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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 mars 1843

(Moniteur belge n°75, du 16 mars 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Joseph Dégenève, tisserand et garde-champêtre, à Lamorteau, né à Montmedi (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des membres du conseil communal et des électeurs de Saintes présentent des observations relatives à la nomination du bourgmestre de cette commune. »

M. Mercier. - Messieurs, le conseil communal de Saintes et la plupart des électeurs de la même commune se plaignent de ce que leur ancien bourgmestre, le baron Pouderlé, a été écarté lors des dernières nominations. Je sais quel est le sort généralement réservé à ces sortes de réclamations ; cependant M. le ministre de l’intérieur ayant déclaré dans notre séance d’hier que peut-être des erreurs avaient été commises, que sa religion pouvait avoir été surprise, je crois pouvoir appeler son attention sur la réclamation dont je viens de parler. Le baron Pouderlé, ancien bourgmestre de la commune de Saintes est un homme éclairé du caractère le plus honorable ; aucun magistrat communal n’a été plus dévoué que lui à ses fonctions, aucun n’a rendu plus de services a ses administrés. Aussi ces derniers l’entourent de leur attachement et de leur respect. Lorsque les élections communales ont eu lieu, il a été réélu à l’unanimité moins une seule voix. Plus tard, lors de son élimination, le conseil communal lui a manifesté sa reconnaissance des services qu’il a rendus à la commune et en même temps le regret de ne plus le voir à la tête de l’administration municipale.

Je crois donc que la religion de M. le ministre a été réellement surprise, car je ne puis concevoir quel motif il aurait eu pour écarter un homme aussi généralement estimé. Je ne veux inculper les intentions de personne, mais il y a évidemment erreur ou calomnie, et je prie M. le ministre de prendre de nouvelles informations sur cette affaire. J’attends de sa loyauté qu’il se livre à un examen sérieux de tout ce qui est relatif à cette nomination.

- La pétition est renvoyée à la commission.


« Les membres du conseil communal de Marie-Lierde présentent de observations contre la nomination du bourgmestre de cette commune faite en dehors du conseil. »

- Sur la proposition de M. Vandenbossche cette pétition est renvoyée à la commission, avec demande d’un prompt rapport.


« Le sieur Gelens, major pensionné, à Louvain, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Timmerman demande un subside peur ses travaux de défrichement de la bruyère de Westwezel. »

M. Osy. - Messieurs, comme la session paraît ne plus devoir être longue et qu’il importe que la chambre se prononce sur cette pétition avant de se séparer, je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

- La pétition est renvoyée à la commission, avec demande d’un prompt rapport.


M. de Villegas s’excuse de ne pouvoir assister à la séance.

- Pris pour information.

Projet de loi ayant pour but d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale du 3 mars 1831

Discussion générale

M. Mercier. - Des tentatives ont été faites pour altérer la représentation nationale et fausser notre régime constitutionnel, cette conquête si précieuse de notre émancipation politique ; elles ont été dénoncées dans cette enceinte, alors que déjà elles avaient ému les amis sincères de nos institutions, et que des protestations s’élevaient de toutes parts contre leur existence ; ces fraudes, on ne peut le méconnaître, prenaient un caractère de gravité qui menaçait de devenir compromettant pour la tranquillisé publique, et dangereux pour l’avenir de notre jeune Belgique. Lorsque j’ai cru qu’il était de mon devoir de député loyal et de bon citoyen, d’appeler l’attention sérieuse de la chambre et du gouvernement sur les abus coupables qui se préparaient, je n’obéissais pas à la simple impulsion de nécessités actuelles ; mes regards se portaient plus loin dans les destinées de mon pays ; je voyais les abus grossir d’année en année et miner par sa base notre édifice social. Si aujourd’hui des individus isolés, aveuglés par l’esprit de parti, prodiguent leur or pour créer de faux électeurs, demain d’autres plus nombreux useront de représailles, de puissantes associations se formeront dans le même but, et alors à cette haute confiance, qui doit être le prix des services les plus éminents, des dévouements les plus désintéressés, qui doit exciter une noble émulation chez ceux qui briguent l’honneur de représenter leur pays, succédera une lutte ignoble d’intrigue et de corruption, qui porterait à la morale publique une aussi grave atteinte qu’au principe constitutionnel. Qui sait même si la trahison ne s’emparerait pas un jour de cette arme qu’un gouvernement imprévoyant aurait abandonnée à celui qui voudrait la saisir pour la tourner contre notre indépendance ; la Belgique ne serait pas le premier pays où l’étranger aurait cherché à se ménager de perfides influences.

Pour conjurer ces dangers, de simples palliatifs sont insuffisants ; il faut attaquer le mal à sa racine. En vain, pour atténuer l’importance des faits révélés, on nous présente les résultats d’une enquête formée dans les neuf provinces du royaume, alors qu’il ne peut être question en ce moment que de celles dans lesquelles des élections générales doivent avoir lieu cette année ; en vain, M. le ministre de l’intérieur, n’envisageant que les résultats généraux et n’ayant entre les mains qu’un simulacre de rapport de la part du fonctionnaire qui préside à l’administration de la province dans laquelle les fraudes les plus nombreuses ont été commises, est venu déclarer à la chambre qu’il s’estime heureux d’annoncer que les faits n’ont ni la gravité, ni surtout l’étendue qu’on leur a supposées ; il est constant que dans trois des quatre provinces qui sont appelées à élire des députés au mois de juin prochain, les cas de fraude sont assez nombreux pour que les chambres se préoccupent vivement des moyens de les faite cesser ; ce serait d’ailleurs, je le répète, se faire illusion que de croire qu’une fois l’impulsion donnée, le mal ne se propagera pas dans les autres provinces et ne cherchera pas à se répandre dans toutes les localités du royaume.

Les réflexions auxquelles je viens de me livrer indiquent assez que je ne pourrais adopter comme mesure définitive la disposition de l’art. 2 du projet du gouvernement, qui se borne à exiger la possession du cens pendant les deux années qui précèdent celle de l’élection. Si je l’admets comme mesure provisoire et transitoire, ce sera sous la réserve qu’il est bien entendu qu’elle ne légitime pas la fraude, que celui qui ne possède pas les bases de l’impôt viole la loi dans son principe, et que l’urgence seule nous empêche de combiner les moyens nécessaires pour régler formellement le droit électoral dans cet esprit.

Cette opinion, je n’en doute pas, sera unanime dans cette chambre, comme elle l’a été dans la section centrale, qui a reconnu que si la qualité d’électeur pouvait être acquise par le seul fait du paiement du cens, nos institutions constitutionnelles seraient faussées, que l’on pourrait voir se former, à l’abri de la légalité même, des majorités qui ne seraient point la représentation sincère du pays ; j’ai regretté que le gouvernement n’ait pas devancé la section centrale par une déclaration semblable dans l’exposé des motifs du projet de loi. Je sais bien que ces réserves et ces déclarations n’établissent pas une sanction légale contre la fraude, mais du moins, après de pareilles manifestations, ses fauteurs n’échapperont plus à la sanction de l’opinion publique, ni à celle de leur conscience ; il en sera de cette fraude comme de toute mauvaise action, que la loi n’est pas encore parvenue à atteindre, mais qui est condamnée par la morale.

Du reste, je pense que l’art, 2, tout en conservant le caractère qui lui est donné, est susceptible d’une amélioration importante.

Cet article n’est pas seulement défectueux en ce qu’il ne réprime pas la fraude qui s’est renouvelée pendant deux années consécutives, mais encore en ce qu’il prive injustement du droit électoral une foule de citoyens qui possèdent les bases de l’impôt depuis le 1er janvier 1842.

Il résulte de l’enquête, conforme en cela à presque tous les faits connus antérieurement, que la plupart des déclarations mensongères pour la contribution personnelle et le droit de patente ont été faites pendant le deuxième semestre de 1842 ; s’il en est ainsi, pourquoi la disposition de l’art. 2 ne serait-elle pas conçue de manière à n’écarter des listes électorales que ceux qui n’auraient complété le cens que pendant les six derniers mois ? On ferait ainsi disparaître le principal vice de cet article ; on le ferait sans aucun inconvénient, du moment que l’on admet que la disposition qu’il consacre n’est que provisoire.

Je ne présenterai pas d’amendement en ce moment ; j’écouterai si des objections sérieuses peuvent être présentées contre cette modification.

Il est constant que parmi les électeurs qui peuvent figurer sur les listes, en vertu de déclarations faites pendant le premier semestre, les quatre-vingt-dix-neuf centièmes ont des droits réels à cette qualité, tandis que le contraire a lieu vis-à-vis de ceux qui ont voulu l’acquérir par des déclarations formées pendant le second semestre ; il est vrai qu’on nous a cité la commune de Romsée dans laquelle des individus notoirement insolvables ont signé des déclarations pour être soumis à des impôts qu’ils savaient ne pouvoir acquitter, et ce dans le but d’acquérir le droit électoral ; évidemment ce serait fausser l’esprit de la loi que de porter ces individus sur les listes électorales ; une pareille manœuvre ne serait d’ailleurs pas déjouée par le projet de loi ; j’engage donc M. le ministre de l’intérieur à donner des instructions pour que de tels individus ne soient pas admis à faire partie du corps électoral ; c’est là une fraude tellement patente que rien ne doit s’opposer a ce qu’elle soit ouvertement réprimée.

La sincérité des élections doit être le but commun de nos efforts ; j’approuverai toute disposition qui tendra loyalement à le faire atteindre ; ainsi je n’hésiterai pas à adopter les dispositions des art. 4 et 5 du projet, avec l’amendement proposé à ce dernier article par la section centrale ; elles mettent à la disposition des autorités et de chacun toutes les pièces qui peuvent les éclairer sur la validité des inscriptions ; j’accepte aussi l’art. 8, qui fait fixer, par arrêté royal, l’heure de la convocation du collège électoral ; l’art. 12 qui est relatif à la présidence des bureaux par les juges de paix ou leur suppléant, et l’art. 15 qui facilite le vote des électeurs les plus éloignés du siège électoral.

Je présenterai quelques observations sur le droit d’appel que l’on propose de déférer aux commissaires de district.

A côté de toute mesure qui, dans l’intérêt général, donne une nouvelle prérogative au gouvernement, il est désirable que la sincérité du but que l’on annonce vouloir atteindre, soit attestée par quelque garantie donnée au pays, jaloux de conserver ses institutions intactes. Ainsi, l’art. 6 du projet du gouvernement accorde aux commissaires de district un droit d’appel auprès de la députation permanente contre toute inscription, omission ou radiation indue ; on ne peut se dissimuler que le commissaire de district est un fonctionnaire essentiellement politique : on doit donc comprendre la crainte manifestée qu’il ne fasse usage de ce droit qu’en faveur de tel ou tel parti, selon l’impulsion de son opinion personnelle ou de celle d’un ministère qui aurait intérêt à fausser les élections ; voulant obvier à l’abus sans priver le gouvernement d’une intervention qui peut être utile dans certains cas, j’ai proposé, dans ma section, d’accorder la même faculté à tout individu jouissant de ses droits civils et politiques.

Je m’applaudis de ce que la section centrale, à l’unanimité, ait introduit dans le projet une disposition qui consacre ce droit.

Mais il est un autre point du même article sur lequel j’appellerai spécialement l’attention de la chambre : le droit conféré au commissaire de district et en outre, selon le projet de la section centrale, à tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques ne concerne pas seulement toute inscription indue, mais aussi toute radiation ou omission ; à l’égard des inscriptions indues il y a eu publicité, et tout citoyen a pu se pourvoir en réclamation ; les radiations ne peuvent, à la vérité, être opérées que par suite des réclamations auxquelles la publication des listes a donné lieu, mais il se peut que de nouvelles preuves contraires aux renseignements puisés dans les rôles, ou ailleurs, par le commissaire de district, puissent être fournis par d’autres citoyens, pour maintenir ces radiations contre son avis. Cette observation a plus de force encore à l’égard des omissions indues ; là il n’y a eu aucune publicité ; il se peut que les renseignements recueillis par le commissaire de district soient inexacts ; cela est d’autant plus à craindre que très souvent les rôles fournis n’indiquent pas le nom du véritable propriétaire. Il est un moyen de faire disparaître ces inconvénients, du moins en grande partie : il consiste à insérer dans la loi des dispositions pour que le commissaire de district et tout citoyen, faisant usage du droit d’appel, soient tenus d’envoyer à l’administration communale du lieu du domicile des intéressés une copie des réclamations adressées à la députation permanente ; que l’administration soit obligée de faire afficher les noms des individus rayés ou omis, et de soumettre à l’inspection du public la copie des réclamations du commissaire de district ou des particuliers à l’effet de faire connaître les motifs sur lesquels on s’est appuyé pour faire réintégrer ces individus sur les listes électorales ; et enfin que chacun alors ait le droit d’adresser, pendant dix jours, des renseignements contradictoires à la députation permanente.

Je soumets aussi ces moyens de publicité à l’appréciation de la chambre, avant de formuler un amendement, pour les introduire dans la loi.

Une autre disposition du projet peut encore être utilement modifiée. On nous dit « que les opérations électorales dans les bureaux divisés en plusieurs sections ont souvent éprouvé des retards multiples, par suite des difficultés que l’on rencontrait dans la formation des bureaux secondaires. »

C’est un inconvénient auquel je conviens qu’il faut porter remède. Votre motif n’est-il, en effet, que d’empêcher des retards, je m’y associe ; il faut rendre pour tous aussi facile que possible l’exercice du droit électoral ; nous voulons que le déplacement des électeurs soit rendu peu onéreux et de courte durée ; nous sommes donc d’accord sur ce point ; mais pour atteindre ce but, il n’est pas nécessaire que le bureau se compose exclusivement de bourgmestres.

M. le ministre de l’intérieur s’est montré disposé à accepter un amendement à cet article ; je pense qu’il doit consister à faire fixer le choix des scrutateurs indistinctement sur les bourgmestres, les échevins et les conseillers, selon l’ordre de leur âge. Il ne faut pas une bien grande instruction pour exercer la charge de scrutateur, et ceux qui croiront la tâche trop difficile pourront se récuser.

Quoi qu’on en dise, on ne peut s’empêcher de voir dans les articles 9, 10 et 13 du projet un caractère de défiance vis-à-vis du corps électoral, ou du moins d’une partie notable de ce corps. Pourquoi placer une barrière infranchissable entre les électeurs des campagnes et ceux du chef-lieu du district électoral ? Contestera-t-on que le choix d’un candidat se forme par une sorte de convention, résultat d’influences et de transactions diverses dans la masse des électeurs ? S’il en est ainsi, pourquoi vouloir les isoler les uns des autres ? Pourquoi défendre à un membre du corps électoral de se présenter dans une autre section que la sienne ? Pourquoi laisser toute action à l’influence étroite de la localité, et en lever tout moyen de s’éclairer réciproquement des hommes qui doivent concourir à un même acte qui ont le même intérêt à la chose publique ? Pour redouter à ce point le contact des électeurs, il faudrait les supposer ou bien pervers ou bien ignorants. Une loi politique qui reposerait sur un pareil fondement serait une injure au caractère national ; l’appliquer à un peuple moral et éclairé, serait, en outre, une grande injustice.

Quelque ennemi que je sois du désordre et des moyens d’intimidation, je n’aurais pas accepté les dispositions vagues de l’art. 10 du projet ; elles ouvrent le champ le plus vaste à l’arbitraire ; elles laissent le juge dans l’ignorance de ce qu’il doit réprimer, et l’électeur dans l’incertitude de ce qui sera considéré comme une contravention soumise aux pénalités établies. M. le ministre de l’intérieur a annoncé qu’il consentirait à des modifications à cet article ; pas plus que le gouvernement nous ne voulons de ces démonstrations triviales qui déshonorent plus encore ceux qui les font que ceux qui en sont l’objet ; mais il ne faut pas qu’on aille au-delà du but avoué ; j’attendrai la nouvelle rédaction qui sera proposée ; cependant je ne puis m’empêcher de me demander où se sont commis ces actes menaçants pour la tranquillité publique, pour l’indépendance de l’électeur, qui exigent des mesures de répression aussi contraires à la liberté ? L’exposé des motifs n’en fait aucune mention, et, en effet, il eût été difficile d’en citer, car, dans aucun pays, les élections ne se font avec autant de calme et de convenance qu’en Belgique.

Croit-on, messieurs, que c’est en isolant l’électeur, en enchaînant chacun de ses pas, en l’entourant de pénalités, que l’on parviendra à calmer les passions politiques ? N’est-il pas à craindre plutôt que de pareils moyens, qu’à tort ou à raison on croit dirigés contre une seule opinion, ne servent qu’à alimenter des divisions qui, un jour peut-être, deviendraient funestes à notre nationalité ? C’est l’amour de nos institutions qui doit rendre de plus en plus précieuse pour le pays l’indépendance qu’il s’est acquise ; c’est là le sentiment dont il faut échauffer le cœur des Belges, ce sentiment qui élève une nation, qui rend ses membres capables des actes de dévouements les plus sublimes quand il s’agit de l’intérêt public, quand la patrie est menacée. Pour aimer les institutions du pays, il faut avoir foi en elles, il faut compter sur leur stabilité ; et qui donc doit donner l’exemple de cette foi dans nos institutions, si ce n’est le gouvernement lui-même ? Des innovations dont une longue expérience n’a pas démontré la nécessité, des restrictions apportées à la libre action des assemblées électorales, ne sont pas un témoignage de confiance dans nos institutions ; elles ne peuvent, au contraire, que faire naître le doute et comprimer le développement de l’esprit de nationalité. Si aujourd’hui la division des partis est plus vivace que jamais, ce n’est pas à l’insuffisance des lois qu’il faut attribuer cet état de choses ; si des symptômes de surexcitation se manifestent, c’est que les partis sont abandonnés à eux-mêmes sans qu’un pouvoir modérateur, entouré de la confiance du pays, vienne, par une sage influence, s’imposer entre eux ; c’est qu’on ne croit pas à l’impartialité, à l’indépendance et à la fermeté de ceux qui sont à la tête des affaires ; c’est que le cabinet, tel qu’il est composé, n’exerce aucun ascendant moral sur la nation.

Chez nous, les opinions extrêmes ne forment qu’une imperceptible minorité ; l’immense majorité des citoyens se compose d’hommes modérés qui aiment le calme et la tranquillité, qui sont ennemis des divisions et qui ne demandent qu’à s’entendre dans l’intérêt commun. Mais pour amener cette fusion, il faut que chaque opinion sache qu’on ne lui tend pas un piège, que des paroles de paix et d’union ne cachent par un moyen d’oppression. Est-ce, le cabinet actuel qui donnera cette garantie ? Est-ce lui qui inspirera cette méfiance indispensable pour opérer une réconciliation entre tous les hommes modérés, pour rallier l’immense majorité de la nation ? La voix publique ne crie-t-elle pas assez haut, qu’il ne lui est pas donné d’accomplir cette tâche, d’atteindre ce résultat, objet des vœux de tous les bons citoyens ?

J’arrêterai là mes observations ; j’espère que la chambre, animée d’un esprit de prudence et de modération, modifiera quelques-unes des dispositions du projet ; en attendant, je réserve mon vote.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis ne touche point, il est vrai, aux bases essentielles de notre système électoral, mais il n’en est pas moins de la plus haute importance politique. Non seulement il tend à apporter des modifications à plusieurs articles de notre loi d’élection, loi que nous devons au congrès national, mais il touche à la formation des listes électorales, à celle des bureaux, et il introduit des principes nouveaux dans cette matière. Il ne faut donc point s’y tromper, ce projet, sous un titre modeste, mérite de fixer toute l’attention de la législature.

Quand il s’agit de décider si l’on modifiera les dispositions, même les moins importantes d’une loi fondamentale, et surtout de la loi électorale, qui forme la base du gouvernement représentatif tout entier, il me semble qu’il importe d’abord d’examiner soigneusement si les abus sont assez graves, assez nombreux pour nécessiter un prompt changement à la législation ; il faut ensuite avoir la conviction que les dispositions nouvelles qu’il s’agit d’introduire remédieront au mal et n’entraîneront pas en compensation des inconvénients aussi fâcheux, peut-être, que ceux que l’on veut extirper. Quant à moi, telle est la règle de conduite que je me suis tracée et que je suivrai dans l’appréciation du projet de loi que nous discutons. Je ne voterai que les dispositions qui me paraissent indispensables sans présenter de graves inconvénients ; si je restais dans le doute à cet égard, je préférerais me prononcer pour le maintien de la législation actuelle, et, je dois le dire tout d’abord, il y a plusieurs des dispositions, du projet qui sont loin de me paraître suffisamment justifiées.

Vous connaissez- tous, messieurs, les faits qui ont été la cause de la présentation du projet de loi. En décembre, dernier on fut informé tout à coup que des fraudes nombreuses se pratiquaient dans le but d’usurper le droit électoral. L’existence de ces fraudes sur une large échelle était de nature à fausser le régime représentatif, et il n’est donc point étonnant que les chambres législatives et le pays tout entier s’en soient émus. M. le ministre de l’intérieur nous promit une enquête, et cette enquête, on vous en a mis les documents sous les yeux.

Ces documents sont-ils suffisants pour nous faire apprécier la nature et la gravité du mal ?

Je dois l’avouer, messieurs, quand je lus en premier lieu l’instruction administrative imprimée à la suite du projet, je la trouvai tellement incomplète, tellement insuffisante que je désespérais de pouvoir me former une opinion sur l’étendue et le caractère des fraudes signalées ; mais dans la séance d’avant-hier, M. le ministre des finances est venu ajouter le contingent de son enquête aux renseignements fournis par son collègue de l’intérieur. Quoique je n’aie point encore bien examiné ces documents, il m’a paru, qu’ils contiennent un peu plus de détails statistiques que l’instruction administrative du département de l’intérieur. J’y ai vu, entre autres, que les cas de fraudes reconnus s’élevaient à plus de 600 ; que dans la province du Hainaut il y avait eu au moins 40 déclarations fictives pendant l’exercice précédent, et que dans celle de Liége le nombre de ces fausses déclarations s’élevaient jusqu’à 193. Telles sont les données fournies par les employés des finances, et l’on peut facilement supposer que bien des faits leur auront échappé, soit à cause d’une investigation précipitée, soit pour toute autre cause.

Quai qu’il en soit, messieurs, en ne prenant même que les chiffres présentés par l’administration financière, ils auraient déjà une haute gravité. Quand on songe, en effet, que le résultat d’une élection peut dépendre d’un très petit nombre de suffrages, d’un seul peut-être, on sent qu’il importe d’empêcher une fraude qui pourrait finir par vicier toutes les élections du royaume.

Du reste, messieurs, les fraudes, tendant à ce que des individus soient portés sur les listes électorales sans posséder les bases du cens, peuvent avoir différents degrés de gravité.

D’abord il est des citoyens qui, pour le simple honneur de jouir des droits électoraux, peuvent exagérer leurs déclarations. Celui qui, par exemple, à Bruxelles, paierait 79 florins de contributions et qui, pour arriver au chiffre de 80 florins, et être électeur, aurait exagéré sa déclaration, ne serait pas un bien grand coupable, d’autant plus qu’il pourrait être de bonne foi ! Si la fraude se restreignait donc et devait toujours se restreindre à ces cas-là, j’avoue que, comme l’exprimait mon honorable ami M. d’Huart, dans la discussion de la loi communale, je la considérerais comme fort peu dangereuse.

Mais si un parti politique voulait organiser ce système sur une vaste échelle, dans le but d’opprimer l’opinion contraire, alors la fraude prendrait un tout autre caractère de gravité, et le régime représentatif pourrait en être ébranlé jusque dans sa base.

Une pareille éventualité, que la faible quotité du cens rend plus facilement réalisable chez nous qu’ailleurs, mérite donc de fixer toute l’attention de la législature et suffirait à elle seule, pour qu’il fût pris des mesures propres à en prévenir le danger.

Voyons maintenant, messieurs, si le projet de loi qu’on nous propose pare à ce danger, et voyons d’abord s’il répond à l’attente qu’on s’en était formée.

Généralement on s’attendait un projet en deux ou trois articles, et les paroles prononcées par M. le ministre, en décembre dernier, tendaient à le faire croire.

Qu’est-il arrivé ? C’est qu’au lieu de ce projet si simple, on nous on propose un en seize articles ! Il ne s’agit plus seulement des fausses déclarations, il s’agit d’organiser l’intervention du gouvernement dans les opérations électorales, il s’agit de la formation des bureaux, de la police des élections et de plusieurs autres dispositions nouvelles.

Il faut en convenir, ceci ne ressemble pas mal, quoi qu’on en dise, à une seconde édition de ce qui s’est passé dans nos discussions concernant la réforme de la loi communale. D’abord, vous vous rappelez qu’il n’était question, pour la réforme communale, que d’un simple article donnant au Roi, dans des cas graves, le droit de choisir le bourgmestre hors du sein du conseil ; mais bientôt le cercle des réformes s’est agrandi ; des membres de la section centrale ont pris la direction du projet, y ont ajouté des dispositions nouvelles de la plus haute importance et M. le ministre de l’intérieur, ainsi débordé, a tout laissé faire sans oser y mettre le moindre obstacle ; et nous avons eu, comme le disait alors énergiquement mon honorable ami M. Dolez, le triste spectacle d’un gouvernement en dehors du ministère.

Hier, messieurs, quand mon honorable ami M. Cools exprima avec tant de force et de conviction ses regrets sur la faiblesse et l’attitude de M. le ministre de l’intérieur vis-à-vis de l’opinion qui siège à droite de cette chambre, M. le ministre lui a répondu « que ces suppositions ne l’avaient point étonné, ni ému ; qu’elles rentraient dans le système de suspicion que l’on a adopte à son égard. »

Mais je dirai à mon tour à l’honorable M. Nothomb : Est-ce notre faute à nous, si vos actes sont devenus l’objet de notre défiance et de notre suspicion ? Est-ce notre faute à nous, si les hommes les plus modérés de l’opinion libérale, si les admirateurs de votre talent, si vos anciens amis, et je me citerai moi-même, qui eussent tant désiré vous appuyer au ministère, si nous tous enfin nous ne pouvons vous suivre dans la ligne de conduite que vous avez adoptée ? Mais la faute, songez-y bien, la faute en est à vous, à vous seul. Eh quoi, depuis que vous êtes au pouvoir, qu’avez-vous fait et dans les élections et dans presque tous vos actes, si ce n’est de chercher à décimer ou à affaiblir l’opinion libérale au profit de ses adversaires ? Et vous voudriez qu’après cela, par un singulier privilège, vous voudriez n’exciter aucune défiance à cette opinion ? Et votre programme, l’avez-vous fidèlement observé ? Il nous promettait un ministère mixte, un ministère d’impartialité ; eh bien, vous n’avez pas tenu vos promesses. Comment alors eussions-nous pu vous suivre ? Il aurait donc fallu faire violence à nos convictions ? et, quant à moi, je ne le ferai jamais pour personne.

Non, monsieur, non, ce n’est pas nous qui méritons des reproches, ce n’est pas nous qui vous abandonnons ; c’est vous, au contraire, c’est vous qui nous avez abandonnés !

J’en reviens au projet de loi.

Parmi les dispositions de ce projet, il en est que j’adopterai et d’autres que j’ai déjà combattues à la section centrale et que je combattrai encore de tout mon pouvoir dans cette enceinte. Je ne me propose pas d’en parcourir la série maintenant ; cet examen trouvera mieux sa place dans la discussion des articles ; mais je dirai quelques mots sur les dispositions principales pour mieux en faire saisir l’esprit et la portée dans leur ensemble.

L’art. 2 du projet a été l’objet de critiques nombreuses et, on ne peut pas se le dissimuler, jusqu’à un certain point fondées. Comme principe, il est évident que cet article n’est pas soutenable. Cependant j’ai été du nombre de ceux qui l’ont voté à la section centrale, sans me dissimuler ses inconvénients. Ce qui m’y a déterminé, c’est que j’ai pensé que quand il ne restait plus qu’une quinzaine de jours pour discuter, voter et promulguer la loi, si on voulait qu’elle fût applicable aux élections prochaines, il fallait ou adopter la disposition telle qu’elle était proposée, ou bien s’exposer à n’en avoir point du tout.

Dans cette alternative, j’ai préféré d’adopter la disposition telle qu’elle est. Du reste, il est à espérer qu’après les débats que les fraudes ont soulevés dans cette enceinte et qui ont eu tant de retentissement dans le pays, les tentatives de fraude, chez une nation morale comme la nation belge, deviendront beaucoup plus rares. S’il en était autrement, il serait indispensable alors d’organiser les moyens d’appréciation de la possession réelle des bases de l’impôt, seul principe qui doive être admis. En attendant, la loi, comme l’a expliqué avec talent M. le rapporteur, ne peut être considérée que comme loi de circonstance, destinée à éviter que les nombreuses déclarations frauduleuses faites en 1842, et qui ont été la cause première de la présentation du projet, n’exercent leur influence mensongère sur les élections de cette année.

Je n’en dirai, du reste, pas davantage pour le moment sur cet article, car je me propose d’y revenir quand il sera l’objet d’une discussion spéciale. Je m’occuperai maintenant de quelques autres dispositions du projet et de la pensée qui a préside à leur rédaction.

Ces dispositions reposent sur deux idées principales : intervention des agents du pouvoir exécutif dans les opérations électorales ; pénalité contre les électeurs.

Le congrès national, en faisant la loi électorale qui nous régit, avait soigneusement éloigné les agents de l’administration de toute action, soit sur les listes électorales, soit sur la formation des bureaux. Aujourd’hui l’on nous propose de modifier le principe, et tel est notamment le but du projet dans ses articles 6, 7 et 11. Certes, je ne suis pas du nombre de ceux qui se montrent toujours prêts à voir dans les fonctionnaires publics des ennemis de nos droits et de nos libertés. J’aime, au contraire, que dans le cercle de leurs attributions ils jouissent de la force d’action et du pouvoir nécessaire pour se faire obéir et respecter ; mais, en principe, je trouve que ce n’est point dans le domaine électoral que ce pouvoir doit exister.

Je prie donc qu’on ne se méprenne point sur mes intentions. Je ne prétends pas le moins du monde vouloir mettre en état de suspicion les fonctionnaires de l’ordre administratif, parmi lesquels je compte des parents et de nombreux amis. Je raisonne sur les principes de la matière en faisant complète abstraction des personnes, et je crois que c’est ainsi qu’il tant envisager la chose quand on fait la loi, car les personnes passent et les principes restent.

Or, en quoi donc consiste le fait même des élections, réduit à sa plus simple expression, si ce n’est à soumettre au jugement du pays la marche de l’administration elle-même et du ministère qui est à sa tête ? Et comment voulez-vous dès lors donner une action sur l’opération électorale aux agents de l’administration même qui est en cause dans l’élection ? Dira-t-on qu’il ne peut en résulter aucun abus ?

Mais, messieurs, en France, sous la restauration, l’intervention des agents de l’administration dans les élections n’a-t-elle pas été des plus scandaleuse ; n’a-t-elle pas enfanté les plus grands abus ; n’a-t-elle pas été une source de déconsidération pour le pouvoir ? Ce n’était plus sur les rôles des contributions que beaucoup de préfets dressaient alors les listes électorales, mais bien d’après la statistique des opinions et la mesure des dévouements.

C’est frappé sans doute de ces abus déplorables, qui n’ont pas été une des moindres causes de la chute du gouvernement de la restauration, que le congrès belge a adopté le principe auquel ou veut aujourd’hui porter atteinte.

Je sais bien que les dispositions nouvelles n’ont point une de ces portées qu’il faille extraordinairement s’exagérer, mais si elles présentent du danger sans utilité évidente, pourquoi les adopter ? pourquoi violer un principe sage et salutaire, et dans quel but ?

Mais, d’abord, est-ce que, depuis quelque temps, on remarque que les listes sont défectueuses, falsifiées, mensongères ? Si nous nous en rapportons à l’enquête, nous trouvons qu’elle ne cite que très peu de faits de cette nature.

Maintenant surtout que l’esprit public se porte vers les élections, que l’on veille plus que jamais à ce que tous les électeurs puissent participer au vote électoral, je dis qu’avec la législation actuelle il devient de plus en plus difficile que les listes ne soient pas exactes et sincères. Il faut d’abord que le collège des bourgmestre et échevins dresse la liste électorale ; ensuite chaque citoyen a le droit d’appeler en premier lieu devant le conseil communal, en second lieu devant la députation permanente, et enfin devant la cour de cassation. La loi prescrit un grand nombre de formalités qui forment les garanties les plus complètes que les abus doivent être excessivement rares ; et je vous citerai à cet égard l’opinion d’un auteur qui a commenté la loi électorale, de M. Delcourt :

« Vos lois ont multiplié, dit-il, les précautions pour garantir la sincérité des listes. Après avoir fixé l’époque où, chaque année, l’autorité procède à leur révision, elles ordonnent qu’elles soient publiées, qu’elles restent affichées pendant un temps fixé ; elles invitent tous les intéressés à présenter leurs réclamations et à faire valoir leurs droits ; enfin elles les placent sous le contrôle des citoyens, en permettant à chaque habitant de la commune, jouissant des droits civils et politiques, de réclamer contre leur formation.

Et plus loin :

« L’action populaire est la garantie la plus complète et la plus efficace de la sincérité des listes. »

A toutes ces précautions on peut en ajouter de nouvelles qui n’aient aucun caractère nuisible, et le projet qu’on nous propose, en exigeant l’envoi des rôles à l’autorité communale, lui donne un moyen de plus de porter sur les listes toutes les personnes ayant le droit d’y être portées. En effet, le projet, dans un article qui aura mon approbation, ordonne l’envoi des rôles de la contribution à l’autorité communale. A cette précaution vous pouvez encore ajouter la faculté pour chaque individu jouissant des droits civils et politiques d’appeler contre les omissions, c’est là une lacune qui existe dans la loi électorale, et qui n’existe pas dans la loi communale. Cette lacune, quelles que soient les dispositions que l’on adopte, doit nécessairement disparaître. Eh bien, ce sera encore là une nouvelle garantie de la sincérité des listes.

D’ailleurs, messieurs, quelle serait l’efficacité du principe nouveau que l’on introduire ? Le commissaire d’arrondissement peut appeler dans trois hypothèses différentes : d’abord contre une radiation ; eh bien, messieurs, pour les radiations il n’est nullement besoin de l’intervention du commissaire d’arrondissement, En effet, d’après une loi de 1834, le collège échevinal ne peut radier un électeur sans que cette radiation soit notifié à celui qui en est l’objet ; eh bien, comme tout électeur désire nécessairement rester inscrit sur la liste, si celui qu’on veut radier et sur lequel on veut par là jeter une espèce de défaveur, s’il a droit à rester sur la liste, il fera toutes les démarches possibles pour y être maintenu. Ici l’intervention du commissaire d’arrondissement est donc complètement inutile. Quant aux inscriptions indues, ce fonctionnaire ne peut-il pas en appeler comme tous les autres citoyens ? Il peut savoir que dans certaines communes de son arrondissement les autorités ont abusé de leurs prérogatives en matière de listes électorales. Eh bien, il est de son devoir, comme administrateur, de surveiller attentivement ces autorités ; il est de son devoir d’examiner si elles ne faussent pas les listes électorales, et dans le cas où il en serait ainsi, il peut appeler contre les inscriptions indues, s’il le juge convenable, mais il doit, dans tous les cas, signaler au gouvernement et les bourgmestres et les échevins qui se conduiraient de cette manière et qui mériteraient une destitution immédiate.

Restent donc les omissions. J’ai déjà dit qu’en comblant une lacune qui existe dans la loi électorale, nous donnons à chaque citoyen le droit d’appel contre les omissions. Vous aurez déjà là une garantie suffisante. Comment se fera l’appel des commissaires d’arrondissement contre les omissions ? Il se fera d’abord sans la moindre publicité ; tout (erratum Moniteur belge n°76 du 17 mars 1843) s’arrangera entre le commissaire et la députation permanente.

Il est vrai qu’il doit y avoir notification à la partie intéressée. Mais, messieurs, celui qui n’est pas électeur désire probablement de l’être, car, en général, ce sont ceux qui n’ont pas le droit électoral qui désirent le plus être portés sur les listes. Celui donc que l’on voudra porter indûment sur la liste électorale, se gardera bien de faire valoir devant la députation, qu’il n’a point ou qu’il manque de la qualité de citoyen, ou qu’il n’a pas l’âge de 25 ans, ou qu’il ne paie pas le cens. Un individu pourra donc être porté sur la liste électorale sans que personne en sache rien, et le jour des élections on verra surgir un certain nombre d’électeurs sans qu’on sache de quelle manière ils ont été portés sur la liste.

D’un autre côté, il est impossible que le commissaire d’arrondissement n’ait pas un certain intérêt dans les élections : ou bien il y aura intérêt comme agent du pouvoir exécutif, ou bien, il y aura intérêt comme appartenant à l’un ou à l’autre parti ; ou bien ce sera parce que l’un de ses amis se mettra sur les rangs ou parce qu’il se mettra sur les rangs lui-même. Comment voulez-vous alors que ce fonctionnaire aille réclamer contre l’omission de personnes qui pourraient lui être défavorables ? Mais il faudrait pour cela la vertu d’Aristide ! D’ailleurs, quand bien même il le ferait, il sera toujours, sous ce rapport, l’objet de suspicions, de la surveillance la plus active de la part du parti contraire. On envahira les bureaux du commissaire d’arrondissement pour voir s’il n’abuse pas de son droit.

Ensuite, messieurs, le droit que l’on veut lui donner est tout à fait opposé aux principes en matière d’appel. Dans l’état actuel de la jurisprudence, la députation ne peut se prononcer qu’en appel, qu’après que le conseil échevinal a donné son opinion sur les réclamations. Eh bien, maintenant il n’en serait plus ainsi ; il y aurait un privilège pour le commissaire d’arrondissement ; il ne devrait jamais s’adresser à l’autorité locale ; il s’adressera directement à la députation, et celle-ci, au lieu de juger en deuxième degré de juridiction, jugera en première instance. Voilà donc encore un principe de notre législation électorale, qui est violé par la disposition nouvelle qu’il s’agit d’y introduire.

Ainsi, messieurs, cette disposition, sans avoir d’utilité, est contraire aux principes sur la matière, et peut même souvent devenir dangereuse. Dès lors, je crois que nous ne pouvons adopter cette disposition, que si l’on y ajoute des correctifs tels qu’elle ne puisse pas être le moins du monde nuisible, et qu’elle présente quelques avantages. Messieurs, je ne parlerai pas de l’art. 11 qui concerne les scrutateurs, parce que, dans la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur nous a dit qu’il était disposé à adopter un amendement à cet article. Je me réserve donc de reproduire dans la discussion des articles l’amendement que j’ai présenté à la section centrale, à moins toutefois qu’on n’en présente un autre qui me paraîtrait préférable. Alors je m’empresserai de m’y rallier. Je n’en dirai pas davantage pour le moment sur l’art. 11.

Messieurs, le projet de loi me paraît aussi contenir un luxe vraiment excessif de pénalités contre les électeurs. Je crois que, sous ce rapport, on est allé beaucoup trop loin. Nous devons tous désirer, sans doute, que l’ordre et la régularité règnent dans les élections, mais pour y parvenir, il faut bien nous garder de nous jeter dans un excès contraire ; il ne faut point aller jusqu’à restreindre les droits de l’électeur, ou jusqu’à l’effrayer pour l’exercice qu’il est appelé à en faire.

Un excès de rigueur jetterait de la défaveur sur la loi, lui donnerait un caractère presqu’odieux, et intimiderait les hommes paisibles qui craindraient de s’exposer involontairement à des poursuites et à des amendes.

Lorsqu’en 1828 le ministre Martignac présenta, en France, un projet de loi sur les listes électorales, plusieurs membres de la chambre des députes voulurent y introduire des pénalités contre les électeurs. Cette proposition fut vivement combattue par M. de Martignac, et voici, entre autres, quelques-unes des considérations qu’il faisait valoir.

« Pour les électeurs paisibles, disait-il, il faudrait chercher à diminuer les difficultés, à aplanir les obstacles. Ce serait, vous le sentez, les écarter, si l’on aggravait leurs embarras. Ainsi, dites à ces hommes paisibles, déjà si peu disposés à remplir cette pénible tâche qui a l’inconvénient de les obliger à quitter leurs maisons, à abandonner leurs affaires, à passer deux ou trois jours à leurs frais hors de leur domicile, dites-leur qu’elle peut encore avoir pour eux l’inconvénient de les exposer à une poursuite correctionnelle : assurément aucune considération ne pourra leur faire braver cette crainte. »

Voilà, messieurs, ce que disait M. de Martignac, et notez bien qu’il parlait d’électeur payant 300 francs de contributions. Or, ces craintes qu’il exprimait sont bien plus applicables à nos électeurs, pris dans une classe de beaucoup inferieure, et par conséquent plus susceptible d’intimidation.

Soyez-en bien persuadés, les dispositions des articles 10 et 13 de la loi seront exploitées avec avantage par ceux qui voudront écarter de l’urne électorale les électeurs craintifs et timides, trop peu éclairés pour apprécier la portée de stipulations pénales.

D’un autre côté, il ne faut point non plus que nous poussions trop loin la crainte d’une certaine animation, d’un certain mouvement dans les élections. En définitive, savez-vous ce que signifierait un calme parfait dans ces réunions politiques ? Il ne signifierait rien autre que l’indifférentisme des citoyens pour l’exercice de leurs droits ; en un mot, que leur insouciance pour la chose publique. Ce mouvement, cette agitation politique des citoyens est la conséquence inévitable du gouvernement représentatif. Elle provient de la part qu’ils sont appelés à prendre aux affaires publiques et de la liberté d’action dont ils jouissent. Cette agitation, elle existait à Rome quand le peuple romain dominait le monde elle existait à Athènes et à Sparte du temps de leurs glorieuses républiques, et elle se montrera toujours dans tous les pays libres.

Savez-vous comment un des plus grands orateurs qu’ait eu la tribune française défendait, en 1820, le mouvement et la vie politique. « La liberté, disait-il, c’est la jeunesse des nations. Il y a dans la liberté trop de vie et des puissances trop actives pour qu’on s’y passe d’un certain degré de mouvement. Une tribune retentissante, des écrits qui donnent l’éveil, les conversations chaleureuses et même les associations tendantes à faire triompher telle ou telle opinion, tout cela est dans l’essence du gouvernement représentatif. »

Messieurs, un système de pénalité contre les électeurs me paraît donc devoir être appliqué avec la plus grande réserve, et je suis bien décidé à n’adopter à cet égard que les dispositions qui me paraîtront complètement justifiées.

Vous voulez, dites-vous, l’ordre et le calme dans les élections, et nous le voulons comme vous, pourvu qu’ils ne soient point le sujet de l’insouciance et de l’apathie. Mais savez-vous ce qu’il faut, avant tout, pour obtenir ce résultat ? Il faut de la concorde, de l’union, il faut surtout une administration forte et respectée. Si vous ne possédez pas ces conditions, vous aurez beau voter des dispositions pénales, des lois restrictives, vous n’obtiendrez pas cette tranquillité que vous désirez.

Quand un pays est dirigé par un ministère faible et impopulaire, quand ce ministère a blessé profondément une opinion grande et forte, il est impossible que les listes électorales ne prennent pas un caractère d’agitation.

Nous approchons des élections de juin : tout annonce qu’elles seront extrêmement animées. Croit-on par hasard y amener le calme par la loi qui nous est soumise ? Ah, messieurs, vous l’espéreriez en vain. La lutte qui va s’ouvrir en juin prochain sera une des plus acharnées dont les fastes électoraux belges aient donné l’exemple. Eh pourquoi, auront-elles inévitablement ce caractère, messieurs ?

Parce que les causes de désunion, parce que les causes de mécontentement n’auront point cessé d’exister.

Croyez-le bien, messieurs, aussi longtemps que ces causes radicales subsisteront, ce ne sont ni les pénalités, ni les lois quelconques qui pourront empêcher l’agitation que l’on redoute.

M. Vandenbossche. - Messieurs, ce n’est que pour obtempérer aux réclamations contre les fraudes et manœuvres électorales qu’on nous présente le projet de loi qui nous occupe, et le projet n’atteint ni les unes et les autres.

Les manœuvres les plus usitées et les plus nuisibles à la sincérité de nos élections sont, sans contredit, les menaces des hommes en pouvoir envers les électeurs qui en dépendent, s’ils ne votent, ou même s’ils ne travaillent pas à faire voter d’autres en faveur des candidats qu’ils leur imposent. C’est ainsi que des grands propriétaires menacent leurs fermiers de leur retirer leurs terres, les administrateurs de leurs biens, de leur enlever leur administration s’ils ne soutiennent pas aux élections les candidats qu’ils leur signalent, et leur font ainsi une violence morale à voter contre leur volonté et leur conviction en faveur d’hommes qui ne jouissent ni de leurs sympathies, ni de leur confiance. C’est ainsi encore que des ministres imposent leurs candidats aux gouverneurs de province, les gouverneurs aux commissaires de district, les commissaires aux bourgmestres de leur ressort et, ceux-ci finalement à leurs administrés ; le tout souvent au détriment de la chose publique. Le projet n’en fait aucune mention.

Lors de la discussion des modifications à la loi communale en ce qui concerne la nomination des bourgmestres, j’ai aussi signalé ces manœuvres à la chambre, et proposé deux articles additionnels, tendant à les réprimer. Le premier était conçu comme suit :

« Celui qui, pour faire élire ou pour faire éliminer une ou plusieurs personnes déterminées, aura fait, soit directement, soit indirectement, à un électeur, des menaces ou des promesses de nature à changer sa condition d’existence, et par suite à lui faire une violence murale, sera, pendant une année, inhabile à desservir une fonction gouvernementale, et privé de son droit électoral pour les deux élections suivantes.

« En cas de récidive, il sera inhabile pendant trois ans à exercer une fonction publique quelconque et privé de son droit électoral pour les quatre élections subséquentes. »

Une disposition pareille ou analogue devrait trouver sa place dans la loi, si toutefois on veut sérieusement prévenir ou réprimer les fraudes.

On a voulu m’observer que le code pénal y avait pourvu, dans son chapitre : Des crimes et délits contre la charte constitutionnelle ; mais je ne puis partager cette opinion. Les menaces que prévoit l’art. 109 ne sont point celles que je vous signale, et je ne pense pas que l’art. 123 ait jamais été regardé pour atteindre les menées des fonctionnaires que nous avons à prévenir

Il arrive que les autorités communales, chargées de dresser les listes électorales, y portent des personnes qui ne paient pas le cens ou qui n’ont point l’âge requis. Voilà aussi des fautes qu’il s’agit de réprimer, par une pénalité, car on ne peut les commettre que par une inadvertance coupable, sinon avec l’intention formelle de frauder, attendu que ces autorités, pour la confection des listes, ont les rôles des contributions qui constatent le cens sous les yeux, et que l’individu qui le paie dans d’autres communes doit le justifier avant qu’on puisse l’inscrire. Ne conviendrait-il pas que la loi établisse une peine pour prévenir ces fautes ou réprimer ces délits ?

Des individus, pour être électeurs, se créent des contributions dont ils ne possèdent point les bases. S’ils le font de leur propre mouvement, je n’aurais pas à y contredire, mais s’ils n’y sont poussés que par d’autres personnes qui paient ces contributions ou les indemnisent, en vue de se créer des électeurs, soit pour elles-mêmes, soit pour leurs amis, alors il y a réellement fraude punissable.

L’article 113 du code pénal semble prévoir le cas ; toutefois il ne paraît pas qu’on l’envisage sous ce point de vue, car j’ai entendu dire qu’un homme opulent, qui désire arriver à la chambre des représentants, se propose ouvertement de sacrifier 25 mille francs à son élection, aveu incontestable de sa détermination à acheter les suffrages. Il conviendrait donc d’insérer dans la loi une disposition à cet effet.

On a cru y remédier par l’article 2 du projet. La modification qu’il apporte à l’article 3 de la loi générale peut avoir un effet salutaire, mais à coup sûr il ne réprime pas la fraude, il semble au contraire vouloir la légaliser.

L’article 3 a pour but d’égaliser partout les incapacités, ne conviendrait-il pas d’égaliser les capacités ?

L’article 8 de la loi communale autorise une veuve payant le cens, à le déléguer à celui de ses fils, ou à défaut de fils, à celui de ses gendres qu’elle désignera, pourvu qu’il réunisse les autres qualités requises pour être électeur. Une disposition pareille devrait être introduite dans la loi générale ; si une veuve peut déléguer un fils pour les élections communales et provinciales, il n’y a aucun motif de lui refuser ce droit quand il s’agit d’élections pour les membres de la chambre et du sénat.

On exige à l’article 4, qu’un double des rôles, certifié conforme par le receveur et vérifié par le contrôleur sera remis aux administrations communales, et que ce double sera délivré sans frais.

J’ai peine à me rendre une raison plausible de cette disposition, vu qu’elle impose un travail pénible, outre qu’on peut la regarder comme complètement inutile.

Aujourd’hui les administrations communales peuvent se faire délivrer des extraits des rôles par les percepteurs, moyennant une rétribution de six centimes par article, ou faire déposer les rôles originaux au secrétariat, et former par elles-mêmes les listes électorales sur ces rôles. Les listes faites et affichées, chaque individu jouissant des droits civils et politiques peut les examiner et prendre inspection des rôles qui ont servi à les former. A quoi serviraient dès lors les doubles de ces rôles ? pour les réclamations devant les administrations, ils sont évidemment surabondants.

Après l’expiration des délais fixés pour les réclamations, on les enverra au commissariat du district, et là encore on pourra en prendre inspection et réclamer. Quant aux inscriptions indues, elles ne peuvent exister si les administrations communales, chargées de la confection des listes, font leur devoir. Quant aux omissions, il convient de laisser le soin de réclamer aux parties directement intéressées, et celles-ci n’ont pas besoin de l’inspection des rôles pour connaître et pour prouver leur droit. Ces doubles ne pourraient au plus servir qu’au commissaire du district, à qui l’on accorde aussi le droit de réclamer et même d’interjeter appel d’office auprès de la députation permanente. Mais pour que le commissaire du district réclame ou interjette appel contre toute inscription, omission ou radiation indue, il faudra qu’il examine ces rôles. Or voilà ce qui est de toute impossibilité. Chaque commune a trois rôles. Un rôle pour la contribution foncière, un rôle pour la contribution personnelle et un rôle pour les patentes, et ordinairement un rôle supplétif pour chacune de ces deux dernières contributions, de sorte que l’on peut compter quatre rôles par commune.

Le district d’Alost contient 82 communes.

Le commissaire de ce district aurait donc à examiner 82 listes électorales et 328 rôles de contributions, et combien de temps lui laisse-t-on à cet effet ? Il faut qu’il réclame ou interjette appel dans les dix jours de la réception de toutes ces pièces.

Il ne peut donc pas même consacrer dix jours à leur examen, tandis que la besogne exigerait un travail de deux mois. Il y a donc impossibilité complète d’atteindre le but qu’on se propose au moyen de ces doubles de rôles.

Peut-on au surplus équitablement exiger de délivrer ces doubles sans frais ?

Le ministre des finances, par une circulaire du 15 mars 1838, a prescrit aux percepteurs des contributions directes de fournir les extraits des rôles, pour la formation des listes électorales, aux administrations communales qui leur en feraient la demande, moyennant une rétribution de six centimes par article, et ce salaire n’est certainement pas exorbitant. Exigera-t-on gratuitement ce travail de la part du percepteur ? L’exigera-t-on de la part du secrétaire communal ou du bourgmestre ? Les 3, 4 ou 5 rôles cumulés présentent par commune un nombre moyen de 1300 articles ; exiger ces doubles sans frais, est imposer, par commune, un travail, dont le salaire devrait s’évaluer à 78 francs, plus que le quart du traitement d’un secrétaire, plus que la moitié du traitement d’un bourgmestre. Si on charge la commune des frais, c’est lui imposer tout gratuitement une nouvelle contribution.

La raison donc doit rejeter la disposition additionnelle à l’art. 7 de la loi.

L’art. 10 de la section centrale n’autorise au plus que la réunion de trois sections dans les salles d’un même bâtiment. Cette mesure me paraît désirable, si toutefois elle est praticable. Mais ne conviendrait-il pas de l’abandonner à la discrétion des administrations communales ? Toutes, autant que possible, tâcheront de prévenir l’encombrement des électeurs sur un seul point ; toutes éparpilleront les bureaux dans des bâtiments différents si la chose est faisable, d’autant plus que la législature en aura suffisamment témoigné le désir. Mais je ne pense pas qu’il soit convenable que la loi porte des prescriptions impérieuses à ce sujet.

L’art. 11 porte que tout individu qui aura, à l’occasion des élections, accepté, porté, arboré ou affiché d’une manière ostensible un signe quelconque de ralliement, sera puni d’une amende de 50 à 500 fr., et, en cas d’insolvabilité, d’un emprisonnement de 6 jours à un mois. »

Cette mesure paraît prise pour prévenir les rixes et les collisions, Je ne pourrai jamais approuver des dispositions aussi rigoureuses contre des manifestations aussi innocentes en elles-mêmes, et qui n’ont d’ailleurs jamais donné lieu aux désagréments qu’on entend prévenir.

M. le ministre nous a parlé d’affiches et de drapeaux avec des inscriptions injurieuses pour l’une ou l’autre classe des citoyens. Si on étale ou promène de pareils scandales, qui sont nature à provoquer le désordre, que la loi les punisse d’une manière exemplaire, j’y donnerai de tout mon cœur mon adhésion, mais ce ne sont pas là des sigues de ralliement pour des électeurs. Je tiens pour signes de ralliement des marques ostensibles convenues entre les électeurs disposés à élire les mêmes candidats, et destinées à se faire connaître les uns aux autres au moment des élections, afin qu’on puisse voir à qui s’adresser pour obtenir un bulletin dont on pourrait ne pas être muni et à qui les distribuer, si on en demande. Qu’on porte à cet effet une fleur ou un ruban à la boutonnière ou au chapeau ; qu’on étale à l’auberge où ils se rassemblent une bannière, où sont inscrits en grandes lettres les noms de leurs candidats, y aurait-il là quelque chose d’offensant pour personne ? On veut défendre ces manifestations ! Veut-on que le calme de la mort règne dans nos élections populaires ?

Je n’ai jamais vu employer ces signes de ralliement aux élections de mon district. Mais sont-ils de nature à exciter des rixes et des collisions ? Je suis porté à croire le contraire. Au moyen de ces manifestations les électeurs d’une même opinion se rassemblent, leur contact avec les hommes du parti contraire est par conséquent moins fréquent, par suite les moyens de collision plus rares.

Supprimons ces signes de ralliement, on ne connaîtra plus l’opinion de celui que l’on rencontre ; tous courront pêle-mêle. Dans toutes les élections on sait qu’il y a des distributeurs de bulletins, qui sont communément les plus enthousiastes ; ceux-ci les distribuent à tous ceux qu’ils trouvent ; mais s’ils rencontrent un enthousiaste comme eux, du parti contraire, celui-ci déchire le bulletin qu’on lui présente, tout en s’exhalant quelquefois en injures contre le candidat qu’on lui recommande et contre ses partisans ; ce qui offre matière à collision, qu’on n’eût point trouvé avec les ralliements qu’on voudrait interdire.

Je ne pourrais donc jamais donner mon assentiment à l’article 11 du projet. Je veux que l’on soit joyeux et bruyant dans les élections, pourvu qu’on ne trouble point la paix publique par des querelles, et la police ne manque pas, dans ces occasions, pour arrêter les désordres, si quelques malveillants voulaient en susciter.

Au surplus ces manifestations joyeuses et bruyantes attirent les électeurs à se présenter aux élections, car beaucoup y viennent comme à un carnaval ou à une foire, et resteraient chez eux, s’ils n’avaient rien à y voir.

L’art. 14 du projet interdit aux électeurs l’entrée, pendant les opérations électorales, dans le local d’une section où il n’a pas droit de voter, et impose l’ordre de le faire sortir. Cette mesure est prescrite pour éviter l’encombrement dans le local.

Cette disposition est-elle bien nécessaire ou même utile ?

Le président continue à avoir la police de l’assemblée. Il peut de par la loi générale faire évacuer la salle par tous ceux qui n’y sont pas nécessaires. C’est même ce qui se pratique dans beaucoup de localités. La disposition me paraît donc complètement inutile.

Je borne ici mes observations générales, me réservant de demander la parole, pour ce que je croirai encore avoir à dire.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, M. le ministre de l’intérieur se plaignait hier de l’état de suspicion dans lequel une partie de cette chambre se tient. Est-ce notre faute à nous, si ses démarches, si les actes sont constamment de nature à entretenir les doutes que sa prise de possession du ministère nous a fait concevoir ?

La loi actuelle, les démarches dont elle a été précédée manquent de franchise.

Des fraudes ont été dénoncées. M. le ministre a pris l’engagement de faire une enquête administrative ; rien n’était plus facile qu’une pareille enquête, si l’on avait voulu qu’elle eût pour résultat de nous éclairer. Il eût suffi de faire demander aux administrations communales par les gouverneurs des provinces, des renseignements sur la situation réelle des nouveaux électeurs inscrits ; il eût suffi de chercher la fraude, où était réellement la fraude ; au lieu de cela, on nous a fourni des chiffres, et que sont des chiffres en pareille matière ?

M. le ministre de l’intérieur paraît avoir horreur des noms propres. Je ne vois pas, moi, quel puissant intérêt doivent inspirer des individus qui mentent à la loi. Je trouve même que c’eût été déjà un moyen de prévenir la fraude que de flétrir publiquement ceux qui s’en rendent coupables. Mais avec des noms propres on aurait peut-être été plus loin qu’on ne le voulait. Derrière les pauvres diables qui se trouvent tout à coup écuyers cavalcadours, ou pourvus de deux ou trois domestiques, on aurait peut-être trop aisément deviné les véritables artisans de la fraude, les vrais coupables, les banquiers de la fraude ; et M. le ministre aurait été probablement très fâché que l’on allât aussi loin.

L’enquête a donc manqué de franchise.

La loi manque également de franchise. Voyez comment on procède. M. le ministre reconnaît l’existence de la fraude, quoiqu’il en ait assez mal cherché la preuve. Il veut bien présenter un projet de loi destiné, prétend-il, à réprimer la fraude, mais il faut que le projet de loi lui rapporte quelque chose, à lui ou à son parti, ce qui, à mes yeux, est tout un.

Une loi, qui a été hier justement qualifiée de loi large et généreuse, la loi électorale de 1831 doit être le prix dont on nous fera payer la garantie réclamée contre les faux électeurs.

Je le reconnais, messieurs, dès l’origine, M. le ministre de l’intérieur a déclaré qu’à des mesures répressives de la fraude, il regardait comme indispensable d’ajouter quelques dispositions de police, tels ont été ses termes, réclamées par tout le monde. M. le ministre avait pris cette précaution, sans doute pour qu’on ne l’accusât pas, comme lors de la discussion sur la loi portant modification à la loi communale, de subir les exigences d’un parti. Mais certes nous étions loin de nous attendre à voir les quelques dispositions de police se transformer en modifications profondes, en changement radicaux, touchant beaucoup plus au fond qu’à la forme.

Ainsi, M. le ministre nous vend l’art. 2 de son projet de loi. Que m’importe après cela de rechercher si l’article ridicule qui porte le chiffre 10, si d’autres dispositions encore ont été ou n’ont pas été imposées à M. le ministre de l’intérieur par un parti. Je crois sincèrement que le sacrifice de M. le ministre est consommé ; à qui se montre prêt à tout donner, on n’impose plus rien.

Mais enfin le fameux art. 2 vaut-il ce que l’on veut nous le faire payer.

Je ne suis pas jurisconsulte, je laisse habituellement à de plus exercés que moi le soin de disséquer les articles du projet de loi. J’écoute, et quand je suis éclairé, je me prononce. Mais quand je rencontre dans une loi un principe qui blesse chez moi un sentiment naturel d’équité, je n’hésite pas : mon opinion est arrêtée tout d’abord. Aussi je repousserai l’art. 2 tel qu’il est conçu.

L’article 2 est un palliatif de la fraude actuelle, il légitime la fraude qui a pour elle le mérite de l’ancienneté. C’est déjà un premier vice. Le second est tout aussi saillant, il enlève les droits à ceux qui les ont réellement aux termes de la loi de 1831. Aux termes de cette loi, le citoyen belge, âgé de vingt-cinq ans, remplissant au surplus les autres conditions prescrites, est électeur. Pour réprimer la fraude, pouvez-vous rétroagir sur un droit ? Je ne le pense pas.

Contre la fraude, il y a, suivant moi, un meilleur remède. C’est une pénalité sévère. Usurper des droits que la loi ne donne pas, c’est voler. Avec une amende et un emprisonnement, nous réprimerons la fraude commise et nous préviendrons la fraude à venir.

Eu essayant de nous vendre son article, M. le ministre s’est arrangé de manière à nous mettre en quelque sorte au pied du mur. Il faut que la loi soit votée par les deux chambres avant le 1er avril.

Messieurs, la loi de 1831 a été faite sérieusement par des hommes sérieux ; ils n’ont épargné ni le temps, ni la réflexion. Leur œuvre peut n’être pas parfaite, mais ce n’est pas dans une sorte de course au clocher que nous pouvons la modifier ; ce n’est pas en huit jours que nous pouvons bouleverser ce qui a coûté plusieurs mois de méditation et d’étude. M. le ministre a peut-être eu tout le temps de réfléchir, il doit trouver bon que nous le prenions aussi.

(Moniteur belge n°76, du 17 mars 1843) M. Verhaegen. - Messieurs, jusqu’à présent il ne s’est présenté qu’un seul orateur pour défendre le projet en discussion. Cet orateur est M. le ministre de l’intérieur, et encore je doute qu’il eût pris la parole, s’il n’avait pas cru rencontrer quelques attaques personnelles dans le discours d’un de mes honorables amis.

C’est à M. le ministre de l’intérieur que je veux répondre. C’est par des faits que je veux corroborer les assertions de l’honorable M. Cools ; mais, je le déclare d’avance, je ne citerai aucun fait dont je ne puisse fournir la preuve à l’instant même.

L’honorable M. Cools avait parlé, et avec raison, de tendances du gouvernement en faveur du parti clérical. Il était dans son droit, et la discussion d’ailleurs exigeait qu’il se mît sur ce terrain, car c’est surtout en examinant les tendances du gouvernement qu’on appréciera la portée du projet de loi.

M. le ministre de l’intérieur, tout en se défendant contre des soupçons qu’il a appelés injustes, nous a dit qu’il n’avait subi l’influence d’aucun parti, que c’était de son propre mouvement qu’il avait présenté à la législature toutes les dispositions que le projet renferme, mais aussitôt mon honorable ami M. Delfosse lui a fait remarquer, et très à propos, qu’en prenant l’initiative, il était même allé au-devant des désirs manifestés par le parti qui le soutient au pouvoir, et que tous ses actes démontraient à la dernière évidence qu’il était aujourd’hui, comme toujours, aux ordres de ce parti.

Messieurs, ce qui pouvait n’être qu’un soupçon, jusqu’à présent, va devenir une réalité, lorsque j’aurai mis la chambre à même d’apprécier par des faits les actes du gouvernement.

Personne n’a oublié l’avènement de l’honorable M. Nothomb au ministère ! Il a remplacé, en 1841, le cabinet Lebeau, et en nous communiquant son programme, il nous a dit avec franchise, je dois en convenir, qu’il n’avait accepté le pouvoir que pour neutraliser les efforts de l’opinion libérale, pour empêcher l’avènement d’une majorité libérale dans cette enceinte.

J’ai pris acte de ces paroles, résolu que j’étais de les lui rappeler un jour.

Je viens aujourd’hui lui rappeler ces paroles imprudentes : il n’est venu au pouvoir que pour neutraliser les efforts de l’opinion libérale, pour empêcher qu’une majorité libérale ne se fît jour dans cette enceinte !

Messieurs, je vous le demande, si tel était le but de M. Nothomb en 1841 lors que le danger était loin d’être aussi grand qu’il l’est aujourd’hui pour le parti dont il défend si chaudement les intérêts, ses tendances ne doivent-elles pas être en 1843 beaucoup plus prononcées encore qu’elles ne l’étaient en 1841 ?

Depuis 1841 on a pu apprécier la force de cette opinion dont on voulait sans cesse neutraliser les efforts. On a pu comprendre par les dernières élections communales lequel des deux partis en présence avait la majorité dans le pays, et pour n’en citer qu’un seul exemple, je vous rappellerai ce qui s’est passé dans la capitale où un ministre du Roi, malgré tous les avantages que lui donnait le fractionnement, malgré des efforts inouïs, n’a pas pu se faire maintenir dans le conseil de la commune. Cet exemple, plus que tout autre, était de nature à donner l’éveil.

Il fallait pour 1843 réunir tous ses efforts ; il fallait, pour me servir d’une expression triviale, jouer son tout ; il fallait tout oser, au risque d’être culbuté un peu plus tôt.

Les lois importantes que nous avons eu à discuter, il n’y a pas bien longtemps, n’étaient qu’un prélude : la loi apportant des modifications à la loi communale, celle sur l’instruction primaire avaient un but politique ; je me félicite de les avoir appréciées à leur juste valeur, elles devaient préparer la grande œuvre que le projet actuel est destiné à consommer.

Ce que voulait M. Nothomb en 1841, il le veut et plus fermement encore en 1843, et tous les actes qu’il a posés depuis son avènement au pouvoir, en fournissent la preuve irréfragable.

A qui donc doivent profiter tous les efforts de M. le ministre de l’intérieur ? Dans quel intérêt a-t-il pris toutes ces mesures dont nous nous plaignons ; a-t-il présenté toutes ces lois qui portent de si graves atteintes à nos libertés ? N’est-il pas évident qu’il a agi exclusivement dans l’intérêt du parti dont il est, pour me servir de son expression favorite, l’homme d’affaires depuis 1841 ? Encore une fois le Moniteur ne nous a-t-il pas appris qu’il n’est arrivé au pouvoir que pour comprimer l’opinion libérale, pour empêcher qu’une majorité libérale n’eût accès dans cette chambre ?

La loi apportant des modifications à la loi communale n’était, comme je vous l’ai dit, qu’un prélude ; mais le gouvernement n’a négligé aucun des avantages qu’elle pouvait lui offrir ; les craintes que j’ai manifestées naguère se sont réalisées, et je me félicite de nouveau d’avoir émis un vote négatif sur une loi que je continuerai à appeler désastreuse.

On vous l’a dit hier : les bourgmestres éliminés appartiennent tous à notre opinion. Il est vraiment extraordinaire qu’avec toutes ses protestations d’impartialité, il soit impossible à M. le ministre de l’intérieur de citer le nom d’un seul bourgmestre qui appartiendrait à l’opinion cléricale !

Mais je me trompe, M. le ministre nous a dit que, loin d’avoir servi le clergé, il avait osé, dans une commune rurale, nommer un bourgmestre, contrairement à l’opinion du curé. Nous apprécierons bientôt cet acte de courage ; mais avant tout constatons que c’est l’honorable M. Nothomb qui, cette fois, a pris l’initiative en mêlant à nos débats le nom d’un curé, et on ne pourra pas me faire le reproche de le suivre sur le terrain où il m’a attiré.

La commune rurale qui aurait été témoin du courage de M. Nothomb, est la commune de Gheel ; personne ne pourra s’y tromper.

C’est dans cette commune qu’on a eu à déplorer des désordres qui, en portant atteinte à la considération du gouvernement auraient pu compromettre gravement la tranquillité publique, et ces désordres n’étaient que la suite des hésitations et des tergiversations incessantes de M. le ministre de l’intérieur ; lui si courageux, s’il faut l’en croire, n’avait pas osé, dans le premier moment, nommer aux fonctions de bourgmestre l’homme que les électeurs avaient, à une grande majorité, repoussé du conseil ; il écouta d’abord de sages avis, mais bientôt il hésita et il finit par se laisser déborder. L’ancien bourgmestre exclu du conseil n’était pas l’ami, il est vrai, du curé, une affaire d’intérêt personnel les avait brouillés. Mais il était l’ami de dix ecclésiastiques influents, tous professeurs au collège épiscopal de Gheel, et qui, par leur influence, l’avaient porté déjà au conseil provincial. Ces messieurs exigèrent de M. Nothomb une nouvelle preuve de soumission, et M. le ministre d’obéir aussitôt. Dix valent plus qu’un, s’est-il dit, et, il faut en convenir, c’est du courage !

Plusieurs de mes honorables amis vous ont parlé des nominations qui avaient été faites dans leurs provinces respectives ; je ne reviendrai pas sur ce point, je me bornerai à vous signaler un seul fait, parce qu’il a fait sur mon esprit une profonde impression : Dans la province de Liége, un homme qui avait été nommé bourgmestre, lors des premières élections populaires, à une immense majorité, qui avait été nommé conseiller communal à la presque unanimité aux élections suivantes, et que le gouvernement avait alors choisi comme chef de la commune, un homme qui, cette année encore, a réuni la presque unanimité des suffrages, un administrateur intègre auquel aucun reproche ne peut être adressé, vient d’être éliminé par M. Nothomb. et pourquoi ? Parce qu’il a donné des preuves de fermeté, parce qu’il a fait respecter le pouvoir civil en le défendant contre les empiétements du clergé ! Mais cet homme avait déplu aux missionnaires !

C’est du bourgmestre de Thilf, de l’honorable M. Neef, que j’entends parler. Qu’il me soit permis de demander au ministre de l’intérieur pour quels motifs il a éliminé ce bourgmestre-modèle. (Interruption.) Oui, ce bourgmestre-modèle ; je ne rétracte rien de ma qualification. J’appelle bourgmestre-modèle l’homme qui a la conscience de son devoir, qui fait respecter le pouvoir temporel et le défend contre les envahissements du pouvoir spirituel, au péril de sa position, l’homme en un mot qui a le courage de faire ce qu’a fait l’honorable M. Neef ! La désapprobation qui vient de se manifester ne détruira pas le témoignage imposant, honorable que lui ont donné deux fois les électeurs, lorsqu’après l’annulation, par le gouvernement, de son ordonnance concernant les missionnaires, il a été porté à une grande majorité au conseil de la province de Liége, où il siège avec tant de distinction ; après cela, libre à ceux qui m’ont interrompu de ne pas admettre ma qualification ; mais l’honorable citoyen auquel elle se rattache, trouvera, j’espère, une compensation suffisante de l’injure du gouvernement dans l’approbation unanime de ses commettants. Il a fallu que l’influence du parti clérical fût bien grande pour que M. le ministre de l’intérieur, en éliminant l’honorable M. Neef, osât porter un pareil défi au corps électoral pour la province.

Messieurs, je dirai quelques mots sur les nominations de bourgmestres qui ont été faites dans la province à laquelle j’appartiens : là comme ailleurs on n’a écouté que l’intérêt d’un parti.

Messieurs, dans l’arrondissement de Bruxelles se trouve une commune appelée Goeyck, là était à la tête de l’administration, depuis 35 ans, un bourgmestre jouissant de l’estime et de la confiance de tous ses administrés, homme capable à tous égards, contre lequel il ne s’est jamais élevé la moindre plainte et qui, aux dernières élections, avait obtenu l’unanimité des voix, sauf une. Eh bien, ce bourgmestre a été éliminé et remplacé par un homme qui n’habite pas la commune, qui n’avait d’autre titre que d’être l’ami du curé et qui n’a pu obtenir aucune voix dans les élections, quoiqu’il se fût mis sur les rangs ; il serait impossible à M. le ministre d’expliquer sa conduite dans cette circonstance.

Dans une autre commune du Brabant, celle de Vollezele, il y avait aussi à la tête de l’administration, depuis plus de 20 ans, un homme réunissant toutes les qualités voulues pour être bourgmestre ; il était intègre et capable, il jouissait de la considération publique, et il avait été nommé membre du conseil à l’unanimité des voix ; il fut éliminé et remplacé par qui ? Par le frère du curé !

Messieurs, on vous a parlé tantôt de la commune de Saintes. Un citoyen estimable, un administrateur modèle, qui a entre les mains les lettres les plus flatteuses du gouverneur de la province sur sa conduite comme bourgmestre, un homme jouissant d’une grande fortune, qu’il fait tourner en partie au profit de la commune, un homme occupant un rang dans la société, apprécié partout comme il mérite de l’être, et bien haut encore ; un homme nommé conseiller à l’unanimité des voix et que tous ses anciens administrés appellent de tous leurs vœux, a été éliminé et remplacé par qui ? Par le sacristain de l’endroit. (On rit.)

Il ne s’agit pas de rire. Oui, on l’a remplacé par le sacristain de la commune, et M. Nothomb n’est pas au service de l’opinion cléricale ! et il ose encore s’adresser à nous pour nous parler de son courage !

Messieurs je pourrais multiplier ces exemples de condescendance, mais il me tarde de vous signaler d’autres faits ; vous allez voir jusqu’où est allé le ministère dans son aveuglement.

Dans plusieurs communes, des échevins ont refusé de siéger à côté des bourgmestres nommés par le gouvernement et ont envoyé leur démission. Qu’a fait alors le ministère ? il a tâché de composer, il a parlementé mais il n’a rien obtenu. Le gouvernement a été discrédité plus encore qu’il ne l’était déjà.

Le ministère ne s’est arrêté devant aucune considération. Quand il rencontrait des hommes dévoués à l’opinion cléricale, il les nommait aux fonctions de bourgmestres ou d’échevins, y eût-il incompatibilité écrite dans la loi. Ainsi, dans certaine commune du Brabant, il a nommé aux fonctions de bourgmestre un agent de l’administration des finances, et cependant les agents des finances ne peuvent pas être bourgmestres, aux termes de la loi communale, art. 49, § 5 ; dans d’autres communes, il a nommé aux fonctions d’échevins des agents de la même administration ; on a eu beau réclamer, il a maintenu ses nominations.

Mais l’esprit de parti dans l’exécution de la loi communale a été si grand, que le gouvernement ne s’est pas même enquis de la moralité, de la probité de ses élus, car il ne leur demandait qu’une obéissance passive, qu’un dévouement absolu.

Ainsi, dans l’arrondissement de Nivelles, il a nommé aux fonctions de bourgmestre un homme accusé de faux, contre lequel le conseil communal entier avait porté plainte, tant au procureur général près de la cour, qu’au commissaire d’arrondissement. Le ministère n’a pas même attendu que la justice eût prononcé.

Dans la province de Liége, un bourgmestre remplissait depuis plusieurs années ses fonctions à la satisfaction de tous les habitants de la commune, il était généralement estimé ; à chaque élection, il fut nommé membre du conseil à l’unanimité : eh bien ! il a été éliminé, remplacé par un homme que les états députés ont destitué en 1827, pour avoir, comme membre du bureau de bienfaisance, détourné des fonds au préjudice des pauvres !

Et M. le ministre, il faut l’avouer, n’a pas la main heureuse, car dans la même province de Liège, il vient d’élever à la présidence du conseil de milice un homme condamné naguère en police correctionnelle pour exactions eu matière de conscription militaire. Le jugement est inséré dans le mémorial administratif de la province de Liége.

Voilà où marche le ministère, dans son aveuglement pour un parti qu’il veut servir !

Mais tout cela ne suffisait pas encore, il fallait faire jouer d’autres ressorts ; il fallait recourir à des mesures auxquelles on avait déjà eu recours dans d’autres temps ; il fallait l’intimidation, il fallait des destitutions, des remplacements de certains fonctionnaires qui, à en croire M. Nothomb, avaient des opinions trop libérales. C’est ainsi que dans certaine province on a déplacé un fonctionnaire de l’enregistrement, parce qu’il avait eu le tort d’être nomme par ses concitoyens au conseil communal. J’entends qu’on me dit que non ; j’ai le droit alors de dire que c’est à Ostende que le fait s’est passé, et je réponds ainsi directement à la dénégation de l’honorable M. de Muelenaere.

Dans le Brabant, un autre receveur a été déplacé parce qu’il avait eu le malheur aussi d’être honoré de la confiance de ses concitoyens et d’avoir été appelé par eux aux fonctions de conseiller communal.

A Liège, naguère, un fonctionnaire haut placé fut obligé de donner sa démission de conseiller de la commune pour conserver sa place ; il y a certes maintenant plus que des soupçons ; ii y a des faits.

Indépendamment des ressorts qu’il a cherchés dans son portefeuille de l’intérieur, M. Nothomb en a trouvé d autres dans son portefeuille de la justice, et il n’a pas manqué d’en faire usage, comme il l’a fait à certaine autre époque non éloignée des élections. Singulière coïncidence ! L’influence d’un ministre de la justice est grande, il faut l’avouer, et l’honorable M. Nothomb n’est pas homme à la répudier ; ainsi, lorsque dans le Brabant il s’empresse de nommer des notaires, quelquefois en négligeant de consulter les chambres de discipline, quoique la loi organique sur le notariat le veuille expressément, d’autres fois en demandant leur avis, mais sans leur laisser le temps de le formuler et en se contentant des recommandations de curés qu’il consulte avant tout, il s’abstient de faire des nominations dans la province de Liége : là, on le comprend, il laisse les candidats dans l’attente, les places ne seront données que comme prix de dévouement à ceux qui seront venus en aide au gouvernement dans les prochaines élections de juin.

Si on met cette conduite que tient M. Nothomb, comme ministre de la justice, en rapport avec celle qu’il a tenue, il n’y a pas bien longtemps, dans une circonstance importante, comme ministre de l’intérieur, pourra-t-on encore conserver le plus léger doute sur le but qu’il veut atteindre ? M. Levaillant, commissaire de district de Tournay, ne convenait pas à l’opinion cléricale, on sait pourquoi, il fut remplacé par un jeune homme dont je ne veux pas apprécier le mérite, mais que tout le monde connaît ; par un jeune homme qui doit remplir un rôle que lui assigne sa position ; niais M. Levaillant, me dira-t-on, avait signé une pétition avec quelques habitant de la ville de Tournay au sujet du théâtre, mais il avait fait ce qu’un fonctionnaire ne pouvait pas faire : Ah ! si le gouvernement, dans le moment même avait révoqué ce fonctionnaire, je ne me serais pas permis de critiquer cet acte ; mais si mes renseignements sont exacts, c’est une pétition qui date déjà de sept mois ; on n’y avait fait aucune attention, tellement elle était inoffensive ; on l’a exhumée depuis des cartons du ministère, parce qu’on voulait un motif pour se débarrasser d’un homme qui gênait le parti clérical..

M. Nothomb n’est sous l’influence d’aucun parti, mais tous ses actes sont là pour le contredire. Après avoir fait passer la loi portant des modifications à la loi communale et la loi sur l’instruction primaire, après avoir fait jouer dans un but électoral tous les ressorts que renfermaient ses deux portefeuilles, il ne perd pas de temps ; et, je dois en convenir, à un grand talent, l’honorable M. Nothomb joint une activité dont il serait difficile de citer des exemples ; sous ce point de vue, c’est un ministre modèle. (On rit.) Les arrêtés ne se sont pas fait attendre chaque fois qu’il a pu être utile à l’opinion dont il est l’instrument depuis son avènement au pouvoir, M. Nothomb n’en a pas laissé passer l’occasion. (Interruption.)

N’avons-nous pas pu apprécier ce fameux arrêté sur les cloches, qui, pour ainsi dire, fait réclamer toute la province du Hainaut ; n’avons-nous pas eu cette circulaire plus extraordinaire encore sur les cimetières ? et tout cela grâce à M. le ministre de l’intérieur ; et M. le ministre n’obéit pas à des influences, et il ne va pas au-devant des désirs de certain parti ! Tous les faits que je vous cite, messieurs, sont caractéristiques ; il n’en est pas un qui n’ait une portée bien grande, pas un qui ne soit établi, et on ne m’accusera pas de me borner à suspecter les intentions de M. le ministre, car en citant des faits, il m’est permis d’en déduire toutes les conséquences.

Voulez-vous une preuve plus forte de la soumission de M. le ministre de l’intérieur ? L’organe de certaine opinion défend, il y a quelques jours, à M. Nothomb, de faire connaître les bourgmestres nommés en dehors du conseil, quoiqu’il l’eût formellement promis. « Vos promesses, dit cet organe, n’ont pas de valeur, vous ne devez pas les tenir. » M. Nothomb obéit.

N’est-il pas fâcheux que, quand un ministre a déclaré formellement à la tribune qu’à la moindre interpellation qui serait faite par un membre de cette assemblée il donnerait des explications sur les motifs graves qui l’ont forcé à nommer un bourgmestre en dehors du conseil, il y ait une autorité assez imposante pour lui fermer la bouche ? Quoi ! vos promesses n’ont aucune valeur ! et quand nous combattions la loi apportant des modifications à la loi communale, quand nous présentions des amendements ayant pour objet d’écrire dans la loi que les motifs graves seraient énonces dans l’arrêté de nomination, vous nous disiez : « c’est inutile, le gouvernement est responsable de ses faits et gestes, et à la moindre interpellation faite par un membre de cette chambre, nous ferons connaître les motifs graves qui nous auront engagé à nommer, par exception, en dehors du conseil. » Ces promesses étaient donc un piège ; elles n’ont aucune valeur ! vous les considérez aujourd’hui comme telles, parce que l’opinion dont vous subissez l’influence le veut ainsi ! !

Je sais bien que chaque concession a son prix, et je me le disais lorsqu’on nous annonça le retrait provisoire de la proposition Dubus-Brabant, que ce retrait nous aurait coûté cher ; nous vous avons vu à l’œuvre depuis, et nous apprécions aujourd’hui l’étendue des sacrifices.

Je ne dirai rien, messieurs, de ce cadeau qu’on vient d’envoyer à certain cardinal, de cette riche tabatière en or entourée de brillants, et de cette lettre autographe par laquelle on a encore compromis la dignité royale ; je me bornerai à faire remarquer que la dépense que ce cadeau a occasionnée, a été prise sur le budget.

Après tout cela, je demanderai à l’honorable M. Nothomb si les attaques de l’honorable M. Cools n’étaient pas justes et fondées, puisqu’elles reposent sur des faits positifs l’égard desquels tout démenti, toute dénégation est impossible.

Maintenant, quand vous voyez, messieurs, tous ces antécédents, quand vous pouvez apprécier les tendances du gouvernement qui se montrent de toutes parts, serez-vous étonnés que la loi qu’on vous présente soit encore faite dans l’intérêt de ce même parti dont on est l’instrument depuis 1841 ?

Mais, dit M. Nothomb : « C’est moi qui al pris l’initiative ; on s’est plaint de fraudes électorales ; moi-même j’ai dit que je voulais la sincérité dans les élections, et je me suis engagé à vous présenter un projet de loi, pour réprimer ces fraudes. Je n’ai subi, a-t-il ajouté, aucune influence.

« Toutes les dispositions qui accompagnent le principe fondamental répressif de la fraude, c’est à moi qu’elles sont dues, j’ai pris à cet égard l’initiative, je n’ai écouté aucun conseil. » Si cela est vrai, M. Nothomb a au moins pris la précaution de ne pas faire désapprouver par certaine opinion la mesure prétendument salutaire qu’il voulait accorder à l’opinion libérale, et aussitôt il s’est dit que, pour ne pas encourir les reproches d’autres, il devait entourer cette mesure d’une masse de dispositions favorables au parti clérical.

Mais voyons enfin ce qu’accorde M. Nothomb à notre opinion ? Examinons le principe et lui-même, nous verrons alors à quel prix il veut nous le faire payer.

Des fraudes étaient signalées ; on en connaît l’origine, et si on osait le contester, j’aurais encore un masse de preuves à vous fournir à cet égard : dans l’arrondissement de Tournay, surtout, il y a beaucoup de curés qui ont fait des déclarations supplétives et d’une manière contraire à la vérité ; j’ai sous les yeux la note exacte des communes, mais je me suis interdit de citer des noms propres.

On veut, messieurs, diminuer l’importance des fraudes, et voici comment : si j’ai bien lu le tableau de M. le ministre des finances, je n’y trouve qu’une seule chose, savoir, le chiffre des contributions et non pas le nombre des imposés. Or, vous savez qu’il ne faut pas, pour créer de faux électeurs, payer justement le cens entier, mais qu’il suffit quelquefois de payer une petite somme pour parfaire le cens. De sorte que ce n’est pas au chiffre des contributions qu’il fallait s’arrêter, mais au nombre de personnes imposées.

L’instruction qu’on a faite est d’ailleurs très incomplète ; souvent elle est marquée au coin de la partialité ; je pourrais vous citer surtout le rapport de M. le gouverneur de la province de Liége ; lisez ce rapport, et vous verrez que M. le gouverneur élude très adroitement la question, qu’il ne l’examine même pas.

Quoi qu’il en soit, ou nous présente une disposition qui, dit-on, doit réprimer la fraude, c’est la disposition de l’art. 2 du projet de loi. Mais, messieurs, quelle faveur vient donc nous accorder M. le ministre de l’intérieur ? Il exige le payement du cens pendant deux années. Comme on l’a fort bien fait observer, cet article légitime les fraudes commises en 1841, illégitime les fraudes pour 1844, si en 1844 il pouvait y avoir des élections par suite de dissolution, ou autrement, tandis qu’il punit des innocents. Car beaucoup de personnes inscrites sur les listes de 1842 ont le droit d’y être, et cependant par l’art. 2 de la loi elles seront éliminées ! Comme je n’ai pas l’habitude de cacher ma manière de voir, je dirai que cette disposition est tout au désavantage de l’opinion libérale. Car qui écarte-t-on par là ? la génération actuelle ; la génération actuelle qui vous fait peur et à qui vous ne cessez de faire la guerre.

En voici une preuve convaincante : si vous vouliez réparer certaine injustice qui existe dans la loi électorale pour les chambres, si vous vouliez faire un acté d’impartialité, vous feriez pour les élections de la chambre ce qui existe pour les élections communales et provinciales, c’est-à-dire que vous tiendriez compte de la contribution, en raison de la nu-propriété. Comme dans notre pays, d’après les anciennes lois, encore applicables aux unions contractées sous leur empiré, le survivant est usufruitier, les enfants nu-propriétaires sont éloignés des élections pour la chambre, tandis qu’ils participent aux élections pour la commune et pour la province. Mais on se gardera bien de toucher à ce point ; on ne veut pas, je le répète, de la génération actuelle.

Quant à la fraude, pourquoi ne pas aller directement au but. Si on veut sincèrement réprimer la fraude, pourquoi ne pas atteindre directement ceux qui s’en sont rendus coupables ? Fallait-il plus de temps que nous n’en mettons maintenant à faire cette loi, que je considère comme incomplète, comme désastreuse, pour établir quelques pénalités contre ceux qui se rendraient coupables de fraude.

Est-il bien difficile, est-il aussi difficile, surtout, qu’on veut bien le faire accroire, de constater qu’un homme exerce ou n’exerce pas une industrie ? Y a-t-il là quelque chose de vague ? Si quelqu’un fait la déclaration d’une industrie qu’il n’exerce pas et se fait porter sur la liste des électeurs, c’est une fraude, une fraude commise dans l’intention d’exercer un droit politique qu’il n’a pas. Pourquoi cet homme ne serait-il pas soumis à une amende, voire même à une peine corporelle ?

En France, messieurs, le paiement du cens ne suffit pas. Le cens n’est que le signe de la capacité ; mais la capacité est indispensable et la présomption peut être détruite par la vérité. Je ne vois pas pourquoi nous aurions eu plus de peine en Belgique qu’en France d’établir une pénalité contre ceux qui se rendent coupables de fraude ? Il y avait d’ailleurs un moyen d’éviter les poursuites téméraires. J’aurais donné le droit de dénonciation à tout électeur se trouvant sur les listes, mais je l’aurais condamné à une amende très forte, s’il avait succombé dans sa dénonciation.

Si ou avait voulu sincèrement réprimer la fraude, on nous aurait présenté des dispositions pénales et non pas une disposition qui est insignifiante, qui frappe l’innocent comme le coupable et qui éloigne des électeurs appartenant en grande partie à la génération actuelle.

Dans l’état des choses, il n’y a peut-être plus qu’un moyen ; et à défaut de mieux, ce serait celui auquel je me rallierais ; j’entends parler de l’amendement annoncé par l’honorable M. Mercier. En effet, les fraudes, à proprement parler, ne se sont commises que dans le second semestre, et en se bornant aux inscriptions du deuxième semestre, on ne frapperait pas au moins les électeurs qui, s’appuyant sur une industrie qu’ils exerçaient, sur un droit qu’ils avaient, se sont fait porter sur les listes dès le premier semestre.

Mais puisqu’on veut la sincérité dans les élections, puisque, s’il faut en croire M. le ministre, son but n’était pas de servir un parti ; pourquoi donc, puisque le moment était favorable, n’a-t-il pas ajouté, lui ministre de l’intérieur et de la justice à la fois, lui qui a tant de perspicacité, pourquoi n’a-t-il pas ajouté quelques autres dispositions qui étaient nécessaires en raison des circonstances, et que nous aurions pu présenter nous-mêmes, si nous avions osé toucher à cette loi que nous avons toujours considérée comme une arche sainte, au moins pour les temps où nous vivons ; mais avant tout pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas pris l’initiative pour réprimer certains abus qui sont dénoncés de toutes parts, pourquoi n’a-t-il pas fait exécuter la loi, alors que la loi était suffisante ? Puisqu’on a parlé de curés, il m’est permis d’en parler aussi : grand nombre de curés prennent les contributions des biens de fabrique pour se faire mettre sur les listes électorales. Des centaines d’électeurs disparaîtraient de la liste électorale, si l’on empêchait cet abus. Pourquoi le gouvernement ne donne-t-il pas des instructions à cet égard ? Je suis heureux que, de cette tribune, je puisse donner l’éveil à tous les électeurs qui, avant le délai fatal, auront encore le temps de s’opposer aux inscriptions de certains curés qui n’ont pour tout cens que les contributions des biens d’église. Le droit d’opposition est évident, et il ne manquera pas de défenseurs dans cette circonstance.

Il y a encore un autre abus du même genre.

Nous avons, messieurs, des collèges épiscopaux, des petits séminaires, ou il y a dix, douze professeurs qui se partagent les contributions de l’établissement et qui tous ainsi sont portés sur les listes électorales. Et qu’on ne le nie pas, car j’en ai la preuve en main. Il dépend encore des électeurs de faire opposition à ces inscriptions ; jusqu’au dernier jour ils en ont le droit, et il disparaîtra de cette manière un grand nombre d’électeurs des listes de 1843. C’est un second avertissement que je me permets de donner ici aux électeurs que la chose concerne.

Vous voulez, M. le ministre, la sincérité dans les élections. Eh, mon Dieu, pourquoi donc, alors que la presse vous avait instruit, n’avez-vous pas aussi présenté certaines dispositions salutaires contre des faits graves qui avaient été perpétrés naguère, et que les tribunaux n’avaient pas pu punir parce que la loi était incomplète, ou au moins inapplicable ?

Un jugement du tribunal de Charleroy, en date du 19 janvier dernier, nous a appris qu’un curé avait été traduit à sa barre pour, « au moment où un électeur venait déposer son bulletin, l’avoir arraché de ses mains.» Force a été au tribunal de prononcer un acquittement, parce que la loi pénale n’était pas applicable.

On veut de la moralité en Belgique ; et voilà un fait grave, immoral, constaté par un tribunal correctionnel et resté impuni, parce que la loi pénale était inapplicable, et M. le ministre de l’intérieur, qui se vante de vouloir la sincérité dans les élections, ne fait aucune proposition pour combler une lacune fait aujourd’hui constante.

Le but de M. le ministre, en présentant son projet, n’était pas la sincérité dans les élections, nous l’avons démontré à satiété ; sous le vain prétexte de vouloir réprimer la fraude dans la formation des listes, son intention a été de toucher à l’exercice du droit électoral, et, ne nous y trompons pas, ou nous propose une véritable réforme électorale.

Le mot réforme vous a toujours effrayé, quand il sortait de notre bouche ; mais aujourd’hui qu’il convient à d’autres intérêts, li semble qu’il comporte une autre signification ; une réforme électorale est nécessaire en 1843 ; il faut achever l’œuvre, il faut risquer son tout dans ce moment critique ; le danger est grand, beaucoup plus grand qu’en 1841 ; il faut à tout prix conjurer l’orage ; il faut réussir, le succès dût-il accélérer la chute.

S’il ne s’agissait que d’un intérêt de parti, je pourrais comprendre cette conduite ; mais il s’agit de nos intérêts communs, il s’agit de la tranquillité et du bonheur du pays. Ne nous y trompons point, messieurs, c’est une vérité dure peut-être, mais il faut que je vous la dise : les choses, telles qu’elles sont établies maintenant, ne sont plus de notre temps ; on veut partout un changement, et à tout prix ; on est fatigué des révolutions proprement dites, mais on veut une révolution électorale, et cette révolution-là est dans l’ordre, ceux qui la veulent sont dans leur droit : on aura beau faire, dût la majorité réussir, la réaction n’en sera que plus forte, car l’esprit public saura toujours se faire jour.

Messieurs, ce que je vois surtout dans la loi qu’on nous présente, ce sont des atteintes portées aux plus précieux de nos droits : d’abord j’y vois, une atteinte au droit électoral lui-même pris dans sa source ; j’y vois ensuite une atteinte, ou au moins une tentative d’atteinte au droit d’association. J’y vois une tendance au fractionnement que l’on n’ose pas demander ouvertement, et il ne me sera pas difficile de démontrer cette tendance ; j’y vois enfin de nouvelles faveurs accordées aux campagnes.

M. Eloy de Burdinne et M. Peeters. - Elles sont asservies par les villes.

M. Verhaegen. - Vous interprétez mal mes paroles ; je cite des faits et je me borne à les constater, car les campagnes ont toutes mes sympathies, et depuis longtemps j’en ai donné des preuves.

J’ai dit que le projet de loi porte atteinte au droit électoral pris à sa source : messieurs, la source de ce droit est toute populaire ; déjà, dans d’autres circonstances, on a tenté de toucher à cette source, et on veut encore y toucher aujourd’hui ; ce n’est pas seulement dans la formation des listes que le projet donne au pouvoir exécutif une intervention dangereuse, car s’il est vrai que les électeurs auront le même droit que le commissaire de district d’appeler devant la députation, qu’ils auront le même droit que le gouverneur de se pourvoir en cassation, il est vrai aussi que le commissaire de district et le gouverneur auront sous la main tous les documents et qu’ils n’agiront que lorsque l’intérêt de leur parti l’exigera ainsi et lorsque le gouvernement le voudra bien. Sous ce rapport la position des électeurs et celle des commissaires de district et des gouverneurs est loin d’être la même.

Mais ce n’est pas seulement dans la confection des listes électorales qu’il y a intervention du pouvoir exécutif, le projet consacre encore cette intervention dans l’élection même. C’est une chose édifiante que de voir consacrer, par une disposition législative, le principe que les bourgmestres de campagne formeront en première ligne les bureaux électoraux, Ainsi à Bruxelles, par exemple, tous les bureaux seront composés de bourgmestres des campagnes, voire même des bourgmestres nommés en dehors du conseil. Or, messieurs, d’après les considérations que j’ai eu l’honneur d’exposer, il nous sera facile d’apprécier les dangers d’une pareille disposition.

J’ai dit ensuite que l’on tente de toucher au droit d’association. En effet, on aura beau expliquer, torturer l’art. 10, on y trouvera toujours le moyen d’entraver ce qui est l’exercice légitime d’un droit. On veut toucher aux élections préparatoires, on veut même toucher à la presse, car si la disposition reste telle qu’elle est, je ne serais pas étonné qu’un jour on vînt dire qu’il n’est plus permis aux journaux, soit à l’occasion des élections, soit le jour des élections, d’examiner le mérite de tel ou tel candidat. La disposition est tellement élastique qu’on arrivera à ce résultat.

Qu’on défende les libelles, les caricatures, rien de mieux ; nous donnerons les mains à toute disposition qui serait de nature à atteindre ce but, mais qu’on ne touche pas aux grands principes écrits dans le pacte fondamental, et surtout qu’on ne vienne pas détruire ce qui est de l’essence des élections.

Il semble, messieurs, que l’on ait peur d’un grand concours d’hommes qui cependant ont le droit de s’éclairer mutuellement. J’appelle, moi, un collège électoral une véritable famille. Aussi longtemps que certaine opinion n’aura pas obtenu le fractionnement qu’elle désire ardemment, mais que, par un reste de pudeur, elle n’ose pas demander actuellement, il faudra bien qu’on subisse les conséquences du principe de l’unité des collèges électoraux.

Messieurs, le vœu des électeurs n’est après tout que le vœu qu’une famille entière exprime, et ce vœu s’exprime très légitimement après délibération. Est-il donc défendu aux individus chargés d’un intérêt si grand, de s’entendre, de se consulter, de présenter des objections et de répondre à ces objections, Eh bien, l’art. 10 met tout cela de côté ; j’ai donc le droit de dire qu’on veut toucher aux principes fondamentaux écrits dans la constitution.

Ce qu’il y a de plus extraordinaire, messieurs, c’est qu’on ne veut pas de la simultanéité en ce qui concerne le vœu à exprimer par les électeurs, mais qu’on en veut bien en ce qui concerne la nomination par un seul scrutin des sénateurs et des représentants. Là on veut encore atteindre un but, le principe de l’élection simultanée des sénateurs et des représentants devait avoir un corollaire dans la pensée de la section centrale ; ce corollaire, c’était le papier timbré. M. le ministre de l’intérieur, d’accord, sans doute, avec certains membres qui ont vu plus clair sur ce point que la section centrale, n’a pas voulu du papier timbré, il a préféré deux billets dont l’un portera à l’extérieur le mot sénateurs ; l’autre le mot représentants ; c’est un moyen de contrôle donné à l’œil scrutateur du curé à l’égard de l’électeur des campagnes, car chaque, écriture différente a son caractère différent, et il est facile de la reconnaître. Le corollaire nouveau de M. le ministre de l’intérieur est donc beaucoup plus dangereux que le corollaire proposé par la section centrale.

On veut nommer en même temps les sénateurs et les représentants ; encore une fois, le but de ceux qui le veulent ainsi est connu ; mais quel que soit ce but, il ne leur est pas permis, pour l’atteindre, d’enlever aux électeurs un droit écrit dans la constitution. On veut que les sénateurs et les représentants soient nommés au même scrutin ; mais c’est défendre aux électeurs de nommer représentant un homme qu’ils auraient porté d’abord au sénat et qui n’aurait pas réussi dans cette première lutte. Veut-on contrarier ainsi le vœu populaire ? car c’est le principe populaire qui est la source de l’élection, telle qu’elle est établie par la constitution. Je prie l’auteur de la proposition à qui j’ai fait cette objection dans ma section, de me donner, à cet égard, une réponse catégorique.

M. Malou. - Elle est dans le rapport.

M. Verhaegen. - Je n’ai pas vu cette réponse dans le rapport, car je n’appelle pas une réponse un subterfuge, un prétexte : vous vous êtes mis à côté de la difficulté. Je vous demande : est-il vrai, oui ou non, que j’ai le droit de porter à la chambre quiconque peut être porté au sénat et vice versa ? Vous ne pouvez pas nier cette prémisse ; j’ai droit de porter à la chambre celui que j’ai porté d’abord sans succès au sénat, comme j’ai le droit de porter au sénat celui que j’ai porté d’abord à la chambre.

Si j’ai ce droit, vous devez me mettre à même de l’exercer, et votre disposition me l’enlève, vous touchez même à la base du droit électoral. Il n’y a pas de réponse possible à cette objection. Et, messieurs, ce ne sont pas ici des prétextes. L’expérience a démontré que mes prévisions peuvent se réaliser. L’honorable M. Malou se le rappellera, un membre de la section à laquelle j’appartenais a cité des noms propres qui pourraient se présenter dans la double lutte au mois de juin 1843.

M. Malou. - Je vous ai demandé de citer des faits dans le passé, et vous m’avez cité des opinions sur le futur.

M. Verhaegen. - Je vous remercie de votre observation ; je vais vous citer des faits dans le passé, et le passé nous éclairera pour l’avenir.

Je vous citerai, entre autres, ce qui a eu lieu à Mons. Vous savez, messieurs, que Mons et Tournay nomment alternativement un ou deux sénateurs. A certaine époque, se trouvaient sur les rangs, à Mons, alors qu’on n’y nommait qu’un sénateur, l’honorable M. de Sécus, père, et l’honorable M. Duval de Beaulieu,, qui siège encore actuellement au sénat. M. de Sécus, père, l’emporta sur son compétiteur, il fut nommé sénateur, mais les électeurs portèrent plus tard l’honorable M. Duval de Beaulieu à la chambre des représentants.

Un membre. - Oui, deux ans après.

M. Verhaegen. - Soit ; s’il n’a pas été nommé immédiatement, au moins il pouvait l’être, car il a concouru dans ce scrutin avec M. de Puydt ; et on veut enlever ce droit à quiconque se trouvera dans la même position !

J’attendrai une réponse catégorique à l’objection ; je supplie l’honorable rapporteur de ne pas tourner autour de la difficulté, mais de nous dire par oui ou non, si, au moyen de la disposition que je combats on n’empêche pas un candidat de se porter d’abord au sénat, et ensuite à la chambre des représentants ; si, comme il le doit, il me répond affirmativement, la disposition n’a aucune chance de succès, car elle porte atteinte un des droits les plus sacrés écrits dans la constitution.

Et puis, voyez encore quelle singulière opération. La simultanéité se rencontrera quelquefois, et quelquefois pas, car les mandats ne sont pas de même nature, quant à la durée surtout ; vous réunissez des choses qui, à certains égards, sont différenciées. Ainsi, il n’y a des élections pour le sénat que tous les huit ans, tandis que les élections pour la chambre ont lieu tous les quatre ans. Ce beau principe recevra donc toute son exécution une fois tous les huit ans, et à certaines élections il n’en sera pas question.

Maintenant, la proposition de M. le ministre de l’intérieur, tendant à faire admettre deux billets sur lesquels on écrira à l’extérieur les mots de sénateur ou de représentant, sera, je le comprends, accueillie avec avidité par certaine opinion : dans ce système, il n’y aura plus de secret ; tous les votes pourront être connus. Ainsi, un individu accompagnera à l’élection les électeurs dont il croit être sûr ; il pliera les billets ; il écrira les mots de sénateur ou de représentant de telle ou telle manière, il y fera même, s’il le faut, une faute d’orthographe, et il pourra, de cette manière, contrôler tous les billets qu’il aura remis.

Voulez-vous savoir, messieurs, où nous marchons avec un pareil système ? Je vais vous le dire :

On nous a parlé des campagnes, des curés de campagne, et c’est M. le ministre de l’intérieur qui, le premier, a prononcé ces mots en prétendant qu’il avait osé contrarier un curé ; eh bien, voici ce qui arrivera : On demande une intervention pour le pouvoir exécutif dans la formation des listes ; on aura, grâce aux opérations qu’on a faites, des bourgmestres tout dévoués qui y auront présidé ; les électeurs qui figureront sur ces listes, si les campagnes veulent bien encore subir le joug clérical, recevront les conseils du curé ; le curé aura à sa disposition, le prêche, le confessionnal, mille petits moyens ; le jour de l’élection, il célébrera une messe du Saint-Esprit, et après cela il se mettra en route avec tous ses électeurs qu’il surveillera de près ; le curé en tète, on arrivera à la ville ; il ne peut y avoir de signe de ralliement, mais c’est le curé qui portera le signe sur sa tête (on rit !) ; on arrivera ainsi jusqu’au bureau électoral.

Maintenant, il faut avoir grand soin qu’il n’y ait pas plus de trois bureaux dans le même local ; il serait en effet trop dangereux que les électeurs communiquassent entre eux pour s’éclairer et se consulter mutuellement ; le contact des citadins surtout serait fatal.

Les électeurs sont dans leur local respectif ; le bureau est composé de tous les bourgmestres de campagne, c’est très bien ; vous croyez maintenant que ceux qui ont des intérêts communs peuvent venir contrôler ce qui se fait dans ce bureau ; détrompez-vous ; ils en sont exclus ; s’ils ont l’audace d’y venir, une amende de 50 à 500 fr. peut les frapper. Voilà une disposition bien sage, bien logique surtout, il faut en convenir. L’individu qui n’est pas électeur et qui commet une fraude pour le devenir, qui, par surprise, entre dans la grande famille électorale, celui-là n’est puni d’aucune peine ; mais l’individu qui appartient à la grande famille et qui commet le crime d’aller dans tel bureau plutôt que dans tel autre, celui-là on le frappe d’une amende de 50 à 500 fr. !

J’avoue qu’un pareil système est trop absurde pour que je m’arrête plus longtemps à le combattre.

Mais voilà les électeurs parqués ; les voilà arrivés, le curé en tête ; ils sont dans le bureau ; ils sont, comme on l’a dit, en véritable conclave ; personne ne peut en approcher ; il faut empêcher que quelqu’un ne vienne donner un conseil, et les bureaux sont composés en conséquence ; ce n’est pas tout encore : il ne faut pas que, par hasard, le campagnard puisse accepter un billet d’un de ses amis et le substituer à celui du curé ; il faut que le curé ait le moyeu de s’assurer que c’est bien son billet qu’il a remis dans l’urne, il faut qu’au moyen de son écriture, le secret puisse se découvrir.

Enfin, si le curé venait, au moyen de ce contrôle, à découvrir que le campagnard ne reste pas fidèle à sa promesse et qu’il veut déposer un autre billet dans l’urne, il pourrait le lui arraches des mains sans être passible d’aucune peine ; c’est vraiment un beau système !

Messieurs, je n’ai pas le courage de continuer mon examen. J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais j’ai la conviction que cette loi ne vous a été présentée qu’en désespoir de cause, que l’on veut à tout prix atteindre un but pour juin 1843 ; que l’on y prenne garde, quelques efforts que l’on fasse, l’esprit public fera justice de toutes ces tentatives.

Eh, messieurs, voyez donc où nous marchons. Tout ce qui s’est fait depuis un an me donne la triste conviction que l’on ose tout ; et si l’on pouvait réussir à s’arroger ainsi le pouvoir sans crainte d’en être jamais évincé, il ne faudrait plus alors qu’une chose, il faudrait encore saper dans sa base l’ordre judiciaire, la magistrature qui est une de vos dernières sauvegardes. Nous avons vu depuis trop longtemps comment ce pouvoir indépendant est traité au sein de la législature.

En vain, nous réclamons justice pour elle, depuis six ans, nous ne l’obtenons pas ; et quand il s’agit de la considération dont elle doit jouir, vous avez vu quelles sorties inconvenantes on s’est permises naguère, vous avez vu de quelle manière on a voulu empiéter sur ses droits !

Voilà, messieurs, quelles sont les tendances. Et bientôt, messieurs, nous serons la risée de nos voisins ; on nous considérera comme gouvernés par le clergé ; on dira que nos institutions sont faussées et que notre édifice social est prêt à s’écrouler. Un journal français contenait ces paroles :

« Les élections se font en France à l’aide de brevets et de pensions, en Angleterre à coups de poing, tandis qu’en Espagne, on y prélude à coups de fusils, et pour compléter ce séduisant tableau elles se font au moyen de billets de confession et de patentes de maquignons. »

Un journal de La Haye disait ;

« En Angleterre c’est l’aristocratie qui corrompt. En France, il faut bien le dire, c’est à la vanité, à l’amour des places, aux intérêts des localités qu’on s’adresse pour obtenir des majorités, etc. »

« En Belgique les abus sont les mêmes, mais la source en est ailleurs ; là le parti qu’on nomme clérical exerce une haute influence sur les affaires de l’Etat, et de nombreuses congrégations ultramontaines ont formé dans ce pays des associations industriellement religieuses qui tiennent ouvertement fabriques d’électeurs. Quand arrivait l’époque de la réunion des collèges, à l’aide de caisses richement dotées par les congréganistes, elles improvisaient des votants, grâce à des patentes distribuées et payées par elles ; elles obtenaient ainsi des majorités qui leur étaient dévouées et leur assuraient la prépondérance dans les affaires de l’Etat. »

Je ne veux pas pour mon compte donner lieu à de pareilles réflexions. J’ai dit, comme toujours, ma pensée ; advienne que pourra. La majorité dût-elle réussir dans cette folle entreprise, je le dis tout haut, la réaction n’en sera que plus forte et elle aura à regretter ce qu’elle aura fait en désespoir de cause.

(Moniteur belge n°75, du 16 mars 1843) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, s’il m’était permis de traiter l’honorable préopinant comme il traite les ministres, s’il m’était permis de le mettre à son tour sur la sellette, je dirais : Il y a deux influences occultes que je redoute également pour mon pays : L’une, tant de fois signalée dans cette chambre, cette influence occulte, si elle existe, je m’y oppose, je la décline mais il y a une autre influence occulte qui ne doit pas être inconnue à l’honorable préopinant.

S’il m’était permis de le prendre à partie, je lui demanderais s’il ignore qui a organisée cette vaste et ténébreuse influence politique qui s’étend sur tous les points du pays, s’il ignore les moyens qu’emploie celui qui s’est placé à la tête de ce grand mouvement occulte. Je lui demanderais de quelle manière on est parvenu à jeter dans le pays ce fantôme de la dîme, fantôme qui pendant si longtemps a inquiété les populations. Je lui demanderais comment il a été possible de publier dans une circulaire électorale, que tel jour dans la chambre on s’était opposé au rétablissement de la dîme, tandis que jamais pareille proposition n’avait été faite dans cette assemblée et que si elle eût été faite, vous eussiez été unanimes pour la repousser.

Un membre. - C’est un vieux grief.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On a rappelé tous les vieux griefs.

Je lui demanderais compte, enfin, de ces tentatives étranges d’alliance, tentatives qui ont été faites, dans une grande ville, entre l’opposition libérale et l’orangisme, accouplement monstrueux, alliance indigne des unes et des autres.

Un membre. - C’est vous qui en avez donné l’exemple.

Un autre membre. - Oui c’est monstrueux ! c’est indigne !

(Agitation prolongée en sens divers.)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voilà, messieurs, à quelles recherche, il faudrait nous livrer ; voilà quelles proportions il faudrait donner à ce débat, si ou voulait vous signaler toutes les influences patentes et occultes qui se disputent notre pays. (Nouveau mouvement.)

Il y a dans la carrière de l’honorable préopinant un acte que je ne puis assez louer. Bourgmestre d’une commune voisine de la capitale, il a compris qu’il ne pouvait pas rester à la tête de l’administration de cette commune, il a compris que, chef d’une opinion exclusive, il ne pouvait plus donner à ses administrés l’exemple de la conciliation et de l’union, il s’est fait justice à lui-même ; je l’en remercie. (Agitation, rumeurs diverses.)

Ce que je regrette, messieurs, c’est que d’autres bourgmestres qui pensent comme lui, c’est que d’autres bourgmestres qui se sont aussi ostensiblement engagés dans la lutte des partis, ce que je regrette, c’est que ces bourgmestres, ses alliés, n’aillent pas suivi son exemple ; je regrette notamment que cet exemple n’ait pas été suivi par l’ex-bourgmestre d’une commune à laquelle se rapporte une des pétitions que vous avez reçue aujourd’hui. Je regrette que l’honorable préopinant n’ait pas eu assez d’influence sur cet ami pour l’amener à se retirer par une démission volontaire.

L’honorable préopinant a invoqué, en terminant, l’inviolabilité dont il faut entourer le pouvoir judiciaire. Je ne réclame pas la même inviolabilité en faveur du pouvoir exécutif, je n’ai pas le droit de la réclamer ; mais je sais jusqu’à quel point ce pouvoir dans ses actes est justiciable de cette chambre, je sais jusqu’à quel point je dois et je puis entrer dans des questions de détail et de personnes, sans m’exposer à tomber dans une véritable confusion de pouvoirs. J’ai récemment défendu comme l’honorable préopinant le pouvoir judiciaire, mais je regrette qu’il ne comprenne pas qu’il y a des limites au compte qu’on peut exiger du pouvoir exécutif, surtout en ce qui concerne les actes les plus intimes de l’administration.

Il vous a cité plusieurs communes dont les bourgmestres n’ont pas été continués dans leurs fonctions. Dans telle commune, dit-il, le bourgmestre a été remplacé par un homme qui se trouve être le frère du curé du village. Cette commune, je la connais, je connais tous les détails de cette affaire. Le bourgmestre qui n’a pas été maintenu est un vieillard. Il ne voulait pas donner sa démission. Il a été remplacé par l’homme qu’on a jugé le plus digne. La circonstance qu’il était frère du curé ne devait pas être un titre d’exclusion à mes yeux. Elle ne l’aurait pas été aux yeux de l’honorable préopinant lui-même.

D’autres faits ont été signalés. On a, dit-on, nommé bourgmestre un employé des finances. Ce fait m’est inconnu. Je demanderai à l’honorable membre de me faire connaître confidentiellement la commune. J’éclaircirai le fait, et, s’il y a incompatibilité, justice sera faite. L’honorable membre a cité une commune de l’arrondissement de Nivelles, où un homme coupable de faux, a été nommé bourgmestre. Je lui ferai la même prière que pour le fait précédent, et justice sera également faite s’il a été bien informé.

Un fait a été signalé pour une commune d’un arrondissement de la province de Liége ; j’en suis déjà informé ; si l’individu nommé ne parvient pas à se justifier, justice sera faite par l’administration. Ce sont là des faits qui se rencontrent tous les jours et qui sont inévitables dans un aussi vaste remaniement. C’est ainsi que depuis que je suis au ministère j’ai découvert plusieurs faits de ce genre qui remontaient à l’administration de mes prédécesseurs, J’ai provoqué la destitution d’un bourgmestre qui avait été condamné à la réclusion, et d’un échevin qui se trouvait dans le même cas. Ces erreurs étaient involontaires de la part de mes prédécesseurs, comme elles le seraient de la mienne, si elles ont été commises.

Sortant du cercle des bourgmestres, l’honorable préopinant m’a reproché d’avoir nommé pour président d’un conseil de milice un homme qui avait été condamné pour contravention aux lois sur la milice. Si je ne me trompe sur la personne à laquelle il a fait allusion, le me bornerai à dire que ce n’est pas moi qui ai fait le premier cette nomination, il a été nommé depuis 7 ans, et tous les ministères l’ont confirme.

M. Delfosse. - Il a été présenté par le gouverneur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si je puis deviner le nom de la personne, je dis qu’il a été président du conseil de milice depuis plus de sept ans ; et il a été successivement nommé et maintenu par tous les ministères.

L’honorable membre vous a signalé des déplacements de fonctionnaires publics, comme ayant été faits dans un intérêt politique et électoral, et il s’est adressé au chef d’un autre département. J’ignore ce qui s’est passé, mais voici un fait que je me suis abstenu de faire connaître à mon collègue des finances pour ne pas être accusé d’être animé d’un esprit de vengeance.

Dans une commune, un receveur et un notaire étaient, l’un président et l’autre scrutateur. Ils n’ont pas tardé à reconnaître, au dépouillement du scrutin, que leur opinion ne l’emporterait pas, alors ils se sont esquivés, de sorte qu’il y a eu impossibilité de signer le procès-verbal, et la députation de cette province a dû considérer l’élection comme non avenue, parce que le procès verbal n’était pas signé. C’est là un acte très coupable, et cependant je me suis abstenu de le signaler à mon collègue des finances. Cependant, si on avait déplacé ce fonctionnaire pour avoir tenu une conduite répréhensible, je dis qu’on aurait très bien fait.

M. Peeters. - On devrait le faire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant, toujours pour signaler les tendances du ministère et surtout les miennes, vous a cité l’arrêté relatif aux cloches, et la circulaire relative aux cimetières. L’arrêté relatif aux cloches a été contresigné par l’honorable M. Van Volxem, la chambre est saisie d’un projet de loi, et il n’appartient à personne de nous de préjuger l’opinion définitive de la chambre sur cette question. Quant à la circulaire relative aux cimetières, c’est moi qui l’ai signée. Cette circulaire n’innove en rien, et je dois dire qu’elle n’est pas de nature à satisfaire cette influence dont on me dit l’instrument docile. Voici ce qui a donné lieu à cette circulaire :

Dans une commune rurale, un homme s’était suicidé, le curé, comme il en avait le droit, lui a refusé la sépulture religieuse. Le bourgmestre a demandé au curé d’indiquer l’endroit où d’après les lois et décrets sur les cimetières, on pouvait enterrer cet homme. Le curé a refusé d’indiquer un endroit et a dit : Tout le cimetière est béni, je laisse le cimetière béni, et vous n’y enterrerez pas cet homme. On a été obligé de l’enterrer dans un bois. Le fait est venu à ma connaissance ; le cadavre a été exhumé ; le curé a dû indiquer au cimetière un endroit où cet homme a pu être légalement enterré, sinon comme chrétien, au moins comme homme.

C’est à la suite de ce fait que j’ai adressé une circulaire aux gouverneurs, pour leur prescrire de vérifier si les décrets qui exigent qu’il y ait dans les cimetières des endroits réservés, étaient observés ou non, afin de prévenir le retour d’un nouveau scandale du même genre, puisque malheureusement le suicide commence à passer de nos grandes villes dans les campagnes. Ainsi, cette circulaire, si je pouvais la qualifier en me servant des expressions de l’honorable membre, serait plutôt anticléricale.

Voilà ce qui s’est passé ; cette circulaire a été mal interprétée par les journaux ; je me suis néanmoins tu, ne voulant pas avoir d’autres embarras.

Nos débats offrent depuis deux jours un singulier spectacle. La minorité, que je respecte, que j’ai toujours respectée, vient dire à la majorité : Vous êtes condamnés par le pays, vous le savez, et vous faites un dernier effort, un effort désespéré pour échapper à votre arrêt. C’est un spectacle étrange, c’est un langage que certainement on a bien rarement entendu dans des assemblées délibérantes, et que bien certainement aussi les majorités ont bien rarement toléré.

Votre mission, dit l’honorable membre, est d’empêcher l’arrivée dans cette chambre d’une majorité libérale. C’est encore là, messieurs, ne rapporter qu’une partie de mes paroles. J’ai dit, et je ne désavoue pas ces déclarations, j’ai dit : Il y a dans cette chambre depuis 1830, une majorité mixte, qui n’est ni catholique, ni libérale, majorité composée des hommes modérés de ces deux nuances d’opinions. J’ai dit que cette majorité qui avait dirige les affaires depuis 1830, n’était pas indigne de les diriger encore dans l’avenir. Voilà ce que j’ai prétendu. Conserver cette majorité mixte, qui n’est ni catholique, ni libérale, dans le parlement, telle est la mission, je l’avoue, que mes collègues et moi, avons acceptée en entrant au ministère en avril 1841. (Interruption). D après nous, il existait encore à cette époque dans le parlement, une majorité qui n’était pas indigne de diriger encore les affaires du pays, elle l’a prouvé. (Mouvement.) Je n’ai besoin que d’évoquer les actes de la dernière session, de citer cette loi sur l’instruction primaire, dont l’honorable M. Verhaegen n’a pas voulu, et qui restera néanmoins un titre de gloire pour cette majorité, si tant est que pour le malheur du pays, elle vienne à disparaître. Que cette majorité attende sans crainte le jugement de l’histoire, son passage a été marqué par des actes utiles et honorables, qui prouveront que ceux qui ont fait des efforts pour la conserver, n’ont pas été démentis par les événements. Cette loi de l’instruction primaire devait être une grande épreuve pour le gouvernement et pour cette majorité. Cette épreuve, nous l’avons acceptée, nous l’avons surmontée, nous avons réussi ; et ce succès justifierait à lui seul l’avènement du ministère actuel (Interruption.)

Vous n’avez pas eu d’opposition, dit-on à côté de moi ; mais on nous avait annoncé une opposition pour ainsi dire éternelle. Cette loi devait faire le désespoir de la génération actuelle. (Rumeurs.)

Il n’y a pas eu d’opposition, me dit-on, l’opposition à fini par se rendre ; trois opposants ont persisté ; mais n’est ce rien que d’avoir obtenu cette loi, non pas comme un acte d’un caractère exclusif, mas comme l’œuvre de cette majorité mixte. Non, nous avons vu l’opposition s’affaisser et s’éteindre, mais nous avions lutté vingt séances ; nous avons obtenu votre vote, l’hommage de votre vote, et cet hommage, c’est un démenti donné à bien des sinistres prévisions.

Ainsi, notre mission, nous ne le désavouons pas, c’était de conserver la majorité mixte, ni libérale, ni catholique, qui a réussi à faire la loi de l’instruction primaire. Survivra-t-elle aux élections du mois de juin prochain, nous l’espérons, mais sa présence dans cette chambre serait justifiée, n’eût-elle fait que cette loi à laquelle M. Verhaegen seul avec deux de ses collègues n’a pas donné son assentiment.

Il est difficile de dire si l’honorable M. Verhaegen veut une réforme électorale ou s’il est ennemi de toute réforme. Il vous a parlé d’une révolution électorale qui doit se faire, j’ignore par quels moyens. Il vous a parlé de l’adjonction des capacités, oubliant que cette adjonction a été rejetée par le congrès national, qu’elle est contraire à la constitution d’après les discussions et d’après les textes mêmes.

Il y a, messieurs, cinq ans que le pays a été ébranlé par un vaste pétitionnement. Au nom de quelle opinion demandait-on la reforme électorale ? Et pourquoi cette opinion, sauf quelques-uns de ses organes, à la franchise desquels je me plairai toujours à rendre justice, garde-t-elle le silence aujourd’hui ? Pour ma part je souhaite que des deux côtés on abandonne l’idée d’une réforme électorale. Je crois que la loi électorale actuelle est celle qui répond le mieux aux besoins du pays. Je ne veux pas d’un système qui consisterait à fractionner le pays en autant de collèges qu’il y aurait de députés à nommer. C’est le système français, et on en déplore l’existence ; ce serait trop souvent livrer l’élection à de petites intrigues, aux influences locales, et détruire toute grande idée politique. C’est ce que le congrès a compris, il a voulu éviter ainsi cette lutte entre les villes et les campagnes, lutte qui apparaît malheureusement dans nos débats. (Agitation.)

On a voulu mêler les villes et les campagnes ; on a voulu qu’un esprit commun pût exister entre les villes et les campagnes ; que l’esprit des villes fût tempéré par celui des campagnes et réciproquement. C’est ce que le congrès a voulu, et je n’hésite pas à regarder le système du congrès comme supérieur au système français.

Je ne veux pas non plus du système anglais, qui tient en quelque sorte le milieu entre le système français et le système belge.

En Angleterre, les collèges ne sont pas fractionnés par députés à nommer ; il existe de grands collèges, mais les suffrages sont recueillis au chef-lieu de ce qu’on peut appeler les cantons, et le dépouillement général se fait, pour les élections des comtés, au chef-lieu de comté. Je ne veux pas même de ce tempérament. Ce tempérament présenterait la plupart des vices du système français ; il serait destructif de toute grande idée ; il livrerait l’élection à des intrigues de localité et quelquefois à une seule famille.

Je veux le système actuel ; mais je le veux rendre plus sincère ; je le veux rendre plus facile. Je veux entre autres que ce système ne soit pas une déception pour les campagnes que l’on appelle à prendre part aux élections dans le chef-lieu de l’arrondissement. C’est parce que je veux que ce système ne soit pas une déception, que je n’ai pas hésité à indiquer dans l’exposé des motifs, sans pouvoir de prime abord résoudre la question, les vices que présente l’art. 24 de la loi électorale.

Vous voulez le maintien du système électoral de 1831. Vous accordez des droits aux campagnes et vous refuseriez aux campagnes les moyens qui rendent l’exercice de ces droits facile, possible de leur parti ! Ou repoussez-les des élections, ou bien, en les y admettant donnez-leur les moyens nécessaires pour l’exercice de leurs droits.

Un système électoral ne doit pas être seulement considéré par rapport aux droits électoraux ; on doit aussi le considérer par rapport aux moyens d’exercice qu’il offre pour ceux à qui les droits électoraux sont accordés.

Et voyez, messieurs, quelle étrange anomalie présente la loi électorale de 1831 ! Lorsqu’il n’y a pas coïncidence pour les élections des deux chambres, l’exercice du droit électoral est plus facile. Ainsi pour cinq provinces dans lesquelles il ne peut jamais y avoir coïncidence ou simultanéité d’élections, il y a des facilités pour l’exercice des droits électoraux qui n’existent pas pour les quatre autres ; il y a donc une véritable inégalité écrite dans la loi de 1831.

Il faut que les moyens d’exercice des droits électoraux soient les mêmes à quelque province que l’on appartienne, quelque position qu’ait assigné le sort dans le renouvellement biennal.

Mais, dit on, vous violez la liberté électorale, en exigeant la simultanéité des votes. Lorsque tel citoyen aura échoué au sénat, il vous sera impossible de le reporter comme candidat à la chambre des représentants. Mais, messieurs, on peut renverser l’hypothèse : Pourquoi ne pas dire : tel homme que vous portez à la chambre des représentants, il vous est impossible de le porter au sénat. Pourquoi la priorité donnée au sénat dans cette commune ?

Un membre. - Les qualités sont spéciales.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les qualités sont spéciales ? Mais il y a tel homme qui se trouve être membre de la chambre des représentants, et qui, s’il échouait, se trouverait réunir les qualités pour être porté au sénat. Je n’ignore pas que nous n’avons pas tous cet avantage d’être éligible au sénat. (Hilarité). Mais cependant il y a quelques uns d’entre nous qui pourraient demander que l’hypothèse fût renversée.

Maintenant, messieurs, n’exagérons pas ; voyons les choses dans leur réalité. Un citoyen échoue comme candidat au sénat. Quelques instants après, le scrutin est ouvert pour l’élection à la chambre des représentants. Pensez-vous que dans ce court intervalle, on va faire une nouvelle combinaison électorale ? Non, messieurs, c’est absolument ignorer ce qui se passe. Ce n’est pas instantanément qu’on improvise une combinaison électorale ; la chose est sans exemple. Aussi, l’exemple qu’on a cité ne prouve rien. Les choses ne se sont pas ainsi passées ; c’est deux années après que le citoyen qui avait échoué aux élections du sénat, a été nommé à la chambre des représentants. Sa candidature n’a pas été improvisée dans le court intervalle qui sépare deux scrutins, entre la proclamation du résultat du scrutin pour le sénat et l’ouverture du scrutin pour la chambre des représentants.

Je vous ai déjà signalé une inégalité que présente la loi électorale : c’est que les cinq provinces où les élections des deux chambres ne coïncident pas, se trouvent dans une position plus avantageuse que les quatre autres où la coïncidence existe. Ce n’est pas tout, messieurs ; il y a une inégalité même pour le sénat. En effet, la disposition qui exige que les élections se fassent pour les deux chambres successivement le même jour, ne s’applique au sénat que quand les sénateurs sont nommés par le même collège. Quand plusieurs collèges nomment un sénateur, c’est huit jours après qu’on procède à l’élection du sénat ; et cette fois, autre caractère d’inégalité, c’est le sénat qui vient en seconde ligne.

Vous voyez donc que de bizarreries, que de défectuosités présente la loi électorale par rapport à l’art. 24 et au § 2 de l’art. 18 que l’on perd de vue.

Je n’hésite donc pas à dire que lorsqu’on soutient que le remède proposé porte atteinte à la liberté électorale en ce sens qu’un candidat qui aurait échoué aux élections pour le sénat, ne pourrait pas être immédiatement porté à la chambre des représentants, cet argument ne peut faire aucune impression sur vos esprits. C’est se préoccuper d’un cas qui ne s’est jamais présenté et qui ne se présentera pas.

Les vices de la loi électorale en ce point sont donc pour moi démontrés à l’évidence. Il faut changer ses dispositions, à moins que l’on ne veuille laisser subsister l’inégalité dans la loi, à moins que l’on ne veuille rendre difficile, et pour ainsi dire impossible l’exercice des droits électoraux pour les électeurs étrangers au chef-lieu de l’arrondissement.

Moi, messieurs, je ne me défie de personne ; je ne sais si les campagnes sont plutôt catholiques que libérales ; j’ignore jusqu’à quel point les campagnes et les villes entrent comme contingent dans l’élection de l’un ou de l’autre d’entre vous. Je ne suis préoccupé que d’une idée ; je crois qu’il faut être juste, je crois qu’il faut vouloir sincèrement l’exécution du système électoral de 1831.

Je m’arrêterai, messieurs, à ces considérations générales. Je n’examinerai pas les différents modes qui vous ont été proposés pour atteindre le but de la simultanéité ; nous y reviendrons dans la discussion des articles. Avant de terminer, je m’arrêterai encore à un reproche de détail qui m’a été adressé.

Un curé, dit-on, avait arraché des bulletins aux électeurs ; il été traduit devant le tribunal correctionnel de Charleroi, et ce tribunal a déclaré que l’article 112 du code pénal n’était pas applicable.

J’avoue que je m’étonne qu’on n’ait pas appliqué l’art. 112. C’est une question à examiner et si réellement l’art. 112 n’est pas applicable, je dis qu’il faut faire un amendement à la loi, et je ne m’y opposerai pas.

Je vous demande la permission de lire les art. 111 et 112.

« Art. 111. Tout citoyen qui, étant chargé dans un scrutin du dépouillement des billets contenant les suffrages des citoyens, sera surpris falsifiant des billets ou les soustrayant de la masse, ou y ajoutant ou inscrivant sur les billets des votants non lettrés des noms autres que ceux qui lui auraient été désignés, sera puni du carcan. »

Cet article ne s’applique qu’aux citoyens qui sont chargés dans un scrutin du dépouillement. Mais l’art. 112 va plus loin.

« Art. 112. Toutes autres personnes coupables des faits énoncés dans l’article précédent, seront punies d’un emprisonnement de 6 mois au moins et de 2 ans au plus... »

Nous examinerons si cet art. 112 n’est pas assez général et s’il ne l’est pas, nous le rendrons plus général, nous lui donnerons une extension par un amendement que je suis très disposé à appuyer.

Plusieurs membres. - Appuyé ! appuyé !

M. Peeters. - Appuyé ! Nous voulons la réalité des élections.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je termine par une réflexion que je reproduirai probablement plus d’une fois ; j’écarte et je continue à écarter du projet tout ce qui pourrait présenter le caractère d’une réforme électorale. Je ne veux de réforme électorale d’aucun genre. Ce que je veux, c’est le maintien du système électoral de 1831. Mais je veux ce maintien d’une manière sincère ; je le veux sans que, dans l’exécution, il y ait pour ainsi dire impossibilité d’exercice des droits électoraux pour certaine catégorie d’électeurs.

M. Verhaegen (pour un fait personnel). - Messieurs, M. le ministre de l’intérieur, voulant récriminer, a porté contre moi trois accusations. Je ne répondrai pas à la première, ce serait lui donner une importance qu’elle ne mérite pas, car je ne la considère que comme une rêverie renouvelée cent fois ; je me bornerai à répondre aux deux autres.

M. le ministre vous a parlé d’influences occultes, et il a fait allusion à ce qui s’est passé naguère dans une de nos grandes villes. Il est allé jusqu’à vous parler de l’alliance de l’orangisme avec l’opinion libérale. Messieurs, on ne peut pas s’y tromper, c’est de la ville de Gand dont il s’est occupé.

Messieurs, il est malheureux que l’on renouvelle, au sein de la représentation nationale, des reproches que l’on a fait souvent et très maladroitement à la ville de Gand. M. le ministre de l’intérieur n’y a sans doute pas songé. L’orangisme n’est plus à l’état de parti dans la ville de Gand, pas plus que partout ailleurs ; et j’espère bien que l’imprudence de M. le ministre ne fera pas revivre des dissensions.

Messieurs, on me fait beaucoup trop d’honneur en m’attribuant certaines influences que je n’ai pas ; mais quelles qu’elles soient, au moins elles ne sont pas occultes ; tout ce que je fais, je le fais au grand jour, et je le soumets au contrôle de mes concitoyens. Si dans la ville de Gand il s’est opéré, au moyen d’une association, un rapprochement que le gouvernement a souvent tenté en vain ; eh bien, j’en témoigne toute ma gratitude à ceux qui ont accompli cette grande œuvre ; ils ont fourni la preuve de la puissance de l’association dont la base est écrite dans la constitution.

Je ne pense pas qu’on ose jamais toucher au principe fondamental de l’association, quoique les velléités de le faire se montrent de toutes parts. La constitution, j’espère, restera notre sauvegarde.

M. le ministre n’a pas remarqué que la société de l’Alliance dont il a parlé, renferme tout ce que la ville de Gand a de plus éminent : toute la régence, entre autres, sauf le bourgmestre, quantité de magistrats, tous les présidents des sociétés, voire même le président de la société patriotique. Et c’est cette association qui est l’objet de ses attaques. Eh bien, je crois que ses observations pourraient bien avoir un effet tout opposé à celui qu’il en attendait. Tout au moins, il y a eu sous ce rapport une grande imprudence de sa part.

On a parlé, messieurs, de la démission que l’ai donnée de mes fonctions de bourgmestre. Oui, messieurs, j’étais bourgmestre et j’ai donné ma démission ; d’autres ne m’ont pas suivi dans cette voie, ils étaient parfaitement libres à cet égard, et je n’ai donné conseil à personne ; j’ai donné ma démission parce que je voulais dans cette chambre conserver la position que j’y occupais ; parce que je ne voulais pas qu’agent du gouvernement, le gouvernement pût me destituer un jour en raison de mes opinions ; j’ai voulu rester libre de toute influence, et j’espère que mes commettants approuveront ma conduite.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas parlé de cette société. J’ai fait allusion à d’autres tentatives que l’honorable membre n’ignore pas.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.