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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 4 mars
1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi sur les sucres. Discussion des principes. Prime à l’exportation
(drawback) du sucre pour favoriser le commerce maritime national, taux du
rendement, montant des droits à percevoir au profit du Trésor (Eloy
de Burdinne, Rodenbach, Dumortier,
Demonceau, Desmaisières,
Dumortier), clôture de la discussion du principe (Verhaegen, de Theux, Mercier, Dubus (aîné)), prime à
l’exportation (drawback) du sucre pour favoriser le commerce maritime national,
taux du rendement, montant des droits à percevoir au profit du Trésor (de Mérode, Cogels, Mercier)
3) Projet de loi relatif à la police et aux péages sur le chemin de fer
(Moniteur
belge n°64, du 5 mars 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart,
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en
est approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« La commission administrative des hospices
civils de la ville de Dixmude demande la révision de la loi sur le domicile de
secours. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
______________________
« Le sieur Janssens prie la
chambre de statuer sur sa demande tendant à pouvoir exercer en Belgique la
profession d’avocat avec le diplôme qu’il a obtenu en France. »
- Même décision.
______________________
Il est fait hommage à la chambre d’un
exemplaire des cahiers de janvier et février du journal vétérinaire et agricole
de Belgique.
- Dépôt à la bibliothèque.
______________________
M. Peeters informe la chambre qu’il est retenu chez lui par une indisposition.
- Pris pour notification.
Discussion
des propositions relatives au rendement et aux chiffres des droits à percevoir
au profit du Trésor
M. le président. - La discussion continue sur les questions du droit et du rendement,
et sur les amendements proposés.
M. Eloy de Burdinne. - En combattant mon amendement, l’honorable M. Delehaye a employé un
argument des plus spécieux, mais nullement sérieux, j’aime à le croire.
L’honorable M. Lebeau a reproduit le même argument.
Il a proposé, messieurs, de porter à
60 fr. l’impôt sur le sucre exotique et à 30 fr. celui sur le sucre sur
indigène ; je n’ai pas entendu par là établir une prime, comme l’ont prétendu
ces honorables membres, mais j’ai voulu accorder une protection, j’ai voulu en
un mot traiter l’industrie du sucre de betterave comme on traite toutes les
autres industries du pays.
L’honorable M. Delehaye et l’honorable
M. Lebeau prétendent que si vous adoptez mon amendement, vous donnerez aux
producteurs du sucre de betterave une prime de 800 fr. par hectare de terre
cultivée en betterave, dont la production ne serait que de 700 francs.
Messieurs, je considère comme inexacts
et comme péchant par leur base les calculs qui ont servi aux honorables membres
auxquels je réponds. L’honorable M. de
En adoptant, messieurs, le
raisonnement captieux de l’honorable M. Delehaye et de l’honorable M. Lebeau,
vous devriez admettre que le producteur de houille, qui livre à la consommation
un million de tonneaux de houille, reçoit 14,800,000
francs de prime. Voilà, messieurs, si les arguments de ces honorables membres
sont exacts, quant à la production du sucre indigène, quel doit être le
résultat de la prétendue prime que l’on accorde à l’industrie des houilles.
Messieurs, vous le savez comme moi,
la protection accordée à la houille est un droit de 14 francs 80 c. par tonneau
de houille venant de l’étranger.
Voilà un exemple ; je vous en
donnerai d’autres. Je ne les citerai pas tous, car si je devais les citer tous,
je devrais passer en revue tout le tarit des douanes.
Je vous rappellerai ce qui a lieu
pour l’industrie des toiles.
Un droit de 500 francs par 100 kilog. frappe l’entrée des toiles,
étrangères de certaine qualité. L’honorable M. Delehaye et l’honorable M.
Lebeau diront-ils pour cela que l’on accorde une prime de 500 francs aux
producteurs de toiles des Flandres par 100 kil. de toiles qu’ils fabriquent ?
Je citerai un autre exemple, qui,
j’aime à le croire, frappera d’avantage mon honorable contradicteur, et qui, je
l’espère, le fera revenir de son erreur ; et je ne désespère pas de le voir
partager mon opinion ; car s’il est dans l’erreur, je crois qu’il est de bonne
foi.
En 1836, 15 millions de kil. de sucre
brut sont entrés dans la consommation ; à raison de 37 fr. 02 par 100 kil, ils
devaient rapporter à l’Etat un produit de 5,550,000 fr.
Le trésor messieurs, a reçu, en 1836, 180,000 fr.
L’honorable M. Delehaye me dira
peut-être que le sucre de betterave est entré cette année-là dans la
consommation indemne de droits pour une certaine quotité. Eh ! messieurs, admettons qu’en 1836 le sucre de betterave soit
entre dans la consommation pour une quantité telle qu’il aurait frustre le
trésor d’une somme de 550,000 francs, il n’en serait pas moins vrai que près de
5 millions, 5 millions moins 180,000 fr., auraient été accordées en primes aux
raffineurs de sucre exotique qui ont travaillé pour l’exportation. En partant
du système suivi par l’honorable M. Delehaye, il faut convenir que toute
protection accordée à une industrie du pays, ou plutôt que tout droit dont on
frappe les produits étrangers similaires aux nôtres, serait une prime. Mais
non, messieurs, ce n’est pas là une prime, c’est une protection, c’est un moyen
d’assurer à nos industries le marché intérieur du pays. Et c’est ce que font
tous nos voisins ; en agissant autrement, vous agiriez contrairement aux vrais
intérêts de votre pays, vous cesseriez d’être Belges, vous cesseriez d’être
patriotes.
Messieurs, admettons pour un moment,
et seulement pour voir les conséquences, qu’il s’agisse d’une prime, comme
l’entend l’honorable M. Delehaye ; 10 ou 12 (je crois plutôt 10) raffineurs
travaillent à Anvers et à Gand pour l’exportation ; eh bien, d’après le système
de l’honorable M. Delehaye cinq millions auraient été partagés, en 1836, aux
raffineurs du sucre exotique pour l’exportation : c’est autre chose que
d’accorder 800 fr. par hectare de terre cultivé en betterave.
Je le déclare, je crois qu’après ces
exemples l’honorable M. Delehaye reviendra de l’opinion qu’il a émise, que
toute protection accordée au commerce soit une prime accordée au producteur.
Messieurs, on pourrait, en raisonnant
ainsi, appliquer les mêmes calculs à l’industrie des cotons. On pourrait dire
que l’industrie cotonnière de Gand jouissant d’une protection de tant p. c. sur
la valeur des produits similaires venant de l’étranger, c’est une prime que
l’on donne aux fabricants de tissus de coton.
Je crois, messieurs, en avoir dit
assez pour vous démontrer combien sont erronées les observations de l’honorable
M. Delehaye, et pour vous prouver que son discours, en ce qui concerne les
prétendues primes, n’est qu’une hérésie.
J’aurais pu citer beaucoup d’autres
exemples à l’appui de mon opinion ; mais je ne veux pas abuser des loisirs de
la chambre ; je restreindrai le plus possible mes observations.
Soyons justes, messieurs, envers
toutes les industries de notre pays ; traitons les fabricants de sucre indigène
comme nous traitons les fabricants de coton et les fabricants d’autres
produits. Cherchons, messieurs, à produire le plus que nous pouvons. On doit
savoir que plus un pays produit, plus il se place dans une position favorable.
Messieurs, j’en reviens plus
particulièrement à mon amendement.
J’ai négligé, me dit-on, en
présentant mon amendement, de fixer le rendement que j’exigeais de la part des
raffineurs de sucre exotique.
Messieurs, mon intention est que la
partie de sucre retirée de 100 kilog. de sucre brut, et livrée à la consommation, paie la totalité
des droits imposés sur ces 100 kilog. de sucre brut, et cela à raison de 60 francs par 100 kilog. de sucre exotique, et de 30
fr. par 100 kilog. de sucre
indigène.
Quant à la protection du commerce
maritime, je me rangerai à l’avis de ceux qui me donneront le moyen de protéger
ce commerce sans léser le trésor public. Je veux que le commerce maritime soit
protégé comme toutes les industries nationales ; mais je ne veux pas que ces
industries factices viennent enlever au trésor public 4 à 5 millions de francs.
Voilà ce que je ne veux pas ; voilà à quoi je m’opposerai toujours.
S’il m’était démontré, messieurs, que
le système de l’honorable M. Dumortier doit nécessiter une dépense de 10 ou 12
millions à une dizaine d’industriels qui raffineraient le sucre pour
l’étranger, certes je repousserais ce système ; mais si l’on ne me démontre pas
cela autrement que par des théories, si on ne me le démontre pas par des faits
patents, alors je donnerai mon assentiment à la proposition de l’honorable M.
Dumortier.
Je crois, messieurs, qu’avec un peu
de bon vouloir on trouverait le moyen d’exécuter le système de M. Dumortier, de
manière à faire produire au sucre la somme que la chambre voudra faire produire
à cette denrée, et cela sans nécessiter les grands embarras dont on nous a fait
peur. Je suppose, par exemple, qu’un raffineur soit pris en charge pour un
million de kilog. de sucre
exotique, ce sucre serait de telle ou telle qualité ; eh bien, messieurs,
d’après le tableau qui nous a été fourni par M. le ministre des finances, on
connaîtrait quelle est la quantité de sucre cristallisé, de vergeois
et de mélasse, que ce million de kilog. de sucre brut peut produire ; on pourrait donc établir
quelle serait la question de la restitution à accorder à l’exportation d’une
quantité donnée de sucre cristallisé, de vergeois ou
de mélasse.
Mais, dit l’honorable M. Delehaye, la
mélasse est le beurre du pauvre. Quels sont donc, messieurs, les pauvres qui
consomment la mélasse ? Je suppose que les pauvres de Gand et d’Anvers en
consomment ; mais les fabricants de pain d’épice n’en consomment-ils pas ?
Est-ce que les classes aisées n’en consomment pas aussi ? Il n’y a pas
jusqu’aux honorables députés d’Anvers qui n’en consomment quand ils mangent du
lait battu. (On rit.) Ainsi la
mélasse est le beurre du pauvre ! Mais je prierai l’honorable M. Delehaye de me
dire ce que c’est que le sel ? Quoi, messieurs, vous exigez des malheureux qui
consomment le sel un impôt de 4 millions, alors que le sucre produit à peine un
million ! Une pareille législation n’est-elle pas un véritable scandale ?
Je veux, messieurs, protéger toutes
les industries ; je veux protéger celle qui fabrique du sucre pour
l’exportation, mais je ne veux pas lui donner une protection exorbitante.
Toutefois, je ferai remarquer une chose : on nous a dit que l’Angleterre et la
France renoncent à lutter avec
J’ai dit, messieurs, que si nous
favorisions l’industrie du sucre indigène, nous pourrions procurer du travail à
20,000 ouvriers ; on a contesté ce chiffre. M. le ministre des finances, avec
la meilleure foi du monde (car je ne soupçonne en rien ses intentions ), s’il
diffère d’opinion avec moi, c’est qu’il a reçu une éducation différente de la
mienne ; M. le ministre des finances a été élevé dans un port de mer ; on lui a
inspiré, dés sa plus tendre jeunesse, une haute idée des avantages du commerce
; moi, au contraire, je ne me laisse pas influencer par tout ce qu’on nous
représente comme les intérêts du commerce ; je veux certainement favoriser le
commerce, mais je ne veux pas le favoriser d’une manière aussi exclusive que M.
le ministre des finances ; mon éducation, à moi, a été agricole ; et comme
l’agriculture est, dans mon opinion, la mère de toutes les industries, je crois
qu’en me consacrant à sa défense j’ai entrepris une tâche facile et en même
temps patriotique.
M. le ministre des finances,
disais-je, a contesté le chiffre de 20 mille ouvriers qui, selon moi,
recevraient du travail, st nous protégions suffisamment l’industrie du sucre
indigène. Quand j’ai cité ce chiffre on s’est écrié que j’exagérais. Eh bien,
messieurs, je m’empare des chiffres de M. le ministre des finances lui-même,
qui nous a dit que chaque fabrique de sucre indigène emploie environ cent
ouvriers et ouvrières ; il y a dans le pays 36 fabriques : la seule fabrication
du sucre indigène emploie donc 3,600 ouvriers, et cela pour fournir à la
consommation cinq millions de kilogrammes.
Supposez maintenant que
L’honorable député de Bruxelles, M.
Verhaegen, nous a donné le détail des dépenses faites et des ouvriers employés
pour le sarclage, le plantage et l’arrachage de la betterave. Si donc vous
remplacez la culture de la betterave par celle d’autres produits, la plus
grande partie des ouvriers que cette première culture occupe seront sans
travail, et par conséquent sans pain.
Il est une chose, messieurs, qui doit
nous étonner, c’est que les députés des Flandres, provinces où la classe
malheureuse ne peut plus filer, ni tisser, à tel point qu’on a amené les
chambres à admettre en faveur des populations de ces provinces une disposition
qui grève le budget d’une somme de un million de francs, afin de leur procurer
le moyen de continuer à fabriquer de la toile. (Le dernier traité avec
J’ai dit, messieurs, que 20,000
ouvriers seraient occupés à l’industrie du sucre indigène, si nous la
protégeons de manière à ce qu’elle s’implante en Belgique. Eh bien, s’il y a un
reproche à me faire, c’est d’avoir été au-dessous de la réalité. En effet,
3,600 ouvriers sont employés à la fabrication même du sucre, autant sont
employés à la culture de la betterave ; soit, 7,200 ; maintenant produisez 5
millions de sucre, vous emploierez 3 fois autant d’ouvriers, et au lieu de
7,200 ouvriers, vous en aurez 21,600.
Un honorable député de Gand a dit
encore que dans
Je sais, messieurs, que dans
Eh bien, introduisez, en faveur de la
classe ouvrière, la culture de la betterave au moins dans
A entendre certains orateurs, la
classe ouvrière ne doit nous intéresser qu’autant qu’elle appartient aux villes
; si l’on fait mine de vouloir supprimer 4 à 5 millions de primes pour le
raffinage du sucre exotique, on s’écrie tout à coup : « Oh ! prenez-y garde : vous allez nuire à la classe
ouvrière... »
La classe ouvrière employée dans les
raffineries du sucre exotique, mais elle ne se compose que d’un nombre
d’individus bien peu considérable, mais qu’importe, au dire de nos adversaires,
on ne doit porter intérêt à la classe ouvrière qu’autant qu’elle ait le bonheur
d’appartenir aux villes ; ainsi, en supprimant la sucrerie de betterave, l’on
ôterait leur gagne-pain à 20,000 ouvriers ; mais ils appartiennent aux
campagnes ; mon Dieu ! ces gens-là ne doivent nous
inspirer aucun intérêt ; mais parlez-nous d’un millier d’ouvriers qui
travaillent dans les raffineries de sucre à Gand et à Anvers, ces individus
méritent tout l’intérêt du monde, il faut leur procurer du travail, à tout
prix. Quant au campagnard, c’est une bête de somme ; on n’en prend aucun souci
; s’il meurt de faim, tant pis.
Messieurs, M. le ministre des
finances vous a dit que mon système serait loin de procurer au trésor la somme
que je prétendais devoir lui revenir d’après ce système ; il vous a dit même
qu’on n’obtiendrait pas les quatre millions que, selon lui, le projet du
gouvernement devait produire.
A l’appui de son raisonnement, M. le
ministre nous a fait remarquer qu’en portant l’impôt à 60 fr., nous allions
encourager la fraude, nous allions donner à
Messieurs, lorsqu’on a frappé le sel
de 300 p. c. de la valeur, on n’a pas craint la fraude. Eh bien, qu’est-ce que
je vous demande Je vous demande 60 fr,, chiffre qui
représente à peu près la valeur de la matière.
M. le ministre des finances, par son
dernier amendement, vous propose d’imposer le sucre exotique à raison de 40
fr., et le sucre de betterave à raison de 22 fr. les cent kil., avec
augmentation de 50 centimes d’année en année, jusqu’à ce qu’on parvienne au
chiffre de 25 fr.
Vous conviendrez avec moi, messieurs,
qu’en portant les droits sur la consommation du sucre de 22 et de 40 fr., vous
serez loin de recevoir quatre millions de recette, vous ne pourrez satisfaire
aux besoins du trésor, et le trésor a même besoin de plus de quatre millions.
Je ferai remarquer qu’on a prétendu que par le chiffre présenté par M. le
ministre des finances, nous traitons en Belgique les sucres indigènes aussi
bien qu’ils étaient traités en France.
J’ai en ma possession les documents
de la douane française, et je me suis empressé de les consulter. Voici le
résultat de mes investigations.
Le sucre de betterave paie 22 fr. par
100 kil. en France. Le sucre
de canne, étranger aux colonies françaises, paie de 60 à 95 francs les 100 kilog.,
selon la qualité ; soit, taux moyen, 73 fr. les 100 kilog.,
ou 73 centimes par kilog. de sucre venant de
l’étranger et livré à la consommation en France : différence en faveur du sucre
de betterave, 51 francs par 100 kil, ou 51 cent, par kilog., comparativement au
droit établi sur le sucre de canne venant de l’étranger.
Eh bien, qu’est-ce ce que je demande
par mon amendement ? Je demande en faveur du sucre indigène une protection de
30 francs. Vous conviendrez que je suis bien modéré, si vous comparez le
chiffre que je propose avec ce qui se passe en France, car en France le sucre
de betterave a une protection de 51 fr. par 100 kilog.,
tandis qu’en Belgique, je ne demande qu’une protection de 30 fr., et remarquez
que la France n’est pas aussi intéressée que nous à soutenir l’industrie de la
betterave, puisque son propre pays produit le sucre de canne.
Messieurs, j’espère bien qu’en me
voyant défendre les intérêts de la sucrerie de betterave, on ne me soupçonnera
pas d’obéir à aucune espèce d’intérêt personnel. Je ne suis ni fabricant, ni
cultivateur de betterave pour la fabrication du sucre. Je n’ai pas pris une
action dans une société industrielle de sucrerie indigène. Je ne dois pas
m’attendre non plus à voir s’établir dans mon voisinage des fabriques de sucre
indigène. Le seul motif qui me fait parler dans cette discussion, c’est que je
vois un avantage immense dans l’introduction de cette industrie, non seulement
sous le rapport de ses produits, mais encore pour l’amélioration de nos terres,
non pas, comme on l’a dit, des meilleures terres, mais des terres de moyenne
qualité.
Je vous ai cité un exemple. Eh bien,
c’est sur des terres de moyenne qualité qu’on a éprouvé les effets bienfaisants
de cette culture. Mais, dit-on, cultivez d’autres denrées et vous aurez les
mêmes résultats. Cela n’est pas possible.
Les autres produits devraient
consister en fourrages, car les terres cultivées en betteraves étaient
destinées à produire du fourrage et pas autre chose.
Or, la terre cultivée en betterave
donne une quantité de nourriture pour le bétail double et quelquefois triple de
celle des autres récoltes de fourrages, plus environ (je reste encore ici au-dessous
de la vérité) 15 à 1800 kilog. de
sucre.
De plus, après ce fourrage, cette
terre vous donne, après la récolte de la betterave, une récolte en froment de
25 p. c. plus abondante que si on n’y avait pas cultivé la betterave ; la
troisième récolte qu’elle vous donne en autres céréales présence encore une
augmentation de 25 p. c. sur les autres terres. Ceci est un avantage immense,
je ne dis pas pour le cultivateur qui a dû faire des dépenses considérables,
pour faire produire la betterave à sa terre, mais dans l’intérêt de
l’agriculture générale du pays, les produits obtenus en sucre lui ayant peinés
d’augmenter ses dépenses afin de rendre sa terre propre à la culture de la
betterave. Ajoutez à cet avantage celui d’employer vingt mille ouvriers malheureux,
femmes, enfants et vieillards, à la culture de la betterave et à la fabrication
du sucre. Si vous employez 16 mille ouvriers à faire des routes et des canaux,
vous n’emploierez pas les enfants, les femmes et les vieillards, comme on le
fait pour le sucre de betterave.
Toutes ces considérations
méritent certainement toute l’attention de la législature. Pour éviter de
prolonger plus longtemps cette discussion, je bornerai là mes observations. Je
dirai cependant en terminant que je ne voterai qu’une disposition telle que le
gouvernement perçoive de 4 à 8 millions : quatre millions, au moins. Je ne veux
plus de propositions de centimes additionnels, je les repousserai toutes, comme
je l’ai déjà fait cette année, et je pense que la chambre entière les repoussera,
en présence de moyens de les éviter, par l’adoption de mon amendement.
M. Rodenbach. -
J’ai demandé la parole dans la séance d’hier, pour répondre quelques mots à
l’honorable M. Dumortier, qui a avancé que par mon amendement je voulais tuer
l’industrie de la betterave. Si mon intention avait été d’anéantir cette
industrie indigène, j’aurais voté l’égalité des droits. Alors on ne le cachait
pas, on l’avouait ; on disait : Nous voulons porter le poignard dans le sein de
cette industrie au moyen d’une indemnité. J’ai voté contre. C’est donc à tort
qu’on m’accuse d’avoir voulu détruire les sucreries de betteraves, J’ai fait
mon amendement avec une conviction intime. Je n’ai pas pris des chiffres, parce
que je me suis dit : les chiffres sont aussi élastiques que les paroles. Je me
suis fondé sur des faits. Un surtout m’a frappé, c’est ce qui m’a suggéré
l’idée de faire un amendement ; puisque plusieurs industriels dans la banlieue
de Bruxelles joignent à la fabrication du sucre de betterave la raffinerie de
ce sucre en pain et peuvent vendre ce sucre raffiné à 10 centimes meilleur
marché que le sucre de canne, et soutenir la concurrence avec ce sucre sur la
place de Bruxelles et ailleurs ; si on leur donne une protection de 25 p. c.,
elle doit leur suffire.
M. le ministre a fait un calcul
d’après lequel la protection ne serait pas tout à fait de 25 p. c. On a
légèrement modifié mon amendement et on a accordé une protection plus forte. Quand
l’industrie du sucre de betterave peut vendre maintenant ses produits 10
centimes meilleur marché et que la proposition ministérielle leur donne une
différence de 18 fr. sur l’impôt, quand une industrie paye 18 fr. moins
d’impôt, si une pareille industrie ne peut pas exister en Belgique, c’est une
industrie en serre chaude qui n’a pas d’avenir ; si avec une pareille
protection elle ne peut pas soutenir la concurrence, elle n’est pas digne de
vivre, elle doit tomber ; si c’est à force de sacrifices de la part du peuple
qu’elle peut vivre, elle doit tomber. Parce que des individus ont fait une
mauvaise spéculation, ce n’est pas le pays qui doit en souffrir. En France, on
n’a qu’une protection de 16 fr. ; en Belgique elle serait de 18.
Un membre. - Et la différence de rendement !
M. Rodenbach. -
J’ai la conviction intime que si la protection que nous voulons accorder au
sucre indigène était offerte aux fabricants français, ils en seraient
enchantés. J’ai eu des relations avec des industriels français du département
du Nord. Il paraît qu’en France il est question de l’uniformité des droits. Ils
se sont réunis. La commission de la chambre des députés est chargée de préparer
ce projet. Il paraît qu’ils sont sur le point de conclure qu’il y aura le même
droit sans indemnité.
La chimie fait des progrès. Sous
Napoléon, quand on parlait du sucre de betteraves, en Angleterre et en France,
on faisait des caricatures, on était bafoué ; on disait que c’était absurde. La
science, la chimie a fait tant de progrès qu’on est parvenu à faire du sucre.
On l’a déjà dit, on demande des brevets, ce ne sont pas des spéculateurs
vulgaires, mais des fabricants honorables qui demandent un brevet. Ils
prétendent qu’ils sont parvenus à faire cristalliser à l’empli, sans faire
préalablement de la cassonade. Si on parvient à le faire, voyez quel problème
aura résolu la science. Elle n’est pas stationnaire, la science, elle avance
toujours. Je ne veux pas l’anéantissement du sucre de betterave, Loin de dire que
ce que j’ai fait était pour tuer la betterave, je le répète, si les
établissements joignent à la fabrication du sucre indigène la raffinerie et la
confection des sucres en pain, ils feront une forte concurrence aux sucres de
canne.
Je dirai un mot du système de M.
Dumortier. Je considère cela comme une théorie. Il a jeté cette idée en avant ;
elle pourrait paraître bonne au premier abord, mais ce n’est réellement que de
la théorie. Vous le savez, le type le plus clair en théorie, en pratique est
souvent un véritable chaos. Un système pareil serait peut-être fatal à nos
finances. Il faudrait établir des locaux qui coûteraient des millions pour
qu’on puisse travailler. Je ne sais pas si nous allons sacrifier des millions
pour le sucre quand nous voulons qu’il rapporte 4 millions au trésor.
M. Eloy de Burdinne propose de
fixer le droit à 60 fr. sur le sucre de canne et 30 fr. sur le sucre de
betterave. Avec son système, vous verriez introduire en Belgique des sucres de
Hollande et de France, et vous n’auriez plus de commerce interlope qui rapporte
un million. Votre marché serait envahi par les sucres de France et de Hollande.
Voilà où vous réduirait un droit de 60 et de 30 fr. Le mieux est souvent
l’ennemi du bien. Aujourd’hui, quoi qu’on en dise, nous avons l’assurance que
les 4/10 resteront au trésor et produiront au moins 3,500,000
fr. On ne peut pas prévoir les arrivages. Le ministre a modifié tant soit peu
mon amendement. C’est le même amendement. Aussi je m’y rallierai, parce que je
crois que dans 6 ans on ne pourra plus donner une protection si forte. Je suis
sûr que dans six ans on arrivera à mon chiffre normal, qui est 25 fr.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Il n’y a pas de fait personnel.
M. Dumortier. - L’honorable M. Rodenbach a exigé ma présence pour m’adresser une
question. Il serait fort incivil de ma part de ne pas lui répondre. Du reste,
si la chambre ne me le permet pas, l’incivilité ne sera pas de mon fait, mais
je n’ai que deux mots à dire. (Parlez,
parlez.) C’est un fait constant que la chimie n’est pas stationnaire ; je
le reconnais d’autant plus que le sucre de betterave que l’on vend 70 centimes,
on avait de la peine à le faire pour 6 à 7 francs sous l’empire. La chimie fera
sans doute encore des progrès pour la betterave, mais elle en fera également
pour la canne ; pour l’une comme pour l’autre, on fera des progrès. Ainsi
l’argument s’applique à l’un et à l’autre.
Quant à ce que dit l’honorable
membre, que le système que j’ai proposé est une théorie impraticable, ce sont
là des paroles et rien que des paroles. Rien n’est plus facile que de démontrer
l’impraticabilité d’un système, mais on n’a pas dit un seul mot pour le faire.
Aussi longtemps donc qu’on ne m’aura pas démontré l’impraticabilité du système
de droits de douane qui existe en Angleterre, on ne m’aura pas répondu. Toute
la question se résume en un mot. Continuera-t-on le système de rendement, oui ou
non ? Eh bien, je voudrais que les amateurs de ce système voulussent bien en
démontrer l’excellence, et le justifier ; c’est par là qu’ils doivent essayer
de me répondre.
M. Demonceau. - Messieurs, je viens encore une fois prendre part à cette discussion,
et, je le déclare, j’éprouve un vif regret d’être obligé de faire opposition au
gouvernement.
L’honorable M. Lebeau, dans une
séance précédente, a invoqué mes paroles pour prouver que la protection que
j’ai demandée pour le sucre de betterave est exorbitante. Il a invoqué contre
les défenseurs du sucre indigène les paroles que j’avais prononcées dans une
séance précédente, paroles qui s’appliquaient bien davantage à l’industrie du
sucre exotique qu’à l’industrie de la betterave. En effet, messieurs, alors je
prouvais par des chiffres qui n’ont pas été renversés et qu’on ne pouvait
contester, que le sucre exotique avait obtenu à la sortie, dans les quatre
années 1834, 1835,1836 et 1837, une restitution que j’ai qualifiée partie prime
et partie restitution, d’environ 64 francs, tandis que le droit, si on le leur
avait restitué, n’était que de 37 fr. Ainsi, messieurs, l’industrie du sucre
exotique, pour soutenir l’exportation, a eu besoin de 27 fr. par 100 kil. de sucre qui se vendent 60 fr.
; combien est-ce de protection ? je prie mes
honorables collègues d’en faire le calcul.
Mes calculs s’appliquaient à une
période de temps antérieure à la loi qui a décrété la retenue d’un dixième ;
opérant ensuite sur une période de quatre années postérieures à cette loi, je
trouvais que la même restitution que je qualifiais partie prime et partie
restitution, s’élevait au chiffre d’environ 65 fr. par 100 kil., ce qui
établissait une protection de 28 fr. par 100 kil.
Comparant ensuite les prix de revient
du sucre de betterave avec celui du sucre exotique, j’établissais ce parallèle
entre les deux industries, et pour les égaliser, je témoignais le désir de voir
adopter un droit de 35 francs par 100 kilog. de sucre
exotique livré à la consommation intérieure, mais 35 francs effectifs ; je demandais 15 francs pour
100 kil, de sucre indigène, mais 15 francs aussi effectifs ; et je disais qu’on
arriverait à ce résultat que les deux industries pourraient livrer leurs
produits à la consommation intérieure avec un droit différentiel, mais avec la
position égale ; c’est-à dire que la différence du droit ne servira qu’à
compenser la différence du prix de revient du sucre de betterave avec celui du
sucre exotique.
Le gouvernement ayant proposé à la
chambre la question de savoir s’il fallait supprimer l’industrie de la
betterave, la chambre a résolu qu’elle ne voulait pas de cette suppression.
Force est donc bien pour la majorité de la chambre d’essayer un système qui puisse
concilier, autant que possible, les deux intérêts. La proposition faite par
l’honorable M. Dumortier n’est rien autre que celle que je faisais en théorie
dans la discussion générale ; mais alors, je n’ai pas caché, et je ne vous
cache pas encore aujourd’hui, que ce serait un changement complet de
législation. Cependant, je ne serais pas effrayé de ce changement complet, et
voici pourquoi c’est que ce système est en vigueur dans un pays voisin, dans
l’association des douanes allemandes. En effet, consultez les documents qui
vous été communiqués par le gouvernement, vous verrez que l’association des
douanes allemandes, par une résolution qu’elle a prise en
Le sucre brut et la cassonade sont
frappés à l’entrée d’un droit de 47 fr. 60 c. ; mais
le sucre brut destiné aux raffineries nationales travaillant sous la
surveillance de l’administration, n’est frappé que d’un droit de 36 fr. par 100
kil. (18 fl. par centener.)
Le système du travail sous la
surveillance de l’administration n’existe donc pas seulement en Angleterre, il
existe aussi dans l’association des douanes allemandes.
Mais, a-t-on dit, ce serait détruire
l’industrie du sucre exotique, car ce serait supprimer l’exportation, que
d’adopter la proposition de l’honorable M. Dumortier. Messieurs, je ne partage
pas l’opinion de ceux qui croient qu’on supprimerait l’exportation, à moins
que, pour soutenir l’exportation, il ne faille absolument une prime, et une
prime considérable. Dans ce cas, je vous avoue que l’honorable M. Dumortier
s’est montré bien généreux quand il a offert 2 millions, que l’on ne veut pas,
semble-t-il, accepter. Je crois que M. Dumortier a été beaucoup trop généreux ;
et je vous avoue que je préférerais tenter de modifier la législation de 1822
plutôt que de devoir, pour établir son système, accorder des primes qui
s’élèveraient aussi haut.
L’honorable M. Dumortier me dit à
l’instant que nous n’arriverons jamais à un pareil résultat ; je le reconnais ;
mais la législation de 1822 paraît être le seul système admis par le
gouvernement, et nous aurons beau faire voter par cette chambre un projet
différent de celui qu’il prépare, s’il met en pratique les théories qu’on lui a
conseillées dans la séance précédente, nous verrions plus tard paraître un
arrêté portant que le pouvoir exécutif ne le sanctionne pas, nous aurions donc
perdu notre temps. Je veux donc venir en aide au gouvernement en lui disant
toute la vérité, et par suite j’aborde l’examen des propositions nouvelles de
M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances propose
sur le sucre exotique un droit de 40 fr. et sur le sucre indigène un droit de
22 fr. En faisant cette proposition, M. le ministre vous annonce qu’il a
l’intention de donner au sucre de betterave une protection de 17 fr., ce qui
serait une protection 45 p. c. de la valeur.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Non, mais du droit.
M. Demonceau. - C’est dont 45 p. c. de l’impôt, soit : me voilà d’accord avec M. le
ministre ; il entre dans son intention d’accorder au sucre de betterave 17 fr.
de protection. Voyons si les propositions faites par lui pourront atteindre ce
résultat.
Ce que nous dit M. le ministre serait
vrai, messieurs, si, en maintenant la législation de 1822, on obtenait un droit
effectif de 40 fr. sur la quantité des produits livrés à la consommation
intérieure ; mais en vérifiant attentivement les calculs que j’ai trouvés
aujourd’hui dans le Moniteur, voici
combien je trouve pour charge, déduction faite des restitutions faites aux
raffineurs de sucre exotique.
D’après les calculs de M. le ministre
des finances, il serait livré au raffinage 18,560,935 kiiog. sucre, qui, au droit de 40 fr., produiraient
fictivement 7,424,474 fr. Sur cette somme il resterait
au trésor pour les 4/10 réservés, un chiffre de 2,960,749
fr. ; ainsi pour ce qui serait exporté le gouvernement restituerait 4,454,625
fr.
Combien le sucre exotique
livrerait-il de sucre raffiné, et de différentes catégories, à la consommation
intérieure ? Il livrerait, d’après M. le ministre des finances, 11,118,000 kilog. de sucre ; et ces
11,118,000 kilog. de sucre
verseraient effectivement au trésor une somme de 2,960,749
fr.
Eh bien le droit de 40 fr., fictif
d’après la loi, réel d’après M. le ministre des finances, pour faire ses
calculs, se réduit à un chiffre de 26 fr. 71 par 100 kilog.
de sucre qui seraient livrés à la consommation.
Ainsi, messieurs, voilà un droit
nominal de 40 fr. qui se réduit, de l’aveu de M. le ministre, à 26 fr. 71 c.
effectifs. Si vous consultez ensuite les documents émanés du gouvernement,
messieurs, le sucre exotique brut est évalué à 57 fr. Joignez y 26 fr. 71, vous
aurez un prix de revient de 83 fr. 71.
D’après les calculs du gouvernement,
car ici j’admets ce qui est le plus défavorable au sucre indigène, le prix de
revient de ce dernier est évalué 75 fr. Le droit que propose le gouvernement,
(et ici j’appelle toute l’attention de l’honorable M. Rodenbach). est de 23 fr. 15. Vous avez donc un prix de revient de 98
fr. 15 c. Je dis 23 fr. 15 c. parce que M. le ministre des finances fait
supporter au sucre indigène un supplément de droit pour déchet. Je vérifie même
mes calculs, et je trouve que je n’y ai pas même compris le droit de douane que
M. le ministre voudrait peut-être lui faire aussi supporter.
Voilà donc le sucre indigène, produit
d’une industrie nationale en concours sur le marché intérieur avec l’industrie
étrangère, coûtant, droits compris, fr. 14-44 c. de plus que le sucre exotique.
Et vous venez nous dire qu’il y a protection. Mais ce n’est pas sans doute
ainsi que la chambre a entendu la protection.
Un membre. - C’est une erreur.
M. Demonceau. - On prétend que c’est une erreur ; on paraît douter de mes chiffres,
eh bien, j’engage mes honorables collègues à en prendre la substance ; la voici
: Cent kilogrammes de sucre exotique brut, de l’aveu du gouvernement, coûtent,
mis en fabrication, 57 francs les
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Le sucre indigène coûte maintenant
70 fr.
M. Demonceau. - Eh bien, opérons sur 70 fr. ; il y aura encore environ 10 francs de
différence en faveur du sucre exotique.
On va peut être m’objecter que l’on
exportera du sucre de betterave. Mais, messieurs, jusqu’à présent je n’avais
pas entendu dire qu’il fût possible d’exporter du sucre de betterave, à moins
qu’on ne l’allie au sucre exotique. Je vous avoue encore une fois que je ne
connais pas les mystères de la fabrication ; je ne saurais donc pas dire si
l’on peut ou si l’on ne peut pas exporter du sucre indigène. Mais je réitère
l’observation que je viens de faire : c’est qu’il n’y a pas possibilité que le
sucre de betterave lutte sur le marché intérieur, chargé d’un droit de 22
francs à côté de la faveur que l’on accorde au sucre exotique.
Messieurs, on a parlé de la
législation française, et on a dit que le système que proposait l’honorable M.
Rodenbach, qui persiste dans son opinion, car il vient de nous répéter ce qu’il
avait dit dans une séance précédente, était plus protecteur de l’industrie de
la betterave que le système français. Mais, messieurs, quand on veut juger d’un
système protecteur, il faut voir comment il est établi.
Quel est le système établi en France
? Le système établi en France pour la production du sucre de la métropole
contre le sucre des colonies françaises, arrive, non pas comme l’a dit M. le
ministre des finances qui s’est trompé, mais comme le disent les documents
officiels de la législation française, à 56 fr. en moyenne.
Voici, messieurs, la différence qui
existe entre la législation belge et la législation française à cet égard. La
loi de 1826 dont je vous ai rappelé la substance dans la discussion générale,
établit un droit à l’entrée sur les sucres bruts de toutes espèces, qui s’élève
à 1 fr. 20 c. en moyenne. Je ne sais si je donne le chiffre exact ; mais au
moins j’en approche beaucoup.
En France, messieurs, il y a une distinction
et une distinction importante entre les différentes espèces de sucre.
Le sucre brut des colonies françaises
autre que blanc, paie 46 fr. 50 c. à l’entrée ; le sucre blanc des colonies
françaises paie 49 fr. 50 c., mais le sucre terré des
mêmes colonies paie 72 fr. 50 c. C’est ici que notre législation diffère
essentiellement de la législation française ! C’est qu’en Belgique on peut
substituer des sucres terrés aux sucres bruts.
Ce qui vous prouve, messieurs, que la
législation française donne une protection sur ce point à l’industrie de la
métropole, c’est que, tandis que l’on a mis en consommation en 1841, 74,500,000 kil. de sucre brut des
colonies, le droit sur le sucre terré étant en quelque sorte prohibitif, il n’a
été mis en consommation que 15,000 kil. de cette
qualité.
Eh bien ! voulez-vous
éviter les conséquences funestes de la loi de 1822 ? Changez la loi de 1826,
adoptez le système français, établissez un droit sur les sucres bruts dit
moscovades, établissez un droit différentiel sur les sucres terrés, peut-être
ne pourra-t-on plus frauder la loi.
M. Rodenbach. -
Et nous n’exporterons plus un kilog de sucre.
M. Demonceau. - Nous n’exporterons plus un kilog., dit l’honorable M. Rodenbach. J’espère que l’honorable
membre nous prouvera ce qu’il avance ; d’ailleurs faut-il donc que le trésor
paie les sacrifices qui sont nécessaires pour soutenir cette exportation ?
Employez, messieurs, les sommes qu’emportent ces sacrifices à protéger des
services de bateaux à voiles qui exporteront vos marchandises dans les pays
lointains ; vous aurez les mêmes avantages qu’en favorisant la seule industrie
du sucre exotique.
Je viens de vous signaler la différence énorme que
je trouve entre la protection promise en paroles et celle que l’on donne en
réalité au sucre indigène. Je désire, messieurs, dans l’intérêt de cette
industrie, que je me sois trompé dans mes calculs, j’attendrai donc qu’on
veuille bien me dire en quoi je me suis trompé.
Messieurs, comme je m’aperçois que M. le ministre
des finances désire autant que possible concilier les intérêts des deux
industries, je lui adresserai une question. Dans une lettre qu’il adressa à la
section centrale, le 24 août 1842, il paraissait accepter 50 fr. pour le sucre
exotique et 25 fr. pour le sucre indigène, à la condition qu’il n’y eût rien de
changé au rendement. Je voudrais savoir si M. le ministre des finances tient
absolument à ce que le rendement ne soit pas changé. Je voudrais qu’il
m’explique pourquoi, quand il propose pour l’industrie du sucre indigène le
système français, il ne veut pas également le rendement français pour le sucre
exotique.
Il me semble que nous ne devons pas moins faire pour
notre industrie indigène que n’a fait le gouvernement
français pour celle de la métropole. Car, faites y bien attention ; le système
protecteur en France, est entre l’industrie de la métropole et l’industrie des
colonies. Si je vous donnais le détail des droits dont sont frappés les sucres
étrangers, vous trouveriez une bien autre protection
pour le sucre de betteraves.
Je n’ai plus, messieurs, que quelques mots à dire,
et c’est pour réfuter une objection que je crois avoir été faite dans la séance
d’hier, par l’honorable M. Lebeau.
Si vous établissez un droit trop élevé sur le sucre
exotique, ai-je cru comprendre, vous allez attirer l’infiltration du sucre
hollandais dans l’intérieur du pays. Messieurs, si l’infiltration du sucre
hollandais peut être à craindre sous l’empire de la législation réformée, elle
doit être à craindre sous l’empire de la législation actuelle. Car savez-vous
de combien est le droit dont sont frappés les sucres exotiques raffinés à
l’entrée ? Ils s’élèvent à 78 fr. par 100 kilog.
Ainsi l’économie que
Vous n’avez donc pas à craindre que le sucre
étranger vienne s’emparer de la consommation intérieure du pays. Il ne s’en est
pas emparé sous l’empire de la législation actuelle, il ne pouvait pas le faire
à cause du droit prohibitif dont il est frappé ; il ne le pourrait pas, lors
même que vous élèveriez le droit sur le sucre brut destiné à être raffiné à
l’intérieur.
Messieurs, le droit de 40 francs
mis en parallèle avec le droit de 22 francs, comme je viens de le présenter,
établit-il une protection pour l’industrie indigène ? Veuillez, je vous prie,
vérifier mes calculs et jugez. Quant à moi, je ne le pense pas ; je ne puis
accepter une pareille proposition ; et, quoi qu’il en advienne, je voterai
contre. De cette manière on me mettra encore une fois dans la nécessité de
voter pour la proposition de l’honorable M. Dumortier, et si celle-ci était
rejetée, pour celle de la section centrale, à moins qu’on ne me propose un
système moins désastreux pour l’industrie du sucre exotique (puisqu’on continue
à n’en pas vouloir) et une protection réelle pour l’industrie nationale ; la
chambre ne peut, en effet, faire indirectement ce qu’elle n’a pas voulu faire
directement, c’est-à-dire compromettre l’existence de l’industrie nationale.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, je regrette
vraiment que l’on me force de revenir encore sur un fait que j’ai déjà cité
deux fois dans cette discussion, pour prouver que la législation actuelle
fournit au gouvernement le moyen de réprimer l’importation frauduleuse du sucre
raffiné à l’étranger, sans devoir recourir à aucun des moyens que l’on repousse
comme vexatoires, et que je crois, moi, qu’il serait utile d’employer dans
l’intérêt des deux industries.
L’honorable M. Lebeau avait dit que si l’on adoptait
la proposition que l’honorable M. Demonceau voudrait voir adopter, il en
résulterait une infiltration frauduleuse excessive de sucre raffiné à
l’étranger et que dès lors ni la betterave ni le sucre exotique ne pourraient
exister ; que par conséquent aussi le trésor ne recevrait plus rien mais
devrait, au contraire, supporter de très fortes dépenses pour combattre la
fraude. A cela, l’honorable M. Demonceau a répondu : « Mais avec la législation
actuelle, qui frappe les sucres raffinés à l’étranger d’un droit prohibitif,
vous n’avez pas de fraude : eh bien ; vous n’aurez pas non plus de fraude si
vous supprimez cette législation. »
Mais, messieurs, j’ai prouvé par un fait qui s’est
passé lorsque j’étais au département des finances, que la législation actuelle
fournit au gouvernement le moyen de réprimer la fraude ; si cette législation
était réformée et s’il n’existait plus en Belgique que du sucre de betteraves,
ce sucre coûtant plus cher que le sucre exotique, il faudrait établir une
protection encore plus forte que celle qui existe maintenant contre le sucre
raffiné à l’étranger ; il faudrait donc rendre plus prohibitif encore le droit
dont ce sucre est frappé. Je ne vois pas dès lors, messieurs, que si la législation
était changée dans le sens de l’honorable M. Demonceau, on trouverait encore,
comme il l’a dit, les moyens de réprimer la fraude des sucres raffinés à
l’étranger.
M. Demonceau. - J’ai dit que si vous pouvez réprimer la fraude avec la législation
actuelle, vous pourrez encore la réprimer avec la législation reformée.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Mais, messieurs, pour pouvoir
décider si avec la législation reformée on pourrait réprimer la fraude comme on
la réprime avec la législation actuelle, il faudrait d’abord savoir ce que
c’est que cette législation réformée. Or, voilà cinq jours que l’honorable M.
Dumortier a proposé de réformer la législation actuelle, ou plutôt de supprimer
la loi actuelle ; nous n’avons cessé de sommer l’honorable membre de vous faire
connaître les moyens d’organisation du système qu’il voudrait établir ; il nous
a dit hier qu’il ne lui fallait qu’une heure pour présenter ces moyens d’organisation,
et cependant jusqu’à présent nous ne les connaissons pas.
M. Dumortier. - J’ai expliqué hier mon système ; mes explications sont dans le Moniteur. Vous avez d’ailleurs l’exemple
du Zollverein et de l’Angleterre.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Mais présentez donc les moyens
d’organisation.
M. Dumortier. - Je les ai présentés hier. D’ailleurs, il s’agit dans ce moment d’une
simple question de principe : maintiendra-t-on le système de rendement ?
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Vous avez demandé hier au gouvernement
qu’il formulât les moyens d’exécution de votre système ; du reste, je dois
féliciter l’honorable M. Demonceau de ce qu’aujourd’hui il abandonne lui-même
le système de M. Dumortier, qui, après tout, comme l’a dit M. le ministre de
l’intérieur, ne constitue qu’une simple idée.
M. Dumortier. - Mais lisez donc le Moniteur
d’hier.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières)
- Maintenant je dois répondre un mot à l’argumentation par laquelle
l’honorable M. Demonceau a voulu prouver que, loin de recevoir une protection,
le sucre de betteraves serait en défaveur à l’égard du sucre de canne, si
l’amendement de l’honorable M. Rodenbach était adopté. Toute cette
argumentation, tous les calculs de M. Demonceau reposent sur une erreur
capitale ; je suis fâché de devoir le lui dire, mais l’honorable membre ne
comprend pas encore la législation existante ; en effet, du droit de 40 fr.,
proposé par l’honorable M. Rodenbach pour le sucre exotique, il a déduit
l’exemption du chef de l’exportation, et il n’a pas agi de la même manière à
l’égard du sucre de betteraves.
Voilà comment l’honorable membre arrive à une
défaveur pour le sucre de betterave. Mais, messieurs, déjà plusieurs fois dans
cette chambre, et en 1837 et dans la discussion actuelle, j’ai expliqué quel a
été le but du législateur de 1819 ; car, comme l’a fort bien dit l’honorable M.
Lebeau. il y a un quart de siècle que la législation actuelle existe, il y a un
quart de siècle que la loi a provoqué au profit de la navigation, du commerce,
de toutes nos industries et de l’agriculture, l’établissement de nos nombreuses
raffineries de sucre qui emploient des capitaux très considérables ; il y a 25
ans que la législation actuelle existe, et voici, messieurs, ce qui existe dans
toutes les lois portées depuis cette époque, relativement au droit d’accise sur
le sucre : On y trouve d’abord que le sucre est frappé d’un droit d’accise de
telle ou telle quotité, et ensuite que le paiement de ce droit d’accise peut se
faire de deux manières ; soit en argent, soit par l’exportation d’une certaine
quantité de sucre raffiné. Voilà, messieurs, ce que nous voyons dans toutes les
lois qui ont été promulguées depuis 1819 sur la matière, y compris celle de
1838, que vous avez votée vous-mêmes.
Eh bien, messieurs, voici en quoi l’honorable M.
Demonceau s’est trompé dans ses calculs : c’est qu’il a perdu de vue qu’il y a
toujours réellement paiement du droit, soit que ce payement ait lieu en
numéraire, sot qu’il ait lieu par décharge au moyen de l’exportation ; or c’est
la loi qui a voulu que le paiement pût avoir lieu en partie de cette dernière
manière et cela dans l’intérêt du commerce, de la navigation, de toutes nos
industries et de l’agriculture elle-même.
C’est la loi qui l’a voulu et
qui, en le décrétant, a provoqué la création d’un grand nombre d’établissements
que nos industriels ont élevé au moyen de capitaux considérables. Les
honorables MM. Dumortier et Demonceau voudraient d’un trait de plume effacer
tout cela ; ils voudraient de cette manière anéantir à la fois tous ces
établissements, ainsi que le commerce extérieur et la navigation. Et veuillez
bien le remarquer, messieurs, le commerce extérieur et la navigation maritime
ont des auxiliaires indispensables pour la prospérité de l’agriculture et de
toutes les industries du pays qui réclament vivement des débouchés. N’oublions
pas que c’est dans la vue d’en obtenir que chaque année nous portons au budget
des allocations considérables. N’oublions pas que nous avons consenti dans le
même but une rente perpétuelle de 400,000 francs au profit de
M. Dumortier - M. le ministre des travaux publics vient de dire que depuis cinq jours
il m’a sommé inutilement d’expliquer le système que j’ai eu l’honneur de
soumettre à la chambre. Mais, messieurs, vous avez tous entendu que dans la
séance d’hier j’ai expliqué les moyens qu’il faudrait employer pour appliquer
mon système ; je crois, messieurs, que cette explication a été extrêmement
claire. J’ai dit que l’on rembourserait le droit payé sur 100 kilog de sucre brut lorsqu’il serait exporté 100 kilog. de sucre raffiné, et non
pas à l’exportation de 47 kilog. Voilà, messieurs, la
base de mon système. J’ai dit que, quant à l’exécution rien ne serait plus
facile que de former des tableaux régulateurs comme ceux qui avaient été
présentés par M. le ministre des finances, et au moyen desquels on aurait un
contrôle qui suffirait seul pour apurer l’exécution de la loi. Voilà,
messieurs, ce que j’ai dit et l’on ne m’a rien répondu. Pourquoi ? parce qu’il n’y avait rien à me répondre ; parce qu’il est
beaucoup plus difficile de dire que mon système est inexécutable. Ce système
est si peu inexécutable, messieurs, que, comme je l’ai déjà dit, il est en
vigueur en Angleterre et dans le Zollverein.
M. Verhaegen (sur la clôture). - Messieurs, j’ai
quelques observations à faire, je n’ai pas encore parlé sur les questions qui
sont maintenant en discussion, et je désire rencontrer le discours quia été
prononcé hier par l’honorable M. Lebeau. Je pense que la chambre me permettra
de lui soumettre quelques observations en réponse à celles de cet honorable
membre. Je n’ai pas encore dit un mot dans la discussion actuelle, et les
observations que j’ai à présenter sont très importantes.
M. de Theux (sur la clôture). - Si nous savions combien il y a encore d’orateurs
inscrits nous pourrions peut-être apprécier par là s’il ne conviendrait pas de
laisser encore continuer un peu la discussion, sauf à voter vers la fin de la
séance.
M. le président donne lecture de la liste des orateurs inscrits.
M. Mercier (sur la clôture). - Messieurs, nous n’avons pas pu encore examiner
suffisamment les propositions de M. le ministre des finances, pour qu’on puisse
prononcer la clôture à présent, et je doute même qu’on puisse la prononcer à la
fin de la séance. Ces propositions sont extrêmement importantes, et je me suis
aperçu qu’elles sont peu comprises jusqu’ici ; je prouverai tout à l’heure que
l’honorable M. Rodenbach n’a nullement apprécié la portée de son amendement et
celle des propositions du gouvernement.
M. Dubus (aîné) (sur la clôture). - Messieurs, c’est maintenant que l’on entre seulement
dans la véritable question du chiffre ; jusqu’à présent, la discussion a été en
quelque sorte générale. Il importe que l’on discute les chiffres. Je ferai une
simple observation pour démontrer cette importance à la chambre. Il s’agit de
comparer les deux chiffres pour déterminer le prix de revient respectif de
chacun d’eux. Ce point n’a pas encore été discuté. Nous n’avons que l’assertion
de M. le ministre des finances, que le prix de revient du sucre de canne, par
exemple, est de 57 fr. Eh bien, vous remarquerez que 57 fr. c’est le prix du
sucre Havane, par conséquent, du sucre le plus cher et dont le rendement est le
plus considérable. Comme ce prix est le plus élevé, M. le ministre l’a choisi,
mais quand il s’agit de déterminer le rendement, il ne prend pas le sucre
Havane, il choisit un sucre d’une valeur moindre, et il prend une moyenne.
- La clôture de la discussion est mise aux voix et
n’est pas adoptée.
M. de Mérode. - Messieurs, un journal qui a constamment défendu les intérêts du
commerce du sucre exotique et des raffineries, vient de publier un travail très
digne d’attention de M. Adolphe Bosch, intéressé avec sa famille dans une
sucrerie de betteraves. Il résulte des observations très lucides de M. Bosch,
et dont le journal ci-dessus indiqué, ne contredit point les calculs, que la
loi de 1822 est pour
On ne s’imagine pas assez combien les négligences en
matière de recette sont funestes à un pays. Aussi quelle décoration, quelle
récompense ne mériteraient point de véritables hommes d’état placés à la tête
de l’administration des finances. Mais nos ministres mettent constamment cet
intérêt si majeur en deuxième, troisième ou quatrième ligne. M. le ministre de
l’intérieur, dont je ne méconnais certes pas la capacité, est, sur ce point, non
moins irréfléchi que ses collègues présents et passés. Les représentants, qu’on
me permette de le dire, ne sont guère plus soucieux de l’avenir à cet égard,
parce que, dans l’abandon des recettes profitables au trésor, il n’y a rien qui
lèse spécialement leurs commettants, et qu’au contraire il faut un courage tout
particulier pour lutter contre les intérêts privés prêts à défendre à outrance
un sol de bénéfice qu’ils trouveraient en faisant perdre un franc à l’Etat.
Pour en revenir au système de M. Bosch, il est,
quant au principe, le même que celui de M. Dumortier. Faisant ressortir le
mensonge de la loi de 1822, il veut que la duperie qu’elle a introduite par un
drawback fautif cesse, et, selon lui, cela se peut de deux manières, soit en
élevant le rendement au taux réel de 75 à 80 p. cent, soit en exigeant le
paiement du droit sur toute la partie du sucre destiné à la consommation, et
dans ce cas le chiffre de 5/10 ou de la moitié, lui paraît plus approximatif
que celui de 4/10 proposé par M. le ministre des finances.
M. Bosch dit qu’on lui opposera sans doute qu’il
enlève au raffinage sa prime d’exportation ; il pense cependant, comme M.
Dumortier, qu’on doit en accorder une directe et remplacer la prime occulte par
une prime connue. Voilà donc, messieurs, un moyen peu compliqué pour arriver au
résultat désiré par M. Dumortier, c’est de conserver au trésor la moitié du
droit perçu ; et si l’on retire ainsi plus de 4 millions du sucre, y compris ce
qu’on recueillera sur les sucreries de betteraves, voilà un moyen de donner des
primes d’exportation directes sans exercice dans les raffineries. M. le
ministre des finances nous a déjà dit qu’il voulait les 4 millions pour l’Etat,
et que si 4/10 ne suffisaient pas à cette fin, il fallait prélever 5/10 du droit
d’entrée. Pour être sûr de la recette des 4 millions, introduisons par la loi
les 5/10 et permettons au gouvernement de distribuer en primes ce qu’il
obtiendra de plus que les quatre millions.
Quant à moi, je regretterai cette magnificence ;
mais il est des préjugés auxquels il faut faire des sacrifices, et l’idée de
payer le commerce du sucre raffiné étant encore en vogue, je me résigne à la
subir jusqu’à un certain point.
Je présenterai cependant encore à
cet égard une observation, c’est que si l’on voulait favoriser les exportations
de nos produits, exportation dont on prétend sans preuve et malgré les faits,
que le sucre subsidié est l’indispensable auxiliaire, il serait bien mieux
entendu de prendre entièrement le droit de 40 fr. par 100 kilog.
et d’employer sur six millions de revenus deux
millions, à transporter gratuitement dans
M. Cogels. - Messieurs, la résolution que la chambre a prise dans la séance
d’avant-hier, a singulièrement élargi le terrain de la discussion, car les
premiers discours qui ont été prononcés à la suite de cette résolution, nous
ont ramenés dans la discussion générale qui avait déjà absorbé dix séances ; et
dont le cercle s’est encore agrandi, et par l’amendement de l’honorable M,
Dumortier qui établit un nouveau système, et par une question politique. Je
n’userai cependant pas de la latitude que le vote de la chambre me donne, et je
chercherai à me renfermer autant que possible dans le véritable objet qui est
actuellement en discussion, je veux parler de la dernière proposition du
gouvernement. Je ne ferai donc qu’effleurer les autres propositions, en tant
qu’elles se rapportent à celles sur lesquelles nous devons le plus fixer notre
attention.
Je commencerai par signaler à la chambre quelques
erreurs de calcul qui ont été commises par l’honorable M. Demonceau qui, je
suis fâché de le dire, ne doit pas avoir bien compris le mécanisme de la loi.
Une première erreur dont je ne puis me rendre
compte, car je sais sur quelle base il a fondé ses calculs, c’est celle-ci :
L’honorable M. Demonceau nous a dit qu’avant la loi de 1837 le sucre exotique
jouissait à l’exportation d’une prime de 27 francs et quelques centimes les 100
kil., et qu’après l’adoption de cette loi cette valeur a été élevée à 28 francs
et quelques centimes.
Mais, messieurs, il est un fait certain, c’est que
la loi de 1837 n’a pas augmenté les faveurs dont jouissait le raffineur, elle
les a, au contraire, restreintes ; ainsi, avant 1837, il n’y avait pas de
retenue d’un dixième ; cette retenue a été établie par la loi de 1837 ; avant
1837, le rendement était de 55, la loi de
Une seconde erreur, c’est qu’on a voulu établir à 45
p. c. la faveur accordée au sucre indigène. Ceci est une exagération.
L’honorable M. Demonceau a voulu singulièrement réduire cette valeur, et il est
tombé dans une autre exagération, parce qu’il a établi son calcul sur le prix
de revient. Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder.
Quand, par exemple, nous établissons un droit de 25
p. c. à la valeur sur les soieries, sur les cotons, nous calculons, non d’après
le prix de l’objet en Belgique, mais d’après le prix déclaré en douane. Si cet
objet se produit en Angleterre à 50 p. c. meilleur marché, la faveur dont jouit
le producteur belge est de 25 p. c., lors même que son
prix serait double. Ainsi, en prenant la valeur du sucre exotique à 60 fr. et
le droit différentiel en faveur de la betterave à 18 fr., il y aura là 30 p. c.
de protection.
Troisième erreur de l’honorable M. Demonceau, et
celle-ci est une erreur dans laquelle il est déjà tombé.
Au lieu d’appliquer le chiffre que le gouvernement
devra percevoir aux quantités mises en consommation, il l’a appliqué à la
totalité de la mise en fabrication. C’est ainsi qu’il a cité un chiffre de 7,424,374, qui est effectivement celui auquel s’élèverait la
totalité du droit sur les 18.560,000 kilos ; mais sur les 11 millions 118,000
qui restaient en consommation, ce chiffre ne serait que 4 millions 447,200 fr.
Voilà aussi la cause de l’erreur dans laquelle l’honorable
M. Demonceau est tombé dans une séance précédente, lorsqu’à propos du projet
qui a été écarte par le premier vote de la chambre, il disait : « Nous ne
sommes pas assurés de tenir vos 4,267,000 francs ;
vous portez ces 4,267,000 fr. sur une fabrication de 24 millions 232 mille
kil., mais si votre fabrication est moindre, les perceptions du trésor seront
moindres. »
Eh bien, c’est justement le contraire qu’il faut
dire. Plus la fabrication est importante, plus la recette du trésor devient
considérable ; à tel point que si cette fabrication se renfermait exactement
dans les limites de la consommation, alors le gouvernement, au lieu de
percevoir 4 millions percevrait 6 millions, plus la totalité du droit de
douane, c’est-à-dire le droit intégral sur les quinze millions de la
consommation.
Messieurs, on s’est également trompé, lorsqu’on a
parlé du système établi en France, car si des exportations très considérables
étaient possibles en France, le système serait encore bien moins favorable que
celui que nous avons. En France, il n’y a aucune retenue. Ainsi dans le cas où
le raffineur français pourrait apurer ses comptes au moyen des exportations,
s’il poussait sa fabrication à un point aussi élevé que celui où l’on a porté
cette fabrication en Hollande, relativement la consommation, qu’arriverait-il ?
C’est que les 23 à 25 p. c. que le raffineur français pourrait verser indemne dans la consommation, suffiraient à cette
consommation, et que le trésor français ne percevrait rien. Ce qui me conduit à
une preuve que je donnerai plus tard : c’est que l’élévation du rendement n’est
pas aussi favorable aux recettes du trésor qu’on veut bien le croire.
On vous a dit que pour ce qui regardait la fraude,
nous ne devions nous inquiéter ni de l’élévation du sucre de canne, ni de la
quotité de la perception, puisque nous avons déjà maintenant sur les sucres
raffinés un droit qui était prohibitif. Eh bien, je répondrai que le droit que
nous avons sur les sucres raffinés et une véritable illusion, c’est-à-dire
qu’il n’est d’aucune application. Voici pourquoi : C’est que comme par suite
des droits que nous avons sur le sucre brut, par suite du système
d’exportations que nous avons, nous pouvons livrer le sucre à la consommation à
peu près au même prix que les Hollandais, nécessairement ii y a là garantie
contre la fraude ; car, ainsi qu’on commence à le reconnaître partout, ainsi
que l’a reconnu dans son projet de tarif général l’homme éminent qui dirige
aujourd’hui les destinées de l’Angleterre, il n’y a pas de meilleure garantie
contre la fraude que des droits modérés. Lorsque les droits sont tels qu’ils ne
dépassent pas le chiffre de la prime que l’on accorde aux fraudeurs, vous
n’avez alors aucune fraude à craindre ; mais si vous établissez des droits
prohibitifs, la fraude s’exercera sur une vaste échelle ; si vous établissez
des droits élevés, la fraude sera moindre, il est vrai, mais elle se fera
toujours, et il vous sera impossible d’établir les statistiques, et dès lors
impossible de connaître le véritable chiffre de votre consommation.
L’honorable M. Dubus nous a parlé des prix du sucre,
et ici il commis une erreur. Il a porté le prix à 57 francs pour le sucre dont
le rendement est le plus élevé.
M. le ministre des finances avait établi le prix de
57 fr. comme un chiffre qui formait à l’époque de la présentation de son projet
de loi à peu près la moyenne des prix des sucres qu’on met le plus en
fabrication.
Depuis lors il y a eu hausse sur l’article, et je
trouve que le sucre blond, première qualité, était coté à la bourse d’Anvers,
le 17 février, à 15 fl., ce qui fait 63 fr. 50 c., et
non pas 57 fr. Il y a donc une grande différence. Encore ne s’agit-il que du
sucre blond ; quant au sucre terré blanc, vous trouverez un prix beaucoup plus
élevé. Mais ces sucres sont importés peu ou point chez nous et ils servent
principalement à alimenter l’Amérique du Sud et quelques autres contrées, sans
être soumis au raffinage. On n’en importe presque plus en Belgique ; en France
on en importe très peu aussi. Si vous suivez la liste des arrivages, vous
verrez que des colonies françaises il arrive très peu de sucres blancs.
On nous a parlé d’un système que je n’ai pas
compris, qui serait de restreindre la fabrication des sucres bruts aux
moscovades et de soumettre les sucres clairés et terrés à un plus haut droit. C’est impraticable. Comme la
fabrication fait de grands progrès aux colonies, bientôt on ne fabriquera plus
de moscovades. En Hollande, on a vendu récemment pour le compte de la société
de commerce, 41 mille canastres de sucre ; savez -vous combien il y en avait de moscovades ? 60 sur 41
mille !
Maintenant, venons à l’amendement de M. Dumortier,
dont je ne puis me dispenser de dire quelques mots. L’honorable membre, pour
vous démontrer combien l’exécution de sa proposition est facile, a cité ce qui
se fait en Angleterre et en Prusse. Il a dit que dans toutes les raffineries on
pourrait appliquer ce système, prendre en charge et forcer d’exporter 100 kilog. pour avoir la restitution
du droit et la prime. En Angleterre les choses ne se font pas ainsi : la
fabrication se fait sous la surveillance de la douane, il faut des locaux
appropriés. Il en est de même des distilleries. Le nombre en est petit, quoique
la fabrication soit énorme et les produits considérables. Si les documents que
j’ai consultés sont exacts, les produits de l’impôt sur les boissons distillées
indigènes s’élèvent à 120 millions de francs ; et cependant, je crois qu’il n’y
a que 10 à 12 distilleries indigènes. Voyons quelles ont été les exportations
des sucres raffinés en entrepôt : (in
bond.)
M. Dumortier. - Il n’y a pas de prime.
M. Cogels. - Il n’y a pas de restitution, il n’y a pas de paiement de droit.
En Angleterre il y a eu, en 1841, des exportations
de sucre raffiné s’élevant à 120,099 centner, ce qui
fait 6 millions de kil. Je vous demande ce que c’est qu’une exportation de 6
millions de kil, pour un pays dont la
consommation est de 220 millions de kil. à peu près !
On ne peut pas considérer cela comme des exportations mais bien comme des
approvisionnements des navires. En effet, je vois pour Sainte-Hélène 13
quintaux. C’est une provision de ménage pour les navires. Si je parcourais la
liste extrêmement longue des détails de cette exportation de 6 millions vous
verriez qu’ils sont destinés tout autant à la consommation des navires qu’à
l’approvisionnement des pays vers lesquels se dirigeaient ces navires.
Maintenant, pour pallier ce qu’il y aurait de trop
rigoureux dans son projet, l’honorable membre nous dit : nous voulons vous
conserver des primes, nous sommes même très généreux. Nous vous accorderons 15
fr. par 100 kil., et avec cette prime vous pourriez
exporter 13 millions de kil, pour atteindre le chiffre de 2 millions que
j’affecterai à ces primes. Je suppose que M. Dumortier se montre plus généreux
encore et fixe à 3 millions le maximum de l’allocation de ces primes. Quel en
serait le résultat ? Permettriez-vous à tous les raffineurs de participer à ces
primes ? Ce serait un prix attaché à un mât de cocagne auquel chacun
s’empresserait de grimper le premier. Supposons qu’il s’établisse une
raffinerie comme celle qui existe en Hollande et qui à elle seule travaille 25
millions de kilogrammes, comme elle aurait le bras plus vigoureux, qu’elle
pourrait mieux étreindre le mât de cocagne, elle atteindrait bientôt le prix et
le détacherait, tandis que les autres n’y participeraient en aucune façon.
Mais, dit-on, il est tout au plus de 7 ou 8, le nombre de vos raffineries qui
travaillent pour l’exportation. Ceci est une erreur, toutes nos raffineries
travaillent pour l’exportation et la consommation, mais dans une proportion
plus ou moins étendue. Toutes les raffineries d’Anvers travaillent pour
l’exportation ; quelques-unes travaillent principalement pour l’exportation,
mais toutes pour leurs arrière-produits travaillent pour la consommation.
Je m’attends à une observation déjà produite par
l’honorable M. Dumortier : on doit frapper votre cassonade et vos sirops ; ils
ne doivent pas être indemnes, il faut les frapper d’un droit. Comment frapper
d’un droit le résultat d’une fabrication, et le frapper d’un droit spécial à la
fabrication, c’est impossible ; ou bien l’agent du fisc devra être constamment
à côté de la chaudière et des formes, et ne pourra pas quitter le raffineur
avant que toutes les opérations soient terminées, pour faire un triage et
constater qu’il y a autant en pains, autant en cassonade, et autant en sirop,
et appliquer le droit à chaque quantité. Il en serait de même pour
l’exportation. Vous exporterez
On vous a parlé du vote de la chambre, et on a dit
que la minorité devait se soumettre à la loi de la majorité. C’est ce que je
reconnais. Je suis le premier à m’y soumettre. Mais quelques membres de la
majorité ont voulu interpréter ce vote à leur manière et lui donner une
extension que je ne puis admettre. Quel a été le vote de la chambre ? Qu’on ne
supprimerait pas la sucrerie indigène, et surtout qu’on ne la supprimerait pas
avec indemnité.
Si le mot indemnité n’avait pas été à côté de la
suppression, la majorité aurait pu se déplacer. Sur plusieurs esprits, les
questions de principe ont plus de pouvoir que les questions d’application.
Mais, messieurs, qu’a-t-on décidé ? Qu’il n’y aurait
pas égalité de droit. Mais on a décidé également non par un vote, mais par les
paroles prononcées par les membres qui forment la majorité, on a décidé la
coexistence des deux sucres pour autant qu’elle pourrait
se concilier avec les intérêts du trésor. Or, veut-on nous interdire
l’exportation des sucres raffinés et borner notre fabrication aux simples
besoins de la consommation ?
Je n’entrerai pas dans des développements pour
montrer combien la situation serait changée. Le sucre exotique verrait un
déficit dans les derniers produits et un grand accroissement dans les quantités
de sucre de première qualité pour satisfaire aux besoins de la consommation. Je
n’entreprendrai pas d’en faire de nouveau la démonstration, j’engage les
membres qui désirent la voir, à lire mon premier discours, ils y verront les
conséquences de ce changement de système.
En décidant qu’on voulait la coexistence des deux
sucres, on a eu égard au commerce maritime, aux avantages commerciaux qui
résultent de l’exportation des sucres et on a voulu conserver ses avantages
commerciaux aux pays.
Maintenant pour éloigner les sympathies de la
chambre de ces avantages commerciaux, on cherche à les amoindrir. Un honorable
membre nous a dit : Mais dans
On nous a parlé encore de la balance commerciale, et
on a dit qu’il y aurait avantage pour
Voici, au surplus, ce que disait cet honorable
membre, le 9 juin 1840 :
« Tous les ans
« Ce n’est qu’à la longue que
Ainsi voilà comment
Voyez les constructions nouvelles qui s’élèvent de
toutes parts, voyez le luxe qu’on déploie partout, excepté cependant dans deux
provinces où le progrès, s’il en existe, n’est pas aussi saillant qu’il l’est
dans les autres, et c’est à ces deux provinces qu’on veut arracher les faibles
débris sauvés du grand naufrage qu’a fait le commerce en 1830 !
Mais venons-en maintenant à la situation relative
dans laquelle nous devons placer les deux sucres. L’honorable M. Demonceau nous
dit : D’après votre système vous n’accordez à la betterave aucune protection ;
et l’honorable M. Dumortier vous disait hier, j’ai ici ses paroles textuelles :
« Aujourd’hui, messieurs, le droit sur le sucre
exotique est de 37 fr. par 100 kil. ; le sucre de
betterave ne paie point de droit, il existe donc une marge de 57 fr. par 100
kil, en faveur du sucre de betterave. »
Je vous avoue que ce chiffre de 37 francs me paraît
d’une complaisance extrême ; lorsqu’il s’agit des intérêts du trésor, il
disparaît, il n’en reste plus rien…
M. Dumortier. - C’est cela, et nous ne le voulons pas.
M. Cogels. - Un honorable député de Bruxelles a réduit ce chiffre à 10 francs par
Quel est le droit proposé par M. le ministre sur le
sucre de betterave ? C’est un droit de 22 fr. Il est reconnu qu’en France,
malgré l’arrêté d’octobre 1842 qui a apporté quelques améliorations la quantité
de sucre qui échappe à l’impôt s’élève encore à près d’un quart de la
fabrication en général ; supposez qu’en Belgique la même quantité échappe à
l’impôt, et ce n’est pas là une supposition déraisonnable, ni exagérée, le
droit sera réduit à 16 fr. 50 c. (Interruption.)
Nous ne sommes pas encore au bout. Nous allons voir
à quoi se réduisent ces 16 fr. 50 c.
D’après l’article 18 de la loi qui nous est proposée
et qui reste en discussion, le compte du fabricant sera pris en charge, au
minimum de 12 hectogrammes de sucre brut par
Messieurs, je dois m’en rapporter aux renseignements
qui nous ont été fournis ; je n’ai aucune connaissance dans la matière ; je
n’ai jamais fabriqué de sucre de betterave ; mais d’après les renseignements
que j’ai consultés, on dit que c’est calculer le rendement à 6 p.c. et on
m’assure que d’après les perfectionnements apportés dans la fabrication, ce
rendement s’élève déjà à 8 p.c., c’est ce que l’on trouvera, dans plusieurs
mémoires et ouvrages écrits sur cette matière. En supposant la chose vraie, à
quoi se réduisent les 16 fr. 50 c ? à 12 fr. 50.
Supposez que le rendement soit de 7 p.c. le chiffre de 22 fr. se trouvera
réduit à 14 fr. 50 c. Voilà quelle serait la perception effective sur le sucre
de betterave. Vous voyez donc qu’alors il jouirait d’une protection suffisante.
Qu’a-t-on fait encore pour réduire la protection
dont il jouit ? On n’a pas trouvé de meilleur moyen que de réduire le prix du
sucre brut de canne, et d’exagérer celui du sucre de betterave ; on vous a dit
que le premier revenait à 56 francs, et le second à 80 fr. Mais d’après les
prix courant, il y a un sucre qui vaut 63 francs, et la moyenne du prix est de
59 fr ; d’un autre côté le sucre de betterave coûte de 74 à 75 francs. Ainsi,
ôtez 5 francs sur l’un, et ajoutez 3 francs à l’autre, et vous verrez où nous
arriverons. Lorsqu’il s’agit de calculer sur des chiffres, il faut mettre les
deux sucres sur la même ligne, et il faut que la protection accordée au sucre
de betterave ne compense que la différence du prix de revient au prix du sucre
colonial.
Faut-il nous arrêter au prix actuel du sucre ?
L’honorable M. de
Un membre. - Vous le demanderez.
M. Cogels. - Mais alors, il vous faudra autant de lois qu’il y aura de variations
dans les prix. Et puis, les discussions, les réclamations qui surgissent de la
part de tous les intérêts opposés ! Evitez, messieurs, de devoir reproduire
bientôt une nouvelle loi sur les sucres, dans l’intérêt de toutes les affaires
de l’Etat qui languissent par nos longs débats ; dans l’intérêt du commerce qui
veut de la stabilité, et qui ne peut rester ainsi avec une épée de Damoclès
suspendue sur sa tète. Ce serait bien si nous pouvions borner nos relations à
celles que nous avons avec les entrepôts d’Europe, mais c’est justement ce que
nous voulons éviter ; on serait certain alors d’avoir ses sucres au bout de
huit jours ; mais avec cette menace pendante sur la tête des négociants, vous
n’irez pas au Brésil, ni à
Est ce qu’en Angleterre on apporte constamment des
changements à la législation commerciale ? Non ; lorsque sir Robert Peel a
présenté son tarif général, qui embrassait toutes les industries, il eut soin
de dire qu’il n’était pas destiné à une existence éphémère de 8 ou 15 jours,
mais à une existence durable, et sur laquelle le commerce pût se fonder, pour
étendre ses spéculations dans l’univers entier ; voilà ce que nous devons faire
aussi.
Maintenant quant à ce qui regarde les intérêts du
trésor, voyons comment ils seront le mieux sauvegardés ; est-ce en augmentant
le rendement ou bien est-ce en adoptant les propositions de M. le ministre des
finances ?
Vous avez vu par les calculs donnes par le Moniteur, qu’en supposant la
consommation à 15 millions, et que le sucre indigène fournisse six millions a
la fabrication, la recette serait de 3,800,000 fr. Ce
chiffre s’accroîtra si la fabrication est moindre qu’on ne le suppose, parce
qu’il y aura une plus grande quantité de sucre qui paiera la totalité des
droits. Cela est incontestable. Si au contraire vous adoptez le système de la
section centrale, système exorbitant, si vous maintenez la retenue d’un
dixième, quelle en sera la conséquence ? C’est que si, comme le suppose la
section centrale, l’exportation est encore possible, la recette se réduira à ce
seul dixième. Si vous supprimez, comme en France ce dixième, la recette se
réduira peut-être à zéro. Ceci dépendra du rendement et de l’extension qu’on
donnera à la fabrication et aux exportations.
Vous voyez donc qu’avec le
système d’une augmentation de rendement, il n’y a rien d’assuré, tandis qu’il
en serait autrement avec le système que nous appuyons, système que je subis,
mais que je suis bien loin d’accepter avec reconnaissance, car nos négociants
et nos raffineurs auront encore à lutter contre beaucoup de difficultés et
devront apporter dans leurs opérations la plus grande activité, la plus grande
économie. S’il y avait quelque nouvelle crise commerciale, comme la dernière
crise américaine, je ne voudrais pas m’intéresser dans leurs affaires ; il leur
faut de la stabilité pour qu’ils puissent recueillir non pas de gros bénéfices,
mais de quoi pouvoir assurer l’existence des nombreux ouvriers qu’ils emploient
et faciliter l’exportation de nos produits qui demandent des débouchés, et qui
sans nos sucres ne s’exporteraient pas.
Je me résumerai, j’accepte la dernière proposition
du gouvernement non pas comme un bienfait, mais je la subis comme une
nécessité.
(Moniteur
belge, n°64, du 5 mars 1843) M.
Mercier. - La première fois que j’ai pris la
parole dans cette discussion, j’ai déclaré que l’objet dont nous nous occupons
ne devait former et ne formait pour moi ni une question politique ni une
question d’opposition. C’est dans cet esprit que je vais continuer à
l’examiner.
Une discussion, qui s’est prolonge pendant dix
jours, s’est portée spécialement sur l’existence même de l’industrie du sucre
indigène. Dans ce débat, il ne s’est pas agi simplement de l’égalité du droit,
mais de la question de vie ou de mort pour cette production nationale ; la
chambre, en rejetant le projet du gouvernement, a décidé implicitement qu’elle
voulait sérieusement la conservation de cette industrie, qu’elle la voulait aux
conditions nécessaires, indispensables à son existence.
Le principal argument que nos adversaires ont fait
valoir, en faveur de la suppression du sucre de betterave, c’est qu’il fallait
pour la maintenir une protection de 50 p. c., une
protection de 25 fr. les 100 kil. ; c’est au moyen de
cet argument qu’ils ont cherché à faire prévaloir leur opinion et à déterminer
la chambre à consommer le sacrifice qu’ils lui demandaient ; maintenant, pour
atteindre le même but, ils viennent contester la nécessité de cette protection
indispensable pour que l’industrie du sucre de betterave puisse soutenir la
lutte contre sa rivale.
Qu’un ou deux orateurs aient pu émettre l’opinion
qu’une protection plus faible pût être suffisante, cela est possible, mais c’était
là des opinions individuelles, bien susceptibles, sans doute, de se modifier ;
nous nous trouvions d’ailleurs en présence d’un travail développé, raisonné,
qui a été présenté à la chambre par la section centrale, qui l’a adopté à la
presque unanimité après un mûr examen, et a proposé de maintenir une surtaxe de
25 francs sur le sucre étranger.
Je ne m’arrêterai pas à des considérations
étrangères à l’objet même de la discussion actuelle. Je crois que l’intérêt
agricole, l’intérêt commercial, et l’intérêt industriel ont été assez
longuement débattus pour être convenablement appréciés dans cette chambre, et
qu’il est inutile de revenir sur ces différents objets. J’aborderai donc les
diverses propositions qui nous sont soumises, et celles du gouvernement et les
nouveaux amendements qui ont été présentés.
Quant à celui de l’honorable M. Dumortier, j’en
reconnais toute l’efficacité ; je crois que c’est en effet le seul moyen de
couper court au mal d’une manière certaine ; mais je dois ajouter que, bien que
j’aie recherché les moyens d’application de ce système, je n’ai pas trouvé
qu’il fût facile de le mettre à exécution. Je crois que son adoption nous
entraînerait dans des difficultés, que d’ici à longtemps, peut-être, on ne
pourrait pas aplanir. J’attendrai, du reste, pour me prononcer définitivement
sur cet amendement, que la discussion soit plus avancée ; jusqu’à présent, je
le déclare, je ne suis pas parvenu à me donner apaisement sur la possibilité de
son application immédiate, bien que j’apprécie parfaitement le but utile que
s’est proposé l’honorable membre.
Quant à l’amendement de l’honorable M. Rodenbach,
s’il pouvait être adopté par la chambre, je regretterais beaucoup le premier
vote qu’elle a émis. Car j’aime mieux la suppression franche et loyale de
l’industrie du sucre indigène qu’une suppression détournée, qui n’est pas dans
l’intention de l’honorable M. Rodenbach, j’en suis certain, mais qui n’en
serait pas moins l’effet de sa proposition.
Je n’adopterai pas non plus l’amendement de
l’honorable M. Eloy de Burdinne, pour deux motifs. Le premier, c’est qu’en
établissant un droit de 60 fr., nous pourrions avoir à redouter la fraude
étrangère. Ce droit présenterait une différence assez notable et avec celui que
l’on a établi en Hollande, et avec celui qui existe en Allemagne, et même avec
celui que consacre la législation française. Du côté de la France, cependant,
la fraude serait moins à craindre par des raisons que j’indiquerai tout à
l’heure.
L’autre motif qui me porte à ne pas accepter
l’amendement de l’honorable M. Eloy de Burdinne, c’est qu’à mon avis, la
protection de 30 fr. qu’il propose en faveur du sucre indigène, n’est pas
rigoureusement nécessaire.
Messieurs, la section centrale n’a pas fait ses
propositions légèrement ; elles ont été longuement débattues et approfondies.
Le chiffre de 25 fr. qu’elle propose pourra bien avoir pour résultat que des
fabriques qui n’ont pas été établies ou conduites avec le soin et la prudence
nécessaires au succès de toute entreprise, ne puissent continuer leurs travaux
; mais celles qui se trouvent dans des bonnes conditions, dans des conditions
normales, auront une protection suffisante, quoiqu’inférieure à celle dont ils
sont aujourd’hui en possession.
Je vais passer à l’examen du nouveau projet présenté
par le gouvernement.
Messieurs, on a déjà débattu plusieurs fois le
chiffre du prix de revient ; c’est une discussion qui ne peut aboutir qu’à des
assertions contradictoires ; il est des plus difficiles de s’entendre sur le
prix de revient. La section centrale, toutefois, après s’être entourée de
beaucoup de renseignements, a cru que ce prix pouvait varier de 75 à 80 fr. Il
est vrai qu’on a cité certains producteurs en France qui semblent avoir produit
à des prix inférieurs. On a cité, entre autres, M. Crespel.
Mais on n’a pas fait observer que dans les explications que cet industriel a
données, lors de l’enquête et plus tard, il a déclaré qu’il avait acquis pour
une somme de 250,000 francs des établissements qui avaient coûté un million ;
de sorte qu’ayant moins de frais d’établissement, il a pu produire à des prix
inférieurs à ceux auxquels ses confrères pouvaient laisser le sucre de leurs
fabriques.
Il importe de bien définir ce que la section
centrale vient proposer à la chambre ; est-ce une augmentation de protection
pour le sucre indigène ? Mais non ; c’est une réduction, et une réduction assez
notable.
Aujourd’hui, le droit nominal qui frappe le sucre
exotique est de 37 francs 2 cent. Il est vrai que ce droit subit à la
consommation une diminution par suite de ce qu’on appelle la prime de mévente.
Ainsi qu’on nous l’a indiqué, cette prime de mévente varie de 16 à 33 p. c., et même elle s’est élevée momentanément jusqu’à 35 pour
cent ; c’est-à-dire que le droit nominal de 37 francs se réduit dans l’application
de 25 à 32 francs. Il a été pendant un certain temps, ainsi que l’a fait
observer la section centrale, à 28 fr. 50 c. Mais bien souvent, aussi, le droit
réellement payé à la consommation et qui constituait bien la protection dont
jouissait le sucre indigène, a été de 50 francs et au-delà. Il est aujourd’hui
encore de 50 francs, parce qu’en ce moment la prime de mévente n’est que de 20
p. c.
Ainsi, messieurs, le sucre indigène jouit
actuellement et depuis quelque temps d’une protection effective de 30 fr. ; je
dis d’une protection effective, car le droit protecteur est celui qui est
prélevé à la consommation, quel que soit le recouvrement fait par le trésor.
Ainsi, messieurs, nous ne demandons pas pour les
fabricants de sucre indigène des avantages plus grands que ceux dont ces
industriels sont aujourd’hui en possession. Nous les réduisons, au contraire,
dans une notable proportion. La section centrale a été extrêmement réservée
dans ses propositions.
Un membre. - Et le rendement ?
M. Mercier, rapporteur. - Je vais répondre tout de suite à l’objection que me fait l’honorable
membre. Voici, messieurs, l’explication que peut être la chambre ne sera pas
tâchée d’avoir à cet égard.
Avec le rendement actuel, il y a une prime de mévente,
qui, comme je vous l’ai dit, varie de 16 à 33 p.c. Si le rendement légal
atteignait le rendement effectif, ou plutôt si tous les produits devaient être
exportés pour que la décharge du droit fût accordée, il n’y aurait ni prime
d’exportation ni prime de mévente ; l’intégralité du droit nominal serait
perçue à la consommation ; et dès lors le sucre indigène jouirait d’une
protection de 37 fr. ; en augmentant le rendement selon les propositions de la
section centrale, nous espérons que le droit nominal que nous établissons sera
bien réellement prélevé à la consommation ; et c’est parce que nous comptons
qu’il en sera ainsi, que nous réduisons la protection à accorder au sucre de
betterave de 37 à 25 francs ; si le rendement était établi de manière à occasionner
encore une prime de mévente, nous ne pourrions abaisser à 25 francs le chiffre
de la protection.
On nous dit que cette protection de 25 fr. est
exorbitante. Mais savez-vous quelle est la nature dont l’Angleterre frappe les
sucres autres que ceux de ses colonies ? Ce n’est pas de 25 fr., mais de 4 fois
25 fr., c’est-à-dire de 97 fr. 13 c., les 100 kilog. Et l’on se récrie alors que nous demandons de ne
restreindre qu’à 25 fr. celle de 37 fr. qui existe aujourd’hui.
D’ailleurs, en Belgique, messieurs, n’avons-nous pas
des exemples de droits protecteurs plus considérables ? On nous objecte que le
raffinage ne profite pas de la surtaxe établie en sa faveur. Mais pourquoi donc
l’a-t-on élevée à ce chiffre, si elle n’a pas été jugée utile ? Le raffinage
jouit bien réellement d’une protection de 100 pour cent ; la distillerie, qui
est, comme la sucrerie de betterave, une industrie agricole, jouit d’une
protection de 63 p. c.
M. Rodenbach. - Cela
n’y fait rien du tout ; elle n’exporte rien.
M. Mercier, rapporteur. - Il ne s’agit pas de l’exportation ; il s’agit d’une protection accordée
à une industrie indigène pour la consommation intérieure.
Messieurs, j’aborderai maintenant le système
français.
M. le ministre des finances, prenant un terme de
comparaison, nous a dit que la France n’accordait qu’une protection de 17 fr.
au sucre indigène ; c’est là une très grave erreur. Le sucre de betterave
trouve en France une protection qui va bien au-delà de celle que nous demandons
ici en sa faveur, et je vais vous le démontrer de la manière la plus
péremptoire.
Une première raison que M. le ministre des finances
allègue pont réduire à ce chiffre la protection dont le sucre indigène est
favorisé en France, c’est que le droit s’établit sur le sucre de betterave
selon différents types ; cette allégation est sans le moindre intérêt dans la
question. Le premier type du sucre de betterave est imposé à 27 fr. 50 c. C’est
ce type qui sert de base à toute l’application du droit. Ainsi, c’est selon le
premier type qu’on règle la prise en charge à la défécation, que l’on établit
le contrôle au rafraîchissoir, en évaluant la quantité de sucre d’après celle
du sirop. C’est aussi en les rapportant au premier type que l’on constate les
quantités à l’empli.
Mais il se trouve qu’en France il y a des
producteurs qui fabriquent du sucre plus épuré, jusqu’au raffinage même. Il y existe
un quatrième contrôle, le recensement des magasins. Lorsqu’on effectue ce
recensement, on se fait représenter, pour constater les quantités, les sucres
du premier type et ceux d’un rendement plus élevé. Par une disposition
réglementaire, on a établi un droit proportionnel sur les sucres d’un type
supérieur au premier jusqu’au sucre raffiné. Mais, je le répète, c’est
uniquement une mesure d’ordre. Car, qu’il y ait des sucres du premier type ou
de types différents, la somme du droit à payer en résultat est la même.
Vous voyez donc, messieurs, que cet argument de M.
le ministre des finances n’a réellement aucune portée, n’est ici d’aucune
application. Je m’étonne qu’il l’ait reproduit après la réfutation qui en a
déjà été faite dans le second rapport de la section centrale.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je le reproduirai encore.
M. Mercier, rapporteur. - J’en suis fâché pour vous.
Messieurs, l’insistance de M. le ministre des
finances me force d’appuyer sur cette circonstance. J’ai dit que le droit était
établi à 27 fr. 50 c. les 100 kil, sucre premier type.
Au lieu de former du sucre premier type, il dépend du fabricant, en sacrifiant
la quantité à la qualité, de produire des sucres beaucoup plus épurés et même
des sucres parfaitement raffinés et cristallisés ; mais, je le répète, c’est
aux dépens de la quantité. On conçoit que si le droit de 27 fr. 50 c. était
uniforme pour toute espèce de sucre, la charge serait infiniment plus forte
pour celui qui ne fabriquerait que des sucres premier type ; il a donc fallu
chercher une proportion pour rendre cette charge uniforme, et l’on a établi que
chaque type serait ramené, dans le compte de magasin, au premier type, en
augmentant la quantité d’un neuvième pour le second type, de 2/9 pour le
troisième type, de 3/9 pour le quatrième type et enfin de 4/9 pour le sucre en
pain, mélis ou candi ; à moins qu’il n’existe quelqu’erreur
dans les proportions, tous les fabricants sont traités sur le même pied, qu’ils
produisent un seul ou plusieurs types. Une pareille mesure, en Belgique,
n’assurerait en rien la position du producteur du sucre de betterave.
Posons un exemple pour rendre la chose plus
sensible. Supposons qu’une quantité déterminée de jus de betterave donne 1,000
kil. de sucre premier type ; eh bien, il a été calculé
que cette même quantité de jus ne fournirait que 900 kil. de
sucre deuxième type. Lors donc qu’on forme un recensement et que l’on trouve
900 kil. de sucre deuxième type, on les porte en
compte pour 1,000 kil. de sucre premier type. La
protection dont jouit le sucre de betterave vis-à-vis du sucre terré des
colonies ou du sucre étranger, n’est aucunement modifiée par l’établissement
des types, que l’on peut envisager comme une simple mesure de comptabilité.
J’aborde maintenant la seconde raison alléguée par
M. le ministre des finances, et vous jugerez, messieurs, si elle est plus
solide que la première.
Il existe une espèce de sucre colonial, le sucre
Bourbon, dont le droit n’excède que de 14 fr. 75 c. celui qui frappe le sucre
de betterave ; en le faisant entrer dans sa moyenne, M. le ministre n’établit,
comme nous l’avons dit, qu’à 17 fr. la protection accordée en France au sucre
de betterave. Déjà la section centrale a fait observer d’abord que si cette
espèce de sucre est moins imposée, c’est que le fret pour l’introduire en
France est beaucoup plus élevé que pour le sucre d’Amérique ; en second lieu,
que cette dernière espèce entrant pour les 3/4 dans la consommation, c’est elle
qui règle les prix du marché. Mais, messieurs, il est un fait de la plus haute
importance dans la question, c’est qu’en France les sucres terrés, même ceux
des colonies, sont frappés d’une surtaxe de 15 fr. ; on commettrait donc
l’erreur la plus grave en n’appréciant la protection accordée au sucre indigène
que d’après la différence qu’il y a entre le droit payé par ce sucre et celui
qui est acquitté par le sucre moscovade des colonies ; or cette surtaxe
constitue, pour le sucre indigène, une protection de 29 fr. 75 c. sur le sucre
terré le moins imposé des colonies, et de 37 fr. sur le sucre terré d’Amérique
; en Belgique, au contraire, le sucre terré est soumis au même droit que le
sucre moscovade. J’appelle toute l’attention de la chambre sur cette
circonstance.
Il y a plus, messieurs, ce n’est pas seulement le
sucre terré qui est surtaxe en France ; tous les sucres étrangers sont frappés
de droits encore plus élevés. La surtaxe est de 38 50 c. et de 44 sur le sucre
moscovade et de 60 et 66 sur le sucre terré.
Eh bien, M. le ministre n’a pas signalé toutes les
différences qui existent entre notre système et le système français, il les a
passées complètement sous silence. (Interruption.)
On dit qu’il ne s’importe en France que très peu de ces espèces de sucres, mais
qu’est-ce que cela prouve ? C’est précisément parce qu’on en importe peu que la
protection est efficace en faveur des autres sucres. L’objection que l’on me
fait et qui est celle de M. le ministre ne tendrait à rien moins qu’à établir
que plus un droit serait élevé moins il y aurait de protection pour l’industrie
en faveur de laquelle il serait porté ; ainsi la moyenne de 17 francs que M. le
ministre nous présente comme la surtaxe résultant des droits qui ont frappé
toutes les espèces de sucres importées en France, cette moyenne serait plus
faible encore si, au lieu de droits élevés sur les sucres terrés ou étrangers,
il y avait eu prohibition complète. Vous voyez messieurs, qu’un tel
raisonnement ne peut pas être admis. Il est si vrai que les surtaxes dont je
viens de parler exercent une grande influence sur le prix du sucre en France,
que le ministre français a dit lui-même qu’au taux actuel la surtaxe oppose au
sucre de quelques provenances une barrière à peine suffisante. Bien plus,
lorsqu’on a voulu réduire la surtaxe de quelques francs, tous les fabricants de
sucre de betterave, comme tous les intéressés à la production des sucres
coloniaux, ont réclamé vivement contre ce projet, en déclarant que si la
réduction avait lieu, le sucre des colonies françaises ne pourrait plus
soutenir la concurrence du sucre étranger.
Voilà, messieurs, ce qu’on aurait dû prendre en
considération lorsqu’on s’est livré à l’appréciation du système qui existe en
France. Pour le comparer à la législation qui nous est soumise, je maintiens
que jusqu’à l’époque de l’ordonnance du mois d’août la protection accordée en
France au sucre de betteraves doit être évaluée à 34 fr. au moins, en la
mettant en rapport avec les frais que la libre concurrence fait en Belgique ;
et cependant nous ne demandons ici que 25 fr. de surtaxe. L’ordonnance du mois
d’août 1842 aura certainement pour effet d’empêcher une partie du sucre
indigène d’échapper à l’impôt. L’honorable M. Cogels tranche assez lestement
cette question, en affirmant qu’il y aura encore un quart de la production qui
échappera à l’impôt ; je conçois, messieurs, que le ministère français, qui
veut maintenant la suppression du sucre indigène, exagère l’insuffisance de la
surveillance, mais c’est une assertion qui n’est pas admise en France ; on
pensait, il est vrai, avant l’ordonnance du mois d’août, que le 1/4 ou le 1/3
de la production échappait à l’impôt ; aujourd’hui avec trois contrôles bien
combinés, bien établis, il est impossible de ne pas admettre que la quantité
soustraite au paiement des droits sera considérablement restreinte et que
l’expérience la réduira à des quantités tout à fait minimes.
Voilà, messieurs, la protection dont le sucre de
betteraves jouit en France. M. le ministre des finances nous a dit que, malgré
ses avantages, cette industrie n’est pas dans un état prospère, que bien loin
de s’accroître elle était en décadence. M. le ministre s’exprimait ainsi
lorsqu’il avait une thèse à soutenir, lorsqu’il voulait supprimer le sucre
indigène ; mais aujourd’hui qu’il est forcé de consentir à la laisser vivre, il
prétend qu’une protection de 18 francs suffit. Voilà un langage bien différent
de celui qu’il tenait lorsqu’il émettait l’opinion qu’avec toute la protection
qui lui était accordée en France, cette industrie ne pouvait pas se soutenir ;
la chambre appréciera de pareilles contradictions.
Je crois, messieurs, avoir suffisamment démontré que
la proposition de la section centrale est très modérée, que la protection que
nous demandons est peut-être d’un quart en dessous de celle dont l’industrie du
sucre de betterave jouit maintenant en France. Je ne dirai pas avec M. le
ministre des finances qu’en France cette industrie a été en décroissant, mais
je dois convenir qu’elle ne s’est pas beaucoup développée sous le régime actuel
; en lui accordant moins de faveur en Belgique, l’avantage restera pour le
sucre étranger.
Je dirai maintenant quelques mots de la question du
rendement ; celui qui est proposé par la section centrale aura pour effet de
réduire les exportations, mais non de les anéantir ; j’ai pensé que ce
rendement assurerait au trésor deux à trois dixièmes du droit sur les
importations. On a combattu la proposition de la section centrale en objectant
qu’avec une réserve de 1/10 seulement elle n’offrira pas une ressource
suffisante au trésor. Eh bien, messieurs l’augmentation du rendement n’est pas
incompatible avec plusieurs dixièmes réservés ; rien n’empêche de combiner ces
deux mesures et c’est même ce que j’ai indiqué dans une précédente discussion.
On a cru, messieurs, que la réserve de 4/10
réduirait la quotité de la prime ; il n’en sera pas ainsi, à moins que les
prévisions des auteurs du projet de loi ne se réalisent pas ; en effet, dans le
système du gouvernement, comme dans celui de la section centrale on a en vue
d’assurer le prélèvement du droit de consommation ; si l’on retient 4/10 du
montant de la prise en charge, il en résultera que le raffineur livrera ces
4/10 à la consommation intérieure en prélevant sur le consommateur les droits
qu’il aura acquittés et non les bénéfices ordinaires de son industrie ; quant
aux 6 autres dixièmes, il les exportera jusqu’à concurrence du rendement
déterminé et percevra à son profit le droit de consommation sur l’excédant ; la
réserve aura donc pour effet de déterminer la quantité des sucres exportés,
mais non de changer en rien la quotité de la prime.
Messieurs, on est encore revenu sur la possibilité
d’exporter du sucre indigène ; c’est une sorte d’appât que l’on présente à ceux
qui veulent favoriser l’industrie du sucre de betteraves ; on semble vouloir
leur faire croire qu’elle trouverait la une espèce de compensation. Eh bien,
messieurs, ce serait une grande déception : évaluons le prix de revient du
sucre brut de betteraves à 75 fr. ; avec les frais du raffinage, ce prix serait
porté à 85 fr. ; supposons un rendement de 72 p. c. ;
la prime calculée d’après l’excédant du rendement serait de 7 fr. 46 sur 49 1/2
kil. ou de 15 fr. par 100 kil. Ainsi le prix de
revient des sucres métis ou lumps serait de 100 fr. 95 c. ;
retranchez-en le montant de la prime, le prix net sera encore de 85 fr. 95 e. ;
or, nous livrons le sucre exotique à l’étranger à moins de 60 fr. Comment donc
veut-on nous faire croire que l’on puisse exporter du sucre indigène ?
Ce que je viens de dire, messieurs, fait tomber la
base des calculs établis par le gouvernement pour établir les quantités de
sucre exotiques qui pourraient encore être introduites dans le pays, d’après
son dernier système ; quant aux droits, s’il était vrai que la consommation fût
de 15 millions de kilogr., les produits indigènes
seraient à peu près atteints ; mais je persiste à contester formellement que la
consommation puisse être portée à ce chiffre. Il faut remarquer aussi que le
produit du droit de douane porté en ligne de compte sera nécessairement diminué
par suite des droits différentiels que le gouvernement veut établir ; si d’un
autre côté, comme j’en ai la conviction, la consommation ne s’élève qu’à
13,500,000 kilogr., il est certain que le trésor ne
recevra que trois millions 3 à 400,000 fr.
J’ai prouvé qu’avec le système de la section
centrale, en y ajoutant, si on le juge nécessaire, une réserve de 2 dixièmes et
demi, une consommation de 15 millions porterait le produit de l’impôt à plus de
4 millions, et que si la consommation n’est, comme je le pense, que de
13,500,0000 kilog., le produit dépassera 3,500,000
francs ; un autre avantage de ce système serait aussi d’augmenter la
concurrence commerciale du sucre.
Messieurs, lorsque tout à l’heure l’honorable M.
Rodenbach a pris la parole, j’ai pensé qu’il allait exposer les motifs de son
système ; il a donné en effet deux motifs, c’est d’abord que des fabricants de
sucre indigène auraient offert leur sucre à 10 centimes au-dessous des prix
ordinaires. Quant à moi, j’ai dû nécessairement entendre un grand nombre de
fabricants, et tous ceux avec lesquels j’ai été en rapport ont formellement nié
ce fait. L’honorable membre a parlé de plusieurs fabricants qui raffinent leur
sucre eux-mêmes. Je crois qu’il n’en existe qu’un seul en Belgique qui soit
dans ce cas.
La deuxième raison donnée par l’honorable membre à
l’appui de son amendement, c’est que la protection dont le sucre de betterave
jouit en France ne serait que de 17 fr. J’espère, messieurs, avoir suffisamment
prouvé que c’est là une erreur manifeste.
On a dit aussi, messieurs, qu’il est impossible
d’importer en Europe du sucre raffiné ; je pense, au contraire, que cela serait
très facile, car nous voyons que l’Angleterre exporte une assez grande quantité
de sucre raffiné vers les Indes, c’est ce dont on peut se convaincre par les
tableaux statistiques. Eh bien, messieurs, si l’on peut exporter du sucre
raffiné d’Europe dans les Indes, on pourrait également en importer des Indes en
Europe.
Messieurs, quant au rendement de la betterave, c’est
encore un point sur lequel on peut discuter longuement, en se bornant à avancer
des assertions contradictoires.
Mais il n’en est pas moins vrai que dans la campagne
dernière on n’a pas obtenu 6 p. c. de la betterave. Ce fait m’a été attesté par
les personnes les plus honorables et les plus dignes de foi.
On a dit tout à l’heure que nous ne devions pas nous
arrêter aux prix actuels des sucres ; ces prix peuvent augmenter. Messieurs,
nous avons examiné les chances qui pourraient faire élever les prix des sucres
étrangers, et nous n’avons pas dissimulé que, dans ce cas, nous appuierions
toute proposition qui tendrait à augmenter le droit sur le sucre indigène ;
mais il ne sied guère à nos adversaires de venir nous parler du renchérissement
probable des prix des sucres étrangers ; car ils ont constamment soutenu que le
sucre indigène n’est pas viable par cela même que les prix des sucres étrangers
baissent et continueront de baisser.
On a dit que les fabricants du sucre de betterave
accepteraient l’indemnité. Quand même cela serait, y aurait-il là un motif
suffisant pour la chambre, qui a pour mission de veiller aux intérêts généraux
? Je ne le pense pas. Du reste, je puis déclarer que tous les membres du comité
que j’ai entendus n’ont jamais émis ce vœu, qu’ils m’ont, au contraire, exprimé
leur regret qu’on leur prêtât de pareilles intentions ; qu’en un mot ils n’ont
demandé qu’à pouvoir conserver leur industrie à des conditions raisonnables.
Dans toutes les industries, il y a des hommes imprudents ou imprévoyants qui se
placent dans des conditions défavorables ou qui manquent de capitaux, et qui,
par suite, doivent renoncer à leur entreprise ; est-ce une raison d’anéantir la
branche d’industrie à laquelle ils se sont livrés ? Assurément non. Un
honorable député est venu nous dire que 15 raffineries avaient discontinué
leurs travaux à Anvers ; en suivant le principe qu’on met en avant, ce serait
une raison pour supprimer le raffinage et offrir une indemnité à ces 15
raffineurs. Certes, ces industriels auraient accepté avec reconnaissance
l’indemnité, si ou la leur avait offerte, mais ce n’est pas ainsi que l’on doit
entendre l’intérêt public.
PROJET DE LOI RELATIFS A LA POLICE ET AUX PEAGES SUR LE
CHEMIN DE FER
(Moniteur belge,
n°66, du 7 mars 1843) M. le ministre
des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, le Roi m’a chargé de présenter à
la chambre deux projets de loi. Le premier est relatif à quelques mesures de
police concernant le chemin de fer ; le second tend à proroger d’une année
l’art. 1er de la loi de 1835 sur les péages du chemin de fer.
- Il est donné acte à M. le
ministre de ces deux projets de loi ; ils seront imprimés et distribués, ainsi
que les exposés des motifs qui les accompagnent.
La chambre en ordonne le renvoi à la section
centrale du budget des travaux publics, qui les examinera en qualité de
commission spéciale.
La séance est levée à 4 1/2 heures.