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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 mars
1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative au tribunal de Mons
(Dolez)
2)
Composition des bureaux des sections pour le mois de mars 1843
3)
Projet de loi ayant pour but d’assurer l’exécution régulière de la loi
électorale
a) Motion
d’ordre (de Mérode, de Man d’Attenrode,
Rogier).
b) Discussion
générale. (B : intervention du gouvernement, du gouverneur, du commissaire
de district et/ou du conseil provincial dans l’établissement des listes
électorales et/ou dans la formation des bureaux ; C : police des
opérations électorales ; D : simultanéité des élections pour les deux
chambres ; F : conditions légales de cens pour être électeur) (intervention du clergé dans les élections, question
politique générale (de Mérode), jury d’assises et
délit de presse (Rogier, Nothomb,
de Mérode, Nothomb), F, B, C,
D (Malou))
c)
Discussion des articles. Conditions légales de cens pour être électeur (prise
en compte des centimes additionnels communaux et provinciaux) (Vilain XIIII, Fleussu, de Muelenaere, Delfosse, Malou), idem (extension de la période de référence) (Mercier, Nothomb)
d)
Motion d’ordre. Proposition de disjonction de la loi (Verhaegen,
Nothomb, Lebeau, de Theux, Lejeune, Delfosse, Nothomb, Verhaegen, Nothomb) (Nothomb)
(Moniteur
belge n°80, du 21 mars 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M.
Kervyn fait l’appel nominal à 11 heures et
3/4.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
approuvée.
M.
Kervyn communique l’analyse des pièces de la
correspondance :
PIECES ADRESSEES A
« Le
sieur Charles Beretzé, lieutenant-adjudant-major au
9ème de ligne, né à l’île de Jamaïque, demande la naturalisation. »
« Le sieur A. Lanou,
soldat à la 2ème compagnie du bataillon du 2ème de ligne, né à Gauchy (France),
demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les avocats du barreau de Mons demandent une augmentation
du nombre de magistrats au tribunal de cette ville. »
M. Dolez. - Je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la commission des
pétitions avec demande d’un prompt rapport. Je profite de cette occasion pour
appeler dès à présent l’attention de M le ministre de la justice sur l’objet de
cette demande ; il s’agit de l’accroissement du personnel du tribunal de Mons,
personnel qui est complètement insuffisant, au point que la marche du tribunal
est entièrement entravée. Je prierai M. le ministre de la justice de vouloir
dès à présent examiner cette affaire qui est déjà en instruction dans ses
bureaux.
La proposition de M. Dolez est adoptée.
_______________________
M. Raymaeckers
informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister aux séances de
l’assemblée.
- Pris pour notification.
COMPOSITION DES BUREAUX POUR LE MOIS DE MARS 1843
1ère section
Président : M. Duvivier
Vice-président : M. d’Huart
Secrétaire : M. Malou
Rapporteur de pétitions : M. Zoude.
2ème section
Président : M. de Behr
Vice-président : M. Lange
Secrétaire : M. de Renesse
Rapporteur de pétitions : M. Savart
3ème section
Président : M. de Garcia
Vice-président : M. Wallaert
Secrétaire : M. Lejeune
Rapporteur de pétitions : M. Morel-Danheel
4ème section
Président : M. Jonet
Vice-président : M.
Lys
Secrétaire : M. Delfosse
Rapporteur de pétitions : M. David
5ème section
Président : M. Brabant
Vice-président : M. Dumont
Secrétaire : M. Sigart
Rapporteur de pétitions : M. de Man
6ème section
Président : M. de Theux
Vice-président : M. Dubus (aîné)
Secrétaire : M. Cools
Rapporteur de pétitions : M. de Villegas
Motion d’ordre
M. de Mérode. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
L’article 21 du règlement porte : Nul n’est
interrompu lorsqu’il parle, si ce n’est pour faire un rappel au règlement.
Messieurs, avant-hier, la parole m’avait été
accordée par M. le président une heure au moins avant la fin de la séance.
J’étais debout en possession de la tribune, et je puis me servir de cette
expression puisqu’il est ici d’usage de parler de sa place, lorsqu’une demande
de parole, pour un fait personnel, est venue couper la mienne. J’ai réclamé mon
droit de possession avec d’autant plus de raison que le membre qui m’enlevait
mon tour de parole annonçait positivement qu’il voulait produire des
observations au-delà du fait personnel. Voyant quel serait le résultat de cette
digression, je n’ai pas consenti à perdre le droit de parler qui m’était
acquis, mais des appels à la générosité ont retenti dans la salle, et, malgré
ma volonté, j’ai dû me taire. Je ne suis pas étranger assurément au sentiment
de complaisance, mais comme j’avais la cause la plus digne de sollicitude à
défendre, cause bien supérieure à l’importance de tous les faits personnels
quelconques, je ne pouvais me résigner à l’abandonner. En effet, messieurs,
après les attaques les plus formelles contre les membres de l’ordre
ecclésiastique, M. le ministre de l’intérieur a pris la parole. Il avait à
prononcer un immense discours pour soutenir sa politique mixte ; il a fort
bien, assurément, défendu son rôle ministériel. Mais, absorbé par sa propre
affaire, dont il n’a pas négligé un atome, il n’a pas dit un seul mot pour
repousser certaines allégations qu’il était essentiel de réduire à leur valeur.
C’était là ma tâche, moi, qui n’ai pas besoin de m’occuper de moi-même. J’avais
acquis le droit de la remplir, et je viens le réclamer de nouveau. Nous verrons
si l’on se montrera non seulement complaisant, mais juste à mon égard, après
avoir eu le temps de la réflexion. En effet, n’était-ce pas une autre
infraction au règlement qu’un vote de clôture prononcé pendant qu’un membre
était nanti de la parole accordée par le président, et qu’il avait dû subir le
feu roulant des faits personnels se succédant les uns aux autres, en vertu
d’une première violation de son droit.
Depuis douze ans que je siège
dans cette chambre, j’ai prononcé assez de discours pour ne pas désirer, sans
nécessité, d’en prononcer encore. Je sais que le temps presse ; aussi j’avais
demandé une courte séance du dimanche que l’on m’a refusée. Mais je considère
comme un devoir en cette circonstance d’insister pour réclamer le redressement
du tort que j’ai souffert, ou pour mieux dire à ce client qui mérite tant
d’égard et auquel on a fait un nouveau procès, sans qu’il ait eu de défenseur.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, à la séance précédente la chambre a consenti à entendre un
long discours de l’honorable M. Rogier, en intervertissant l’ordre des
inscriptions à la parole ; puis elle a clôturé la discussion générale, sauf à
laisser parler le rapporteur. Qu’est-il résulté de cette tolérance et de cette
décision ? C’est que l’honorable M. de Mérode, qui était inscrit et qui allait
parler, a perdu son tour de parole.
Quand, avant-hier, les amis de l’honorable M. Rogier
réclamaient pour le laisser parler, que la chambre fît un moment abstraction de
son règlement, ils disaient : vous devez laisser parler un ancien ministre, et
la chambre a laissé parler l’ancien ministre, bien qu’il n’eût pas le droit de
parler d’après le règlement. Eh bien, l’honorable comte de Mérode est aussi ancien
ministre, et il me semble que s’il y avait convenance, comme on l’a dit,
d’entendre, remarquez-le, une deuxième fois M. Rogier, il y a d’autant plus
convenance d’entendre une première fois M. de Mérode. Car il serait, me
paraît-il, peu convenable d’enlever la parole à un ancien ministre, pour la
donner une deuxième fois à un membre de cette chambre dont la position est
analogue ; je demande donc que la chambre entende l’honorable comte de Mérode.
M. le président. - Dans la séance de samedi, la chambre a clos la discussion générale,
sauf à entendre M. le rapporteur dans la séance d’aujourd’hui. M. de Mérode
était le premier orateur inscrit avant la prise de cette décision. Maintenant
M. de Mérode réclame la parole. ; comme il y a
clôture, je constaterai la chambre.
M. Rogier. - Messieurs, je suis une des causes involontaires de la réclamation de
l’honorable M. de Mérode. Je ne puis donc pas m’opposer à ce qu’on lui accorde la
parole ; cependant je ferai observer que si l’honorable M. de Mérode rentre
dans la discussion de faits administratifs qui ont rapport à l’ancien cabinet,
force sera bien aux membres de ce cabinet de se défendre ; de manière que dès
maintenant, tout en appuyant la proposition de laisser parler M. de Mérode, je
fais mes réserves afin que la chambre autorise également les membres de
l’ancien cabinet à se défendre, pour le cas où ils seraient attaqués.
- La chambre décide qu’elle accorde la parole à M.
de Mérode.
M. Lebeau. - Il est bien entendu sans doute qu’on pourra répondre à l’honorable
membre, s’il y a lieu.
M. de Mérode. - Messieurs, il est de la plus haute importance de combattre strictement
et avec fermeté et franchise complètes, l’idée qu’on s’est plu à présenter à
plusieurs reprises concernant la cause des violences dont la ville d’Ath a été
le théâtre, au moment des élections dernières. Le prêtre, a-t-on répété avec insistance,
doit se renfermer dans son ministère, ne pas s’occuper des affaires de l’Etat,
ne pas s’intéresser activement au choix des représentants du pays ;
c’est-à-dire, que le prêtre doit se figurer bonnement que les lois n’agissent
en rien sur les mœurs, et que le caractère des lois ne dépend point du
caractère et des sentiments de ceux qui les discutent et les votent.
Partout, et on semble oublier cependant une vérité
si palpable ; partout la situation morale, la constitution matérielle des
peuples dépend de leur culte. Là où règne l’idolâtrie, la position de l’homme est déplorable au plus
haut degré, d’horribles superstitions le dégradent, il est sacrifié soit à
Saturne, comme chez les anciens, soit à Vitzliputzli
comme chez les Mexicains, avant la découverte de l’Amérique ; en Chine,
l’infanticide est considéré comme licite afin de restreindre la population.
Chez les mahométans, qui ont beaucoup pris dans la loi révélée mosaïque et même
dans le christianisme, la civilisation est généralement meilleure ; cependant
la femme, cette moitié du genre humain qui, chez nous joue un rôle si beau,
bien que certaines fonctions lui soient interdites, est à peine considérée
comme possédant une âme. Les grands la séquestrent dans les harems, et l’usage
de la race souveraine d’Othman était en outre naguère
de tuer les enfants qui pouvaient porter ombrage à l’héritier du trône. Le
christianisme a établi avec une autorité suprême la monogamie, l’homme ne peut
avoir qu’une seule femme, il doit la considérer comme sa compagne, non comme
son esclave. Dans l’Eglise catholique le divorce est défendu strictement. Il a
été aboli en France sous la restauration, et malgré la tendance à briser tout
frein, qui succéda au mouvement de 1830, cet ordre, si convenable à la
stabilité de la famille a été maintenu. J’en ai dit assez, messieurs, pour
démontrer brièvement quelle connexion il existe, chez tous les peuples, entre
la religion et la législation. Il est donc facile de juger si le prêtre ne doit
pas prudemment exercer l’influence qu’il possède l’égard de tout ce qui agit
sur le régime légal imposé à ses ouailles. Peut-il demeurer indifférent à la
confection des lois, quand la loi même lui laisse, et à juste titre, l’exercice
de ses droits de citoyen ?
Si le clergé de France, qui possède tant de vertus,
mais que des traditions, respectables par leur origine, des traditions qui
remontent au règne de Louis XIV et à l’illustre Bossuet, avaient rendu moins
capable que le clergé belge de concevoir l’ordre gouvernemental mixte ; si le
clergé de France, dis-je, pouvait faire entrer dans les chambres un certain
nombre de députés, vrais libéraux et amis de la religion comme le sont beaucoup
de membres des nôtres, l’article de la charte française qui a proclamé la
liberté de l’enseignement serait-il depuis douze années une lettre morte,
laissant peser lourdement le monopole qui cause un mal immense à l’éducation
religieuse et morale de la jeunesse, surtout dans 1a classe moyenne ? L’on ne
manque point cependant, dans les chambres françaises de députés libéraux pleins
d’ardeur pour toutes les libertés possibles. Que de propositions n’ont pas été
faites contre les lois de septembre, qu’aucun écrivain de bonne foi et
respectant la dynastie acceptée par la nation et la charte de 1830, ne peut
craindre, tant elles laissent le champ libre à la discussion utile des intérêts
publics ! Que de motions, tantôt contre les députés fonctionnaires, tantôt
contre je ne sais quels autres insignifiants griefs que l’ou poursuit avec un
zèle si puritain ! Mais en vain sont déposées sur la tribune des pétitions
d’honnêtes pères de familles, qui ne veulent pas confier l’avenir de leurs
enfants à des professeurs dont la religion, la morale est au moins inconnue,
les redresseurs de torts gardent le silence. Est-ce une affaire digne d’eux,
que la liberté la plus précieuse pour des parents chrétiens, que l’exercice
d’une liberté inscrite en toutes lettres dans la charte des barricades ?
Vous le voyez, messieurs, quand les institutions qui
intéressent à un haut degré l’Eglise n’ont point pour défenseurs dans le
parlement des hommes qui les comprennent, qui y tiennent du fond du cœur comme
mes honorables amis et moi, elles restent sans force. Et cependant, comment
l’Eglise, comment le clergé, qui est son organe, conserverait-il chez une
nation les dogmes et la morale catholiques si l’éducation chrétienne manque
essentiellement au pays ?
Il n’y a pas longtemps, c’était le 2 janvier
dernier, M. le baron Charles Dupin rappelait à l’Académie des sciences que le tiers
du peuple de Paris vit dans le libertinage, qu’un tiers des enfants sont
bâtards, qu’un huitième est exposé et abandonné dès sa naissance, et qu’un
tiers expire à l’hôpital ou sur le plus misérable grabat ; mais aussi, en
revanche, le même peuple ne subit pas la terrible, l’effrayante influence
cléricale, si menaçante dans notre siècle et qu’accepte encore une partie
notable de la nation belge, particulièrement dans les campagnes, et c’est
pourquoi je désire qu’elle puisse exercer sans entraves, ainsi que ses
pasteurs, les droits électoraux.
Cependant si les députés de la France, qui traitent
beaucoup de questions d’Orient et d’Occident ou de questions de cabinet,
s’inquiétaient sérieusement des véritables besoins de l’intérieur, sous les
rapports religieux et moraux, croyez-vous que l’éducation universitaire et
l’éducation primaire demeureraient aussi mauvaises qu’elles le sont
généralement ? Croyez vous que l’enseignement des enfants du peuple de la
grande capitale et des environs, bien soignés et placés sous une direction
cléricale, pour me servir du terme favori du langage antireligieux, ne
produirait pas, dans quelques années, une diminution très grande de tous les
désordres rappelés par M. Dupin ? Quant à moi, j’ai la certitude que tel serait
le résultat de cette direction. L’on me dira : vous avez ici la liberté de
l’enseignement ; on vient de voter une loi sur l’instruction primaire que
vous acceptez. Pourquoi le clergé ne renoncerait-il pas désormais au souci des
élections ? Oui, messieurs, nous n’en sommes pas comme la France à l’exécution
du plus important article de notre charte, je le sais ; cependant ce n’est pas
tout que de naître, il faut conserver la vie, et si les besoins religieux qu’il
faut avoir étudiés consciencieusement, profondément et non pas d’une manière
superficielle, se trouvent dans les chambres sans interprètes suffisants, à
l’avenir ils seront étouffés comme on le voit ailleurs. Et remarquez comme tout
s’enchaîne dans les affaires de ce monde. Il y a en France beaucoup de députés
opposants ou conservateurs distingués par le talent. Ils veulent, j’en suis
persuadé, le bien du pays. Malheureusement, par suite de l’éducation qu’ils ont
reçue, la plupart oublient la vraie base de conservation, la vraie base de
progrès possible. De là leur insouciance pour l’éducation des générations qui
s’élèvent ; ils laissent agir un certain nombre d’écoles des frères de la
doctrine chrétienne, Il y en a douze à Paris, mais qu’est-ce que douze écoles
dans une ville immense ? Et les collèges, quelle est leur direction religieuse,
quelle philosophie y enseigne-t-on ? M. Lacordaire, prêtre dont les idées
politiques ne sont assurément pas rétrogrades, a peint, en lettres de feu, la
situation d’un aumônier dans presque tous les établissements royaux au milieu
desquels il a vécu en cette qualité.
Les jeunes gens qu’ils ont formés deviendront
ensuite électeurs, puis députés ou ministres, et sous leur influence, restera
dans le même état cette société, que M. de Balzac définit dans une lettre
adressée à M. Ch. Nodier, une société basée uniquement sur le pouvoir de
l’argent, où le succès est déifié ; quels que soient ses moyens, et sur
laquelle il invoque un prompt retour au catholicisme, afin de purifier les
masses ; or, comment parvenir à ce but, si le législateur ne cherche pas à
l’atteindre, et pourrait-il chercher ce qu’il ignore ?
Voilà, messieurs, bien des motifs pour justifier
l’action loyale du clergé dans les élections en faveur des hommes dont il
connaît l’intelligence de ce qui concerne la religion. Sans doute, il s’expose
ainsi à quelques mécontentements de la part des personnes qu’il contrarie, mais
l’antagonisme universel, résultant des libertés communales et de la presse, ne
retient pas ceux qui ne les trouvent jamais trop larges, et qui imposent au
clergé tant de circonspection.
Que si l’on examine l’usage que les ecclésiastiques
ont généralement fait de leur influence à l’égard des élections, on le trouve
très modéré. Je ne suis pas ici pour complimenter mes amis ; mais je me
demande où l’on rencontre des mandataires du peuple plus dignes qu’eux de sa
confiance, plus sincères observateurs de leur serment constitutionnel. Pas un
ne désire accaparer les places au profit de leur opinion ; pas un ne veut que
l’on exclue des emplois supérieurs ou inférieurs et du pouvoir gouvernemental
des hommes honnêtes et capables d’une opinion différente qu’on appelle libérale, je ne sais vraiment pourquoi ;
car il semble, ainsi, que la nôtre est avare ou arbitraire. Je dois le dire, cette
expression me paraît aussi impropre que si je qualifiais notre couleur de magnifique, ou si je nommais mes amis
les généreux, ce qui établirait au
moins une sorte d’équilibre avec le terme libéral, qui éblouit apparemment bien
des gens faciles à séduire par des mots. Le meilleur me semblerait celui
d’éclectique, l’éclectisme étant la doctrine que chacun se fait à lui-même
comme il lui plaît, en puisant de toute part. Il ne blesse d’ailleurs personne,
c’est pourquoi je l’adopte. Il est ensuite un troisième parti, qui ne se met
jamais du côté des catholiques, c’est celui qui se permet les charivaris, les
coups, les insultes publiques, les strangulations tentées dans les réunions
électorales, sous prétexte que le clergé doit se renfermer dans son ministère,
qui procède en définitif par l’intimidation et la violence. Celui-là n’est pas
difficile à qualifier, je le nomme le parti libertin.
Il possède à Bruxelles un organe si noble qu’on n’en voit pas ailleurs de
pareil. Si je connaissais un parti fanatique, dévot, capable de commettre de semblables
actes, je ne le ménagerais pas davantage dans mes expressions, et si le parti
libertin pouvait renouveler ses excès, je le déclare, il n’y aurait plus ici de
gouvernement représentatif, autant vaudrait le knout russe qu’un pareil régime
constitutionnel.
Et ici, messieurs, je dois relever directement
certaines paroles de M. Lebeau ; parlant des scènes d’Ath, il a dit,
avant-hier, qu’il les déplorait sans doute, mais qu’elles attestaient le danger
qu’il y a pour le prêtre de descendre de l’autel pour entrer dans les comices
électoraux. Quand un ecclésiastique va dans les comices électoraux avec des
électeurs qui veulent émettre le même vote que lui, il ne descend pas de
l’autel, il est citoyen belge, il a le même droit qu’un vénérable ou un grand orient.
Dès qu’il y a danger pour lui et ses amis en agissant dans leur droit civique,
il n’y a plus de constitution ; c’est en vain alors que mon frère aurait perdu
la vie pour l’affranchissement de la Belgique du joug de la Hollande. Je
n’aurais plus qu’à regretter sa mort, sa mort sans compensation, voyant qu’elle
a empiré le sort des honnêtes gens du pays. Et si nous n’y prenons garde
vigoureusement, c’est là que nous en viendrons avec de pareilles manières
d’expliquer des attentats qui ne méritent que l’indignation pure et simple de
toute âme sincèrement libérale.
Je viens donc combattre énergiquement l’affectation
avec laquelle on a répété plusieurs fois que les scènes d’Ath attestaient le
danger qu’il y avait, pour le prêtre, de prendre un
part active et légale au choix des représentants de son pays. Ces scènes
attestent l’esprit de brigandage et de despotisme brutal de ceux qui n’ont pas
honte de s’en rendre coupables, rien d’autre. Et le candidat qu’ils portent n’a
qu’à rougir de ses auxiliaires.
Voilà, messieurs, ce que devait dire M. Lebeau, et
si jamais des hommes qui se prétendraient, fût-ce de très loin, mes partisans
osaient violer honteusement ainsi le droit le plus digne de respect, en allant
jusqu’à menacer de mort mes adversaires et portant sur eux des mains
sacrilèges, j’aimerais cent fois mieux ne plus reparaître dans cette enceinte
que d’y entrer par la porte que m’ouvriraient des bandits.
Mais admirez, d’autre part, quels poids différents
pèsent dans les bassins de la balance de M. Lebeau, quand il apprécie des actes
qu’il lui plaît de noircir à souhait. N’est-il pas avéré, dit-il, que les
ecclésiastiques ont souillé leur soutane en allant mentir dans les bureaux du
receveur de l’Etat, et quand ils revenaient ensuite recommander du haut de la chaire
le respect de la vérité, ne s’exposaient-ils pas à ce qu’on les interrompît
pour leur dire : vous qui recommandez l’observance de la vérité, hier vous avez
menti chez le receveur de l’impôt ? Ainsi, messieurs, quelques prêtres, il
y en a peut-être trois ou quatre, et autres personnes se sont aperçus que l’on
se donnait pour les élections communales des droits électoraux, en payant,
fût-ce sans le devoir, l’impôt nécessaire, et qu’il résultait des explications
données à la chambre même par un honorable ministre, et sans contradiction, que
le paiement de l’impôt suffisait pour exercer légalement le droit d’élire, ils
ont saisi ce moyen d’augmenter dans leur sens le nombre des électeurs ; et
c’est là une fraude, un mensonge sans excuse. On n’en parlait pas quand
c’étaient d’autres qui usaient du moyen admis par la loi ; mais pour les
derniers venus, manger l’herbe d’autrui, quel crime abominable ! Vite un projet
de loi demandé contre ce méfait, et pour celui-là seulement ! Arrachez au plus
tôt la paille qui se trouve dans un œil, gardez-vous de toucher à la poutre
placée dans un autre. Voilà la logique qu’on nous prêche. Consentant à extraire
les pailles, je veux que les poutres passent aussi par nos mains.
Pour en revenir à l’objet principal que je traite,
je rappellerai que ce qui était permis et convenable à l’époque où MM. Lebeau
et Rogier étaient nommés à Bruxelles et à Turnhout, à l’aide du concours des
membres du clergé, doit l’être encore maintenant. Bien que ces honorables
représentants aient aujourd’hui d’autres appuis, il est impossible que tous les
droits se résument en leur personne. Si les prêtres se mêlaient ensuite de
l’administration civile ils auraient tort, chacun sa tâche, ce n’est pas la
leur. Cependant si la police est mauvaise dans une commune, si elle tend par sa
négligence à démoraliser la jeunesse, si le bourgmestre se constitue
systématiquement l’adversaire du desservant, la plainte ne doit pas être
interdite à celui-ci près de l’administration supérieure, et l’administration
supérieure ne doit pas maintenir le bourgmestre malveillant pour le ministre
des cultes, quand même il obtiendrait le mandat municipal des électeurs. De
l’action électorale et de l’action gouvernementale qui se balancent naît en
effet, pour tous, le meilleur mode de protection.
Voilà, messieurs, comme j’entends l’application
morale de l’encyclique, dont une nouvelle lecture nous a été faite, je ne sais
pourquoi ; voilà tout ce que je désire, sans m’embarrasser de ce qu’a dit M. de
Gerlache dans un livre ; si M. de Gerlache a entendu blâmer le principe de la
liberté des cultes dans notre constitution. Quant à la presse, je ne crains pas
de le dire, la licence qui existe ici comme en France est un grand malheur ; et
quand on cherche pourquoi l’esprit religieux perd dans le pays, pourquoi les
crimes, les suicides augmentent, c’est par le débordement des livres immoraux,
par le dénigrement, les calomnies que de méchantes feuilles répandent partout.
Et quand je blâme les déportements détestables, est-ce à dire que j’attaque la
liberté ? Non messieurs, attaque-t-on la liberté de la circulation, parce que
l’on ne permet pas aux promeneurs de s’écarter des chemins et des sentiers et de
fouler aux pieds les moissons ? Eh bien, je dis que l’impunité des
insultes, l’impunité des publications qui attaquent, qui corrompent la société,
ressemblent, dans l’ordre moral, à ce que serait, dans l’ordre matériel, le
droit de détruire la base de l’existence physique, les produits alimentaires
fournis par les campagnes.
Sous ce point de vue l’encyclique ne peut-elle pas
dire avec raison que la liberté de publier quelqu’écrit que ce soit est un mal ? et c’est ainsi
que je la comprends pour mon compte et pour la Belgique, car je ne me mêle pas
du gouvernement de toutes les parties du monde.
Je suis persuadé que si l’on faisait aujourd’hui la
constitution, on soumettrait aux tribunaux inamovibles les délits de la presse
dont le jury ne comprend pas le danger comme le danger des crimes ordinaires.
Plus d’une fois, lorsque nous étions alliés politiques, M. Lebeau, M. Rogier
m’ont exprimé la même opinion, et je ne doute pas que, si la constitution
pouvait aujourd’hui être facilement révisée conformément à la forme prescrite,
les délits de la presse seraient livrés aux tribunaux comme on leur a livré le
duel même en cas de mort.
J’en ai dit assez, messieurs, je ne me charge pas de
commenter toutes les lettres émanées de Rome. Ce n’est pas sans peine que j’ai
vu l’empereur Nicolas qualifié, dans l’une de ces pièces, de souverain
magnanime ; c’était, à mes yeux, trop de courtoisie, elle n’a servi à rien ; et
même il ne nous servirait de rien d’avoir ici un représentant de l’autocrate
tyran de la Pologne.
La foi ne m’oblige point à adhérer à autre chose
qu’au principe du catéchisme de l’Eglise catholique, et sans avoir dans
l’infaillibilité de tous les articles de la constitution belge la même
confiance, j’ai juré de l’observer ; je ne manquerai pas à mon serment.
L’honorable M. Dolez vous a rappelé différents
griefs que son opinion avait à déduire contre le ministère actuel. Selon lui,
c’est par caprice, par une sorte d’intolérance, que mes amis et moi avons
contribué à changer l’administration précédente. Messieurs, je connaissais pour
mon compte, et par une longue expérience, les liens intimes qui unissaient deux
des ministres précédents avec l’auteur d’une publication périodique, où l’on
disait aux catholiques en résumé : « Vous n’êtes pas assez capables pour
être admis dans la direction des affaires publiques ; vous êtes bons enfants
d’ailleurs, mais faits exclusivement pour être conduits. » Cette doctrine fut
signalée dans cette enceinte, et aucun des deux ministres auxquels je fais
allusion ne voulut déclarer qu’il la répudiait. Je voyais donc, et il ne
fallait pas pour cela une perspicacité bien grande, je voyais qu’on voulait
tout bonnement nous réduire au rôle de moutons, rôle très facile assurément,
mais si facile qu’il pouvait devenir ennuyeux, si ce n’est quelque peu niais.
Messieurs, je ne m’en suis pas soucié. C’est un défaut d’humilité peut-être,
mais enfin la mienne n’est pas illimitée, je regimbai franchement et j’ai ainsi
concouru à l’avènement du ministère actuel, ce dont je n’ai point de regret,
parce que je ne veux pas de système exclusif ; et si quelqu’un de mes amis,
ayant sur moi une influence bien connue, écrivait publiquement que les citoyens
désignés sous le nom de catholiques sont seuls aptes à remplir des fonctions
éminentes dans l’Etat, je ne me laisserais pas interpeller deux fois, surtout
si j’étais ministre, pour déclarer que j’abandonne à mon camarade tout
l’honneur de son système et que je ne l’adopte en rien. Si autrement,
j’exciterais à bon droit la suspicion de mes collègues, qui ne veulent point
que les places se distribuent à la suite de certificats de dévotion, avec la même
raison qui ne me permet point de tolérer l’ostracisme des fonctions
gouvernementales, pour mes concitoyens soumis à l’observance exacte des
pratiques religieuses. D’ailleurs, quand je vis le ministère, qui avait posé
une question de cabinet sur le vote du budget des travaux publics, obtenir une
faible majorité, majorité dont un membre, M. Meeus, déclarait récemment qu’il
n’était point partisan du ministère Lebeau, et j’en connais bien d’autres
semblables, je soutins beaucoup plus que ses amis M. Mercier, ministre des
finances, qui remplissait son devoir envers le trésor de l’Etat, bien que ce
devoir fût peu populaire.
Ce n’est point avec plaisir, messieurs, que je
reviens sur ces choses passées, qu’on remue sous le moindre prétexte, et,
malgré moi, il m’en a coûté, à cette époque, pour rompre avec des collègues comme
MM. Rogier, Lebeau, Devaux, qui défendaient presque toujours avec moi
l’essentiel après une révolution, c’est-à-dire les moyens nécessaires de
gouvernement. Malheureusement, je vis poindre dans la Revue nationale l’idée
que les doctrinaires possédaient une extrême supériorité d’intelligence
politique et que la direction de la Belgique ne pouvait être parfaitement
placée que dans leurs mains. Il y eut plus tard des articles mirobolants sur
cette supériorité portée aux nues, lorsque la campagne Vandersmissen eut donné
la victoire des portefeuilles à ceux auxquels on attribuait tant de
savoir-faire, qu’avec eux le pays devait devenir transcendant. Or, pour
atteindre un but si haut, il fallait, disait-on, l’homogénéité du cabinet ; de
là, nécessité de mettre les catholiques proprement dits hors du conseil des
ministres, et comme le parti contraire ne pouvait que gagner à ce revirement,
on vit, chose bien simple, les plus chauds opposants se proclamer ministériels.
Cependant, cette supériorité fameuse, que produisait-elle ? Un achat pour cinq
millions du Président et de la British-Queen,
monstres à vapeur dont l’Angleterre voyait l’inconvénient et qu’on acquit pour
la petite Belgique, qu’on devait à toute force transformer en grande nation.
Elle produisit en outre un mécontentement sérieux parmi les gens ordinairement
les plus paisibles, à tel point que le sénat, auquel on ne peut reprocher trop
de chaleur assurément, manifesta lui-même une opposition timide et polie que le
ministère voulut écraser par un des moyens favoris de la théorie doctrinaire, à
savoir une dissolution, qu’un pouvoir supérieur n’accueillit point. Ne croyez
pas, messieurs, que, parce que je conteste à d’honorables membres de cette chambre,
qui ont été ministres, un talent tout spécial et incomparable, qu’on a voulu
leur attribuer ridiculement, j’aie oublié ce qu’ils ont fait de bien pour le
pays dans des circonstances très difficiles ; nullement. Je désire seulement,
dans notre intérêt commun, qu’ils renoncent aux arcanes de la doctrine, à ces
prétentions qui répugnent aux habitudes belges et d’après lesquelles il faut se
laisser mener par un chef, dont le génie doit conduire le
pays au pinacle des lumières et de la prospérité. Qu’ils cessent de censurer
les ecclésiastiques pour l’intérêt si juste, si bien motivé qui les engage dans
les circonstances actuelles, à porter quelque zèle aux élections d’un certain
nombre de représentants pénétrés des besoins de l’Eglise et instruits de son enseignement
sérieusement médité. Ces mêmes ecclésiastiques et nous tous, on en a eu la
preuve, ne cherchons pas à exclure du parlement d’autres hommes capables d’y
servir utilement le pays, à moins que leur ambition ne devienne absorbante,
inquiétante et ne nous force à une légitime défense, défense au scrutin libre
bien entendu, sans violence et sans insulte. Nous ne voudrons jamais que
celle-là.
M. Rogier. - Je ne veux pas prolonger la discussion générale ; je dois seulement rectifier
un fait. L’honorable préopinant a dit que lorsque des relations intimes
existaient entre lui et moi, j’aurais plusieurs fois manifesté le désir que les
délits de la presse fussent remis aux tribunaux inamovibles et soustraits au
jury. Je proteste contre cette assertion ; je n’ai pas tenu ce langage
vis-à-vis de l’honorable préopinant, ni vis-à-vis de qui que ce soit. La
constitution a remis les délits de la presse au jury, et je respecte la
constitution sous ce rapport comme sous tous les autres.
Du reste, je déplore, comme l’honorable préopinant,
les excès de la presse, de quelque part qu’ils viennent. Seulement il y a cette
différence entre les journaux, c’est que les uns existent sons la censure de personnages
respectables, tandis que les autres sont livrés à la liberté de chaque citoyen.
J’ai cru devoir faire cette observation à l’honorable préopinant ; je ne doute
pas qu’il puisse exercer une très grande influence sur certains journaux qui
sont loin de donner l’exemple de la modération.
Du reste, il est une presse que
tous les partis condamnent également, et que l’honorable préopinant ne devrait
jamais faire descendre dans cette enceinte.
Je regrette l’absence de mon honorable ami M.
Lebeau. Je suis convaincu qu’il ferait la même réponse que moi aux assertions
de M. de Mérode.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il est toujours du
devoir d’un gouvernement de défendre les institutions du pays. Je manquerais à
ce devoir, si je n’exprimais à la chambre la peine que j’ai éprouvée de voir
l’honorable préopinant jeter quelque défaveur sur le jury. Je pense que le jury
ne mérite pas cette défaveur ; nous avons eu dans le pays très peu d’exemples
d’acquittements que les amis de l’ordre pourraient blâmer.
M. de Mérode. - Vous n’osez poursuivre aucun journal.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Des poursuites ont été
dirigées contre des journaux, et ont très souvent amené des condamnations.
Si la proposition était encore à l’état de théorie,
si la constitution n’était pas faite, ce serait une très grave question de
savoir s’il faut livrer les délits de la presse, les délits politiques à la
magistrature permanente plutôt qu’au jury.
Il peut y avoir des acquittements de la part de la
magistrature permanente comme de la part du jury. Mais il y a une très grande
différence entre l’effet de l’acquittement.
Le jury vient, siège, disparaît ; sa décision ne forme
pas un précèdent ; mais si la magistrature permanente, qui a déjà tant
d’attributions, avait encore les attributions qu’on semble acclamer pour elle,
les acquittements pourraient alors former des précédents, et dégénérer en
système.
L’esprit qui animerait ae
magistrature pouvant se généraliser et devenir permanent, vous seriez peut-être
exposés à bien d’autres dangers ; c’est une considération sur laquelle je ne
veux pas insister ; je me bornerai à l’examiner. (Interruption.)
Messieurs, je répète que le jury ne mérite pas cette
défaveur, Il y a eu des acquittements qu’on a pu déplorer, mais ils sont très
peu nombreux. Il y a un an précisément à pareille époque, un jury a rempli ses
devoirs avec courage, avec patriotisme, avec intelligence dans la capitale du
pays.
M’est-il permis d’ajouter qu’il y a un motif
personnel pour lequel je n’ai pas dû me taire, c’est que je dois de la
reconnaissance au jury. J’avais été indignement calomnié comme ministre des travaux
publics ; je me suis avec confiance adressé au jury de mon pays, et le jury m’a
rendu justice ; mais cette justice que le jury de mon pays m’a rendue, je puis
l’invoquer avec plus d’assurance peut-être que si je l’avais obtenue d’une
magistrature permanente.
Voilà, messieurs, les quelques
paroles que j’ai cru devoir prononcer devant vous. Je demande bien pardon à
l’honorable préopinant si je n’ai pas pu garder le silence ; je n’ai pas voulu
que l’opinion s’accréditât de nouveau, et on aurait cherché à l’accréditer, que
nous éprouvons un tel besoin de changer nos institutions, un tel regret de ce
que nous avons fait en 1830, que nous sommes prêts à porter de nouveau la main
sur l’une de nos grandes institutions.
M. de Mérode. - Messieurs, d’après les paroles de M. le ministre de l’intérieur, il
semblerait que je veuille toucher à la constitution. Messieurs, je me suis
borné à émettre une opinion constitutionnelle ; il est dans la constitution un
article qui prévient les changements possibles. On avait parlé de l’encyclique,
comme d’une doctrine catholique très dangereuse pour nos institutions. J’ai
expliqué ce qu’était à nos yeux cette doctrine, en ce qui nous concerne et j’ai
fait voir quel mal résulte pour la société de la publication sans règle
quelconque de tout ce qui s’imprime maintenant.
Il semble que tout est pour le
mieux aux yeux de M. le ministre de l’intérieur, parce qu’il a eu se louer
personnellement du jury ; mais je lui rappellerai que le Roi et la Reine ont
été insultés par des journaux de la manière la plus grave, et M. le ministre de
l’intérieur, pas plus que les autres, n’a osé poursuivre ces journaux ; et
cependant il était clair comme le jour que la culpabilité existait.
Dans le discours que j’ai prononcé tout à l’heure,
je me suis renfermé dans les termes de la constitution ; je n’en sortirai
jamais.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, c’est précisément
parce je ne veux pas qu’on donne aux paroles de l’honorable M. de Mérode une
portée qu’elles n’ont pas dans sa pensée, que j’ai pris la parole. Maintenant
une autre réflexion me vient, et je vais la soumettre à l’honorable préopinant
: Est-ce qu’un acquittement que vous n’approuvez pas suffit pour vicier une
institution ? Un acquittement a été prononcé, il y a quelques jours, il ne l’a
pas été par le jury ; en est-ce assez pour condamner l’institution de la
magistrature permanente ?
- Cet incident n’a pas d’autre
suite. La chambre reprend la discussion du projet de loi sur les fraudes
électorales.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, dans la longue discussion que je suis appelé à clore, deux sortes
de questions ont été traités ; les unes politiques, les autres relatives au
projet. Je n’ai l’intention que de parler de ces dernières. Je négligerai même
beaucoup d’observations de détail qui ont été faites dans la discussion
générale et dont l’examen trouvera mieux sa place dans la discussion des
articles. Parmi les autres observations, il en est qui se rapportent à
l’ensemble de la loi, il en est qui se rattachent à diverses questions de
principes résolues par le projet.
La première objection générale consiste à dire que
le projet est un remaniement intégral de la loi de 1831, que c’est une espèce
de réforme électorale, d’autres membres ont même dit une véritable réforme
électorale.
Le projet se compose, il est vrai, d’un certain
nombre d’articles ; mais la plupart ont une importance si secondaire qu’on n’en
a pas dit un mot jusqu’à présent. Le nombre des questions véritablement
importantes est très petit ; aucune d’elles ne se rattache aux bases de la loi
de 1831, aucune ne vient changer la majorité ; j’ajouterai que toutes ces
dispositions sont justifiées par des faits.
Je partage l’opinion déjà émise dans cette enceinte,
qu’il n’y a pas lieu de statuer à l’occasion de cette loi sur les pétitions
relatives à la réforme électorale. La réforme électorale a été une question de
bruit ; le bruit est passé, je ne vois aucune nécessité de faire renaître une
question morte.
Une autre objection a été produite. On nous fait
payer bien cher, a-t-on dit, la répression de la fraude. Il me semble,
messieurs, que toutes les opinions ont un égal intérêt à l’exécution régulière
et uniforme de la loi électorale. Il me semble qu’aucune opinion ne peut dire
qu’elle a un intérêt exclusif à ce que les listes soient régulièrement formées,
les opérations faites avec ordre et conduites avec toute la rapidité possible.
Ce sont là les dispositions essentielles du projet ; elles sont conçues dans
l’intérêt de toutes les opinions.
La loi ne pouvait se borner à prévoir un seul pont.
Dès les discussions qui ont eu lieu au mois de décembre, on devait s’attendre à
ce que d’autres dispositions fussent posées ; M. le ministre l’avait déclaré,
d’autres membres avaient signalé des faits qui appelaient aussi des mesures
législatives nouvelles.
Un honorable orateur, qui a ouvert la séance de
samedi, s’est étonné de la docilité de la section centrale, quant à la question
de disjonction du projet. Cette question s’est présentée, mais la section
centrale n’a pas été appelée à statuer, parce que l’on n’a pas insisté. Il me
paraît évident que cette proposition ne pourrait plus être reproduite
aujourd’hui, puisque l’on s’est occupé des dispositions principales du projet.
La dernière observation générale qui a été présentée
concerne la forme, la rédaction du projet. Un honorable membre, dans l’une de
nos dernières séances, a cru en caractériser la forme en disant qu’il
paraissait avoir été rédigé, du moins en partie, par des marguilliers de
village ; l’honorable membre n’a oublié qu’une chose, c’est d’indiquer à quoi
il avait reconnu cette main de marguillier de village. Si des observations
fondées sont faites au sujet de la rédaction des articles, je m’empresserai, du
reste, de les accueillir. Je me suis étonné de ce reproche, parce que d’autres
membres ont dit que le projet de la section centrale renfermait beaucoup
d’articles, beaucoup de finesse, je dirai presqu’une sorte de perfidie. D’un
autre côte, on accuse la section centrale d’avoir proposé un projet contenant
des preuves nombreuses d’ineptie, d’ignorance, car je pense que c’est là le
sens de la première accusation.
Je distingue dans ce projet cinq dispositions
principales, auxquelles je crois devoir m’arrêter quelques instants : l’art. 2
concernant la possession du cens ; l’art. 6, qui contient le principe de
l’appel ; l’art. 11, qui règle la formation des bureaux ; l’art. 13 relatif a
l’entrée de tous les électeurs dans tous les bureaux et l’art. 16 nouveau, qui concerne la simultanéité du vote.
Vous remarquerez, messieurs, quant à l’art. 2, que
la section centrale ne s’est nullement prononcée sur l’enquête. Il lui a paru
que les faits constatés suffisaient pour justifier une disposition. Je ne puis,
du reste, partager l’opinion émise dans une de nos dernières séances, On s’est
plaint de ce que M. le ministre n’avait pas publié les noms. Le nom
quelquefois, je l’avoue, se lie au caractère même d’un fait. Mais il y avait
ici un autre écueil à éviter. Je félicite le gouvernement de l’avoir évité,
c’était de jeter des haines dans le pays, de susciter des procès et des
divisions.
Les motifs qui ont porté la section centrale à
adhérer à l’art. 2 n’ont pas été bien apprécies par plusieurs membres de cette
assemblée. Nous avons unanimement reconnu que nos institutions seraient
faussées, si le paiement seul du cens suffisait pour conférer la qualité d’électeur.
Déjà, précédemment, j’ai indiqué une distinction
entre des faits de diverse nature. Cette distinction a été critiquée par un
honorable député de Bruges : il lui a paru que, d’après la disposition proposée
par la section centrale, il est impossible de dire si la fraude est une bonne
ou une mauvaise chose, si elle est morale ou immorale, licite ou illicite. Un
honorable député de Bruxelles nous a accusé d’avoir
présenté sinon l’apologie, du moins l’excuse de la fraude.
Mais je ne puis trop le redire, l’on perd de vue un
fait très important : la discussion de 1836, à l’occasion de la loi communale.
L’honorable M. d’Huart et l’honorable M. Pirmez ont discuté la question de la
possession des bases légales. Résumant cette discussion, M. Pirmez disait : « Ainsi,
le paiement du cens suffit, il ne faut pas justifier de la possession des
bases. » Cette opinion a été
reproduite par les commentateurs de la loi organique. Ce n’est que dans ces
derniers temps qu’elle a été contestée ; beaucoup de déclarations que je
persiste à appeler indues, et pour lesquelles je ne puis admettre la
qualification de frauduleuses, peuvent s’expliquer par cette discussion.
Cependant tous les faits, indistinctement, ont reçu
la même dénomination de mensonge et de fraude de la part de membres qui étaient
présents lorsque la discussion que je viens de rappeler a été soulevée. Je
regrette qu’ils n’aient pas fait entendre alors ou depuis quelques accents de
cette vertueuse indignation qu’ils ont tenue en réserve jusqu’aujourd’hui.
La section centrale n’a donc pas voulu exclure le
système des bases légales. Ce système est juste, il est utile, il peut un jour
devenir nécessaire. Il le deviendrait si l’avertissement qui résulterait des
discussions du mois de décembre, et de l’adoption de la loi actuelle, n’est pas
entendu ; il peut devenir nécessaire, si des luttes violentes, anormales,
j’aime à le croire, continuaient dans le pays. Il peut le devenir encore si le
secret du vote, tout imparfait qu’il soit, n’est pas un correctif suffisant. Pour
moi, je m’associerai toujours de tout mon pouvoir à ce qui pourrait sauver nos
institutions si des tentatives étaient faites pour les fausser. Mais si le
principe n’a pas été posé dès aujourd’hui, c’est que nous avons été arrêtés par
des difficultés sérieuses, insurmontables en ce moment. On oublie trop souvent
que, pour établir la possession des bases, il ne suffit pas de constater un
fait qui doit frapper tous les yeux, mais qu’il faut se reporter à des faits
antérieurs. Pour citer un exemple, si l’on contestait aujourd’hui les bases
légales, on pourrait prétendre que l’électeur inscrit ne possédait pas, en
janvier l842, le cheval à raison duquel il a payé l’impôt, ou bien que ce
n’était pas un cheval de luxe ou un cheval mixte. Il en serait de même du mobilier.
Un électeur se présente en 1843 comme ayant possédé en 1842 un mobilier pour
lequel il a été imposé. La valeur de ce mobilier serait peut-être difficilement
constatée aujourd’hui. Or la révision des listes, d’après la loi électorale,
doit commencer le 1er avril, et les élections ont lieu le deuxième mardi de
juin. Les délais sont calculés de manière que la députation permanente n’est
saisie des appels que vers la fin de mai. La loi l’oblige à statuer dans les
cinq jours. Si le principe de la possession des bases légales était posé, il
suffirait donc de contester à un électeur la possession des bases pour
l’exclure des élections. En France, la révision des listes dure plus de quatre
mois.
Je dirai peu de chose du système des pénalités. Ce
système est beaucoup moins efficace que celui des bases légales, il présente
des difficultés et des dangers de plus d’un genre. Ces dangers ont déjà été
signalés. Il me semble que jusqu’à présent on n’y a pas répondu.
Quelques membres se sont plaint
de ce que le projet contient des dispositions pénales. Ils ont craint
d’éloigner ainsi des élections, les hommes timides. Quelques dispositions
d’ordres et de police ne peuvent justifier ce reproche, mais il aurait quelque
importance, s’il s’agissait d’établir un vaste système de pénalités.
Un honorable membre a aussi émis l’idée qu’il
faudrait obliger toute personne accusée, dans l’enquête ou dans les feuilles
publiques de ne pas posséder les bases légales, à se justifier. Je dois
considérer cette idée comme peu mûrie. Nous savons combien les accusations sont
souvent lancées avec légèreté par la presse, il est impossible d’attacher à ces
accusations une présomption légale de vérité.
Un honorable député de Bruxelles a cru voir une
arrière-pensée dans l’art. 2 du projet de loi ; le but de cet article est,
selon lui, d’écarter des élections les jeunes générations ; il demande pourquoi
on ne tient pas compte des contributions au nu-propriétaire d’un immeuble, si
l’on n’a pas l’intention d’écarter les jeunes générations. Mais il me semble,
messieurs, que les générations ne se renouvellent pas tellement vite en
Belgique, qu’elles ne sont pas tellement éphémères, pour qu’en exigeant le
paiement du cens pendant deux années, on écarte des élections les jeunes
générations. Je me permettrai de faire à l’honorable membre ce qu’on appelle,
en style de palais, une demande reconventionnelle. Si l’on devait tenir compte
au nu-propriétaire des contributions de l’immeuble, pourquoi ne proposerait-on
pas aussi de tenir compte au fermier d’une partie de l’impôt foncier sans
déduction de la part du propriétaire ?
Il y a d’ailleurs bien d’autres faits qu’il faudrait
prendre en considération, si l’on pouvait entier dans cette voie. D’après la
loi française, il faut posséder les bases imposables, il n’est pas nécessaire
qu’elles soient imposées. C’est ainsi que des personnes exerçant des
professions assujetties à patente, et qui jouissent, dans certains cas
déterminés, d’une exemption, sont admises à compter leur patente comme si elles
la payaient : c’est ainsi que l’on peut faire expertiser un immeuble exempt de
la contribution foncière. Mais, messieurs, ce principe ne peut pas être posé
dans nos lois, parce que notre constitution exige le paiement réel du cens ; il
ne suffit pas d’avoir la base imposable, il faut payer l’impôt.
Je passe à l’art. 6, qui a pour objet la formation
régulière des listes électorales. L’obligation que la loi impose aux
commissaires d’arrondissement entraîne, comme toute obligation légale, une
responsabilité. Cette responsabilité ne serait pas illusoire, à cause de la
publicité que recevront les actes des commissaires d’arrondissement. Un
honorable député d’Anvers a contesté l’utilité de cette disposition, parce que,
selon lui, il suffirait que le gouvernement fît rayer les personnes indûment
inscrites, mais l’honorable membre n’a pas indiqué comment le gouvernement
devrait s’y prendre, et en effet, il lui est impossible aujourd’hui de faire
rayer des électeurs. Des faits m’ont également été cités, qui démontrent, à la
dernière évidence, la nécessité de ce moyen de contrôle. Il est arrivé que des
électeurs en grand nombre ont été inscrits indûment ; d’autres fois, les
députations permanentes ont acquis la preuve que des individus étaient portés
sans droits sur la liste et qu’elles n’ont cependant pas pu les rayer.
Déjà, messieurs, beaucoup d’observations ont été
faites sur l’art. 11, relatif à la formation des bureaux. Le but de cet article
est très simple ; il ne s’agit que de gagner du temps, et de permettre que les bureaux
soient constitués d’avance. Mais je dois le déclarer, aucun des membres de la
section centrale n’a eu la pensée d’accorder, au moyen de la formation des
bureaux, une influence quelconque à une opinion ou à une autre, dans la
direction des opérations électorales.
L’on a ajouté la mention des conseillers communaux,
non pas par une arrière-pensée, mais parce qu’il est des villes dont certains
quartiers constituent des sections électorales. C’est ainsi que dans la
capitale, il y a six ou sept bureaux, exclusivement composés des sections de la
ville. D’autres sections se trouveront formées de deux communes ; et comme il
faut huit personnes appelées, soit comme titulaires, soit commue suppléants
pour ces cas, encore, la mention des conseillers communaux était indispensable.
Du reste, messieurs, je n’entends pas soutenir d’une
manière absolue la disposition qui oblige à former trois listes de
fonctionnaires appelés successivement : lorsque nous serons à la discussion de
cet article, nous pourrons examiner s’il y aurait des inconvénients à ne former
qu’une seule liste, et à appeler les fonctionnaires communaux suivant l’ordre
indiqué par cette liste, en commençant par les plus jeunes.
L’art. 13 a aussi un but d’ordre et de police, j’ai
été témoin moi-même d’une élection, où, par suite de l’inexécution de l’art. 22
de la loi électorale, il y a eu un désordre tel que beaucoup d’électeurs n’ont
pu trouver leur bureau. Je déclare encore qu’aucun membre de la section
centrale n’a eu d’arrière-pensée, en donnant son assentiment à cette
disposition, et n’a nullement cherché à isoler les villes des campagnes. Cette
disposition d’ailleurs, messieurs, ne se rapporte qu’au moment même où se font
les opérations électorales, Au dehors du local, avant que les opérations ne commencent,
toutes les influences pourraient continuer d’agir, si l’article était admis
comme il est proposé.
L’honorable M. Dolez a fait une observation qui
repose sur une supposition inexacte. Il a demandé comment des électeurs qui
auraient ensemble une grande communauté de vue politique pourraient se
concerter pour un scrutin de ballottage.
Ce concert serait encore possible, parce que
nécessairement, il doit y avoir entre les deux scrutins un intervalle assez
long. Les bureaux seront disséminés dans les différents quartiers du chef-lieu
de district. Le dépouillement doit être achevé dans chaque bureau, et le
résultat doit en être porté au bureau principal ; ce résultat doit y être
proclamé avant que les électeurs puissent se concerter utilement pour un second
scrutin.
J’arrive à l’article 16 nouveau, qui concerne le
principe de la simultanéité du vote.
Ce principe est juste, il est conforme à l’esprit de
nos institutions ; il est nécessaire, car il se lie au principe même de la loi.
Plusieurs de ses dispositions tendent à faciliter l’exercice du droit électoral
et à accélérer la marche des opérations des collèges électoraux ; la loi serait
incomplète, et manquerait même en partie son but, si le vote simultané n’était
pas admis.
Est-ce, comme on l’a dit, une disposition qui
accorde des avantages nouveaux aux campagnes ? Mais, messieurs, toutes nos
villes ne sont pas chefs-lieux de district. D’après les états officiels, la
Belgique renferme 86 villes, et seulement 41 arrondissements administratifs ;
et je me suis assuré que dans plusieurs villes qui ne sont pas chefs-lieux de
district, le cens est plus élevé que dans les campagnes ; la simultanéité
intéresse donc les villes aussi bien que les campagnes.
Une autre considération me paraît de quelqu’importance ; il arrive que dans les luttes
électorales, certains cantons ont une préférence tellement marquée pour un
candidat que, s’il vient à échouer, ils refusent de rester au chef-lieu et de
prendre part aux opérations ultérieures du collège. C’est un fait qui peut se
produire contre l’une et contre l’autre des opinions qui divisent le pays.
Le principe ainsi justifié en fait peut-il donner
lieu à quelque objection de droit ? Dans cette matière l’autorité des faits est
grande ; or, j’ai toujours demandé que l’on m’indiquât, et on n’a pu m’indiquer
un seul fait de double candidature simultanée pour le sénat et pour la chambre
des représentants. L’honorable M. Verhaegen à qui j’avais fait cette demande
dans ma section, parce qu’il a rappelé ce qui s’y est passé, n’a pu en citer un
seul. L’exempte qu’il a rappelé dans une des dernières séances est peu
concluant. Je ne conteste pas qu’à des époques différentes, on puisse présenter
pour le sénat et pour la chambre des représentants, un même candidat, mais il
n’est jamais arrivé, et il est presque impossible pour l’avenir que l’on
présente le même jour, dans un collège, un même candidat pour le sénat et pour
la chambre des représentants.
Une élection, s’il m’est permis de me servir de
cette expression, doit être une affaire montée d’avance. Si l’on voulait
changer toutes les batteries électorales dans l’intervalle de deux scrutins,
l’on s’exposerait à une défaite presque certaine ; et s’il m’était permis de
faire un appel à l’expérience de l’honorable M. Verhaegen, en ces matières, il
m’avouerait sans doute les dangers que présence une double candidature de ce
genre.
La liberté électorale n’est nullement gênée par la
simultanéité du vote. Il faudrait, messieurs, aller
beaucoup plus loin, si certaines observations qui ont été faites étaient
fondées ; il faudrait en venir à ne pas convoquer plus d’un collège le même
jour. Je sais qu’en 1833, lors de la dissolution, on n’a pas convoqué tous les
collèges en même temps, mais je doute que le but de cette mesure ait été de
rendre plus grande la liberté électorale.
Lorsque deux collèges sont convoqués pour le même
jour, ou lorsqu’un seul collège doit procéder à deux élections le même jour,
les conséquences, quant à la liberté électorale, sont les mêmes ; c’est-à-dire
que dans l’un comme dans l’autre cas, il peut y avoir une élection double, et
alors l’électeur qui a attaché tant de prix à la nomination d’un candidat
recouvre, après l’option de l’élu, l’a plénitude de sa liberté.
Il ne me paraît pas exact de dire que l’on oblige
ainsi l’électeur à perdre une voix, il est évident que, si quelques électeurs
isolés ont cette volonté que l’on suppose si gratuitement, leurs voix ne
peuvent en aucun cas, avoir d’effet. Si, au contraire, c’est une minorité
forte, en donnant son vote au même candidat pour le sénat et pour la chambre
des représentants, elle amènera nécessairement un ballottage.
Je ne m’occuperai pas en ce moment des deux modes
qui ont été proposés ; nous pourrons les discuter plus tard.
J’ai déjà précédemment indiqué la nécessité de deux
dispositions nouvelles pour le cas où la chambre adopterait le principe de la
simultanéité du vote sans admettre le papier électoral. L’exécution du vote
simultané était très simple au moyen du papier électoral. Ces deux principes
sont pourtant indépendants, jusqu’à un certain point, l’un de l’autre. En
n’admettant pas le papier électoral, il faut seulement créer une présomption
légale pour le cas où l’électeur omettrait de designer spécialement quelles
sont celles des personnes inscrites sur son bulletin auxquelles il entend
donner sa voix pour le sénat, quelles sont celles auxquelles il donne sa voix
pour la chambre des représentants.
On peut établir la présomption, en ce sens que le
premier ou les premiers noms, à défaut de désignations spéciales sur le
bulletin seraient censés donnés pour l’élection des sénateurs.
Il me paraît utile de prévoir encore le cas où les
noms seraient inscrits sur plusieurs colonnes, On pourrait se demander si le
premier nom de la seconde colonne est le second du bulletin, ou s’il faut au
contraire suivre toute la première colonne avant de compter les noms de la
seconde.
En organisant le vote simultané, on doit prévoir
encore, ce qui s’est déjà passé plusieurs fois, le cas où l’électeur ne vote
pas pour tons les membres à élire, ou il vote, par exemple, seulement pour le
sénat, ou seulement pour la chambre des représentants. On ne peut pas faire
entrer en compte, pour établir la majorité pour l’une des chambres, le bulletin
qui ne contient de suffrages valables que pour l’autre chambre.
J’ai cru devoir indiquer d’avance la nécessité de
quelques amendements. Je les dépose dès à présent sur le bureau, pour qu’on
puisse les examiner avant d’arriver à l’art. 16 nouveau,
proposé par la section centrale.
Voici ces amendements :
« A défaut de désignations spéciales, le
premier ou les premiers noms, jusqu’à concurrence du nombre des sénateurs à
élire, sont attribues à l’élection de ceux-ci.
« Si les noms sont écrits sur plusieurs
colonnes, sans qu’il y ait de désignations spéciales, les premiers noms sont
ceux de la première colonne, et ainsi de suite.
« Le bulletin qui ne contiendra de suffrages
valables que pour l’élection de membres de l’une des chambres, n’entrera point
en compte, afin de déterminer le nombre des votants pour l’élection des membres
de l’autre chambre. »
J’attendrai, messieurs, la discussion des articles
pour répondre à d’autres observations qui ont été faites dans la discussion
générale.
M. le président. - La chambre passe à la discussion des articles.
Article premier
« Art. 1er. La disposition suivante est ajoutée
au n° 3 de l’art. 1er de la loi électorale du 3 mars 1831 :
« Les centimes additionnels perçus sur les contributions
directes, au profit des provinces ou des communes, ne sont point comptés pour
former le cens électoral. »
M. Vilain XIIII. - Messieurs, je félicite M. le ministre de l’intérieur d’avoir proposé à
la législature de rétablir l’uniformité dans les bases du cens électoral. La
divergence de jurisprudence qui existait entre les députations des différentes
provinces était une anomalie qui ne pouvait pas subsister.
Mais si je suis d’accord avec M. le ministre de l’intérieur
sur l’opportunité de la solution de la question, je ne puis partager son
opinion quant au fond même de la question.
A mon avis, les centimes provinciaux et communaux
doivent servir à la formation du cens électoral, et cette nécessité ressort à
mes yeux aussi bien de la nature du cens électoral que des termes de la
constitution et de la loi électorale.
Messieurs, quelle est la signification du cens
électoral ? Quelles sont son origine et sa nature ? La qualité d’électeur
est-elle une récompense que l’Etat accorde pour une somme payée au profit du
trésor public ? La qualité d’électeur est-elle une rémunération d’une
prestation fiscale ? En un mot, n’est-ce que le prix d’un service financier
rendu à l’Etat ? Evidemment non. Car si la qualité d’électeur pouvait être la
récompense d’un service fiscal, la loi que nous discutons serait absolument
sans objet. Il ne pourrait y avoir de faux électeurs ; il n’y aurait jamais de
fraude électorale. Il suffirait au citoyen de se présenter chez un percepteur
de canton, de lui faire une déclaration quelconque, de lui payer, soit 20, soit
80 florins et de lui dire : délivrez-moi la quittance nécessaire pour faire reconnaître
ma qualité d’électeur.
A mes yeux,
messieurs, le cens électoral n’est que le signe de la fortune du citoyen ; le
versement au trésor n’est que le moyen légal de reconnaître cette fortune ; ce
n’est que le moyen de constater qu’un citoyen possède suffisamment de fortune
en Belgique, à un degré d’indépendance suffisant, pour avoir intérêt à ce que l’ordre
et la tranquillité soient maintenus et pour concourir à l’élection des députés
de la nation. Et si telle est la signification du cens électoral, il faut
nécessairement que les centimes provinciaux et communaux viennent concourir à
la formation du cens. Car ils sont absolument, au même titre que l’impôt en
faveur de l’Etat, le signe de la fortune du citoyen.
Le texte de la constitution me semble verser dans le
système que je viens de vous exposer. L’art. 47 dit :
« La chambre des représentants se compose des
députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi
électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au
dessous de 20 florins. »
Que signifient ces termes impôts directs ? Il ne peut y avoir divergence d’opinion sur ces
mots. Il est bien certain que les centimes provinciaux et communaux sont payés
directement par le contribuable.
Qu’est-ce que l’impôt ? L’impôt est une taxe imposée
sur les particuliers par la force publique. L’impôt est une somme que la force
publique contraint le citoyen à payer pour subvenir aux dépenses d’un service
public qui ne lui apporte pas un avantage immédiat et particulier. Or, les
centimes provinciaux et communaux ne sont-ils pas un impôt au même titre que
l’impôt au profit de l’Etat ? Ne profitent-ils pas à la province et à la
commune, tout comme l’impôt général profite à l’Etat ? Et l’usage que l’on peut
faire de l’impôt, après qu’il est versé dans les caisses du trésor, peut-il
changer l’origine et la nature de l’impôt ? La portion de l’argent versé dans
les caisses du receveur des contributions, et qui sert à payer le
garde-champêtre et le maître d’école, serait-elle moins un impôt que la portion
qui sert à payer le ministre ou le gouverneur ?
Voyons maintenant la loi électorale.
La loi électorale dit : versés au trésor de l’Etat. Eh bien ! ces
termes de la loi électorale appuient mon système. Mon système est, que le
versement au trésor de l’Etat n’est qu’un moyen de reconnaître et de constater
la fortune du citoyen. Or, ce versement dans les caisses de l’Etat suffit pour
que l’Etat ait le moyen facile de constater la fortune et t’indépendance du
citoyen.
Le système du gouvernement et de la section centrale
a pour effet d’ajouter un mot à l’article de la loi électorale. En effet, que
dit M. le rapporteur, à la page 4 de son rapport ?
« L’art. 47 de la constitution porte que la chambre
des Représentants se compose des députés élus directement par les citoyens
payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder fl. 100
d’impôt direct, ni être au-dessous de fl. 20.
« Les mots : impôt
direct, sainement entendus, ne s’appliquent qu’aux impôts perçus au profit
de l’Etat.
« La loi électorale ne compte, pour former le
cens électoral, que les contributions directes versées au trésor de l’Etat ;
l’on ne peut entendre ces expressions du simple versement matériel de sommes
dont l’Etat est dépositaire, à charge de rendre compte à des tiers, sommes qui
n’entrent point, ou qui plutôt ne font que passer au trésor, par mesure d’économie,
d’ordre et de comptabilité ; l’on ne verse réellement au trésor, d’après le
sens naturel des mots, que les contributions au profit du trésor lui-même. »
Vous l’entendez : au profit au trésor lui-même. Pourquoi a-t-on ajouté cette
interprétation à la loi électorale ? pourquoi faut-il
que cette somme soit versée au profit du trésor, au lieu d’être versée
simplement au trésor ? Depuis quand l’usage d’une chose en dénature-t-il
l’origine ? Pourquoi faut-il nécessairement que le versement au trésor, qui
n’est à mes yeux que le signe de la fortune du citoyen, profite ensuite au
trésor ? Selon moi, cette interprétation rabaisse plutôt qu’elle n’élève le
caractère de l’électeur. A mes yeux, l’électeur est électeur par lui-même ;
c’est sa fortune, c’est sa position, c’est son indépendance qui lui donnent sa
qualité d’électeur. L’Etat ne fait que la lui reconnaître au moyen du versement
de l’impôt qu’il fait au trésor, tandis que le système de M. le ministre de
l’intérieur et de la section centrale est une espèce de système mercantile où
l’électeur achète son droit avant de pouvoir l’exercer.
Messieurs, je n’en dirai pas
davantage pour le moment. Je voterai contre l’article premier, et si j’avais
l’espoir d’être appuyé dans la chambre, je présenterais un amendement en sens
contraire.
M. Fleussu. - Messieurs, la question de savoir si les centimes additionnels doivent
compter jour la formation du cens électoral, n’aurait jamais dû, ce me semble,
revêtir que la forme d’une simple question de droit, d’une simple question
d’interprétation. Cependant elle a été envisagée sous un autre point de vue, et
je ne sais comment il s’est fait qu’on lui a donné les proportions d’une grande
question politique. On a même été jusqu’à supposer que ceux qui ont manifesté
l’opinion que vient d’exprimer l’honorable comte Vilain XIIII, que ceux qui,
par devoir, ont manifesté cette opinion étaient mus
par d’autres sentiments que ceux de l’équité, que ceux qui doivent guider tout
homme chargé de faire l’application d’une loi ou d’en fixer le sens quand la
loi est douteuse. Il n’en est point de l’interprétation de la loi de 1831,
relativement aux centimes additionnels, comme de la loi sur les fraudes
électorales, que nous discutons en ce moment. Il est évident que les fraudes
électorales ne profitent qu’à ceux qui les pratiquent ; elles se font dans un
intérêt exclusif, au profit de ceux qui se créent ainsi des instruments
dociles, dont ils se servent au jour des élections ; celui, au contraire, qui
donne à la loi de 1831 cette interprétation, que les centimes additionnels
doivent compter pour former le cens électoral, celui-là ne fait pas une affaire
particulière ; il prend une décision générale, dont il ne peut pas même
calculer les résultats ; car les intéressés de toutes les opinions peuvent se
prévaloir de cette interprétation qui ne profite ainsi pas plus à un parti qu’à
un autre.
Eh bien, l’on a été jusqu’à dire que ceux qui
avaient soutenu l’opinion que je défends, l’avaient fait dans l’intérêt d’un
parti, comme si, je le répète, tous les intéressés ne pouvaient pas demander
l’application de l’interprétation dont il s’agit.
Messieurs, jusqu’en 1836, les centimes additionnels
étaient comptés partout, ce n’est qu’à partir de cette époque que des doutes se
sont élevés à cet égard. Depuis lors le gouvernement a pensé que les centimes
additionnels ne devaient pas être comptés et telle a aussi été, depuis,
l’opinion de la cour de cassation. Toutes les régences, messieurs, s’étaient
conformées à cette opinion, même la régence de Liége, mais des citoyens ont cru
devoir réclamer devant elle contre sa décision et demander à être maintenus sur
la liste électorale. Ces réclamations étaient nombreuses et émanaient
probablement d’hommes appartenant à diverses opinions ; c’est du reste, ce dont
nous ne nous sommes pas enquis, puisque tout le monde avait le droit de faire
de semblables réclamations.
La régence de Liége renvoya ces réclamations devant
la commission du contentieux qu’elle chargea de l’examen de ces réclamations. J’appartenais
à cette commission, et je dirai qu’en y entrant j’y apportais des dispositions
tout à fait contraires aux réclamations ; ce n’est qu’à la suite des
discussions, que mon opinion s’est modifiée, qu’elle a pris, si vous le voulez,
la forme d’un doute constitutionnel.
Nous avons donc examiné la question, et nous l’avons
examinée très sérieusement et abstraction faite de toute opinion politique. Je
me permettrai de vous donner lecture du rapport que je soumis alors au conseil,
parce que je ne crois pas pouvoir mieux traiter la question que, je ne l’ai
traitée à cette époque. Il y avait des réclamations pour les élections
communales, pour les élections provinciales et pour les élections générales ;
je ne m’occupe que des réclamations qui concernaient les élections pour les
chambres.
« Nous avons à examiner, disais-je si les
centimes additionnels doivent être comptés pour la formation du cens électoral.
« Votre commission du contentieux ne s’est
point dissimulé, messieurs, les difficultés de cette proposition ; elles sont
sérieuses ; il est plus facile de les énoncer que de les résoudre. C’est ce qui
explique comment il se fait que l’entente de la loi donne lieu à des
interprétations contradictoires ; comment il se fait, pour choisir des exemples
près de nous, que jusqu’en 1837 les centimes additionnels ont été comptés par
l’administration de cette ville, et qu’ils ont cessé de l’être depuis ;
comment, si vous persistez dans vos dernières décisions, vous courez risque
d’être réformés par la députation provinciale, dont la décision serait, à son
tour, exposée à la censure de la cour régulatrice, si celle-ci persévère dans
l’opinion qu’elle a fait triompher par son arrêt du 15 juillet 1836.
« En face des intérêts graves que cette
question comporte, votre commission a compris que le conseil communal ne devait
point se laisser arrêter par l’influence de ses précédentes résolutions pas
plus que par l’autorité de la cour suprême, mais qu’il était de son devoir de
soumettre les prétentions des réclamants à un nouvel examen de la loi.
« C’est par cette considération, et mus par le désir de vous aplanir, autant qu’il nous était
possible, les difficultés de la question, que nous nous sommes décidés à
interroger de nouveau le texte des dispositions constitutionnelles et législatives,
d’en scruter la pensée, et de les mettre en regard des motifs des résolutions
qui ont repoussé des demandes fondées sur les mêmes titres que ceux des
réclamants. Exposer au conseil les principales observations qui se sont
échangées au sein de votre commission, ce sera lui faire connaître les raisons
des conclusions qui terminent ce rapport, et qui, j’ai hâte de vous le dire,
sont favorables aux réclamations qui nous sont adressées. Le siège de la
difficulté est dans le dernier paragraphe de l’article 1er de la loi électorale
« Verser au trésor de l’Etat la quotité de
contributions directes, patentes comprises, déterminée dans le tableau annexé à
la présente loi. Que signifient ces mots : Verser
au trésor de l’Etat, que l’on retrouve dans nos trois lois électorales ?
C’est là qu’est le mot de l’énigme. Les expressions doivent-elles être
entendues avec toute l’étendue qu’elles comportent, ou bien ne
comprennent-elles que la quotité des contributions directes qui est versée au
trésor de l’Etat et au profit exclusif de l’Etat ?
« C’est dans le sens de la seconde hypothèse
que la loi a été interprétée par la cour de cassation. Il importe de vous faire
connaître les motifs de son arrêt ; ils sont courts, les voici. « Attendu
que les centimes additionnels au profit des provinces et des communes,
spécialement consacrés à leurs dépenses particulières, ne sont pas versés au
trésor de l’Etat et ne tournent pas à son avantage ; que si la perception de
ces centimes est confiée aux receveurs de l’Etat, cette mesure, dictée par les
principes d’ordre et d’économie, ne change rien à leur destination. »
« Avant d’examiner de plus près ce considérant
unique, j’éprouve besoin de vous faire remarquer que l’arrêt n’est point
explicatif de l’art. 1er de la loi électorale pour les chambres, mais des
articles 7 et 10 de la loi du 30 mars 1836, qui concernent
les élections communales. Toutefois les trois lois électorales renferment les
mêmes expressions et ne varient que sur la quotité du cens ; il est sensible
que si ce considérant résolvait la difficulté, au lieu de la trancher, il
serait également applicable à la loi qui nous occupe.
« Cette décision, qui ne peut encore faire
jurisprudence, parce qu’elle est isolée, a été, dans votre commission, l’objet
de quelques réflexions dont je viens vous rendre compte.
« Le moindre défaut de cette argumentation est de
mener à un système de restriction, système qui répugne à tous les principes de
droit public. Quand il s’agit de l’exercice des droits politiques, quand il
s’agit surtout de l’électorat, l’une des plus belles et des plus importantes
prérogatives du citoyen, la loi qui en stipule les conditions doit toujours
être expliquée de la manière la plus large. Cette règle de droit public repose
sur cette maxime que, dans les matières favorables, la loi doit être plutôt
élastique que resserrée, et que, dans le doute, il faut l’interpréter en faveur
du cens électoral, parce que l’intérêt général exige que le nombre des
électeurs ne soit pas trop restreint.
« S’il était besoin d’autorité sur un point
qu’il suffit d’énoncer, la jurisprudence des cours de France ne ferait point
défait. Mais impossible de prouver rien de plus précis à cet égard que les
paroles de M. Dupin dans son réquisitoire du 12 février de cette année, dans
une affaire où il s’agissait de savoir si la valeur estimative des prestations
en nature, pour l’entretien des chemins vicinaux, doit être comptée dans la
composition du cens :
« L’électorat, dit-il, est éminemment
favorable. Sans doute, il ne faut pas l’étendre démesurément par excès de
radicalisme ; mais lorsque la loi,
entendue sainement et de bonne foi, peut accroître le nombre des électeurs, ii
n’y a pas à hésiter.
« A propos de cette citation, je vous dois de
signaler la différence qui existe entre la législation française et la nôtre.
Sous la restauration, des difficultés de la nature de celles qui se présentent
aujourd’hui en Belgique se sont souvent élevées, parce que la loi de 1817, de
même que notre constitution, avait employé les mots : contributions directes,
et que des préfets avaient agité la question de savoir si les centimes
additionnels devaient être compris dans cette dénomination. La jurisprudence
des cours variait : néanmoins, le plus grand nombre, je dirai même l’immense
majorité, à en juger par le recueil des arrêts, et avec elles la cour de
cassation, avaient consacré l’opinion favorable au cens électoral.
« Lors de la loi du 19 avril 1831, qui abaisse
le cens, à une époque de progrès, on mit fin à cette incertitude, et la
jurisprudence la plus générale fut convertie en loi par la disposition de
l’art. 4, qui déclare que les centimes additionnels
doivent être comptés.
« C’est sous l’empire de cette loi qu’il a été
décidé que la valeur des prestations en nature pour l’entretien des chemins
vicinaux pouvait compléter le cens électoral, en considérant cette valeur comme
une addition, un supplément aux contributions directes. L’histoire de ce qui
s’est passé en France est la meilleur preuve qu’une interprétation restrictive
est essentiellement vicieuse et contraire aux règles du droit public ; mais le
défaut capital du raisonnement qui sert de base à l’arrêt du 15 juillet, c’est
que, pour arriver à l’opinion qu’il sanctionne, il lui a fallu méconnaître la
nature des centimes additionnels, leur mouvement dans les caisses de l’Etat, et
enfin ajouter à la loi des expressions et une pensée qui ne s’y trouvent point
et qu’on y cherche en vain.
« Les centimes additionnels se définissent
d’eux-mêmes : ils forment une augmentation des contributions directes, ils en
sont un accessoire, ils en suivent la nature ; ils trouvent leur origine dans
une loi, celle du 12 juillet 1821 ; ils sont, comme toutes les lois
financières, votées annuellement par la législature ; ils sont perçus par les
agents de l’Etat ; le ministre en rend compte comme de la contribution
principale, et il est tellement vrai qu’ils entrent dans les caisse du
gouvernement, que, par le fait seul de la perception par ses préposés, il
s’établit une espèce de novation, par suite de laquelle l’Etat se constitue
débiteur envers les provinces et les communes de ce qui leur est dû à titre des
centimes additionnels, et que les non-valeurs restent pour le compte du trésor
public.
« Cette dernière circonstance est fort
remarquable et mérite de fixer votre attention. S’il était vrai, comme on
semble l’insinuer, que l’Etat ne fît que prêter l’office de ses employés pour
la perception des centimes additionnels, les déficits seraient pour le compte
des provinces et des communes. Mais point : s’il existe des non-valeurs, c’est
le trésor qui doit les supporter.
« Les centimes additionnels forment donc une
partie du revenu public, laquelle, il est vrai, est affectée à des dépenses
particulières : mais cela change-t-il la nature de l’impôt ? Cela empêche-t-il
qu’il soit versé au trésor de l’Etat ? qu’il soit à la
disposition du gouvernement, sauf à celui-ci à s’acquitter de la dette qu’il a
assumée envers les provinces et les communes comme condition de l’augmentation
des contributions directes ? A part ces observations, que nous vous présentons
cependant avec quelque confiance, nous nous sommes demandé dans quelle partie
de la loi l’on avait découvert que la quotité des contributions directes
qu’elle détermine devait non seulement être versée au trésor de l’Etat, mais
encore qu’elle devait l’être au profit exclusif de l’Etat. La loi n’impose
qu’une seule condition : C’est que la quotité déterminée soit versée dans les
caisses publiques ; mais elle ne fait aucune distinction sur la propriété et la
destination des sommes versées. Dès lors, il n’est permis à personne
d’introduire une distinction là où la loi n’en a point établi. Cela n’est pas
permis surtout quand une pareille distinction a pour effet d’exclure les
citoyens de l’exercice du plus précieux des droits politiques.
« Cependant, nous avons prévu une objection on
pourrait nous opposer qu’avec l’entente que nous donnons à la loi, les mots : verser au trésor de l’Etat forment un
hors-d’œuvre, deviennent un non-sens. Cette objection ne serait pas sérieuse,
et la réponse qui doit la connaître est toute prête ; non, ces mots ne sont pas
inutiles ; ils ont, au contraire, une très grande portée. Il y a, vous le
savez, plusieurs espèces de centimes additionnels : les uns font partie de la
loi du budget, les autres sont ceux qui peuvent être votés par les provinces ou
par les communes pour faire face à des dépenses extraordinaires, et qui n’ont
pas le caractère de durée de premiers. Il arrive souvent que les receveurs du
gouvernement sont chargés de la rentrée de ce produit, mais alors ils agissent
par délégation spéciale, et les sommes perçues ne se confondent point avec les
deniers de l’Etat. Ne peut-on pas dire que c’est précisément pour que
l’augmentation des contributions directes, qui n’est que temporaire, ne pût
point conférer le cens électoral, que le législateur a pris le soin de
n’admettre, pour déterminer le cens, que les contributions directes qui sont
versées au trésor de l’Etat ? Or, les centimes additionnels, dont se prévalent
les réclamants, appartiennent à ces dernières contributions. Que sera-ce
maintenant si nous parvenons à démontrer qu’expliquée autrement, la loi
électorale pourrait renfermer une offense à la constitution ? Essayons.
« L’art. 47 est le fruit d’un amendement
présenté par l’un des membres les plus avancés du congrès, qui craignant que le
silence de la constitution ne laissât la législature exposée à deux écueils
également redoutables, l’élévation exagérée ou l’abaissement excessif du cens,
a pensé qu’il fallait poser les limites dans lesquelles la loi électorale
devrait nécessairement se renfermer. De là la disposition de l’art. 47 de la
constitution, qui ne permet point de descendre le chiffre au-dessous de 20 fl.,
ni de l’élever au-dessus de 100 fl. de contributions directes. Il est fort
remarquable qu’à la différence des lois électorales, la constitution ne fait
pas emploi des mots verser au trésor de
l’Etat, et qu’elle n’exige qu’une chose, c’est que le cens à déterminer
dans les limites tracées porte sur l’impôt direct, lequel se constitue de
l’impôt foncier, de l’impôt personnel, des patentes et des redevances sur les
mines.
« La prescription de l’article 47 est telle que
dès qu’un citoyen belge paie 100 florins de contributions directes, il est
nécessairement électeur si, du reste, il réunit les autres conditions voulues ;
c’est la volonté de la constitution. Les centimes additionnels participent du
caractère de contributions directes, car l’accessoire suit la nature du
principal. Eh bien supposez que, dans une des villes où le cens est le plus
élevé, à Bruxelles, par exemple, où il est de 80 fl. un habitant paie 79 fl. en
principal et qu’à l’aide des centimes additionnels il paie au-delà de 100 fl.
de contributions directes. Cela n’est certes pas impossible. Cet homme, qui,
d’après la constitution, devrait être électeur, sera rayé de la liste comme ne
payant pas, d’après la loi électorale entendue dans le sens restrictif, le cens
voulu. Voilà la loi électorale en opposition flagrante avec la constitution, et
cependant la loi électorale ne doit et ne peut être que l’explication, et, pour
mieux dire, la mise en œuvre des principes de la constitution. Si donc cette
loi présente quelque ambiguïté dans sa rédaction, si elle peut donner lieu à
deux interprétations, mais que l’une conduise au renversement de la
constitution, n’est-il pas évident que c’est l’autre qui est préférable
? »
Là, messieurs, se terminait mon rapport. Je n’ai pas
plus que l’honorable M. Vilain XIIII, la prétention de vouloir changer la
doctrine admise sans réclamation, par huit provinces ; seulement j’ai voulu
démontrer à la chambre que ce n’est point par esprit de parti que la résolution
de la régence de Liége a été prise. Que la chambre adopte ou n’adopte pas ma
manière de voir, cela m’est assez indifférent, la seule chose qui soit à
désirer, c’est qu’il y ait uniformité pour toutes les provinces du royaume.
Dans tous les cas, je tenais à
faire voir à la chambre que, quand nous nous sommes prononcés pour que les
centimes additionnels soient comptés, nous ne l’avons fait que par des motifs
très légitimes.
Dès que l’on fait cesser le doute par l’intervention
d’une loi nouvelle, que l’on admette, que l’on rejette les centimes
additionnels, je le répète, peu importe, ce qu’il faut, c’est que la mesure
soit la même partout et que toutes les provinces soient soumises au même
régime, à une règle uniforme.
M. de Muelenaere. - Messieurs, l’honorable préopinant, dans le rapport dont il vient de
donner lecture, a présenté avec beaucoup de talent tous les arguments qui
peuvent militer en faveur de son opinion. Je suis entièrement d’accord avec lui
qu’il ne s’agit que d’une simple interprétation. Il n’est entré ni dans les
intentions du gouvernement ni dans celles de la section centrale, de changer en
rien la base des impôts qui constituent aujourd’hui le cens électoral. Mats
déjà on nous a fait remarquer qu’il y avait eu quelque divergence d’opinion sur
l’interprétation du paragraphe 3 de l’article premier de la loi de 1831.
D’après ce paragraphe, pour être électeur, il faut verser au trésor de l’Etat
la quotité de contributions directes déterminée par la loi. On a soulevé la
question de savoir si les centimes additionnels perçus au profit de la province
et de la commune devaient entrer en ligne de compte pour former cette quotité.
La cour de cassation s’est trouvée saisie de cette question, elle l’a décidée
négativement. Cette opinion de la cour de cassation est conforme à celle du
gouvernement ; elle est aussi conforme à l’interprétation donnée au § 3 de
l’art. 1er par huit députations du royaume. Une seule députation, de très bonne
foi, sans aucun doute, continue à interpréter ce paragraphe dans ce sens que
les centimes additionnels doivent être pris en compte pour la fixation du cens
électoral. L’honorable préopinant vient de développer toutes les raisons qui
plaident pour cette interprétation ; je conviens que ces raisons sont de nature
à avoir pu induire quelques personnes en erreur à cet égard, mais je persiste à
croire que cette interprétation est contraire au texte et à l’esprit de la loi
et qu’elle est en opposition flagrante avec les discussions qui ont précédé le
voie du paragraphe 3 de l’article premier de la loi de 1831, et avec celles qui
ont eu lieu dans cette enceinte sur la loi du 30 mars 1836. En effet,
messieurs, le sens naturel de ces mots : versés
au trésor de l’Etat, c’est, selon moi, qu’il faut non seulement verser dans
le trésor de l’Etat, mais qu’il faut verser au profit du trésor et qu’il ne
s’agit pas là d’un versement matériel de certaines sommes que le trésor perçoit
par mesure d’ordre et d’économie, et dont il doit compte à des tiers.
Or les centimes additionnels perçus au profit de la
province et de la commune sont à la vérité matériellement perçus par le trésor,
mais le trésor ne devient par là que dépositaire et comptable de ces centimes ;
c’est pour autrui, pour un tiers qu’il fait cette perception. Dès lors,
messieurs, il me semble qu’on ne peut pas dire que l’on verse au trésor de
l’Etat des sommes qui ne font que passer par ce trésor (pour me servir des
expressions d’un commentateur), pour arriver à leur véritable destination.
Si les termes de la loi pouvaient laisser quelques
doutes à cet égard, ces doutes disparaîtraient devant la discussion qui eut
lieu dans cette enceinte, lors du vote de la disposition dont il s’agit. Cette
discussion est rappelée dans le rapport de la section centrale. L’on demanda à
cette époque si les centimes additionnels devaient être pris en compte pour
former le cens électoral. La question fut résolue négativement, et pour
consacrer cette doctrine, la rédaction primitive de l’article fut modifiée. En
effet, la disposition primitive portait : « payer à l’Etat la quotité
d’impôts, etc.» ; et c’est pour ne pas laisser le moindre doute sur la question
de savoir si les centimes additionnels précités devaient entrer en ligne de
compte que sur un amendement présenté par M, Osy les mots : payer à l’État furent remplacés par
ceux-ci : verser dans le trésor de l’Etat,
parce que, disait-on, l’on ne verse réellement dans le trésor de l’Etat, que
les sommes qui restent acquises au trésor et non pas celles qui n’y font que
passer pour arriver à une autre destination. Lorsqu’il s’est agi, messieurs, de
la loi de 1836, la même question a été agitée dans cette enceinte, et un membre
de la section centrale est venu déclarer de la manière la plus positive que
l’intention de cette section était qu’on ne tînt aucun compte d’autres centimes
que de ceux perçus au profit de l’Etat, pour former le cens électoral.
Dès lors, messieurs, je le répète, en supposant
qu’il pût y avoir quelque doute dans les termes mêmes du paragraphe 3 de
l’article premier, doute qui n’a jamais existé pour moi, ce doute s’évanouirait
complètement devant la discussion.
Indépendamment du texte et des discussions, vous
avez encore un arrêt de la cour de cassation qui décide la question dans le
même sens ; vous avez, en outre, l’opinion du gouvernement et celle de huit
députations provinciales.
Puisque nous ne voulons faire autre chose que de
rendre l’exécution de la loi uniforme, que de donner à la loi une
interprétation fondée sur son texte et sur son esprit, il me semble que nous
devons adopter la proposition qui nous est faite par la section centrale et
déclarer textuellement que les centimes additionnels perçus au profit de la
province et de la commune ne seront point comptés dans le cens électoral.
Je le répète, je suis entièrement d’accord avec
l’honorable préopinant que ce n’est ici qu’une question d’interprétation, que
ce n’est pas une question politique, que cette question est complètement
indifférente pour toutes les opinions. Je me bornerai à ajouter encore une
seule considération.
Si l’on tenait compte des centimes additionnels
perçus au profit des provinces et des communes en vertu de la loi de 1821, pour
quelle raison ferait-on une distinction entre ces centimes et d’autres centimes
additionnels qui sont également versés dans le trésor au profit des provinces
et des communes....
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. de Muelenaere. - Depuis quelques années surtout, un grand nombre de communes, pour faire
face à des travaux d’utilité publique, ont été autorisées à percevoir des
centimes additionnels, les uns exclusivement sur la contribution foncière, les
autres sur la contribution personnelle, et d’autres, enfin, sur les trois
contributions réunies.
Tous les centimes additionnels sur la contribution
foncière, à quelque titre qu’ils aient été créés, sont perçus par le
gouvernement. Il en est à peu près de même des centimes additionnels au profit
des provinces et des communes, sur la contribution personnelle et sur l’impôt
des patentes ; tous ces centimes additionnels, de même que ceux qui sont
établis par la loi de 1821, ne font que passer par le trésor de l’Etat ; ils
ont une destination particulière ils ne sont nullement acquis au trésor ; ils
ne sont perçus par le trésor que pour être appliqués à des dépenses d’une
nature spéciale.
Tous ces centimes sont de même
nature et ont la même destination. Les premiers ne sont pas plus privilégiés
que les derniers. Si l’on compte les uns, ou doit aussi tenir compte des
autres. J’entends alléguer des raisons plus ou moins spécieuses, mais je
n’aperçois aucun motif fondé de différence.
M. Delfosse. - J’ai dit, dans la discussion générale, que l’un des vices du projet de
loi est de diminuer le nombre des électeurs.
Ce vice réside dans les articles
1 et 2.
En ne tenant aucun compte des centimes additionnels provinciaux
et communaux, on exclue des listes électorales beaucoup de citoyens qu’on y a
vus figurer jusqu’à ce jour ; c’est l’art. 1er.
En ne tenant compte de la contribution personnelle
et des patentes qu’autant qu’elles auront été payées pendant les deux années
antérieures à celle de l’élection, on retarde d’une année l’inscription sur les
listes électorales d’un très grand nombre de citoyens ; on les empêche de
prendre part aux élections du mois de juin prochain ; c’est l’art. 2.
C’est principalement à cause de ces deux articles
que j’ai qualifié le projet de reforme électorale ; quel est, en effet, le
principal caractère d’une reforme électorale ? N’est-ce pas de modifier le
nombre des électeurs ? N’est-ce pas d’étendre ou de restreindre l’exercice des
droits électoraux ?
La tendance du projet n’est pas d’agrandir le cercle
électoral, il tend au contraire à le resserrer ; c’est là un grand vice.
Plus il y a d’électeurs, plus la base sur laquelle
le gouvernement repose est solide.
Plus il y a d’électeurs, moins l’esprit de coterie
influe sur les choix, moins l’intrigue a des chances de succès.
Si tous les citoyens présentaient des garanties
d’ordre et de capacité suffisantes, le suffrage universel serait le meilleur de
tous les systèmes.
Malheureusement il n’en est pas ainsi ; les lumières
ne sont pas assez répandues, les basses classes ne sont pas assez indépendantes
pour que le suffrage universel ne soit pas une dangereuse utopie.
Mais un autre danger, c’est de porter l’exclusion
trop loin, c’est de ne pas laisser pénétrer dans le corps électorat ceux qui,
par la quotité d’impôts qu’ils paient, sont présumés avoir intérêt au maintien
de l’ordre et posséder quelqu’instruction.
On me dira qu’il y a nécessité d’adopter l’art. 2
pour parer à la fraude. Nous verrons tout à l’heure, lorsqu’on discutera cet
article, s’il n’y a pas moyen de parer à la fraude, sans pousser l’exclusion
aussi loin que le gouvernement le propose.
J’admets pour le montent que l’art. 2 doive être
adopté tel qu’il est. Ce serait une raison, une raison puissante pour ne pas
adopter l’art. ler.
Puisque, par l’art. 2, vous diminuez le nombre des
électeurs, il me semble que vous devriez, par compensation, tenir compte des
centimes additionnels provinciaux et communaux ; le vide que vous allez faire
dans le corps électoral serait moins sensible.
Remarquez bien, messieurs, que les centimes
additionnels provinciaux et communaux ont été compris dans le cens électoral
jusqu’en 1836 ; jusqu’à cette époque on a été d’accord dans toutes les provinces
pour les comprendre dans le cens électoral, beaucoup d’entre vous doivent
peut-être leur entrée dans cette chambre aux électeurs qui ne l’étaient qu’à
l’aide des centimes additionnels provinciaux et communaux. Jusqu’en 1836,
tontes les raisons en faveur de l’opinion contraire que l’on présente
aujourd’hui comme si concluantes, n’ont été aperçues par personne.
En 1836, la cour de cassation, saisie d’un pourvoi
dirigé contre une décision de la députation de, la Flandre orientale, vint
introduire, dans cette partie de notre législation électorale, un système tout
nouveau, il est vrai, comme vous l’a dit tantôt l’honorable comte de
Muelenaere, que ce système était indiqué dans la discussion de la loi
communale, mais je ne puis admettre que l’une des trois branches du corps
législatif ait pu modifier, par son adhésion à certains discours prononcés dans
la discussion de la loi communale, le sens attribué jusqu’alors à la loi
électorale de 1831.
Par suite de cet arrêt, huit députations permanentes
cessèrent de comprendre les centimes additionnels provinciaux et communaux dans
le cens électoral ; je dis huit députations pour me conformer aux
renseignements qui nous ont été fournis par M. le ministre de l’intérieur, mais
je suis porté à croire que ces renseignements manquent d’exactitude.
L’honorable comte Vilain XIIII m’a assuré que les centimes additionnels
provinciaux et communaux sont encore, à l’heure qu’il est, compris dans le cens
électoral dans la province du Limbourg ; d’autres personnes m’avaient dit la même
chose. Quoi qu’il en soit, il est une députation qui ne crut pas devoir se
ranger à l’avis de la cour de cassation. C’est la députation de la province de
Liége.
Cette députation, dont j’avais alors l’honneur de
faire partie, pensa qu’avant de priver du droit d’élection un grand nombre de
citoyens qui en avaient joui jusqu’alors, il fallait au moins attendre que la
jurisprudence de la cour de cassation fût fixée par un second arrêt.
Cette décision, messieurs, n’était pas dictée par
l’esprit de parti, comme on a voulu l’insinuer ; les centimes additionnels
provinciaux et communaux ne sont ni libéraux ni catholiques ; ils sont payés
indistinctement par tous ; c’était une décision consciencieuse.
La preuve qu’elle n’était pas dictée par l’esprit de
parti, c’est qu’elle fut acceptée par tous les partis, sans opposition.
La preuve qu’elle n’était pas dictée par l’esprit de
parti, c’est qu’un honorable membre du conseil provincial de Liége, qui
appartient à l’opinion catholique, en qui l’opinion catholique a la plus grande
confiance, ayant été élu membre de la députation permanente, n’hésita pas à
voter sur cette question dans le même sens que nous.
On nous a reproché, dans cette enceinte, d’avoir
porté notre décision à la connaissance des administrations communales, par une
circulaire insérée au Mémorial
administratif. Mais, messieurs, si nous ne l’avions pas fait, on nous eût
adressé le reproche bien plus grave, d’avoir voulu favoriser la ville au
préjudice des campagnes. Le conseil communal de Liége ayant décide, comme nous,
qu’il devait être tenu compte des centimes additionnels provinciaux et
communaux, si les administrations des communes rurales n’avaient pas été
informées de ce qui se passait, les campagnes auraient été lésées ; la
proportion que la loi a voulu établir entre les électeurs de la ville et ceux
des campagnes, eût été changée au préjudice de ces dernières. On voit que notre
circulaire était un acte d’impartialité, un acte de loyauté.
Les campagnes, informées par nous de ce qui se
passait en ville, avaient deux moyens de faire respecter leurs droits ; elles
pouvaient imiter la ville, en augmentant, comme elle, les électeurs, au moyen
des centimes additionnels provinciaux et communaux, elles pouvaient, si ce
moyen ne leur convenait pas, faire fixer, par un second arrêt, la jurisprudence
de la cour de cassation ; elles ont préféré l’emploi du premier moyen : partout
dans la province de Liége, les centimes additionnels provinciaux et communaux
furent compris dans le cens électoral. Il n’y eut pas d’opposition sérieuse.
Tous les représentants de la ville de Liége qui siègent dans cette enceinte,
notre honorable président lui-même, sont le produit de cet ordre de choses.
Les motifs sur lesquels la députation permanente de
la province de Liége a appuyé sa décision vous sont connus. Ils sont consignés
dans les annexes et dans le rapport de la section centrale. L’honorable M.
Fleussu vient de vous exposer les raisons qui ont engagé le conseil communal de
Liége à adhérer à l’avis de la députation permanente. L’honorable comte de
Muelenaere a cherché à combattre ces raisons ; mais, malgré toute la déférence
que j’ai pour l’expérience administrative de cet honorable membre, je dois dire
que les raisons de la députation permanente et du conseil communal de Liège
sont restées debout.
L’honorable comte de Muelenaere a invoqué les
discussions qui ont précédé le vote de la loi électorale. Je pourrais contester
l’exactitude des extraits cités dans le rapport ; à l’époque où la loi
électorale a été discutée, il n’y avait pas de journal officiel ; c’est dans
des journaux qui n’ont aucun caractère officiel, que M. le rapporteur de la
section centrale a puisé les renseignements qu’il nous a fournis ; je pourrais,
je le répète, en contester l’exactitude, mais je veux bien admettre qu’ils
soient, en tout point, conformes à la vérité, on va voir qu’ils ne prouvent
rien contre l’opinion de la députation permanente de la province de Liége.
Vous savez, messieurs, que la députation permanente
de la province de Liége ne comprend pas tous les centimes additionnels
provinciaux et communaux dans le cens électoral, elle n’y comprend que ceux qui
sont perçus en vertu de la loi du 12 juillet 1821. Voyons maintenant la
discussion qui a eu lieu en 1831 :
« M. Wannaer demande
que les cents additionnels payés au trésor de l’Etat comptent pour former le
cens.
« M. Lebeau croit que cela est inutile, tous
les impôts votés par la législature comptent pour former le cens.
« M. Osy propose d’ajouter que les cents additionnels
versés au trésor de l’Etat compteront à l’électeur. »
« L’amendement de M. Wannaer
ainsi modifié est adopté. »
Tel est le compte rendu du Courrier, le compte rendu
du Journal des Flandres et du Journal de la Belgique, qui diffère quelque peu
de celui du Courrier. En voici des extraits :
« M. Wannaer présente
un amendement tendant à fixer que les patentes et tous les cents additionnels
en faveur tant de l’Etat que de la province et de la commune, seront comptés
pour former la quotité de contributions exigées pour être électeurs, etc.
« M. Lebeau combat l’amendement ; il ne veut
admettre que l’impôt payé au trésor public ; il démontre les inconvénients de
l’opinion contraire, il dit qu’il y a des communes riches où les charges sont
presque nulles. Il en résulterait que ce ne serait pas la loi, mais les
autorités sociales qui créeraient les électeurs.
« M. Osy. - Il y a des opcenten
en faveur des communes et des provinces, et d’autres en faveur de l’Etat ; les
derniers seulement sont verses au trésor ; je propose donc de mettre versés au
lieu de payés. »
Il est évident que M. Osy était dans l’erreur,
lorsqu’il disait que les centimes additionnels provinciaux et communaux
n’étaient pas versés au trésor ; les centimes additionnels provinciaux et
communaux devant, aux termes de la loi du 12 juillet 1821, être perçus par les
receveurs de l’Etat, sont versés au trésor en même temps que le principal de
l’impôt et que les centimes additionnels perçus au profit de l’Etat : l’on doit
aussi supposer que l’opinion de M. Lebeau, qui, on ne peut le nier, exerçait
sur le congrès plus d’influence que M. Osy, est celle qui a prévalu. M. Lebeau
disait que tous les impôts votés par la législature comptent pour former le
cens électoral ; c’était exclure les centimes additionnels provinciaux et
communaux qui sont votés par les administrations provinciales et communales
avec l’approbation du Roi, mais ce n’était pas exclure ceux qui sont perçus en
vertu de la loi du 12 juillet 1821, car ceux-là ont été votés par la législature,
ils résultent d’un vote de la législature.
On peut tirer la même conclusion des autres paroles
de M. Lebeau, il y a des communes riches où les charges sont presque nulles ;
il en résulterait que ce ne serait pas la loi, mais les autorités locales qui
créeraient les électeurs.
On voit qu’ici encore l’idée de M. Lebeau n’était
pas d’exclure les centimes additionnels résultant d’une loi, mais uniquement
ceux qui seraient votés par les autorités locales, peut- être dans le but de
créer des électeurs ; cette idée est tout à fait conforme à la décision prise
par la députation permanente de Liège.
L’honorable comte de Muelenaere interprète les mots verser au trésor de l’Etat, comme s’il y
avait verser au profit de l’Etat, c’est aussi ce que
la cour de cassation fait ; c’est là un changement de texte que je ne puis
admettre, je ne consens pas à lire dans la loi verser au profit de l’Etat, quand il y a seulement verser au trésor de l’Etat. Mais quand
même on admettrait cette variante, ce ne serait pas encore une raison pour
exclure les centimes additionnels provinciaux et communaux du cens électoral,
car je soutiens que non seulement ils sont versés au trésor de l’Etat, mais
même qu’ils tournent au profit de l’Etat.
Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que la loi a
mis à la charge des provinces et des communes certaines dépenses qui sont
d’intérêt général ; c’est parce qu’elles sont d’intérêt général, que la loi les
déclare obligatoires.
Ces dépenses étant d’intérêt général, c’est l’Etat
qui devrait les supporter ; mais comme le pouvoir central est surchargé de
travaux, comme il a de grandes questions à examiner, des affaires très
importantes à traiter, comme il y a une foule de petits détails dont il est
impossible qu’il s’occupe, comme il ne peut pas être partout à la fois, on a
trouvé bon, pour faciliter l’administration, pour en simplifier les rouages, de
confier certaines dépenses aux administrations provinciales et communales.
Pour être juste, il a fallu donner en même temps aux
administrations provinciales et communales les moyens de couvrir ces dépenses,
c’est pourquoi on leur a accordé des centimes additionnels provinciales
et communaux, qui sont une partie des impôts de l’Etat, qui sont réellement
perçus au profit de l’Etat puisqu’ils sont destinés à couvrir des dépenses
d’intérêt général pour lesquelles les provinces et les communes sont
substituées à l’Etat.
Est-ce que le contribuable qui aurait été électeur,
si l’Etat s’était chargé lui-même de ces dépenses, cessera de l’être parce que
l’Etat a trouvé bon d’en charger les provinces et les communes ? La nature de
l’impôt est-elle modifiée par suite de cet arrangement entre l’Etat d’une part,
les provinces et les communes de l’autre ? Ce qui se fait uniquement dans
l’intérêt de l’administration, dans le but d’en simplifier les rouages, doit-il
priver le contribuable de l’exercice du droit électoral ? Cela ne serait pas
juste.
Lors de la discussion de la loi provinciale, on a
agité la question de savoir si le casernement de la gendarmerie serait à charge
de la province ou à charge de l’Etat ; on a décidé, à une faible majorité, je
pense, qu’il serait à charge de la province. Faut-il, parce que l’on a pris
cette décision, que la partie de l’impôt destinée à couvrir cette dépense soit
exclue du cens électoral, alors qu’elle en aurait fait partie si le casernement
de la gendarmerie avait été à charge de l’Etat ?
Je citerai encore un autre exemple tiré de la loi
sur l’instruction primaire ; on a mis le traitement des inspecteurs civils à la
charge des provinces, et celui des inspecteurs ecclésiastiques à la charge de
l’Etat ; voilà deux dépenses d’intérêt général et tout à fait de même nature,
dont l’une est supportée par l’Etat et l’autre par la province.
Il pourrait arriver que l’on trouvât un jour que le
pouvoir central est encore trop surchargé de travail et que l’on augmentât, par
ce motif, le nombre des affaires d’intérêt général confiées aux soins des
administrations provinciales et communales ; cette combinaison amènerait
nécessairement une augmentation des centimes additionnels provinciaux et
communaux en même temps qu’une diminution des impôts perçus au profit de l’Etat
; si cela arrivait, il faudrait, dans le système qui exclut les centimes
additionnels provinciaux et communaux du cens électoral, rayer des listes
électorales une masse de citoyens qui continuent cependant à présenter les
mêmes garanties d’ordre et de capacité. Un pareil système est-ii soutenable ?
Mais, dit l’honorable comte de Muelenaere, pourquoi
faites-vous une distinction entre les centimes additionnels perçus en vertu de
la loi du 12 juillet 1821 et les autres centimes additionnels provinciaux et
communaux ? La réponse à cette question est très facile.
Par cela seul que les centimes additionnels créés
par la loi du 12 juillet 1821 sont perçus dans toutes les provinces et dans
toutes les communes, on est autorisé à dire qu’ils sont destinés à couvrir des
dépenses d’intérêt général mises par l’Etat à la charge des provinces et des
communes ; cela résulte d’ailleurs implicitement de la loi du 12 juillet 1821
dont l’article… porte que les centimes additionnels sont destinés à faire face
aux dépenses des provinces et à telles autres dépenses d’intérêt général qui
pourront leur être imposées.
Il n’en est pas de même des centimes additionnels
qui peuvent être votés dans certaines provinces ou communes pour faire face à
des dépenses accidentelles ; ii est évident que ces dépenses ne peuvent
présenter le même caractère d’intérêt général que celles auxquelles la loi
elle-même a pourvu.
Ajoutez à cette considération, que les bases du cens
doivent être uniformes dans le pays. Evidemment on ne peut pas comprendre dans
ce cens électoral des impôts qui ne seraient perçus que dans quelques localités
; ii faut que les impôts, pour être compris dans le cens électoral, présentent
un caractère de généralité ; sans cela il dépendrait d’une commune d’augmenter
son influence dans les élections, en faisant dans l’année où une élection
aurait lieu certains travaux extraordinaires, dont la dépense serait couverte
au moyen de centimes additionnels, cela
n’est pas admissible. Je sais bien qu’une commune ne peut créer des centimes
additionnels sans l’autorisation du gouvernement, mais le ministère lui-même
pourrait avoir intérêt à augmenter le nombre des électeurs d’une commune qui
lui serait dévouée.
On voit qu’il y a de bonnes raisons pour faire une
distinction entre les centimes additionnels perçus en vertu de la loi et ceux
qui ne résultent que du vote des administrations communales ou provinciales.
L’honorable comte de Muelenaere a laissé sans
réponse l’argument que l’honorable M. Fleussu a tiré de l’art. 47 de la
constitution ; cependant cet argument est très fort.
D’après l’art. 47 de la constitution, tout impôt
direct doit être compris dans le cens électoral.
Personne ne peut soutenir que les centimes
additionnels provinciaux et communaux ne sont pas des impôts directs ; ils ont
été considérés comme tels par diverses lois, et notamment par l’art. 1er de
plusieurs budgets des voies et moyens ; ce n’est qu’en 1838 qu’on a changé la
rédaction de l’art. 1er de la loi du budget des voies et moyens ; on nous a par
là enlevé un argument, disait tantôt M. le ministre de l’intérieur ; non,
l’argument ne nous a pas été enlevé par là ; ce n’est pas en rayant les
centimes additionnels provinciaux et communaux de l’art. 1er du budget des
voies et moyens, qu’on a pu changer leur nature.
Si les centimes additionnels provinciaux et
communaux sont des impôts directs, et personne ne peut le nier, ils doivent
nécessairement, aux termes de l’art. 47 de la constitution, être compris dans
le cens électoral, il y a, je le sais, quelques personnes qui pensent que l’on
peut, sans violer le pacte fondamental, exclure du cens électoral certaines
catégories d’impôts directs ; je ne puis admettre cette opinion, au moyen de
laquelle on pourrait ne comprendre dans le cens électoral que l’impôt foncier,
à l’exclusion de tous les autres impôts directs. C’est là une doctrine qui me
paraît contraire au texte et à l’esprit de l’art. 47 de la constitution.
Mais ceux-là même qui pensent que l’on pourrait
exclure du cens électoral certaines catégories d’impôt direct reconnaissent
avec nous que 1’on ne peut, dans aucun cas, priver du droit électoral celui
qui, réunissant les autres qualités requises par la loi, paierait au moins 100
fr. d’impôt direct, maximum fixé par le même article de la constitution pour le
cens électoral.
Aussi qu’a-t-on dit lorsqu’on a agité la question de
savoir si l’impôt sur le débit des, boissons distillées serait compris dans le cens
électoral ? On a dit qu’en supposant même que cet impôt fût un impôt direct, il
était permis de l’exclure du cens électoral, parce que le cens le plus élevé
exigé par la loi électorale est de 80 fl., et qu’en ajoutant même les 15 fl.
maximum de l’impôt sur le débit ces boissons distillées aux 79 fl. 99 c. qu’un
habitant de Bruxelles, où le cens de 80 fl. est exigé, pourrait payer, on ne
violerait pas l’art. 47 de la constitution, en le privant du droit électoral,
puisque même, en lui comptant tout, il n’atteindrait pas encore le maximum de
100 florins fixé par la constitution.
Cet argument, qui est vrai dans l’hypothèse où la
constitution permet de distraire certains impôts directs du cens électoral, cet
argument, dis-je, qui est vrai, si on tient compte des centimes additionnels
provinciaux et communaux, devient faux aussitôt qu’on les exclut.
Supposez, en effet, qu’un habitant de Bruxelles paie
79 fl. 99 c. en impôts directs, tant en principal qu’en centimes additionnels
au profit de l’Etat, supposez qu’il paie en outre 15 florins d’impôt pour débit
de boissons distillées ; ajoutez à ces deux sommes les 15 centimes additionnels
provinciaux et communaux, vous arriverez à un chiffre supérieur au maximum de
100 fl. fixé par la constitution ; cet individu qui paye au-delà du maximum
fixé par la constitution ne sera pas électeur, dans le système qui exclut les
centimes additionnels provinciaux et communaux, la constitution sera violée.
Remarquez bien, messieurs, que beaucoup d’honorables
membres de cette chambre ont voté contre la proposition d’exclure l’impôt sur
le débit des boissons distillées du cens électoral ; ils n’ont pu le faire que
parce qu’ils considéraient cet impôt comme un impôt direct ; d’autres, qui ont
voté pour la proposition, pensaient également que cet impôt est un impôt
direct, et ils ne l’ont exclu du cens électoral que par la raison que j’ai
indiquée tantôt, que dans aucun cas le maximum de 100 fl. ne serait dépassé. On
peut donc dire que, dans l’opinion de la majorité de la chambre, l’impôt sur le
débit des boissons distillées est un impôt direct, et en effet, il faut bien reconnaître
que c’est une véritable patente.
Je pourrais, messieurs, faire
valoir d’autres considérations, mais j’ai peut-être déjà été trop long. Je ne
sais si mon honorable collègue, M. Fleussu et moi, nous aurons réussi à vous
faire partager nos convictions, mais il me semble que nous avons prouvé que la
question est tout au moins fort douteuse, et j’espère que dans le doute vous
adopterez l’interprétation qui laisse la constitution intacte, qui élargit le
cercle électoral, et qui maintient dans leurs droits une foule de citoyens
auxquels beaucoup d’entre vous doivent peut-être de siéger dans cette enceinte.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, plusieurs des observations qui viennent d’être présentées
ont déjà été discutées dans le rapport de la section centrale ; je ne
m’attacherai donc à combattre que celles qui n’avaient pas été produites
jusqu’à présent.
Je n’examinerai pas ce que l’on a dit des actes de
la députation de la province de Liége ; il ne s’en agit pas ici ; il ne s’agit
que de l’interprétation de la loi de 1831.
Indépendamment de l’opinion consacrée par le projet
du gouvernement et adoptée par la section centrale, on a émis dans cette
enceinte deux opinions bien distinctes. L’honorable M. Vilain XIIII veut faire
entrer dans la formation du cens électoral tous les centimes additionnels.
L’honorable M. Fleussu et l’honorable M. Delfosse veulent établir une
distinction, d’après laquelle seraient comptés seulement les centimes
additionnels perçus au profit des provinces et des communes, en vertu de la loi
du 12 juillet 1821.
Si les centimes additionnels doivent être comptés
parce qu’ils sont un impôt direct, il me semble que la distinction qu’on vous
propose ne peut être admise. La nature de l’impôt direct résulte de la manière
dont il frappe les biens. Si les centimes additionnels sont un impôt direct
dans le sens de l’article 47 de la constitution, les uns et les autres doivent
être comptés pour former le cens électoral.
Quel est, messieurs, le motif de la distinction ?
C’est, dit-on, que la base du cens doit être uniforme dans toutes les
provinces. Messieurs, j’ai pris des renseignements sur le point de savoir si
les centimes accordés aux provinces et aux communes par la loi de 1821 sont
perçus partout, et il m’a été assuré au ministère des finances qu’il y avait
des communes du royaume où ces centimes n’étaient pas perçus ; de sorte que,
d’après l’argument même que l’on fait valoir pour les compter, il faudrait ne
pas les compter.
Il ne s’agit, disais-je tantôt, que d’interpréter la
loi, et non d’étendre ou de restreindre le droit électoral. La question est
celle-ci : Quel est le sens que le congrès a voulu donner à la loi de 1831 ? La
discussion me paraît prouver à la dernière évidence que le congrès n’a pas
voulu compter les centimes ordinaires ou extraordinaires accordés aux provinces
et aux communes.
Que s’est-il passé, en effet ? Un membre du congrès
a proposé un amendement tendant à comprendre tous les centimes dans le cens
électoral, et cet amendement a été rejeté. Je reconnais que la discussion n’a
pas un caractère officiel ; je ferai remarquer néanmoins qu’une partie des
faits indiqués ont un caractère officiel. Ainsi, le rejet de l’amendement de M.
Wannaer est constaté par le procès-verbal authentique
de la séance du congrès. Il ne s’agit donc plus que de savoir quel était
l’amendement de M. Wannaer, et il ne peut rester
aucun doute sur ce point d’après les explications conformes données dans
plusieurs des journaux de l’époque.
Les motifs du rejet de l’amendement, les motifs pour
lesquels le texte du projet a été changé, sur la proposition de M. Osy, c’était
précisément qu’il fallait exclure du cens électoral les centimes perçus au
profit des provinces et des communes.
Le texte de la loi me paraît d’ailleurs parfaitement
conforme à l’opinion exprimée dans les discussions. Il y aurait presque un jeu
de mots à dire que l’on verse au trésor de l’Etat des centimes au profit des
provinces et des communes. On verse au trésor de l’Etat ce qui est perçu au
profit de l’Etat, ce qui est affecté à ses dépenses.
Mais, dit-on, ces centimes sont accordés en
considération de dépenses d’intérêt général, dont les provinces et les communes
sont chargées. A la vérité, d’après le texte de la loi de 1821, ces centimes
sont accordes aux provinces à la fois en considération des dépenses d’intérêt
général dont elles sont chargées, et pour leurs dépenses particulières ; mais
si cette observation a quelque valeur pour les provinces, elle n’en peut avoir
aucune pour les communes ; c’est exclusivement pour leurs dépenses
particulières que les centimes leur sont accordés.
L’honorable M. Vilain XIIII a dit que le cens
électoral n’est qu’un moyen de constater la fortune ; il en a conclu que les
centimes additionnels provinciaux et communaux doivent entrer en compte pour la
formation du cens. Il me semble, messieurs, que c’est poser en principe ce qui
est en question ; car il s’agit de savoir quel est le signe même, ou quel est
le moyen admissible aux yeux de la loi pour constater la fortune ; et nous
pensons qu’aux termes de la loi électorale et de la constitution, les centimes
additionnels provinciaux et communaux ne peuvent pas être reconnus comme étant
le signe de la fortune, origine du droit électoral.
Les arguments tirés de la constitution reposent
aussi sur l’opinion que l’on s’expose à la violer, si l’on ne compte pas les
centimes additionnels. Mais encore une fois, il me paraît que les expressions
dont se sert la constitution, que les termes de la loi électorale n’ont pas ce
sens.
La loi française que l’on vous a citée, dit
expressément que les centimes additionnels de toute nature sont comptés ; et je
crois que l’on peut tirer de là un argument en faveur de l’opinion admise par
la section centrale. Il faut se rappeler en effet, messieurs, que la loi
française, dont le projet existait lorsque le congrès s’est occupé de notre loi
électorale, a servi de type à un grand nombre de ses
dispositions ; de la différence qui existe entre les deux textes, l’on peut
encore conclure, indépendamment de tous les autres motifs, que le congrès n’a
pas voulu admettre comme éléments du cens électoral les centimes perçus au
profit des provinces et des communes. (Aux
voix ! aux voix !)
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne sais si je dois déclarer
que je persiste dans la proposition. J’entrerai dans des considérations si on
l’exige.
- L’art. 1er est mis aux voix et adopté.
M. le président. - M. le ministre s’est rallié à la rédaction de l’art. 2 proposée par la
section centrale. Elle est ainsi conçue :
« Art. 2. Les contributions et patentes ne sont
comptées à l’électeur qu’autant qu’il a payé le cens en impôt foncier, l’année
antérieure, ou bien en impôts directs de quelque nature que ce soit, pendant
chacune des deux années antérieures. Des redevances sur les mines sont
assimilées à l’impôt foncier. »
« Le possesseur à titre successif est seul
excepté de ces conditions.
« En cas de mutation d’immeubles, les
contributions dues à partir du jour où la mutation a acquis date certaine, sont
comptées à l’acquéreur pour la formation du cens électoral. »
M. Mercier. - Messieurs, deux reproches ont été faits à l’art. 2 du projet de loi ;
ces reproches s’adressent au principe même de la disposition.
Le premier, c’est de consacrer en quelque sorte la
fraude dès qu’elle se commet pendant deux années consécutives. Le second, c’est
de priver de leur droit électoral une quantité de citoyens qui devaient en
faire usage cette année, ou plutôt de priver l’Etat du concours utile de
beaucoup d’électeurs qu’on empêche de concourir à un acte d’une haute
importance pour les destinées du pays.
Messieurs, le premier vice de l’article se trouve
écarté, du moment que l’on admet que la disposition n’est que provisoire ; du
moment que l’on admet en principe, qu’il faut posséder réellement les bases de
l’impôt. Sur ce point je suis complètement d’accord avec la section centrale,
et je pense qu’aucune opinion contraire ne se manifestera dans la chambre ; il
est entendu que la possession des bases de l’impôt est seule le signe de la
capacité électorale.
Quant au second reproche adressé à cet article, on
peut en atténuer beaucoup les motifs, sinon les écarter entièrement.
Lorsqu’il a été question des fraudes électorales
pour la première fois dans cette enceinte, quant à moi, qui suis l’auteur de la
motion, je n’avais en vue que des abus qui semblaient devoir résulter de
déclarations faites pendant le 2ème semestre de l’exercice 1842, et j’ajouterai
qu’en ce qui concerne le semestre, aucune ne m’avait été signalée. L’enquête
est venue confirmer ce que nous pensions alors, c’est-à-dire que toutes, ou
presque toutes les fraudes, ont été commises pendant le second semestre. Sans
doute, personne ne peut affirmer qu’aucune déclaration inexacte n’ait été faite
dans le premier semestre, mais il y a du moins très forte présomption que très
peu d’entre elles ne sont pas entachées de fraude ; tandis qu’au contraire,
pour les déclarations formées pendant le second semestre, la présomption est,
d’après les renseignements qui nous ont été fournis par le gouvernement et d’après
ceux que nous avons recueillis nous-même, qu’assez
généralement les déclarants se sont écartés de la vérité.
Pourquoi, alors que les déclarations du premier
semestre ne peuvent pas être présumées être entachées d’infidélité, irions-nous
priver une quantité d’électeurs de l’exercice d’un droit qu’ils ont acquis
légitimement ? Pourquoi irions-nous priver le pays du concours d’un grand
nombre de citoyens à un acte aussi important que l’élection des mandataires de
la nation ?
Messieurs, le nombre des électeurs que nous
écarterons ainsi est assez considérable. Le gouvernement ne nous a communiqué
sur ce point aucun renseignement ; mais il m’a été facile de calculer très
approximativement quel est, chaque année, le mouvement des listes électorales,
quel nombre d’électeurs sort chaque année par suite de décès. En établissant
mes calculs d’après les tables de mortalité de la Belgique, appliquées aux
hommes seulement, j’ai trouvé que sur le nombre de 49,200 électeurs, 1,200 au
moins, devaient être remplacés par suite de décès.
Dans ces 1,200 électeurs, combien y en aurait-il qui
figureraient légalement sur les listes pour des déclarations faites dans le
deuxième semestre ; mais peut-être huit ou dix ; il se fait assez peu de
déclarations dans le second semestre, et parmi ces déclarations le nombre de
celles qui pourraient compléter le cens est encore plus restreint.
J’ai donc pensé qu’il serait utile de ne pas
appliquer la mesure à un nombre considérable d’électeurs qui ont fait leur
déclaration dans le premier semestre.
Je le répète, l’enquête ne nous renseigne, d’une
manière bien précise, que des fraudes commises pendant le deuxième semestre,
sauf celles qui concernant la commune de Romsée,
lesquelles résultent de déclarations faites par des individus complètement
insolvables et qui ne seraient pas plus réprimées par l’article, tel qu’il est
proposé, que par la disposition que je propose d’y substituer ; c’est le 1er §
qui les invalide.
Messieurs, je crois avoir, dans cette discussion,
fait preuve d’assez d’impartialité et de modération ; je n’ai pas cherché à
attribuer les fausses déclarations exclusivement à une opinion. Maintenant,
c’est aussi dans l’intérêt de tous que je demande que tant de citoyens, à la
veille d’exercer légitimement leur droit électoral, ne soient pas écartés des
listes. Je le demande moins dans l’intérêt de ces citoyens que dans celui de
l’Etat.
Voici, messieurs, quelle est l’amendement que je
vais avoir l’honneur de déposer sur le bureau :
« La contribution personnelle et la patente ne
seront comptées à l’électeur qu’autant qu’il les ait payées dans l’année
antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu.
« Il ne sera pas tenu compte de la contribution
personnelle et du droit de patente résultant de déclarations faites dans le
dernier semestre de l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a
lieu. »
J’insiste d’autant plus, messieurs, pour l’adoption
de cette proposition, que ce n’est en quelque sorte qu’une interprétation de la
loi actuelle, car bien des personnes, et même un commentateur très éclairé de
la loi électorale, ont cru qu’il fallait avoir possédé les bases pendant toute
l’année pour pouvoir jouir du droit électoral.
Je sais que cette opinion est contestée, que ce
n’est pas même celle qui a prévalu dans l’application, mais d’après les termes
mêmes de la loi électorale, on pourrait soutenir qu’il ne suffit pas d’avoir
été imposé pendant une partie de l’année antérieure à celle de l’élection, mais
qu’il faut avoir possédé les bases de l’impôt pendant cette année tout entière.
Je n’insisterai pas trop sur cette observation, qui mérite cependant d’être
prise en considération.
Je pense, messieurs, que nous devons faire une loi
aussi bonne que le permettent les circonstances. Nous ne pouvons pas y
introduire des dispositions consacrant soit des pénalités, soit le droit
d’appel contre ceux qui ne posséderaient point les bases, parce qu’il faudrait
pour cela apporter trop de changements à la loi existante ; faisons cependant
une loi qui présente le moins d’inconvénients possible. Il faudrait des motifs
extrêmement puissants pour être autorisés à écarter 1,200 électeurs
des prochaines listes électorales ; la quantité de ceux que l’on éloignerait ne
s’arrêterait probablement pas à ce chiffre, car il faut encore tenir compte de
cette circonstance que, chaque année, depuis deux ou trois ans, le nombre des
électeurs s’est accru de 7 ou 800. Je sais bien que cette progression aura un
terme et que, dans quelques années, elle ne s’accroîtra plus qu’en raison de
l’augmentation de la population ; mais je crois que ce moment n’est pas arrivé
et que cette année présentera des résultats
semblables, à peu de chose près, à ceux des deux ou trois dernières années.
Voilà donc au lieu de 1,200, 1,900 électeurs que l’article du projet écarterait
en grande partie. Eh bien ce n’est pas tout, il est encore une 3ème catégorie
d’électeurs qui seraient atteints par cet article ; je veux parler de ceux qui
remplacent annuellement les électeurs qui, pour une cause quelconque, perdent
cette qualité dans le courant de l’année ; je crois que l’on peut porter
le nombre de ceux qui sont dans ce cas à 200 au moins sur les 49,200 électeurs
inscrits.
Voilà donc 2,100 électeurs dont
douze à quinze cens au moins seraient privés de l’exercice de leur droit aux
élections de 1843.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne puis pas me
rallier à la proposition qui nous est faite. Je vous prie de bien vouloir jeter
les yeux sur les tableaux qui sont joints au résumé de mon collègue le ministre
des finances ; on y indique le mouvement des déclarations dans les années 1840,
1841 et 1842 ; il y a là, messieurs, des chiffres dont le rapprochement doit
vous frapper.
En 1840, pour les neuf provinces on a fait des
déclarations supplétives s’élevant, pour tout le royaume, à 10,817 fr. 91 c.
Tout à coup, à partir de 1841 inclus, nous voyons les déclarations supplétives
se doubler. En 1841, les déclarations supplétives pour toutes les provinces
s’élèvent à 21,487 fr. 87 c., le double de l’année
1840. La même chose se présente pour l’exercice de 1842 ; les déclarations
supplétives de cette année s’élèvent, pour les neuf provinces du royaume, à
20,053 fr. 19 c., c’est-à-dire à 1,500 fr. de moins
que celles de 1841. Ainsi cette année 1842, qui vous est si suspecte, cette
année présente une augmentation très forte, sans doute, si vous la comparez à
1840, mais moins forte que celle que vous avez remarqué en 1841, année que vous
voulez amnistier.
Voilà, messieurs, un premier rapprochement qui doit
nous frapper, mais ce n’est pas tout : en 1841, une province, le Brabant
présente une augmentation extraordinaire pour les déclarations supplétives.
Un membre. - Il n’y a pas d’élections dans le
Brabant.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - C’est précisément ce qui rend
la question presque sans intérêt, car dès lors ce grand argument des électeurs
nombreux auxquels la loi enlèverait leur droit, dès lors cet argument vient à
disparaître, puisque ceux qui ont fait des déclarations supplétives dans le
Brabant seront provisoirement mis hors de cause ; ils seront libres de
renouveler leurs déclarations supplétives pour les élections qui doivent avoir
lieu dans le Brabant, en 1843 ; malgré le vote de la loi ils se trouveront en
temps utile pour le faire.
Quand j’ai été interrompu, je voulais faire
ressortir ce que l’exercice de 1841 offre encore d’extraordinaire. Une
province, le Brabant présente des déclarations supplétives pour la somme de
9,964 fr. 13 cent., c’est-à-dire, à peu de chose près,
le chiffre qui se présente en 1840 pour le royaume entier. En effet, le chiffre
des déclarations supplétives de 1840 pour les 9 provinces est de 10,817 fr., et
en 1841, le chiffre des déclarations supplétives pour la seule province de
Brabant est de 9,964 fr., c’est-à dire environ 10,000 fr., chiffre. total des déclarations supplétives de l’année précédente
pour tout le royaume.
Il y a une 2ème observation de ce genre à faire,
mais ici le caractère de gravité est moindre. Cette fois, il s’agit d’une
province où il y aura des élections, le Hainaut. Dans le Hainaut, il a été fait
en 1841 des déclarations supplétives pour une sommes
de 3,718 francs 85 centimes.
M. Mercier. - Elles étaient inutiles.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Nous examinerons cela tout à l’heure.
Je disais donc que dans le Hainaut il a été fait, en
1841, des déclarations supplétives pour 3,718 fr.85 c.,
et la même province est celle qui offre le contingent le plus fort de
déclarations supplétives pour 1842, année suspecte.
Dans le Hainaut, il a été fait, en 1842, des
déclarations supplétives pour 4932 fr. 82 c., ce qui
est le chiffre le plus élevé que l’on rencontre pour 1842. Ainsi, messieurs, si
je réunissais les déclarations supplétives faites dans le Hainaut en 1841 et en
1842, je trouverais pour ces deux années une somme totale de 8,651 fr. 67 c., somme encore une fois à peu prés égale au montant des
déclarations supplétives faites en 1840, dans le royaume tout entier.
Voilà, messieurs, ce qui se présente pour cette
deuxième province, quand on fait la comparaison entre les différents exercices.
Messieurs, je pense que l’exercice de 1841 se présente
avec des caractères tout aussi extraordinaires que l’exercice 1842, qu’il est
indispensable de les mettre sur la même ligne, et l’objection qu’on fait, qu’en
1841 on n’éprouvait pas le même intérêt qu’en 1842, pour faire des déclarations
supplétives ; on peut répondre à cette objection : En 1841, on a pu éprouver,
comme en 1842, l’intérêt de préparer les élections ; d’ailleurs, ce qu’il y a
d’extraordinaire dans les chiffres doit frapper tout le monde ; on s’explique
pourquoi l’année 1842 devient suspecte, lorsqu’en 1842 les déclarations
supplétives pour le royaume entier présentent 1,500 fr.de moins que les
déclarations supplétives de 1841.
Je pense donc qu’il faut maintenir la disposition
telle qu’elle vous est proposée par le gouvernement et par la section centrale.
M. Verhaegen (pour une motion d’ordre) - Messieurs, dans quelques sections on avait
demandé de disjoindre l’art. 2, pour en faire l’objet d’un projet spécial, et
de comprendre les autres articles dans un second projet. C’est cette
proposition que j’ai l’honneur de renouveler devant la chambre, par forme de
motion d’ordre.
Messieurs, vous comprenez les motifs de cette motion
d’ordre, si les protestations de la grande majorité de l’assemblée sont
sincères, et j’aime à le croire, tout le monde veut réprimer la fraude ; l’on
ne peut être en désaccord que sur les moyens d’atteindre ce but, tous, autant
que nous sommes, à quelques légères exceptions près, nous désirons une
disposition qui puisse, d’une manière efficace, réprimer la fraude. Mais il y a
beaucoup de membres qui ne peuvent pas accepter certaines dispositions
proposées par M. le ministre de l’intérieur et par la section centrale ; si
l’on ne prononçait pas la disjonction, ces membres se verraient dans la
nécessité de repousser l’ensemble du projet de loi. Si le gouvernement veut
sincèrement la répression de la fraude, il ne peut s’opposer à ma proposition.
Nous ne nous refusons pas à discuter en même temps toutes les autres
dispositions du projet de loi. On l’a déjà dit, dans la discussion générale ;
voudrait faire payer cher une disposition tendant à réprimer la fraude, et
plusieurs membres ont déclaré qu’ils se trouvaient sous l’empire d’une
contrainte morale, et qu’ils seraient forcés d’adopter telle ou telle
dispositions du projet qui leur sont antipathique, pour obtenir la disposition
tendant à réprimer la fraude.
Il me semble que le gouvernement pourrait éviter ce
reproche, qui serait très fondé, en consentant à la disjonction ; tous les
droits resteraient saufs ; au reste, l’on ne ferait en cette circonstance que
ce qu’on a fait pour les projets de loi modificatifs de la loi communale. Lors
de la discussion de ces lois, le gouvernement lui-même a donné l’exemple de la
disjonction que nous demandons aujourd’hui, et je crois qu’à cette époque le
gouvernement, à l’appui de sa demande, a fait valoir les mêmes motifs que ceux
sur lesquels nous venons de nous appuyer.
Je prierai, en conséquence, M. le
ministre de l’intérieur, de vouloir bien s’expliquer sur ce point.
M. le président. - Voici la proposition de M. Verhaegen
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de
disjoindre l’art. 2, actuellement en discussion, du projet général, et d’en
faire l’objet d’un projet de loi spécial. »
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je regrette que
dans un moment où il y a une si grande urgence, on vienne soulever une
question, selon moi, oiseuse, par la proposition de disjonction….
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je me suis expliqué sur cette
proposition à la section centrale, je dois maintenir les raisons que j’ai
alléguées contre la disjonction ; je dois les maintenir d’autant plus
qu’aujourd’hui je pourrais opposer à cette demande de disjonction une fin de
non-recevoir.
La discussion a porté sur l’ensemble du projet, et
l’on peut même dire qu’on a continuellement dans cette discussion, dite générale,
anticipé sur la discussion des articles, de sorte que chaque article se trouve
presque aujourd’hui discuté en détail.
Messieurs, je crois devoir persister à m’opposer à
la disjonction. La loi n’a qu’un seul but : la répression des fraudes. Cette
répression se fait par les différents moyens indiqués dans le projet de loi.
Mais toutes les dispositions de la loi ont le même but ; ce but se trouve dans
l’art. 2, comme dans tous les autres articles du projet.
Je dois dire à l’honorable membre, pour me servir
d’une expression usitée au barreau, qu’il aurait au moins dû présenter sa
demande de disjonction in limine litis, et non pas
maintenant.
Nous allons nous exposer inutilement à une grande
perte de temps. Je demande que la discussion continue. Je pense que nous
pourrons très promptement saisir le sénat du projet de loi. Et pourquoi
placerions-nous le sénat dans une autre position que celle où nous avons été pour
la discussion de ce projet ?
Mais, dit-on, vous allez exercer sur certains
membres une sorte de contrainte morale. Messieurs, avec cet argument, il
faudrait fractionner tous les projets de loi, il faudrait presque toujours
faire autant de projets séparés qu’une loi contient d’articles. (C’est juste !) Vous voyez que cet
argument de la contrainte morale avec lequel on veut effrayer vos esprits est
peu fondé.
L’honorable préopinant me menace
de la responsabilité qui doit retomber sur le gouvernement. J’accepte très
volontiers cette responsabilité. Il a fait un appel à ma sincérité ; je ferai
aussi un appel à la sienne ; la sincérité doit être réciproque, et moi je
demande s’il n’y a pas lieu de réprimer toutes les manœuvres frauduleuses en
matière d’élection. Toutes ces choses se lient dans mon esprit. Je crois être
très sincère et très loyal, précisément en ce que je réunis en un seul faisceau
tous les moyens de répression.
M. Lebeau. - Messieurs, en voyant la fin de non-recevoir invoquée par M. le ministre
de l’intérieur, avec renfort de citations latines, j’ai été tenté un moment de
me croire transporté devant un tribunal civil, et il m’a semblé qu’au lieu
d’avoir en face de nous un ministre, nous avions un procureur. (Rires à gauche, murmures à droite.) On
parle d’urgence. Eh bien, c’est précisément l’urgence qu’on peut invoquer à
l’appui de la proposition de l’honorable M. Verhaegen. Comment ! messieurs, nous sommes arrivés au 20 mars, et nous
commençons à peine la discussion des articles d’un projet qui en contient à peu
près une vingtaine, tous susceptibles d’enfanter plusieurs amendements, qui,
les uns et les autres, doivent être promulgués avant le 1er avril ! Calculez,
messieurs, car c’est ici presque une question d’almanach, calculez et dites-moi
si, quelque diligence que vous apportiez à la discussion et à l’adoption des
articles et des amendements qui pourraient être présentés, il est possible que
vous ne forciez pas le sénat à faire, à l’égard de ce projet de loi, ce qu’on a
appelé dernièrement ici, avec esprit, une course au clocher.
Maintenant répondrai-je à cette espèce de reproche
d’arrière-pensée, de manque de sincérité, adressé à l’honorable auteur de la
motion ?...
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - On m’a fait le même reproche.
M. Lebeau. - Où est donc ce manque de sincérité ? Il y a évidemment dans cette
chambre une majorité qui veut toute la loi.
Eh bien, si la disjonction est adoptée, il va sans
dire que nous procédons sans désemparer à l’examen des autres parties du projet
ministériel. Je ne puis parler que pour moi, mais je crois que tout le monde
comprend loyalement l’engagement. La majorité veut ces dispositions. La
minorité votât-elle contre, elles seront converties en loi, puisque le
gouvernement et la majorité sont d’accord pour les vouloir. Ainsi, quand nous
aurons voté le premier projet, nous nous occuperons immédiatement du second, et
si la chambre l’adopte, lors même que nous aurions voté contre, nous en
recommanderions la religieuse observation à nos commettants, à nos concitoyens.
Voici une autre considération toujours puisée dans
la question de temps ; c’est que les dispositions relatives aux fraudes
électorales proprement dites ont un caractère évident d’urgence. C’est à tel
point que les trois pouvoirs doivent les avoir sanctionnées avant le premier
avril ; tandis que les autres peuvent, sans inconvénient, être adoptées dans le
courant du mois prochain seulement, car elles ne s’appliquent pas à la
confection des listes ; elle s’appliquent à la police pendant les opérations et
à la faculté d’appel par le commissaire d’arrondissement qui peut s’exercer
dans tout le courant du mois d’avril. Il n’y a pas chez nous l’ombre
d’arrière-pensée ; c’est très sincèrement, très loyalement que, pressés par le
temps, nous demandons de laisser au sénat sa liberté d’action.
C’est très sincèrement, très loyalement, que nous
demandons cette disjonction. Que craignez-vous ? qu’une
partie de cette chambre oppose sa force d’inertie, s’abstienne, ne participe
pas à la discussion et empêche la majorité de voter la loi ? Je crois que
personne ne me désavouera quand je dirai que tout le monde est prêt à procéder
immédiatement à la discussion de toutes les autres dispositions de la loi.
Quant à la question de contrainte morale, d’atteinte
à ce libre arbitre que vous nous accusiez naguère de vouloir méconnaître, elle
est de la plus haute importance. Evidemment, en repoussant la disjonction on
fait à une partie de cette chambre une véritable violence, en la forçant à
voter toutes les autres dispositions de la loi sous peine de laisser subsister
la fraude.
On ne fait de concession à aucune opinion, sans
doute, quand on réprime la fraude. Sur ce point, il y a accord général. Qui
oserait ici le nier ? Mais la divergence est très naturelle, très légitime sur
les autres dispositions. Tout le monde doit être d’accord pour réprimer des
fraudes scandaleuses, des turpitudes ; mais la divergence des opinions se
produira d’une manière toute rationnelle, toute légitime, je le répète, dans
l’examen et le vote des autres dispositions. Je vous prie en outre de ne pas
méconnaître la différence qu’il y a entre une loi transitoire destinée à
réprimer des fraudes commises en 1842 et des dispositions qui doivent être permanentes.
Je pourrais multiplier les
considérations qui militent en faveur de la motion de mon honorable collègue,
mais ce n’est pas quand je parle d’urgence que je puis me permettre de longs
développements.
M. de Theux. - Je m’étonne que les honorables préopinants provoquent, au nom de
l’urgence, une disjonction, alors qu’à l’ouverture de ces débats ils ont engagé
une discussion politique qui a duré six jours, ce dont nos fastes
parlementaires n’offrent pas d’exemple, et où il s’agissait de griefs si
souvent discutés dans cette enceinte. Je regrette que le cas d’urgence qui les
préoccupe si vivement aujourd’hui ne les ait pas préoccupés au commencement de
cette discussion ; nous n’eussions pas perdu beaucoup de temps, et nous
eussions évité des débats irritants qui n’ont eu aucun résultat et qui ne
pouvaient en avoir aucun.
Un honorable membre a dit que, sauf quelques-uns,
nous sommes tous d’accord sur la répression de la fraude. Ces mots m’ont par
fort peu parlementaires. L’honorable membre n’a pas senti la portée de ses
propres paroles, car, après les avoir proférées, il demande la disjonction de
dispositions qui n’ont pas d’autre but que de réprimer la fraude ; il veut
réserver à quelques-uns la faculté de rejeter certaines dispositions du projet
et d’en adopter d’autres. Ces expressions peu parlementaires ont donc été en
même temps imprudentes ; il devait prévoir qu’elles pourraient être rétorquées
avec avantage en présence de la nation.
Quant au fond de la question, les observations de M.
le ministre de l’intérieur sont tellement justes que je ne comprends pas qu’on
les combatte sérieusement. Je dis que si nous voulons nous occuper
sérieusement, avec assiduité, de la discussion des divers articles de la loi,
la disjonction n’est en aucune manière nécessaire ; les administrations
communales ont jusqu’au 15 avril pour arrêter les listes ; et elles ne doivent
être affichées que le dimanche suivant. Deux ou trois jours de discussions
peuvent nous suffire. Nous pourrons voter sur les quelques articles dont chacun
a pu comprendre la portée ; le sénat aura le temps d’examiner la loi et de
faire des amendements, s’il le juge à propos, et nous aurions encore le temps
d’adopter définitivement le projet, sans préjudice à l’exécution de la loi du 3
mars 1831.
Il suffit, d’ailleurs, à mon
avis, que le ministère s’oppose à la disjonction pour qu’elle ne puisse pas
être mise aux voix. Le projet du gouvernement est là, nous ne pouvons pas le
scinder. Nous pouvons admettre certaines dispositions, en rejeter d’autres,
mais je ne pense pas que, par forme de motion d’ordre, nous puissions mutiler,
sans son assentiment, un projet du gouvernement, quand dans sa pensée, les
diverses dispositions forment un ensemble.
M. Lejeune. - Après ce qui vient encore d’être dit aujourd’hui, je suis ramené à me
demander ce que c’est que des fraudes électorales. Au mois de décembre dernier,
l’honorable M. Mercier dénonce un genre de fraude commis au moyen de
déclarations supplétives supposées. Il a été convenu alors, on paraissait
d’accord, de réprimer ces fraudes et toutes les autres, s’il en existait, sans
en faire une question de parti. Nous avons vu ce qui est arrivé de cette
dernière promesse. J’ai dans le même temps dénoncé aussi une espèce de fraude
qui consiste dans l’inscription sur les listes de personnes qui ne paient pas
le cens. On a eu l’air de ne pas entendre ; dans toute cette discussion encore,
on ne s’est occupé que du genre de fraude dénoncé par M. Mercier ; on vient
encore de qualifier ces fraudes de turpitudes, d’actions scandaleuses.
Messieurs, après avoir qualifié ainsi ces sortes des fraudes, nous devons
encore faire remarquer qu’on a voulu les attribuer à une seule opinion, et qu’a-t-on
répondu à cette accusation ? Par une très sage réserve.
Un membre. - C’est de la discussion générale !
M. Lejeune. - Ce n’est pas de la discussion générale. Je veux prouver que les fraudes
que j’ai dénoncées sont autrement graves que celles que vous appelez
scandaleuses. Je dis qu’à cette accusation, lancée à une opinion, il a été
répondu par une sage réserve. On n’a pas voulu citer
de nom ! cependant qu’avons-nous appris depuis le mois
de décembre ? Qu’il y a des provinces entières où ces turpitudes, ces fraudes
scandaleuses sont complètement inconnues, où elles ne sont connues que par
quelques cas rares, posés par des personnes dont vous réclamez probablement
l’appui, et dont l’exemple n’a pas été suivi par leurs adversaires.
Vous exigez un cens assez élevé de la part des
sénateurs, je le conçois ; mais il serait absurde que le cens qui suffirait à
un individu pour être sénateur, ne fût pas suffisant pour qu’il fût électeur.
Des membres de cette chambre, et le nombre en est
grand, croient que les fraudes faites au moyen de déclarations supplétives sont
excusables par les termes mêmes de la loi, que c’est même une erreur que de les
qualifier de fraude. Je suis aussi de cet avis, qu’il ne faut pas tant
s’arrêter à des qualifications plus dures les unes que les autres. Je préfère
excuser le passé et prévenir les abus dans l’avenir.
Les fraudes dont j’ai parlé en décembre existent
réellement. II existe des inscriptions indues de personnes qui ne paient pas le
cens électoral. Croyez-vous que ce soient des cas isolés ? On ne se doute pas,
paraît-il, que cela puisse présenter un caractère de gravité, car on ne s’en
est nullement occupé. Eh bien, messieurs, dans plusieurs communes on a trouvé
que plus de la moitié des individus inscrits comme électeurs ne payaient pas le
cens électoral.
L’honorable M. de Theux a, dans la discussion
générale, cité un exemple que je crois devoir rappeler, pour mieux démontrer la
nécessité de réprimer cette fraude ; il fait voir qu’il y a autant d’urgence à
réprimer celle-là que celles que l’art. 2 a pour objet de prévenir.
Dans 3 communes qui fournissent
ensemble 182 électeurs inscrits, on a trouvé qu’il n’y en avait que 80 qui
payassent le cens. On me dit que ce n’est pas là la question de disjonction. Je
dis que c’est la question de disjonction, parce qu’on la propose dans l’espoir
de faire écarter la deuxième partie du projet qu’on veut disjoindre ; et je
tiens, pour ma part, beaucoup plus à la répression des abus que je viens de
signaler, qu’à celle des fraudes qui seraient réprimées par l’art. 2 ; je veux
la répression des toutes les fraudes qu’il est possible d’atteindre. Je voterai
contre la disjonction, parce que je veux la loi tout entière.
M. Delfosse. - Je suis surpris de l’espèce de fin de non-recevoir que M. le ministre
de l’intérieur et, après lui, M. de Theux ont opposée à la motion de
l’honorable M. Verhaegen. Dans la section centrale, j’ai aussi proposé la
disjonction, non pas de l’art. 1er, mais de tous les articles qui me
paraissaient présenter un caractère d’urgence ; que m’a-t-on objecté dans la
section centrale ? On m’a objecté que ma proposition était prématurée, qu’il
fallait attendre la discussion, que ce ne serait que dans le cas où elle se
prolongerait trop qu’il pourrait être utile de proposer la disjonction. Je me
suis rendu à ces observations, j’ai consenti à ajourner ma proposition. J’ai
donc lieu de trouver étrange que l’on vienne dire à M. Verhaegen, qu’il aurait
dû présenter sa proposition à l’ouverture de la discussion ; on me disait à moi
qu’il était trop tôt, on dit à l’honorable M. Verhaegen qu’il est trop tard ;
expliquera à qui pourra cette contradiction.
L’honorable M. Lejeune vient de nous dire qu’il ne
s’agit pas seulement de réprimer les fraudes signalées par M. Mercier, qu’il
faut aussi réprimer d’autres fraudes non moins dangereuses, plus dangereuses
peut-être, selon lui ; il est de ces fraudes qui consistent en ce que dans
plusieurs communes on portait sur les listes électorales des individus ne
payant pas le cens.
Il me semble qu’il y a dans la loi actuelle un
remède contre ce genre de fraudes, chaque citoyen a le droit de réclamer auprès
de la députation permanente contre les inscriptions indues ; si l’honorable M.
Lejeune a eu la connaissance, comme il le dit, d’un grand nombre d’inscriptions
indues, il a eu grand tort de ne pas réclamer.
Les choses iront-elles mieux lorsqu’on aura donné
aux commissaires d’arrondissement le droit d’intervenir dans la formation des
listes électorales ? J’en doute fort, ils réclameront, j’en suis certain, pour
faire porter sur les listes les individus qu’ils supposeront disposés à
soutenir les candidats du gouvernement et pour faire rayer ceux qu’ils
supposeront hostiles à ces mêmes candidats ; si c’est là ce qu’on veut, le but
sera atteint ; c’est surtout lorsqu’ils seront candidats eux-mêmes, et
malheureusement il n’y a que trop de commissaires d’arrondissement qui
cherchent à venir ici, c’est alors, dis-je, qu’ils déploieront beaucoup
d’activité.
Je suis prêt à prêter mon concours à la répression
de toute espèce de fraude, mais je ne veux pas que, sous prétexte de réprimer
la fraude, on introduise dans la loi un moyen de faire pencher la balance en
faveur des candidats du gouvernement.
La proposition de disjonction ne préjuge d’ailleurs
rien. Il y a certaines dispositions qui sont plus urgentes que d’autres, qui
doivent nécessairement être publiées avant le 1er avril ; ce sont celles qui
concernent la révision des listes ; il y en a d’autre qui ne doivent être mises
à exécution qu’après le 1er mai ; si on disjoint les premières dispositions des
autres, pour en faire un projet spécial, on aura l’espoir de les adopter en
temps utile ; si on ne les disjoint pas, cela deviendra, pour ainsi dire,
impossible ; comment pourrait-on discuter toutes les dispositions de la loi,
ici et au sénat, assez à temps pour qu’elle puisse être exécutoire le 1er avril
; remarquez bien, messieurs, qu’il ne suffit pas qu’elle soit publiée, il faut
que des instructions soient données aux receveurs, il faut qu’ils aient le
temps de faire avant le 1er avril le double des rôles qui doit être remis aux
administrations communales.
La loi entière ne pourra évidemment être adoptée en
temps utile, qu’autant qu’on adoptera les articles sans discussion ; il y a
cependant des articles d’une très grande importance qui doivent donner lieu à
une discussion approfondie. S’opposer à la disjonction, c’est vouloir étouffer
la discussion.
Il est vraiment étrange que M. le ministre de
l’intérieur s’oppose à la proposition de M. Verhaegen ; il devrait être le
premier à l’appuyer ; je défie M. le ministre de l’intérieur d’indiquer un seul
inconvénient qui pourrait résulter de l’adoption de cette proposition, elle ne
présente que des avantages.
L’honorable M. Verhaegen n’a
demandé que la disjonction de l’art. 2. Comme il y a d’autres dispositions
également urgentes, je proposerai, messieurs, de modifier la motion de M.
Verhaegen, en ce sens que les cinq premiers articles du projet de la section
centrale seraient disjoints pour former un projet de loi séparé.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - On veut la disjonction ;
c’est-à-dire, que d’un projet de loi on voudrait faire deux projets ; l’on
assignerait à chacun d’eux un caractère particulier, c’est ce que le
gouvernement ne peut pas vouloir, parce que dans la pensée du gouvernement le
caractère du projet, tel qu’il vous est présenté, est un ; le gouvernement se
manquerait à lui-même si aujourd’hui il consentait à la disjonction,
c’est-à-dire, s’il reconnaissait la possibilité d’assigner à chaque partie du
projet un caractère particulier ; il abandonnerait ainsi la position qu’il a
prise, et qu’il est de son honneur de conserver.
Le gouvernement est juge de la forme qu’il doit
donner aux propositions qu’il vous soumet, en vertu de l’initiative qui lui est
attribuée. Cette forme, il en accepte la responsabilité ; on fausserait sa
position si on obligeait le gouvernement à sanctionner des projets auxquels,
contre son intention, on aurait assigné des caractères différents de celui
qu’il leur donne.
On a abandonné l’argument de la contrainte morale ;
c’est maintenant l’urgence que l’on invoque.
Un membre. - Il n’est pas abandonné.
M. le ministre de l’intérieur
(M. Nothomb) - Eh bien ! Cet argument ne prouve
rien, parce qu’on peut l’invoquer pour toutes les lois.
On a invoqué les précédents de la loi communale. II
y avait différents projets de loi ; on a fait la proposition de les réunir en
un seul ; et si cette proposition eût été adoptée, il est probable que le
gouvernement aurait retiré le projet de loi.
L’urgence, messieurs ! l’urgence
existe sans doute, mais c’est une erreur de croire qu’il faut que la loi soit
votée et promulguée avant le premier avril. L’honorable M. de Theux vous a fait
remarquer que c’est une erreur. D’après l’article 7, la révision des listes
doit se faire du premier au 15 avril. Il ne faut pas en conclure que le projet
ne devrait être promulgue que le 15 avril. Mais je suis convaincu que la loi
étant promulguée, même à la date du 10 avril, elle pourrait encore atteindre
son but.
Messieurs, est-ce que l’application de cette loi
donnera, lieu à des opérations extrêmement compliquées ? Mais non. Si l’article
2 est adopté, presque toutes les déclarations supplétives de 1841 et de 1842
viennent à tomber ; elles sont non-avenues et les listes d’après lesquelles les
élections devront se faire, ce sont à peu près les listes de 1840. (Dénégation.) Ce seront en grande partie
les listes de 1840. On regardera comme non-avenues les déclarations supplétives
de 1840 et de 1841, pour ce qui regarde la contribution personnelle. Vous voyez
donc que l’opération s’accomplit en quelque sorte de plein droit, si je puis
parler ainsi.
Les administrations sont déjà prévenues ; personne
dans le pays n’ignore qu’elle est la loi que l’on discute, quelle en sera la
portée. La loi n’a pas besoin d’être faite pour le 1er avril ; il suffit
qu’elle soit promulguée cinq ou six jours avant le 15 avril. Elle le sera sans
difficulté pour cette époque.
Je reviens à la première observation que j’ai faite.
Je ne puis consentir, comme organe du gouvernement, à abandonner la position
qui a été prise par le gouvernement. Il vous a présenté un projet de loi qui
est un à ses yeux, dont toutes les dispositions ont le même caractère.
Consentir aujourd’hui à la disjonction, c’est-à-dire à faire deux projets,
donner deux caractères différents aux dispositions qu’il vous soumet, ce
serait, de la part du gouvernement, se mettre en contradiction avec lui-même.
M. le président. - Voici la proposition que l’honorable M. Delfosse vient de faire
parvenir au bureau : « Je modifie la proposition de M. Verhaegen en ce sens, que
les cinq premiers articles du projet de la section centrale seraient disjoints
pour former un projet de loi spécial. » (La
clôture ! la clôture !)
M. Verhaegen. - J’espère, messieurs, que l’on me permettra de dire encore quelques mots
: la question est assez importante, (Parlez
! parlez !)
Messieurs, je ne conçois réellement pas la conduite
du gouvernement. Car, maintenant, M. le ministre de l’intérieur n’a plus
d’autre réponse à donner à mes observations, si ce n’est que le gouvernement
tient à honneur de maintenir la proposition telle qu’il l’a faite.
Ainsi, la disposition ne présente pas
d’inconvénients. Mais parce vous avez présente un projet général, vous tenez à
honneur de le maintenir dans son ensemble, dût-il en résulter des
inconvénients, et des inconvénients graves. Si l’amour-propre doit l’emporter
sur l’intérêt général, je comprends le mobile de M. le ministre de l’intérieur.
Messieurs, je demandé au gouvernement quels sont les
inconvénients que présente ma demande de disjonction. Je défie M. le ministre d’en signaler aucun. Et, messieurs, s’il n’y a pas
d’inconvénients à la disjonction, il y en a de très graves à maintenir le
projet tel qu’il est. Nous l’avons dit, et la discussion générale nous l’a
prouvé, en obligeant la législature à voter sur le tout en même temps,
plusieurs membres se trouveront placés sous l’empire d’une contrainte morale.
Il y en a parmi nous, je ne parle pas de moi, car je sais le parti que j’ai
prendre, il y en a parmi nous qui, pour avoir une disposition répressive de la
fraude, seront obligés de passer par des exigences auxquelles ils en
consentiraient pas, si toutes les dispositions n’étaient pas réunies. C’est
violenter les consciences que de forcer à voter sur un ensemble, alors qu’une
disjonction ne présente aucun inconvénient.
M. le ministre de l’intérieur vient de vous dire
que, s’il fallait disjoindre dans le cas actuel, il faudrait disjoindre pour
toutes les lois. Mais les inconvénients que je signale ne se présenteront que
lorsqu’il s’agira d’une mesure urgente et de circonstance. Veuillez bien
remarquer, messieurs, qu’il ne s’agit pas d’une loi dans le sens général que
l’on attache à ce mot, mais bien d’une loi sui
generis, d’une loi répressive de la fraude, d’une loi (et malgré l’observation
de l’honorable M. de Theux, il y a ici rien d’antiparlementaire) que la
majorité, à quelques exceptions près, paraît vouloir. Et si je me suis exprimé
ainsi, c’est que je n’ai pas dû attendre le vote pour avoir cette opinion. Des
discours m’avaient appris que certains membres n’étaient pas de l’avis de cette
majorité, et ce qui le prouve de nouveau, c’est l’observation de l’honorable M.
Lejeune. J’étais donc dans mon droit.
Presque tous les membres de cette assemblée
paraissent au moins ostensiblement vouloir réprimer la fraude. Qu’ils
concourent donc avec nous à atteindre ce but ; qu’ils ne nous forcent pas à
voter contre une disposition que nous considérerions comme salutaire, parce que
nous ne pourrions pas adopter certaines autres dispositions, portant atteinte
au plus précieux de nos droits.
Je suis fort étonné que l’honorable M. de Theux
vienne dans cette circonstance donner son concours à l’honorable M. Nothomb.
L’honorable M. de Theux ne se rappelle-t-il pas que naguère il a présenté un amendement
au projet de loi ayant pour but d’apporter des modifications a
la loi communale ; et que ce simple amendement, sur sa demande, a été converti
en un projet de loi spécial ? Nous avons cru alors devoir nous opposer à cette
disjonction, mais la majorité nous a appris que nous avions tort. On n’a fait
aucune attention à notre opposition, et on a formé de l’amendement de
l’honorable M. de Theux un projet de loi spécial, parce qu’alors cela
convenait.
M. Lebeau. - C’est de l’impartialité.
M. Verhaegen. - Il s’agissait alors du fractionnement ; et l’honneur du gouvernement
n’était pas en jeu, il se laissait traîner à la remorque du parti dominant. Aujourd’hui
l’honneur du gouvernement est en jeu, mais c’est autre chose ; les hommes
changent avec les circonstances.
Dans la discussion générale, on a reproché au
gouvernement ses tendances. On lui a dit que le projet lui avait été imposé,
que jamais il n’aurait été présenter une disposition
répressive de la fraude pour faire droit aux plaintes de notre opinion, s’il ne
l’avait accompagnée de certaines atteintes portées à la loi électorale dans
l’intérêt d’un autre parti. Il y avait un moyen bien simple pour le
gouvernement de se disculper de ce reproche ; il n’avait qu’à admettre la
disjonction et à faire voir ainsi au pays qu’il voulait sérieusement la
répression de la fraude telle qu’elle avait été dénoncée dans cette enceinte.
Mais le gouvernement ne le veut pas, et dès lors ceux qui lui ont reproche ses
tendances sont autorisés à maintenir ce qu’ils ont dit à cet égard.
L honorable M. Nothomb est allé si loin, dans un de
ses derniers discours, que voulant affaiblir certaines observations faites par
quelques-uns de mes honorables amis, il s’est écrié : on me demande de faire
connaître les noms, de donner des détails sur les inscriptions, Je ne veux pas
le faire, parce que le pouvoir, en donnant ces détails, compromettrait sa
dignité, et cependant immédiatement après, il a formulé une accusation contre
le parti libéral ! Cette accusation, je me réserve de la rencontrer, lorsque
j’aurai à m’expliquer sur le mérite de l’art. 2 ; si, comme on l’insinue, des
fraudes ont été commises par les deux opinions, au moins il n’y en a qu’une qui
veuille les réprimer gratuitement, tandis qu’il y en a une autre qui veut faire
payer cette répression par des sacrifices énormes ; et l’opinion qui veut
réprimer gratuitement la fraude, c’est la nôtre. S’il n’en est point ainsi,
qu’on ait alors le courage de demander avec nous la disjonction et de mettre
ainsi tout le monde à même de s’expliquer et de voter consciencieusement.
On a voulu repousser ma motion par une fin de
non-recevoir ; il y a eu une discussion générale, dit-on. Mais, messieurs,
cette discussion générale n’est pas perdue. La discussion générale, politique
si l’on veut, a duré pendant plusieurs jours ; elle nous a mis à même
d’apprécier la portée de toutes les dispositions du projet. Cette discussion
générale était nécessaire pour deux projets comme pour un seul et même projet.
Elle ne se renouvellera plus ; elle sera utile pour le projet tel que je
demande qu’on le formule, comme pour l’autre projet. Il n’y a à cet égard aucun
inconvénient.
Comme vous l’a fort bien dit un honorable collègue,
on ne pouvait proposer la disjonction que lorsque, par la discussion générale,
on aurait été mis à même d’apprécier toutes les dispositions du projet ; sans
cela on aurait proposé la disjonction en aveugle. Et c’est dans ce sens qu’on
l’a entendu dans les sections ; puisque l’honorable M. Delfosse vous a fait
observer que quand il a demandé la disjonction, il lui à été répondu qu’il
fallait attendre que la discussion générale eût mis la chambre à même
d’apprécier le projet tout entier. Il n’y a donc pas de fin de non-recevoir à
nous opposer. Nous vous avons demandé la disjonction en temps utile. Nous avons
usé d’un droit dont on a fait emploi en maintes circonstances beaucoup moins
favorables que celle dans laquelle nous nous trouvons.
Messieurs, nous avons fait ce que
notre devoir nous commandait. J’ignore quel sort est réservé à la proposition
de l’honorable M. Delfosse, à laquelle je me rallie ; car elle ne fait que
rendre mes intentions. J’ignore, dis-je, quel en sera le sort, mais le pays au
moins pourra apprécier si c’est bien sérieusement que l’on veut la répression
de la fraude (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande encore à dire un
mot. Je dis que la motion d’ordre faite par l’honorable préopinant est une
atteinte aux droits du gouvernement, et je suis parfaitement conséquent avec
moi-même. Lorsqu’il s’est agi de réunir les différents projets relatifs à la
loi communale, je m’y suis opposé parce que je voulais conserver la position
que j’avais prise en exerçant l’initiative du gouvernement. J’ai dit à cette
époque ce que je dis aujourd’hui, que je ne voulais pas que le projet présenté
par le gouvernement, et qui était relatif aux bourgmestres, reçût un autre
caractère que celui qui dominait dans ma pensée, que celle du fractionnement
pouvait avoir un autre caractère et qu’il importait dès lors qu’il y eût
disjonction. Eh bien, restons sur le même terrain, je dis aujourd’hui que la
proposition faite par le gouvernement doit rester ce qu’elle a été. Dans la
pensée du gouvernement, cette proposition n’a qu’un caractère unique et l’on ne
peut pas y mêler autre chose sans son consentement, mais aussi on ne peut pas
dénaturer le caractère de la proposition en la disjoignant.
C’est donc la question préalable que je demanderai,
et en demandant la question préalable, j accepte de la manière la plus complète
la responsabilité d’une semblable demande. Je demande la question préalable,
parce que je ne pense pas que la chambre, lorsque le gouvernement exerce son
initiative, puisse disjoindre les projets qu’il lui soumet. Je dis que je ne
suis point en contradiction avec moi-même ; je fais ce que j’ai fait dans la
discussion de la loi communale : alors aussi je n’ai pas voulu dénaturer la
position du gouvernement. Quant à l’urgence, je répète ce que eu l’honneur de
dire tout à l’heure, le projet pourra être voté par les deux chambres et
promulguée certainement avant le 8 du mois prochain.
- La clôture est demandée et prononcée.
La question préalable est mise
aux voix et adoptée.
Plusieurs membres. - A demain.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai, messieurs, une prière à
adresser aux membres de la chambre qui ont annoncé des amendements. Je pense
qu’ils iraient au-devant du désir de chacun d’entre nous, s’ils pouvaient dès
aujourd’hui déposer les amendements qui se trouvent préparés. En deuxième lieu,
je propose à la chambre de se réunir toujours à 11 heures, mais à 11 heures, en
prenant la chose au sérieux.
M. Delfosse. - Il est bien entendu qu’on ne sera pas privé du droit de présenter des
amendements, parce qu’on ne l’aura pas fait aujourd’hui.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Non, non ; c’est une prière
que j’ai faite, rien de plus.
M. Savart-Martel dépose
un amendement qui sera imprimé.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.