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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16
décembre 1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice
1843. Discussion générale. Cens et fraudes électorales (Nothomb,
Mercier, Nothomb, Lebeau, Eloy de Burdinne, de Theux, Savart-Martel, Delehaye, de Foere, Nothomb, Demonceau, Nothomb, Devaux, Demonceau, Devaux, Demonceau, de Theux, Mercier)
(Moniteur belge n°351 du 17 décembre 1842)
(Présidence
de M. Raikem)
M. de Renesse fait
l’appel nominal à 4 heures et 1/4.
M. Scheyven donne
lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente
l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Gérard Deschamps, droguiste à
Anvers, né à Steenbergen (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi
au ministre de la justice.
__________________
«
Plusieurs fabricants et négociants de tabac d’Anvers prient la chambre de
rejeter toute proposition ayant pour objet une majoration de droit sur les
tabacs autres que les qualités fines ou de luxe.»
- Renvoi
à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les droits
d’entrée.
_________________
« Les
commis-greffiers du tribunal de première instance de Bruxelles demandent une
augmentation de traitement. »
- Dépôt
sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’ordre judiciaire.
__________________
« L’administration
communale de Wandre présente des observations contre la demande relative à la
séparation de cette commune.»
Renvoi à
la commission des pétitions.
__________________
« La
députation permanente du conseil provincial du Hainaut prie la chambre
d’adopter une disposition législative pour régler d’une manière générale la
sonnerie des cloches. »
- Renvoi
à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi relatif à
l’annulation d’une délibération du conseil provincial du Hainaut, sur la
sonnerie des cloches.
___________________
« Le
sieur Leroux prie la chambre de s’occuper de la loi relative au conseil. »
- Renvoi
à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi concernant le
conseil.
Discussion générale
M. le ministre de l’intérieur (M.
Nothomb) - Messieurs, je suppose qu’il entre dans
l’intention de quelques orateurs de continuer la discussion sur l’incident
soulevé dans la séance d’avant-hier. Je désire même cette continuation, parce
que tout ce qui peut jeter des lumières sur cette grave question, sera accueilli
par moi avec empressement. J’ai fait quelques recherches, et je désire en faire
part à la chambre.
La
question n’a pas passé inaperçue dans la discussion de la loi communale, et je
demande la permission à la chambre de donner lecture d’une partie de cette
discussion. La chambre verra par là comment la question a été envisagée à cette
époque ; nous ne l’envisageons plus de même aujourd’hui, et il est bon qu’on le
sache.
Il est
rendu compte de cette discussion dans le Moniteur
du 17 février 1836. C’est l’honorable M. Pirmez qui avait soulevé la question,
et voici les paroles qui furent prononcées à cet égard :
« M.
Pirmez : Je pense qu’il y a une lacune dans le chapitre que nous venons de
voter ; il faudrait savoir s’il s’agit bien pour le cens de la contribution
qu’on veut payer et qu’on paie, ou s’il faut posséder la base de la
contribution. Ainsi la contribution personnelle on la porte sur une
déclaration, Eh bien, je fais cette déclaration plus élevée que je ne devrais
la faire, afin de figurer au rôle pour une somme suffisante pour être électeur.
Il s’agit de savoir si le conseil communal, le conseil provincial et la cour de
cassation pourront faire rayer l’électeur qui aura enflé sa déclaration pour
payer une contribution assez forte pour être électeur.
« Je
soumets cette question à la chambre, parce qu’elle a donné lieu à des
contestations. Et il m’est parvenu des observations sur ce point. Si on veut
éviter de nouvelles contestations. Il faut trancher la question dans la loi.
Car il y a beaucoup de citoyens qui, en enflant leur déclaration, se sont fait
porter au rôle des contributions pour une somme suffisante pour être électeur.
Il va en résulter des conflits entre les conseils communaux, les conseils
provinciaux et la cour de cassation. Il serait plus court de décider dans la
loi, s’il suffit de payer réellement le cens, ou s’il faut posséder les bases
de la contribution. »
Voilà
comment s’exprimait l’honorable M. Pirmez, qui, je le répète, a en premier soulevé
la question. M. le ministre des finances d’alors, l’honorable M. d’Huart, lui
répondit ce qui suit :
« M.
le ministre des finances : L’art. 7 de la loi a résolu la question, en disant
qu’il faut verser au trésor de l’Etat en contributions directes, patentes
comprises, le cens électoral, fixé d’après les bases suivantes, etc.
« L’art.
10 dit ensuite que les contributions ne sont comptées à l’électeur, qu’autant
qu’il ait payé le cens électoral pour l’année antérieure à celle où l’élection
a lieu.
« De
telle sorte qu’il faut avoir payé réellement le cens pendant un an au moins
pour être électeur et éligible. Mais là n’est pas toute la question soulevée
par l’honorable préopinant. Il dit que quelqu’un, pour payer un cens suffisant,
afin d’être électeur, déclarera, par exemple qu’il a deux chevaux de luxe,
alois qu’il n’en possède réellement aucun, et au moyen de l’augmentation de
contribution qui résultera de cette déclaration, fausse quant à la base
existante en réalité, il sera porté sur la liste des éligibles.
« Quant
moi, je ne vois pas à cela de grands inconvénients. Je ne crains pas d’ailleurs
que beaucoup de personnes fassent augmenter leurs contributions pour être
portées sur la liste des électeurs et des éligibles.
« Quoi
qu’il en soit, je crois que si quelqu’un voulait se faite imposer plus qu’il ne
doit l’être, aucune juridiction ne pourrait lui imputer à crime une volonté si
favorable au trésor et n’aurait le droit de repousser sa déclaration comme
étant trop élevée ; les lois d’impôt n’ont pas prévu de semblables
éventualités, et il suffira, d’après le texte même de la loi communale, de
constater que l’on a versé au trésor, pendant l’année antérieure à celle où
l’élection a lieu, la somme nécessaire pour être inscrit sur la liste des
électeurs. »
M. Pirmez
répond immédiatement à M. le ministre des finances ; il s’exprime de la manière
suivante :
« M.
Pirmez : Sans doute, jamais un receveur ne trouvera une déclaration trop forte
; mais il s’agit de savoir si le conseil communal, le conseil provincial ou la
cour de cassation pourraient rayer un électeur pour avoir enflé sa déclaration.
« Il
y a eu une enquête administrative sur la conduite d’un receveur qui avait admis
de pareilles déclarations. »
M. Legrelle demande à son tour la parole et présente
l’observation suivante :
« M.
Legrelle : Je crois qu’il ne se trouvera pas beaucoup
de personnes qui, pour être électeurs, voudront payer des contributions plus
fortes qu’elles ne doivent. Mais la question soulevée par M. Pirmez ne peut
donner lieu à aucune difficulté en présence du texte de l’art. 5, qui dit qu’il
faut verser au trésor de l’Etat, en contributions directes, patentes comprises,
la somme de … Ainsi, dès qu’on verse cette somme, qu’on y soit tenu ou non,
cela suffit.
«
D’ailleurs, l’art. 10 doit donner cet apaisement à l’honorable membre ; car
d’après cet article, pour être électeur, il faut avoir payé le cens pendant
l’année antérieure à celle où l’élection a lieu. »
« M.
Smits : Il est impossible à une autorité quelconque de décider si la maison que
j’habite est d’un loyer de mille fr., quand j’ai déclaré deux mille. Il en est
de même pour les patentes. Je veux porter dans ma déclaration l’importance de
mes affaires à 50 mille francs au lieu de 25 mille. Personne ne pourra infirmer
ma déclaration. »
« M.
Pirmez : Il suffit donc de payer le cens. Il n’est pas nécessaire de justifier
de la base. »
Cette
discussion, messieurs, n’eut pas d’autre suite, et la question ne se présenta
point au sénat.
Je
tenais, messieurs, à rappeler cette discussion, parce que j’ai vu, à l’instant
même, quelles sont les conséquences qu’on en tirera.
Ne
perdons pas de vue qu’aujourd’hui, nous sommes sous d’autres préoccupations ;
le fait que l’on signalait alors comme isolé tend, à ce qu’il paraît, à se
généraliser, et naturellement la question change avec les circonstances. Il est
bon, néanmoins, que l’effet au moins moral de la discussion de 1836 ne reste
pas intact, et sous ce rapport je m’applaudis de la discussion nouvelle.
J’ai fait
des recherches dans les arrêts de la cour de cassation de France, mais je n’y
ai rien trouvé jusqu’à présent. Il est pourtant probable que la même question
s’est présentée en France, que les mêmes abus y ont été signalés.
Vous avez
remarqué, messieurs, que l’honorable M. d’Huart, alors ministre des finances,
insistait sur un point qui lui semblait une garantie, c’est qu’il faut que le
cens ait été payé au moins une année antérieurement à celle de l’élection. En y
réfléchissant, je me suis dit que peut-être cette garantie n’est pas suffisante
à l’égard de certaines bases ; la garantie du payement dans l’année qui précède
l’élection peut être suffisante lorsqu’il s’agit de l’impôt foncier, par
exemple, mais peut-être faudrait-il exiger plus d’une année pour certaines
bases variables ; peut-être faudrait-il exiger deux ou trois années pour les
patentes, pour les chevaux, et pour d’autres bases essentiellement variables ;
on trouverait peut-être là une garantie ; d’abord la prévoyance ne va pas
jusqu’à prendre des précautions deux ou trois années d’avance ; en second lieu,
le sacrifice deviendrait trop considérable. Il n’y aura donc peut-être de
remède aux abus dont on se plaint, que dans ce changement à la loi électorale ;
maintenir le payement annuel pour le cens en général, mais déclarer que par
exception il faudra avoir payé pendant deux ou trois ans pour les bases
variables, telles que celles que j’ai indiquées.
Si nous
avons recours, messieurs, à ce moyen, une autre grande question se présentera,
ce sera celle de savoir si la nouvelle disposition législative aura un effet
rétroactif ou non ; cette question est très grave, et certes je ne la
trancherai pas, mais je l’indique parce que je crois devoir signaler tous les
points de cette délicate discussion.
Y a-t-il,
messieurs, d’autres moyens que celui que je viens de présenter, non pas comme
une opinion définitive, mais comme une idée qui s’offre à mon esprit, y a-t il
d’autres moyens ? je l’ignore.
Comment,
messieurs, se dressent les listes électorales ? Car on perd trop de vue que
l’intervention du gouvernement est à peu près nulle dans les opérations
relatives à la formation dès listes électorales. C’est l’administration
communale qui fait dresser ces listes. C’est donc là un premier degré de
juridiction. On peut interjeter appel à la députation, mais qui ? « Tout
individu qui est indûment inscrit, omis, rayé ou autrement lésé. » C’est
ce que porte l’art. 12 de la loi électorale. Le gouvernement n’a donc pas le
droit d’interjeter appel près de la députation, qui est le deuxième degré de
juridiction.
Reste le
recours en cassation ; le ministère public peut toujours recourir en cassation
dans l’intérêt de la loi, mais c’est là que se borne toute l’intervention du
gouvernement.
Un membre. - Cela n’empêche
pas l’électeur indûment inscrit de voter.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Nothomb) - En effet cela est inopérant sur l’élection, car
le recours n’a lieu que dans l’intérêt de la loi.
Maintenant
si une députation, en examinant la liste électorale, décidait que tel individu,
porté sur cette liste, ne paie pas le cens, pourrait-on recourir en cassation,
y aurait-il ici une question de droit ? C’est encore là, messieurs, un point
que j’indique, parce que j’aime à faire ressortir, autant que possible, tous
les côtés difficiles de la question.
Vous
voyez, messieurs, que, pour le cas dont il s’agit, le moyen, inopérant
d’ailleurs, du recours en cassation, dans l’intérêt de la loi, que ce moyen
viendrait à cesser.
En
supposant maintenant qu’on donne à la députation le droit d’examiner si les
personnes portées sur les listes électorales paient réellement le cens, ne
serait-ce pas là attribuer un pouvoir extraordinaire, exorbitant à un corps qui
est lui-même le produit de l’élection ?
Au milieu
de toutes ces difficultés, je suis assez disposé à croire que le véritable
remède serait d’exiger, pour certaines bases variables, un paiement de plus
d’une année, de deux ou de trois ans, par exemple. Recourir à un autre moyen, donner
à la députation permanente le droit de faire une révision des listes
électorales, en s’enquérant jusqu’à quel point on paie ou on ne paie pas, c’est
bouleverser peut-être toute la loi fiscale ; c’est, d’un autre côté, attribuer
à un corps lui-même élu un pouvoir presque exorbitant.
J’attendrai le cours de la discussion, et je me féliciterai des lumières
qu’elle pourra nous apporter.
M. Mercier. - M. le
ministre de l’intérieur, dans le discours qu’il vient de prononcer, a parlé
d’une question de rétroactivité qui pourrait se présenter dans les mesures à
prendre ; je demande s’il entend qu’il y aurait rétroactivité en décrétant que
ceux qui, cette année, pour la première fois, ont payé le cens requis et
l’acquitteraient encore en 1843, ne seraient pas portés sur les
listes électorales ; ou bien s’il n’a voulu parler, comme je le suppose, que
des électeurs déjà inscrits qui, par l’application générale de la mesure qu’il
a indiquée, pourraient cesser de faire partie du corps électoral ?
M. le ministre de l’intérieur (M.
Nothomb) - Messieurs, remarquez bien à quelle époque de
l’année nous sommes parvenus ; c’est au mois d’avril prochain que les
députations examinent les réclamations faites contre les listes
électorales ; si donc nous voulons faire quelque chose, nous devons le faire
d’ici au mois d’avril. Supposons que nous adoptions le changement que j’ai
indiqué tout à l’heure, la question sera de savoir alors si cette nouvelle
disposition législative est applicable aux listes du mois d’avril.
M. Lebeau. -
Messieurs, je tiens d’autant plus à prendre part à cette discussion, que M. le
ministre de l’intérieur vient de faire un appel à tous les membres de cette
chambre ; il vient, en quelque sorte, de les inviter à prendre part à une
discussion dont l’importance ne peut échapper à aucun de nous.
Cependant,
avant de répondre à l’appel de M. le ministre de l’intérieur, je dois exprimer
quelques regrets sur le caractère qu’il a, mal à propos selon moi, essayé de
donner à la discussion actuelle ; je regrette qu’à propos de l’examen d’une
question de légalité et de loyauté électorale, M. le ministre, au lieu d’imiter
la réserve de mon honorable collègue, M. Mercier, qui s’était strictement
renfermé dans la question que les événements ont posée, soit venu reporter les
souvenirs de la chambre sur un passé dont il est difficile de parler dans cette
chambre, sans aigrir, sans passionner plus ou moins nos débats.
Je
regrette qu’à ce premier tort, M. le ministre en ait ajouté un second ; c’est
qu’en se lançant dans une revue rétrospective, il n’ait trouvé des paroles
sévères que pour une opinion, et ait paru croire que tout avait été blâmable
dans un camp, tout irréprochable et régulier dans un autre. Je le regrette
d’autant plus que j’ai vu encore dans cette circonstance un fâcheux démenti
donné par M. le ministre lui-même à ce programme d’impartialité par lequel il
avait inauguré le cabinet dont il fait partie.
Messieurs,
je ne suivrai pas M. le ministre de l’intérieur sur ce terrain ; je ne veux pas
imiter un tort que je reproche à l’organe du gouvernement, et je me hâte de me
renfermer dans l’examen de la question qui est soumise à la chambre.
Messieurs,
ne confondons pas l’objet de la discussion actuelle avec d’autres circonstances
qui se rattachent à l’exercice du droit électoral.
Qu’on ait
signalé ici les écarts de la polémique que soulèvent toujours l’approche des
élections et l’exercice du droit électoral, je le conçois, je comprends tout ce
qu’on peut dire là-dessus.
Je suis
le premier à regretter les écarts de la polémique soulevée par les opinions que
le scrutin électoral va mettre en présence. Mais je ne me fais pas illusion sur
ce point ; je crois que toute législation est impuissante pour prévenir la
plupart de ces écarts ; ils sont inhérents au sein des institutions
représentatives. En Angleterre, on l’a essayé ; on l’a essayé partout où le
droit électoral est exercé, et l’impuissance de la législation a été
malheureusement trop constatée pour régulariser la polémique des partis qui
s’apprêtent à lutter au scrutin électoral.
Mais il
ne s’agit pas ici de polémique, il ne s’agit pas de l’abus qu’on peut en faire
; pour influencer les élections dans l’intérêt de l’opinion que l’on représente
; il s’agit, messieurs, de la base même du droit électoral il s’agit d’une
fraude toute matérielle qui tendrait à substituer le fait au droit électoral
lui-même ; il s’agit de l’existence d’une des conditions du droit électoral,
qu’il faut placer en première ligne parmi les conditions requises pour être
électeur. La qualité de régnicole, l’âge de l’électeur ne viennent qu’en
seconde ligne ; et bien qu’elles soient des conditions essentielles, selon moi,
elles ne doivent être placées qu’après la capacité politique, telles que la
constitution et les lois organiques l’ont définie. Voilà la question,
messieurs, toute la question.
Je ne
veux pas examiner (car je ne veux pas accuser les intentions), je ne veux pas
examiner si, en insistant autant sur des considérations accessoires, ou ne
s’exposait pas à faire perdre un peu de vue l’objet principal de la discussion
actuelle ; quant à moi, je ferai tous mes efforts, quand je m’apercevrai de ces
déviations, pour faire rentrer le débat dans son véritable cercle.
Messieurs,
de nombreuses déclarations d’impôt ont été faites depuis quelque temps chez les
receveurs de contributions. L’opinion publique s’en est émue. M. le ministre
des finances lui-même en a été averti par un fonctionnaire haut placé dans
l’administration financière, tant le fait a frappé les agents du fisc qui
d’ordinaire accueillent avec faveur les accroissements d’impôt. Les honorables
MM. Demonceau, Lejeune, Fleussu et de Theux sont venus corroborer, par leur
témoignage, l’assertion que des essais de fraude électorale nombreux ont été
faits dans diverses localités, et peut-être, je veux bien l’avouer, dans
l’intérêt des diverses opinions.
C’est,
d’après ce qu’un honorable magistrat, membre de cette chambre, me disait encore
il y peu de jours ; c’est dans une ville, tel membre du barreau, pourvu d’une
clientèle fort maigre, incapable de faire face à la dépense d’un cheval de luxe
; c’est tel avoué qui jamais, peut-être, de sa vie n’a monté un cheval, qui
serait incapable d’aborder la monture la plus inoffensive ; lequel tout à coup,
le 30 septembre, alors que le 1er octobre il eût été exempt, vient déclarer
qu’il a un cheval de luxe. C’est telle catégorie de personnages que la loi
déclare exempts de toute rétribution, lorsqu’ils tiennent un cheval, et qui,
malgré l’avertissement de comptable qui les informe de cette immunité,
persistent à déclarer que leur monture est un cheval de luxe ; et c’est,
remarquez-le bien, dans la dernière quinzaine de septembre qu’on fait cette
déclaration, alors que le 1er octobre on aurait été exempt. Je ne parle pas ici
à la légère, je parle d’après des renseignements puisés aux sources les plus
respectables. Les patentes de marchands de chevaux sont, dans certains
districts, tellement nombreuses qu’elles ont excité l’attention de presque
toutes les communes de la localité.
Messieurs
en tout temps et en tout pays, je crois que la fraude électorale s’est exercée
çà et là, dans quelques circonstances exceptionnelles. Si cet inconvénient,
inhérent à l’organisation de notre système électoral, n’avait pas pris de jour
en jour de plus grandes proportions, je crois qu’il faudrait en faire son
deuil, et l’accepter comme le résultat de l’imperfection de toutes les
institutions politiques, de toute législation ; mais quand il a pris un
caractère de généralité tel que si le législateur, à défaut de
l’administration, n’intervenait pour y mettre ordre, le mensonge se
substituerait à la vérité dans le vœu
des électeurs, la fraude remplacerait le droit ; si, dis-je, le mal
avait pris une telle gravité, il serait impossible que le pays et les
représentants du pays ne s’en émussent pas profondément.
Du reste,
il appartient au ministère de faire voir jusqu’à quel point le mal est grave.
S’il y a des exagérations dans les plaintes, un seul document en fera justice.
Que l’on
compare, et on peut le faire dès les premiers jours du mois prochain pour les
communes où des élections doivent avoir lieu en 1843, que l’on compare les
rôles des contributions personnelles et des patentes du dernier trimestre de
1842 aux rôles des patentes et de la contribution personnelle du dernier
trimestre de 1841. Si de ce fait ne résulte pas la preuve qu’il y a eu
accumulation exagérée, incroyable de déclarations supplétives, alors il sera
prouvé que les renseignements qui nous viennent de toutes parts sont exagérés
et que nos craintes sont poussées trop loin. Voilà un des éléments les plus
sûrs et les plus probants que devra présenter l’enquête que M. le ministre de
l’intérieur nous a promise. J’appelle fortement son attention sur ce point.
Messieurs,
en supposant les faits dénoncés par la clameur publique parfaitement prouvés,
il s’élève alors une question de droit ; et je n’aurais pas pris la parole si à
l’avance cette question n’avait été abordée par d’honorables membres et résolue
par eux dans un sens contre lequel je crois devoir dès aujourd’hui protester de
toutes mes forces.
Voici
comment M. de Garcia s’est exprimé sur la question de droit dans une de vos
précédentes séances :
« L’honorable
M. Fleussu a dit que, pour être électeur, il faut autre chose que verser une
somme au trésor public, il faut, dit-il, une cause au paiement. Mais la cause
immédiate, selon moi, c’est la patente, la déclaration du contribuable. Adopter
un autre système, sera établir une véritable inquisition sur les intentions, et
donner lieu à des investigations qui pourront dégénérer en vexations
flagrantes. Je ne pense pas qu’en thèse générale il soit possible de rechercher
ces causes. Je paie, par exemple, pour des chevaux, ma déclaration est la cause
de mon cens ; on découvre pourtant que je n’en ai pas dans le moment ; mais je
puis dire que mon intention est de m’en procurer ; ma déclaration sera-t-elle
considérée comme frauduleuse ? A combien de vexations ne pourrait pas donner
lieu cette doctrine ? »
L’honorable
M. de Foere s’est exprimé dans les termes suivants :
« Quant à
moi, et je pense que c’est aussi l’opinion de beaucoup de membres de la
chambre, je ne puis admettre, dans le sens légal et parlementaire, comme
fraudes électorales plusieurs faits qui ont été signalés comme tels. Nous ne
sommes pas d’accord sur la qualification de ces faits ; dès lors nous ne sommes
pas d’accord sur le fond même de la question. J’ai une conviction contraire à
cet égard. Je pense que, légalement et parlementairement parlant, plusieurs
pratiques que l’on a fait connaître ne sont pas des fraudes électorales....
« La
loi vous dit : Vous serez électeur, si vous payez telle quotité dans les
contributions. La loi vous laisse en même temps le droit d’évaluer la valeur de
vos meubles : je vous demande si le contribuable n’a pas en même temps le droit
de surévaluer son mobilier, dans le but même d’atteindre le cens électoral que
jusqu’alors il ne paie pas. Un autre, dans le même but, prend momentanément un
domestique ou un cheval pour lequel il paie des contributions imposées par la
loi. J’irai plus loin ; il déclare même un cheval qu’il ne possède pas ; mais
il paie ; il remplit les conditions requises par la loi, attendu que la loi
l’autorise même à faire ses propres déclarations. Ajoutez à cela que la loi ne
prescrit que l’accomplissement des actes extérieurs. Je vous l’ai dit,
j’exprime à cet égard mes doutes. »
L’honorable
membre est bien bon d’appeler cela des doutes.
Messieurs,
avant d’aller plus loin, je dirai deux mots de la partie de la discussion de la
loi électorale que M. le ministre de l’intérieur vous a mise sous les yeux. Il
vous a cité l’opinion exprimée par les honorables MM. d’Huart, Pirmez et Legrelle. Je ferai d’abord remarquer à la chambre ce fait, que
ce ne serait là en tout cas que des opinions individuelles sur lesquelles la
chambre n’a pas été appelée à se prononcer.
Je ferai
remarquer, en outre, que ces messieurs, en s’exprimant comme ils l’ont fait,
ont sans cesse regardé comme impossible l’existence d’une fraude de la nature
de celle dont il s’agit, avec ce caractère de généralité qu’elle paraît avoir
revêtu aujourd’hui. Ils ont constamment dit que la chose était impossible, et
que si quelques cas partiels de fraude se présentaient dans ces circonstances,
les autorités fiscales ou administratives étaient sans moyens pour les
prévenir. Mais, comme je l’ai déjà dit, ce sont là des opinions individuelles
sur une question incidemment soulevée, en vue des faits réputés impossibles par
les honorables membres qui ont pris part à cette discussion, laquelle ne fut
suivie d’aucune résolution de la part de la chambre.
Il y a
d’ailleurs une distinction à faire entre le rôle de l’administration fiscale et
le rôle de l’autorité administrative, Je reconnais qu’en fait il peut être
difficile à un agent de l’administration financière, à un simple comptable,
préposé à la réception des déclarations de l’impôt, de se montrer plus soigneux
des intérêts du contribuable que le contribuable lui-même. Je comprends qu’il est
dans la mission, dans les habitudes de l’administration financière, de
s’occuper de l’insuffisance de semblables déclarations plutôt que de leur
exagération.
J’admets
qu’il y a là une difficulté assez sérieuse ; mais je ferai remarquer d’abord que
ce n’est pas l’administration financière qui intervient seule dans la
confection des rôles de contributions. Ils sont rendus exécutoires tantôt par
le gouvernement, tantôt par la députation provinciale, qui ne sont pas les
agents passifs de l’administration financière. Il y aurait à examiner, si alors
qu’il y a des autorités administratives qui interviennent dans la fixation des
rôles, elles doivent nécessairement fermer les yeux sur les cotisations
mensongères, et rendre exécutoires des rôles qui contiendraient le résultat de
fausses déclarations.
Il y a là
une question à examiner ; je la pose sans la résoudre. Il y a ensuite une
nouvelle intervention des députations provinciales qui, seules, sont préposées
à la surveillance, en dernier ressort, des listes électorales, dans un intérêt
qui n’a plus rien de fiscal, dans l’intérêt électoral lui-même.
Si,
enfin, comme le soutiennent quelques honorables membres, les députations
permanentes n’avaient pas le droit d’intervenir dans l’examen de la sincérité
des déclarations d’impôt, il faudrait faire un appel à la législation, comme
l’a indiqué M. le ministre de l’intérieur.
Car si la
doctrine soutenue par l’honorable M. de Garcia et l’honorable M. de Foere, que
le paiement du cens, abstraction faite de tout ce qui l’a précédé, constitue à
lui seul le droit électoral, si cette doctrine pouvait prévaloir, vous en
verriez découler les conséquences les plus absurdes, les plus immorales, les
plus dangereuses. Ainsi le premier venu, l’homme le plus illettré, le plus ignare,
pourrait se présenter devant son receveur et prendre une patente de médecin.
Ainsi qu’on l’a fait observer dans un excellent ouvrage récemment publié sur
cette matière, le premier savetier pourrait déclarer qu’il prend une patente de
banquier.
Voilà,
entre mille faits, ce qui pourrait arriver.
Il y a,
messieurs, en Belgique, beaucoup de grands centres industriels, beaucoup de
villes manufacturières ; si le paiement du cens, abstraction faite de
l’existence des causes de l’impôt, constituait à lui seul le droit électoral,
eh bien, les propriétaires de quelques manufactures n’ont qu’à s’entendre entre
eux ; et, par exemple, dans le district de Verviers, si quelques grands
industriels veulent se réunir, ils peuvent, au moyen d’un sacrifice de 17,000
fr., fabriquer cent électeurs. Et si le siège de ces manufactures, au lieu
d’être le chef-lieu de l’arrondissement, se trouvait dans les campagnes, avec
une somme de 12,600 fr., ces chefs d’établissements industriels pourraient
fabriquer cent électeurs. Le cens dans la ville chef-lieu est de 85 fr., soit
170 fr. pour deux années, dans les campagnes, il n’est que de 63 fr., soit 126
pour deux années. On créerait donc, au moyen de 17,000 fr., 100 électeurs dans
la ville, et, au moyen de 12,600 francs, 100 électeurs dans les campagnes.
Dans la
province de Namur, où les établissements industriels, les grands établissements
manufacturiers sont tous hors du chef-lieu de la province, tous dans des
localités où le cens n’est que de 42 fr., avec 8,400 fr. les chefs de ces
établissements peuvent fabriquer 100 électeurs.
Je
suppose qu’un riche manufacturier choisisse dans sa fabrique 100 ouvriers qui
ne vivent que du produit de leurs journées, et les fasse inscrire au rôle des
patentes ou de la contribution personnelle au nombre de 100 ou de 200, suivant
sa générosité, suivant les sacrifices que sa passion politique et sa fortune
lui permettent de faire, faudra-t-il tenir pour irréprochables, pour sincères
de tels électeurs ?
On s’est
beaucoup récrié en France contre le double vote. L’odieux du double vote est
peut-être une des causes qui ont, après la chute du ministère Villèle, amené
cette réaction violente qui a paralysé les excellentes intentions et entraîné
la chute de l’estimable, mais trop faible ministère Martignac, et précipité la
France dans une révolution. Mais le système que je combats va bien au-delà du
double vote ; car il décuple, il centuple le vote, avec cette différence qu’au
lieu de voter soi-même on ferait 100 bulletins, on en déposerait un, et l’on
déposerait les autres par personnes interposées. ; on
en ferait déposer 99 par les mains de ses ouvriers.
Voilà les
conséquences directes du système que je combats, système consistant à admettre
le cens comme prouvant par lui-même, sans examen de la vérité et de la
sincérité des causes sur lesquelles il repose. Je demande quelle différence il
y a entre le chef d’un établissement industriel déposant lui-même 100 bulletins
dans l’urne électorale, et ce même homme les y faisant déposer par 100
ouvriers, 100 prolétaires qu’il crée électeurs ? je
n’en vois absolument aucune. Savez-vous où conduit un tel système ?
L’honorable
M. Fleussu vous l’a dit ; il conduit au suffrage universel, mais au suffrage
universel dans ce qu’il a de plus défectueux, dans ce qu’il a de plus immoral.
Le suffrage universel a été soutenu par des publicistes honorables ; mais je ne crois pas
qu’il y en ait un seul qui voulût du suffrage universel, tel qu’il sortirait de
la loi électorale interprétée comme elle l’a été à la dernière séance ; car vous
auriez le suffrage universel, fils de la corruption ; vous l’auriez corrompu à
sa source ; vous l’auriez organisé à prix d’argent.
Qu’il me
soit permis d’indiquer deux exemples des résultats auxquels aboutiraient des
sacrifices d’argent, combinés par les personnes les plus capables de les faire
en faveur d’une opinion.
Je
prendrai pour exemple d’abord la province de Namur.
Dans
cette province, les villes sont représentées dans la population électorale pour
un chiffre de 880 ; les campagnes pour un chiffre de 2,700, chiffre triple de
celui des villes. Le cens dans les campagnes est de 20 fl. ou de 42 fr. Si l’on
compte l’impôt pour deux ans, cela fait une somme de 84 fr.
Eh bien,
si l’on veut, dans la province de Namur, augmenter de 25 p. c. le chiffre des
électeurs des campagnes, grâce à l’abaissement du cens comparé à celui des
villes, il suffirait pour cela de 56,000 fr. collectés, recueillis dans toute
la province. J’ai supposé que ces nouveaux électeurs ne payaient pas un centime
d’impôt. Mais, ce qui est bien plus vraisemblable, bien plus pratique, supposez
que, pour obtenir cette augmentation de 25 p.c. sur la population électorale
des campagnes, il faille ajouter, en moyenne, 10 fr. à l’impôt déjà payé par
les contribuables qu’on veut faire électeurs, avec une somme de 15,500 fr.,
vous augmenteriez d’environ 700 électeurs, ou de 25 p. c., la population
électorale des campagnes. Supposez une moyenne de 5 fr. à parfaire, vous
atteindrez le but avec moins de 7,000 fr.
J’ai
observé, pour la province du Limbourg, à peu près les mêmes résultats. Avec
36,000 fr. on peut augmenter d’un quart la population électorale des campagnes,
dans cette province, où elle est triple de la population électorale des villes,
puisqu’elle est de 1390 sur 456. (Je parle des électeurs des campagnes, parce
que, eu égard au cens moins élevé, cela fait mieux ressortir mon opinion.) Je
suppose que, moyennant une somme de 10 fr. en moyenne, on complète dans les
campagnes du Limbourg le cens des faux électeurs, avec une somme de 7,000 fr.
vous augmenteriez de 25 p. c. la population électorale des campagnes du
Limbourg, soit de 350. Si le déficit est une moyenne de 5 fr., 3,500 fr.
suffiraient pour atteindre ce résultat.
Voilà
quelques-unes des conséquences de la fraude, telle que nos institutions
électorales permettraient de l’organiser, si l’administration, le gouvernement,
les chambres, tout ce qu’il y a d’honnêtes gens en Belgique ne se coalisaient
pour la proscrire.
Quelle
est, messieurs, la signification du cens électoral ? C’est évidemment pour nous
le cachet de la capacité politique. Mais pour avoir cette signification, il
faut que le cens représente autre chose que lui-même. Le cens représente donc
la jouissance d’une propriété, l’existence d’une industrie, d’une profession
quelconque attestée par l’impôt. Le cens, dans notre système électoral, est la
preuve, la démonstration que vous avez la capacité politique voulue par la loi,
que vous donnez à votre pays de suffisantes garanties d’ordre, d’attachement
aux institutions, d’esprit de conservation pour exercer la puissance
électorale. Mais pour cela il faut, je le répète, que le cens représente autre
chose que la volonté de celui qui paie ; il faut que le cens constate à
l’évidence que vous exercez une profession, ou que vous possédez des
propriétés. Le cens est une présomption ; il ne constitue qu’une présomption
que des faits contraires peuvent toujours détruire.
Je ne
sais si je dois insister sur un tel lien commun. La preuve que le cens ne
signifie rien par lui-même, que c’est le revenu qui constitue la capacité
électorale, c’est qu’en Angleterre, où, avant l’établissement du bill de sir
Robert Peel, alors qu’à part la taxe des pauvres, il n’y avait que des impôts
indirects, c’est le revenu et non l’impôt qui fait la base de la capacité
politique ; c’est en justifiant d’un revenu déterminé qu’on est admis à exercer
le droit électoral. Mais votre loi elle-même l’a prévu ; elle a si bien reconnu
que le cens ne constitue pas à lui seul le droit électoral, qu’il n’est qu’une
présomption, qu’elle a voulu qu’on le payât pendant deux ans. Si le cens
électoral était quelque chose par lui-même, je ne concevrais pas pourquoi l’on
exigerait qu’on le payât pendant deux ans. Pourquoi exige-t-on cela ? Parce
qu’il faut que la présomption de la profession exercée, ou de la propriété
possédée, indiquée par le cens, soit acquise à la loi.
En
France, on a été plus loin ; on a craint de rencontrer dans l’exécution de la
loi quelques difficultés ; c’est pour cela qu’on a exigé, non seulement que
l’on payât la patente, mais encore que l’on justifiât de l’exercice de
l’industrie à laquelle la patente est attribuée. La loi française est formelle
sur ce point. La jurisprudence des cours royales et de la cour de cassation de
France, sur laquelle M. le ministre de l’intérieur a manifesté des doutes, est,
je crois, tout à fait conforme à l’interprétation que je viens de donner à la
loi.
Je ne
saurais assez le dire, si le cens constate quelque chose, abstraction faite du
revenu, ou de la profession qu’il représente si le cens est une présomption
contre laquelle aucune preuve n’est admise, il n’y a pas de prolétaire qui ne
puisse être appelé à exercer le droit électoral. Il suffira que pendant deux
ans on fasse le sacrifice de payer pour lui une patente, ou une contribution
personnelle, pour qu’il soit appelé, dans l’intérêt de telle ou telle opinion,
à faire partie du corps électoral. Vous aurez le suffrage universel, mais dans
ce qui l’a fait repousser par tous les hommes sensés. Vous l’aurez acheté et
corrompu à sa source.
Nous nous
sommes toujours, mes amis et moi, prononcés jusqu’ici contre l’opportunité
d’une réforme électorale ; nous avons pensé que la loi actuelle était
suffisante pour faire prévaloir graduellement, avec certitude, mais avec
prudence et modération, la véritable opinion du pays dans le sein de la
représentation nationale. Mais quand nous nous sommes montrés partisans de la
loi actuelle, c’était à la condition qu’elle ne serait pas faussée, qu’elle
serait exécutée avec sincérité par tous et dans l’intérêt de toutes les
opinions.
Le jour
où l’on établirait l’impuissance de l’administration et de la législation
devant la fraude, nous aurions le droit de dire que l’inégalité du cens, déjà
reprochée à la loi électorale, deviendrait pour notre opinion une nouvelle et
bien grave iniquité, car elle serait un privilège donné à la fraude par
l’inégalité du cens au profit des localités où domine une autre opinion, et
s’il était établi que l’égalité devant la loi électorale doit subir une
nouvelle atteinte, nous serions fondés à protester ; nous aurions au moins le
triste droit de réclamer l’égalité devant la fraude.
Qu’on ne
s’y trompe pas, les fraude électorales ont été l’un des principaux griefs
reprochés à la déplorable administration qui a précipité la France dans de
grands malheurs, dans cette catastrophe qui n’a sauvé la liberté publique qu’au
prix des plus grands dangers pour l’ordre.
Messieurs,
comme on vous l’a dit dans une précédente séance quand on substitue le fait au
droit, il est impossible de savoir où l’on s’arrêtera, Vous ne savez pas,
messieurs, une fois que l’on préconise le fait, quelle forme il peut revêtir :
ici la fraude, là la violence, la force. Et quelle différence y a-t-il entre la
fraude et la violence, sinon que l’une est fille de l’hypocrisie, et que
l’autre est fille de l’audace ?
Voilà,
messieurs, comment on jugerait dans le pays la sanction, le triomphe de la
fraude ; voilà comment on jugerait la déclaration que l’administration, que le
gouvernement, que la représentation nationale veulent rester impuissants devant
elle.
Je n’en dirai pas davantage quant à présent ; je n’aurais plus pris part
à cette discussion, si je n’avais craint que, contre les intentions bien
formelles de leurs honorables auteurs, on n’eût tiré des conséquences bien
dangereuses des opinions qu’ils ont exprimées dans la séance d’avant-hier.
M. Eloy de Burdinne. -
Messieurs, je n’avais pas l’intention de prendre part à la discussion soulevée
par l’honorable M. Mercier ; mais un honorable député de Liège vous ayant
entretenu du district de Waremme, que j’ai l’honneur de représenter, je crois
devoir rompre le silence.
Je
commence par vous dire que j’ai toujours blâmé, et que je blâme à plus forte
raison aujourd’hui, les intrigues électorales, qui sont devenues scandaleuses.
Je
m’associe à ceux qui sont d’opinion que l’on doit signaler au gouvernement les
menées auxquelles je fais allusion, en vue de provoquer des mesures
législatives de nature à les faire cesser.
Mon
opinion à cet égard est trop connue ; on ne la révoquera pas en doute. Sous
l’ancien gouvernement, je me suis fortement prononcé contre les fourberies qui
se pratiquaient alors en matière d’élection.
Je les ai
signalées dans un opuscule adressé aux votants et électeurs des campagnes, afin
qu’ils les évitent. Cet opuscule est connu de plusieurs de nos collègues ; et,
si j’en appelais à leur mémoire, ils attesteraient, j’en suis persuadé, ce que
j’avance.
Je le
répète, je me serais abstenu de prendre la parole dans cette discussion, si un
honorable collègue, député du district de Liége, n’était venu signaler les
moyens pratiqués afin d’augmenter le nombre des électeurs dans le district de
Waremme.
D’après
le discours de cet honorable membre, on pourrait induire que je ne suis pas
étranger aux moyens employés tendant à augmenter le nombre des électeurs dans
l’arrondissement de Waremme, en vue sûrement d’assurer ma réélection.
Je viens
déclarer sur l’honneur que je n’ai contribué, ni directement, ni indirectement,
aux moyens employés et signalés par le représentant de Liége.
Je dirai
plus, que je ne connais pas un seul individu de l’arrondissement de Waremme qui
ait, par une déclaration supplétive, augmenté le montant de ses contributions
pour quelque motif que ce fût, pas même une seule commune où le fait signalé
par le député de Liége se soit passé ; et je donne le défi le plus formel de
prouver le contraire de ce que j’avance, étant complètement étranger aux faits
signalés par notre collègue de Liége, comme ayant été l’œuvre de je ne sais qui
dans les districts de Waremme et de Huy.
L’honorable
député auquel je fais allusion vous a dit qu’il ne vous entretiendrait pas de
l’arrondissement de Liége, qu’il avait l’honneur de représenter. Comme il a
bien voulu s’occuper de ce qui se passe dans celui que j’ai l’honneur de
représenter, il voudra bien me permettre de signaler quelques actes passés dans
l’arrondissement qui l’a nommé, et de faire remarquer que si l’arrondissement
de Waremme et autres ont cherché à augmenter le nombre des électeurs, au moyen
de faire des déclarations supplétives, en vue de payer le cens électoral, c’est
précisément dans l’arrondissement de Liège où ils ont puisé ce moyen, en
d’autres termes, que c’est l’arrondissement de Liége qui a pris l’initiative
des faits signalés par l’honorable député à qui je réponds.
De
manière qu’il était plus rationnel de signaler ces sortes d’actes à leurs
sources, et de les blâmer dans l’arrondissement de Liége, plutôt que dans les
autres arrondissements de la province.
Il faut
que l’honorable député que je combats, ait cru, par délicatesse, devoir ménager
ses prénotes.
Je
pourrais ajouter qu’on serait tenté de reproduire un ancien proverbe un peu
trivial, à la vérité, que : quand on est dans son tort, on doit crier le
premier et le plus fort.
Puisque
j’ai la parole, j’en userai pour signaler un fait bien plus répréhensible qui
m’a été rendu par des personnes dignes de foi, même libérales un peu trop
avancées, mais qui en étaient indignées.
Voici le
fait : Dans certaine ville que je ne nommerai pas, certain parti que je ne
désignerai pas davantage, menace les électeurs des campagnes qui viendraient
exercer leurs droits politiques, de les accabler de coups de canne, s’ils se
refusaient de déposer dans l’urne les bulletins qui leur seraient donnés, ou
renfermant les candidats de leur choix.
A cette
menace il a été répondu que les campagnards s’armeraient de leurs fourches pour
repousser les cannes des citadins.
Il est
vraiment déplorable que, dans un siècle de libéralisme, ceux qui prétendent
appartenir à la classe libérale exercent un despotisme aussi brutal.
Ce fait,
je le signale au gouvernement comme ayant déjà été mis en pratique et comme
devant encore être pratiqué, soit en effet, soit en menaces, en vue d’éloigner
les électeurs campagnards peu complaisants pour recevoir des bulletins du
premier venu, et qui ne se soucient pas davantage d’être obligés de faire usage
de leur fourche pour éviter les coups de canne des citadins.
Si cette
manière d’agir peut être appelée libérale, j’avoue que je n’entends plus rien
en libéralisme.
Mon
libéralisme, à moi, est de respecter toutes les opinions consciencieuses. Je
les combats quand je ne les partage pas ; si l’on me démontre que je suis en
erreur, j’abandonne mon opinion ; si l’on ne parvient pas à me convaincre, je
persiste, mais jamais je n’emploierai des moyens violents pour forcer à suivre
mes principes.
Voilà
comment j’entends le libéralisme ! Et dans ce sens, je suis et crois être plus
libéral que ceux qui emploient des moyens de rigueur pour forcer à adopter leur
croyance. Ceux-là, je les qualifie de despotes. Ceux qui agissent comme moi, je
les nomme des libéraux.
Je terminerai en appelant l’attention du gouvernement sur les faits qui
seraient de nature à fausser les élections, et que le principe suivant soit une
vérité : La liberté pour tous et en tout !
M. de Theux. - Nous
aussi, messieurs, nous sommes partisans de la sincérité des élections, et nous
en avons donné des preuves irréfragables en engageant, dès la session dernière,
le ministère à présenter un projet de loi pour l’assurer. Deux honorables
membres, MM. Fleussu et Lebeau, ont pensé que la loi électorale donnait à la
députation permanente du conseil provincial un moyen suffisant pour obvier à
une catégorie d’abus qui a été signalée dans cette enceinte, savoir : pour
écarter de la liste des électeurs des personnes qui auraient faussé ou exagéré
les bases de l’impôt.
Nous ne
pouvons, messieurs, partager cette opinion. Garder le silence sur ce point
serait induire en erreur les députations permanentes sur leurs devoirs ; ce
serait induire en erreur la chambre elle-même, si elle pensait que, la loi
renfermant un moyen suffisant, il est inutile de s’occuper de la recherche
d’autres moyens. Le texte de la loi, la discussion solennelle qui a eu lieu, ne
laissent à mon avis subsister aucun doute sur le non-fondement des opinions des
deux honorables membres que je combats en ce moment.
L’article
4 de la loi électorale porte : « Le cens électoral sera justifié soit par un
extrait des rôles des contributions, soit par les quittances de l’année
courante, soit par les avertissements des receveurs des contributions. »
La loi n’admet pas d’autres preuves du paiement du cens que celles qu’elle a
énumérées ; d’autre part, la loi n’admet pas de preuves contraires ; la
reproduction de ces documents de la part du contribuable forme pour lui un
titre incontestable. S’il en était autrement, la loi eût dû le dire ; elle eût
dû établir des règles d’après lesquelles l’autorité communale, l’autorité
provinciale auraient pu constater que le déclarant ne possède pas les bases de
l’impôt. Le contribuable, ou celui qui se prétend contribuable, devrait trouver
dans la loi des garanties contre l’arbitraire de la députation ou de l’autorité
communale, devrait être admis à justifier l’existence des bases qu’il a
déclarées.
Or,
messieurs, rien de tout cela ne se trouve dans la loi. Il est donc évident, et
par le texte de l’art. 4 de la loi électorale sur la nature des documents
produits pour constater le droit électoral, et par son silence à l’égard des
formalités qui devraient être observées pour rejeter les bases de la
déclaration, qu’il suffit de la représentation de ces documents pour être inscrit
sur la liste des électeurs et qu’aucune autorité ne peut invalider la
déclaration du contribuable.
Aux
termes de l’art. 4, nous pouvons ajouter les termes de l’article n°3, qui porte
: « Pour être électeur il faut verser au trésor de l’Etat, la quotité de
contributions directes, patentes comprises déterminée dans le tableau annexé à
la présente loi. » Ainsi, quant au cens, pas d’autre condition que de
verser au trésor de l’Etat la quotité d’impôts déterminée par la loi.
L’honorable
ministre de l’intérieur vous a donné lecture, au début de cette séance, de la
discussion qui a eu lieu sur cette même question, lors de la discussion de la
loi communale. Cette discussion, que j’avais déjà rappelée à votre souvenir,
messieurs, ne peut laisser aucun doute, ainsi que je le démontrerai à
l’instant. Mais si, à l’occasion de la loi communale, le gouvernement, les
chambres ont partagé l’opinion qu’il suffisait du paiement du cens électoral,
et qu’aucune autorité n’était admise à établir la non-possession des bases de
l’impôt, il en est à plus forte raison ainsi sous l’empire de la loi électorale
du 3 mars 1831.
En effet,
la loi communale porte bien que, pour être électeur, il faut verser au trésor
de l’Etat la quotité de contributions déterminée par la loi ; mais la loi
communale ne porte pas une disposition semblable à celle de l’art. 4 de la loi
du 3 mars 1831, savoir :
« Que le
cens électoral est justifié par un extrait des rôles des contributions, par les
quittances de l’année courante, ou par les avertissements des receveurs des
contributions. »
Ainsi,
messieurs, il y a là un argument de plus pour déterminer le vrai sens de la loi
électorale. L’honorable M. Lebeau, parlant de cette discussion, dit qu’elle n’a
pas un caractère d’autorité, que ce ne sont que des opinions individuelles qui
ont été émises dans cette enceinte. Pour moi, je nie l’assertion, je dis que
nos discussions ont souvent un caractère d’autorité pour déterminer le sens de
la loi.
Ainsi, lorsque
le gouvernement, d’une part, et tous les orateurs qui, dans cette chambre, ont
pris part à la discussion, ont été unanimes sur le sens de la loi, sur les
effets qu’elle devait produire, je dis qu’il ne doit y avoir de doute pour
personne, alors surtout que le sens attribué à la loi dans nos discussions n’a
pas été contesté dans le sein du sénat. Or, telle est ici précisément la
situation des choses.
La
discussion qui est rapportée dans le Moniteur
du 17 février 1836, est on ne peut plus positive. L’honorable M. Pirmez
demandait si une autorité quelconque, l’autorité communale, la députation
provinciale, ou même l’autorité judiciaire pourrait paralyser l’acte du
contribuable qui veut devenir électeur en faussant ou en exagérant les bases de
l’impôt. Eh bien, messieurs, sur cette question l’honorable M. d’Huart,
ministre des finances, a répondu qu’il n’existait, d’après la loi, aucune
juridiction qui pût infirmer le fait d’une semblable déclaration. M. Legrelle, M. Smits ont confirmé cette opinion, et M. Pirmez
a conclu en ces termes : « Ainsi donc, quiconque le voudra, acquerra la
qualité d’électeur en déclarant qu’il possède telles bases d’impôt. » Et
ensuite de cette déclaration, il n’est fait aucune objection, aucune
protestation ; cette opinion, messieurs, est admise tacitement par l’unanimité
de cette chambre.
Et que
l’on ne dise pas que ce sont des déclarations fugitives, que c’est une
discussion qui n’avait pas suffisamment éveillé l’attention de la chambre. Non,
messieurs, il s’agissait de fixer le sens de l’article en discussion ;
l’honorable M. Pirmez avait présenté les inconvénients qui peuvent naître de la
loi. On a répondu, il est vrai, qu’il n’était guère probable que le fait devînt
très fréquent. Cependant, en faisant cette déclaration, l’honorable M. d’Huart
ajoute : Quoi qu’il en soit, la loi n’infirme pas de pareilles déclarations.
Ainsi, dans son opinion, quand même l’abus serait devenu fréquent, la loi ne
l’empêcherait pas.
Et en
réalité, messieurs, si la loi était obstative à ce
fait, elle le serait pour un fait isolé, aussi bien que s’il se répétait des
milliers de fois : car la loi ne distingue pas entre le nombre plus ou moins
grand de contraventions. S’il y a contravention, elle existe pour un fait isolé
comme pour des milliers de faits.
La seule
conséquence que l’on puisse induire de la fréquence du fait que l’on a signalé,
c’est la nécessité de modifier la loi ; mais ceci n’influe en aucune manière
sur le sens de la loi telle qu’elle existe.
L’honorable
M. Lebeau dit : La preuve évidente que cela n’a pas été la pensée du
législateur, c’est que la loi exige que le cens intégral ait été payé pendant
l’année antérieure à l’élection.
A ce
dernier égard, je ferai observer que le sens de la loi n’a pas toujours été
compris de même, en ce qui concerne l’élection aux chambres. Beaucoup de
personnes ont cru, le gouvernement lui-même l’avait pensé ainsi, qu’il
suffisait d’avoir été imposé d’une manière quelconque pendant l’année
antérieure, et de payer dans l’année où l’élection a lieu l’intégralité du
cens. La cour de cassation en a pensé autrement ; mais ceci ne doit exercer
aucune influence sur la question que nous discutons en ce moment.
Admettons,
avec l’honorable M. Lebeau et avec la cour de cassation, que le cens doive
avoir été payé intégralement pendant l’année antérieure ; en résulte-t-il,
comme il le dit, que le législateur a voulu que la base du cens existât
réellement chez le déclarant ? Non, messieurs ; c’est précisément un argument
contraire qu’il aurait dû tirer de cette disposition.
En effet,
si l’autorité communale, l’autorité provinciale ou l’autorité judiciaire
pouvaient examiner si le contribuable possède réellement les bases de l’impôt,
il est évident qu’il aurait suffi de les posséder dans l’année où l’élection a
lieu. Mais c’est qu’en exigeant que l’impôt ait été payé pendant l’année
antérieure, la loi a cru poser une garantie suffisante contre l’usurpation du
cens par des déclarations exagérées ; le législateur a pensé que peu de
personnes voudraient acquérir le droit d’électeurs en payant pendant plus de
deux années les impôts qu’elles ne doivent pas à l’Etat.
Ainsi,
messieurs, l’opinion soutenue par l’honorable M. Lebeau n’est fondée sur aucun
texte de la loi ; mais, au contraire, elle est repoussée par les divers textes
de la loi électorale.
Nous
n’avons point à examiner en ce moment la moralité de l’acte qui consiste à
exagérer les bases de l’impôt ; nous n’avons point à nous occuper de la
question de savoir si, en usant d’une faculté que la loi accorde, on commet ou
non une action immorale ; ce qui doit nous occuper c’est le sens véritable de
la loi et la recherche des modifications à y apporter, si elle renferme des
dispositions dont on puisse abuser pour fausser les élections.
Du reste,
messieurs, je suis heureux de reconnaître que la loi électorale renferme une
certaine garantie contre ce qu’on a appelé la fabrique d’électeurs ; c’est le
vote secret. Car, en effet, les personnes sur lesquelles on croit pouvoir le
plus compter n’émettent pas toujours, dans les élections, le vote que l’on
attend de leur complaisance. Je pense que chacun de nous connaît des faits qui
prouvent l’exactitude de cette assertion. Bien des électeurs ne se font aucune
espèce de scrupule de se laisser transporter gratuitement au lieu de l’élection,
de recevoir un bon dîner et du bon vin, et de voter ensuite contre les
candidats qui les ont traités d’une manière aussi magnifique. II pourrait très
bien en être de même des personnes que l’on aurait fait porter sur les listes
électorales en payant les contributions qui leur manquent pour être électeur.
Quoi
qu’il en soit, je le déclare de nouveau, je m’associerais volontiers par mon
vote à toute mesure tendant à empêcher la création d’électeurs ne possédant pas
les bases de l’impôt, mais à une condition, c’est que l’on n’accorde pas à une
autorité quelconque un pouvoir arbitraire, et tel serait, à mon avis, le
pouvoir donné aux autorités communales ou provinciales, de rayer de la liste
tel ou tel électeur, sous prétexte qu’il ne possède pas les bases des impôts du
chef desquels il est porté sur cette liste. Il faut, messieurs, que la loi
détermine nettement les moyens de constater l’existence des bases de l’impôt,
il faut qu’elle détermine ces moyens de manière qu’on ne puisse pas s’y
tromper. Accorder discrétionnaire à une autorité quelconque ; c’est ce que je
ne ferai jamais.
Une autre
question a été soulevée par M. le ministre de l’intérieur, c’est celle de
savoir si, dans le cas où une députation, croyant avoir le droit d’agir
arbitrairement en matière de listes électorales, déclarerait que tel individu,
quoique payant le cens, ne possède pas les bases du chef desquelles il le paie,
si, dans ce cas, la déclaration de la députation échapperait au contrôle de la
cour de cassation ? Pour moi, je ne le crois pas ; car lorsque l’article 4 de
la loi électorale a déterminé quels actes constituent la preuve du cens
électoral, il n’appartient pas à une députation de déclarer que ces actes ne
suffisent pas pour faire porter une personne sur la liste électorale. Il y
aurait là, selon moi, une violation flagrante de la loi, et une semblable
décision d’une députation devrait, sans aucun doute, être cassée par la cour de
cassation. Les actes dont il s’agit constituent une preuve de droit, la loi
n’admet point de preuve contraire. Je ne reconnais donc à aucune autorité le
droit d’infirmer la force de semblables actes.
Dans la
dernière séance, messieurs, on s’est occupé d’un point qui est également
important, c’est la nécessité de rechercher les moyens d’obvier à ce que les
autorités administratives écartent des listes des personnes qui ont le droit
d’y être portées, on y porte des personnes qui ne paient aucun cens ou qui ne
paient point le cens voulu. Un tel acte constitue à mon avis un faux, et je
pense qu’il y aurait un moyen facile d’en empêcher le retour : les receveurs
des contributions doivent donner aux autorités communales la liste des
contribuables ; il faudrait exiger que les receveurs signassent cette liste,
qu’ils ne la donnassent que sous leur responsabilité ; il faudrait exiger,
d’autre part, que ces documents donnés par les receveurs des contributions
demeurassent déposés aux archives des communes et que tous les ayants droit à
réclamer en matière électorale pussent en prendre connaissance. Par là,
messieurs, l’on établirait un contrôle en matière de confection des listes
électorales ; mais il faudrait peut-être aussi établir quelques pénalités
contre les diverses fraudes qui peuvent se commettre. Je ne suis pas assuré que
les dispositions du code pénal actuel puissent s’appliquer aux diverses fraudes
que l’on commet, attendu que le système électoral d’aujourd’hui diffère
beaucoup de celui qui existait lors de la promulgation du code pénal. J’engage
le gouvernement à examiner aussi cette matière et à proposer, si c’est
nécessaire, des mesures propres à rendre toute fraude impossible ou au moins à
rendre impossible que des fraudes puissent se commettre impunément.
L’honorable
M. Fleussu a aussi soutenu que les centimes additionnels payés au profit des
communes et des provinces doivent compter pour former le cens électoral. Pour
réfuter cette opinion, il suffit de recourir à la constitution et aux budgets :
l’art. 115 de la constitution porte que toutes les recettes et dépenses doivent
être portées aux budgets et dans les comptes ; si nous lisons maintenant la loi
de budget, nous y trouverons l’énumération des centimes additionnels ordinaires
et extraordinaires perçus au profit de l’Etat, mais nous n’y trouverons pas les
centimes additionnels que les receveurs de l’Etat perçoivent au profit des
communes ou des provinces. Lorsque la loi électorale exige que les
contributions soient versées dans le trésor de l’Etat, elle ne parle pas d’une
perception faite par les agents de l’Etat au profil des provinces ou des communes,
et dont le produit doit être versé dans les caisses communales ou provinciales.
Ce point, messieurs, me paraît hors de toute contestation. Aussi la cour de
cassation a-t-elle admis cette opinion qui forme sa jurisprudence, et je dois
le dire, la jurisprudence de la cour de cassation à cet égard a été adoptée
dans toutes les provinces, à l’exception d’une seule.
Si le
sens de la loi pouvait être douteux, il faudrait nécessairement le fixer, car
on ne peut pas admettre que dans une province les centimes additionnels perçus
au profit de la commune et de la province comptent pour former le cens
électoral, tandis que dans les huit autres provinces ces centimes additionnels
ne comptent point. La loi électorale régit toute la Belgique d’une manière
uniforme, et elle ne peut point être soumise aux interprétations diverses qu’y
donnent les députations des différentes provinces.
Je termine, messieurs, en réitérant la déclaration que j’ai faite, que
je m’associerai à la révision la plus complète de la loi électorale, en ce qui
concerne la répression de toutes les fraudes, de toutes les manœuvres, de tous
les abus que l’on peut commettre ; car dans mon opinion les élections doivent
être sincères pour que la représentation nationale le soit.
M. Savart-Martel. -
D’après la manière dont l’honorable M. Lebeau a traité la question qui nous
occupe, ce n’est point sans quelque crainte que je prends la parole. Mais
chacun de nous doit à la chambre le tribut de ses réflexions ; je dois faire à
ce devoir le sacrifice de mon amour-propre.
Des abus
graves contre le droit électoral ont été dénoncés à cette chambre.
Il ne
s’agit plus de quelque fait isolé, de quelques abus de localité, il s’agit d’un
vaste plan, conçu sur une grande échelle ; dont le but est de remplacer la
volonté des électeurs légaux par la volonté d’électeurs factices et en dehors
de la loi ; c’est-à-dire de remplacer le droit par le fait. Entendez-vous,
messieurs, remplacer le droit par le fait !
Le moyen
employé par cette conspiration d’un nouveau genre, plus dangereuse peut-être
que celle qu’a frappée récemment la justice, ne consiste plus seulement dans
l’attribution au locataire des contributions qu’il paie au nom du propriétaire,
mais dans des procédés tendant à fabriquer de faux électeurs, en achetant, pour
des gens qui d’ordinaire n’en connaissent point la conséquence, la faculté de
voter.
Cependant
la loi n’admet au droit électoral que ceux qui ont un intérêt né et actuel à la
paix publique et au bonheur de la patrie.
C’st uniquement
comme signe de cet intérêt que la loi indique la hauteur de la contribution
directe payée à l’Etat. C’est une présomption attachée, non point précisément
au tribut annuel, mais, comme l’a dit énergiquement l’honorable M. Fleussu, à
la cause du tribut.
D’ailleurs,
celui qui volontairement verse une somme dans le trésor de l’Etat sans cause
réelle, ne paie point un tribut, il fait un don, partant il n’acquiert pas le
droit électoral.
Messieurs,
pas plus que les préopinants, je ne veux faite du point nous occupe une
question de parti, mais bien une question de principe, une question de droit
constitutionnel dans l’intérêt général.
En
Belgique, comme ailleurs, il y a plus de prolétaires que de véritables censitaires.
Tout le monde concevra que, s’il suffisait de dépenser quelques florins pour
faite un électeur, l’administration du pays finirait par rester aux mains de
ceux qui voudraient faire le plus de dépenses, au préjudice même de ceux qui
imprudemment les auraient investis de ce pouvoir exorbitant ; mieux vaudrait
alors le vote universel. La démonstration de cette vérité vient d’être faite si
clairement par l’honorable M. Lebeau, qu’on ne saurait rien y ajouter.
Le mal
signalé dans cette chambre, sans être positivement avoué, n’a au moins été
contesté par personne. Permettez-moi, messieurs, de rencontrer brièvement les
réponses qui y ont été faites.
L’honorable
ministre de l’intérieur n’a pu, sans doute, rencontrer tous les faits ; mais
loin de contester la dénonciation, il a indiqué que le mal était ancien. Il a
parlé de ruse, de fraude, de menées déplorables et de scènes inqualifiables,
qui nous ont détournés tant soit peu du point en discussion.
Si le mal
est ancien, il ne faut point le laisser invétérer. C’est une raison de plus
pour y remédier de suite.
Mais
j’insiste sur la remarque, qu’il s’agirait aujourd’hui d’une conspiration
ourdie et exécutée sur un vaste plan, dont certainement il n’y a point encore eu d’exemple, et dont les conséquences seraient
d’une gravité extrême.
Quant aux
faits signalés par le ministère, tous nous nous unissons à lui pour les blâmer
et les flétrir.
Je ne me
permettrai point de lui signaler d’autres faits, d’autant plus graves qu’ils
alarment les consciences timorées ; car lui, les chambres et le public les
connaissent comme moi.
Ce n’est
pas de la loi que j’attends la répression de ces abus, mais de l’expérience, de
la bonne foi et de la raison.
S’il est
vrai qu’on ne puisse empêcher toutes les mauvaises menées en matière
d’élection, s’il est vrai que la ruse et la fraude soient d’ordinaire
insaisissables, ce n’est point un motif pour que la loi couvre de son égide
ceux qui abusent de son texte pour tuer son esprit. Nous sentinelles avancées
des libertés publiques, nous gardiens de la constitution, resterons-nous l’arme
au bras en face des ennemis de nos institutions ? Serions-nous réduits à
opposer ruses contre ruses.
Mais ce
seraient les derniers jours du Bas-Empire, et le premier peut-être de la guerre
civile
L’un de
nos honorables adversaires s’en est pris à la loi, ou plutôt à l’exécution de
la loi, qu’on interprète tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Il a signalé
plusieurs cas où il y avait divergence d’opinions, sans tenir compte de la
spécialité de la plainte qui appelait notre attention.
Mais il
ne s’agit point aujourd’hui de faire le procès à la loi, qui certainement
laisse beaucoup à désirer, elle a négligé nombre de points qui font planer un
vague désolant sur cette partie si importante de notre législation. Ce n’est
point d’aujourd’hui que je m’en suis plaint.
Un
système qui accorde tout à l’argent et rien aux capacités, un système qui fait
varier chaque année le droit électoral, qui donne ou enlève des facultés auprès
du budget annuel, n’est pas le mien.
D’autres
ont légitimé le fait dont plainte en partant du point que le paiement d’une
somme équivalente au cens constituerait l’électeur ; erreur de droit que nous
avons combattue, il y a quelques instants. Pour ne point faire ici une
discussion théorique, et s’ils ne sont point frappés déjà des conséquences de
leur système, nous les engagerions à lire ce qu’a écrit à cet égard l’un de nos
magistrats les plus distingués, M. l’avocat-général Delebecque.
Si sur
cette matière je m’expliquais plus amplement en ce jour, je craindrais de
détourner moi-même votre attention du seul point sur lequel je voulais la
retenir.
Suivant
moi, les moyens employés pour fausser le système électoral doivent être
réprimés avec d’autant plus de célérité que, pour ceux qui consultent non
l’esprit, mais le texte de la loi, ces moyens sembleraient reposer sur la
législation même. Nous ne devons pas entretenir cette erreur par un plus long
silence, car parmi les nouveaux électeurs fabriqués en 1842, il y en a sans
doute de bonne foi.
Pour
faire cesser les abus signalés, M. le ministre a promis une enquête ; mais si
l’on n’y met une activité extraordinaire, cette enquête arrivera trop tard. Non
seulement le mal est grand, mais il ira toujours en augmentant ; il est à craindre qu’après l’abus du texte de
la loi, viendrait la corruption proprement dite.
Messieurs,
lors de la discussion des budgets, et notamment des voies et moyens, j’ai été
désappointé par la décision qu’on ne pourrait, incidemment au budget, modifier
les lois même d’impôts.
L’avais
cru au contraire que c’était incidemment aux budgets qu’il fallait proposer des
modifications qui ont une influence nécessaire sur le chiffre du passif ou le
chiffre de l’actif.
J’avais
pour exemple ce qui se passait en France, sons l’empire au moins. Je croyais
que la discussion du budget était l’occasion de proposer toutes les
améliorations possibles, et je n’ai rien trouvé dans votre règlement qui y fût
contraire.
Je suis
loin de me plaindre des ajournements, surtout que, sur la proposition de la
section centrale, le cabinet a éprouvé le même ajournement, en ce qui concerne
la modification à introduire à l’impôt sur les successions ; mais en reculant
tous les projets de loi jusqu’après l’acceptation des budgets, il me semble que
la législature s’expose à ne pouvoir faire usage de son droit ; évidemment vous
ne feriez de lois qu’avec l’autorisation du cabinet.
Supposons,
en effet, un ministère qui voulût repousser tout changement dans la législation
du pays ; un ministère qui fût défavorable aux améliorations que lui auraient
laissé entrevoir les observations et contestations sur le budget ; un ministère
enfin qui voudrait vous annuler de fait : il aurait au moins un moyen
constitutionnel d’empêcher vos travaux, en clôturant la session. Que feriez-vous
?
Je n’ai
point de raisons pour croire que telle soit l’intention du cabinet actuel. Les
observations que la chambre me permettra de lui soumettre seront toujours
consciencieuses, sans aigreur ni personnalité. Je n’ai généralisé que pour
appeler votre attention sur les conséquences de la proposition.
Les
déplorables abus qui ont été signalés par un honorable membre de cette chambre,
ancien membre du cabinet, qui a fait ses preuves de patriotisme et de capacité,
abus dont vous avait aussi parlé incidemment l’un des plus ardents défenseurs
de nos libertés, doivent exciter toute votre sollicitude ; il était naturel que
cette circonstance me rappelât la fausse position de la législature, s’il
arrivait un cabinet qui voulût arrêter la chambre.
Je n’ai
pas besoin de vous prouver, messieurs, que la tyrannie qu’on voudrait exercer
par la puissance de l’or et de l’illégalité, nous conduirait directement aux
plus grands malheurs.
Au bout
de ce chemin est un abîme.
Tous les
amis du pays, à telle opinion qu’ils puissent appartenir, sont convaincus que
les lois seules peuvent aujourd’hui contenir les masses.
Si jamais
le fait remplaçait le droit, ce serait le tocsin de l’insurrection.
Et en
effet, comme les rois, les peuples ont aujourd’hui leur dernière raison, si on peut
appeler raison des déplorables excès, où toujours il y a plus à perdre qu’à
gagner ; ne laissons point propager cette doctrine erronée, que l’argent fait
seul l’électeur. Ce serait appeler sur ceux qui possèdent la responsabilité des
événements.
Une opinion
comprimée par l’or et l’illégalité amènerait pire qu’un 1793.
Dans
l’abîme s’écrouleraient la nationalité, la propriété, les arts, le commerce,
l’industrie, la religion ; oui, la religion même, notre foi et celle de nos
pères.
Après
avoir fabriqué des machines à voter, en vain écririez-vous sur vos frontières :
pays à vendre, on ne voudrait pas
même vous acheter ; car que faire d’un peuple qui, ayant en mains tous les
éléments de prospérité, se serait constitué une dette énorme, et n’aurait su se
créer une législation assez forte pour résister à l’oppression ?
Si donc
M. le ministre ouvre une enquête, d’autant plus facile, suivant moi, qu’il peut
se procurer toutes les déclarations faites en 1842, il est à désirer qu’il en
entretienne la chambre dans la première quinzaine de janvier.
Et je suis intentionné de m’associer à toutes
mesures qui pourraient réprimer l’abus.
M. Delehaye. -
Messieurs, l’honorable M.
de Foere qui a été obligé de retourner chez lui, aurait
voulu répondre un mot à l’honorable M. Lebeau, lorsque celui-ci a fait allusion
aux usages suivis en Angleterre. M. de Foere se proposait de dire qu’il
persistait dans l’opinion émise par lui avant-hier, et à l’appui de son
assertion, il voulait citer l’exemple de Canning. Voici la note qu’il m’a prié
de communiquer à la chambre :
« En
Angleterre, pour être membre du parlement, il faut justifier d’un revenu qui
est, je crois, de 300 liv. st. Canning ne pouvait justifier ce revenu. Un de
ses amis lui fournit un titre auquel Canning donna un acte de rétrocession. Ce
fait a été connu par le parlement tout entier. Il n’a soulevé aucune
réclamation. Il suffit que la lettre de la loi soit accomplie. C’est ce qui se pratique
chaque jour en Angleterre sans aucune opposition. »
Messieurs,
maintenant que j’ai communiqué à la chambre les paroles que l’honorable M. de
Foere se proposait de prononcer, je dois déclarer que je n’adopte pas l’opinion
de l’honorable membre, et je me prononce contre le système qu’il a préconisé.
Messieurs,
les faits qu’on a signalés dans la séance d’aujourd’hui et dans celle
d’avant-hier, ont un caractère d’extrême gravité, et je n’hésite pas à dire que
si par impossible la chambre ne les réprouvait pas avec énergie, elle ne
tarderait pas à donner au pays des motifs légitimes de révolution. Oui,
messieurs, dans un pays constitutionnel, si la représentation nationale n’est
pas l’expression fidèle du corps électoral, si elle est faussée, je ne crains pas
de dire que la base de l’état social vient à crouler.
Messieurs,
suffit-il en Belgique de verser dans les caisses du trésor un cens de 20 à 100
florins pour jouir de la capacité électorale ? C’est la question qui doit
dominer tout le débat. Pour ma part, je n’hésite pas à déclarer qu’il ne suffit
pas qu’un individu verse dans le trésor le cens fixé par la loi, pour qu’il
acquière par ce fait seul le droit électoral.
Messieurs,
je me rappelle que lorsque le congrès, dont je faisais partie, discuta l’article
de la constitution relatif aux élections, un honorable membre de cette
assemblée demanda que le droit électoral ne fût pas seulement conféré à ceux
qui payaient le cens, mais qu’il fût même étendu aux citoyens qui exerçaient
des professions libérales. On répondit, entre autres, à l’auteur de cette
proposition, et je me servirai même du terme trivial qu’on employa dans cette
circonstance ; on lui répondit que celui-là seul était intéressé au maintien du
bon ordre, à la conservation de notre nationalité, qui avait quelque chose à perdre.
Le
congrès, adoptant ce système, a exigé un cens, comme déterminant la position
sociale de celui qui le paie. Mais alors que le cens n’est pas payé par
l’électeur, qu’il est payé par d’autres, peut-il conférer à cet individu
l’exercice du droit électoral ?
Messieurs,
on vous a cité des exemples à l’appui de l’opinion qu’on défendait ; un
individu, dit-on, déclare un cheval qu’il n’a pas, mais qu’il déclare vouloir
se procurer plus tard. Un second contribuable demande une patente pour une
profession qu’il n’exerce point. Ces contribuables peuvent-ils être électeurs ?
Je dis qu’un homme qui paie un impôt pour un cheval qu’il a déclaré, et qu’il
n’a réellement pas ; je dis que cet homme commet un faux ; j’en dis autant de
celui qui paie patente pour une profession qu’il n’exerce et n’entend pas
exercer. Mais j’ajouterai que la société n’a pas à s’émouvoir vivement de ces
faits, lorsque ces faits sont isolés, lorsqu’ils ne sont pas de nature à porter
atteinte à la sincérité du régime représentatif.
Mais,
messieurs, il n’en est plus de même lorsqu’on organise une espèce d’association
qui impose à chacun de ses membres l’obligation de verser dans une caisse
commune une somme quelconque et lorsque cette somme est destinée à parfaire le
cens électoral de citoyens qui ne paient pas ce cens ; prétendre que ces
derniers ont acquis par là le droit électoral, je dis que c’est vouloir sans
détour fausser la représentation nationale.
On me
dit, et j’ai quelque lieu de croire que cela est vrai, on me dit que des
personnes riches ont contribué pour des sommes de 5, 6, 7 et 8 mille francs,
qui doivent recevoir la destination que je viens de signaler. Eh bien, si
réellement ces faits existent, je demanderai si de semblables tentatives tendent à rien moins qu’à amener la destruction
du gouvernement représentatif ? Ne sont-elles pas de nature à porter le trouble
dans l’Etat ?
Messieurs,
beaucoup de conseils communaux, des conseils provinciaux même ont pétitionné
contre le système actuel des élections ; on a réclamé généralement contre
l’uniformité du cens ; on dit que les villes étaient dominées, étouffées par
les campagnes et à cet égard, on pourrait citer des exemples qui confirment
cette opinion. N’a-t-on pas vu d’honorables candidats présentés unanimement par
les villes, et repoussés impitoyablement de la représentation nationale, au
profit des candidats des campagnes, parce que l’opinion des campagnes était
contraire à celle des candidats des villes ?
Eh bien,
si par impossible on sanctionnait les fraudes qui se commettent aujourd’hui,
vous quintupleriez le grief qu’on a articulé contre le système actuel des
élections. En supposant que les villes et les campagnes usassent, chacune de
leur côté, de ce moyen frauduleux de créer des électeurs, les campagnes avec la
même somme dont disposeraient les villes, créeraient cinq fois plus d’électeurs
que celles-ci ! Où irions-nous avec un semblable système ? Ce système, je le
répète, si malheureusement il était admis, fausserait nos institutions,
ébranlerait la base sur laquelle tout notre édifice social est établi, et
serait de nature à justifier une révolution.
Messieurs,
outre les faits auxquels je viens de faire allusion, on en a cité d’autres
qu’on a rappelés, je pense, pour détourner l’attention du fait principal. On a
dit ce qui s’était passé à la dernière élection d’Ath : qu’on s’y était battu,
qu’on avait imputé des faits adieux à l’un des candidats. Ces faits, messieurs,
je les blâme aussi vivement que qui que ce soit. Mais connaissez-vous rien de plus
propre à les faire naître, connaissez-vous rien de plus efficace pour provoquer
des luttes sanglantes dans les élections, que le système que l’on défend ? Je
suppose les électeurs des villes fermement résolus à respecter la loi, lors
d’une élection ; mais ces électeurs voient affluer des campagnes une masse
d’électeurs de fabrique ; les électeurs des villes savent pertinemment que
ceux-ci n’ont pas le droit de prendre part aux élections ; croyez-vous que les
électeurs des villes, malgré toute la raison, tout le calme dont ils s’étaient
fait une loi, puissent conserver leur sang-froid ? croyez-vous
que cela ne doive être la source des plus fâcheuses collisions ? Pour moi, j’ai
la conviction intime que dans les cas de ce genre il y aura toujours des luttes
dangereuses et peut-être des malheurs à déplorer.
On a
encore rappelé qu’à ces mêmes élections on avait fait courir un bruit
mensonger, qui certainement ne pouvait pas atteindre l’honorable candidat qui
en était l’objet, mais qui cependant était de nature à entraver son élection.
Que faut-il conclure de là ? Je suppose que les électeurs d’Ath, trompés par la
nouvelle mensongère qu’on avait mise en circulation, eussent élu l’autre
candidat ; eh bien, la chambre n’est-elle pas là ? n’est-elle
pas omnipotente pour valider ou invalider les élections, alors que des
manœuvres frauduleuses auraient pu agir sur les électeurs ?
Mais,
messieurs, il y a encore d’autres faits qui sont également de nature à
compromettre une candidature, et qui cependant ne sont pas tels qu’ils
devraient provoquer l’annulation de l’élection. Je suppose, par exemple, que
dans une ville industrielle comme Gand, où l’opinion d’une réunion douanière
avec la France est fort répandue, un candidat de l’opinion catholique, hostile
à cette réunion, se trouve en concurrence avec un candidat de l’opinion
libérale favorable à cette réunion. (Je sais qu’il y a des catholiques qui ne
sont pas non plus contraires à une réunion douanière.) Eh bien, le premier fera
courir le bruit que son concurrent veut la réunion politique avec la France, et
ce bruit suffira, peut-être, pour faire échouer la candidature libérale. Mais,
messieurs, ce sont là des moyens, des manœuvres qu’on peut, à la rigueur,
justifier en matière d’élections ; des faits semblables ne vicient pas
nécessairement une élection.
Je
suppose encore qu’un candidat du parti catholique fasse courir le bruit que
l’opinion libérale ne veut pas de la religion catholique. Cette imputation
serait très grave, elle serait même odieuse ; mais encore une fois tous ces
faits sont l’accompagnement presqu’inévitable d’une élection. Voyez
l’Angleterre ; des faits de cette nature s’y passent à chaque élection, tout le
monde s’en désole, et ces faits ne continuent pas moins de se reproduire à
chaque nouvelle élection.
Messieurs,
la chambre est omnipotente pour apprécier ces faits. La constitution a voulu
que, sans rendre compte à personne, la chambre pût annuler ou approuver les
élections. C’est à la chambre de voir si les faits qu’on lui dénonce, à
l’occasion d’une élection, ont été de nature à exercer une influence vicieuse
sur l’élection, et si elle reconnaît ce caractère à ces faits, c’est à elle de
ne pas approuver l’élection.
Mais
quand il s’agit d’introduire dans le collège électoral des individus qui n’ont
pas droit d’y entrer, alors surtout que vous avez déjà admis la permanence des
listes, je dis que vous détruisez la représentation nationale, je dis qu’il
importe que le gouvernement prenne à cet égard des mesures promptes et
efficaces.
Puisque
j’ai la parole, je me permettrai de faire une interpellation à M. le ministre
de l’intérieur, et je la ferai avec d’autant plus de confiance que cela se
rattache aux élections.
Lors de
la vérification des dernières élections, on avait déjà dénoncé dans cette
enceinte la grande quantité d’individus qui s’étaient introduits illégalement
dans le collège électoral. M. le ministre de l’intérieur nous avait promis
qu’il donnerait des instructions aux autorités provinciales et communales à
l’effet de faire cesser cet abus. Je me suis adressé à plusieurs
administrations communales pour demander si elles avaient reçu des instructions
du gouvernement, comme conséquences des promesses de M. le ministre de
l’intérieur. Grand a été mon étonnement d’apprendre que,
jusqu’ici, le gouvernement n’avait transmis aux administrations aucune
instruction quelconque ; de sorte que les choses sont encore aujourd’hui dans
l’état où elles étaient, il y a un an. Je voudrais que M. le ministre de
l’intérieur, fidèle à ses promesses, voulût tenir la main à ce que les listes
électorales fussent tenues avec plus de régularité.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Nothomb) - Messieurs, il est très vrai qu’à l’ouverture de
la dernière session, on a discuté dans cette chambre la question de savoir
jusqu’à quel point les listes électorales étaient permanentes ou non ; j’ai dit
que la chambre ayant déclaré que les listes étaient permanentes, il importait
d’appeler l’attention des administrations chargées de dresser les listes sur
les conséquences de ce principe. C’est tout ce que j’ai pu promettre, je ne
pouvais pas m’engager à faire davantage. Je dois répéter ce que j’ai eu
l’honneur de dire alors, ce que j’ai encore dit tout à l’heure, on se trompe
sur l’action du gouvernement, en ce qui concerne les listes électorales ; cette
action est à peu près nulle. Tout ce que le gouvernement peut faire, c’est de
procéder par voie de conseil, par voie d’avertissement, c’est de signaler, par
exemple, l’importance du principe de la permanence des listes. (Interruption.)
On me dit
que le gouvernement peut aussi procéder par voie d’enquête. Je le sais, le
gouvernement peut recueillir dans le pays les renseignements dont il croit
avoir besoin, pour présenter, par exemple, de nouvelles mesures législatives à
la chambre. C’est ce que je me propose de faire ; il y a déjà plus d’un an que
j’ai songé à soumettre aux délibérations de la législature une loi sur les
fraudes électorales.
Je me félicite
de nouveau de cette discussion ; les esprits sont préparés, et je ferai mon
possible pour que la chambre soit saisie de cette loi dans le plus bref délai.
L’action
du gouvernement, je ne puis assez le répéter, est extrêmement restreinte en
matière d’élection. Voici, par exemple, des choses qui ont été signalées au
gouvernement ; il s’introduit dans les bureaux des personnes qui ne sont pas
électeurs ; eh bien, le gouvernement a engagé ceux qui président les bureaux
électoraux à prendre les mesures nécessaires pour que les personnes qui ne sont
pas électeurs ne s’introduisent pas dans les bureaux. Le gouvernement, encore
une fois, ne peut procéder que par voie de conseil.
Voici
encore un autre fait qui a été signalé : Dans une ville où il y a plusieurs
milliers d’électeurs, on réunit tous les électeurs, quoique partagés en
plusieurs bureaux, au même hôtel-de-ville, par exemple, d’où il résulte un
encombrement de monde et un véritable désordre. Le
gouvernement a engagé les autorités qui président les élections à répartir les
électeurs dans les différents locaux qui peuvent exister dans cette ville et à
faire en sorte d’éviter une agglomération d’électeurs. Encore une fois, le
gouvernement ne peut procéder que par voie de conseil. Ce sont là des mesures qui
tombent le plus souvent dans le domaine de la police locale.
M. Demonceau. -
Messieurs, nous paraissons tous d’accord au fond, c’est-à-dire, que nous
voulons la sincérité de la représentation nationale ; je ne comprends donc pas
comment l’honorable M. Delehaye semble faire des reproches à ceux qui ne
partagent pas son avis, qui défendent un système contraire au sien. Je
comprends encore moins l’honorable M. Savart, quand il vient dire : Prenez
garde, ne dites pas que c’est l’argent qui fait l’électeur, car si vous dites
que c’est l’argent qui fait l’électeur, vous allez amener les populations
contre les riches. Je demanderai à l’honorable membre s’il veut ou non la
constitution. C’est la constitution, article 47, qui dit que l’argent fait
l’électeur. Il est bien vrai, et c’est une chose qu’on semble ignorer, que la
constitution déclare que toute puissance émane du peuple ; mais à côté de cette
déclaration, que tous les pouvoirs émanent du peuple, vous avez mis des
restrictions, entre autres, celle-ci : Vous avez dit au peuple, bien que toute
puissance émane de lui, qu’il ne serait électeur qu’autant qu’il aurait de
l’argent. C’est la constitution qui dit cela, ce n’est pas nous.
Examinons
donc la véritable question légale, voyons si la loi autorise les abus dont on
se plaint ; si elle les autorise, unissons-nous pour les réformer. Mais
puisqu’on parle tant d’abus, je saisirai cette occasion pour déclarer, de la
manière la plus formelle, qu’il n’est pas à ma connaissance que ces abus qu’on
signalerait eusssent lieu dans le district que j’ai
l’honneur de représenter, je n’ai pas entendu dire que, dans le district que
j’habite, l’on cherche ou l’on ait cherché à créer des électeurs par les moyens
supposés. Je sais au contraire que, dans ce district, il y a des
administrations communales qui, adoptant franchement et sincèrement
l’interprétation donnée à la loi électorale par la cour de cassation, ne
portent sur la liste électorale que ceux qui paient le cens en principal et
additionnels au profit de l’Etat, sans compter les centimes additionnels payés
au profit de la province et de la commune, quoiqu’elles aient été conviées à
suivre ce système.
L’honorable
M. Savart nous dit : La preuve de la capacité électorale, c’est l’intérêt, la preuve
de l’intérêt, c’est l’impôt. Moi, j’ajoute : La preuve de l’impôt, c’est la
quittance du paiement de l’impôt ; et avec votre système, tel que vous l’avez
aujourd’hui, avec la législation telle qu’elle est, je ne comprendrais pas
qu’il fût possible à une administration quelconque de refuser au contribuable
qui produit sa quittance le droit d’être porté sur la liste électorale. Ici, je
suis en désaccord complet avec l’honorable M. Fleussu. Je laisse à toutes les
administrations leur indépendance, mais je n’aime pas l’arbitraire.
Je le
déclare, si l’opinion de M. Fleussu pouvait prévaloir, il en résulterait que
les députations provinciales feraient et déferaient les électeurs.
Je
m’explique. Je suppose que je présente à la députation du conseil provincial la
quittance attestant que je paie l’impôt, et que la députation déclare dans une
décision qui doit être motivée qu’un tel qui s’est présenté pour être inscrit
sur la liste des électeurs n’a pas justifié suffisamment qu’il payait le cens,
où pourrai-je recourir ? Sera-ce en cassation ? Mais je le demande, pourrai-je
obtenir la réformation de cette décision ? A la cour de cassation, serai-je
admis à prouver, au moyen de la quittance dont je suis porteur, que je suis
électeur ? Non, la cour dira que c’est mal jugé, mais elle ne cassera pas la
décision pour cela. Elle dira : je ne suis appelée à réformer les décisions
qu’autant qu’il y a eu violation de la loi ; la décision que vous me présentez
est une décision en fait, cela ne me concerne pas, et ici je crois être en
désaccord avec l’honorable M. de Theux qui semble croire qu’avec la législation
actuelle il y aurait possibilité d’obtenir de la cour de cassation la
réformation d’une décision de la députation portant refus d’inscription, parce
qu’il n’y aurait pas eu justification suffisante d’un paiement d’impôt égal à
celui du cens requis par la loi.
Je
comprends donc qu’avec la législation, telle qu’elle existe, il peut y avoir
lieu à fraude, mais je ne comprends pas mes honorables collègues qui se
plaignent aujourd’hui si amèrement du système admis par le congrès ; c’est là,
permettez-moi de vous le dire, faire le procès à tous les systèmes en vigueur
dans les pays constitutionnels. Voyez en France, il ne faut pas payer seulement
pour être électeur, il faut payer encore pour être éligible. L’honorable M.
Lebeau, qui connaît si bien la législation française, n’y trouverait-il pas
quelques actes de nature à autoriser des réclamations semblables à celles qui
résultent des abus qu’on signale ? Combien n’avons-nous pas vu d’actes faits
pour donner la qualité d’éligible à des hommes qui ne l’avaient pas ? N’a-t-on
pas vu des personnes se cotiser pour faire acheter une propriété par un
individu, afin qu’il puisse être élu, afin de justifier du cens pour être
éligible. C’était un abus.
Croyez-vous
qu’un pareil système ne puisse pas se présenter eu Belgique ? ne faut-il pas payer un cens pour pouvoir être sénateur ? La
constitution ne dit-elle par encore, art. 56, qu’on ne pourra être élu et
rester sénateur qu’autant qu’on paiera tel impôt ? Eh bien, je pourrais citer
de ces actes passés dans le but de maintenir des sénateurs a
leur poste.
Il ne
faut pas juger d’un ensemble par des abus isolés. Si la législation est
mauvaise, changeons-la. Quelques-uns de nos honorables collègues paraissent
désirer des réformes, parce que les campagnes dominent les villes. Je ferai
observer que c’est plutôt dans les villes qu’on peut obtenir des patentes pour
des professions qu’on n’exerce pas ; qu’on peut aussi y trouver plus facilement
des moyens de frauder, et si une enquête a lieu, vous verrez qu’il sera
constaté que c’est autant dans les villes que dans les campagnes que ces abus
peuvent se commettre.
L’honorable
M. Lebeau a parlé de réforme électorale plus complète ; pour moi, je ne reculerai
pas devant une réforme électorale ; mais voici comment je la voudrais, comment
je la désire de tout mon cœur, si toutefois la chose est possible ; je voudrais
que les populations fussent représentées en proportion de leur nombre, je
voudrais autant de districts électoraux (comme cela existe en France) qu’il y
aurait de députés à élire ; qu’on fixe alors le nombre des électeurs à volonté,
qu’on allât même au suffrage universel ; je ne le crains pas. Mais ce que je ne
désire pas, ce que je ne veux pas, c’est que les campagnes dominent les villes,
non plus que les villes dominent les campagnes. Eh bien, je le répète, il y a
un moyen facile d’arriver à un résultat avantageux pour tout le pays, c’est que
les populations soient représentés en raison de leur nombre. La constitution
dit qu’il y aura un représentant par 40 mille habitants. Faites autant de
districts électoraux qu’il y a de fois 40 mille habitants. Voilà de l’équité,
voilà un moyen pour que le pays soit équitablement représenté.
Si vous
voulez sincèrement la constitution, c’est ainsi qu’elle s’explique ; elle veut
que le pays soit représenté en raison de sa population ; ce serait donc
exécuter loyalement l’esprit et le texte de la constitution que d’adopter le
système que je voudrais voir prévaloir. Formez des districts électoraux tels
qu’ils devraient être formés, vous éviterez toutes ces fraudes, et vous ne
pourrez plus dire que les campagnes dominent les villes ; vous aurez un système
en harmonie avec tous les principes qui servent de base à la constitution.
Dans la
situation où nous nous trouvons, que pouvons-nous faire ? Je n’en sais rien, je
l’avoue, car au moyen de quelques francs ajoutés à la cote de l’année courante,
je reconnais qu’on peut créer des électeurs pour l’année prochaine. Quel moyen
avez-vous de l’empêcher ? Dites-nous par quels moyens on peut le faire, je
prêterai bien volontiers les mains à toute mesure qui aura pour résultat
d’empêcher cela. Je vous ai cité un fait palpable. C’est qu’en ce moment il y a
désaccord entre une députation de conseil provincial et la cour de cassation.
La cour de cassation veut que, pour avoir le droit de prendre part aux
élections des chambres, on paie non seulement le cens pendant l’année, mais
encore qu’on justifie de l’avoir payé pendant l’année précédente. Le contraire
est décidé dans une de vos provinces. Qu’en adviendra-t-il ? L’on procède au
mois d’avril à la révision des listes électorales dans cette province. Eh bien
! je suppose que des autorités communales décident que les contribuables ne
peuvent pas être portés sur les listes, parce qu’ils n’ont pas payé le cens
pendant cette année, ils appelleront à la députation qui peut-être décidera que
ces contribuables ont le droit d’être placés sur les listes ; il y aura sans
doute recours à la cour de cassation, mais en attendant, le fait reste debout ;
l’électeur reste sur la liste, les élections ont lieu, et cet électeur, que
vous dites faux parce qu’il y a fausse interprétation de la loi, prendra
néanmoins part aux opérations électorales. De même un véritable électeur peut
être éloigné, il ne sera pas inscrit, il recourra en cassation, mais en
attendant l’élection se fait, et il ne peut y prendre part.
Voilà le
danger que j’ai signalé, et je le répète, c’est là le véritable danger, car
pendant le recours en cassation l’électeur indûment inscrit prend part à
l’élection, et celui qui a été indûment écarté n’y prend pas part. C’est là que
le fait est substitut au droit.
Ne croyez
pas cependant que je trouve que la députation à laquelle je fais allusion ait
mal interprété la loi, il peut se faire que la cour de cassation se soit
trompée. Mais encore une fois, elle n’est pas la question. La question est de
savoir lequel des deux systèmes devrait être adopté et mis en application dans
nos provinces.
L’honorable
M. Savart a invoqué l’autorité d’un magistrat pour l’opinion duquel je professe
beaucoup de respect. Mais je lui dirai que, dans un recueil que j’ai lu à
l’instant, j’ai vu attribuer à un autre magistrat, qui avait aussi sa
réputation (M. Plaisant, procureur général à la cour de cassation), une opinion
qui se rapproche beaucoup de celle de la députation permanente aux décisions de
laquelle j’ai fait allusion. Vous pouvez le vérifier dans la loi électorale
annotée, qui se trouve dans le Dictionnaire
de législation usuelle, ouvrage qui est sans doute entre les mains de tous
les bourgmestres, et qui doit leur être d’une grande utilité. Je conjure mes
honorables collègues d’en prendre connaissance ; ils verront qu’on attribue à
M. Plaisant une opinion qui paraît contraire à celle de la cour de cassation,
au moins en tant que la question se rapporte aux élections pour la chambre ;
car le décret de 1831 diffère entièrement de la loi communale.
Lisez
attentivement les articles 3 et 4 de ce décret ; vous trouvez (art. 3) que les
contributions ne sont comptées à l’électeur que pour autant qu’il a été imposé
en patente pour l’année antérieure, sans parler du cens ; l’art. 4, au
contraire, ne demande autre chose que la justification du payement du cens pour
l’année où se fait l’élection.
Ainsi,
d’une part, on se contente que l’électeur ait été imposé seulement ; d’autre part, on ne demande que la justification
d’un payement égal au cens voulu pour l’année où se fait l’élection. Ne peut-on
donc pas dire avec quelque fondement que, pour être admis à exercer le droit
électoral, il suffit d’avoir été imposé l’année précédente, sans qu’il soit
besoin de rapporter la quittance d’avoir payé une somme égale à celle fixée
pour l’exercice de ce droit ? C’est l’interprétation que l’on donne au décret
dans la province à laquelle je fais allusion. La cour de cassation, au
contraire se fondant sur la discussion de la loi communale, dit que le décret
doit être interprété autrement, et si vous croyez devoir consulter cet arrêt,
il se trouve dans le volume de 1842, 8ème cahier.
Quant à
la jurisprudence des cours de France, je crois avoir vu naguère dans le Journal des Débats un arrêt qui avait
quelque rapport avec celui de la cour de cassation de Belgique. Je crois me
souvenir que les considérants de cet arrêt étaient plutôt en faveur du système
de la députation permanente, que de celui de la cour de cassation.
Ainsi,
pour me résumer, je vous dirai que d’après le système actuellement en vigueur,
voici comment je comprends la loi. C’est l’argent qui, outre les autres
qualités voulues par la loi, fait l’électeur ; et si vous ne laissez pas au
fait matériel de la quittance toute son autorité, il en résultera
que ce sera l’autorité que vous appelez à faire les listes qui fera les électeurs
; voulez-vous éviter toutes fraudes, proposez-nous les moyens de les empêcher
et pour mon compte je ne balancerai pas d’adopter toutes mesures propres à
atteindre le but que tous nous devons désirer.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Nothomb) - Quelques réflexions qui vous ont été présentées,
me font un devoir d’ajouter un mot. Je me suis engagé à proposer un projet de
loi sur les fraudes électorales. Si la présentation de ce projet de loi pouvait
devenir l’occasion ou le prétexte d’une réforme électorale, je retirerais cet
engagement. Je repousserais la réforme électorale, de quelque part qu’elle
vînt, et n’importe au profit de quelle opinion. (Approbation générale.)
Je me repentirais d’avoir présenté le projet que j’ai annoncé, s’il
pouvait donner lieu à cette discussion.
M. Devaux. - M.
Demonceau nous a mis dans cette alternative : Acceptez la fraude, en maintenant
la loi actuelle qui la tolère, ou acceptez une réforme électorale dans le sens
du fractionnement des communes. C’est ce qu’a senti M. le ministre de
l’intérieur ; c’est pour cela qu’il a fait la déclaration que vous venez
d’entendre. (Dénégation
de la part de M. Demonceau.) Vous avez déclaré que vous désiriez de toutes
vos forces, de tout votre cœur, cette réforme électorale. Vous nous avez fait
entrevoir, si nous ne voulions pas légaliser la fraude, des changements dans la
circonscription électorale. Ou acceptez les fraudes électorales avec la loi
actuelle, ou acceptez le fractionnement des collèges électoraux ; voilà la
portée que nous devons donner à votre discours.
M. Demonceau. - Je
proteste de toutes les forces de mon âme contre l’interprétation de l’honorable
M. Devaux. Je n’ai rien dit de semblable. Non, je ne veux pas légaliser la
fraude ; non, je ne la tolère pas, de quelque part qu’elle vienne. J’ai déclaré
que je consentirai à une reforme électorale, si on la
voulait, mais j’ai ajouté que je ne voulais pas de réforme électorale telle que
ces messieurs l’entendent. C’est vous qui voulez faire dominer davantage les
électeurs des villes sur ceux des campagnes ; vous dites que les électeurs des
villes sont seuls capables ; vous dites que les villes sont les foyers de la
lumière ; moi, je dis, que les électeurs des campagnes sont capables aussi, je
ne conteste à personne sa capacité, et par suite ses droits.
M. Devaux. - Je
n’ai jamais fait ici que défendre les lois électorales contre des attaques
insensées. Mais j’ai le droit de dire que tout le discours de M. Demonceau n’a
d’autre sens que de soutenir que la fraude est légalisée par la législation
actuelle. M. Demonceau a prétendu, la loi à la main, que la fraude est légale,
qu’on n’avait pas le droit de rectifier la liste, que tout homme qui a payé le cens, ne possédât-il pas la moindre
propriété, doit être porté sur la liste électorale, et que personne n’y peut
rien en vertu de la loi. Il a donc ainsi, je le répète, légalisé la fraude ; et
il nous a mis dans l’alternative d’admettre cette fraude en maintenant la loi
ou d’admettre un changement radical à la loi électorale. C’est le sens naturel
de son discours, et les paroles du ministre prouvent que nous ne sommes pas
seuls à le comprendre ainsi.
M. Demonceau. - Je
n’ai rien dit de ce que me prête l’honorable préopinant. Non, je n’ai pas voulu
légaliser la fraude. Dans mon interprétation de la législation actuelle, je
suis d’accord avec un homme aussi sincère que moi, l’honorable M. d’Huart.
Relisez son discours, reproduit en partie par M. le ministre de l’intérieur ;
vous verrez que je n’ai fait que répéter ce qu’a dit
l’honorable M. d’Huart ; j’ai dit que, si vous ne changez pas la loi, vous ne
pouvez empêcher ce que l’on dit se faire aujourd’hui. Mais je le répète, je
n’admets pas que les abus soient aussi graves et aussi communs qu’on semble le
croire.
M. de Theux - Je
crois qu’ici il ne faut pas chercher à dénaturer les intentions au moyen de
subtilités.
L’honorable
M. Demonceau a dit que, d’après la loi telle qu’elle existe aujourd’hui, chacun
est libre d’augmenter la base d’après laquelle il paye l’impôt, et qu’en
agissant ainsi il n’enfreint pas la loi. Il a ajouté que peut-être, à raison de
cela, il y aurait lieu de modifier la loi.
Plusieurs membres. - Dans
quel sens ?
M. de Theux. - Il a
agité une autre question, celle de savoir si l’on n’obtiendrait pas une
représentation plus sincère, en fractionnant les collèges électoraux ; mais il
n’a pas subordonné la modification de la législation, en ce qui concerne la
fraude, à l’adoption du système du fractionnement
Ainsi,
nous pourrions opposer à nos contradicteurs qu’ils ont demandé l’élévation du
celles des campagnes, ou l’abaissement du cens des villes.
M. Devaux. - Moi !
M. de Theux. - Non
pas vous, mais d’autres. Pourrions-nous, avec justice, imputer à ces honorables
membres de vouloir repousser toute modification à la loi, tendant à porter
remède aux abus qui ont été signalés, à moins qu’on n’adopte l’abaissement du
cens des villes, ou l’élévation du cens des campagnes.
Evidemment,
ii y aurait là injustice. On a pu soutenir ou combattre cette opinion ; mais on
ne peut l’imputer à mauvaise intention. On ne peut non plus imputer à mauvaise
intention l’opinion que l’on pourrait adopter une circonscription électorale
telle qu’il y aurait, comme en France, autant de collèges électoraux que de
députés à élire. Ce sont des opinions que l’on peut avoir de bonne foi.
Du reste, je déclare avec M. le ministre de l’intérieur, que si l’on
propose des modifications à faire à la loi, pour obvier aux abus qui ont été
signalés, je ne saisirai pas cette occasion pour proposer des modifications à
notre système électoral ; je ne demanderai pas que l’on change la
circonscription électorale.
M. Mercier. -
Messieurs, j’ai signalé à la chambre des fraudes qui tendent à vicier notre
régime constitutionnel. Ces fraudes ne consistent pas seulement en ce que des
individus déclarent des bases d’impôts qu’ils ne possèdent pas, mais en ce que
des personnes plus blâmables encore paient des contributions au nom d’autres
individus, pour en faire des électeurs soumis à leur volonté, des électeurs
dont le cens n’est que fictif. Ce sont là des fraudes réelles, ce sont des
actes d’une profonde immoralité, des actes que tout le monde doit flétrir. Eh
bien ! ce que nous demandons, c’est le moyen de
prévenir ces fraudes et leurs conséquences.
Maintenant
je ne puis le taire ; je déplore, comme plusieurs de mes honorables collègues,
qu’à cette occasion on vienne nous entretenir, non pas des moyens de réprimer
des abus bien constatés, mais de réforme électorale. Et qui donc parmi nous
demande une réforme électorale ? Je n’ai entendu émettre ce vœu par personne.
Je
déclare toutefois que je suis satisfait des explications qui viennent de nous
être données par l’honorable M. de Theux.
- La séance
est levée à 4 heures trois quarts.