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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 février 1843

(Moniteur belge n°54, du 23 février 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; La réduction en est approuvé.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des fabricants, usiniers et batteurs de cuivre, de Liège, demandent que le droit d’entrée sur les cuivres ouvrés soit fixé à 25 fr. par 100 kilog. »

- Sur la proposition de M. Fleussu, renvoi à la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les droits d’entrée, avec demande d’un rapport avant la discussion du projet de loi.


Il est fait hommage à la chambre de l’ouvrage ci-après : Traité théorique et pratique du droit électoral, appliqué aux élections communales par M. C. DELCOUR, professeur de droit public et administratif à l’université catholique de Louvain ; 1 vol., in-8°, Louvain, 1842.

- Dépôt à la bibliothèque.

Rapport sur une pétition

M. Delfosse (pour une motion d’ordre). - On nous a distribué, hier soir, le rapport présenté par l’honorable M. Zoude sur la pétition des anciens fonctionnaires belges qui ont perdu leur emploi par suite des événements de 1830.

Je lis au bas de la première page de ce rapport, que la commission des pétitions est composée de MM. de Garcia, Delfosse, etc.

Il est bien vrai que je fais partie de la commission des pétitions, nommée en janvier, mais depuis que j’en fais partie, je n’ai pas reçu une seule convocation, et je tiens à déclarer que je n’ai pris aucune part au rapport de l’honorable M. Zoude.

M. Zoude. - Je ne suis pas responsable des convocations qui n’arrivent pas. J’ai mis les noms des membres qui ont été convoqués.

Projet de loi sur les sucres

Discussion générale

M. de Foere. - Messieurs, on s’est livré, de part et d’autre, à de déplorables exagérations ; on a émis, de part et d’autre, aussi de fausses appréciations des faits. En cherchant à les réduire à leur juste valeur, je ne discuterai pas la question sous tous ses rapports. Je me renfermerai dans la question commerciale, et à cet égard je vous dirai contre les membres qui défendent mon opinion toute la vérité. La vérité seule peut être utile au pays ; nous nous la devons au pays et à la chambre.

Chaque fois que la question des sucres a été discutée dans cette chambre, le commerce du sucre exotique et les raffineurs de ce sucre ont prodigieusement exagéré les résultats que ce commerce et ce raffinage produisent, sous le rapport de l’exportation de notre industrie. Leurs adversaires, les raffineurs de sucre indigène, sont arrivés, armés de chiffres officiels, et ont détruit radicalement l’édifice que les premiers avaient érigé.

Je sais très bien que le calcul des raffineurs de sucre de betterave et également inexact. Ils ont négligé, dans le chiffre de nos exportations aux colonies, les marchandises que nous y envoyons obliquement par le Havre, Londres, Rotterdam et Hambourg. Le chiffre de nos exportations doit donc s’accroître de la masse de ces importations. Aussi ils ont faussement apprécié l’importation des matières premières des colonies, en ce qu’elles accroissent de valeur dans le pays, par la fabrication, et qu’elles sont d’une nécessité indispensable. Mais quelle que soit l’inexactitude de leur calcul, la différence n’est pas de nature à infirmer les conséquences qu’ils ont tirée de l’opinion commerciale de leurs adversaires sur nos exportations dans les pays d’outre-mer. Ils n’en ont même pas tiré tous les avantages que leur présentait la question, telle qu’elle a été posée par les négociants en sucre exotique et par les raffineurs de ce sucre. Ces derniers ont constamment exalté, outre mesure, les résultats de ce commerce. Je le prouverai par des faits incontestés, et contre des faits de cette nature, le raisonnement contradictoire est impossible.

De 1838 à 1841, notre navigation n’a importé des lieux de production que 10,396,921 kil. de sucre brut. Pendant les quatre mêmes années, la navigation étrangère en a importé 42.621,854. La navigation nationale n’a pris dans ce mouvement qu’une part minime de 20 p. c. ; tandis que la part de la navigation étrangère a été de 80 p. c.

Pendant les mêmes années, notre navigation a importé des entrepôts d’Europe 24,712,975 kil. de sucre le canne ; la navigation étrangère n’en a importé que 226,917. Ici notre part moyenne de notre tonnage est de 98 p. c. ; celle de l’étranger n’est que de 2 pour cent. Quelle est la cause de cette différence ? La section centrale vous l’a dit, c’est que la différence entre l’importation des lieux de production par pavillon national et par pavillon étranger est insuffisante. C’est la raison pour laquelle les importations de la navigation étrangère dépassent de 80 p. celles de la navigation nationale. Mais l’inverse s’est établi par rapport aux entrepôts, parce que la différence des droits d’importation en faveur de notre pavillon est suffisante.

Maintenant, pourquoi n’avons-nous pas exporté dans une proportion plus grande et dans les lieux de production. En voici la raison. Puisqu’il faut encore vous prouver qu’il est indispensable d’employer votre propre navigation pour exporter avantageusement vos propres produits, alors que tous les faits de l’histoire de toutes les nations commerciales l’ont déjà prouvé à toute évidence, voici la preuve de cette assertion. Elle résulte des chiffres officiels de votre propre navigation commerciale comparée à la navigation étrangère :

En 1840, 435 navires belges d’une capacité de 62,742 tonneaux ont exporté 31,809 tonneaux ; par conséquent, un tonnage moyen de 73 tonneaux par navire ; et, pendant la même année, 1,332 navires étrangers d’un tonnage de 173,298 tonneaux, n’en ont exporté que 34,198, c’est-à-dire en moyenne 26 tonneaux par navire. N’est-ce pas la preuve la plus évidente, basée sur des faits incontestés, qu’il faut pour exporter employer votre propre navigation, et, par conséquent, qu’il faut la protéger efficacement ?

Je ne dirai pas que la section centrale a été partiale, parce que ce terme implique toujours le sens de mauvaise foi.

Mais je dirai qu’elle a négligé plusieurs faits et mal apprécié plusieurs autres qu’elle a produits dans son rapport. D’après ses propres aveux, l’importation des sucres bruts a donné lieu à des importations. Elle apprécie plus exactement l’importance des exportations auxquelles l’importation de sucre brut a donné lieu. Elle entre dans les détails et a voyagé avec les raffineurs de sucre exotique, des Indes orientales aux Indes occidentales, pour venir s’abattre ensuite sur les entrepôts d’Europe. Faut-il s’étonner que l’exportation de nos produits n’ait pas donné lieu à plus d’importations ? Dans la position dans laquelle la section centrale elle-même a reconnu que des avantages de protection efficace n’étaient pas accordés à la navigation nationale du pays, il faut, messieurs, s’étonner qu’il y ait eu autant d’exportations.

Ensuite, messieurs, je vous demanderai qu’elle est la matière qui a donné lieu à plus d’exportations ; citez m’en une dans tous les articles commerciaux que l’on met en mouvement, soit pour l’importation, soit pour l’exportation.

D’un autre côté, messieurs, la section centrale n’a pas assez apprécié tous les obstacles qui jusqu’à présent se sont opposés à des échanges plus étendus contre les sucres bruts. Notre industrie était-elle assez avancée ? Dans la situation de notre législation maritime, le commerce national n’a-t-il pu lutter contre les importations coloniales avec le commerce étranger ? La section centrale a-t-elle tenu compte des nombreuses difficultés que notre industrie et notre commerce maritime ont dû surmonter en présence de l’incertitude de notre position politique ? L’exaltation d’esprit qui a excité à la création de nombreux établissements d’industrie et à une production prodigieuse a-t-elle été prise en considération ? N’a-t-il pas fallu attendre le calme et établir le niveau entre la production et les moyens de placement ? Ne faut-il pas à notre industrie quelques années d’expérience pour employer les procédés les plus économiques et pour améliorer ses fabricats, de manière à pouvoir rivaliser contre les fabricats similaires de l’étranger sur les marchés des colonies ? Notre législation maritime n’a-telle pas été elle-même, en grande partie, un obstacle aux exportations de nos produits qui déjà réunissaient les conditions d’exportation ?

La section centrale elle-même, messieurs, et je lui rends grâce de son impartialité, sous ce rapport, sans entrer dans le fond de la question, reconnaît cette dernière vérité. Voici ce qu’elle dit sous le rapport des importations des lieux de production, à la page 39 de son premier rapport : « La surtaxe, dit-elle, est insuffisante pour encourager les voyages de long cours, ainsi que l’expérience l’a prouvé » ; et, à la même page, elle dit, relativement aux importations des entrepôts européens : « Le droit différentiel actuel ne remplit qu’en partie le but que l’on s’est ordinairement proposé par la création de droits différentiels, parce qu’il n’est établi qu’en faveur du pavillon national, sans distinction des lieux de provenances des marchandises importées. » Vérité heureusement aujourd’hui généralement reconnue et défaut de législation qui nous a fait importer au-delà de 24 millions de sucre raffiné des entrepôts d’Europe, contre lesquels vous n’avez pu échanger aucun fabricat du pays, parce que les tarifs prohibitifs de l’Angleterre, de la France et des autres peuples européens, où vous alliez chercher vos sucres, vous opposent un obstacle à tout échange contre vos fabricats.

La section centrale reconnaît que l’importation des sucres bruts a donné lieu à quelques exportations. Elle explore en premier lieu les Antilles espagnoles, Cuba et Porto-Rico, et elle convient même qu’en 1840 la différence à notre préjudice n’a pas été très considérable, Mais elle passe sous silence une considération qui est ici péremptoire, c’est qu’il est impossible d’établir une balance égale entre une population telle que celle des Antilles espagnoles, de Cuba et de Porto-Rico, qui ne comprend qu’un million et demi d’habitants ou de consommateurs ; et la Belgique qui en a quatre millions, et surtout lorsque nous avons à lutter dans ces colonies, comme dans toutes les autres, contre le commerce étranger, qui envoie dans ces contrées des produits semblables à ceux que nous y exportons. C’est là, messieurs, une considération importante que la section centrale a négligée.

Il en est de même pour le Brésil ; on ne peut comparer ce pays ni pour la population, et par conséquent pour la consommation, ni pour le luxe, à la Belgique, et par conséquent l’équilibre entre les importations et les exportations ne peut être établi, d’autant plus que sur ce marché encore vous avez à lutter contre le commerce des autres nations.

Quant à Java, c’est une colonie dépendante qui a à suivre les lois rigoureuses de la mère-patrie et où notre concurrence pour les produits similaires est à peu près impossible.

Dans les Philippines, les exportations ont été faites par navires étrangers.

Quant aux exportations de sucres raffinés dans le Nord et dans le Levant, la section centrale convient aussi qu’ils ont donné lieu à d’autres exportations des articles du pays ; mais elle a négligé d’entrer dans le calcul des valeurs qui ont été récupérées en raffinant le sucre exotique et en le réexportant.

Nous dépensons, messieurs, annuellement à peu près 14 millions de francs pour le sucre exotique des colonies ; mais nous exportons dans le Nord et dans le Levant pour à peu près 12 millions de francs. Dans ces contrées l’excédant de la dépense pour achat de sucres exotiques n’est ainsi que de 2 millions. C’est donc dans la balance commerciale, une réduction qui est très considérable ; et de plus les bénéfices de la main-d’œuvre sont restés dans le pays.

Messieurs, il y a un motif très puissant pour maintenir notre commerce de sucre exotique et protéger ainsi notre commerce maritime, et le voici : Vous savez que le système protecteur sur le continent exclut de plus en plus l’industrie du pays ; et en effet, messieurs, nos exportations sur le continent diminuent chaque année. Déjà notre balance commerciale est considérablement en notre défaveur. Eh bien ! messieurs, quel autre moyen avez-vous pour compenser les pertes que vous faites sur le continent, sinon de chercher des moyens de placement de vos produits dans les contrées d’outre-mer ? Or, si vous faites disparaître les moyens d’échange que vous avez avec ses contrées, l’accroissement de nos exportations restera impossible.

Depuis douze ans, on élève de toutes parts la voix pour obtenir de nouveaux débouchés, et une question de fabrication, une lutte isolée entre deux industries particulières, expose le plus au danger de voir affaiblir considérablement nos moyens d’échanges avec les pays d’outre-mer, moyens qui sont les seuls capables d’augmenter grandement vos débouchés, débouchés qui se restreignent chaque année sur le continent par l’effet du système protecteur qui fait de jour en jour plus de progrès.

Et remarquez, messieurs, que l’extension de votre commerce maritime ne met aucun obstacle à l’accroissement de vos importations sur le continent, si toutefois cet accroissement est possible ; ni à la conclusion des traités de commerce, parce que les traités de commerce avec les pays européens se basent uniquement sur des fabricats européens, dits similaires, sur lesquels on diminue réciproquement les droits d’entrée ; mais les denrées coloniales, messieurs, sont toujours en-dehors de ces traités de commercé. Ainsi en étendant nos débouchés vers les contrées d’outre-mer, vous restez dans toute votre intégrité pour étendre votre commerce avec les pays d Europe, soit an moyen de traités de réciprocité, soit par des avantages industriels.

Messieurs, la nécessité des échanges avec les pays d’outre-mer est une vérité généralement reconnue ; elle est reconnue à tel point que dans l’enquête parlementaire qui a été instituée en 1840, en Angleterre, il a été établi que si l’Angleterre avait pu faire pour sa consommation des retours du Brésil en sucres, les importations dans ce pays d’outre-mer auraient été doublées. L’enquête anglaise porte les exportations de l’Angleterre dans le Brésil de 60 à 70 millions ; mais le commerce de l’Angleterre et la douane du Brésil portent ce chiffre à 120 millions et l’on a établi que si la navigation commerciale de l’Angleterre avait pu prendre en retour du Brésil, des sucres pour la consommation de l’Angleterre, elle aurait doublé ses importations au Brésil. Cette vérité, messieurs, est incontestée en Angleterre. Mais pourquoi le gouvernement anglais s’y oppose-t-il ? C’est parce qu’elle a des colonies à sucres dont elle doit favoriser la production et la consommation. Nous, messieurs, comme je vous le prouverai tantôt, précisément parce que nous n’avons pas de colonies, nous sommes, sous ce rapport, dans une situation beaucoup plus avantageuse. Je ferai donc ici, messieurs, la transition à la question des colonies, qui a servi à la section centrale de moyen d’objection. Elle a trouvé dans la privation des colonies, une raison pour laquelle nous n’avions aucun intérêt de protéger le commerce du sucre ; nous n’avions à protéger aucune production coloniale. Eh bien, messieurs, c’est précisément parce que vous n’avez pas de colonies que vous devez, dans l’intérêt de notre industrie en général qui a déjà pris avec les colonies, au moyen du sucre, quelque extension, c’est précisément, dis-je, la raison pour laquelle il faut maintenir, protéger le commerce du sucre exotique. Si, comme autrefois, toutes les colonies étaient dépendantes d’une mère-patrie, la section centrale aurait raison, car la question serait complètement déplacée ; mais aujourd’hui il existe un grand nombre de colonies indépendantes, avec lesquelles nous pouvons librement commercer et qui offrent l’heureuse circonstance que le commerce peut s’établir, dans ses mouvements, entre des produits dissimilaires. Nous nous trouvons, relativement aux colonies libres, dans cette heureuse situation.

Nous pouvons même nous attendre à l’émancipation d’autres colonies ; car si les Etats-Unis ont pu s’émanciper de la puissance colossale de l’Angleterre ; si Saint-Domingue a pu s’émanciper de la France ; si toute l’Amérique méridionale a pu s’émanciper de l’Espagne, je vous demande quel est l’avenir de beaucoup d’autres colonies qui sont encore aujourd’hui dépendantes ? Si la maison de Bragance n’avait pas établi le siège de sa souveraineté au Brésil, quel serait aujourd’hui le sort de cette immense colonie ?

Eh bien, messieurs sans protéger votre sucre exotique, sans protéger votre propre navigation, vous ne participerez pas, vous ne pourrez pas participer aux avantages que présentent les nombreux échanges commerciaux dans les colonies. La population coloniale, son luxe et sa consommation augmentent tons les ans dans les colonies. Leurs productions augmentent aussi considérablement. Elles donnent, par conséquent, lieu à une progression d’échanges en produits dissimilaires.

Voici maintenant, messieurs, le côté désavantageux pour les mères-patries à l’égard de leurs colonies. Dans quelle situation se trouve l’Angleterre à l’égard des sucres, des cafés et des bois de ses colonies ?

Messieurs, sans nuire considérablement à l’existence de ses colonies, elle ne peut consommer et ne consomme pas une livre de sucre étranger ; elle est obligée de consommer le sucre presqu’au double du prix auquel nous le consommons. il en est de même, messieurs, pour le café, il en est de même pour le bois ; pour protéger son bois du Canada, qui est de beaucoup inférieur en qualité au bois du Nord, elle est obligée d’imposer celui-ci de droits très élevés, afin de protéger la consommation du bois du Canada et de réserver à sa navigation des retours de cette colonie après y avoir exporté ses marchandises. Dans le double intérêt elle se trouve dans cette malheureuse situation de devoir consommer un bois très cher et très inférieur en qualité, contre l’intérêt évident de toutes ses constructions civiles et navales et surtout contre l’intérêt de ces dernières.

Ainsi, messieurs, les puissances à colonies, précisément parce qu’elles ont des colonies, ne peuvent entrer dans aucun traité de réciprocité commerciale avec les autres colonies à sucre, à café et autres. Consommer le sucre étranger, c’est compromettre gravement leurs colonies à sucre ; consommer le café étranger, c’est encore faire péricliter l’existence de leurs colonies à café, et attenter gravement aux intérêts particuliers de la mère-patrie qui y sont engagés.

Mais nous, messieurs, nous pouvons entrer dans des traités de réciprocité commerciale avec les colonies libres et leur dire : « Voulez-vous admettre tel et tel fabricat de notre pays que vous ne produisez pas, que vous ne pouvez pas produire, et dont vous éprouvez un besoin indispensable ? Nous admettrons, de notre côté, vos sucres et vos cafés à un droit de douane inférieur à celui dont nous frappons les produits des autres colonies. Voilà, messieurs, un immense avantage que nous possédons précisément parce que nous n’ayons pas de colonies, parce que nous n’avons aucune possession d’outre-mer à protéger. Nous pouvons entrer dans des traités de réciprocité commerciale dans lesquels ne peuvent entrer ni l’Angleterre, ni la France, ni la Hollande. Le chargé d’affaires du Brésil dans notre pays, m’a affirmé que plusieurs fois il en a fait la proposition à notre gouvernement ; il lui a demandé de réduire les droits sur les sucres et les cafés du Brésil, à condition que le Brésil diminuât, de son côté, les droits dont il frappe telles et telles marchandises que nous fabriquons et que le Brésil ne fabrique pas, ne peut fabriquer et dont cependant il a besoin.

Je vous le demande maintenant, messieurs, lorsque la question des colonies se présente d’une manière aussi avantageuse pour le pays, surtout en ce qui concerne le sucre, je vous le demande, la section centrale a-t-elle été bien fondée en raison lorsqu’elle a tiré un argument contre le sucre exotique de ce que nous n’avons pas de colonies ? Messieurs, vous avez les aveux de la section centrale, que sous les auspices de l’importation du sucre brut et de l’exportation du sucre raffiné, nous avons exporté quelques produits et que nous avons commencé a établir sur plusieurs points des relations commerciales, voudriez-vous maintenant détruire d’avance l’avenir que nous présente l’absence même des colonies, avenir que nous avons déjà commencé à créer en établissant des relations là où lorsque nous étions sous la Hollande, nous n’en avions pas. A cette occasion j’ajouterai qu’une des négligences de la section centrale a été de ne pas avoir comparé les exportations que nous faisons aujourd’hui dans les colonies libres et dans le Levant avec celles que nous faisions dans les mêmes contrées, lorsque nous étions sous la Hollande.

Messieurs, il est malheureux que le débat se trouve rétréci dans le cercle étroit de deux intérêts ou de deux fabrications particulières ; il est malheureux que comme il arrive très souvent dans nos débats contradictoires, la question de l’avenir et d’un très grand avenir, soit sacrifié à la question du moment ; malheureux que deux industries isolées viennent ici dominer une question immense qui embrasse tout l’avenir commercial du pays, alors que l’histoire prouve qu’en dehors de la consommation intérieure, c’est là la seule source de la prospérité industrielle de tout pays. Et vous voudriez, messieurs, déraciner déjà les germes que nous avons commencé à jeter ; vous voudriez détruire les relations que nous avons établies ! je ne puis le croire.

La section centrale a aussi objecté les événements politiques, une guerre maritime.

Eh bien, messieurs, l’éventualité d’un événement politique, l’éventualité d’une guerre continentale qui entraîne très souvent une guerre maritime, est plutôt à notre avantage ; car, dans cette hypothèse, qu’arriverait-il ? Il arriverait ce qui est déjà arrivé pour notre pays dans de semblables situations.

Le pays étant neutre, tout le commerce maritime refluerait sur notre pays. S’il était moral, s’il était juste de désirer une guerre, il faudrait la désirer dans l’intérêt de notre pays.

Les mêmes faits se sont passés lors de la guerre d’indépendance de l’Amérique septentrionale, de l’Angleterre. Les ports voisins étaient bloqués ; le port d’Anvers était fermé par l’odieux traité de Munster ; le commerce maritime s’est reflué sur le port d’Ostende.

Dans cette position, messieurs, vous fourniriez même les sucres tant bruts que raffinés aux pays voisins.

Telle est la conséquence de la neutralité du pays, neutralité que l’Angleterre défendra dans son intérêt contre l’Europe tout entière, par la même raison par laquelle elle a soutenu au congrès de Vienne le rétablissement des villes anséatiques, afin qu’elle eût toujours des débouchés libres sur le continent.

La section centrale a objecté à cet égard des paroles d’un ministre, d’un écrivain, ou d’un député français (je ne me rappelle pas bien la qualité du personnage), qui objecte que l’Angleterre ne respecte pas la neutralité maritime.

Oui, messieurs, il est une chose que l’Angleterre ne respecte pas en fait de neutralité : elle ne veut pas que les ports qui sont bloqués par elle, soient ouverts aux nations neutres : voilà la seule neutralité que l’Angleterre ne respecte pas ; et cette neutralité, la France et d’autres nations belligérantes ne la respectent pas davantage ; mais l’Angleterre, pas plus qu’aucune autre nation, n’exerce aucune violence contre les ports des pays qui sont restés neutres. Le droit public a toujours proclamé le principe que lorsqu’une nation est neutre dans une guerre, elle peut faire le commerce maritime par ses propres navires, et recevoir tous les navires de nations qui ne prennent aucune part dans la guerre.

Messieurs, je ne dirai rien de l’objection que la section centrale a voulu tirer de l’émancipation des esclaves. La section centrale a envisagé cette question sous le rapport religieux et moral, et elle a attribué un semblable mobile à la conduite de l’Angleterre dans la solution de cette question. La discussion de cette opinion m’entraînerait trop loin ; cependant, Je demande à l’honorable rapporteur : Était-ce dans l’intérêt de la liberté politique, dans l’intérêt des institutions libres que l’Angleterre, comme elle l’a prétendu, a protégé et sanctionné l’indépendance de l’Amérique méridionale, immédiatement après la guerre continentale ? Ou bien, était-ce dans son intérêt commercial, afin d’empêcher que son commerce d’exportation ne dût plus être dirigé d’abord vers les ports d’Espagne, et ensuite vers les colonies de cette nation ?

Est-ce aussi, comme le dit l’Angleterre, pour venir au secours du trésor de l’Espagne, que l’Angleterre veut aujourd’hui traiter commercialement avec l’Espagne ? Vous connaissez les prétendus motifs qui président aux négociations de l’Angleterre avec le Portugal.

Est-ce un motif de justice politique qui lui a fait demander formellement au congrès de Vienne l’ancien statu quo des villes anséatiques et qui lui a fait exiger que le chantier d’Anvers ne fût pas un chantier militaire ?

Est-ce aussi par motif de liberté religieuse ou d’humanité que, depuis un siècle et demi, elle traite sa propre population irlandaise en esclave ?

Messieurs, à entendre les honorables orateurs qui ont aussi prôné l’agriculture dans cette circonstance, il faudrait tout subordonner à l’agriculture.

Certes, je ne contesterai pas une vérité, qui n’est guère contestable : l’agriculture a été et sera toujours la première des industries. Mais, messieurs, vouloir par les moyens que l’on propose, réduire, aux dépens du commerce et de l’industrie du pays, vouloir réduire, dis-je, la Belgique à n’être qu’une nation agricole, c’est manifestement faire de la diplomatie anglaise et hollandaise.

En effet, depuis deux siècles l’Angleterre et la Hollande n’ont eu qu’un but qu’elles ont constamment poursuivi, celui de réduire la Belgique à l’état d’un pays agricole. Ce but est encore aujourd’hui celui auquel tend l’Angleterre. Lors des discussions qui ont eu lieu dans le parlement anglais à l’époque du traité du 19 avril, les ministres de la reine d’Angleterre ont soutenu que la Belgique était assez riche de son agriculture, et qu’elle ferait très bien de se borner à son agriculture et fournir à l’Angleterre des matières premières agricoles en échange contre ses fabricats.

Je dis que c’est traiter les intérêts de l’étranger, et non les intérêts nationaux, alors que l’on veut dépouiller la Belgique des moyens de son commerce.

La gloire de la Belgique, nous a dit l’honorable M. de La Coste, c’est notre agriculture...

M. de La Coste. - Je n’ai pas dit cela ; j’ai dit que les assolements étaient une des gloires paisibles de la Belgique.

M. de Foere. - Soit, les assolements sont une des gloires paisibles de la Belgique..., mais dans quelle circonstance, et à quelle occasion l’honorable M. de La Coste vous a-t-il dit cette incontestable vérité ? C’était à l’occasion de l’industrie de betterave. Mais, messieurs, je vous le demande ; est-ce que cette gloire de l’agriculture de la Belgique ne lui était pas acquise avant l’industrie de la betterave ? Est-ce à la production de cette plante que nous la devons ? En poussant le raisonnement de l’honorable M. de La Coste à ses dernières conséquences logiques, il paraîtrait que notre agriculture, avant la betterave, a été l’opprobre du pays.

M. de La Coste. - Je demande la parole.

M. de Foere. - Je sais bien que ce n’est pas là l’intention de l’honorable député de Louvain, et pour cette raison, je renonce à la conséquence.

La section centrale, les honorables MM. de La Coste et Demonceau, ont prôné aussi hautement le travail national. Depuis 12 ans que je siège dans cette chambre, je n’ai fait que soutenir la même cause. J’ai toujours considéré la liberté commerciale comme une véritable chimère, dans l’état actuel des opinions commerciales en Europe.

Si la question était placée en dehors de toute production exotique, si la question n’était que le sucre de betterave du pays et celui de la France ou de l’Allemagne, ces honorables membres auraient parfaitement raison ; mais la question n’est pas une question européenne : elle n’est pas entre des produits européens : la question est pendante entre le travail général du pays, le commerce maritime du pays, d’un côte, et une production particulière du sol, de l’autre.

Il me semble que la section centrale et les honorables membres auraient dû entrer dans une comparaison juste et vraie entre le travail que procure au pays le sucre de betterave et celui que procure, non seulement le raffinage du sucre exotique, mais encore la construction des navires, la navigation, le commerce maritime et le travail national de toutes nos industries qui s’y rattachent étroitement. C’était là la véritable comparaison à faire, mais non entre deux industries qui luttent ici l’une contre l’autre. C’est amoindrir la question, c’est la réduire à des proportions mesquines et, comme je l’ai déjà dit, sacrifier notre avenir commercial, le commerce maritime, source de tant de travail et de prospérité, à des intérêts du moment et à des intérêts isolés.

Enfin, messieurs, l’honorable M. de La Coste a énuméré les protections que déjà nous avons accordées à notre commerce maritime, les sacrifices que le pays a faits dans l’intérêt de ce commerce. Mais l’honorable membre n’a pas tiré de cette énumération tout l’avantage qu’il aurait pu en tirer. Il a appelé à son secours les primes pour constructions navales, que nous avons votées récemment, les droits de péage sur l’Escaut que nous payons pour la navigation étrangère. Mais la construction de notre chemin de fera a eu particulièrement ce but ; les frais de réparation, d’entretien et d’administration, les quatre millions que vous avez jetés dans le chemin de fer rhénan, le sacrifice que vous faites sur le droit de transit, ce sont là des sacrifices que vous faites pour étendre votre commerce maritime. Et maintenant l’honorable M. de La Coste voudrait que ces sacrifices fussent sans effet ! Je sais que telle n’est pas son intention, mais telle serait la conséquence immédiate de son opinion et de l’opinion de ceux qui soutiennent la même thèse que lui. Tous les sacrifices que vous avez faits dans l’intérêt de votre commerce maritime seraient, en grande partie, des sacrifices sans compensation.

C’est précisément parce que vous avez fait ces sacrifices qu’il faut, sous les autres rapports, continuer à protéger votre commerce maritime, sans cela votre chemin de fer, l’ouverture de l’Escaut pour laquelle vous avez sacrifié des millions à la Hollande, tout cela ne profitera qu’à l’étranger. Ce seront les étrangers qui feront chez nous le commerce. C’est à eux que profiteront les sacrifices que vous aurez faits ; et vous, vous aurez, quoi ? le misérable commerce de commission et de consignation, non pas que ce commerce ne soit pas avantageux et nécessaire au pays ; mais je crois être fondé en raison, lorsque je l’appelle misérable, si le pays était borné à ce commerce et qu’il ne pût, en même temps, exercer le commerce actif d’échanges au moyen de sa propre navigation.

Je bornerai là mes observations. J’aurais pu entrer dans une foule d’autres considérations que je crois importantes ; mais je terminerai en vous disant que je voterai pour les mesures qui seront les plus favorables à l’extension de notre commerce maritime, que dans l’intérêt du pays, je ne veux pas qu’on sacrifie à des intérêts particuliers.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, l’honorable M. Smits, aujourd’hui ministre des finances, nous disait, en décembre 1837 : L’idée qui a présidée à la législation actuelle est mercantile et non fiscale.

L’honorable M. d’Huart, alors ministre des finances, nous avouait, avec cette franche loyauté que nous estimons tant en lui, que cette législation constituait une prime exorbitante (je puis dire ce mot), qu’il voulait la diminuer ; il avouait que cette législation était un abus, qu’il fallait extirper petit à petit. Ce sont ses propres paroles.

Il a cinq ans que ces paroles ont été prononcées, et les intérêts qui soutiennent ces abus sont si puissants, que, loin de les avoir vu diminuer petit à petit depuis 1837, ils sont aussi entiers qu’à cette époque.

Quelle est l’idée, quel est le motif qui a amené la discussion actuelle ? Voilà ce que je me suis demandé ; ce n’est certes pas une idée mercantile ; aussi avons-nous vu ceux de nos collègues qui sont les défenseurs des intérêts commerciaux faire de leur mieux pour écarter, ajourner au moins, cette question autant que possible. La cause de cette discussion est donc toute fiscale ; ce sont les besoins pressants du trésor, auquel nous demandons plus qu’il ne peut donner, qui nous appellent ici ; ce sont les intérêts des contribuables qu’on a toujours cherché à mettre habilement hors de cause, quand il s’agissait du sucre, qui sont en question à présent. Car, de deux choses l’une : ou il faut que le sucre produise de larges ressources au trésor, ou il faut avoir recours à des centimes additionnels ; ceci est une suite inévitable des dépenses qui ont été votées dans cette enceinte.

Les centimes additionnels proposés par le gouvernement ont été rejetés ; tout le monde disait alors : Le sucre est une substance éminemment imposable. Eh bien ! je demande que nous soyons conséquents avec nous-mêmes, que le sucre devienne un objet de consommation imposé, non au profit des raffineurs, mais au profit de la chose publique, au profit du trésor.

Mais le sucre peut-il être productif pour le trésor en maintenant les abus existants ? c’est ce qui me semble chose impraticable. Oui, on peut dire, sans crainte d’être démenti, que le maintien de la législation actuelle, le maintien des abus est exclusif des droits du trésor public. Le sucre sera improductif pour le trésor, tant que vous maintiendrez les abus, tant que nous n’aurons pas le courage, la fermeté de modifier sérieusement la législation qui régit nos sucres.

Pour arriver à ce résultat, qui est celui que m’impose mon devoir de représentant du pays, il faut nous placer, comme nous le disait au début de la discussion l’honorable ministre des finances, député d’Anvers, il faut nous placer à un point de vue assez élevé pour faire disparaître les intérêts privés.

J’ai suivi avec attention le cours de la discussion, et je ne me vois pas plus éclairé qu’au commencement.

Les uns nous vantent la canne à sucre, les avantages de la législation actuelle au point de vue des intérêts généraux ; les autres nous préconisent la betterave comme une production nationale éminemment favorable à l’agriculture. Nous faisons des cours de commerce et d’agriculture ; mais des intérêts du trésor, mais des intérêts des consommateurs, on en parle peu.

Puisque donc le commerce d’exportation du sucre, fondé sur la législation actuelle, est exclusif de tout moyen de rendre le sucre productif pour le trésor, vous me permettrez, messieurs, de vous en dire un mot.

La législation actuelle sur les sucres, qui soulève depuis trop longtemps de si justes et de si énergiques réclamations, doit son origine au gouvernement hollandais.

Comme nous ne le savons que trop bien à nos dépens, les éléments les plus puissants de ce gouvernement appartenaient au haut commerce. Le chef de ce gouvernement ne dédaignait pas lui-même les spéculations commerciales productives. Ces hautes influences songèrent en 1819, conçurent la pensée de se mettre en possession du commerce du sucre, dont l’Angleterre presque seule jouissait à cette époque, et de réaliser de grands bénéfices.

Pour parvenir à ce but, il fallait raffiner d’abord, et vendre ensuite le sucre à meilleur marche que les Anglais ; il fallait les extraire de certains marchés. Mais pour exporter le sucre à des prix qui permissent de les placer au détriment des Anglais, il fallait que le sucre raffiné s’exportât à un prix qui n’était guère supérieur au sucre brut ; un commerce semblable n’offrait guère de chances de bénéfices ; mais que fit-on pour y suppléer ? on fit adopter une loi qui permettait au haut commerce de se substituer au trésor et de percevoir l’impôt prélevé sur les consommateurs de sucre dans le royaume des Pays-Bas.

On conçoit qu’un privilège aussi exorbitant dut permettre de faire avec bénéfice le commerce absurde dont je viens de parler, et qui consistait, et consiste encore aujourd’hui, à vendre le sucre manipulé au même prix environ que le sucre brut a été acheté.

La faible ressource que le sucre produit au trésor, résulte d’une proposition faite en 1837, par M. Liedts, et qui consiste à lui réserver un dixième. Sauf cette petite amélioration, voici les conséquences de la législation en vigueur.

Le contribuable paie largement, le trésor public ne reçoit presque rien ; le négoce du sucre perçoit presque l’impôt, et au moyen de cette prime, il exporte son sucre à l’étranger. Me dira-t-on, peut-être : puisque le négoce vend à l’étranger à peu près au même prix qu’il achète, qu’est-ce qui motive ce commerce absurde ? Certainement, ce n’est pas pour être agréable aux Hambourgeois et aux autres étrangers qu’on leur vend le sucre presque à perte. Mais en voici la raison, c’est qu’il résulte du jeu ingénieux de la législation que le négoce ne peut bénéficier, et il ne le peut que sur le marché intérieur, que le négoce, dis-je, ne peut réaliser de bénéfice qu’en exportant beaucoup et à tout prix, le prix fût-il même en-dessous du prix de la matière brute, et cela aux dépens du trésor et du consommateur belges.

Voilà, messieurs, la simple analyse de la législation compliquée qui nous régit ; et, je vous le demande, n’est-ce pas là un abus ? Le trésor peut-il recueillir une large part sur la consommation du sucre, tant que cet abus existera ? Je ne le pense pas.

Mais, nous disent ceux de nos collègues qui préconisent ce système, il est de principe d’exempter de l’impôt, autant que possible, les objets qui servent d’élément aux échanges ; le trésor perd, mais le pays gagne. C’est un moyen de favoriser le commerce, les relations d’outre-mer et bien d’autres belles choses.

Messieurs, il m’est impossible d’envisager le commerce, tel que je viens de vous l’analyser, comme favorable au pays ; le pays n’a aucun intérêt à faire manger presque pour rien, et à ses dépens, le sucre aux étrangers ; cela peut convenir à quelques personnes, mais cela n’est évidemment utile ni au pays ni au trésor.

On vient ensuite nous objecter le mouvement maritime que cela occasionne ; mais le mouvement des transports par mer comme par terre est un moyen de commerce et d’échange. Sans but utile, le mouvement du roulage ou de la marine serait une absurdité. Eh bien, le mouvement maritime occasionné par le commerce du sucre, tel qu’il est constitué en Belgique, est une absurdité. Il n’est productif que pour quelques individus, aux dépens des consommateurs.

Et encore, si ce mouvement maritime, occasionné par l’exportation du sucre, se faisait au moins à l’avantage exclusif de la marine belge, mais il n’en est pas ainsi ; ouvrez le rapport de la section centrale, vous y verrez qu’une grande partie de sucre de provenance directe arrive par navires étrangers, qu’une autre partie nous vient par cabotage d’Angleterre ou de Hollande. L’honorable M. Hye-Hoys nous disait avant-hier qu’on va chercher le sucre brut à Amsterdam.

Le commerce du sucre a été donc jusqu’à présent d’un très faible avantage pour la marine belge. C’est la marine étrangère qui en profite. On ajoute ensuite que le commerce favorise les exportations de nos produits manufacturiers. Ouvrez encore le rapport de la section centrale, et vous y verrez si nos produits profitent beaucoup du commerce d’exportation du sucre pour s’écouler à l’étranger ; vous y verrez que les 7/8 des importations du sucre n’ont été d’aucun fruit pour l’écoulement de nos produits, et que les exportations du sucre raffiné n’y ont concouru que dans une faible proportion.

J’ai donc la conviction que le mouvement occasionné par le sucre est tout à fait factice, inutile à l’industrie, onéreux au pays.

L’honorable M. de Foere vient de nous dire que c’était faire de la diplomatie anglaise, hollandaise, que de vouloir nuire au commerce, que de ne vouloir qu’une Belgique agricole.

Mais quel est celui d’entre nous qui méconnaît l’importance du commerce maritime ? quel est celui qui voudrait sa ruine ? Tous, au contraire, nous lui voulons une prospérité égale à celle de l’agriculture.

Nous avons une trop haute idée des éléments de succès qu’offre le pays au commerce maritime, pour croire que sa prospérité dépende d’une combinaison aussi ruineuse et aussi absurde que celle de la législation des sucres.

Le commerce doit être un auxiliaire, un moyen d’écoulement pour nos produits nationaux, mais il ne peut prétendre à ce qu’on se serve de ses moyens de transport pour exporter les produits d’une manipulation qui n’offre pas d’avantages, et qui exige de si grands sacrifices aux contribuables.

Le mouvement occasionné par l’exportation du sucre, dans les conditions actuelles, n’est alimenté que par une prime exorbitante. Dès que cette prime sera retirée, ce mouvement s’arrêtera. Cette prime est non seulement un abus, parce qu’elle ne produit rien d’avantageux, mais elle constitue encore un abus, parce que le système des primes a toujours été écarté ; c’est un abus que d’accorder une énorme prime à une industrie, tandis que vous en refusez à toutes les autres.

Si vous voulez entrer dans ce système, accordez-en au moins d’utiles ; elles peuvent l’être quelquefois, mais ce n’est certes pas dans cette circonstance.

La section centrale déclare dans son rapport que ces primes ont été désastreuses pour nos finances, que sa grande majorité a été contraire à la continuation de ce système ; que cependant, pour ne plus jeter la perturbation dans une industrie, elle a été d’avis que ces primes ne devaient pas être supprimées, mais seulement réduites.

On nous tint, il y a cinq ans, le même langage.

Alors, l’industrie factice du raffinage, sérieusement menacée par les déclarations pleines de franchise du ministre des finances, remua ciel et terre pour faire avorter le parti qui paraissait pris de détruire les abus ; secondée par la position politique précaire du gouvernement à cette époque, elle parvint à conjurer l’orage qui la menaçait.

Ce n’est donc pas, comme le disait hier l’honorable M. Desmaisières, ce n’est pas l’expérience de dix années qui a fait fixer le rendement de 1837 car ce rendement, qui s’approchait du rendement réel proposé par l’honorable M. Dubus, avait été adopté au premier vote ; la chambre revint de cette résolution au second vote et adopta le rendement en vigueur aujourd’hui. Cet amendement ne fut adopté que par suite de la position nouvelle prise par le gouvernement, position qui lui était dictée par les circonstances.

L’organe du gouvernement vint, à la séance du 30 décembre 1837, nous tenir ce langage :

« Je le répète, messieurs, tous nous sommes d’accord qu’il y a des abus à détruire ; nous différons seulement sur les moyens à employer pour les extirper convenablement. Je pense, moi, qu’il faut améliorer graduellement et non révoquer tout d’un coup une législation, qui est vicieuse, surtout lorsqu’elle est déjà ancienne, parce que son abolition trop brusque pourrait, en amenant des catastrophes, léser les intérêts généraux de l’industrie et du commerce plus ou moins directement, alimentés par les effets de cette législation.

« L’honorable M. Dubus, en signalant les abus de l’état de choses existant quant aux sucres, a dit que si l’on donnait des primes considérables à d’autres produits, au genièvre, par exemple, il s’en exporterait beaucoup, et que, tout en activant la navigation, cela aurait même cet avantage sur le sucre exotique, d’être directement favorable à l’agriculture.

« Sans doute, messieurs, ce serait là un des résultats d’une semblable mesure, mais ce résultat serait désastreux, parce qu’il serait factice.

« Je suis l’ennemi des primes tout comme l’honorable M. Dubus ; aussi je ne soutiens pas ici qu’il faut établir une prime ; il s’agit au contraire de diminuer une prime existante ; il s’agit de sortir d’un état de choses, que nous n’avons pas créé, mais qui existe, et auquel nous voulons remédier avec prudence et modération, etc., etc...

« Messieurs, je dois insister pour la troisième fois sur cette circonstance, que nous ne faisons pas une loi destinée à avoir une durée bien longue ; que nous voulons modifier un état de choses défavorable, sans doute, mais le modifier avec prudence : les dispositions nouvelles, que nous proposons ne sont donc que transitoires ; et si nous n’allons pas assez loin avec ces dispositions, le préjudice qui en résultera ne semble pas être assez grand pour nous empêcher de tenir compte des graves considérations, qui militent contre le système opposé au nôtre. »

Messieurs, on différa alors la suppression des abus, à cause des circonstances, et afin de ne pas porter la perturbation dans une industrie. Mais il me semble qu’aujourd’hui cette industrie a été suffisamment avertie des intentions du parlement en 1837, et qu’un délai de 5 ans est bien suffisant pour qu’on ne puisse pas nous accuser de mettre trop de précipitation dans la réforme des abus, et jeter la perturbation.

Si nous n’avons pas la fermeté de prendre une résolution dans cette circonstance, qui sait quand cette question se discutera encore, quand nous aurons l’occasion de mettre un terme à l’état de choses actuel ?

Ce serait en quelque sorte donner une sanction à cet état de choses. Et quel est cet état de choses ?

Un état dont personne ne paraît satisfait !

La raffinerie se plaint parce que la production de la betterave a diminué ses bénéfices.

La production indigène se plaint, avec plus de raison, parce qu’il lui est impossible de lutter, même affranchie de l’impôt, avec une industrie qui jouit de primes aussi exorbitantes.

Le trésor public ne reçoit pas ce qu’il devrait recevoir ; et les contribuables, menacés de centimes additionnels, si on n’impose pas le sucre, sont inquiets de l’avenir.

Je ne puis adopter le système du gouvernement, parce qu’il tend à maintenir des primes absurdes. Je le repousse, parce qu’il tend à surcharger le contribuable ; en effet, le contribuable paierait par ce système, outre les millions de primes aux raffineurs, quelques millions de plus au trésor ; en tous cas, la plus forte part sera toujours pour le raffinage.

Je ne puis adopter le système de la section centrale, parce qu’elle aussi maintient les primes, en n’élevant pas assez le rendement.

J’adopterai favorablement tout amendement qui tendrait à donner au sucre brut un rendement aussi réel que possible, tel que 70-75 ; c’est le rendement français, et on ne pourra me taxer d’exagération, puisqu’il paraît déjà jugé insuffisant en France. Je voterai un droit sur les deux sucres qui constitue un avantage pour le sucre indigène.

Je veux la coexistence des deux sucres ; je ne veux la destruction d’aucune des deux industries pour alimenter la consommation intérieure. Si l’exportation peut continuer avec le rendement que je viens d’indiquer, qui constitue encore un avantage, je n’y mettrai pas d’obstacle.

Je désire enfin qu’une substance, dite par tout le monde éminemment imposable, le soit réellement pour le trésor, qu’il lui rapporte autant que le sel, c’est-à-dire 4 à 5 millions. J’ai dit.

M. Rogier. - Messieurs, je suis entièrement d’accord avec l’honorable préopinant sur le but de la loi que nous discutons. Je diffère de son opinion sur des questions essentielles qui se rattachent à cette loi ; mais je pense comme lui que nous discutons dans ce moment une loi d’intérêt surtout fiscal. Si nous étions encore en 1837, nous pourrions reproduire les moyens que nous avons fait valoir pour tâcher de sauver contre le fisc et surtout contre l’industrie de la betterave, cette belle loi hollandaise de 1822, dont nous voyons aujourd’hui la Hollande, à notre grande envie, mais non pour notre instruction, recueillir les immenses bienfaits.

En 1837, vous veniez défendre à cette tribune la loi de 1822 comme loi commerciale. A cette époque, il s’établit une transaction entre les défenseurs du système commercial et le ministère qui semblait pencher pour le sucre de betterave, tout en défendant le fisc. Le sucre exotique offrit de rester chargé de la retenue d’un dixième des droits, assurant par là au trésor de 900 mille fr. à un million. Cette proposition fut acceptée par le gouvernement, La promesse, faite par le sucre exotique, fut tenue, et le trésor, à partir de 1838, reçut la somme de 900 mille francs à un million par an. Mais, messieurs, cette transaction ne satisfit pas tout le monde ; la guerre déclarée au sucre exotique fut continuée sous toutes les formes ; à chaque discussion du budget, presque à chaque discussion de loi, toujours la question du sucre se représentait. Ceux qui en voulaient mortellement à ce produit ont fini par ramener de nouveau le sucre dans le débat, en mettant en avant, en faveur du sucre de betterave, des prétentions qu’ils s’étaient gardés de produire en 1837.

En 1837, on sauva de la loi de 1822 ce qui put en être sauvé, mais une brèche fut faite au système ; en 1843, une nouvelle brèche, mais beaucoup plus considérable, va être faite au même système. Il ne s’agit pas d’une simple modification à la loi de 1822, comme le pense l’honorable préopinant. Il s’agit d’une modification radicale. La loi de 1837 réservait au trésor un million d’impôts. Les propositions de 1843, si elles sont acceptées, assurent au trésor, d’une manière définitive, quatre millions d’impôt, non compris le droit de douane.

Je fais ici un appel à tous ceux qui ont parlé au nom du fisc, et je leur dis : une loi qui rapportera d’une manière assurée, inévitable, 4 millions d’impôt, est-ce une loi inefficace, une loi qu’il faille dédaigner, une loi enfin qu’il faille rejeter ? Voici, en peu de mots, le calcul que je fais ; il est très simple :

On suppose à l’entrée dans le pays, 25 millions de kil. de sucre exotique. De ces 25 millions de kilogrammes dix sont destinés à l’exportation, quel que soit le rendement, vous ne pouvez assujettir ces dix millions à aucun droit. Restent 15 millions pour la consommation intérieure. La loi proposée par M. le ministre des finances assure la perception de 40 fr. par 100 kil., si pas sur ces 15 millions, au moins sur dix millions. 10 millions au droit de 40 fr. par 100 kil., cela fait bien 4 millions de recette. Reste 5 millions de kilog. qui pourront être livrés à la consommation intérieure indemnes de tout droit. Je reviendrai tout à l’heure sur le sacrifice que les consommateurs auront à supporter de ce chef. Mais veut-on pousser les choses à bout, veut-on réduire une question industrielle et commerciale d’un haut intérêt, à une question exclusivement fiscale, assujettissez ces 5 millions au droit de 40 francs et dès lors le sucre exotique vous rapportera 6 millions de francs.

Messieurs, je pose en fait que, si une semblable proposition était adressée à beaucoup de membres de cette chambre, qui se sont montrés grands partisans des intérêts fiscaux, elle ne serait pas acceptée par eux ; car il ne faut pas se le dissimuler, derrière l’intérêt fiscal se cache un autre intérêt, derrière l’intérêt du trésor se cache l’intérêt du sucre de betterave ; or, il ne peut convenir à la betterave de voir le marché intérieur exclusivement occupé par le sucre exotique, qu’il paie 6 millions, ou qu’il n’en paie que 4.

Il y a donc ici autre chose qu’une question fiscale ; Il y a une question industrielle, commerciale, et, si nous sommes amenés sur ce terrain, c’est par les adversaires même du système que nous appuyons. Du moment que vous mettez en avant l’intérêt d’une industrie indigène, nous vous répondons par l’intérêt du commerce, chose aussi nationale que telle ou telle autre branche d’industrie.

Avouons-le, 4 millions de recettes, assurément, c’est là un résultat qui dépasse les espérances, les exigences de ceux qui avaient le plus espéré, le plus exigé. Je sais que ce système peut présenter de graves inconvénients pour le sucre exotique. Je ne suis pas convaincu que, tout en voulant soutenir encore cette branche intéressante de commerce, on ne la réduise de beaucoup. Mais enfin le trésor a besoin de ressources. Le commerce, l’industrie ont besoin de fixité ; nous voulons en finir ; nous voulons tâcher de mettre cette cause hors de nos débats pour longtemps, et pour toujours, s’il est possible, et voilà la transaction nouvelle qui vous est proposée.

Le sucre indigène est-il en position de faire les mêmes offres au trésor, d’apporter les mêmes ressources ? Mais cela n’est pas possible. Le sucre indigène, dans l’état actuel, ne produit que 5 à 6 millions de kilog ; il ne peut supporter un droit de 40 fr. ; il ne consent à être frappé que d’un droit de 15 fr. Six millions à 40 fr. rapporteraient 2,400,000 fr. ; mais à 15 fr., ils ne rapportent que 900,000 fr. Voilà donc pour une quantité de 6 millions de kilog. un sacrifice de 1,500,000 f. que devrait faire le trésor en faveur du sucre indigène.

Supposons 10 millions de sucre indigène à 40 fr., droit qu’il ne peut supporter, cela donnerait au trésor 4 millions de francs, somme offerte par le sucre exotique. Mais dix millions de sucre indigène à 15 fr. ne donneraient que 1,500,000 fr. Il y aurait alors un sacrifice de 2,500,000 fr. en faveur du sucre indigène.

Je ne m’oppose pas à ce qu’on favorise telle ou telle branche d’industrie nationale ; je crois être tout aussi national que les plus nationaux dans les questions d’industrie, comme dans toutes les autres. Mais alors expliquez-vous ; ne demandez pas des ressources pour le trésor ; dites qu’il s’agit de faire une loi d’un intérêt industriel ou agricole, d’enlever une nouvelle branche au commerce ; mais ne dites pas que vous voulez faire une loi d’intérêt fiscal.

L’industrie du sucre indigène dira-t-elle : Laissez-moi le marché intérieur ; je me charge de produire les mêmes recettes que le sucre exotique ? Autre impossibilité ! Je suppose que le sucre indigène élève sa production au niveau de la consommation intérieure, qui est de 15 millions ; le sucre exotique coûte 50 fr les 100 kilog. ; le sucre indigène 75 fr. Ajoutez au prix de 60 fr. le droit de 40 fr,, vous aurez pour le sucre exotique un prix de 90 francs. Ajoutez à 75 fr., prix du sucre indigène, le droit de 40 fr., vous aurez un prix de 115 francs pour 100 kilogrammes. Mais à ce prix, le consommateur souffrirait une surtaxe de 25 francs.

Heureusement que la Hollande serait là pour lui fournir du sucre à meilleur compte. Aussi, pour le consommateur, je ne suis pas très alarmé ; mais pour le trésor, je suis très alarmé ; car tout ce que la Hollande pourrait infiltrer chez nous (et il n’est pas douteux qu’il y aurait des infiltrations considérables) serait au préjudice du trésor. Donc, dans ce cas, le trésor serait loin de percevoir les 4 millions dont la perception lui est assurée par le projet de loi en discussion. S’il est décidé que le sucre est une matière imposable et doit être imposée, il n’y a pas à tergiverser ; il faut que l’un des deux sucres reste seul sur la place. Si vous avez à transiger chaque année, avec les prétentions de l’un et de l’autre sucre, à ménager les intérêts des uns et des autres, chaque année vous verrez vos ressources financières remises en question.

Si, au contraire, vous n’avez affaire qu’à une seule espèce de sucre, vous pouvez la traiter sans ménagement, la loi demeure entièrement libre. Le sucre de betterave étant hors de cause, le sucre de canne devient en quelque sorte corvéable et taillable à merci par la législature.

Un membre. - Et les infiltrations en fraude !

M. Rogier. - Elles seraient une limite à des droits exagérés ; mais elles sont beaucoup moins à craindre, si c’est le sucre exotique qui fournit le marché. Comme il est livré à meilleur compte que le sucre indigène, le sucre étranger ne pourra lui faire aussi facilement concurrence.

J’ai dit que si nous voulons pousser les choses à l’extérieur et tirer du sucre exotique tout ce qu’il peut procurer au trésor, il y aurait six millions d’assurés au trésor pour 15 millions de consommation intérieure, sans compter les droits de douane, qui, étant de 1 fr. 20 c. par 100 kil., produiraient 200,000 fr. Mais faut-il atteindre immédiatement un pareil résultat ? Faut-il, lorsqu’on a tant de ménagements pour une industrie à peine naissante, brusquer la disparition d’une industrie ancienne dans laquelle de grands intérêts sont engagés ? On s’est beaucoup défendu de parler, dans cette enceinte, au nom de telle ou telle localité. Tout en se défendant de l’esprit de localité, on nous a fait passer sous les yeux 40 communes rurales qui se trouvaient réduites à un état voisin de la misère, et qui en sont sorties par le sucre indigène. Puis on a cité une ville de 10,000 âmes qui a pu remplacer par l’industrie de la betterave, l’industrie cotonnière qui lui avait fait défaut à l’époque de la révolution.

Eh bien ! je ne pourrais pas trouver mauvais que tout en protestant au nom de la nationalité, on ait cependant invoqué les intérêts de ces diverses localités. Qu’il me soit donc permis aussi de dire que l’industrie du sucre exotique, si elle n’intéresse pas quarante communes rurales, intéresse des localités non moins importantes. Elle intéresse profondément, pour n’en citer que deux, Anvers et Gand. Je crois que ces deux villes jouent un rôle assez important en Belgique par le caractère de leurs habitants, par les impôts qu’elles versent au trésor, par l’activité qu’elles impriment aux différentes branches de commerce et d’industrie, pour ne pas être traitées plus mal que les quarante communes rurales dont on vous a entretenus.

il ne s’agit pas seulement ici, messieurs, de l’intérêt de quelques raffineurs des villes d’Anvers et de Gand, il s’agit aussi de l’intérêt de la plupart des commerçants de ces villes ; il s’agit des intérêts de beaucoup d’industriels du pays.

On vient dire : Mais à quoi bon attacher cette importance au sucre ? Le sucre n’est rien ; supprimez cette branche, il en restera encore beaucoup d’autres pour le commerce. Messieurs, les branches importantes de commerce sont bien moins multipliées qu’on ne le croit ; le commerce maritime opère sur des bases assez restreintes ; si vous retranchez le sucre des opérations commerciales que vous restera-t-il encore ? Il vous restera le café, le coton en laine, le tabac, l’indigo (quant aux prix, non pas quant aux poids), le riz, les cuirs. Voilà, messieurs, les branches principales, qui, avec le sucre, forment la base de notre commerce transatlantique.

Nier que le sucre soit une branche importante de commerce, mais ce serait nier que les céréales sont une branche de l’agriculture, que les fontes et les houilles sont une branche de notre industrie. Le sucre joue dans le commerce un rôle aussi important que les céréales dans l’agriculture, que les houilles et les fers dans l’industrie.

Sommes-nous un pays de commerce ? Plusieurs orateurs ont cru rêver à l’idée qu’on pût mettre en doute que la Belgique fût un pays agricole. C’était un rêve, en effet, que faisaient ces honorables préopinants ; car personne n’a mis en doute que la Belgique fût un pays agricole, et essentiellement agricole. Mais rêvons-nous à notre tour quand nous entendons mettre en doute si la Belgique est un pays de commerce, et doit être traitée par ses législateurs comme pays de commerce ?

Quoi ! nous ne serions pas un pays de commerce, et nous aurions l’Escaut, nous aurions la Meuse !Quoi ! nous ne serions pas un pays de commerce, et nous aurions Anvers, Gand, Bruges, Ostende, Bruxelles, Louvain ? Nous aurions nos fleuves, nos ports, nos canaux maritimes ? Mais si nous ne sommes pas un pays de commerce, il faut retrancher tout cela de notre carte. Si nous ne sommes pas un pays de commerce, à quoi bon ces sacrifices nombreux que nous avons faits pour entretenir notre commerce ? A quoi bon le remboursement du péage sur l’Escaut ? A quoi bon le rachat des 400,000 florins pour obtenir le passage par les eaux intérieures de la Hollande ? A quoi bon les 50,000 florins dont nous venons de payer le rachat de la navigation sur le canal de Terneuzen ? A quoi bon les primes de constructions ? Pourquoi avoir remué le pays entier par une enquête parlementaire qui prétendument n’avait pour but que de favoriser les intérêts du commerce ?

Messieurs, la Belgique est un pays d’agriculture ; oui, sans doute, et je démontrerai que les intérêts agricoles me sont aussi chers que les intérêts commerciaux. Mais la Belgique est aussi un pays de commerce. Agriculture et commerce sont deux branches de l’activité belge qu’il faut estimer et protéger au même titre.

On nous a cité, et cela ne pouvait manquer, le fameux adage d’un grand ministre ; on vous a dit : pâturage et labourage sont les deux mamelles de l’Etat. Mais, messieurs, Sully a dit encore autre chose ; Sully a parlé aussi commerce, et je ne suis pas fâché de vous répéter ce que disait ce grand ministre en parlant du commerce. C’était à Henri IV, en 1603 qu’il tenait ce langage :

« En premier lieu, Sire, Votre Majesté, doit mettre en considération, qu’autant qu’il y a de climats, régions et contrées, autant semble-t-il que Dieu les ait voulu diversement faire abonder en certaines propriétés, commodités, denrées, matières, arts et métiers spéciaux et particuliers, qui ne sont point communes, ou pour le moins de telles bonté aux autres lieux, afin que par le traite et le commerce de ces choses, dont les unes ont abondance et les autres disettes, la fréquentation, conversation et société humaines soient entretenues entre les nations, tant éloignées pussent-elles être les unes des autres, comme ces grands voyages aux Indes orientales et occidentales en servent de preuve. »

Cela vaut bien, messieurs, le très bel adage de l’agriculture. « Jamais, dit l’orateur qui rapporte ces paroles, l’immortel ami de Henri IV, jamais l’économie politique n’a dépassé depuis cette haute et simple éloquence ; jamais elle n’eut une vue plus nette et plus grande de la véritable nature du commerce. »

Messieurs, j’ai rappelé les sacrifices pécuniaires que nous avons faits pour assurer au pays son activité commerciale. J’ai entendu dire : C’est parce que nous avons fait beaucoup de sacrifices qu’il ne faut plus en faire de nouveau : la mesure est comblée.

Messieurs, il ne s’agit pas de faire de nouveaux sacrifices ; au contraire il s’agit de procurer au trésor, au lieu d’un million, 4 millions. Loin de réclamer de nouveaux sacrifices, le sacrifice ancien est beaucoup amoindri.

Dans le système que j’appellerai de la retenue des 4/10, cinq millions de kilog. pourront encore être livrés à la consommation, exempts de droits pour le négociant. Le trésor, va-t-on dire, abandonnera donc 2 millions. C’est vrai. Et le consommateur les payera ? Ici, messieurs, cela n’est plus exact. Le consommateur ne payera pas les 2 millions de droit que le négociant ne versera pas au trésor. D’abord, des 15 millions de kil. attribués à la consommation intérieure, et c’est une appréciation très large, il y a à déduire un million de kil. que nous infiltrons dans les pays voisins. Sur ce million de kil. de sucres infiltrés à l’étranger, il est clair que le consommateur belge ne payera rien. Il y a donc, de ce chef, une première somme de 400 mille fr. à déduire, qui sera payée par le consommateur étranger.

Le commerçant ne jouit pas d’ailleurs de la faveur entière du droit ; c’est-à-dire que le prix du sucre ne se trouve pas augmenté de la totalité du droit que le négociant ne paye pas. Il y a entre les négociants une sorte de concurrence qui produit ce qu’on appelle la dépréciation du droit. Par suite de cette dépréciation du droit, sur les 2 millions que le trésor ne reçoit pas, il y aurait encore 480,000 fr., au moins, que le consommateur ne paiera pas.

Ensuite, si nous opérons sur un mouvement de douane de 25 millions de kilog., en supposant 10 millions d’exportation, il y aura à ajouter, pour les 10 millions importés, une somme de 120,000 fr.

Voilà donc un million à retrancher des deux millions que le trésor ne recevrait pas. Reste donc un million pour la somme des sacrifices qu’il s’agirait d’imposer au pays pour maintenir une branche de commerce de la plus haute importance.

On vient nous dire : Mais vous autres, amis de la liberté du commerce, vous venez demander des primes, vous venez soutenir le système des primes.

D’abord j’ai déjà dit dans quel sens je suis un ami de la liberté du commerce. Je veux la liberté du commerce avec modération ; je veux des droits modérés ; jamais je n’ai demandé que nos frontières fussent entièrement abolies. Mais ce n’est pas nous qui venons demander des primes ; nous nous bornerons à demander le maintien de ce qui est. Le système de 1822 a établi ce qu’on appelle une prime pour favoriser l’exportation des sucres exotiques, et par suite l’exportation des produits indigènes ; les industries qui se sont établies à l’abri de ces primes demandent à continuer de vivre.

On a parlé de l’opinion des économistes, en ce qui concerne les primes ; messieurs, parmi les économistes, il en est qui ont soutenu qu’il ne fallait pas établir des primes ; mais du moment où des primes étaient établies, tous sont demeurés d’accord qu’il fallait respecter les industries qui s’étaient élevées à l’abri de ces primes ou les indemniser. Voilà ce que les économistes ont soutenu et ce que nous soutenons avec eux dans l’espèce.

D’ailleurs, messieurs, est-ce un système tout à fait exceptionnel que celui des primes en Belgique ? Mais nous avons beaucoup de nos produits qui jouissent de ces primes. Ainsi on s’est récrié hier, je pense que c’est l’honorable M. Demonceau, sur cette bizarrerie que le consommateur belge mangeait le sucre à un prix plus élevé que le consommateur étranger, que le consommateur allemand. Eh bien, l’avantage dont le consommateur allemand jouit pour les sucres, il peut en jouir aussi pour le genièvre. Le fabricant de genièvre reçoit aussi à la sortie une restitution de droits, et si ses produits ne sont pas frappés de droits à l’entrée des pays étrangers, il peut les placer dans ceux-ci à meilleur marche qu’en Belgique.

La bière elle-même, si elle devenait un objet d’exportation comme elle l’a été dans l’ancien temps, où la ville de Liége exportait ses bières vers les Indes ; la bière, recevant aussi une décharge à la sortie, pourrait être bue à meilleur compte par le consommateur étranger que par le consommateur indigène.

Ainsi, messieurs, ce système de prime ou de restitution de droits à la sortie, qui a pour effet de procurer aux pays étrangers nos produits à meilleur marché qu’au consommateur indigène, ce système n’est pas nouveau, n’est pas exceptionnel, il s’applique à d’autres produits que le sucre.

Messieurs, le sucre ne mérite-t-il pas la faveur qu’on veut lui conserver ? Est-ce une branche de commerce si fort à dédaigner ?

Un des reproches que l’on a fait au sucre dans la séance d’hier, c’est d’être produit (et la plaisanterie date de 1837), par les Indiens. Favoriser un produit indien en Belgique ! Horreur ! Mais, messieurs, si les Indiens, à leur tour, et cela pourrait plutôt se concevoir de leur part, disaient au moment où nos produits sont présentés chez eux : Arrière les produits de ces vilains blancs ; de ces Barbares, comme les Chinois nous appellent.

Eh bien, messieurs, je concevrais un pareil langage de la part de ces populations barbares et ignorantes, mais à plus forte raison ne pourrais-je pas le concevoir de la part de population comme celle de la Belgique, qui, quoi qu’on fasse, est toujours un pays de lumière et de civilisation. Mais les Indiens, messieurs, ne repoussent pas nos produits ; et pourquoi ne les repoussent-ils pas ? Mais c’est que s’ils repoussaient nos produits, ils ne pourraient pas vendre les leurs. Avec quoi paient-ils nos produits ? Avec du café et du sucre la plupart du temps, et si nous ne prenons pas leur café et leur sucre, malgré toute leur bonne volonté, ils ne pourront pas accepter nos produits.

Dans le système qui vous est présenté et qui assurerait 4 millions au trésor, il reste encore pour le maniement du commerce du sucre, 35 millions de kilog. : 25 millions de sucre brut importé, 10 millions de sucre raffiné exporté. Eh bien, messieurs, 35 millions de kilog. c’est une cargaison complète pour 117 navires de 300 tonneaux. Or, je crois que 117 navires de 300 tonneaux, en ne considérant la chose qu’au point de vue de la navigation, en ne considérant le commerce maritime que comme une industrie chargée simplement du transport des marchandises, je pense que sous ce seul point de vue, 117 navires de 300 tonneaux valent bien les établissements de l’industrie du sucre de betterave, déjà plus ou moins compromis, en faveur desquels on élève ici la voix. Du reste, messieurs, je ne me déclare pas ici leur adversaire. J’aurai l’occasion d’en parler ultérieurement.

« Mais, dit-on, l’on exagère beaucoup les avantages du mouvement commercial du sucre ; et ceci est une observation qui a été développée avec beaucoup de clarté et de talent par l’honorable rapporteur de la section centrale. Nos exportations, dit cet honorable rapporteur, vers les lieux de provenance sont insignifiantes. » Eh bien, messieurs, nos exportations vers les lieux de provenance où nous allons chercher le sucre, sont de peu d’importance, je le reconnais, mais est-ce parce que nos relations ne seraient pas encore développées qu’il faudrait les supprimer entièrement ? Ne serait-ci pas, au contraire, un motif d’encourager la marine, d’encourager la navigation vers ces lieux de provenance ? Les lieux dont nous tirons le sucre sont aussi des lieux de consommation si, pas pour nous, au moins, pour d’autres pays qui y font le commerce. Le sucre nous vient de Bahia, de Fernambouc, de Manille, de Rio Janeiro, de Cuba. Eh bien, messieurs, dans ces diverses contrées, on consomme beaucoup de produits d’Europe.

Ainsi en 1834 Bahia en a reçu pour 32 millions, Fernambouc pour 25 millions, Manille pour 16 millions, Rio Janeiro (1840) pour 95 millions, Cuba 116 millions.

Il est vrai qu’à Cuba la moitié environ des importations a eu lieu sous pavillon espagnol, mais il reste encore près de 60 millions pour l’importation faite par les autres nations.

Eh bien, messieurs, dans tous ces ports nous sommes admis aux mêmes conditions que les autres peuples, et rien ne nous empêcherait de trouver là des débouchés pour nos produits comme les autres nations y trouvent un débouché pour les leurs. Nous le pourrions, messieurs, d’autant plus facilement que la plupart des nations qui font le commerce avec ces pays étant des nations à colonies, sont obligées d’avantager leurs possessions coloniales, tandis que nous, nous sommes entièrement libres, que rien ne peut gêner nos relations avec ces pays.

« Mais, dit-on, l’exportation de nos produits au moyen des sucres raffinés, est également insignifiante. » C’est encore l’honorable rapporteur de la section centrale qui fait cette objection. Eh bien, messieurs, supposons que cela fût, ce ne serait pas encore une raison pour supprimer cette branche de commerce ; au contraire, c’est parce que nous ne faisons pas encore beaucoup d’exportations de nos produits qu’il faudrait favoriser ces exportations par le moyen du sucre raffiné ou par tout autre aussi efficace.

Mais, messieurs, ces exportations, on l’a démontré, sont loin d’être insignifiantes ; il faut en outre tenir compte de l’influence avantageuse que le sucre, comme matière d’encombrement, produit sur le fret, c’est-à-dire sur le prix du transport de nos produits. On dit : « Mais il part une masse de navires sur lest, soit pour les contrées du Nord, soit pour les contrées du Midi, mais surtout pour les contrées du Nord ; nos produits indigènes ont toujours assez d’occasion de transport. » Eh bien, messieurs, il ne suffit pas qu’il parte beaucoup de navires sur lest ; il faut, pour qu’un navire offre un fret favorable à l’industrie, que ce navire puisse se charger complètement ; il ne faut pas croire que tous les navires qui nous apportent du bois du Nord attendront dans les bassins d’Anvers, d’Ostende, de Bruges, de Gand ; attendront 10, 15 ou 20 jours, s’ils peuvent emporter qu’un maigre chargement ; s’ils ont la perspective d’obtenir un chargement complet, alors ils attendront, parce qu’alors ils seront dédommagés de leurs frais de séjour et du temps qu’ils doivent perdre.

Si vous enlevez la matière principale qui doit former encombrement, il est certain que les navires partiront sur lest, qu’ils n’attendront pas. Ce sont donc tout autant d’occasions d’exportation que perdra l’industrie, ou si elle trouve des moyens de transport par navires à demi chargés, elle devra payer un fret plus élevé. Du reste, je ne veux pas approfondir cette question maintenant ; elle a déjà été traitée très longuement en 1837 ; elle a aussi été traitée avec développement dans la discussion actuelle et je ne veux pas entrer dans des répétitions, ni abuser des moments de la chambre. Nous avons d’ailleurs des juges, messieurs, qui, je dois le dire, sont beaucoup plus compétents que nous pour apprécier l’importance et l’influence du commerce du sucre sur l’industrie du pays, ce sont les industriels eux-mêmes.

La ville de Liége que l’on n’a pas encore citée, la ville de Liége, en 1837, protestait par les organes de son industrie, contre toute idée de toucher à la loi des sucres. Voici, messieurs, ce qui vous fut écrit par les industriels de cette ville manufacturière :

« Liége, 4 décembre 1837.

« A. MM. les membres de la chambre des représentants.

« Messieurs,

« Les soussignés, industriels et fabricants, ont l’honneur de s’adresser à vous, comme aux fidèles mandataires de leurs intérêts, au moment où le pouvoir législatif va s’occuper d’une question vitale pour l’industrie et pour le commerce, qui se lient indissolublement.

« Pleins de confiance en vos bonnes intentions à leur égard et votre haute prudence, ils viennent vous demander le maintien d’une législation qui ne pourrait être modifiée sans qu’à l’instant même des débouchés considérables se fermassent pour leurs produits, par le manque de relations avec les contrées où le sucre brut s’achète, où le sucre brut se consomme.

« Il est en effet bien certain qu’aujourd’hui le sucre, à cause de son poids, de sa valeur réelle et de la certitude de sa vente, est la principale matière du chargement des navires, et la preuve en est que sur huit cents navires qui, en 1836, sont partis chargés du port d’Anvers, plus de trois cents avaient le sucre raffiné pour base de leur cargaison. Le chargement était complété avec des produits de l’industrie belge, tels que armes, clouteries, machines mécaniques, verreries, poteries, faïences, draps, toiles, manufactures, genièvre, etc.

« Les expéditions de ces divers objets se répètent à peu près avec chaque navire qui exporte du sucre raffiné, suivant les mêmes phases que ces exportations, et il n’est pas douteux que si, par le fait d’un changement à la législation actuelle, les exportations de sucre raffiné venaient à cesser, il en résulterait de très grandes difficultés pour l’écoulement des produits de l’industrie belge ; les soussignés ont eu l’occasion de s’en convaincre, car mainte fois ils ont ressenti l’effet de la stagnation que subissait le commerce des sucres.

« Ils osent espérer, messieurs, que vous aurez pour leur demande toute la considération dont elle est digne, et bien convaincus de votre profonde sollicitude pour l’industrie, qui est l’âme de la fortune du pays, ils comptent que vous vous garderez bien de compromettre ses intérêts de la manière la plus grave, en changeant une législation sans laquelle les raffineries de sucre exotique ne pourraient travailler pour l’exportation, aussi longtemps que la législation sera la même dans un pays rival.

« Dans cette attente, ils ont l’honneur d’être,

« Messieurs,

« Avec la haute considération et une entière confiance,

« (Suivent les signatures.) »

Les sauniers de Louvain, messieurs, envisageaient la question absolument de la même manière que les industriels de Liége ; il ne s’agissait pas du sucre pour eux ; il s’agissait du sel ; mais la question est absolument la même. Les sauniers de Louvain se croyaient menacés de perdre cette branche de commerce, par une loi qui était proposée alors ; voici ce qu’ils disaient :

« Nos négociants tirent le sel principalement de l’Angleterre ; par contre, ils expédient vers ce dernier pays de l’écorce, des bois de construction, des grains, du lin. Le commerce de ces divers articles est tellement lié, que les principaux négociants qui traitent le sel font aussi le commerce des écorces, des grains, du lin. Les exportations des écorces seules s’élèvent à plus de 5 millions de francs par an. »

Vous voyez, messieurs, comment le commerce de sel se trouvait lié à l’exportation de plusieurs produits belges. Ce qui se passe pour le sel, que nous allons chercher en Angleterre, doit se passer pour le sucre brut que nous allons chercher aux pays de production et pour le sucre raffiné que nous exportons dans les pays de consommation.

Messieurs, nous nous sommes envisagé le sucre sous le point de vue d’importation et de l’exportation ; il est encore un point de vue très important auquel je ne puis me dispenser de m’arrêter, c’est celui du transit. Avons-nous renoncé à faire de la Belgique un marché de sucre ? Faut-il déclarer dès maintenant que la Belgique, que les ports d’Anvers, d’Ostende, de Gand, de Bruges, sont condamnés à ne pas être un marché de sucre ? Je crois, messieurs, que dans l’avenir, le sucre peut devenir l’objet d’un marché en Belgique, comme il est aujourd’hui la base d’un si grand marché en Hollande. Notre marché de sucre n’eût-il que la moitié de l’importance du marché hollandais, mériterait encore d’exciter au plus haut degré votre sollicitude.

Messieurs, pour établir un marché de sucre en Belgique, il faut nécessairement que le sucre exotique puisse trouver au besoin, un débouché en Belgique même ; il faut que le sucre en entrepôt puisse, en telle circonstance donnée, se déverser dans la consommation ; c’est, messieurs, un grand avantage pour un pays de transit, d’être en même temps un pays de consommation. Eh bien, la Belgique est un pays de consommation très important pour le sucre ; de ce chef donc nous pouvons nourrir l’espoir de transporter en Belgique une partie du commerce du sucre, de créer un marché de sucre dans un de nos ports de mer. Si, au contraire, vous sacrifiez dès maintenant cette branche commerciale, il ne faut plus songer à créer chez nous un marché de sucre, et alors pour peu qu’on fasse de progrès dans un pareil système, la plupart de nos voies de communication, la plupart de nos routes de nos canaux iront au rebours de nos lois ; nos institutions seront dans un état de contradiction permanente.

Du reste, pour le moment, la question n’est pas là, avec les dispositions qu’on nous montre ; la perspective du commerce du sucre n’est certes pas brillante, mais avec des lois sages, libérales, le pays ne devrait pas en désespérer ; pour le moment, je l’ai déjà dit, et il n’est pas inutile de le répéter. La question est fiscale.

Le sucre de betterave est-il en mesure de procurer au trésor dès maintenant 4 millions par an ? A cette question, je réponds non, le sucre de betterave ne peut rapporter une telle somme, ni l’année prochaine, ni dans deux ans, ni dans dix ans. Le sucre exotique est en mesure, lui, de produire ces quatre millions ; et si vous voulez pousser les choses à bout, supprimez le commerce d’exportation, et il vous rapportera 6 millions ; le sucre de betterave vous rapportera-t-il jamais 6 millions ? Non ; mille fois non.

Et cependant quel est le seul obstacle qui s’oppose à ce que la chambre adopte cette loi qui procurerait dès maintenant 4 millions de francs ? C’est le sucre de betterave.

Je sais fort bien qu’il y a ici des esprits dont je voudrais pouvoir partager les illusions, qui veulent concilier les deux sucres, c’est-à-dire concilier deux choses inconciliables, concilier deux produits de condition tout à fait inégales, de nature tout à fait incompatibles. Vous auriez aujourd’hui fait une paix entre les deux sucres, ce ne serait qu’une paix trompeuse, ce ne serait qu’un ajournement d’hostilités. Avant un an, je pose en fait que l’un ou l’autre des deux sucres viendrait de nouveau vous assaillir de ses réclamations. L’inégalité est trop grande entre les deux sucres, pour espérer de les voir vivre en paix pendant un an sous la même loi.

Ce divorce devant être admis comme certain par tous ceux qui veulent voir un peu au-delà du présent, ne cherchons pas une union impossible, et demandons-nous résolument lequel des deux sucres doit céder à l’autre.

Au point de vue fiscal, ainsi que je l’ai déjà dit, la betterave ne peut offrir au trésor que la moitié du droit que peut supporter le sucre exotique, à ce point de vue donc la lutte ne peut exister, la comparaison ne peut se soutenir, c’est en faveur du sucre exotique qu’il faut se prononcer.

Au point de vue d’économie sociale, la question devient plus compliquée. La betterave occupe un certain rang dans l’agriculture. Mais occupe-t-elle dans l’agriculture le même rang que le sucre dans le commerce ? Je suis loin de croire si le sucre est au commerce comme 1 est à 10, on peut dire que la betterave est à l’agriculture comme 1 est à 1,000 dans l’état actuel de la production.

Messieurs, nous avons aujourd’hui 2,500 hectares cultivés en betterave, et nous avions en 1839 1,717,000 hectares en terres labourables, et au-delà d’un million d’hectares affectés à la culture de tous les autres produits agricoles. Si les 2,500 hectares n’étaient pas cultivés en betterave, les autres produits agricoles ne leur manqueraient pas, puisque ce sont les meilleures terres que l’on consacre à la culture de la betterave ; mais si vous supprimez le sucre exotique ; que substituerez-vous à cette branche de l’activité commerciale ?

Je ne parlerai pas des intérêts des classes ouvrières. L’une et l’autre des deux industries occupent un certain nombre d’ouvriers ; mais si l’on voulait pousser la comparaison un peu plus loin, il ne serait pas difficile d’établir que l’industrie et le commerce du sucre exotique occupent beaucoup plus de monde que n’en occupe le sucre de betterave.

Il y a, car je veux examiner la question avec toute l’impartialité dont je suis capable, il y a trois arguments en faveur du sucre de betterave, qui m’ont particulièrement frappé, dans les rapports de l’honorable M. Mercier.

L’honorable rapporteur a dit d’abord que la betterave est utile, en ce qu’elle a occasionné la baisse du prix du sucre exotique.

Cet argument, qui m’avait d’abord semblé sérieux, ne l’est pas autant qu’il le paraît.

La betterave coûte 80 fr. les cent kil. ; le sucre exotique coûte 50 fr. Si le sucre de betterave coûtait moins que le sucre exotique, je conçois que le prix du sucre exotique devrait baisser pour descendre au niveau du prix du sucre de betterave ; mais le sucre de betterave coûtant plus cher que le sucre exotique, il devrait exercer une influence contraire à celle qu’on lui suppose, c’est-à-dire élever le prix du sucre à son niveau.

En second lieu, la baisse qu’on a remarquée sur le prix du sucre exotique, n’est pas particulière à ce produit ; c’est un fait connu et avéré, que tous les produits transatlantiques subissent depuis plusieurs années cette dépréciation, alors qu’ils n’ont pas une concurrence sur le marché de produits similaires.

Voilà ma réponse au premier argument.

L’on dit encore que le sucre de betterave est très utile, en ce qu’il pourvoit à l’insuffisance éventuelle du sucre exotique.

Sans m’arrêter aux raisons puisées dans la possibilité d’une guerre continentale et d’une révolte des noirs, je dirai que je crains d’autant moins que nous manquions de sucres, que la production des pays de provenance a toujours été croissante ; pas plus tard que ce matin, je lisais dans un ouvrage sérieux, dont l’auteur est favorable à la betterave, que dans l’espace de moins de vingt ans, la production du sucre exotique a été doublée.

Voici au surplus la progression des importations dans les Etats européens :

On a importé 500 millions de kil. en 1833 ; 546 millions en 1840 ; et 582 millions en 1841. La Chine qui, il faut l’espérer, va s’ouvrir au commerce de toutes les nations, la Chine à elle seule pourrait fournir 500 millions de kilog., c’est-à-dire un chiffre égal à l’importation générale des sucres en Europe, pendant l’année 1833.

La Louisiane aux Etats-Unis a versé dans le commerce :

En 1810, 5 millions de kil.

En 1814, 16 millions de kil.

En 1830, 40 millions de kil.

Mais, d’après MM. Baudry et Lozières, la Louisiane possède un terrain propre à la culture du sucre, tellement vaste qu’elle pourrait récolter annuellement jusqu’à 800 millions de livres. Voilà de quoi nous rassurer au moins pour quelques années. (On rit.)

En outre, la fabrication du sucre dans les pays de provenance reçoit chaque jour de nouveaux perfectionnements. Voici ce qu’on lisait dans un numéro tout récent d’un journal français, le Journal des Débats, appuyé de l’opinion d’un habile chimiste.

« Aujourd’hui, à part quelques exceptions, les colons perdent la plus grande quantité du sucre contenu dans la canne qu’ils récoltent. Sur 18 parties de sucre, ils en retirent sept au plus, tandis qu’avec la betterave dont la mise en œuvre est beaucoup plus difficile, la sucrerie indigène en France obtient constamment 7 à 8 sur 12.

De nombreux appareils imités de ceux de la betterave ont été commandés et même sont en route pour nos colonies. »

Eh bien, par une coïncidence assez singulière, l’honorable M. de Brouckere me communique à l’instant même une lettre qui donne des nouvelles sur les résultats de l’application de ce mode perfectionné et introduit de France dans les colonies. Voici un extrait de cette lettre, adressée de la Havane sous la date du 6 janvier 1843 :

« Le nouveau mode de fabrication, inventé en France, et appliqué en premier lieu à la betterave, a été essayé dans un district de nos environs, Le résultat est tout à fait satisfaisant. D’après ce perfectionnement dans les moulins, la canne fournit plus de jus et d’après la nouvelle méthode de cuisson, la quantité de mêlasse est beaucoup diminuée. Par ces moyens on obtient de 30 à 35 p.c. plus de sucre que par le procédé actuellement en usage ; la qualité du sucre aussi est meilleure, et l’on y trouve une économie considérable de temps et de travail. »

Ainsi, voilà par ce perfectionnement une économie de 30 à 35 p. c., indépendamment d’une amélioration de produit.

Messieurs, ce résultat on le doit à la betterave. Je rends hommage à ce perfectionnement. Je crois qu’il y a beaucoup d’utilité à retirer de la culture de la betterave à certains égards. Comme elle a pris naissance dans des pays plus civilisés que ceux où se cultive la canne, les perfectionnements industriels seront fournis au pays de la canne par le pays de la betterave. On ne peut pas nier que sous ce rapport seul, la culture de la betterave n’ait rendu de grands services ; aussi je ne suis pas un ennemi de la betterave.

Je considère la betterave comme une branche de culture intéressante. Je suis plus impartial que les adversaires du sucre exotique, qui ne consentent pas à le considérer comme une branche importante du mouvement commercial. Il m’est pénible de retrancher de la culture belge un produit qui n’est certes pas à dédaigner ; qu’on m’indique un moyen efficace qui permettrait aux deux industries de coexister d’une manière stable, qui ne contienne pas le germe d’une nouvelle guerre, qui ne vous oblige pas de recourir dans six mois à une nouvelle loi, qu’on m’indique un moyen de conciliation sérieux, mais avant tout efficace au point de vue fiscal, je serai heureux de m’y rallier.

Mais tout en reconnaissant que la culture de la betterave est digne d’intérêt, je ne puis pas y rattacher la prospérité de notre agriculture tout entière, comme quelques membres l’ont fait dans un moment d’exaltation, car la betterave n’est pas très ancienne, nous l’avons vue naître, elle date de 1836. Même à cette époque on avouait à peine qu’elle existât. Or, l’agriculture belge était florissante, prospère, longtemps avant l’an de grâce 1836.

Je ne vois pas aussi loin que M. le ministre des finances quand il a dit que l’industrie de la betterave serait plutôt nuisible qu’utile au pays.

Je reconnais l’utilité agricole de la betterave, je ne veux pas détruire cette utilité, si l’on me donne le moyen de ne pas le faire ; et si je suis forcé de la détruire, je veux la remplacer par une autre utilité au moins équivalente, si pas supérieure. Ici, je demande encore pour un moment l’attention de la chambre.

Il semble juste d’indemniser les établissements de sucre de betterave. S’ils doivent succomber, comme je crois franchement que ce serait là l’effet de la loi, je m’associerai à toute proposition qui aura pour but d’indemniser dans une juste mesure les propriétaires engagés dans cette branche d’industrie ; je ne récriminerai pas contre eux, je ne dirai pas qu’ils ne devaient pas espérer de pouvoir vivre à l’abri de la législation sous laquelle ils sont nés, qu’ils devaient s’attendre, au contraire, à voir arriver un temps où le trésor ayant besoin de ressources, l’objet de leur industrie se présenterait en première ligne comme matière d’impôt. Je ne dirai pas non plus que la plupart de leurs établissements sont dans une situation qui n’est rien moins que florissante.

En France, d’après le rapport de M. Cunin-Gridaine, sur 366 établissements, 300 sont dans un état précaire, et les propriétaires ne demandent pas mieux que d’accepter l’indemnité promise par la loi. Je crois que la proportion est à peu près la même en Belgique. Je ne pense pas qu’en portant à cinq le nombre des établissements florissants, je sois au-dessous de la vérité.

Quoi qu’il en soit, je m’associerai à une proposition d’indemnité pour les établissements de betterave. Mais c’est là ce que j’appellerai le côté personnel de la question. Il y a un autre côté plus général, plus pratique, que je demande la permission de mettre sous vos yeux. C’est par là que je finirai.

Vous allez retrancher à l’agriculture une de ses branches. Si j’indemnise les industriels, je veux aussi indemniser l’agriculture, et voici comment :

Déjà nous avons fait beaucoup pour l’agriculture. C’est mon opinion. Nous ayons créé des routes, des canaux, nous avons baissé les tarifs, nous avons fait des lois protectrices des céréales. Un honorable membre dont je regrette l’absence, parce que, contre nos habitudes, nous serions ici d’accord, un honorable membre se plaint souvent de ce qu’on n’a pas fait encore assez pour l’agriculture. Moi je pense qu’on a fait beaucoup, mais je pense aussi que beaucoup reste à faire.

Je crois que le gouvernement a encore un très beau rôle à prendre à cet égard. Les encouragements directs donnés aujourd’hui à l’agriculture sont en général tous spéciaux, et parfois inefficaces. Nous avons un fonds d’encouragement pour l’amélioration de la race chevaline ; nous avons des règlements provinciaux pour l’amélioration de la race bovine. Je crois que ces encouragements ne suffisent pas, que si nous voulons procéder avec énergie, à l’amélioration de la race chevaline et de la race bovine, il faut dépenser pour cela beaucoup plus que nous ne le faisons. Beaucoup d’autres produits agricoles pourraient être encouragés, beaucoup d’institutions pourraient être protégées. Je n’entends pas entrer pour le moment dans des développements que je me propose de soumettre ultérieurement à la chambre. Mais voici une proposition que je vais déposer sur le bureau.

« A partir du 1er janvier 1844, et pendant une période de dix années, le crédit porté au budget de l’intérieur pour encouragement de l’agriculture sera augmenté d’une somme égale au vingtième du produit de l’impôt sur le sucre. »

Si l’impôt sur les sucres produit quatre millions, l’encouragement à l’agriculture sera de 200 mille francs, si l’impôt produit 6 millions, l’agriculture recevra 300 mille francs. D’un autre côté, si l’impôt produit moins, l’encouragement baissera dans la même proportion, car nous ne pouvons pas engager le revenu public au-delà du vingtième du produit nouveau que le sucre doit fournir au trésor.

M. Dumortier. - J’envisagerai le projet de loi qui nous occupe comme l’honorable préopinant, je l’envisagerai, principalement au point de vue fiscal, car, avant tout, c’est au trésor public qu’il faut songer. La pensée qui a dominé la discussion depuis trois jours prouve que chacun sent la nécessité d’envisager la question au point de vue du trésor public. C’est à ce point de vue que je veux me placer. Pour bien comprendre cette position, il importe de ne pas perdre de vue ce qui a eu lieu depuis la révolution jusqu’à ce jour au sujet de l’impôt sur le sucre, et pour bien comprendre la marche de l’impôt sur le sucre, il importe de voir la marche du commerce du sucre avec l’étranger au point de vue de l’exportation depuis la révolution, car c’est l’exportation qui ruine le trésor public.

En 1831, la somme totale des exportations de sucre raffiné s’élevait à 290 mille kilog. En 1832, les exportations se sont élevées à 222 mille kilog.

Ainsi pendant les premières années de notre révolution, alors que nous étions sous l’empire de la loi qui a existé jusqu’en 1837 et qui est à peine modifiée aujourd’hui, l’exportation de sucres raffinés ne s’élevait pas à 300,000 kilog. Mais en revanche, le revenu du trésor public était d’environ 2 millions de florins, ou de 4 millions de francs.

Plusieurs membres. - C’est une erreur ; c’est 2 millions de francs.

M. Dumortier. - Deux millions de francs, soit.

Voilà des faits qu’il ne faut pas ignorer ; voilà comment le sucre de canne s’est trouvé en présence de la loi, avec une exportation qui ne s’élevait pas à 500,000 kilog., et un revenu pour le trésor public de 2 millions de francs, en 1831 et 1832.

Aujourd’hui, quelles sont les limites de l’exportation et des revenus du trésor ? En 1840, d’après le tableau publié par le ministère des finances, l’exportation a été de 15,684,000 kilogrammes. Certes, si l’on envisage ceci au point de vue commercial, voilà un magnifique résultat ! En 1831 et 1832, nous n’exportions pas 300.000 kilog,, aujourd’hui nous exportons quinze millions et demi. Voilà un accroissement bien remarquable dans les exportations ! Mais le revenu du trésor décroît en proportion de cet accroissement dans les exportations. L’impôt, en 1831 et 1832, produisait deux millions. En 1841, il n’a produit que de sept à huit cent mille francs ; et, d’après des données qui paraissent exactes, l’impôt sur le sucre ne rapportera, en 1842, que de six à sept cent mille francs. Ainsi voilà deux choses bien importantes à noter : d’une part élévation des exportations de 300,000 kil. à 15 millions et demi, et d’autre part, de 1832 à 1842, réduction dans le revenu du trésor, de 2 millions à six ou sept cent mille francs. Quant à ce que reçoit encore le trésor public, à quoi le devons-nous ? Exclusivement à l’amendement qui a été introduit dans la loi et, qui assure au trésor public une réserve d’un dixième ; car sans cela, le trésor ne percevrait rien du tout. Il y a plus, c’est que si la loi n’avait pas été faite dans certains termes, vous devriez donner de l’argent pour favoriser votre commerce de sucre exotique.

Quelles sont, messieurs, les causes de ce déficit ? J’examinerai d’abord la question, au point de vue du trésor public ; tout à l’heure j’examinerai la question commerciale en elle-même.

La première cause, c’est la différence du rendement. Vous le savez, avant 1837, le rendement était fixé à 55 p.c. Ce rendement avait été établi en vue des procédés de fabrication en vigueur à l’époque où la loi primitive fut votée par les états généraux des Pays-Bas. Depuis lors les procédés de fabrication ont été tout à fait perfectionnés ; on a adopté les procédés de Dombasle et de Rosne, et l’on a pu tirer d’une quantité donnée de sucre brut, une plus grande quantité de sucre raffiné. Il y a eu par suite une grande perte pour le trésor public.

Cela a été tellement évident que tous les gouvernements voisins ont senti la nécessité de modifier la loi faite en vue des anciens procédés de fabrication.

En France, la loi éleva le rendement à 70 p.c. En Hollande, le rendement fut élevé de 62 à 67 p. c Mais tandis que la France et la Hollande, puissances qui ont des colonies, et par conséquent des intérêts qu’elles ne peuvent négliger sous peine de voir bouleverser leur état social, élevaient ainsi le rendement, nous l’avons maintenu au même taux, ou du moins nous n’avons admis qu’une insignifiante modification. J’ai donc raison de dire que, sans les 10 p. c. de réserve, le trésor ne recevrait plus rien aujourd’hui.

Une seconde raison du préjudice qu’a éprouvé le trésor public, c’est l’emploi du sucre terré, au lieu de sucre moscovade. On a utilisé, pour la raffinerie du sucre, des sucres qui avaient déjà subi une première épuration, et qui, par conséquent contenaient une plus grande quantité de sucre cristallisable que ceux qu’on employait antérieurement. On conçoit qu’il a dû encore en résulter une perte pour le trésor public. Or, messieurs, vous allez bientôt avoir à subir une autre perte ; c’est l’honorable M. Rogier qui vous l’a prédit. Il résulte de la lettre de la Havane dont il vient de donner lecture, que des perfectionnements sont introduits aux colonies dans la fabrication du sucre, et qu’ils auront pour résultat que le sucre contiendra moins de mélasse. Dès lors, le rendement devra être augmenté.

M. de Brouckere. - On n’a pas dit cela.

M. Dumortier. - Dans la lettre, il y a deux choses : La canne, disait-on, produira plus de sucre ; ce qui est, il ne faut pas se le dissimuler, très préjudiciable à la betterave. C’est ce qu’a fait ressortir l’honorable M. Rogier avec beaucoup de lucidité. Mais il est évident que la production du sucre aux colonies étant perfectionnée, le sucre contenant moins de mélasse et plus de parties cristallisables, le rendement devrait être élevé. Ceci vous prouve encore que nous avons un système tel que nous allons toujours de préjudice en préjudice.

Un troisième motif pour lequel le trésor public ne reçoit rien, ou presque rien, c’est qu’on reçoit à l’exportation la même prime pour les lumps et les bâtards que pour les mélis et les candis les plus perfectionnés. Jusqu’alors on avait usé de la loi. Là on a commencé à en abuser ; car on a exporté, au lieu de sucres raffinés, des sucres qui n’avaient subi qu’un simulacre de raffinage, des sucres bruts remis en forme au moyen d’une cuite. Voilà ce qu’on a fait ; on a donc abusé de la loi. L’abus a été tellement saillant que dans l’impossibilité où l’on était de faire passer dans le commerce ces sucres pour des sucres en pain, on les réduisait en cassonade à l’entrée du port, et que cette cassonade se vend infiniment meilleur marché que huit jours auparavant quand elle est arrivée dans le pays.

Vous voyez donc que j’avais raison, quand je disais, il y a 5 ans, que la loi avait pour résultat de faire manger le sucre par les Allemands et par les Italiens à meilleur marché que par les Belges, et j’ajouterai aux dépens des Belges ; car remarquez que c’est au moyen de l’impôt que nous payons que l’étranger mange le sucre à meilleur marché que nous. Le sucre en consommation paye 35 c. de droits par kilog. Sur ces 35 c., 20 c. environ, servent uniquement à faire manger par les Allemands et les Italiens le sucre à meilleur marché que par nous. Si c’est là un beau résultat, vraiment je n’y comprends plus rien.

Avec un tel système dans quelque branche que ce soit, il est facile de faire de grandes affaires, s’agit-il même de vendre de la terre ou des pierres. Il est certain que si vous vendez le coton à l’étranger à meilleur marché qu’en Belgique, cette branche d’industrie aura bientôt pris un grand développement. Il en est de même pour toutes les industries.

Est ce un commerce sérieux que celui qui consiste à vendre un produit meilleur marché qu’on ne l’achète, en faisant supporter la perte par le trésor public ? Moi, je dis que c’est un commerce de dupes, non pour ceux qui font le bénéfice de l’opération, mais pour ceux qui contribuent à de telles opérations, c’est-à-dire pour le trésor.

Certes avec un tel système, il est facile de donner une grande étendue à telle ou telle industrie. Mais encore une fois c’est un système ruineux, un système de dupe pour le pays et pour le trésor public. Vous le savez, messieurs, je n’ai jamais cessé d’appeler toute la protection due à l’étranger. L’industrie doit être favorisée à tous égards ; il faut faire tous ses efforts pour lui donner tous les développements possibles. Mais il faut avant tout que ce soit une industrie sérieuse, et non une industrie factice comme celle qui vend à meilleur marché que le prix de production.

C’est cependant la position des raffineries de sucre de canne ; elles vendent à meilleur marché qu’elles n’achètent, par conséquent elles sont une industrie factice.

C’est ici, messieurs, que je rencontrerai l’objection d’un honorable collège, M. l’abbé de Foere, objection qui a en partie été reproduite en d’autres termes par l’honorable M. Rogier. Vous allez sacrifier, nous a dit l’honorable M. de Foere, le commerce maritime et par conséquent nous revenons au traité de Munster ; vous voulez faire prédominer l’agriculture sur le commerce ; vous voulez donc admettre le système de l’étranger.

Quant au premier point, messieurs, je dis que ce n’est pas sacrifier en aucune manière le commerce, que d’empêcher la continuation de primes mensongères qui ruinent le trésor public ; je dis que ce n’est pas sacrifier le commerce, que d’empêcher qu’on ne vende à meilleur marché qu’on n’achète, et que surtout ces opérations se fassent, non pas au préjudice de ceux qui les font, mais de nos propres consommateurs. Si les fabricants veulent vendre à meilleur marché qu’ils n’achètent, libre à eux, je n’ai rien à y dire ; mais si c’est nous qui devons payer la différence, nous devons y regarder à deux fois. Or, c’est ici le cas.

Je dis donc qu’en portant remède à un aussi grand mal, nous ne sacrifierons pas le commerce, mais l’abus du commerce, quand nous empêchons qu’on fasse à l’avenir manger le sucre à meilleur marché au consommateur étranger qu’au consommateur indigène.

Ici, messieurs, je rencontrerai ce que vous disait l’honorable M. Rogier : l’étranger, vous disait-il, boit la bière indigène, boit le genièvre à meilleur marché que le consommateur du pays. Messieurs, je le conçois ; c’est parce qu’on rembourse à la sortie le droit de consommation : mais on n’accorde aucune prime à l’exportation. Ainsi, quand vous exportez de la bière on vous rembourse les droits de consommation sur la bière ; quand vous exportez du genièvre, on vous rembourse les droits de consommation sur le genièvre, mais encore une fois ce ne sont pas là des primes. Si vous vouliez obtenir aussi un commerce de genièvre fort étendu, vous n’auriez qu’à accorder à l’exportation une prime double du droit de consommation, Alors vos exportations seraient aussi bientôt doublées.

En second lieu on dit : vous voulez faire prédominer l’agriculture sur le commerce et alors vous adoptez le système de l’étranger. Je dis, messieurs, que dans tous les pays, même en Angleterre, l’agriculture a toujours été et sera toujours l’objet principal que l’on doit soigner ; car c’est la plus grande richesse d’un pays et celle-là est indépendante de toutes les vicissitudes. Les économistes anglais ont démontré à l’évidence, que malgré l’importance du commerce, de l’industrie de ce pays, sa plus grande richesse consistait dans son agriculture.

Ainsi, lorsque nous soutenons qu’il faut favoriser notre agriculture, nous sommes loin d’admettre un système qui soit celui de l’étranger ; nous admettons au contraire le véritable système national ; car les produits de l’agriculture restent au pays, tandis que les produits du sucre sortent du pays et contribuent à nous appauvrir au lieu de nous enrichir.

Il y a plus : je soutiens que la fabrication du sucre de betterave est plus avantageux à nos manufacturiers, plus avantageux à notre commerce que les raffineries du sucre de canne, et je vais le prouver.

Dans les raffineries de sucre de canne, qui sont ceux qui profitent exclusivement ? Ceux qui raffinent, et comme je viens de le prouver, ils profitent aux dépens du trésor.

Dans les fabriques de sucre de betterave au contraire, tout ce qui est produit reste au pays : la manutention des terres, l’intérêt de l’agriculture, l’amélioration de la culture, les journées des ouvriers qui cultivent, les journées des ouvriers qui retirent la betterave, le transport depuis le champ jusqu’à la fabrique, les produits du fabricant, le salaire des ouvriers de l’usine, tout reste dans le pays, et ces ouvriers dont le bien-être est augmenté par la fabrication du sucre de betterave, consomment bien plus des produits de nos manufactures que l’étranger, que les colons qui nous livrent le sucre de canne ; car il est démontré que l’importation des sucres de canne ne forme pas un commerce d’échange, puisque les navires qui nous apportent ces sucres s’en vont à vide.

On dit que la betterave a besoin d’une faveur. Cela est vrai, je ne le nie pas. Mais, messieurs, tous les produits de notre sol ont besoin d’une faveur. Voulez-vous supprimer par puritanisme les faveurs ? Eh bien, commencez par supprimer tous les droits d’entrée sur les grains, par exemple. Supprimez les droits d’entrées sur les étoffes étrangères, sur les toiles, sur les draps, sur les houilles ; alors personne ne jouira de faveurs. Mais si vous accordez des faveurs à toutes les autres branches de votre industrie, je ne vois pas de motif pour ne pas en accorder à la fabrication de la betterave. Pourquoi refuserait-on à ce produit de notre sol un avantage équivalent à celui dont jouissent les céréales et tous les produits de notre pays ?

Messieurs, l’honorable M. Rogier vous a présenté la question au point de vue fiscal. Suivant lui, la canne peut rapporter plus au trésor que la betterave. Je crois que ce que l’honorable M. Rogier a dit est vrai ; je crois que la canne pourrait produire un droit plus élevé que la betterave, en produisant du sucre au même prix que cette dernière. Mais, messieurs, il ne faut pas se dissimuler les faits : tout ce que la betterave paie de plus reste dans le pays, tandis que les produits du sucre exotique quittent le pays sans aucune espèce d’équivalent.

D’un autre côté, pour arriver aux résultats qu’indique l’honorable M. Rogier, que faudrait-il ? Il faudrait supprimer la betterave et supprimer les primes. Car si les primes sont maintenues, la canne ne rapportera pas ce que peut rapporter la betterave. Et vous en avez la preuve, si vous examinez la marche des choses depuis dix ans. Il ne vous reste maintenant que la seule réserve des 10 p. c. acquis en vertu de la loi au trésor ; la prime absorbe tous les droits.

L’honorable M. Rogier vient de dire qu’il faut éviter de tuer le commerce, qu’il faut éviter de faire perdre au commerce d’Anvers et de Gand le marché des sucres. Je répondrai à mon honorable collègue qu’il roule dans un cercle vicieux. Car de deux choses l’une : ou il veut favoriser l’intérêt du trésor, ou il veut favoriser l’intérêt du commerce. S’il veut favoriser l’intérêt du trésor, il doit demander la suppression des primes ; si au contraire, c’est l’intérêt du commerce, il doit vouloir le maintien des primes qui ruinent le trésor. De manière qu’il indique deux systèmes très bons, mais qui se combattent manifestement l’un l’autre.

Messieurs, je suis donc d’avis qu’il nous faut songer dans la loi au trésor public. Pour cela je crois que le point le plus important, c’est d’élever le rendement ; c’est surtout d’interdire l’exportation des sucres dits lumps roux, qui ne sont que de la cassonade mise en pains. (Dénégation). Messieurs, c’est de la dernière exactitude ; les sucres lumps roux ne sont que de la cassonade, ils n’ont pas subi de l’affinage, et la preuve c’est qu’on les pile sur les ports de mer pour les exporter et qu’on les vend ensuite pour de la cassonade. La preuve, c’est qu’à Hambourg, on vend nos sucres lumps pour en faire du sucre raffiné. Je dis qu’il ne faut recevoir dans le pays que des sucres moscovades et non des sucres terrés.

J’ai dit, messieurs, qu’il fallait augmenter les revenus du trésor ; pour cela il faut élever le rendement. C’est dans ce sens que je donnerai mon assentiment au projet de la section centrale.

Quant à sacrifier l’industrie de la betterave, je crois que ce serait extrêmement fâcheux, et c’est ce que je ne puis admettre. Je crois que le principe de l’indemnité qu’on indique serait un grand sacrifice imposé au trésor, et qui n’amènerait aucun résultat, qui serait fait en pure perte. Je voterai donc pour le projet de la section centrale, sauf les modifications.

J’aurais toutefois préféré, je le déclare, un projet de loi différent ; j’aurais voulu que tous les sucres payassent les droits au trésor à leur entrée en consommation dans le pays. De cette manière nous aurions obtenu un revenu de 6 à 8 millions. De ces huit millions, j’en aurais consacré deux en primes à l’exportation, et j’aurais ainsi obtenu pour le trésor public une somme nette de 6 millions. J’aurais préféré ce système et savoir à quoi m’en tenir. Si cette opinion obtenait l’assentiment d’une partie de l’assemblée, je présenterais un amendement qui consisterait à dire que tout sucre, soit de canne, soit de betterave, qui entre dans la consommation, acquitte les droits et qu’il est réservé 2 millions pour primes à l’exportation.

M. Rogier. - Les mêmes droits pour les deux sucres ?

M. Dumortier. - Non sans doute. La valeur est différente. Pourquoi voulez vous les mêmes droits sur les produits que donne la betterave et sur ceux que donne la canne ? Quand nous donnerons 2 millions pour primes à l’exportation, ne sera-ce pas uniquement pour le sucre de canne ? Vous n’avez pas encore assez, je le vois bien.

Messieurs, le résultat de ce système serait, je le répète, de donner six millions au moins au trésor. Car chaque belge consomme bien 5 kilog. de sucre. En France la consommation est de 4 kilog. par habitant ; or, il est certain qu’en Belgique, pays beaucoup plus riche que la France, la consommation est au moins d’un quart plus élevée. En Hollande elle est de 6 kilog. par habitant. Si je prends la moyenne entre la Hollande et la France, j’obtiens 5 kilog.

Messieurs nous obtiendrions de cette manière un très beau revenu. Remarquez qu’il n’y a pas de matière plus imposable que le sucre. Le sucre n’est pas la nourriture du pauvre, c’est le riche qui le consomme, Il n’y a donc pas d’impôt meilleur pour l’Etat que celui qui porte sur cette denrée, puisqu’en définitive c’est le riche qui le paie.

Si on voulait adopter le système que j’indique, il produirait des résultats très avantageux ; je me réserve de présenter ultérieurement un amendement dans ce sens.

M. Cogels. - Messieurs, l’heure étant très avancée et la chambre paraissant impatiente de lever la séance, je serai aussi court que possible. Je m’étais proposé de répondre au discours de l’honorable M. de La Coste, mais l’honorable M. Rogier a satisfait à cette tâche. Je me bornerai donc à relever quelques-unes des erreurs tout à fait matérielles, qui viennent d’être commises par un honorable député de Tournay.

D’abord, cet honorable membre a dit qu’en 1831 et 1832 les importations ont été de 2 à 300,000 kilog., et les recettes du trésor de 4 millions. Cela est parfaitement inexact, jamais la recette du trésor n’a été de 4 millions. On ne peut signaler aucune recette semblable dans aucun budget belge. (Interruption.)

M. Dumortier. - Ce point a été rectifié sur-le-champ quant à la recette.

M. Cogels. - Une autre erreur tout à fait matérielle qui avait déjà été produite dans cette chambre et qui avait même exercé sur elle une grande influence, c’est que les raffineurs vendraient à l’étranger le sucre raffiné à beaucoup meilleur marché qu’ils n’achètent le sucre brut. Cette erreur provient, messieurs, de ce que les membres qui parlent de l’industrie du sucre exotique n’en connaissent ni les secrets ni la fabrication. Les lumps dont on parle ne sont pas du tout des lumps roux, ne sont pas du tout de la cassonade, car s’il en était ainsi, aux termes de la loi, comme je le démontrerai tout à l’heure, ils ne recevraient la restitution du droit que pour 100 kil. exportés, au lieu de le recevoir pour 60 kil. Les lumps que l’on exporte ne se fabriquent pas avec du sucre Havane du prix de 12 13 fl. ; ils se fabriquent avec des sucres de moindre qualité, avec du sucre Santos, Brésil, Fernambouc, etc., des moindres qualités, sucres tout à fait bruns qui, si l’on en faisait des pains, ne donneraient pas 50 p. c. ; ces sucres se vendent de 10 à 11 fl., tandis que le sucre Havane se paie de 12 à 13 florins. Voilà pourquoi les lumps dont il s’agit peuvent se vendre de 12 à 13 florins à l’Allemagne, ce qui donne non pas une perte, mais un bénéfice.

Les sucres dont on fait des pains se vendent ici de 12 à 13 fl,, et les pains se vendent de 14 à 22 fl., selon la qualité. Ce n’est pas encore là une perte, je pense. Voilà, messieurs, pour nos exportations, non pas en Allemagne, mais dans la Méditerranée er dans le nord. Eh bien ! dans les ports de la Méditerranée on vend des sucres extrêmement durs, d’une cristallisation parfaite.

Voici, messieurs, l’article de la loi que l’honorable M. Dumortier paraît ne s’être pas donné la peine de lire. C’est l’art. 46, § 6 :

« A fr. 70-40 les 100 kilog. de sucres raffinés de canne, et à fr. 35-20 les 100 kilog. de sucres raffinés de betterave en pain, dits lumps, blancs, sans teinte rougeâtre ou jaunâtre ; durs, dont toutes les parties sont adhérentes et non friables, et bien épurés. »

Remarquez bien, messieurs, les mots : blancs sans teinte rougeâtre ou jaunâtre ; ils doivent donc être parfaitement blancs, ce n’est donc pas de la cassonade en pains, comme le dit l’honorable préopinant.

L’article ajoute : dont toutes les parties soient bien adhérentes, non friables. C’est donc du sucre cristallisé, c’est donc du sucre dur, c’est donc du sucre raffiné, ce n’est donc pas du tout du sucre tassé ni du sucre brut.

Une autre erreur commise par l’honorable M. Dumortier, c’est qu’il élève à 20 millions de kilog. la consommation du sucre en Belgique. Messieurs, la section centrale a contesté même le chiffre de 15 millions, mais je voudrais que la consommation fût en effet de 20 millions. Oh ! c’est alors que le trésor aurait une belle recette ; si le chiffre de 20 millions était exact, au lieu de 24 millions, nous mettrions en fabrication 30 à 40 millions et alors la recette du trésor au lieu d’être de 4 millions s’élèverait à 6 millions.

L’honorable M. Dumortier a parlé des grands avantages de la culture du sucre de la betterave, de l’intérêt que nous avons à conserver cette culture. Ici, j’en suis fâché, je devrais lui opposer l’avis d’un industriel de Tournay qui a répondu lors de l’enquête commerciale. Voici ce que nous lisons à la page 624 des documents de l’enquête.

« M. le président de la chambre de commerce : La chambre de commerce sent aussi que l’on favorise les arrivages directs. Mais M. Dumortier pense-t-il que la fabrication du sucre de betterave puisse contrarier beaucoup nos relations directes ? »

Voici maintenant, messieurs, l’avis de M. Dumortier, non pas de M. Dumortier que nous avons le bonheur de posséder parmi nous, mais de M. Dumortier, son frère :

« M. Dumortier : La fabrication du sucre de betterave ne peut pas rester ce qu’elle est ; la plupart des établissements sont en perte, si on ne les favorise pas ils tomberont. Or, je crois que l’intérêt général exige que cette industrie soit sacrifiée. On dit que la culture de la betterave rapporte beaucoup, mais si l’on ne cultivait pas la betterave, les terrains qui sont maintenant consacrés à cette culture recevraient une autre destination et rapporteraient aussi ; ensuite, il faut tenir compte des droits que paye le sucre exotique ; mais ce qui est le plus important, c’est que le commerce du sucre colonial favorise nécessairement l’exportation des produits de notre industrie. »

Voilà, messieurs, l’avis du frère de l’honorable M. Dumortier. Il paraît que si ces messieurs sont frères, ce ne sont pas, en fait d’opinions commerciales au moins, des Ménechmes.

Je pense, messieurs, qu’en voilà assez pour faire ressortir toutes les erreurs matérielles dans lesquelles est tombé l’honorable M. Dumortier ; je n’en dirai pas davantage pour ne pas abuser des moments de la chambre.

M. Dumortier (pour un fait personnel). - Messieurs, on me reproche des erreurs de faits ; il me sera facile de démontrer que ces erreurs n’existent pas.

L’honorable M. Cogels prétend que je me suis trompé, lorsque j’ai dit que le sucre raffiné en Belgique, se vend à meilleur marché à l’étranger que chez nous ; je n’ai point en ce moment les prix courants sous les yeux, mais voici ce qui s’est passé, il y a 14 mois, alors que nous étions régis par la même législation qu’aujourd’hui : Le sucre brut de la Havane se vendait à l’entrepôt d’Anvers de 16 1/2 à 17 florins ; le sucre raffiné se vendait également, à l’entrepôt d’Anvers, de 15 1/2 à 16 florins et les lumps se vendaient de 14 7/8 à 15 florins. Or, puisque le sucre brut de la Havane coûtait 17 florins et que les lumps se vendaient à 15 florins, il est évident que l’on vendait le sucre raffiné à 2 florins meilleur marché que l’on n’achetait le sucre brut. Voilà, messieurs, les faits que M. Cogels a voulu rectifier.

L’honorable M. Cogels a voulu ensuite m’opposer l’opinion de mon frère, J’attache, messieurs, le plus grand prix aux opinions de mon frère, mais je dois dire que celle qui a été invoquée par l’honorable préopinant, repose sur une erreur, c’est que l’importation du sucre brut entraîne une grande exportation de produits de notre pays. Il a été démontré, que c’est là une erreur et l’honorable M. Rogier a reconnu lui-même que l’on n’exporte rien ; il a ajouté, il est vrai, que l’on pourrait exporter, mais le fait est que le commerce du sucre exotique n’a produit jusqu’ici aucun résultat avantageux. C’est donc à tort, messieurs, que l’on vient m’opposer l’opinion de mon frère, alors qu’il est aujourd’hui démontré que cette opinion reposait sur une erreur de fait.

- La séance est levée à 4 heures et demie.