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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 août 1842
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétitions relatives aux inondations de
2) Projet
de loi relatif à l’instruction primaire. Participation du clergé dans l’enseignement
religieux et moral, (Nothomb, Dechamps,
Lebeau, (+enseignement organisé par les communes) de La Coste)
3) Motion
d’ordre relative à la convention commerciale signée avec
2) Projet
de loi relatif à l’instruction primaire. Discussion générale. Participation du
clergé dans l’enseignement religieux et moral ((+enseignement organisé par les
communes (Devaux, Nothomb), Dechamps, Devaux, Verhaegen, Lebeau, Nothomb, Brabant, Lebeau, Nothomb, Lebeau,
Nothomb, Dumortier, Orts), (Rogier, Nothomb)
(Moniteur belge n°223, du 11 août
1842)
(Présidence
de M. Fallon.)
M. de Renesse fait
l’appel nominal à midi un quart.
M.
Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente
; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
présente l’analyse des pièces adressées la chambre
PIECES ADRESSEES A
« Le
sieur Jacquet, docteur en médecine, réclame l’intervention de la chambre pour
que le gouvernement lui accorde une médaille du chef des vaccinations qu’il a
opérées gratis, pendant l’année 1837. »
-
Renvoi à la commission des pétitions.
________________________
« Le conseil communal de Boorsheim
demande que la chambre alloue un nouveau subside au gouvernement pour achever
les réparations aux travaux de défense de
Sur la
proposition de M. de Renesse, renvoi à la commission des
pétitions avec demande d’un prompt rapport.
________________________
« Plusieurs habitants et négociants d’Anvers prient
la chambre d’accorder la priorité aux projets de loi concernant les intérêts
matériels du pays. »
M. Osy. - Cette pétition émane de
presque toute la bourse d’Anvers. On y demande que la chambre s’occupe des
intérêts matériels du pays, c’est-à-dire qu’elle discute le projet de loi
présenté par la commission d’enquête. Je fais la proposition de mettre ce
projet de loi à l’ordre du jour immédiatement après la discussion du rapport
relatif à la convention conclue avec la ville de Bruxelles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il
est impossible que cette discussion vienne avant la session prochaine. La
mettre à l’ordre du jour, ce serait, au fond, ne rien faire. Je m’en suis déjà
expliqué. Les documents sont incomplets, en ce sens qu’on n’a pas annexé au
dernier travail de la commission l’avis des chambres de commerce. Ces avis sont
de deux espèces. Les uns ont été transmis directement à la commission d’enquête,
les autres ont été transmis au gouvernement, j’ai réuni les uns et les autres ;
ils devront être publiés. Je pense que la discussion des conclusions de la
commission d’enquête devra être un des premiers objets, sinon le premier objet
dont nous nous occuperons à la session prochaine. Si les pièces qui manquent ne
sont pas imprimées avant la fin de la session et distribuées aux membres
pendant leur présence à Bruxelles, j’aurai soin de les faire distribuer à
domicile dans l’intervalle des deux sessions, de manière
que nous soyons tous préparés à cette grande discussion pour la session
prochaine.
M. Manilius. - Je viens appuyer la
proposition de l’honorable M. Osy. Je crois qu’il est temps de s’occuper du
rapport de la commission d’enquête. A la session prochaine nous serons absorbés
par la discussion des budgets. On dira qu’il faut que les budgets soient votés
avant la nouvelle année. Le langage que tient maintenant M. le ministre de
l’intérieur n’est pas celui qu’il tiendra à la session prochaine. J’appuie, je
le répète, la proposition de M. Osy. Il suffira que le
projet de loi présenté par la commission d’enquête soit mis à l’ordre du jour
pour que nous puissions espérer de le voir discuter un jour.
M.
Dubus (aîné). - Je crois qu’il est dans
l’intention des deux auteurs de la proposition qu’il n’y ait pas d’intervalle
entre les deux sessions (on rit).Si
telle est l’intention de la chambre, je crois qu’il faut remettre à l’ordre du
jour le projet de loi de la commission d’enquête ; mais si, au contraire, la
session ne doit plus durer que quelques jours, je crois qu’il convient de ne
pas admettre leur proposition.
M. Osy. - Si M. le ministre prend l’engagement
d’insister auprès de la chambre pour que les conclusions de la commission
d’enquête soient discutées au commencement de la session prochaine, je
retirerai ma proposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je
m’y engage.
M. Osy. - Je retire ma proposition.
Présentation d’un amendement
Article 21
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - A la
suite de l’incident qui a terminé la séance d’hier, j’ai de nouveau examiné la
question très importante qui s’y rattache ; j’ai préparé une nouvelle rédaction
de l’art. 21. La voici
Remplacer l’article 21 par les
dispositions suivantes
«
Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation
quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la
dirige ne consent à la soumettre au régime de la présente loi.
« Les
infractions aux dispositions légales sont constatées soit par les inspecteurs
civils, soit par les inspecteurs ecclésiastiques. Elles sont portées à la
connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux art. 8 et
14.
« Si
ces rapports signalent de abus dans une école, le ministre de l’intérieur en
informe l’administration dirigeant l’école, et use des moyens propres à amener
l’exécution de la loi.
« Lorsque
les abus constatés constituent la non-exécution de l’une des conditions
essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les
faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont retirés par
un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
J’ai
cru devoir déposer maintenant cet amendement. Je prie tous les membres de la
chambre, tous ceux qui désirent sincèrement une loi sur l’instruction primaire
de vouloir bien examiner cette disposition. On pourrait l’envoyer de suite à
l’impression. Non pas qu’on arrive aujourd’hui à l’art. 21. Mais comme on le
fait remarquer, cet article a une très grande importance et domine toute la
loi.
- La
chambre ordonne l’impression immédiate et la distribution de l’amendement.
M. le président. - La discussion continue sur
l’ensemble du projet de loi. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dechamps, rapporteur. - J’avais demandé la parole lors du débat incident d’hier. L’amendement
que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur, et qu’il est impossible
de saisir à une première lecture, me paraît devoir faire ajourner le débat sur
cette question qui domine toute la loi. J’ajourne donc mes observations jusqu’à
la discussion sur l’art. 21 et sur l’amendement présenté par le gouvernement.
M. le président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - Je suis absolument dans le même cas que l’honorable préopinant. Je me
proposais de protester, autant qu’il est en moi, contre les doctrines énoncées par
M. le ministre de l'intérieur ; doctrines qui n’étaient pas seulement formulées
dans l’article 21, mais encore dans les motifs écrits à tête posée et lues par
lui. Puisque M. le ministre modifie son opinion et change la portée de l’art.
21, je suis forcé d’examiner la portée du nouvel article pour
prendre la parole d’une manière utile.
M. de La Coste. -
J’ignore quel effet la nouvelle rédaction, présentée par M. le ministre, aura sur
l’ensemble de la loi ; cependant rien ne s’oppose à ce que je fasse connaître
le point de vue général sous lequel je la considère.
Il y a
dans cette discussion deux choses à mes yeux qui la dominent tout entière : un
grand intérêt et un grand principe. Le grand intérêt c’est l’intérêt du peuple,
le grand principe, c’est la tolérance religieuse. L’enseignement moyen et
l’enseignement supérieur ne sont guère accessibles qu’aux classes élevées ;
l’enseignement primaire est accessible et utile à toutes les classes. Les
riches peuvent choisir les établissements où ils placent leurs enfants ; les
pauvres, à moins que la bienfaisance privée ne leur offre des établissements
qui leur sont spécialement destinés, doivent accepter ceux que leur offre
l’autorité publique. Tout le monde sait combien un père apporte de soins et
d’anxiété dans le choix de l’établissement où il veut placer ses enfants.
Ce même
soin, cette même anxiété, nous les devons aux enfants du peuple dont nous
prenons en mains la tutelle.
Les
avantage de l’instruction primaire sont de différente nature : d’abord, elle
offre des connaissances utiles à tous les états. Plus d’un homme du peuple,
arrêté dans la classe la plus infime pourrait en franchir la limite, s’il
savait lire, écrire, calculer. Plus d’un ouvrier pourrait devenir chef-ouvrier,
pourrait diriger un établissement, s’il avait des connaissances plus étendues ;
voilà donc un intérêt bien grand, bien positif.
Il y a
encore celui-ci : les classes inférieures peuvent contenir et contiennent incontestablement
des hommes supérieurs auxquels il ne manque souvent que ce degré d’instruction
pour parcourir les autres, pour arriver successivement aux premiers rangs de la
société, pour se rendre éminemment utiles au pays.
Les
écoles bien dirigées présentent encore un autre avantage, et il sera apprécié
de tous ceux qui les ont vues de près ; c’est de polir les mœurs des enfants,
c’est de leur donner des habitudes d’ordre, de décence, de propreté. Je
regrette même (mais il s’agit peut-être de trop petits détails, de détails
réservés à l’exécution), je regrette de ne pas voir dans la loi en discussion,
comme dans la loi de 1806, des dispositions expresses à cet égard ; je dis la
loi de 1806 ; si ce n’est pas cette loi même ce sont au moins les dispositions
qui l’accompagnent.
Mais
quelque réels que soient ces différents avantages, il faut convenir que si l’on
n’y joint pas celui d’éducation morale, c’est rétrécir beaucoup le cercle des
bienfaits de l’instruction. Maintenant, et c’est ici que j’arrive au point le
plus délicat, quelle base donnera-t-on à la morale qu’on enseignera aux enfants
admis dans les écoles publiques ?
Je suis
prêt à reconnaître qu’il y a dans les classes supérieures, peut-être même dans
toutes les classes des hommes qui, sans participer aux croyances religieuses,
ont par suite d’un heureux naturel, des sentiments d’honneur, d’une saine
philosophie, de notions puisées au sein de leur famille, une conduite morale à
l’abri de toute objection. Mais souvenons-nous que nous traitons la question
sous un point de vue général et que nous nous occupons spécialement des classes
laborieuses et pauvres.
Or, je
le répète, quelle base donnera-t-on à la morale qu’on enseigne dans les écoles
où les enfants appartenant à ces classes seront admis ? Sera-ce l’intérêt bien
entendu ? C’est là-dessus, en effet, que s’appuient quelques systèmes et je
n’ai point ici à les examiner, mais ils reçoivent souvent, dans l’application
des démentis trop éclatants pour qu’ils puissent servir de base à la morale
qu’on enseigne à la jeunesse. Sera-ce d’autres systèmes de philosophie ? Eh !
qui ne voit qu’ils ne sont pas à la portée des enfants du peuple ! Le seul
système de philosophie pratique qui soit jamais parvenu à lui, c’est la
religion, c’est le christianisme
Messieurs,
ici chacun est libre de ne pas admettre le christianisme comme croyance,
d’admettre et de rejeter telle croyance qu’il juge à propos. Et je m’applaudis
de vivre dans un temps, dans un pays où la conscience n’a rien à démêler avec
l’autorité publique, rien à démêler avec le bourreau, où l’on n’est pas
hypocrite de par la loi. Mais ceux qui n’admettent pas le christianisme (je
parlerai tout à l’heure d’autres cultes, car nous ne devons pas être plus
exclusifs que la constitution), ceux qui n’admettent pas le christianisme comme
une grande vérité, doivent nécessairement, s’ils sont penseurs, s’ils sont
philosophes, s’ils sont hommes d’Etat, l’admettre comme un grand fait qui
domine toute notre organisation sociale.
Messieurs,
c’est un des éléments de notre civilisation. Le christianisme, la religion
chrétienne, préside à l’organisation de la famille, il sanctionne la propriété,
et en même temps qu’il donne des garanties à ceux qui possèdent, il leur impose
des obligations envers ceux qui ne possèdent pas. Eh bien ! messieurs,
voilà les trois grands problèmes sociaux humanitaires ; la famille, la
propriété, le moyen de coordonner entre elles les différentes classes de la
société.
Qu’il
me soit encore permis de rappeler ici les consolations qu’offrent les croyances
religieuses. Ne les enlevons pas au peuple. Son existence n’est pas toujours
heureuse ; et c’est dans le malheur surtout que ces consolations sont
appréciées. Il serait inhumain de l’en dépouiller, lors même qu’on ne le
considérerait que comme des illusions. Nos institutions, laissent chacun libre
de penser ce qu’il veut à cet égard, mais elles ne le laissent point libre de
porter atteinte à la tolérance religieuse.
La
tolérance exige que dans l’école publique rien ne blesse en aucune façon les
croyances qui y trouvent accès ; elle exige aussi que les croyances qui n’y
trouvent pas accès, trouvent ailleurs des moyens d’instruction qui satisfassent
leurs scrupules religieux.
Ce que
la tolérance exige, la justice ne l’exige pas moins. Car comme toutes les
communions religieuses, comme les hommes de toutes les opinions concourent aux
dépenses de l’instruction offerte par l’autorité publique, il est juste que
tous y aient part.
Maintenant
une solution que l’on a admise dans quelques pays, c’est celle d’une parfaite
neutralité. Les écoles offrent des moyens d’instruction ; mais on ne s’occupe
pas de l’éducation religieuse
J’ai
déjà dit qu’il était très difficile de séparer l’éducation morale de
l’instruction religieuse, et qu’une instruction qui ne comprend pas la morale
est bien incomplète. Mais ce n’est pas là le seul inconvénient, et l’exclusion
de la religion de l’école deviendrait, pour ainsi dire, une négation ; il
suffit en effet que les enfants ne voient aucune pratique religieuse, qu’ils
n’entendent pas parler de religion, que celui qui les dirigent ne paraisse pas
y croire, pour que leurs esprits très vifs y discernent une véritable négation,
et dès lors ce système de neutralité dégénère presque en hostilité.
Ainsi
donc, ce que M. le ministre de l'intérieur appelait hier un moyen extrême, je
le considère comme un moyen qui n’est pas praticable dans notre état social et
sous l’empire des principes posés dans notre constitution.
Un
autre système serait celui où il y aurait des écoles pour toutes les religions,
pour toutes les opinions et où l’autorité publique, impartiale envers tous,
accorderait des subsides proportionnés la population, aux besoins des écoles, à
toutes les opinions, à toutes les religions. Ainsi il y aurait des écoles pour
les protestants, des écoles pour les catholiques, et même, si on le croyait des
écoles philosophiques, et l’administration, sans s’enquérir des croyances
religieuses de personne, subsidierait également ces écoles. Ce principe
s’éloignerait bien plus du régime actuel de l’instruction primaire qui vous est
présenté maintenant. Ce dernier est un système de conciliation qui consiste à
faire entrer la religion du plus grand nombre dans les écoles publiques. C’est
ce qu’ont voulu les commissions qui ont examiné la matière en 1834, c’est ce
qu’a voulu l’honorable M. Rogier, alors ministre de l’intérieur, c’est ce que
veulent maintenant la section centrale et le gouvernement.
Dans ce
système il faut nécessairement qu’il y ait accord entre l’autorité
ecclésiastique et l’autorité civile ; j’avoue cependant que j’y rencontre
quelques parties qui ne cadrent pas avec les principes que j’ai énoncés
précédemment et qui me paraissent les plus justes en théorie.
D’abord
je vois bien que les personnes qui ne partageront pas les opinions religieuses
qui sont enseignées dans les écoles publiques pourront faire en sorte que leurs
enfants n’assistent pas à l’enseignement religieux dans ces écoles. Mais je ne
vois pas que cela satisfasse entièrement au vœu de la loi, qui est de donner à
l’enseignement la base de la religion. Cela ne satisfait à ce vœu pour les
protestants dans les communes où les catholiques sont en majorité pour les
catholiques dans les communes où les protestants sont en majorité ; je
reviendrai tout à l’heure sur cette observation.
Je
trouve aussi que les articles 5 et 21 ont, au premier aspect, quelque chose
d’un peu sévère relativement aux communes. Je ne partage pas cependant
l’opinion énoncée à cet égard par l’honorable M. Savart, je ne crois pas qu’on
puisse invoquer en cette circonstance l’art. 17 de la constitution. L’art. 17
n’a aucunement en vue la commune, je ne la vois pas comprise dans le terme de
l’Etat. Je crois que cet article a été uniquement établi par défiance contre
l’autorité. On ne voulait pas que l’autorité publique réglât ce qui regardait
ses propres établissements par ordonnance ; on voulait que cela fût réglé par
la loi ; on ne pensait pas aux communes dans ce moment.
Pour
savoir quelle est la compétence des administrations communales en matière
d’instruction, il faut recourir aux articles de la constitution qui déterminent
cette compétence en général ; Or on conviendra que l’instruction publique n’est
pas un intérêt exclusivement communal. Je pense dont que rien ne s’oppose à ce
que nous fassions une loi qui impose des obligations aux communes.
je
ferai, à cet égard, un rapprochement. La loi fondamentale des Pays-Bas avait
une disposition tout à fait analogue relativement aux communes, et peut-être
même plus absolue. Elle laissait aux administrations communales et provinciales
la libre administration de leurs intérêts particuliers, et cependant
relativement à l’instruction, elle les chargeait seulement de l’exécution de la
loi. Il est évident qu’on avait eu en vue, en établissant ce principe, la loi
de 1805 qui s’occupait des écoles établies par les communes, d’une manière en
moins impérative que la loi que nous discutons.
J’avoue
cependant, comme on vous l’a fait observer, que la position faite aux communes,
par l’art. 5, me paraît un peu sévère. Dans l’hypothèse où les communes
auraient rempli toutes les prescriptions de la loi, où leurs écoles
répondraient au but sous tous les rapports, alors l’art. 5 (j’entends parler de
l’art. 5 de la section centrale) me paraîtrait aller un peu loin. Bien que je
n’admette pas le principe posé par l’honorable M. Savart, je conçois que
d’honorables membres aient trouvé dur, au premier abord, que la commune qui ne
remplirait pas entièrement ses obligations aux yeux de l’autorité
ecclésiastique, par exemple, ne fût pas seulement privée de tout subside, mais
qu’elle ne pût même pas continuer à soutenir son école. Que l’Etat ne doive pas
de subside à un établissement qui ne remplit pas ses conditions légales, c’est
un principe qu’on ne peut contester ; peut-être ce principe est-il aussi
applicable à la province ; mais quand on arrivera à la commune, peut-être
pourrait-on lui laisser la libre disposition de ses fonds.
Mais à
cela, dans les principes que j’ai exposés, il y aurait une condition qui serait
absolument nécessaire, c’est que la commune, tout en conservant son école,
accordât les mêmes secours, les mêmes subsides aux écoles érigées dans
l’intérêt de ceux aux besoins moraux desquels l’école communale ne satisferait
pas. Remarquez bien, messieurs, que la véritable tolérance ne permet pas de
s’ériger en juge de l’opinion des autres ; la tolérance exige que chacun soit
juge de sa propre opinion. Si l’on veut donc qu’une école communale qui ne
répond pas à l’opinion d’une partie des habitants puisse être maintenue, il
faut admettre alors que tous ceux qui paient des contributions à la commune et
qui, par des scrupules bien ou mal fondés, ne veulent pas envoyer leurs enfants
à l’école communale, doivent obtenir pour les écoles qui leur inspirent
confiance, des subsides équitables. Partant de ce principe, la question que
soulève l’art. 5 se trouverait tranchée en même temps ; l’art. 5 deviendrait
inutile ; les parents choisiraient l’une ou l’autre des écoles existant dans la
commune et l’autorité communale les subsidierait chacune selon le nombre de ses
élèves.
Mais,
messieurs, je ne vous cache pas que j’hésite à formuler une proposition dans le
sens de ces principes que je crois incontestables en théorie. Avant de les
mettre en pratique, il faut bien en calculer les suites, qui pourraient être
plus graves pour le régime actuel de l’instruction primaire, que les
inconvénients dont on s’effraie dans le projet de loi en discussion. Ce projet,
s’il devient une loi de conciliation, s’il est accepté de part et d’autre et
exécuté de bonne foi, est peut-être destiné à amener des résultats pratiques
favorables au développement de l’instruction primaire.
Voilà
pourquoi je ne me prononcerai pas contre le projet de loi. Je réserve mon vote.
J’ajouterai,
messieurs, que si vous voulez trop réduire les garanties que le projet offre
aux opinions religieuses, vous rendrez la loi complètement nulle, complètement
inefficace, parce qu’alors elle ne sera pas acceptée de part et d’autre, parce
que, n’étant acceptée que d’un seul côté, elle sera paralysée dans son
exécution.
M. de La Coste. - Je
demanderai maintenant à faire une motion d’ordre que je comptais faire au
commencement de la séance et que j’ai retardée parce que M. le ministre des
finances n’était pas alors présent.
M. le président. - M. de
M. de La Coste. - La
chambre se rappellera qu’elle a renvoyé a la section centrale plusieurs
amendements à la loi concernant la convention conclue avec
Dans
cette situation la section centrale dont je fais partie ne peut pas continuer
ses travaux avant qu’elle ait obtenu la réponse de M. le ministre des finances.
Cependant plusieurs marchands de vins sont venus nous exposer leurs craintes ;
ils disent que si la convention est exécutée le 15 de ce mois, il entrera
aussitôt des vins qui ne payeront que les droits tels qu’ils sont réduits par
la convention ; ces vins, disent-ils, vont se confondre avec ceux qui sont en
magasin sous des crédits à terme. On fera résulter de là une fin de
non-recevoir et l’affaire se trouvera jugée sans avoir été examinée. Ce serait
là pour la section centrale une position extrêmement désagréable, ce serait là
un état de choses contraire à la bonne foi et à l’intention de la chambre. Je
crois qu’il serait infiniment préférable que M. le ministre des finances prît
maintenant des mesures conservatrices qui ne lieraient point la chambre et qui
seraient exécutées avec la même force que si elles résultaient de la loi,
puisque les marchands de vins seraient très disposés à s’y soumettre
Quoi
qu’il en soit, il faut observer que le temps presse ; la chambre est saisie
d’une question très grave, et quand la réponse de M. le ministre arriverait
très prochainement, je crois qu’il serait encore extrêmement difficile qu’une
décision des deux chambres intervînt en temps utile, je crois donc que M. le
ministre des finances devrait examiner la question de savoir si les craintes
des marchands de vins sont fondées.
Je demanderai donc à M. le ministre des finances, d’abord s’il est en
mesure de présenter très prochainement à la section centrale les
éclaircissements que la chambre a demandés. Je lui demanderai en second lieu si
les inconvénients qu’on a signalés ne sont pas réels, en un mot s’il n’y a
point péril en la demeure.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je puis informer la chambre que les renseignements relatifs aux
réclamations des marchands de vins sont actuellement complets ; dès aujourd’hui
je pourrais en présenter le résultat au conseil et après-demain au plus tard je
serai à même de faire un rapport à la chambre, de sorte que la section centrale
aura tout le temps de s’occuper du nouvel incident que viennent de présenter
les marchands de vins. J’examinerai également la question de savoir si les
inconvénients que l’honorable préopinant vient de signaler, sont possibles.
Discussion générale
M. Devaux. - Vous comprenez, messieurs, que la discussion générale se trouve dans
une situation assez singulière, par suite de la présentation de l’amendement de
M. le ministre de l’intérieur ; cet amendement je viens de le relire, et je
vous avoue que je ne suis pas sûr d’en saisir le sens ; je ne m’étonne pas de
ce qui m’arrive, puisque M. le rapporteur de la section centrale, qui
probablement a été en rapport avec M. le ministre de l’intérieur, ne se rend
pas bien compte lui-même de la portée de l’amendement. La mesure la plus
naturelle serait de retarder la discussion générale ; cependant je ne veux
point proposer de délai bien qu’il faille reconnaître que la discussion
générale perdra une partie de ses fruits par les circonstances que cet
amendement n’a pas pu être médité.
M. le
ministre de l’intérieur propose cet amendement comme un changement de rédaction
; ce sont ses expressions, si je l’ai bien entendu. Si réellement il ne s’agit
que d’un changement de rédaction, cela ne doit avoir qu’une faible influence
sur la discussion générale, mais encore faudrait-il savoir quel sera le sens de
l’art.
« En
se retirant, le clergé peut rendre impossible l’existence légale de l’école.
« Il se
retirera ou menacera de se retirer chaque fois qu’il ne sera tenu aucun compte
ou plutôt quand on persistera à ne tenir aucun compte de ses indications. »
« Ce
droit du clergé est très grand, sans doute, mais il dérive de l’indépendance de
la position que lui fait la constitution de 1831 ; c’est un droit d’abstention
qu’il est impossible de lui dénier. »
Ces
paroles sont extrêmement claires, et d’après toutes les explications qui ont
suivi, il est évident que l’art. 21 avait cette portée que le clergé, en
refusant son concours, ferait tomber l’école. Maintenant la véritable question,
quant à l’amendement, c’est de savoir si le clergé conserve ce droit, si le
clergé, en se retirant, peut faire tomber l’école.
Puisque
personne n’a demandé la parole, je ne veux point laisser clore la discussion
générale sans y prendre part ; mais je demanderai à la chambre la permission de
ne point entrer dans l’examen de cet amendement avant que d’avoir eu le temps
de l’examiner avec maturité et comme beaucoup des choses ont été dites hier sur
l’art. 21, que tout le monde n’y renonce pas encore, je considérerai la loi
comme étant encore telle qu’elle nous a été présentée.
Messieurs,
je me félicite du délai qui nous a été si difficilement accordé pour examiner
la loi pendant quelques jours, et je vous avouerai que la seule étude du texte de
la loi m’a pris beaucoup de temps. J’ai été longtemps avant de pouvoir me
rendre la portée de la loi ; je la trouve singulièrement obscure, et je crois
que presque tout le monde, dans les deux opinions, s’est trouvé dans le même
cas que moi. Jugez-en d’abord par ce qui s’est passé en dehors de cette
enceinte ; vous avez vu, messieurs, que dans les deux opinions la presse a
hésité longtemps avant de savoir quelle opinion elle devait se faire de la loi
; ainsi, pendant quelque temps, la presse libérale a cru qu’elle n’avait à
voter dans la loi que l’art. 5 ; de l’autre part, ce n’est que depuis quelque
temps que, grâce à l’obscurité de la loi, on l’a trouvée fort insuffisante, et
que l’on s’est prononcé contre elle d’une manière fort énergique.
C’est,
messieurs, qu’en effet, sans une étude très minutieuse des paroles employées
par les auteurs de la loi, elle est, sous plusieurs rapports, quant à sa portée
générale, une véritable énigme. Dès le début de la discussion d’hier, je me
suis aperçu que plusieurs membres de cette chambre ne comprenaient pas la loi
comme moi. La surprise qu’ont excitée les explications de M. le ministre de
l’intérieur sur l’art.
Pour moi,
messieurs, ces explications ne m’ont rien appris ; j’avais très bien pénétré le
sens de l’art. 21 tel que M. le ministre l’a interprété hier dans son premier
discours et dans ses explications ultérieures ; je crois même que sous certains
rapports, une partie de la loi serait un non-sens, si telle n’était pas la
portée de l’art. 21.
Ce
point n’est que partiellement éclairci aujourd’hui ; je pense que la discussion
en éclaircira plusieurs autres encore qui ont aussi leur importance. Je me
bornerai à exposer tout ce que je suis parvenu à comprendre du système et de la
portée du projet de loi, en le comparant au système du projet de loi présenté
en 1834.
Messieurs,
trois membres de la commission nommée en 1834, par M. le ministre de
l’intérieur de cette époque pour rédiger ce dernier projet, font encore partie
de cette chambre. Je suis un de ces
membres, les deux autres sont les honorables MM. de Theux et de Behr ;
je regrette beaucoup que des motifs graves, sans doute, retiennent l’honorable
M. de Theux loin de ces débats.
Le
projet de loi a été adopté en 1834, à l’unanimité, par la commission dont nous
faisions partie. Ce projet tout entier est autant l’ouvrage d’un membre que
d’un autre, autant l’ouvrage de MM. de Theux et de Gerlache que celui de M. de
Behr, de moi et des autres membres de la commission. Je suis donc fondé à
croire que si l’honorable M. de Theux se trouvait présent, il défendrait avec
moi le projet de loi de 1834 ; et ses efforts auraient probablement dans une
partie de l’assemblée plus de chances de succès que les miens. Ce projet, comme
je viens de le dire, a été adopté à l’unanimité de la commission ; c’était une
véritable conciliation, une conciliation presque inspirée, quoique facilement
obtenue au sein de la commission. Aussi, et j’avoue que je ne connais ce fait
que depuis peu de temps, la majorité des sections de la chambre ont adopté à
cette époque toutes les dispositions principales du projet de loi de 1834 ; et
cependant la composition de la section centrale, nommée par les sections, doit
vous prouver combien une seule des deux opinions qui partagent la chambre
prédominait dans les sections. C’est un fait important qui n’est parvenu à ma
connaissance que par le rapport de l’honorable M. Dechamps et que j’ai cru
devoir signaler à la chambre.
C’est
donc, messieurs, au sein de la section centrale elle-même qu’est née la grande
opposition qu’a rencontrée le projet de 1834 ; et probablement cette opposition
est venue en grande partie de M. le rapporteur lui-même.
Vous
savez, messieurs, ce qui a suivi cette opposition ; vous savez qu’elle s’est
manifestée par un procédé inouï dans les fastes législatives
d’un gouvernement représentatif, par un séquestre de 8 ans mis sur un projet de
loi.
Messieurs,
chaque année, je n’ai cessé de réclamer contre ce retard ; je l’ai fait souvent
dans les termes les plus modérés, les plus bienveillants ; j’ai signalé chaque
année, depuis 1834, le tort que la section centrale, par un procédé pareil,
faisait à l’opinion qu’elle représentait ; je lui ai dit plus d’une fois
comment elle nuisait ainsi à la force de cette opinion, comment elle éloignait
et blessait ceux-mêmes qui, dans la rédaction du
projet, avaient fait preuve de leurs dispositions conciliantes. Il faut
reconnaître que c’était mal préparer cette modération â laquelle on fait
aujourd’hui appel dans les discours, et que je voudrais voir aussi dans les
actes.
Quelles
étaient, en 1834, les tendances des diverses opinions au rejet de l’instruction
primaire ? quelles étaient leurs craintes ? quelles étaient leurs-prétentions
Personne,
messieurs, à cette époque, et j’aime à vous le rappeler, quoique la chose
paraisse peut-être â peine croyable aujourd’hui, personne à cette époque
n’avait contesté à l’autorité civile son indépendance dans les écoles du pouvoir
civil. On se souvenait encore, à cette époque, des luttes qui avaient eu lieu,
sous l’ancien gouvernement, en faveur de la liberté d’enseignement.
Alors,
messieurs, on avait réclamé comme seul
droit la faculté pour les particuliers d’ouvrir des écoles ; le droit invoqué
n’allait pas au-delà. Jamais, je pense, ni dans cette chambre, ni dans la
commission, ni au dehors, on n’avait réclamé comme droit l’intervention, la
suprématie du clergé dans les écoles du pouvoir central. Avant 1830, comme de
1830 à 1834, on invoquait la liberté d’enseignement pour les particuliers ;
mais on n’avait pas contesté à l’autorité civile le pouvoir suprême dans ses
propres écoles. Personne, à cette époque, messieurs, n’avait fait entendre que
la direction des écoles du pouvoir civil appartenait de droit divin au clergé ;
personne, à cette époque, messieurs, n’avait élevé des prétentions, n’avait
tenu un langage digne d’autres temps, digne du moyen-âge ; il n’était venu
encore, que je sache, à l’esprit de personne de demander même que les membres
du clergé fussent considérés comme des fonctionnaires publics dans
l’instruction ; je ne sais pas même si l’on ne se serait pas révolté alors
contre l’idée d’imposer par la loi des devoirs au clergé, quant à l’instruction
; si l’on n’aurait pas trouvé que les membres du clergé devaient être
considérés comme de simples citoyens, et qu’on violait leurs droits en agissant
autrement.
A peine
avait-on demandé que le clergé eût la direction de l’enseignement religieux
dans les écoles du pouvoir civil ; je ne sais même si cette précaution avait
été nettement formulée ; je dis l’enseignement religieux, car il n’était pas
encore non plus venu alors à l’esprit de ceux qui parlent dans un autre sens
aujourd’hui, de réclamer pour le clergé seul l’enseignement de la morale, de
dire que le clergé non seulement doit avoir le monopole de l’enseignement de la
religion, mais encore celui de l’enseignement de la morale ; de dire
implicitement que le laïque est incompétent pour l’enseignement moral des
enfants.
Je ne
sais si vous avez remarqué, messieurs, dans toutes les dispositions de la loi
nouvelle cette adjonction du mot moral
au mot religion ; cette incompétence
de l’instituteur laïc non seulement en matière religieuse, mais même en matière
morale ; il semblerait que ce n’est que de par l’autorité ecclésiastique que le
maître d’école peut apprendre aux enfants à ne pas mentir et à respecter leurs
parents.
Quelle
était donc à cette époque la dissidence, la différence principale des deux
opinions ? La voici :
Les uns
voulaient donner une action plus forte, plus étendue au pouvoir central ; les
autres se bornaient à demander une action plus indépendante pour l’autorité
communale. Là était la dissidence, là était le terrain du débat. La discussion
était entre le pouvoir central et le pouvoir communal. Les extrêmes voulaient,
les uns, que tout dépendît du pouvoir central, les autres, que tout fût
abandonné au pouvoir communal, sans aucune intervention de la province ou de
l’Etat. Mais pas une voix, que je sache, dans la commission n’alla au-delà ;
pas une voix ne demanda que les ecclésiastiques fussent investis de fonctions
quelconques dans l’enseignement, si ce n’est pour diriger l’enseignement de la
religion ; et si le projet de loi de 1834 contient une disposition où il est
dit que le curé fait partie de la commission locale de surveillance près de
l’école, ce n’est pas que cette disposition eût été réclamée par l’opinion
catholique, mais c’est que nous avons trouvé la disposition dans la loi
française, nous l’avons jugée utile et nous l’avons adoptée, et je ne me
rappelle pas si cette disposition a rencontré plus de sympathie dans la
commission chez les membres appartenant à l’opinion libérale. Vous voyez,
messieurs, que depuis lors les opinions, les prétentions ont bien changé.
Quoi
qu’il en soit, quel système adopta la commission de 1834 ? Je crois pouvoir,
messieurs, l’exposer en très peu de mots ; je m’efforcerai d’y mettre beaucoup
de clarté, car probablement, je le crois, une grande partie de la chambre ne connaît
pas ou connaît imparfaitement le projet de loi de 1834. En effet, on a traité
ce projet avec tant de rigueur, qu’après l’avoir tenu pendant 8 ans dans les
cartons, on n’avait pas même fait réimprimer les motifs de ce projet, que
cependant un grand nombre des membres de cette chambre ne possédaient pas. M.
le ministre de l’intérieur, qui avait fait une collection de documents très
intéressants, avait oublié, involontairement, sans doute, d’y comprendre
l’exposé des motifs de la loi que nous discutons. Par un second malheur, le
texte du projet que la section centrale vous a soumis, contient en marge les
dispositions du projet de loi de 1834, mais l’ordre des articles est tellement
interverti qu’il faut une étude très attentive pour en démêler le système.
Enfin, par un troisième malheur, les sections ont délibéré sur ce projet, mais
M. le rapporteur a cru ne pas devoir faire mention des délibérations des
sections dans son rapport, et ce n’est que dans un espèce de post-scriptum
rejeté à la fin du travail, qu’on trouve les délibérations des sections, mais
resserrées dans un cadre si étroit, qu’il est extrêmement difficile de s’en
rendre compte. Une ligne donne l’opinion d’une section.
Enfin
telle est la fatalité qui poursuit ce projet, qu’hier M. le ministre de
l’intérieur, en faisant un parallèle entre les deux projets de loi, a tout à
fait défiguré celui de 1834, et l’honorable rapporteur se mettant à l’unisson
avec lui, a prêté à la loi de 1834 des dispositions qu’elle ne contient pas.
Permettez-moi
de vous exposer le caractère de ce projet qui a concilié toutes les opinions,
non seulement dans la commission, mais jusqu’à certain point dans la majorité
des sections.
Nous
sentîmes tous dans la commission nommée par le ministre de l’intérieur de cette
époque, qu’il était impossible de donner au pouvoir central l’action étendue et
presque sans limite qu’avait le pouvoir hollandais sur l’instruction. Nous
étions pénétrés tous, sans exception, du mal que le gouvernement hollandais
avait fait à l’instruction primaire, tout en voulant l’avancer. Les préventions
contre le pouvoir central en cette matière étaient très vives, étaient
extrêmes. D’autre part nous sentîmes aussi dans la commission qu’on ne pouvait
pas donner complètement raison à l’opinion contraire dans ce qu’elle avait
d’extrême, à l’opinion qui voulait abandonner aux communes, même les plus
pauvres, même les moins instruites, sans contrôle, sans garantie aucune, le
choix des instituteurs et le sort de l’enseignement. Messieurs, cette opinion,
qu’il est impossible d’abandonner purement et simplement aux communes les plus
pauvres, le choix des instituteurs, était très forte, très partagée par les
diverses opinions dans la commission. Je me permettrai, à cet égard, de
rapporter les paroles d’un membre de la commission, homme très haut placé dans
la confiance de l’opinion catholique, et qui a rendu des services signales à
l’opinion catholique ; je me rappelle ces paroles comme si je les avais
entendues hier :
« J’ai
été membre d’une commission d’inspection de l’instruction primaire, et je dois
dire que si on abandonnait aux autorités communale des campagnes le choix des
instituteurs et la direction de l’enseignement, il ne faut point compter sur
une bonne instruction primaire. »
Cette
opinion qu’il était impossible d’abandonner à l’autorité communale, dans les
campagnes, la nomination sans contrôle des instituteurs a été celle de la
commission.
Il
fallait donc concilier ces diverses difficultés, il fallait concilier les
intérêts de l’enseignement primaire avec la satisfaction à donner aux défiances
qui existaient contre le pouvoir central, et en même temps aussi avec les
libertés communales qui partout à cette époque avaient des défenseurs très
chaleureux. Que fit la commission ? Elle adopta un système de conciliation
qu’elle crut de nature à satisfaire à toutes les exigences. Elle fit la part du
pouvoir central, c’était celle-ci : la direction des écoles normales, elle en
créait trois dans le pays, et, la direction dans les écoles primaires modèles,
une dans chaque arrondissement judiciaire. Telle était la part du pouvoir
central.
Que
devenaient les autres écoles ? Fallait-il les abandonner à l’autorité communale
? Fallait-il que dans les plus pauvres villages, là où il existe le moins
d’instruction, les autorités communales fussent juges suprêmes de l’aptitude de
l’instituteur ? Nous ne le crûmes pas, et par les raisons que je vous ai
exposées.
Voici
le système de transaction qu’adopta la commission : Partout où les
communes étaient assez riches pour subsidier elles-mêmes leurs écoles, partout
où l’on ne recevait de secours ni de la province, ni de l’Etat, liberté
complète de nomination des instituteurs et de direction de l’enseignement ; là
où les communes ne peuvent pas suffire aux frais de l’enseignement, là, en
d’autres termes, où les communes reçoivent des subsides, soit de la province,
soit de l’Etat, les écoles sont considérées mixtes et elles entrent sous le
régime de la loi.
Messieurs,
en rangeant les écoles communales proprement dites, les écoles non subsidiées
par la province ou par l’Etat, sous la direction de la commune, sans
intervention de la province ni de l’Etat, la commission faisait une concession
à l’opinion catholique qui, à cette époque, désirait que les écoles primaires
fussent le plus possible soumises à l’autorité communale seule.
Que
fîmes-nous pour les écoles mixtes ? Nous ne les fîmes pas régir par le pouvoir
central, contre l’intervention duquel tant de préventions s’élevaient. Nous
eûmes recours à une autorité intermédiaire entre la commune et l’Etat ; nous
créâmes à cet effet une commission nommée par le conseil provincial.
Pour
toutes les écoles subsidiées par la province ou l’Etat, nous avons admis dans
la nomination des instituteurs et la direction de l’enseignement l’intervention
de l’influence d’une commission provinciale se combinant avec celle de
l’autorité communale. Voilà le trait caractéristique du système de la loi de
1834.
Cette
commission provinciale intervenait dans la nomination des instituteurs des écoles
subsidiées, on ne laissait pas les communes pauvres, les communes peu éclairées
maîtresses de prendre un homme incapable. Dans toute commune recevant un
subside pour ses écoles, l’autorité devait nommer, dans une liste triple de
candidats, de la capacité et de la moralité desquels la commission provinciale,
qui les présentait au choix de la commune, avait mission de s’assurer.
Voilà,
messieurs, le caractère principal du projet de loi de 1834. La commission avait
à cœur la prospérité de l’instruction primaire. Elle savait qu’on était forcé
de faire une part restreinte au pouvoir central, elle lui a donné les écoles
normales et les écoles modèles ; elle savait qu’il fallait aussi faire la part
des autorités communales, elle leur a abandonné la direction de toutes les
écoles non subsidiées par la province ou par l’Etat. Mais aussi elle a senti
qu’il fallait faite la part des progrès du bien-être de l’enseignement primaire
et, par conséquent, on ne pouvait pas abandonner sans contrôle à toutes les
communes la nomination des instituteurs qui très souvent eussent été
incapables.
Cc
système, je le crois encore, est sage, conciliateur, je crois qu’on n’a rien
découvert de mieux approprié à l’état du pays depuis lors. Cc système rassurait
toutes les défiances quelque peu légitimes et même celles qui ne l’étaient pas.
Dans ce système un grand rôle est donné à l’autorité provinciale, à la
commission nommée par cette autorité modérée, administrative, habituée à
contrôler les communes et la moins politique peut-être de toutes les autorités
qui existent dans le pays.
D’ailleurs,
on prescrivait que la direction de l’enseignement religieux appartenait aux
ministres du culte. On admettait le cure dans la commission de surveillance
communale, on reconnaissait aussi que son concours était utile, qu’il pouvait
éclairer le comité de ses conseils. Cependant, dans ce système, si le curé se
retirait, s’il était en dissentiment avec la majorité de la commission, il ne
faisait pas, par sa seule absence, tomber l’école ; il n’avait pas droit de vie
et de mort sur l’école, il n’avait pas de pouvoir absolu sur l’instruction
primaire.
Ainsi
que je vous l’ai dit, bien que les délibérations des sections soient très
laconiquement rapportées, à la fin du travail de M. Dechamps, vous pourrez
reconnaître que les principales dispositions du projet, cette division d’écoles
communales, proprement dites, et d’écoles mixtes, l’intervention de l’autorité
provinciale dans les écoles mixtes, ont obtenu l’assentiment de la majorité des
sections.
Messieurs,
j’attache une très haute importance à cette intervention d’une autorité
provinciale dans la pratique de l’enseignement primaire.
Dans
cette loi, prenons garde de nous laisser absorber par la question politique. Si
vous voulez le progrès de l’enseignement primaire, soyez persuadés, comme la
commission de 1834, que vous ne pouvez pas abandonner à toutes les communes,
dans les campagnes, la nomination pure et simple sans contrôle de leurs
instituteurs. Si vous voulez faire quelque chose pour la prospérité de
l’instruction primaire, c’est là qu’il faut porter la main ; j’ajouterai que
les faits ont confirmé l’opinion de la commission de 1834. La confiance qu’elle
a placée dans l’autorité provinciale a été justifiée par la conduite de cette
autorité. En effet, s’il s’est fait des progrès quelque part dans les écoles
primaires du pouvoir civil, n’est-ce pas d’un côté dans celles des communes les
plus riches, et des l’autre dans celles auxquelles l’intervention de l’autorité
provinciale est parvenue à donner une impulsion.
Je sais
que l’honorable rapporteur de la section centrale est aujourd’hui ennemi des
comités. Il prétend que les comités ne font rien, ne peuvent rien faire. Il
cite l’exemple de
Je
dirai qu’en Belgique même le système des comités, dont je ne suis pas
d’ailleurs partisan exclusif, a produit quelques bons résultats. (Ce n’est pas
précisément à cette forme collective de comités, c’est à leur origine que
j’attache de l’importance.) Où l’instruction primaire prend-elle de
l’extension, en Belgique ? Dans les grandes communes, où les écoles sont
dirigées par des comités communaux. Les députations permanentes, qui ont pris
des mesures utiles à l’enseignement ne sont pas autre chose que des comités.
Que fait le projet de loi, lui-même, sinon constituer un comité ? Qu’est-ce que
les inspecteurs cantonaux, sinon des comités provinciaux dont chaque membre a
des attributions cantonales ?
Après
avoir exposé le système du projet de loi de 1834, je passe au nouveau projet.
Quels
que soient les sentiments que m’ait fait éprouver pendant 8 ans la conduite de
la section centrale, ils ne me feront pas abandonner les principes modérés que
je professais dans la commission de 1834. Si, dans d’autres rangs, on répudie
aujourd’hui les opinions de cette époque, pour moi, je veux encore ce que je
voulais alors, ce que je voulais avec MM. de Gerlache et de Theux ; qu’on
complète le projet en conservant le système qu’il consacre, je ne m’y oppose
pas, mais pour moi, je m’en contente ; je ne désire ni plus ni moins.
Je
désire le concours du clergé dans l’instruction primaire. J’ajouterai même que
si j’avais à agir administrativement, je pourrais aller plus loin que le projet
de loi de 1834, parce qu’en administration on ne confère pas de droit, parce
qu’en administration on peut révoquer le lendemain, s’il y a abus, ce qu’on a
concédé la veille. Je désire le concours du clergé. Je ne me borne pas à des
paroles. Outre le projet de 1834, je pourrais invoquer mes précédents
administratifs, que j’ai déjà eu l’occasion de rappeler ici, comme membre d’un
conseil communal et d’un comité d’instruction communale. C’est à mon initiative
qu’est due la reprise de l’enseignement religieux dans un collège où il avait
été longtemps abandonné. Je pourrais dire que dans le choix des professeurs,
dans toutes les mesures réglementaires d’instruction auxquelles j’ai été appelé
à prendre part, comme conseiller communal ou comme membre du comité
d’instruction, j’ai toujours eu les plus grands égards pour tous les avis
sages, raisonnables qui venaient ou auraient pu venir du clergé. Je dirai plus
: chaque année, comme membre du conseil communal, je vote un subside pour
l’école des frères de charité, qui est en concurrence avec les écoles de la
ville. Je blâmerais, dans les écoles un système d’hostilité contre le clergé ;
je le blâmerais comme contraire à l’ordre social, comme pernicieux, comme
absurde. Je désire donc le concours du clergé ; mais j’ajouterai que je le
désire à des conditions raisonnables ; je ne le veux pas â tout prix. Vous
désirez l’influence de la religion dans les écoles du peuple ; vous en sentez
toute l’importance. Mais vos vœux ne se bornent sans doute pas là. Vous voulez
aussi l’influence de la religion dans les familles, dans les ménages du peuple.
Est-ce à dire pour cela que vous vouliez donner au clergé la domination de la
famille, un pouvoir absolu sur le ménage. Si, après que la loi aura établi des
conditions raisonnables, le clergé refuse son concours, ma conscience est à
l’aise ; à lui la responsabilité. Je n’y puis rien ; je ne puis faire le mal
pour amener le bien.
Je ne
veux pas que l’autorité religieuse ait un pouvoir absolu sur les écoles ; je ne
veux pas qu’une école puisse être détruite par les caprices ou par des
exigences injustes de l’autorité religieuse.
Les
membres du clergé sont très respectables en général ; mais ils sont hommes ;
ils font partie d’un corps. Comme hommes, comme membres d’une corporation, ils
sont sujets à des erreurs, à des passions. L’histoire le montre, et quand nous
n’aurions pas l’histoire, il y a dans le temps présent quelques fautes qui nous
le démontreraient. Je ne puis soumettre mon pays à toutes les chances de ces
erreurs. Nous avons fait une constitution ; nous avons fait une multitude de
lois contre les fautes de l’autorité civile. Mais il n’y a pas de constitution,
il n’y a pas une disposition de loi contre les fautes de l’autorité religieuse.
On cite des pays où l’autorité ecclésiastique exerce une grande influence sur
l’instruction. Mais on oublie de dire que dans ces pays le clergé est dans une
positon subalterne, qu’il agit dans la sphère du pouvoir et sous le pouvoir.
Dans certains pays qu’on cite, son intervention dans l’instruction, loin d’être
considérée comme un droit indépendant, est un devoir qu’on lui impose, un
devoir auquel il n’a pas le droit de se soustraire.
Pour
dire mon opinion tout entière sur la matière qui nous occupe, j’avancerai que,
sur l’importance de l’instruction primaire, je ne partage pas entièrement
l’opinion qui semble adoptée aujourd’hui dans des rangs très opposés. Je ne
crois pas que l’instruction primaire, telle au moins qu’à cette époque on peut
la donner dans la plupart des communes de
Quel
est aujourd’hui l’état de l’instruction primaire en Belgique ? Ce serait une
question très intéressante à résoudre, mais malheureusement très difficile. M.
le ministre de l’intérieur nous a donné beaucoup de détails statistiques. Je
voudrais qu’ils fussent tous bien certains, bien concluants. D’après son
rapport, il y a aujourd’hui un individu sur neuf qui fréquentent les écoles. Je
crois qu’on estime en Allemagne la population en âge de suivre les écoles au
sixième de la population totale. Si nous avons un écolier sur neuf habitants,
il s’ensuivrait que sur trois habitants deux savent lire. Mais ces
renseignements, malheureusement nous ne pouvons pas y avoir une confiance
entière, Il y a en Belgique un très grand nombre d’institutions privées où
l’autorité n’a aucun moyen de contrôle pour la vérification du nombre des
élèves. Vous concevez que les instituteurs à qui on s’adresse ne diminuent pas
en général le nombre de leurs élèves quand ils en parlent. Il y a en outre dans
les campagnes des écoles fréquentées seulement pendant quelques mois de
l’année. Les états statistiques ne peuvent tenir compte de cette circonstance.
Il y a de plus un grand nombre d’écoles communales. Quelquefois elles sont
comprises dans les renseignements statistiques, quelquefois elles ne l’y sont
pas. Vous savez que ce sont des écoles fréquentées seulement le dimanche
pendant quelques heures par les élèves.
La
députation permanente de
« Quelque
satisfaisantes que puissent paraître ces données, il ne faut pas en inférer que
l’instruction primaire soit en voie de progrès. Le défaut d’instituteurs
capables ; l’absence de bonnes méthodes d’enseignement, voilà les circonstances
qui empêchent en partie le succès des louables efforts que l’on ferait pour
propager le bienfait de l’instruction.
« Vous
n’ignorez pas que les relevés statistiques ne sont pas des preuves tout à fait
concluantes du plus ou moins de prospérité de l’instruction publique.
D’ailleurs nous sommes loin de pouvoir garantir l’exactitude des chiffres posés
plus haut : ils ne sont que le résultat des indications données par les
autorités locales qui toutes n’apportent pas dans la formation des tableaux la
même exactitude et la même attention. Les uns assimilent aux écoles communales
les ateliers de travail ; d’autres comprennent dans leurs relevés les écoles
dominicales, tandis qu’ailleurs ou ne les considère pas comme des
établissements d’instruction primaire. »
Voilà
ce que dit la députation de ma province sur ces données statistiques. Voici
encore ce qu’elle disait à cet égard l’année précédente sur les instituteurs,
sur l’état de l’instruction :
«
Beaucoup d’instituteurs nommés depuis la révolution sont choisis, il faut bien
le reconnaître, plutôt par des considération de faveur qu’en récompense de leur
zèle et de leurs connaissances. D’autres, qui se signalent par leur mérite,
placés sous le coup de la toute-puissance des conseils communaux, sont exposés,
chaque année, à se voir enlever leurs moyens d’existence, par un vote injuste
ou capricieux. Des hommes capables et d’une conduite régulière ont préféré
quitter la carrière de l’enseignement et ont été remplacés par des instituteurs
moins dignes et moins éclairés.
« Les
moyens que nous avons à notre disposition pour porter remède au mal sont
inefficaces, Il est plus que temps que le législateur donne ses soins à un
objet d’un intérêt aussi majeur. »
Je n’ai
pas pu vérifier les autres exposés de situation pour les diverses provinces du
royaume ; mais vous voyez que nous devons mettre certaine réserve dans
l’opinion que nous nous formons sur les données statistiques qui nous sont
communiquées.
Il y a
dans le rapport de M. le ministre de l’intérieur un document qui a un caractère
peut-être plus certain. M. le ministre donne pour quatre provinces le relevé
des miliciens de 1841 et de 1837 qui savent lire et écrire. Jusqu’à un certain
point ceci est un résultat. Nous n’avons plus là des enfants qui vont à
l’école, mais des hommes faits qui y ont été et dont on cherche à constater le
savoir.
Or,
voici ce qu’il résulte de ce rapport, de ces chiffres pour 1841. Pour mieux
vous faire apprécier les effets de l’instruction primaire, je donnerai le
nombre d’hommes qui savent à la fois lire, écrire et compter. Ce n’est pas être
trop exigeant que d’appeler cela l’instruction primaire. Dans la province
d’Anvers, sur 100 miliciens 22 seulement savaient en 1841 lire, écrire et
compter. Dans la province de Brabant, 31 seulement sur 100 savaient lire,
écrire et compter ; dans le Limbourg, 20 seulement sur 100 ; dans la province
de Namur qui est celle où il y a le plus d’instruction, 31 sur 100.
Vous
voyez, messieurs, que c’est peu ; cela fait, pour quelques provinces, moins
d’un tiers, quelquefois seulement le cinquième. Et cependant il y a tout lieu
de croire que ces chiffres mêmes sont exagérés. Car comment se les procure-t-on
? Vous comprenez que ce n’est pas. en faisant subir à chaque individu un examen
minutieux ; je ne crois pas que le bourgmestre ou le conseil de milice procède
à un examen de ce genre. On demande sans doute à l’individu : savez-vous lire,
écrire et compter ? Et comme on n’aime guère à confesser son ignorance, dans
les cas douteux, la réponse sera plutôt affirmative que négative ! Il est donc
très probable que les chiffres que je viens de citer vont encore au-delà de la
vérité. Vous avouerez que cette situation de l’instruction primaire en Belgique
n’est pas bien brillante ; s’il n’y a que trente jeunes gens et quelquefois
même vingt sur cent qui sachent lire, écrire et compter on peut dire que
l’instruction primaire n’est pas en état de prospérité, et qu’il reste des
efforts à faire pour ses progrès.
On fait
à la vérité, dans le rapport, la remarque qu’il s’agit des miliciens de 1841,
et que par conséquent, ce sont les jeunes gens qui ont suivi les écoles pendant
les années 1831 à 1836 ; mais si on a recours aux tableaux statistiques, on
verra que, pour l’époque de 1831 à 1836, ils ressemblent beaucoup à celles de
1836 à 1841 ; car si aujourd’hui on compte dans les données statistiques un
habitant sur 9 élèves d’école, on en comptait de 1831 à 1836 1 sur 10, voyez
que les choses ne peuvent être fort différentes aujourd’hui de ce qu’elles
étaient alors.
Si on
demande pourquoi, ayant un si grand nombre d’écoles, un si grand nombre
d’élèves qui les fréquentent, l’instruction primaire a eu de si faibles
résultats, ce doit être parce que l’enseignement est mal donné, parce que les
instituteurs sont peu capables ou que les méthodes laissent à désirer. Je
crois, quant à moi, qu’une partie du mal peut être attribuée aux nombreuses
écoles privées qui existent dans les villages, et dans lesquelles l’instruction
est insuffisante.
Je laisse
à l’examen du projet. Quel en est le système ? quelle part fait-il à chaque
pouvoir dans le système général qu’il propose ?
On a
dit souvent avec raison que l’instituteur, c’est presque tout l’enseignement.
La nomination de l’instituteur est donc la chose plus importante dans
l’instruction primaire. A qui le projet abandonne-t-il la nomination des
instituteurs primaires ? à l’administration des
communes, quelles qu’elles soient, sans contrôle d’aucune espèce de la part
d’aucune autre autorité civile ou sans aucune garantie. Le conseil communal de
la plus pauvre commune peut nommer comme instituteur le premier venu, et comme
le disait, ainsi que j’ai eu l’honneur de le lire tout à l’heure, une
députation de province, cet instituteur pourra être nommé par faveur, non en
raison de son mérite, de son aptitude. N’importe ; le projet accorde dans tous
les cas à la commune, si petite, si pauvre, si peu éclairée qu’elle soit, la
nomination de l’instituteur. Vous voyez, messieurs, qu’il y a une différence très
grande entre la loi actuelle et la loi de 1834. Pour l’avenir de l’instruction
primaire, je regarde cette différence commue extrêmement importante, comme
radicale. L’influence provinciale est tout d’un trait exclue de l’instruction
primaire par le nouveau projet. Et cependant, messieurs, je le répète, s’il est
une influence modératrice, une influence sage ; s’il est une influence non
politique qui a mérité la confiance en cette matière, c’est le pouvoir
provincial.
On crée
à la vérité deux inspecteurs, un inspecteur civil, et parallèlement un
inspecteur ecclésiastique. Mais, messieurs, qu’est-ce que cet inspecteur civil
? Jamais loi n’a créé un pareil fantôme de pouvoir. Quelles sont les fonctions
de cet inspecteur nommé par le gouvernement du Roi ? La loi dit qu’il se met en
rapport avec la commune ; il visite l’école, il tient note de la capacité des
instituteurs. Mais que fait-il s’il trouve certains instituteurs incapables ?
La loi lui dit de réunir les instituteurs pour les exciter, pour les provoquer
à des améliorations. Mais s’ils ne veulent pas, si ces excitations demeurent
sans résultat, que fait-il ?
L’inspecteur
est cantonal, et tous les inspecteurs cantonaux se réunissent sous un
inspecteur provincial. Mais l’inspecteur provincial que fait-il ? Il visite les
inspecteurs cantonaux, et puis il fait des rapports au ministre. Les
inspecteurs provinciaux se réunissent auprès du ministre et pourquoi ? Pour
provoquer des améliorations. Et si on ne suit pas ces améliorations ?... néant
! rien ! C’est un pouvoir qui a la faculté
d’ouvrir les yeux, d’écrire, et puis de se croiser les bras. Et voilà pourquoi
on fait intervenir la province..
A côté
de cet inspecteur paraît l’inspecteur ecclésiastique. Celui-là, on lui donne
d’abord la mission d’approuver les livres. On ne peut enseigner que dans des
livres approuvés par l’inspecteur ecclésiastique. On croirait après cela que ce
serait chose bien naturelle, bien inoffensive que de laisser approuver aussi
les livres par l’inspecteur civil. Non, c’est à l’inspecteur ecclésiastique
seul que ce pouvoir est réservé.
Messieurs,
nous avons entendu hier ce que l’art. 21 faisait de l’inspecteur ecclésiastique
; nous verrons demain ce que le nouvel amendement veut en faire ; Mais toujours
est-il que l’art. 21 expliqué hier par M. le ministre, donnait à l’inspecteur
ecclésiastique un droit absolu sur l’école, c’est-à-dire qu’aussitôt que
celui-ci se retirait, l’école devait tomber ; la commune elle-même ne pouvait
plus accorder de subside à sa propre école.
Mais
désormais, vous dit-on, il y aura concordance parfaite, nous serons dans la
plus parfaite unanimité ; nous voudrons tout ce que le clergé voudra, et le
clergé voudra tout ce que nous voudrons ; nous allons, à partir de la loi,
entrer dans une harmonie complète. Messieurs, il y a malheureusement des
antécédents. Vous savez qu’un membre de l’épiscopat, à la franchise duquel je
rends hommage, a érigé en principe que le clergé ne pouvait accorder son
concours à une école que là où il participait à la nomination des instituteurs.
N’est-il pas certain que ce membre de l’épiscopat doit dans son diocèse, sous
peine de se donner un démenti à lui-même, refuser son concours, là où il ne
participe pas à la nomination de l’instituteur ?
Vous en
doutez, je vois qu’on fait un signe négatif. Je tiens en main une brochure qui
passe généralement pour être plus ou moins soumise à l’influence de l’honorable
membre de l’épiscopat dont je viens de parler. Et qu’est-ce que je lis à propos
de la discussion du projet qui nous occupe, dans un article que plusieurs
personnes croient pouvoir attribuer à l’auteur des vrais Principes en matière
d’instruction, J’y lis :
« On
remarque dans tout le projet la prépondérance exclusive du pouvoir civil. C’est
lui qui règle tout, qui exécute tout. Avec cette absence d’action légale
efficace de la part du pouvoir ecclésiastique, on verra bientôt que les
ministres du culte catholique seront forcés, surtout dans les villes où le
pouvoir civil n’est rien moins que favorable au clergé, d’abandonner la
surveillance et l’inspection des écoles. »
Ainsi,
messieurs, vous ne serez pas pris au dépourvu ; on vous a prévenus : comme il y
a absence d’action légale efficace, le clergé se retirera, et des lors, si sa
retraite entraîne la chute de l’école, vous voyez que vous lui aurez donné sur
l’instruction primaire un pouvoir sans bornes.
Voici,
messieurs, quels sont d’ailleurs les exigences de l’auteur de l’article :
« Les
moyens d’avoir des écoles primaires véritablement catholiques, sont :
« 1°
Que l’enseignement de la religion et de la morale (base de l’instruction) y
soit donné sous la direction des ministres du culte catholique (le projet
l’accorde), et que cette direction soit vraiment efficace (le projet n’en dit
mot) ; que les ministres du culte catholique exercent la surveillance, quant à
l’enseignement religieux (le projet l’accorde encore), mais qu’ils exercent
cette surveillance d’une manière efficace et surtout à l’égard des instituteurs
(le projet n’en dit mot) ; que les ministres du culte catholique et les délégués
du chef de ce culte aient en tout temps le droit d’inspecter l’école (le projet
l’accorde), et de prendre des mesures efficaces pour le bien-être religieux des
écoles (le projet n’a dit rien) ;
«2° Que
les livres employés dans l’école soient soumis à l’approbation ecclésiastique,
eu ce qui concerne la morale et la religion (le projet l’accorde), et que
l’autorité ecclésiastique veille efficacement à l’observation de ce point (ce
projet n’en dit mot) ;
« 3°
Que les instituteurs soient catholiques, catholiques de principe et de
pratique. »
Et puis
un peu plus bas :
« Comment
s’assurer s’il est catholique (l’instituteur). Si après avoir donne des preuves
de son catholicisme, il s’oublie, à qui appartient-il de le révoquer ? Et si
l’instituteur n’est pas ce qu’il doit être, tous les autres moyens imaginables
resteront sans fruit, ils seront nuls. »
Ainsi,
vous voyez, messieurs, que ce n’est pas seulement une participation à la
nomination que l’on réclame, mais que c’est aussi le droit de révocation.
Vous
voyez donc que l’on a eu tort de croire qu’il y aura inaltérable harmonie une
fois que le projet sera adopté, qu’aucun membre du clergé ne voudra plus autre
chose que ce qui est dans le projet de loi.
Messieurs,
j’ai été surpris d’entendre M. le ministre de l'intérieur dire qu’il avait
complété le projet de 1834 ; qu’il avait fait au pouvoir central une part que
le projet de 184 ne lui avait pas faite ; mais quelle part ? Le projet de 1834
donnait au pouvoir central trois écoles normales ; M. le ministre de l’intérieur
en réduit le nombre à deux ; le projet de 1834 donnait au pouvoir central une
école modèle par arrondissement judiciaire ; M. le ministre de l’intérieur
réduit les écoles modèles à celles qui existent aujourd’hui. Qu’est-ce que M.
le ministre de l’intérieur donne au pouvoir central ? un inspecteur sans
pouvoir, une ombre d’autorité ; un inspecteur suppliant. Et que fera cet
inspecteur si ses observations ne sont pas suivies ? On lui laissera
probablement la ressource de se retirer ; il pourra refuser son concours, et
par suite de l’article 21 les subsides seront retirés, et l’école tombera.
Ainsi,
quand il y aura une école où l’instruction sera insuffisante, il restera au
pouvoir central la faculté de la tuer. Voilà la part que M. le ministre de
l’intérieur se glorifie d’avoir faite du pouvoir central par-delà ce qu’avait
fait le projet de 1834.
Il ne
manquait, messieurs, à de pareils principes que d’être érigés en doctrine, et
vraiment après les discours que nous avons entendus hier sortir de la bouche
d’un membre du gouvernement, il ne reste sous ce rapport plus rien à désirer ;
ces discours sont dignes de figurer dans l’histoire du pouvoir en Belgique,
comme preuve de la dignité de ceux qui le représentent en ce moment.
Il y a
plus, messieurs, C’est que l’intervention si utile du pouvoir provincial dans
la surveillance et l’administration des écoles se trouve annulée. Que devient
le pouvoir provincial, qui a si peu fait pour se rendre digne d’une pareille
mesure ? Il est réduit au rôle de caissier ; il paye.
Messieurs,
je n’ai fait qu’esquisser les traits principaux du projet de loi. Resteront les
détails, restera l’art. 5 dont je pourrai m’occuper ultérieurement, mais sur
lequel je ne consens pas à concentrer toute mon attention, car toute la
question n’est pas là. La question soulevée par l’art. 5 est grave sans doute,
mais je le répète, toute la loi n’est pas là, et il restera à y examiner
l’influence des diverses articles dont la portée n’a peut-être pas encore été
aperçue par plusieurs d’entre nous : il restera à voir dans quelle position se
trouveront surtout les écoles communales, à côté desquelles se trouvera une
école privée dirigée par un membre du clergé qui décidera de l’existence de
l’école rivale. Il restera aussi, messieurs, à voir quelle sera l’influence de
l’art. 18. D’après cette disposition, les communes dont les ressources sont
insuffisantes ne s’adressent pas, pour recevoir un subside, à la province,
comme elles le font aujourd’hui ; avant de s’adresser à la province où à l’Etat
il faut qu’elles établissent des centimes additionnels sur les contributions
directes payées par leurs habitants. Vous pouvez comprendre quelle sera
l’influence de cette disposition sur les écoles communales ; d’abord, si je ne
me trompe, presque tous les subsides accordés aujourd’hui par les provinces ou
par l’Etat sont de fait supprimés, attendu qu’il est très peu de communes qui
aujourd’hui remplissent cette condition ; il faudra donc que les communes qui
veulent continuer à recevoir un subside pour leurs écoles, commencent par
établir les centimes additionnels sur les contributions directes. Or, tous ceux
d’entre nous qui ont été membres, soit d’un conseil communal, soit d’un conseil
provincial, savent quelle répugnance extrême on y rencontre, quand il s’agit
d’établir des centimes additionnels. Quand une commune se trouvera placée dans
l’alternative de devoir ou adopter une école privée, même mauvaise, qui se
trouvera dans son sein, ou d’établir des centimes additionnels, ne voyez-vous
pas quelle force la poussera â abandonner l’école communale ; ne voyez-vous pas
aussi quelle force poussera les conseils provinciaux à dire aux communes :
contentez-vous des écoles privées qui existent chez vous plutôt que d’établir
des centimes additionnels, et de nous forcer à en établir de notre côté ?
Je ne
veux pas, messieurs, prolonger cette discussion de détails ; je crois que ce
que j’ai dit suffit pour faire voir qu’il y a dans le projet beaucoup de
dispositions qui méritent d’être mûrement examinées, Je vous dirai franchement
qu’au projet actuel, quand je l’envisage dans toute sa portée, et tel qu’il
nous a été proposé par la section centrale, je préfère l’application pure et
simple des principes professés dans la brochure des vrais Principes sur
l’instruction primaire ; car si je vois dans ces Principes le même
assujettissement de l’autorité civile à l’autorité ecclésiastique, j’y vois
aussi que l’auteur de cet écrit n’a pas pensé que le législateur doive être
sans souci aucun des progrès de l’enseignement. Il n’abandonne pas la
nomination des instituteurs, sans garantie, sans contrôle à des hommes qui ne
sont pas capables de faire de bons choix, il veut, lui, des certificats de
capacité. S’il y a, de part et d’autre, le même assujettissement de l’autorité
civile à l’autorité religieuse, il y a de plus dans le système du chef du
diocèse de Liége certaines dispositions en faveur du progrès de l’instruction
primaire qui manquent au projet de loi.
Messieurs, je m’arrête pour aujourd’hui ; j’ai
seulement voulu exposer quelle est, à mes yeux, la portée des dispositions
principales du projet. Les faire connaître, les
dégager de ce qu’elles ont d’obscur ou d’équivoque, suffit pour les
faire apprécier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs,
je ne veux point anticiper sur les discussions de détails ni revenir sur le
débat qu’a soulevé hier l’art. 21. Je dirai seulement dès aujourd’hui, qu’il
faut distinguer entre le droit d’abstention du clergé et les conséquences de
cette abstention. Le droit d’abstention appartient au clergé, nous ne pouvons
pas le contester, mais quelles seront les conséquences de cette abstention ?
Ici je n’ai pas dit que dans tous les cas l’abstention du clergé entraînerait
le retrait des subsides ; il suffit, messieurs, de lire le passage de mon
discours, qu’a cité tout à l’heure l’honorable préopinant, il y est dit :
« les conséquences souvent inévitables de l’abstention » ; et je n’ai
pas dit : « les conséquences dans tous
les cas inévitables de l’abstention. » Du reste, la discussion nous
offrira assez l’occasion d’éclaircir cette partie de la question. Je me borne
aujourd’hui à vous indiquer cette distinction importante ; le clergé a
incontestablement le droit d’abstention ; mais quelles seront les conséquences
de cette abstention ? est-ce que dans tous les cas elle entraînera pour
sanction le retrait des subsides ?
Je
regrette, avec l’honorable préopinant, que le rapport de la section centrale se
soit fait attendre pendant 7 ans. Sans doute, si le projet de 1834 avait été
voté à l’époque où il a été présenté, il aurait reçu son exécution, mais dès le
lendemain on aurait rencontré des difficultés non insurmontables sans doute.
Sept années se sont écoulées, ce projet est presque calqué sur la loi française
; lisez tout ce qui se publie en France, non pas par le clergé français
seulement, mais ce qui se publie par les hommes qui n’appartiennent pas au
clergé français ; lisez les mémoires qu’a couronnés l’académie des sciences
morales et politiques de Paris, et vous verrez que cette loi du 28 juin l833
est très sévèrement jugée, même par ceux qui l’ont faite. Je dois supposer que
l’honorable préopinant s’est arrêté à l’année 1834, et qu’il n’a pas consulté
les documents de plus d’un genre, des écrits émanés de toutes les opinions et
où il est rendu compte de l’exécution de cette loi.
Je ne
pense pas que les membres de la commission de 1834 aient des prétentions à
l’infaillibilité ; que ce soit manquer à aucun d’eux que de supposer qu’on peut
aujourd’hui faire mieux, faire quelque chose de plus , faire autrement que ce
qu’on proposait en 1834.
L’honorable
préopinant nous reproche d’abord de ne pas nous être occupés d’une question
extrêmement grave, la nomination des instituteurs ; mais l’honorable préopinant
perd de vue un fait fort important qui a été signalé bien des fois, c’est que
la loi communale a tranché cette question par l’article 84, n. 6. La loi
communale porte que les conseils communaux nomment les instituteurs ; la loi
communale porte que les conseils communaux dirigent les établissements
communaux. La loi de 1834 consacrait le même principe avec des restrictions ;
ces restrictions ne se trouvent pas dans la loi organique de 1836. (Réclamations.)
Pense-t-on
qu’on puisse apporter aujourd’hui, par une loi spéciale sur l’enseignement, des
restrictions à l’exercice d’un droit de nomination, donnée d’une manière
absolue au conseil communal, par l’art. 84 de la loi communale ? C’est une
question à examiner, mais je dis qu’il y avait chose jugée, dans ce sens que le
droit de nomination, attribué au conseil communal, est écrit d’une manière
absolue dans une loi organique postérieure à la présentation du projet de loi
de 1834. (Interruption.)
Il
s’agit, me dit-on, dans la loi d’organisation communale, des établissements
proprement communaux, ne recevant de subsides d’aucune autorité, et non pas des
établissements mixtes, c’est-à-dire, ceux qui reçoivent des subventions. Les
membres qui m’interrompent n’ignorent pas quelles sont les difficultés que
précisément cette distinction a soulevées. Dans la plupart des villes du
royaume où l’Etat accorde des subsides aux établissements communaux, le conseil
communal n’en a pas moins prétendu qu’il avait le droit de nommer les
instituteurs, aux termes de l’art. 84 de la loi de 1836.
Nous
avons donc cru que nous pouvions respecter l’art. 84 de la loi de 1836, et si
nous ne l’avions pas respecté, nous aurions peut-être été exposés à un autre
genre de reproche ; ou nous aurait peut-être accusés de porter de nouveau la
main sur la loi d’organisation communale, d’entamer à dessein le principe de
nomination attribué d’une manière absolue au conseil communal, pour arriver par
transition à une autre doctrine, celle qui a été professée par un honorable
membre de l’épiscopat ; nous avons tellement voulu éloigner la possibilité de
l’introduction de cette doctrine dans la loi nouvelle, que nous avons craint de
toucher à l’article 84 de la loi communale, ne fût-ce que pour y mettre les
restrictions au profit de la députation permanente ou du gouvernement lui-même.
Nous
avons donc eu en vue d’écarter un autre genre d’accusation, et si l’on veut, un
autre genre de tentation. (Mouvement.)
Nous
avons conservé au gouvernement central tout ce que le projet de 1834 lui
accorde ; nous lui avons fait, en outre, une part qui ne se trouve pas dans ce
projet.
L’honorable
préopinant trouve que la part nouvelle faite au gouvernement se réduit à rien,
et qu’on a même retiré au gouvernement central ce qui lui offrait le projet de
loi de 1834. Voyons jusqu’à quel point la comparaison faite par l’honorable
préopinant est exacte.
D’après
le projet de 1834, le gouvernement avait le droit d’établir et de diriger trois
écoles normales ; il avait, en outre, la faculté d’établir une école primaire modèle
par arrondissement. C’est tout ce que le projet de 1834 donne au gouvernement
central.
Ne lui
a-t-on pas conservé ces deux droits ? Non, dit l’honorable préopinant ; au lieu
de trois écoles normales, on n’en propose maintenant que deux. Mais, messieurs,
c’est là un détail d’un ordre tout à fait secondaire ; je demande si c’est dans
une différence numérique aussi peu importante qu’on peut trouver un grief
fondamental contre le projet de loi qui vous est actuellement soumis.
D’après
le projet de 1834, le gouvernement avait le droit d’établir, aux frais de
l’Etat, une école primaire modèle par arrondissement. Je dis, messieurs, que
cette disposition, comme presque toutes les dispositions du projet de 1834, est
beaucoup trop vague ; il y a des arrondissements qui renferment plusieurs
villes importantes, et où plus d’une école primaire modèle peut être nécessaire
; dire d’une manière absolue : il y aura une école primaire-modèle, aux frais
du gouvernement, dans chaque arrondissement, c’est dire tantôt trop et tantôt
trop peu.
Nous
avons dit que l’on maintiendrait les écoles-modèles là ou elles existent, et
qu’en outre le gouvernement aurait le droit d’établir, avec le concours des
communes, des écoles primaires supérieures, institutions que l’honorable préopinant
a complètement passées sous silence.
Nous
avons dit que les écoles primaires supérieures seraient établies avec le
concours des communes, parce que nous voulons une loi pécuniairement
exécutable, financièrement possible ; or, la disposition du projet de 1834, qui
autorisait le gouvernement à établir aux frais du trésor public seul une école
primaire modèle ou supérieure par arrondissement, était, selon nous, une
disposition financièrement inexécutable.
Nous
disons donc : maintien des écoles primaires entretenues aux frais exclusifs de
l’Etat là où elles existent, établissement d’écoles primaires supérieures qui,
par l’adjonction de cours normaux, deviennent des écoles primaires modèles ;
mais établissement de ces écoles primaires supérieures avec le concours des
communes. Nous ne disons pas que ces écoles primaires supérieures seront
établies, une par arrondissement ; on les établira là où le besoin des
localités s’en fera sentir et où le concours pécuniaire de la commune sera
offert au gouvernement.
Je dis
que nous avons conservé en premier lieu au gouvernement central tout ce que lui
offrait le projet de 1834, quant à l’établissement d’écoles normales, et quant
à l’érection ou au maintien d’écoles primaires modèles ou supérieures.
Nous
avons, en outre, rattaché l’enseignement primaire au gouvernement central.
L’enseignement primaire n’avait qu’un caractère communal et provincial, d’après
le projet de 1834 ; nous l’avons rattaché au gouvernement central, et nous
avons par là donné à l’instruction primaire un caractère véritablement
national.
Nous
avons cru qu’il entrait dans la mission du gouvernement central de s’occuper de
l’enseignement primaire plus que ne le supposait le projet de 1834.
L’honorable
préopinant a singulièrement, je puis le dire, travesti cette partie du projet.
Selon lui, les inspecteurs ne sont rien ; mais je lui dirai que les inspecteurs
seraient nécessaires, ne fût-ce que pour rendre possible l’exécution de la
disposition du projet de 1834 relative aux subsides.
L’honorable
membre a cité plusieurs fois le rapport décennal que j’ai eu l’honneur de vous
soumettre, travail dont j’ai été le premier à reconnaître toute l’imperfection.
Mais pourquoi ce travail n’est-il pas meilleur ? Pourquoi ne présente-t-il pas
un caractère d’une plus grande authenticité ? C’est qu’aujourd’hui le
gouvernement ne pense s’enquérir en quelque sorte qu’officieusement,
indirectement de l’état de l’instruction primaire. (C’est vrai.)
Si
l’inspection cantonale et l’inspection provinciale viennent à être organisées
comme le propose le projet de loi, rien ne sera plus facile que de vous donner
des rapports exacts officiels sur l’état de l’instruction primaire.
Les
inspecteurs surveillent ; ils rendent compte au gouvernement de l’état des
écoles, et c’est d’après leurs rapports que le gouvernement se détermine dans
l’impulsion qu’à son tour il donne aux députations permanentes et aux conseils
communaux.
Les
inspecteurs ne peuvent faire autre chose que de recueillir des renseignements
et d’en rendre compte à l’autorité de laquelle ces fonctionnaires relèvent ;
ils ne peuvent guère avoir d’autres attributions.
J’ai
dit, sans vouloir dénigrer le projet de 1834, car ce n’est pas moi qui suis et
suivrai jamais dans cette chambre un système de dénigrement ; j’ai dit que ce projet
était incomplet. Des le premier jour que je me suis mis en rapport avec la
section centrale, j’ai déclaré que, dans mon opinion, en faisant la part des
questions décidées par la loi d’organisation communale, on pouvait maintenir
comme base le projet de 1834 et le développer, l’organiser.
Hier,
je vous ai dit quels étaient les quatre principes fondamentaux de ce projet ;
je vous ai démontre et l’honorable préopinant aurait dû entreprendre la
démonstration contraire ; je vous ai démontré que ces principes manquaient de
moyens d’exécution. Il suffit, en effet, de comparer les deux projets. Les
quatre principes les voici :
1°
Obligation pour chaque commune d’avoir au moins une école.
De
quelle manière cette obligation était-elle réalisée dans la pratique par le
projet de loi de 1834 ?
2°
Obligation de donner gratuitement l’instruction aux enfants pauvres de la
commune.
Vous
connaissez maintenant, messieurs, la grande question que soulève l’application
de ce principe. Mais si la loi de 1834 avait été votée comme elle avait été
proposée, le lendemain même, on aurait été arrêté dans l’exécution de la loi ;
on se serait demandé : Comment exécuter cette disposition de la loi ?
3°
Nécessité de la réunion de la morale et de la religion.
Quel était,
dans le projet de loi de 1834, l’autorité appelée à servir de médiateur pour
assurer l’exécution de cette disposition ? Rien n’est prévu sous ce rapport.
4°
Obligation pour la commune de faire les frais de son école ; nécessité
de-prouver l’insuffisance de ses ressources pour obtenir subside.
Ce
principe, nous avons également cherché à le rendre susceptible d’exécution.
Continuera-t-on à accorder en aveugle et sans règles subsides à toutes les
communes ? Ne fait-il pas une règle qui établisse que la commune a fait tout ce
qu’elle pouvait faire et que c’est au trésor public à intervenir ?
Je
maintiens donc, je ne dirai pas le reproche, car je ne fais de reproche à
personne, mais je maintiens la critique que je me suis permis de faire du
projet de 1834. Ce projet posait quatre grands principes qui manquaient de
développement. Qu’on me prouve que ces principes étaient posés d’une manière
complète et que les moyens d’exécution étaient indiqués dans le projet de 1834.
Nous
n’avons pas maintenu le comité local, ni la commission provinciale, deux
institutions que le projet de 1834 proposait ; nous vous avons dit pourquoi.
C’est que ces institutions semblaient faire double emploi avec la députation du
conseil provincial et le conseil communal. La plupart des attributions de la
commission provinciale sont remplies par la députation permanente. Nous n’avons
voulu déposséder personne.
C’est à
tort qu’on a prétendu que la députation du conseil provincial n’aura plus rien
à faire. C’est elle qui fait la plupart des règlements, ou c’est sur son avis
que les décisions sont prises. Je dis au contraire que si on avait maintenu la
commission provinciale à côté de la députation, il eût été impossible d’arriver
à une organisation régulière de l’instruction primaire. Il y aurait eu tant de
frottement entre ces deux autorités qu’il eût été impossible de faire un pas.
Je n’entrerai pas dans d’autres détails. Ils sont réservés pour la discussion
spéciale. Je voulais seulement montrer combien les objections de l’honorable
préopinant contre le projet actuel me paraissent peu fondées, combien peu le
projet de 1835 était susceptible d’exécution sans mesures réglementaires prises
par arrêtés ou par des lois subséquentes. Aujourd’hui que l’expérience nous a
instruits, nous pouvons insérer beaucoup de ces dispositions réglementaires
dans le projet de loi lui-même.
M. Dechamps, rapporteur. - Messieurs, je pourrais me dispenser de vous soumettre les observations
que j’ai à faire en réponse au discours de M. Devaux., parce que chacune des
questions soulevées par lui trouveront mieux leur place lors de la discussion
des articles de la loi. La question religieuse pourrait être ajournée à
l’article 21 ; la question de surveillance qui domine la loi, celle de savoir s’il
faut donner la préférence aux comités ou aux inspecteurs, trouvera sa place
quand nous nous occuperons des articles qui concernent ces objets. Cependant
vous me permettrez d’ajouter quelques réflexions à celles que vient de
présenter M. le ministre de l'intérieur.
M.
Devaux a pris à tâche, et je comprends qu’il y ait mis un amour-propre
d’auteur, d’établir un parallèle entre le projet de 1834 et celui qui vous est
soumis. D’abord relativement à la question principale, à la question
religieuse, je rends grâce à l’honorable membre de l’avoir posée sur un terrain
autre que celui sur lequel cette question avait été placée jusqu’à présent. À
la vérité, l’honorable membre a mis dans la manière de s’exprimer un peu de
cette obscurité qu’il reproche à la rédaction de l’article 21. Cependant je
crois l’avoir assez bien compris pour oser affirmer que le principe de
l’honorable membre n’est pas celui accepté hier par l’honorable M. Dolez et par
ses amis
Hier,
on semblait être d’accord sur les prémisses, on ne niait pas que l’enseignement
religieux ne fût un élément essentiel et obligatoire de l’instruction primaire,
on admettait que l’intervention du ministre du culte pour diriger cet
enseignement, exclusivement de son domaine, était des lors nécessaire au même
titre. Si j ai bien saisi la pensée de l’honorable membre, cette instruction
religieuse et cette intervention du ministre du culte seraient, selon lui,
utiles et désirables, mais elles ne seraient pas obligatoires, elles ne
tiendraient pas à l’essence même de l’école du peuple.
Eh
bien, la discussion sur ce principe a été soulevée aussi dans les deux chambres
françaises en 1833. L’honorable M. Salverte et son
parti soutenaient précisément la doctrine que défend aujourd’hui l’honorable M.
Devaux, tandis que M. Guizot et M. Cousin proclamaient la doctrine que je
professe.
M Salverte et ses amis soutenaient qu’il ne fallait pas que
le curé fût de droit membre du comité local. Il s’opposait à cette admission de
droit non pas à cause des inconvénients qui naîtraient du fait ; mais à cause
du principe que cette admission du droit sanctionnait. Lui aussi disait qu’il
était désirable que l’instruction religieuse fût donnée sérieusement sous la
direction du ministre du culte, mais qu’il fallait laisser à la commune le droit
d’en décider, et non admettre cette intervention comme obligatoire. Ce sont les
mêmes idées qu’a développées l’honorable M. Devaux. M. Cousin s’opposait à
cette doctrine étrange, par ces paroles remarquables :
« Il
ne suffit pas que le curé ou le pasteur puissent être choisis par le conseil
municipal, il faut qu’ils ne puissent pas ne pas l’être ; il faut qu’ils le
soient infailliblement, car ils sont absolument nécessaires à la bonne et
complète surveillance de l’école. L’autorité religieuse doit être représentée
d’office dans l’éducation de la jeunesse, tout comme l’autorité civile. Si elle
n’y était pas, il s’ensuivrait que la partie de l’instruction de l’école que
l’on a mise avec raison à la tête de toutes les autres, serait privée de toute
surveillance.
« Nous
ne voulons pas mêler le moins du monde la religion aux choses de la terre ;
mais il est question ici de la chose religieuse elle-même. Nous sommes les
premiers à vouloir que la religion reste dans le sanctuaire ; mais l’école
publique est un sanctuaire aussi ; et la religion y est au même titre que dans
l’église ou dans le temple. »
D’après
l’interprétation donnée au projet de 1834 par M. Devaux, et qui, je le pense,
ne sera pas acceptée par tous ses anciens collègues de la commission, d’après cette
interprétation, la présence du pasteur dans le comité local n’avait qu’une
utilité relative ; il ne fallait pas qu’il y restât indispensablement comme le
soutenait M. Cousin ; le caractère religieux ne formait pas une condition
essentielle de l’école légale Ainsi, le principe soutenu par l’honorable M.
Devaux est tout autre que celui que j’avais cru adopté hier sans opposition par
la chambre, c’est celui défendu par l’opinion extrême en France et combattu
énergiquement par l’opinion conservatrice.
L’honorable
M. Devaux me place dans une position assez difficile pour lui répondre à
l’égard de la part que nous avons faite dans le projet à l’action communale.
Tantôt il nous reproche d’avoir trop restreint l’action de la commune, de ne
pas avoir admis le principe de la loi de 1834 qui émancipait
toute commune qui jouissait de quelques revenus et d’autre part, il nous fait
un grief d’avoir maintenu la loi communale qui accorde, selon lui, trop de
pouvoir au conseil de la commune dans la nomination et la révocation des
instituteurs.
Je suis
embarrassé de choisir un terrain entre ces deux positions contradictoires, et
j’ignore auquel de ces deux reproches l’honorable membre tient le plus.
L’honorable
M. Devaux, relativement à la question religieuse, a toujours supposé, mais il
s’est bien gardé de le démontrer, que nous demandions pour le clergé un droit
absolu dans l’école. Messieurs, il n’en est rien. Noirs avons demandé dans le
projet le même droit pour l’autorité religieuse que celui qui existe dans
toutes les législations des peuples civilisés. Si le projet de loi consacrait
l’autorité absolue du clergé, ce droit, et je vous ai déjà cité ce fait sur
lequel j’insiste, ce droit existait tout aussi absolu que dans l’ordonnance
française de 1828, ordonnance qui fut accueillie avec acclamation par l’opinion
libérale. Vous vous souvenez tous qu’en
Que
renfermait l’ordonnance de M. Vatismenil ministre
sous le ministère Martignac, en 1828, au moment de la réaction libérale la plus
violente contre le royalisme français ? Cette ordonnance partait qu’une attestation religieuse délivrée par
l’autorité ecclésiastique était obligatoire pour tout candidat instituteur.
Nous
n’avons pas été si loin ; et la garantie renfermée dans l’article 21 n’est pas
aussi absolue. Nous sommes restés bien en deçà de l’ordonnance de 1828,
franchement adoptée par l’opinion libérale comme un bienfait.
Dans la
discussion de la loi de 1833, plusieurs orateurs n’ont-ils pas exprimé le
regret de voir disparaître ce code de l’instruction primaire ? Je pourrais, en
m’armant de ce fait, me livrer à des réflexions pénibles sur l’état des esprits
en Belgique, qui maintenant est tel qu’on ne se contente plus des transactions
de l’opinion libérale en France. On va bien au-delà.
M. Rogier. - Et le projet de loi de 1834 !
M. Dechamps, rapporteur. - J’y arrive.
Le
projet de
Je ne
pense pas que l’honorable M. Devaux puisse aborder franchement ces objections.
En Belgique, où le clergé non seulement ne s’est pas séparé de l’ordre de chose
actuel, mais a tant contribuer à le fonder et à a le consolider, je ne puis
comprendre comment on lui ferait une position inférieure à celle que faisait au
clergé français la loi de 1833, qui, selon l’expression du rapporteur,
s’appuyait trop peu sur celui-ci.
Je puis
concevoir que la commission de 1834 ait pu adopter comme un essai la loi
française, dont l’expérience n’était pas faite, mais ce que je ne conçois pas,
c’est lorsque l’opinion des hommes éclairés en France est unanime à reconnaître
que cette loi n’a répondu sous aucun rapport à ce qu’on était en droit d’en
attendre, lorsque le projet fut abandonné même par ses auteurs et que partout
on en provoque la révision, je ne puis comprendre, dis-je, que l’honorable M.
Devaux vienne dire : « J’ai adopté en 1834 ce projet ; on n’en veut plus
en France, un progrès sensible s’est opéré dans les idées, l’expérience a parlé
hautement, mais néanmoins je persiste à le maintenir. Je reste à 1834 ; je ne
bouge pas de là ! »
En
dehors du défaut capital du projet dé 1834, et dont je viens d’entretenir la
chambre, vous me permettrez, messieurs, de vous en signaler deux autres.
D’abord le système des comités avait été préféré au système d’inspectorat, d’un
autre côté le projet avait un caractère trop communal, trop provincial ; le
gouvernement n’y avait qu’une influence trop secondaire. L’honorable M. Devaux
a essayé de justifier le système des comités. Il nous a dit que le système
adopté en Allemagne, où l’instruction primaire est florissante, repose sur
l’organisation des comités.
Mais
une grande différence existe. En Allemagne, il y a des comités, ou plutôt des
sociétés d’école, mais à côte et en dessus, il y a l’inspectorat. Je ne puis
comprendre comment l’honorable M. Devaux dont l’esprit est élevé, ait pu
résister a l’opinion si formellement soutenue par M. Cousin dans son ouvrage
sur
L’honorable
M. Devaux demande quelles seront les fonctions des inspecteurs ? ils se
mettront en rapport avec les comités et les instituteurs ; ils feront des rapports
; ils réuniront les instituteurs en conférences cantonales ; ils se réuniront
en commission centrale. Mais, demandez-vous, quelle sera la sanction ? Je vous
demanderai à mon tour quelle est la sanction en Hollande. Les inspecteurs
ont-ils d’autres fonctions que celles que je viens d’indiquer ?
M le
ministre de l’intérieur vous l’a déjà dit, l’inspection aboutit au pouvoir
central ; voilà la sanction. Mais en Hollande le comité central d’instruction,
que nous avons placé, comme en Prusse à côte du gouvernement, n’existe pas
d’une manière obligatoire. Il ne se réunit qu’à des époques indéterminées. Nous
avons donné à cette institution un caractère plus positif, nous avons
perfectionné sous ce rapport le régimes hollandais.
Lorsque
l’organisation hollandaise, en dehors du point de vue religieux, fait l’objet
de l’admiration de toutes les personnes qui se sont occupées de cette matière,
on vient nous demander ce que peut l’inspectorat ?
Notre
projet a une supériorité sur la loi hollandaise. Il manque une chose à
L’honorable
M Devaux a demande pourquoi le projet donnait à l’inspecteur ecclésiastique le
droit d approuver les livres d’école et refusait ce droit à l’inspecteur civil.
D’abord je ferai remarquer à l’honorable membre qu’il a perdu de vue l’art. 10
où ce droit est reconnu ; voici cet article :
« Ces
conférences (présidées par l’inspecteur) auront pour objet tout ce qui peut
concerner les progrès de l’enseignement primaire et spécialement l’examen des
méthodes et des livres employés dans les écoles. »
Ainsi
ce que nous avons accordé à l’autorité ecclésiastique, nous l’avons accordé à
l’autorité civile.
Messieurs,
vous me permettrez de vous soumettre une dernière réflexion. L’honorable M.
Devaux vous a dit : En 1834, les prétentions que l’on affiche aujourd’hui
n’existaient pas ; l’opinion catholique a aujourd’hui d’autres exigences. Elle
se bornait à demander l’autorisation de créer ses écoles libres ; elle
admettait le pouvoir absolu de l’autorité civile dans les écoles établies par
celle-ci.
Messieurs,
je ne puis deviner où l’honorable M. Devaux a été puiser ses doctrines ; car
enfin cette unique prétention que les catholiques, selon lui, avaient, en 1834,
de demander l’autorisation de créer leurs écoles à leurs frais, ils n’avaient
pas besoin de la réclamer, la constitution y avait fait droit, en décrétant la
liberté d’enseignement. D’autre part, le congrès, en exigeant que
l’enseignement donné aux frais de l’Etat fût réglé par la loi, a précisément
voulu empêcher le gouvernement de diriger cet enseignement sans conditions.
Messieurs,
oui, un changement s’est opéré dans l’opinion à laquelle j’appartiens, mais ce
changement est loin de consister en de nouvelles exigences. Il vous souvient
tous des débats qui avaient lieu il y a quelques années entre les diverses
fractions de la chambre. Ces débats, voici quel en était le sens :
En
défiance de ce qui s’était passé sous le gouvernement précédent, et donnant à
la constitution une interprétation franchement libérale, cette opinion
soutenait que comme l’instruction primaire comprend essentiellement
l’instruction morale et religieuse et que le pouvoir civil est incompétent en
cette matière, le gouvernement devait rester neutre en ce qui concerne
l’instruction primaire. Telle était l’opinion défendue alors. C’était appliquer
à la liberté d’enseignement, à l’art. 17 de la constitution, la même idée que
nous professons relativement à la liberté de la presse. Cette opinion, ou une
partie du moins de cette opinion, n’admettait pas plus l’intervention du
pouvoir civil en matière d’instruction primaire qu’elle n’admettait cette
intervention en matière de presse. La lutte, c’était la libre concurrence ;
c’était sur la liberté et sur l’intervention de l’Etat qu’elle était basée. On
disait : Vous, opinion libérale, vous avez la liberté d’enseignement ; vous en
jouissez comme l’opinion catholique. Ne demandons pas d’appui au pouvoir ;
saisissez les mêmes armes, nous acceptons la lutte. Ici était le terrain sur
lequel les partis se trouvaient placés.
Maintenant
une transaction a été acceptée par l’opinion catholique, et nous nous sommes
rapprochés du système professé par l’honorable M. Devaux. Nous acceptons
l’intervention du pouvoir civil, mais à la condition que l’influence religieuse
ne sera pas exilée de l’école. Ce qu’on n’a pas pu admettre, ce que nous n
admettons pas aujourd’hui, et ce que nous n’admettrons jamais, c’est le
principe d’un enseignement purement civil, principe qui a pris naissance dans
les projets de Condorcet et Lepelletier en 1792, et
qui est mort sous l’empire.
Messieurs,
le mal dans cette discussion, c’est que pour quelques-uns cette question, qui
est toute sociale, qui devrait être envisagée à ce seul point de vue, en dehors
des contentions des partis qui n’ont rien à y faire, est acceptée par plusieurs
comme une question politique. La difficulté, c’est la défiance, c’est la
suspicion que quelques membres ont et conservent à l’égard du clergé. Chose
étonnante, lorsqu’en France, en 1833, dans la discussion de la chambre des
députés, cette même défiance était produite à la tribune, il a suffi a
l’honorable M. Guizot, pour toute réponse à ses adversaires, de leur dire :
Mais les objections que vous produisez, savez-vous où elles mènent ? Ce serait une déclaration de suspicion
générale prononcée contre le clergé en France. Est-ce là ce que vous voulez ? Il a suffi à l’honorable M. Guizot
de poser cet argument pour qu’il fût adopté par toutes les opinions sauf les
extrêmes.
Eh bien
! ici dans cette chambre, à l’égard du clergé belge, on avoue la suspicion, on
le proclame. On suppose au clergé des impossibilités, les choses les plus
absurdes, les plus insoutenables. Ici, si M. Guizot était venu vous dire : mais
vos objections ont pour résultat une déclaration de suspicion contre le clergé
belge, beaucoup de membres auraient répondu : Oui, tout réside dans cette
défiance, et nous l’acceptons ! Cela prouve encore une fois qu’une certaine
opinion en Belgique n’est pas l’opinion du libéralisme en France.
Si
j’appartenais à l’opinion qu’on est convenu d’appeler l’opinion libérale (je ne
comprends pas le mot, mais je l’accepte), si j’avais la conviction qu’il est de
l’intérêt du pays que la majorité parlementaire, que le gouvernement
appartienne désormais exclusivement à cette opinion, si je croyais que par là
je donnerais à la nationalité belge un plus ferme appui, que je revêtirais le
gouvernement d’un intérêt moral plus élevé, que je donnerais plus de
consistance aux mœurs du peuple, aux vieilles mœurs belges, si j’avais cette
conviction que je n’ai pas, eh bien, j’inscrirais sur mon drapeau : le prêtre hors des affaires ; je le veux
bien ; mais je lui ouvrirais, j’ouvrirais franchement à son influence les
portes de l’école primaire ; parce que sans le prêtre, il faut bien le dire, il
n’y a pas dans l’école d’éducation morale et religieuse ; elle est impossible
sans lui ; et parce que sans l’éducation morale et religieuse dans l’école, il
n’y a plus de garanties de moralité dans les masses ; parce que, comme le
disait M. Guizot à la chambre des députés, sans l’éducation religieuse et
morale dans l’école, tout développement intellectuel est un immense danger pour
la société.
L’honorable
M. Devaux vous a dit : Mais on exagère l’importance de l’instruction primaire ;
savoir lire, écrire et compter, n’exerce pas sur la société autant d’influence
qu’on le croit.
Oui,
messieurs, s’il ne s’agissait dans l’école que d’apprendre â lire, à écrire et
à compter, cette question ne serait pas aussi importante ; elle ne soulèverait
pas les débats qu’elle a soulevés partout. Mais le danger, c’est précisément
qu’il n’y ait que cela dans l’école primaire ; c’est qu’il n’y ait qu’une
instruction mécanique et dérisoire, que l’éducation y manque.
Eh bien
! si j’appartenais à l’opinion libérale, j’admettrais
franchement l’intervention du prêtre ; je l’admettrais d’une manière
obligatoire, au nom de l’intérêt social. Sans cette intervention, l’instruction
primaire n’existe plus aux yeux de tous les hommes éclairés.
L‘institut
de France, dans le rapport de M. Rossy et de M.
Jouffroy, s’est alarmé en voyant les fruits produits par la loi de 1835, que
vous persistez à vouloir maintenir ici. M. Jouffroy et M. Barrau
ont dit que le germe d’un danger immense était déposé dans cette loi et que ces
germes commençaient à se développer de manière à effrayer tous les hommes
d’ordre. Les économistes français qui se trouvent tous les jours, comme je l’ai
dit ailleurs, en face des classes inférieures de la société, et qui ont pu
apprécier le mal qui les ronge, partagent tous cet effroi.
M.
Villermé ne nous a-t-il pas révélé récemment, au nom de l’académie des sciences
morales et politiques, que ce mal était le manque d’instruction religieuse
morale dans l’école, et que si on ne se hâtait pas d’y porter remède, la
société était en péril ?
Eh
bien, que nous nous nommions catholiques ou libéraux, quel que soit le drapeau
politique sous lequel nous soyons rangés, ne devons-nous pas faire taire nos
fâcheuses dissensions en face d’une question sociale qui doit dominer tous les partis
? N’allons pas, à cause de nos préoccupations politiques, risquer
de tout compromettre, et jeter pour ainsi dire au sort l’avenir du pays.
M. Devaux. - Je demande la parole pour un fait personnel. J’aurai l’honneur de rencontrer
ultérieurement l’honorable M. Dechamps dans plusieurs parties de son discours ;
je n’ai pas dans ce moment le droit de prendre la parole sur le fond de la
question, mais je me hâte de redresser quelques paroles de l’honorable
rapporteur en ce qui concerne mon opinion qu’il a mal comprise.
L’honorable
M. Dechamps vient de citer la discussion de la loi française, dans laquelle un
parti qu’il a qualifié d’extrême a combattu les principes professés par M.
Guizot et par M. Cousin. L’honorable M. Dechamps me range du côté des
adversaires de MM. Guizot et Cousin. Je ne sais si j’ai été fort obscur, comme
il vous l’a dit, ou s’il a été inattentif ; mais je lui ferai observer que dans
cette discussion, MM. Guizot et Cousin soutenaient précisément les dispositions
que j’ai soutenues et qui se trouvent dans le projet de 1834, tandis que M. Salverte et d’autres membres qu’on a qualifiés d’extrêmes
combattaient ces dispositions. Ainsi je vous demande si c’est moi qui suis dans
ce que l’honorable M. Dechamps appelle les extrêmes.
Je n’ai
pas le droit d’en dire maintenant davantage ; un seul mot encore et je finis.
Il est vrai que le projet de 1834 ressemble à la loi française dans quelques
dispositions ; mais sous le rapport principal, celui de l’intervention de l’autorité
provinciale, que consacrait le projet de 1834, il s’éloigne complètement de la
loi française. La loi française ne contient rien de semblable.
Messieurs,
on m’a reproché de faire une question de parti de ce qui était une question
d’ordre social. Je n’ai qu’un mot à répondre, c’est que je suis d’accord sur ce
point avec l’honorable M. de Theux et M. de Gerlache, et je ne pense pas que
nous figurions dans le même parti. Je suis de plus d’accord avec la majorité de
vos sections, et d’après la composition de la section centrale nommée par cette
majorité, si je n’appartiens pas au même parti qu’elle, voilà
comment je fais de cette question une question de parti.
M. Verhaegen. - Messieurs, dans notre séance d’hier,
je me suis borné à vous présenter quelques observations générales ; décidé que
j’étais à réserver les questions de détails pour la discussion des articles ;
mais une observation faite par l’honorable M. Dechamps, et que je ne puis
laisser sans réponse, me force à prendre une deuxième fois la parole.
L’honorable
M. Dechamps vient de vous dire, messieurs, qu’un principe avait été adopté hier
par la chambre tout entière, celui de l’intervention du clergé dans
l’instruction primaire, considéré comme
un droit absolu. Cette assertion tout au moins hasardée m’a singulièrement
étonné : je ne pense pas que la chambre ait adopté jusqu’ici un principe
quelconque et si l’honorable membre juge à propos de donner ce nom à quelques
considérations émises par certains orateurs sur le point principal de la
discussion, je m’empresse de déclarer que moi j’ai énoncé un principe
diamétralement opposé, et que le Moniteur
est là pour le constater ; je tenais à redresser tout de suite cette erreur
pour qu’elle ne s’accréditât point dans le pays. Mes amis et moi nous avons
nettement posé la question, et ce sont nos adversaires qui veulent la tourner
en réduisant la discussion à des jeux de mots, à des équivoques.
Je
pourrais dire à l’honorable M. Dechamps, comme le disait hier l’honorable M.
Dolez à l’honorable M. Dumortier, qu’il se borne à combattre des moulins à
vent. L’honorable membre invoque certains principes sur lesquels nous sommes
d’accord avec lui, sauf que nous rejetons l’application qu’il en fait à
l’espèce. Pour mon compte (et je tiens à le déclarer en face de la nation),
j’admets que l’éducation doit faire partie de l’instruction primaire ; je veux
que l’instruction primaire soit religieuse et morale, mais sur l’étendue et
l’application de ce principe, je ne puis plus admettre l’opinion de l’honorable
M. Dechamps.
L’honorable
membre veut l’intervention du clergé dans l’instruction primaire comme un droit absolu ; moi, je n’en
veux pas comme tel, je m’en suis expliqué hier et je vais m’en expliquer de nouveau
aujourd’hui. L’intervention du clergé dans l’instruction primaire peut être
utile, je le reconnais, et le gouvernement fera bien d’user de l’influence des
ministres du culte et de demander leurs concours, mais à certaines conditions.
Il ne faut pas que le clergé vienne faire une concession au gouvernement et lui
dire du haut de sa grandeur, comme le disait tout à l’heure l’honorable
préopinant « qu’il veut bien admettre l’intervention de l’autorité civile
dans l’instruction primaire ; » il faut tout au contraire que ce soit le
gouvernement qui admette l’intervention du clergé à certaines conditions. Il ne
s’agit que de la construction de la phrase. Quant à moi, voici en deux mots ce
que je veux : Je veux que le clergé conserve son indépendance, mais je veux en
même temps que le gouvernement conserve la sienne pleine et entière.
Je ne
veux pas que le clergé puisse venir dire au gouvernement : « Je vous
permets d’intervenir dans l’instruction primaire ; mais comme vous avez besoin
de moi ; je vous déclare que si vous ne cédez à toutes mes exigences, je reste
dans l’inaction et je fais tomber vos écoles. »
Voilà
ce que je ne veux point, parce que je ne veux point que les ministres du culte,
qui ont déjà assez de pouvoir, viennent absorber l’influence gouvernementale.
Je dénie donc au clergé le droit absolu d’intervention qu’on revendique pour
lui.
Je
disais tantôt que l’intervention du clergé peut être utile, que le gouvernement
peut profiter de son influence ; eh bien ! que le gouvernement traite avec lui,
qu’il prenne ses précautions et quand nous trouverons que ces précautions sont
suffisantes, alors, mais alors seulement, nous pourrons donner notre adhésion
aux mesures qu’il aura prises. Mais il en est bien autrement dans l’opinion de
l’honorable M. Dechamps ; d’après lui, l’intervention du clergé est un droit,
un droit absolu, et de là toutes les conséquences qu’il nous a déduites ; de là
cette conséquence extrême que le
gouvernement se trouve placé à la remorque du clergé. Or c’est ce que je ne
veux point, et c’est ce qu’aucun homme gouvernemental ne peut admettre.
Messieurs,
il est nécessaire, une bonne fois pour toutes, de bien définir la position de
En
Belgique, le clergé est indépendant ; il est tellement indépendant qu’il n’a
pas longtemps qu’un ami de M. Dechamps prétendait que chez nous l’on ne pouvait
pas dire que l’Eglise fût dans l‘Etat, parce que l’Eglise était placée dans une
sphère tellement élevée que l’Etat n’avait sur elle aucune action en Belgique,
où l’indépendance de l’Eglise est absolue, et à cette indépendance je ne veux
pas y toucher puisqu’elle résulte de notre pacte fondamental, et qu’elle est la
conséquence de la liberté des cultes ; nous ne reconnaissons en effet aucune
religion dominante, aucune religion de l’Etat.
Je vous
disais hier et je le dirai encore aujourd’hui, que vous qui ne partagez pas mes
principes, vous auriez peut-être beaucoup mieux fait, en 1831, de proclamer
autre chose que ce qui a été décrété à cette époque ; mais ce qui est, vous
devez le subir jusqu’à ce que la constitution soit changée. En France il en est
tout autrement ; les principes de l’église gallicane ne sont pas du tout en
rapport avec les principes que vous voulez faite prévaloir ici ; en France le
clergé n’est certes pas indépendant ; en France le pouvoir civil intervient dans
la nomination des membres du clergé, et il exerce sur lui un contrôle direct ;
il est même défendu au clergé de correspondre directement avec la cour de Rome,
mais ce qui est beaucoup plus fort encore, c’est qu’il existe en France un
conseil d’Etat auquel on appelle comme
d’abus alors que le clergé sort des limites qui lui sont tracées. Ainsi,
pour rester dans l’espèce, si le clergé auquel on accorde une intervention dans
l’instruction primaire, sortait des justes bornes, par exemple, sous prétexte
d’enseigner la religion, il allait enseigner dans les écoles primaires des
choses qui pourraient contrarier le gouvernement, il y aurait appel comme d’abus devant le conseil
d’Etat.
Certes
après cela on ne dira pas qu’en France l’Eglise est indépendante du pouvoir
civil. Non, en France le pouvoir civil exerce un contrôle sur l’Eglise, et dès
lors il n’y a aucun inconvénient à lui accorder certains droits, certaines
prérogatives ; on pourrait même en France faire beaucoup plus pour le clergé,
sans qu’il en résultât pour le gouvernement central le moindre danger.
Je vous
demandais tout à l’heure si vous mon honorable collègue et vos amis seriez très
satisfaits de subir la législation française avec toutes les conséquences qui
en découlent pour le clergé.
Vous
m’avez répondu négativement, et je le comprends ; la constitution a proclamé un
principe contraire à celui qui régit
Que
voulez-vous donc prétendre lorsque vous soutenez que l’intervention du clergé
dans l’instruction primaire est de droit absolu ? Est-il donné au clergé, comme
droit absolu, d’intervenir dans l’instruction primaire ? Voilà ce que je
combats ; voilà ce que la constitution a décidé négativement ; et quand vous
allez consulter ce qui se passe en France, vous raisonnez d’une manière très
fausse, puisque vous manquez de points de comparaison, la législation française
étant différente de celle qui nous régit ; et je le dis encore, si nous avions
table rase, le clergé se soucierait fort peu d’avoir une législation semblable
à celle qui existe en France.
Je dis
cela pour qu’on ne se trompe pas sur nos intentions ; nos intentions sont aussi
pures que celles des honorables membres que nous combattons. Ces honorables
membres veulent afficher des principes moraux et religieux ; nous professons
ces principes comme eux, mais il s’agit de savoir si l’Eglise absorbera
l’autorité civile ou bien si chacun conservera la place qui lui est assignée
par la constitution.
M. Lebeau. - Messieurs, je n’ai demandé la parole en ce moment que pour repousser,
comme l’honorable préopinant, par quelques courtes observations, les inductions
que l’honorable M. Dechamps semble avoir tirées du langage ou du silence de
quelques membres de cette chambre qui siègent sur d’autres bancs que lui et ses
amis.
Non,
messieurs, nous n’avons pas vu dans l’art. 21, qui a été le point de départ du
caractère grave qu’a pris tout à coup la discussion actuelle, une simple
affaire de rédaction. Il y a dans l’article 21 et dans la nouvelle rédaction
proposée par M. le ministre de l'intérieur, rédaction dont l’honorable M.
Dechamps vient suffisamment de révéler la portée, tout un principe, tout un
système ; il y a là consécration du système exposé avec une franchise que je
n’ai pas ici à incriminer, mais qu’il m’est permis de juger comme législateur,
il y a là la consécration du système que préconise depuis plusieurs années un prélat
recommandable, je le reconnais, par ses talents, mais imprudents par les
prétentions qu’il affiche.
Messieurs,
la prétention que le clergé a un droit absolu à intervenir dans une branche
quelconque de l’enseignement donné, soit aux frais de l’Etat, soit aux frais
des provinces, soit aux frais des communes, cette prétention, messieurs, c’est
la prétention à la suprématie du pouvoir ecclésiastique sur le pouvoir civil.
Quand on parle de pouvoir civil et de pouvoir religieux, on parle la langue
philosophique ; mais en langage constitutionnel, en langage politique, il n’y a
qu’un pouvoir, il n’y a qu’un souverain, ce même souverain qui a réglé
libéralement, mais sans l’admettre à discuter avec lui, la position du clergé
dans la constitution de 1831 ; il n’y a donc qu’un souverain en Belgique ; ce
souverain, c’est le Roi et les deux chambres.
Maintenant,
messieurs, qu’à coté de ce souverain unique, de cet unique pouvoir, il existe
des influences respectables qui ont leur source dans notre passé, leur appui dans
nos traditions, on ne peut le méconnaître ; oui, il y a de telles influences,
et le gouvernement qui ne compterait pas avec elles, le gouvernement qui ne
chercherait pas à s’appuyer sur elles, serait un gouvernement qui manquerait à
toutes les lois du bon sens, à toutes les lois de la moralité politique.
Mais
est-ce à dire que lorsque le gouvernement aura cédé à toutes les prétentions
légitimes de l’autorité religieuse, lorsque le gouvernement aura poussé la
condescendance aussi loin que le lui auront permis sa dignité et son
indépendance, lorsqu’il aura ouvert les portes de toutes les écoles au clergé,
et que le clergé déclarera ne pas vouloir y entrer ; est-ce à dire que le
gouvernement doive abdiquer en matière d’enseignement ? Voilà où conduit directement
le système de l’honorable député que je combats.
Je veux
aujourd’hui, comme je le voulais en 1828, comme je le disais en 1830, comme je
le voulais en 1834 et comme je le voudrai toujours ; je veux une éducation
morale et religieuse. Je reconnais que pour assurer une éducation morale et
religieuse dans les établissements d’instruction primaire, l’intervention du
clergé est la meilleure, la plus efficace des conditions ; qu’il serait très
regrettable qu’elle nous manquât, car à l’abstention du clergé dans
l’enseignement primaire seraient attachés les plus graves inconvénients. Mais
est-ce à dire que parce que ce concours est infiniment désirable, parce que le
législateur doit beaucoup faire pour l’obtenir, il doive se soumettre
aveuglement à toutes les exigences du clergé, à ce point que le clergé n’est
plus appelé librement par la loi, (erratum
Moniteur belge, n°224 du 12 août 1842) mais qu’il nous est imposé au
nom d’un droit qui lui est propre et qu’il peut décider de la vie ou de la mort
des établissements subventionnés par l’Etat, par les provinces ou par les
communes ? Certainement non.
Non,
messieurs, répétons-le bien haut, il n’y a pas deux pouvoirs en Belgique. Si
cela était, si quelqu’un pouvait exciper d’un droit absolu en matière
d’instruction publique, je demanderais de quel droit vous faites une loi sans
la participation de ce pouvoir ? Ne voyez-vous pas que rétrogradant dans le
passé, votre système irait jusqu’à ressusciter un nouvel ordre, l’ordre du
clergé, car s’il peut exciper d’un droit absolu, vous n’avez en aucune façon
celui de voter une loi à la confection de laquelle il n’a pas librement
concouru.
Voyez
ce qui arrive. Encouragé par les doctrines qu’a souvent professées dans cette
enceinte l’honorable préopinant, encouragé, j’ai du regret de le dire, par le
langage au moins imprudent tenu par un organe du gouvernement, le clergé,
comment s’exprime-t-il ? Est-il satisfait de votre loi ? Non, messieurs ;
d’avance il vous déclare qu’il n’y prêtera pas son concours. Vous dites que le
clergé est l’objet d’une suspicion injuste de la part de l’opinion libérale, et
de la part, croyez-le bien, de beaucoup de catholiques sincères qui, pour être
catholiques sincères, n’en sont pas moins libéraux. Vous dites que le clergé
est l’objet d’une suspicion injuste ; mais l’injustice de ses prétentions
d’aujourd’hui ne frappe-t-elle pas tous les yeux ? Le clergé ne déclare-t-il
pas qu’il ne prêtera point son concours à la loi.
M. Brabant. - Qui
déclare cela ?
M. Lebeau. - Cela se trouve en toutes lettres dans le Journal historique, cité par mon honorable ami, et publié sous le
patronage de M. l’évêque de Liége ; et à moins que vous ne soyez mieux initié
que monseigneur l’évêque de Liége à la pensée épiscopale, il vous est
impossible de ne pas regarder comme certaine l’abstention du clergé qui est
placé sous les ordres de ce prélat.
M. Brabant. - Je
demande la parole
M. Lebeau. - M. le ministre de l’intérieur a dit hier en propres termes que par son
abstention le clergé peut rendre impossible l’existence légale de l’école. La
proposition que le ministre a faite aujourd’hui, pour remplacer l’art. 21, n’a
pas atténué la portée de ses paroles d’hier, ni la portée de l’article
primitif, à moins que M. le ministre ne me réponde catégoriquement que si de
l’information à laquelle il se sera livré en vertu de la disposition nouvelle,
il résulte pour lui la conviction que c’est à tort que ce concours du clergé a
été refusé, il maintiendra l’école. Si M. le ministre fait cette déclarations,
je crois alors que la portée de l’art. 21 est considérablement atténuée, et que
le système du droit absolu, préconisé par l’honorable M. Dechamps, aura reçu
officiellement un démenti de la part du gouvernement. Si M. le ministre ne
trouve pas ma question inopportune je le prierai de vouloir bien me donner une
réponse avant que je passe outre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je
répondrai tout à l’heure.
M. Lebeau. - Messieurs, bien qu’il soit en général peu convenable de parler de son
expérience personnelle, qu’il me soit permis de l’invoquer ici, pour prouver
que quand j’exprime le vœu que l’action du clergé s’associe dans l’enseignement
primaire à l’action de l’autorité civile, ce vœu est sincère ; qu’il me soit
permis d’en appeler sur ce point même, s’il le faut, au témoignage d’honorables
membres de cette chambre ; ils pourront vous dire que dans toutes les
situations où j’ai été placé, et notamment lorsque j’avais l’honneur d’être à
la tête de l’administration d’une province qui se distingue à la fois par son
esprit d’ordre et par son esprit religieux et moral, ils pourront vous dire si
je n’ai pas constamment regardé l’intervention du clergé comme une des conditions
les plus utiles de la propagation et pour la bonne direction de l’enseignement
primaire ; dans toutes mes tournées, dans toutes les occasions où j’ai pu
mettre en contact l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique, j’ai toujours
dit qu’il n’y avait à mes yeux d’instruction vraiment efficace, vraiment
salutaire dans les communes rurales, que par l’accord de ces deux autorités.
Mais
est-ce à dire que si j’avais rencontré dans l’autorité ecclésiastique des
prétentions de la nature de celles qui sont consignées dans la plupart de ces
écrits qui ont rendu à bon droit l’opinion défiant à l’égard du clergé ; est-ce
à dire que je me fusse associé à ces prétentions, qu’organe du pouvoir civil,
j’eusse aveuglement subi la loi de l’autorité religieuse ? Je n’hésite pas à
déclarer que j’aurais engagé alors les administrations communales à se passer
d’un concours offert à ce prix.
Oui,
messieurs, le concours du clergé est utile dans une foule d’occasions ; le
concours du clergé est utile dans l’enseignement primaire ; le concours du
clergé, mais vous l’invoquez chaque jour, pour bénir l’union nuptiale ;
iriez-vous jusqu’à accorder au clergé le droit absolu d’empêcher toute union
nuptiale, par cela seul qu’il ne voudrait pas participer à sa célébration ?
Eh bien,
messieurs, le droit absolu qu’on réclame d’intervenir dans la mission du
pouvoir civil est aussi peu fondé qu’il le serait dans l’hypothèse que je viens
de mettre sous les yeux de la chambre.
Messieurs,
je ne pousserai pas plus loin ces observations. Je n’ai pas eu l’intention de
passer aujourd’hui la loi en revue. D’autre en ont fait d’ailleurs une étude
plus approfondie que moi. J’ai voulu seulement protester contre
l’interprétation donnée à l’attitude que plusieurs d’entre nous ont conservée hier pendant les explications échangées entre un honorable
collègue et M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il
me semble que le dernier paragraphe de l’art. 21, tel qu’il est rédigé
maintenant, ne laisse plus aucun doute :
« Lorsque
les abus constatés constituent la non-exécution de l’une des conditions
essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les
faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont retirés par
un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
Lorsque
de abus sont constatés qui constituent la non-exécution d’un des conditions
essentielles de la loi, par exemple, lorsqu’il y a des rapports détaillés qui
prouvent qu’il n’y a pas d’enseignement religieux dans une commune, je dis que
le gouvernement manquerait de loyauté envers le clergé, s’il ne cessait
d’accorder des subsides ; mais il faut que les abus soient constates.
Plusieurs membres. - Par qui ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Par
l’inspection et par une enquête subséquente. Une enquête est ouverte après la
réception des rapports, le gouvernement doit faire des tentatives de
rapprochement ; lorsque cette enquête a eu lieu, que des tentatives ont été
faites par le gouvernement et que les abus constatés subsistent, que doit faire
le gouvernement pour ne pas manquer de loyauté ? user
des prérogatives que la loi met à sa disposition. Ceci devient une question de
responsabilité pour le gouvernement. Il ne peut en être autrement. Au fond,
nous sommes d’accord, quoi qu’en disent les préopinants sur la nécessité de
l’art. 21. Vous ne pouvez pas aller plus loin à moins de prévenir tous les cas
d’exécution ce qu’il est impossible de faire dans la loi. (Interruption ; rumeur.)
Je dis
que si vous n’admettez pas que les abus constatés, après l’enquête, après les
tentatives du gouvernement pour les faire cesser, on doive retirer les
subsides, toute loi devient impossible, l’obligation de joindre l’enseignement
religieux à l’enseignement primaire proprement dit vient à tomber, ce que vous
offrez n’est plus qu’un leurre. il y a là une question de loyauté et de
responsabilité ministérielle. Que si le clergé se retirait sans raison, sans
donner de motif, par caprice, en réclamant des conditions qui ne sont pas dans
la loi, alors le gouvernement s’abstiendrait de retirer les subsides. Mais vous
partez toujours de cette idée, que le clergé sera déraisonnable et le
gouvernement servile, d’une manière absurde, envers le clergé. J’admets la
loyauté de la part du gouvernement et du clergé, j’admets
un concours sincère, et cet article, tel qu’il est rédigé maintenant, ne fera
pas naitre les difficultés qu’on prévoit.
M. Brabant. -
Messieurs, je commence par rendre hommage, conformément à l’espèce d’appel qui
m’a été faite par l’honorable préopinant, à la conduite pleine de conciliation
qu’il a tenue pendant les quatre ou cinq ans qu’il a administré comme
gouverneur la province de Namur, et je suis surpris même, d’après les
explications qu’il a données sur les nombreux rapports qu’il a eus avec le
clergé de la province de Namur, rapports dans lesquels il n’a jamais été fait
mention de ces doctrines, où le clergé n’a jamais manifesté qu’il partageât ces
prétentions, je suis surpris, dis-je, qu’il attribue à tout le clergé un acte
émané, il est vrai, d’un évêque, mais non dans la forme voulue pour obliger les
fidèles. Qu’on ne pense pas que je veuille donner une interprétation qu’on
qualifierait d’une certaine manière ; je veux être bien clair. Je n’ai pas
compris hier l’objection tirée du 2° § de l’article 21 par M. Dolez. Que disait
ce § ? Le gouvernement, sur les rapports dont il est parlé aux art. 8 et 14 de
la présente loi, s’assurera de l’exécution de ces conditions.
Quelles
sont ces conditions aux termes du projet ? Elles sont tellement claires que je
ne crois pas qu’il y ait lieu à interprétation. Ces conditions sont d’abord, à
la fin de l’art, 6, l’enseignement de la religion et de la morale. Je me borne
aux conditions en discussion. L’enseignement de la religion et de la morale est
donné sous la direction de ministres du culte professé par la majorité des
habitants de la commune.
L’art.
7, au 3° §, porte « Les ministres des cultes et les délégués du chef du culte
pourront en tout temps inspecter l’école. »
La
dernière partie du § 4 porte : « Les livres employés dans l’école sont
soumis à son approbation en ce qui concerne la morale et la religion. »
Je
crois que ce sont là les trois conditions essentielles en ce qui concerne
l’enseignement de la morale et de la religion.
Eh
bien, messieurs, pour satisfaire à la loi, il faut que ces trois conditions
soient remplies. Il y aura infraction à la loi, si on n’enseigne pas la
religion ou si on l’enseigne d’une manière dérisoire. Il y aura infraction à la
loi si l’on refuse aux ministres du culte professé par la majorité des
habitants l’entrée de l’école. Il y aura infraction à la loi si on emploie des
livres n’ayant pas reçu, en ce qui concerne le dogme et la morale,
l’approbation de l’autorité religieuse.
Voilà
les faits que le ministre du culte est appelé à constater. Son pouvoir ne va
pas au-delà. Ces faits sont toujours susceptibles d’être constatés à l’instant
même. En interrogeant le premier enfant de la première école venue, je saurai
le caractère de l’enseignement qu’on y donne. C’est ce que beaucoup d’entre
nous ont probablement déjà fait.
Nous
conférons un droit ! Mais tout ce qui est accordé par la loi est un droit. De
quelle idée partons-nous pour conférer ce droit ? Cela tient à l’essence du
culte, disent les uns ; vous manqueriez à votre devoir si vous n’accordiez pas
l’entrée de l’école au ministre du culte. L’intervention du ministre du culte
est utile, disent les autres, nous n’aurons qu’à nous applaudir de son
concours. Cependant on hésite à dire que le prêtre aura les attributions qui
lui sont conférées par les trois paragraphes dont j’ai donné lecture. Quelles
que soient les opinions religieuses, les catholiques les plus fervents ne
votent pas ici en vertu d’un principe théologique, mais comme hommes d’Etat.
Nous reconnaissons si peu un droit divin que, par le même paragraphe, nous
accordons le même droit aux ministres du culte protestant et aux ministres du
culte israélite, aussi bien qu’aux ministres du culte catholique. Cependant,
moi, je ne reconnais pas la mission de l’enseignement divin aux ministres
protestants ; et les ministres israélites assurément ne viendront pas invoquer
le texte de l’évangile d’où on part pour fonder la mission divine.
Ainsi,
je crois que nous ferions chose sage, de laisser dormir en repos des doctrines
qui sont sans application dans ce moment. Il y en a qui voteront ces pouvoirs
aux ministres du culte, parce qu’ils se croiront obligés en conscience de les
leur donner ; d’autres les voteront, parce qu’ils regardent comme chose utile à
la chose publique, au pays de voir le clergé concourir à l’enseignement
primaire, et la disposition passera. Elle passera, parce qu’elle est
nécessaire.
Remarquez
que vous statuez sur des établissements indépendants du clergé, où le clergé ne
peut intervenir qu’en vertu de votre autorisation. Quand le curé ou le délégué
de l’évêque se présentera dans une école, soyez persuadés qu’il n’arrivera pas
l’évangile à la main en s’appuyant sur cette maxime : Ite et docete omnes
gentes.
Il dira
: Je viens dans l’école parce que la loi m’attribue le droit d’y venir.
En
réduisant ces choses à un point de vue pratique, nous organisons une
instruction que les lois ont décrétée, nous évitons beaucoup de débats irritants mal compris dans le pays, et qui font croire a des
prétentions qui peuvent être individuelles, mais qui ne sont pas partagées par
tous ceux qu’on a qualifiés de catholiques.
M. Lebeau. - Je ne puis pas être satisfait de la réponse que M. le ministre de
l’intérieur vient de faire. il laisse toujours subsister cette interprétation
que l’abstention du clergé, le retrait de l’action du clergé, fait
nécessairement tomber l’école.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Nécessairement non !
M. Lebeau. - Car l’abstention du clergé est précisément la réalisation du dernier
paragraphe du nouvel article proposé par le gouvernement. Cette abstention constitue
la non-exécution d’une des conditions
essentielles de la loi.
Alors
les subsides cessent, ceux de la province comme ceux de l’Etat ; l’action
communale elle-même est enchaînée, car il n’y aura plus d’enseignement
religieux, non par le fait de l’autorité communale, mais par le fait possible
du clergé lui-même. Ainsi si dans un diocèse on trouve que la loi actuelle ne
fait pas au clergé la position à laquelle il croit avoir droit, je dis que par
l’application de la loi, d’après 1es termes de l’article, d’après
l’interprétation qui y a été donnée, notamment par les honorables MM. Dechamps
et Brabant, je dis que l’établissement tombe, que non seulement on lui retire
les encouragements de l’autorité supérieure, mais encore qu’il perd tous les
subsides provinciaux et même communaux.
Eh bien, c’est là un principe monstrueux auquel,
quant à moi, je ne souscrirai jamais. Il suffirait qu’il fût adopté pour que je
votasse contre la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je
dois m’étonner que l’honorable préopinant n’ait pas jugé ma réponse
satisfaisante. Il est vrai, il m’a attribué urne tout autre explication que
celle que j’ai donnée. La question est celle-ci : « Le clergé a-t-il
toujours le droit de se retirer ? » je crois que oui. Je pense que
constitutionnellement, c’est un droit acquis au clergé. Cela posé, quand le
clergé se retire, quelles en sont les conséquences ; non pas les conséquences
naturelles, mais les conséquences légales, eu égard à la loi que nous allons faire
? Est-ce que nécessairement, et dans tous les cas, cette retraite du clergé
entraîne la suppression des subsides ? Je dis que non ; je n’ai jamais dit
nécessairement. Ainsi, je réponds très nettement, très catégoriquement comme je
l’ai déjà fait : Il est possible qu’il y ait une abstention du clergé, un refus
de concours du clergé qui n’entraîne pas la suppression des subsides. J’en
admets la possibilité.
Maintenant
l’honorable M. Lebeau prétend que si le chef d’un diocèse disait par exemple :
Votre loi ne me convient pas ; elle ne fait pas assez pour le clergé, je
m’abstiens, dès lors le gouvernement devra retirer les subsides. Je m’étonne de
cette manière d’interpréter l’art 21. Je suppose que l’honorable préopinant ne
l’a pas lu, ou bien c’est qu’il est arrivé avec une prévention telle qu’il ne
peut se rendre à l’évidence. Je vous ai dit, et l’honorable M. Brabant vient de
le répéter, qu’il était bien entendu qu’il n’y aurait pas d’autres conditions
religieuses comme règles de l’intervention du clergé que celles qui forment les
dispositions légales de la loi. Ainsi, si le clergé mettait à son intervention
des conditions autres que celles des dispositions de la loi, l’abstention du
clergé n’aurait pas l’effet de faire retirer le subside. Je dis qu’il est
impossible de ne pas comprendre l’art. 21 comme je l’ai expliqué. A mon tour je
dirai à l’honorable préopinant : si vous étiez ministre de l’intérieur et qu’il
vous fût démontré que dans une institution, l’enseignement religieux n’est pas
donné où est donné d’une manière dérisoire, est-ce que vous ne vous croiriez
pas obligé de supprimer tout subside ?
Remarquez
que la responsabilité du ministre est engagée et qu’il doit soumettre au Roi un
arrêté qui doit être immédiatement inséré au Moniteur, de manière que tous les citoyens pourront apprécier
l’acte du ministre.
Je le répète, l’art. 21 fait cesser tous les doutes,
toutes les craintes que pouvait faire naître la première rédaction.
M. Lebeau (pour un fait personnel). - M. le ministre de l’intérieur m’a fait
l’honneur de m’adresser une interpellation directe ; je demande la permission
d’y répondre. Il me dit : Si vous étiez ministre de l’intérieur et qu’il fût à
votre connaissance que l’instruction religieuse ne serait pas donnée dans une
école primaire, ne refuseriez vous pas tout subside à l’instituteur. Je
n’hésite pas à répondre que je regarderais un instituteur primaire
antireligieux comme une véritable peste. Je m’en suis expliqué, alors que le
pouvoir civil ne disposait pas de l’autorité dérivant de la loi qu’on demande
aujourd’hui. Dans ma carrière administrative, lorsque, dans des cas très rares,
il m’est arrivé d’avoir sur des instituteurs primaires des renseignements qui
incriminaient leur conduite immorale ou religieuse, je n’ai jamais hésité à
employer mon influence, soit auprès des communes, soit auprès de la députation
permanente ou du ministère pour faire retirer des subsides a mon avis très mal
donnés. Voilà comment je me conduisais, et comme je me conduirais dans des
positions analogues, mais j’agissais ainsi comme organe du gouvernement avec
une entière liberté d’action ; et non d’après les injonctions d’un pouvoir
supérieur ou égal.
Si
j’avais eu des doutes sur la portée de la disposition, ils auraient disparu
devant la réponse de M. le ministre à l’interpellation de l’honorable M. Dolez.
La réponse de M. le ministre était très catégorique. Il suffisait de l’absence
du concours du clergé dans une commune quelconque pour faire immédiatement
fermer l’école. Je croyais avoir retrouvé l’opinion de M. le ministre de
l'intérieur à travers la rédaction de l’art. 21 commenté surtout par
l’honorable M. Dechamps ; mais ce que vient de dire M. le ministre de
l'intérieur me satisfait pour autant que son opinion nouvelle ou mieux exprimée
passe dans la loi. Il faut que la pensée du gouvernement
soit parfaitement claire ; elle ne l’est pas du tout dans le dernier texte
proposé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai
eu soin hier d’invoquer, comme vient de le faire l’honorable préopinant, mon
expérience personnelle. Si je pouvais compulser les milliers de dossiers
déposés au ministère de l’intérieur et qui sont relatifs à des suppléments
accordés à des instituteurs, je pourrais prouver que, peut-être sur la
proposition de l’honorable préopinant comme gouverneur, des subsides ont été
retirés à des instituteurs parce qu’il a été constaté, par exemple, qu’ils
donnaient d’une manière dérisoire l’enseignement religieux. J’ai dit hier que
c’était ainsi que j’appliquais une loi non écrite, que j’appliquerai de la même
manière la loi qu’il s’agit de faire maintenant. Du reste je ne veux pas
m’engager dans des questions d’amour-propre. Je me suis
expliqué catégoriquement. J’ai été plus loin. J’ai présenté une nouvelle
rédaction ; je ne vois pas la nécessité de la changer, surtout après
l’interprétation que j’ai donnée.
M. Dumortier. - Quand l’honorable M. Dolez a présenté ses observations sur la rédaction
de l’article 21 du gouvernement, j’y ai donne une pleine et entière adhésion.
Je pense en effet que le droit de s’abstenir, que l’article primitif du projet
de loi donne au clergé, pourrait, s’il était poussé dans ses dernières limites,
être très dangereux pour le clergé même. Vous désirez que l’éducation des
écoles primaires soit religieuse. Or, si vous voulez avoir l’action du clergé
dans l’instruction primaire, il faut qu’il accepte avec la loi une
responsabilité, vous devez donc lui donner les moyens de couvrir cette
responsabilité.
Le
peuple a droit à une éducation religieuse, il a droit
à ce que le clergé la donne. Aux termes de la constitution, le clergé seul peut
dominer une éducation religieuse, seul il doit être juge du dogme et de la
morale. Jusque-là nous sommes tous d’accord. Si l’éducation morale et
religieuse n’était pas donnée d’une manière convenable, si l’instituteur était
immoral, irréligieux, je pense que le clergé aurait le droit absolu de
s’abstenir et que cette abstention nécessiterait le retrait des fonds
communaux, Mais il ne faut pas s’y tromper, il ne faut pas que le clergé soit
dans une position telle qu’il puisse, par simple caprice, tuer l’instruction. Cette
position même pourrait lui devenir nuisible. Je ne pense pas qu’il doive en
être ainsi ; je ne le voudrais dans aucun cas. Je veux donner au clergé tout ce
qui est raisonnable, tout ce qui est possible, mais je ne veux pas que, sous un
simple prétexte, on puisse anéantir l’instruction ; je sais qu’en droit
rigoureux cela peut se soutenir, mais autre chose est le droit, autre chose est
l’usage du droit. Je ne veux pas que le clergé puisse exercer le summum jus, de peur qu’il ne subisse
lui-même un jour la summa injuria. Je le déclare donc, je ne veux
pas que, par un simple caprice de l’autorité ecclésiastique, on puisse faire
tomber une école primaire ; je ne le veux pas dans l’intérêt du clergé
lui-même. Mais je trouve que, par la nouvelle rédaction, il est fait droit aux
observations sérieuses qui ont été présentées. Hier, il s’agissait d’une simple
abstention qui entraînait la suppression de l’école ; aujourd’hui, il faut un
abus constaté. Vous voyez que la différence est immense.
Messieurs, je pense que tous les hommes de bonne foi doivent convenir que
la discussion a fait un grand pas. Dans l’intérêt de la tranquillité publique,
de l’instruction et du clergé même nous devons nous féliciter que cette
discussion ait été soulevée.
M. Orts. - Messieurs, je n’ai qu’un mot
à dire. Hier, j’ai partagé les doutes manifestés par l’honorable M. Dolez. Mais
je dois le dire, les explications que M. le ministre de l’intérieur a données
sur la portée du paragraphe final de l’art. 21, me satisfont. J’espère que le Moniteur nous reproduira fidèlement ces
explications. Dès lors je crois que nous anticipons sur la discussion de la
portée de ce dernier paragraphe. Que dit ce paragraphe ? Le retrait des
subsides est subordonné à des conditions ; quelles sont ces conditions ? il y
en à trois. La première, c’est qu’il faut qu’il y ait abus et que cet abus soit
constaté ; la seconde, c’est que cet abus constitue la non-exécution d’une des
conditions essentielles de la loi. Mais ici la discussion devient prématurée.
Lorsque vous discuterez chacune de ces conditions, si vous trouvez qu’il y a
quelque chose à y changer relativement à l’influence à accorder au clergé,
corriger les dispositions du projet, présentez des amendements. Mais jusqu’ici,
je le répète, la discussion est prématurée.
Lorsque
vous aurez fixé les conditions de la loi, lorsque vous les aurez mises en
vigueur, malheur à celui qui n’exécutera pas les dispositions légales de cette
loi. Mais si pareille chose arrive, rien n’est encore fait. L’autorité qui
dirige l’école, que ce soit la province ou la commune, doit commencer par
mettre en demeure celui qui dirige l’école, et ce n’est que lorsque le
directeur persiste à se montrer récalcitrant que les subsides sont retirés.
Je ne
ferai plus qu’une dernière observation ; peut-être, pour que le dernier
paragraphe de l’art. 21 fût moins irritant, pourrait-on mettre, au lieu des
mots : seront retirés, ceux-ci : pourront être retirés.
M. Rogier. - Je demanderai que le bureau
veuille bien faire imprimer le projet de 1834, il est désirable que nous ayons
ce document.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je
suis heureux que l’honorable préopinant me fournisse cette occasion de répondre
à un reproche que m’a adressé l’honorable M. Devaux. Le projet de 1834 se
trouve en entier dans le rapport du 28 juin dernier. Le reproche de l’honorable
M. Devaux n’est donc pas fondé. Si maintenant la chambre veut faire les frais
d’une seconde impression, je le veux bien.
M. Rogier. - Ce n’est pas pour moi que je
réclame l’impression de ce projet. J’en ai plusieurs éditions. On dit qu’il se
trouve dans le rapport du 28 juin ; mais ce rapport est très volumineux, et
nous avons d’autres documents très nombreux à apporter à la chambre ; il serait
préférable que le projet primitif fût imprimé à part.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le
projet se trouve pages 170, 180 et 181 de mon rapport.
Maintenant
l’honorable membre trouve ce rapport trop volumineux pour qu’on l’apporte tous
les jours à la chambre. Je ne suis pas juge de ce fait. Ce n’est pas d’ailleurs
à moi à me charger de l’impression demandée.
M. Rogier. - On donne beaucoup
d’importance à un fait qui n’en a aucune. La question est de savoir si on veut
faire imprimer une simple feuille ; cela ne donnera pas lieu à de grands frais.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai
voulu répondre à un reproche ; on a paru supposer que j’aurais voulu cacher le
projet de 1834.
M. Rogier. - Je n’ai pas fait de reproche
à M. le ministre de l’intérieur. J’ai seulement demandé l’impression du projet
de 1834.
-
L’impression demandée par M. Rogier est ordonnée.
La
séance est levée à 5 heures.