Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 14 mars 1843

(Moniteur belge n°74, du 15 mars 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et demi. La séance est ouverte.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn. - Il est fait hommage à la chambre, par le conseil central de salubrité publique :

1° Du tome 1er des annales de cette assemblée ;

2’ De son Manuel d’hygiène populaire ;

3° De son projet de règlement sur la prostitution,

Dépôt à la bibliothèque.

Rapport sur une pétition

M. Zoude (au nom de la commission des pétitions). - Messieurs, vous avez demandé un prompt rapport sur la demande du conseil communal et de divers électeurs de Seraing-sur-Meuse.

Messieurs, votre commission, avant d’aborder la pétition qui vous est présentée, n’a pas voulu vous signaler d’abord les expressions plus ou moins inconvenantes employées envers la législature, elle n’invoquera pas davantage une fin de non-recevoir pour défaut de forme ; cependant elle croit devoir vous signaler les irrégularités dont elle est entachée.

Elle a remarqué, en premier lieu, que le conseil s’est constitué sans avoir été légalement convoqué ; on n’y voit, en effet, aucune mention du bourgmestre, ni de celui qui devait le suppléer.

A cette irrégularité, il s’en joint une autre, c’est l’absence du secrétaire dont le contreseing, croyons-nous, est nécessaire pour donner de l’authenticité à un acte de cette nature.

Cependant le sceau de la commune est empreint sur la pétition, mais c’est un abus de plus que nous devons signaler, car personne parmi les pétitionnaires n’avait qualité pour l’y apposer.

Il y a plus, c’est que cette délibération, si elle avait été régulière, cesserait de l’être par l’adjonction des électeurs qui sont intervenus à la séance et ont revêtu la délibération de leurs signatures.

Si les membres du conseil avaient agi comme personnes privées, ce qui leur était bien libre, alors ils ne devaient pas donner à leur pétition la forme d’une délibération municipale, ni faire usage du sceau communal.

Votre commission aurait pu, en présence de ces motifs, vous proposer de refuser tout accueil à cette pétition, mais elle a voulu en examiner le fond, et, le Moniteur à la main, nous nous sommes assurés si les expressions consignées dans la pétition, étaient bien celles sorties de la bouche du ministre, si ce n’étaient peut-être pas de ces phrases isolées qu’on ne peut apprécier que par l’ensemble d’un discours, et enfin, si la chose ayant été fidèlement rendue, on pouvait, sans risquer de faire de l’administration à la chambre, adresser les interpellations que les pétitionnaires réclament.

Nous nous sommes demandé si, dans l’intérêt des bourgmestres qui n’ont pas reçu un nouveau mandat, on pouvait bien provoquer des explications publiques sur les motifs qui ont déterminé le gouvernement à faire tel ou tel choix plutôt que tel autre.

Dira-t-on à la tribune qu’on n’a pu maintenir tel bourgmestre en fonctions parce qu’il existait contre lui une prévention de malversation ;

Que le délabrement de la fortune d’un autre faisait craindre pour lui une déconfiture, très prochaine ;

Que celui-ci a été éliminé, parce qu’il se vautrait habituellement dans l’ivrognerie. A celui-là qu’il fait scandale par son immoralité, qu’il est mauvais fils, mauvais mari ou mauvais père ?

Reprochera-t-on le défaut de capacité, et, à cet égard, souvenons-nous de ce que disait un de nos collègues au congrès, qu’il y avait dans son district plusieurs bourgmestres qui savaient à peine signer ; certes ils pouvaient être les plus braves gens du monde, mais cette ignorance peut-elle être signalée à la tribune sans livrer au moins au ridicule ceux qui en sont l’objet ?

Et puis il faut faire aussi une part à l’erreur qui a pu présider à quelques éliminations, car bien certainement les ministres ne prétendent pas être infaillibles.

D’ailleurs le gouvernement avouât-il des motifs qui ne pussent porter atteinte à la considération dont jouit tel personnage, sa réticence sur d’autres n’aurait-elle pas une valeur plus significative qui pourrait donner lieu aux interprétations les plus malignes ?

Messieurs, il est des faiblesses humaines qu’il faut couvrir du manteau de la charité et qu’il serait imprudent, dangereux même de soulever.

Quant à la nomination dont se plaignent les pétitionnaires, nous vous dirons que M. le ministre, qui s’est rendu dans le sein de la commission, lui a expliqué les motifs qui l’avaient déterminé et la majorité les a trouvés satisfaisants.

D’après toutes ces considérations puisées dans l’inconvenance des expressions, dans la forme comme dans le fond de la pétition, votre commission, à la majorité de ses membres, estime qu’elle ne peut être prise en considération ; c’est pourquoi elle a l’honneur de vous proposer l’ordre du jour.

M. Delfosse. - Quelle que soit la décision de la chambre, le but des pétitionnaires sera atteint ; ils désirent que l’on demande à M. le ministre de l’intérieur des explications sur les motifs qui l’ont engagé à nommer à Seraing un bourgmestre en dehors du conseil. Quelques-uns de mes honorables amis et moi nous sommes décidés à demander ces explications et d’autres encore dans la discussion de la loi sur les fraudes électorales ; nous considérons certaines nominations de bourgmestres comme un moyen de fraude électorale.

Il importe donc peu au fond que la chambre adopte ou qu’elle n’adopte pas les conclusions de la commission des pétitions, qui n’ont été prises qu’à la majorité de trois voix contre deux, mais je pense que par respect pour le droit de pétition, nous ne devons pas les adopter. La chambre renvoie aux ministres les pétitions de simples particuliers qui se plaignent d’injustices commises envers eux. il me semble qu’elle ne doit pas avoir moins d’égard pour une pétition signée par les conseillers communaux et par un grand nombre d’électeurs d’une commune importante ; si elle prononçait l’ordre du jour, sa décision pourrait être considérée, non comme un acte de justice, mais comme un acte de parti.

M. de Garcia. - Messieurs, j’annonce que je voterai pour l’ordre du jour, mais je proteste en même temps qu’aucun esprit de parti ne m’anime dans l’émission de ce vote.

M. le président. - Personne ici n’est animé d’un esprit de parti.

L’ordre du jour proposé par la commission est mis aux voix et adopté.

Projet de loi ayant pour but d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale du 3 mars 1831

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

La parole est à M. Fleussu.

M. Fleussu. - Messieurs, lorsqu’il y a quelque temps, un membre de cette assemblée s’est levé pour dénoncer à la chambre les manœuvres par lesquelles on préludait aux fraudes électorales, il ne m’a rien appris, si ce n’est que ces manœuvres s’organisaient sur une échelle très développée.

Je savais, moi aussi, que des faits semblables s’étaient passés dans la province de Liége. Le plus grand hasard avait porté ces faits à ma connaissance, et lorsque l’honorable M. Mercier en a entretenu la chambre, je me suis joint à lui pour les dénoncer, parce que je les tenais d’une source certaine.

Ces faits, messieurs, ont été ensuite relevés par la presse ; la presse s’en est longtemps occupée ; elle a fait connaître les communes et les personnes ; peu de rectifications ont été demandées ; il y a eu, je pense, une ou deux dénégations ; ce qui me porte à croire que, sauf quelques rares exceptions, tout ce qui avait été annoncé, était exact et conforme à la vérité. Grand donc a été mon étonnement, lorsque j’ai entendu M. le ministre de l’intérieur nous dire que ces faits n’avaient ni la gravité ni l’étendue qu’on leur avait supposées.

Il est vrai que M. le ministre pouvait à la rigueur tenir ce langage, en s’en rapportant aux enquêtes. Mais remarquez que ces enquêtes ne concernent et ne peuvent concerner que 4 provinces du royaume ; que les cinq autres provinces sont désintéressées dans ces fraudes, puisque des élections ne doivent pas avoir lieu au mois de juin dans ces cinq provinces.

En second lieu, vous aurez remarqué, messieurs, que ces enquêtes sont tout à fait incomplètes et insuffisantes. L’on demandait des renseignements sur les fraudes électorales pour les élections aux chambres, et l’on a répondu par des renseignements sur les fraudes aux élections communales ; on demandait des renseignements sur les déclarations supplétives, et l’on a répondu par les déclarations dans les rôles ordinaires. Il est bon que je vous prévienne que je ne parle ici que des renseignements qui ont été fournis par la province de Liége.

On a demandé, à la section centrale, que les rôles supplétifs fussent déposés sur le bureau de la chambre pendant la discussion. M. le ministre de l’intérieur nous a fait connaître les chiffres de ces déclarations supplétives dans la séance d’hier. Ces chiffres doivent se trouver consignés au Moniteur ; mais appelé à la section centrale avant que le Moniteur ne fût distribué, je n’ai pas pu prendre inspection de ces chiffres. On me dit que ces chiffres ne sont pas au Moniteur….

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il a été décidé que les tableaux seraient imprimés séparément.

M. Fleussu. - Quoi qu’il en soit, il résulte des renseignements qui ont été fournis par M. le ministre des finances, que dans 57 communes de la province de Liége, il y avait 193 déclarations suspectes. Remarquez, messieurs, qu’on fixe le nombre de ces déclarations d’une manière plus ou moins arbitraire, parce que c’est d’après le caractère que les employés ont donné eux-mêmes aux déclarations, qu’ils en ont restreint le nombre à 193 ; si je ne me trompe, le nombre des déclarations doit être plus considérable, mais on renseigne seulement 193 déclarations qu’on suppose suspectes.

Messieurs, lorsque je me joignis à l’honorable M. Mercier pour vous signaler ces faits, dès ce moment, j’ai exprimé l’opinion qu’une loi n’était pas nécessaire pour réprimer ces abus.

J’ai pensé, et je pense encore, que les députations des conseils provinciaux ont qualité pour faire connaître les contestations qui leur seraient soumises à l’occasion de semblables abus.

Et en effet, messieurs, qu’a voulu la loi électorale ? A-t-elle voulu seulement le payement du cens ? Evidemment non. Elle a confié le droit d’élire les représentants du pays à ceux qui ont intérêt à ce que de bons choix soient faits. Elle a voulu que les représentants de la nation fussent élus par des hommes intéressés à l’ordre, par des hommes possédant quelque chose, par des hommes possédant les bases de l’impôt.

Messieurs, vous sentez qu’avec une opinion contraire, on achèterait le droit électoral. Ce ne serait plus la loi électorale qui le conférerait ; il suffirait de faire une dépense quelquefois minime pour acheter le droit électoral. Il y aurait d’autres abus encore. Il suffirait d’un homme riche qui voudrait se rendre maître de l’élection pour qu’en effet l’élection lui appartînt dans un arrondissement tout au moins, en complétant de son argent le cens électoral, au profit de personnes qui lui seraient dévouées.

Or, je vous le demande, est-ce là ce qu’a voulu la loi électorale ? Non ; elle a voulu qu’on dût, quand il y a opposition, justifier des bases de l’impôt. Je pense que la déclaration du contribuable ; que le paiement même des contributions, ne forme que ce que nous nommons en droit une simple présomption en sa faveur ; mais cette simple présomption peut être débattue par une preuve contraire, tandis que, si l’on considérait la déclaration du contribuable ou le fait du paiement comme une présomption de droit, vous ne pourriez pas la combattre par une preuve contraire

Messieurs, je dis que j’ai exprimé cette opinion dans la circonstance que j’ai rappelée, et je me fondais sur l’autorité de la cour de cassation et sur celle des commentateurs de la loi électorale.

Une autre considération cependant m’avait mû, et, s’il faut vous dire, messieurs, toute ma pensée, j’insistais sur ce point, pour éviter l’intervention d’une loi au sujet des fraudes qui étaient dénoncées. Je craignais qu’à l’occasion de ces fraudes, on ne fît à la loi électorale ce qu’on a fait à la loi communale. Je craignais que quand le gouvernement aurait présenté un projet qui pourrait satisfaire aux besoins actuels, quelque membre dans les sections ne se sentît encore la velléité de porter atteinte la loi électorale.

Me suis-je trompe ? Me sera-t il bien difficile de prouver que la loi électorale de 1831, cette loi si large, si généreuse, si pleine de confiance envers les électeurs, est menacée d’être convertie en une loi à vues étroites, en une loi de défiance et de suspicion, en un mot, en une loi dont la pensée unique, à travers ses dispositions entortillées, est qu’il faut refroidir l’élan électoral, qu’il faut comprimer les manifestations de l’expression de l’opinion publique ?

Messieurs, j’ai donc pris à tâche de démontrer que des dispositions nouvelles portaient une véritable atteinte aux dispositions de la loi électorale ; qu’elles en modifiaient l’esprit. Et remarquez d’abord, messieurs, que la disposition principale, la seule qui fût réclamée, n’est pas un véritable remède à l’abus qui a été signalé. C’est un remède, si l’on veut, pour les élections prochaines ; il est vrai que ceux qui auront spéculé, auront mal spéculé, puisque l’on veut que l’impôt soit payé une année de plus ; mais pour l’avenir, pour les élections qui suivront celles de 1843, la loi reste avec tous ses défauts.

Il suffira de mettre deux faits, au lieu d’une, pour devenir électeur. Je dis que la loi reste avec tous ses défauts, et alors il faudra, ou que l’on fasse une nouvelle loi, ou qu’on ait recours aux députations des conseils provinciaux pour faire écarter les personnes qui n’auraient acquis la qualité d’électeur qu’à l’aide de deux mensonges, au lieu d’un. Aussi, messieurs, la section centrale a eu soin de faire remarquer que cette disposition n’était, en quelque sorte, que transitoire.

Voilà donc une disposition transitoire qui, il est vrai, suffit pour les nécessités du moment.

Mais à côté de cette disposition qui n’est que transitoire, il est des dispositions qui ont un caractère de permanence ; et ce sont précisément les dispositions contre lesquelles nous avons le droit de nous élever. Il s’en suivra que, sans connaître les modifications que vous apporterez à l’article 1er du projet, nous allons voter toute une loi, accepter des dispositions que nous considérons comme très dures. Nous nous trouvons entre deux écueils de quelque côté que nous nous tournions, il ne peut arriver que mal. Si M. le ministre s’oppose à toute division, nous devons ou rejeter la loi ou l’admettre avec les articles qui l’accompagnent. Si nous l’admettons avec ces articles, alors nous sacrifions l’esprit libéral de la loi de 1831.

Pour vous montrer que l’esprit de la loi que nous discutons est entièrement opposé à l’esprit de la loi de 1831, il ne me faudra que peu d’efforts. En effet, je remarque d’abord qu’on a méconnu la grande pensée de la loi de 1831, cette pensée par laquelle le législateur de cette époque avait cru qu’il fallait écarter de la matière électorale les agents du gouvernement, j’ai relu à dessein toute la loi électorale ; je me suis assuré que les gens du gouvernement n’y avaient qu’un rôle entièrement passif. Ainsi, par exemple, art. 9, le commissaire de district fait la répartition des électeurs. Cela existe encore dans la loi actuelle. Art. 10 : la loi les charge de surveiller les bourgmestres pour les convocations des électeurs. art. 39 : ils adressent aux élus l’extrait des procès-verbaux. Voilà toute l’intervention des agents du gouvernement dans les élections. Eh bien la loi actuelle leur donne un rôle actif, non seulement dans la formation des listes, mais même dans les opérations électorales.

Par une addition à l’art. 12, les commissaires de district interviennent dans la formation des listes, puisqu’on leur donne le droit d’interjeter appel devant la députation contre toute inscription, omission ou radiation indue. Savez-vous quelles sont les conséquences de cette innovation ? Elles sont nombreuses et présentent des phénomènes assez singuliers.

Les commissaires de district, il faut bien le reconnaître, sont presque partout des agents électoraux.

Les commissaires de district presque partout aussi appartiennent à la même opinion, car on a eu besoin d’écarter de ces fonctions ceux qui dans des temps de tolérance, c’est-à-dire, peu après la révolution y avaient été nommés. Voilà donc des agents électoraux et des agents électoraux en faveur d’une opinion. Que s’en suivra-t-il ? Que ceux qui aspirent à la qualité d’électeurs qui manifesteront leur opinion au commissaire de district, n’auront besoin de faire aucun frais pour obtenir cette qualité. Par l’intermédiaire des commissaires d’arrondissement, ils plaideront devant la députation pour se faire admettre. Quant aux électeurs de l’opinion contraire, ceux-là devront payer de leur personne et de leur argent.

Voici une conséquence bien plus étrange, c’est que l’on place le commissaire de district dans la position d’agir contre un homme qui n’a pas voulu réclamer la qualité d’électeur par des motifs quelconques. Le commissaire de district fait contre cette personne des frais qu’elle devra supporter, pour lui procurer malgré elle un bénéfice, bien qu’il y ait dans les principes du droit un axiome tout contraire. Quand l’honorable M. Savart a fait hier une observation judicieuse à cet égard, M. le ministre de l’intérieur lui a dit : Mais pour la formation du jury !...

Je conçois cette objection en ce qui concerne les individus omis qui paieraient le cens établi pour le chef-lieu de la province ; mais à l’égard de ceux qui ne paient pas cet impôt, mais à l’égard de ceux qui ne paient que le cens nécessaire pour être électeur, je ne la conçois plus, car la loi ne fait pas de distinction. C’est là une chose que je ne sais trop comment qualifier ; je ne conçois pas un fonctionnaire public, plaidant dans l’intérêt de quelqu’un malgré lui, pour lui donner malgré lui une qualité, toutes conséquences qui ne pouvaient pas avoir lieu sous la loi électorale de 1831.

Mais je suppose que le commissaire de district frappe à grands coups contre les inscriptions prétendument indues, il ne s’expose à rien, il ne paie pas les frais ; jamais un fonctionnaire public ne supporte les frais de l’action qu’il intente. Il peut donc frapper à grands coups sur ceux qu’il soupçonne de ne pas appartenir à son opinion. Qu’arriverait-il si, par suite de l’appel interjeté par le commissaire de district, la députation se trouvait partagée ? On a toujours soutenu que le pourvoi en cassation n’est pas suspensif, mais en matière d’appel, c’est la doctrine contraire qui est admise. Si la députation n’a pas statué au moment de l’élection, on pourra prétendre que tous ceux qui sont frappés d’appel par l’office du commissaire de district, n’ont pas qualité pour voter.

On dira que je crée des chimères, que je prends des hypothèses dans mon imagination. Il n’en est rien ; le cas s’est présenté dans la province de Liége. Un membre du collège provincial avait été élu à la majorité d’une voix. Cette voix avait été contestée, elle avait été maintenue par l’autorité locale ; appel avait été formé devant la députation. Croyez-vous que la députation avait statué avant le jour de la réunion du conseil ? Non, un membre de la députation était absent, il y avait eu partage. Les choses sont restées en suspens, ce n’est que le jour de la réunion du conseil provincial, que la députation a pu statuer, elle a confirmé le mandat, mais on s’est pourvu en cassation et la cour de cassation a annulé cette décision, elle a déclaré que celui contre lequel on s’était pourvu n’avait pas la qualité d’électeur.

Vous voyez que cette hypothèse n’est pas gratuite, qu’il y a en des exemples et qu’il pourra s’en présenter encore. Il y aura peut-être lieu d’examiner la question de savoir s’il ne conviendrait pas de déclarer qu’en cas de partage de la députation, la qualité d’électeur est admise.

Il est bien entendu que ce serait dans le cas où il y aurait impossibilité de vider le partage dans un court délai, en cas d’absence ou de maladie ; dans des cas semblables, on pourrait déclarer que quand il y aurait partage, la qualité d’électeur serait admise.

Les observations que j’ai faites sur les commissaires de district s’appliquent aux gouverneurs. Il y a même une considération de plus ; c’est qu’il me semble qu’il est inconvenant qu’un homme qui a pris part à un jugement, puisse se pourvoir contre ce jugement. Je conçois qu’en matière d’administration, le gouverneur puisse en appeler à l’autorité supérieure. Mais quand il s’agit de la qualité d’une personne et qu’il prend part au jugement, je ne conçois plus qu’il puisse appeler du jugement. Il y a inconvenance à ce que l’un des juges puisse se pourvoir en cassation contre le jugement auquel il a pris part. Il y a de plus cet inconvénient de faire connaître l’opinion d’un juge de la décision. Il est admis partout que les opinions de ceux qui ont pris part à un jugement doivent rester secrètes. Je concevrais la proposition de la loi si le gouverneur n’était que l’agent du gouvernement devant la députation, s’il ne prenait pas part à la délibération, je concevrais que le gouvernement, s’il remplissait l’office de ministère publie, pût se pourvoir contre la décision prise. Mais quand il a pris part au jugement, je ne crois pas qu’il puisse être autorisé à se pourvoir en cassation :

Je viens de vous dire que les agents du gouvernement interviennent dans la formation des listes. Je vais prouver que les agents du gouvernement interviennent dans les opérations électorales.

En vertu de l’art. 20 de l’ancienne loi, le bureau principal désignait les quatre scrutateurs de chaque bureau de section. Je ne sache pas qu’on ait jamais réclamé contre cette disposition, qu’elle ait jamais donné lieu à des abus. Cependant on en demande le changement.

Aux termes de l’article 11 du projet sont appelés aux fonctions de scrutateurs dans les bureaux de section et dans l’ordre suivant 1° les bourgmestres ; 2° les échevins ; 3° les conseillers communaux des communes formant chaque section.

On ne peut plus disconvenir que les bourgmestres ne soient les agents du gouvernement. C’est le gouvernement qui les nomme, c’est le gouvernement qui les révoque, c’est le gouverneur qui les suspend dans certains cas. Le gouvernement peut les choisir à peu près sans limite, car d’après l’usage qu’on a fait d’une loi exceptionnelle qu’on a accordée au ministère, je présume que bientôt le choix hors du conseil deviendra la règle. On verra les hommes puissants dédaigner de descendre dans l’arène pour engager la lutte avec leurs vassaux d’autrefois et obtenir d’emblée en haut lieu les places de bourgmestre.

Je dis donc que les bourgmestres sont des agents du gouvernement. Mais, dit-on, quelle défiance peuvent-ils vous inspirer ? Ce sont d’abord les plus jeunes bourgmestres que la loi désigne. Messieurs, il faut prendre garde à une chose, c’est que la répartition des divisions de sections appartient aux commissaires de district ; or les commissaires de district pourront répartir les sections de telle manière qu’ils feront intervenir les bourgmestres qu’ils auront en vue pour former les bureaux, et alors, au lieu de voir les bureaux formés par le bureau principal, ce seront les commissaires de district qui formeront les bureaux ; je vous demande si vous aurez plus de garantie, et s’il sera bien édifiant pour les électeurs des villes, de voir leurs opérations contrôlées par des bourgmestres des campagnes. Mais si vous pensiez qu’il fallût modifier cette partie de la loi, si vous pensiez que le bureau principal pouvait être influencé dans son choix, et choisir des hommes d’une opinion semblable à celle de la majorité, il était plus simple d’autoriser le président à choisir les quatre plus jeunes électeurs présents et acceptables. Remarquez que, pour adoucir la mesure, pour lui laisser une légère teinte de libéralisme, on appelle les bourgmestres, les échevins et les conseillers ; mais, messieurs, tout cela n’est que pour la forme, car il est évident que la catégorie des bourgmestres devant être épuisée d’abord, il sera très rare qu’on arrive aux autres catégories ; ce seront donc toujours les bourgmestres qui rempliront les fonctions de scrutateurs.

Messieurs, d’après la loi ancienne, loi qui n’était pas une loi de défiance, mais une loi de confiance dans la sagesse et la sagacité, les électeurs belges, d’après la loi ancienne, l’ensemble des électeurs faisait une famille électorale ; ils étaient réunis dans un même but, dans un même intérêt, dans une même pensée, celle de choisir pour la représentation nationale, les hommes les plus capables, de défendre les intérêts nationaux ; on ne leur défendait pas de communiquer entre eux, de se voir ; l’électeur d’un bureau pouvait, en attendant que son nom fût appelé, ou après qu’il avait été appelé, voir ce qui se passait dans d’autres bureaux ; il y avait alors des relations de bonne harmonie ; maintenant il n’en est plus rien. Un électeur n’est électeur que dans l’enceinte de sa section, il est parqué : chaque section est une espèce de conclave. Un électeur ne peut pas aller voir ce qui se passe dans les autres divisions, et pour éviter, messieurs, qu’il n’y ait de communications fatales, on a encore soin d’exiger que le même local ne puisse servir qu’à trois sections tout au plus. Messieurs, mais si M. le ministre de l’intérieur, le gouvernement et la section centrale ont tant de défiance des électeurs, je suis vraiment étonné d’une chose, c’est qu’on ne leur ait pas ordonné d’arriver directement à chaque bureau d’élection.

Un membre. - Avec des gendarmes.

M. Fleussu. - Jusqu’à présent, messieurs, je ne vous ai parlé que des modifications à la loi électorale ; maintenant j’arrive à une véritable abrogation, celle de l’art. 24. Aux termes de cette disposition, lorsqu’il y avait lieu à élections pour le sénat et en même temps pour la chambre des représentants, on commençait par les opérations pour l’élection des sénateurs. Mais la pensée de la loi saute à tous les yeux ; il n’est pas nécessaire de recourir ni aux discussions, ni aux motifs pour la retrouver, c’est qu’il faut d’abord que celui qui a double chance de venir à la représentation nationale, s’il n’est pas reçu pour le sénat, puisse être nommé pour la chambre des représentants. Voilà toute la pensée de la loi électorale de 1831.

Aujourd’hui, sous prétexte que c’est retenir trop longtemps les électeurs éloignés de leurs affaires et de leur domicile, on veut que les deux opérations aient lien simultanément. Mais, messieurs, cet avantage que je reconnais, est plus que balancé par une masse d’inconvénients ; et d’abord, messieurs, les choix en seront nécessairement restreints car je suppose que dans une réunion d’électeurs on ait arrêté le choix de quelqu’un d’abord pour le sénat, et qu’ensuite on soit convenu que, s’il échoue au sénat, on le portera pour la chambre... On me dit : si vous voulez atteindre votre but, vous devez le porter tout à la fois pour le sénat et pour la chambre des représentants ; mais vous ne voyez donc pas que vous restreignez mon choix ; que d’après la loi je puis choisir un ou deux membres pour le sénat, et quatre ou cinq pour la chambre, tandis que vous me forcez à donner ma voix en même temps à la même personne pour le sénat et pour la chambre des représentants, et peut-être inutilement ; vous restreignez la liberté de mon choix.

Ensuite, messieurs, ! quand ce candidat a passé par l’épreuve de l’élection pour le sénat, si on ne lui reconnaît pas beaucoup de chances, n’est-il pas tout simple qu’on l’abandonne pour un autre ? Eh bien, cela ne se peut plus si vous me forcez à voter simultanément. Cela est bien autrement grave que l’inconvénient de retenir les électeurs cinq ou six heures de plus éloignés de leurs domiciles ; et remarquez, messieurs, que cet inconvénient n’arrive qu’une fois en huit ans. Ce n’est que tous les huit ans que les collèges électoraux ont à voter en même temps pour le sénat et pour la chambre des représentants. Mais, messieurs, ne tiendrez-vous donc aucun compte des progrès de l’esprit public ? Pensez-vous qu’un homme qui s’est déplacé, qui a fait un trajet de 8 à 10 lieues, reculera devant la dépense de quelques heures de plus ? Mais en France, c’est la veille de l’élection qu’on forme les bureaux, les opérations durent quelquefois trois jours ; l’électeur est donc déplacé pendant trois jours, et la loi a même prévu que les opérations pourraient durer dix jours.

Quand l’électeur français est exposé à un déplacement de trois jours, craindrez-vous de soumettre à un déplacement de quelques heures, l’électeur belge, une fois tous les huit ans ?

Messieurs, cet amendement, qui était l’œuvre de la section centrale, se liait, comme l’a très bien dit M. le ministre de l’intérieur, avec un autre amendement dont je pense qu’il ne sera plus question : cet amendement a été combattu par M. le ministre de l’intérieur, mais le sien laisse subsister tous les inconvénients dont je viens de parler, et de plus il en présente d’autres ; il est plus mauvais, selon moi, que celui de la section centrale ; si force m’était de choisir, je prendrais l’amendement de la section centrale.

En inscrivant sur le même bulletin les noms des candidats au sénat et les noms des candidats à la chambre, l’équivoque est peu à craindre, tandis que des inconvénients, l’expérience le prouvera, se représenteront en nombre, si l’amendement de M. le ministre obtient faveur dans cette chambre. Et puis je ne sais jusqu’à quel point M. le ministre est d’accord avec lui-même ; il défend tous signes de ralliement, et cependant il autorise l’inscription du mot sénateur ou représentant sur le bulletin ; mais la manière de faire cette inscription pourrait être un signe de ralliement ; et cependant on s’est montré d’une susceptibilité extraordinaire pour tout signe de ralliement.

Puisque j’en suis aux signes de ralliement, je dirai deux mots de l’article 10. Il est ainsi conçu :

« Tout individu qui aura, à l’occasion des élections, accepté, porté, arboré ou affiché d’une manière ostensible un signe quelconque de ralliement, sera puni d’une amende de 50 à 500 fr., et, en cas d’insolvabilité, d’un emprisonnement de six jours à un mois. »

J’avoue, messieurs, que j’ai lu, relu, et relu encore cette disposition, et qu’il m’a été impossible de la comprendre ; ici toute mon intelligence est en défaut. Je suis habitué, par mes fonctions, à faire l’application des lois pénales, et les commentateurs ont toujours dit que les lois pénales doivent être claires, parce qu’il faut que le justiciable connaisse parfaitement ce qui lui est permis et ce qui lui est défendu ; eh bien, je n’ai pas pu déchiffrer ce que cet article autorise ou ce qu’il défend, ni ce qu’il permet. J’ai fait bien des recherches pour m’éclairer : j’ai consulté le rapport de la section centrale, et l’exposé des motifs de M. le ministre, et mon doute est resté le même.

Je vais vous soumettre aux expériences que j’ai dû faire ; je commencerai par le rapport de la section centrale.

Remarquez que dans une section on avait fait la même observation que je fais ici.

« L’art. 10 punit d’une amende, et, en cas d’insolvabilité, d’un emprisonnement de six jours à un mois tout individu qui aura, à l’occasion des élections, accepté, porté, arboré ou affiché, d’une manière ostensible, un signe quelconque de ralliement. »

Voici ce que porte, sur la rédaction de cet article, le rapport de la section centrale :

« Un membre de la 2ème section, pour justifier l’article, exprime la pensée qu’il faut écarter tout ce qui peut exciter les passions. Un autre estime que, dans notre pays où la vie politique est si faible, on doit craindre d’admettre des pénalités qui ne seraient pas parfaitement justifiées, et qui auraient pour résultat d’éloigner les timides du scrutin électoral. »

Le principe de l’article est admis par la 3ème section, à la majorité de 7 voix contre 5. Quant à la rédaction, l’article est rejeté à l’unanimité comme trop vague. L’on demande ce qu’il faut entendre par les mots à l’occasion des élections, accepté on affiché... d’une manière ostensible.., un signe quelconque.

Voici maintenant ce qui concerne le sens de l’article :

« Les mots dont se compose cette disposition pénale ne peuvent être définis dans la loi. »

Remarquez que c’est une chose curieuse qu’une disposition pénale qui renferme des termes indéfinissables.

« Ils présentent un sens assez clair par eux-mêmes, et surtout dans leur relation avec le but de l’article, qui est d’empêcher le désordre à l’occasion des élections, et de prévenir l’emploi de moyens soit d’intimider les électeurs, soit de porter atteinte à la première garantie que le secret du vote offre à toutes les opinions. Le juge, lorsqu’un délit sera porté à sa connaissance, appréciera les faits. »

Lorsqu’un délit… Mais quel délit ? Si c’est un délit ordinaire, mais votre disposition est inutile. Si c’est un autre délit que vous avez voulu prévoir par votre disposition, de grâce faites-moi le plaisir de me dire quel est ce délit.

Vous ne voulez pas d’intimidation. Eh bien, dites le dans la loi ; dites que celui qui sera convaincu de manœuvres tendant à intimider les électeurs, sera puni d’une amende de 50 à 500 fr. Alors la disposition sera claire, et chacun saura à quoi s’en tenir.

Maintenant voyons les motifs du projet :

« Une cause active de désordre, est-il dit à la page 14, et parfois un moyen d’intimidation au jour des élections, c’est le port de signes de ralliement, tels que placards, proclamations symboles ; c’est d’ailleurs un moyen indirect de faire connaître les votes, en classant pour ainsi dire les électeurs.

Symboles ! Je vous avoue, messieurs, que le sens est toujours aussi mystérieux pour moi. C’est symbolique, comme on le dit à côté de moi, et rien de plus.

Ce sont donc les placards que l’on a voulu interdire. Mais il fallait dire que le jour des élections, et pas à l’occasion des élections (car le jour des élections est encore loin et on s’en occupe déjà, Dieu merci), les placards seraient défendus. Je le veux bien.

Ce sont les proclamations que vous voulez interdire à l’occasion des élections, Mais vous savez ce qu’on entend par proclamations, Je crois que tous les partis sont dans l’habitude d’envoyer des circulaires dans lesquelles ils vantent beaucoup ceux dont ils favorisent la candidature, et déprécient un peu trop peut-être ceux contre qui ils parlent.

Sont-ce ces circulaires que le ministère veut défendre ? Je le prierai de s’en expliquer. Je sais bien que la publication de ces circulaires est un usage constant ; qu’elle a lieu presque toutes les élections ; qu’elle se fait à profusion, car on jette ces circulaires sous les portes. Cela se fait des deux côtés ; il n’est pas rare que le même électeur reçoive les deux circulaires. Si c’est là ce que le ministère veut défendre, mais il faut encore qu’il le dise.

Mais voyez jusqu’où l’on irait si c’était là la pensée du ministère. Ces circulaires sont ordinairement des extraits de journaux. Il en résulterait donc que vous permettriez à la presse quotidienne, à la presse en forme de journaux, ce que vous défendez à une autre presse : de manière qu’un journaliste pourrait dire, pourrait publier tout ce qu’il pense contre tel candidat, ou en sa faveur, tandis qu’un citoyen qui croirait faire acte de civisme en éclairant ses concitoyens, ne pourrait faire connaître son opinion.

Je pie M. le ministre de me faire sortir de l’incertitude où je me trouve à l’égard de cet article et surtout à l’égard des explications qui en ont été données.

Des signes de ralliement, messieurs. Mais il en est d’autres qui sont bien plus puissant et dont on ne dit mot.

Je demanderai par exemple, si lorsqu’un haut et puissant seigneur met à la disposition des électeurs de son district ses fourgons, ses chars-à-bancs, ses voitures et même les charrettes de ses fermiers, je demanderai si cet homme est atteint par l’art. 10. Voilà cependant plus qu’un signe de ralliement, c’est un signe d’union, car les électeurs arriveront réunis. Y aura-t-il lieu à appliquer dans cette occasion l’amende de 50 à 500 francs ?

Celui qui aura fait annoncer à des électeurs qu’ils n’ont qu’à aller à tel hôtel, qu’ils seront restaurés, qu’ils seront traités à ses frais, celui-là donne-t-il un signe de ralliement ? Voilà des choses qui se font et qui se voient à presque toutes les élections. Mais il y a plus : c’est qu’on donne une carte, un bon aux électeurs pour aller dîner. L’exhibition de cette carte sera-t-elle un signe de ralliement ?

Quand il s’agit d’une loi pénale, il faut prévoir toutes les conséquences ; il faut la retourner dans toutes ses dispositions.

Messieurs, il faut cependant rendre justice si non aux intentions, au moins aux motifs du gouvernement. Il vous a dit qu’il voulait assurer la pureté des élections, la spontanéité des votes. Messieurs, personne plus que moi n’aime la spontanéité des votes. Si vous voulez que la représentation nationale soit entourée de cette haute considération dont elle a besoin, il faut qu’elle se compose des vrais représentants du pays. Si vous voulez que la loi soit obéie sans contrainte, il faut qu’elle soit l’expression de la volonté de la majorité du pays. Et le gouvernement lui-même a intérêt à ce que la représentation nationale ne soit pas faussée, pour qu’on ne puisse l’accuser de secouer sur une majorité complaisante, la responsabilité des actes législatifs.

Cependant, comment pourrais-je croire à ces motifs du gouvernement, lorsque je le vois presque constamment s’efforcer d’assurer la victoire à une opinion ?

Vous sentez, messieurs, que le veux vous parler des nominations des bourgmestres.

La province de Liège, messieurs, est celle où les opinions politiques sont le plus surexcitées. Eh bien ! c’est aussi celle où l’on fait le moins pour les calmer.

Vous avez vu le tableau synoptique qui a paru dans le Moniteur. Eh bien, remarquez que, dans cette espèce de thermomètre politique, la province dont je vous ai parlé a toujours le numéro le plus élevé, Ainsi, par exemple, alors que le peuple, le peuple si brutal, si capricieux, ne destitue que 21 bourgmestres, le gouvernement en destitue 23.

Je fais à dessein l’abstraction de ma province, parce que, quand vous voyez l’ensemble des mutations, le chiffre ne paraît pas effrayant. Mais comme c’est précisément la province de Liége qui est frappée de toutes les ressources exceptionnelles qu’on a mises à la disposition du gouvernement, je la retire du tableau synoptique et ne m’occupe que d’elle.

Je dis donc que 23 bourgmestres ont été destitués par le gouvernement, 9 sont encore à nommer et je ne sais quel est le sort qui les attend. Car ce n’est pas ceux que l’on veut favoriser que l’on tient en suspens. 8 ont été nommés en dehors du conseil.

Messieurs, c’est que dans la province de Liége, il y a dans l’administration des hommes qui croient que l’opinion qu’on est convenu d’appeler l’opinion libérale, ne se compose que d’hommes impies, méchants, d’hommes turbulents, ambitieux, sans attachement au pays, ni à ses institutions, qui croient dès lors que les électeurs qui favorisent de pareils candidats, sont indignes de la confiance du gouvernement et de la bienveillance du Roi, et quand ces hommes ont écarté les personnes capables, il ne leur reste plus à offrir à la Couronne que des choix qu’il serait bien plus facile de flétrir que de justifier.

Je vous ai déjà fait remarquer, messieurs, que dans la province de Liége il y avait eu dans le temps deux commissaires de districts appartenant à l’opinion libérale, qu’ils ne sont par restés longtemps en fonctions.

Dès 1836 est venue la première épuration des bourgmestres. J’ai vu, messieurs, à cette époque, et je l’ai vu avec peine (bien que je ne jouasse alors aucun rôle politique), j’ai vu écarter de fonctions de bourgmestre, des hommes qui, on peut le dire, avaient blanchi sous le harnais, des hommes qui remplissaient les fonctions de bourgmestre depuis longtemps, qui avaient traversé le règne ombrageux du roi Guillaume, et qui avaient été soumis aux épreuves des élections populaires en 1830 ; eh bien, en 1836 ces hommes ont été mis de côté. Pourquoi ? parce qu’ils ont pensé qu’il leur était permis, en matière électorale, d’avoir une opinion autre que celle du commissaire de district.

En 1842, mais ç’a été une nouvelle Saint-Barthélemy de bourgmestres ; 23 ont été écartés. Je ne les connais pas tous, mais j’en connais quelques-uns, et si je puis juger de ceux que je ne connais pas par ceux que je connais, j’affirme qu’on a mis de côté des hommes probes, honnêtes et capables, et pour quelques-uns encore je puis affirmer qu’ils ont été mis de côté pour opinions politiques, parce qu’ils n’ont pas voulu suivre l’impulsion du commissaire de district dans les élections.

Dans les premiers temps que je siégeais dans cette enceinte, immédiatement après le congrès, et pendant le congrès peut-être, j’ai souvent entendu dire que le gouvernement représentatif était le gouvernement des majorités, et le règne des capacités. Eh bien, je commence à croire le contraire. Car, j’ai vu des hommes qui ont réuni l’unanimité des suffrages, des hommes capables sous tous les rapports, écartés et écartés pour être remplacés par qui ? Par des hommes incapables, par des hommes qui ne pourraient remplir leurs fonctions s’ils n’avaient pas de bons secrétaires communaux.

Je suppose que M. le ministre de l’intérieur me dira : mais dans la nomination de deux mille et tant de bourgmestres, il m’est impossible de connaître tous ceux que je nomme. Je le conçois très bien, mais c’est l’observation que nous faisions lorsque nous lui contestions les prérogatives qu’il a obtenues de la chambre. Du reste, nous ne pouvons nous en prendre qu’au ministère ; les faits sont là, ils ont été appréciés par le pays dont les instincts généreux s’indignent de toute mesure réactionnaire et de ces faits patents la conséquence que je tire, c’est que dans la nomination des bourgmestres on a eu moins égard aux intérêts de l’administration qu’aux exigences politiques.

M. Lys. - Je suis au nombre des membres de cette chambre qui ne veulent, pour le moment, aucun changement aux bases de la loi électorale ; et qui n’admettront jamais le principe du fractionnement des collèges électoraux. On ne l’a que trop malheureusement établi pour la commune, on se gardera sans doute de vouloir étendre un système, dont le résultat le plus direct est d’établir la domination de l’esprit de localité, et de faire naître des haines et des rivalités, entre les habitants d’un même pays, d’une même province, d’un même arrondissement.

Il vaudrait mieux d’étendre le cercle, pour faire disparaître d’autant l’esprit de localité, et pour lui substituer l’esprit de généralité, que de fractionner, de subdiviser les collèges électoraux.

Nous n’avons pas à nous occuper, en ce moment, d’un changement de système, nous n’avons à nous prononcer que sur des dispositions destinées à combler certaines lacunes, que l’expérience aurait signalées.

Le pays s’est ému des manœuvres, dont le but était de dénaturer les élections. La création en masse de faux électeurs, étant destinée à fausser la majorité de la représentation nationale, a dû nécessairement éveiller, au plus haut degré, la sollicitude de la législature ; on a dû se demander, messieurs, quel intérêt si puissant avait pu produire le fait déplorable que la loi que nous discutons a pour but de réprimer ? Est-ce dans l’intérêt du pays que ces manœuvres ont lieu ? Non certainement ; car c’est aux électeurs seuls, qu’il appartient de veiller et de défendre les intérêts de la nation, car c’est aux seuls électeurs réellement intéressés à la chose publique, qu’il appartient, et qu’il peut appartenir de faire choix des mandataires, chargés de conserver la constitution et nos lois, pures de toutes atteintes ; ce ne peut donc être, que dans un intérêt autre, que l’intérêt véritable du pays, que ces manœuvres ont eu lieu, à moins de proclamer que des individus, qui n’ont que peu ou point d’intérêt, à ce que la chose publique soit bien administrée, sont plus sages, et comprennent mieux les besoins du pays, que ceux qui, par leur position, sont directement intéressés à faire triompher les principes d’ordre et de constitution, qui, offrant toutes les garanties de fortune exigées par les lois, donnent au pays l’assurance, que les intérêts matériels ne seront ni négligés ni sacrifiés.

Il faut donc le proclamer à la face du pays, ce n’est pas dans son intérêt, que ces manœuvres ont eu lieu. Or, si ce n’est pas dans l’intérêt du pays, ce ne peut donc être, que dans un intérêt de partis ou de personnes, que l’on a osé avoir recours à des manœuvres, dont le but est de fausser l’esprit de la majorité de la nation. Or, messieurs, rien de plus déplorable, que de devoir vous signaler un fait aussi grave, rien de plus déplorable que de voir la législature forcée de prendre des mesures destinées à empêcher un système de fraudes, qui a osé se manifester si audacieusement, et sur une échelle aussi grande.

Je n’entrerai dans aucun détail relatif à ces fraudes scandaleuses. Le district qui m’a envoyé ici ne présentant, à ma connaissance, aucun exemple d’une fraude organisée, je laisserai le soin à mes honorables collègues beaucoup mieux renseignes que moi, sur ce qui s’est passé dans leurs localités.

Je me bornerai ainsi à examiner si le projet de loi qui vous est soumis est destiné à produire des effets salutaires ? Non, messieurs, je n’hésite pas à le dire hautement, le projet ne répond pas à l’attente légitime du pays. En effet, quelles sont les conséquences légales du projet élaboré par M. le ministre de l’intérieur ? Ces conséquences sont diamétralement opposées au but avoué de la loi.

On veut réprimer la fraude, on annonce pompeusement que le projet de loi est l’antidote le plus efficace pour arrêter le mal et pour empêcher ses progrès ; et cependant que trouvons-nous dans le projet de loi ? on s’est occupé uniquement de poser en principe que la fraude est légitime et on a pris les mesures nécessaires pour organiser ce principe ? Cela semble étrange, à coup sûr ; et néanmoins quelqu’étrange que ce résultat paraisse, il n’est cependant que l’énonciation des conséquences qui découlent forcément du projet.

En effet le cens ne constitue qu’une présomption de capacité électorale. Le législateur n’a conféré les droits électoraux, à tous ceux qui versaient au trésor de l’Etat une certaine quotité d’impôt, que, parce qu’il a supposé que la somme payée représentait un capital réel, dont la position présentait les garanties d’ordre, de moralité, d’intelligence nécessaires, pour exercer convenablement les droits d’électeur.

La loi n’exige pas, il est vrai, en termes exprès et formels, la possession effective des bases de l’impôt ; cependant, il est évident, que, dans l’esprit, dans la volonté de la loi, cette possession réelle est indispensable ; en effet, l’impôt est la représentation d’une fortune présumée, calculée d’après certaines données : dès que ces données manquent, l’impôt n’est pas dû légalement et par suite il devient impossible de revendiquer légitimement les droits électoraux.

Que devrait contenir la loi pour réprimer efficacement les fraudes électorales ?

Elle devrait imposer à tout électeur l’obligation de justifier qu’il possède réellement les bases qui servent d’assiette à l’impôt, car c’est le seul moyen de maintenir l’intégrité du système électoral, fondé uniquement sur le paiement du cens. Le projet de loi qui nous est soumis, contient-il une disposition de ce genre ? Non, messieurs, le projet de loi exige seulement, que l’on ait payé l’impôt deux années avant l’élection. Cette nécessité ne s’étend toutefois pas à la contribution foncière. Dans le système de la loi, deux mensonges ne suffisent plus pour conférer la qualité d’électeur, mais trois mensonges successifs, équivaudront à la vérité, et conféreront d’une manière irrévocable les droits électoraux. Ainsi la fraude ne sera fraude que lorsqu’elle ne se soutiendra que pendant deux ans, elle deviendra l’expression de la vérité, quand le délit aura duré une année de plus.

A-t-on jamais vu une législation qui ait érigé en principe légal que le vice et le délit perdraient leur caractère par la persistance de l’auteur du délit, à répéter à plusieurs reprises, les faits constitutifs de la fraude et du délit ? Quel est le législateur qui ait osé imaginer de proclamer, en axiome de droit, que le temps sanctionne et légalise le vice ? que le coupable, en persistant dans la mauvaise voie, en ne revenant à résipiscence, purge l’immoralité de son action, et rend légale et légitime une action reconnue mauvaise !

Ainsi, messieurs, le titre du projet est mensonger ; loin de réprimer la fraude, il la consacre, il l’autorise, il l’organise. Le projet de loi proclame le principe dangereux, qu’il n’est plus nécessaire de posséder les bases de l’impôt pour exercer les droits électoraux : ainsi l’exercice des droits les plus précieux est abandonné à l’intrigue, au caprice des hommes puissants, qui, disposant d’une fortune considérable, peuvent faire, sans se gêner, des sacrifices d’argent ! Ce danger est si grand, il peut avoir des conséquences si désastreuses, qu’il suffit d’avoir appelé sur ce point l’attention de la législature pour demeurer convaincu qu’elle doit repousser un système aussi subversif.

D’un autre côté, messieurs, le projet atteint beaucoup de personnes dont les déclarations sont véritables, et qui, par conséquent, doivent conférer le droit d’élection. Ainsi, en 1842, il y a eu certainement beaucoup d’individus, qui, possédant les bases de l’impôt, ont dû se soumettre à payer l’impôt ; ces individus présentent donc toutes les garanties matérielles et morales, pour exercer les droits électoraux, et cependant ces personnes sont repoussées, elles sont confondues avec celles qui ont cherché à faire fraude à la loi, et ce qui est plus monstrueux, c’est que le projet qui vous est soumis, repousse du scrutin l’honnête homme qui n’a payé que pendant deux ans un impôt qu’il doit, parce qu’il possède réellement les bases de l’impôt tandis que ce même projet admet l’individu, qui, servant d’instrument, n’importe à quel parti, aura payé par lui-même ou par d’autres pour lui depuis trois ans, un impôt qu’il ne doit pas ! Supposer, messieurs, que l’on puisse admettre des principes pareils, c’est faire injure à la représentation nationale ce serait la dire capable de légaliser la fraude.

Etait-il donc si difficile de faire une loi sérieuse contre la fraude électorale ? On va si souvent puiser dans l’arsenal des lois françaises, on imite si souvent nos voisins, que l’on doit s’étonner à bon droit, que l’on n’ait pas cherché à emprunter à la législation française ce qu’elle renferme de bonnes dispositions en cette matière.

Il eût fallu proclamer en principe la nécessité de posséder les bases de l’impôt ; il eût fallu ensuite attribuer aux cours d’appel la révision des décisions de l’autorité locale, sur les difficultés relatives à la possession réelle de la base de l’impôt.

Est-il donc si difficile de vérifier si le déclarant possède un cheval de luxe ? Si la maison renferme le nombre des foyers indiqués ? S’il a, à son service, tant de domestiques ou tant de servantes ? Est-il si difficile d’apprécier la valeur d’un mobilier ? Est-il bien difficile de vérifier si on exerce un commerce ou une industrie sujette à patente, est-il difficile enfin d’apprécier le commerce d’un patentable, au village surtout, car c’est là, remarquez-le bien, que les fraudes se sont commises, il en aurait trop coûté pour les exercer dans les villes.

En réalité, la constatation de l’existence des bases de l’impôt ne présente aucune difficulté sérieuse, le conseil communal de chaque village agissant impartialement l’eût établie, sans le moindre embarras, et on ne pouvait conserver aucun doute, lorsqu’on abandonnait la décision sur l’appel, aux tribunaux, qui auraient garanti les citoyens contre les caprices et l’arbitraire de l’administration.

Ce système est donc le seul, à mon avis, qui puisse et qui doive être suivie, on aurait pu laisser à l’appréciation de la cour d’appel, s’il y avait lieu, par la gravité de la fraude, de déclarer l’individu déchu de l’exercice des droits politiques pendant un certain temps.

L’établissement d’une pénalité aurait pour résultat d’arrêter une foule d’individus, qui aujourd’hui cèdent souvent malgré eux, à l’influence que des personnes puissantes peuvent exercer ; on trouverait bien plus difficilement des personnes qui voulussent se prêter à des manœuvres, que la morale et la loi réprouvent, et la peine serait pour elles un motif de s’y refuser.

Le projet du gouvernement ne pourra donc pas obtenir mon assentiment, à moins qu’il ne soit modifié ou que la discussion ne me donne la certitude qu’il ne sera applicable qu’aux élections prochaines.

Vous parlerai-je, messieurs, de cette disposition qui attribue virtuellement au gouvernement le droit de désigner les membres des bureaux secondaires, en créant membres de droit de ces bureaux, les bourgmestres même nommés en dehors du conseil ? Inutile, messieurs, de vous signaler que ces mesures ne sont pas dirigées contre les manœuvres frauduleuses, qui ont excité, à juste titre, tant d’irritation dans le pays. Ce ne sont pas les manœuvres qui ont lieu pendant la lutte électorale qu’il faut redouter ; ce qu’il faut prévenir et empêcher, c’est l’introduction dans le corps électoral d’individus, qui n’ont de l’électeur que le nom, et qui ne s’introduisent dans le sein du collège, chargé du droit de désigner les représentants de la nation, que dans le but avoué de fausser les élections, et de leur donner la direction que veut leur imprimer un parti ou une coterie.

Cette disposition du projet est diamétralement contraire à notre loi électorale ; elle a eu en vue d’éloigner des assemblées, tous les délégués du pouvoir exécutif ; elle a fait présider les bureaux par des membres d’un corps indépendant, et pour composer le bureau principal, elle a pris les plus jeunes entre les conseillers de la commune où il siège. Pourquoi ne pas suivre pour les bureaux secondaires ce qui est prescrit par la loi existante, pour le bureau principal, en les composant des conseillers des communes dont sortent les électeurs, et commençant aussi par les plus jeunes ?

Pourquoi l’innovation proposée, si ce n’est pour donner accès au pouvoir exécutif dans les bureaux, contre le vœu primitif de la loi qui a voulu les en éloigner, car aujourd’hui les bourgmestres ne sont plus que des gens du pouvoir, et remarquez la différence qui se trouve entre la loi proposée et la loi ancienne ; elle prive d’un droit acquis un électeur qui possède les bases du cens exigé par la loi, et dans le même moment, elle place dans les bureaux un bourgmestre, nommé en dehors du conseil, qui a ainsi été repoussé par les électeurs qui ne jouit dès lors de leur confiance.

D’un côté, vous voyez l’exigence du paiement du cens pendant deux ans avant l’année de l’élection, priver un électeur d’un droit acquis par la loi ancienne, et de l’autre, on fait entrer dans les bureaux, comme scrutateurs, des bourgmestres qui peuvent n’être ni électeurs, ni conseillers de leur commune, privés ainsi de la confiance du corps électoral.

La loi, telle qu’elle est conçue, ne peut avoir mon assentiment ; mieux vaut l’état actuel de la législation, que de décréter en principe la légitimité de la fraude, que de l’organiser sur une vaste échelle.

Que l’on exerce une surveillance active sur les déclarations qui produisent le paiement du cens électoral mais que l’on n’enlève pas des droits acquis, mais que l’on n’exige pas une nouvelle condition de ceux qui, ayant réellement payé le cens l’an dernier, ont acquis des droits incontestables d’être portés sur la liste des électeurs dans la prochaine révision du mois d’avril.

Sous prétexte de réprimer la fraude, il faut se garder de porter atteinte à des droits acquis : il faut surtout se garder d’introduire des innovations, dont le résultat le plus direct est de favoriser ceux qui ont déposé leurs déclarations mensongères, il y a deux ans au préjudice d’individus qui ont eu la certitude d’avoir acquis les droits électoraux, par la possession réelle des bases de l’impôt et par la déclaration faite en conséquence.

Il y a beaucoup de moralité en Belgique ; il y a dans la nation un fond de probité, qui finira par faire justice de toute manœuvre frauduleuse, je préfère de m’en rapporter au bon sens de la nation, plutôt que d’ériger en principe, que la fraude est permise à ceux qui possèdent la puissance de l’argent. Craignons, messieurs, de faire croire au pays que l’or est tout ; qu’avec un peu d’argent, on peut rendre légitime, moral, ce qui est illégitime, immoral.

Je voterai contre la loi, à moins que la discussion ne me donne des apaisements sur le principe qui lui sert de base.

M. Cools. - Des fraudes d’une nature très grave, mais uniformes et d’un genre déterminé, sont un jour dénoncées à la chambre.

Il s’agissait de fausses déclarations de contributions faites dans le but de se créer la capacité électorale.

Une discussion s’engage et l’idée surgit de parer au moins provisoirement au mal, en prolongeant la durée de payement requise pour acquérir le cens.

A deux reprises différentes le gouvernement déclare que ce remède est, à ses yeux, le seul véritable.

De tous côtés on semblait d’accord. Il paraissait que les esprits étaient préparés. A quelqu’opinion qu’on appartînt, on repoussait la fraude. On se montrait impatient de la punir.

Cependant deux mois se passent. La loi solennellement promise se fait toujours attendre. Elle nous arrive enfin et au lieu d’un projet simple, en deux ou trois articles, nous sommes saisis d’un système général, comprenant de prétendus moyens d’assurer l’exécution régulière et uniforme de toute la loi du 3 mai 1831.

C’est bien une révision complète. Toutes les dispositions de la loi organique ont été remaniées et disséquées. Sur les cinquante-deux articles qu’elle renferme, à peine la moitié a échappé au scalpel.

Un premier reproche à faire au projet pourrait être tiré de ce caractère de généralité. Les institutions électorales forment la base de l’édifice social. Elles doivent inspirer un saint respect. On fait bien de jeter un voile sur les vices qu’elles renferment pour les dérober aux regards du public. Il faut reculer longtemps devant des réformes, même salutaires, et celles-ci doivent être demandées avec instance, être reconnues indispensables, avant d’attirer l’attention du législateur.

Voyez ce qui se passe à cet égard dans un pays que nous, jeune nation, ne pouvons trop éluder. En Angleterre, que d’efforts, que d’années de persévérance n’a-t-il pas fallu au parti whig pour obtenir justice, même incomplètement, de ce système suranné et d’une révoltante partialité des bourgs pourris ?

Et chez nous, quelles sont donc ces voix nombreuses, qui, après une expérience de douze années à peine, demandent toutes les dispositions nouvelles qui nous sont proposées ? Quels inconvénients graves, nombreux, successifs, l’expérience a-t-elle déjà pu constater ?

Mais ce grief, tout sérieux qu’il soit, disparaît devant celui qui ressort de l’esprit, de la pensée secrète du projet.

Tout y est combiné de manière à gêner la manifestation calme de l’opinion publique et à procurer des avantages à l’opinion sur laquelle le pouvoir s’appuie, au préjudice de l’opinion contraire.

J’ai beaucoup de choses à dire. Je ne puis passer en revue tous les vices du projet, cette intervention exagérée des fonctionnaires publics dans les élections, ces amendes nombreuses et souvent inutiles qui ne sont faites que pour effrayer les électeurs.

Je m’arrêterai seulement un instant à deux dispositions : celle qui concerne les scrutateurs et cette autre, qui n’émane pas du gouvernement, mais à laquelle il porte un si touchant intérêt : j’entends parler de la simultanéité des votes pour la nomination des sénateurs et des représentants.

L’art. 11 du projet veut que, dans les bureaux des sections, les fonctions de scrutateurs soient remplies par des bourgmestres, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, par des bourgmestres de campagne. L’article parle bien d’échevins et de conseillers, mais il est évident que ces mots n’y sont que pour la forme.

C’est là une disposition essentiellement mauvaise. D’autres vous diront peut-être le mal que les bourgmestres pourront faire au bureau, dans le local où ils se trouvent ; moi, je veux vous parler du mal qui pourra se faire au-dehors pendant qu’ils n’y sont pas.

Dans les communes rurales, situées à un certain éloignement des grandes villes, il n’y a, le plus souvent, qu’une ou deux personnes qui se mêlent d’élections. C’est d’abord le curé. Les curés, vous le savez, sont tous favorables à une seule opinion. J’aurai tantôt l’occasion de vous dire pourquoi. La seconde personne qui se mêle des élections, c’est ordinairement le bourgmestre.

Je ne sais pas quelle est l’opinion des bourgmestres, mais ce que je sais, c’est que vous proposez de les mettre en charte privée, immédiatement avant les votes ; dans ces moments si importants qui précèdent les scrutins de ballottage, pendant que les électeurs se trouvent sur la place publique et que le curé pourra, à son aise, distribuer des billets ou les échanger.

Je ne veux gêner en rien la liberté d’action du clergé. C’est à lui à juger de l’usage qu’il doit faire de ses droits politiques. Mais je ne suis pas disposé à lui accorder indirectement un privilège par la loi. Je veux de l’égalité pour tous. Or, je dis que la disposition assure un avantage notable à l’opinion protégée par le clergé.

Je passe à la simultanéité du vote.

Cette proposition renferme des vices qui frappent à la première vue.

Elle sera la source d’une foule d’erreurs. Pour peu qu’il y ait des scrutins de ballottage on ne pourra plus s’y reconnaître.

Et puis elle présente ces inconvénients graves qui vous ont été indiqués, dans la séance de ce jour, par un honorable député de Liége. Ces inconvénients vicient radicalement la disposition.

Mais je rencontre de front le grand argument des défenseurs de l’article. Ces défenseurs se trouvent presque tous dans les rangs d’une seule opinion. La suite de la discussion le démontrera à l’évidence. Cet argument, le voici : les opérations électorales peuvent se prolonger jusque fort tard dans la soirée ; les scrutins pour la nomination des représentants arrivent à la fin. Si vous n’abrogez pas les formalités, les électeurs des campagnes ne pourront pas y prendre part.

Cet argument a sa valeur. En général les électeurs des campagnes sont plus favorables à votre opinion que les électeurs des villes. Vous avez intérêt et vous êtes fondés à demander que les scrutins aient lieu dans les moments où il est le plus facile à tous les électeurs d’y assister.

Mais je ferai d’abord remarquer que je doute que l’expérience ait démontré que les campagnards ne restent pas jusqu’à la fin des opérations électorales, lors même que celles-ci se prolongent jusqu’à l’entrée de la nuit. Je pourrais citer des exemples qui établissent le contraire.

Cependant admettons que cela puisse arriver quelquefois, est-ce un motif pour fermer les yeux sur les inconvénients réels que j’ai indiqués tout à l’heure ? Il vaudrait mieux examiner si les inconvénients que présentent les dispositions nouvelles ne sont pas plus sérieux que ceux qui découlent de la loi ancienne, et pour moi, cela ne fait pas question.

Et puis, si vous faites droit aux réclamations des électeurs des campagnes, parce qu’envisagés sous un seul point de vue, elles sont fondées, ne devriez-vous pas rechercher, en toute justice, quelles réclamations les électeurs des villes pourraient faire valoir ; et, on avouera que cela nous mènerait fort loin.

Ainsi je trouve une disposition qui fixe les élections au mois de juin, au milieu de l’été.

Pour les électeurs des campagnes, c’est fort bien. C’est immédiatement après les foins. Ce moment leur convient.

Mais convient-il autant aux électeurs des villes ? En été les personnes aisées des villes sont à la campagne : remarquez que ce sont en général les électeurs les plus influents. Il leur est difficile de se déplacer. Beaucoup ne le font pas. Pourquoi, pourrions-nous dire à notre tour, ne proposez-vous pas de fixer les élections à une époque qui convienne autant à l’électeur des villes qu’à l’électeur des campagnes ? Vous désirez cela pour le deuxième scrutin. Proposez-le donc aussi pour le premier.

Et puis, dans la fixation du cens, n’y a-t-il pas de ces inégalités qui sont tout au désavantage des villes ?

Vous avez fixé le cens à 30 fl. pour les campagnes et au double pour les villes. La différence est grande. Cependant vous dites que vous avez combiné cela avec des calculs sur la population. Soit, je ne veux pas établir de discussion là-dessus.

Mais c’est là au moins votre dernier mot. Le cens, dites-vous, se compose des contributions directes, des patentes comprises. J’espère y voir un principe fondamental, Vous n’irez pas, chaque fois que vous établirez des contributions nouvelles, dire : celle-ci crée des électeurs des campagnes, elle comptera dans le cens. Celle-là crée des électeurs des villes, elle n’y comptera pas. Les inégalités deviendraient trop choquantes.

Cependant je me rappelle certaine loi sur le débit des boissons distillées. Était-ce un impôt direct ? Les tribunaux auraient dû le décider. Cependant on a eu soin de dire dans la loi que l’impôt ne comptera pas pour la formation du cens : à preuve qu’on n’était pas trop rassuré sur la décision des tribunaux.

Et si les tribunaux avaient décidé l’affirmative. Voyez quel tort vous aurez fait aux villes ? Car enfin, presque tous les cabaretiers doivent payer l’abonnement des boissons distillées. Or il est évident qu’il y a, toute proportion gardée, un bien plus grand nombre de cabaretiers dans les villes que dans les campagnes. Les fortunes y sont plus grandes et le nombre des désœuvrés y est plus considérable.

Je ne pousserai pas ces recherches plus loin

La disposition que vous voulez changer est défavorable aux campagnes ; il en est d’autres qui sont défavorables aux villes. De grâce, ne remuons pas ces questions. Imitez-nous. Montrez-vous partisans de la stabilité des institutions.

C’est une chose digne de remarque que dans certain parti on montre continuellement le désir de modifier les institutions. Cela s’est vu dans la discussion pour le choix des bourgmestres. Cela se reproduit aujourd’hui à l’égard de la loi électorale.

La raison en est que cette conduite lui est imposée par les principes de son existence. Ses doctrines commencent à ne plus obtenir raison des institutions, et, à moins d’abdiquer ou de subir des transformations, il ne peut permettre aux institutions de condamner ses doctrines.

Après les malheurs de la guerre, je ne connais pas d’accident plus funeste, dans un gouvernement représentatif, que la formation d’un parti qui s’attribue la mission providentielle de décider des destinées du pays. Je n’en excepte pas même les commotions populaires.

Un tel parti existait en France sous la restauration. On sait ce qui en est advenu. On en trouve encore en remontant plus haut, mais c’est là le dernier enseignement de l’histoire.

Aujourd’hui, dans le pays que je viens de citer, en Angleterre, en Hollande, chez tous les peuples où les institutions représentatives ont percé le sol, l’apparition d’un parti guidé par cette doctrine semblerait un anachronisme.

En Belgique, un concours de circonstances déjà anciennes en a fait une fâcheuse réalité.

Que par un jour d’élection un étranger arrive sur nos places publiques. Il verra les ministres du culte se mêler aux luttes des partis et recommander aux suffrages des électeurs les candidats d’une seule et même opinion. Son premier mouvement sera l’étonnement.

« Quels sont, demandera-t-il, ces candidats qu’on cherche à éliminer ? - Ce sont des libéraux. » Il ne comprendra pas trop, cependant, il continuera son interrogatoire. « Et les autres que le clergé recommande ? - Ce sont des catholiques. » Cette fois-ci il croira comprendre. « Mais, dira-t-il, de quelle religion sont ceux que vous appelez libéraux ? Sont-ce des protestants ? - Non pas ; nous ne connaissons qu’une seule religion. Ce sont bien des catholiques aussi, si vous voulez, mais cependant, ce ne sont pas des catholiques comme nous l’entendons. » De nouveau ses idées se brouillent.

« Mais enfin, ces catholiques qui ne sont pas catholiques, en quoi leurs idées en morale et en religion diffèrent-elles de celles des autres ? Je ne saurais vous le dire.»

Si l’étranger borne ses demandes, il quittera son interlocuteur avec l’idée qu’il vient de parler à un homme privé de raison.

Mais, si avant de partir, il hasarde une dernière interpellation ; si, parlant d’un homme au courant de notre histoire, il lui demande comment s’est formé ce parti, moitié religieux et moitié politique, ses idées, à mesure qu’il écoutera la réponse, deviendront plus claires ; il pourra se rendre compte du spectacle affligeant qu’il a sous les yeux.

Il apprendra que sous un autre régime, il y a une vingtaine d’années, l’épiscopat belge opposa une noble et courageuse résistance à des atteintes portées aux libertés religieuses du pays. Il saura encore que les chefs de l’Eglise trouvèrent bientôt de nombreux appuis au sein de la nation ; que cette association d’hommes de courage, dont le nombre augmentait de jour en jour, lutta pour une cause sacrée. Qu’après une commotion politique devenue inévitable, ce parti, qui avait alors le droit de s’appeler parti catholique, réunit ses efforts pour rendre impossible le retour des anciens abus et mettre les libertés de conscience sous la sauvegarde de la charte constitutionnelle du pays.

Avec ces notions sommaires, il lui sera facile de rattacher le présent au passé.

Il comprendra comment ce mélange d’idées religieuses et politiques a survécu aux événements qui l’avaient produit ;

Comment le clergé, encore sous l’impression de pénibles souvenirs, craint d’abandonner le pays à lui-même et montre une défiance extrême à l’égard des sentiments moraux de la nation ;

Comment une réciprocité de reconnaissance s’est établie entre lui et ses anciens défenseurs ;

Comment une désignation déplorable, désormais vide de sens et un dévouement éprouvé chez ceux qui l’acceptent ont contribué à resserrer ces liens ;

Comment enfin on a été conduit, dans les rangs de cette opinion, à suspecter les intentions de tous ceux qui prennent une position à part et à se persuader que le pays serait perdu, si jamais sa direction échappait aux mains des anciens défenseurs de la foi.

C’est en effet, messieurs, ce fatal aveuglement qui explique la lutte qui s’est établie. Ce cri de ralliement de parti conservateur, cet autre de parti des honnêtes gens, d’une si exquise urbanité, ne sont que des indices de la même aberration d’idées.

Lorsqu’une opinion s’est pénétrée de la pensée qu’elle est seule dépositaire des principes d’ordre et de morale, que l’Eglise et l’Etat ont besoin de son appui, elle ne peut se laisser déposséder par qui que ce soit. Il faut que les élections lui donnent raison, car elle ne peut pas, elle ne doit pas se résigner à devenir minorité. Les jugements qui absolvent sont seuls valables ; s’il y en a qui condamnent, on doit-en demander d’autres. Si les juges favorablement disposés sont trop peu nombreux, il faut en créer de nouveaux. Si les institutions du pays ne se prêtent pas à cette création, il faut changer les institutions. A tout prix, il faut rester majorité.

Je désire qu’on me comprenne bien. Je m’occupe des partis dans leur ensemble et non des individualités. Dans les rangs de la majorité, on trouve plus d’un cœur généreux, plus d’une jeune intelligence, j’en ai la conviction, qui voit les fronts se rembrunir et comprend les murmures de la multitude, qui serait disposé à accepter les décisions du pays légal. Malheureusement les masses sont habituées à suivre d’autres guides et lorsque je cherche à remonter aux causes, à établir la liaison des faits, je ne puis m’occuper que de la conduite des masses.

La cause de toutes ces imprudences, toujours si cruellement expiées, dont nous avons été les témoins depuis ans, se trouve dans cette fatale pensée, il faut rester majorité à tout prix, et cette pensée est une déclaration de guerre permanente à l’essence du gouvernement représentatif.

Lorsqu’à l’origine de la crise que le pays parcourt, nous avions déclaré que le ministère précédent avait notre confiance (et quand je dis nous, je parlé au nom de la chambre entière ; la chambre ne parle que par l’organe de la majorité) ; lorsque la chambre des représentants avait déclaré que le ministère avait sa confiance, pourquoi le sénat, déposant son caractère de pouvoir modérateur, est-il venu élever un conflit politique ? Pourquoi a-t-il défait l’ouvrage de la chambre ?

C’est que certaine opinion ne pouvait pas se résigner au rôle de minorité.

Pourquoi plus tard, en discutant les modifications à la loi communale, nous a-t-on saisis subitement d’une proposition qui répartit les électeurs d’après un système nouveau ? Pourquoi, lorsque la proposition rédigée d’une manière générale ne pouvait réussir, l’a-t-on maintenue pour les grandes villes ?

C’est qu’on n’accepte pas les décisions des électeurs des grandes villes. C’est que, condamné par les résultats du scrutin, on trouve tout naturel de changer le système de l’élection.

D’où viennent ces impatiences si mal déguisées à l’encontre des rapports trop faciles entre les électeurs ? Ces voix qui vous surprennent à de rares intervalles, demandant que les votants soient parqués par cantons, que vous avez encore entendues à vos côtés, il y a quelques semaines à peine, alors qu’une inspiration courageuse, mais passagère, est venue les étouffer, mais dont l’écho pourrait bien se faire jour dans la discussion qui vient de s’ouvrir ?

De ce que les jugements de condamnation d’électeurs, s’éclairant à un foyer commun, deviennent tous les jours plus nombreux, et qu’on ne veut pas accepter ces jugements ; de ce que des subdivisions d’électeurs offrent plus de change pour maintenir la situation actuelle et que la situation actuelle doit être maintenue.

Comment expliquer enfin les tendances évidentes du projet de loi que nous avons sous les yeux, ces dispositions artistement combinées dans le but de neutraliser les influences légitimes de la minorité, et d’empêcher l’éveil de l’opinion publique, si ce n’est pas cette pensée constante que la majorité ne peut faillir, qu’elle doit avoir raison, même du pays légal.

Voilà, messieurs, l’explication de ces tentatives téméraires, chaque fois condamnées par le pays et répétées avec une nouvelle audace, après chaque défaite. C’est là le secret, d’une part, de ces exigences impitoyables chez les puissants du jour, de l’autre de ces humbles complaisances, imposées comme prix d’une protection éphémère, aux instruments derrière lesquels on s’abrite, pour s’assurer les profits du combat, sans en courir les dangers.

Et il ne se trouve personne au timon des affaires qui signale les dangers de cette folle entreprise ! Personne qui refuse son concours à cette œuvre de bouleversement et de réaction !

Je n’ai pas eu de peine, jusqu’à présent, à écarter les questions de personnes de mon discours, parce qu’elles ont toujours été éloignées de ma pensée. Cependant, pendant que je parlais, il est un nom qui s’est présenté souvent sur mes lèvres, un nom qui se mêle d’une manière fâcheuse à toutes les péripéties du drame auquel nous assistons ; c’est celui du ministre de l’intérieur.

Que nous disait-il, en arrivant au pouvoir ? Il se donnait la mission de tenir tête à toutes les tendances exagérées. Il s’annonçait comme le point culminant de la situation, et cette situation, jamais il n’a su la tenir à la hauteur à laquelle il l’avait prise. Toutes les questions politiques prennent entre ses mains les caractères les plus prononcés d’actes de parti.

C’est ainsi qu’une légère modification à la loi communale dégénère, grâce à une complaisance coupable, en une réforme des bases mêmes de l’institution.

C’est encore ainsi qu’il consent aujourd’hui à ce qu’un projet destiné à réprimer des fraudes déterminées se change en une révision générale de la loi électorale, révision imposée par l’opinion qu’elle doit favoriser et, ce qui est pénible à dire, que lui ne partage pas.

Et c’est avec intention, remarquez-le bien, que je dis que la loi lui est imposée. Tout le démontre.

Rappelez-vous la manière dont le projet a été introduit dans cette enceinte. Il devait repousser les faux électeurs. Le moyen était indiqué d’avance par le gouvernement lui-même. Tout d’un coup on découvre de l’hésitation. Les interpellations se succèdent, et après bien des efforts on parvient à obtenir... Quoi ? une refonte complète de la loi organique.

D’où vient cette résolution subite ? Il s’est donc passé quelque chose dont nous n’avons pas connaissance, au moment où vous avez voulu rédiger ce projet si simple dont vous nous aviez parlé ! Il a fallu y ajouter d’autres dispositions, et ces dispositions vous ont été suggérées ; l’exposé des motifs en contient la preuve.

Mais par qui l’ont-elles été ?

Les tendances du projet et les rapports qui existent entre M. le ministre de l’intérieur et certaine opinion, rendent la réponse très facile.

Ainsi toujours de la faiblesse ! jamais deux jours de courage ! Et vous appelez cela gouverner ?

Cependant les encouragements ne vous ont pas manqué. Un jour (pourquoi n’ai-je que cet exemple à citer ?) vous avez montré certaine énergie. Il s’agissait de la loi sur l’enseignement primaire. Vous avez trouvé de l’appui sur tous les bancs de la chambre.

Et naguère encore, lorsque vous avez mis le public dans le secret du remède que vous vouliez opposer à l’invasion des faux électeurs, personne n’a réclamé : La presse elle-même s’abstenait de toute critique. Ces heureuses dispositions devaient vous engager à suivre vos premières inspirations. Mais non ; cette fois encore le cœur vous a failli.

Hélas ! il est donc vrai ! le talent, même de l’ordre le plus élevé, ne suffit pas. La fixité des principes jointe à la fermeté de caractère, seront toujours les premières vertus de l’homme d’Etat.

Mon langage vous aura peut-être paru sévère. Il m’est imposé par mes devoirs. J’ai toujours pensé que pour siéger avec honneur parmi vous, il faut avoir des convictions politiques et le courage de les avouer. Lorsque, jeune encore, j’étudiais les rouages des gouvernements de majorité, il me semblait que les embarras des situations mauvaises devaient presque toujours provenir de ces hommes aux consciences molles, qui s’accommodent de tous les régimes et crient un jour : Vive le roi, et le lendemain : Vive la ligue ! Cette conduite ne sera jamais la mienne. Je proclame haut et fort mes opinions modérées, mais la modération, telle que je l’entends, n’exclue pas la fermeté ; elle l’accompagne le plus souvent.

J’aime à m’occuper des questions matérielles pour elles-mêmes, mais je ne transigerai jamais sur les intérêts d’un ordre plus élevé.

Voilà pourquoi je dis que votre loi est un nouveau ferment d’irritation, car la pensée secrète se révèle à chaque article. Voilà pourquoi je vous accuse de vouloir faire violence à nos convictions, lorsque vous cherchez à nous faire acheter une mesure nécessaire par l’adoption de dispositions perfides, que nous condamnerons sans hésitation, si vous nous laissez notre libre arbitre.

Voyez en effet quelle est notre position.

La fraude s’organise sur une vaste échelle. Elle menace de vicier le système électif dans sa base. Il y a là danger réel, imminent ; il faut y obvier à l’instant même. Vous proposez un remède provisoire ; il ne suffira pas pour extirper le mal. Il le palliera seulement. A tout prendre, nous nous en contentons.

Mais à côté vous placez des dispositions qui ont un tout autre but, qui, sous prétexte de garantir la sincérité des élections, que chacun de nous désire, doivent multiplier les entraves, effrayer les électeurs, restreindre la liberté des suffrages et renforcer les influences déjà si largement octroyées à une seule opinion.

Puis vous nous dites : acceptez le bon et le mauvais ou rejetez le tout. Je ne vous laisse que cette alternative.

Que faire ? Mon esprit hésite. Je ne sais ce qui adviendra, mais quel que soit le vote que j’émettrai, je déclare dès ce moment qu’à moins que la loi ne reçoive des améliorations notables, radicales, je me regarderai comme placé sous une véritable contrainte morale. (Très bien ! Très bien !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous me dites : « Encore cette fois le cœur vous a failli ». Non, monsieur, mais votre imagination vous égare encore cette fois, et la mémoire vous manque.

Les suppositions, messieurs, auxquelles l’honorable préopinant vient de se livrer ne m’ont ni étonné ni ému ; elles étaient nécessaires ; je devais m’y attendre ; il fallait bien que l’on donnât à cette loi un caractère qui la fît rentrer dans le système général de suspicion que l’on a adopté à mon égard. (Interruption).

Votre imagination vous a égaré, et vous avez dénaturé tous les faits ; vous les avez dénaturés pour rendre vraisemblable l’attitude que vous me prêtez. Lorsque dans une des dernières séances de décembre un honorable membre a signalé les fraudes électorales qui se pratiquaient dans le pays, sans hésitation j’ai déclaré que les renseignements administratifs et la notoriété publique avaient déjà porté ces faits à ma connaissance, et j’ai ajouté spontanément, le jour même, d’après mes inspirations personnelles, et sans demander conseil à personne, j’ai ajouté que, s’il devenait nécessaire de toucher à la loi électorale, pour empêcher les fraudes que l’on dénonçait, il serait aussi nécessaire d’introduire certaines mesures de police pour assurer la régularité des opérations. Ainsi le premier jour, au premier signal parti de cette chambre, j’ai déclaré qu’il fallait plus qu’une loi consistant dans l’art. 2 du projet. Cependant on suppose et on continuera à supposer qu’après avoir annoncé à la chambre une loi très restreinte, j’ai, d’après des conseils de je ne sais qui, donné une extension à ma pensée.

Eh bien, cette supposition est démentie par les faits : j’ai déclaré dès le premier jour que la question des fraudes électorales en général, des manœuvres électorales en général, m’avait frappé depuis fort longtemps et que si j’avais hésité à saisir la chambre d’un projet de loi sur cette matière, c’était que l’occasion devait m’en être fournie, c’était précisément parce que je craignais certaines accusations. Le retard apporté à sa présentation du projet s’explique de la manière la plus naturelle. Il s’explique par la position que j’avais prise le premier jour et que j’avais prise spontanément ; car je ne puis assez le répéter, j’avais dit que j’irais au-delà de la demande faite par l’honorable M. Mercier. Que l’on critique donc le fond du projet, mais je ne permets à personne de venir dire que, par des inspirations non avouables ou par des conseils imposés, j’ai été amené à présenter un projet plus complet que celui que j’avais primitivement conçu ou promis.

L’honorable membre se fût contenté d’une proposition qui n’eût consisté que dans l’art. 2 du projet actuel, mais d’autres membres, qui sont ses amis politiques, vont plus loin aujourd’hui, car d’après ces honorables membres, il n’eût fallu présenter aucun projet. (Interruption.) Il ne fallait présenter aucun projet ; il fallait laisser la loi de 1831 comme elle est, sans même s’occuper des fraudes signalées, car, dit-on, le remède est dans la loi même.

Voilà, messieurs, ce qui a été dit par l’honorable M. Fleussu et après lui par l’honorable M. Lys. D’après ces honorables membres, la loi de 1831 permet aux députations de s’enquérir de la réalité des bases du cens, et dès lors le remède est dans la loi même. (Assentiments.)

Il faut avouer, messieurs, que je me trouve ici dans un singulier embarras à l’égard de ceux qui sont les adversaires du ministère ; d’après les uns, il ne fallait pas présenter de projet de loi ; d’après les autres, il faut réduire le projet à l’article 2.

Je dois regretter, messieurs, que lorsque j’étais pour ainsi dire harcelé (qu’on me permette cette expression), lorsque j’étais sommé et hautement sommé de présenter un projet de loi, je dois regretter qu’alors, l’honorable M. Fleussu, l’honorable M. Lys n’aient pas pris la parole pour déclarer qu’un projet de loi était complètement inutile. Je ne veux certes pas faire des reproches à ces honorables membres de ne pas m’avoir donné le conseil de m’abstenir ; mais, du moins, voudront-ils bien me permettre de croire que, dan ce silence universel, je devais considérer le projet de loi comme unanimement demandé par toutes les opinions.

J’avais annoncé dès la première séance, qu’il était probable qu’il n’existait d’autre remède, à moins d’investir les députations d’une véritable omnipotence ; qu’il n’existait, dis-je, d’autre remède que d’exiger le paiement du cens pour certaines bases pendant plusieurs années. J’ai persisté dans cette opinion, et je vous propose de la consacrer par une disposition législative.

Conservant la position que j’avais prise spontanément le premier jour, j’ai ajouté d’autres dispositions au projet, dispositions que je vous avais de prime abord annoncées. Voyons quelles sont ces dispositions ; voyons si elles renferment ces arrière-pensées que vous a surtout dénoncées l’honorable préopinant.

Le projet, dit-on, consacre l’intervention la plus large, la plus effrayante, au profit du gouvernement central, d’abord dans la formation des listes électorales, ensuite dans les opérations électorales elles-mêmes.

Occupons-nous d’abord de l’intervention du gouvernement dans la formation des listes électorales.

Cette intervention consiste 1° dans la formation de la liste par le collège des bourgmestre et échevins ; 2° dans la révision de la liste, à la suite des réclamations, par le même collège ; 3° dans l’appel attribué au commissaire d’arrondissement ; 4° dans le pourvoi en cassation attribué au gouverneur.

Les deux premiers modes d’intervention vous ont été signalés hier par l’honorable M. Savart, ils n’ont plus été signalés aujourd’hui. Qu’on veuille bien remarquer que ces deux premiers modes d’intervention de ce qu’on veut bien appeler ici le gouvernement, existent dans la loi actuelle. C’est pour prévenir un doute que la section centrale a cru devoir substituer à l’expression : Administration communale, celle-ci : Collège des bourgmestre et échevins.

La loi de 1831 porte que « les administrations communales dresseront les listes et en feront la révision. » La question s’est élevée de savoir ce qu’il fallait entendre par les mots ; administration communale ; s’il fallait entendre par là le conseil communal ou le collège des bourgmestre et échevins. Le gouvernement, la cour de cassation et presque toutes les autorités provinciales et communales ont reconnu qu’il fallait entendre par ces mots le collège des bourgmestre et échevins.

Ainsi, messieurs, ce n’est pas une innovation qu’on vous propose de consacrer, on vous propose de faire cesser un doute, et même je pensais qu’il n’était pas nécessaire de s’occuper de ce point dans la loi, car il n’y a plus de contestation dans le pays à cet égard. (Interruption).

On me dit que j’ai annulé des décisions ; j’ai annulé des décisions, en me fondant, entre autres, sur un arrêt de la cour de cassation, et sur l’opinion de tous mes prédécesseurs, entre autres sur une circulaire de l’honorable M. Liedts, qui est annexée au rapport de la section centrale.

Du reste, quelque opinion qu’on ait sur ce point, il faudra toujours m’accorder que ce n’est pas une innovation que je consacre. (Interruption).

Il faut bien, messieurs, que je procède d’une manière analytique dans ces questions. C’est en formant un faisceau d’innovations très secondaires, qu’on est parvenu à dresser une espèce d’acte d’accusation contre moi. Quand on vient à défaite ce faisceau, si je puis m’exprimer ainsi, ou voit à quoi se réduit cet acte d’accusation.

Ainsi, messieurs, les deux premiers modes d’intervention du pouvoir central existent, et sont, je puis le dire, unanimement adoptés.

Si donc vous vouliez annuler ce premier mode d’intervention, dirais-je à l’honorable M. Savart, c’est vous qui consacreriez une innovation, c’est vous qui devriez proposer qu’à l’avenir les listes ne seront plus dressées et révisées par le collège des bourgmestre et échevins, mais par le conseil communal lui-même. Il serait l’innovation ; l’innovation n’est pas de mon côté.

Maintenant, messieurs, ce qu’on veut bien appeler ici l’intervention du pouvoir exécutif, est un véritable abus de mots.

Le collège des bourgmestre et échevins est à la nomination du gouvernement, mais avec une restriction : les échevins sont toujours nommés dans le conseil communal ; le bourgmestre peut être nommé hors du conseil, et les faits prouvent que jusqu’ici les bourgmestres n’ont été nommés hors du conseil qu’exceptionnellement et très exceptionnellement.

Ainsi, on tombe dans une exagération, quand on trouve dans le mode de la formation et de la révision des listes, une véritable intervention du pouvoir exécutif : le gouvernement ne choisit les fonctionnaires dont il s’agit que dans le sein du corps électif ; d’ailleurs la publicité qui accompagne ces opérations, est une garantie suffisante.

Je passe, messieurs, à l’innovation véritablement nouvelle qu’on nous propose de consacrer, c’est l’appel attribué au commissaire d’arrondissement, c’est le pourvoi en cassation attribué au gouvernement.

Messieurs, j’ai prévu que cette innovation, annoncée tant de fois par le gouvernement, que cette innovation, du jour où elle serait proposée, exciterait des réclamations, ferait naître des inquiétudes. Aussi, messieurs, ai-je pris soin, dans l’exposé des motifs, de rappeler à la chambre que j’avais eu l’occasion de signaler les lacunes que présente la loi électorale.

En effet, messieurs, qu’a-t’on dit, chaque fois qu’il s’est agi dans cette chambre, de la loi électorale, des fraudes électorales, de la permanence des listes, des vérifications de pouvoirs ? S’adressant au gouvernement, ou lui demandait ce qu’il faisait pour la formation et la révision des listes. Cette question lui a été faite de toutes parts ; elle lui a été faite surtout par l’opposition, si je puis me servir de ce mot.

On lui disait : Que faites-vous pour obtenir la sincérité des listes électorales ?

Il a été répondu par ceux qui se sont trouvés successivement au banc ministériel ; « je ne fais rien, parce que je ne puis rien faire ; je ne fais rien, parce que l’art. 12 de la loi électorale n’accorde l’appel qu’au citoyen proprement dit et non aux autorités publiques, parce que le pourvoi en cassation n’existe que dans l’intérêt de la loi, n’existe qu’en faveur du ministère public près la cour de cassation. » Voilà ce qu’on a toujours répondu à ceux qui sommaient le gouvernement de rendre compte d’une intervention, impossible d’après la loi de 1831. Voici, messieurs, ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, en répondant à une interpellation de ce genre, dans la séance du 16 décembre 1842.

« Comment, messieurs, se dressent les listes électorales ? Car on perd trop de vue que l’intervention du gouvernement est à peu près nulle dans les opérations relatives à la formation des listes électorales. C’est l’administration communale qui fait dresser ses listes.

« C’est donc là un premier degré de juridiction, on peut interjeter appel à la députation, mais qui ? Tout individu qui est indûment inscrit, omis, rayé ou autrement lésé ; c’est ce que porte l’art. 42 de la loi électorale ; le gouvernement n’a donc pas le droit d’interjeter appel près de la députation, qui est le deuxième degré de juridiction.

« Reste le recours en cassation ; le ministère public peut toujours recourir en cassation dans l’intérêt de la loi, mais c’est à quoi se borne toute l’intervention du gouvernement.

« Un membre : Cela n’empêche pas l’électeur indûment inscrit de voter.

« M. le ministre de l’intérieur : En effet, cela est important sur l’élection. Car le recours n’a lieu que dans l’intérêt de la loi. »

Ainsi ma pensée était connue, messieurs, dès la séance du 16 décembre 1842. J’ai signalé à la chambre l’impuissance du gouvernement, et j’ai fait entendre que, s’il était question de toucher à la loi électorale, on devrait se demander s’il n’y aurait pas lieu de faire cesser cette impuissance, d’accorder aux commissaires d’arrondissement le soin d’appel, comme il est accordé à tous les citoyens, d’accorder au gouvernement le soin du pourvoi en cassation, autrement que dans l’intérêt de la loi, c’est à-dire, d’une manière efficace.

Voilà ce que j’ai annoncé dès le 16 décembre 1842 ; vous voyez d’après cela jusqu’à quel point l’honorable préopinant est fondé à dire que cette partie de la loi est encore le résultat de je ne sais quelle inspiration occulte.

J’ignore quel sera le sort de cette partie de la loi mais, quoi qu’il advienne, la position du gouvernement sera mieux connue. Si ces dispositions sont adoptées, si l’appel et le pourvoi en cassation sont accordés aux agents du gouvernement, la chambre saura désormais ce qu’elle peut exiger du gouvernement ; l’impuissance du gouvernement aura cessé. Si ces dispositions ne sont pas adoptées, l’impuissance du gouvernement subsistera, elle sera ouvertement proclamée, et dès lors le gouvernement sera parfaitement justifié, s’il reste en quelque sorte les bras croisés.

Messieurs, je crois que sans mettre en péril aucune des libertés publiques, on peut accorder une pareille intervention au gouvernement. Cette intervention est purement passive. Ce n’est pas le gouvernement qui statue ; l’appel est interjeté par le commissaire d’arrondissement, c’est la députation permanente qui statue. Le pourvoi en cassation est interjeté par le gouverneur, mais c’est la cour de cassation qui statue.

Que peuvent craindre les amis de nos institutions dans l’un et l’autre cas ? peuvent-ils craindre que le commissaire d’arrondissement ne multiplie les appels d’une manière irréfléchie ne peut être coupable ? peuvent-ils craindre que les gouverneurs n’accumulent aussi les pourvois en cassation ? Mais la conduite de ces agents sera bien promptement jugée : la députation permanente est appelée à statuer sur les appels irréfléchis ou coupables des commissaires d’arrondissement ; la cour de cassation est appelée à statuer sur les pourvois irréfléchis ou coupables des gouverneurs. Dans le premier cas, un corps électif contre lequel vous ne pouvez avoir de défiance ; dans le second, un corps judiciaire aussi haut placé que la cour de cassation signaleraient bientôt par leurs décisions les commissaires d’arrondissement et les gouverneurs qui abuseraient à ce point de la loi. (Interruption.)

On me dit : et s’ils avaient suivi les ordres du ministre ?

Cela sera signalé par les décisions que rendront les députations permanentes et par les arrêts de la cour de cassation. Je dis que si des commissaires d’arrondissement venaient à se pourvoir sans raison en appel devant la députation, si un gouverneur, même d’après les ordres formels du ministre, se pourvoyait légèrement devant la cour de cassation et que tous les appels ou les pourvois fussent rejetés, je dis que ces fonctionnaires, y compris le ministre, encourraient le blâme public. (Interruption.) Ces décisions seront publiques et le blâme résulterait des arrêts de la cour de cassation et des décisions en appel des députations permanentes. Du reste, je le répète, j’ignore quel sort est réservé à ces deux dispositions. Si elles sont rejetées, l’impuissance du gouvernement sera hautement proclamée, on n’aura plus rien à lui demander. La formation des listes sera abandonnée aux autorités qui les forment aujourd’hui d’une manière en quelque sorte souveraine.

Dès lors, pour toutes questions de fraudes dans les listes, de fraudes électorales, ceux qui se trouveront à l’avenir à ce banc, quelle que soit leur nom, quelle que soit l’opinion à laquelle ils appartiennent, ceux qui seront ici les représentants du pouvoir central, seront pleinement justifiés en déclarant que le gouvernement est dans l’impuissance ; qu’il ne fait rien parce qu’il ne peut rien faire.

Le deuxième genre d’intervention qui vous a été signalé comme extrêmement dangereux pour les libertés publiques, porte sur les opérations électorales elles-mêmes, La loi de 1831 a voulu que les bureaux fussent formés par la loi elle-même. Mais cette pensée était restée incomplète. Nous avons voulu la compléter. Nous avons indiqué un mode de la compléter. Nous avons dit que les scrutateurs des bureaux secondaires seraient les plus jeunes bourgmestres, échevins ou conseillers communaux, dans l’ordre que je viens d’indiquer.

Deux genres d’objections bien contradictoires vous ont été présentées. La contradiction qu’offrent ces deux objections est au moins étrange. D’après l’honorable M. Savart, le gouvernement verra avec plaisir les bureaux occupés par les bourgmestres. Cela assure au gouvernement une large intervention dans les opérations électorales. L’honorable M. Cools n’a pas la même défiance contre les bourgmestres, et trouve, au contraire, qu’on les met en charte privée pour laisser une influence absolue sur les élections des campagnes, aux curés qu’il vous a signalés. Ainsi, pour l’honorable M. Savart, les bourgmestres sont des agents du gouvernement, dont il faut se défier, et qu’il faut se garder de placer aux bureaux où ils agiraient dans l’intérêt du gouvernement. Il n’en est pas de même, selon l’honorable M. Cools, il faut les laisser en dehors du bureau pour qu’ils puissent neutraliser l’influence des curés. Voilà deux objections assez contradictoires qui m’ont été faites. Du reste, messieurs, je ne tiens pas d’une manière absolue au mode nouveau qui vous a été présenté par le gouvernement et qui a été adopté par la section centrale. Je me tiens qu’à une chose : à ce que la pensée de la loi de 1831 soit complétée, à ce que le bureau entier soit formé à l’avance par la loi elle-même. Je suis si peu lié par les engagements secrets qu’on a osé m’attribuer, je suis si peu lié par mon opinion personnelle, que si un autre mode est proposé, je l’accepterai peut-être. (Interruption.) Je suis prêt à accepter un autre mode, présentez-le, nous le discuterons. S’il atteint le but, je l’accepterai, pourvu qu’il ne renferme rien d’injurieux pour certains bourgmestres. Je le répète, je ne tiens qu’à une chose, à ce que la pensée de la loi de 1831 soit complétée, à ce que les retards auxquels donne lieu maintenant le complément des bureaux et les désordres qui en résultent viennent à cesser. Qu’on m’indique donc un autre mode, il est probable que je ne le repousserai pas, du moment que le but est pleinement atteint.

Je viens de passer en revue les différentes dispositions qui consacrent, au dire de certains membres, une si large et si effrayante intervention au profit du gouvernement, je passe à un autre caractère qu’ors a voulu attribuer à la loi,

C’est, a-t-on dit, une loi de défiance envers le pays, c’est presque une insulte aux citoyens belges. Mais, messieurs, en se plaçant sur un semblable terrain, il est bien des lois qu’on doit déclarer inutiles ; la loi électorale de 1831 sera elle-même inutile dans certaines dispositions, car elle a pris des précautions ; ces précautions il faut les déclarer surabondantes. Je pourrais y signaler des dispositions de police qui sont aussi des actes de défiance envers les électeurs.

Messieurs, ne nous faisons ici les courtisans de personne ; respectons-les comme électeurs, mais nous n’oublions pas qu’ils sont hommes.

Vous empêchez, dit-on, les communications des électeurs entre eux. La loi de 1831 dit que, dans l’intérêt de l’ordre, les électeurs seront partagés en sections. Vous ne voulez pas qu’un électeur puisse aller d’une section à l’autre. Je ne le veux pas, parce que la disposition de la loi de 1831 doit être sincère. Vous donnez les moyens d’éluder la disposition qui veut que les électeurs soient divisés par sections dont chacune ne peut excéder le nombre de 400, mieux vaut effacer la disposition, mieux vaut faire nommer en réunissant tous les électeurs sur une place publique. (Interruption).

J’entends un honorable membre dire : je le veux bien. Mais alors c’est la loi de 1831 que vous voulez changer. Mais je ne veux pas la changer, je veux son exécution sincère, je lui donne une sanction qui lui manque. Je veux que les électeurs soient partagés par section et que dans chaque section les électeurs exercent librement leur droit. Je permets à l’universalité des électeurs, de se rendre au bureau central où se fait le dépouillement général du scrutin. Je concilie ainsi l’intérêt de tous avec le bon ordre et la marche paisible des opérations. Je ne me place donc pas en dehors de la loi de 1831, je me place au contraire dans la loi, car je donne à une des dispositions de cette loi une sanction qui lui manque. Ceci est tellement vrai que, dans beaucoup de localités, la loi de 1831 est exécutée comme le porte le projet qui vous est soumis. Dans beaucoup de localités on a pris au sérieux la loi de 1831.

La loi a dit qu’on voterait par section ; les électeurs voteront dans leur section sans qu’on puisse venir les troubler du dehors. Voilà comment la loi de 1831 est exécutée dans beaucoup de localités. Je veux qu’elle soit exécutée d’une manière uniforme dans toutes les localités, je veux qu’elle trouve dans toutes les localités la même sanction.

Je m’arrêterai encore à une question de détail.

On s’est surtout attaché à vous signaler une disposition, celle de l’article 10 qui prohibe le port de signes de ralliement à l’occasion des élections. On a d’abord demandé ce qu’il fallait entendre par les expressions à l’occasion des élections. Faut-il que ce soit le jour même ou la veille ; et remontant plus haut, on a dit : dès aujourd’hui on s’occupe d’élections, dès aujourd’hui la loi pourrait recevoir son application. Je vais encore prouver à mes honorables adversaires que quand on me fait une observation juste, aucun engagement n’est là pour m’empêcher d’en reconnaître la justesse. Je crois que la première partie de cette disposition, d’après l’observation faite hier par M. Savart et reproduite aujourd’hui, doit être changée.

Je crois que les expressions sont trop générales, et qu’il faut dire qu’il ne s’agit que du jour de l’élection. Je prie encore une fois les honorables membres de prendre acte de ma déclaration ; ils me trouveront très disposé à amender cette première partie de l’article. On a signalé les mots : signes de ralliement, comme étant très vagues.

J’attendrai la discussion. Si on peut changer les expressions ou en ajouter d’autres, de manière à rendre la disposition plus précise, j’accepterai les amendements qui seront proposés. Ces amendements pour moi ne sont que des corrections, des rectifications qui ne sont nullement en opposition avec la pensée de l’article.

Un membre. - Quelle est la pensée de l’article ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est que le jour de l’élection on ne puisse pas promener des placards ou des étendards avec des inscriptions injurieuses pour les candidats ou pour l’une ou l’autre opinion, on ne puisse pas venir avec un étendard portant à bas la calotte, ou vive le clergé. Je ne veux ni de l’un ni de l’autre. Je ne veux pas non plus qu’on affiche des placards diffamatoires. (Interruption.)

L’honorable M. Savart-Martel dit à côté de moi : Nous sommes d’accord sur le principe, il sera facile de trouver une rédaction qui rende parfaitement notre pensée commune.

D’autres observations de détail ont été faites, mais j’ai déjà, à l’exemple des orateurs que vous avez entendus, anticipé sur la discussion des articles ; je l’ai fait parce que je tenais à détruire des préventions que l’on veut faire naître contre moi, je tenais à prouver que la loi n’a pas le caractère général qu’on veut lui attribuer, si on veut bien impartialement en examiner les dispositions.

Le premier orateur que vous avez entendu m’a adressé une autre accusation ; il vous a dit que j’avais agi dans les nominations des bourgmestres surtout dans une province, dans l’intérêt d’un parti.

Messieurs, un autre parti, dont on me suppose l’allié, dont quelquefois ou me suppose l’instrument docile, un autre parti pourrait prendre une autre position, et venir vous dire, s’il lui était permis de prendre cette position dans cette chambre : « Ce ministre que l’on vous présente comme dévoué à nos intérêts, comme partageant nos espérances, comme décidé à les voir se réaliser, voyez ce qu’il a fait. Une bien belle occasion lui était offerte ; il s’agissait de remanier le pouvoir exécutif dans toutes les communes du pays ; il s’agissait de reconstituez le pouvoir exécutif dans 2497 communes.

« A la suite des réélections du mois d’octobre dernier, tous les organes du libéralisme ont annoncé que partout leur opinion avait triomphé, qu’a-t-il fait ce ministre qu’on vous dit si dévoué ? Dans 2497 communes 1852 bourgmestres ont été maintenus. Pour tout le royaume 111 bourgmestres nouveaux ont été nommés malgré la réélection des anciens titulaires ; presque partout les bourgmestres réélus ont été maintenus. Il vous avait demandé une loi nouvelle, qu’en a-t-il fait ? Pour tout le royaume, il n’y a eu que 36 bourgmestres nommés en dehors du conseil, et encore s’il nous était permis de rechercher les motifs, il serait facile de vous prouver qu’il est des communes où les bourgmestres éliminés par la volonté des curés, puisqu’il faut les nommer, ont été maintenus par la volonté du gouvernement. » (C’est vrai.)

M. Peeters. - J’en connais plusieurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, messieurs, il y a des bourgmestres qui, éliminés du conseil par cette influence, à laquelle on dit que j’obéis aveuglement ont été maintenus par moi ; il m’a été démontré que l’élimination était injuste.

Ainsi, messieurs, s’il était permis tour à tour aux partis de prendre position devant vous, voilà à quelle autre accusation je pourrais être exposé. Je n’hésite pas à le dire, messieurs, je crois que le gouvernement a usé avec beaucoup de modération des pouvoirs que lui donnaient la loi de 1831 et de la loi de 1842 ; je n’hésite pas à dire qu’il en a usé avec beaucoup de modération, et si je pouvais chercher une comparaison dans le passé, je pourrais prouver que sur la proposition du gouvernement, on n’en a pas toujours usé avec autant de modération ; mais il faudrait entier ici dans des questions de personnes, et faire connaître ce que je regarde comme les secrets de l’administration. Je ne le dois pas, je ne le veux pas. Je ne forme qu’un souhait pour mon pays, sans doute je ne sais pas à l’abri des erreurs, quelques erreurs peuvent avoir été commises, ma religion peut avoir été surprise, mais des moyens de réparation existent ; s’il m’est démontré que des actes injustes ont été, commis, les moyens de réparation seront employés. Je ne forme qu’un vœu, c’est que dans l’avenir on use toujours de cette loi avec la même modération. (Très bien, très bien)

M. Delfosse. - Messieurs, le sort des partis qui ne savent pas se résoudre à quitter le pouvoir lorsqu’ils ont fait leur temps, est de prendre, dans l’intérêt de leur conservation, des mesures qui avancent presque toujours le moment de leur chute.

Ils cherchent d’abord à ressaisir la popularité qui leur échappe, en prodiguant les promesses, en affectant les vues les plus pures et les plus patriotiques ; mais comme le public a un merveilleux instinct pour aller au fond des choses, personne ne prend le change. N’ayant pu réussir à égarer l’opinion, ils se jettent dans les moyens extrêmes pour la comprimer ; s’ils se croient assez forts, ils emploient la violence ; la ruse, s’ils manquent de cœur.

M. Dumortier. - Et l’affaire Dejaer.

M. Delfosse. - L’affaire Dejaer est un acte consommé sur lequel nous n’avons pas à discuter en ce moment ; je me bornerai à dire l’honorable M. Dumortier qui m’interrompt, que dans cette affaire, nous avons eu raison en fait, comme nous l’avions en droit.

S’ils se croient assez forts, ils emploient la violence, la ruse, s’il manquent de cœur. Les places sont données non pas à ceux qui sont en état de les remplir, mais à ceux sur le dévouement desquels en croit pouvoir compter. Plus ou est servile, plus on a de chances d’arriver, les lois qui gênent sont éludées dans l’application, ou bien on en fait de nouvelles pour conjurer des périls qui renaissent sans cesse ; vaines tentatives ! l’opinion publique sait se faire jour ; elle renverse, sans le moindre effort, ceux qui avaient la folle prétention de lutter contre elle.

Tel doit être le sort du ministère, porté au pouvoir par un parti frappé au cœur, par un parti qui avait reculé devant l’appel au pays, il a senti dès le principe le besoin de tromper le pays ; de là à cette fable de ministère mixte, de ministère de conciliation débitée dans la fameuse circulaire aux gouverneurs, de là cet appel aux hommes modérés de toutes les opinions sur lesquels on feignait de vouloir s’appuyer.

Ce langage si peu en harmonie avec les faits qui avaient donné l’existence au ministère, devait exciter, et il excita en effet une défiance générale, pour la dissiper, il eût fallu des actes conformes aux paroles ; et les actes, si l’on excepte quelques hochets distribués à des hommes honorables, vinrent prouver, au contraire, qu’il y avait une alliance étroite entre le ministère et le parti qui l’avait porté au pouvoir.

Ce fut surtout dans les élections de 1841 que le masque fut jeté, que la ruse, je ne veux pas dire l’hypocrisie, fut mise à nue. On vit alors que pour le ministère, il n’y avait, dans l’opinion opposée à la nôtre, que des hommes modérés, et que dans la nôtre, il n’y avait d’hommes modérés que ceux qui, poussés par un vil intérêt, consentaient à sortir de nos rangs, tout en ayant l’air d’y rester.

On alla jusqu’à proscrire l’honorable, le bon M. Angillis ! un tel fait parle assez haut ; il est à lui seul la condamnation du ministère.

Ce qui se passa alors fit faire de sérieuses réflexions au ministère et à ses amis ; j’ai tort de dire ses amis, car il n’a pas d’amis, il n’a que des alliés. Ils firent, dis-je, de sérieuses réflexions ; tous ceux d’entre nous que l’on avait voulu écarter de la chambre, y étaient rentrés, et les plus considérables de nos adversaires avaient eu toutes les peines du monde à se faire réélire ; l’un arrivait avec une voix, l’autre avec une demi-voix de majorité, et encore cette majorité était-elle fort contestée.

Il fallait que l’opposition eût fait de bien grands progrès dans le pays, pour que le ministère, avec tous les moyens d’influence dont il dispose, n’eût pu amener que d’aussi minces résultats ; cela devenait alarmant. Le moment était venu, puisque le corps électoral se montrait hostile, de prendre des précautions contre lui, d’affaiblir autant que possible ses moyens d’action, de là la loi sur le fractionnement, de là la loi sur la nomination des bourgmestres en dehors du conseil.

Par la première de ces lois, les représentants de la minorité du corps électoral peuvent s’introduire dans l’administration de la commune et se trouver en majorité, peut-être même seuls dans le collège des bourgmestre et échevins,

Par la seconde, le gouvernement ayant le choix illimité des bourgmestres, peut les convertir en courtiers d’élections. Jusqu’à ce jour, dans beaucoup de communes, l’influence du bourgmestre avait contrebalancé celle du prêtre ; aujourd’hui, et cela durera tant que nous n’aurons pas un ministère indépendant du clergé, ces deux influences seront coalisées au profit des candidats ministériels. Une troisième influence, celle de l’instituteur, viendra même s’y joindre par suite de la loi sur l’instruction primaire.

M. le ministre de l’intérieur s’est défendu tout à l’heure de s’être laissé aller à des considérations politiques dans le choix des bourgmestres, mais les faits sont là pour démentir les paroles de M. le ministre.

Vous n’avez, dites-vous, nommé que 36 bourgmestres en dehors du conseil, j’avais déjà vu ce chiffre dans le Moniteur qui l’a puisé lui-même dans l’Indépendant. Quelle modération ! Vous n’avez nommé que 36 bourgmestres en dehors du conseil ; mais vous aviez promis que vous ne nommeriez en dehors du conseil que lorsqu’il y aurait des circonstances graves, c’est-à-dire probablement, lorsqu’il n’y aurait pas dans le conseil, un seul homme digne de la confiance du gouvernement. On croyait, et vous laissiez croire, lorsque vous proposiez la loi, qu’il ne serait fait usage de ce droit exceptionnel que dans un très petit nombre de communes et voilà que pour commencer il y en a déjà trente-six, et vous dites que c’est peu ! Vous déclarez que trois à quatre cents conseillers communaux sont indignes de la confiance du gouvernement. Vous frappez de suspicion les milliers d’électeurs dont ils tiennent leur mandat, et vous trouvez que c’est peu de chose ! En vérité vous êtes des hommes d’Etat d’une nouvelle espèce, et vous vous entendez merveilleusement à fortifier le pouvoir. Toutefois, je le reconnais, vous avez eu raison d’en agir ainsi, s’il y avait des circonstances graves ; s’il n’y avait pas dans ces 36 communes un seul conseiller digne de la confiance du gouvernement. Mais devons-nous vous croire sur parole ? où sont les preuves ? vous êtes accusés de n’avoir envisagé que le résultat politique, d’avoir sacrifié l’intérêt administratif à l’intérêt électoral ; défendez-vous. Vous dites que vous ne voulez pas répondre, que vous ne voulez pas avoir ici de discussion sur les noms propres. Eh bien je vous rappelle vos propres paroles ; vous avez fait une promesse, une promesse solennelle ; vous avez dit que vous seriez tenu, à la première interpellation devant cette chambre, de déclarer pourquoi tel ou tel bourgmestre a été nommé en dehors du conseil. Ce sont vos propres paroles. Eh bien ! je vous somme de tenir votre promesse, je vous somme de dire pourquoi 36 communes ont été en quelque sorte mises hors la loi. Vous me répondrez ou vous ne me répondrez pas, peu m’importe. Si vous répondez, nous jugerons vos motifs ; si vous ne répondez pas nous serons autorisés à dire que vous êtes dans l’impossibilité de justifier vos actes ; nous serons autorisés à dire que vous avez trompé la chambre, que vous avez fait, pour obtenir une loi d’exception, des promesses que vous ne vouliez pas tenir.

Je connais plusieurs communes où vous avez choisi le bourgmestre en dehors du conseil. Il y en a une où vous avez fait ce choix même avant les élections. Vous ne saviez pas alors quelle serait la composition du conseil. C’était une injure gratuite que vous adressiez aux électeurs, ou plutôt vous aviez l’espoir de les influencer par l’homme que vous aviez choisi. Vous avez été trompé dans votre attente, et cela vous arrivera plus d’une fois. Aujourd’hui, par votre faute peut-être, le conseil communal se trouve composé d’hommes hostiles au bourgmestre ; l’administration de la commune souffrira inévitablement de ce germe de division que vous y avez introduit. Cependant il y a dans le conseil de cette commune qui est importante des hommes éclairés, des hommes d’ordre qui auraient pu administrer à la satisfaction générale.

Dans une autre commune, celle qui a envoyé une pétition sur laquelle on a tantôt prononcé l’ordre du jour, il y a également dans le conseil des hommes éclairés, des hommes d’ordre, en état de remplir convenablement les fonctions de bourgmestre.

Cependant vous avez continué dans ses fonctions l’ancien bourgmestre, qui n’avait pu se faire réélire, bien que la députation lui venant en aide, eût décidé que cinq conseillers au lieu de deux seraient choisis dans la section à laquelle il appartenait. Vous me direz, mais ce bourgmestre est un homme honorable, pourquoi les électeurs l’ont-ils écarté ? Je vous demanderai alors pourquoi vous n’avez pas continué dans leurs fonctions d’autres bourgmestres qui ont comme lui été écartés par les électeurs. Il y en avait aussi parmi eux de fort honorables.

Je vous citerai entre autres l’ancien bourgmestre de Mortroux, qui était le doyen des bourgmestres de la province. Il n’avait été écarté qu’à une faible majorité ; c’était, m’a-t-on assuré, un homme éclairé, un homme intègre. Cependant vous lui avez donné un successeur pris dans le conseil, je ne vous en fait pas un reproche. Vous avez bien fait, vous avez respecté les principes. Mais pourquoi ne l’avez-vous pas également respecté à Seraing ? Pourquoi ? je vais vous le dire, c’est qu’à Seraing les conseillers communaux appartiennent tous à l’opinion libérale, il n’en est probablement pas de même à Mortroux et dans d’autres communes, où le principe a été respecté.

Voilà la raison de différence ; les mêmes motifs vous ont dicté le choix des bourgmestres pris dans le conseil ; chaque fois que vous trouvez dans le conseil un homme qui vous convient, soit parce qu’il appartient à votre opinion, soit parce que vous le trouvez assez faible pour transiger, vous en faites un bourgmestre. Pour vous la capacité et la probité sont des qualités accessoires, le point de vue politique est le côté principal. Je vous connais assez pour être convaincu que dans les 113 communes où la place de bourgmestre était vacante par démission, décès, changement de domicile, ou refus d’un nouveau mandat, votre choix est tombé non sur les plus capables, au point de vue administratif, mais sur ceux qui vous ont paru les mieux disposés et les plus aptes à vous rendre des services électoraux ; je ne dis pas que vous ayez toujours bien choisi à ce point de vue, mais je dis que votre intention était de toujours bien choisir.

Comment le ministère aurait-il agi autrement dans les communes où il n’y avait personne à déplacer, alors qu’il n’a pas reculé devant la destitution d’un grand nombre de bourgmestres qui jouissaient de l’estime et de la confiance de leurs administrés et qui n’avaient d’autre tort que celai d’appartenir à l’opinion libérale ; alors qu’il leur a donné pour successeurs des hommes dont le principal et peut-être le seul mérite est d’appartenir à l’opinion opposée ?

En 1836, l’honorable M. de Theux s’était déjà lancé dans cette voie. A cette époque, beaucoup de bourgmestres et d’échevins appartenant à l’opinion libérale, ont été écartés pour ce seul motif, bien qu’ils eussent été réélus à une forte majorité comme membres du conseil. Je citerai entre autres un respectable conseiller provincial qui avait été élu en 1830, bourgmestre de sa commune en opposition à un haut personnage, l’un des chefs du parti dit catholique. En 1836, cet honorable conseiller provincial fut continué dans ses fonctions de conseiller communal, mais il ne fut pas continué dans ses fonctions de bourgmestre.

Un autre conseiller provincial, échevin d’une commune très importante, ne fut pas non plus continué dans ses fonctions, mais il était tellement aimé, qu’on ne put trouver dans le conseil un seul membre qui consentît à prendre sa place, et en dépit du ministre qui avait voulu la lui ôter, il a continué à la remplir ad interim.

M. Nothomb est venu achever l’œuvre commencée en 1836 par M. de Theux. La plupart des bourgmestres libéraux (je parle surtout de ma province) que l’honorable M. de Theux, croyant qu’il ne serait pas prudent de tout faire en un jour, avait laissés en fonctions, ont été impitoyablement écartés. Capacité, probité, zèle, services rendus, rien n’y a fait. Un conseiller provincial des plus distingués, qui faisait partie des états provinciaux avant 1830, qui depuis la réorganisation des conseils provinciaux a été plusieurs fois élu à une forte majorité, qui est tellement populaire dans son canton qu’aux dernières élections provinciales on n’a pas osé lui opposer de concurrent, bien qu’on n’eût pas demande mieux, n’a pas été jugé digne d’être continué dans ses fonctions de bourgmestre.

Un autre conseiller provincial également (erratum Moniteur belge n°75 du 16 mars 1843) très capable, très intègre, très zélé, a également été écarté des fonctions de bourgmestre. li est vrai qu’il avait eu le tort très grave de nos jours, de défendre contre le clergé le pouvoir civil dont il était le représentant, Et, chose étrange, on lui a donné pour successeur, un homme qui avait pris part à la même lutte dans le même sens, On a aussi eu la velléité d’écarter des fonctions de bourgmestre un troisième conseiller provincial, mais on n’a trouvé dans la commune personne qui voulût prendre sa place, et après beaucoup d’hésitations, on s’est enfin résigné à le nommer.

Une foule d’autres bourgmestres irréprochables sous le rapport administratif, ont été également éliminés, uniquement parce qu’ils appartenaient à l’opinion libérale. Je défie M. le ministre de l’intérieur, de citer le moindre grief administratif contre les anciens bourgmestres des Hermée, Houtain-St.-Simeon, Melin, Evegnée, Argenteau, et de beaucoup d’autres communes. Il est vrai que quelques-uns n’avaient pas voulu appuyer la candidature du commissaire de district pour le conseil provincial. C’était un crime qu’on ne pouvait leur pardonner.

Mais, dit-on (c’est encore le journal semi-officiel qui parle, et après lui le Moniteur), de quoi se plaint-on ? Le gouvernement n’a en définitive écarté que 111 bourgmestres ; les électeurs ont été beaucoup plus loin, ils en ont écarté 230.

Je comprends ! Parce que les électeurs froissés dans leurs intérêts, où dans leurs affections, par les choix faits en 1836, ont exclu du conseil les bourgmestres qu’on leur a imposés alors, il faut que le gouvernement, persistant dans une voie fatale, se venge en faisant les choix aussi impopulaires que ceux de 1836. Singulier moyen de gouvernement que celui qui perpétue le désaccord entre le pouvoir et le pays.

Mais de quel droit, s’il vous plaît, faites-vous la leçon aux électeurs ? de qui relèvent-ils, si ce n’est de leur conscience ? Doivent-ils comme vous compte de leurs actes ? Sont-ils comme vous responsables envers les chambres ? Tiennent-ils leur mandat des chambres ? ne sont-ce pas au contraire eux qui font chambres et ministres ? En vérité vous êtes bien osés de vouloir vous comparer à eux.

Je me souviens, messieurs, que, sous le ministère précédent, on avait, non pas révoqué, mais changé de résidence un fonctionnaire de l’ordre administratif. Que de plaintes, que de lamentations n’avons-nous pas entendues pour ce seul fait ? et ceux qui alors criaient le plus haut sont aujourd’hui muets en présence de la destitution de 111 bourgmestres. Ils sont muets. Que dis-je ? Ils approuvent.

Messieurs, ces destitutions brutales (je ne saurais leur donner un autre nom, car pour moi, ne pas continuer dans leurs fonctions des hommes qui s’en étaient acquittés consciencieusement et à la satisfaction de tous, c’est un acte qui équivaut à une destitution, c’est un acte odieux) ; ces destitutions brutales ont excité un mécontentement général.

Le temps nous apprendra si les services que M. le ministre de l’intérieur attend des nouveaux bourgmestres compenseront le mal qu’il s’est fait par les injustices commises envers tant d’hommes honorables. Quant à moi, je pense que les suffrages qu’il s’est aliénés par là sont bien plus nombreux que ceux qu’il obtiendra par l’influence des nouveaux bourgmestres. Si je ne voyais que l’intérêt du moment, j’adresserais donc, non pas des reproches, mais des remerciements au gouvernement. Mais je vois les choses de plus haut ; je vois les germes de désaffectation jetés dans le pays ; je vois la déconsidération du pouvoir, et je la déplore.

Messieurs, ce n’est pas seulement dans les nominations de bourgmestres que M. le ministre de l’intérieur cherche un point d’appui électoral. Nous l’avons vu à l’œuvre en 1839 ; alors comme aujourd’hui il cumulait le portefeuille de la justice avec un autre portefeuille. Mon honorable ami M. Delehaye doit s’en souvenir. Toutes les places de quelque importance furent alors laissées vacantes et promises en récompense à ceux qui montreraient le plus de zèle dans les élections. Le pays fut témoin de grands scandales.

Singulière coïncidence ! en 1839, à la veille des élections, M. Nothomb cumulait le portefeuille de la justice avec un autre portefeuille ; en 1843, également à la veille des élections, le même cumul se reproduit. On ne nous dira pas sans doute que ce cumul est l’œuvre de l’imagination ; c’est bien une réalité, et nous devons nous attendre à de nouveaux scandales.

M. le ministre de l’intérieur a reconnu que les moyens dont il disposait en 1839 sont devenus insuffisants en 1843. Les changements apportés à la loi communale, le parti qu’il a su en tirer ne le rassurent même pas. Il faut quelque chose de plus ; il faut fermer quelques-unes des issues que la loi électorale ouvre à l’opinion publique.

Une occasion se présente, elle est belle. Quelques hommes (loin de moi l’idée d’accuser le parti en masse), quelques hommes, inquiets comme M. le ministre de l’intérieur des symptômes qui annoncent la défection du corps électoral, ont imaginé, comme moyen de salut, de créer des électeurs à prix d’argent. Cette fraude, signalée à la tribune, laisse le ministère assez indifférent ; il ne cherche pas à remonter à la source, à connaître les auteurs de ces manœuvres. Un personnage éminent, investi de hautes fonctions, est accusé hautement d’y avoir coopéré, on ne lui demande pas d’explications on ne lui dit pas de se justifier, on le laisse à son poste, comme s’il avait fait la chose la plus simple et la plus légitime. Puis, pour tenir une promesse que par pudeur on a été forcé de faire, on vient nous soumettre les documents d’une enquête incomplète et dérisoire, on vient nous présenter un projet de loi qui, sous prétexte de réprimer la fraude contre laquelle nous nous étions élevés, diminue le nombre des électeurs, porte atteinte à leurs droits, les isole les uns des autres au moment décisif, leur interdit les manifestations mêmes les plus innocentes, enlève toutes garanties d’impartialité dans la composition des bureaux, et, chose monstrueuse, consacre l’intervention du pouvoir dans les opérations électorales.

Telle est, messieurs, la portée du projet qui nous est présenté par M. le ministre de l’intérieur. Nous le prouverons lors de la discussion des articles. Je ne suivrai pas pour le moment M. le ministre de l’intérieur dans les détails du projet ; je veux rester dans la discussion générale.

Ce projet a-t-il été imposé à M. le ministre de l’intérieur ? L’honorable M. Cools dit oui, M. le ministre de l’intérieur dit non, et cette fois, je suis assez porté à croire que M. le ministre de l’intérieur a raison ; ses sympathies pour le parti sur lequel il s’appuie me paraissent assez fortes pour qu’il ait fait de lui-même, et sans y être forcé une chose agréable à ce parti, pour qu’il ait été au devant de ses désirs. (On rit.)

Je l’avoue toutefois, nous connaissions assez M. le ministre de l'intérieur pour croire qu’il ne viendrait pas proposer sans arrière-pensée la répression des fraudes contre lesquelles nous nous étions élevées ; nous pensions (erratum Moniteur belge n°75 du 16 mars 1843) qu’il vaudrait mettre cette concession à prix, mais nous ne nous attendions pas à la payer aussi cher ; nous ne pouvions prévoir que l’on viendrait bouleverser la loi électorale, sous prétexte d’en rendre l’exécution plus régulière ; le projet est une des tentatives les plus audacieuses que M. le ministre de l’intérieur se soit encore permise, c’est une réforme électorale.

Le mot de réforme électorale a toujours effrayé la chambre, il serait surprenant qu’elle accueillît avec plus de faveur la chose cachée sous un autre nom ? Si l’on voulait toucher au fond de la loi électorale, il y avait des réformes plus rationnelles, plus équitables, plus conformes aux intérêts du pays, que celle que l’on nous propose ; il y en a une que j’ai constamment appelée et que j’appelle encore de tous mes vœux. Je n’en ferai pas ressortir en ce moment les avantages, ce serait peine perdue et je ne veux pas compliquer une discussion qui ne sera que trop longue, pour le peu de temps qui nous reste.

Toutefois j’ai lieu de m’étonner et de me plaindre de ce que M. le ministre de l’intérieur soit venu proposer incidemment l’ordre du jour sur les nombreuses pétitions qui sollicitent cette réforme. L’ordre du jour ! Mais y pensez-vous ? C’est là une des questions les plus graves qui puissent se présenter ; c’est une question qui recèle tout l’avenir du pays et vous voulez la joindre à un projet dont l’urgence est reconnue, à un projet que nous avons à peine le temps de discuter ! Une telle proposition ne saurait être sérieuse.

J’ignore quel sort la chambre réserve au projet de M. le ministre dé l’intérieur, mais quoi qu’elle fasse, je suis parfaitement tranquille ; je l’ai dit en commençant et je le répète « le sort des partis qui ne savent pas se résoudre à quitter le pouvoir lorsqu’ils ont fait leur temps, est de prendre, dans l’intérêt de leur conservation, des mesures qui avancent presque toujours le moment de leur chute. »

L’opinion publique saura se faire jour.

M. Malou, rapporteur. - Le projet dont nous nous occupons est une œuvre de bouleversement et de réaction qui ne peut que jeter dans le pays des ferments d’irritation ; il y a des arrière-pensées cachées sous les dispositions qu’il contient ; ces dispositions elles-mêmes sont perfides ; c’est une loi de défiance et de suspicion. Ces qualifications, messieurs, que l’on vient de donner au projet sont-elles méritées ? Le projet se réduit, à mon avis, à trois questions bien simples. Je pourrais demander s’il n’y a pas unanimité dans cette chambre pour que les auteurs de déclarations faites indûment (je ne veux pas dire frauduleusement), pour que les auteurs de déclarations faites indûment, ne puissent profiter de ces déclarations, y a-t-il unanimité pour que les listes électorales soient parfaitement régulières ? Y a-t-il unanimité pour que les opérations électorales soient promptes et paisibles et pour que tous les citoyens puissent exercer leurs droits avec la même facilité ? Voilà, messieurs, les seules questions qui soient résolues par le projet.

Le caractère du projet me semble donc avoir été méconnu par plusieurs des orateurs qui ont pris part à la discussion. C’est une loi d’ordre, une loi qu’il est de l’intérêt de toutes les opinions de voir adopter ; ce n’est pas une loi de parti, tous les partis ont un intérêt égal à ce que les listes soient régulières, à ce qu’elles ne contiennent que des citoyens possédant la capacité électorale, à ce que les opérations soient promptes et régulières et à ce que tous puissent y prendre facilement part.

On a attribué cette loi, messieurs, à un parti qui aurait l’intention de modifier continuellement les institutions du pays. Cette observation m’aurait peu étonné, messieurs, de la part des membres de cette chambre, qui ont combattu les modifications proposées l’année dernière à la loi communale, mais elle m’a fort étonné de la part d’un honorable membre qui dans cette discussion a soutenu plusieurs des modifications proposées.

L’on a également voulu faire faire de cette question une question de parti. Je sais que malheureusement dans l’opinion de beaucoup de membres, elle a pris ce caractère. Mais, messieurs, c’est qu’elle a été dénaturée, car c’était en réalité une question d’ordre, de pouvoir et de gouvernement. Ce qui le démontre, c’est que des hommes éminents de l’opinion que l’on désigne, ont voté contre des modifications apportées à la loi communale,

J’aborde, messieurs, les principales questions de principe que soulève le projet. La première est celle que soulève l’art. 2. La loi consacre-t-elle le mensonge, légitime-t-elle la fraude ? Fait-elle, au contraire, tout ce qu’il était possible de faire aujourd’hui pour la réprimer ? Je pense, messieurs, que c’est dans le dernier sens que la question doit être résolue. Il me paraît d’abord évident que si le système de la possession des bases légales de l’impôt pouvait être introduit dans notre législation, cela nécessiterait des modifications profondes dans la loi électorale et dans nos lois d’impôt. En France où ce système existe, les délais sont différents, la procédure est complètement organisée. En France, ce ne sont pas des corps électifs, ce sont des corps judiciaires inamovibles, qui apprécient la possession des bases légales de l’impôt. Pouvions-nous, lorsqu’il reste à peine 15 jours aux deux chambres pour examiner la loi, aborder sérieusement la discussion de ce système ? Je dis, messieurs, qu’il y avait là une impossibilité matérielle.

Il ne faut pas non plus perdre de vue le véritable caractère des faits qui se sont passés. Je disais tantôt que je ne voulais pas nommer frauduleuses les déclarations dont il s’agit, je les ai qualifiées à dessein de déclarations indues. Tout en flétrissant la fraude (et il y a toujours eu dans cette chambre unanimité pour la flétrir), il ne faut pas méconnaître les droits de la bonne foi. On a cru, on a pu croire et je dirai presque l’on a dû croire qu’il suffisait de payer le cens, que la possession des bases légales n’était pas requise. D’ailleurs messieurs, il y aurait encore plus d’une distinction à faire : Qualifierez-vous de même le fait d’un citoyen atteignant le cens à quelques centimes près, qui supplée ces centimes et le fait de celui qui ne possédant aucune base imposable, se fait l’instrument d’un tiers qui paie des contributions pour lui donner le droit électoral ?

Il y a là une différence essentielle ; il serait injuste de qualifier de la même manière des faits aussi différents par leur origine, par le mobile qui fait agir leurs auteurs.

On ne pouvait, disais-je, messieurs, faire autre chose que ce que l’on a fait, parce que le temps manquait, parce qu’il aurait fallu introduire des modifications très importantes non seulement dans la loi électorale, mais aussi dans les lois de finance ; d’un autre côté, la section centrale a déclaré qu’elle n’entendait pas poser un principe permanent et absolu, qu’elle n’entendait pas décider que le seul paiement du cens suffit pour donner le droit électoral ; plusieurs de ses membres ont pensé au contraire que l’avertissement contenu dans la loi qui nous occupe préviendrait désormais les faits qui ont été signalés.

Je demanderai d’ailleurs aux honorables membres qui combattent la loi, de bien vouloir formuler le système qu’ils préfèrent, alors nous pourrons examiner ce système, mais tant qu’ils ne le font pas, force nous est de nous en tenir à l’art. 2, tel qu’il a été présenté par le gouvernement.

Les dispositions qui ont été le plus critiquées dans la séance d’aujourd’hui, ce sont celles des art. 6 et 7 du projet qui concernent l’appel des commissaires d’arrondissement et le pourvoi du gouverneur. S’il s’agissait de donner au commissaire d’arrondissement un droit qui n’appartient pas aux particuliers, je concevrais jusqu’à un certain point les appréhensions qui ont été manifestées. On a fait remarquer avec raison qu’il fallait égaliser les positions de manière qu’il y eût équilibre entre l’opinion à laquelle pourrait appartenir le commissaire d’arrondissement et l’opinion contraire ; c’était là l’objection la plus sérieuse, j’allais presque dire : la seule objection qui ait été produite contre l’appel du commissaire d’arrondissement ; et vous voudrez bien remarquer, messieurs, que d’après le projet de la section centrale, cette égalité se trouve aujourd’hui établie.

On a trouvé quelque anomalie à ce que le commissaire d’arrondissement agisse contre une personne qui ne veut pas être inscrite. On a supposé même (et c’est l’honorable M. Savart qui a fait cette supposition, dans la séance d’hier), qu’il s’agissait de forcer les citoyens à voter ; messieurs, il n’en est rien.

Le commissaire d’arrondissement exercera son appel, de manière à ce qu’il n’y ait pas d’inscription indue, et à ce que tous les ayants droit soient inscrits ; mais de ce que les ayants droit sont inscrits, il n’en résulte pour eux aucune obligation de voter.

Un des motifs qu’on a donnés en faveur de l’appel, me paraît être resté sans réponse. Il y a aujourd’hui à côté du droit électoral, un autre droit que beaucoup de citoyens considèrent comme une charge très lourde, je veux parler du jury. On s’abstient très souvent de se faire inscrire, on renonce au droit politique pour ne pas subir cette charge. Sous ce rapport encore l’appel d’office produira d’utiles résultats.

L’on a exprimé la crainte que ce droit nouveau ne paralyse l’exercice du droit électoral ; l’on s’est demandé ce qui adviendrait si la députation était partagée sur le jugement des réclamations ; et l’on a cité une circonstance où le partage a eu lieu.

Messieurs, cette objection porte plus loin que le projet actuel, elle fait le procès à la loi provinciale qui ne contient aucune disposition pour le cas où la députation est partagée. Je crois que l’on devrait y pouvoir établir, par exemple, ordre d’appel des conseillers provinciaux. C’est là, du reste, un cas fort exceptionnel. Je ne crois pas qu’on puisse en citer plus d’un exemple

Quant au principe de l’article en lui-même, je conçois toutes les appréhensions contre l’intervention active du gouvernement dans les élections. Toutes les opinions ont un égal intérêt à l’écarter, parce que le ministère est soutenu tantôt par une opinion, tantôt par une autre.

S’il s’agissait de donner au gouvernement une action réelle, je serais le premier à m’y opposer. Mais il ne s’agit nullement de cela. Il s’agit de créer une sorte de ministère public pour la régularité des listes. Le commissaire d’arrondissement, d’après les pièces qui lui seront remises, examinera si tous les individus portés sur les listes ont droit à y figurer ; s’il ne faut pas y porter des individus non inscrits ; et des corps placés entièrement en dehors de l’action du gouvernement décideront sur l’appel. C’est donc, je le répète, une espèce de ministère public créé pour la régularité des listes. Assurément un tel pouvoir ne peut causer d’ombrage à aucune opinion.

Quant au pourvoi du gouverneur, deux objections ont été faites :

On a dit qu’il était inconvenant que le gouverneur qui avait été un des juges avec la députation, eût le droit de se pourvoir en cassation, et que l’on faisait ainsi connaître l’opinion du gouverneur.

Je pense que ces objections ne sont pas fondées. En effet, le gouverneur exerce déjà aujourd’hui un recours contre des décisions auxquelles il prend part. Il en est ainsi dans les cas prévus par la loi provinciale. L’on me dit que le gouverneur n’intervient pas alors comme juge.

Mais je crois que le gouverneur juge, en matière de milice, avec la députation, et l’un de nos honorables collègues a proposé un projet de loi tendant à autoriser le recours en cassation, parce que la nécessité en a été sentie.

L’on ne fait nullement connaître l’opinion du gouvernement, car il s’agit d’une action qu’un gouverneur exerce, quelle que soit son opinion. Il est arrivé maintes fois qu’en matière administrative un gouverneur s’est pourvu contre sa propre opinion. Il en pourra être de même ici

L’intervention du gouvernement se manifeste encore, nous dit-on, par la formation des bureaux secondaires.

Faut-il créer trois listes de fonctionnaires appelés à constituer les bureaux de sections ? ou faut-il n’en former qu’un seul ?

Je dirai, comme l’honorable ministre de l’intérieur, que le point principal, c’est de permettre que les bureaux soient constitués d’avance, c’est d’éviter la perte considérable de temps qu’on fait souvent dans les bureaux, parce que la loi de 1831 n’a pas pris cette précaution.

L’on doit, du reste, se garder de frapper d’exclusion une catégorie de fonctionnaires.

Il fallait nécessairement, comme le fait le projet, déterminer un ordre d’appel ; les bourgmestres étant choisis ordinairement parmi les hommes les plus capables des conseils communaux, il y avait là une raison de les appeler en premier lieu.

Les électeurs des villes seront, dit-on, contrôlés par les électeurs des campagnes ; le commissaire d’arrondissement aura aussi le droit de former les bureaux.

En présentant ces objections l’on oublie que la loi électorale indique les règles qui doivent être suivies par le commissaire d’arrondissement pour former les sections. Les électeurs ne peuvent pas être répartis arbitrairement.

En outre, le commissaire d’arrondissement, voulût-il composer certains bureaux à sa manière, ne serait jamais certain d’obtenir un résultat. Rien n’oblige, en effet, le fonctionnaire inscrit sur la liste, à se présenter au jour de l’élection. Il y a plusieurs chances contre une que le vœu du commissaire d’arrondissement ne pourrait que rarement se réaliser.

L’art. 10 qui interdit le port de signes de ralliement a été aussi l’objet de plusieurs critiques.

Je reconnais que les expressions en sont très larges, je reconnais qu’il serait peut-être désirable que, sans manquer le but que le gouvernement et la section centrale se sont proposé, l’on pût mieux circonscrire le délit. Je me réserve d’examiner les amendements qui pourront être présentés sur ce point.

Il me paraît, du reste, qu’on a quelque peu forcé le sens de ces expressions déjà très larges. Ainsi, par exemple, l’on a demandé si c’était un signe de ralliement d’exhiber une carte pour un dîner, si c’était un signe de ralliement de se placer dans la voiture d’un candidat. Tel ne peut évidemment pas être le sens naturel des mots : « signe de ralliement. »

Je viens aux deux questions que le gouvernement n’avait pas résolues dans le projet qu’il a présenté, et que la section centrale a cru devoir résoudre.

A la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur s’est prononcé contre la création d’un papier spécial pour les élections ; il s’est rallié au principe de la simultanéité du vote, mais il a proposé un autre mode d’exécution.

Le papier électoral n’est pas un remède universel, et l’on a tort de lui demander d’être un remède universel ; mais ce qu’il ne faudrait pas contester, c’est qu’il prévient l’une des fraudes les plus générales et les plus faciles, et empêche un des moyens les plus ordinairement employés pour reconnaître si un électeur, qui est dominé par une influence quelconque, sait bien la loi qu’on lui a imposée.

Le secret du vote est si précieux qu’il ne faut négliger aucun moyen de l’assurer de plus en plus ; les moyens proposés fussent-ils insuffisants, incomplets, ne doivent pas être rejetés pourvu qu’ils aient quelques résultats.

Il y avait, d’ailleurs, dans la pensée de la section centrale une certaine connexité entre le papier électoral et la simultanéité du vote ; il y avait connexité en ce sens qu’en créant le papier électoral, on diminuait de beaucoup les chances d’erreurs que présente le vote simultané.

Le principe de la simultanéité a été peu contesté jusqu’à présent. Je crois que c’est un principe juste, libéral, conforme à l’esprit de nos institutions.

L’on nous cite le système français, mais l’on oublie qu’une différence radicale existe entre le système électoral français et le nôtre. Le système français peut être appelé aristocratique, si on le compare à celui qui nous régit. Le cens est beaucoup plus élevé ; les collèges sont fractionnés ; l’électeur par sa position de fortune peut être assujetti à quelques dépenses. En Belgique, au contraire, le cens est bas, les collèges ont des opérations plus complètes, puisque certains d’entre eux ont à élire huit et même dix candidats en un jour.

Quant aux divers modes proposés pour mettre à exécution le principe de la simultanéité du vote, après y avoir beaucoup réfléchi, je persiste à préférer celui de la section centrale, à celui que M. le ministre de l’intérieur a présenté dans la séance d’hier.

D’abord, la connexité du papier électoral avec le système de M. le ministre, est beaucoup plus étroite qu’avec le système de la section centrale.

Si un signe extérieur, si la couleur du papier, par exemple, indiquait à l’électeur que tel bulletin est pour le sénat, et tel autre pour la chambre des représentants, on concevrait qu’on lui présentât deux boîtes pour voter en même temps ; mais si le papier est uniforme, il faut en venir à autoriser des désignations extérieures sur le bulletin ; et c’est là, dans mon opinion, aller en sens inverse du but de la loi. C’est ajouter, aux moyens déjà trop nombreux qu’on a aujourd’hui d’éluder le secret du vote, un moyen nouveau qui sera exploité avec la plus grande facilité.

Ce mode, pour les électeurs, n’est pas plus facile que celui proposé par la section centrale. Je demande quelle difficulté a l’électeur le faire un seul bulletin au lieu de deux ? Or, voilà toute la dérogation qu’on apporte à ses habitudes.

L’on déclare que le bulletin portant d’autres désignations extérieures que celles autorisées par la loi ou des désignations qui ne seraient pas écrites à l’encre noire pourra être refusé par le président. Cette disposition donnera lieu à beaucoup de difficulté. Ce bulletin devra être examiné et sera reconnu par tout le bureau, le secret n’existera plus et la délibération sur le point de savoir si des bulletins seront reçus pourra occasionner des retards.

Quels que soient les moyens que la chambre croira préférables, il me paraît que si elle adopte le principe de la simultanéité du vote sans admettre le papier électoral, il deviendra nécessaire de créer une présomption légale, en disant que les premiers noms inscrits sur le bulletin sont attribués à l’élection des sénateurs et que le bulletin qui ne contiendra des candidats que pour l’une des chambres, n’entrera pas en ligne de compte afin de déterminer le nombre des votants pour l’autre chambre. Je soumets dès à présent cette idée à mes honorables collègues, je crois que des amendements conçus en ce sens devront être présentés.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1843

Rapport de la section centrale

M. Brabant. - J’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport sur le budget de la guerre pour l’exercice de 1843. (Les conclusions !)

Les conclusions sont l’allocation d’un crédit global de 27 millions de francs. Le budget a été examiné en détail, les réductions partielles s’élèvent à 3,160,000 francs environ. Afin de faciliter la transition d’un système à l’autre, la section centrale a alloué 700 mille francs environ au-delà du chiffre des divers articles tels qu’elle les a admis. Ce crédit est pour toute l’année. Le projet de loi contiendra un article annulant les crédits déjà votés.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La discussion en est fixée après la loi dont la chambre s’occupe maintenant.

La séance est levée à 4 heures et demie.