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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 mars 1843

(Moniteur belge n°73, du 14 mars 1843)

(Présidence de M. Raikem)

M. Kervyn fait l’appel nominal à 2 heures et quart.

La séance est ouverte.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Henri Ehrisman prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Les négociants et agents de change d’Anvers présentent des observations contre la pétition tendant à obtenir la suppression des télégraphes entre Bruxelles et Anvers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Osy. - M. le secrétaire vient de faire l’analyse d’une pétition contre l’abolition des télégraphes. Déjà la commission des pétitions nous a fait un rapport sur la pétition qui demandait l’abolition des télégraphes. Je proposerai le renvoi de celle-ci avec demande d’un prompt rapport pour savoir s’il y a lieu de la renvoyer à M. le ministre de l’intérieur,

- Cette proposition est adoptée.


« Les négociants en bois de la ville de Thielt et des environs, présentent des observations contre la proposition de la section centrale de majorer les droits d’entrée sur les bois étrangers, sciés et non sciés. »

- Renvoi à commission des pétitions avec demande d’en faire rapport avec d’autres pétitions du même objet.


« Quelques habitants de Marchienne-au-Pont transmettent à la chambre, une copie de la pétition qu’ils ont adressée à M. le ministre des travaux publics, en réponse à celle qui lui a été présentée, par l’administration communale, au sujet du déplacement du pont de Marchienne. »

Renvoi à la commission des pétitions.

M. Pirmez. - Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition.

Projet de loi ayant pour but d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale du 3 mars 1831

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il aux amendements proposes par la section centrale ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pour répondre à la question que m’adresse M. le président, je dois faire une distinction. La section centrale a ajouté deux articles au projet présenté par le gouvernement. Je parlerai d’abord du projet présenté par le gouvernement. Ce projet, la section centrale y a fait quelques changements qui sont à proprement parler des corrections, des rectifications. J’adopte ces corrections, ces rectifications et je me rallie au projet ainsi amendé par la section centrale. J’ai cependant une observation à faire sur l’art. 8 du gouvernement, art. 9 de la section centrale. Le gouvernement avait proposé d’ajouter après l’art. 18 de la loi électorale, le § suivant : L’arrêté royal de convocation du collège électorat fixera l’heure où doivent commencer les opérations électorales.

Ce que j’ai proposé suppose que dans tous les cas il y aura arrêté royal de convocation. Or, il pourrait ne pas y avoir d’arrêté de convocation ; les collèges électoraux, dans certains cas, peuvent se réunir de plein droit, quand même il n’y aurait pas eu d’invitation faite au nom du gouvernement. Jusqu’à présent le gouvernement, nonobstant la disposition de la loi qui porte convocation de plein droit des électeurs, a toujours publie un arrêté de convocation, mesure très sage et utile, prise par le gouvernement, bien que s’il ne l’eût pas fait les collèges électoraux ne se fussent pas moins réunis de plein droit.

On est parti de l’idée qu’il est bon de fixer une heure où doivent commencer nécessairement les opérations électorales. Pour atteindre ce but, il est impossible de s’en référer à un arrêté royal, puisqu’il peut ne pas y avoir d’arrêté royal. C’est donc dans la loi même qu’il faut fixer les heures où commenceront les opérations électorales. J’ai donc, tout en persistant dans l’idée que les heures doivent être indiquées, abandonné la forme que je lui avais donnée d’abord. Je propose de fixer dans la loi même les heures où commenceront les opérations électorales. Ces heures doivent varier d’après les saisons.

L’art. 8 serait ainsi conçu

La disposition suivante est ajoutée à l’art. 18 de la loi électorale du 3 mars 1831, comme dernier paragraphe :

« Les opérations électorales commenceront à neuf heures du matin du 1er mai au 1er octobre et à 10 heures du matin si les élections ont lieu à d’autres époques. »

Voilà le § que je propose de substituer au 3ème § que j’avais proposé à l’art. 18.

Je passe aux articles additionnels proposés par la section centrale. Permettez-moi de vous lire un passage de l’exposé des motifs. Je disais dans l’exposé des motifs :

« Plusieurs autres points nous ont été signalés ; nous n’en citerons que deux :

« 1° Le même collège peut être appelé à élire des sénateurs et des représentants ; d’après la loi de 1831, les élections se font successivement ; l’on s’est demandé si le bureau ne pourrait pas en même temps recevoir les deux bulletins en présentant à l’électeur deux urnes différentes.

« 2° L’enquête atteste que presque partout la plus importante de nos garanties électorales de nos garanties électorales, le secret du vote, semble compromise, différents signes étant employés pour faire reconnaître les bulletins ; l’on s’est demandé s’il ne faudrait pas charger les administrations locales et les bureaux de délivrer des bulletins uniformes, pliés de la même manière, et marqués d’un timbre.

« Le temps nous a manqué pour éclaircir ces deux points. »

La section centrale a fait droit à ces deux réserves ; elle a proposé deux dispositions additionnelles : L’une consacrant la simultanéité des votez pour l’élection du sénat et de la chambre des représentants, l’autre introduisant un papier électoral.

Je parlerai d’abord du papier électoral. J’ai beaucoup réfléchi à cette mesure depuis qu’il en est question, j’ai consulté des autorités et des fonctionnaires publies, j’ai acquis la conviction que le moyen serait à la fois gênant et inefficace. (Mouvement.) Il y a d’autres moyens très nombreux qui sont employés pour reconnaître les bulletins, ces moyens on ne les atteint pas par le papier électoral. (Interruption.) Ces moyens sont en très grand nombre, on ajoute, au nom du candidat, des désignations plus ou moins inusitées, plus ou moins étranges. Un bulletin de ce genre, unique, est remis à l’électeur en qui on n’a pas une confiance absolue ; si ce bulletin ne reparaît pas au dépouillement, on en conclut que l’électeur a fait faute à celui qui lui avait donné le bulletin. Je pourrais citer un grand nombre de cas où ces moyens de reconnaissance ont été employés. On a eu recours aux qualifications les plus bizarres. Il est un autre moyen auquel on peut recourir encore, que la loi n’interdit pas. On peut ajouter au nombre des candidats un nom de plus. Cela n’annule pas le bulletin.

Il faut que ce bulletin reparaisse, sinon on en conclut que l’électeur n’a pas tenu parole. Ainsi, il existe, pour reconnaître le bulletin d’autres signes que le papier et que nous ne pouvons pas atteindre.

Malgré l’existence du papier électoral on peut faire des signes extérieurs. Le moyen de reconnaissance existerait toujours, et consisterait, par exemple, dans la manière de plier le papier. Il est impossible de prescrire de quelle manière les bulletins devront être pliés, d’exiger qu’ils le soient tous d’une manière uniforme, sous peine d’être rejetés, car ce serait donner lieu à l’arbitraire le plus effrayant. Je crois donc qu’il ne faut pas se faire illusion sur l’introduction d’un papier électoral, car il ne remédierait à rien. On éluderait la disposition de la loi par la manière de plier le bulletin ou par un signe extérieur quelconque. Tous les moyens de reconnaissance que j’ai indiqués subsisteraient,

J’abandonne donc cette idée ; je ne puis me rallier à la proposition de la section centrale. Je dois peut-être regretter d’en avoir fait naître l’idée. Il était bon cependant d’appeler l’attention sur ce point.

L’autre disposition est relative à la simultanéité des votes pour les deux chambres.

Il est convenable de vous rappeler quelques-unes des dispositions que renferment la loi électorale de 1831, et les lois spéciales faites en 1839.

L’art. 24 de la loi est ainsi conçu :

« Art. 24 de la loi de 1831. Quand il y aura lieu à procéder simultanément aux élections pour la chambre des représentants et le sénat, les opérations commenceront par l’élection des membres de ce dernier corps.»

Ainsi on commence par l’élection du sénat et ce n’est que quand cette opération est totalement épuisée qu’on aborde l’élection des membres des représentants. La loi elle-même renferme une dérogation à cet article. Elle se trouve au § 2 de l’art 18, où il est dit : « Lorsqu’il y a lieu de procéder à une élection par plusieurs collèges réunies, elle se fera le 3ème mardi du même mois. »

Ainsi l’art. 24 n’est applicable à l’élection du sénat que quand le même collège nomme un sénateur sans concours d’autres collèges. Mais quand le sénateur doit être nommé par plusieurs collèges réunis, la nomination est renvoyée au troisième mardi du mois de juin.

On pourrait se demander pourquoi on a pensé qu’il était plus facile de procéder le même jour à l’élection des membres du sénat et de la chambre des représentants, quand c’est un collège unique qui nomme que quand ce sont plusieurs collèges qui doivent choisir un sénateur. Je sais que la réponse est dans une autre disposition de la loi de 1831, disposition aujourd’hui abrogée qui supposait qu’en cas de nomination d’un sénateur par plusieurs collèges, les collèges devaient se réunir au chef-lieu d’un seul arrondissement. Cette disposition a été abrogée par la loi du 3 juin 1839 qui porte art. 3 : « Dans les provinces où plusieurs arrondissements concourent à l’élection d’un sénateur, les électeurs se réunissent au chef-lieu de l’arrondissement dans lequel ils ont leur domicile réel. » C’est-à-dire au chef-lieu de leurs arrondissements respectifs, où ils ont voté une première fois pour les membres de la chambre des représentants. L’art. 3 ajoute : « En cas de ballottage, les électeurs seront convoqués de nouveau, en observant les délais prescrits par l’art. 10 de la loi électorale. » Cet article 3 de la loi de 1839 doit recevoir son exécution cette année. Il doit être appliqué à deux collèges électoraux du Limbourg, celui de Maeseyk et celui de Tongres, ces ceux collèges nomment ensemble un sénateur. Ces deux collèges si la législation existante est maintenue, devront se réunir une première fois le deuxième mardi de juin pour nommer les représentants qui leur sont assignés et le troisième mardi, ils devront se réunir de nouveau pour procéder à la nomination du sénateur ; et en cas de ballottage, les mêmes électeurs devront revenir une troisième fois, d’après le § 2 de l’art. 3 de la loi de 1839. Ainsi les électeurs de Maeseyck et de Tongres sont exposés dans l’état actuel de la législation à se réunir trois fois. Les inconvénients que présentent les art. 18 et 24 de la loi électorale de 1831 et l’art. 3 de la loi de 1839, auront frappé tout le monde.

On s’est demandé s’il ne serait pas possible de procéder le même jour à la nomination des sénateurs et des représentants, simultanément, en imprimant aux opérations électorales plus de rapidité, et en n’exposant pas les électeurs étrangers à la commune où se fait l’élection, à y rester jusqu’au lendemain, ou à y revenir une seconde fois. La section centrale vous a proposé un moyen plus ou moins connexe avec l’existence d’un papier électoral, mais qui cependant pourrait à la rigueur subsister sous ce papier électoral ; je crois cependant qu’il y a un moyen plus simple pour atteindre le but qu’on se propose, c’est celui que j’ai tout d’abord indiqué dans l’exposé des motifs ; c’est l’existence de deux urnes. Je me sers du mot urne, quoiqu’il ne soit pas consacré par la loi électorale qui se sert du mot boîte. Pourquoi n’y aurait-il pas deux urnes ou deux boîtes différentes sur le bureau ? (Interruption.) Il est de fait que les électeurs sont munis des deux bulletins, d’un bulletin pour le sénat, et d’un bulletin pour la chambre des représentants. Pourquoi ne pas leur demander, quand ils se présentent devant le président, successivement chacun les deux bulletins dont ils sont porteurs ? Craint-on la confusion ? Mais puisqu’ils sont munis des deux bulletins, vous leur demandez le bulletin pour le sénat, pourquoi ne leur demanderiez vous pas le second bulletin ? (Interruption.)

Vous craignez la confusion, mais le second bulletin ne peut être que celui qu’ils destinent à la chambre des représentants. La confusion existe déjà dans le système actuel ; dans beaucoup de cas, on a trouvé dans la première boîte, dans le premier scrutin ouvert pour le sénat, des bulletins destinés à la chambre des représentants ; ainsi cette confusion s’est déjà présentée avec le régime actuel. Il y aura un moyen qui n’existe pas maintenant pour prévenir la confusion, c’est de permettre, non d’exiger, une désignation extérieure. (Interruption.) L’électeur intelligent ou ayant beaucoup de présence d’esprit, n’aura pas besoin de cette désignation ; il se présentera devant le bureau, et remettra au président le premier bulletin pour le sénat, et ensuite le second pour la chambre des représentants ; mais l’électeur moins intelligent, ou moins sûr de lui-même, pourra donner une désignation à l’extérieur de son bulletin, de manière à se mettre à l’abri de toute crainte de confusion. C’est d’après cette idée que j’ai rédigé un amendement, dont je vais vous donner lecture :

(M. le ministre de l’intérieur donne lecture de cet amendement).

Voilà, messieurs, de quelle manière on pourra atteindre le but que j’ai indiqué dans l’exposé des motifs, et que votre section centrale a proposé d’atteindre par un autre mode que je crois moins simple, et plus étranger aux habitudes actuelles des électeurs ; je reviens la première idée sans y mettre d’amour-propre cependant ; je trouve cette marche plus naturel ; j’atteins le but avec moins d’efforts.

Il me reste maintenant à dire un mot de l’enquête qui a été faite par le gouvernement.

Chacun des gouverneurs de provinces avait résumé les enquêtes partielles, faites par les commissaires d’arrondissements, et par les autres fonctionnaires qui leur avaient été adjoints par le département des finances. J’ai communiqué à la chambre, et on a fait imprimer les neuf résumés des gouverneurs. J’ai dit que j’avais supprimé les noms propres, et je persiste à croire qu’il est dans les convenances que les noms propres soient supprimés.

Une seconde enquête a été faite par le département des finances ; on peut donc dire que l’enquête a été faite en partie double. Les directeurs de provinces ont transmis leurs renseignements au département des finances ; mais ils n’ont pas résumé les renseignements partiels, ils se sont bornés à transmettre les renseignements qu’ils avaient recueillis de chacun des receveurs et des contrôleurs auxquels ils s’étaient adressés. Mon collègue, M. le ministre des finances, a donc dû résumer lui-même tous ces renseignements partiels, et se propose de vous donner communication de ce résumé ; vous verrez que les renseignements pris par les neuf gouverneurs qui vous sont connus, se trouvent confirmés par les renseignements transmis directement au département des finances.

(M. le ministre de l’intérieur après s’être concerté avec M. le ministre des finances, reprend en ces termes :)

M. le ministre des finances qui est indisposé, me prie de vous donner lecture de ces pièces qui, du reste, seront imprimées.

(M. Nothomb donne lecture de ce résumé signé par M. Smits, ministre des finances).

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), à la suite de cette lecture, ajoute - Mon honorable collègue a fait dresser en outre des tableaux contenant le relevé des rôles supplétifs. Ces tableaux indiquent les déclarations supplétives qui ont été faites en 1840, 1841 et 1842. Il est très important de comparer ces trois années ; ces tableaux renferment une masse de chiffres, mais ils peuvent, dès demain se trouver au Moniteur. Il n’y a aucun inconvénient à les imprimer.

Cette comparaison est très essentielle, en ce sens qu’on reconnaîtra qu’il y a peu de variations dans les déclarations supplétives d’une année à l’autre. Je n’ai pas moi-même étudié suffisamment ces tableaux, pour pouvoir me livrer en ce moment aux considérations que l’examen comparatif des tableaux doit suggérer à chacun de nous ; mais ils seront imprimés, et l’on pourra présenter ultérieurement les réflexions auxquelles ces tableaux donnent lieu.

On pourrait même, comme on me le fait observer, faire imprimer les pièces séparément, avec le rapport de M. le ministre des finances. (Oui ! oui !)

- La chambre décide que les pièces dont il s’agit seront imprimées séparément.

M. le président. - Voici les propositions qui ont été déposées par M. le ministre de l’intérieur :

Art. 8. Du projet primitif et 9 du projet de la section centrale. Amendement.

La disposition suivante est ajoutée comme § 2 au § 1er de l’art. 18 de la loi électorale du 3 mars 1831 :

« Les opérations électorales commenceront à 9 heures du matin si l’élection se fait du 1er mai au 1er octobre, et à dix si elle se fait à d’autres époques. »

Art. 16 (nouveau). Du projet de la section centrale. Amendement.

Le § 2 de l’art. 18 de la loi du 3 mars 1831 est abrogé.

L’art. 24 de la même loi sera rédigé de la manière suivante :

« Lorsqu’un collège aura à procéder le même jour aux élections pour la chambre des représentants et le sénat, les opérations se feront simultanément, comme il est dit ci-après. »

Seront insérées, à la suite de l’art. 25 de la loi électorale, les dispositions suivantes :

« Quand il y aura lieu de procéder simultanément aux élections pour les deux chambres, il y aura deux boîtes, portant l’une l’inscription SENAT, l’autre celle de CHAMBRE DES REPRESENTANTS.

« Le président recevra des mains de l’électeur d’abord le bulletin pour le sénat, puis le bulletin pour la chambre des représentants.

« Les bulletins pourront porter à l’extérieur l’un le mot SENATEUR ou SENATEURS ; l’autre celui de REPRESENTANT ou REPRESENTANTS, les abréviations de ces mots ou les initiales S ou R ; dans tous les cas, ces désignations seront écrites à la main et à l’encre noire ; tout bulletin sur lequel ces désignations seront imprimées ou écrites autrement qu’à l’encre noire, tout bulletin portant à l’extérieur d’autres désignations ne sera pas reçu.

« Si le bulletin ne porte aucune désignation extérieure, le président le déposera dans la boîte indiquée par l’électeur ; si le bulletin porte une désignation extérieure, le président le déposera dans la boîte indiquée par cette désignation.

« Lorsque l’électeur ne remet pas de bulletin pour l’une des chambres, il est pris note de l’omission, et cet électeur n’est pas compté au nombre des votants pour cette chambre.

« Le dépouillement des deux boîtes se fera dans chaque bureau sans désemparer, en commençant par la boîte du sénat.

« Les dispositions qui précèdent seront appliquées au second scrutin, s’il y a lieu. »

(Art. 48. Papier électoral.) - (Le gouvernement ne se rallie pas à cette proposition,)

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. Savart-Martel. - En notre séance du 6 décembre dernier, des plaintes d’une nature grave se sont élevées sur les moyens employés aux fins d’introduire de faux électeurs qui altéreraient la sincérité de nos institutions.

Je ne rappellerai point la discussion animée, irritante même, auxquelles ces plaintes ont donne lieu.

Le gouvernement a reconnu que si les abus, si les fraudes signalées existaient, la représentation nationale serait faussée dans sa base.

Il a promis des enquêtes qui seraient suivies, le cas échéant, d’un projet de loi répressive.

A d’autres le soin de s’occuper de ces enquêtes ; quant à moi, je doute que les renseignements parvenus au gouvernement aient suffisamment éclairé sa religion.

En vous soumettant purement et simplement les observations que m’a suggérées l’étude du projet en discussion, je le ferai avec calme, avec modération, et sans imputer mauvaise volonté à qui que ce soit.

La voix parlementaire est, comme la presse, la sauvegarde des libertés publiques et des droits du peuple ; elle doit être libre, ferme, inflexible, mais il ne lui appartient pas d’être jamais l’instrument de la malveillance.

Je l’avoue, j’ai peu de sympathie pour un système d’élection qui accorde tout à l’argent, rien à la capacité ; je vois avec peine qu’en face de la propriété, le talent, les arts, les sciences et l’industrie se trouvent au même rang que le simple prolétaire.

J’y vois même un danger pour la chose publique, car cette égalité de position peut amener l’union de ces deux classes de la société.

Or, de l’union des capacités avec les prolétaires doit naître un jour la démocratie pure, la démocratie proprement dite.

Fidèle à l’œuvre du congrès souverain, je dois fléchir le genou devant la loi des lois qui n’accorde le droit électoral qu’à ceux qui paie le cens déterminé par la législation.

Je ne puis oublier qu’il a été entendu entre la chambre et le gouvernement que quels que puissent être les abus signalés, la loi que proposerait en ce jour le ministère ne serait point une réforme électorale.

C’est donc dans cette position circonscrite, dont il ne m’est point permis de sortir, que je m’occuperai du projet en discussion.

Messieurs j’avais cru à une loi très simple, deux ou trois articles ayant pour but de réprimer la fraude ; loi susceptible à être immédiatement discutée, votée et publiée, tandis qu’il nous est soumis une loi générale et volumineuse, qui aura pour objet, non pas précisément de réprimer la fraude, mais au contraire, de la couvrir, comme aussi de jeter la défiance entre le peuple et le gouvernement, et cela sous prétexte d’assurer l’exécution régulière et uniforme de la loi du 3 mars 1831.

Je dis loi volumineuse, parce que les dix-neuf ou vingt articles dont elle se compose doivent être mis en présence des 55 articles qui forment la législation maintenant en vigueur.

Il y a danger, et danger imminent, que les principales dispositions de ce projet, les seules qui offriraient quelque garantie contre les abus qui ont été signalés, ne puissent être appliquées aux révisions des listes électorales de 1843, qui doivent se faire sous peu de jours.

Dans le projet sont des dispositions acceptables sans doute, mais j’en vois d’inutiles, j’en vois de déplorables. Je m’écrierai comme Martiel : Sunt bona, sunt mediocritas, sunt pessima quoedam, et je crains que le mauvais l’emporte sur le bon.

Il est bien d’avoir réglé législativement quelques points controversés en jurisprudence.

Il est bien d’avoir pris des mesures pour hâter les opérations électorales.

Mais les dispositions qui concernent l’intérieur des bureaux et leurs abords, l’heure, l’ordre et la police ne méritaient point des mesures législatives.

Il y a dans notre arsenal des lois pénales à suffisance pour réprimer les atteintes portées à la tranquillité publique.

Créer de nouveaux délits, des délits insaisissables surtout, est au moins dangereux.

Dites et ne dites pas, faites ou ne faites pas, ordonnez, défendez, vous n’arrêterez jamais, en cas d’élection, les manifestations populaires.

Craignez, au contraire, d’arrêter ces élans inséparables de l’exercice de cette espèce de pouvoir souverain !...

Mais ce que j’appelle déplorable, c’est de n’avoir pas pourvu à la répression de la fraude que la loi couvre, au contraire, de son égide ; ce que j’appelle déplorable, c’est de porter aux électeurs une méfiance qui doit blesser l’honneur et la susceptibilité de ces hommes libres usant de leurs droits ; ce que j’appelle déplorable surtout, c’est l’introduction du pouvoir exécutif d’une manière directe, si dangereuse dans ce qui concerne les élections.

La loi de 1831 a été faite presque en même temps que le code fondamental.

Comme cette œuvre constitutionnelle, elle est l’ouvrage du congrès.

Messieurs, beaucoup d’entre vous faisaient partie de cette illustre assemblée.

J’en appelle à leurs souvenirs, leur conscience surtout.

Les principes qu’on veut consacrer aujourd’hui, sont-ils ceux du congrès ?

Tout se faisait alors dans l’intérêt des libertés publiques.

Aurait-on souffert l’introduction du gouvernement dans les élections ?

Cette prétention, avouons-le, aurait paru attentatoire à la liberté des votes populaires ; de toutes parts, on l’eût repoussée.

Je le dis avec conviction, si cette intrusion n’est point opposée au texte, elle est au moins opposée à l’esprit de notre constitution éminemment libérale.

En effet, tous les pouvoirs émanent de la nation (art. 23).

Le ministère est comptable de ses actes devant le peuple, représenté par ses élus.

Or, il est déraisonnable que l’autorité responsable, que le ministre comptable, intervienne par lui-même ou les siens dans la constitution du pouvoir qui jugera ses faits et actions.

Dire qu’il est dangereux pour les libertés publiques d’introduire le pouvoir exécutif dans les élections populaires, c’est rappeler une vérité élémentaire pour l’homme d’Etat, vérité attestée par les publicistes anciens et modernes.

Vérité qui a pour elle l’histoire de tous les temps et de tous les peuples.

Dans le gouvernement constitutionnel, il y a et il y aura toujours une opposition plus ou moins prononcée.

Cette opposition est utile, nécessaire même, quoique je n’admets pas, moi, l’opposition systématique.

Entre les diverses opinions qui surgissent de cet état de choses, le pouvoir exécutif ne peut rester neutre. Il y a pour lui nécessité de suivre l’un ou l’autre des partis.

Rarement il peut les modifier,

Si le gouvernement se trompe, s’il s’égare, s’il compromet l’Etat, qui l’en informera ? L’opposition parlementaire sans doute ; car c’est son droit et son devoir.

Mais si ce pouvoir responsable agit lui-même sur la composition du parlement, ce sera naturellement dans le sens de son opinion. Dès lors, il rencontrera des apologistes.

Mais ce n’est pas tout ; en donnant au gouvernement une influence plus ou moins directe sur les élections, vous le mettriez à portée d’annihiler tous les pouvoirs ou de les absorber.

Qu’on ne dise pas que ce sont là des utopies. L’expérience n’a que trop justifié de nos jours, comme autrefois, que c’est là le cours ordinaire des choses.

Si nous voulons conserver la liberté, qui est l’âme de toutes nos institutions, il faut, au contraire, refuser au gouvernement toute participation directe ou indirecte aux élections populaires.

Il faudrait, pour la tranquillité publique, qu’on ne puisse pas même supposer qu’il s’en occupe.

Comme la femme de César, il faudrait que le soupçon même ne pût l’atteindre.

Parcourons le projet en discussion. Voyons quelle est la part faite au pouvoir. Je ne crains point de dire que s’il voulait abuser de sa position, le ministère pourrait dire comme Louis XIV, l’Etat, c’est moi.

D’abord, les rôles des contributions sont remis au collège municipal qui dresse les listes des électeurs de sa localité et qui les fait publier avec sommation de produire les réclamations endéans quinzaine.

Ces réclamations arrivées, accompagnées des pièces justificatives, les bourgmestres et échevins qui tiennent leurs commissions du gouvernement sont appelés à statuer sur les plaintes, oppositions et réclamations des listes par cette autorité même.

Voilà donc ce pouvoir administratif qui statue sur les réclamations au sujet des listes qu’il a formées précédemment, sous l’influence d’un préjuge en faveur de son propre ouvrage. On me répondra qu’on pratique ainsi depuis quelques années ; c’est vrai. Mais a-t-on raison de pratiquer ainsi ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à la suite de la loi de 1831, au moins dans diverses localités les choses se passaient autrement.

Ce n’était pas le collège qui statuait ; c’était le conseil. Et, en effet, vous trouvez beaucoup plus de lumière dans un conseil composé de 15, 25 ou 30 personnes, que dans deux ou trois bourgmestre et échevins, à la campagne surtout.

Je suis loin de croire qu’il n’y a pas à la campagne des hommes instruits à même de juger les contestations aussi bien qu’on le ferait dans les villes. Mais, ne vous y trompez pas, il doit se présenter alors non seulement des questions de fait, mais aussi des questions de droit. Or, il et rare que, dans une commune, un bourgmestre aidé de deux échevins, et peut-être du garde-champêtre qui tiendra la plume, puisse juger des questions de droits, de véritables contestations. Car c’est moins sur les faits que sur les questions de droit que se présentent les contestations, et les faits eux-mêmes nécessitent quelquefois des vérifications préjudicielles qui ne peuvent se faire dans les 24 heures.

Messieurs, je prendrai cette année pour exemple. Le délai des réclamations expirera le 1er mai, de sorte que les réclamations devront arriver avant cette date, mais dans les 24 heures. Dès le 2 mai, la liste, avec toutes les pièces à l’appui, doivent être arrivées au commissaire de district, au magistrat du pouvoir, qui forment les listes définitives, qui règle la distribution par sections, et à qui vous accordez le droit d’appel, outre le droit indirect de composer le bureau par sa division arbitraire de la liste électorale.

D’abord, messieurs, je vous demanderai comment le pouvoir municipal, votre collège des bourgmestres et échevins, que vous réunirez sans doute dans toutes les communes, le 1er mai, ou la veille, sera à même de décider, dans le temps fixé, toutes les contestations qui se présenteront. Messieurs, j’ai vu parfois des administrations communales recevoir au dernier moment grand nombre de réclamations. Je vous demande s’il est quelqu’un de vous qui croie que, dans ce cas, il puisse être statué dans les 24 heures. On m’a répondu, et on me répondra probablement encore : pendant quinze jours peuvent avoir lieu les réclamations.

Mais ici, au lieu de s’arrêter à une vaine théorie, il faut voir les choses en pratique. Il ne faut pas douter d’une chose, c’est que d’ordinaire les réclamations n’arriveront qu’au dernier moment. J’en appelle à ceux qui connaissent la triture des affaires.

S’il arrive un point de fait à vérifier, il faudra un terme plus ou moins long, une instruction peut-être. En vain croyez-vous qu’on puisse se présenter armé de toutes pièces. Il est impossible de prévoir toutes les objections formant des questions préjudicielles pas plus qu’on ne peut le faire lorsqu’on se présente en justice.

Messieurs, si jusqu’ici il y a eu peu de réclamations, il n’en sera plus de même aujourd’hui où l’on paraît attacher au droit de voter bien plus d’importance. Il n’en sera plus de même aujourd’hui où non seulement chaque particulier, ou même des associations particulières auront le droit de poursuivre la réformation des erreurs, Il n’en sera plus de même aujourd’hui surtout où vous accordez un droit d’appel à l’homme du gouvernement, qui, selon moi, dans l’ordre de la hiérarchie, doit obéissance passive au pouvoir exécutif. C’est à cet homme qui ne doit avoir que le sens nécessaire pour apprécier les faits (car il peut certainement être pris dans toutes les classes de la société), que vous accordez le pouvoir d’un appel qui ne lui coûte rien.

Ainsi, messieurs, après avoir eu pour juges les bourgmestre et échevins, qu’il ne faut pas confondre avec le conseil, je rencontre le pouvoir qui appelle, tous tenant leurs mandats du gouvernement même.

Messieurs, il pourrait se rencontrer par hasard un commissaire de district qui voulût écarter les personnes qui lui font obstacle un commissaire de district qui soignât les intérêts opposés à ceux d’un concurrent. Et cela n’est pas impossible, nous en avons eu des exemples, puisque nous avons vu des commissaires de district démis de leurs fonctions pour s’être ainsi mêlés d’opérations électorales. Il pourrait même arriver que de bonne foi (car dans ses intérêts on est souvent prévenu), ce fonctionnaire serait dans la position la plus favorable, il écarterait à volonté, provisoirement au moins, les électeurs qu’il saurait lui être hostiles. J’admets même le cas le plus ordinaire, c’est que ce magistrat de l’ordre administratif sera de bonne foi. Il aura mis dans sa tête un principe erroné, par son seul appel il empêchera votre inscription jusqu’à ce que le conseil provincial ait prononcé ; il faut en convenir, ce pouvoir est exorbitant.

Ah ! dit-on, dans le conseil provincial vous avez une ample garantie ; mais, messieurs, c’est encore une erreur. Le conseil provincial présente une garantie, c’est vrai ; mais, ne vous y trompez pas, là encore je rencontre le pouvoir exécutif. Quel est l’homme qui préside ce conseil provincial ? C’est encore une fois l’homme du ministère, c’est le gouverneur, qui aussi, me semble-t-il, doit obéissance à ses chefs, et devra suivre les ordres du gouvernement.

Messieurs, dans ce que je dis, je ne prétends faire allusion à personne ; je prends les choses en général. Je n’ai pas en vue le ministère actuel plus que des ministères futurs ; je ne parle pas de ce qui doit arriver, mais de ce qui peut arriver.

Voilà donc le conseil provincial saisi de la question. Vous croyez encore qu’il peut rondement et à bureau ouvert statuer sur vos réclamations ? Mais, détrompez-vous. Tout administrateur vous dira que, même dans les conseils provinciaux, quand il se présente des difficultés quelconques, il y a souvent maints faits préjudiciels à vérifier avant d’arriver au fait principal. Là aussi il faut une instruction. Or, tous ceux qui sont habitués à la procédure judiciaire et administrative savent qu’avec toute la bonne volonté possible une instruction ne se fait pas toujours en peu de temps.

On nous dira encore : vous avez dû prévoir les objections. Mais, messieurs, il n’est pas une intelligence humaine qui puisse prévoir toutes les objections, toutes les exceptions, tous les moyens d’opposition quand on commence une contestation.

Or, qu’arrivera-t-il ? C’est que parfois il ne pourra être pris de décision avant que l’élection ne soit consommée. Quelle sera la conséquence ? C’est que, jusqu’à ce que la chambre ait jugé sur la validité des élections, il régnera la plus grande incertitude sur tout ce qui aura été fait. Or, je vous le demande, est-il raisonnable de laisser les choses dans cette incertitude ?

Messieurs, je vous parlais des pourvois en appel que peut former le commissaire de district. Il sera nécessaire de laisser un temps suffisant à ce magistrat qui va devenir un homme introuvable ; car il devra dans les quelques jours qu’on lui laissera, distinguer le bon du mauvais, juger les questions de fait et les questions de droit. On objectera peut-être que le commissaire de district ne se pourvoira en appel qu’après un sérieux examen, et dans des circonstances graves. Mais je pense, moi, que ce fonctionnaire suivra purement et simplement les ordres du ministère qui, lui-même ne pourra guère obtenir que les renseignements fournis par l’esprit de parti ; dites plutôt que le ministère pourra faire des élections ce qu’il voudra ; dans ce cas soyons au moins conséquents avec nous-mêmes et ne nous laissons pas spolier de nos droits électoraux sous l’apparence d’une loi répressive de la fraude. Puis enfin vient le droit de cassation ; je suis loin de contester ce droit ; mais à qui est-il dévolu ? au ministère encore, par l’intermédiaire de son homme-lige, le gouverneur ; et, chose inouïe dans nos mœurs, un magistrat même qui aura pris part à la décision. C’est donc le ministère et toujours le ministère que nous rencontrons dans la matière électorale.

Mais, je le répète, messieurs, il y a un abus grave, à laisser ainsi dans l’incertitude pendant une période plus ou moins longue, la validité des élections. Croyez-vous qu’il soit bien prudent, qu’il soit bien raisonnable, de prolonger cette espèce d’anxiété qui règne dans le pays au moment des élections ? Croyez-vous qu’il soit sage de laisser régner l’incertitude jusqu’à l’ouverture de la session, époque éloignée où les élections doivent être soumises à l’examen de la chambre, et de vous exposer à voir certaines élections recommencer deux ou trois fois ?

Cela n’est guère arrivé jusqu’ici, je le sais ; mais nous sommes dans une position bien différente ; nous sommes dans une position où les pouvoirs électoraux sont appréciés à une grande valeur. Il est impossible que l’époque des élections ne soit pas un temps de fièvre, et je crois qu’il serait sage, qu’il serait patriotique de faire cesser cette fièvre le plus tôt possible.

On a dit aussi : il faut bien que les commissaires de district puissent appeler ; car beaucoup de personnes ne sont pas sur les listes électorales. Cela est vrai, et je crois que beaucoup n’y sont pas, parce que les rôles mêmes laissent beaucoup de vague, puisqu’il n’est pas vrai que ces rôles portent toujours les noms des véritables propriétaires. Je pourrais citer tel individu qui n’a pas un fr. de contribution sous son nom et qui cependant a de nombreux locataires. Il y a plus, le cadastre renouvelé, a replacé sur les rôles des personnes qui sont mortes depuis 40 ans.

Pourquoi n’avez-vous pas fait faire les mutations, direz-vous ? Mais parce qu’il est très difficile dans plusieurs communes, de faire une mutation dans les rôles, et qu’ici encore la pratique l’emporte sur les théories.

Oui toutes ces opérations administratives sont excellentes en théorie, mais en pratique, c’est souvent lettre morte.

En fait, la loi de frimaire an 7, concernant les mutations ne s’exécute plus, et peut-être ne s’est-elle jamais exécutée. En cas de succession, souvent d’ailleurs, il ne se fait point de partage. Des familles entières jouissent indivisément.

Souvent aussi il arrive qu’une succession donne lieu à des procès qui durent pendant des années ; eh bien, dans ce cas, chacun ira se dire héritier, ou bien personne n’en fait déclaration.

Autre chose : Vous voulez, messieurs, que le commissaire de district soit pourvu du droit d’appel contre des personnes qui ne se font pas inscrire sur les listes électorales ; vous allez faire un procès jusqu’en cassation à un homme, à 10, à 100 hommes, pour simple omission ; vous allez les faire condamner au moins à des frais, alors qu’ils n’ont peut-être pas entre les mains les pièces nécessaires pour se faire porter sur cette liste ; d’ailleurs vous ne pouvez forcer personne à exercer son droit électoral : vous pouvez empêcher de voter celui qui n’en a pas le droit, mais il n’existe d’obligation pour personne de se faire inscrire sur les listes électorales. Empêchez la fraude par tous les moyens possibles, soit ; mais n’allez pas faire violence à ceux qui veulent rester neutres, à ceux qui ne veulent pas voter.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et le jury ?

M. Savart-Martel. - Je répons à l’honorable ministre que c’est précisément pour éviter le jury, que bien des personnes refuseront de se faire porter sur les listes électorales. Si c’est le jury que vous avez en vue, alors faites une loi qui oblige ceux qui doivent être portés sur la liste du jury, à s’y faire inscrire, mais il ne s’agit pas ici du jury de jugement, ii s’agit d’élections. Je disais tout à l’heure que personne n’est obligé à faire usage du droit électoral ; ce droit est un bénéfice, c’est une concession de la loi et nul n’est obligé d’user de cet avantage ; le jury, au contraire, est une charge que tout bon citoyen doit accepter ct remplir ; eh bien, faites une loi qui force les citoyens à s’acquitter sous ce rapport de leurs devoirs, mais n’allez pas confondre un bénéfice avec une charge ; ne faites pas une loi concernant le jury, alors qu’il ne s’agit que de la loi électorale, loi qui offre déjà assez de difficultés ; proposez une loi pour le jury de jugement, vous aurez notre appui.

Je reviens, messieurs, sur ma proposition principale. Partout dans la loi électorale nous rencontrons le pouvoir. Si ce pouvoir le voulait il pourrait absorber complètement les élections ; on me dira qu’il ne le fera pas, que c’est là une utopie ; mais cela se disait aussi dans les anciennes républiques lorsque des orateurs exprimaient la crainte de voir les tyrans renverser les institutions républicaines ; c’est cependant ce qui est arrivé la plupart du temps. Je ne veux pas faire ici une application au gouvernement, mais toujours faut-il prévoir ce qui est dans l’ordre des choses possibles.

J’ajouterai que je ne conçois pas dans la pratique l’exécution franche et sincère de cette loi, au moins pour la présente année. Je suppose qu’au 1er avril on ait fait les rôles, qu’on les ait vérifiés, si tant est qu’on les vérifie. Le délai pour réclamer expirera le 1er mai ; voilà donc les bourgmestres et échevins qui reçoivent les pièces probablement le 1er mai, et qui doivent les retourner au commissaire du district endéans les 4 heures ; quand donc ces magistrats pourront-il statuer ?

Eh bien, messieurs, ce délai est beaucoup trop court ; c’est de la théorie que de vouloir que les bourgmestres et échevins terminent ces affaires en 4 heures ; c’est comme ces stipulations de la loi qui portent que le juge statuera à bureau ouvert ; savez-vous, messieurs, ce que c’est que ce bureau ouvert ? C’est que souvent les affaires qui doivent être décidées à bureau ouvert ne reçoivent une solution qu’au bout d’une ou de plusieurs années. Ce n’est pas, messieurs, qu’il y ait mauvaise volonté de la part des magistrats, mais cela résulte de la force des choses ; il se présente des difficultés, des incidents, qui empêchent les tribunaux de se conformer à cette prescription de la loi. Eh bien, messieurs, la même chose arrivera pour les listes électorales, si l’on veut exécuter la loi d’une manière rigoureuse. Certes, ces difficultés ne se présenteraient pas s’il s’agissait pour les administrations communales de se prononcer comme le jury, si vous voulez que les autorités communales décident de bonne foi si tel ou tel possède les qualités requises pour être électeurs, alors la chose devient facile ; mais si vous voulez que ces questions se décident suivant les règles ordinaires du droit, les difficultés seront sans nombre.

Eh bien, messieurs, vous ne voudrez pas que la loi ne soit pas une vérité, vous ne voudrez pas que les listes soient approuvées sans avoir été rectifiées, surtout lorsque vous admettez l’appel d’office ; vous ne voudrez pas mettre le gouvernement dans le cas de pouvoir intenter des procès de nature à surexciter l’opinion publique. Eh bien, je dis qu’il est impossible aux administrations communales de prononcer en 4 heures sur les réclamations qui surgiront. Ces réclamations seront nombreuses, messieurs, car plus vous faites des lois sur les élections, plus on y attachera de l’importance et plus aussi il y aura de réclamations.

Vous ne pouvez pas supposer, messieurs, que le peuple ne s’occupera pas activement des élections, car, il ne faut pas se le dissimuler, il y a aujourd’hui, malheureusement deux opinions opposées en présence, et chacun attachera certainement beaucoup d’importance à voir triompher la sienne ; il y aura donc beaucoup d’agitation dans le pays, et si on ne peut pas exécuter la loi franchement et loyalement, cette agitation se prolongera jusqu’à votre session prochaine, jusqu’à ce que vous ayez pu trancher vous-mêmes les questions restées en suspens. Or, comme je l’ai déjà dit, il est impossible que la loi soit exécutée cette année, à moins que vous ne vouliez faire de la vérification des listes une question de bonne foi.

L’art. 10 qui nous est présenté offre un vague, un arbitraire qui use semble extrêmement dangereux.

Cet article est ainsi conçu :

« Tout individu qui aura, à l’occasion des élections, accepté, porté, arboré ou affiché d’une manière ostensible un signe quelconque de ralliement, sera puni d’une amende de fr. 50 à 500, et en cas d’insolvabilité, d’un emprisonnement de 6 jours à 1 mois. »

Messieurs, vous vous rappellerez que dans plusieurs sections on s’est demandé, non pas ce qu’on voulait par cet article, mais comment on entendait l’appliquer.

Qu’est-ce accepter un signe quelconque de ralliement à l’occasion des élections ?

Par exemple, dans beaucoup de localités, ii y a des élections préparatoires ; ces élections préparatoires sont précédées de convocations. Ainsi, un individu porte à domicile un avertissement tendant à inviter les électeurs à être présents à la séance préparatoire ; si l’on accepte cette invitation, ne pourra-t-on pas venir dire que ces électeurs ont accepté un signe quelconque de ralliement ? Je ne crois pas que ce soit l’intention du ministère, je ne pense pas qu’il veuille aller jusqu’à empêcher les citoyens de se réunir paisiblement pour l’exercice de leurs droits.

On a répondu à cela que les tribunaux apprécieraient les circonstances ; c’est très bien : j’ai confiance dans les tribunaux ; mais il ne suffit pas que je sache moi-même pénétrer les intentions de la loi beaucoup plus que ses expressions, ii faut aussi que la grande masse des citoyens sache quand ils feront bien ou mal.

Il y a, par exemple chez nous, des campagnards qui ont l’habitude d’aller en bonnets de coton, d’autres en bas bleus ; ces faits ne pourraient-ils pas être considérés comme signe de ralliement ? que les partisans de tel candidat sont en bonnets de coton, d’autres en bas bleus, d’autres avec jarretières, d’autres avec des rubans au chapeau ?

En juin, c’est le temps des roses et des épines (on rit) ; les électeurs viendront, les uns avec des roses blanches, les autres avec des roses rouges. Voilà encore un signe de ralliement peut-être. Tout pourra être suspect, jusqu’à la manière de poser son chapeau.

Je le répète, je ne pense pas que ce soit là l’intention du ministère ; mais, encore une fois, quand on fait une loi pénale, il faut au moins expliquer et caractériser les faits punissables. Les lois ne sont pas faites pour les juges et les avocats seulement, mais pour la masse des citoyens.

Qu’arrivera-t-il si l’on fait une pareille loi, qui ressemblera probablement à la loi des suspects ? Comme nous n’avons plus de tribunaux révolutionnaires, les tribunaux seront forcés d’acquitter. Par cette loi inutile et déraisonnable, le gouvernement semble se mettre en hostilité contre tous les électeurs, il les prend tous en méfiance et il n’a rien à gagner.

Je conçois que le ministère, préoccupé d’une circonstance que je déplore plus que tout autre, a pu rédiger l’article dont je m’occupe. Je veux parler des faits qui ont eu lieu lors de la dernière élection d’Ath, faits qui, pour le dire en passant, ont été grossis d’une manière démesurée. Eh bien, la disposition que je combats, eût-elle existé, ces faits n’en auraient pas moins eu lieu. Je pense que le président du bureau électoral a la police non seulement de l’intérieur des bureaux, mais même des abords ; je ne sache pas que jusqu’ici aucun président ait l’exercice de la police. J’ai vu en général beaucoup d’ordre régner pendant ces opérations, et il suffisait de la présence d’un magistrat présidant chaque bureau, pour qu’en général, il ne s’y passât rien d’inconvenant. Et les faits qui ont eu lieu à Ath, n’ont pas eu lieu pendant l’élection, ils ne se sont pas passés dans l’intérieur, ni aux abords du bureau électoral ; ils n’ont eu lieu vers le soir, hors de la ville, et par des gens du peuple qui n’étaient pas électeurs.

Quoi qu’il en soit, il existe des lois pénales à suffisance pour maintenir l’ordre.

L’article 13 présente les mêmes vices.

D’abord ici encore sans aucune utilité, je vois le gouvernement qui se met en opposition avec les électeurs, qui croit voir dans les électeurs des mutins, des gens malhonnêtes.

Quant au papier électoral, je n’en parlerai point, puisque le ministère paraît n’en pas vouloir. Il est discrédité avant même sa mise en circulation.

Messieurs dans toutes les positions, les hommes ne se ressemblent pas, n’allons pas frapper d’une espèce de réprobation, d’une espèce de méfiance, les électeurs dont nous tenons nos mandats. Si on disait : jusqu’ici on a rencontré des inconvénients qui ont prouvé la nécessité d’établir de pareilles mesures, je les concevrais. Mais cette nécessité nous ne la voyons pas il y a plus, nous n’en voyons pas même l’utilité. Je pense qu’il entrait au contraire dans l’intention du congrès qui, peu du mois après la constitution élaborait une loi relative au droit électoral, il entrait, dis-je, dans ses intentions que les citoyens eussent la plus grande latitude possible pour voir ce qui se passait dans les élections. Cela a été poussé si loin qu’on a voulu que les électeurs pussent circuler autour du bureau comme s’il pouvait arriver qu’un fonctionnaire, un honnête magistrat escamotât des suffrages. Vous voyez que l’esprit qui a dominé le congrès a été de donner la plus grande latitude possible aux citoyens. Vos bureaux doivent être divisés ; ils ne sont pas très nombreux puisqu’on ne fait que les diviser en quelques fractions ; est-il à croire qu’il soit si peu utile à ceux dont on fait les affaires d’aller voir ce que font leurs mandants, car ce sont les affaires du peuple qu’on fait là et non pas seulement celles de celui qui est dans tel bureau. Tous les électeurs ont certainement le droit de voir ce qui se pratique, il ne faut leur interdire ce droit qu’en cas d’absolue nécessité. En laissant une grande latitude au président du bureau, s’il se présente des circonstances telles qu’il y ait gêne, obstacle à ce que les opérations se fassent avec facilité, avec aisance, le président fera ce qu’il croira utile, il a la force publique à sa disposition. L’art. 13 lui donne les moyens de parer à tous les inconvénients.

Toute distribution ou exhibition de pamphlets, écrits, imprimés ou caricatures dans le local où se fait l’élection est interdite sous peine d’une amende de 50 à 500 fr.

D’abord je ferai observer que ces distributions ou exhibitions n’ont peut être jamais existé. Mais dans tout cas, je vous demande si cela pourrait avoir un effet quelconque ? Celui qui se présente dans le bureau a son bulletin ou au moins sa volonté. Croyez-vous qu’un vil pamphlet, une misérable caricature puisse avoir une influence quelconque sur un électeur quel qu’il puisse être ? Ces pamphlets et ces caricatures tourneraient à la honte de leur misérable auteur. Et la disposition proposée ne les empêcherait pas, c’est autour des bureaux qu’il aurait fallu pouvoir les interdire, mais non dans le bureau.

Du reste, celui qui aspire à des fonctions publiques a des adversaires. Il est bien peu de personnes qui dans le cours de leur vie n’aient été exposé à des critiques plus ou moins fondées, soit pour leurs opinions politiques, soit même pour leurs opinions parlementaires. Croyez-vous que jamais un pamphlet ou une caricature ait pu faire quelque chose ? Il n’est pas un seul d’entre vous, j’aime à le croire, il n’est pas un seul des citoyens qui aspirent à représenter leur pays, qui ne méprise de pareils moyens. J’en reviens à la disposition. Si cela a eu lieu, est-ce que l’article que vous proposez l’aurait empêché ? Non, non, les faits malencontreux dont on se plaint se sont passés, non dans le lieu de l’élection mais dans les abords. Après tout, n’avons-nous pas des lois pénales contre les injures, contre la calomnie ? pourquoi en créer de nouvelles à propos des élections ?

Si j’étais l’ennemi du gouvernement, je laisserais passer cela. C’est parce que je suis ami de l’Etat, ami de la tranquillité, que je voudrais éviter toute disposition pénale qui semble mettre le gouvernement en opposition avec une grande partie des électeurs.

Le 4ème § porte : « Les présidents sont chargés de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’ordre et la tranquillité aux abords des sections et de l’édifice où se fait l’élection. »

Mais cela est dans la loi.

Je ne pourrais admettre qu’un magistrat chargé de présider un bureau n’ait pas le droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’ordre tant dans le bureau qu’aux abords.

J’avais quelques mots à dire sur le fameux papier électoral, je ne crois plus devoir en entretenir la chambre, je dirai seulement que je n’ai pas eu assez d’aptitude pour voir de quelle utilité cela pouvait être ; je l’aurais compris, si on n’avait donné qu’un seul bulletin à chaque électeur, mais en en remettant dix à chacun on en fera ce qu’on voudra.

Il est un autre abus que la loi ne prévoit pas, aucune disposition ne s’applique à ceux qui déchirent des bulletins. Cependant, je ne proposerai rien à cet égard, M. le ministre est à même de vous présenter un projet mieux conçu que celui que je pourrais proposer. Vous le savez, messieurs, nous avons vu un tribunal déclarer qu’il n’y avait pas de peine à appliquer à celui qui aurait déchiré ces bulletins.

Messieurs, je professe cette doctrine. Pour le bonheur du pays, le pouvoir exécutif doit être fort et puissant.

Je ne crains pas de dire que dans l’état actuel des choses, un gouvernement faible, irrésolu, déconsidéré, serait un malheur pour la Belgique.

Mais c’est précisément parce que je veux un gouvernement puissant, et au-dessus de toutes les passions, que je me garderai bien de le compromettre dans des luttes électorales.

Pour ce même motif je ne voudrais en matière électorale aucune nouvelle mesure que celle commandée par la nécessité.

Je tiens à la force morale de l’Etat, plus encore qu’à sa force physique.

Ce n’est pas aux dépens des libertés publiques que nous parviendrions à affermir le trône.

Nous vivons dans un siècle où l’affection populaire a plus de force que les baïonnettes.

Rien n’est plus propre à déconsidérer le pouvoir que son intervention dans la lutte populaire. En effet, s’il réussit, il est odieux en proportion de sa victoire.

Il a pour lui la force numérique, mais il perd d’autant plus qu’amis et ennemis deviennent exigeants. Ceux mêmes qui lui ont donné leur appui se croient les hommes nécessaires.

Le gouvernement succombe-t-il ? il se trouve moins odieux, il est vrai, mais il perd cette considération, cette force morale sans laquelle il ne peut gouverner l’Etat.

Lorsqu’au contraire le gouvernement reste neutre, il peut se modifier, faire à l’opinion toutes les concessions nécessaires sans se compromettre. Le mieux se fait alors sans réaction.

C’est donc dans l’intérêt du pouvoir même, du pouvoir fort, que je voudrais le voir, en dehors des élections, spectateur impassible des luttes populaires.

Eh, messieurs, malheureusement vous ne devez pas sortir de chez vous pour l’application de ce principe ; ouvrez les yeux, regardez ce qui se passe.

Il y a 12 ans, on proclamait hautement des principes de justice et de grande liberté. Sous cet empire, le congrès travaillait à la constitution qui fut suivie de lois qui attestent incontestablement son esprit.

Le pays était alors uni.

Depuis, et d’une main impitoyable le rebroussement a porté le scalpel dans le sein des libertés publiques. Il a fouillé dans les entrailles de cette loi fondamentale pour en arracher toutes les libertés qui ne paraissent point d’absolue nécessité pour lui laisser une chétive existence. On a désuni ce qui devait rester à jamais uni.

Le peuple belge est aujourd’hui divisé en deux camps qui, sans être ni l’un ni l’autre hostile au pouvoir, offre cependant le triste spectacle d’une division intestine acharnée dont les conséquences ne peuvent être que déplorables.

Je définis notre position, non telle que je la voudrais, mais telle qu’elle existe.

Si j’étais l’ennemi du gouvernement, si je voulais le déconsidérer, le ravaler, je l’admettrais au combat du mois de juin prochain, et je l’admettrais même avec ce luxe de précautions méticuleuses, mesquines, ridicules mêmes, qu’exige de nous le projet en discussion.

Je ne sais à qui le sort destine la victoire, mais si l’opposition réussit, le ministère aura compromis gravement le gouvernement ; il aura atténué et annihilé peut-être sa force morale, il aura prouvé à l’intérieur et à l’extérieur même sa faiblesse et son impuissance.

Si le gouvernement, au contraire emporte la victoire, je le crains, les fruits qu’il en recueillera seront un véritable fléau pour la Belgique. Je ne veux point vous en détailler ici toutes les conséquences probables...

Messieurs, ne nous trompons point. Nous ne faisons pas une loi pour aujourd’hui seulement, nous travaillons aussi pour l’avenir. L’homme change, les opinions même se succèdent.

Que ceux qui veulent en ce moment dans nos élections l’intervention du pouvoir exécutif, du pouvoir responsable, daignent réfléchir qu’un jour peut-être ce pouvoir sera hostile à leurs opinions. Ils auront à regretter alors ce qu’ils exigent en ce jour : hodie mihi, eras tibi.

Tout pouvoir tend naturellement à s’étendre. Tout pouvoir est de sa nature même envahisseur. Et plus il sera de bonne foi, plus se persuadera-t-il qu’il doit diriger les élections pour soutenir une politique qu’il croira la meilleure.

Le pouvoir des gouvernants et la liberté des peuples sont deux choses opposées. Il est rare que la liberté empiète sur le pouvoir, et souvent, au contraire, elle se perd par insouciance, tandis que le pouvoir, par la force des choses et pour sa propre conservation, est toujours en progrès. Jamais il ne recule ; il profite de tous les événements, de toutes les circonstances pour s’étendre au préjudice de sa rivale.

Cela est vrai, et restera vrai chez nous comme partout. Aussi, messieurs, le jour où le pouvoir vous fera une concession libérale, sera-t-il bon d’écrire cette concession en lettres d’or sur le frontispice du palais de la nation.

Ce n’est pas, messieurs, que je fasse de cette tendance un crime au pouvoir exécutif, elle appartient à sa nature. De nos jours surtout, les hommes ne sont pas faciles à gouverner.

Sans cette tendance, le pouvoir serait bientôt débordé.

Mais j’en tire cette conséquence que si le pouvoir doit veiller à sa conservation, le peuple, et conséquemment, les élus du peuple doivent veiller incessamment au maintien des libertés.

Messieurs, en ouvrant les débats dans cette importante discussion, je n’ai fait ni pu faire de la stratégie parlementaire ; je vous ai soumis avec franchise et confiance les réflexions que j’ai cru devoir faire en acquit de mon devoir, et pour m’éclairer même de vos lumières, car je réserve mon vote, ainsi que les amendements qui me paraîtront utiles sur plusieurs articles du projet.

Mais je vous en supplie ! répondons aux vœux de nos concitoyens, répondons aux plaintes du peuple, non pour détruire petit à petit les libertés conquises en 1830, mais pour les maintenir et les conserver avec fermeté. N’offensons point le pays par des mesures préventives de nature à blesser l’honneur, l’amour-propre de nos concitoyens ou de simples susceptibilités. Jetons un regard sur le passé.

Qu’a-t-on gagné à porter une imprudente main sur les franchises communales ? Cette plaie saigne encore ! elle est corrosive.

Croit-on la cicatriser par de nouvelles atteintes au droit électoral ? Non, messieurs le mal deviendra incurable.

Evitons que la voix du peuple, cette grosse voix, comme dit certain publiciste, cette voix qui tonnait en 1830, ne se fasse entendre de nouveau. Elle couvrirait la nôtre, et peut-être étoufferait-elle pour longtemps nos institutions les plus libérales.

Quelle que soit la divergence de nos opinions, rangeons-nous tous autour de l’arche sainte de la constitution ; déposons à ses pieds tout ressentiment s’il en existait. Nos différends ne sont peut-être pas tels qu’on le croit communément.

Vu de loin, souvent on se croit hostile ; en se rapprochant, on se connaît mieux, et l’on est quelque fois étonné que ces grands différends, ces immenses oppositions, ces antipathies mortelles se réduisent à peu de choses.

Sur les moyens, nous différons sans doute, mais tous nous avons le même but : la conciliation serait-elle donc chose impossible ? Mieux que toutes les lois nouvelles, elle assurerait le bonheur du pays.

M. le président. - Quelqu’un demande-t-il encore la parole dans la discussion générale ?

Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

M. Fleussu. - M. le ministre de l’intérieur vient de présenter des tableaux et des chiffres, ainsi que des amendements qui devraient être examinés. Je demande donc que la discussion soit continuée à demain, et qu’il plaise à M. le président de m’inscrire.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.