réfléchi, ni surtout
aussi discret que l'honorable membre, qui a été formé à l’épreuve du pouvoir.
Il y a des amis de l'honorable membre qui ne sont pas aussi prudents que lui,
et qui ne se font pas faute d'aller dire partout, pour réchauffer les tièdes de
leur parti, que la modification proposée aux élections communales est un
admirable jalon posé pour la réforme électorale.
Messieurs, si j'étais moins vrai dans mon respect
pour la stabilité législative, si je ne poussais pas jusqu'à une sorte de
superstition la crainte de toucher à la législation existante, alors qu'il s'agit
d'une loi politique, alors qu'il s'agit d'une loi organique presque aussi
importante qu'un chapitre de la constitution, j'aurais à m'applaudir
singulièrement de ma résolution en présence de ce qui se passe dans cette
enceinte.
Une faible brèche a été ouverte par le pouvoir ; ce
signal n'est pas resté sans résultat ; cette faible brèche a été bientôt
élargie ; tout à l'heure le principe de l'organisation du pouvoir exécutif dans
la commune était menacé d’une subversion totale ; il ne peut être sauvé que par
la loyauté de l'administration et la vigilance des chambres ; maintenant c'est
la loi constitutive des conseils communaux qui est remise en question. Nous
n'avons pas seulement affaire avec les projets présentés par le ministère ;
nous avons surtout à lutter contre les projets subis par le ministère.
Qu'est-ce donc qui a démontré la nécessité de cette nouvelle modification ?
Quand le ministère est venu demander la réforme de la loi communale, une
réforme très limitée, une exception qui devait être placée à côté d"un
principe pour lequel le ministère professait le plus grand respect, il a du
moins fait reposer la demande de ces modifications sur des nécessités
administratives constatés, selon lui, par une enquête ; mais où est, s'il vous
plaît l'enquête qui a constaté la nécessité d'une réforme électorale pour les
conseils communaux ? Où est l'enquête qui nous a appris qu'il faut porter la
main sur la composition des conseils de nos grandes villes, car je prouverai
tout à l'heure que c'est à nos grandes villes qu'on en veut ? Qui vous l'a
démontré ? Absolument rien. Il n'est pas un mot dans toute la correspondance
qui a passé sous nos yeux, qui puisse justifier l'appui que prête le ministère
à une semblable proposition.
C'est une guerre aux grandes villes dont on veut
changer la représentation. Je ne voudrais pas irriter, en m’étendant trop sur
ce chapitre, je ne voudrais pas dire qu’on s’est ému, irrité de certaines
démonstrations de quelques villes, et qu’on a résolu de les leur faire expier.
L'honorable M. de Theux n'a pas remonté assez loin
pour caractériser la modification dont il est l'auteur. Ce n'est pas à 1829
qu'il fallait s'arrêter ; il fallait remonter en France jusqu'à la
législation de 1817. Il y avait en France une loi électorale pour la formation
de la chambre des députés qui remontait au mois de février 1817, loi
essentiellement libérale et qui fortifiait à chaque renouvellement la majorité
libérale dans le sein de la chambre des députés.
En 1819, certaine opinion effrayée de cette progression
toujours croissante de l’élément libéral au sein de la représentation
nationale, jeta un cri d’alarme, et ce fut de la chambre haute que ce cri
partit ; ce fut aussi dans la chambre haute que commença la réaction.
Une motion fut faite en 1819, à la chambre des
pairs, pour démolir la loi du 5 février 1817. Le cabinet Dessole, dans lequel
on comptait L. de Cazes et M. A. de Serres, lutta
vainement contre la majorité de la chambre des pairs ; celle-ci adopta une
motion tendant à changer la loi des élections. Il fut donné au ministère
Dessole de pouvoir changer la composition de la pairie, et le projet de loi fut
provisoirement ajourné, parce qu'au moment même, la chambre des députés venait
de faire une adresse pour neutraliser celle de la chambre haute.
On trouvait alors en France, dans le parti
soi-disant conservateur, qu'une loi qui conférait à 80,000 électeurs, sur une
population de 30 millions, le droit d'élire la représentation nationale, était
une loi démagogique ; on en demandait la réforme, comme une nécessité
impérieuse pour le salut de la monarchie ; la lutte fut
surtout dirigée contre les grands collèges, et c'est de cette époque qu'est née
cette idée du fractionnement des collèges départementaux en collèges
d'arrondissements.
La tentative de réaction qui avait pris naissance à la chambre des pairs avait avorté lorsqu'arriva un
événement que toutes les opinions déplorèrent et qui fut surtout fatal à l'une
d'elle, je veux parler de la mort du duc de Berry. Alors, exploitant la douleur
publique, le parti de la réaction fit adopter tout ce qu'il voulut.
C'est là, je le signale dès aujourd'hui, je le
signale pour les projets à venir, un fâcheux rapprochement avec la disposition sur laquelle nous discutons en ce moment.
Il y a dans la loi communale belge une disposition
qui ne se trouve pas dans la loi française de mars 1831, une disposition toute
spéciale à notre pays, et qui a pour but d'obtenir quelques-uns des effets que
l’honorable M. de Theux veut obtenir je crois de sa proposition ; C'est l'art.
5 de la loi communale ; permettez-moi, messieurs, d'en mettre les termes sous
vos yeux.
« Art. 5. Dans les communes composées de
plusieurs sections ou hameaux détachés, la députation permanente du conseil
provincial peut déterminer, d'après la population, le nombre de conseillers à
élire parmi les éligibles de chaque section ou hameau.
« Dans ce cas, tous les électeurs de la commune
concourent ensemble à l'élection.
« Il y a néanmoins un scrutin séparé pour
chaque section ou hameau. »
Je prie la chambre de vouloir bien peser les termes
de cette disposition.
Maintenant voulez-vous savoir quel est le but auquel
on a voulu atteindre en présentant cette proposition dont l’adoption n’a
rencontré aucune difficulté dans cette assemblée ; voici ce qui s’est passé sur
ce point.
Cette proposition n’était pas dans le projet du
gouvernement. La chambre se rappellera que le premier projet de loi, dont la
législature a été saisie, est l’œuvre d’une commission qui avait été nommée
sous le ministère de l’honorable M. Rogier.
Un membre. - Cette commission avait été instituée
avant l’entrée de M. Rogier au ministère.
M. Lebeau. - Soit, mais enfin la commission avait travaillé sous le ministère de M.
Rogier, qui a présenté à la législature le travail de cette commission sans y
faire la moindre modification. L'honorable M. de Theux, je pense, faisait
partie de la commission.
M. Dubus (aîné). - La disposition dont vous parlez était dans le projet du gouvernement.
M. Lebeau (après avoir consulté un document). - Vous avez raison, elle était dans le
projet du gouvernement ; du reste cela n'est d'aucune importance ici.
Voici comment était conçue la disposition du
gouvernement.
« Dans les communes composées de plusieurs
sections ou hameaux détachés du canton, la députation permanente du conseil
provincial peut déterminer, d'après la population, le nombre des membres du
conseil à élire parmi les éligibles de chaque section ou hameau. »
Voici comment la section centrale accueillit cette
proposition :
« Dans les communes composées de plusieurs
sections ou hameaux détachés, la députation permanente du conseil provincial
peut déterminer, d'après la population, le nombre de conseillers à élire parmi
les éligibles de chaque section ou hameau.
« Dans ce cas, tous les électeurs de la commune
concourent ensemble à l'élection. »
Le dernier paragraphe a été, si je ne me trompe,
ajouté par la section centrale.
Voici les motifs qui déterminèrent la section
centrale à présenter cette proposition :
« Dans une section on avait demandé la
suppression de cet article et du suivant, qui y est corrélatif, comme dépourvus
de motifs suffisants, et vu que, si quelque partie détachée de la commune est
assez importante pour obtenir des mandataires particuliers, il n'est pas
douteux qu'elle n'en obtienne par le mode d'élection générale. On ajoutait que,
pour maintenir la bonne harmonie entre les habitants de la commune, il fallait
se garder d’y créer un esprit de division qui peut avoir des
conséquences funestes à l'ordre public.
« Cette opinion n'a pas prévalu dans la
majorité des sections, et votre section centrale l'a également rejeté. Elle a
pensé qu'il était des cas où, par le mode d'élection générale, telle partie de
la commune pourrait être constamment sacrifiée aux intérêts de la majorité qui
en écarterait tous les candidats, et que dans ce cas la division que l'on
craint serait d’autant plus vive que l'injustice serait plus criante. D'ailleurs,
l’article ne pose pas une règle invariable, il n'est que facultatif ; c'est à
la députation provinciale. tutrice née des intérêts locaux, de juger, d'après
les circonstances, si l'application du principe est utile à l'ordre
public.
« Cette considération répond encore à la
demande d'une section, qui voudrait que cet article ne fût pas applicable aux
territoires extra-muros, lorsqu'ils ne participent pas aux charges communales.
« Une autre section, la sixième, a demandé la
suppression des mots du centre, parce que la rédaction du projet
ministériel suppose au moins deux hameaux et un centre, tandis que le même
motif existerait pour une commune qui n'aurait que deux hameaux seulement.
Cette proposition a été admise par la section centrale.
« A la demande de plusieurs sections, nous
n'avons pas hésité d'adjoindre à cet article la disposition de l'article
suivant du projet du gouvernement qui y est corrélatif, et nous avons supprimé
les mots « conformément aux dispositions, etc. », comme inutiles,
et nous les avons remplacés par les mot concourent ensemble, qui nous
ont paru rendre mieux la pensée du législateur.
« M. le ministre de l'intérieur déclare se
rallier à l'amendement de la section centrale. »
Il y eut alors au sein de la chambre une discussion
presqu'insignifiante sur cette disposition, et l'article fut converti en loi.
Quels étaient, messieurs, les motifs de l'art. 5 ?
D'abord, ils ressortent assez du texte même de cette disposition : « Dans
les communes composées de plusieurs sections ou hameaux détachés…»
Qu'a-t-on voulu dire ici ? Evidemment on a voulu parler des fractions de
communes en général et surtout de fractions de communes rurales, qui ont des
intérêts distincts de ceux des communes principales. Ainsi, par exemple, il
est des hameaux qui, autrefois communes eux-mêmes, ont été agrégés à une
commune voisine plus populeuse, et qui néanmoins ont conservé la jouissance de
leurs propriétés.
Dans ces hameaux se trouve encore aujourd'hui une
chapelle qui est la propriété particulière du hameau, des revenus affectés à
cette chapelle ou à l'entretien du prêtre ; ces hameaux ont leurs chapelains
qu'ils paient eux-mêmes, sans le secours de la commune principale ; ils ont
même souvent leur école ; quelquefois ils sont distants de la commune principale
d’une demi-lieue ; d’autres en sont plus éloigné encore.
Voulez-vous, messieurs, avoir la preuve que c'est
précisément de ces sections de commune que le législateur s'est principalement
préoccupé ? Ouvrez de nouveau la loi communale, lisez les
art. 132, 148 et 149, et vous verrez qu'il s'agit de fractions de
commune auxquelles bien évidemment l’art. 5 de la loi fait allusion.
J’insiste particulièrement sur ce que la loi
communale elle-même dans l’art.
Il paraît résulter de là que dans la pensée du
législateur de 1836 le mot section employé dans l'article 5 ne
s'applique pas à ces fractions de commune qu'on appelle sections à
Bruxelles et quartiers à Liége, mais aux hameaux ayant des revenus
distincts. Toutefois les députations ne l’ont pas entendu d’une manière aussi
restrictive. Elles ont appliqué l’art. 5 à des sections de ville.
Messieurs, en France on avait d’abord présenté une
disposition presque textuellement la même que l’art. 5 qui fait partie de notre
loi communale. Voici l’amendement qui a été présenté lors de la discussion de
la loi de 1831 par l’honorable M. Accarier :
« Dans les communes qui ont des adjonctions aux
hameaux séparés, possédant des propriétés distinctes, ayant des intérêts autres
que ceux de la commune principale ou chef-lieu, il sera attribué à chacune de
ces adjonctions un nombre de membres du conseil municipal relatif à sa
population, sans que pour cela le nombre total du conseil fixé par la loi
puisse être augmenté. Ce nombre sera déterminé par le préfet, et les électeurs
seront obligés de le prendre parmi les éligibles de ces adjonctions.
« On a généralement reconnu l'utilité de cette
disposition, dit le commentateur de la loi du 21 mars
Sur des observations analogues faites à M. Accarier, il consentit à ajourner son amendement et à le
reproduire lorsqu'on serait arrivé à la discussion des articles 44 et suivants
de la loi du 21 mars.
Je sais que quand on est arrivé à la discussion de
l'art. 44, et qu'on a reproduit l'amendement de M. Accarier,
il n'a pas été adopté dans les termes dans lesquels il avait été présenté,
qu'on en a élargi le cercle, et qu'on en a même dénaturé le caractère et la portée
en l'appliquant bien moins aux communes rurales qu'aux grandes villes ; mais
je vous en ai signalé la pensée première, la cause déterminante de la
disposition que M. Accarier voulait introduire dans
la loi française, et qui a trouvé place dans la loi belge, qui a ainsi fait
droit à des réclamations du même genre que celle portée par M. Accarier devant la législature française.
Ce qu'on propose, ce n'est pas d'assurer aux hameaux
ou sections de commune qui ont des propriétés particulières, ou même, des
sections séparées des villes, des sections extra muros, une
représentation spéciale, car cette représentation spéciale leur est assurée par
l'art. 5 de la loi actuelle et surtout par l'interprétation fort large que lui
ont donnée les députations permanentes. Il est évident que ces députations,
véritables tutrices des intérêts communaux, comme le disait M. Dumortier, sont
armées du pouvoir d'assurer en général aux sections de commune ayant des
propriétés, des revenus ou des intérêts particuliers, une représentation séparée,
mais avec ce correctif qui fait pénétrer même dans le cercle communal ce grand
principe de notre gouvernement, le principe de la majorité. Avec ce correctif,
c'est non pas l'esprit d'un hameau ou d’une section, mais l'esprit de la
commune entière qui vient s'empreindre dans les opérations électorales. Chez
nous, les opérations électorales amènent toujours l'expression du vœu communal.
En France, je n'hésite pas à le dire, les
dispositions prises et sur lesquelles je crois que l'attention des chambres n'a
pas été assez appelée, ne produisent plus ce résultat, et je crois savoir qu'on
n'a nullement à s'en applaudir.
Un honorable député de Lyon a parfaitement
caractérisé les dispositions de la loi française ; il leur a imprimé leur
véritable cachet. L'honorable M. Prunelle a dit qu'il voulait, par l'amendement
qui a été adopté, tout autre chose que l'honorable M. Accarier
; qu'il voulait la représentation dans le conseil de toutes les industries
d'une grande ville.
Il arrivait avec la préoccupation du rétablissement
du système des jurandes et des maîtrises à la faveur de la loi communale. Voilà
une des vues qui ont fait appuyer l'amendement qui s'éloigne si fort du but
primitif de M. Accarier.
Je demande si c’est là ce qu'on veut, si on veut des
élections par quartier, des élections par paroisse, des élections par corps de
métiers, ou bien de véritables élections communales qui fassent prévaloir
l'esprit de la cité dans le sein du conseil.
Si le fractionnement proposé n'a d'autre objet que
de donner une garantie aux sections de commune ayant des intérêts particuliers,
des propriétés distinctes qu’elles peuvent craindre de voir absorber au profit
de la caisse générale, votre loi y a pourvu.
Sous ce rapport, la proposition de M. de Theux est
une sorte de double emploi. S'il veut, comme je le crois, d'après la population
des communes mentionnées dans son amendement, tout autre chose qu'assurer une.
représentation spéciale à certaines sections, ayant des propriétés particulières,
des intérêts spéciaux, alors je repousse cette proposition de toutes mes forces
comme destinée à bouleverser tous nos conseils communaux et à y faire
prévaloir, ainsi qu'on le démontrera ultérieurement, l'opinion des minorités
sur celle de la majorité.
Bien que je ne partage pas les préventions que
rencontre souvent dans cette chambre, et qu'a rencontrées. surtout dans nos
discussions antérieures la législation française ; quand il s'agit de
franchises communales, de libertés de la cité, permettez-moi de vous le dire,
tout ami que je suis d'une sage centralisation, l'exemple de
Je remarque même que l’honorable M. de Theux n’a pas
reproduite très exactement les dispositions de la loi française. Ainsi, par
exemple, la loi française dit que le partage par section se fera par voisinage.
Cette obligation pourrait déjouer certains calculs qui ne sont pas, je le veux,
dans la pensée de l’honorable auteur de la proposition, mais qui pourraient
s’offrir à la pensée d’autres que lui. Cette clause, qui peut jusqu’à un
certain point forcer le choix de l’autorité centrale et déjouer certaines
manœuvres, a disparu.
Il y a une autre différence. Il exige que le choix
de toutes les sections soit simultané, tandis qu’en France, il a lieu
successivement de deux jours en deux jours ; de sorte que le conseiller qui est
en possession de porter le tribut de ses lumières au sein du conseil, s’il est
éliminé par une section, peut être porté par une autre. Cette éventualité,
l’honorable membre l’a fait disparaître ; je n’ai pas à en rechercher les
motifs.
Messieurs, voulez-vous que je vous dise franchement
ma pensée sur cette loi et sur toutes celles qui nous sont proposées ? J’ai
entendu beaucoup de protestations sur le caractère tout administratif des
modifications proposées à la loi communale. J’ai entendu protester qu’aucune
pensée de réaction n’avait dicté leur
présentation.
Eh bien, je dois le dire, je n’ai pas une foi
entière dans la sincérité de ces protestations, car deux faits qui se sont
produits dans la discussion qui vient de finir ont singulièrement paralysé
l’effet de ces protestations à mes yeux.
Que vous a-t-on dit d’abord pour justifier le choix
libre et sans restriction du pouvoir exécutif dans le sein de la commune ?
Qu’il fallait assurer dans la circonscription communale, comme dans la
circonscription provinciale, une entière liberté d’action au pouvoir exécutif ;
et donnant à l’instant même un démenti à cette théorie, on consent à laisser
aux échevins, qu’on continue à prendre nécessairement dans le conseil, la
presque totalité du pouvoir exécutif, en concurrence avec le bourgmestre.
Vous vous rappelez la théorie développé par M. le
ministre des affaires étrangères. Vous vous rappelez que l’honorable M. de
Garcia a soutenu qu’il était inconstitutionnel que le choix du bourgmestre fût
nécessaire et circonscrit dans le conseil, puisqu’il est agent du pouvoir
exécutif ! Et cependant les échevins chargés du pouvoir exécutif ave le bourgmestre,
sont encore nommés dans le sein du conseil !
Ensuite il s'est présenté un autre fait qui a
encore singulièrement ébranlé ma confiance dans les protestations sur le
caractère administratif de la loi. Que vous a-t-on dit pour justifier le choix
du bourgmestre en dehors du conseil ? On vous a dit qu'il résultait de l'enquête
administrative que la police des cabarets se faisait mal, parce que le
bourgmestre est préoccupé de sa réélection. J'ai quelque expérience de ce qui
se passe dans les communes rurales. Je puis affirmer que dans la plupart de ces
communes, ce n'est pas la crainte de la non-réélection qui préoccupe en général
les bourgmestres, qui les empêche d'assurer la fermeture des cabarets et de
prendre d'autres mesures de police. Je ne dis pas qu'il n'y en ait pas
quelques-uns qui soient préoccupés de la crainte de leur non-réélection ; car
je ne veux pas être absolu ; mais je dis que ce qui arrête les bourgmestres
dans les mesures de police à prendre, c'est la crainte d'actes de vengeance, Il
faut sortir de nos villes, où nous sommes environnés de toute la protection de
la force publique, se transporter dans un village isolé. Là un bourgmestre a
souvent pour toute force publique un pauvre vieux garde-champêtre. (On rit.) La gendarmerie est au chef-lieu
de canton. Quand je demandais aux bourgmestres, alors que je faisais partie de
la haute administration, pourquoi ils ne faisaient pas exécuter les règlements
de police, ils me répondaient : si je montrais une trop grande sévérité, j'en
souffrirais dans mes propriétés, dans ma personne même ; des vengeances
s'exerceraient infailliblement sur moi.
Ou a argumenté de l'exécution des lois sur la
milice. Il a suffi de mettre sous vos yeux la législation sur la matière, pour
vous faire voir que deux conseillers nommés chaque année par le gouverneur
doivent donner, concurremment avec le bourgmestre, les certificats d’exemption,
et que de plus, d'après la loi d'avril 1820, les conseillers et le bourgmestre
signataires ne sont que des espèces des notables, si je puis m'exprimer ainsi.
Ce sont trois notables qui affirment les faits consignés dans les certificats
qui doivent motiver l'exemption ; le bourgmestre et les deux conseillers ne
font, pour ainsi dire, que légaliser la signature de ces notables.
Mais l'objet principal pour lequel on demandait la
libre nomination du bourgmestre en dehors du conseil, c'était l'exécution des
règlements sur la voirie vicinale et sur les cours d'eau ; c'est sur ce point
que M. le ministre de l’intérieur, les gouverneurs, les commissaires de
district insistaient le plus pour que le bourgmestre fût l'agent spécial du
gouvernement, complètement affranchi de la dépendance des électeurs.
Qu'avons-nous vu cependant dans une de nos dernières
séances ? Nous avons vu un amendement tendant à attribuer au bourgmestre seul
la police des cours d'eau et de la voirie vicinale (ce qui était, disait-on, le
but principal de la loi). Il a été repoussé par ceux-là même qui veulent le
plus vivement la loi. Des partisans de la loi ont parlé et voté contre cet
amendement. Comment voulez-vous qu'en présence d'un pareil fait tout récent, je
n'aie pas quelque doute sur la sincérité des motifs invoqués pour amener une dérogation
si importante à la loi communale ?
L'enquête ainsi mise à néant, que reste-t-il pour
justifier les modifications proposées à la loi communale, pour justifier
surtout la proposition de l’honorable M. de Theux, sur laquelle le ministère
n'a pu même avoir la pensée d'interroger ses subordonnés ; car je le dis avec
regret, avec un sentiment pénible, cette proposition n’a pas été faite par le
ministère ; il la subit. C’est une guerre déclarée aux grandes villes.
Certaines villes sont trop libérales, il faut qu’on leur apprenne qu’elles ont
été imprudentes, qu’elles ont été presque fâcheuses.
Messieurs, je l'ai dit dans plus d'une circonstance,
il faut servir le peuple, et nous le flatter. Je l’ai dit, quand j’avais devant
moi certaines orateurs, alors plus ou moins tribuns, et qui se montrent
aujourd’hui, avec une ardeur de néophytes, grands partisans du pouvoir fort.
Devant ces nouvelles exagérations, je n’hésite pas à changer l’axiome et à dire
: Il faut servir le pouvoir et non le flatter. Je sais bien que la conduite inverse
est plus prudente au point de vue de l’intérêt personnel ; que la popularité
auprès des partis, la faveur auprès du pouvoir, tiennent souvent à d’autres
conditions ; que nous pardonnons plus aisément à ceux qui désertent nos
véritables intérêts, qu’à ceux qui lèsent nos préjugés et résistent à nos
prétentions les plus dangereuses. Je sais cela, et cependant mon choix ne fut
et ne sera jamais douteux.
Si ma conscience me permettait d’hésiter, l’exemple
seul de quelques grands hommes d’Etat, d’écrivains illustres, de publicistes
honorables, viendrait dissiper ces doutes. Je me rappellerais que les Royez-Collard, les Chateaubriand, les Guizot, les Hyde de Neuville, les Bertin, ces héros du royalisme,
furent en quelques mois transformés aussi en renégats et en factueux.
M. de Polignac et ses amis du château les appelaient le parti de la défection. Plût à Dieu cependant qu’on eût écouté la
voix de ces défectionnaires. Le sol n’eût pas tremblé. Une nouvelle tempête
n’eût pas bouleversé
M. Dubus (aîné). - Il était dans le droit de l’honorable membre de justifier sa conduite
parlementaire, à propos de la discussion actuelle. Mais je crois qu’il ne lui
appartient pas de s’occuper de la mienne. C’est ce qu’il a fait cependant ; et
c’est pour cela que je suis obligé de demander la parole pour un fait personnel.
Je ne sortirai pas du fait personnel. L’honorable membre veut savoir pourquoi,
moi qui ai parlé, à ce qu’il dit, jusqu’à 5 ou 6 fois par séance, lors des
discussions de 1834, 1835 et 1836 alors qu’il s’agissait de la liberté
communale, j’ai gardé le silence dans la discussion actuelle. Je pourrais
répondre que, puisque pendant la plus grande partie de la discussion j’ai
occupé le fauteuil, cela explique mon silence. Mais comme je n’aurais pas pris
la parole, dans le cas même où je n’aurais pas occupé le fauteuil d’après la
franchise que je professe, je ne ferai pas cette réponse.
Je n'ai pas pris la parole d'abord parce que je ne
la prends pas ordinairement pour faire mon apologie ; en 2ème lieu parce que je
ne l’aurais pu prendre que pour répéter ce que les autres ont dit, car toutes
les raisons qui me touchaient avaient été produites dans la discussion.
L'honorable membre ne s'est pas borné à cette
question ; il a remarqué que dans la discussion à laquelle il a fait allusion,
je me suis prononcé pour le système de l'élection directe du bourgmestre et des
échevins. Il désire savoir pourquoi je n'ai pas reproduit cet amendement dans
la discussion actuelle. Je vous prie de vous rappeler comment les questions ont
été posées, comment les opinions se sont dessinées, et de vous demander si
j'avais quelque chance de faire adopter un semblable amendement. (Adhésion.) C'est donc une espèce de
plaisanterie de demander pourquoi je n’ai pas introduit ces amendements dans la
dernière discussion.
Mais la question se présentait sous un tout autre
aspect dans celles de 1834-1836.
Quels sont en effet les motifs sur lesquels je
m’appuyais principalement, lorsque je demandai non pas qu’on rétablît le système de l'élection
directe, mais qu'on le conservât ? Je disais, comme aujourd'hui
l'honorable M. Lebeau : Je suis conservateur. Je disais que la révolution de
1830 avait restitué au peuple l'élection directe du bourgmestre et des
échevins. J'ajoutai (et sur ce point, personne ne m'a démenti) que le peuple
n'avait nullement abusé de ce droit. J'en appelais à une expérience future. Je
disais : jusqu'à cette expérience, n'enlevez pas au peuple ce que le
gouvernement provisoire vient de lui restituer, il y a peu d'années.
Je m'étonne que l'honorable membre n'ait pas
réfléchi qu'il soutenait alors contre moi qu'il fallait changer ce qui
existait, enlever au peuple la liberté que le gouvernement provisoire venait de
lui restituer, et cela sans qu'il y eût eu aucune enquête, sans qu'il y eût une
expérience suffisante.
Je me borne à ces courtes
observations, pour justifier ma conduite parlementaire,
M. Lebeau (pour un fait personnel). - Messieurs, je vois, avec regret que
l'honorable M. Dubus n'a pas du tout compris ma pensée, je n'ai pas eu la
moindre intention de l'attaquer. Je dois dire toutefois que je ne reconnais
pour inviolable aucun passé. On s'est occupé beaucoup de mes opinions ; chacun
ici doit souffrir que je m'occupe des siennes. Tout homme public appartient à
la discussion ; ses actes sont du domaine de l'histoire ; je n'entends, sur ce
point, accepter aucune fin de non-recevoir de qui que ce soit.
Maintenant l'honorable préopinant ne m'a point
compris ; il ne m'est pas venu à l'idée de lui faire un reproche. J'ai constaté
un fait, j ai expliqué ce qui s'était passé, j'ai dit que l'honorable membre
était sans doute comme moi un conservateur. Car, nous sommes tous deux
conservateurs. (On rit.) La seule
différence, c'est qu'on n'est pas conservateur, à ce qu'il paraît, quand on ne
vient pas à tout propos reproduire des opinions autrefois repoussées et qui
plaisent aujourd'hui à une certaine partie de la chambre, et qu'on est
conservateur quand on garde aujourd'hui le silence sur des opinions qu'on a professées
très hautement et très énergiquement autrefois. c'est
de la justice politique. Je n'ai rien à dire de plus.
En 1836, j'ai, dit l'honorable préopinant, voulu
changer ce système qu'il défendait. Je le crois bien ; mais c'est parce que la
loi fondamentale nous en faisait une loi ; c'est parce que, l'honorable comte
de Mérode s'en est expliqué lui-même, l'élection populaire du bourgmestre et
des échevins était une mesure essentiellement transitoire ; c'est que le
congrès l’avait déclaré et avait prévu la nomination directe en dehors du
conseil du bourgmestre et des échevins comme possible, comme constitutionnelle.
Il y avait alors nécessité, la constitution le disait, il y avait nécessité de
pourvoir à l'organisation provinciale et communale.
Mais où est-il donc écrit qu'aujourd'hui, en 1842 il
faut venir déclarer ce qu'on a fait en 1836 ? Où est-il écrit que lorsqu’on
donne ainsi le signal de monter à l'assaut de la loi de 1836, chacun a recouvré
le droit et que le devoir lui est imposé de préconiser le système qu'il
défendait en 1836 ?
J'ai eu le droit de dire que l'honorable M. Dubus
pouvait avoir conservé l'opinion que le système soutenu par lui en 1836 était
encore le meilleur, mais qu’il ne voulait pas s’écarter de la transaction
conclue alors. El quand je ne veux pas non plus m'en écarter, je ne chante pas
plus que lui la palinodie, je suis aussi conservateur que l’honorable M. Dubus,
je demande à être placé par ses amis politiques sur la même ligne que lui,
dans cette circonstance ; rien de plus, rien de moins.
M. de Brouckere. - Messieurs, après un discours aussi étendu que celui que vous venez
d'entendre, ce serait trop présumer de moi-même que de compter sur une
attention soutenue de votre part. Aussi, messieurs, je renonce à donner aux
considérations que je voulais faire valoir devant vous contre le projet les développements
que je m'étais d'abord proposé de leur donner. Je me bornerai donc à vous
présenter quelques courtes observations qui justifieront le vote que je me
propose d’émettre.
Messieurs, il a plus d'une fois été question dans
cette enceinte de modifications à introduire dans notre système électoral. Dans
toutes ces occasions je me suis ouvertement exprimé contre toute espèce de
modification à ce système. Je déclare, messieurs, que si une proposition
quelconque, contre une partie quelconque de notre système électoral, était
faite dans cette assemblée, je voterais contre cette modification, me
parût-elle bonne au fond.
Messieurs, le système électoral, c'est la pierre
angulaire de l'édifice politique, c'est la pierre fondamentale de cet édifice.
Il ne faut toucher à cette pierre que pour autant que l'édifice soit pour ainsi
dire menacé.
Eh bien ! je vous le demande, quelles sont les
circonstances graves qui nécessitent aujourd'hui un changement à notre système
électoral ? Quelles sont les circonstances graves qui réclament en particulier
une modification au système électoral en ce qui regarde la commune ? Les
communes se sont-elles plaintes ? Les conseils communaux ont-ils été reniés par
les électeurs ? Les électeurs se sont-ils adressés à nous pour se récrier
contre le système électoral ? Nous n’avons rien vu de tout cela, messieurs ;
généralement et partout les communes sont satisfaites du système électoral.
Messieurs, si l'on touche légèrement à ce système,
savez-vous ce qui arrivera un jour ? El je ne crains pas d'être démenti par les
faits il arrivera, bien que cela ne soit aujourd'hui dans l’intention d'aucun
de vous ; Il arrivera un jour qu'une majorité, quel qu'en soit l'esprit,
voulant se perpétuer, changera la loi électorale, selon laquelle les députés
sont envoyés à la représentation nationale et que de cette manière, on faussera
la représentation nationale. On aura pour point de départ la loi que vous aurez
votée aujourd'hui et l'on vous dira qu'il n’est pas plus nécessaire de
maintenir la partie de notre système électoral qui concerne les chambres que
celle qui concerne les conseils communaux.
Je le répète, cette prédiction se réalisera en dépit
de votre volonté, parce qu'une fois qu'on est dans la voie réactionnaire, on ne
peut plus s'arrêter, on est entraîné malgré soi et contre sa volonté.
Il n'y a donc, messieurs, aucun motif grave pour
modifier aujourd'hui notre système électoral. Cependant, l'honorable M. de
Theux a fait valoir quelques considérations auxquelles je répondrai en très peu
de mots.
Le système qu'il vous présente, dit-il, est un
système qui doit introduire l'harmonie dans le système électoral. Et pourquoi ?
Parce qu'aujourd'hui la représentation nationale est élue par arrondissement,
parce qu'aujourd'hui la représentation provinciale est élue par canton ; et
cependant il n'y a aucune division dans les électeurs qui nomment les collèges
communaux.
D'abord, messieurs, je dirai que si les membres de
la représentation nationale ne sont pas élus par un collège électoral unique,
c'est parce que cela est impossible, et si cela était réalisable, cela se
ferait ainsi. Ce n'est que par une fiction, fiction nécessaire, que le député
de l'arrondissement devient le représentant de la nation. La constitution,
messieurs, défend même qu'on le considère comme le représentant de
l'arrondissement qui l'a nommé. Mais, je le répète, c'est là une fiction
établie dans tous les gouvernements représentatifs constitutionnels, parce
qu'il est impossible qu'un seul collège électoral dans un royaume élise les
représentants de la nation.
Il en est de même de la province. Il est impossible
de réunir dans une seule localité les électeurs de la province. Il a donc fallu
fractionner les collèges électoraux, et on les a fractionnés par canton. Là
encore, toutefois, il a été établi que le conseiller élu par le canton,
devenait le représentant de la province.
Mais, dans les communes, messieurs, c'est tout autre
chose. Dans les communes le fractionnement est inutile. Là, rien de plus simple
que de réunir les électeurs en un seul corps. Et la preuve, messieurs, que rien
n'est plus simple, c'est que jusqu'ici on n’a pas pu signaler le moindre abus
qui soit le résultat de ce système.
Messieurs, on a parlé d'harmonie. Eh bien !
savez-vous quel serait le résultat du système de l'honorable M. de Theux ? Ce
serait, au lieu d'établir l'harmonie dans toutes les communes, d'y introduire à
jamais la zizanie ; zizanie que vous ne détruiriez plus.
Et en effet, vous auriez, messieurs, dans chaque
commune, au sein du conseil communal, non pas des représentants de la commune,
mais des représentants de telle ou telle rue.
Ainsi, par exemple à Bruxelles, vous auriez les
représentants du quartier du Parc et les représentants du quartier de la rue
Haute ; vous auriez les représentants du quartier de
Maintenant, messieurs, dans quel quartier et dans
quelle rue ira-t-on prendre le bourgmestre et les échevins ? L'on doit être
juste. Il faudra, par exemple, à Bruxelles, un échevin de la rue Haute, un
échevin du quartier du Parc, un échevin de chaque quartier. Quant au
bourgmestre, probablement on alternera, et on le prendra successivement dans
chacun des quartiers.
Vous voyez, messieurs, par ce seul aperçu quelles
seraient les fâcheuses conséquences du système que l'on vent introduire. Quant
à moi, je vous déclare qu'il me parait injustifiable ; d'abord, comme je vous
l'ai dit, parce que rien ne prouve la nécessité d'une modification au système
électoral, et ensuite parce qu'au lieu que ces modifications soient une
amélioration, elles ne feraient qu'empirer l'état des choses ; il le rendrait
infiniment moins bon qu'il n'est aujourd'hui.
Je bornerai là, messieurs, mes considérations, dans
la crainte de fatiguer votre attention. Je me réserve de prendre la parole dans
une autre séance, si je le juge utile.
M. de Theux. - L'honorable préopinant vient de qualifier en
termes un peu durs, me semble-t-il, une proposition qui a reçu la sanction de
deux législatures, qui certes ne sont pas dans l'habitude d'adopter des mesures
injustifiables. Ainsi, les reproches adressés à ma proposition pèsent
solidairement sur les législatures de France et d'Angleterre !
S'il avait été possible, dit l'honorable préopinant on
n'eût formé qu'un seul collège électoral pour composer les chambres et les
conseils provinciaux. Je dis que ce n'est pas seulement à cause de
l'impossibilité qu'on n'a pas adopté le système d'un seul collège électoral,
mais parce que le bon sens indique que c’eût été faire peser sur la nation et
sur la province un despotisme plus dur qu'on n'en a encore inventé.
La division par quartiers ou par sections semble
devoir amener une lutte acharnée entre les conseillers municipaux. Je ne vois
pas, messieurs, que le fractionnement pour les élections des membres des
chambres, des conseils provinciaux amène une lutte acharnée entre les députés
des divers arrondissements ou des divers cantons. Je suis donc parfaitement
rassuré sur ce point. Je ne vois pas non plus que cette lutte acharnée se soit
produite en France ou en Angleterre où ce système existe depuis bon nombre
d'années.
Maintenant j'aborde le discours de l'honorable M.
Lebeau ; c'est à celui-là que je me propose principalement de répondre.
L'honorable membre critique l’instabilité
législative. Je suis d'accord avec lui sur l'importance de la stabilité des
lois ; cependant cela n'est pas tellement absolu que lorsque la nécessité et
l'opportunité d'une modification viennent à se présenter, on ne puisse les saisir.
Je m'appuierai ici de l'autorité d'un pays où les usages parlementaires sont
extrêmement anciens ; en Angleterre il y a eu en peu d'années trois
modifications à la loi municipale. La première de ces modifications a été
adoptée à la fin du règne du roi Guillaume, la deuxième l'a été dans la
première année du règne de la reine Victoria, et la troisième dans la deuxième
et troisième année du même règne.
Vous voyez donc bien, messieurs, que le ministère,
lorsqu'il vous a présenté ses projets, n'aurait pas dû se présenter
devant vous la corde au cou et que les auteurs des autres propositions
n'auraient pas dû se présenter dans la même attitude.
Le ministère a ouvert la voie aux modifications de
la loi communale. Chacun a reconnu que, par la présentation du projet du
gouvernement, les questions capitales de la loi communale étaient remises en
discussion.
Quant à moi, messieurs, mes amendements ont un
double but, l'amendement relatif au fractionnement repose sur un principe de
justice et il vient à l'appui des modifications proposées par le gouvernement,
car l'on a signalé dans la discussion générale, comme un des principaux
inconvénients de la loi de 1836, que plusieurs conseils communaux étaient
composés sous l'inspiration d'une seule pensée ; eh bien, messieurs, de là est
résulté dans plusieurs circonstances l'impossibilité de constituer
convenablement le pouvoir exécutif. Le fractionnement tend à empêcher qu'une
seule pensée ne domine exclusivement dans les élections communales. Ce motif,
je l'ai indiqué de prime abord ; il a également été indiqué par les
différents orateurs qui ont soutenu le système du fractionnement eu France et
en Angleterre.
La prolongation du mandat, que j'ai proposée, est
évidemment encore dans le sens des propositions du gouvernement, car de quoi se
plaint-on dans les rapports de messieurs les gouverneurs ? de la crainte
qu'éprouvent la plupart du temps les bourgmestres, des élections auxquelles ils
doivent être prochainement soumis. La prolongation du mandat vient précisément
à l'encontre de cet inconvénient. On se plaint encore de la division que les
élections communales excitent ; la prolongation du mandat vient encore remédier
à ce mal.
Il est donc manifeste que mes propositions sont
réellement dans le sens du projet du gouvernement, on tout au moins qu'elles
tendent avec la proposition primitive du gouvernement à atteindre un même but.
On a demandé si les inconvénients signalés
exigeaient une réforme en ce qui concerne les élections. M. le ministre a déjà
signalé les difficultés qui se sont souvent présentées pour l'organisation du
pouvoir exécutif dans la commune. Il est d'ailleurs notoire que des plaintes se
sont élevées plus d'une fois contre la représentation inégale des divers
quartiers d'une ville dans le conseil communal.
On pourrait notamment citer un fait qui a eu un
certain retentissement, Lorsqu'il s'est agi du palais de justice de Bruxelles,
on a vu qu'une partie de la ville n'a guère pu faire entendre dans le conseil
communal les motifs pour lesquels elle aurait désiré un autre emplacement.
Je pourrais, messieurs, citer d'autres circonstances
encore, mais il est inutile d'entrer dans ces détails, parce que chacun
comprend facilement que lorsqu'une partie de la ville est principalement
représentée dans le conseil communal, la grande majorité de ce conseil n'écoute
guère les intérêts des autres parties de la ville qui n'y sont représentées que
très faiblement.
D'ailleurs, il n'est pas nécessaire, pour motiver
une disposition d'une loi qui est remise en discussion, que des plaintes très
vives se soient élevées contre cette disposition. Il suffit que le législateur
soit convaincu de la justice et de l'opportunité de la modification proposée et
surtout de l'importance de cette modification, pour qu'il n'hésite pas à l'adopter.
Aussi n'avons-nous pas vu que le système que je
propose a été adopté en France sur des plaintes adressées par les communes, à
la chambre des députés ; ce sont des députés qui ont reconnu la justice du
principe et qui ont cherché à le faire introduire dans la loi.
On est revenu sur cette pensée que la modification
proposée au mode d'élection, dans les communes, était un premier jalon posé
pour arriver à la modification de la loi électorale. J'ai été, messieurs,
au-devant de cette objection et j'ai dit que la modification proposée ne pourra
en aucune circonstance être invoquée comme précédent en faveur d'une
modification de la loi électorale, attendu que jamais je n'ai eu la pensée de
proposer de former dans les communes autant de sections qu'il y a de conseillers
à élire ; il a toujours été entendu que l'on suivrait avant tout la division
naturelle des quartiers ou des sections qui sont maintenant établis, et que
l'on désignerait à chacun de ces quartiers ou sections un nombre de
conseillers proportionné à leur population.
Je remercie l'honorable M. Lebeau pour ce qu'il a
dit de ma prudence et de ma discrétion, mais je puis dire à la chambre que je
n'ai pas même besoin de prudence, ni de discrétion dans la circonstance
présente, puisque je puis assurer qu'il n'est pas entré dans ma pensée
d'établir la moindre connexité entre le projet actuel et une réforme éventuelle
de la loi électorale qui concerne les chambres. Ainsi que je l'ai dit, ceci ne
pourrait jamais servir de jalon pour une réforme électorale, et d'ailleurs,
puisque l'on veut bien m'attribuer un peu de prévoyance, on doit aussi
reconnaître que si j'avais eu des prévisions de cette nature, comme c'est
surtout à la loi électorale pour les chambres que nous devons attacher le plus
haut prix, je me serais bien gardé de donner l'éveil à propos d'une question
bien moins importante. J'aurais pris l'initiative d'une proposition tendant à
modifier la loi électorale pour les chambres ; je n'aurais pas commencé par une
question secondaire pour arriver au but principal, mais j'aurais abordé
directement ce but principal.
D'après ce que je viens de dire il est en quelque
sorte inutile de répondre aux inductions que l'on a voulu tirer de ce qui s'est
passé en France au sujet de la loi électorale de 1817. Je n'ai pas à me
prononcer sur le système qui régissait alors les élections en France ; mais je
dois déclarer que lorsque la constitution a été faite, j'ai voté pour l'égalité
de représentation d'après la population, Je pense que sa représentation d'après
sa population est la seule base qui soit justifiable et conforme à l'équité.
L'honorable membre pense aussi que l'art. 5 de notre
loi communale suffit ; mais d'après les observations qu'il a faites lui-même,
on aura facilement compris que l'art. 5 ne peut aucunement suffire pour
atteindre le but que nous nous proposons. Cet article, en effet, ne peut
s'appliquer qu'a des sections détachées du centre de la commune ou aux sections
extra muros de quelques-unes de nos villes, ainsi que nous le voyons à
Anvers et à Gand. C'est là un résultat fort minime, une justice fort restreinte
; cela n'empêche point que dans des villes de 100, de 80 ou de 60,000 âmes,
des quartiers entiers sont peu représentés dans le conseil communal. L'art. 5
n'empêche en aucune manière qu'un collège électoral unique ne fasse dominer
dans les élections une opinion exclusive et empêche la minorité d'exposer ses
intérêts et ses opinions en bout qu'elles se rattachent à ses intérêts. C'est
cependant là un droit pour toutes les fractions de la commune.
En France, dit l'honorable membre, on a voulu
d'abord introduire une disposition analogue à celle de l'art. 5 de notre loi
communale, mais c'est précisément parce que cette disposition a été reconnue
insuffisante, qu'elle a été écartée et remplacée par la disposition que je
soutiens aujourd’hui. Ainsi la chambre des députés a reconnu que la disposition
de l'art. 5 était complètement insuffisante pour rendre justice aux diverses
fractions d'une même commune.
Si la discussion n'a pas été approfondie en France,
c'est que l'évidence du principe y a été reconnue, c'est que personne n'avait
contesté la justice de l'application du principe, ni les résultats favorables
qu'on devait espérer d'en obtenir, pour empêcher la domination exclusive d'une
opinion dans les conseils communaux.
Cette loi, ainsi que je l'ai déjà dit, a acquis une
nouvelle autorité par l'exemple du parlement anglais et par l'adhésion bien
explicite que lui ont donnée les trois hommes d'Etat les plus éminents peut-être
dont l'Angleterre s'honore en ce moment.
Il est très vrai, qu'en fait d'institutions
municipales,
Il est une objection de détails à laquelle je dois
répondre.
On a dit qu'en France le partage en sections se
faisait par voisinages, et l'on a demandé pour quel motif je n'avais pas
reproduit cette disposition.
Je n'ai pas cru devoir proposer cette disposition,
parce que, suivant moi, il sera souvent préférable de s'en tenir à la division
ancienne des communes en quartiers et en sections, et d'assigner à chacune de
ces divisions anciennes un nombre de conseillers proportionnel à sa population.
Du reste, les conseils communaux pourront faire à
cet égard telle proposition qu'ils jugeront convenable, la députation
permanente donnera son avis et le gouvernement statuera. Mais dans cette
matière, je le répète, je ne crains aucun abus de la part du gouvernement,
parce qu'il ne peut avoir aucun intérêt à fractionner les communes d'une
manière irrationnelle.
En France, l'élection se fait successivement de deux
en deux jours pour chaque section. On m'a demandé aussi pourquoi je n'ai pas
tenu compte de cette disposition ; ma réponse est simple, c'est que, vu le
grand nombre d'électeurs communaux, et la vivacité des luttes électorales,
surtout dans les grandes communes, il y aurait des inconvénients graves à ce
que le corps électoral fût occupé pendant un grand nombre de jours. Cette seule
considération a suffi pour m'engager à ne pas reproduire la disposition de la
loi française, et je crois que tout le monde doit reconnaître que c'est là une
véritable amélioration.
Or, on s'est demandé si c'était bien réellement à
une question administrative que se bornait ma proposition.
Je n'hésite pas à répondre affirmativement. Voici
les motifs de mon opinion. D'abord une bonne administration exige une
représentation égale de tous les intérêts ; en second lieu ma proposition a
pour objet précisément de prévenir l'oppression politique qui peut résulter
d'une élection en masse par un seul collège dominé lui-même par une seule
pensée. Sous ce double rapport, ma proposition a donc un véritable caractère
administratif, car je ne pense pas que nous ayons organisé l'institution des
conseils communaux pour en faire des corps politiques ; le but que nous avons
voulu atteindre, a été la bonne administration des communes, le bon maniement
de leurs intérêts. Ce but certainement sera mieux atteint par le fractionnement
des corps électoraux.
C'est une guerre, dit-on, aux grandes villes. Il
n'en est rien. La mesure n'a point été envisagée de cette manière ni en France,
ni en Angleterre, et cependant à l'époque où la mesure a été adoptée dans ces
deux pays, il y avait au pouvoir un ministère dont le libéralisme était avoué,
en présence de chambres dont la majorité était également libérale.
Mais, messieurs, sans faire la guerre aux grandes
villes, on peut désirer cependant que les conseils communaux des grandes villes
ne soient pas composés par une pensée politique exclusive ; on peut aussi
désirer que la représentation soit aussi égale que possible pour les divers
quartiers.
L'honorable membre a terminé son discours par cette
considération. Il a dit qu'il y avait grand danger à flatter le pouvoir. Je ne
pense pas que ce reproche puisse s'adresser à moi. (M.
Lebeau fait
un signe négatif.) J'aurais dû chercher à rendre vacant
le banc des ministres, si l'on pouvait me prêter le moindre
désir de l’occuper.
M. Rogier. - Je demanderai une explication. Quelle est la portée du § 3 du nouvel
art. 5 ?
« Les sections sont divisées en deux séries ;
un tirage au sort détermine laquelle des deux séries est appelée à procéder au
prochain renouvellement. »
M. de
Theux. - Ce paragraphe est supprimé par les nouvelles
modifications que j'ai présentées.
M. Rogier. - Voyons donc le nouvel amendement présenté par l'honorable M. de Theux,
en remplacement du § 3.
« Lorsqu'une ou plusieurs sections auront à élire
un nombre impair de conseillers, il sera fait, à l'époque fixée par le Roi, un
tirage au sort pour déterminer le nombre de conseillers à élire par chacune de
ces sections au premier renouvellement par moitié.
« Lorsqu'une place de conseiller assignée au
deuxième renouvellement par moitié deviendra vacante avant ce renouvellement,
il y sera pourvu par la section la moins représentée au conseil, eu égard à la
demeure des conseillers appartenant à la même série ; dans le cas où plusieurs
sections auraient le même titre pour procéder à cette élection, la priorité
sera déterminée par un tirage au sort. »
Je dois avouer que le nouvel amendement n'a pas
éclairci l'amendement primitif. Je voudrais savoir si, dans la pensée de
l'honorable auteur de la proposition, les sections seront divisées de manière
qu'au mois d'octobre, par exemple, la moitié des sections de Bruxelles nommera
un certain nombre de conseillers, puis dans quatre ans, arrivera la seconde
série, les 4 autres sections de Bruxelles pourvoiront aux vacations de cette
époque ; ou bien toutes les sections divisées en deux séries prendront-elles
part aux élections du mois d'octobre prochain ?
M. de
Theux. - Les deux séries y prendront part.
M. Rogier. - Cela était interdit par le § 3 de l'amendement primitif, et cela ne
paraît pas ressortir du nouvel amendement. Si c'est l'intention de l'honorable
auteur de l'amendement, il devrait l’énoncer d'une manière plus claire.
M. de Theux,
rapporteur. - Messieurs, j'ai supprimé le § 3 de
mon amendement, parce que d'après ce §, les sections auraient été partagées en
deux séries égales dont l'une aurait procédé au renouvellement intégral au mois
d'octobre prochain, et l'autre seulement au mois d'octobre 1845.
J'ai substitué à cette disposition deux nouveaux
paragraphes.
Voici le sens du 1er paragraphe.
Je prends pour exemple les communes où il n'y a que
onze conseillers. L'application de ce nouveau paragraphe se fait sentir d'une
manière claire. Il y s'agit de répartir onze conseillers, je suppose, entre
quatre sections ; c'est trois conseillers pour trois sections et deux
conseillers pour une section.
Il faut donc que cette dernière section nomme un
conseiller à chaque renouvellement par moitié, et qu'un tirage au sort entre
les trois autres sections détermine l'ordre à suivre pour la nomination de
deux conseillers au premier renouvellement, et par suite pour la nomination du
troisième conseiller au second renouvellement par moitié. .
M. Coghen. - Messieurs, après l'éloquent discours de l'honorable M. Lebeau, après
les paroles qu'à prononcées l'honorable M. de Brouckere, j'aurai très peu
d'observations à présenter à la chambre.
L'instabilité des lois organiques me paraît un mal :
il faut y toucher le plus sobrement possible : Si j'ai donné mon adhésion à la
proposition du gouvernement quant à la nomination du bourgmestre par le Roi
dans le sein du conseil ou hors du conseil, je l'ai fait, parce que je
considérais la première loi comme incomplète. Quant au second projet il ne me
paraît ni utile ni nécessaire.
D'abord, je ne comprends pas pourquoi l'honorable
auteur de la proposition veut, comme il l'a dit, affranchir les localités du despotisme
électoral. Je ne vois, moi, dans la commune que des électeurs, que l'opinion
publique, que l'opinion de la majorité, et certes, comme elle fait la loi, il
faut la subir. On veut une répartition égale de la représentation dans la
commune. Mais le projet ne dit pas qu'on ne pourra pas choisir en dehors de sa
section ; on pourra donc prendre dans toute la commune.
Un membre. - Dans ce cas, on l'aura fait
volontairement.
M. Coghen. - On veut donc la division des communes par sections
ou par quartiers. Et dans quel but ? Est-ce pour augmenter la désunion qui
existe aujourd’hui dans les communes ? Il y règne déjà une division déplorable,
qui est contraire au bonheur et à la prospérité du pays, et au lieu de rendre
cette division plus profonde par des complications, on devrait au contraire
s'efforcer de la faire disparaître.
Messieurs, si dans la ville de Bruxelles, que je
citerai par exemple, vous alliez avoir des élections par quartiers, quel serait
le premier résultat de cette disposition ? C'est qu'un quartier ne voudra plus
faire aucune concession à un autre quartier ; tous seront exigeants ; l'un
voudra que l'on fasse des embellissements pour la partie haute de la ville,
l'autre en demandera exclusivement pour la partie basse ; tous seront tellement
exigeants et exclusifs qu'on finira par ne plus rien faire.
Messieurs, s'il est vrai qu'une telle disposition
existe en Angleterre, il est possible que les lois organiques y sont
différentes. Si les hommes d'Etat éminents que l'honorable M. de Theux a cités,
ont donné leur assentiment à cette mesure, il faut qu'ils l'aient reconnue
comme une nécessité dans l'organisation politique de leur pays ; mais habitué à
voir de près ce qui se passe dans l'organisation communale de mon pays, je
considère comme un mal l'adoption d'une semblable
disposition.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis de ceux qui pensent que l'instabilité des lois
organiques est un mal dans un pays ; et bien que dans beaucoup de circonstances
j'aie combattu les projets de loi présentés par le gouvernement, je suis le
premier à accepter les faits consommés et à reconnaître qu'on ne doit pas
toucher légèrement aux lois organiques dès qu'elles ont reçu la sanction du
pays.
Aussi, messieurs, s'il s'agissait de porter la main
sur une des dispositions fondamentales de la loi communale, je le déclare
formellement, je refuserais mon assentiment à la proposition. Mais je regarde
pour mon compte la loi présentée comme ne touchant aucunement aux dispositions
fondamentales de la loi communale ; je la regarde comme apportant une
amélioration considérable aux dispositions qui nous régissent, ainsi que je le
démontrerai tout à l'heure, et comme je l'ai annoncé à une précédente séance,
je lui donnerai mon assentiment, et cela d'autant plus volontiers que sans le
fractionnement électoral il n'y a pas de liberté possible.
D'abord, on demande si la nécessité de la
modification est démontrée. Messieurs, je ne sais pas comment il est possible
de venir faire cette question, quand il est constant que plusieurs villes sont
restées longtemps sans bourgmestre, à cause du vice résultant de la réunion de
tous les votes des électeurs de la commune. Je ne sais pas comment il est
possible de contester la nécessité de la proposition quand il est à notre
connaissance que dans diverses villes on a adressé au conseil communal des
pétitions reposant sur cette pensée, que telle partie de la commune n'étant pas
représentée au conseil, on n'y faisait pas les ouvrages indispensables aux
habitants.
Je pourrais citer des faits très saillants, prouvant
qu'il y a eu un oubli dans la loi communale que nous avons faite. J’en appelle
à vous tous, si la proposition de M. de Theux avait été faite lors de la
discussion de 1836, pas une seule personne ne se serait levée pour la
combattre. Je ne le pense pas du moins, car de tout temps en Belgique, le
fractionnement du collège électoral a été la base des lois électorales des
communes. En France et en Angleterre, le fractionnement des collèges est aussi
la base de toute élection communale dans les grandes localités, parce qu'il ne
peut y avoir de liberté dans le pays, la province ou la commune, sans le
fractionnement des collèges.
Messieurs, en France la loi communale prescrit le
fractionnement des élections communales ; en Angleterre, la loi sur les municipalités
prescrit également le fractionnement des élections municipales. A cet égard je
ferai remarquer que c'était lord John Russel qui avait proposé le
fractionnement des collèges d'un petit nombre de villes et que l'opposition l'a
étendu considérablement en l'appliquant à un grand nombre de villes, regardant
cette mesure comme favorable à la liberté et comme nécessaire pour les grandes
communes.
Dans l'ancienne Belgique, partout où il y avait
élection par le peuple, il y avait fractionnement des opérations électorales.
Dans telles localités, on votait par métier ; dans telle autre, c'étaient les
nations ; dans telle autre, c'était par paroisse ; dans telle autre, c'était
par corporation ; mais partout, lorsque le peuple était investi du droit
d'élire ses magistrats communaux, on votait par fractionnement et je ne
sache pas qu'il y ait d'exemple que tous les électeurs se soient réunis en un
seul corps pour élire ; partout la nomination des magistrats était le résultat
des élections de divers collèges, parce qu'on avait compris par l'expérience,
qu'il était nécessaire de représenter les divers intérêts de la localité.
Messieurs, je ne suis pas de ceux qui pensent que
dans notre pays il faille proscrire dans la formation des chambres les luttes
de parti. Au contraire, je suis grandement partisan de ces luttes, je n'ai
jamais regardé l'existence des partis en Belgique comme un malheur. Je ne pense
pas qu'il faille écraser le parti libéral non plus que le parti catholique,
parce que je pense que le parti libéral empêchera le parti catholique de se
laisser aller à des exagérations, de même que le parti catholique empêche les
exagérations du parti libéral. J’accepte donc de grand cœur la lutte des partis
dans les chambres, je la regarde même comme une nécessité du gouvernement
représentatif ; mais si j'accepte la lutte des partis, je déleste profondément
la lutte des coteries et malheureusement dans la plupart de nos élections
communales ce ne sont pas des luttes de partis qu’on voit, mais des luttes de
coteries qui n’amènent aucun résultat avantageux pour la commune. Dans la lutte
des partis, toujours une grande pensée les dirige, tandis que les coteries qui
se disputent nos villes ne sont guidées que par de misérables intérêts privés.
Dans beaucoup de localités, les hommes de bien ont vu déplacer amèrement que
les élections soient devenues non des luttes de partis, qui d’ailleurs sont
déplacées lorsqu’il d’agit de gérer les intérêts de la commune, mais des luttes
de coteries, à ce point qu’on élisait monsieur un tel, et qu’on repoussait
monsieur un tel, homme du plus grand mérite, parce qu’il n’appartenait pas à la
coterie de telle personne exerçant une grande influence. Voilà, selon moi une
calamité pour la chose publique (je ne sais pas si on peut trouver là un bien
pour le pays.) Je pense qu’il faut y porter remède, et je déclare sans ombrage
que la mesure présentée est la plus efficace pour mettre un terme aux luttes de
coteries qui ont placé plusieurs de nos grandes communes dans une situation
très fâcheuse.
On dit : Mais si vous admettez le fractionnement,
vous allez jeter la division dans les communes.
Je réponds que le meilleur moyen d’éviter les divisions
dans les communes, c’est que toutes les opinions, tous les intérêts soient
représentés dans le conseil. Le meilleur moyen de jeter la division dans la
commune, c’est d’empêcher par des luttes exclusives que certains intérêts,
certaines opinions ne soient pas représentées dans le conseil. L’opposition qui
ne peut pas s’y faire entendre se manifeste bientôt dans la rue. Là elle
devient dangereuse pour l’ordre public. Voyez en effet le funeste résultat
d’élections non fractionnées, le plus souvent deux listes exclusives sont
présentées, et une seule triomphe. Eh bien, que diriez-vous d’un parlement qui
serait le résultat d’un échange de listes où un seul parti triompherait ?
Qu’arriverait-il ? qu’un parti serait l’oppresseur de l’autre, que vous n’auriez
plus l’avantage, le bienfait de cette lutte des partis dans les assemblées
délibérantes qui est la vie du gouvernement représentatif. L’oppression d’un
parti sur l’autre, c’est une calamité pour le pays et voilà à quoi sont
exposées les communes en l’absence du fractionnement des élections.
En effet, lors des élections, on forme deux listes,
l’une l’emporte sur l’autre ; un seul parti est représenté dans le conseil.
Quelle est la conséquence de cet événement ? comme il ne se présente plus
d’opposition dans le conseil communal, il en résulte presque toujours la ruine
des finances de la localité. Vous ne verriez pas les finances de bien des
villes dans une situation si fâcheuse, s'il s’était trouvé une opposition dans
le sein du conseil communal. Je pense que le meilleur moyen de ne pas voir les
villes s'endetter, c'est qu'il y ait une opposition sérieuse dans le sein du
conseil. Une opposition n'est pas une division, je la trouve utile et je la
désire dans les conseils communaux comme dans le sein de la représentation
nationale. Nous avons vu des conseils communaux endetter la commune pour vingt
années pour glorifier leur passage dans l'administration, afin qu'on pût dire :
c'est sous l'administration d'un tel ou d'un tel que tels édifices ont été
élevés. Voilà le funeste effet des coteries exclusives qui veulent écarter
toute opinion modérée. Cela n'arriverait pas s'il y avait une opposition dans
le conseil. Pouvez-vous vouloir, messieurs, qu'un pareil système puisse
continuer plus longtemps sans y porter remède ? N'est-ce pas ici qu'il est vrai
de dire qu'il y a nécessité, qu'il y a urgence d'adopter des dispositions pour
faire cesser un tel état de choses.
On a objecté que c'était un prélude aux
modifications à la loi électorale. Un honorable membre a cité des paroles qui,
si elles ont été prononcées, et je n'en doute pas, puisqu'il l'affirme, sont
éminemment fâcheuses. Si une telle intention existe, je dois la blâmer.
Messieurs, je veux le maintien de la loi électorale telle qu'elle existe. Si
quelques modifications à la loi électorale étaient présentées n'importe par
qui, je m'unirais à ceux qui y seront contraires pour les combattre par tous
les moyens en mon pouvoir. Je ne veux pas, je le répète, de modifications à la
loi électorale, qui est la base de notre édifice constitutionnel.
Mais je ne vous le dissimule pas, si par hasard
quelque jour l'opinion de ceux qui prétendent qu'il faut modifier la loi
électorale venait à triompher en ce sens qu'on voulût ôter aux campagnes le
nombre déjà trop petit d’électeurs qu'elles ont, eu égard à leur population
comparée à celle des villes, je le déclare, je serai le premier à demander la
division des collèges électoraux pour les chambres. Ici encore je dirai ma
pensée sans biaiser, je regarde le système actuel comme le meilleur que nous
puissions avoir. Dans notre système d'élection, il y a un balancement
favorable à la cause des lumières. Dans notre système de réunir un grand centre
de population avec un certain nombre de villages, les villes viennent corriger
ce qu'il peut y avoir d'âpreté dans les élections des campagnes, de même que
les campagnes viennent corriger ce qu'il peut y avoir d'exagéré dans les
élections des villes. Je défends donc de tous mes moyens le système actuel
d'élections parlementaires qui régit
On a présenté une autre objection. Si on pouvait,
a-t-on dit, réunir tous les électeurs dans un seul bureau, on le ferait pour
les chambres. Messieurs, j'ai aussi professé longtemps cette opinion, j'ai cru
aussi à cette thèse, mais cependant un examen plus sérieux m'a fait voir que ce
système repose sur une véritable erreur. Car, comment se font les élections ?
Toujours par la présentation de deux listes différentes. Si donc on réunissait
dans une même localité tous les électeurs de
Un système semblable appliqué au pays serait-il bien
la lutte des partis, ce qui est la chose la plus favorable au gouvernement
représentatif ? non, ce serait l'opinion des partis, ce qui est la plus grande
calamité du gouvernement représentatif. Au contraire, dans la commune, quand
vous aurez introduit le système actuel, nous avons espoir que les divers partis
seront représentés. La bonne administration des intérêts des villes ne pourra
qu'y gagner ; car il n'est personne qui n'ait à déplorer la fâcheuse
situation financière de la plupart de nos villes qu'a amenée la composition
exclusive actuelle de certains conseils communaux.
Il est une autre observation que je dois présenter.
Vous avez adopté le système de la section centrale, accepté par le ministre et
d'après lequel le Roi peut prendre le bourgmestre, soit dans le conseil, soit
en dehors du conseil. Vous avez aussi porté un coup à la loi communale.
Jusqu'ici la commune était régie par le système des collèges.
Par cette disposition, qui a été votée, et que nous
avons repoussée, le système des collèges a été vicié, un bourgmestre peut être
pris en dehors du conseil. Dès lors le collège des bourgmestre
et échevins est annihilé. Quel intérêt pouvons-nous avoir, sur ce point, dans
le projet en discussion ? L'intérêt que le gouvernement ne fasse usage que très
rarement du droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil. Eh bien, en adoptant
le projet de loi, nous faisons en sorte que toutes les opinions soient
représentées dans le conseil. Nous détruisons l'empire des coteries ; nous
assurons la composition du conseil communal telle que le gouvernement puisse
nommer le bourgmestre dans son sein.
Ainsi nous rendons service au gouvernement, nous
sommes conséquents avec la pensée qui nous a constamment dirigés, le désir
d'assurer le choix du bourgmestre dans le sein du conseil. De cette manière
nous rendrons très rare et pour ainsi dire impossible le choix du bourgmestre
en dehors du conseil. Ainsi vous ne verrez plus, comme dans telle ou telle de
nos villes, le conseil communal se former d'une manière évidemment hostile, non
pas à telle ou telle opinion, mais au gouvernement du pays. N'avons-nous pas
vu, dans une de nos plus importantes cités, le gouvernement dans
l’impossibilité de nommer un bourgmestre dans le sein du conseil ?
Pourquoi ? Parce que le parti patriotique n'avait pu
placer dans le conseil un homme en qui le gouvernement et la révolution pussent
avoir confiance.
M. Delehaye. - Dans quelle ville, cela ?
M. Dumortier. - Vous savez fort bien à quelle ville je fais
allusion. Je n'ai pas besoin de la nommer. (On
rit.)
M. Delehaye. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Ces faits n'ont pas amené une commotion dans le pays. Mais ils
pouvaient l'amener, et nous devons saisir l'occasion de donner au gouvernement le
moyen d'en empêcher le retour, car en présence des faits que je viens de
rappeler, ce serait un grand inconvénient de mettre le gouvernement dans la
nécessité de placer à la tête de l'administration principale de l'une de nos
villes un homme hostile à
M. Delehaye.- Je pense que quand l'honorable membre a cité une ville où le
gouvernement n'avait pu nommer un bourgmestre, il a fait allusion à la
ville de Gand. Les honorables membres qui siégent sur ce banc l'ont pensé comme
moi. Déjà, dans la discussion du projet de loi relatif au mode de nomination du
bourgmestre, l'honorable M. Dechamps avait dit que la cause de la
mésintelligence qui avait existé entre le gouvernement et l'administration
municipale de Gand, était qu'on avait proféré des paroles provocatrices, c'est
qu'on avait dit au gouvernement en parlant de l'honorable M. Van Crombrugghe : Nous
l'aurons. L'honorable M. Dumortier m'a fourni l'occasion de lui répondre en
même temps qu'à l’honorable député d'Ath. Il est vrai que les mots nous
l'aurons ont été prononcés. Mais c'était là une réponse à une provocation.
Si ces deux honorables membres ne connaissent pas les faits, je vais les leur
faire connaître. Pourquoi a-t-on dit à Gand : nous l'aurons ? C'est
précisément, parce qu'un homme, poussé par une coterie, avait dit, avant les
élections : vous ne l'aurez pas. On était allé jusqu'à distribuer à
domicile des proclamations contre M. Van Crombrugghe, prétendant que le
gouvernement ne voulait plus de lui. C'est au nom du gouvernement que cette
coterie agissait. Je suis intimement convaincu que si le gouvernement avait été
bien informé de l'état des choses, nous n'aurions pas eu à gémir sur ce qui est
arrivé.
Le gouvernement a éprouvé, dit-on, de l'embarras
pour faire un choix. Mais cependant il y avait dans le conseil des hommes qui
s'étaient consciencieusement soumis à la révolution. Il y avait surtout dans ce
conseil plus d'un homme capable, et certes rien ne s'opposait à la nomination
de M. van Crombrugghe lui-même, puisque quelque temps après le gouvernement lui
a confié les mêmes fonctions. Bien plus, ne lui avez-vous pas décerné la
décoration, pour ses longs et loyaux services ? Ainsi le gouvernement
décore un homme pour ses longs et loyaux services, et deux ans auparavant il ne
veut pas de lui pour administrer une ville.
J'ai la persuasion que les honorables MM. Dumortier
et Dechamps ne se seraient pas exprimés comme ils l'on fait, s'ils avaient
mieux connu les faits, s'ils avaient su que les mots Nous l'aurons étaient
la réponse à une provocation ; et nulle personne de bonne foi à Gand ne
contestera ce que j'avance.
Quant au fractionnement qu'on propose, si, comme l'a
dit M. Dumortier, l'influence des coteries se fait sentir partout ; l'adoption
de la mesure qu'on propose aura pour effet d'augmenter sa puissance, car c'est
sur le petit nombre d'électeurs bien plus que sur la masse qu'elle parviendra à
appesantir sa domination. A Gand, comme partout, elle sera contraire, non pas
seulement aux localités, mais même au renouvellement, car ces coteries ne se
laissent guider que par leur intérêt. (Réclamations.)
Oui, messieurs, je connais la puissance des coteries
; elle s'étend sur toutes les provinces, dans les conseils communaux, comme
dans les conseils provinciaux. Nul corps ne saurait s'y soustraire.
Ce que je viens de dire est applicable à toutes les
localités, et pour ce qui concerne Gand, que l'on cite si souvent j'ose dire
que tout homme de bonne foi appuiera mes observations.
M. Dumortier (pour un fait personnel). - Je m'étais abstenu de nommer la ville de Gand.
J'ai, pour mon compte, beaucoup de sympathie pour la ville que vient de nommer
l'honorable préopinant. Je crois en avoir donné plus d'une preuve. D’un autre
côté, je n'entends pas non plus qu'on m'attribue aucun blâme, du chef de la
nomination de M. Van Combrugghe. Je partage l'opinion
de M. Delehaye qu'on pouvait appeler aux fonctions de bourgmestre un homme qui
avait donné de grandes preuves de dévouement à
Mais là n'est pas la question. Puisqu'on a fait
allusion à une ville, savez-vous, d'après un écrit récemment publié où
se trouvent dévoilées les intrigues d'un parti qui à une couleur singulièrement
citronné, (on rit) ; savez-vous ce
que fait certain journal de cette ville, pour conserver ses abonnés, journal
qui s'intitule Messager des Pays-Bas, comme si nous faisions partie du
royaume du Pays-Bas ? Celui qui cesse son abonnement est condamné à 15 jours
ou un mois de Froment (on rit).
Au reste, les habitants bien intentionnés de la
ville de Gand sont hostiles à cette coterie. Ils réclament le concours du
gouvernement pour leur industrie. Ils seront heureux d'être débarrassés, par
l'effet du projet de loi en discussion, du joug d'une coterie dont le reste du
pays a secoué le joug depuis longtemps.
M. de Theux. - L'honorable M. Delehaye a dit que c'était au nom du gouvernement qu'une
coterie avait déclaré ne pas vouloir M. Van Crombrugghe pour bourgmestre. (Dénégations de la part de M. Delehaye.)
L'honorable membre a dit qu'une coterie agissant au nom du gouvernement, avait
repoussé M. van Crombrugghe ; ce qui revient au même. L'honorable membre est
dans l'erreur. M. van Crombrugghe était imposé au nom d'une opinion
antinationale ; il eût été contraire à la dignité du gouvernement de le nommer
à la première magistrature d'une ville aussi importante que celle de Gand. Il
ne pouvait subir un choix ainsi imposé (Approbation.)
Ici je saisirai l'occasion de rendre justice à M.
Minne Barth, qui, quoiqu'on en ait dit, a fait preuve de sentiments élevés en
acceptant la première magistrature de la ville de Gand, et a rendu un véritable
service au pays. Je sais qu'on a été jusqu'à dire que c'étaient des motifs
d'intérêt qui l'avaient déterminé à accepter les fonctions de bourgmestre.
Quoique les opinions soient libres, rien ne justifie cette opinion. Il est
évident que M. Minne-Barth, en acceptant une chaire de professeur à
l'université de Gand, n'a pas eu l'équivalent de ce que lui rapportait sa
clientèle ; car il avait une clientèle brillante, qu’il ne pouvait desservir,
quand il était obligé de se livrer soit à l'enseignement soit aux soins de
l'administration municipale. Je ne puis donc admettre qu'il y ait eu de la part
de M. Minne-Barth aucun motif déshonorant, lorsqu'il a accepté les fonctions de
bourgmestre.
L’honorable M. Delehaye a qualifié de coterie une
partie de la ville de Gand. Je crois que les personnes auxquelles il a fait
allusion sont très honorables et n'ont jamais désiré que le bien public. Le
gouvernement n'a subi l'influence d'aucune coterie ; il a fait ce qui lui
paraissait le plus opportun.
Plus tard j'al proposé M. van Combrugghe
pour la place de bourgmestre à Gand. Mais je dois le dire, lorsque cette
nomination a eu lieu M. van Crombrugghe n'a pas été nommé comme homme de parti.
La preuve la plus évidente, c’est l'opposition que cet honorable magistrat a
rencontrée dans le conseil après sa nomination par le Roi.
C'est, messieurs, la preuve la plus évidente que le
gouvernement n'a pas dû subir M. van Combrugghe et
qu’il l’a librement choisi. M. van Combrugghe s'est
complètement dégagé de ce qu’on appelait un esprit de parti, et surtout il
n'était aminé d'aucun sentiment d'hostilité contre le gouvernement.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne dirai qu'un
mot. C’est sur ma proposition que M. van Combrugghe a
été décoré. A cette époque, choisi librement par mon prédécesseur, l'honorable
M. de Theux, M. Van Crombrugghe soutenait la cause de l'ordre et du
gouvernement à Gand. Aussi une coterie, que l'on pourrait appeler une faction,
ne lui a pas pardonné ; alors elle l’a calomnié, elle l'a abreuvé de
dégoûts et peut-être a-t-elle abrége sa vie.
M. Delehaye. - Je dois un mot en réponse à l'honorable M. de Theux qui paraît
ne pas m'avoir compris.
J'ai dit que cette coterie s'était servie du nom du
gouvernement et que je me plaisais â croire que le gouvernement ignorait ce qui
se passait.
M. le ministre de l'intérieur a parlé de faction,
je ne sais à qui il a fait allusion ; qu'il me suffise de lui dire que
nulle faction ni dans le conseil, ni dans la ville ne s'est opposée à M. van
Crombrugghe, ses actes ou ses propositions ont pu être combattus dans le
conseil, quant à lui, objet de respect que méritait son âge et les services
qu'il avait rendus, je n'ai rencontré partout qu'estime et bienveillance.
A sa mort, toute la ville a porté le deuil, sa
mémoire a partout été accueillie de la manière la plus favorable.
- La séance est levée à 4 heures et demie.