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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 2 septembre 1842

(Moniteur belge n°246, du 3 septembre 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart.

M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Modave demande une augmentation de traitement pour les greffiers des tribunaux de simple police. »

- Renvoi à la section centrale, chargée de l’examen du projet de loi sur les traitements de l’ordre judiciaire.


« Le sieur Retsin soumet à la chambre un tarif différentiel des droits d’importation. »

M. Osy demande le renvoi de ce document à M. le ministre de l’intérieur, pour qu’il le fasse imprimer, s’il le juge convenable, et distribuer aux membres de la chambre à l’ouverture de la session prochaine.

M. Raikem propose que, pour ne pas poser un antécédent qu’on pourrait invoquer par la suite, la chambre renvoie ce document, avec demande d’un prompt rapport, à la commission des pétitions qui fera, s’il y a lieu, la proposition que vient de faire l’honorable préopinant.

- Cette dernière proposition, à laquelle M. Osy déclare se rallier, est mise aux voix et adoptée.


M. Rodenbach annonce qu’une indisposition l’empêche d’assister aux séances de la chambre.

- Pris pour information.

Projets de loi érigeant de nouvelles communes

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) présente trois projets de lois concernant l’érection d’un même nombre de communes savoir :

1° La commune de Sippenaeken, formée des hameaux de Boesdael et de Sippenaeken, détachés de la commune de Teuven (province de Liége)

2° La commune de Ville-en-Waret formée des hameaux de Ville-en-Waret et de Houssoy, détachés de la commune de Vezin (province de Namur) ;

3° La commune d’Ombret-Rawsa, formée des hameaux d’Ombret, Ponthier et Rawsa, détachés de la commune d’Amay (province de Liège).

- La chambre ordonne l’impression et de la distribution de ces trois projets de loi et des exposés de leurs motifs, et les renvoie à l’examen d’une commission qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à conclure une convention avec la ville de Bruxelles

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - Il faut faire quelque chose pour la ville de Bruxelles ; il y a nécessité de venir au secours de la capitale du royaume. Voilà ce que se plaisent à répéter les orateurs qui se sont élevés contre le projet de loi que nous discutons. Et cependant on dissèque le projet sans pitié ; on entasse argument sur argument pour en obtenir le rejet, sans y substituer une proposition qui pourrait le remplacer, qui serait de nature à atteindre le but que tout le monde paraît vouloir obtenir.

Qu’il me soit permis de le dire, le projet me paraît n’avoir pas été examiné d’un point de vue assez élevé. Bien que la convention du 5 novembre stipule, moyennant un prix fixé, la cession à l’Etat de certaines propriétés mobilières et immobilières, appartenant à la ville, il ne s’agit pas de discuter cette convention, comme on discuterait un marché ordinaire. Il ne s’agit pas, selon moi, d’examiner s’il y aurait moyen d’exclure de la convention l’un ou l’autre objet dont l’Etat n’aurait pas un besoin absolu. Il ne s’agit pas de discuter sur le moyen de rabattre quelques mille francs sur le marché conclu.

Voici comment s’exprimait le discours du trône prononcé à l’ouverture de cette session :

« La ville de Bruxelles, que la constitution a proclamée la capitale du royaume, est depuis plusieurs années dans une situation dont il lui était impossible de sortir par elle-même ; elle s’est déterminée à des sacrifices qui doteront l’Etat d’établissements qui lui manquent. »

Ce passage énonce deux faits également vrais, et dont un, au moins le premier, est incontesté jusqu’ici. Le projet de loi est à mes yeux une heureuse combinaison, à l’aide de laquelle on aura satisfait simultanément à deux nécessités reconnues, en imposant au trésor une seule charge.

J’ai avancé que le premier des deux faits énoncés dans le discours du trône était incontesté jusqu’ici. En effet, je ne saurais assez le répéter, tous les orateurs sont d’accord pour reconnaître qu’il faut que l’Etat vienne au secours de la ville de Bruxelles. Ainsi, j’ai été quelque peu étonné d’entendre des griefs contre l’administration communale. J’ai été étonné de l’entendre accuser non pas seulement de dépenses qui ne seraient pas absolument nécessaires, mais même de dilapidations. Il me semble qu’on aurait pu s’épargner ces attaques. D’abord, on vous l’a déjà fait remarquer, personne ne demande à la chambre de combler le déficit reconnu dans les finances de la ville de Bruxelles. Il y a en ce moment un déficit de plus de 12 millions. Il n’est entré dans la tête de personne d’engager l’Etat dans une dépense de 12 millions de francs en faveur de Bruxelles. On ne vous demande (et bien entendu, on ne le demande qu’à titre onéreux) qu’une somme à peu près équivalente à la dépense que nécessitera la réparation des pillages. Mais je ne puis être d’accord avec les honorables membres qui ont accusé l’administration d’une foule de dépenses inutiles. Veuillez remarquer (personne ne contestera cette vérité) que des dépenses qui dans d’autres villes seraient de simple luxe sont dans une capitale de véritables nécessités. On ne peut vouloir que la capitale de la Belgique ne renferme que de simples maisons et soit construite à peu près comme le serait un grand village. C’est ainsi, par exemple, que selon moi on a eu très grand tort de faire un grief à la ville de Bruxelles d’avoir érigé des aubettes aux nouvelles barrières qu’elle a construites, à moins qu’on ne prétende qu’il suffise d’avoir de simples cabanes en planches ; ce qui en effet pourrait être suffisant pour de très petites villes.

Les honorables orateurs qui se sont opposés au projet ont dit que Bruxelles n’a pas fait seule la révolution, et que si par suite des pertes que Bruxelles avait subies par le fait de la révolution on lui accordant une faveur, on devrait peut-être en faire autant pour les autres villes. Sans doute, Bruxelles n’a pas fait seule la révolution ; elle ne prétend pas à un semblable honneur. Mais je crois pouvoir dire sans crainte d’être démenti, qu’aucune autre ville du royaume n’a fait autant que Bruxelles pour la révolution, qu’aucune ville ne s’est exposée comme Bruxelles, qu’aucune localité n’a sacrifié à la révolution un plus grand nombre de ses enfants, que nul n’a fait autant et de plus longs sacrifices ; car ceux qui ont fait partie du congrès national n’ont pas oublié que les services que Bruxelles a rendus à la révolution se sont prolongés pendant plus d’une année, et sans l’énergie et le patriotisme dont la garde civique a fait preuve, je crois que pendant l’année qui a suivi les journées de septembre, la révolution aurait été plus d’une fois compromise. Or, si peu après la révolution les troupes hollandaises étaient rentrées à Bruxelles, je vous laisse à penser ce que Bruxelles auraient eu à souffrir d’une vengeance qui, à cette époque, aurait paru quelque peu juste.

D’ailleurs, c’est sans fondement qu’on semble nous représenter les autres villes de la Belgique comme devant se montrer jalouses, dans le cas où vous feriez quelque chose pour la capitale.

Déjà on vous l’a démontré, Bruxelles est dans une position spéciale ; Bruxelles a fait des sacrifices qu’aucune ville n’a faits ; et il est impossible de prétendre à une justice dans le sens absolu de ce mot, qu’il faudrait faire pour tout le monde ce que l’on a fait pour l’un.

Il faudrait, dit-on, si vous mettez Bruxelles à même de rembourser le montant de ce qu’elle doit du chef des pillages, rembourser également à toutes les villes du royaume ce qu’elles ont payé de ce chef. Messieurs, ce raisonnement ne me paraît pas juste, pour être juste, il faudrait dire à Bruxelles : Vous supporterez les pillages en proportion des autres villes ; ainsi, par exemple, si une ville de 50,000 âmes a remboursé 50 mille francs du chef des pillages, Bruxelles en remboursera cent mille, et le surplus sera payé par l’Etat, parce que le surplus, elle l’a souffert comme capitale. Or, messieurs, vous conviendrez que la différence serait très minime, et je ne pense pas que la législature veuille descendre à de semblables détails.

Les autres villes seront jalouses ! Mais, messieurs, il me serait facile de mettre sous vos yeux des journaux imprimés dans des villes de province, des journaux qui sont répandus dans tout le royaume, qui sont spécialement appelées à défendre les intérêts du commerce, et qui plaident avec la plus grande éloquence en faveur de la réclamation de la ville de Bruxelles.

On craint un fâcheux précédent. Mais un honorable orateur qui m’a précédé, a déjà prouvé que ce précédent ne saurait être invoqué par personne. Jamais, messieurs, aucune ville du royaume ne se trouvera dans une position financière aussi fâcheuse que celle où est maintenant la ville de Bruxelles, et aucune ville surtout ne sera dans une semblable position par le fait de circonstances telles que celles par suite desquelles la ville de Bruxelles se trouve aujourd’hui dans un véritable état de faillite. Aucune ville d’ailleurs, messieurs, ne veut bien certainement faire le sacrifice des collections qu’elle renferme.

On s’est beaucoup appesanti, messieurs, sur l’énormité de la charge que l’on veut imposer à l’Etat, on a comparé la situation financière du pays à la position financière de la ville. D’abord, messieurs, une semblable comparaison ne saurait pas être faite. On ne peut pas comparer, en ce qui concerne les finances, un Etat à une ville. Mais si vous voulez établir une comparaison, je vous dirai en deux mots : la ville de Bruxelles est en faillite, en est-il de même de l’Etat ?

Les finances de l’Etat ne sont pas, dit-on, dans une position brillante ; on en paraît effrayé. Douze ans ont suffi pour créer une dette de 30 millions.

Messieurs, les finances de l’Etat ne sont pas dans une position brillante ; mais je ne suis nullement effrayé, quant à moi, de l’état de nos finances. Nous avons une dette de 30 millions, mais d’abord une partie de ces 30 millions est le résultat des arrangements que nous avons dû faire avec le royaume des Pays-Bas. Je ne suis pas effrayé, parce que la Belgique peut supporter facilement une dette de 30 millions et même une dette plus forte.

Une chose m’effraie, c’est le peu de soin que l’on a mis jusqu’ici, le peu d’empressement que l’on montre encore aujourd’hui, je dois bien le dire, à mettre nos voies et moyens au niveau de nos dépenses. Mais qu’une bonne fois le gouvernement et la législature s’entendent pour mettre nos voies et moyens au niveau de nos dépenses ; et quand je dis au niveau, je prétends qu’il faut aller au-delà ; je prétends qu’il faut toujours 2 ou 3 millions de plus que les dépenses que l’on fixe au commencement d’une année, et cela pour subvenir aux dépenses imprévues ; que l’on prenne un jour cette résolution, et je dis que l’Etat belge aura une situation financière que nous envieront presque tous les autres Etats, mais il faut pour cela une volonté ferme ; il faut ne plus tarder ; il faut qu’avant le premier janvier prochain, on ait augmenté les impôts créés par les lois qui existent aujourd’hui.

Ce qui m’effraie, messieurs, c’est que chaque année nous creusons davantage le gouffre qui est ouvert devant nous. Mais encore une fois qu’on le ferme, ce gouffre, et nous n’aurons plus rien craindre.

Messieurs, on a prétendu que la ville n’avait pas fait tout ce qui dépendait d’elle pour se créer des ressources. Eh bien ! messieurs je pose en fait que dans aucune ville du royaume l’octroi n’est plus élevé qu’à Bruxelles ; je pose en fait que dans aucune ville du royaume, les centimes additionnels crées au profit de la ville ne sont plus élevés qu’à Bruxelles.

Mais, dit-on, il n’y a pas de centimes additionnels sur les patentes. Messieurs, vous avez maintes fois entendu réclamer dans cette enceinte contre la hauteur du droit de patente, et c’est cette considération qui jusqu’ici a retenu la ville de Bruxelles. Je ne prétends pas toutefois, messieurs, que la ville de Bruxelles soit dans l’impossibilité absolu de faire plus qu’elle n’a fait jusqu’ici ; mais lors même que vous aurez voté le projet de loi, il faudra que la ville avise, et elle y avisera, à augmenter quelque peu ses ressources, parce que, messieurs, comme on vous l’a dit, le déficit qui existe dans les finances de la ville de Bruxelles, n’est pas du montant de la somme que vous accorderez, mais de cinq à six millions plus élevé.

Eh bien, lorsque le projet sera voté, la ville de Bruxelles fera immédiatement un emprunt de plusieurs millions, et il faudra bien créer des ressources pour payer l’intérêt de cet emprunt et pour subvenir à l’amortissement.

Du reste, messieurs, nous paraissons être d’accord sur un point, c’est qu’il faut qu’à l’avenir la ville de Bruxelles, en ce qui concerne ses finances, soit en quelque sorte placée sous la tutelle directe du gouvernement. Quant à moi, je ne m’opposerai pas à une semblable mesure. Je ferai plus : j’engage le gouvernement à être inexorable vis-à-vis de la ville de Bruxelles ; je l’engage à montrer la plus grande sévérité en ce qui concerne les finances ; je l’engage à ne jamais se montrer faible, si le cas pouvait se présenter où un budget arrêté par la ville ne présenterait pas de ressources suffisantes pour couvrir les dépenses.

Messieurs, le discours du trône contient, selon moi, une seconde vérité : c’est que la convention dotera l’Etat d’établissements qui lui manquent. Et en effet, dans toutes les capitales de quelque peu d’importance, vous trouverez, messieurs, des collections plus ou moins riches ; vous trouverez l’Etat propriétaire de tous les bâtiments qui les renferment. Et quand je dis dans les capitales de quelque importance, ne croyez pas que je ne veux parler que de Paris et de Londres ; mais je vous parle des capitales des petits Etats de l’Allemagne, dont plusieurs possèdent des collections qui sont enviées à Paris et à Londres.

Mais on a été jusqu’à dire qu’il était dangereux que les petits Etats possédassent des collections d’une certaine importance ; et pourquoi ? Parce que si quelque jour l’ennemi pouvait pénétrer dans la capitale, il n’hésiterait pas à s’emparer de ces collections.

Messieurs, ce sont là de ces actes dont nous avons vu un exemple, mais qui ne se reproduiront plus. Ils ne se reproduiront plus, parce qu’il y aurait réprobation unanime en Europe contre une semblable rapine, et parce que cette rapine n’avance à rien. Vous avez vu le plus puissant empire se rendre coupable de semblables faits. Qu’y a-t-il gagné ? C’est que, quelques aunées après, il a dû restituer et aux Etats, et aux provinces, et aux villes, tout ce qu’il leur avait enlevé.

Je vous prie de remarquer, messieurs, que le prix que donnerait l’Etat pour les collections et les bâtiments que la ville offre de céder ne serait rien moins qu’élevé, si vous adoptiez le projet du gouvernement ; et qu’il serait très minime, veuillez remarquer le mot, serait très minime, si la chambre en venait à adopter l’amendement proposé par l’honorable M. Mercier, et dont je dirai tout à l’heure quelques mots.

En effet, messieurs, veuillez prendre l’exposé des motifs présenté par M. le ministre de l’intérieur à l’appui du projet, et vous y verrez que les experts de l’Etat, n’ayant pas de contradicteurs, ont évalué les propriétés mobilières et immobilières qu’il est question de céder, à une somme de plus de six millions, ces expertises étaient faites par des agents nommés par le gouvernement et sans contradiction ; car, vous le savez, les experts de la ville avaient fait monter la valeur des objets à plus de 12 millions.

Eh bien, si vous vous décidiez à créer une rente annuelle de 300,000 fr., au profit de la ville de Bruxelles, ce serait acheter les propriétés que l’on vous offre à la valeur réelle à laquelle elles ont été taxées, non pas par la partie qui vend, non pas par les deux parties contradictoirement, mais par la partie qui achète.

Je ferai remarquer encore, messieurs, que l’Etat manque tellement de bâtiments dans la capitale, que ceux que la ville lui prête et lui prête bénévolement, ne seraient probablement pas encore suffisants. Je vous demande dans quelle position on placerait le gouvernement si l’on forçait la ville à déclarer au gouvernement qu’elle lui retire l’usage de tous les bâtiments dont elle lui a permet jusqu’ici de se servir.

Messieurs, il me semble que tous les orateurs qui attaquent le projet, qui cherchent à le faire rejeter, n’ont pas assez calculé quelles seraient les conséquences de ce rejet ? « La capitale, dit l’honorable M. Malou, la capitale ne périra pas, parce que vous aurez rejeté le projet. » Non, messieurs, la capitale ne sera pas engloutie, elle ne périra pas mais elle dépérira ; elle dépérira parce que le premier résultat du rejet du projet de loi sera de forcer la ville à suspendre ses paiements. Il faudra qu’elle suspende ses paiements ; pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui déjà, elle est en demeure de payer les obligations échues de son emprunt. Eh bien, messieurs, quand on est en demeure de payer une dette, on ne peut plus payer les autres, car on ne peut pas favoriser un créancier au détriment des autres. La ville ne pouvant pas faire face à toutes ses dépenses, sera dans l’obligation de suspendre ses paiements, et après une pareille mesure, son crédit sera à tout jamais perdu ; il faudra donc que la ville de Bruxelles fasse entièrement faillite et qu’elle crée des charges exorbitantes, charges que les habitants ne pourront point supporter, charges qui forceront l’émigration vers les faubourgs à devenir beaucoup plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui. Je regrette beaucoup, messieurs, que les faubourgs ne fassent point partie de la ville ; je le regrette, quand ce ne serait que parce qu’alors la ville de Bruxelles compterait peut être un éloquent défenseur de plus dans la personne de l’honorable M. Malou, qui serait ainsi forcé de devenir, d’habitant des faubourgs qu’il est, habitant de la capitale. Mais, messieurs, quel que soit mon désir de voir les faubourgs faire partie de la ville de Bruxelles, cette question ne sera mûre que dans plusieurs années, et quelque bien que puisse faire l’adjonction des faubourgs à la ville de Bruxelles, il sera trop tard alors pour tirer la capitale de l’état dans lequel on l’aura fait tomber.

La ville, d’ailleurs, sera bien forcée, messieurs, d’aliéner non pas toutes les propriétés qu’il s’agit de céder à l’Etat (on ne le lui permettrait pas), mais au moins une certaine partie de ces propriétés, et, par exemple, personne ne voudrait plus sans doute que la ville de Bruxelles abandonnât à l’Etat les bâtiments qui servent aujourd’hui d’écuries du palais, car cet abandon se fait gratuitement par la ville. Personne ne voudra que la ville de Bruxelles abandonne gratuitement l’usage du magnifique palais appelé Palais de l’industrie qu’elle a bâti tout récemment ; personne n’exigera que la ville de Bruxelles loge dans ses bâtiments la riche bibliothèque de Bourgogne. Si l’on ne permet point à la ville de Bruxelles de vendre l’observatoire, on ne la forcera certainement pas à faire des grandes dépenses pour l’entretenir, et chacun de nous peut voir dans quel état de délabrement il se trouve aujourd’hui ; d’un autre côté, messieurs, parmi les objets d’arts, s’il en est qu’on forcera la ville de garder, il en est d’autres qui sont d’un prix très élevé et dont les créanciers de la ville réclameront, exigeront à grands cris l’aliénation, et cela au profit de l’étranger, afin de rentrer au moins dans une partie de leurs créances.

Le rejet du projet de loi, messieurs, on ne peut pas non plus se le dissimuler, ferait une impression très fâcheuse, très désastreuse sur tous les habitants de la capitale ; non pas qu’ils prétendent qu’il suffit que la capitale demande une chose pour que la législature doive l’accorder, mais parce que de toutes parts on entend dire qu’il est juste que le gouvernement fasse quelque chose pour la ville de Bruxelles. Ce rejet, messieurs, viendrait décourager les administrateurs de la ville ; déjà une fois, messieurs, vous les avez vus, M. le ministre de la justice en tête, donner tous leur démission, parce qu’ils ne croyaient pas pouvoir rester à la tête d’une administration communale vis-à-vis de laquelle il leur aurait toujours semblé à bon droit, selon moi, que le gouvernement était injuste ? Eh bien, messieurs, qu’est-il arrivé ? La capitale à l’unanimité a réélu ses mandataires. Si pareille mesure, si pareille résolution était prise, ce qu’à Dieu ne plaise ; eh bien, messieurs, vous placeriez et la capitale et le gouvernement lui-même dans des embarras dont vous ne les verriez pas sortir facilement.

Mais, messieurs, une conséquence, plus importante encore, selon moi, du rejet du projet de loi, ce serait le discrédit dont seraient frappées les finances de l’Etat, et je vais m’expliquer.

L’honorable M. Malou ne croit pas que la position financière de la ville de Bruxelles exerce une influence quelconque sur le crédit de l’Etat, et lorsqu’on lui dit : « Mais d’où vient alors que les fonds belges sont si bas en comparaison, non seulement des fonds français, mais aussi des fonds anglais et de tous les autres fonds ; d’où vient que notre 5 p. c. par exemple, n’est guère qu’au pair, tandis que le 5 p. c. français est à peu près à 120 », l’honorable membre répond que cela vient du mode d’amortissement qui a été adopté pour les fonds belges et qui fait que, chaque année, les porteurs de ces fonds sont exposés à se voir rembourser un nombre plus ou moins grand d’obligations ; mais, messieurs, cette réponse n’est pas applicable, au moins en entier, au dernier emprunt, car l’amortissement de cet emprunt ne peut commencer avant 4 ans d’ici ; or, prenez la cote des fonds publics, et vous verrez que le dernier emprunt est coté, à très peu de chose près, au même taux que le premier emprunt 5 p. c. ; eh bien, messieurs, quelle est la conclusion qu’il faut tirer de ce fait ? C’est que la crainte du remboursement est pour fort peu de chose dans le taux de notre dette. Pourquoi donc y a-t-il une si grande différence entre le cours des fonds belges et celui des autres fonds ? Selon moi, messieurs, voici les raisons qui influent sur le crédit belge : c’est d’abord que l’on fait successivement et à des intervalles très rapprochés un trop grand nombre d’emprunts.

M. Eloy de Burdinne. - Et l’on en fera encore.

M. de Brouckere. - Vous avez parfaitement raison ; l’on voudra faire encore des emprunts, et il vaudrait beaucoup mieux faire en une seule fois un emprunt suffisant, pour ne plus avoir à recommencer de longtemps. Tout le monde sait, en effet, que lorsqu’il y a apparence d un emprunt, les fonds baissent, et dès lors tant que les spéculateurs auront devant les yeux la perspective d’un emprunt nouveau, quelque minime qu’il soit, ils auront moins de confiance, parce qu’ils sauront que ce nouvel emprunt doit nécessairement occasionner une baisse.

Une troisième raison, messieurs, c’est l’état de nos finances ; tant que nous n’aurons point rétabli l’équilibre entre nos recettes et nos dépenses, il est certain que notre crédit ne sera pas affermi.

Mais une quatrième raison, messieurs, et qui n’est peut-être pas la moins forte, c’est que la ville de Bruxelles est restée en demeure de payer ses obligations échues, et, quoi que l’on en puisse dire, c’est un fait constant qu’’aucun spéculateur ne niera, que l’état financier de la capitale d’un royaume quelconque exerce une grande influence sur le crédit du royaume lui-même. Il est constant, par exemple, que l’on confond à Paris ce que l’on appelle les obligations de la maison de ville avec les obligations de l’Etat. D’ailleurs, l’on craint toujours pour Bruxelles une catastrophe financière, et l’on sais très bien que si une semblable catastrophe a lieu, l’Etat sera bien forcé de venir, bon gré mal gré, au secours de la ville. Eh bien, la simple possibilité d’une semblable nécessité suffirait pour discréditer les fonds belges.

Terminons, messieurs, avec nos emprunts ; mettons nos ressources au niveau de nos dépenses, mettons la ville de Bruxelles à même de liquider, et je ne crains pas de dire que les fonds belges monteront dans un très bref délai à la hauteur où ils doivent être, c’est-à-dire au niveau des fonds des autres Etats, sauf une légère différence qui sera le résultat du mode d’amortissement adopté. Mais, comme je vous l’ai démontré, messieurs, ce mode de remboursement ne peut pas exercer une très grande influence. D’ailleurs je suis persuadé que si les fonds belges venaient à monter à un taux très élevé, il se créerait des sociétés qui garantiraient les porteurs contre le remboursement ; cela est incontestable ; l’une ou l’autre société d’assurance, toutes peut-être, créeraient un mode d’assurer les porteurs d’obligations belges contre le remboursement.

Messieurs, l’honorable M. Mercier, dans une séance précédente, a proposé un amendement qui a deux choses pour but ; d’abord de réduire à 300,000 fr. la rente de 400,000 fr. demandée par le projet du gouvernement, et en deuxième lieu de faire stipuler par la loi qu’un quitus réciproque sera donné par l’Etat et par la ville, du chef des créances qu’ils pourraient avoir l’un à la charge de l’autre.

Messieurs, quoique député de l’arrondissement de Bruxelles, je déclare que je n’ai aucunement mission d’adopter ou de combattre l’amendement de l’honorable M. Mercier. Mais, messieurs, mon opinion est à moi, elle est indépendante de l’opinion que pourront avoir d’autres personnes, et je vous déclare que, bien que l’amendement ne soit peut-être qu’une demi-justice, je l’adopterai si la chambre rejette le projet formulé par le gouvernement, et je désire que mes collègues élus comme moi dans l’arrondissement de Bruxelles, veuillent bien se joindre à moi, pour engager la ville à accepter une semblable disposition.

Quant à ce qui concerne le quitus, on a semblé croire que ce serait une faveur de plus qu’on accorderait à la ville de Bruxelles. Mais il n’en est rien, messieurs, car si l’Etat a quelques créances plus ou moins liquides à charge de la ville de Bruxelles, à coup sûr, leur montant quoiqu’on fasse, ne s’élèvera pas à un million. Eh bien, messieurs, la ville de Bruxelles formule à charge de l’Etat diverses prétentions dont une seule s’élève à plus de deux millions. M. le ministre de la justice vous a démontré hier que la ville avait les plus grandes chances d’obtenir gain de cause dans le procès qu’elle soutient contre l’Etat.

Messieurs, je n’abuserai pas plus longtemps de vos moments ; je pense que la discussion est à peu près arrivée à son terme. Il s’agit, messieurs, de fermer la dernière plaie de la révolution ; il s’agit d’une mesure politique, d’une mesure de convenance et d’équité, d’une mesure de conciliation. Beaucoup d’entre vous voteront cette mesure avec empressement, d’autres reculeront, je l’espère, devant les fâcheuses conséquences qu’entraînerait un rejet.

Messieurs, nous avons voté tout récemment un million par an pour les Flandres, à la décharge, remarquez-le bien, messieurs, à la décharge des provinces, des villes et des communes ; car si vous n’aviez pas voté ce million, les provinces, les villes et les communes auraient été contraintes de venir au secours des malheureux tisserands, des malheureux fileurs qui eussent été réduits à la dernière misère, par suite de l’arrêté du gouvernement français relatif à l’industrie linière.

Nous avons voté 8 millions pour indemniser les commerçants et certaines catégories de propriétaires auxquels la révolution avait fait subir des pertes. La ville de Bruxelles, ou plutôt les créanciers de la ville de Bruxelles seraient-ils seuls assez malheureux pour ne rien obtenir, quand ils invoquent, à si bon droit, cette même justice, qui a dicté vos résolutions, en faveur de populations qui n’avaient pas plus de titres qu’eux à votre sollicitude ?

Il ne s’agit pas de savoir s’il faut ou s’il ne faut pas faire quelque chose pour la capitale. Entre nos adversaires, ceux du moins qui se sont déclarés jusqu’ici, entre nos adversaires et nous, la question est uniquement de savoir jusqu’où doit aller la mesure qu’il faut prendre, et peut-être la différence entre nous n’est-elle pas si grande.

En terminant, je rappellerai que dans une précédente session la législature avait décidé l’érection d’un palais de justice à Bruxelles, qui devait entraîner pour l’Etat une dépense de deux millions. Déjà, messieurs, 800,000 fr., avait été portés dans les budgets de deux exercices ; l’on a renoncé à ériger cet édifice, et cependant messieurs, c’est Bruxelles spécialement qui en eût profité. L’érection du magnifique palais pour lequel la législature avait consacré une somme de deux millions, eût été un embellissement des plus grands pour la capitale.

Ce sont deux millions que le trésor a économisés. Eh bien, que ces deux millions que vous vouliez bien accorder particulièrement à la ville de Bruxelles, soient employés à tirer cette ville d’embarras, et en même temps, je le répète, à fermer la dernière plaie de la révolution. Cette somme sera certes plus que suffisante pour mettre nos adversaires d’accord avec nous.

Projet de loi autorisant le gouvernement à ouvrir un emprunt

Rapport de la section centrale

M. Cogels. - Messieurs, la section centrale chargée d’examiner la loi d’emprunt, a terminé ses travaux aujourd’hui. J’espère pouvoir déposer le rapport demain ou lundi ; mais je demanderai l’autorisation de le faire imprimer au besoin avant le dépôt, afin d’apporter le moins de retard possible à la discussion.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à conclure une convention avec la ville de Bruxelles

Discussion générale

M. Lys. - Le but de la convention faite entre le gouvernement et la ville de Bruxelles n’est pas douteux : les orateurs qui ont défendu le projet de loi dans la séance d’hier sont en aveu que par là l’Etat fait un don, que c’est là une indemnité pour couvrir la somme qu’elle doit débourser pour faire face aux condamnations qu’elle doit nécessairement subir à l’occasion des pillages ; aucun orateur n’a répondu au rapport volumineux de la section centrale, et ils reconnaissent qu’il ne s’agit pas d’une question de chiffres, d’une question de droit, mais d’une affaire de convenance politique ; on va jusqu’à vous dire que par la loi des indemnités vous avez acquitté une dette d’équité, qu’en strict droit vous ne devez rien, et l’on oublie que la ville de Bruxelles est loin de pouvoir s’en plaindre, car entre ses habitants des propriétaires reçoivent une part de cette dette pour leurs maisons incendiées par suite de l’invasion hollandaise. Cette défense du projet de loi est sa condamnation, car il était présenté sous la forme d’un contrat par lequel l’Etat recevait l’équivalent de ce qu’il payait, et il est avoué aujourd’hui que, loin de recevoir, il paie pour se charger en outre d’une dépense annuelle, et c’est seulement sur le quantum annuel de cette dépense que l’on est en contestation.

Je ne chercherai pas, messieurs, la cause du déficit qui se trouve dans les finances de la ville de Bruxelles ; je me bornerai à dire qu’elle aurait pu se dispenser de subsidier ses hospices, si elle avait surveillé leurs constructions, car ils avaient acquis une source de richesses, par l’augmentation de valeurs de leurs propriétés foncières, qui, de l’aveu de M. le ministre de la justice, ne produisaient pas un pour cent et se sont tout à coup élevées, par le produit des aliénations, à une somme considérable ; mais au lieu de mettre du luxe dans l’entretien des malheureux, on a dissipé des sommes immenses en construisant à grands frais des palais ; et si les dépenses de la ville de Bruxelles ont été calculées sur la même échelle, je ne suis plus surpris de la position dans laquelle elle se trouve.

Il reste démontré que le but de la convention est de venir au secours de la ville de Bruxelles et de lui fournir les moyens de rétablir l’ordre dans ses finances.

Je ne puis approuver en principe une convention de ce genre : les finances de l’Etat ne sont pas destinées à fournir aux besoins des communes ; si on admettait un système aussi dangereux, il aurait pour conséquence de faire retomber sur l’Etat tout le résultat de la mauvaise gestion des finances communales ; or, c’est ce qui ne peut pas être, a moins d’introduire une confusion aussi dangereuse que nuisible dans la séparation absolue qui doit exister entre la commune et l’Etat.

La ville de Bruxelles est obérée, mais il vous a été démontré que les embarras financiers de la ville de Bruxelles remontent à une époque antérieure à la révolution de 1830. Que la ville de Bruxelles ne vienne pas se plaindre, que devenue capitale unique, cette position particulière lui a crée une source nouvelle d’embarras et de dépenses. Bruxelles aurait tort de se plaindre d’être devenue l’unique siège du gouvernement. Si cette circonstance l’a exposée à quelques dépenses de plus, ses ressources ont aussi singulièrement augmenté.

Réfléchissez, messieurs, à ce que vous disait hier l’honorable ministre de la justice, sur l’augmentation de valeur des terrains des hospices, car il en est de même pour tout autre propriétaire de la ville de Bruxelles. Jetez les yeux sur les produits de l’octroi, et vous verrez bientôt combien est considérable l’augmentation des revenus. Tout en faisant abstraction des avantages nombreux, qui sont le résultat de la position de la ville de Bruxelles, comme capitale et par suite comme siège de tous les grands corps de l’Etat, il est établi, messieurs, que les propriétés de Bruxelles sont plus que doublées de valeur, et son octroi, qui avant la révolution ne produisait que treize cent mille francs, donne aujourd’hui au-delà de deux millions trois cent mille francs.

La cession projetée n’est qu’une donation déguisée. L’Etat devient propriétaire d’immeubles, dont la possession a été tellement reconnue onéreuse, que le gouvernement impérial en a fait l’abandon à la ville de Bruxelles, à la charge d’en supporter les frais d’entretien et d’en respecter la destination. La ville de Bruxelles a donc intérêt de se débarrasser, même à titre gratuit, de la possession d’immeubles dont elle ne peut retirer aucune espèce d’utilité, si ce n’est de voir chaque année son budget grevé d’une somme considérable pour l’entretien des bâtiments.

La convention présente donc, non seulement tous les caractères d’une donation, mais il y a plus, c’est que cette donation est encore augmentée du dégrèvement, en faveur de la commune, de l’obligation d’entretenir ces immeubles.

Jamais opération n’a été plus mal conçue dans l’intérêt du gouvernement ; jamais opération n’a mieux présenté les caractères exorbitants d’une donation et d’une donation qui n’est acceptée par la ville de Bruxelles, donataire, qu’en échange d’obligations onéreuses prises par l’Etat, donateur.

Il est encore à remarquer qu’une partie considérable des objets mobiliers, tels que la collection des tableaux, sont la propriété incontestable de l’Etat et que la ville n’en a que le dépôt. Inutilement vient-on réclamer en sa faveur la possession, et le principe qu’en fait de meubles la possession vaut titre ; il suffit de répondre que l’on ne peut prescrire contre son titre, et ici la ville de Bruxelles ne possède qu’à titre de dépositaire.

Il est à remarquer en outre que la convention stipule que le gouvernement n’a pas le droit de déplacer les collections, et je vous le demande, qu’est-ce qu’une convention où le dépositaire cède au propriétaire des objets qui appartiennent à ce dernier ? Qu’est-ce qu’une convention qui n’investit pas le propriétaire du droit de disposer de la chose, qui l’oblige à laisser l’objet acquis à la disposition exclusive du vendeur ? Il faudrait, messieurs, vouloir faire abus des finances de l’Etat, pour approuver une convention de ce genre.

Et dans quel moment présente-t-on cette dépense de luxe, à la veille de faire un nouvel emprunt, qui va succéder à tant d’autres qui l’ont précédé, et qui ne sera pas le dernier.

Que la ville de Bruxelles continue à introduire plus d’ordre dans la gestion de ses finances, qu’elle s’abstienne de faire des dépenses qu’elle peut ajourner à des temps meilleurs, et elle parviendra à rétablir sa position et à combler le déficit qui lui fait peur.

Il y aurait même injustice à accorder à la ville de Bruxelles le bénéfice de la convention dont il s’agit, en partant d’un autre point de vue.

Bruxelles obtiendrait par cette convention, ou plutôt par cette donation, le moyen de faire face aux indemnités qu’elle doit pour les pillages depuis 1830. C’est ce que nous disait hier un honorable collègue qui fait partie de son administration. Or, pourquoi faire une différence sous ce rapport entre la ville de Bruxelles et les autres villes où des pillages ont eu lieu ? Est-ce parce que les combats de 1830 ont eu lieu à Bruxelles ? Mais cette considération n’a pas de valeur ; car ce n’est pas parce qu’un combat a eu lieu dans une localité, que cette localité doit obtenir des faveurs particulières ; d’autres villes, et je citerai Liége, seraient dans le même cas. C’est la nation qui a fait la révolution. La ville de Bruxelles ne peut en revendiquer à elle seule tout l’honneur ; elle ne peut surtout en confisquer les résultats à son bénéfice, à l’exclusion des autres communes.

Les habitants de Liége, de Verviers et de tant d’autres localités n’ont-ils pas également combattu pour la révolution ? Ont-ils moins coopéré à la régénération du pays ? Les pillages qui ont eu lieu dans la ville que j’habite, sont-ils autre chose que ceux de Bruxelles ? ont-ils eu une autre occasion ? Je parle de ceux de 1830 ? Ont-ils eu un autre motif ; y a-t-il de raisons de différence à faire entre Verviers et Bruxelles ? Aucune différence n’existe entre les pillages de 1830 qui ont eu lieu à Verviers et ceux qui ont eu lieu à Bruxelles. Les uns et les autres ont eu lieu à l’occasion de la révolution.

Lorsque nous avons voulu les faire comprendre dans la loi des indemnités. le ministère nous a renvoyés à l‘époque où l’on discuterait le présent projet de loi, et je ne vois point qu’il ait nullement l’intention de nous faire la faveur d’un dédommagement.

Verviers et les autres villes doivent payer de leurs finances les pillages qui ont eu lieu dans leur sein ; elles ont fait des emprunts, dont elles couvrent les intérêts et l’amortissement par des centimes additionnels au principal des contributions foncière, personnelle et des patentes, et l’on voudrait aujourd’hui que ces villes vinssent, ainsi que tout le pays, au secours de Bruxelles, pour lui donner le moyen de payer une indemnité qu’on laisse à la charge particulière des autres communes.

Si l’on proposait à la chambre de décréter une loi qui mettrait à la charge de l’Etat la totalité ou une partie des indemnités, dues du chef des pillages qui ont eu lieu dans diverses localités du royaume, je m’associerais de grand cœur à cette mesure, car en définitif les pillages ont eu lieu a l’occasion de notre régénération politique, et il serait équitable que la nation supportât les conséquences désastreuses qui ont été la suite inévitable d’une commotion politique qui a bouleversé tout le pays.

Que si cette mesure n’est pas généralement adoptée, je m’opposerai à toute mesure qui a pour but de favoriser la localité qui seule a profité des bénéfices de la révolution. Bruxelles ne serait pas obérée du chef des indemnités qu’elle doit si, à l’imitation des autres villes qui se trouvaient dans le même cas, elle avait, depuis dix ans, par des centimes additionnels aux contributions, couvert les intérêts et commencé l’amortissement de cette dette.

Il me sera impossible, messieurs, de donner mon assentiment au projet présenté. Jamais je ne consentirai à la ratification d’une convention aussi onéreuse pour le trésor public. En conséquence je voterai contre la loi.

M. Coghen. - Messieurs, la transaction qui a été faite avec la ville de Bruxelles, fut proposée d’abord par le ministère dont était chef l’honorable M.de Theux, soutenue par l’honorable M. Liedts, et présentée à la chambre par le ministère actuel. Je croyais que ces différents ministères, représentant les différentes opinions du pays, ne devaient rencontrer dans cette enceinte aucune opposition. Je croyais que la transaction qui est intervenue entre la ville de Bruxelles et l’Etat, devait fermer la première plaie de la révolution. Je croyais, et je suis certain, messieurs, qu’il reste encore assez de patriotisme dans vos cœurs, pour qu’on n’oublie pas ce que la ville de Bruxelles a fait pour l’indépendance et la nationalité du pays ; pour qu’on n’oublie pas que ses enfants ont répandu volontairement leur sang, pour conquérir cette indépendance que vous n’auriez pas obtenue, s’ils étaient restés indifférents.

Messieurs, l’état financier de la ville de Bruxelles avant la révolution, n’était pas tel qu’on veut bien le peindre. Cet état pouvait être obéré, si un événement quelconque venait arrêter le cours de l’administration, venait mettre obstacle à la disponibilité des propriétés qu’on pouvait réaliser pour suppléer aux besoins de la cité.

Quand les embarras financiers de la ville ont-ils pris naissance ? C’est lorsque, par le fait de la révolution, tous les revenus ont été suspendus, lorsque l’octroi a cessé de produire, lorsque, d’un autre côte, les dépenses nécessaires sont devenues plus considérables ; ainsi, les hôpitaux réclamaient alors plus de subsides, les hospices en réclamaient également d’importants ; il fallait aussi occuper une classe ouvrière malheureuse, et uniquement malheureuse par le fait de la révolution, qui avait détruit toute industrie, tout travail.

Messieurs, si la ville de Bruxelles avait pu disposer de ses propriétés (ce qui eût été impossible par suite des condamnations prononcées contre elles et d’inscriptions judiciaires qui frappent tous les biens de la commune), je crois que la ville de Bruxelles, pour ses dépenses ordinaires, aurait pu faire face à tout, en continuant de s’imposer les contributions énormes qu’elle s’est imposées depuis la révolution.

Vous n’ignorez pas, messieurs, qu’aujourd’hui encore, les habitants de la ville de Bruxelles paient 25 p. c. d’augmentation sur la contribution foncière. Mais indépendamment de cette surcharge énorme à la contribution foncière, on a également mis 7 p. c. sur la contribution personnelle, et si l’on n’a pas frappé les patentes, la chose est fort explicable : la ville de Bruxelles seule est frappée des plus fortes patentes que la loi impose.

Messieurs, la ville de Bruxelles. lors de la révolution, a été obligée de continuer de grands travaux commencés, je veux parler entre autres, de l’approfondissement du canal de Bruxelles ; ensuite, elle a été forcée d’entreprendre d’autres grands travaux qui étaient d’une nécessité reconnue et devant la dépense desquels elle ne pouvait pas reculer.

La capitale a reçu beaucoup d’embellissements ; mais par quel moyen ? Je vois partout les efforts faits par la province, la commune, les habitants, les hospices ; mais le gouvernement, je ne le vois nulle part ; rien n’a été encore fait pour Bruxelles ; je me trompe, un seul monument y a été construit, c’est le monument de la place des Martyrs. Mais on n’a fait pour la capitale aucune autre dépense. On m’opposera peut-être les trois stations du chemin de fer que la ville de Bruxelles possède ; deux de ces stations sont situées extra-muros ; pour la troisième, qui est dans l’intérieur, la ville est imposée pour un tiers de la dépense.

Messieurs, on a parlé de la mauvaise administration de la ville. Je suis fâché que ceux de mes honorables collègues qui ont émis un blâme, ne se soient pas donné la peine d’examiner de plus près ce qui a été fait. Je dois dire que toujours la plus grande économie a régné dans les dépenses de la ville de Bruxelles, et qu’eu égard à sa situation, elle a ajourné une foule de dépenses à des temps plus prospères. L’administration de la ville de Bruxelles a dû nécessairement plier sous le poids des charges qui résultaient pour elle de la révolution.

Il y avait là beaucoup de circonstances qui le commandaient et auxquelles la ville ne pouvait pas se soustraire. J’ai parcouru les budgets de la ville de Bruxelles depuis 1830, et je n’y ai vu aucune dépense pouvant mériter un blâme sérieux.

On a parlé aussi des emprunts. L’emprunt fait par la ville, a-t-on dit, a été fait à des conditions extrêmement onéreuses. J’aime mieux lire ce qui a été publié à cet égard que de le dire. Je trouve dans une publication de la régence sur les emprunts :

« Faut-il parler d’un emprunt fait en 1832, au taux de 82 1/2, que l’on vient blâmer, tandis que sa hauteur alors était même digne de remarque, puisque le fonds de l’Etat n’était, à la même date, qu’à 74 sans acheteur à la bourse de Bruxelles, et que, quelques mois plus taud, le gouvernement contractait un nouvel emprunt de plusieurs millions à 72 net ? »

Je demande quelle justice il y a à venir blâmer des opérations qui ont été faites d’une manière si favorable, eu égard aux circonstances aux événements.

Messieurs, on parle de mauvaise administration, mais la ville peut-elle être responsable d’une mauvaise administration, quand elle soumet tout ce qu’elle fait au contrôle d’une autorité supérieure ? D’abord je dis qu’il n’y a rien eu de mal fait, mais y eût-il quelque chose de mal fait, la ville est comme un mineur, elle est soumise à la tutelle de la députation ; ses budgets ont été constamment approuvés.

On a parlé aussi de l’influence que la banqueroute de la ville de Bruxelles aurait sur le crédit public. Je puis dire, de science certaine, que le gouvernement et tous les ministres qui se sont succédé ont été sollicités par des capitalistes de Paris, de faire cesser cet état déplorable de la ville, de la mettre à même de payer ses dettes, parce qu’à l’étranger on confondait le crédit de la ville, avec celui de l’Etat. Moi-même j’ai été sollicité par des capitalistes porteurs d’obligations de la ville de Bruxelles, de faire des efforts afin que cet état de faillite cesse, et que la capitale soit mise à même de faite honneur à ses affaires.

Tout à l’heure j’ai parlé du canal maritime de Bruxelles, c’est une des grandes propriétés de la ville qui a coûté de sept à huit millions. Que fait l’administration de la ville ? elle fait abnégation de ses intérêts dans l’intérêt général ; elle ne perçoit qu’un péage insignifiant.

Le revenu net du canal, année commune, ne s’élève pas à 130 mille francs, tandis que le canal de Charleroi, qui n’est que de petits dimension, une rigole enfin, produit à l’Etat 1,400 mille francs. La ville renonce à des revenus positifs qu’elle pourrait percevoir sur ce qui n’est pas destiné à Bruxelles. Elle pourrait par cette perception augmenter ses revenus, mais ce sera au détriment du Hainaut, des produits de ses villes et de ses carrières et des autres provinces du royaume

J’étais loin de m’attendre à rencontrer parmi les adversaires du projet l’honorable comte de Mérode, qui, comme ministre d’Etat ou ministre à portefeuille en remplacement de beaucoup de ministres pendant les vacatures, a presque toujours fait partie du conseil des ministres, et a, par le fait même, sanctionné une grande partie des mesures financières. Je ne me rappelle pas, du reste, qu’il ait jamais voté contre le budget dans cette enceinte. Je m’étonne donc qu’il se soit montré hostile à une mesure qui intéresse l’honneur du pays, car ce serait un déshonneur pour le pays, d’abandonner la capitale, de la forcer à suspendre ses payements, quand je me rappelle l’avoir vu disposé à faire avec empressement d’autres sacrifices, notamment quand il s’est montré si empressé d’offrir à l’étranger l’occupation de nos forteresses.

M. le président. - Je vous prie de vous expliquer sur ce reproche, d’avoir offert à l’étranger l’occupation de nos forteresses.

M. de Mérode. - Je sais ce que c’est, je l’expliquerai moi-même tout à l’heure.

M. Coghen. - Naguère nous avons voté avec empressement des indemnités pour fermer les plaies de la révolution. Nous l’avons fait non seulement pour les régnicoles, mais nous avons porté notre générosité comme mesure d’équité sur l’étranger. L’étranger sera indemnisé des pertes qu’il a essuyées en Belgique, et la capitale devra supporter les conséquences des événements qui ont amené notre indépendance, qui ont consacré notre nationalité La ville pouvait-elle empêcher les événements, pouvait-elle, en 1830, empêcher les pillages, pouvait-elle empêcher les pillages de 1831 et de 1834 ? Je crois que nous devons laisser un voile sur le passé et vouer à l’oubli des événements qui nuiraient à cette considération à laquelle nous avons droit de la part des autres nations. Mais plein de confiance dans votre patriotisme, j’ai la conviction que vous ne refuserez pas votre sanction à un acte qui doit être un acte de conciliation entre la ville et le pays, et fermer la dernière plaie de la révolution.

M. de Mérode. - J’ai été accusé par l’honorable préopinant de n’avoir jamais protesté contre les actes du gouvernement en ce qui concerne la dilapidation des finances, c’est-à-dire le défaut de balance entre les recettes et les dépenses. Personne de vous ne doit avoir oublié que, chaque année, j’ai réclamé de toutes mes forces contre un système qui menait le pays à la ruine et nécessiterait l’établissement d’impôts exorbitants. Ce n’est pas seulement cette année, mais l’année précédente et les années antérieures, que j’ai fait entendre ces réclamations. Je n’ai jamais laissé échapper l’occasion de solliciter la création de voies et moyens. Quand M. Mercier était ministre des finances, il vous a promis quelques projets d’augmentation d’impôt. Quelques jours après, un vote de confiance eut lieu, une majorité faible s’était prononcée en faveur du gouvernement. Le lendemain M. Mercier présenta ses projets. Considérant la question de confiance comme épuisée, j’appuyais M. Mercier de toutes mes forces, pour lui faire obtenir l’augmentation d’impôt qu’il proposait, non dans son intérêt propre, mais dans l’intérêt du trésor public. Je ne me rappelle pas que les solliciteurs de la ville de Bruxelles soient venus appuyer M. Mercier comme je l’ai fait. Si ces solliciteurs, qui prennent toujours le beau rôle, qui appuient les propositions de faire des cadeaux et jamais celles de prendre aux contribuables, s’étaient joints à moi, ils auraient peut-être mis entre les mains du gouvernement les moyens de satisfaire a leur demande d’aujourd’hui.

Hier encore j’ai déclaré que si on donnait au trésor les moyens de se procurer les huit millions qu’on voulait lui faire payer à la décharge de la ville de Bruxelles, dès que ces voies et moyens seraient déterminés, je ferais quelque chose pour la ville. Mais aucun n’a appuyé ma proposition et n’a indiqué le moyen de faire face à la dépense proposée. Vous voyez que l’accusation est dénuée de fondement.

L’honorable membre a appelé votre attention sur un autre objet. Il m’a accusé d’avoir voulu livrer les forteresses du pays a une nation voisine. Quand il s’est agi de livrer 300 mille habitants au roi de Hollande, j’ai fait tout ce qui était possible pour empêcher cet abandon. Quand on veut, dans un cas semblable, opposer une résistance efficace, il faut risquer quelque chose. Le meilleur moyen de retenir les puissances allemandes dans leurs prétentions contre nous, c’était de proposer l’occupation de trois ou quatre forteresses au Midi, par des troupes françaises. Je ne me repens nullement de cette proposition ; non seulement je ne m’en repens pas, mais je pense que si on y avait bien réfléchi et qu’ont l’eût appuyée, nous n’eussions ni livré nos forteresses, ni nos 300 mille compatriotes.

M. Henot. - D’honorables membres, dans la vue d’obtenir l’approbation de la convention qui nous occupe, ont invoqué tout ce que la législature a fait, dans ce dernier temps, en faveur des écoulements des eaux de Flandres, de l’industrie linière et de ceux qui ont déjà souffert par suite de la guerre, de la révolution, et ont posé la question si, après ces antécédents, on ne ferait rien pour la capitale ?

Il y a, messieurs, une énorme différence entre ne rien faire pour Bruxelles et faire ce qu’on nous demande pour elle ; comme il y une différence marquante aussi entre les motifs qui ont déterminé la législature à voter la construction du canal de Zelzaete, à soutenir l’industrie linière et à indemniser les victimes des désastres de la guerre, et ceux qu’on invoque pour tirer la ville de Bruxelles de la crise financière dans laquelle elle se trouve.

Est-ce bien sérieusement que l’on veut représenter la ville de Bruxelles comme victime des événements politiqués de 1830 ? Est-ce bien sérieusement que l’on nous dit qu’on ne veut rien faire pour elle ? Oublie-t-on les immenses avantages qu’elle a recueillis par suite de ces événements et des actes de la législature ? N’est-elle pas devenue la capitale, le siège du gouvernement et des chambres ? La cour de cassation, que la ville de Malines réclamait à si juste titre, n’a-t-elle pas été établie dans son sein ? N’a-t-elle pas obtenu une école de gravure, un conseil des mines, un conservatoire de musique, une école militaire, une académie de médecine ? L’école vétérinaire n’est-elle pas à ses portes ? L’exposition des produits de l’industrie ne se fait-elle pas exclusivement chez elle ? N’en est-il pas de même de l’exposition triennale des beaux-arts ? Les fêtes nationales du mois de septembre, qui attirent une foule immense, ne se célèbrent-elles pas annuellement dans son sein ? Le jury d’examen pour l’obtention des grades ne siège-t-il pas à Bruxelles ? Cette ville n’a-t-elle pas trois stations du chemin de fer ? La station du Midi n’a-t-elle pas été exclusivement établie dans son intérêt ? N’est-ce pas la capitale qui, seule de toutes les villes de la Belgique, profite de l’établissement du chemin de fer ? N’est-ce pas cette voie de communication qui fait perdre, aux détaillants de toutes les villes où elle passe, le placement des objets de leur négoce ? Cette perte ne se fait-elle pas au profit de la capitale ? Cette dernière, n’est-elle pas, enfin, devenue le lieu de réunion continuel de tous les habitants du pays et d’une masse d’étrangers ?

Cette esquisse rapide prouve donc que, loin de n’avoir rien fait pour Bruxelles, on a peut-être déjà trop fait pour elle.

Tous ces avantages accumulés sur Bruxelles, ne m’empêcheront cependant pas de prêter mon concours pour la tirer de la position fâcheuse dans laquelle elle se trouve, des considérations d’un intérêt majeur le réclament ; je veux, avec une grande partie de cette assemblée, faire encore quelque chose pour elle, mais ce quelque chose ne sera pas l’approbation de la convention par trop onéreuse qui nous est soumise.

Je refuse mon assentiment à cette convention, d’abord parce que l’Etat n’acquiert que des charges qui ne peuvent que s’accroître de jour en jour, parce que l’évaluation des objets cédés est évidemment exagérée, et parce que le taux de l’intérêt pris à 5 p. e. est trop élevé ; ensuite parce qu’il serait inouï de sacrifier pour la capitale seule une somme de huit millions, tandis que la législature n’a accordé qu’une somme pareille pour indemniser non seulement tous les régnicoles, mais même les étrangers, des pertes occasionnées par la guerre de la révolution, enfin parce que je ne veux pas grever le trésor public d’une rente perpétuelle, pour tirer la ville de Bruxelles d’une crise momentanée qu’une bonne administration n’aurait jamais amenée.

Je suis porté à donner mon assentiment à toute mesure qui sans trop grever le trésor public, fera cesser la crise financière de Bruxelles, mais je ne le veux qu’à de certaines conditions, je ne le veux qu’avec des garanties pour l’avenir ; je ne veux pas exposer mon pays à venir une seconde fois, dans un temps plus ou moins éloigné, au secours d’une capitale qui vote sans cesse des dépenses hors de proportion avec ses ressources ; en voulant faire cesser l’effet, je veux aussi mettre un terme à la cause qui l’a produit.

L’amendement proposé à la séance de hier par M. le ministre de l’intérieur me paraît propre à donner ces garanties, et à amener ce résultat ; aussi je refuserai mon assentiment à toute mesure qui serait prise en faveur de la capitale, dès que cet amendement, ou une disposition équivalente, n’en ferait pas partie intégrante ; mais quelle que soit sa portée, quelle que soit la généralité de ses termes qui embrassent non seulement les dépenses portées au budget, mais encore celles qui pourraient être décrétées dans le courant de l’année et pour lesquelles on voterait des crédits spéciaux, elle n’est pas, dans mon opinion, de nature à faire admettre la convention onéreuse qui nous occupe, et qui, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, n’obtiendra pas mon approbation.

M. Verhaegen. - Messieurs, je me propose de répondre surtout à l’honorable M. Lys. Je regrette qu’un de mes amis me mette dans la nécessité de le combattre. Je le regrette d’autant plus que je suis obligé de démontrer à la chambre que la thèse qu’il a soutenue manque complètement de base.

L’honorable M. Lys vous a dit qu’on veut faire un don à la ville de Bruxelles pour la mettre à même de satisfaire aux condamnations prononcées contre elle, du chef des pillages, et cependant qu’il n’y a sur ce point aucune différence de position entre la ville de Bruxelles et les autres villes du royaume qui ont eu aussi à souffrir de pillages. Il a parlé entre autres de Liége et de Verviers. C’est sur ce terrain spécial que je vais me placer, et en le faisant j’aurai occasion en même temps de rencontrer certaine partie du discours de l’honorable comte de Mérode qui m’a tant soit peu surpris.

L’honorable M. de Mérode vous disait hier : « Je ne voterai pas pour la convention, (j’ai pris ses paroles dans le Moniteur), parce qu’elle serait l’occasion de modifier la loi de vendémiaire an VI, dont les dispositions sont iniques, impraticables, et que MM. les ministres ne veulent point la rectifier, préférant la laisser avec toutes ses défectuosités que de prendre la peine d’une révision que le bon sens et la justice commandent évidemment. »

Messieurs, je ne m’occuperai pas de tous les détails qui se rattachent à la convention. D’autres orateurs ont rempli cette tâche, et n’ont rien laissé à désirer. Je ne vous dirai pas non plus quelle est la position spéciale de la capitale ; dans la bouche des députés de Bruxelles, ces considérations n’auraient pas le même crédit qu’elles ont dans la bouche d’autres honorables collègues. Je me bornerai à vous rappeler certaines opinions, à tous égards non suspectes parce qu’elles ne sont point intéressées, et je répondrai ainsi à la première partie du discours de l’honorable M. Henot.

D’après certains orateurs, Bruxelles aurait obtenu par la révolution des avantages considérables ; à les en croire toutes les villes du royaume auraient à envier sa position. Mais d’abord, quand on veut une nationalité, une indépendance, on doit vouloir une capitale, et on doit la vouloir avec toutes les conditions d’existence, de splendeur même qui s’y rattachent. Ensuite je ne sais pas s’il est bien vrai de dire que Bruxelles a tout obtenu par la révolution de 1830. Certes elle est loin de regretter ce grand événement qui a amené notre émancipation politique, mais aussi il ne faut pas oublier ce qu’elle était avant septembre 1830 ; alors surtout qu’une exposition nationale, dans laquelle elle avait la plus grande part, lui avait attiré l’envie de l’étranger. Oserai-je le dire, du haut de la tribune ? si Bruxelles n’avait consulté que ses intérêts matériels, elle se serait abstenue de prendre part au mouvement qu’on avait préparé dans son enceinte ; mais la réparation de certains griefs sons le rapport d’intérêts moraux l’ont décidée. On a fait un appel à son patriotisme, et elle y a dignement répondu ; Bruxelles, comme toutes les autres villes de la Belgique, a voulu une nationalité, une indépendance, dût-elle l’obtenir, ce qui était fort douteux alors, aux dépens de ses intérêts matériels.

Les services éminents rendus au pays par la ville de Bruxelles sont constatées et par le rapport de la section centrale du congrès national sur l’art. 126 de la constitution, et par la déclaration solennelle du congrès national lui-même, et par l’attestation fourni par M. de Gerlache, président de ce corps constituant, à M. Koekelberg, général de cette garde civique qui plus d’une fois avait protégé la liberté de ses délibérations, et par un rapport très récent de l’honorable M. Zoude, sur une demande de pension, et enfin par les paroles mémorables prononcées le 7 septembre 1841 dans une enceinte voisine de celle où nous siégeons, par l’honorable M. Dumortier, qui ne paraîtra suspect à personne :

« Messieurs je ne puis parler de la révolution sans rappeler les services rendus à sa cause par la ville de Bruxelles. Vous le savez comme moi, le compromis des nobles a été le premier acte d’un grand drame dont la révolution de septembre fut le dernier : L’opposition qui a commencé par les grands a fini ici par le peuple. Vous savez, messieurs, les services que les habitants de Bruxelles ont rendus dans cette circonstance mémorable. Honneur donc, trois fois honneur à la ville de Bruxelles qui a si éminemment contribué à nous donner une patrie et qui est devenue la capitale de la Belgique parce que c’est dans son sein qu’il y a le plus de sang versé pour le pays. Honneur à M. de Biefve dont l’œuvre consacre dignement le souvenir de la première phase de révolution. »

Je me suis dit, à cette époque, qu’il fallait prendre acte de ces paroles ; et vous voyez, messieurs, que je ne les ai pas oubliées.

Mais laissons là les services rendus au pays par la capitale, et venant au point culminant de la discussion, répondons à l’objection de l’honorable M. Lys. « C’est une donation, dit-il, qu’on veut faire à la ville de Bruxelles, pour la mettre à même de satisfaire aux condamnations du chef des pillages. Bruxelles, ajoute-t-il, n’est pas dans une autre position que les autres villes qui ont subi des condamnations de même nature. » C’est un don qu’on veut faire à la ville de Bruxelles ! Pas du tout, c’est un contrat à titre onéreux. C’est une cession que fait la capitale de plusieurs de ses immeubles et de toutes ses collections. Ceux qui ne partagent pas entièrement notre opinion ne partagent pas non plus l’opinion de l’honorable M. Lys. La seule différence qu’il y ait entre nous, c’est qu’ils prétendent qu’il y a pour la ville de Bruxelles avantage consistant en ce qu’elle vend à l’Etat ce qu’elle ne pourrait vendre d’une manière convenable à d’autres personnes qu’à lui. Mais jamais personne n’a prétendu que ce serait un don à titre gratuit.

J’ai eu l’honneur de dire dans une séance précédente, que la cession n’a été faite qu’à la suite d’expertises contradictoires et consciencieuses. Je ne reviendrai pas à cet égard sur tout ce que j’ai dit. Il me paraît évident, quoi qu’en ait dit l’honorable M. Lys, que le contrat dont on vous demande la ratification est un véritable contrat à titre onéreux.

Ce contrat, d’après l’opinion de l’honorable M. Lys, doit avoir pour résultat de faire face aux condamnations du chef des pillages, cela est vrai, et il importe de fixer un moment votre attention sur ce point : oui, il n’est que trop vrai, la ville de Bruxelles cède ses immeubles, ses collections précieuses pour faire face aux condamnations du chef des pillages qu’elle n’a pas pu empêcher. Bruxelles est à égard dans une position toute spéciale, elle tombe dans l’exception de l’art. 8 du titre 4 de la loi du 12 vendémiaire an IV, et la responsabilité qu’on veut faire peser sur elle devrait peser exclusivement l’Etat.

M. de Mérode ne veut pas voter en faveur de la convention, parce que d’après lui la loi de vendémiaire an IV est inique, et qu’avant tout il faudrait la modifier

Je dirai tout d’abord à M. de Mérode, que, d’après moi, la loi de vendémiaire an IV est une nécessité, que si elle n’existait pas il faudrait la faire. En effet, elle crée une garantie mutuelle entre tous les habitants d’une ville, d’une commune. Sans cette garantie, pas de sécurité, pas de confiance possible, la tranquillité, le bon ordre se trouveraient constamment compromis.

Au reste, la loi de vendémiaire an IV ne renferme pas une disposition nouvelle. Cette disposition n’est que la répétition du droit ancien et de la doctrine des anciens publicistes. Je ne suis pas fâché messieurs, surtout pour en déduire les conséquences dont j’ai besoin, d’apprendre à M. de Mérode et à la chambre tout entière que des dispositions semblables existaient anciennement en France et en Belgique. Pour la France c’était l’ordonnance criminelle de 1670, qui portait :

« Art. 13 (liv. IlI, litt. 21). - Un crime est regardé comme un excès de la communauté quand il a été commis par les habitants, en conséquence d’une délibération par tumulte, et par émotion populaire. Les communautés qui ont commis quelque violence ou autre crime ne doivent être condamnés qu’a des réparations civile envers les parties, à une amende, à la perte de leurs privilèges, mais les principaux auteurs peuvent être punis séparément de la communauté, même par la peine de mort suivant l’énormité des cas. »

Dans les provinces belgiques autrichiennes, les placards du 10 mai 1740 et 27 juillet 1789 faisaient le droit commun de ce pays avant la réunion à la France.

Ce dernier statuait, quant à la responsabilité de tous les habitants, en ces termes :

« Celui qui, ayant dénoncé aux magistrats du lieu le pillage de sa maison ou de son bien, fera conster du fait de ce pillage et aura affirmé sous serment, dans la quinzaine après le pillage, la hauteur du dommage qu’il aura souffert, de ce chef, sera pleinement indemnisé sur le pied de son affirmation par la commune du lieu où le crime aura été commis, ou par le district, si la commune était insuffisante pour payer l’indemnité, le tout sous peine d’exécution parée avec adjonction, et au besoin à la poursuite de notre fiscal, lesdites communes ou district néanmoins entiers dans leur recours contre les coupables du crime. »

Celle double législation a été maintenue pour la France, et par l’effet de la réunion, pour la Belgique, par la loi de vendémiaire an IV, qui est devenue le droit commun. Et même s’il fallait remonter plus haut, nous trouverions dans l’opinion de tous les publicistes la nécessité de cette garantie mutuelle, sans laquelle toute société serait impossible. C’est ainsi que je citerai Grotius dans son traité de Jure belli et pacis.

Après cela, l’honorable comte de Mérode voudra-t-il bien modifier tant soit peu son opinion et ne pas trouver si injuste, si mauvaise la loi de vendémiaire an IV ?

Messieurs, si cette loi de vendémiaire an IV avait reçu son exécution d’après toute la rigueur des principes, et il n’est pas encore trop tard pour cela, savez-vous ce que la commune de Bruxelles aurait fait ? Une condamnation prononcée contre elle et rendue exécutoire, elle aurait aux termes de l’art. 10, titre 5, fait une répartition immédiate sur les 20 plus fort contribuables, et l’honorable comte de Mérode, ou sa famille y auraient été pour une bonne part, sauf à faire ensuite une sous-répartition sur tous les habitants de la ville. Cette disposition de l’art. 10 est encore aujourd’hui tout aussi applicable que les autres dispositions de la loi de vendémiaire an IV, et si la ville, en dernière analyse, n’avait pas d’autres moyens, il faudrait bien qu’elle descendît jusque-là.

Il y a dans la loi de vendémiaire an IV une autre disposition sur laquelle je fixerai aussi l’attention de l’honorable comte de Mérode, c’est que la responsabilité de la commune cesse, lorsqu’elle démontre qu’il lui a été impossible d’empêcher les pillages, c’est-à-dire qu’elle a pris toutes les mesures pour prévenir l’événement. (Art. 8, litt. 4.)

Maintenant, messieurs, que j’ai eu l’honneur de vous mettre sous les yeux les dispositions principales de la loi de vendémiaire an IV qui ne sont en définitive que la répétition des dispositions d’anciennes lois françaises ct belges, voyons quelles doivent en être les conséquences à l’égard de la ville de Bruxelles dans les positions spéciales et successives où elle s’est trouvée placée. Là se réduit, pour ainsi dire, la question, car l’honorable M. de Brouckere vous disait, en commençant son discours, que la somme stipulée comme prix de la cession équivaut à peu près au montant des condamnations prononcées contre la ville de Bruxelles du chef des pillages.

Ainsi, messieurs, si la ville de Bruxelles ne vous cédait absolument rien, et si vous lui accordiez la somme qui figure comme prix de la cession à titre gratuit, comme le prétend à tort mon honorable ami M. Lys, l’Etat ne ferait encore autre chose que d’indemniser la ville de Bruxelles du chef des condamnations prononcées contre elle pour les divers pillages qui ont eu lieu sur son territoire.

Messieurs, nous sommes bien loin de cette hypothèse, mais fallût-il l’accepter comme vraie, il n’y aurait encore, d’après les principes qui existent, que justice.

Examinons, messieurs, quelles ont été les divers pillages qui ont désolé la capitale ; on semble l’avoir perdu de vue. Nous avons eu à Bruxelles des pillages de trois catégories ; les pillages de 1830, les pillages du mois de mars 1831 et les pillages du mois d’avril 1834.

Les pillages de 1830 ont été le signal de la révolution, ceux de 1831, s’il faut en croire certaine opinion que je ne suis pas chargé de contrôler, auraient empêché la contre-révolution ; la terreur que ces événements auraient produite aurait découragé les partisans d’une restauration alors imminente. Et cependant ce serait la ville de Bruxelles qui devait supporter les conséquences de ces pillages ! ! Pour échapper à la responsabilité, la ville de Bruxelles aurait dû mettre tout en œuvre pour empêcher ces désastres !

Eh bien ! si, en 1830, la ville de Bruxelles était parvenue arrêter les pillages, disons-le, sans crainte d’aller trop loin, elle arrêtait la révolution, et nous ne siégerions pas dans cette enceinte ; si elle était parvenue à rétablir l’ordre, le roi Guillaume posséderait encore la Belgique.

Si, en 1831, la ville était parvenue à se rendre maîtresse des événements (et elle a fait à cet effet tout ce qui était en son pouvoir, sans toutefois apprécier les conséquences de ses efforts), de quels reproches ne l’auraient pas accablé certains hommes ?

C’est cependant de ces pillages que l’on veut rendre responsable la ville de Bruxelles. Je le demande à l’honorable comte de Mérode lui-même, qui a assisté à tous les événements de la révolution, eût-il été possible à la commune de Bruxelles d’empêcher ce qui a eu lieu ?

L’honorable comte de Mérode me fait un signe négatif. Eh bien, s’il en est ainsi, la disposition exceptionnelle de la loi de vendémiaire an IV, qui enlève toute responsabilité du moment que la commune n’a pas eu le moyen d’empêcher les dégâts, ne doit-elle pas recevoir son application ?

L’honorable M. Lys me fait une objection : Il aurait fallu, dit-il, faire valoir devant les tribunaux cette exception, et M. le comte de Mérode confirme l’objection de M. Lys. Mais, messieurs, ces moyens, l’avocat de la ville les a fait valoir. Si les cours et tribunaux n’ont pas pu admettre ces moyens, parce que les faits, qui, cependant sont de notoriété, n’y étaient pas établis d’une manière légale, est-ce une raison pour la législature de ne pas faire un acte de justice ?

Messieurs, ne vous rappelez-vous pas que les tribunaux, lorsqu’ils ont été saisis de la question des indemnités, n’ont pas cru en plus pouvoir admettre les prétentions de ceux qui avaient été victimes de l’invasion hollandaise. Néanmoins vous avez, par un acte de justice nationale, fait droit à ces réclamations. Y a-t-il une différence entre les victimes de l’invasion hollandaise et ceux qui ont été victimes des pillages de 1830 et 1831.

M. Lys. - Généralisez la mesure.

M. Verhaegen. - Voilà qu’après avoir répondu à l’observation de l’honorable M. Lys, il me dit : mais généralisez la mesure. Messieurs, ce n’est pas moi qui puis prendre à cet égard l’initiative. La question est de savoir si d’autres villes se trouvent dans la même position. Et n’est-ce pas à Bruxelles que se déroulait ce drame politique de 1830 ? Si d’autres villes se trouvent dans la même position, mais j’en doute, je donnerai mon assentiment à une disposition qui leur accorderait la même faveur, je ne reculerai pas devant une pareille mesure.

Quant aux pillages de 1834, je ne vous en parlerai pas, l’époque est encore trop récente pour que je me permette à cet égard des réflexions. Ils ont eu lieu sous nos yeux, et je ne pense pas que l’honorable comte de Mérode y ait bien songé lorsqu’il a dit que ceux qui, par leur conduite, avaient provoqué ces excès, devaient en être les seules victimes. C’est là de l’anarchie ; quels qu’aient pu être les torts de ceux qui ont donné lieu aux pillages, la loi, tout en les punissant, devait le protéger contre les voies de fait Il n’appartient jamais au peuple de se faire justice à lui-même, il n’appartient à personne de l’encourager !

Quoi qu’il en soit, je n’ai pas à m’exprimer ultérieurement sur ce point cette époque, comme je le disais, est encore trop près de nous pour que je sois obligé d’éveiller vos souvenirs. Mais il est évident pour tous ceux qui se sont trouvés sur les lieux, que la ville de Bruxelles n’a pu empêcher les pillages de 1834, pas plus que ceux de 1830 et de 1831. L’honorable comte de Mérode me fait un signe affirmatif ; cela est de notoriété publique.

Maintenant si la ville de Bruxelles n’a pu empêcher les pillages de 1830, de 1831 et de 1834, pourquoi veut-on l’en rendre responsable ? La loi, sainement entendue, vient à son secours. Si les faits nécessaires pour l’application de la disposition législative dont je vous ai parlé, n’ont pas pu être établis devant les tribunaux d’une manière légale, ils sont au moins de notoriété pour nous, et la chambre a à faire un acte de justice nationale.

Messieurs, j’invoquais tout à l’heure l’opinion des publicistes, et je vous parlais de Grotius. Eh bien, ce publiciste traite précisément la question qui s’agite relativement à la ville de Bruxelles. Grotius, dans son traité de Jure belli et pacis, au chapitre 17, liv. 2, établit à la dernière évidence que ceux qui, en raison de leur position, sont appelés à éviter le mal et ne le font pas, sont responsables.

Grotius, dans son traité de Jure belli et pacis, chap. XXII, L. 2, de Damno per injuriam dato et obligatio quoe in de oritur n°6, dit :

« Tenentur autem praeter ipsum qui per se danmnum dat, alli quoque faciendo aut non faciendo (n°8), non faciendo … qui cum opem ferre debeant et cui fit injuria id non faciunt. »

Chap.XXI, L. 2, de communicatione poenaruM. n° 1, il dit, § 2 :

« Qui cum ex jure proprio teneantur vetare, non velant, aut cum teneantur ex simili jure opem ferre injuriam patiendi non ferunt, hi omnes puniri possunt.

« N° 2. Exemplis res fiet iltustrior communitas, ut alia ita et civilis non tenetur ex facto singuloruM. sine facto suo aut omissione.

« § 2. Qui scit delinqui, qui prohihere potest et tenetur nec prohibet eum ipsum delinquere. Par est delinquere et deliquentes non prohibere. In cujus manu est ut prohibeat, jubet agi si non prohibet admitti ait Salvianus. Qui desinit obviare cum potest, consentit, ait Augustinus. »

Je n’en dirai pas davantage sur ce point. Vous avez à faire un acte de justice, comme vous en avez fait un naguère en faveur des victimes de l’invasion hollandaise ; il n’y a à cet égard aucune différence

Voyez, messieurs, quelle serait la position, si le projet de loi était rejeté. Des condamnations définitives seraient prononcées contre la ville de Bruxelles pour une somme d’à peu près six millions. La ville de Bruxelles, devant s’exécuter, qu’aurait-elle à faire ? La loi de vendémiaire an IV, qui a été appliquée à la ville de Bruxelles est injuste, a dit M. de Mérode, est injuste dans l’application, et moi-même, mettant la loi de vendémiaire an IV en rapport avec les dispositions de l’ancienne législation, j’ai démontré que cette loi a été appliquée d’une manière injuste à la ville de Bruxelles. Mais c’est précisément, messieurs, parce que la loi a été appliquée à la ville d’une manière injuste, qu’il faut réparer cette injustice. Si la loi de vendémiaire a été appliquée d’une manière injuste, pourquoi voulez-vous donc que la ville de Bruxelles soit victime de cette injustice ? M. de Mérode a dit qu’il voterait la convention si l’on changeait la loi de vendémiaire ; mais lorsque la ville de Bruxelles aura été condamnée en dernier ressort, il faudra bien qu’elle paie, et alors il sera trop tard pour venir à son secours.

Ainsi, messieurs, si la loi de vendémiaire a été appliquée d’une manière injuste à la ville de Bruxelles, c’est précisément une raison pour que l’on vienne à son secours, et l’honorable M. de Mérode aurait dû tirer des principes qu’il a posés, une conséquence tout opposée à celle qu’il en a tirée.

Messieurs, l’honorable M. Coghen, quand il m’interrompait tout à l’heure, avait raison ; il est de ces choses qu’il faut oublier ; nous en sommes arrivés au point, comme le disait l’honorable M. de Brouckere, de fermer la dernière plaie ; nous devons faire oublier pour jamais et les pillages de 1830, 1831 et ceux de 1834 ; qu’il n’en soit plus question, que la chambre, par un dernier acte de justice, ferme cette plaie et en le faisant nous ne ferons que ce qu’ont fait les chambres françaises dans une position à peu près semblable. La France nouvelle avait à poser un acte de justice envers la vieille France ; le milliard d’indemnités était une chose nécessaire pour faire oublier à jamais ce que l’on appelait, et à juste titre, un acte injuste. Eh bien, ce qui avait été fait à cet égard avant 1830, a été sanctionné par les partisans même de la révolution de juillet, et, messieurs, je ne puis mieux terminer à cet égard qu’en rappelant les paroles remarquables d’Augustin Thierry, qui nous a dit, dans son ouvrage : Considérations sur l’histoire de France :

« La révolution de 1830, merveilleuse par sa rapidité, et plus encore parce qu’elle n’a pas un seul instant dépassé son but, a rattaché sans retour notre ordre social au grand mouvement de 1789. Aujourd’hui tout dérive de là, le principe de la constitution, la source du pouvoir, la souveraineté, les couleurs du drapeau national. La fusion des anciennes classes et des anciens partis a repris son cours ; elle se poursuit sous nos yeux et se précipite par la lutte même de ces partis, nés d’hier, qui ont remplacé, en la fractionnant de mille manières, la profonde et fatale division du pays en deux camps, celui de la vieille France et celui de la France nouvelle. Celle-ci a payé aux familles expropriées par un coup d’Etat l’indemnité des violences d’autrefois, personne n’a plus de compte à lui demander sur ce point et la dissidence politique ne peut plus invoquer dans ses griefs la sainteté méconnue des droits civils. »

Eh bien, messieurs, en Belgique aussi, s’il y a eu des violences. Si la révolution a eu des torts, qu’on les oublie, que ceux qui n’ont pas encore adhéré franchement à la nationalité belge, n’aient plus au moins le prétexte de venir dire que leurs droits civils ont été méconnus ; que cette dernière plaie se ferme, et il n’y aura plus en Belgique qu’une seule et même opinion politique. C’est ce que la chambre doit désirer. (La clôture ! la clôture !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je m’étais réservé hier de répondre à quelques-unes des observations présentées par l’honorable rapporteur de la section centrale ; je désire pouvoir le faire ; je dois aussi donner quelques explications sur l’amendement présenté par l’honorable M. Mercier, explications que plusieurs membres ont semblé désirer ; je veux parler de la dernière partie de cet amendement, la disposition d’après laquelle le gouvernement et la ville de Bruxelles se donneraient réciproquement quitus. Quelle est la portée de cette disposition ?

Voyons d’abord quelles sont les prétentions de la ville de Bruxelles. La prétention principale de la ville de Bruxelles porte sur des routes dont elle a été dépossédée par le domaine ; cette prétention est exposée pages 20 et 21 du rapport de l’honorable M. Malou. Je vais avoir l’honneur de donner lecture de ce passage.

« La proposition primitive de l’administration communale ne comprenait pas tous les objets mentionnés en la convention du 5 novembre 1841, mais elle était, entre autres, relative à l’indemnité réclamée pour la dépossession de certaines routes.

« Dès 1829, la ville avait porté en recette de ce chef et comme premier à compte, une somme de 100,000 fl. : la députation n’admit point le chiffre ; elle voulut que le règlement de la prétention eût lieu préalablement. Au budget de 1830 elle l’admit en recette, sous certaines réserves et provisoirement, en attendant la décision de S. M.

« Dans le rapport joint au budget de 1832, le bourgmestre porte à 300,000 fl. ou 634,920 fr. 65 c., la somme payable par le gouvernement, par suite de cette dépossession.

« En 1838, la ville, prenant pour base le coût de construction d’une route, à raison de 150.000 fr. par lieue, réclama pour la route de Boom à Anvers : fr. 450,000

« Pour celles de Laeken à Vilvorde et d’Isque à Wavre, ensemble : fr. 600,000

« Pour dépossession et non jouissance depuis 1796, une indemnité au moins égale au capital, ci : fr. 1,050,000

« Pour les plantations existantes et la perte de celles qui n’existent plus : fr.200,000

« Ensemble : fr. 2,300,000

« Lorsque dans le cours de la négociation, les commissaires du gouvernement opposèrent à cette demande les arrêts rendus sur une prétention de même nature formée par la ville de Namur, les commissaires de la ville acquiescèrent à la proposition de distraire les routes du nombre des objets à céder, mais ils firent réserve expresse des droits de la commune, droits à l’exercice desquels l’arrêt de la cour de cassation ne leur paraissait nullement faire obstacle ; ils prétendaient même que le gouvernement semblait convaincu de ces droits.

« La section centrale, ne connaissant pas les moyens spéciaux que la ville pourrait faire valoir, si elle intentait une action au gouvernement à raison de la dépossession des routes, a néanmoins reconnu, à l’unanimité, que la renonciation à cette prétention, quelle que soit la valeur des réserves, devrait être expressément stipulée, dans le cas où la chambre adopterait le convention du 5 novembre 1841, ou viendrait, par d’autres moyens, en aide à la ville de Bruxelles. »

Vous voyez donc, messieurs, que, d’après le rapport de la section centrale, les réclamations de la ville de Bruxelles pourraient s’élever à la somme considérable de 2,3000,000 fr. Mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, nous a dit hier quelle différence il pouvait y avoir entre la position de la ville de Bruxelles et celle d’autres villes à l’égard desquelles il est intervenu des jugements qui ont donné gain de cause au gouvernement. Les tribunaux n’ont pas statué en droit ; les tribunaux ont statué en fait, et ils ont déclaré (je ne fais que rapporter ce que dit la ville de Bruxelles), en fait qu’il y avait déchéance. Or la ville de Bruxelles prétend qu’elle prouvera qu’en fait il n’y a pas à son égard déchéance : Voilà, messieurs, la différence qui existerait entre les procès déjà jugés et celui qu’annonce la ville de Bruxelles. Je dis ceci non pas que nous pensions que la ville de Bruxelles a les plus grandes chances de succès, ce n’est pas là ce que je veux dire, ce n’est pas ce que mon collègue le ministre de la justice a dit hier, mais nous disons ceci, parce que chacun de vous aurait pu croire qu’il y a chose jugée.

Quoi qu’il en soit, messieurs, je crois que ce serait quelque chose que d’avoir quittance de cette prétention ; ce serait éviter un grand procès et de nombreux embarras.

Je passe maintenant aux prétentions de l’Etat ; il y a trois objets principaux. Il y a d’abord les prêts faits avant 1830, et notamment un prêt de cent mille florins fait par l’Etat à la ville pour la construction du musée de l’industrie. Il y a, en second lieu, les avances faites par le gouvernement en 1831 et 1832, où la ville de Bruxelles a fait des travaux aux boulevards ; la ville de Bruxelles soutient qu’elle ne doit pas le remboursement de ces sommes, que ce sont des subsides qu’elle a reçus du gouvernement dans l’intérêt public, qu’elle n’était en quelque sorte ici que l’intermédiaire pour donner de l’ouvrage aux ouvriers de Bruxelles. Il y a enfin la part due à l’Etat dans l’établissement de la station du midi. En effet, il a été stipulé dans la convention intervenue entre le ministère des travaux publics et la ville de Bruxelles, que cette dernière contribuerait pour un tiers dans cette dépense.

Je ne parle pas, messieurs, d’un objet particulier, très peu important, d’une somme de 8,000 fr., que le gouvernement a avancé à l’époque de la construction de l’observatoire.

D’après ceci, les réclamations du gouvernement, à la charge de la ville de Bruxelles, en laissant de coté les prétentions contestées, s’élèvent à 5 ou 600 mille francs. Vous trouverez également les détails de ces prétentions aux pages 13 et 14 du rapport de la section centrale.

Ainsi, messieurs, la dernière partie de l’amendement de M. Mercier peut se résumer ainsi : La ville de Bruxelles donnerait quitus à l’Etat de toutes ses prétentions et, entre autres, de celle qui concerne les routes et qui peut s’élever à une somme de 2,300,000 fr. ; l’Etat, de son coté, donnerait à la ville de Bruxelles quitus de ses prétentions contestées et non contestées ; et les prétentions non contestées s’élèvent à une somme de 5 à 600,000 fr.

M. Dubus (aîné). - Suivant le bourgmestre de Bruxelles, ce serait plus de 600,000 fr.

M. Mercier. - 628,000 fr.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il existe, en effet, un ancien rapport où la somme est portée à 628,000 fr,, somme que la ville de Bruxelles reconnaît devoir à l’Etat ; mais la ville forme une contre-prétention du chef de travaux de raccordement du chemin de fer ; elle réclame de ce chef 42,500 francs, qui, déduits des 628,000 dont il s’agit, réduisent la créance de l’Etat à 585,500 fr. Je parle toujours ici des prétentions non contestées par la ville.

Je ne tenais à donner ces explications, que parce que plusieurs membres de l’assemblée les désiraient ; on votera très probablement par division, et d’autres renseignements pourront encore être donnés. J’arrive à la discussion même du fond.

Pour ceux qui veulent faire quelque chose pour la ville de Bruxelles, il me semble qu’il n’y a que deux partis à prendre, et à prendre dès à présent : l’acceptation de la convention, ou bien l’autorisation donnée formellement au gouvernement de garantir un emprunt.

C’est, messieurs, à cette alternative qu’il faut réduire toute la discussion. Ceux qui ne veulent pas de la convention ou qui ne veulent pas de l’autorisation, formellement donnée, de la garantie d’un emprunt ; ceux-là, selon moi, et je leur demande bien pardon de ma franchise, ceux-là ne veulent au fond rien faire pour la ville de Bruxelles.

Il y a donc un sacrifice à faire par l’Etat : accepter la convention ou garantir un emprunt ; pour ceux qui veulent sincèrement venir au secours de la capitale, la question est de savoir quel est le sacrifice auquel il faut se résoudre, quel est le sacrifice le moins onéreux pour l’Etat sous tous les rapports ; je persiste à croire que c’est le sacrifice qui résulterait de l’acceptation de la convention du 5 novembre.

Le premier système, celui de l’acceptation de la convention, est formulé, je regrette que le deuxième ne le soit pas non plus. Cependant j’ai essayé de formuler le deuxième système. J’ai mis à profit les observations qui ont été présentées par plusieurs membres ; voici comment un projet de loi qui consacrerait le deuxième système, pourrait être rédigé. Je vais en donner lecture à la chambre, parce que c’est le seul moyen de rendre cette discussion aussi positive que possible.

PROJET DE LOI.

Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à garantir, au nom de l’Etat, le paiement des intérêts d’un emprunt à contracter par la ville de Bruxelles

« La garantie ne pourra être donnée pour les intérêts d’un capital de plus de....

« Une dotation de 1 p.c. sera affectée à l’amortissement de l’emprunt, indépendamment des intérêts des sommes amorties.

« Art. 2. Pour sûreté du remboursement des sommes avancées par le trésor public, la ville s’engagera à donner, au fur et à mesure des avances, hypothèque suffisante sur des propriétés libres et aliénables.

« Elle bonifiera au trésor, sur ses avances jusqu’au remboursement, un intérêt de....

« Art. 3. Le gouvernement stipulera en sa faveur, pour un terme de... ans, à dater de l’acte de garantie, la faculté d’acheter, moyennant l’inscription au grand-livre de la dette publique d’une rente de... fr. les droits de propriété appartenant à la ville, aux immeubles et collections énumérées ci-après

« Immeubles. (Objets décrits sous les litt. a, b, c, d, e, f de l’art. 1er de la convention. )

« Meubles. (Toutes les collections.)

« Art. 4. Les droits attribués en matière de comptabilité à la députation permanente du conseil provincial, par la loi du 30 mars 1836, seront, quant à la ville de Bruxelles, exercés par le gouvernement, la députation permanente entendue.

« A défaut, par le conseil communal, soit de dresser les budgets à l’époque fixée par la loi, soit de discuter les impositions communales, directes ou indirectes suffisantes pour couvrir les dépenses, il y sera pourvu d’office par le gouvernement, la députation permanente entendue. »

Nous voilà en présence de deux projets de loi, l’un réel et officiel, l’autre officieuse et hypothétique. C’est une marche sans doute inusitée, mais il faut ramener là la discussion, si l’on veut arriver à un véritable résultat ; il faut que la chambre sache que si la convention est écartée, force sera au gouvernement de proposer le projet de loi donc je viens de donner lecture, ou un projet à peu près semblable.

Je parle toujours dans la supposition non contestée jusqu’à ce jour, qu’il faut faire quelque chose pour la ville de Bruxelles. Tous les orateurs que vous avez entendus, et je n’en excepterai que l’honorable M. Lys, et encore n’a-t-il peut-être pas achevé sa pensée sous ce rapport ; tous les orateurs que vous avez entendus ont déclaré, et persisté à déclarer, qu’il fallait faire quelque chose pour la ville de Bruxelles. L’honorable M. Eloy de Burdinne lui-même l’a déclaré.

M. Eloy de Burdinne. - Je le déclare encore.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La grande objection contre l’achat des bâtiments et des collections, c’est que les objets d’art pourraient devenir la proie d’un conquérant.

La seule capitale où l’Etat devrait posséder des collections, ce serait Londres, la capitale de l’inaccessible Albion ; mais l’honorable membre lui-même est convenu qu’il y a à Paris, à Vienne, à Berlin, des collections appartenant à l’Etat ; j’ajouterai qu’il y en a dans les moindres capitales de l’Allemagne ; il y en a à Cassel, à Darmstadt, à Carlsruhe, à Dresde, et surtout à Munich. Nous devons nous féliciter de ce qu’une semblable appréhension ne se soit pas emparée de l’esprit du roi Louis de Bavière, car sans doute alors il n’aurait pas fait de sa capitale l’Athènes de l’Allemagne.

Messieurs, je crois qu’on se rend imparfaitement compte de certains faits peu anciens. Cependant j’imagine que les objets d’art enlevés par les armées françaises en Italie et en Espagne appartenaient aux gouvernements de ces pays ; la plupart de ces objets appartenaient à des villes, et ces villes se sont rachetées des réquisitions militaires, en cédant leurs statues et leurs tableaux.

M. Eloy de Burdinne. - Elles ont payé leurs dettes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous voyez donc, messieurs, qu’on n’a pas respecté les propriétés communales. Il est donc inexact de dire que les conquérants méconnaissent les droits de propreté seulement lorsqu’il s’agit des Etats.

Si l’on veut prévoir l’éventualité d’une guerre, il faut se demander si la guerre se fera par des moyens réguliers ou par des moyens irréguliers ; si la guerre se fait par des moyens irréguliers, on ne respectera aucun genre de propriétés, on ne respectera ni les propriétés de l’Etat, ni les propriétés communales. De nos jours nous avons vu les guerres ; mais les mêmes armées françaises qui avaient enlevé les chevaux de Venise et la colonne de Rosbach, n’ont-elles pas, deux fois, respecté dans les plaines de Waterloo, un trophée bien autrement insultant.

En répondant hier à l’honorable rapporteur, j’ai cherché à démontrer à la chambre que la différence entre le moyen proposé par le gouvernement, et le moyen que l’honorable membre avait suggéré dans la première séance, n’était pas bien grande. La convention, c’est l’achat immédiat ; le système que l’honorable rapporteur avait présenté dans la première séance, c’était l’achat subséquent, comme moyen de remboursement.

L’honorable rapporteur m’a paru sentir lui-même qu’il s’était trop rapproché du système proposé par le gouvernement. Aussi, que vous a-t-il dit dans la séance d’hier ? La garantie d’un emprunt n’est plus pour lui qu’une garantie morale ; il espère que l’Etat garantissant un emprunt, ne fera pas les avances ; que l’Etat parviendra à faire faire, même dès la première année, le service des intérêts par la ville de Bruxelles.

Or, je dis que c’est là une illusion, Je doute que le gouvernement, s’il garantissait un emprunt, parvienne à réduire sa garantie à une garantie morale.

L’honorable M. Eloy de Burdinne me dit qu’il ne veut pas donner de l’argent ; je lui dirai alors qu’il ne veut rien faire, car c’est de l’argent qu’il faut ; et un emprunt garanti par l’Etat, dans ce sens que ce serait une garantie sans argent, une garantie purement morale, je dis que ce moyen n’en est pas un.

M. Eloy de Burdinne. - Nous n’avons pas d’argent.

Une voix. - N’interrompez pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne me plains pas des interruptions de l’honorable M. Eloy de Burdinne ; elles constatent qu’au fond il ne veut rien faire ; mais alors il faut le dire ; il faut qu’en cas de rejet, le gouvernement sache qu’il ne doit plus ouvrir des négociations avec la ville de Bruxelles.

Nous le savons maintenant ; quand on nous dit : Le véritable moyen, c’est la garantie d’un emprunt, on ne veut offrir qu’une garantie morale.

L’honorable rapporteur admet que le gouvernement donnera sa garantie à l’emprunt sans s’expliquer sur la nature de cette garantie. Les prêteurs contracteront avec la ville de Bruxelles, sous la garantie de l’Etat. Mais l’honorable rapporteur suppose que le gouvernement sera assez fort pour dire à la ville de Bruxelles, l’emprunt étant fait : Vous paierez les intérêts, et non pas moi ; si vous ne les payez pas, je vous imposerai d’office. Si vous pensez que le gouvernement peut avoir cette énergie, pourquoi ne prend-il pas depuis sept ans cette position ? Pourquoi n’a-t-on conseillé à aucun ministère de la prendre ? Si vous pensez que le gouvernement belge peut, sans qu’il en résulte une secousse trop violente, obliger la ville de Bruxelles à faire le service des intérêts de l’emprunt, quand l’emprunt aura été contracté, pourquoi dès aujourd’hui n’agit-il pas de la sorte à l’égard de la ville de Bruxelles ; pourquoi ne la force-t-il pas à avoir recours à des moyens extraordinaires pour se libérer ? Il ne faut pour cela qu’un projet de loi, il ne faut que demander à la chambre l’autorisation de créer des revenus nouveaux, d’imposer la ville d’office, d’augmenter, si c’est possible, certains articles de l’octroi.

Je dois insister sur ce point, qui est extrêmement important. Comment le gouvernement parviendrait-il à réduire sa garantie à une simple garantie morale ? C’est en imposant d’office la population, en augmentant les articles de l’octroi susceptibles d’augmentation, s’il y en a. Mais que le gouvernement les emploie aujourd’hui, ces moyens, s’ils sont possibles, s’ils sont sans danger, qu’il se borne à proposer un projet de loi pour demander que la ville de Bruxelles puisse être d’office imposée par le gouvernement. Je dis, au contraire, que les obstacles qui ont jusqu’aujourd’hui empêché le gouvernement de s’adresser à vous, pour être autorisé à agir d’office, existeront d’une manière plus forte encore, l’emprunt étant contracté.

Ne vous le dissimulez pas, dès que l’emprunt aura été contracté, votre garantie sera une garantie réelle ; vous paierez ; non seulement vous paierez, mais après avoir payé, vous serez dans l’impossibilité de récupérer les avances faites, au moins pendant un certain temps.

C’est ce qui avait été compris par l’honorable rapporteur, car il vous a proposé un remboursement par l’achat subséquent des bâtiments et des collections.

Envisageons donc l’avenir comme il doit l’être. Si vous vous arrêtez à un autre système que celui que le gouvernement vous propose, ce ne peut être qu’un emprunt garanti. Cette garantie ne peut être qu’une garantie réelle. Vous paierez, et les avances que vous aurez faites, vous ne pourrez pas les recouvrer par des impositions décrétées d’office, mais seulement par l’acquisition subséquente des collections et des bâtiments que nous vous proposons d’acquérir aujourd’hui immédiatement et directement.

J’ai laissé en blanc dans mon projet de loi éventuel, hypothétique, deux chiffres. Le premier, celui du montant de l’emprunt. D’abord, je persiste à dire qu’un emprunt de 6 millions serait insuffisant. C’est un emprunt de 12 millions qu’il faudrait à la ville de Bruxelles. J’ai dit hier pourquoi il n’y a aucune contradiction entre cette proposition et la stipulation qui, de la part de l’Etat, n’assure à la ville de Bruxelles qu’une rente de 400 mille francs. C’est que cette rente dégagera assez la ville pour lui permettre de faire d’autres opérations destinées à régulariser sa position financière.

Si vous garantissez seulement un emprunt de 6 millions, la ville étant forcée de faire un emprunt de 12 millions, ferait deux opérations, l’une avec la garantie de l’Etat, l’autre sans garantie, emprunts entre lesquels s’établirait une étrange concurrence.

J’ai laissé en blanc un deuxième chiffre, il s’agit de la somme pour laquelle le gouvernement pourrait éventuellement acheter les collections et les bâtiments, à l’effet de se rembourser de ses avances. Je veux être très modéré dans mes suppositions ; je veux me placer ici dans l’hypothèse de mes contradicteurs, qui trouvent toutes les évaluations exagérées. J’écarte donc de l’achat de plusieurs objets : la porte de Hal, le terrain entre les palais et le terrain de l’observatoire.

Je suppose une réduction de 20 p. c. sur la somme restant, d’abord à cause des prétendues exagérations ; et ensuite à raison de certains droits que pourrait avoir le gouvernement. J’arrive alors à un capital qui donne une rente de 245,000 fr. au moins. Le gouvernement devrait donc être autorisé à se rembourser des avances faites au moyen de l’achat des collections et de bâtiments pour une rente de 245 mille fr.

Eh bien, vous voyez qu’entre la proposition de M. Mercier, qui est d’acheter le tout moyennant une rente de 300 mille fr. et celle à laquelle nous arriverions dans le système de la garantie d’emprunt, en faisant de notables réductions, il n’y a qu’une différence de 55 mille fr. de rente.

Je fais toutes ces observations pour prouver que ce moyen de la garantie d’emprunt, qu’on offre à la chambre, et qui semble séduire tant d’esprits, n’est au fond pas aussi avantageux qu’on le pense et renferme de grands périls que j’ai déjà signalés plusieurs fois.

Je sais bien qu’on exagérera les moyens d’action du gouvernement, qu’on dira que rien ne sera plus facile que de réduire la garantie à une garantie purement morale, que rien ne sera plus facile que de recouvrer ses avances en argent, par des impositions décrétées d’office. Sans doute, ce n’est pas moi qui voudrais soutenir que le gouvernement manque et doit manquer de fermeté. Cependant, je suis obligé de tenir compte des faits. Le gouvernement avait fait des avances considérables au plus grand industriel de la Belgique, nous pouvons dire de l’Europe, au chef des établissements de Seraing. Jusqu’à ce jour, cette maison n’a encore rien remboursé au gouvernement.

Dans les jours de sa plus grande prospérité, des hommes, qui certes ne manquaient pas d’énergie, n’ont pu obtenir le remboursement des avances faites à cet industriel. On n’osait dire : Je vous enverrai mes ouvriers à Bruxelles.

Je pourrais citer d’autres faits ; mais je le répète, je sais la réserve que je dois garder.

M. Dubus (aîné). - On reçoit la loi !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je veux seulement faire apprécier la position que vous voulez faire au gouvernement ; évitez-lui cette position.

Un membre. - Ce sont les communes qui sont maîtresses.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne dis pas qu’il faut laisser les communes maîtresses. Je dis seulement, ne mettez pas légèrement le gouvernement dans une position embarrassante.

M. Desmet. - On reçoit la loi !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous signale des difficultés. Je n’exagère pas ; je ne dis pas qu’on recevra la loi.

M. Dubus (aîné). - C’est une abdication !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il ne s’agit pas d’abdication, il s’agit de dire la vérité ; et vous qui m’interrompez, le gouvernement serait-il appuyé par vous s’il venait vous dire : Le Hainaut exploite un canal qui appartient à l’Etat, le canal de Mons à Condé. Ce canal est la propriété de l’Etat. L’administration en a été donnée à la province du Hainaut en 1819, époque où le roi Guillaume a également attribué aux provinces l’administration des rivières navigables. Nous avons repris les rivières, je vous propose aussi de reprendre le canal de Mons à Condé, c’est un revenu de 150,000 fr. Peut-être le gouvernement fera-t-il un jour cette proposition. Dans ce cas, je compte qu’elle sera appuyée par les hommes qui aujourd’hui annoncent tant d’énergie.

Ne disons pas que le gouvernement est faible, très faible ; ne disons pas non plus qu’il est fort, très fort ; tenons compte des circonstances, et n’exagérons rien.

L’honorable rapporteur a pensé que le moyen proposé consacrait un précédent que d’autres villes pourraient invoquer et qu’au contraire le moyen nouveau n’offrait pas ce caractère.

J’ai précisément soutenu le contraire, j’ai soutenu que l’acquisition des bâtiments et des collections dont le gouvernement a besoin dans la capitale, ne constituait de précédent applicable ni aux villes autres que la capitale, ni à la capitale même, puisqu’une fois dépossédée elle n’aurait plus rien à offrir.

L’honorable rapporteur a avoué qu’il se faisait illusion même en proposant son système. Il y a cependant encore un précédent d’un autre genre dans l’intervention, et il faut le dire, dans l’intervention quelconque du gouvernement. Il nous a dit que nous allons peut-être créer un précédent extrêmement défavorable au crédit public de la Belgique ; qu’une fois qu’on saurait à l’étranger que l’Etat belge vient au secours des communes, en en conclurait qu’il entre dans une voie qui peut le conduire à l’abîme. Je répondrai que personne ne se trompera à l’étranger sur le caractère tout exceptionnel de cet acte. Tout le monde saura qu’il s’agit de la capitale, d’une ville qui, comme capitale, avait droit à un acte exceptionnel de ce genre. Personne ne s’imaginera que cet acte va se répéter et s’appliquer à toutes les villes du pays. Lorsqu’il s’est agi de la banque de Belgique, avez-vous été arrêtés par l’idée que toutes les sociétés compromises viendraient demander un secours tel que celui que nous allons accorder à cette banque ? Evidemment non. Cette crainte n’est venue à l’esprit de personne. On a compris que cet établissement avait une position exceptionnelle. On n’y a pas vu un précédent d’où l’on pût conclure que le gouvernement allait venir au secours de toutes les sociétés anonymes du pays. On y a vu un acte isolé, exceptionnel. On appréciera de la même manière l’acte que vous poserez en faveur de la capitale.

La capitale est un peu la personnification du pays à l’égard de l’étranger ; c’est votre tête ; la capitale est le résumé de la Belgique ; c’est une commune qui ne s’appartient pas exclusivement, elle appartient au pays tout entier ; si cela n’est pas vrai, si n’est pas senti par nous, c’est que, permettez-moi de vous le dire, c’est que le sentiment national n’a peut-être pas fait assez de progrès. Il faut qu’un pays considère la capitale comme sa tête.

Si je n’étais pas convaincu que le rejet de la convention sera la rupture définitive de toute négociation avec la ville de Bruxelles, je n’y mettrais pas cette insistance. Si je pouvais croire qu’il existe un autre moyen, qu’un système de garantie fût possible et acceptable par vous, je ne ferai pas tant d’efforts. Et même, vous le dirai-je, je ne vois pas pourquoi Bruxelles refuserait le système de garantie, s’il lui était sérieusement offert, avec chance d’être accepté par les deux chambres. Pourquoi le refuserait-elle ? L’Etat belge paierait. Le conseil communal n’aurait plus d’autre opération à faire que de prendre ces 12 millions qu’on mettrait à sa disposition. Il aurait, je n’en doute pas, la loyauté de faire le service d’une partie des intérêts. Mais vous feriez jusqu’à l’amortissement le service de l’autre moitié des intérêts, c’est-à-dire, que vous paieriez chaque année une rente équivalente à celle qu’on vous demande ; vous la paieriez jusqu’à l’amortissement du capital.

Une voix. - Mais pas de rente perpétuelle.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’entends dire qu’il s’agit d’une rente à perpétuité. Mais vous pouvez vous libérer, les moyens en sont indiqués. C’est dans l’intérêt du gouvernement, pour lui donner plus de force à l’égard de la ville, qu’on a stipulé une alternative. Le gouvernement pouvait se borner à recueillir des rentes négociables ; il se serait dépouillé ainsi de toute garantie. C’est pour cela qu’on a stipulé une alternative. La rente peut être rendue non perpétuelle, le gouvernent peut se libérer ; c’est la deuxième partie de l’alternative.

Je termine en répétant que je ne m’adresse pour le moment qu’à ceux qui pensent (et je crois que vous êtes tous de cet avis) qu’il y a quelque chose à faire pour la ville de Bruxelles.

Je me permettrai de répéter qu’il n’y a que deux choses à faire à la convention, avec ou sans réduction, ou un système de garantie, tel que celui que j’ai formulé. J’ai montré la différence entre les deux systèmes. Dans le premier, le gouvernement a une position nette vis-à-vis de la capitale, en acquérant d’elle les bâtiments, les collections qui lui manquent. Dans le deuxième système, il s’engagerait avec la population de Bruxelles dans une lutte de tous les jours. Pour y échapper, il n’aurait d’autre moyen que d’acheter, pour se rembourser de ses avances, les bâtiments qu’on veut lui vendre aujourd’hui. Je ne veux pas exagérer ni la force, ni la faiblesse du gouvernement. Mais j’ai cru de mon devoir de vous rendre attentifs à la position extrêmement difficile que vous feriez au gouvernement dans la capitale.

Si vous autorisez le gouvernement, pour se rembourser de ses avances, à reprendre éventuellement les bâtiments et les collections, moyennant une rente de 245,000 fr., vous trouverez que, relativement à la proposition de l’honorable M. Mercier, il n’y a qu’une différence de 55,000 fr. Cette différence sera en partie compensée par le quitus réciproque que l’on propose.

M. Eloy de Burdinne (pour un fait personnel). - Si quelque chose doit m’étonner, c’est que M. le ministre de l’intérieur, qui a tant de mémoire, l’ait perdue en cette circonstance. Comment ! il ne se rappelle pas que lorsque j’ai cité Londres, j’ai cité d’autres grandes villes, d’autres grandes capitales appartenant à des pays qui ont le moyen de faire respecter leurs musées, leurs collections. J’ai cité non seulement Londres, mais encore Paris et St.-Petersbourg. Je m’étonne que la mémoire de M. le ministre, ordinairement si bonne, ait été si courte en cette circonstance. Je ne lui attribuerai pas cependant l’intention d’avoir cherché à jeter du ridicule sur ma personne.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non, ce n’a pas été mon intention.

M. Eloy de Burdinne. - M. le ministre de l’intérieur m’a prêté l’intention de tromper la chambre, parce que je n’ai pas dit que je ne voulais rien faire pour la ville de Bruxelles. Mais je veux faire quelque chose. Seulement je ne veux pas faire ce que vous voulez. Je ne veux pas prendre dans la poche des contribuables, pour une commune qui n’a pas su régler ses intérêts avec l’économie qu’elle aurai pu y mettre. Mais ce que je veux faire, c’est garantir pour la ville de Bruxelles un emprunt tel qu’elle puisse sortir de la fausse position où elle se trouve momentanément ; c’est aussi surveiller l’administration de la ville de Bruxelles. Déjà M. le ministre a présenté hier un amendement qui offre quelque moyen de tenir Bruxelles dans les bornes convenables. A ces moyens, je joindrais celui de rendre l’octroi de Bruxelles plus productif, en le mettant en adjudication et en imposant la volaille, le gibier, consommés par la classe aisée et qu’on n’impose pas, tandis qu’on impose fortement les objets de consommation de la classe malheureuse.

Voilà mon fait personnel

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas voulu chercher à jeter du ridicule sur l’honorable M. Eloy de Burdinne, L’honorable membre me connaît assez pour savoir que telle n’a pu être mon intention. Je croyais avoir bien saisi son opinion. J’avais compris qu’il n’y avait à l’abri des conquérants, que Londres et quelques grandes capitales.

J’ai cité les capitales d’Etats secondaires ; la capitale de la Bavière, pays qui a, comme la Belgique, 4 millions d’habitants. J’ai rectifié des faits historiques ; j’ai dit que l’on ne pouvait prétendre que les conquérants ne s’emparent que des musées et des collections de l’Etat, puisqu’il se trouve que les spoliations fameuses de l’Italie et de l’Espagne ont été principalement faites aux dépens de villes et de communautés.

Je n’ai pas non plus dit, ni cherché à faire entendre que l’honorable membre avait voulu tromper la chambre. J’ai seulement fait remarquer qu’il ne fallait pas se faire illusion. Quand vous dites il faut faire quelque chose pour la ville de Bruxelles, il faut s’expliquer. Selon moi, ce ne peut être que de l’argent : de l’argent par suite d’acquisitions, ou par la garantie d’un emprunt. Voyez dans quelle position serait l’Etat, dans le cas de la garantie d’un emprunt. Il garantirait sans distinction entre la garantie morale et la garantie réelle. L’Etat ayant garanti l’emprunt, le preneur se présenterait à lui avec les obligations. Si la ville de Bruxelles ne payait pas, il faudrait que l’Etat payât. Or, elle ne paierait pas, puisque sa position serait exactement la même qu’aujourd’hui.

Il faudra donc, pendant un certain temps au moins, que l’Etat fasse le service de la rente. Je demande que l’on me prouve comment la ville de Bruxelles s’y prendra pour ne pas faire pendant un certains temps le service de cette rente, à moins qu’elle ne le paye sur le capital. Ce serait un singulier moyen d’en faire le service.

Je le répète, je suis désolé que l’honorable M. de Burdinne ait pu donner un pareil sens à mes paroles ; je le prie d’être convaincu qu’il n’y avait rien de désobligeant pour lui dans ma pensée.

M. Lys (pour un fait personnel). - M. le ministre de l’intérieur a dit, messieurs, que je n’avais pas expliqué toute ma pensée sur la question de savoir, s’il fallait faire quelque chose pour la ville de Bruxelles. Oui, messieurs, je désire qu’on fasse quelque chose pour la ville de Bruxelles, mais je voudrais aussi qu’on rendît la même justice aux villes qui ont aussi souffert par les pillages ; aux villes qui n’ont pu éviter les pillages, pas plus que n’a pu les éviter la ville de Bruxelles.

Il faut faire oublier, dit-on, les mauvais jours de la révolution ; il faut tirer le rideau sur le passé, ii faut faire un dernier sacrifice en faveur de la ville de Bruxelles. Si vous ne l’étendiez pas aux autres villes, ce serait là une injustice, car des communes resteraient chargées de satisfaire à l’indemnité de leurs pillages, et elles viendraient encore concourir au paiement des indemnités dues par la ville de Bruxelles.

Si la discussion continue, messieurs, je demanderai la parole répondre à mon honorable ami M. Verhaegen,

Plusieurs membres demandent la clôture.

M. Malou, rapporteur. - M. le ministre de l’intérieur a proposé un amendement dont il n’a pas encore été parlé.

M. Dubus (aîné). - M. le ministre a enlevé la parole à M. le rapporteur, et cela précisément au moment où un orateur avait parlé contre les conclusions de la section centrale. Je crois que la discussion doit continuer.

M. le président. - La clôture n’a pas été formellement demandée.

Plusieurs voix. - Parlez ! Parlez !

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je me propose, non seulement de parler sur l’amendement présenté par M. le ministre, mais aussi sur le système de garantie ; et en parlant du système de garantie, je crois être dans mon droit et remplir un devoir. Je m’attacherai à être aussi court que possible ; Car je sens que la chambre doit être fatiguée de cette discussion.

Messieurs, dans le sein de la section centrale, et depuis le début de cette discussion, j’ai soutenu le système de la garantie par l’Etat ; je l’ai soutenu comme moins onéreux que le projet du gouvernement et comme suffisant pour la ville de Bruxelles.

D’autres moyens avaient également été indiqués dans la section centrale : le prêt des subsides. Ces moyens n’ont plus été soutenus dans la chambre ; la lutte ne s’est réellement établie qu’entre le projet d’acquisition et le système de garantie. Qu’il me soit permis de ramener encore le débat à ces deux points que je viens d’indiquer : le système de garantie est-il moins onéreux pour l’Etat ? Est-il suffisant pour la ville de Bruxelles ?

Hier, messieurs, j’ai cru établir qu’il était moins onéreux, par une considération notamment qui me paraît importante et que l’on n’a pas rencontrée : c’est que la garantie est pour l’Etat, comme je l’ai toujours compris dès le début de la discussion, une garantie morale. Je ne crois pas qu’il faille à la ville de Bruxelles de l’argent ; je crois que du crédit lui suffit, et que si le gouvernement lui prête le sien, elle a tout ce qui lui est nécessaire. Cette considération sur laquelle je reviens, c’est que l’engagement est temporaire, tandis que, d’après le projet du gouvernement, la Belgique est grevée d’une rente perpétuelle de 400,000 fr.

L’honorable ministre de l’intérieur vient de dire, il est vrai, que cette rente pourrait être rachetée. Mais je demande si, parce que vous rembourserez le capital, la rente en sera moins une charge perpétuelle ? Pour rembourser, ne devrez-vous pas aliéner une valeur équivalente ? Je vous prie dès lors de me dire s’il s’agit d’un engagement à terme, ou d’un engagement perpétuel.

Messieurs, le long retard qu’a éprouvé la discussion de la convention se reproduirait-il encore, si la chambre, comme je le désire, écartait le principe de l’acquisition ? Pour répondre à cette question, recherchons quelle a été la cause du retard.

La première cause du retard a été un fait que l’on a rappelé au commencement de cette séance, et sur lequel je n’insisterai pas : ç’a été ce fait malheureux de la démission en masse donne en 1838 pour forcer la main au gouvernement.

Une autre cause de retard a été la nécessité de faire successivement trois expertises différentes des immeubles et des collections de la ville, cause de certaines exagérations, aujourd’hui évidentes et incontestables.

Une autre cause de la durée de ces négociations, ç’a été le provisoire, qui n’aurait pas dû exister, dans lequel s’est longtemps trouvée l’administration municipale.

La garantie est par elle-même un système d’une application tellement immédiate, que tantôt M. le ministre de l’intérieur, en le présentant comme hypothétique, engageait en quelque sorte la chambre à le voter si le projet du gouvernement venait à être écarté.

Messieurs, lorsqu’en 1838, quelques jours avant la démission dont je viens de parler, l’honorable M. de Theux, alors ministre de l’intérieur, voulait, comme il l’a dit, pourvoir à l’urgence des besoins de la comptabilité de la capitale, que lui propose-t-il ? Il lui propose la garantie.

Mais, dit-on, rejeter la convention et ne rien y substituer immédiatement, c’est vouloir ne rien faire. Messieurs, je l’ai déclaré avec pleine franchise, oui, je veux faire quelque chose pour la capitale, je le répète encore, je veux me dissimuler à moi-même la gravité de l’intervention du gouvernement dans les affaires d’une commune. S’ensuit-il qu’il faille engager le trésor dans une dépense que j’ai, je crois, justement qualifiée de dépense de luxe ? Non, messieurs, si je veux relever la capitale de l’état où elle se trouve, il ne s’ensuit pas que la chambre puisse vouloir donner à la capitale une existence grande et riche, comparativement riche au moins, si je la mets en rapport avec l’état des finances du pays.

Dotez la capitale de 400,000 fr. de rente ; faites-le surtout sans poser quelques garanties d’une gestion plus prudente, d’une gestion plus modérée. (Quant à moi, je n’ai jamais été plus loin, je n’ai jamais accusé personne de dilapidation, et un honorable membre s’étant servi de cette expression, je crois, pour mon compte, devoir la décliner.) Mais je dis que si le gouvernement dotait la capitale d’une rente de 400,000 fr. sans exiger les garanties d’une gestion plus prudente, nous pourrions nous retrouver, au bout de bien peu d’années, dans la situation où nous nous trouvons. Notre prudence à nous, comme tuteurs de la fortune publique, n’est pas la prudence d’aujourd’hui ni de demain c’est la prudence de l’avenir. Que ferions-nous en donnant à la capitale cette rente de 400,000 fr. ? Nous lui donnerions les moyens de dégrever les habitants ; de diminuer les impôts ; de continuer ses projets d’embellissements, projets que j’approuve lorsqu’ils sont modérés, mais que je ne puis que blâmer lorsqu’ils amènent une situation comme celle à laquelle nous nous appliquons de porter remède aujourd’hui.

Les objections que l’on peut faire contre la garantie, je les ai toutes comprises. Je les admets toutes, sauf une seule, et c’est celle qui est tirée de la faiblesse du gouvernement.

Ce serait, messieurs, un immense malheur pour notre pays, que les communes pussent faire la loi au gouvernement : et si cela était, ce ne serait pas aux dépositaires du pouvoir à venir le déclarer ici. J’ai été profondément peiné d’entendre faire contre le système de garantie cette objection. Si c’est une vérité, il ne fallait pas la dire, il fallait la cacher à vous-même.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je l’ai dite avec toute la réserve possible.

M. Malou. - Cette faiblesse existe-t-elle réellement ? Messieurs, j’ai assez de foi dans nos institutions, je crois les comprendre assez pour dire que lorsque le pouvoir est faible, c’est qu’il le veut bien ; que si le pouvoir a été souvent faible, c’est qu’il l’a voulu, et que si, dans des circonstances analogues à celles qu’on nous a citées, le gouvernement voulait être fort, il le serait et trouverait appui dans la chambre.

Quelle force après tout, faudrait-il au gouvernement ? la force de résister plutôt à la ville de Bruxelles qu’à la législature. Car voilà pour le gouvernement l’alternative. Si le gouvernement ne se sent pas assez de courage pour s’opposer à la ville de Bruxelles, en cas de nécessité, il devra se sentir assez de courage pour venir demander à la chambre les voies et moyens pour payer aux lieu et place de la ville. Entre ces deux dangers, je ne sais quel serait pour lui celui que je choisirais.

Cette objection, je l’aurais encore comprise si à la fin de la séance d’hier, l’honorable ministre de l’intérieur n’avait présenté un amendement qui tend à donner au gouvernement le droit d’imposer la capitale ; si, à l’ouverture de cette session, cet honorable ministre n’avait présenté un projet qui lui donnerait le droit d’imposer d’office toutes les grandes villes du royaume.

Pour établir, messieurs, que le système de l’acquisition immédiate est préférable à celui de la garantie, voici l’étrange position que l’on me fait, que l’on fait aux deux membres de la section centrale qui ont adopté ce moyen dès le début de cette discussion.

La différence entre nous, dit-on c’est que nous voulons acquérir aujourd’hui, et que vous, vous serez forcés d’acquérir demain.

Déjà j’ai eu l’occasion de faire observer à la chambre, et je le redirai encore, que dans le système de garantie, il suffit de stipuler au profit du gouvernement une faculté dont il usera ou dont il n’usera pas, comme bon lui semblera.

Une autre observation vous a encore été faite. La ville de Bruxelles, dit-on, consentirait probablement à accepter la garantie de l’Etat. Je n’en ai jamais douté. C’est parce que j’ai cru que la ville de Bruxelles accepterait cette offre, qu’elle la considérerait comme utile, que j’ai proposé ce moyen. Car j’ai toujours été de bonne foi dans cette discussion. J’ai toujours voulu sérieusement venir en aide à la capitale. Mais j’avais ici un autre devoir à remplir, un devoir qui pour moi est le premier de tous, c’est de sauvegarder les intérêts généraux.

S’il en est ainsi, messieurs, si la ville de Bruxelles est prête à accepter la garantie de l’Etat, que devient l’objection tirée des longs délais, des difficultés d’une négociation nouvelle ? Mais alors cette difficulté est résolue d’avance.

Quant au chiffre immédiatement nécessaire, j’ai déjà fait observer que, comme membre de la chambre, il m’était impossible d’indiquer d’une manière absolue un chiffre quelconque. J’ai indiqué six millions, et toutes les observations qui ont été faites me portent à croire encore que ce chiffre est suffisant. C’est là, je pense, la seule question que la négociation présenterait à résoudre. Je crois ce chiffre suffisant, messieurs, parce que si l’avenir de Bruxelles doit être encore chargé pour quelque temps, il faut accorder la garantie morale de l’Etat, non pas pour mettre la ville à même de liquider toute sa dette, mais seulement (passez-moi cette expression) pour la mettre à flot aujourd’hui.

La discussion messieurs, depuis que j’ai pris la parole, s’est portée sur beaucoup d’autres points ; les questions de chiffres, les questions de droit se sont aussi présentées. On a reproché encore aujourd’hui à la section centrale de n’avoir pas examiné la question d’une manière assez élevée. Je désespère vraiment, messieurs, de la traiter d’une manière assez élevée, car jusqu’à présent je crois n’avoir parlé ni de chiffres ni de question de droit. Il ne faut pas se dissimuler d’ailleurs que si la politique est mêlée dans ces questions, les faits aussi sont beaucoup, et la preuve pour moi que les faits sont beaucoup, c’est qu’on ne les a pas abordés.

Je reconnais toutefois qu’au point où la discussion en est arrivée, il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails de chiffres ni d’examiner les questions de droit qui peuvent être soulevées. Une observation générale en ce qui concerne le travail de la section centrale, me paraît cependant nécessaire ; vous remarquerez, messieurs, avec quelle réserve la section centrale s’est prononcée sur les questions de droit ; elle n’avait pas à juger ces questions comme un tribunal ; elle n’avait pas a dire : « Voilà le tien ; voilà le mien ; » elle avait à rechercher seulement s’il y avait un doute formel, un doute positif, sur la propriété que la ville de Bruxelles s’attribue.

Quant aux chiffres encore, je reconnais que trois expertises ont été faites, mais il faut bien reconnaître aussi qu’elles présentent entre elles de si énormes, de si inconcevables différences, qu’il y a, je crois, de quoi ébranler la foi la plus robuste dans les garanties que présentent des expertises quelconques : le même objet tombe de 6 millions à 1,642,000 francs ; un autre tombe de 560,000 francs à 291,000 fr, un objet estime d’abord à 194,000 fr. est reconnu n’avoir qu’une valeur vénale de 21,000 fr.

Je dis, messieurs, que si la question devait être résolue d’après les faits, la discussion n’aurait pas duré jusqu’aujourd’hui.

Lorsque j’insistais auprès de la chambre, malgré la part trop grande peut-être que j’ai prise à ce débat, pour qu’il me fût permis de dire quelques mots encore, je faisais observer que l’amendement de M. le ministre de l’intérieur n’a pas été discuté et qu’il y avait encore à expliquer une partie au moins de l’amendement de l’honorable M. Mercier. Avant de toucher ces deux points, je dirai un mot de l’article 2 de la convention. D’après cet article, l’Etat se réserve, quant au mode de payement, l’alternative, dont je m’explique difficilement la nécessité, de donner à la ville de Bruxelles, des titres de rente dont elle pourrait disposer, ou bien d’inscrire au nom de la capitale, une rente au grand livre de la dette publique.

Cette alternative, si je rapproche le texte de la convention de l’exposé des motifs du projet de loi, n’existe réellement pas. Dans l’exposé des motifs on dit que la capitale a besoin de pouvoir disposer immédiatement de ces valeurs, et, en effet, lorsque l’on considère sa situation, le doute à cet égard n’est plus possible.

Le gouvernement se réserve, d’un autre côté, le droit de suspendre le paiement de la rente. Or, je me demande comment le gouvernement pourra suspendre le paiement de la rente lorsqu’il aura délivré à la ville de Bruxelles des titres de rente qu’elle aura donnés à ses créanciers ? Les créanciers seront-ils victimes d’avoir accepté ces titres ? Voilà une explication que je me permettrai de demande.

Sur l’amendement de l’honorable ministre de l’intérieur, je n’aurai qu’une seule observation à faire. Il me paraît douteux qu’en se servant dans le premier paragraphe des mots : En matière de comptabilité, l’on ait dit ce qui doit être dit. La comptabilité, messieurs, dans nos lois organiques, c’est le compte rendu des dépenses faites ; or, ce n’est pas là seulement que l’action du gouvernement doit se faire sentir ; c’est surtout quant aux dépenses à faire.

Je viens à l’amendement de l’honorable M. Mercier. Quant aux chiffres, je ne dirai plus rien. Quant à la deuxième partie qui est relative à la compensation réciproque des prétentions de la ville et de l’Etat, l’un envers l’autre, je persiste à croire que la chambre ne peut se prononcer en ce moment. L’honorable ministre de l’intérieur nous a indiqué, ainsi qu’il l’a dit lui-même, les principales prétentions réciproques ; mais je ne pense pas que la chambre puisse émettre un vote dont elle ne connaisse pas exactement la portée, or, pour connaître la portée d’un pareil vote il faudrait savoir, non pas d’une manière approximative, mais d’une manière authentique et détaillée, quelles sont les prétentions réciproques de l’Etat et de la ville.

Mettons cependant en regard ces deux espèces de prétentions. J’ai tort peut-être de me servir de ce mot, car il y a droit d’un côté, et il n’y a que des prétentions de l’autre.

La ville de Bruxelles a réclamé d’abord 300,000 florins, et puis, mieux avisée sans doute, elle a réclamé 2,300,000 francs d’indemnité, du chef de la dépossession de ses routes. Dans le passage du rapport de la section centrale dont M. le ministre de l’intérieur a donné lecture, vous verrez, messieurs que dans le principe, la ville ne réclamait, de ce chef, que 300,000 florins.

La question des routes est-elle la même pour Bruxelles que pour Namur, Verviers et autres villes qui ont succombé dans leurs réclamations ? L’honorable ministre de la justice, dans la séance d’hier, nous a indiqué une différence qu’il croit exister ; j’ai relu les arrêts qui ont été rendus sur cette question et j’ai pu me convaincre que les villes de Namur et de Verviers se trouvaient exactement dans la même position. Elles disaient aussi : « Nous ne pouvons pas avoir encourir la déchéance, parce que nous avons réclamé en temps utile. »

Les jurisconsultes qui se trouvaient dans ces conseils communaux, les jurisconsultes que ces conseils communaux avaient chargés d’examiner cette question si importante, pensaient aussi que ces villes gagneraient leur procès contre le gouvernement.

Il me faudrait donc pour pouvoir considérer comme renfermant quelque chose de sérieux, les prétentions de la ville, il me faudrait d’autres explications, et avant que ces explications aient été données, avant que la question ait été mûrement examinée, je ne pourrai pas voter un amendement, en vertu duquel on compenserait par cette simple prétention, déjà rejetée dans des cas que je crois être identiques, des droits, des créances qui sont très réelles.

Quelle est, messieurs, la hauteur de ces créances ? En faisant quelques observations sur l’amendement de l’honorable M. Mercier, j’avais indiqué la somme de 2 millions environ ; ce calcul, je l’avais basé sur les chiffres qui se trouvent page 14 de mon rapport.

La cour des comptes a fait remarquer que la ville de Bruxelles avait reçu, depuis la révolution, à titre de prêt ou d’avance, une somme de 1,387,000 fr. ; j’ajoutais à cette somme la part de la ville dans les frais de construction de la station des Bogards, et j’y ajoutais en outre les avances ou prêts sans intérêts que le gouvernement précédent a faits à la ville de Bruxelles. En réunissant toutes ces sommes, j’arrivais à celle de 1,934,000 fr. ; je ne me trouvais donc pas très loin de mon compte.

Je suis prêt à reconnaître qu’il est de ces sommes qui, en équité, suivant les convenances politiques, ne doivent pas être répétées contre la ville de Bruxelles ; mais, messieurs, lorsqu’il s’agit d’une renonciation réciproque, lorsque vous établissez en quelque sorte un bilan pour arriver à un solde de compte, vous ne pouvez pas avoir égard dans vos calculs aux questions d’équité, aux questions de convenance politique ; vous devez nécessairement vous en tenir au strict droit.

A combien s’élèvent les sommes qui sont incontestablement dues par la ville ?

En consultant tous les principes de l’équité, en ayant égard à la situation malheureuse de la ville de Bruxelles, je crois qu’on ne pourrait en défalquer que le salaire qui a été donné pour les ouvriers aux boulevards.

On me fait observer que des dépenses ont été faites pour la garde civique. Je remercie l’auteur de l’interruption, car il me donne l’occasion d’appeler l’attention de la chambre sur un point que j’avais négligé, c’est que dans les tableaux transmis par la cour des comptes à la section centrale, on a soigneusement distingué les sommes abandonnées par l’Etat, à titre de subside, de celles qui ont été allouées à d’autres titres et qui, en strict droit, devraient être récupérées au profit du trésor public.

Je disais donc, lorsqu’on m’a interrompu, que cette somme de plus d’un million pouvait, même en faisant une large part à l’équité et aux convenances politiques, être considérée comme constituant la dette de la ville de Bruxelles envers le trésor public.

Il est possible, messieurs, car qui peut connaître tout dans une question si vaste ; il est possible que d’autres dettes existent, et cette possibilité est un nouveau motif pour ne pas adopter la seconde partie de l’amendement de l’honorable M. Mercier.

La discussion s’est portée aussi sur un point important qui n’avait pas été touché jusqu’à présent, sur les conséquences du rejet de la convention.

Ces conséquences, messieurs, j’y ai songé, pour ma part, dès le principe de la discussion ; ces conséquences sont-elles effrayantes, comme on l’a prétendu ? Ces appréhensions, au contraire, ne manquent-elles pas de base réelle ?

La ville, nous dit-on, suspendra ses paiements. Cette objection, messieurs, me touche assez peu, attendu que depuis 1830 les paiements de la ville ont été souvent en souffrance ou suspendus, sauf quelques reprises partielles et accidentelles.

L’on découragera, ajoute-t-on, les administrateurs de la capitale. Un fait semblable à celui de 1838 peut se reproduire. Que ferez-vous ? que fera le gouvernement ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On enverra un commissaire extraordinaire.

M. Malou, rapporteur. - J’ai trop de foi dans la sagesse dans l’intelligence, dans le patriotisme des membres du conseil communal de Bruxelles, pour croire qu’après une épreuve aussi malheureuse que celle de 1838, ils soient jamais tentés de la renouveler. Qu’a produit, en effet, cet acte ? Il a produit dans l’amélioration du sort de la capitale un retard de quatre années ; il a pu indisposer beaucoup de personnes ; il pouvait aliéner à la capitale la bienveillance du gouvernement, si le gouvernement avait su moins se surmonter lui-même. Ce fait, je le crois, ne se reproduira plus ; le conseil communal ne désespérera pas des ressources et de l’avenir de la capitale ; il sera fort, comme je l’ai déjà dit, des sympathies de la chambre, car il est constant que la chambre veut faire quelque chose pour la capitale.

Et si ce fait arrivait encore, croyez-vous, messieurs, qu’il pût produire de nouveau les résultats qu’il a produits depuis 1838 ? Croyez-vous qu’on laissât encore se perpétuer une situation comme celle qui a duré trop longtemps ? Croyez-vous que le gouvernement ne prît pas des mesures ? Croyez- vous surtout que les chambres voulussent laisser sanctionner, en quelque sorte par des faits, la doctrine que l’on vient d’exposer et d’après laquelle une commune peut faire la loi au gouvernement ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai rien dit de semblable ; j’ai dit qu’on voulait faire au gouvernement une position difficile ; je n’ai rien dit de plus.

M. Malou, rapporteur. - Les mesures qu’une résolution extrême rendrait nécessaires, que seraient-elles ? Je ne crois pas avoir à me prononcer sur ce point, parce que je devrais connaître auparavant la nature de cette résolution extrême que je ne puis pas prévoir et qui, je me plais à le croire, ne sera pas prise.

En rejetant la convention du novembre, je désire vivement qu’on ne se méprenne pas sur mon vote. Je répète en terminant que c’est de bonne foi, que c’est sérieusement, que c’est avec la volonté de résoudre cette question difficile le plus tôt et de la meilleure manière possible, que je voterai contre le projet.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je regrette que l’honorable préopinant ait cru devoir, à plusieurs reprises, donner à mes paroles une portée qu’elles n’ont pas, et m’adresser, à cette occasion, une leçon de fermeté. J’ai eu soin de dire à la chambre que j’allais m’expliquer avec toute la réserve possible. Il ne faut, vous ai-je dit, exagérer ni la force, ni la faiblesse du gouvernement mais il faut tenir compte de certaines nécessités, et ne pas créer au gouvernement, surtout dans la capitale, une position trop difficile.

On échappe aux objections que j’ai faites en donnant d’abord à mes paroles un sens qu’elles n’ont pas ; on y échappe ensuite, en répétant sans cesse que ce ne sera qu’une garantie morale, tandis que je soutiens, moi, que ce sera une garantie réelle, à laquelle le budget de l’Etat ne pourrait se soustraire longtemps.

Il faut, sans doute, quand on est au pouvoir, avoir le courage nécessaire, mais il faut aussi ne pas s’écarter de certaines règles de prudence ; il faut surtout éviter de se créer, en manquant de prévoyance, certaines positions extrêmes. Quand des positions extrêmes se présentent, et quand vous avez tout fait pour les éviter, il faut les accepter et savoir les surmonter ; mais je le répète, il faut faire en sorte de les prévenir autant que possible.

Je maintiens donc mon objection capitale contre le système de garantie c’est qu’on se fait illusion, en considérant cette garantie comme ne devant être qu’une garantie morale. L’expérience le prouvera.

Je ne veux pas rentrer dans la discussion, il n’est pas d’usage qu’un ministre parle le dernier, mais il faut bien le dire, ma position est toute particulière ; dans d’autres circonstances, le rapporteur est le plus souvent un auxiliaire du gouvernement ; il a, comme tel, le droit de prendre la parole le dernier, et le ministre s’abstient, mais malheureusement ici la position n’est pas la même ; néanmoins je ne me prévaudrai pas de cette circonstance.

L’honorable rapporteur m’a demandé une explication au sujet de l’art. 2. Il a dit : Par le dernier § de l’art. 2, vous avez stipulé que, dans certains cas, le gouvernement pourrait suspendre le paiement de la rente. Cette faculté est stipulée pour trois ans. Voici comment le dernier § de l’art. 2 est conçu :

« Dans un délai de trois ans, à partir de la promulgation de la loi approbative de la convention, la ville fera conster qu’il n’existe sur les immeubles, objets de la présente cession, aucune charge ou hypothèque quelconque ; faute de quoi le paiement de la rente sera suspendu. »

Il se trouve qu’en ce moment, tous les créanciers ou plutôt la plupart des créanciers de la ville de Bruxelles, par une jurisprudence toute nouvelle, ont pris hypothèque sur les immeubles qu’il s’agit d’acquérir.

Pour avoir un moyen d’action sur la ville de Bruxelles, pour pouvoir la forcer à payer ses créanciers, il fallait l’insertion de cette clause. Il faudra qu’on fasse conster, dans un délai de trois ans, qu’on a liquidé, entre autres, avec les victimes des pillages.

Et comment exerceriez-vous cette faculté de suspendre le payement de la rente, si vous aviez usé de la deuxième partie de l’alternative, c’est-à-dire, si vous aviez remis à la ville de Bruxelles les titres de rentes négociables ? C’est précisément pour cela que nous ne remettrons pas à la ville de Bruxelles des titres de rentes négociables ; nous nous abstiendrons pendant trois ans et peut-être pendant plus longtemps.

On cherche à effrayer la chambre par l’idée d’une rente perpétuelle. Moi, je crois, messieurs, qu’en général, en matière de comptabilité, nous nous sommes trop effrayés du système de rentes perpétuelles. L’objection de l’honorable rapporteur m’a d’autant plus étonné que dans la séance d’hier il a dit des choses très fondées sur la situation de nos fonds publics, situation qui se ressentait de la circonstance que ces fonds sont sujets à amortissement. L’idée d’avoir, au profit de la ville de Bruxelles, une rente perpétuelle qui tous les jours rappellerait à la capitale le grand bienfait de la législature ; cette idée ne m’effraie pas ; elle n’est pas désavantageuse, financièrement parlant, et surtout elle ne serait pas désavantageuse, au point de vue politique.

L’honorable membre s’est occupé des deux paragraphes additionnels que j’ai proposés dans la séance d’hier ; il a pensé qu’une expression qui se trouve dans le § nouveau, était insuffisante ; il y est dit :

« Les droits attribués, en matière de comptabilité, à la députation permanente… »

Il est très facile de rendre le sens de cet article plus précis, ce serait de dire :

« Les droits attribués, en ce qui concerne l’approbation des dépenses des budgets et des comptes, à la députation permanente… »

De cette manière, toute obscurité vient à disparaître.

L’honorable membre a fait une autre objection, une objection je dirai presque personnelle ; il trouvait qu’il y avait contradiction de ma part à proposer ce paragraphe additionnel et à soutenir, d’un autre côté, qu’il serait extrêmement difficile d’imposer la ville de Bruxelles d’office, pour récupérer les avances qui auraient été faites par suite de l’emprunt.

Je dirai à l’honorable membre, que la position est tout à fait différente ; imposer la ville de Bruxelles pour décharger l’Etat d’une garantie d’emprunt, pour faire cesser cette garantie, pour faire rentrer dans le trésor public les sommes qui en sont sorties, est tout autre chose que de pourvoir aux dépenses qui doivent être faites dans l’intérêt de la ville de Bruxelles. Il est évident que les deux positions sont tout à fait différentes. Cela résulte d’ailleurs suffisamment des explications que j’ai données hier et avant-hier sur la position difficile où pourrait se trouver le gouvernement, explications que je ne répéterai pas, de crainte qu’on ne donne de nouveau à mes paroles très simples une portée qu’elles n’ont pas.

Enfin l’honorable membre a fait quelques observations sur la deuxième partie de l’amendement de M. Mercier ; c’est un quitus réciproque que propose M. Mercier. Je ferai remarquer que cette dernière partie peut être considérée indépendamment de l’autre proposition. Il y aura lieu de voter par division. C’est un quitus réciproque. Mon honorable collègue le ministre de la justice, en parlant des réclamations de la ville de Bruxelles relatives aux routes, n’a pas dit qu’il croyait que la position de la ville de Bruxelles était différente de celle d’autres villes, mais il a dit quelles étaient les raisons pour lesquelles la ville de Bruxelles soutenait que sa position était différente. C’est une question de fait. La ville de Bruxelles intentera un procès à l’Etat. Le gagnera-telle, nous l’ignorons ; mais nous pensons qu’il y aurait avantage à obtenir un désistement de toutes les prétentions que la ville tient avoir à charge de l’Etat. Le gouvernement en a aussi à charge de la ville ; il reste à savoir jusqu’a quel point il faudrait avoir un quitus réciproque, ou bien se borner à demander à la ville le quitus de ses prétentions en laissant subsister celles de l’Etat.

M. Malou, rapporteur. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Si dans la chaleur de l’improvisation, il m’était arrivé de dénaturer les expressions de M. le ministre de l’intérieur, ou d’en forcer le sens, je déclare que c’est tout à fait contre mon intention. J’avais vivement ressenti ce qu’avait dit M. le ministre et vivement aussi j’ai exprimé le sentiment que j’ai éprouvé, sans prétendre d’ailleurs donner de leçon à personne.

Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. de La Coste. - Je m’étais fait inscrire pour prendre la parole, mais j’y renoncerai, d’après l’impatience que témoigne la chambre. Je voulais seulement faire une observation, c’est que nous nous trouvons dans une position extrêmement vague. L’honorable rapporteur de la section centrale a appuyé, commenté, développé avec talent et éloquence un projet qui n’est pas en délibération. Nous semblons dans l’alternative entre le projet ministériel, l’amendement de M. Mercier, et le projet qui vient d’être développé, tandis que cette alternative n’existe pas.

M. Dubus (aîné). - J ai demandé la parole sur la clôture. Je dois faire d’abord une réponse à l’honorable préopinant.

Il n’y a qu’une chose en délibération, c’est un projet de loi par lequel on vous propose d’approuver une convention passée entre le gouvernement et la ville de Bruxelles. C’est un contrat ; je dis que vous avez à accepter ou à refuser la convention, il n’y a que cela en délibération. Dans mon opinion, vous ne pouvez mettre que cela aux voix, l’acceptation ou le rejet. Si vous croyez que cela vous regarde, qu’il vous convienne de faire de l’administration, d’examiner s’il y a quelque chose à faire, alors nommez une commission, mais n’improvisez pas une convention imaginaire pour la mettre à la place d’une convention réelle, dont on vous propose l’acceptation.

Maintenant je dirai, pour mon compte, que je m’oppose à la clôture parce que, pour apprécier la convention dont il s’agit, il importe de l’examiner sous plusieurs faces ; et l’une, c’est l’étendue des besoins de la ville de Bruxelles, c’est-à-dire la hauteur de son passif et la valeur de son actif. Il y a des observations très importantes à faire sur ce point. Son actif et son passif ne sont pas connus, de sorte que vous allez voter, comme nécessaire, une somme dont la nécessité n’est pas démontrée. Je pense que quand il s’agit de faire payer par l’Etat 10 à 12 millions pour le service des intérêts desquels il faudra frapper de nouveaux impôts, vous devez attacher une très haute importance à la question de nécessite, et regarder de près la situation. Je ne regarde pas comme indifférent que la ville de Bruxelles ait deux on trois millions de plus à son actif et trois ou quatre millions de moins à son passif, car c’est tout de suite une différence de cinq à six millions. Il importe que la discussion s’établisse aussi sur ce point.

M. de Mérode. - Je désirerais aussi répondre quelques mots à l’honorable M. Verhaegen, qui m’a cité plusieurs fois.

- La clôture est mise aux voix et n’est pas adoptée.


M. le président. - Voici comment le bureau a formé la commission chargée d’examiner les projets de lois présentés par M. le ministre de l’intérieur.

MM. de Baillet, de Garcia, Demonceau, Eloy de Burdinne, Lys, Raikem, M. Vandensteen.

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée 4 heures 3/4.