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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 13 août 1842

(Moniteur belge n°226, du 14 août 1842)

(Présidence de M. Dubus (aîné), vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l’appel nominal à 11 heures et demie.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Michel-Nicolas Bennet, négociant à Maillen, prie la chambre de lui accorder la naturalisation ordinaire qu’il a demandée par pétition en date du 12 mai 1831. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Les membres de la société brugeoise, dite Kunstliefde, demandent que la langue et la littérature flamande soient enseignées dans les universités de l’Etat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’enseignement supérieur.


« Les secrétaires communaux de l’arrondissement de Furnes demandent une augmentation de traitement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi modifiant la loi communale et ensuite renvoi au ministre de l’intérieur.


« La veuve Desterbecq, née Duquesne, réclame l’intervention de la chambre pour que M. le ministre des finances statue sur sa demande de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi complétant les mesures d'exécution de la convention commerciale conclue avec la France

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, la convention avec la Fiance ayant été ratifiée et les ratifications ayant été échangées à Paris, le Roi m’a chargé de vous présenter un projet de loi tendant à en assurer l’exécution. Ce sont quelques dispositions relatives au sel et aux toiles. Pour ses autres parties, la convention pourra être exécutée par ordonnance royale.

Je prierai la chambre de s’occuper le plus tôt possible de l’examen de ce projet ; la chose est assez urgente.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. Il sera, ainsi que l’exposé des motifs, imprimé et distribué. La chambre en renvoie l’examen à la section centrale qui a été chargée de l’examen du projet de loi relatif à la convention avec la France.

M. Devaux (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je demanderai s’il n’est pas nécessaire que l’examen de la question relative aux marchands de vin marche un peu rapidement, et si l’on ne pourrait autoriser la commission à faire imprimer son rapport aussitôt qu’il sera prêt, pour que nous puissions l’avoir avant même notre prochaine réunion.

M. le président. - La commission a eu une première séance hier ; elle devait continuer son travail aujourd’hui, mais l’heure à laquelle on a fixé la séance l’en a empêchée. Elle le reprendra aussitôt que la chambre reprendra ses séances.

M. Devaux. - Je croyais que M. le ministre de l’intérieur avait invité la commission à se réunir aujourd’hui de 3 à 5 heures.

M. Fleussu. - Messieurs, la question relative aux marchands de vin étant examinée par la section centrale qui doit examiner le projet de loi présenté à l’instant même par M. le ministre des finances, je demanderai que cette section soit invitée à nous faire son rapport en même temps sur tout ce qui est relatif à la convention, c’est-à-dire aussi bien sur la question des marchands de vin que sur le projet qui vous est présenté.

M. le président. - La section centrale fera son rapport sur l’un et l’autre objet aussitôt qu’il lui sera possible. Comma je l’ai dit, elle a déjà commencé l’examen de la question relative aux réclamations des marchands de vin.

M. Fleussu. - Je ferai remarquer que je ne veux pas imposer d’obligation à la section centrale ; c’est à elle à savoir dans quel ordre elle veut distribuer son travail ; mais il me semble qu’il y aurait avantage à examiner en même temps toutes les questions qui se rattachent à la convention.

Et on me fait encore dans ce moment une observation très juste ; c’est que, comme la convention va être mise à exécution, les marchands de vin du pays seront dans une position inférieure aux marchands français ; de sorte qu’il y a lieu de se presser de décider la question.

M. Rodenbach. - La section centrale s’est réunie hier pour examiner le rapport de M. le ministre des finances ; elle a discuté, et même pendant deux heures, la grave question du principe de rétroactivité. On avait décidé une seconde réunion pour aujourd’hui à 11 heures ; mais cette réunion n’a pu avoir lieu à cause de la fixation de l’ouverture de la séance à cette même heure. Aussitôt que M. le président nous convoquera, soit ce soir, soit mardi, nous nous réunirons, et je dois que notre travail relativement à la question des marchands de vin pourra être terminé à cette prochaine réunion.

Mais quant au projet que vient de présenter M. le ministre des finances relativement au sel, c’est une toute autre question qui se rattache directement à la convention, tandis que la question des marchands de vin n’a aucun rapport avec la convention.

M. Delehaye. - C’est une erreur.

M. Rodenbach. - Je sais que cette question est une conséquence de la convention ; mais, je le répète, elle n’y a pas un rapport direct. Du reste, la section centrale s’en occupera aussitôt qu’elle sera convoquée ; il est impossible de présenter un rapport avant que nous ne nous soyons réunis une seconde fois.

M. Delehaye. - Je pense que si la chambre décidait dès à présent qu’elle ne statuera pas sur le projet que vient du présenter M. le ministre des finances avant d’avoir pris une résolution relativement à la question des marchands de vin, on mettrait un terme à cette discussion.

Je crois qu’il est nécessaire de faire précéder l’examen du projet que vient de présenter M. le ministre, de celui de la question des marchands de vin, parce que du moment que le traité sera mis à exécution, et il le sera en vertu du projet de loi qui vient d’être déposé, les marchands de vin du pays se trouveront dans une position telle qu’ils ne pourront lutter contre les marchands français. Vous ne perdrez pas de vue que le commerce en détail se fait aussi par les marchands français ; or, ces marchands n’ayant pas de dépôts en Belgique, pourront livrer de 25 à 50 fr. meilleur marché que les marchands belges. Il faut donc nécessairement discuter cette question avant le projet de loi présenté dans cette séance ; car, je le répète, la convention une fois mise exécution, la lutte ne sera plus égale.

Messieurs, je ne veux pas préjuger la question ; mais il est nécessaire que vous preniez une résolution, parce que ce sera par cette résolution que vous ferez cesser les inquiétudes des marchands de vin. C’est par ces motifs que je demande que la chambre veuille bien statuer sur la question qui les concerne avant la discussion du projet qui nous est présente.

M. Mercier. - Je n’ai pas demandé la parole pour m’opposer à la motion de l’honorable M. Delehaye, mais pour donner quelques explications sur les travaux de la section centrale à l’égard des pétitions des marchands de vin.

La section centrale s’est réunie hier ; M. le ministre des finances s’est rendu dans son sein ; elle a délibéré longtemps sur ces réclamations. Elle pensait se réunir aujourd’hui ; mais comme l’ouverture de la séance publique a été fixée à 11 heures, elle s’est ajournée à mardi.

Je crois que cette question sera vidée par la section centrale dans sa prochaine séance, et qu’elle pourra en soumettre la solution à la chambre avant qu’elle ait à délibérer sur le projet de loi qui vient de vous être présenté.

M. de Garcia. - Messieurs, je crois que la chambre ne peut accueillir la proposition de l’honorable M. Delehaye. Il y a un rapport fait sur une matière. Eh bien, qu’on vide cette matière. Rien ne nous dit que le rapport sur les réclamations des marchands de vin pourra être fait incessamment ; car cette question est très grave, et si elle a certaines liaisons avec la convention, il est certain qu’elle n’y touche qu’indirectement. C’est plutôt une question d’administration intérieure qu’une question qui a un rapport direct avec la convention.

Dans tous les cas, il faut attendre un rapport. Un rapport nous est fait sur la question du sel ; pourquoi ajournerait-on cette question ? On peut s’en occuper, sauf à discuter ce qu’il conviendra de faire lorsque le rapport sur les pétitions des marchands de vin nous sera fait. Je m’oppose en conséquence à l’adoption de la proposition de l’honorable M. Delehaye.

M. Delehaye. - Les observations de l’honorable M. de Garcia seraient fondées, si elles n’étaient basées sur une erreur. Il nous dit qu’un rapport est fait sur la question des sels ; mais il se trompe. M. le ministre des finances vient de présenter un projet de loi, et la chambre a renvoyé ce projet à la commission qui a été chargée de l’examen de la convention. L’honorable préopinant a donc mal compris.

Je dirai plus, c’est qu’il est préférable, dans l’intérêt des travaux de la chambre, aussi bien que dans celui des marchands de vin, de s’occuper d’abord de la question qui concerne ces derniers. Car, comme vient de le dire l’honorable M. Mercier, la section centrale ayant déjà examiné cette question, les travaux n’en marcheront que plus vite, si elle en achève l’examen avant de s’occuper du projet présenté aujourd’hui par M. le ministre des finances.

M. de Garcia. - Je m’étais trompé, j’en conviens volontiers. Mais il est possible que le projet présente par M. le ministre des finances présente moins de difficultés que la question des marchands de vin, et mes observations restent debout dans tous les cas. Si le rapport sur le projet de loi sur le sel était prêt avant celui sur les pétitions des marchands de vin, je demanderais qu’on le discutât sans devoir attendre que la section centrale ait terminé son travail sur la seconde question.

Je combats donc la proposition d’ajourner l’examen du projet de loi sur le sel, ou de le faire marcher de front avec celui de la question relative aux marchands de vin ; si le rapport sur le premier de ces objets est prêt avant l’autre, il faut s’en occuper.

M. le président. - Il est possible que le premier rapport que vous fera la section centrale sera celui sur les réclamations des marchands de vin. S’il en était autrement, M. Delehaye pourrait renouveler sa motion.

M. Delehaye. - Puisque M. le président croit que le premier objet sur lequel il nous sera fait rapport sera la question des marchands de vin, je suis satisfait.

M. Devaux. - Je demande toujours que si la section centrale se réunit, par exemple, aujourd’hui comme il a été proposé, elle soit autorisée à faire imprimer son rapport. (Oui ! oui !)

M. le président. - M. Devaux propose que la section centrale soit autorisée à faire imprimer son rapport, avant qu’il soit déposé.

- La chambre adopte cette proposition.

M. Devaux. - Je ferai une autre observation. Je crois que l’honorable M. Delehaye se trompe, s’il pense que l’exécution de la convention sera retardée jusqu’à l’adoption du projet qui vient de nous être présenté. Elle le sera quant à ce qui concerne les objets compris dans ce projet, mais en ce qui concerne les vins elle sera exécutée.

Il s’agit de savoir si dès lors une partie des réclamations des marchands de vin, celle qui concerne les droits déjà acquittés par les marchands de vin, ne viendrait pas à tomber par le fait qu’il ne serait plus possible de leur faire justice. Je crains fort que quand la convention aura été mise à exécution, on ne vienne nous dire qu’il n’y a plus moyen de faire droit à cette partie des réclamations des marchands de vin. Il serait bon d’avoir une explication là-dessus.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je crois, messieurs, que ce qu’il y aurait de mieux à faire serait de présenter un rapport sur les deux objets à la fois. En attendant, je ferai remarquer à l’honorable M. Devaux qu’il n’y a pas de péril en la demeure pour les marchands de vin, en ce qui touche les liquides déclarés à termes de crédit, parce que les existences ont été constatées par la douane. Quant aux vins déclarés définitivement, quand même la chambre eût pris une résolution il y a huit jours, il eût été impossible de constater les existences, parce qu’il faudrait faire un recensement général. Mais je ne pense pas que la chambre, quelle que soit la décision qu’elle prenne, voudra rétroagir jusqu’aux vins déclarés en consommation depuis peut-être 10, 15 ou 20 ans ; je ne pense pas qu’on aille jamais jusque-là.

Je le répète donc, en ce qui concerne la partie des réclamations relative aux vins déclarés a termes de crédit, il n’y a pas de péril en la demeure.

M. Mercier. - Messieurs, je n’aborderai pas le fond de la question. Ainsi, je n’examinerai pas l’opinion que vient d’émettre M. le ministre des finances sur la décision qui pourrait être prise par la chambre. Mais je dois faire observer que la difficulté présentée par l’honorable M. Devaux existe aussi bien à l’égard des vins déclarés à termes de crédit, que pour les vins dont l’accise est acquittée, parce que les vins qui sont déclarés à termes de crédit ne se trouvent plus tous dans les magasins du négociant, et que les quantités qui s’y trouvent encore n’ont pas été constatées par l’administration.

M. le ministre des finances n’a pas fait recenser la quantité de vins qui sont en magasin sans terme de crédit ; il s’est borné à faire relever dans les bureaux des receveurs quelle est la somme due par les négociants qui jouissent de termes de crédit. J’ai vu un négociant qui, sur 1,200 pièces environ, pour lesquelles il a obtenu des termes de crédit, n’en a plus que 200 en magasin. Si le système de M. le ministre des finances était admis, il serait fait à ce négociant une largesse du quart du droit actuel sur 1,000 pièces de vin qu’il a vendues et sur lesquelles il a prélevé les droits existants.

Je crois, messieurs, que M. le ministre des finances devrait prendre quelques mesures pour empêcher que les vins qui seront importes après la mise à exécution de la convention, ne se confondent avec ceux qui sont aujourd’hui en magasin sous terme de crédit ou autrement.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je crois, messieurs, qu’il n’y a aucune mesure à prendre. L’honorable M. Mercier part de l’idée que du moment où la chambre aurait accordé une remise de 2 p. c. sur les vins déclarés sous terme de crédit, il faudrait obliger les négociants à représenter les quantités sur lesquelles ils voudraient obtenir cette remise. Je pense que c’est là une erreur ; qu’il s’agirait seulement de constater les quantités existantes au 1er août, sous terme de crédit et d’accorder ensuite la réduction sur ces quantités.

Quoi qu’il en soit, j’ai la conviction qu’il n’y a point péril en la demeure, et que les intérêts des marchands de vin ne peuvent pas être lésés, quant aux vins déclarés sous terme de crédit.

M. Mercier. - Messieurs, le système qu’indique M. le ministre des finances n’est pas admissible. Irez-vous restituer par exemple, au négociant dont j’ai parlé tout à l’heure, le droit sur 1,200 pièces de vin alors qu’il n’en a plus que 200 en magasin ? Il faut absolument constater les quantités qui se trouveront en magasin au moment où le traité sera mis à exécution, ou prendre toute autre mesure pour que les vins qui seront importés après cette époque ne soient plus confondus avec ceux qui ont été soumis au droit actuel.

- Cet incident n’a pas d’autre suite.

Projet de loi organique de l'instruction primaire

Discussion des articles

Titre premier. Dispositions générales

Article 6

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles du projet de loi sur l’instruction primaire Nous en sommes arrivés à l’art. 6, qui est ainsi conçu

« L’instruction primaire comprend nécessairement l’enseignement de la religion et de la morale, la lecture, l’écriture, le système légal des poids et mesures, les éléments du calcul et, suivant les besoins des localités, les éléments de la langue française, flamande ou allemande.

« L’enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des habitants de la commune.

« Les enfants dont les parents n’appartiennent pas à la communion religieuse en majorité dans la commune seront dispensés d’assister à cet enseignement. »

M. Savart a proposé de remplacer le dernier paragraphe par les dispositions suivantes :

« Seront dispensés d’assister à cet enseignement les enfants dont les parents demanderaient cette dispense. »

M. Savart. - Messieurs, l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer me paraît très clair et ne me semble pas nécessiter de longues explications.

La rédaction du dernier paragraphe de l’article proposé par la section centrale m’a paru présenter cet inconvénient, qu’il faudrait commencer par constater quelle est la communion religieuse à laquelle appartiennent les parents ; or il me semble que dans un pays libre comme le nôtre, il n’est pas permis de pousser les investigations jusque-là ; je pense d’ailleurs que ce serait là un précédent dont on pourrait abuser plus tard, tandis qu’en rédigeant le paragraphe de la manière dont je propose de le rédiger, ou en adoptant la disposition du projet de 1834, on éviterait ces inconvénients.

D’un autre côté il peut arriver que des parents appartenant à telle communion religieuse veulent faire enseigner à leurs enfants les dogmes d’une autre religion ; il peut encore arriver que les enfants aient un père catholique et une mère protestante, et vice versa. L’amendement que je propose évite tous les inconvénients qui, sous ces divers rapports , peuvent résulter de la rédaction de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, comme c’est moi qui, dans la section centrale, ai proposé de substituer à la disposition de la loi de 1834 le paragraphe final de l’art. 6, je crois devoir donner tout d’abord des explications à cet égard.

M. Savart a dit avec raison que son amendement n’était autre chose au fond que la reproduction d’un paragraphe de l’ancien projet ; ce paragraphe, je n’hésite pas à le dire, était une inconséquence dans le système de la loi ; c’est même une inconséquence dans la loi française, et je vais chercher à vous le démontrer.

Quel est le principe fondamental de la loi que nous faisons ? c’est l’obligation de joindre l’enseignement religieux et moral à l’instruction primaire. Tous ceux qui concourent à l’exécution de la loi, tous ceux qui s’associent à l’exécution de la loi sont réputés accepter les principes qui en forment le système.

Les communes sont obligées d’accepter ces principes ; les pères de famille y sont également obligés du moment que, par l’envoi de leurs enfants à l’école, ils s’associent à l’exécution de la loi.

Remarquez bien, messieurs, que dans cette loi vous ne trouvez pas les dispositions que renferment dans d’autres pays les lois sur l’instruction primaire. Dans d’autres pays les pères de famille sont obligés d’envoyer leurs enfants à l’école ; il est même des pays où des peines sont infligées aux pères de familles qui ne remplissent pas cette obligation ; notre loi laisse à chacun la liberté d’envoyer ses enfants à l’école ou de ne pas les y envoyer. Nous faisons la part la plus large à l’autorité paternelle ; il y a même des pays où l’on prétendrait que nous lui faisons sous ce rapport un part trop large.

Ainsi chaque père de famille reste libre d’envoyer ou non ses enfants à l’école, mais du moment qu’il y envoie ses enfants, il se place dans la position où doivent se placer tous ceux qui concourent ou qui s’associent à l’exécution de la loi.

Nous ne portons donc atteinte à aucun droit, chaque père de famille reste libre, et s’il en est un qui veut que ses enfants ne soient pas élevés dans une religion positive, il peut atteindre son but en déclarant que son enfant n’ira pas du tout à l’école ; là est son droit, et nous ne pouvons pas sans inconséquence lui en accorder une autre.

Nous ne voulons pas, messieurs, que les autorités constituées dans une commune puissent se soustraire à l’obligation de donner ou de laisser donner l’enseignement moral et religieux dans l’école communale. Or, voyez quels seraient les résultats de l’adoption de l’amendement de M. Savart. Ce que les autorités communales ne pourraient pas collectivement, que le conseil communal ne pourrait pas collectivement, comme autorité constituée, il le pourrait indirectement ; les membres pourraient individuellement se prévaloir du droit que leur donnerait l’amendement de M. Savart. Je m’explique, car je veux bien entrer dans le fond de la question, dans tout ce qu’elle peut avoir de plus extrême.

Il existe un conseil communal, composé, je suppose, de vingt membres. Ce conseil communal, comme autorité, ne pourrait pas dire : « J’entends que nous puissions nous soustraire à l’obligation de laisser donner l’enseignement moral et religieux dans l’école. »

Mais ce qu’ils ne peuvent pas comme membres du conseil communal, agissant collectivement, ils le pourraient individuellement, c’est-à-dire que ces vingt membres du conseil communal, se prévalant de l’amendement de l’honorable M. Savart, s’associant à d’autres particuliers de la commune, déclareraient qu’ils entendent que leurs enfants soient dispensés d’assister à l’enseignement moral et religieux ; et dès lors, par le grand nombre de dispenses qui seraient demandées, l’enseignement moral et religieux se trouverait de fait supprimé.

Hier, messieurs, vous n’avez pas voulu, et je crois que vous avez eu raison, vous n’avez pas voulu que le pauvre pût jeter un discrédit sur les établissements publics d’instruction primaire ; mais, messieurs, vous ne devez pas faire aujourd’hui pour le riche ce que hier vous ne vouliez pas accorder aux pauvres. Si vous adoptez l’amendement de l’honorable M. Savart, le riche pourra venir dire : « J’entends que mon enfant continue à aller à l’école, mais il se retirera lorsque l’enseignement moral et religieux sera donné, il se retirera chaque fois que le prêtre mettra les pieds dans l’école. »

Messieurs, c’est ce que vous ne devez pas vouloir ; ce serait une inconséquence, et vous jetteriez de la déconsidération sur vos établissements.

En résumé, messieurs, quoiqu’on ait invoqué la constitution, vous ne portez atteinte à aucun principe, à aucune liberté ; si des pères de famille ne veulent pas que leurs enfants reçoivent l’enseignement moral et religieux, il leur suffira, pour s’y soustraire, de ne pas envoyer leurs enfants à l’école.

M. Delfosse. - Messieurs, le conseil communal de la ville laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, a demande, dans une pétition adressée à la chambre, que l’instruction morale soit séparée, quant à la surveillance, de l’instruction religieuse. D’après les vues émises dans cette pétition, le clergé aurait seul la surveillance de l’enseignement religieux, mais celle de l’enseignement moral serait laissée à l’autorité civile.

Cette pétition, qui a été adoptée à l’unanimité des membres présents, y compris le bourgmestre, a été l’objet de violentes attaques. Un journal, organe de l’opinion qui fait dans cette enceinte de fréquents appels à la conciliation, a été jusqu’à insinuer que les pétitionnaires étaient de malhonnêtes gens.

Les membres du conseil communal de Liége sont au-dessus de pareilles attaques, l’estime et les suffrages de leurs concitoyens les en dédommagent amplement. Je me serais donc abstenu de les relever, si un de nos honorables collègues, dont l’opinion exerce ici quelque influence, n’était venu me parler de cette pétition avec une sorte de mépris.

Le conseil communal de Liége a fait, messieurs, de grands sacrifices pour l’instruction primaire. De nombreuses écoles, ouvertes gratuitement aux classes inférieures, ont été créées sur tous les points de la ville, et l’affluence des enfants qui les fréquentent prouve assez le mérite de l’instruction qui s’y donne.

Cette instruction, quoi qu’on ait pu dire, est religieuse et morale. Ceux qui l’ont calomniée auraient dû prouver par des faits que les enfants sortis de ces écoles ont moins de moralité que les autres enfants, et cette preuve, je le dis hautement, ils ne la feront pas. Je ne crains pas d’avancer que Liège est une des villes de la Belgique où les classes inférieures comprennent le mieux la nécessité de l’ordre et du respect pour les lois. En 1834, lorsque les pillages désolaient la capitale, Liége était calme, grâce à ces mêmes hommes qu’on calomnie aujourd’hui.

Il est vrai, messieurs, que le clergé a refusé son concours pour l’enseignement religieux ; mais à qui la faute ? Est-ce à l’administration communale ? Non, car elle a fait des avances pour l’obtenir ; c’est à l’évêque qui a mis à ce concours des conditions telles qu’il était impossible de les accepter, à l’évêque dont les prétentions exagérées en matière d’enseignement, ont été combattues par les hommes les plus religieux, et sont même, si j’en crois l’honorable M. Brabant, répudiées par le clergé d’une autre province.

Qu’est-il résulté, messieurs, de ce refus de concours ? Il en est résulté que le prêtre ne voulant pas, ou n’osant pas, à cause des ordres de l’évêque, aller trouver l’enfant à l’école, l’enfant est allé trouver le prêtre à l’église ; l’enfant a été conduit à l’église par ses instituteurs ; l’instruction religieuse, et il ne s’agit pas ici d’une religion vague, mais d’une religion positive, ne lui a pas manque ; seulement elle lui a été donné dans un autre lieu.

Faut-il s’étonner, après cela, que le conseil communal de Liége qui, tout en regrettant le refus du concours du clergé, a vu que ce refus ne produisait pas en définitive de si grands maux ; qui a su apprécier les avantages produits par les écoles qu’il a créées ; qui s’est convaincu que la population sortie de ces écoles, n’est ni moins intelligente, ni moins morale que celle des écoles placées sous une autre direction ; faut-il s’étonner, dis-je, que le conseil communal de Liége, tout en désirant, comme il a toujours désiré, mais à des conditions acceptables, le concours du clergé pour l’enseignement religieux, demande à conserver la surveillance de l’enseignement moral ?

Comment a-t-on pu dire que ceux qui faisaient cette demande étaient des hommes irréligieux, de malhonnêtes gens, alors que les auteurs du projet de 1834, alors que MM. de Gerlache, de Theux, Ernst, hommes éminemment religieux, avaient proposé la même chose ? Comment n’a-t on pas vu que les attaques peu mesurées, dirigées à cette occasion contre le conseil communal de Liége, tombent directement sur des hommes pour lesquels l’opinion catholique montre avec raison une entière sympathie ?

Ce n’est pas, messieurs, que je partage l’opinion du conseil communal de Liège et des auteurs du projet de 1834 ; il ne faut pas se le dissimuler, il y a un lien intime entre la religion et la morale et il est bien difficile d’enseigner l’une sans enseigner l’antre. A quoi bon, en effet, expliquer aux enfants les attributs de la divinité ? A quoi bon leur dire tout ce qu’elle a fait pour nous ? A quoi bon leur apprendre que des peines ou des récompenses nous attendent dans l’autre vie, selon que nous aurons bien ou mal agi, si on ne leur apprend en même temps quelles sont les bonnes et les mauvaises actions ? Lorsqu’on croit qu’il est utile de confier au prêtre la direction de l’enseignement religieux, on ne saurait donc, sans être quelque peu inconséquent, lui refuser au moins une part dans la direction de l’enseignement moral. Je le répète, il y a entre ces deux choses une union trop intime, pour qu’elles puissent être complètement séparées. Mais s’il est impossible d’exclure le prêtre, alors qu’on lui confie la direction de l’enseignement religieux, de la direction de l’enseignement moral, il y aurait, d’un autre côté, un grand danger à lui en confier la direction exclusive.

La morale, messieurs, a plusieurs objets. Elle comprend les rapports de l’homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses semblables ; et cette dernière branche se subdivise en deux autres qui comprennent les devoirs de l’homme privé et ceux du citoyen.

Je conçois qu’on puisse, sans danger, confier au clergé la direction de l’enseignement de cette partie de la morale qui comprend les rapports de l’homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses semblables, dans les relations privées. Cette partie de la morale est tout entière dans l’Evangile dont le prêtre a fait une étude particulière, et qu’il est censé connaître mieux que personne, mais il n’en est pas de même des devoirs des citoyens ; ceux-là, le prêtre peut ne les connaître qu’imparfaitement ; égaré par l’esprit de corps, et cela s’est vu, il peut avoir intérêt à les nier ou à les obscurcir ; ceux-là influent trop directement sur le sort de l’Etat, pour que l’autorité civile, si elle tient à sa conservation, puisse dans ses propres écoles, confier à d’autres qu’à elle-même le soin de les enseigner.

Et qu’on ne dise pas que les devoirs du citoyen ne sont pas de ceux qui doivent s’enseigner dans les écoles primaires ; je soutiens que c’est principalement là qu’il faut les enseigner ; n’est-il pas vrai qu’il faut que les classes inférieures apprennent à respecter, à aimer nos institutions ? et où pourraient-elles l’apprendre, si ce n’est dans les écoles qui leur sont ouvertes ?

Je vais même plus loin : je dis que rien de ce qui s’enseigne dans les écoles primaires subventionnées ne doit échapper à l’attention de l’autorité civile. Il ne faut pas que, sous prétexte d’enseigner la morale et la religion, on puisse enseigner des choses qui seraient contraires aux lois ou à l’intérêt du pays ; il faut que l’autorité civile contrôle toujours ce qui s’y fait, afin que rien de contraire aux lois ou à l’intérêt du pays ne puisse s’y faire impunément.

On me dira que toutes ces précautions sont injurieuses pour le clergé ; que c’est le mettre en état de suspicion ; que le clergé a les meilleures intentions, qu’il veut l’intérêt du pays.

Mon intention, messieurs, n’est pas de faire ici le procès au clergé ; je reconnais volontiers que la plupart des membres du clergé sont animés d’un esprit de paix et le concorde, et qu’ils désirent sincèrement la prospérité du pays et l’union de tous ses enfants ; mais il faut bien le reconnaître aussi, il en est quelques-uns, et malheureusement ceux-là sont haut placés, ils dirigent les autres, qui ne mettent pas toujours dans leurs actes cet esprit de prudence et de modération qui peut seul commander la confiance ; il suffit d’ailleurs que les abus soient possibles pour rendre les précautions légitimes.

Vous voyez, messieurs, d’après les principes que je viens d’exposer, qu’il me serait impossible de voter pour le projet de loi, à moins qu’il ne fût considérablement modifié, à moins qu’il n’assignât à l’autorité civile un rang plus digne d’elle ; et même, quand on ferait à cet égard toutes les modifications que je pourrais désirer, il me serait encore impossible de voter pour le projet de loi.

J’avoue, messieurs, que je ne comprends pas qu’on fixe par une loi les attributions d’un corps indépendant, d’un corps que la loi ne peut atteindre. Vous auriez beau régler par la loi la part d’intervention du clergé dans les écoles primaires subventionnées, vous auriez beau tracer les limites et les conditions de cette intervention, votre loi serait comme non avenue si elle ne convenait pas au clergé. Un législateur prudent ne fait pas des lois dont l’exécution dépendrait d’un corps sur lequel il n’a pas la moindre action. Si on veut l’intervention officielle du clergé dans l’enseignement primaire, ce n’est pas par une loi qu’il faut la régler, mais par un concordat avec les évêques.

Je voterai donc contre la loi, mais je me réserve d’appuyer les amendements qui me paraîtraient de nature à la rendre moins mauvaise. J’appuierai entre autres l’amendement de M. Savart-Martel, qui est un hommage rendu à la liberté de conscience.

M. Cogels. - J’espère, messieurs, qu’il ne se trouvera pas en Belgique un seul père assez ennemi de son enfant, assez ennemi de lui-même, assez indifférent au bonheur, au repos de sa famille pour réclamer l’application de l’amendement de l’honorable M. Savart-Martel. Je ne regarderais donc pas cet amendement comme fort dangereux, car je ne pense pas qu’on en demande souvent l’application. Mais ici c’est une question de principe que nous avons a discuter. Dès lors, nous devons en calculer toutes les conséquences. Quel est le but de la loi ? D’améliorer les classes pauvres ; c’est dans l’intérêt de la société que nous entendons travailler, tout autant que dans l’intérêt des familles pauvres. C’est un principe reconnu dans tous les pays, qu’il n’y a pas d’instruction sans enseignement religieux.

En France, où certainement on ne peut pas se plaindre de la trop grande influence du clergé, de la trop grande prédominance du sentiment religieux, on a vu cette nécessité ; vous avez pu vous en convaincre en parcourant le rapport. Je me bornerai à vous en citer les passages les plus saillants. Vous y avez vu que M. St-Marc-Girardin, dans des conférences qu’il a eues avec des savants allemands, sur l’état de l’instruction primaire, dit : Quand j’alléguais le peu d’empire que les idées religieuses avaient en France, ils secouaient la tête, comme désespérant de l’éducation d’un pays où la religion n’a point d’ascendant.

M. Guizot, parlant de l’instruction, nous dit : Le développement intellectuel, quand il est uni au développement moral et religieux est excellent, mais le développement intellectuel tout seul, séparé du développement moral et religieux, devient un principe d’orgueil, d’insubordination, d’égoïsme, et, par conséquent, de danger pour la société.

Eh bien, ce danger, nous ne devons pas contribuer à le créer. Voici pour la question de principe en général. Voyons les conséquences auxquelles ce principe nous entraînerait. Ce serait de jeter le désordre dans l’école, car il faut bien distinguer la dispense qu’on accorde aux parents de communion différente de celle de la majorité, de la dispense qu’on demande pour les parents assez mal avisés pour refuser une instruction religieuse quelconque à leurs enfants. La dispense que vous accordez aux enfants d’une communion dissidente ferait preuve d’un esprit de tolérance ; mais elle fait voir l’obligation de recevoir telle ou telle instruction religieuse, elle fait voir que dans chaque communion on doit recevoir l’instruction religieuse de sa communion. L’enfant protestant dispensé de suivre l’instruction religieuse de l’école catholique, la recevrait de ses parents ou de son ministre et respecterait l’instruction religieuse que recevrait l’enfant catholique, comme l’enfant catholique respectera l’instruction religieuse que recevra l’enfant protestant.

Mais supposons que quelques enfants de parents qui n’attacheraient aucune importance à la religion, fussent dispensés d’assister à l’instruction religieuse, qu’arriverait-il ?

Permettez-moi de parler le langage de l’enfant ; c’est que le petit philosophe imberbe, usurpant la position du maître dont vous a parlé M. le ministre de l'intérieur, dirait : Mais, mes amis, vous êtes bien sots de vous laisser arrêter par ces bêtises-là ; venez donc avec moi, nous nous amuserons beaucoup mieux qu’à écouter cela, et plus le nombre des enfants dispensés serait grand, plus l’instruction religieuse péricliterait, tomberait en déconsidération, car l’enfant qui n’aime pas mieux que jouer, préférerait aller courir dans la cour ou dans la rue bien mieux que d’assister aux leçons de catéchisme, qui ne l’amusent souvent pas trop. Voilà les conséquences de l’amendement de M. Savart-Martel.

Maintenant, je répondrai quelques mots à l’honorable M. Delfosse. Il vous a rappelé la pétition du conseil communal de Liège. Lorsque j’en ai parlé, j’ai fait voir suffisamment qu’il est impossible de séparer l’instruction religieuse de l’enseignement moral. Je dirai plus, c’est que dans la loi j’avais trouvé que joindre ces deux mots : la religion et la morale, était une espèce de pléonasme, une redondance. Pour faire voir que l’enseignement religieux comprenait celui de la morale, qu’il n’y avait aucune instruction religieuse sans morale, on a voulu sans doute rassurer les personnes qui n’étaient pas suffisamment instruites sur ce point. Mais comment voulez-vous séparer l’instruction religieuse de la morale, comme l’entendent les membres du conseil communal de Liége ?

Voici comment ces messieurs s’expriment

« D’un autre côté, le projet de loi porte que les ministres du culte auront l’enseignement de la religion et de la morale, et l’approbation des livres destinés aux élèves.

« Ne suffit-il donc pas d’abandonner au clergé l’enseignement du dogme ? »

Ainsi, messieurs, toute la tâche du ministre du culte, ou de celui qui le représente, se bornerait à enseigner aux enfants ces parties du dogme qui le séparent du dogme des communions dissidentes ; car dans la religion tout le reste est moral.

Je vous demande quelle serait cette instruction religieuse ? Comme elle serait aride, comme elle serait peu utile, comme elle serait propre à discréditer cette religion ! Comme je l’ai déjà dit, séparer la morale de la religion serait la dépouiller de son plus bel ornement, car la partie morale et philosophique, voilà la partie essentielle de la religion. Séparer la religion de la morale, c’est un vain mot. Le résultat que l’on obtiendrait serait de détruire le véritable sentiment religieux, d’y substituer le rationalisme. C’est ce à quoi je ne consentirai jamais. Je voterai donc contre l’amendement de M. Savart-Martel.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, dans le § 1er de l’art. 6 en discussion, nous mettons en tête du programme des matières à enseigner dans l’école la morale et la religion.

Pour que l’enseignement soit moral et religieux dans l’école, il faut, pour me servir de l’expression d’un comité anglais, dont l’opinion est insérée au rapport de la section centrale, il faut que la religion soit combinée avec toute la matière de l’instruction. Une ou même deux leçons de religion par semaine sont de nulle valeur ; il faut que l’instituteur saisisse les circonstances sans cesse renaissantes, pour faire pénétrer le sentiment de la morale religieuse dans le cœur de ses élèves. Or, je vous le demande, messieurs, si l’enseignement doit être pénétré de cette sève morale et religieuse, comment admettre l’amendement de M. Savart-Martel, qui veut que les enfants dont les parents en feront la demande, soient dispensés de l’enseignement religieux. Je pense moi que ce serait admettre que l’enseignement moral et religieux n’aura lieu qu’à des heures fixes et c’est ce que je ne puis admettre.

Les parents qui ne veulent pas pour leurs enfants de l’enseignement moral et religieux de l’école, ne doivent pas les y envoyer.

Je suppose que l’on admette que l’enseignement religieux n’est pas de tous les instants, qu’il doit se borner à une leçon, une ou deux fois la semaine, que certains élèves pourront en être dispensés ; mais cette distinction fera l’effet le plus fâcheux sur l’esprit des élèves qui devront y assister. Les élèves dispensés commenceront dès l’école leur cours de philosophie voltairienne ; ils tourneront en ridicule les élèves soumis à l’enseignement de la morale et de la religion, comme vient de le dire l’honorable M. Cogels, et dès l’école ils apprendront à se poser prétendument en petits esprits forts.

Je ne puis donc admettre cette dispense d’enseignement moral et religieux pour certains élèves ; les parents que n’accommodera pas l’enseignement de la religion de la majorité de la commune devront s’adresser ailleurs, à une école où l’enseignement est donné dans le sens de leurs croyances, dans le sens de leurs négations de croyances.

Messieurs, l’honorable M. Savart nous a dit que son amendement était une suite nécessaire de la liberté de conscience.

Je ne vois pas pourquoi la minorité pourrait imposer la négation de l’enseignement religieux dans l’école communale, où une religion positive, celle de la majorité, doit être enseignée ; la minorité ne peut exiger cette condition sous le prétexte de la liberté de conscience. Je voterai contre cet amendement.

M. Devaux. - Messieurs, il y a une partie de l’article sur laquelle je crois que nous sommes tous d’accord. Nous donnons, nous voulons donner au clergé le droit de diriger l’enseignement religieux tout entier. A cet effet, le ministre du culte peut diriger l’instituteur de l’école dans cet enseignement ; il a de plus cet autre droit de s’installer lui-même ou d’installer un de ses délégués pour donner l’enseignement religieux, s’il le préfère. Je crois que sur ce point nous sommes d’accord ; mais quant à la rédaction je préfère aussi pour mon compte celle du projet de loi de 1834, je préfère la rédaction qui dit : « L’enseignement de la religion est donné sous la direction de ses ministres », à celle-ci : « L’enseignement de la religion et de la morale, etc. »

Voici mes raisons :

La religion comprend la morale ; qu’on ne nous prête donc pas l’intention de vouloir séparer la morale de la religion, d’interdire au ministre du culte de parler de morale. La religion comprend la morale ou une grande partie de la morale. Il serait même difficile d’établir la limite où la morale se détache de la religion. En disant donc que le ministre du culte dirige l’enseignement de la religion, je n’entends en aucune façon le restreindre dans cette partie qui différencie une communion, une religion d’une autre ; mais je préfère qu’on n’insère pas le mot moral, parce que je ne veux pas que l’instituteur laïque soit déclaré incompétent en fait d’enseignement moral. Messieurs, pour l’enseignement de la religion nous avons besoin de la garantie du clergé. Il faut que le clergé garantisse que la religion enseignée est bien la vraie religion.

Cette garantie vous la demandez au clergé, et vous avez raison. Mais la morale est de toutes les communions, la morale est de toutes les religions ; par conséquent pour l’enseignement de la morale, vous pouvez vous passer de cette garantie spéciale du clergé. Ce n’est pas une raison pour la lui interdire ; je ne veux pas la lui interdire, mais d’un autre côté, je ne veux pas que vous déclariez le laïque incompétent en fait de morale. Vous ne le pouvez pas, car le déclarer incompétent en fait de morale, c’est le déclarer incompétent en fait d’instruction. Je défie un maître d’école de tenir son école sans faire de la morale ; il ne la tient pas un jour, pas une heure sans faire de la morale. Il est impossible au maître d’école, quand il punit un élève pour avoir volé le papier de son voisin de le punir raisonnablement sans lui expliquer le principe de morale qui défend de voler.

Quant il le punit parce qu’il ment, il faut bien qu’il lui dise que le mensonge est une chose immorale. Ainsi de suite pour la désobéissance et tous les petits écarts des écoliers soumis à son enseignement. Ainsi, à moins de déclarer que tout enseignement appartient au clergé, il y a impossibilité de déclarer le laïque incompétent en fait de morale.

Si la religion comprend la morale, pourquoi après le mot religion, ajoutez le mot morale ? C’est évidemment un pléonasme.

En ajoutant ce mot au projet de loi de 1834, vous avez fait autre chose dont vous ne vous êtes pas aperçus. Vous avez dit dans le paragraphe 3 : « L’enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte, professé par la majorité des habitants de la commune. » Ainsi voilà les enfants qui n’appartiennent pas à la religion de la majorité qui ne recevront plus d’enseignement moral ; car vous placez l’enseignement de la morale sous la direction du ministre du culte et vous dispensez l’enfant d’une communion religieuse autre que celle de la majorité d’assister à cet enseignement. Vous voyez que cela ne peut rester ainsi. Voilà pourquoi je veux écrire dans l’article la religion seule. Je n’interdis pas l’enseignement de la morale au clergé. Mais je ne veux pas non plus qu’il soit interdit au laïque, car seul il peut donner cet enseignement aux enfants d’une autre communion religieuse que celle de la majorité.

J’ajouterai une autre raison. Donner la direction de l’enseignement religieux au clergé, cela est clair pour tout le monde. Tout le monde sait ce que cela veut dire. Mais lui donner la direction de l’enseignement moral qui, comme je vous l’ai fait voir, s’étend aux moindres actes des matières d’enseignement, c’est exciter le clergé à s’ingérer dans tous les détails de l’école c’est lui donner à cet égard un droit absolu. Or, ce n’est pas là le sens de la loi, La loi donne un droit absolu au clergé pour l’enseignement religieux. Dans tout le reste pouvoir au clergé de donner des conseils, des avis, mais souveraineté pour l’autorité civile. Voilà le système de la loi.

Maintenant voici un autre inconvénient peut-être plus grave ; ce n’est pas pour l’instruction primaire. Mais quant vous aurez écrit ce principe dans la loi sur l’instruction primaire, on en argumentera pour qu’il soit inséré dans la loi sur l’enseignement moyen, un autre jour dans la loi sur l’enseignement supérieur. Or, qu’arrivera-t-il ? Dans l’enseignement moral, vous ne pouvez expliquer un auteur grec ou latin, sans rencontrer des phrases de morale, qui donnent lieu à quelques développements, à quelques observations du professeur. Dans les universités, on a les doctrines philosophiques, l’enseignement de la philosophie morale. Quand vous aurez attribué au clergé l’enseignement de la morale dans la loi sur l’instruction primaire, on ira jusqu’à dire que tout l’enseignement de la philosophie morale dans les universités doit être remis au clergé, que toutes les doctrines philosophiques sont à la discrétion absolue du clergé. Ces principes, je n’en veux pas.

Encore une fois j’admets l’influence du clergé dans les écoles primaires, non seulement pour l’enseignement moral, mais d’une manière plus étendue. Seulement, je ne l’admets pas titre de droit ; je l’admets comme officieuse, comme avis. Ou vous l’a dit tout à l’heure, la morale dans une de ses divisions comprend les devoirs politiques. Je sais que cela n’a pas une bien grande importance pour l’enseignement primaire ; muais quand vous arriverez à d’autres degrés de l’enseignement, cela aura des conséquences beaucoup plus graves. Cependant vous allez déposer le principe dans la loi sur l’instruction primaire. Voilà pourquoi je pense qu’il convient de ne pas ajouter après le mot religion le mot morale. Vous voyez que ce n’est pas par les mêmes raisons que le conseil communal de Liège. Je partage à cet égard l’avis de l’honorable M. Delfosse.

Je ferai une observation de détail. Je crois qu’il est échappé la section centrale et au gouvernement un vice de rédaction. Le 2ème § porte : « L’enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des habitants de la commune. »

Je demanderai si, d’après cette nouvelle rédaction dans les villes où la majorité est catholique et où il y a des protestants (par exemple, les villes de la côte où il y a une population anglaise qui est de plusieurs centaines et quelquefois d’un millier des familles), je demanderai s’il sera permis d’établir une école pour ces protestants. Alors dans ces écoles, l’enseignement de la religion ne serait pas donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des habitants. D’après le signe que fait l’honorable rapporteur de la section centrale, je vois que ce n’est pas l’intention de la rédaction.

Vous voyez qu’il y a quelque chose à changer. La rédaction du projet de 1834 est préférable. Je crois qu’elle donne les mêmes garanties. Sous ce double rapport, je préfère cette rédaction.

Quant au vœu des parents qui doit être consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l’instruction religieuse, je crois que la rédaction du projet de 1834 est plus conforme aux principes. Je dirai cependant que, d’après les explications, le résultat sera a peu près le même. Je n’y attache pas une grande importance.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je répondrai d’abord à l’interpellation que m’a adressée l’honorable préopinant ainsi qu’à la section centrale, en ce qui concerne la rédaction du 2ème §. Dans le projet de 1834 il est dit : « L’enseignement de la religion est donné sous la direction de ses ministres. » Cette rédaction eût laissé beaucoup à désirer dans l’application. Est-ce que les ministres des différents cultes auraient été admis à se présenter successivement, alternativement, à l’école ; le ministre catholique, le ministre protestant, chacun pour l’enseignement moral et religieux dans ses rapports avec ces cultes respectifs ? La rédaction du projet de 1834 donnait lieu à ce doute. Nous avons pensé que, dans l’esprit du projet de loi de 1834, on entendait que l’enseignement de la religion et de la morale serait donné dans chaque école pour les enfants appartenant en majorité à l’un des cultes positifs qui existent dans le pays. Quant aux autres enfants, pour eux l’enseignement de la morale et de la religion sera donné en dehors de l’école. Nous avons pensé qu’on ne pouvait amalgamer ainsi dans la même école différents enseignements religieux, que ce serait même donner un mauvais exemple et faire naître peut-être des collisions. La rédaction nouvelle porte : « L’enseignement de la religion et de la morale est donnée sous la direction des ministres du culte professé par la majorité de habitants de la commune. »

Nous avons donc compris que dans chaque école l’enseignement de la morale et de la religion serait donné pour la religion catholique sous la direction des ministres du culte catholique, lorsque les enfants appartiendraient en majorité à ce culte. Voilà quelle a été notre intention. Si la rédaction ne la rend pas parfaitement, il faudra la rectifier dans ce sens. On pourrait dire, au lieu de « de la majorité des habitants de la commune », « de la majorité des élèves formant l’école. » Ce n’est plus qu’une affaire de rédaction, Nous sommes d’accord sur le fond.

Je passe à l’autre question beaucoup plus grave.

Le projet de 1834 porte :

« L’enseignement de la religion est donné, etc. »

Le projet actuel porte :

« L’enseignement de la religion et de la morale est donné, etc.. »

Avant d’aller plus loin, je veux, comme l’a fait l’honorable préopinant, m’expliquer sur la portée que je donne à la discussion actuelle. Nous ne faisons une loi que pour l’instruction primaire ; il s’agit de l’enfant et des classes inférieures de la société, Je m’empresse de déclarer que je fais toutes mes réserves sur l’enseignement moyen et l’enseignement supérieur.

Le projet de 1834 comprenait dans les matières d’enseignement l’instruction morale et religieuse. Admettant le paragraphe dernier, il en serait résulté qu’il y aurait eu deux enseignements tout à fait distincts, un enseignement religieux donné sous la direction d’un ministre du culte, et un enseignement moral donné, hors de cette direction, par l’instituteur abandonné à lui-même. Nous devons demander s’il faut admettre cette séparation lorsqu’il s’agit de l’instruction primaire, c’est-à-dire, de l’enfance et des classes inférieures de la société.

J’ai cru, messieurs, de mon devoir, depuis que la nature de mes fonctions m’obligent à m’occuper d’instruction publique, de m’enquérir de l’exécution que la loi de 1833 a reçue en France ; et je n’hésite pas à dire que dans tous les rapports, dans tous les comptes-rendus, on s’accorde à signaler les dangers d’un enseignement moral tout à fait séparé de l’enseignement religieux, toujours en ce qui concerne l’enfance et la classe inférieure de la société ; et cependant vous étiez amené à cette séparation absolue par le projet de 1834. (Interruption, réclamation.)

Toutes les publications que j’ai consultées signalent les dangers d’un enseignement moral tout à fait séparé pour l’enfance et les classes inferieures de la société. Cet enseignement moral se donne, abstraction faite de toute religion positive ; cet enseignement moral n’est plus alors qu’imprégné d’une espèce de déisme, et c’est ce que nous n’avons pas voulu. Nous ne l’avons pas voulu surtout parce qu’il s’agit de l’enfance et des classes inférieures de la société.

Voilà, messieurs, les motifs qui m’ont engagé à proposer le changement qui se trouve dans le projet qui vous est soumis,

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - Si l’on est d’accord sur le rejet de l’amendement de M. Savart-Martel, je renoncerai à la parole.

M. Devaux. - J’ai proposé le maintien de la loi de 1834.

M. le président. - M. Devaux n’ayant pas fait parvenir d’amendement au bureau, j’ignorais qu’il fit une proposition formelle.

M. Devaux. - Je dirai, pour sa gouverne, à l’honorable M. de Theux que je proposerai le maintien de la disposition de 1834, surtout en ce qui concerne le retranchement du mot morale du second paragraphe de l’article.

M. de Theux. - En ce cas, je maintiens mon tour de parole. Messieurs, je voterai contre l’amendement de M. Savart, par les mêmes motifs qui m’ont fait voter hier contre la rédaction de l’article 5 proposée par la section centrale. Il y a une différence de système entre le projet actuel et celui de 1834.

Le projet de 1834 ne contenait pas une organisation complète de l’instruction communale ; le projet actuel au contraire embrasse toute l’instruction communale, aucune école ne peut lui échapper, soit qu’elle soit érigée par la commune exclusivement à ses frais, ou au moyen d’un subside de la province ou de l’Etat. Ceci est vrai à tel point que l’on a regardé hier comme une dérogation à la loi que nous discutons, la disposition de la section centrale par laquelle la commune aurait été obligée de payer une rétribution pour les enfants pauvres qui ne fréquenteraient pas les écoles communales, sous prétexte que l’enseignement de ces écoles ne convenait pas à leurs parents, et que même ils trouveraient une espèce de scrupule religieux à les suivre. On a dit : Les enfants pauvres doivent accepter les écoles communales telles qu’elles sont organisées par la loi ou se passer d’instruction.

Si nous avons cru devoir être aussi rigoureux à l’égard des classes pauvres, nous devons dire à plus forte raison, à l’égard des parents aisés, qu’ils doivent accepter l’enseignement communal tel qu’il est organisé par la loi ou se le faire donner en particulier et à leurs frais.

La conséquence, messieurs, me paraît inévitable. Je dirai que dans un système d’organisation complète tel que celui de la loi en discussion, il y aurait une espèce de scandale à ce que des enfants, soit du culte catholique, soit du culte réformé, fussent dispensés de suivre l’enseignement de leur propre culte dans l’école. Ce serait une espèce de scandale qui porterait atteinte à l’enseignement religieux que vous voulez faire donner au reste des enfants qui suivraient cet enseignement. Ce système donc ne peut être admis sous peine de rendre les prescriptions de la loi illusoires. Rien ne serait plus facile que d’organiser par esprit d’opposition une espèce de concert entre un certain nombre de parents pour les engager à déclarer qu’ils ne veulent pas que leurs enfants suivent l’enseignement religieux de l’école. Or, nous ne pouvons donner ouverture à une opposition directe à la loi.

J’aborde, messieurs, la seconde question, celle de la séparation de la morale d’avec la religion. Là, messieurs, les contradictions sont moins tranchées. On convient que l’enseignement de la religion comprend nécessairement l’enseignement de la morale en tant qu’elle se rattache à la religion. Et en effet, comme je l’ai dit dans un précédent discours, il n’est plus possible de concevoir une religion qui ne s’occupe que du dogme, et qui ne prescrit aucune espèce de pratique. aucune espèce de devoir ceux qui la suivent.

L’honorable M. Delfosse a dit que l’enseignement moral, en ce qui concerne les rapports de l’homme avec Dieu, avec lui-même et avec ses semblables, appartient à la morale religieuse. Mais il a fait une distinction en ce qui concerne ce qu’il appelle la morale publique. Messieurs, cette distinction n’est pas entièrement fondée. Ainsi, par exemple, dans tous les catéchismes, pour ne parler que de la religion que nous professons, vous trouvez que l’on doit respecter les autorités constituées, que l’on doit obéir aux lois. Voilà, messieurs, un enseignement moral qui se rapporte à la vie publique. Vous voyez donc que la distinction faite par l’honorable M. Delfosse n’est pas fondée.

D’autre part, messieurs, on enseigne encore, dans cette même religion, qu’il est des lois auxquelles on ne peut pas en conscience obéir. Supposons, par exemple, qu’une loi ordonne, comme nous en avons vu des exemples, un culte idolâtre ; il est certain qu’un membre de la religion chrétienne n’obéira pas à cette loi. Il pourrait encore arriver que certain système, le communisme, par exemple, vînt à triompher ; qu’une loi ordonnât le partage des propriétés. Eh bien ! tout homme qui croit, conformément aux préceptes de la religion, qu’il faut respecter la propriété d’autrui, ne prendra pas part à la dépouille de son voisin.

Voilà donc des points où la morale religieuse est évidemment en contact avec ce que vous appelez la morale publique.

Je crois, messieurs, que sauf ces quelques points que je viens d’indiquer, on n’a pas à s’occuper de morale publique dans l’école. En effet, on n’enseigne dans une école primaire ni la constitution, ni les lois civiles.

L’honorable M. Devaux a dit : Mais si vous confiez au clergé la direction de la religion et de la morale, ne pourra-t-il pas arriver que le ministre d’un culte, quel qu’il soit, ne veuille pas que l’instituteur mette au nombre de ses maximes qu’il ne faut pas mentir ? Mais, messieurs, y a t-il une seule religion qui autorise le mensonge ? Quant à moi, je n’en connais pas. Et assurément l’instituteur ne sera jamais empêché, par un ministre du culte, d’inculquer une semblable maxime dans l’esprit des enfants qui suivent son école.

Il y a plus, c’est que, dans l’esprit de la loi comme dans la pratique, l’instituteur enseigne la morale et la religion. C’est ainsi qu’elle se pratique, notamment pour les écoles réformées, à tel point que dans les rapports que j’ai eus comme ministre de l’instruction publique, avec des ministres du culte dissident, ils ont fait envisager leurs écoles primaires comme autant d’écoles religieuses, comme une conséquence du culte. Cela pourrait se vérifier dans les dossiers qui se trouvent au département des cultes.

Mais si l’instituteur peut donner l’enseignement de la religion et de la morale, ce doit être sous la direction du ministre du culte professé par la majorité des enfants ; car il ne faut pas que l’instituteur puisse donner cet enseignement d’une manière arbitraire, qu’il puisse enseigner la morale d’une manière contraire à la morale du culte professé par la majorité des élèves, et je crois que tel est exclusivement le sens de l’article, Je ne vois donc aucun motif d’amender la rédaction de cet article. Quant à moi, lorsque j’ai pris part à la discussion du projet de 1834, j’ai cru qu’en parlant de l’enseignement religieux c’était ainsi que cela devait se pratiquer. Mais puisqu’aujourd’hui tout est mis en discussion je craindrais que si on retranchait le mot de morale, on ne vînt dire : le ministre du culte doit se borner à enseigner le dogme, et que, lorsque ce ministre appellerait l’attention du gouvernement sur un enseignement contraire à la morale religieuse qui doit être dans l’école, on ne peut lui dire : C’est de la morale, ceci ne tombe pas sous votre inspection. Je ne veux pas laisser la porte ouverte à des chicanes, d’autant plus que dans la pratique l’application de la loi ne souffre pas la moindre difficulté.

Il me reste un mot à répondre à l’honorable M. Delfosse qui a prétendu que tous les torts étaient du côté de l’évêque de Liége, dans les démêlés qu’il a eus avec la régence de Liége pour ce qui concerne l’enseignement religieux. Qu’il soit permis à quelqu’un qui a lu tout ce qui a été publié relativement à ces démêlés, tant par la régence que par l’évêque et par les prêtres qui ont été en rapport avec la régence et le collège ; qu’il soit permis, dis-je, à quelqu’un qui a lu toutes ces pièces avec la plus grande impartialité de dire son opinion à cet égard. Je me bornerai à dire que ce qui s’est passé à Liège ne peut, selon moi, être imputé à l’évêque, et que l’on peut d’autant moins en tirer un préjuger défavorable pour lui, que dans beaucoup d’autres villes il règne un accord parfait entre ce prélat et les régences en ce qui concerne l’enseignement religieux qui est donné, soit dans les collèges, soit dans les écoles primaires. Du reste, je ne veux point entrer dans des détails à cet égard, mais je n’ai pas voulu que mon silence pût être considéré comme approbatif de l’opinion émise l’honorable M. Delfosse.

M. le président. - M. le ministre de l’intérieur a déposé une nouvelle rédaction du 2ème et du 3ème § de l’article. Il propose de remplacer, dans le § 2, les mots : majorité des habitants, par ceux-ci : majorité des élèves de l’école ; et de substituer, dans le § 3, aux mots : la religion de la majorité des habitants, ceux-ci : la religion des élèves en majorité dans l’école.

M. Devaux a proposé de substituer l’art. 2 du projet de 1834 à l’article en discussion.

M. Devaux. - Je me borne à proposer de substituer les mots l’enseignement de la religion, à ceux-ci : l’enseignement de la religion et de la morale.

M. le président. - M. Devaux propose donc la suppression des mots et de la morale.

M. Savart-Martel. - Je ne parlerai pas en ce moment, messieurs, de l’amendement proposé par un honorable membre, et qui tend à la suppression des mots : et de la morale ; je laisse à d’autres le soin de discuter ce point ; mais je dois dire un mot à la chambre relativement à l’amendement que j’ai proposé au 3ème.

On a supposé dans mon amendement autre chose que ce qui s’y trouve ; ou a supposé que, d’après cet amendement, il serait libre aux enfants de ne recevoir aucune instruction religieuse, et l’on dit que de petits philosophes imberbes aimeraient nécessairement mieux de jouer que de recevoir l’instruction morale et religieuse.

Je n’ai pas dit un mot, messieurs, qui puisse donner cette portée à mon amendement, et c’est très mal à propos que l’on m’a supposé des idées semblables. Mais, messieurs, si vous admettez que les enfants pourraient refuser d’assister à l’enseignement religieux pour aller jouer, dites également qu’ils pourront refuser toute instruction, car nécessairement les enfants préféreront toujours de jouer à la toupie ou au cerf-volant que de recevoir une instruction quelconque.

Je n’aurais pas proposé mon amendement, messieurs, si l’on avait conservé dans le projet actuel ce qui se trouvait dans le projet de 1834, c’est-à-dire que le vœu des pères de famille serait toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l’instruction religieuse. La loi française, ainsi que j’ai l’honneur de le dire, renferme une disposition semblable, car je n’ai aucune espèce d’amour-propre d’auteur, et si l’on veut reproduire la disposition du projet de 1834, je ne suis pas éloigné de m’y rallier.

M. le ministre de l’intérieur et d’autres orateurs ont dit qu’ils rendaient hommage au pouvoir paternel ; mais je pense qu’on ne saurait rendre un hommage plus solennel au pouvoir paternel qu’en adoptant l’amendement que j’ai proposé et qui laisse aux pères de famille le choix de l’enseignement religieux à donner à leurs enfants.

Mais, dira-t-on, il peut se trouver des parents qui ne veulent donner aucune espèce d’enseignement religieux à leurs enfants. Je vous avouerai, messieurs, que je ne crois pas qu’il puisse y avoir des gens assez malhonnêtes, des pères de famille assez éhontés, pour refuser l’instruction religieuse à leurs enfants.

On a dit que nous pousserions le principe de la liberté des cultes jusqu’à la négation de toute religion. C’est toujours ainsi qu’on nous suppose des principes qui ne sont pas les nôtres, qu’on nous représente comme ayant moins de principes religieux que nous n’en avons réellement. Mon amendement ne tend pas à la négation de toute religion ; il tend à ce que les parents puissent donner à leurs enfants l’enseignement religieux qu’ils préfèrent. Ne peut-il pas arriver, par exemple, qu’un père professe telle religion et que la mère en professe telle autre ; comment exécuterez-vous, dans ce cas, la disposition du projet actuel ? Comment constaterez-vous d’ailleurs, quelle est la religion des parents ? car remarquez bien qu’il n’est pas dit qu’on s’en rapportera à leur déclaration. Vous devez donc constater quelle est la religion des parents, et je ne sais pas jusqu’où cela peut nous mener ; ce qui est certain, c’est que cela peut nous mener fort loin et qu’il peut en résulter tout autre chose que ce que veulent les honorables membres de cette chambre, dont l’opinion est opposée à la mienne ; car je ne crois pas que leur intention soit de contrarier la liberté des cultes.

Je sais bien qu’en général on connait assez le culte que chacun professe, mais enfin il est cependant des personnes qui ne sont pas dans ce cas, et nous faisons des lois pour la généralité et non pas seulement pour la majorité.

On a dit que mon amendement pourrait donner lieu à du scandale ; je ne conçois vraiment pas quel scandale il pourrait en résulter. On dit qu’il y aurait des parents qui ne donneraient aucune espèce d’enseignement religieux à leurs enfants. Je ne crois pas qu’il puisse exister en Belgique un seul père de famille qui voulût élever ses enfants en dehors de toute religion. Ce que je conçois, c’est qu’il y ait des personnes qui, professant, par exemple, le culte hébraïque voudraient élever leurs enfants dans la religion chrétienne ; je conçois des parents qui, professant le culte protestant, voudraient élever leurs enfants dans la religion catholique. Eh bien, c’est ce que vous défendez par l’article tel qu’il est ; vous ne rendez donc pas hommage au pouvoir paternel, si vous voulez rendre hommage au pouvoir paternel, vous devez adopter soit la disposition du projet de 1834, à laquelle je me rallierai volontiers, soit mon amendement que je maintiendrai si vous ne voulez pas de la disposition du projet de 1834

M. Verhaegen. - Messieurs, j’appuie l’amendement de l’honorable M. Savart, et je me permettrai, à cet égard, quelques observations nouvelles. Je prends l’engagement de ne pas répéter ce que d’autres ont dit avant moi.

Je disais, dans une séance précédente, que deux grands principes, l’indépendance complète de l’Eglise vis-à-vis de l’Etat, et, comme contrepoids, la liberté illimitée des cultes, devaient porter obstacle à l’adoption de plusieurs dispositions du projet. Je rencontre cet obstacle dans l’occurrence et je le rencontrerai à l’occasion de plusieurs autres articles. Ce que j’ai prévu, messieurs, est arrivé ; d’exigences on marche en exigences.

L’honorable M. de Man vous a dit quelque chose de bien important, et il semble qu’on l’ait déjà perdu de vue, je tiens fort à fixer votre attention sur les quelques paroles qu’il a prononcées ; mais ces paroles (et je le lui dis tout d’abord) ne doivent pas seulement avoir pour résultat de faire rejeter l’amendement de M. Savart-Martel, mais elles doivent encore avoir pour résultat de faire rejeter le dernier paragraphe de l’article 6.

Cette partie du discours de l’honorable M. de Man était, comme je viens de vous le dire, restée inaperçue, et il m’importe, à moi, de vous la signaler.

L’honorable M. de Man a dit, messieurs, « qu’il ne fallait pas s’y tromper, que la religion devait être combinée avec toutes les matières d’enseignement, que l’instruction religieuse était une instruction de tous les jours, de tous les instants ; que l’enseignement religieux devait être confondu avec l’instruction proprement dite. »

L’honorable M. de Man a ajouté qu’il ne suffisait pas d’une ou de deux leçons par semaine, quant à l’instruction religieuse, mais qu’il fallait que, d’une manière permanente, chaque jour, chaque moment, l’instruction religieuse fît partie de l’instruction proprement dite, c’est le système de l’honorable M. de Man ; il me confirme par un signe affirmatif que c’est ainsi qu’il l’entend.

Eh bien ! s’il en est ainsi, vous devez nécessairement retrancher le 1er § de l’art. 6, et vous ne pouvez pas vous contenter du rejet de l’amendement de l’honorable M. Savart. En effet le 1er § de l’art. 6 porte :

« Les enfants dont les parents n’appartiennent pas à la communion religieuse en majorité dans la commune, seront dispensés d’assister à ce enseignement. »

Ce qui veut dire que puisque l’enseignement religieux doit être confondu avec l’instruction proprement dite, il ne s’agit pas de donner par semaine une ou deux leçons séparées pour l’enseignement religieux et moral ; cela veut dire que ceux qui n’appartiennent pas à la communion religieuse en majorité dans la commune, n’auront pas d’instruction. Ainsi, dans une commune dont les habitants professent en majorité la religion catholique, par exemple, vous exclurez de l’instruction la minorité protestante de la localité, parce que, selon l’honorable M. de Man, l’instruction religieuse doit être confondue avec l’instruction proprement dite.

Vous voyez, messieurs, où nous marchons. Ce que j’ai prévu arrive. C’est à la liberté des cultes qu’on touche. On cherche à proclamer, d’une manière indirecte, une religion de l’Etat, une religion dominante. Toutes les tendances qui se manifestent vont à ce but. On suppose comme une première vérité qu’il n’y a d’autre religion en Belgique que la religion catholique.

Si cela était écrit dans la constitution, je n’aurais rien à dire. J’ai été le premier à proclamer qu’il aurait peut-être convenu de consacrer dans la constitution un autre principe que celui qui s’y trouve ; mais aussi longtemps que la constitution n’est pas changée, il faut en subir les conséquences.

Les honorables collègues auxquels je réponds, perdent constamment ce principe de vue. Que l’honorable M. de Man ne se fasse pas illusion, si ce qu’il a dit est vrai, il n’admet pas la liberté des cultes en Belgique ; car s’il admet la liberté des cultes, il faut qu’il n’exclue pas de l’école les enfants des protestants d’une commune où la minorité des habitants professe cette religion. Or, l’honorable M. de Man exclut formellement ces enfants de l’école communale, car voici sa conclusion dans j’ai pris note avec soin ; il a dit « que ceux qui ne veulent pas de cet enseignement, ainsi combiné, se retirent. » Voilà les paroles de l’honorable M. de Man. Ainsi, les prémisses sont que l’enseignement religieux est inséparable de l’enseignement proprement dit ; qu’il ne faut pas se borner pour l’enseignement religieux à une ou deux leçons par semaine, mais que l’enseignement religieux doit être un enseignement de tous les jours, de tous les instants ; que cet enseignement doit être complètement confondu avec l’enseignement proprement dit, et que ceux qui ne veulent pas d’un pareil enseignement n’ont qu’à se retirer. C’est ce qui équivaut à l’exclusion des enfants des protestants, pour lesquels cependant on a disposé dans le dernier § de l’art. 6.

Messieurs, j’ai cru de mon devoir de vous signaler la portée de ce discours. Il est impossible de s’y méprendre. Si l’auteur de ce discours entend respecter la disposition constitutionnelle, il ne lui reste qu’à rétracter d’une manière formelle ce qu’il a dit.

Ainsi, l’honorable M. de Man n’adopte pas l’amendement de l’honorable M. Savart, mais il repousse même la disposition proposée par la section centrale. Eh bien ! messieurs, ce sont toutes ces tendances qui me portent à donner mon assentiment à l’amendement de l’honorable M. Savart, et d’ailleurs cet amendement n’est que le résultat de la discussion d’hier.

L’amendement de l’honorable M. Savart a été provoqué par les observations qui ont été faites par l’honorable M. Brabant. Nous, messieurs, nous n’aurions pas osé aller jusqu’où est allé l’honorable M. Brabant. Cet honorable collègue, en proclamant la liberté des cultes, ainsi que la liberté illimitée d’enseignement, a entendu parler de ces parents qui n’auraient aucune religion, qui professeraient, si je dois lâcher l’expression, l’indifférentisme ; l’honorable M. Brabant voudrait que protection fût accordée même à ces parents. Quant à nous, nous nous serions bien gardé de prononcer de semblables paroles, car elles n’auraient pas été reçues avec bienveillance.

Eh bien, les observations de l’honorable M. Brabant ont suggéré à l’honorable M. Savart l’idée de proposer son amendement ; elles avaient fait naître chez moi la même idée, et j’aurais dépose un amendement, si l’honorable M. Savart n’avait pas présenté le sien. Mon honorable collègue n’a fait et je n’aurais fait autre chose que de faire écrire dans la loi ce que l’honorable M. Brabant avait dit à la tribune : vous voulez la liberté pour tous, eh bien, que cela ne se borne pas à des mots ; consentez à traduire vos paroles dans une disposition formelle de la loi.

Maintenant, quel inconvénient y a-t-il à l’adoption de ces amendements ? La loi française, que l’on n’a cessé d’invoquer, proclame le principe tel qu’il est posé dans l’amendement de l’honorable M. Savart ; le projet de 1834 proclame le même principe, et, comme on l’a déjà dit, les auteurs de ce projet sont tous au moins aussi orthodoxes que ceux qui ont formulé les dispositions dont nous nous occupons. Pourquoi donc n’adopterait-on pas ce principe ?

Cela jetterait, dit-on, de la perturbation dans l’école. Les enfants, a dit l’honorable M. Cogels, se montreraient des petits esprits forts, de petits philosophes ; ils diraient à leurs camarades : Ce qu’on vous enseigne là, ce n’est qu’une bêtise.

Mais ne voyez-vous pas que ces observations ne combattent pas seulement l’amendement de l’honorable M. Savart, mais qu’elles combattent encore la dernière disposition de l’art. 6 ? L’honorable M. Cogels n’est-il pas bien près de se placer sur le même terrain que celui où nous avons trouvé l’honorable M. de Man. Est-il vrai, oui ou non, que, d’après le dernier paragraphe de l’art. 6, les enfants dont les parents sont protestants, par exemple, peuvent s’abstenir d’assister à l’enseignement religieux ? L’honorable M. Cogels me fait un signe affirmatif : ces enfants peuvent donc s’abstenir ; eh bien, dans ce cas, l’honorable M. Cogels n’a pas moins de raisons de craindre que ces enfants protestants ne se montrent de petits philosophes, de petits esprits forts, qu’ils ne disent à leurs camarades que pendant qu’on leur enseigne des bêtises, eux peuvent s’occuper d’autre chose, et se livrer à des amusements. Le même inconvénient existe donc, et l’honorable M. Cogels ne parera à cet inconvénient qu’en demandant, comme l’honorable M. de Man, que l’on exclue de l’école les enfants des protestants.

Ainsi, il n’y a pas d’inconvénient à admettre l’amendement de l’honorable M. Savart, si nous voulons adopter le troisième paragraphe de l’art. 6. Tout le monde alors sera libre, et je dirai, avec l’honorable M. Cogels, qu’il n’y aura pas de parents qui voudront défendre à leurs enfants de suivre l’enseignement religieux.

L’honorable M. Cogels a fait des observations dans l’intérêt des principes ; eh bien, l’honorable M. Savart et moi, faisons aussi nos observations dans l’intérêt des principes ; mais nous pensons comme lui qu’il n’y aura pas de parents qui se montreront indifférents en matière de religion ; que les familles appartenant à l’une ou l’autre croyance voudront toujours que leurs enfants suivent l’enseignement religieux de cette croyance. Ainsi, si c’est une question de principe pour l’honorable M. Cogels, c’est également une question de principe pour l’honorable M. Savart et moi.

Puisque nous sommes sur ce terrain, puisqu’on croit qu’il est indispensable que l’enseignement ait pour base une religion positive, et qu’on a jugé à propos d’exclure l’indifférentisme, je voulais qu’on me dît ce que feront dans les communes les enfants des protestants, et en général de tous les habitants professant un autre culte que la religion catholique. Ceux-là n’auront pas d’enseignement religieux, car pour eux spécialement, il n’y aura pas d’enseignement religieux. Mais il y a plus, c’est que si l’on n’adopte pas la disposition proposée par l’honorable M. Devaux, pour ces enfants-là, il n’y aura pas même d’enseignement moral.

L’honorable M. de Theux a tourné autour de la question, en répondant à l’honorable M. Devaux, mais lui, ni personne n’a rencontré l’objection capitale. L’honorable M. Devaux vous a dit : Si vous comprenez la morale dans l’enseignement religieux, de la manière qu’on l’entend, les enfants des protestants n’auront aucune notion de morale, ils seront exclus de l’enseignement de la morale, cela est évident, car la morale se trouvant comprise dans l’instruction religieuse, et les enfants des protestants se retirant de cette instruction, il n’y a pas d’instruction morale pour eux.

Je sais bien qu’on va me répondre ; ce sont des cas qui se présenteront très rarement ; d’ailleurs, la religion catholique est professée par la grande majorité du pays ; soyez francs et dites plutôt que la religion catholique devrait être la religion dominante, la religion de l’Etat. Vous voyez, messieurs, que l’on est toujours en présence du grand principe qui s’oppose à l’adoption de cette disposition à laquelle je donnerais aussi les mains s’il nous était permis de ne pas prendre pour point de départ la constitution, telle qu’elle a été proclamée.

J’adhère aussi à l’opinion de mon honorable ami M. Delfosse. L’honorable M. Delfosse sans adopter tous les principes, ou au moins toutes les observations qui sont consignées dans la pétition du conseil communal de Liége, vous a fait remarquer que la morale, telle que l’entendaient les auteurs du projet, comprenait non seulement le développement des dogmes de la religion, mais se rattachait encore à d’autres points très importants. Ainsi la morale, nous a-t-il dit, doit s’entendre des rapports de l’homme avec Dieu, des rapports de l’homme avec lui-même et des rapports de l’homme avec les semblables.

Et tout cela doit-il être confié au clergé ? L’Etat n’a-t-il rien à faire, alors que son intérêt concourt avec l’intérêt de la religion ? Mais, a-t-on dit, je ne sais plus quel orateur : Vous voulez substituer à l’enseignement de la religion, le rationalisme. Comment ! nous voulons substituer à l’enseignement de la religion, le rationalisme, parce que nous voulons conserver à l’Etat ses droits et ses prérogatives. Il s’agit des devoirs de l’homme vis-à-vis de ses semblables sous le rapport privé et sous le rapport public, et alors qu’il s’agit de ses devoirs publics, de ses devoirs comme citoyen ; vous voulez que le clergé soit compétent. Mais, dit M. de Theux, le catéchisme contient la doctrine qu’il faut obéir aux lois, et tout est dit. Mais à quelles lois faut-il obéir ? Comment ! tout est dit, parce que le catéchisme dit qu’il faut obéir aux lois, quand bientôt, à côté du principe, on a établi des exceptions ! Qui est juge de ces exceptions ? le clergé ! Le gouvernement est incompétent.

Mais c’est tout au moins un objet mixte qui appartient tout aussi bien au gouvernement qu’au clergé, qui veut se l’arroger exclusivement.

Si la religion comprend la morale, je crois qu’il n’y a pas de morale plus sublime que celle du Christ, que la morale du christianisme est la plus belle de toutes les morales ; c’est un agneau sans tache ; malheureusement, elle n’est pas toujours restée aussi pure qu’à son principe, mais c’est la plus sublime de toutes les morales, et la religion la comprend.

Pourquoi dès lors ajouter encore quelque chose ; pourquoi voulez-vous faire un pléonasme ? Nous le devons maintenant, dit M. de Theux, cela n’aurait peut-être pas été nécessaire (il faut bien qu’il se justifie, il était l’un des auteurs de la loi de 1834), car la religion comprend la morale, mais de ce qu’on a mis de morale dans la loi, si on le retranchait maintenant cela pourrait donner matière à des chicanes. Donner matière à des chicanes ! mais de la part de qui ? du pouvoir central ? Vous voulez donc mettre le pouvoir central en état de suspicion ? S’il vous est permis de dire que cela pourra donner matière à des chicanes de la part du pouvoir central, il nous sera permis de dire que le laisser pourrait donner matière à des chicanes de la part d’autres qui se sont toujours montrés exclusifs. Vous soupçonnez le gouvernement central, et vous ne voulez pas que je vous soupçonne. Puisque vous dites que retrancher le mot morale pourrait donner lieu à des chicanes, j’ai le droit de croire que la maintenir y donnerait lieu à plus forte raison, Mais il y a un but qu’on veut atteindre et qui est en opposition avec les grands principes sur lesquels j’ai fixé votre attention. S’il avait manqué quelque chose à cette conviction, qui est chez moi profonde, le discours qu’a prononcé M. de Man l’aurait achevée car rien de plus clair ne pouvait être dit pour saper dans sa base la plus importante de nos dispositions constitutionnelles.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a un vice de rédaction ; il faut lire : Les enfants qui n’appartiennent pas à la communion religieuse de la majorité.

Dès lors les cas cités par l’honorable M. Savart, les cas de mariages mixtes, les cas où des parents protestants voudraient faire élever leurs enfants dans la religion catholique, ou réciproquement, tout est prévu.

M. Dechamps, rapporteur. - Deux questions ont été soulevées dans ce débat, deux questions qui se mêlent qui cependant ont été traitées séparément.

L’honorable M. Devaux demande qu’on retranche le mot morale, et l’honorable M. Savart-Martel veut rétablir le sens de l’article du projet de 1834, relativement aux dispenses des dissidents.

Messieurs, une chose me frappe dans ce débat, c’est que plusieurs honorables membres confondent ordinairement ce qui est relatif à l’instruction moyenne et supérieure et ce qui est relatif à l’instruction primaire proprement dite,

Ma conviction est qu’il fait aussi que l’instruction moyenne revêtît un caractère moral et religieux, cependant chacun comprendra que la question n’est pas identiquement la même pour l’instruction moyenne que pour l’instruction primaire. L’instruction moyenne doit être sérieusement et profondément morale et religieuse, mais elle revêt un certain caractère politique, tandis que l’instruction primaire est exclusivement sociale. Je ne comprends pas véritablement cette espèce de défiance dont on s’arme par rapport à l’intervention de l’inspecteur religieux dans l’école d’enseignement primaire ; car l’instituteur sous la direction du ministre du culte, pourra-t-il changer la mission dont il est revêtu en faveur de telle ou telle tendance politique ? l’instituteur et le ministre du culte enseigneront, quoi ? Le catéchisme, les éléments de la doctrine chrétienne, ce catéchisme devant lequel M. Cousin lui-même s’inclinait en signe de respect. Il fera répéter aux enfants ces prières qu’ils ont apprises sur les genoux de leur mère. Il les initiera à l’histoire sainte. Voilà le cercle de l’enseignement moral et religieux de l’école. Je ne comprends pas comment le prêtre et l’instituteur pourraient se servir de cette mission en faveur de telle ou telle tendance politique.

L’honorable M. Devaux et l’honorable M. Verhaegen se trouvent d’accord avec nous sur la question fondamentale. Ces honorables membres avancent qu’il est très difficile d’indiquer la ligne de démarcation entre la morale et la religion enseignée dans l’école.

L’honorable M. Verhaegen a dit que, de toutes les morales, celle du christianisme est la plus complète et la plus belle. Je ne comprends pas dès lors quel but on aurait à vouloir supprimer ce mot morale dans la loi.

C’est un pléonasme, a dit l’honorable M. Devaux. S’il n’y avait qu’une redondance, on n’insisterait pas autant pour supprimer ce mot. Je n’accuse pas les intentions, mais il y a une autre chose au fond de ce débat qu’une redondance et un pléonasme. L’honorable M. Verhaegen vous en a donné le sens.

L’opinion que je professe n’est pas seulement la mienne, c’est celle de tous ceux qui ont soutenu les véritables principes dans cette matière. C’est, comme dit M. Guizot, que l’instruction religieuse n’est pas seulement donnée à telle heure, à tel instant donné, c’est que cette instruction religieuse doit planer sur l’enseignement tout entier. C’est, dit lord John Russel, que l’instruction religieuse doit être mêlée à toutes les matières de l’enseignement.

Je ne comprends pas qu’il puisse en être autrement.

Cette suppression, qu’on demande, elle est inutile si nous sommes d’accord sur le fond, si nous sommes d’accord avec l’honorable M. Guizot que l’instruction morale et religieuse n’est pas comme le calcul, la géométrie, l’orthographe, une leçon qui se donne en passant à une heure déterminée, après laquelle il n’en soit plus question. La partie scientifique, ajoute-t-il, est la moindre de toutes dans l’instruction morale et religieuse. Ce qu’il faut, c’est que l’atmosphère générale de l’école soit morale et religieuse ; il s’agit ici d’éducation encore plus que d’enseignement ; et la conséquence que M. Guizot tirait de ces promesses est que le magistrat religieux ne soit pas exclu de cet enseignement moral et religieux qui doit planer sur tout l’enseignement.

Il faut être franc, il faut s’exprimer avec franchise. Si telle est votre pensée, alors évidemment la suppression est inutile, complètement inutile, car je demanderais dans quel but on proposerait cette suppression, si on n’a pas pour but de circonscrire l’influence du magistrat religieux, dans l’école, dans lettre du dogme, et de ne pas le laisser aller au-delà. Si voulez que son influence s’exerce sur les matières d’enseignement, si, comme les honorables MM. Devaux et Verhaegen l’ont proclamé, on ne veut pas plus que moi dans l’école primaire une morale en dehors du christianisme, à quoi bon cette suppression ? Mais si la suppression est inutile, il y aurait certain danger à la faire. Ce danger existerait par le seul fait que la chose avait été introduite dans la loi, et qu’on l’en a retranchée. On attacherait à cette suppression un caractère et une portée autre que celle que lui donnent les personnes qui la demandent.

En effet, la pétition de la commune de Liége établit ce que je viens d’avancer. Dans cette pétition on professe le principe de la séparation de la morale et de la religion ; elle sépare deux choses que je ne comprends pas qu’on puisse séparer. Cette opinion est professée, il lui serait difficile de donner des explications satisfaisantes, mais toujours est-il qu’elle existe ; on pourrait croire que la chambre a voté sous l’impression de ce principe que pour moi je repousse de toutes mes forces.

Ce que je veux dans l’école c’est que l’instruction y soit morale et religieuse d’après les différents cultes professés par les élèves, par les habitants mêmes de la localité.

Ainsi on a dit tout à l’heure, c’est l’honorable M. Verhaegen qui a fait cette observation : le danger qui existera, comme l’a dit l’honorable M. Cogels, dans la présence d’un esprit fort de six ans, existera par le protestant qui devra se passer d’enseignement religieux. Je m’expliquerai avec franchise. Il est désirable, d’après moi, que le gouvernement cherche à séparer autant que possible les écoles par cultes. Dans une commune même où il n’y aurait qu’une minorité protestante, mais assez considérable pour faire les frais d’une école, il convient que le gouvernement établisse pour cette minorité une école protestante, parce que dans mon opinion, il est préférable que les élèves d’une école primaire professent une même religion. Sir Robert Peel, au parlement anglais, déclarait qu’il est toujours dangereux d’enseigner comme vraie dans un coin de l’école une doctrine qui est déclarée fausse dans un autre coin de l’école. Ce danger existe pour tous les hommes raisonnables. Lorsqu’il y a des cultes dissidents dans une commune, je préfère toujours que le gouvernement établisse pour chaque culte des écoles séparées. Voilà mon principe général. L’honorable M. Verhaegen comprendra que je trouve quelque danger à insérer dans l’article des exceptions, n’importe lesquelles. Mais vous comprendrez qu’il y a une énorme différence entre l’hypothèse de M. Verhaegen et celle résultant des observations qu’on vous a soumises. Je comprends bien moins le danger d’admettre dans l’école des enfants de la religion protestante, parce que chacun sait qu’ils appartiennent à une communion dissidente ; chacun comprendra pourquoi ils s’abstiennent de participer à l’enseignement de la religion et de la morale. Mais le danger augmente lorsque les enfants verront un enfant élevé dans la même croyance qu’eux, s’abstenir de participer à l’enseignement de la religion et de la morale. Le motif échappera aux enfants de l’école. Ce sera une protestation dont ils ne comprendront pas le sens, comme quand il s’agira d’un enfant d’une secte protestante. La différence est immense.

L’honorable M. Verhaegen s’est effarouché du discours et des opinions de l’honorable M. de Man. Mais le discours de M. de Man et surtout les phrases relevées par M. Verhaegen, n’appartiennent pas à l’honorable membre ; elles sont prises textuellement dans un ouvrage d’un ami de M. Verhaegen, du M. Ducpétiaux. M. Ducpétiaux a publié un ouvrage sur l’instruction primaire. Jusqu’à présent j’ignorais que l’opinion de ce citoyen n’eût pas l’approbation de M. Verhaegen.

Voici comment s’exprime M. Ducpétiaux sur la question soulevée par l’honorable M. Verhaegen.

« Nous avons dit que le culte professé par la majorité des élèves déterminerait la nature de l’enseignement religieux dans chaque école publique ; est-ce à dire que ces écoles seront fermées aux enfants dont les parents sont attachés à des cultes dissidents ? (M. Ducpétiaux ne s’occupe pas même de la question soulevée ici ; lui ne s’occupe que des cultes.) Les citoyens, par exemple, seront-ils privés de toute participation aux bienfaits de l’instruction primaire publique dans les communes dont la majorité de la population sera catholique ? Ou, s’ils veulent en jouir, faudra-t-il qu’ils achètent cet avantage au prix de leur conviction religieuse, en soumettant leurs enfants à un enseignement qui répugne à leur conscience ? A Dieu ne plaise qu’il en soit ainsi, au milieu d’un peuple qui professe la tolérance la plus large en matière de religion, et chez lequel la liberté des cultes est garantie de la manière la plus formelle par la constitution.

« … Cette règle, qui a certainement un caractère sacré, puisqu’elle intéresse la religion et la conscience, ne sera pas d’une application bien difficile. Les enfants dispensés de prendre part à l’enseignement de la religion seront exemptés de l’étude des livres élémentaires consacrés à la doctrine religieuse et des instructions qui pourront s’y rapporter. Mais nous l’avons dit, la religion apparaîtra souvent dans des enseignements dont elle n’est pas l’objet principal et direct. Comment respecter ici en même temps la liberté religieuse des familles dissidentes, et le devoir non moins sacré de donner à l’éducation une tendance morale, par conséquent religieuse ? (M. Ducpétiaux est d’accord avec M. Guizot) Cette question nous semble peu difficile résoudre. En effet, le caractère religieux que l’on doit donner à quelques branches de l’enseignement scolaire, n’a rien qui puisse alarmer les consciences les plus délicates.

« …Certes, si des pères de famille étaient assez aveugles pour demander que les mots de Dieu, de Providence, de vie à venir ne frappassent jamais, dans l’école, les oreilles de leurs enfants, faudrait-il, pour complaire à des vœux semblables, dénaturer ou plutôt dégrader nos écoles, en privant les autres élèves des émotions pures et élevées, dont leurs âmes ont besoin ? Les parents qui, par des raisons que nous ne savons pas deviner, voudront préserver leurs enfants de toute impression religieuse, les retireront de l’école. Voila leur droit ! voila leur liberté. »

Ainsi, vous le voyer, le passage du discours de M. de Man qui a paru nouveau et exorbitant à M. Verhaegen est emprunté textuellement à l’ouvrage de M. Ducpétiaux.

L’honorable M. Devaux vous a dit : Mais pourquoi le même instituteur ne pourrait-il pas dire aux enfants : Il vous est défendu de voler, de mentir ; vous obéirez à vos parents. Pourquoi voulez-vous que l’instituteur ne puisse pas enseigner ces éléments de toute morale religieuse, sans la religion du prêtre ? Je demanderai à l’honorable membre pourquoi il veut que l’instituteur enseigne cette morale, en s’abstenant de déclarer aux enfants qu’elle a la sanction religieuse. Le danger, c’est que l’instituteur dise : Je vous donne des idées de morale. Le reste ne me regarde pas. Le reste, c’est la mission principale du prêtre. Dans cette idée, il y a un danger.

Je conçois que, dans une université, on enseigne la philosophie morale qui est une science. Je conçois que dans l’enseignement moyen l’éducation morale revête aussi un autre caractère que dans l’instruction primaire. Mais pour des enfants de 5 à 6 ans, je ne comprends pas l’utilité de cette espèce de séparation entre la morale même et la morale religieuse. Si vous admettez qu’on ne doit pas les séparer, laissez les deux mots. Ce sera, si vous voulez, une redondance, un pléonasme. Mais il n’y aura pas ambiguïté. Alors vous reconnaîtrez que la religion et la morale forment une seule et même chose pour l’enfant de l’école primaire.

Il m’est arrivé à moi (c’est un exemple que je me permets de citer) qu’un enfant d’une école primaire d’une de nos grandes villes m’a dit dans son langage naïf ; dans l’école que je fréquente on m’a dit d’être homme de bien, honnête homme, bon citoyen ; mais que le reste, ce que j’ai appris sur les genoux de ma mère et sous l’influence du prêtre dans l’église, était inutile ; c’est ce danger que je crains. Je partage l’opinion de M. Guizot sur ce point. Je reconnais que le prêtre a un caractère spécial pour l’enseignement du dogme. Mais je crois qu’il ne faut pas, par l’interprétation donnée à la loi, exclure cette influence de toutes le autres matières de l’enseignement.

M. Delfosse renonce à la parole.

M. de Mérode. - L’amendement de M. Savart-Martel dérive du dernier paragraphe ou alinéa de l’art. 6. Je trouve cet amendement mauvais, mais l’alinéa lui-même n’est qu’un peu moins mauvais à mes yeux. De qui devez-vous vous occuper dans la loi ? Evidemment de l’ensemble des populations. Si la population d’une commune offre un nombre considérable de dissidents appartenant à une autre communauté religieuse que l’Eglise catholique, il doit y avoir pour ces dissidents une école spéciale. Si ce nombre est trop peu considérable, il ne faut point compromettre pour lui les résultats de l’école établie à l’usage de la grande majorité. Or, si les enfants voient certains de leurs camarades dispensés de prières communes, dispensés de l’enseignement moral et religieux, ce disparate ne peut manquer de produire sur leur esprit une fâcheuse impression. Je conçois que quelques parents protestants isolés dans une commune catholique soient gênés pour procurer l’instruction primaire à leurs enfants, comme le seraient des parents catholiques dans une commune protestante, s’ils ne veulent pas les laisser participer tant à l’enseignement qu’à toutes les pratiques de l’école. C’est un inconvénient, sans doute, mais l’avantage du grand nombre ne doit jamais être sacrifié à la commodité de quelques-uns. Ceux-ci trouveront d’autres moyens de faire instruire leurs enfants, ils jouissent, à cette fin, de la liberté d’enseignement. Quant à moi, je considérerais comme une prétention mal fondée celle des parents catholiques placés exceptionnellement dans une commune protestante qui dérangerait le régime de l’école, afin de faire participer leurs enfants à l’instruction civile qu’on y donne, à moins que les populations ne soient tellement mêlées, en général, dans un pays, que les amalgames d’enfants de cultes divers soient indispensables, il faut les éviter soigneusement. Ces éléments mixtes n’existent que très peu en Belgique ; il n’est donc point à propos d’y admettre la réunion d’enfants de cultes divers, et je désire et je propose que l’on supprime le dernier alinéa de l’art. 6 qui peut donner lieu à des chicanes imprévues et à de dangereuses discussions. Ce qui n’est pas imaginé encore par les esprits enclins aux contentions pourra bien être inventé plus tard comme bien des actes que nous voyons aujourd’hui se pratiquer, et que l’on ne soupçonnait pas en 1830. J’ai dit que des catholiques placés au milieu des protestants ne devaient pas s’immiscer dans leurs écoles, ni occasionner à leur ordre de dérangement. Ainsi, à Tombrouck, par exemple, entre Mouscron et Dottignies, il existe une population protestante. Il en est d’autres près d’Audenaerde. S’il y a quelques catholiques dans ces communes, je pense qu’ils doivent subir les inconvénients de leur position, car quoiqu’on fasse, on n’évitera jamais les embarras particuliers. Si on veut y parer en tout point, on perdra le but principal dont les résultats sont si importants, et qu’l est bien mal entendu de compromettre pour des exceptions.

Avec un méticuleux système, craignez-le, messieurs, peu à peu, vous arriverez à l’éducation rationaliste ou sans couleur religieuse qui vivra seule aux dépens des deniers publics.

M. Orts. - Je propose, pour le cas où l’amendement de M. Devaux ne serait pas admis, un amendement au § 2, consistant à ajouter après le mot morale le mot religieuse, et à substituer aux mots des habitants de la commune, ceux-ci : des élèves de l’école.

Vous voyez que je suis parfaitement d’accord avec l’opinion émise par mon honorable ami, M. Delfosse. Il vous a dit que la morale se résume en trois points : rapports de l’homme avec lui-même, avec Dieu, avec ses semblables. Cette morale, a dit l’honorable M. Dechamps, est celle de l’Evangile. Par conséquent, l’enseignement doit en être confié au prêtre.

Maintenant est-il vrai qu’il ne puisse y avoir une morale autre que celle comprise dans ces trois points ? Messieurs, on a fait allusion à cette morale que j’appellerai en quelque sorte morale politique, morale qui peut être différente dans un pays de ce qu’elle est dans un autre. Par exemple, quant à nos grands principes sur la liberté de conscience, sur la liberté de manifester son opinion en toutes matières, sur la liberté de la presse, sur beaucoup d’autres points fixés par notre pacte constitutionnel, si on les enseignait à Vienne ou dans d’autres pays catholiques, cet enseignement pourrait être taxé d’immoralité.

Cependant ne serait-il pas possible qu’un instituteur, quoiqu’il ne soit pas du ressort des écoles primaires proprement dites d’y enseigner la politique, donnât à ses élèves une instruction sommaire sur des objets touchant à ces points, si importants pour nous ? Si ce fait est possible, il faut que l’on évite les inconvénients qui pourraient résulter de confier autre chose que la morale uniquement religieuse à la surveillance de l‘autorité ecclésiastique. L’art. 6 porte : « L’enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des habitants de la commune. » Cet article doit être essentiellement lié avec le 2ème § de l’art. 7, qui en est le corollaire et qui porte que, quant à l’enseignement moral et religieux, la surveillance ne sera exercée que par les ministres du culte du lieu où l’école est établie et par le délégué au chef de ce culte. »

Ainsi direction de la part du ministre du culte sur la morale en en général ; surveillance exclusive de la part du ministre du culte sur l’enseignement de la morale religieuse, je déclare que je le veux bien ; mais je ne veux pas qu’il soit possible que, par confusion, on enveloppe sous ce nom de morale religieuse les points qui touchent aux grands principes politiques de l’Etat, qu’on puisse élever des doutes sur les libertés dont nous jouissons, attaquer les dispositions de notre pacte fondamental.

Je ne pense pas que le clergé soit capable d’en agir ainsi ; mais enfin ce fait serait possible, Je ne demande pas l’exclusion du clergé , qu’il surveille l’enseignement moral en général ; mais que l’autorité civile ne soit pas exclue du droit de porter sa surveillance spéciale sur ce point intéressant de savoir s’il s’occupe de la morale telle qu’elle est définie : les rapports de l’homme avec Dieu, avec lui-même et avec ses semblables.

Voilà, messieurs, ce qui a motivé mon sous-amendement à l’amendement de l’honorable M. Devaux. Je proteste ici que c’est dans des intentions loyales, dans les intentions même favorables à l’enseignement de la religion et de la morale que je propose ce sous-amendement. C’est une crainte qui s’est élevée dans mon esprit, et je pense que c’est toujours un acte de prudence que d’éviter toute espèce d’équivoque qui pourrait naître d’une disposition d’une loi.

M. Devaux. - Messieurs, je ne demande pas qu’on restreigne l’enseignement du clergé plus que ne le fait le projet de loi. Je dis, quant à moi, et je crois que vous êtes tous de mon avis, que la morale est contenue dans la religion, que le clergé aura le droit d’enseigner la morale, de diriger l’enseignement moral. Mais ce que j’ai demande, c’est que l’on n’exclût pas le laïque en général de l’enseignement pratique de la morale. Je ne demande pas qu’on restreigne l’autorité du clergé, mais je demande que vous vouliez bien ne pas déclarer le laïque incompétent en fait de morale. Je donne au mot religion le même sens que vous donnez aux mois religion et morale ; je demande non pas que le laïque donne un enseignement moral ex professo, mais que vous ne lui refusiez pas le droit d’enseigner cette morale pratique de tous les moments. Je ne demande pas que l’instituteur primaire, s’il n’enseigne pas la religion, fasse un cours de morale comme on fait un cours de catholicisme, mais je demande que vous ne le placiez pas sous cette exclusion extrêmement peu favorable.

On me dit ; Mais laissez le mot, puisqu’il y est ; pourquoi le supprimer ? Je viens de vous en donner une raison. Remarquez que le mot n’était pas dans le projet ; ou l’y a ajouté ; il fallait donc une raison pour l’y ajouter. Je demande pourquoi on l’y a inséré. Je déclare, moi, que je ne veux pas restreindre l’autorité du clergé mais vous, ne faites pas la déclaration contraire ; vous, ne déclarez pas que vous ne voulez pas restreindre l’autorité laïque ; de sorte qu’il y a une raison pour vous de mettre ce mot dans la loi et cette raison, c’est de restreindre l’autorité laïque. Remarquez, messieurs, que personne n’a donné à l’appui de mon amendement les mêmes raisons que la régence de Liége ; ces raisons, on vous a dit qu’on ne les admettrait pas. D’ailleurs, je suis l’auteur de l’amendement, et si on doit recourir aux motifs que j’ai donnés à l’appui, on serra quels sont ces motifs.

On vous cité l’autorité de M. Guizot ; il a dit que l’autorité de la religion devait planer sur toute l’école. Mais avec ce mot il est très facile, et contre l’intention bien certaine de M. Guizot, d’abandonner complètement l’enseignement au clergé et de rendre complètement nulle la part d’action de l’autorité civile. Et remarquez-le bien, messieurs, on cite l’autorité de M. Guizot ; mais ici comme l’autre jour, je pourrais faire la réponse la plus facile. A quoi s’appliquait la réponse de M. Guizot ? Au texte de la loi française, Eh bien ! c’est ce même texte que je soutiens. L’art. du projet de 1834 est conforme à la loi française. Ainsi, je défends la même opinion que M. Guizot, et c’est M. Guizot que l’on m’oppose.

L’honorable M. De Theux m’a opposé ceci : qu’il était dangereux de séparer l’enseignement de la religion des autres parties de l’enseignement. Eh bien, messieurs, je ne demande pas cette séparation, mais ce que je dis, c’est que cette séparation doit être facultative. Elle peut avoir des inconvénients ; mais elle peut quelquefois être bonne. Ce que je dis, c’est que cette séparation aura quelquefois lieu même avec les mots morale et religion. Ce que je dis, c’est que si elle a quelquefois des inconvénients, elle aura aussi quelquefois de bons résultats. Dans les campagnes cette séparation pourra être difficile ; mais dans les villes elle sera très facile ; et j’en ai des exemples sous les yeux. La commune que j’habite a plusieurs écoles ; elle subsidie en outre une écoule de frères de la charité chrétienne. Dans ce dernier établissement l’enseignement religieux et l’autre enseignement se confondent dans les mêmes instituteurs. Mais dans les écoles communales, il n’en est pas ainsi ; cependant ccs écoles n’inspirent aucune méfiance au clergé, à tel point que j’ai vu le chef du diocèse venir donner de ses propres mains les prix aux élèves de ces écoles. Et comment sont organisées ces écoles ? L’enseignement religieux y est donné par des élèves du séminaire désignés par l’évêque, et le reste de l’instruction y est donné par des professeurs nommés par l’autorité civile. Ces professeurs sont des hommes honorables, des hommes religieux ; mais on n’a pas jugé à propos de les charger de l’enseignement religieux, et si on voulait forcer soit l’autorité religieuse, soit eux-mêmes à donner cet enseignement, peut-être rencontrerait-on des obstacles administratifs.

Il ne demande donc pas que vous confondiez dans le même instituteur les deux enseignements ; mais je demande que l’instituteur laïque ne soit pas mis dans un état d’interdiction déshonorant, qu’il ne lui soit pas détendu de s’occuper de morale.

Un membre. - Nous ne voulons pas que cela lui soit défendu.

M. Devaux. - Si vous le voulez pas, ne dites pas dans votre loi que l’enseignement religieux et moral tout entier est sous la direction du clergé. Si vous dites inspection, surveillance, c’est autre chose ; mais nous parlons de la direction absolue du clergé, du droit du clergé. Eh bien ! je dis qu’il faut laisser les choses comme elles sont et vous les laissez en mettant simplement dans la loi le mot religion.

Vous empêcherez aussi les fausses interprétations ; vous empêchez que, sous prétexte du mot morale dans la loi, on ne s’arroge des droits qu’on n’a pas.

Messieurs, s’il s’agissait des chefs du clergé, on pourrait ne pas craindre autant ces inconvénients. Mais des membres du clergé peuvent avoir trop de zèle ; ils ont leurs défauts comme les autres, ils peuvent avoir des procédés qui seraient blâmés des autres. Il faut éviter qu’on exagère la portée de la loi et que sous le prétexte de s’ingérer de la morale de l’école, on ne se livre à des tracasseries. Donnez, si vous voulez, l’inspection à l’autorité ecclésiastique ; dites qu’elle aura le droit de faire des rapports, mais ne lui donnez pas un droit absolu sur tout ce qui n’est pas l’enseignement religieux,

Messieurs, je ne sais si je dois parler de l’amendement qui vient d’être proposé par l’honorable comte de Mérode. Cela prouverait réellement que la discussion ne fait pas de progrès, qu’on marche rapidement dans un autre sens. Adopter un pareil amendement, ce serait écrire l’intolérance dans la loi, ce serait la proscription des protestants de l’enseignement communal. Ce serait une chose qui ne ferait pas honneur à la Belgique.

M. de Mérode. - Il faut prouver cette intolérance.

M. Devaux. - On a donc oublié qu’il ne s’agit pas seulement ici des écoles des pauvres ; mais aussi des écoles payées. Et le protestant voudrait payer, qu’il serait exclu des écoles communales en Belgique.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je pense, messieurs, qu’il y a à certains égards un malentendu entre l’honorable M. Devaux et ceux qui soutiennent la rédaction actuelle du 2ème § de l’art. 2. Nous ne proclamons pas l’omnipotence absolue des instituteurs en ce qui concerne la morale L’instituteur donnera l’enseignement moral et religieux sous la direction des ministres du culte ; il ne pourra pas donner l’enseignement moral considéré isolément et en dehors de la direction des ministres du culte. Voilà tout le sens, toute la portée politique et sociale de la disposition.

Si l’on supprime le mot morale dans le 2ème §, il faudra le supprimer aussi dans le 1er § et ne plus parler de morale. Je crois qu’il y a un autre inconvénient dans cette suppression. Nous sommes tous d’accord sur ce point, et l’honorable préopinant admet le même principe ; c’est le danger lorsqu’il s’agit des enfants et des classes inférieures, à faire enseigner séparément une sorte de morale générale, abstraction faite de toute religion positive ; eh bien, il n’y a d’autre moyen d’éviter ce danger que de réunir l’enseignement moral et l’enseignement religieux, et cette réunion n’est possible qu’en acceptant la même direction. Dès lors vous êtes forcément amenés à dire que l’enseignement moral et religieux se donnera sous la direction des ministres du culte. Sans cela, où arriverez-vous ? Vous aurez l’enseignement religieux donné sous la direction des ministres du culte, et à côté de cet enseignement, l’enseignement d’une morale générale détachée de toute idée d’une religion positive. C’est ce que nous ne voulons pas dans l’enseignement primaire.

Je le répète donc de nouveau, il n’y a pas ici lieu de proclamer l’incompétence du pouvoir civil en fait de morale ; l’instituteur donnera l’enseignement moral, mais pour cet enseignement il ne sera pas abandonné à lui-même ; le prêtre aura le droit de lui donner ses conseils, de le diriger.

Nous voulons seulement proclamer l’inséparabilité, si je puis m’exprimer ainsi, de l’enseignement de la religion et de l’enseignement de la morale.

Je dirai aussi, messieurs, que je ne puis partager l’opinion de M. le comte de Mérode. Cet honorable membre perd de vue qu’il s’agit ici d’écoles établies aux frais de la commune, et que dès lors tous les citoyens ont le droit de participer à l’enseignement qui se donne dans les écoles. Si dans une commune il y a deux familles qui ne professe pas la religion de la majorité, cette famille a certainement le droit d’exiger que ses enfants se retirent lorsqu’il s’agit de l’enseignement moral et religieux. Ne pas admettre ceci, ce serait placer cette famille dans l’alternative, ou de consentir à la conversion de ces enfants, ou de renoncer au bénéfice de l’instruction publique.

M. de Mérode. - J’ai dit, messieurs, que lorsqu’il s’agit d’un enseignement donné aux frais de la commune, on doit avoir égard à l’immense majorité des élèves, soit protestants, soit catholiques. J’ai cité des communes protestantes dans lesquelles il se trouverait certainement, ou du moins probablement, un certain nombre de familles catholiques, et j’ai dit que ces familles catholiques devraient subir les inconvénients de leur position. J’ai ajouté que lorsque dans une commune il y aurait un nombre assez considérable de protestants, par exemple, pour qu’on puisse établir pour eux une école séparée, il faudrait faire les frais de cette école, Je dis que, d’après le dernier paragraphe de l’art. 6, il suffirait qu’une seule famille protestante vienne s’établir dans une commune catholique pour empêcher que les professeurs ne puissent plus parler de morale ni de religion à leurs élèves, en dehors des heures qui seront consacrées à l’enseignement de la religion et de la morale, et que deviendra alors cette atmosphère religieuse dont vous parlez ? Vous voyez, messieurs, combien vous compromettez l’éducation religieuse de la généralité pour quelques exceptions. Eh bien, je pense, moi, que nous devons faire des lois pour la généralité et non pas pour les exceptions. Vous pouvez appeler cela de l’intolérance si vous le voulez ; moi je l’appelle un bon sens.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’hésite pas à dire, messieurs, que quand il se trouvera une seule famille protestante dans une commune catholique, le père permettra le plus souvent à ses enfants de rester à l’école, même pendant le temps qui sera spécialement consacré à l’instruction morale et religieuse ; il le permettra du moment où il n’y sera pas contraint, du moment où il verra qu’il n’y a pas de prosélytisme. Je pourrais citer des pensionnats catholiques où il se trouve deux ou trois enfants protestants ; ces enfants assistent généralement à l’instruction morale et religieuse comme les autres.

- La clôture est demandée et prononcée.

Sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), la chambre donne la priorité au vote sur le paragraphe 2, la suppression des mots : et de la morale, proposée, dans ce paragraphe, par M. Devaux, devant entraîner la suppression des mêmes mots dans le paragraphe 1er, si elle était adoptée.

Le retranchement des mots : et de la morale, est d’abord mis aux voix ; il n’est pas adopté.

L’addition proposée par M. Orts, du mot religieuse après le mot morale est ensuite mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

Le paragraphe est adopté avec le changement de rédaction proposé par M. le ministre de l’intérieur.

Le premier paragraphe de l’article est mis aux voix et adopté.

(Erratum Moniteur n°228-229 du 16-17 août 1842 :) L’amendement de M. Savart-Martel au troisième paragraphe de l’article est mis aux voix, il n’est pas adopté.

Le troisième paragraphe de l’article avec la rédaction proposée par M. le ministre de l’intérieur est ensuite mis aux voix et adopté.

Par là se trouve écartée la proposition de M. de Mérode, qui avait demandé la suppression de l’article.

L’ensemble de l’article 6 est mis aux voix et adopté.

M. Devaux propose la disposition additionnelle suivante :

« Dans les autres parties de l’enseignement, les ministres des cultes ne pourront intervenir que par voie de conseil et d’avertissement près de l’autorité civile compétente. »

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 3 heures.