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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22
mars 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi allouant un crédit supplémentaire au budget du
département de la marine
3) Projet
de loi portant un crédit supplémentaire au budget de la chambre pour l’exercice
1842 (d’Hoffschmidt, de
Garcia)
4) rapport
sur une pétition de secours d’anciens officiers d’ambulance militaire (de Behr, de Garcia)
5)
Projet de loi ayant pour but d’assurer l’exécution régulière de la loi
électorale. Motion d’ordre (Savart-Martel). Discussion
des articles. Conditions légales de cens pour être électeur et fait personnel)
((+influence du clergé dans les élections) de Foere, Lebeau), interventions (a) du collège des bourgmestre et
échevins (article 4) (Delfosse, Nothomb, Lebeau, Nothomb, Malou,
Vandenbossche, Malou, Mercier, Vandenbossche, d’Huart, Nothomb, de Muelenaere, Desmet, Malou, Mercier, d’Huart,
Mercier, Nothomb, de Muelenaere, Vandenbossche),
(b) du même collège et de la députation permanente (article 5) (Delfosse, Devaux, de Theux, Devaux, Malou,
d’Hoffschmidt, de Garcia,
de Theux, Malou, Lebeau, Nothomb, Delfosse, d’Hoffschmidt, de Garcia, de Theux, Lebeau, Delfosse), (c) du
commissaire d’arrondissement et de la députation permanente (article 7) (Mercier, Delfosse, Nothomb, de La Coste, Malou, Dumortier, Devaux, de Theux, Malou,
Nothomb, Verhaegen, Dubus (aîné), Delfosse)
(Moniteur
belge n°82, du 23 mars 1843)
M.
Kervyn fait l’appel nominal à 11 heures et
1/2.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
approuvée.
M.
Kervyn communique l’analyse des pièces de la
correspondance :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur
Jacques-Frédéric Andringa, adjoint-directeur à
l’hôpital militaire de Liège, né à Franeker (Pays-Bas),
demande la naturalisation. »
Renvoi à M. le ministre de la justice.
________________________
« Le sieur Claise, disciplinaire au corps de
discipline, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir son congé du
service militaire. »
« Les habitants du faubourg de Charleroy
demandent que ce faubourg soit séparé de la ville et qu’il soit érigé en une
commune distincte. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________________
« Le chevalier Lelièvre
de Staumont demande qu’on introduise dans le projet
de loi relatif à la loi électorale une disposition pénale contre les électeurs
qui ne se rendent pas aux élections. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du
projet de loi.
M. de Florisone demande
un congé de quelques jours.
- Ce congé est accordé.
PROJET DE LOI ALLOUANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET
DU DEPARTEMENT DE LA MARINE
M. de La Coste, au nom de la section centrale qui a été chargée de l’examen du budget de
la marine, présente le rapport sur le projet de loi tendant à allouer au
département de la marine un crédit de 30,000 fr. pour les dépenses de la police
maritime.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. Il sera
discuté entre les deux votes du projet de loi relatif aux fraudes électorales.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter le rapport de votre
commission de comptabilité sur une demande faite par messieurs les questeurs
d’un crédit supplémentaire de 9,100 fr. au budget de la chambre de l’exercice
1842
La chambre, messieurs, a voté un crédit
supplémentaire de cent mille fr. à la fin de l’exercice dernier ; et elle l’a
voté immédiatement. Celui-ci n’est que de 9,100 fr. ; et comme il y a un
précédent, peut-être la chambre pourrait-elle passer immédiatement au vote.
Plusieurs membres. - Lisez le rapport.
M. de Garcia. - Je ne vois rien d’urgent à discuter ce projet. On peut s’en occuper
entre les deux votes du projet en discussion. D’ici là nous pourrons avoir
communication du rapport. Il est certain que si on vote immédiatement, et sur
une simple lecture du rapport, je ne pourrais quant à moi, voter en
connaissance de cause.
M.
d’Hoffschmidt. - J’aurai l’honneur de faire observer
que l’on ne serait nullement forcé de décider en non-connaissance de cause. Je
donnerais lecture du rapport, et j’y joindrais toutes les explications que l’on
pourrait désirer. Du reste, puisqu’il y a opposition, je n’insisterai pas sur
ma proposition.
- La chambré décide qu’elle discutera cette
proposition entre les deux votes.
M. Mast de Vries. - Messieurs, l’année dernière, les anciens officiers d’ambulance se sont adressés
à la chambre afin d’obtenir un secours. La chambre a voté un crédit de 10,000
fr. Mais comme elle ne l’a voté que pour l’année dernière, ils se présentent
dans la même position et demandent que le secours qui leur a été accordé
l’année dernière leur soit continué. La section centrale qui a été chargée de
l’examen de cette pétition, vous en propose le renvoi à M. le ministre de la
guerre, qui fera une proposition, s’il le croit convenable.
M. de Behr. - Je demanderai que le renvoi ait lieu avec demande d’explications.
M. de Garcia. - Je demanderai aussi que la pétition reste déposée sur le bureau pendant
la discussion du budget de la guerre. Si ma mémoire ne me trompe pas, il y a au
budget un article dans lequel pourrait rentrer la demande dont il s’agit. Cet
article alloue un fond destiné aux anciens officiers, et je crois que la
section centrale a proposé d’appliquer ce fonds non seulement en secours aux
anciens officiers, mais à tous les employés de l’armée. De sorte que la
question se présentera naturellement lors de la discussion du budget de la
guerre.
- La chambre adopte le renvoi de la pétition à M. le
ministre de la guerre, avec demande d’explications, et le dépôt sur le bureau
pendant la discussion du budget de la guerre.
Motion d’ordre
M. Savart-Martel. - Hier
on a rejeté un de mes amendements comme s’il avait été discuté ; je dois croire
à cette discussion puisqu’une majorité compacte l’a ainsi décidé ; peut-être
avais-je été magnétisé, car je n’en ai aucun souvenir, je ne réclame point à
cet égard, sauf à en faire une question médicale.
Messieurs, d’honorables amis ont demandé une loi
pour la répression des fraudes en matière électorale, on nous a fourni un
projet, dont l’effet sera d’éloigner de véritables électeurs et de récompenser
le mensonge.
De bonne foi et sans aucune arrière-pensée, j’ai
soumis quelques amendements inoffensifs à l’opinion même qui n’est pas la
mienne. D’après les rejets qui ont eu lieu jusqu’ici, je ne puis espérer un
meilleur accueil pour les miens ; je viens donc les retirer tous ; je ne
prendrai plus aucune part à la discussion, sauf à rencontrer des faits
personnels, s’il en advenait, étant bien décidé, dès ce moment, à voter contre
une loi qui portera les fruits les plus amers.
M. le président. - La chambre a décidé hier que la parole serait accordée à M. de Foere
pour un fait personnel.
M. de Foere. - Messieurs, la chambre désire en finir avec cette discussion. Quelques
membres m’ont exprimé le désir que je fisse insérer ma réponse au discours de
l’honorable M. Lebeau dans le Moniteur.
Si la majorité de l’assemblée s’associe à ce désir je m’y rendrai volontiers.
Je puis, du reste, assurer à 1’honorable M. Lebeau qu’il n’y aura rien de blessant
pour lui dans ma réponse.
M. Lebeau. - J’apprécie les motifs qui engagent l’honorable M. de Foere à renoncer à
la parole ; mais je déclare que s’il avait insisté, je me serais joint à lui
pour que la chambre lui permît de parler. Personne n’a été plus directement
engagé que l’honorable membre dans cette discussion par plusieurs membres et
spécialement par moi. Personne n’avait plus que lui le droit de réclamer la
parole pour un fait personnel. Cependant, puisqu’il y renonce, je ne puis être
plus exigeant que lui-même.
Quant à la déclaration faite par lui, qu’il n’y aura
rien d’injurieux pour moi, ni pour aucun de mes collègues, dans son discours,
elle était superflue. Je connais trop les habitudes de l’honorable membre pour
croire qu’il puisse s’écarter des convenances parlementaires qu’il observe
toujours avec une louable exactitude.
M. le président. - M. de Foere renonçant à la parole, nous reprenons la discussion des
articles.
(La réponse de
l’abbé de Foere peut être consultée ici)
Article 3
« Art.
3. L’art. 5 de la loi du 3 mars 1831 est remplacé par la disposition suivante :
« Ne peuvent être électeurs, ni en exercer les droits,
les condamnés à des peines afflictives ou infamantes ; ceux qui sont en état de
faillite déclarée ou d’interdiction judiciaire, ou qui ont fait cession de
leurs biens, aussi longtemps qu’ils n’ont pas payé intégralement leurs
créanciers ; les condamnés pour vol, escroquerie, abus de confiance ou attentat
aux mœurs ; les individus notoirement connus comme tenant maison de débauche et
de prostitution. »
- Cet article est adopté.
« Art. 4. L’art. 7 de la loi électorale du 3
mars 1831 est abrogé et remplace ainsi qu’il suit :
« Les collèges des bourgmestre et échevins feront,
tous les ans, du 1er au 15 avril, la révision des listes des citoyens de leurs
communes qui, d’après la présente loi, réunissent les conditions requises pour
être électeurs.
« Un double des rôles, certifié conforme par le
receveur et vérifié par le contrôleur des contributions directes, sera remis, à
cet effet, avant le 1er avril, aux collèges des bourgmestre
et échevins ; ce double sera délivré sans frais. »
M. Delfosse. - Je n’ai pas d’objection à présenter contre l’art. 4. Je ne vois pas
d’inconvénient à confier la révision des listes au collège des bourgmestre et échevins, mais j’en vois un à lui confier
l’examen des réclamations ; c’est pourquoi je me propose de reprendre l’un des
amendements que l’honorable M. Savart vient le retirer ; je demanderai, lorsque
l’art. 5 sera en discussion, que l’examen des réclamations soit confié au
conseil communal.
Que faut-il entendre par les mots administration communale ? Une
circulaire émanée du précédent ministre de l’intérieur a décidé qu’il faut
entendre par ces mots le collège des bourgmestre et
échevins. Je ne puis partager cet avis. L’auteur de la constitution, le
congrès, est aussi celui qui a fait la loi électorale ; on doit supposer qu’il
a donné aux mots administration communale,
qui se trouvent dans la loi électorale, le sens qu’ils ont dans la constitution
elle-même.
L’art. 108 de la constitution est ainsi conçu :
« Les institutions provinciales et communales sont
réglées par des lois.
« Ces lois consacrent l’application des principes
suivants :
« 1° L’élection directe sauf les exceptions que
la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales, etc..»
Il est évident que dans cet article de la
constitution le mot administration
communale doit s’entendre du conseil communal tout entier.
Les
administrations communales, c’est-à-dire les conseils
communaux, doivent être le produit de l’élection directe ; il ne peut être fait
d’exception à ce principe que pour les chefs, tel est le sens de l’art. 108 de
la constitution.
Il n’est pas moins évident que les mots administrations locales, qui se trouvent
dans l’art. 10 de la loi électorale, doivent s’entendre aussi du conseil
communal tout entier. « Les commissaires de district veilleront à ce que
les chefs des administrations locales, etc. » On voit qu’il y a ici une
distinction entre les chefs des administrations locales et les administrations
locales elles-mêmes.
Je pourrais citer d’autres dispositions de la loi où
les mots administration communale, administration locale, doivent sans aucun
doute s’entendre du conseil communal, et non du collège des
bourgmestre et échevins.
Pourquoi donc ces mots-là auraient-ils un autre sens
dans les articles 7 et 8 de la loi électorale que dans l’art. 108 de la
constitution, que dans l’art. 10 de la loi électorale elle-même, et que dans
d’autres dispositions de la loi ?
Du reste, je le répète, je ne m’oppose pas à
l’adoption de l’art. 4 ; mes observations portent plutôt sur l’art. 5, mais je
n’ai pas voulu que l’on pût conclure de mon silence sur l’art. 4 que j’admets
le sens donné aux mots administrations
communales par la circulaire de M. Liedts.
Je ne veux pas terminer sans soumettre une
observation à M. le ministre de l’intérieur ; M. le ministre de l’intérieur
nous a dit dans une séance précédente qu’il suffit que la loi puisse être
exécutoire le 8 avril, parce que les administrations communales ont jusqu’au 15
pour réviser les listes ; je ne puis être de cet avis, je pense qu’il est
essentiel que la loi soit exécutoire avant le 1er avril.
Jusqu’ici, la révision des listes électorales a
donné peu de travail, il suffisait de prendre les listes de l’année antérieure,
de biffer quelques noms et d’insérer quelques nouveaux électeurs ; par suite de
la loi nouvelle, le travail sera beaucoup plus considérable : il faudra faire
des recherches dans les rôles de trois années, ce sera là un travail très long
; il y aura aussi, du moins dans ma province, beaucoup plus de noms à rayer que
par le passé, à cause de l’exclusion des centimes additionnels provinciaux et
communaux.
Lorsque le travail était peu considérable, les
administrations communales avaient un délai de quinze jours ; il est impossible
qu’un délai moindre, qu’un délai de huit jours, comme le dit M. le ministre de
l’intérieur, suffise aujourd’hui que le travail sera immense.
Je conjure donc M. le ministre de
l’intérieur de faire tout ce qui dépend de lui pour que la loi soit exécutoire
le plus tôt possible, c’est dans ce but que j’avais demandé la disjonction,
c’est encore dans ce but que je tâcherai d’être court chaque fois que je
croirai devoir prendre la parole.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai, messieurs, cru devoir
prendre une autre précaution. J’ai adressé une circulaire aux gouverneurs, afin
qu’ils appellent dès à présent l’attention des autorités locales sur l’adoption
possible de la loi. Je crois qu’une circulaire semblable ne renferme aucun
manque d’égard pour les chambres.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances devrait prendre la même mesure en ce qui
concerne les receveurs.
M. Lebeau. - Je soumettrai à la chambre et au gouvernement lui-même un amendement
qui doit avoir pour résultat de rendre plus facile et plus efficace le contrôle
des parties intéressées et même des fonctionnaires que le projet appelle à
intervenir dans l’examen des listes. Aujourd’hui, je pense que les listes
électorales indiquent le montant des contributions payées par chaque électeur,
mais globalement et sans distinction des éléments dont ces contributions se
composent. Cette distinction devient maintenant indispensable, puisque, d’après
le projet que nous discutons, il suffira d’avoir payé certains impôts pendant
deux ans, tandis que d’autres impôts devront avoir été payés pendant trois ans.
Voici l’amendement que je soumets à la chambre et sur lequel j’appelle l’attention
de M. le ministre de l'intérieur :
« Les listes électorales
contiendront, outre les indications prescrites par la loi du 3 mars 1831, la
désignation en trois catégories distinctes des impôts payes par chaque électeur
; savoir 1° à litre de contribution foncière ; 2° à titre de contribution
personnelle ; 3° à titre de patente.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je proposerai l’impression de
cet amendement, et je demanderai à ne me prononcer à cet égard que demain ; je
me concerterai avec mon collègue le ministre des finances, nous verrons ce qui
se fait aujourd’hui, et si ce que M. Lebeau propose ne se fait pas, nous
examinerons jusqu’à quel point on peut l’adopter sans inconvénient.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, il me semble que si l’amendement de l’honorable M. Lebeau
était admis, sa place serait au dernier § de l’art. 5 du projet de la section
centrale ; ce § 5 porte :
« La liste contiendra, en regard du nom de
chaque individu inscrit, la date de sa naissance et l’indication du lieu où il
paie des contributions jusqu’à concurrence du cens électoral. »
Il suffirait d’ajouter « la
nature de ces contributions », selon les distinctions indiquées tout à
l’heure par l’honorable membre. Je ferai une autre observation. La loi
communale exige aussi l’indication du lieu de naissance de l’électeur, il
serait utile d’exiger la même indication dans les listes dressées pour les
élections générales.
M. Lebeau. - Je reproduirai mon amendement à l’art. 5.
M. Vandenbossche. - Je ne veux pas, messieurs, m’opposer au §
1er de cet article, mais je crois que le 2ème § est inutile et qu’il est
d’ailleurs de nature à effrayer les percepteurs qu’il oblige à confectionner et
à délivrer sans frais des double des rôles. Je me permettrai de lire à la
chambre une note qui m’a été remise, à cet égard, par un percepteur. Voici ce
que porte cette note :
« Il serait difficile de concevoir l’utilité de
la disposition de l’art. 4 du projet de loi sur les fraudes électorales, qui
porte qu’un double des rôles sera délivré aux administrations communales. Cette
délivrance doit avoir lieu sans frais.
« L’exécution de cette mesure, envisagée sous
le rapport de la dépense, sera, ou onéreux pour l’Etat ou des plus
préjudiciables et, pour ainsi dire, impraticable pour les receveurs.
« Pour se former une idée de la portée de cette
mesure sous le rapport du travail et des frais, que l’on considère que, terme
moyen, chaque recette de campagne est composée de quatre communes, que pour
chacune, il y a un rôle foncier, un rôle primitif de la contribution
personnelle et un rôle de patentes, et ordinairement un rôle supplétif pour
chacune de ces deux dernières contributions. Voilà, donc 20 rôles, dont
plusieurs sont des gros volumes et dont l’ensemble présentera le plus souvent
au delà de 5,000 articles.
« Si c’est l’Etat qui en supportera les frais,
il sera grevé d’une dépense considérable, mais elle ne blessera pas d’intérêts
particuliers.
« Les receveurs peuvent craindre que la
confection de ces doubles leur incombera, et nulle part ils ne voient
l’assurance que ce travail leur sera payé.
« Un antécédent leur laisse cependant cet
espoir. Par une circulaire du ministre des finances du 15 mars 1838, il leur
est alloué à charge des communes qui auront requis des extraits des rôles, six
centimes par article, ils peuvent espérer que si la loi à intervenir affranchit
les communes de cette charge, l’Etat la prendra sur lui, et ils trouveraient
ainsi quelque dédommagement pour un travail pénible auquel ils devront
sacrifier leurs veilles, parce que le délai entre l’époque que ces rôles
viennent entre leurs mains, et celle que les doubles devront être remis pour
arriver à temps utile, sera très court, le plus souvent et malgré la plus
grande assiduité et toute leur aptitude, ils seront dans la nécessité
d’employer des mains étrangères salariées.
« Pour atteindre le but, il faudra probablement
que la première délivrance consiste dans les copies des rôles personnels et
patentes de 1843, et des deux années antérieures. Cela deviendra, pour ainsi
dire, impraticable.
« Si la moyenne des articles des divers rôles
par recette est de 5,000 et que l’on rétribue sur la base actuelle, ce sera une
dépense de 300 francs par an, et encore le salaire ici ne sera-t-il pas hors dé
mesure avec le travail et les frais d’impression.
« Les traitements des receveurs de campagne
sont si exigus, que les priver de cette indemnité serait compromettre leur
existence.
« L’utilité répondra-t-elle à une pareille
dépense ? Il est permis de croire que non. Décomposons le nombre de 5,000
articles par recette de quatre communes pour en appliquer 1250 à chacune
d’elles et ne perdons pas de vue que sur ce nombre 250 seulement concerneront
des électeurs et que, de ces électeurs, il s’en trouvera 150 qui exerceront
leurs droits ailleurs et 100 seulement qui auront rapport à des électeurs de la
commune.
« Ce ne sont que ces derniers que l’autorité
communale a intérêt de connaître pour former ses listes, car ce ne sont que
ceux-là qui doivent y figurer. Les autres qui sont électeurs du chef de
contributions qu’ils paient ailleurs que dans les communes qu’ils habitent
doivent eux-mêmes faire valoir leurs droits.
« En définitive, le nombre d’électeurs par
commune rurale descend quelquefois de 5 à 6. Il arrive même qu’il est en
dessous, et rarement il excède 30 à 35. Que l’on compare l’étendue du travail
avec l’intérêt de la recherche, et on reculera devant les frais et les peines
qui doivent en résulter. »
Tell était la note qui m’a été remise par un
percepteur.
Mais ne pourrait-on pas ordonner
de faire ce qui se pratique dans certaines localités, que l’on dépose au
secrétariat de la commune les rôles originaux ? Dans ce cas on éviterait un
travail pénible et inutile et de grands frais aux communes, si jamais on fait
payer les percepteurs pour cette perception. Pour ce motif je proposerai de
retirer le second paragraphe.
M. Malou, rapporteur. - Le 2ème paragraphe de l’article que nous discutons a été ajouté pour
que les administrations communales, et ensuite le commissaire de district,
lorsqu’il est saisi de l’appel, puissent juger si toutes les inscriptions ont
été dûment faites, et s’il n’y a pas eu d’omissions indues. On fait remettre
aux administrations communales un double des rôles, parce que les agents de
l’administration des finances ne peuvent s’en dessaisir pour un temps aussi
long que celui qu’exigent la formation et la révision des listes.
Le renvoi de ces rôles doit se
faire sans frais ; toutefois, dans quelques sections et au sein de la section
centrale, l’on a reconnu qu’il serait juste d’accorder une indemnité de ce chef
aux agents de l’administration des finances. Mais l’on a reconnu aussi qu’il
n’est pas possible de fixer en ce moment le taux et le mode de répartition de
cette indemnité, qu’il faut renvoyer cette question au prochain budget.
M.
Mercier. - Je voulais faire à peu près les
mêmes observations que l’honorable rapporteur de la section centrale. Dans la
section dont je faisais partie, il a été question d’une indemnité légitimement
due aux fonctionnaires chargés de faire le double des rôles, c’est un travail
fort considérable, et je crains bien que l’on n’éprouve beaucoup de peine à
exécuter cette mesure en temps opportun. Du reste, c’est au gouvernement à
prendre les mesures nécessaires ; seulement je recommande à sa sollicitude les
personnes qui seront chargées de ce travail, qu’elles ne pourront pas faire
elles-mêmes et qu’elles devront faire faire par des employés particuliers.
M. Vandenbossche. - Le percepteur qui m’a donné cette note m’a
dit qu’il n’y avait aucune difficulté, ni aucun inconvénient à remettre les
rôles originaux au secrétariat de la commune. C’est un percepteur des
contributions qui me l’a dit. On dit que cela peut servir aux commissaires de
district ; en effet, messieurs, le commissaire de district pourra s’en servir ;
mais, messieurs, comme je l’ai déjà dit dans une séance
précédente, il est impossible que pendant le temps qu’on accorde aux
commissaires de district pour vérifier les listes, et pour faire des
réclamations, s’il y a lieu, il est impossible, dis-je, qu’il puisse examiner
les pièces, les rôles qu’on voudrait lui envoyer. De là je conclus que le
commissaire de district ne pourra jamais faire de son propre mouvement une
réclamation quelconque ; c’est ce qui m’engagera aussi à voter contre l’article
qui autorise le commissaire de district à réclamer et à interjeter appel ;
après le temps révolu où on pourrait en appeler devant le conseil.
M. d’Huart. - Je crois, messieurs, que, tout au moins pour cette année, il sera
impossible que les receveurs exécutent la loi qui vous est proposée ; il sera
impossible de faire copier les rôles avant le 1er avril ;
quand même les receveurs devraient commencer dès maintenant ils n’auraient pas
fini pour le premier avril ; ce qu’a dit l’honorable M. Vandenbossche à cet égard
est de toute vérité, la confection des rôles est un travail immense qui exige
plusieurs mois. C’est ainsi que, tous les ans, l’administration communale fait
confectionner les rôles, ce qui demande plusieurs mois, et on emploie à cette
besogne, dans les provinces, une foule de personnes que l’on paie par article.
Tous ceux qui ont été dans l’administration des finances pourront vous dire que
c’est là un travail immense dont les receveurs ne pourront pas sortir cette
année. Il faudrait donc adopter, pour l’exercice courant, une disposition
transitoire.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je
regarde la disposition comme indispensable ; elle est une des bases de la loi.
Mais je reconnais avec l’honorable préopinant que l’application de l’article
est impossible cette année. Je proposerai plus tard une disposition
transitoire.
M. de Muelenaere. - Je pense que dans le système de la loi nouvelle, la confection d’un double
des rôles est devenue une nécessité. Je conçois que, dans quelques
circonstances, on pourra déplacer l’original des rôles ; mais il y aurait un
grave inconvénient à admettre en principe que l’original des rôles sera envoyé
non seulement aux administrations communales, mais encore au commissaire
d’arrondissement, et en cas d’appel de la part de celui-ci à la députation
permanente, car celle-ci n’aura pas d’autre moyen de former sa conviction que
par l’examen du rôle lui-même.
Je crois cependant, avec l’honorable
M. d’Huart, que pour l’exercice courant il sera presque impossible de faire un
double des rôles. C’est un travail considérable. Il serait peut-être convenable
dès lors d’adopter une mesure transitoire pour l’exercice courant.
M. Desmet. - Je dois faire observer à un honorable préopinant qu’il ne s’agit pas de
confectionner, mais seulement de copier les rôles. Ce n’est donc pas un travail
si considérable, comme on vient de le dire ; le déplacement des originaux
pourrait donner lieu à des inconvénients. Ces originaux pourraient se perdre.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, lorsque la disposition a été adoptée par la section
centrale, il n’était guère possible de prévoir que la discussion serait aussi
longue ; l’on pouvait espérer que, sinon dans toutes les communes, au moins
dans la plupart, les rôles pourraient être remis, en copie, cette année même,
aux administrations communales. Je reconnais que dans les communes où les rôles
sont volumineux, cette copie ne pourrait pas être faite en temps utile ; je
crois aussi qu’une disposition transitoire pourrait être adoptée. Toutefois,
cette disposition devrait concerner exclusivement les rôles de l’année courante
; car le déplacement des rôles originaux des années antérieures ne peut pas
donner lieu à des inconvénients.
M. Mercier. - Est-il entendu que la copie devra reproduire tous les détails du rôle ?
Cette reproduction serait au moins inutile pour les rôles des contributions
personnelle et de patente. Ces rôles renferment 15 où 18 colonnes ; et je crois
que le seul but qu’on recherche ici, c’est de connaître les noms et les sommes.
M. d’Huart. - Je pense que les rôles doivent être copiés en entier ; car en cas de
réclamation à l’égard des listes électorales, il faut que les autorités
publiques prennent connaissance de tous les éléments dont se composent les
rôles. Si vous vous borniez à transcrire les noms et les sommes, vous n’auriez
pas des moyens suffisants de vérification. Il faut donc une copie entière des
rôles, et comme je l’ai déjà dit cette copie donne lieu à un travail
considérable.
Il est donc dès lors
indispensable pour cette année d’adopter une disposition transitoire que M. le
ministre de l’intérieur a annoncé vouloir présenter. Quant aux années
suivantes, le gouvernement verra comment il devra régler ces objets. Pour moi,
je pense que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de confectionner deux ou
mêmes trois rôles, si l’on juge que le commissaire d’arrondissement et la
députation permanente aient besoin chacun d’une expédition. Je ne m’oppose pas
non plus à ce qu’une expédition du rôle soit remise aux administrations
communales.
M. Mercier. - S’il s’agissait de former une enquête, il faudrait que le gouvernement
prît connaissance de toutes les bases de l’impôt, pour savoir si on fait encore
des déclarations frauduleuses pour posséder le cens électoral. Mais, messieurs,
en vertu de la loi, le commissaire d’arrondissement, pas plus que la commune,
ne doit rechercher s’il y a encore des fraudes électorales par suite de fausses
déclarations ; la besogne consistera à vérifier si l’impôt est suffisant et
s’il est bien appliqué par tels ou tels individus. Je pense donc qu’il serait
inutile de faire faire une copie des rôles entiers dans chaque recette.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, je crois que tous les rôles sont indispensables. Nous instituons une
espèce d’enquête permanente ; je vais plus loin s’il était prouvé, à l’aide de
cette enquête, que, dans une infinité de cas, les bases n’existent pas
réellement, il y aurait lieu de proposer d’autres mesures à la législature.
M. de Muelenaere. - Messieurs, en supposant même que l’on se bornât à indiquer dans la
copie les noms et les sommes, ce serait encore un travail très considérable.
On a dit que, dans les communes,
la moyenne des côtes est de 5000 ; il n’en est pas de même dans les villes : le
nombre des côtes y est beaucoup plus considérable, et il sera presqu’impossible
d’y confectionner ces rôles d’ici au 1er avril.
Je crois que dans tous les cas il faut adopter une
disposition transitoire pour cette année.
M. Vandenbossche. - Je demande qu’on sursoie au vote du § 2 de
l’article.
- Le § 1er est mis aux voix et adopté.
L’ajournement du §2, proposé par M. Vandenbossche
est mis aux voix et n’est pas adopté.
Ce § est ensuite mis aux voix et adopté.
La chambre adopte ensuite l’ensemble de l’article.
« Art. 5 (nouveau). L’art. 8 de la loi
électorale du 3 mars 1831 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes
:
« Lesdits collèges arrêteront les listes et les
feront afficher pour le premier dimanche suivant. Elles resteront affichées
pendant dix jours et contiendront invitation aux citoyens qui croiraient avoir
des réclamations à former, de s’adresser, à cet effet, au collège des bourgmestre et échevins, dans le délai de quinze jours,
à partir de la date de l’affiche qui devra indiquer le jour où ce délai expire.
« La liste contiendra, en regard du nom de
chaque individu inscrit, la date de sa naissance et l’indication du lieu où il
paie des contributions jusqu’à concurrence du cens électoral. S’il y a des
réclamations auxquelles le collège des bourgmestre et
échevins refuse de faire droit, les réclamants pourront se pourvoir à la
députation permanente du conseil provincial. »
M. le président. - Ici viendrait l’amendement annoncé par M. Lebeau.
M. Delfosse. - J’ai prouvé tantôt que les mots administration
communale doivent s’entendre du conseil communal et non pas du collège des bourgmestre et échevins ; on pourrait donc soutenir, s’il
s’agissait d’interpréter l’art 8 de la loi électorale, que c’est le conseil et
non le collège qui doit statuer sur les réclamations en matière électorale.
Mais il ne s’agit pas en ce moment d’interpréter
l’art. 8, il s’agit d’introduire dans la loi une disposition nouvelle ; nous
avons à examiner, en principe, ce qu’il convient de faire.
Messieurs, c’est un principe qui ne peut être
contesté, que le gouvernement doit être, autant que possible, tenu en dehors
des opérations électorales ; il ne faut pas qu’il y intervienne par lui-même ou
par ses agents, il ne faut pas surtout qu’il intervienne dans l’examen des
réclamations ; le gouvernement est partie dans les élections, il ne faut pas
qu’il soit en même temps juge.
Depuis que vous avez donné au gouvernement le droit
de choisir les bourgmestres, même en dehors du conseil, et le droit de les
révoquer, les bourgmestres sont devenus des agents du gouvernement.
Si vous appelez le collège des bourgmestre et
échevins à statuer sur les réclamations en matière électorale, il y aura, dans
la plupart des communes, une voix sur trois, acquise au gouvernement, et pour
peu que le gouvernement ait trouvé dans le conseil un homme de son opinion ou
un homme assez faible pour céder à l’influence du bourgmestre, la majorité lui
sera favorable.
Je ne dis pas que le gouvernement cherchera à
exercer une influence directe sur les décisions que les collèges des
bourgmestre et échevins seraient appelés à prendre en matière électorale ; je
ne dis pas non plus que cette tentative, si elle était faite, ne rencontrerait
pas beaucoup d’opposition ; je sais qu’il y a beaucoup de bourgmestres et
d’échevins qui ne se laissent influencer par personne, mais je soutiens qu’en
règle générale, les collèges des bourgmestre et échevins, tels qu’ils sont
aujourd’hui composés, ne sont pas assez indépendants du pouvoir, ne présentent
pas des garanties d’impartialité suffisantes pour qu’on puisse, sans danger,
leur confier l’examen des réclamations en matière électorale.
On m’a objecté dans la section centrale que le
danger n’est pas très grand, parce que la députation permanente est là pour
redresser les erreurs que les collèges des bourgmestre
et échevins pourraient commettre ; c’est là une objection qui n’est pas sérieuse.
Ce n’est pas seulement dans le choix des juges
d’appel, c’est aussi dans le choix des juges du premier degré, que l’on doit
chercher des garanties d’impartialité. Il arrive très souvent qu’on laisse
écouler les délais d’appel, ou bien que l’appel est déclaré
non recevable par suite de l’inobservation des formalités prescrites ; dans ces
cas l’erreur des premiers juges devient irréparable. N’est-il pas aussi à
désirer que les appels soient rares ? Les députations permanentes n’ont-elles
pas assez d’affaires pour qu’on n’en augmente pas inutilement le nombre ? et le meilleur moyen d’atteindre ce but, n’est-ce pas de
confier l’examen des réclamations à des hommes tout à fait indépendants ?
Si l’on veut sincèrement que les
décisions soient impartiales on adoptera mon amendement, on consentira à
substituer le conseil communal au collège des bourgmestre
et échevins. Remarquez, messieurs, que je ne repousse pas, d’une manière
absolue l’intervention du collège des bourgmestres et échevins ; les membres
qui le composent prendront part aux délibérations du conseil, ils y exerceront
une influence mais du moins elle ne sera pas absorbante.
M. Devaux. - Messieurs, l’article qui vous est soumis propose deux changements. Le
premier est celui donc vous a entretenus l’honorable M. Delfosse. Voici le
second : L’art. 8 disait, en parlant des listes primitives, que ces listes
seraient affichées pendant 10 jours et que cette affiche contiendrait
invitation aux citoyens qui paient le cens requis dans d’autres communes, d’en
justifier à l’autorité locale dans le délai de 15 jours, etc.
Au lieu de cela, on dit : Les listes resteront
affichées pendant dix jours et contiendront invitation aux citoyens qui
croiraient avoir des réclamations à former, de s’adresser à cet effet au
collège des bourgmestre et échevins, etc.
On ne se borne plus aux citoyens qui croient avoir
le droit de se faire inscrire, on admet devant les administrations communales
les réclamations en radiation d’électeurs inscrits, réclamations que la loi de
1831 n’admettait que devant la députation.
Ce changement a une assez grande portée. Je prie la
chambre de m’accorder un moment d’attention, je crois que dans cet article et
dans d’autres on change toute la marche des réclamations. Que se passe-t-il
aujourd’hui ? L’administration communale dresse la liste primitive avec
invitation aux citoyens qui croiraient devoir être portés sur cette liste et ne
le sont pas, d’adresser leur réclamation à l’autorité locale. Quand des
réclamations lui sont adressées, celle-ci fait une liste supplémentaire et
envoie l’une et l’autre au commissaire de district. L’administration communale,
une fois sa liste dressée, n’efface aucun nom qu’elle a porté sur sa liste
primitive. Une fois qu’elle a porté un nom, elle ne le retranche plus. Elle
peut ajouter à sa liste, si elle trouve la réclamation fondée, mais elle ne
peut pas retrancher. Si on veut faire effacer un nom qui ne doit pas figurer
sur la liste, il faut s’adresser à la députation permanente, C’est la députation
permanente qui, en vertu du deuxième § de l’art. 12, prononce la radiation.
« Tout individu jouissant des droits civils et
politiques pourra réclamer contre chaque inscription indue. Dans ce cas, le
réclamant joindra à sa réclamation la preuve qu’elle a été par lui notifiée à
la partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre, à partir de celui
de la notification. »
Et l’article suivant porte :
« La députation permanente du conseil
provincial statuera sur ces demandes dans les cinq jours après leur réception.
»
Ainsi, toute demande en radiation doit être faite
primitivement à la députation permanente. Ce n’est pas le conseil communal qui
efface un nom de la liste, une fois qu’elle a été publiée. D’après les
changements proposés, l’administration communale pourra, en cas de réclamation,
effacer un nom qu’elle aurait porté sur la liste primitive.
On me dit qu’il en est ainsi dans la loi
provinciale. Je répondrai que nous sommes dans la loi électorale des chambres.
Mais on ne se borne pas à modifier la loi de 1831, en ce qui concerne les
radiations. Je vous prouverai ensuite qu’il y a aussi modification en matière
d’inscriptions nouvelles.
Voici le danger. Vous êtes électeur, vous êtes
inscrit sur la liste de votre commune, vous vous reposez sur cette inscription
et ne vous en occupez plus, mais il se trouve que l’administration communale
reçoit une réclamation contre votre inscription. Vous n’en savez rien.
L’administration communale n’est pas tenue de vous notifier la réclamation, non
plus que celui qui l’a faite ; vous êtes donc rayé sans 1e savoir, vous
reposant sur les listes primitives. Si on avait réclamé auprès de la députation
permanente, en vertu de l’art. 4, on est obligé de vous notifier la
réclamation. L’art. 12 le prescrit.
Vous voyez donc, messieurs, que ce n’est que quand
vous réclamez auprès de la députation, qu’il peut y avoir notification à la
partie intéressée.
Mais, si vous admettez que
l’administration communale peut effacer un nom qu’elle a porté une première
fois sur la liste, vous admettez qu’un électeur peut se trouver effacé, sans
connaître sa radiation.
M. de Theux. - J’engage l’honorable M. Devaux à lire l’article 2 de la loi du 25
juillet 1834.
M. Devaux. - Si cette loi, que je n’ai pas sous les yeux, modifie la loi de 1831,
c’est différent.
M. de Theux. - Les observations présentées par l’honorable M. Devaux sont justes, sous
le système de la loi de 1831, mais sous le système de la loi de 1834, ces
inconvénients n’existent plus. L’article 1er porte :
« Lorsqu’en exécution de l’art. 7 de la loi du
3 mars 1831, les administrations communales, en procédant la révision des
listes électorales, rayeront les noms d’électeurs portés sur les listes de
l’année précédente, elles seront tenues d’en avertir ces électeurs, par écrit
et à domicile, au plus tard dans les 48 heures, à compter du jour où les listes
auront été affichées, en les informant des motifs de cette radiation ou omission. »
L’art. 2 porte :
« Le même avertissement sera donné, dans les 48
heures de la date de la clôture définitive de la liste, aux personnes portées
sur la liste affichée, et dont les noms seront rayés par les administrations
communales lors de cette clôture définitive. »
Vous voyez donc, messieurs, qu’il
est entièrement pourvu à l’inconvénient signalé par l’honorable préopinant.
Inconvénient qui eût été très grave. L’article 3 ajoute : « Les modifications
seront faites sans frais, etc. » Je pense donc qu’il a été pourvu à tous
les inconvénients.
M. Devaux. - Je vois en effet que d’après cette modification à la loi électorale de
1831, les personnes intéressées seront au moins prévenues.
Mais je ferai remarquer qu’un autre changement a été
introduit dans le projet de loi, et je ne pense pas que la loi de 1834 remédie
à l’inconvénient que j’y trouve ; il concerne non les radiations, mais les
inscriptions.
D’après la loi de 1831, tout individu, pour être
inscrit, doit d’abord commencer par s’adresser à l’administration communale, et
la députation ne pouvait l’inscrire que lorsque l’administration communale
s’était occupée de la réclamation. Ainsi l’article 12 disait :
« Tout individu, indûment inscrit, omis, rayé, ou
autrement lésé, dont la réclamation n’aurait pas été admise par
l’administration communale, pourra s’adresser à la députation permanente du
conseil provincial, en joignant les pièces à l’appui de sa réclamation. »
Ainsi, pour être inscrit, il fallait nécessairement
avoir passé par la juridiction de l’administration communale. D’après la loi
qu’on vous propose, la députation, si je ne me trompe, pourra inscrire d’office
; on dit :
« Le commissaire de district pourra, d’office, dans
les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la
députation permanente contre toute inscription, omission ou radiation indue,
enjoignant les pièces à l’appui de l’appel. »
Le mot d’appel semble dire que le commissaire
s’adresse à la députation en seconde instance ; mais, quand c’est un appel
contre une omission, la députation, en réalité, arrive en première instance.
Ainsi la députation pourra inscrire des individus qui n’auront pas été
contrôlés en quelque sorte. Quand l’individu pour être inscrit doit s’adresser
d’abord à l’administration communale, sa demande a de la publicité ; on sait
que tel individu s’est adressé à l’administration communale et que cette
administration l’a refusé ; l’affaire arrive à la députation en deuxième
instance. Mais d’après l’article actuellement en discussion, le commissaire de
district peut dire à la députation : On a oublié de porter sur la liste tel individu, il faut le porter en vertu de tel titre. Il
pourrait ainsi arriver qu’au dernier moment un grand nombre d’individus se
trouvassent portés de cette manière sur la liste, sans que personne en fût
instruit, sans qu’aucun contrôle ait lieu de la part
des autres électeurs.
On change donc le système de
réclamation, en ce sens qu’on permet à la députation permanente d’agir en première
instance pour les inscriptions, et il me semble qu’elle ne devait agir qu’en
appel. Si l’on admet la disposition relative au commissaire de district, contre
laquelle je me propose de m’élever, supposez un commissaire de district (les
lois sont faites en défiance des hommes), supposez un commissaire de district
d’accord avec une députation ou ayant affaire à une députation négligente qui
s’en rapporte à ses allégations, et on pourra faire, au dernier moment, dans
l’ombre, une fournée d’électeurs qui viendront emporter la balance d’un côté.
On pourrait ainsi réserver pour le dernier moment les électeurs suspects, et
les soustraire ainsi au contrôle du pays.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, la rédaction de la loi de 1831 a été changée, parce que nous
avons reconnu qu’elle était le fruit d’une erreur ; qu’en restreignant
l’avertissement aux personnes qui avaient payé des contributions dans d’autres
communes, on n’avait pas assez fait, et que, dans la loi électorale elle-même, il
y a des dispositions qui supposent que les bourgmestres et échevins sont
appelés à juger des réclamations ; c’est ce qui résulte de la loi de l834, qui
a été citée.
Il est très vrai que le
commissaire de district pourra placer de
plano ces questions devant la députation. Mais il y a un moyen de contrôle,
un moyen de publicité dans l’amendement de l’honorable M. Mercier ; et, en
second lieu, toute personne jouissant des droits civils et politiques aura le
même droit. Ainsi, des personnes qui agiront dans leur intérêt devront, pour
pouvoir s’adresser à la députation permanente, s’être adressées d’abord à
l’autorité communale. Les personnes qui exerceront l’action publique et les
commissaires d’arrondissement qui, si la disposition est admise, seront appelés
à l’exercer aussi, pourront en appeler à la députation permanente sans avoir
réclamé auprès du collège des bourgmestre et échevins.
Mais il n’y a là aucun danger, parce que, d’après l’amendement de l’honorable
M. Mercier, au principe duquel j’adhère très volontiers et qui étend les
dispositions de la loi de 1834, il y aura publicité et contrôle.
M.
d’Hoffschmidt. - Messieurs, j’ai demandé la parole,
pour présenter d’abord quelques observations sur l’amendement proposé par
l’honorable M, Delfosse et ensuite pour ajouter quelques mots sur ce que vous a
dit tout à l’heure l’honorable M. Devaux.
Messieurs, il existe des anomalies choquantes entre
la loi électorale et la loi communale, et il conviendrait, puisque l’occasion
s’en présente, d’examiner s’il n’y aurait pas lieu de faire disparaître ces
anomalies. Elles consistent en ce que, pour les réclamations formées contre les
listes électorales quand il s’agit des élections générales, c’est le collège
des bourgmestre et échevins qui prononce, et que,
quand il s’agit des listes pour les élections communales, c’est le conseil tout
entier qui juge les réclamations.
Je crois, messieurs, qu’il importe de faire
disparaître autant que possible des anomalies semblables de notre législation
électorale. Car ces lois doivent être appliquées par les administrations
communales qui, dans les communes rurales, sont loin d’être composées de
légistes ; et, par conséquent, il est important qu’elles soient le plus
claires, le plus faciles à appliquer possible.
Il y a eu une interprétation donnée en 1840, et,
ensuite par un arrêt de la cour de cassation, des dispositions de la loi
électorale, en ce qui concerne le corps qui doit juger des réclamations. Je ne
prétends nullement critiquer cette interprétation, mais au moins on peut dire
que la question était fort douteuse, et la preuve, messieurs, c’est que
jusqu’en 1840, dans plusieurs provinces et notamment dans celles de Liége, de
Namur et de Luxembourg, c’étaient les conseils communaux qui prononçaient sur
les réclamations en matière de listes électorales, tandis que pour les autres
provinces, dans certaines localités, c’étaient les collèges des bourgmestre et
échevins, et dans d’autres c’étaient les conseils communaux.
Dans mon opinion, messieurs, ces décisions rentrent
bien plutôt dans le cercle des attributions des conseils que dans le cercle des
attributions des collèges. En effet, quelle est la différence entre le collège
et le conseil ? Le collège exécute, le conseil délibère. Or, il s’agit ici
d’une délibération. Par conséquent, il me semble que c’est plutôt au conseil
qu’elle appartient.
Il faut bien distinguer deux choses dans la
formation des listes. Il y a d’abord une opération toute matérielle ; c’est
celle qui s’exécute du 1er au 15 avril. Cette opération appartient
nécessairement au collège échevinal. Il s’agit là de l’exécution ; il s’agit de
rassembler les éléments d’un travail préparatoire.
Mais après que les listes ont été affichées, on
entre dans un autre ordre de choses. Il s’agit du jugement à prononcer sur les
droits des citoyens. Eh bien ! ce jugement rentre bien
plutôt dans les attributions du conseil communal que dans celles du conseil
échevinal. Je crois que dans les attributions des bourgmestres et échevins on
chercherait vainement un cas où ils prononcent des décisions de l’espèce.
D’un autre côté, il y a quelque chose d’étrange à
attribuer aux corps qui forment les listes le droit de juger leurs propres
actes. Dans les communes rurales surtout, c’est souvent le bourgmestre seul, ou
assisté de son secrétaire qui rédige les listes. Ensuite, si l’on forme une
réclamation contre ces mêmes listes, c’est encore le bourgmestre, assisté d’un
échevin, si vous voulez, qui prononce sur la question de savoir si les listes
ont été bien formées. Dans beaucoup de cas, autant vaudrait dire qu’on supprime
le premier degré de juridiction en matière d’appel.
Dans le projet de loi qui vous est proposé on a
introduit la faculté d’appel en faveur des commissaires d’arrondissement.
Pourquoi veut-on introduire cette faculté ? C’est évidemment parce qu’on se
défie de la manière dont les listes sont faites par les administrations
locales. Si l’on ne s’en défiait pas, on n’introduirait pas cette innovation,
ce droit nouveau. Eh bien, dans le conseil communal, vous trouvez une grande
garantie, à cet égard. Le conseil communal exercera un contrôle sur les
opérations du collège. Quand le collège sait que s’il y a des réclamations, ce
sera lui qui les jugera, il peut se permettre des négligences, de la partialité
même. Mais quand il saurait que c’est le conseil communal qui doit prononcer,
il mettrait naturellement plus de précautions, de soin et d’impartialité. Je ne
connais, quant à moi, aucun cas où ces abus pourraient être signalés ; si j’en
parle, c’est que dans les lois électorales on peut se permettre la défiance.
Dans la section centrale il a été question de cette
disposition. On y a opposé ceci : c’est qu’il y aurait bien moins de célérité
dans les opérations du conseil communal que dans celles du collège. Mais à cela
on peut répondre, que pendant dix années les conseils communaux de plusieurs
provinces ont jugé en matière d’appel, et qu’on n’a pas remarqué qu’il y ait eu
de longs retards. D’ailleurs, les listes pour les élections communales et pour
les élections générales se forment en même temps ; lorsque les conseils
communaux jugeraient en matière d’appel pour les listes communales, ils
pourraient en même temps décider pour les autres listes. Il n’y aurait donc pas
de retards.
Il peut se présenter des contradictions frappantes
dans l’ordre de choses actuel entre les décisions du collège et celles du
conseil. Tandis que le collège échevinal aura admis un individu, le conseil
communal l’aura peut-être repoussé. Ainsi quelqu’un demandera à être inscrit
sur les listes générales, il sera admis par le collège. Il devra ensuite
s’adresser au conseil pour être électeur communal, et le conseil rejettera
peut-être sa réclamation. Il en sera de même pour les inscriptions indues. Le
conseil reconnaîtra qu’une inscription est indue, le collège pourra décider le
contraire. Voilà des contradictions qui doivent naître du peu de concordance
entre nos lois électorales.
Je ne vois pas, dans tous les cas, quel intérêt
d’opinion on peut avoir à ce que ce soit le collège échevinal, et non le
conseil communal, qui juge des réclamations. Je pense, quant à moi, qu’on ne
saurait signaler aucun inconvénient à donner ce droit au conseil tandis qu’on y
trouve, d’une autre part, plus de garanties.
Messieurs, l’honorable M. Devaux a appelé, tout à
l’heure, votre attention sur une disposition d’un article auquel nous ne sommes
pas encore parvenus, mais qui mérite cependant d’être signalé à l’attention de
la chambre.
D’après cette disposition, on supprime un degré de
juridiction. C’est là une chose très importante, sur laquelle la chambre doit,
me semble-t-il, bien réfléchir. En matière d’appel, avec la législation
actuelle, il y a deux degrés de juridiction. Lorsqu’un citoyen réclame le droit
d’être porte sur les listes, il doit s’adresser d’abord au collège des bourgmestre et échevins. Si le collège repousse sa
demande, il s’adresse à la députation permanente. Il y a jurisprudence formelle
; la députation ne peut, d’après un arrêt de la cour de cassation, juger qu’en
degré d’appel ; il faut qu’il y ait décision d’abord de la part du conseil
communal ou du collège des bourgmestre et échevins, Eh
bien, il n’y aura plus maintenant qu’un degré de juridiction. Car si le
commissaire d’arrondissement et tous les individus peuvent s’adresser
directement à la députation permanente, je ne vois pas à quoi leur servirait de
s’adresser d’abord au conseil. Ainsi, un individu qui est porté sur la liste ne
peut maintenant en être rayé que par suite de deux décisions : la décision du
collège des bourgmestre et échevins ou du conseil
communal, suivant la nature des listes, et la décision de la députation. Avec
le projet, au contraire, lorsqu’un individu ou le commissaire réclamera contre
une inscription qu’il prétendra indue, il suffira d’une décision de la
députation permanente pour rayer un citoyen possédant peut-être les droits
d’être électeur.
Voilà donc une garantie très
importante qui manquera maintenant à tout citoyen jouissant des droits
électoraux,
M. de Garcia. - Messieurs, un amendement est présenté à l’article en discussion ; il a
pour objet de conférer au conseil communal un droit que le projet de loi
accorde au collège des bourgmestre et échevins.
Messieurs, les motifs que l’on a fait valoir pour soutenir cet amendement ne me
paraissent fondés ni en droit ni en raison.
On a invoqué la constitution pour prétendre que la
connaissance des réclamations dont il est question devait être conférée au
conseil communal. Quant à moi, messieurs, je n’ai jamais compris la
constitution ni l’article que l’on invoque dans ce sens ; et je crois que la
législature l’a interprété tout autrement lorsqu’elle a fait la loi communale.
Il me suffit, pour prouver ce que j’avance, de lire l’article 90 de la loi
communale. IL est conçu de la manière suivante :
« Le collège des bourgmestre
et échevins est chargé de l’exécution des lois, arrêtés et ordonnances de
l’administration générale ou provinciale. »
Messieurs, dans l’opération dont il est question,
s’agit-il d’autre chose que d’assurer l’exécution d’une loi générale ?
On a parlé de jugement, et je veux bien accepter ce
mot, c’est peut-être un jugement que prononce l’autorité communale ; mais c’est
un jugement de jurés ; c’est-à-dire qu’elle n’apprécie que des faits, et je dis
que conférer l’appréciation de ces faits à l’autorité communale proprement
dite, c’est-à-dire au conseil communal, ce serait entraver les opérations
administratives sans utilité aucune, et que conférer ce droit aux collèges des
bourgmestre et échevins ne porte en aucune manière atteinte à aucun principe
constitutionnel.
Je prétends que l’article 90, qui contient une
véritable interprétation de la constitution, ou qui, tout au moins, n’est pas
inconstitutionnel, que cet article, en conférant au collège des bourgmestre et
échevins l’exécution des lois générales, a nécessairement dû lui conférer aussi
l’appréciation et l’application des dispositions de loi qui règlent la validité
de la qualité d’électeur.
Messieurs, si l’on se rendait bien compte des rouages
des administrations communales, on verrait que conférer au conseil tout entier
la connaissance des réclamations dont il s’agit, cc serait entraver, rendre
presque impossible toute décision sur ces réclamations. Pour prouver cela, je
rappellerai quelques articles de la loi communale. Je ferai d’abord remarquer
qu’aux termes de la loi en discussion, le délai dans lequel on peut faire des
réclamations est fort court, qu’il n’est que de 15 jours. Voici en effet
comment la loi est rédigée :
« Lesdits collèges arrêteront les listes et les
feront afficher pour le premier dimanche suivant. Elles resteront affichées
pendant dix jours, et contiendront invitation aux citoyens qui croiraient avoir
des réclamations à former, de s’adresser, à cet effet, au collège des bourgmestre et échevins, dans le délai de quinze jours,
à partir de la date de l’affiche qui devra indiquer le jour où ce délai
expire. »
Messieurs, il y a 15 jours, à partir de la date de
l’affiche. Or, d’après les dispositions de la loi communale, la réunion des
conseils communaux ne peut avoir lieu qu’à la suite d’une convocation faite
deux jours francs à l’avance. On m’objectera peut-être que l’on peut déclarer
l’urgence et convoquer, en conséquence, dans un délai plus court ; à cette
dernière objection je répondrai d’abord que l’urgence doit être déclarée par le
conseil, et qu’à défait de s’assembler, il pourra se faire que l’urgence ne
pourra être déclarée. Quiconque connaît les administrations communales, sait
que souvent il faut faire trois convocations successives pour avoir une
réunion, je dis trois convocations, parce que, après cette formalité, les
membres présents peuvent statuer sur tous les objets qui leur sont soumis. Ces
trois convocations supposent un délai de 7 à 8 jours au moins. Voyez combien de
temps vous allez perdre ; il restera 7 à 8 jours ou plus pour faire tout le
travail prescrit par la loi, et si, comme cela arrive presque toujours, surtout
dans les campagnes, où, je suis fâché de le dire, on préfère généralement
s’occuper de ses intérêts particuliers que des intérêts généraux, si, dis-je,
il faut convoquer le conseil communal trois fois de suite, il sera presque
impossible d’avoir le temps de statuer sur les réclamations dont il s’agit. Je
dis qu’il faudra souvent faire trois convocations de suite, et cela comme je
l’ai déjà dit, parce que ce n’est qu’après la troisième convocation que la loi
autorise le collège des bourgmestre et échevins à prendre une résolution, quel
que soit le nombre des membres du conseil communal présents.
Vous voyez, messieurs, que lorsqu’on apprécie l’état
des rouages de l’administration communale, on doit reconnaître qu’il est
presque impossible de conférer au conseil communal la connaissance des
réclamations dont il s’agit, attendu qu’il sera très difficile d’obtenir une
décision, tandis que si vous attribuez la connaissance de ces réclamations au
collège des bourgmestre et échevins, une décision interviendra toujours,
puisque ce sont là des fonctionnaires que le gouvernement peut faire marcher,
des fonctionnaires qui sont nommés par lui et qu’il peut destituer lorsqu’ils
ne remplissent pas leur devoir.
Cette action du gouvernement, je
l’approuve, messieurs, c’est ainsi que j’entends les libertés communales ; je
veux que le gouvernement puisse ramener les autorités communales dans la ligne
de leurs devoirs, lorsqu’elles s’en écartent, ou qu’elles refusent de remplir
leurs devoirs et de satisfaire aux besoins publics.
M. de Theux. - Messieurs, je dirai comme l’honorable M. d’Hoffschmidt qu’il n’y a ici
aucune espèce d’intérêt à conférer le jugement sur les réclamations qui
concernent la formation des listes électorales plutôt au collège des
bourgmestre et échevins qu’au conseil communal ; pour moi, il me serait tout à
fait indifférent que ce jugement fut conféré aux conseils communaux, si la
chose était possible, mais il me sera très facile de démontrer qu’il y a
impossibilité complète de le faire, en ce qui concerne les listes pour les
élections générales. On s’est prévalu de la disposition de la loi communale qui
confère aux conseils communaux le jugement des réclamations relatives aux
listes électorales. Je ferai remarquer en passant que cela était nécessaire,
puisque les élections communales sont d’un intérêt exclusivement local ; ici la
mesure ne présentait d’ailleurs aucune espèce d’inconvénient, puisque les
listes pour les élections communales sont préparées au mois d’avril et que les
élections n’ont lieu qu’au mois d’octobre. On pourrait dès lors accorder des
délais suffisants pour que le conseil communal fût mis à même de prononcer en
connaissance de cause. En effet, la loi communale a accordé au conseil un délai
de 10 jours. Eh bien, messieurs, en ce qui concerne les élections générales, il
est impossible d’accorder un semblable délai : les élections se font au mois de
juin, s’il s’agit des chambres, et au mois de mai s’il s’agit des conseils
provinciaux. Dès lors les listes doivent être arrêtées d’urgence par le collège
des bourgmestre et échevins pour que les réclamations
en appel puissent être jugées par la députation et pour qu’il soit possible de
former un recours en cassation. Aussi la loi du 3 mars 1831 a-t-elle statué que
le collège des bourgmestre et échevins doit juger
immédiatement et sans désemparer, aussitôt le délai expiré, sur les
réclamations qui lui sont adressées et arrêter immédiatement les listes. Si, au
lieu d’ordonner au collège des bourgmestre et échevins
de juger immédiatement ces réclamations, on en déferait le jugement au conseil
communal, en lui accordant un délai de 10 jours, délai qui serait
indispensable, ce seraient 10 jours de perdus pour l’instance d’appel auprès de
la députation et pour le recours en cassation. De cette manière, les listes, soit
pour les conseils provinciaux, soit même pour les chambres, ne pourraient pas
avoir subi en temps utile les trois degrés de juridiction.
L’honorable M. d’Hoffschmidt dit que, pendant le
délai de dix jours et en s’occupant des listes communales, les conseils
communaux pourraient s’occuper en même temps des listes générales. J’ai déjà
fait remarquer que ce délai de dix jours rendrait impossible le recours en
appel et en cassation ; mais c’est précisément parce qu’ils sont occupés à
cette époque de réclamations concernant les listes relatives aux élections
communales, qu’ils pourraient d’autant moins se livrer à l’examen des
réclamations formées contre les listes générales.
Vous voyez donc, messieurs, qu’il a impossibilité
absolue de conférer la connaissance des réclamations dont il s’agit aux
conseils communaux, à moins de changer l’époque de la formation des listes
électorales. D’ailleurs la constitution laisse au pouvoir législatif la faculté
d’attribuer le jugement de ces réclamations au collège des bourgmestre
et échevins ; l’art. 93 de la constitution prévoit une juridiction spéciale en
matière électorale, et cette juridiction peut être organisée par la loi. Nous
sommes donc entièrement libres de conférer cette juridiction soit au collège
des bourgmestre et échevins, soit au conseil communal.
Maintenant y a-t-il danger à laisser subsister
l’état actuel des choses ? Je dis laisser subsister l’état actuel des choses,
car depuis la circulaire adressée aux autorités communales par l’honorable M.
Liedts, il n’y a plus de difficulté sut ce point, ce sont partout les collèges
des bourgmestre et échevins qui statuent sur ces
sortes de réclamations. Eh bien, messieurs, je pense qu’il n’y a aucune espèce
de danger à laisser subsister ce système. Je pense aussi qu’il n’y a pas la
moindre utilité à déférer la connaissance des réclamations dont il s’agit aux
conseils communaux, puisque vous avez un deuxième degré d’instance auprès de la
députation permanente. Ceux qui ont moins de confiance dans le collège des bourgmestre et échevins que dans le conseil communal
trouveront dans l’appel devant la députation permanente des garanties, qui sont
considérablement augmentées par le nouveau projet, puisque tout individu
jouissant des droits civils et politiques peut intenter cet appel.
Il n’y a donc aucune espèce de motif pour changer
l’ordre actuel, et il y a impossibilité de le faire, car vous ne pouvez pas
rapprocher l’époque de la formation des listes à cause de l’impossibilité où
l’on serait de reconnaître quelles contributions chacun paie, à cause de
l’impossibilité où l’on serait de se procurer les documents nécessaires pour
justifier que, dans l’année courante, on payera le cens électoral. Vous ne
pouvez pas non plus accorder aux conseils communaux un délai suffisant pour qu’ils
puissent examiner les réclamations dont il s’agit, et conséquemment force vous
est de maintenir l’ordre actuel.
J’arrive, messieurs, à l’observation faite par
l’honorable M. Devaux. Je voudrais qu’il fût possible au collège des bourgmestre et échevins de statuer en première instance sur
les réclamations faites par le commissaire d’arrondissement ou par les
citoyens, mais ici encore, il y a impossibilité, parce que le temps manque.
D’ailleurs, rien ne prouve encore une fois la nécessité d’un semblable mode de
procéder. Le commissaire d’arrondissement, le plus communément, ne fera de
réclamation auprès de la députation permanente que lorsqu’il résultera de
l’inspection des rôles de contribution qu’il y a eu omission ou inscription
indue. Ce sera là le cas le plus ordinaire. Veuillez remarquer, messieurs,
qu’aux termes de la loi de 1831, les listes sont préparées par les
administrations communales, sans aucun document officiel, car on remet
simplement une feuille volante sur laquelle se trouvent les noms des personnes
portées sur les rôles des contributions pour une somme égale au cens électoral,
et cette liste n’est pas même certifiée par le receveur ; elle n’est signée par
personne. Aujourd’hui, il devra être remis un double des rôles entiers, signé
par le receveur et certifié véritable par le contrôleur. C’est là une grande
garantie introduite dans la loi. Eh bien, ce double du rôle devra être
communiqué également à la députation permanente qui pourra, d’après l’examen de
ce document, former son jugement sur les divers appels qui pourront lui être
adressées, si les appels sont fondés sur d’autres documents, sur des titres de
propriété, par exemple ; dans ce cas, ce sera encore un titre et un titre
officiel sur lequel la députation aura à statuer.
On pourrait, messieurs, satisfaire à l’observation
de l’honorable M. Devaux en indiquant à l’art. 7 quelle sera la nature des
documents dont l’appel formé, soit par le commissaire d’arrondissement, soit
par toute autre personne, devra être accompagné, lorsqu’il s’agira de personnes
omises sur la liste. On pourrait stipuler, par exemple, que le nom de
l’individu omis sera immédiatement adressé aux autorités communales du lieu de
sa résidence et des diverses localités où il paie les contributions du chef
desquelles on veut le faire inscrire, avec invitation aux autorités communales
de faire parvenir immédiatement à la députation les observations qu’elles
auraient à présenter. J’indique ces moyens, messieurs, parce que je les crois
préférables à ceux qui seraient prescrits par l’amendement de l’honorable M.
Mercier, contre lequel je n’ai, du reste, aucune objection à faire, si ce n’est
qu’il me semble offrir moins de garanties que les mesures que je viens
d’indiquer et que, d’un autre côté, il entraînerait encore une perte de temps
trop considérable pour qu’on puisse exercer le recours en cassation et qu’il
puisse être statué par une autre députation à laquelle la cour de cassation
aurait renvoyé l’affaire.
Je me réserve donc, messieurs, lorsque cet article
sera adopté, de présenter quelques dispositions additionnelles, si M. le
ministre ou M. le rapporteur de la section centrale ne fait pas une proposition dans le sens de celles que je viens d’indiquer et qui me
semblent de nature à offrir toute garantie. De cette manière disparaîtront les
inconvénients que l’on a cru devoir résulter de l’élargissement du cercle
d’appel, élargissement qui est évidemment. dans l’intérêt public, puisqu’il
importe que tous les citoyens remplissant les conditions voulues par la loi,
soient portés sur les listes électorales, afin que les élections soient
l’expression véritable de l’opinion du pays.
M. le président. - Voici un amendement qui a été déposé par M. Malou :
« Remplacer la première partie du deuxième paragraphe
de l’article 5, par la disposition suivante :
« La liste contiendra, en regard du nom de
chaque individu inscrit, le lieu et la date de sa naissance, la date de sa
naturalisation, s’il y a lieu, l’indication du lieu où il paie des
contributions jusqu’à concurrence du cens électoral, et de la nature de ces
contributions en les distinguant en trois catégories, savoir : 1° la
contribution foncière ; 2° la contribution personnelle ; 3° les
patentes. »
Cet amendement rentre dans celui de M. Lebeau.
M. Lebeau. - Je m’y rallierai.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’étais réservé, messieurs,
de me prononcer sur l’amendement de l’honorable M. Lebeau ; je ne m’opposerai
pas à ce qu’on l’adopte maintenant dans la forme que M. le rapporteur vient de
lui donner, Il doit y avoir un second vote, et nous verrons d’ici là, si cet
amendement, dans le cas où il serait adopté aujourd’hui, devrait être maintenu.
M. Delfosse. - Messieurs, l’honorable M. de Garcia et l’honorable M. de Theux sont
d’accord pour combattre mon amendement. L’honorable M. de Garcia s’est fondé
sur l’art. 90 de la loi communale, qui porte que « le collège des bourgmestre et échevins est chargé dans la commune, de
l’exécution des lois d’intérêt général. »
Je reconnais, avec l’honorable M. de Garcia, que la
loi électorale est une loi d’intérêt général ; mais il est évident que l’art.
90 de la loi communale ne peut pas être un obstacle à ce que le législateur fasse,
s’il le trouve bon, intervenir le conseil communal dans l’exécution de quelques
lois. Il est évident, que si le législateur trouve qu’il y a un motif suffisant
pour faire intervenir le conseil communal dans l’exécution d’une loi, il ne
doit pas être arrêté par la considération qu’il aurait confié, en règle
générale, l’exécution des lois au collège des bourgmestre et échevins ; celui
qui a posé la règle peut poser l’exception des mesures analogues sont prises
pour les administrations provinciales. Il y a une disposition de la loi
provinciale qui porte que le gouverneur est chargé, dans la province, de
l’exécution des lois d’intérêt général. Cela n’empêche pas que d’autres
dispositions ne confient à la députation permanente l’exécution de diverses
lois très importantes ; c’est ainsi que la députation est appelée à intervenir
dans l’examen des réclamations en matière de contributions et en matière de
milice, on a voulu, dans ces cas, donner des garanties aux particuliers contre
l’influence du pouvoir, je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas faire
intervenir le conseil communal dans l’examen des réclamations en matière
électorale ; c’est surtout en cette matière qu’on doit donner aux citoyens des
garanties contre le pouvoir.
L’honorable M. de Garcia a fait encore une autre
objection qui a été reproduite par l’honorable M. de Theux. L’honorable M. de
Garcia nous a dit : « Il y a un grand inconvénient pratique ; le conseil
communal ne peut pas se réunir aussi facilement et aussi souvent que le collège
des bourgmestre et échevins, et le gouvernement peut imprimer aux travaux du
collège des bourgmestre et échevins une grande
célérité ; le gouvernement peut faire marcher ces collèges. »
C’est précisément parce que le gouvernement peut
faire marcher ces collèges, que je repousse leur intervention ; je n’aime pas à
confier l’examen des réclamations, en matière électorale, à des corps que, de
l’aveu de l’honorable M. de Garcia, le gouvernement peut faire marcher.
Il y a, dit l’honorable M. de Theux, une impossibilité
absolue dans la pratique. J’avoue que cette observation m’étonne de la part
d’un homme qui été ministre de l’intérieur, et qui, en cette qualité, a pu
s’assurer par lui-même qu’il n’y avait pas la moindre impossibilité pratique.
En effet, avant la circulaire émanée de l’honorable
M. Liedts, les conseils communaux étaient appelés dans beaucoup de provinces à
statuer sur les réclamations en matière électorale ; même après la circulaire,
il ya des conseils communaux, et, entre autres, le conseil communal de Liége,
qui ont persisté à intervenir. Il a fallu un arrêté royal pour empêcher
l’intervention du conseil communal de Liège.
L’honorable M. de Theux encore présenté une
objection à laquelle j’avais déjà répondu. Il a dit : mais si le collège des bourgmestre et échevins ne présentait pas assez de
garanties d’impartialité, la députation permanente n’est-elle pas là pour
redresser les erreurs. J’avais répondu d’avance à cette objection, j’avais dit
qu’il importe que les juges de première instance présentent les mêmes garanties
que les juges d’appel. M. de Theux n’a pas répondu un mot aux considérations
que j’avais fait valoir sur ce point.
Messieurs, prenez-y garde, vous
avez conféré au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres en dehors du
conseil ; n’aggravez pas le mal en donnant aux bourgmestres trop d’attributions
et surtout trop d’influence sur les élections.
M.
d’Hoffschmidt. - Messieurs, un honorable préopinant a
dit qu’il y aurait impossibilité de confier aux conseils communaux le droit de
statuer sur les réclamations en matière électorale. Déjà l’honorable M.
Delfosse a démontré que cette impossibilité n’existe pas. En effet, ce droit a
été exercé pendant 10 années par les conseils communaux dans presque toutes les
provinces.
Voici ce que l’on trouve dans la circulaire de
l’honorable M. Liedts, datée du 20 août 1840 et qui est annexée au rapport de
la section centrale :
1° Que dans trois provinces, celles de Liège,
Luxembourg et Namur, ce sont les conseils communaux seuls qui statuent sur les
réclamations de l’espèce ;
2° Qu’il en est de même, généralement, dans la
province de Limbourg ;
3° Que dans les provinces d’Anvers, de Brabant, de
la Flandre occidentale, de la Flandre orientale et du Hainaut, la loi est
diversement exécutée ; que dans une partie des villes et des communes rurales,
les réclamations sont déférées au conseil ; qu’ailleurs elles sont jugées par
le collège des bourgmestre et échevins.
Ainsi, pendant dix ans, dans la plupart des communes
du royaume, les conseils communaux ont prononcé sur ces réclamations.
L’honorable M. de Garcia a dit que quand on a
quelque connaissance des rouages administratifs, on peut apprécier les retards
que les décisions de l’espèce éprouvent. Or, j’ai été pendant 6 années membre
de la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg ; l’honorable
M. Delfosse a fait aussi partie de la députation permanente d’une province où
les conseils communaux ont connu de ces réclamations, et jamais nous n’avons eu
connaissance de retards préjudiciables dans ces sortes de décisions.
D’un autre côté, cette impossibilité n’existe pas
pour les décisions en matière de listes pour les élections communales. Or, les listes
pour les élections communales sont quatre fois aussi considérables que les
listes pour les élections générales.
L’honorable M. de Theux répond à cela que les
élections pour les communes ont lieu en octobre. Cela est vrai ; mais la loi
communale, dans son article 15, n’en dit pas moins que le conseil communal doit
se prononcer dans les dix jours sur ces réclamations, comme pour celles qui
concernent les listes générales.
D’ailleurs la liste pour les élections générales
sert pour former la liste pour les élections communales ; elle y est comprise
tout entière. Ainsi les réclamations qui sont faites contre la liste des
électeurs pour la chambre doivent être aussi formées pour les listes relatives
aux élections communales ; car si l’on prétend qu’un électeur n’a pas le droit
de figurer sur la liste destinée aux élections générales, à plus forte raison
doit-on réclamer relativement à son inscription sur la liste des électeurs
communaux.
D’un autre côté, ces retards ne doivent pas vous
effrayer, car presque toutes les décisions en cette matière ne demandent pas
une longue délibération. Il peut certainement se présenter quelques cas
difficiles, en matière de naturalisation, par exemple ; mais quand il s’agit de
questions concernant le cens ou l’âge du réclamant, il ne faut pas beaucoup de
temps pour se prononcer à cet égard.
Ainsi, l’impossibilité qu’on a signalée n’existe
pas.
Maintenant y aurait-il avantage à
établir de l’harmonie entre la loi électorale et la loi communale, sur cette
matière ? C’est ce qui n’est point douteux, car cela éviterait des
contradictions dans les décisions et cela ferait disparaître une anomalie que
rien ne justifie.
M. de Garcia. - Messieurs, pour soutenir qu’il n’y avait rien d’inconstitutionnel à ce
qu’on conférât au collège des bourgmestre et échevins
la connaissance des réclamations dont nous nous occupons, j’ai cité l’art. 90
de la loi communale, mais je n’ai pas prétendu inférer de là que la législature
ne pouvait pas attribuer au conseil communal le droit de connaître de ces
réclamations, j’ai seulement voulu démontrer par la généralité de ces articles
qu’il n’y avait rien d’inconstitutionnel dans la disposition présentée par le
gouvernement. La disposition absolue de la loi communale justifie que de toute
inconstitutionnalité le principe de la loi qui vous est soumise.
Ainsi, à ce point de vue, je suis d’accord avec
l’honorable M. Delfosse, mais à un autre point de vue, je ne suis pas d’accord
avec lui, au moins jusqu’ici.
Je prétends que le gouvernement peut faire marcher
le collège des bourgmestre et échevins, et l’obliger à
statuer sur les réclamations ; mais je n’entends pas par là que le gouvernement
puisse forcer ce collège de juger dans tel ou tel sens ; je dis seulement que
le gouvernement ne ferait pas son devoir, s’il n’obligeait pas cette partie de
l’administration publique à juger les cas qui lui sont soumis. Ainsi, après
cette explication, je pense que je serai encore tout à fait d’accord avec
l’honorable M. Delfosse sur ce point.
Messieurs, j’ai fait ressortir les difficultés qu’il
y avait à faire marcher les conseils communaux, s’ils montraient de la mauvaise
volonté. En effet, si une administration communale ne voulait pas s’occuper des
réclamations, quel moyen y aurait-il de l’y contraindre ? Je défie d’en citer
un seul.
A la vérité, l’honorable M. d’Hoffschmidt, invoquant
son expérience ainsi que celle de l’honorable M. Delfosse, a dit que les
conseils communaux avaient connu de ces réclamations par le passé, et qu’il
n’était résulté de là aucun inconvénient. Mais, messieurs, on ne peut pas se le
dissimuler, ces opérations qui, jusqu’à ce jour, ont eu lieu presque sans
réclamation, présentent des résultats tout différents.
Depuis que des fraudes ont été signalées, que la susceptibilité
et l’attention de tous les citoyens ont été réveillées, les réclamations
peuvent se multiplier à l’infini. Il ne faut se faire illusion sur ce point ;
la loi que nous faisons a surtout pour objet de mettre tous les citoyens dans
la position la plus facile de faire valoir leurs justes réclamations. Les
citoyens sont aussi devenus plus jaloux de la jouissance de leurs droits
politiques. Il y aura évidemment plus de réclamations que par le passé. Ainsi,
le passé ne prouve rien pour moi. Je veux que la loi puisse recevoir son
exécution pleine et entière dans tous les cas donnés.
L’honorable M. d’Hoffschmidt voudrait qu’on établît
de l’harmonie entre les dispositions relatives aux élections générales et les
dispositions concernant les élections communales. Dans ces dispositions
différentes, l’honorable membre voit une anomalie dans nos lois.
Quant à moi, je ne vois pas d’anomalie entre ces
dispositions, parce que les matières sont différentes. Je conçois que, dans une
commune, le conseil communal ne se refuse pas à s’assembler, pour faire droit
aux réclamations qui seraient faites à l’égard de la liste des électeurs
communaux. Ici l’intérêt est direct, et je suis convaincu qu’un conseil
communal, à peine de n’être pas réélu, ne pourrait pas se permettre de ne pas
juger les réclamations qui sont faites dans la commune. Il y a donc ici des
circonstances déterminantes, des circonstances qui ne permettent pas de
supposer que le conseil communal se mette au-dessus de ses devoirs. Or il faut
faire toujours la part des circonstances ; elles exercent une influence immense
sur les actions des hommes ; mais ces raisons déterminantes n’existent pas,
quant aux élections générales. Je suis convaincu qu’un conseil communal qui
résisterait aux invitations du gouvernement, ne le ferait que sûr de l’appui
des électeurs communaux, encouragé dans sa résistance par la commune.
Ainsi, je pense qu’il n’y a pas
lieu de mettre de l’harmonie entre deux dispositions qui n’ont pas de
corrélation entre elles. Dès lors, je crois qu’on doit abandonner au collège
des bourgmestre et échevins la connaissance des réclamations qui ont lieu à
l’égard des listes électorales pour les chambres, et que cette connaissance
doit être réservée aux conseils communaux, en ce qui concerne les élections
communales.
M. de
Theux. - L’honorable M. de Garcia a fait les observations
que je me proposais de présenter. J’ajouterai que si dans certains cas les
conseils communaux ont pu juger les réclamations dont les listes électorales
étaient l’objet, il est évident que dans une infinité de cas elles ne
pourraient pas être jugées immédiatement ; qu’on aurait besoin d’un délai de
quelques jours pour assembler le conseil et examiner les réclamations. Il
suffit que, dans certains cas, il y ait impossibilité d’exécuter la loi pour
que je repousse les amendements.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Delfosse.
M. Lebeau. - Je n’ai pas bien saisi le sens de l’amendement de M. Delfosse. S’il
s’agit de substituer, dans la première partie de l’article, le conseil communal
au collège des bourgmestre et échevins, il peut y
avoir divergence d’opinion.
M. Delfosse. - C’est à la seconde partie du paragraphe que se rapporte mon amendement.
Je demande que les réclamations soient adressées au conseil communal, au lieu
du collège des bourgmestres et échevins. (Aux
voix ! aux voix ! l’appel nominal !)
- L’appel nominal étant demandé par plus de cinq
membres, il est procédé à cette opération. En voici le résultat :
76 membres répondent à l’appel.
21 membres répondent oui ;
55 membres répondent non.
En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. Delehaye, Delfosse, Devaux, de
Villegas, d’Hoffschmidt, Dumont, Fleussu, Jadot, Lange, Lebeau, Lys, Manilius,
Mercier, Orts, Osy, Puissant, Rogier, Savart-Martel, Sigart, Vandenbossche,
Verhaegen.
Ont répondu non : MM Cogels, Coppieters, de Behr,
Dechamps, de Foere, de Garcia de la Vega, de La Coste, de Man d’Attenrode, de
Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter,
Deprey, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Dubus
(aîné), Dubus (Bernard), Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot,
Huveners, Hye-Hoys, Kervyn, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries,
Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits,
Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van
Hoobrouck, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Raikem,
L’amendement proposé par M. Malou est adopté.
L’article ainsi amendé est également adopté.
Article 6
« Art. 6 (M. le ministre s’est rallié à la rédaction
de la section centrale). L’art. 9 de la loi électorale est abrogé et remplacé
ainsi qu’il suit :
« Après l’expiration du délai fixé pour les
réclamations, les listes, le double des rôles certifié par les receveurs et
vérifiés par le contrôleurs, ainsi que toutes les pièces au moyen desquelles
les personnes inscrites auront justifié de leurs droits, ou par suite
desquelles des radiations auront été opérées, seront envoyées, dans les
vingt-quatre heures, au commissariat du district.
« Un double de la liste sera retenu au
secrétariat de la commune.
« Chacun pourra prendre inspection des listes,
tant au secrétariat de la commune qu’au commissariat du district.
« § 3 (nouveau). Chacun pourra aussi prendre
inspection du double des rôles et des autres pièces mentionnées ci-dessus.
« § 4. Le commissaire du district fera la
répartition des électeurs en sections, s’il y a lieu, conformément à l’art. 19
de la présente loi. »
- Cet article est adopté.
« Art. 7 (M. le ministre s’est rallié aux amendements
proposés cet article par la section centrale). Il est ainsi conçu :
« Sont ajoutées à l’art. 12 de la loi
électorale du 3 mars 1831, les dispositions suivantes :
« Le § 2 de l’art. 12 de la loi électorale est
abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :
« Tout individu jouissant des droits civils et
politiques pourra, dans les dix jours à partir de l’expiration du délai fixé
pour les réclamations par l’art. 8 de la présente loi, réclamer auprès de la
députation permanente contre chaque inscription, omission ou radiation indue ;
il joindra à sa réclamation la preuve qu’elle a été par lui notifiée à la
partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre a partir de celui de
la notification.
« Le commissaire du district pourra d’office,
dans les dix jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la
députation permanente, contre toute inscription, omission ou radiation indue,
en joignant les pièces à l’appui de l’appel.
« Cet appel sera notifié à la partie intéressée
qui aura 10 jours pour y répondre, à partir de la notification,
« L’exploit de notification sera, dans ce cas,
dispensé du droit de timbre et enregistré gratis, et les salaires des huissiers
seront fixés d’après l’art. 71, n° 1 et 2 du décret du 18 juin 1841. »
M. Mercier a proposé à cet article un
amendement ainsi conçu :
« 1° Je propose d’ajouter à cet article les
paragraphes suivants :
« Dans tous les cas où l’appel sera formé du chef
d’omission ou de radiation indue, l’appelant fera déposer au secrétariat de la
commune où l’intimé a son domicile, et dans les vingt-quatre heures à partir de
la notification, une expédition des pièces relatives à l’appel.
« L’administration communale fera immédiatement
afficher, dans la forme prescrite par l’art. 8 de la loi du 3 mars 1831 et par
le § 2 de l’art. 4 de la loi du 25 juillet 1834, n° 604, et, en outre, publier
dans un journal du district, ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la province,
les noms des intimés du chef d’omission ou de radiation indues ; les noms
resteront affichés pendant huit jours.
« Chacun pourra prendre inspection des pièces
relatives à l’appel, au secrétariat de la commune.
« Tout individu jouissant des droits civils et
politiques pourra, dans les huit jours, à dater de l’affiche des noms,
intervenir dans l’instance d’appel. L’intervention sera notifiée aux
intéressés.
« 2° de modifier les §§ 2 et 3 de cet article
de la manière suivante :
« Le commissaire de district pourra, d’office,
dans les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la
députation permanente, contre toute inscription, omission ou radiation indues,
en joignant les pièces à l’appui, ainsi que la preuve qu’il a été notifié à la
partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre, à partir de la
notification. »
M. Mercier. - L’art. 6 du projet du gouvernement est un de ceux qui ont provoqué le
plus d’opposition. Il conférait au commissaire de district le droit d’appel
contre toute inscription, omission ou radiation indues, tandis qu’il
n’accordait pas la même faculté aux autres citoyens. La section centrale a
amélioré cet article en y ajoutant une disposition qui place tout individu
jouissant des droits civils et politiques sur la même ligne que l’agent du
gouvernement. C’est une amélioration ; mais elle est insuffisante. Un caractère
essentiel de la loi électoral, c’est la publicité. Ainsi l’article 8 de la loi
de 1831 exige que les listes électorales soient publiées et affichées pendant
dix jours. Cette loi n’avait pas prévu, ce qui devait se faire alors, qu’au
moment de clore les listes électorales des individus étaient reconnus posséder
les conditions voulues pour être électeur, et étaient en conséquence portés sur
une liste supplémentaire. La loi du 2 juillet 1834 a pourvu à cette lacune et
ordonné la publication de la liste supplémentaire. C’est l’art. 4 de la loi du
25 juillet 1834 qui renferme cette disposition qui est ainsi conçue :
« Les noms des électeurs qui auront été admis
par les administrations communales, lors de la clôture définitive de la liste,
sans avoir été portés sur la liste affichée, seront publiés par de nouvelles
affiches, dans le même délai de 48 heures, à dater de cette clôture. »
Ainsi partout, messieurs, lorsqu’il s’agit de
conférer le droit électorat, il y a publicité. Ici, au contraire, lorsque les
listes auront été modifiées par suite de l’appel, il n’y aurait pas eu de
publicité dans le cas d’omission et de radiation indues.
L’amendement que je propose a pour but de donner cette publicité, d’abord en
exigeant que la copie de l’appel ainsi que des pièces à l’appui soient
transmises à l’administration communale, en astreignant celle-ci à publier les
noms des individus à l’égard desquels le droit d’appel a été exercé, et ensuite
en laissant à chaque particulier la faculté d’intervenir dans l’appel je me
suis, du reste, attaché à ne pas prolonger les délais. Huit jours seulement
sont accordés aux individus qui voudraient user du droit d’intervention pour
adresser leur réclamation à la députation permanente. Je pense donc que mon
amendement ne peut être soumis à aucune critique fondée sur ce que les délais
seraient trop prolongés.
Il me paraît que le projet de la section centrale
doit recevoir une autre modification. La proposition de conférer le droit
d’appel aux individus qui jouissent de leurs droits civils et politiques exige
non seulement que notification en soit faite aux intéressés, mais que la preuve
de cette notification soit jointe à la réclamation ; cette dernière condition
n’est pas requise du commissaire de district ; j’ai cru qu’on devait lui
imposer la même obligation qu’aux particuliers. C’est ce qui fait l’objet du n°
2 de l’amendement que j’ai proposé. Tels sont les motifs que j’ai cru devoir
donner à l’appui de mes propositions, motifs que d’ailleurs j’avais déjà
indiqués dans le discours que j’ai prononcé pendant la discussion générale.
M. le président. - L’amendement de M. Mercier est-il appuyé par cinq membres ?
- L’amendement est appuyé.
M. Mercier. - Je demande à ajouter deux mots :
On m’a fait observer que la loi que nous discutons
est censée devoir être insérée dans la loi électorale de 1834 ; on ne doit donc
pas citer la date de cette loi, il est préférable de se référer, à ses
dispositions. Ainsi, au lieu de mots : « par l’article 8 de la loi du 3
mars 1831, etc., » je propose ceux : « Dans la forme prescrite pour les publications
des listes ordinaires et des listes supplémentaires. » Ce n’est qu’un
simple changement de rédaction.
J’ajouterai que l’administration communale pourrait
quelquefois éprouver des difficultés à faire publier en temps opportun, soit
dans un journal du district, soit dans un journal de la province, les noms des
individus que l’appel intéresse ; il serait donc préférable de charger le
gouvernement de ce soin ; et ce sera nécessairement le commissaire de district
qui, selon les instructions du ministre, fera faire cette publication.
Je ferai donc un changement à mon amendement.
Je supprimerai les mots : « et en outre publier
dans un journal du district ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la
province, » et les remplacerai, à la fin du § dans lequel ils se trouvent, par
ceux « Ils seront en outre publiés, par les soins du gouvernement, dans un
journal du district ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la
province. »
M. le président. - Voici deux amendements proposés par M. Delfosse.
Substituer au 2ème § de l’art. 7 aux mots : à partir de l’expiration des délais,
ceux-ci : à partir de la réception de la
liste du commissariat de district.
Ajouter le paragraphe suivant :
« La réception de la liste sera constatée par
un récépissé qui sera remis dans les 24 heures à l’administration communale ;
une copie de ce récépissé sera transmise, dans le même délai, à la députation
permanente.
« Il en sera fait immédiatement mention dans un
registre spécial, coté et paraphé par un membre de la députation
permanente. »
M. Delfosse. - Je repousse le principe de l’intervention des commissaires
d’arrondissement. Cette intervention est une des mesures qui ont fait dire avec
raison que l’on met la répression de la fraude à un prix excessivement élevé.
Jusqu’à ce jour, les deux opinions qui se trouvent
en présence ont pu combattre à armes égales. Chacun ayant le droit de réclamer
auprès de la députation permanente, les deux opinions avaient les mêmes
démarches et les mêmes dépenses à faire pour obtenir l’épuration des listes. Le
projet de loi fait disparaître cette égalité. Dorénavant les partisans des
candidats ministériels pourront se croiser les bras, le commissaire
d’arrondissement réclamera pour eux. Les partisans des candidats de
l’opposition devront au contraire continuer à faire, pour obtenir l’épuration
des listes, les mêmes démarches et les mêmes frais que par le passé. On a dit
que les réclamations en matière électorale n’occasionnent aucune dépense ;
c’est une erreur. Lorsqu’on réclame contre une inscription indue, on doit le
notifier à l’intéressé et cette notification entraîne des frais.
On a eu l’air de nous accorder une compensation en
donnant à tout individu, jouissant des droits civils et politiques, le même
droit qu’au commissaire d’arrondissement ; cette compensation n’est
qu’apparente. Il y aura toujours cette différence, que le commissaire
d’arrondissement n’aura aucun frais à supporter, c’est le gouvernement qui
payera pour lui. Il n’en sera pas de même de l’individu qui usera du droit
d’appel. Il y a encore une autre différence. Le délai pour le commissaire
d’arrondissement ne court qu’à partir de la réception des listes, pour les
particuliers il court à partir du délai fixé pour les réclamations par l’art.
8. Cette différence ne sera pas très sensible si les administrations communales
observent strictement la disposition de la loi qui leur prescrit d’envoyer les
listes dans les 24 heures ; dans ce cas, le délai sera à peu près le même pour
le commissaire d’arrondissement et pour les particuliers ; mais si cet envoi se
fait plus tard, le délai sera prorogé pour le commissaire d’arrondissement
seul.
Messieurs, il est nécessaire que dans ce cas le
délai soit prorogé pour tous. Si l’on veut que le droit d’appel conféré aux
particuliers ne soit pas illusoire, il faut qu’on leur donne le temps
d’examiner les listes, et comment auraient-ils ce temps, si le délai de dix
jours commençait à courir avant la réception des listes au commissariat d’arrondissement . Il pourrait arriver que les listes n’arriveraient qu’après l’expiration du délai.
On ne dira pas, sans doute, qu’il y a moyen de
prendre communication des listes au secrétariat de la commune ; on ne peut pas
exiger des citoyens qu’ils aillent de commune en commune vérifier ce qui se
passe ; c’est même pour leur éviter toutes ces courses qu’on les autorise à
prendre communication des listes chez le commissaire d’arrondissement ; mais à
quoi, je le demande de nouveau, leur servirait ce droit, si les listes
n’arrivaient qu’après l’expiration du délai d’appel ?
Il y a encore un autre vice dans l’article que nous
discutons. Le commissaire d’arrondissement doit appeler dans les dix jours de
la réception des listes. Mais aucune précaution n’est prise pour constater le
jour de cette réception ; il dépend en quelque sorte du commissaire
d’arrondissement de proroger le délai à son gré ; si le commissaire
d’arrondissement déclare qu’il a reçu les listes plus tard qu’il ne les a
reçues réellement, qui lui donnera un démenti ? sera-ce
le bourgmestre ? Mais le bourgmestre est aujourd’hui un fonctionnaire
révocable, et il hésitera avant de donner un démenti à son chef ; il est
essentiel que la réception des listes soit constatée d’une manière certaine,
d’une manière officielle.
J’espère, messieurs, en avoir
assez dit pour justifier les deux amendements que j’ai présentés. M. le
ministre de l’intérieur a promis, l’autre jour, d’accepter les amendements qui
seraient de nature à améliorer la loi. J’avoue que je ne me fie pas trop à
cette promesse ; j’ai présenté à la section centrale plusieurs amendements qui
étaient bien certainement de nature à améliorer la loi. Ils ont été
impitoyablement écartés ; la chambre elle-même, d’accord avec M. le ministre de
l'intérieur, a repoussé tous les amendements qui lui ont été soumis jusqu’à
présent. Cependant, comme les deux amendements que je propose sont extrêmement
raisonnables, je crois pouvoir compter sur la coopération de M. le ministre de
l’intérieur.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis heureux, messieurs, de
pouvoir accorder ce que l’honorable préopinant a bien voulu appeler ma
coopération au deuxième amendement qu’il a proposé. Le but que nous avons est
le même. J’avais même indiqué à la section centrale ces propositions ;
seulement on avait pensé qu’on pouvait en faire l’objet d’une instruction
ministérielle. Mais comme il s’agit ici de prévoir des cas de déchéance,
peut-être est-il bon d’insérer dans la loi même les délais qui emportent
déchéance,
Je suis forcé néanmoins de faire un changement de
rédaction au deuxième amendement proposé par l’honorable M. Delfosse. Je vais
d’abord donner lecture du premier paragraphe :
« La réception de la liste sera constatée par
un récépissé qui sera remis dans les 24 heures à l’administration communale.
Une copie de ce récépissé sera transmise dans le même délai à la députation
permanente. »
Ainsi la réception de la liste sera constatée par un
récépissé qui sera donné et transmis dans les 24 heures à l’administration
communale. En outre, l’honorable M. Delfosse exige qu’une copie de ce récépissé
soit transmise à la députation permanente. Je pense, messieurs, que ceci n’est
pas nécessaire, que c’est une précaution surabondante. Et, en effet, voyons
comment les choses se passeront.
Les listes arrivent au commissariat ; récépissé en
est donné dans les 24 heures, et il est transmis à l’administration communale.
Que peut-on craindre ? Que l’on puisse ultérieurement venir changer la date du
récépissé ? Mais cela est devenu impossible. Il faudrait supposer une
connivence extrêmement coupable entre l’administration communale et le
commissaire d’arrondissement.
L’honorable M. Delfosse ajoute :
« Il en sera immédiatement fait mention dans un
registre spécial, coté et paraphé par un membre de la députation permanente. »
J’ignore pourquoi il faut nécessairement que ce
registre soit paraphé par un membre de la députation permanente. Je vois là de
nouveau un système de défiance auquel je ne puis m’associer. Je maintiens le
registre ; j’avais moi-même indiqué ce moyen ; mais je propose de dire que le
registre sera coté et paraphé par le gouverneur ou par un membre de la
députation permanente à ce délégué ; de sorte que l’amendement serait rédigé
comme suit :
« La réception de la liste sera constatée par
un récépissé. Ce récépissé sera transmis à l’administration communale dans les
24 heures de l’arrivée de la liste au commissariat.
« Il en sera immédiatement fait mention dans un
registre spécial coté et paraphé par le gouverneur ou par un membre de la
députation permanente. »
Je dis, messieurs, que ma rédaction atteint le même
but. Je crois que l’honorable préopinant a indiqué des précautions surabondantes.
La députation permanente qui est appelée à statuer en appel, se fera remettre
ce registre où le commissaire d’arrondissement aura été tenu d’inscrire
immédiatement, sans intercalation, sans rature, les différents récépissés. Car
c’est là une instruction que le gouvernement donnera ;
il faut que ce registre ne présente aucune intercalation, aucune
rature. Si la députation permanente, après se l’être fait produire, a le
moindre doute, elle se fera remettre le récépissé qui aura été transmis à l’administration
communale. Car le gouvernement aura encore d’autres instructions à donner. Il
exigera que chaque administration communale ait aussi un indicateur et qu’elle
conserve le récépissé. Il est inutile d’énoncer tout ceci dans la loi, mais, je
le déclare, j’irai plus loin dans l’exécution que l’honorable M. Delfosse. Il
faudra faire mention de ce récépissé dans l’indicateur, qui doit être tenu par
chaque commune. Je ne sais s’il se tient partout, mais c’est encore une chose à
régulariser.
Je pense que l’honorable M. Delfosse regardera mon
amendement comme l’équivalent du sien.
M. de La Coste. - Messieurs, quand je considère le texte et la lettre de l’article en
discussion, j’y trouve deux dispositions conçues à peu près dans les mêmes
termes et, pour ainsi dire, parallèles. Je vois d’un côté que tout individu
jouissant des droits civils et politiques pourra, dans un délai donné,
interjeter appel auprès de la députation permanente. Je vois également que le
commissaire de district pourra, d’office, dans les dix jours de la réception de
la liste, interjeter un semblable appel.
Messieurs, ces deux dispositions conçues, comme je
viens de le dire, à peu près dans les mêmes termes, ont à mes yeux aussi le
même but : c’est de rendre les listes aussi sincères, aussi complètes que
possible.
Cependant lorsque je ne m’attache pas à la lettre de
l’article, mais à son esprit et aux développements dans lesquels est entrée la
section centrale, je trouve entre ces deux dispositions une différence bien
sensible et bien essentielle. La position dans les deux cas est très
différente.
Tout citoyen peut réclamer, c’est un droit, c’est
une faculté qui lui est accordée, c’est une faculté dont on peut légitimement
faire usage dans un intérêt particulier et même, peut-on dire, dans un intérêt
de parti.
Mais la faculté qui est accordée à un agent de
l’autorité n’a pas, à mes yeux, la même nature. Ce n’est plus, à proprement
parler, une faculté, un droit, c’est un devoir. Du moment que vous accordez une
faculté à l’autorité, elle devient un devoir, et dans l’accomplissement d’un
devoir, il n’est plus question de parti. Si ce devoir était méconnu, si la
faculté accordée devenait un instrument de parti, il y aurait encore au-dessus
la responsabilité du gouvernement qui tolérerait cet abus déplorable.
Je pense, messieurs, que même l’individu qui a le
droit de réclamer, soit dans son intérêt, soit dans un intérêt de parti,
pourrait, au lieu de se pourvoir directement auprès de la députation
permanente, présenter ses observations au commissaire de district ; qu’à la
vérité celui-ci ne serait pas obligé d’adopter le point de vue du réclamant,
que s’il trouvait la réclamation vexatoire et sans motifs, il ne devrait pas
s’y arrêter, mais que si on lui signalait réellement un abus, il serait obligé
d’interjeter appel ; que s’il ne le faisait pas, il y aurait prévarication. Le
ministre, qui ne réprimerait pas cette prévarication encourrait, à mes yeux,
une très grave responsabilité.
Ainsi, je pense, messieurs, qu’il
aurait été préférable que la deuxième partie de l’article n’eût pas été conçu
en termes facultatifs, mais en termes impératifs ; cependant, pour ne pas
fatiguer la chambre d’amendements et comme déjà la section centrale s’est
expliquée dans le même sens que moi, si M. le ministre déclare que c’est aussi
dans ce sens qu’il entend la disposition, je n’insisterai pas davantage sur mon
observation.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je parlerai d’abord des amendements de l’honorable M.
Delfosse. La première proposition a pour objet de faire courir le délai pour
les particuliers du même point de départ que le délai fixé pour le commissaire
d’arrondissement. Cette question, comme l’honorable membre l’a dit, s’est déjà
présentée dans la section centrale, et je crois me rappeler qu’il n’a pas été
fait de proposition formelle, parce que l’on a reconnu qu’il ne s’agissait, en
réalité, que d’un délai de 24 heures, et qu’en obligeant les administrations
communales à envoyer les listes immédiatement, la position serait égale pour
tous.
Il serait difficile, messieurs, de se placer à un
autre point de vue ; la loi ne peut guère supposer elle-même son inexécution,
et ce serait réellement ce qui arriverait ici.
L’autre amendement concerne les formalités requises
pour constater la réception des listes. Il en a été également question dans la
section centrale ; mais, comme M. le ministre l’a dit tout a l’heure, on a
pensé qu’une inscription suffirait à cet effet. Je n’ai, du reste, aucune
objection à faire contre l’insertion de cette disposition dans la loi.
L’amendement de l’honorable M. Mercier complète la
pensée de la loi ; il donne plus d’étendue à l’action des particuliers, il
ajoute, si cela était nécessaire, un contrepoids à l’action du commissaire
d’arrondissement, Je ferai néanmoins remarquer qu’il introduit, pour un cas
spécial, une publicité qui n’existe pour aucun autre. Toute la publicité, en
matière électorale, consiste dans l’affiche des noms.
Ici, pour le cas d’appel formé, du chef d’omission
ou de radiation indues, vous exigeriez l’insertion dans les journaux ; je ne
vois aucun motif de faire cette différence. L’honorable membre entend sans
doute que les frais de cette insertion seront supportés par le gouvernement.
Déjà précédemment j’ai dit,
messieurs, dans quel sens me paraissaient devoir être entendus les termes du §
1er du projet du gouvernement, auquel la section centrale a adhéré ; l’action
que l’on accorde au commissaire d’arrondissement doit s’exercer d’office, et
dans l’intérêt public, pour que les listes soient entièrement régulières ; le
commissaire d’arrondissement, en exerçant cette action, ne peut fait aucune
acception de parti ou d’opinion ; lorsque la loi impose un devoir un
fonctionnaire, le corollaire en est la responsabilité de ce fonctionnaire, et
j’ai déjà eu l’honneur de dire qu’ici la responsabilité ne pourrait être
illusoire, puisque la plus grande publicité entourera tous les actes du
commissaire d’arrondissement.
M. Dumortier. - Messieurs, j’appuie l’amendement de l’honorable M. Mercier. Je ne pense
pas que l’on puisse s’arrêter à l’observation que vient de présenter
l’honorable rapporteur relativement à la publicité donnée aux actes dont il
s’agit, par la voie de la presse ; une chose qu’il faut remarquer, c’est que
l’époque de la formation des listes primitives est fixée par la loi ; chacun
sait dès lors qu’il peut aller examiner si son nom figure ou non sur la liste,
qu’il peut aller examiner s’il ne se trouve pas sur cette liste des personnes
qui ne doivent pas y figurer. Ici, au contraire, il s’agit d’une liste
supplémentaire dont on peut ignorer l’existence, et dès lors il n’est pas
mauvais qu’il y ait publication par la voie de la presse. Ce n’est pas là
d’ailleurs une mesure nouvelle : la loi sur la garde civique, par exemple, a
ordonné que les comptes de la garde civique fussent déposés au secrétariat de
la commune et qu’il en fût donné avis par la presse. Eh bien, cette disposition
s’exécute, et, il n’en résulte aucune espèce d’inconvénient.
Quant à l’article en discussion, j’ai une
observation à faire sur le 1er §.
« Le commissaire du district pourra, d’office, dans
les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la
députation permanente, contre toute inscription, omission ou radiation indues,
en joignant les pièces à l’appui de l’appel. »
C’est là, messieurs, un grand pouvoir donné au
commissaire de district. J’avoue qu’il me paraît nécessaire qu’une autorité
quelconque soit investie du droit d’examiner les listes formées par les
autorités communales et de former au besoin appel contre ces listes. En effet,
il est constant que dans beaucoup de localités les listes électorales ne sont
faites que par le secrétaire communal ou par l’un ou l’autre des échevins et qu’il
arrive assez souvent que des erreurs sont commises. Ainsi, aux dernières
élections on a signalé qu’un individu âgé de 22 ans seulement avait été porté
sur la liste électorale ; ainsi encore on a vu qu’une personne qui avait été
portée sur la liste primitive, avait été, par une faute d’impression ou par une
erreur de copiste, omise sur une liste subséquente. Il est donc nécessaire
qu’une autorité intervienne, car nous voulons tous la sincérité des élections.
Mais faut-il pour cela permettre aux commissaires de district d’interjeter
d’office appel contre les omissions ? S’il s’agissait de radiations indues, je
le concevrais, mais contre les omissions, c’est ce qui ne me paraît pas
admissible. Est-ce que le commissaire de district va pouvoir dire :
« Telle personne ne réclame point, nul ne
réclame pour elle, mais moi je réclame. » Il me semble, messieurs, que ce
serait aller trop loin, alors surtout que l’on n’a pas voulu admettre la loi
que j’avais proposée dans le temps, et d’après laquelle un commissaire
d’arrondissement n’aurait pas pu être élu dans son propre district. Le
commissaire de district pouvant se porter lui-même candidat, et ayant ainsi un
intérêt très actif à faire prévaloir, il serait à craindre qu’il n’abusât de
l’influence considérable que la disposition en discussion lui accorderait. Je
veux bien que, comme citoyen, le commissaire
d’arrondissement ait le même droit que les autres citoyens, mais je ne veux pas
lui donner, en raison de ses fonctions, le droit de faire porter sur les listes
électorales les personnes qui auraient été omises. J’admets, je le répète,
qu’il puisse réclamer contre les inscriptions indues ; contre les radiations
indues, mais je crois qu’il est inutile et dangereux de lui donner le droit de
réclamer contre l’omission d’une personne qui ne réclame pas et pour laquelle
d’autres ne réclament pas.
M. Devaux. - Je ne m’occuperai pas, messieurs, des amendements présentés. Tous ces
amendements me paraissent des palliatifs à un détestable principe ; je ne veux
pas que la discussion de ces amendements fasse perdre de vue le fond de
l’article, c’est du principe de l’article que je vais parler. Cet article est
un de ceux qui décèlent toute la partialité de la loi, qui auront pour résultat
de donner des avantages très grands à une seule opinion et un désavantage très
grand à l’autre opinion.
M. Dumortier. - Avantage pour l’opinion du gouvernement.
M. Devaux. - Oui pour l’opinion du gouvernement, quelle qu’elle soit, pour l’opinion
du commissaire de district. Veut-on dire que ce n’est pas une faveur pour une
seule opinion, toujours la même à tout jamais, que dans les élections
prochaines la faveur sera pour telle opinion, mais aux élections suivantes elle
pourra être pour l’autre opinion.
Un membre. - C’est de l’impartialité.
M. Devaux. - Je ne veux pas de cette impartialité qui agit aujourd’hui au profit de
telle opinion et demain au profit de telle autre, mais toujours au profit d’une
seule et au détriment d’une autre. Ce n’est pas là de l’impartialité ; c’est de
la partialité qui change de couleur, mais c’est toujours de la partialité.
La disposition qui nous occupe renverse le principe
que l’on a eu en vue lorsqu’on a rédigé la première loi électorale ; dans la
loi électorale qui nous régit aujourd’hui, on a eu le plus grand soin d’écarter
toute intervention officielle des agents du gouvernement. Les listes doivent
être proposées par les administrations communales ; on n’a pas même voulu
décider que ce serait par les chefs des administrations communales. A la
différence de ce que l’on fait dans les autres pays, on n’a pas même voulu que
les bureaux provisoires fussent formés par les agents du gouvernement. Qui
a-t-on pris ? Les conseillers communaux fonctionnaires électifs et, en second
lieu, les membres de l’ordre judiciaire, c’est-à-dire, ce qu’on a pu trouver de
plus indépendant dans le pays. Une vérité qui a toujours été reconnue dans la
chambre, par toutes les opinions, par tout le monde, c’est que les élections
doivent être vraies ; c’est qu’il ne faut pas donner au gouvernement par la loi
le moyen de les fausser. On peut être partagé d’avis sur le rôle que le
gouvernement peut jouer dans les élections, comme influence, comme représentant
d’une opinion ou d’un parti, mais on a toujours généralement voulu que les
élections se fissent au dehors de l’action officielle du gouvernement. Jamais
on n’a voulu que la loi elle-même donnât à ses agents des armes pour y faire
triompher une opinion.
Eh bien, ce qu’on propose aujourd’hui, c’est tout le
contraire de ce que chacun avait voulu jusqu’à présent ; on demande qu’un agent
du gouvernement intervienne officiellement dans les élections, dans la
formation des listes, c’est-à-dire dans la base des élections.
Et cet agent, c’est le commissaire d’arrondissement
; or, il n’y a pas dans le pays de fonctionnaire plus politique que le
commissaire d’arrondissement ; si, agissant comme parti, comme opinion, le
gouvernement a un agent électoral, c’est bien certainement le commissaire
d’arrondissement ; le gouvernement n’a pas dans les districts d’agent qui ait
un caractère aussi politique. S’il en fallait une preuve, il n’y aurait qu’à
voir la couleur des nominations de commissaires d’arrondissement qui ont été
faites depuis un certain nombre d’années ; il n’y a pas de nomination
administrative où la couleur du ministère se réfléchisse plus fidèlement que
dans les nominations de commissaires d’arrondissement.
Il y a dans cet article une double partialité ;
l’une est l’œuvre du gouvernement, l’autre est celle que la section centrale
veut consacrer par le § 1er.
Pour la vérification des listes, il y a dans notre législation
une grande difficulté : c’est que les délais sont trop courts ; notre système
électoral, en ce qui concerne la vérification des listes, est réellement
défectueux, à cause de la brièveté des délais ; quand on voudra arriver à un
système électoral vrai, il faudra qu’on prolonge les délais ; ce n’est pas un
délai d’un mois, mais de 4 ou 5 mois, qui est nécessaire.
Cette brièveté des délais augmente beaucoup, pour
les particuliers, les difficultés de la vérification des listes. Quelles
démarches, quelles recherches ne faut-il pas en effet pour parvenir à un
contrôle des listes électorales. Aussi, nos listes n’ont-elles jamais été très
soigneusement vérifiées.
L’on veut charger de cette vérification un agent du
gouvernement qui a toutes les pièces sous les yeux, qui peut s’occuper de cette
tâche pendant toute l’année, qui est en relations avec tous les bourgmestres,
qui a, en un mot, des moyens immenses à sa disposition, et qui peut faire, en
huit jours de temps, après la publication des listes, ce que les particuliers
ne peuvent pas faire en trois mois.
J’ai remarqué, dans le discours prononcé par M. de
Theux, dans la discussion générale, combien cet honorable membre attache
d’importance à cette disposition, dont il a fait ressortir les effets. Il nous
a fait remarquer que les particuliers doivent se donner beaucoup de peine pour
vérifier les listes ; qu’il y a pour eux des frais à faire ; qu’en outre, il y
a toujours un grand désagrément pour un particulier à se poser le dénonciateur
d’un citoyen inscrit sur les listes.
Ces obstacles n’existent point au même degré pour un
fonctionnaire du gouvernement, auquel la loi impose le devoir de vérifier les
listes, et qui est forcé d’agir sous l’impulsion du ministère.
On me dit : Ce n’est qu’une intervention, une
réclamation ; c’est la députation permanente qui décide.
Cette réponse ne détruit rien. Je suppose une
députation permanente aussi impartiale que possible, et je dis que le résultat
de l’intervention du commissaire du district pourra être une très grande
partialité ; pourquoi ? Parce que la députation ne décide que sur les
réclamations qui lui sont adressées par le commissaire d’arrondissement ; la
députation pourra décider avec beaucoup de justice qu’une centaine d’électeurs
présentés par le commissaire d’arrondissement doivent être inscrits sur la
liste, et qu’une centaine d’autres, contre lesquels il réclame, doivent en être
biffés. Ce ne sera pas la députation qui sera partiale, mais le commissaire de
district qui se sera borné à faire inscrire cent électeurs d’une couleur,
tandis qu’il y en avait encore cent autres d’une autre couleur à inscrire ; qui
n’aura fait biffer que ceux qui lui déplaisent, tandis qu’il se sera abstenu de
dénoncer ceux qui n’ont pas plus de droit de figurer sur la liste, mais qui
sont de son opinion.
Quelle sera la position d’un commissaire
d’arrondissement ? Je suppose qu’il se mette lui-même sur les rangs. A moins
qu’on ne veuille que ce soit un ange descendu du ciel, cet homme pourra-t-il
mettre le même zèle à faire rayer de la liste électorale des citoyens qui y
sont portés indûment et qui sont disposés à lui donner leurs voix, qu’à en
faire disparaître ses adversaires ?
Je suppose encore qu’un ministre se mette sur les
rangs ; son élection dépendra du vote d’une vingtaine d’électeurs qui n’ont pas
droit de figurer sur la liste ; le commissaire d’arrondissement le saura, mais
viendra-t-il proposer à la députation de rayer ces 20 électeurs du vote
desquels dépend l’élection du ministre ? Vous trouverez des commissaires d’arrondissement
de cette trempe ; mais sera-ce la règle générale ?
N’avons-nous pas des faits récents pour nous
apprendre ce qui arrivera sous l’empire d’une disposition semblable ? Voyez
l’enquête faite par 1e gouverneur de la province de Liége : des fraudes ont été
commises dans le district de Liége ; tout le monde le sait ; sont-elles
dénoncées par le gouverneur de Liége ? Oui, elles sont dénoncées quand il
s’agit de fraudes commises par des personnes qui ne sont pas de son opinion ;
mais les fraudes de cette année, les dénonce-t-il dans l’enquête ? Non,
messieurs, et ce rapport du gouverneur est probablement fait d’après un rapport
du commissaire de l’arrondissement. Je vous le demande, quand il s’agira de
réclamations à porter devant la députation permanente, ces fonctionnaires
seront-ils plus impartiaux qu’ils ne l’ont été devant le gouvernement et la
chambre ?
Dans beaucoup de localités, personne n’en peut
douter, les commissaires d’arrondissement n’oseront pas dénoncer certaines
fraudes, et n’en signaleront que lorsqu’elles seront le fait d’une certaine
opinion.
Comme je le disais tout à l’heure, j’admets que les
listes n’ont jamais été bien vérifiées, qu’il y a probablement depuis longtemps
des inexactitudes, mais vous admettrez avec moi que la plupart de ces erreurs
sont le résultat de la négligence administrative. Aussi n’ont-elles pas été
faites au profit d’une opinion. Maintenant placez en face de ces listes un
commissaire d’arrondissement dévoué à une seule opinion, il arrivera qu’on en
retranchera tous ceux qui y ont été portés par erreur et qui sont d’une opinion
contraire à celle du commissaire d’arrondissement, mais qu’on laissera
subsister les noms de la couleur du commissaire de district. Et la même
partialité se reproduira pour les inscriptions nouvelles que ce fonctionnaire
réclamera. Remarquez de plus qu’une fois que la députation aura prononcé sur
les réquisitions du commissaire d’arrondissement, fût-il démontré clair comme
le jour qu’elle a laissé surprendre sa religion, personne ne pourra plus
réclamer auprès d’elle, les délais étant expirés.
En France, les agents de l’autorité exercent une
certaine intervention dans la formation des listes, mais après eux il reste
toujours le recours aux tribunaux ; rien n’est fait définitivement, tant que
les tribunaux n’ont pas prononcé. D’ailleurs, j’ajoute ici en passant, qu’en
France, les préfets et les sous-préfets sont exclus de la chambre.
Il est donc évident que le projet de loi introduit
dans la formation des listes une grande partialité en faveur d’une opinion. On
lui constitue un avocat payé, qui agit sans frais à son profit et qui a à sa
disposition des moyens que les particuliers n’ont pas.
D’un autre côté, que fait le paragraphe premier
ajouté par la section centrale ? comme si ce n’était
pas assez de cette partialité, le paragraphe premier vient diminuer encore le
peu de facilités qu’avaient les particuliers pour réclamer. D’après la loi
actuelle, il n’est fixé aucun délai aux particuliers pour réclamer auprès de la
députation. Malgré cela, ainsi que je vous le disais tout à l’heure, les
élections sont si rapprochées de l’époque de la formation des listes, que le
temps leur manque pour les vérifications. Mais que fait la section centrale ?
Elle ne donne plus aux particuliers qu’un délai de 10 jours pour réclamer
auprès de la députation ; mais c’est une dérision qu’un délai de 10 jours pour
vérifier les listes dans tout un arrondissement électoral, Il est impossible
que les particuliers, sans aucun des moyens dont dispose le commissaire
d’arrondissement, puissent faire cette vérification en aussi peu de temps.
Ainsi, l’on se montre partial en faveur d’une opinion en augmentant
considérablement les moyens de contrôle, et de l’autre, on ôte à l’opinion
contraire les moyens de contrôle qu’elle possède.
Le commissaire d’arrondissement pourra consulter
d’avance les rôles de contribution ; il peut les avoir dès qu’ils sont
confectionnés dans les bureaux des receveurs qui les lui communiqueront. Il est
en rapport constant avec les bourgmestres ; il ne devra pas attendre que les
listes lui soient transmises, il a tous les éléments, il connaît les individus,
mais les particuliers ne connaissent pas les électeurs d’un district entier ;
et il est à remarquer que la liste sur laquelle doivent porter les investigations
des particuliers, n’est pas même publiée, elle repose dans le bureau du
commissaire d’arrondissement ; et vous ne donnez pas même 10 jours pour
examiner la liste. Je vais le prouver.
La section centrale ne fait pas partir le délai du
jour où la liste est communiquée au commissaire d’arrondissement, mais de la
veille.
Avant que le particulier puisse examiner la liste,
il faut cependant qu’elle soit chez le commissaire de district. Il faut pour
cela au moins 24 heures ; des 10 jours il ne vous en reste que neuf. En vertu
de la loi de 1834, qu’on m’a rappelée tout à l’heure, et que je viens
d’examiner, les notifications pour radiations opérées par l’administration
communale ne sont faites aux intéressés que 48 heures après la clôture du
délai. Voilà encore deux jours à ôter. Il faut aller copier la liste des
électeurs chez le commissaire d’arrondissement, une liste de plusieurs milliers
d’électeurs. Cette liste sera-t-elle toujours accessible ? Un électeur, deux
électeurs d’une opinion contraire pourront se trouver en possession de la
liste, occupés à la copier, et prolonger leur travail ; que ferez-vous ? Vous
n’avez plus que sept ou huit jours pour réclamer. Est-ce en sept jours que vous
pourrez faire toutes les recherches pour découvrir les irrégularités et vous
procurer les pièces qui les établissent ? En vérité, dites dans votre loi que
le gouvernement fera les listes électorales comme il voudra, et que personne
n’aura plus le droit de réclamer ; ce sera plus franc.
En France, ce n’est pas pendant dix jours, pendant
un mois, c’est pendant toute l’année qu’on a le droit de réclamer devant les
tribunaux. A tel jour, tel mois de l’année que l’on s’adresse aux tribunaux, on
obtient justice des erreurs que peuvent présenter les listes.
Vous dites que vous décidez la permanence des listes
et c’est avec de pareilles garanties !
En France, les listes sont déclarées permanentes
aussi, cela n’empêche pas les décisions des tribunaux d’intervenir. Si vous
voulez des listes permanentes, prenez des mesures pour que leur confection soit
impartiale, et donnez aux citoyens des moyens réels de vérification. Par les
dispositions de votre loi, le commissaire de district seul pourra réellement
vérifier. On dit que si on donne plus de temps aux
citoyens pour les vérifications, le recours en cassation sera sans effet. C’est
sans doute une chose très fâcheuse que l’opinion de la cour de cassation ne
puisse quelquefois arriver qu’après les élections. Mais faut-il, pour avoir un
recours en cassation, empêcher les électeurs de réclamer ? Est-ce là un moyen
de leur rendre justice ? A la vérité, vous leur donnez des juges de plus, mais
vous leur empêcher les moyens de plaider.
Je rejette donc le § 1er, aussi bien que le reste de
l’article, il est tout aussi exorbitant et ne fait qu’y ajouter une partialité
de plus.
M. de Theux. - Je ne reproduirai pas les observations que j’ai présentées dans la
discussion générale pour justifier la faculté donnée aux commissaires de
district de former appel auprès de la députation permanente. Je me bornerai à
rencontrer quelques-unes des objections qui viennent d’être faites par
l’honorable préopinant. D’abord il convient que les listes électorales sont
imparfaites. Cet aveu est important. Il suffira de reproduire ici le fait que
j’ai avancé dans la discussion générale, et qui a été confirmé dans la séance
d’hier par l’honorable M. Lejeune, que trois communes dans un seul
arrondissement avaient indûment porté sur la liste électorale plus de cent
individus, et cela sur une liste de 192 noms. Ce seul fait en dit plus que tout espèce de raisonnement qu’on pourrait produire. Aussi
l’honorable M. Lejeune avait-il dit, dans la discussion incidente qui a amené
la présentation du projet dont la chambre est saisie, qu’il conviendrait que le
commissaire d’arrondissement pût former appel contre les irrégularités des
listes électorales. L’opinion de M. Lejeune, je vous prie de le remarquer, est
ici complètement désintéressée ; car s’il fait partie de cette chambre, il
n’est pas élu par l’arrondissement où il exerce ses fonctions de commissaire
d’arrondissement.
M. Rogier. - Il pourrait l’être.
M. de Theux. - Oui, mais il ne l’est pas, il est donc complètement désintéressé dans
cette question.
L’honorable préopinant a fait ressortir l’importance
que j’ai attachée dans la discussion générale à l’admission du principe nouveau
consacré par le projet de loi. Les difficultés qu’il y a à faire compléter les
listes ou rayer les individus n’ayant pas le droit d’y être portés, les frais
et les désagréments d’une action à intenter la plupart du temps à des habitants
d’une même commune, pour les faire rayer de la liste sur laquelle ils sont
indûment portés ; ce sont ces motifs qui me font persister à soutenir que
l’intervention du commissaire de district est très utile, et qu’elle est même
nécessaire, au moins quant aux radiations. Je ne la considère pas comme devant
être exercée d’une manière arbitraire. Je considère la loi comme imposant un
devoir au commissaire de district. C’est sous ce point de vue que j’en défends
le système, à tel point que, dans mon opinion, un commissaire de district qui
ne ferait rayer que les électeurs indûment inscrits d’une opinion et
maintiendrait sur la liste des électeurs également indûment inscrits d’une
opinion favorable à la sienne, et agirait de la même façon pour l’inscription
des individus amis, manquerait gravement à ses devoirs et encourrait une grave
responsabilité. Voilà ma manière de voir, je la proclame, je ne veux de la
partialité des fonctionnaires publics au profit de quelque opinion que ce soit.
Peu importe entre les mains de qui se trouve le gouvernement, ainsi qu’on l’a
dit, c’est une chose variable dans un régime constitutionnel, l’intervention du
commissaire d’arrondissement doit être une action sincère, vraie, nullement
arbitraire.
Mais, messieurs, comment se pratiquera
l’intervention du commissaire d’arrondissement, car il faut avant tout examiner
l’application de la loi ? L’intervention du commissaire d’arrondissement aura
lieu surtout, et je dirai presque exclusivement, du chef des documents fournis
par les agents du département des finances ; c’est-à-dire que la plupart du
temps, son appel sera basé sur la discordance des listes dressées par
l’administration communale avec les renseignements contenus dans les rôles
fournis par le receveur des contributions, et certifiés conformes par le
contrôleur. Ces rôles seront envoyés à la députation permanente, corps électif
qui exercera un contrôle sur l’action du commissaire d’arrondissement, et verra
bientôt s’il apporte un esprit de parti dans l’exercice de ses fonctions.
Si les commissaires d’arrondissement interjettent
appel, du chef de renseignements particuliers qu’ils auront obtenus, ils ne
peuvent le faire qu’en joignant à l’appel les pièces justificatives qui leur
auraient été remises, car la députation ne va pas rectifier des listes sans
preuve ; il faut que l’appel soit accompagné de preuves. Cette preuve sera le
résultat des rôles ou d’autres documents écrits qui contiendront la preuve
qu’il y a omission ou inscription indue sur la liste dressée par l’autorité
communale.
Mais, messieurs, quelle que soit l’opinion d’un
citoyen qui désire que l’appel soit formé par l’intermédiaire du commissaire
d’arrondissement, il lui suffira de s’adresser à ce commissaire et de lui
fournir les pièces constatant qu’il a un droit à être porté sur la liste ou
qu’un autre n’a pas le droit de l’être, pour qu’il intervienne, Il y a donc
égalité de position. Mais, dit-on, il peut arriver que le commissaire soit
candidat aux élections dans son propre arrondissement, il aura le plus grand
intérêt à maintenir les inscriptions indues de ceux qui lui sont favorables et
à ne pas suppléer aux omissions faites par l’autorité communale de ceux qui lui
seraient contraires. Mais le commissaire sera dans tous les cas obligé de
confronter les rôles avec les listes, qu’il s’agisse ou non de son élection.
S’il s’agissait de son élection et qu’il n’eût pas tiré parti des renseignements
contenus dans les rôles, pour infirmer les listes dressées par l’autorité
communale, ce commissaire aurait forfait à son devoir, il devrait s’attendre
aux conséquences qu’il se serait justement attirées.
Mais, messieurs, le commissaire d’arrondissement
n’a-t-il pas, sous l’empire de la loi actuelle, au moins indirectement, les
facilités que la loi nouvelle lui donne ? Sil s’agissait de son propre intérêt,
c’est sur ce fait qu’on a insisté, je dis que le commissaire serait dans une
position plus favorable sous la loi actuelle que sous la loi nouvelle, car, par
la loi nouvelle, il sera obligé d’intervenir alors que son intervention aurait
des conséquences fâcheuses pour son élection, tandis que, dans la loi actuelle,
il ne doit intervenir en aucune manière. Il n’aurait qu’à s’entendre avec un de
ses administrés jouissant de ses droits civils et politiques et le charger de
faire des réclamations contre ceux qu’il désire voir écarter des listes. Cet
argument qu’on a présenté comme décisif ne l’est nullement, il justifie au
contraire la disposition.
Ce que je viens de dire d’un commissaire de district
agissant dans son intérêt s’applique, à plus forte raison, à un commissaire
agissant dans l’intérêt d’un candidat de son opinion.
D’ailleurs, messieurs, il y aura toujours une
publicité quelconque, touchant l’action des commissaires d’arrondissement.
Cette publicité existera par le fait seul de l’envoi des documents à la
députation.
On a fait une seconde objection. On a dit : le
projet actuel à l’amendement de la section centrale diminue la facilité que les
particuliers ont, sous l’empire de la loi actuelle, de former des réclamations
; on a dit : Le projet fixe un délai pour les particuliers, et sous l’empire de
la loi de 1831, il n’y avait pas de délai. C’est une erreur capitale, c’est
précisément le contraire ; sous l’empire de la loi de 1831, aux termes de
l’art. 8, le particulier qui veut faire rayer un individu indûment porté sur la
liste qui est affichée, ou une personne omise qui veut s’y faire inscrire, n’a
que quinze jours à dater de l’affiche ; mais ce délai, le projet ne l’ôte, en
aucune manière, au particulier ; la disposition de l’art. 8 demeure, subsistera
dans sa pleine vigueur. Mais voici ce que le projet accorde au particulier ;
c’est pour le cas où il n’aurait pas pu ou voulu adresser sa réclamation
directement à l’autorité communale dans le délai de 15 jours à dater de
l’affiche, on lui accorde un nouveau délai de 10 jours, et cette fois-ci il
peut porter directement sa réclamation devant la députation permanente, sans
passer par l’autorité communale.
Mais aux termes de la loi de 1831, pour être
recevable à former appel auprès de la députation, il fallait avoir, dans le
premier délai de quinze jours, adressé une réclamation à l’autorité communale.
Vous voyez donc que le projet actuel facilite au contraire l’action des
particuliers.
Seconde observation. La loi de 1831 n’accorde une
intervention aux particuliers que dans le cas d’une inscription indue ; mais
s’il s’agit d’une omission, l’intéressé a seul le droit de réclamer. La loi
actuelle donne à tous le droit d’intervenir, du chef d’une omission, de même
qu’au commissaire d’arrondissement. Vous voyez donc que les positions sont
égales entre les citoyens exerçant leurs droits civils et les commissaires
d’arrondissement.
Je pense, messieurs, avoir brièvement rencontré
toutes les observations. Je dirai maintenant quelques mots sur l’amendement de
M. Mercier.
Le paragraphe premier porte :
« Dans tous les cas où l’appel sera formé du
chef d’omission ou de radiation indues, l’appelant fera déposer au secrétariat
de la commune où l’intimé a son domicile, et dans les vingt-quatre heures à
partir de la notification, une expédition des pièces relatives à l’appel. »
Messieurs, je pense que cet amendement peut être
utile, si l’appel est dirigé contre une omission ; mais qu’il est inutile s’il
s’agit de radiations indues. En effet, lorsqu’il s’agit d’une radiation indue
les noms ont déjà été portés sur la liste qui a été affichée par
l’administration communale ; et ce n’est que par suite de réclamations que
l’administration communale a rayé ces noms. L’action de l’administration
communale est épuisée, et il est inutile, en cas d’appel contre sa décision de
faire une nouvelle notification et de procéder à une nouvelle affiche.
L’amendement ne peut avoir d’utilité qu’en cas
d’omission, car l’autorité communale n’a pas eu à statuer une première fois sur
l’inscription omise. Il suffirait donc de mettre :
« Dans tous les cas où l’appel sera formé du
chef d’omission sur la liste affichée, conformément aux dispositions de l’art.
5 de la loi du 3 mars 1831, l’appelant fera déposer au secrétariat de la
commune, etc. »
J’appelle votre attention sur cette observation. Il
y aurait double emploi en ce qui concerne les radiations ; il est inutile de
communiquer les pièces à l’administration communale, pièces sur lesquelles elle
a déjà statué.
Un membre. - Mais pour les électeurs ?
M. de Theux. - Mais la loi actuelle n’exige pas, lorsqu’il s’agit de l’appel contre
une décision de l’administration communale, la publicité des pièces ; on n’a
jamais reconnu qu’il y eût d’inconvénients aux dispositions existantes, en ce
qui concerne les appels pour radiation.
Le § 2 porte :
« L’administration communale fera immédiatement
afficher, dans la forme prescrite par l’art. 8 de la loi du 3 mars 1831 et par
le § 2 de l’art, 4 de la loi du 25 juillet 1834, n° 604, et, en outre, publier
dans un journal du district, ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la
province, les noms des intimés du chef d’omission ou de radiation indues ; les
noms resteront affichés pendant huit jours. »
Je demande également la suppression des mots : ou de radiation indue.
Je fais remarquer en outre que, d’après tels
articles, il y aurait cumul de publicité, publicité par voie d’affiche et
publicité par voie des journaux. Ce cumul est inutile : il n’est pas exigé par
les lois actuelles ; l’affiche est le seul moyen de publicité exigé, soit qu’il
s’agisse de la liste principale, soit qu’il s’agisse de la liste
supplémentaire.
Peu m’importe, du reste, le moyen de publicité que
l’on emploie, soit l’affiche, soit la voie des journaux ; mais, je le répète,
le cumul est inutile.
Le § 3 porte :
« Chacun pourra prendre inspection des pièces
relatives à l’appel, au secrétariat de la commune. »
Je n’ai pas d’objection à faire à ce paragraphe.
« § 4. Tout individu jouissant des droits civils est
politique pourra, dans les huit jours, à dater de l’affiche des noms,
intervenir dans l’instance d’appel. L’intervention sera notifiée aux
intéressés. »
Je ne vois pourquoi l’intervention d’un particulier
dans un appel formé auprès de la députation permanente. Le but qu’on doit
obtenir, c’est que chacun puisse faire connaître ses observations à l’autorité
communale qui en fera part à la députation permanente, ou qui lui adressera
d’office des observations, s’il y a lieu.
Je ne vois aucune espèce de nécessité à cette
disposition.
« § 5. Le commissaire de district pourra,
d’office, dans les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel
auprès de la députation permanente, contre toute inscription, omission ou
radiation indues, en joignant les pièces à l’appui, ainsi que la preuve qu’il a
été notifié à la partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre, à
partir de la notification. »
Messieurs, ce n’est pas seulement
le commissaire d’arrondissement qui doit renvoyer à la députation les pièces
justificatives de son appel mais il faut que la même obligation soit imposée à
tout individu qui formera un appel en son nom, il ne faut pas de privilège pour
un particulier qui interjetterait un appel à la légère ; il faut qu’il joigne
les pièces justificatives de l’appel pour que la députation puisse juger sur
pièces écrites ; il ne faut donc pas établir de distinction.
M. Malou, rapporteur. - Le numéro 2 de l’amendement de M. Mercier est le paragraphe proposé par
le gouvernement. En accordant l’appel aux commissaires d’arrondissement, comme
aux particuliers, il faut qu’ils joignent à cet appel la preuve qu’il a été
notifié.
M. de Theux. - Il faut dans tous les cas les pièces justificatives de l’appel. La députation
doit pouvoir juger sur pièces, et non pas sur une simple assertion.
L’honorable M. Dumortier a
demandé pourquoi les commissaires interviendront dans les omissions ; il
voudrait que leur intervention se bornât aux cas d’inscriptions ou de radiations
indues.
L’intervention des commissaires d’arrondissement
n’est pas plus dangereuse dans un cas que dans l’autre, puisque dans tous les
cas leur action pourra être contrôlée.
Je n’en dirai pas davantage pour le moment sur cet
amendement.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j’ai déjà dit à la
chambre par quelle série d’idées j’avais été amené à vous proposer de consacrer
une sorte d’intervention en faveur de l’autorité publique dans la révision des
listes électorales. Plusieurs fois l’impuissance du gouvernement avait été
signalée, plusieurs fois on avait même semblé exprimer des regrets au sujet de
cette impuissance. Je vous propose aujourd’hui de la faire cesser.
Cette intervention accordée à l’autorité publique,
il ne faut pas l’exagérer ; et je crois qu’on l’exagère singulièrement. Cette
intervention se fait par voie de réquisition ; c’est à quoi elle se borne.
Vous voyez donc que supposer que les commissaires de
district vont établir une espèce de fabrique d’électeurs, c’est réellement ne
pas avoir lu le texte de la loi.
Les commissaires de district agissent par voie de
réquisition devant la députation permanente ; leur appel doit être appuyé de
pièces.
De deux choses l’une, messieurs, la députation
permanente, statuant sur l’appel, donnera gain de cause au commissaire de
district appelant, ou bien statuera dans un sens opposé à celui qui a engagé le
commissaire de district à agir.
Si la députation permanente décide que oui,
c’est-à-dire dans le sens du commissaire d’arrondissement, de quoi se plaint-on
? Il se trouve que le commissaire d’arrondissement a eu raison d’interjeter
appel. Si la députation permanente statue que non, et si une décision de ce
genre n’est prise qu’une fois, le commissaire de district ne sera pas suspect
pour s’être trompé une fois. Mais si un commissaire de district éprouvait cette
espèce d’échec un grand nombre de fois devant la députation permanente, je dis
que ce fonctionnaire public se compromettrait gravement. Je pense, quant à moi,
que tous les commissaires d’arrondissement y réfléchiront avant d’interjeter
appel légèrement.
Un membre. - Si c’est le ministre qui le pousse ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Si c’est le ministre qui le
pousse, la responsabilité retombera sur le ministre.
J’entends dire : Vous êtes à côté de la question. Je
dis que ceux qui ont raisonné devant vous comme s’il s’agissait d’une
inscription d’office par le commissaire d’arrondissement, sont à côté de la
question.
Messieurs, il n’y a pas ici d’inscription d’office ;
il n’y a pas de fabrique d’électeurs. Il ne faut pas supposer qu’au dernier
moment un commissaire de district pourra introduire, en quelque sorte
furtivement, un grand nombre d’électeurs qui lui seraient favorables, ou qui
seraient favorables à une opinion. Il ne le peut pas. Il s’adresse à la
députation permanente. Et c’est elle qui statue.
Je dis, comme plusieurs honorables préopinants, que
l’on vient en réalité au secours de l’action individuelle inerte. On vient au
secours de l’action individuelle inerte, en ce sens que si un citoyen se
présentait devant un commissaire d’arrondissement, muni des pièces constatant
qu’un tel est indûment inscrit, ce commissaire d’arrondissement interjetterait
appel ; il devrait le faire. S’il ne le fait pas, le citoyen qui s’est présenté
avec les pièces, pourra le faire. Et c’est pour cela que je désire, avec
l’honorable M. Delfosse, que le délai accordé au commissaire d’arrondissement
pour interjeter appel, soit également accordé au citoyen. Je désire que le
citoyen qui est muni des pièces nécessaires pour constater, par exemple, une
inscription indue, se présentant chez le commissaire d’arrondissement, puisse
en quelque sorte le mettre en demeure, lui dire : Voici les pièces ; agissez ;
si vous n’agissez pas, vous n’échapperez pas à l’appel ; l’opinion que vous
favorisez n’échappera pas à l’appel ; je le ferai moi-même ; car je suis dans
le délai. C’est pour que le citoyen puisse prendre cette position vis-à-vis de
l’autorité publique, que j’appuie l’adoption de l’amendement de l’honorable M.
Delfosse. Si cet amendement n’était pas adopté, alors véritablement le citoyen
muni des pièces nécessaires ne pourrait prendre cette attitude vis-à-vis le
commissaire d’arrondissement. Il arriverait peut-être au moment où le délai
pour le citoyen serait écoulé ; et alors le commissaire d’arrondissement
pourrait dire : je n’interjetterai pas appel, malgré l’évidence résultant des
pièces que vous produisez ; et je puis vous braver impunément, parce que vous
ne pouvez plus interjeter appel ; les délais sont expirés, quant à vous. Eh
bien ! je ne veux pas qu’un commissaire
d’arrondissement puisse prendre cette position vis-à-vis d’un citoyen qui lui
produirait les pièces nécessaires.
Je me suis déjà, messieurs, expliqué sur
l’amendement proposé par l’honorable M. Mercier.
L’honorable M. de Theux voit un double emploi dans
l’affiche exigée dans la commune et de plus la publication dans un journal.
J’en conviens, il y a ici deux moyens de publicité. Le premier moyen de
publicité, l’affiche, n’existe que dans les cas ordinaires. Mais n’y a-t-il pas
ici un cas extraordinaire qui justifie l’espèce de double emploi, le deuxième
moyen de publicité ? L’affiche est sans doute un moyen de publicité ; mais
c’est, je dois le dire, un moyen de publicité tout à fait local, un moyen de
publicité un peu obscur, je dois le dire, quoique ces deux mots doivent être
étonnés de se trouver ensemble.
Le moyen de publicité par la voie du journal est un
moyen bien plus étendu et bien plus certain ; je pense donc que nous pouvons
adopter le second moyen de publicité, que la publicité par les journaux sera
une espèce de frein pour l’autorité publique. Et j’admets qu’il faut des freins
aux agents de l’autorité publique.
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Ainsi, pour ma part, je
persiste à adopter cette partie de l’amendement de l’honorable M. Mercier.
Je propose aussi d’adopter le premier amendement de
l’honorable M. Delfosse, quant aux délais.
Messieurs, je ne puis assez le
répéter : que l’on ne perde pas de vue qu’il ne s’agit pas ici de donner aux
commissaires d’arrondissement le droit d’inscription d’office ou de radiation.
Il s’agit de lui donner une intervention par voie de réquisition, rien de plus.
Sa conduite sera définitivement jugée, elle sera appréciée par le résultat des
décisions de la députation permanente. De deux choses l’une : ou la députation
statuera en lui donnant raison, et dès lors, de quoi se plaint-on ? Où la
députation statuera en lui donnant tort, et dès lors, je n’hésite pas à dire
que si un commissaire de district éprouvait souvent des échecs de ce genre, il
serait gravement compromis et devant le pays, et devant le gouvernement
lui-même.
M. Verhaegen. - Messieurs, voilà donc le prix auquel nous devons payer la disposition,
inefficace d’après moi, de l’art. 2 que nous avons voté
hier. Je me trompe, ce n’est encore qu’une partie du prix, mais cette partie
déjà est énorme.
Je le dis sans détour, si la disposition
actuellement en discussion passe, certaine opinion est maîtresse du terrain
électoral :
Messieurs, ce qu’on nous demande, c’est de donner les
mains à un véritable coup d’Etat, c’est de substituer le fait au droit ce qu’on
nous propose, c’est une violation de la constitution.
J’ai toujours pensé que les trois pouvoirs devaient
être indépendants ; j’ai toujours cru que les sources de ces pouvoirs devaient
rester pures et qu’elles ne pouvaient pas se confondre. Eh bien, on aura beau
prendre des précautions oratoires, ce que l’on veut, c’est de corrompre les
sources du pouvoir législatif et d’amener ainsi une confusion entre ce pouvoir
et le pouvoir exécutif. Si le pouvoir exécutif intervient dans les élections,
il concourt nécessairement à la formation du pouvoir législatif, et dès lors ce
dernier pouvoir ne conserve plus dans sa source l’indépendance que lui assure
la constitution.
En vain, M. le ministre de l’intérieur nous dit-il
que l’on n’accorde au pouvoir exécutif dans la personne de commissaires de
district qu’un droit de réquisition. Mais ce droit de réquisition amène à sa
suite le droit de décision. Il emporte avec lui les conséquences les plus
graves, surtout dans les cas d’omissions sur les listes électorales.
L’honorable M. de Theux a fait valoir, comme un
argument à l’appui de son opinion, ce que nous avait dit, dans une séance
précédente, l’honorable M. Lejeune ; d’après lui, une foule d’individus qui ne
payent pas le cens figurent sur les listes électorales et y ont été portés
d’office ; d’où la nécessité de faire intervenir le commissaire de district.
Mais, messieurs, l’observation de l’honorable M. de
Theux en nécessite une autre de ma part ; et quand on se pénétrera bien de
l’esprit de la loi que nous discutons, on aura la conviction que tout, dans les
élections, sera laissé à l’arbitraire du pouvoir exécutif.
Les listes sont formées par le collège des bourgmestre et échevins. Mais si un bourgmestre porte
sur une liste des individus qui n’ont pas le droit d’y être, quelle sera sa
position ? On ne pourra lui appliquer aucune peine, car la loi n’en prononce
point contre une pareille infraction, et cependant celui qui porte sur une
liste électorale un individu qui ne paie pas le cens, ne peut pas se disculper
en invoquant une erreur, car il se trouve dans une position toute différente de
celle où il se serait trouvé s’il avait oublié de porter sur la liste un homme
qui paie le cens et qui a le droit d’y être. Une affirmation et une négation ne
peuvent pas être mises sur la même ligne.
Ainsi un bourgmestre, sans s’exposer à aucune peine,
fera figurer sur les listes électorales des individus ne payant point le cens,
et le commissaire de district, agent du gouvernement, ayant connaissance de ces
inscriptions indues, appellera ou n’appellera pas, suivant que cette fraude
aura été commise au profit de telle ou de telle opinion, car telle opinion est
aujourd’hui au pouvoir, telle autre y sera demain, et dans ces différentes
positions, le commissaire de district fera pour les uns ce qu’il ne fera pas
pour les autres.
Cette intervention ne présente aucun danger, dit-on,
parce qu’elle se borne à une simple réquisition. Mais, messieurs, il ne faut
pas tant fixer votre attention sur le cas où le commissaire de district
appellera, que sur celui où il n’appellera pas. Le danger consiste en ce qu’il
appellera dans tel cas et n’appellera pas dans tel autre.
« Mais, ajoute-on, le commissaire de district
connaîtra son devoir, et si le commissaire de district se permettait de faire
des appels téméraires, ou s’il négligeait d’appeler quand les circonstances
l’exigent, alors le gouvernement, qui aurait connaissance de sa négligence ou
de sa partialité, lui ferait d’abord des injonctions, et si elles restaient
sans effet, il emploierait d’autres moyens pour faire cesser l’abus. »
Mais, messieurs, le gouvernement qui aurait intérêt à ce que le commissaire de
district agît dans tel ou tel sens, se garderait certes bien de le réprimander
; au contraire, il lui saurait gré de son dévouement, et la conduite de
l’honorable M. Nothomb nous en a fourni plus d’une preuve.
Le gouvernement sévirait ou ne sévirait pas, suivant
les circonstances ; il sévirait dans le cas où le commissaire de district, en
ne remplissant pas son devoir, aurait contrarié les intérêts du ministère, il
ne sévirait pas au contraire lorsque sa négligence ou son abstention lui aurait
été utile.
« Mais il faut avoir confiance dans les commissaires
de district, » et c’est l’honorable M. de Theux qui nous tient ce langage !
Messieurs, nous avons, dans cette enceinte, des collègues commissaires de
district, qui sont dignes de notre estime.
Aussi n’est-ce pas à eux que je veux faire allusion
; mais je vous avoue qu’il en est d’autres dans lesquels je n’ai pas la même
confiance ; pour ne vous en donner qu’un exemple, je vous dirai que l’honorable
M. de Theux, quelques jours avant sa retraite, a nommé aux fonctions de
commissaire de district un homme flétri par la justice, et cet homme est encore
en fonctions. Je ne citerai pas de nom propre, je n’indiquerai même pas la
province, mais tout le monde sait de qui je veux parler, et l’honorable M. de
Theux surtout ne pourra pas se méprendre sur mes paroles ; et ce serait de
pareils hommes qu’il faudrait faire intervenir dans la formation des listes
électorales ? Où donc allons-nous ?
M. de Theux. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Ensuite la presse vous a appris, il n’y a pas bien longtemps, quelle
est l’impartialité de certains commissaires de district ; il en est un, entre
autres, qui a si bien compris ses devoirs, qui a si bien apprécié la dignité du
pouvoir civil, qui a montre tant d’impartialité pour les partis, que
relativement à la nomination d’un bourgmestre, il est allé consulter officiellement le curé du village. La
lettre qui mérite d’être lue se trouve dans les journaux d’hier, et le
gouvernement gardera-t-il le silence à cet égard ? Et l’on veut que nous ayons
confiance dans les commissaires de district, que nous nous en rapportions à
leur impartialité !
Disons-le franchement, messieurs, la disposition
dont nous nous occupons est faite pour rendre certain parti maître,
complètement maître des élections prochaines.
Je ne me fais pas illusion sur ce point, et
personne, ne pourra prendre le change.
Deux de mes honorables amis vous ont présenté des
amendements, mais j’ai l’entière conviction qu’ils ne l’ont fait que très subsidiairement,
et qu’ils ne veulent ni l’un ni l’autre de l’intervention du pouvoir exécutif
dans les élections. L’honorable M. Delfosse s’en est expliqué formellement, et
je suis persuadé que l’honorable M. Mercier partage la même opinion.
Je crois que si ce principe était admis, ce serait
pour eux, comme pour moi, une raison suffisante pour voter contre la loi,
indépendamment de tous les autres motifs que nous avons déjà fait valoir.
L’honorable M. Delfosse nous a signalé un grand
inconvénient. Comme il nous l’a dit, le commissaire de district aura tout le
temps nécessaire, ce sera l’avocat banal qui agira dans l’intérêt du ministère,
il agira sans frais, et il aura toutes les facilités, tandis que les
particuliers, eussent-ils même un délai de 10 jours francs, ne pourront pas
atteindre le but qu’ils doivent se proposer, dépourvus qu’ils sont des moyens
que possède l’agent du gouvernement. L’honorable M. Delfosse nous a démontré
ensuite que dans certaines circonstances il pourra se faire que le délai soit
expiré avant même que les pièces n’arrivent au commissariat de district. Il
vous a présenté à cet égard un amendement, et comment le combat-on ? En parlant
des devoirs imposés aux bourgmestres. On vous a dit qu’il faut présumer que les
bourgmestres rempliront ces devoirs, et on a ajouté que s’ils ne les
remplissent pas, ils seront destitués ; mais, messieurs, en supposant qu’il en
fût ainsi, l’élection, que deviendrait-elle ?
Un membre. - On l’annulerait.
M. Verhaegen. - Resterait à voir ce qui arriverait avec l’omnipotence de la chambre.
Croyez-vous, messieurs, que les bourgmestres,
surtout les bourgmestres des campagnes, remplissent leurs devoirs avec tant
d’exactitude et de célérité ; qu’ils se rendent immédiatement aux ordres du
gouvernement ? Mais il suffit d’interroger ceux de nos honorables collègues qui
remplissent les fonctions de commissaires de district ; ils vous diront combien
de fois ils sont obligés d’envoyer des commissaires spéciaux dans les communes,
combien de fois ils sont obligés de faire chercher les dépêches que les
administrations communales auraient dû leur envoyer depuis longtemps ? Et vous
croyez que du jour au lendemain vous aurez les listes électorales !
Maintenant, je vous le demande, messieurs, quelle
garantie donne-t-on aux électeurs en les renvoyant à des présomptions si
trompeuses, aux devoirs des bourgmestres, aux devoirs des commissaires de
district ! L’homme d’ailleurs se trouve dans une fausse position lorsqu’il est
placé entre son devoir et son intérêt. Le devoir deviendra bientôt chez les
agents du pouvoir exécutif, une chose bien fragile lorsque leur intérêt, lié à
l’intérêt du gouvernement, sera en opposition avec ce devoir.
Il y aurait, messieurs (et ceci sert de réponse à la
partie principale du discours de l’honorable M. de Theux), il y aurait une
garantie à donner contre l’inscription sur les listes électorales d’individus
qui ne paient pas le cens ; si on ne craignait pas de mettre l’homme entre sa
conscience et son intérêt, pourquoi n’exigerait-on pas de chaque personne qui
vient déposer son bulletin dans l’urne le serment qu’elle est réellement
électeur, qu’elle possède les bases du cens ?
M. Malou, rapporteur. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Il paraît que cela ne vous convient guère, messieurs. Il me semble
cependant que l’homme sincère, l’homme qui a des principes, quelles que soient
d’ailleurs ses croyances religieuses, ne fait pas un faux serment, ne forfait
pas à l’honneur.
Je soumets ces réflexions à vos méditations. Je
crains qu’elles ne reçoivent pas un appui favorable ; cependant ceux qui
veulent la sincérité des élections devraient vouloir cette garantie, qui pour
moi serait plus forte que les devoirs présumés des bourgmestres et les devoirs
présumés des commissaires de district.
Je n’ai rien entendu, messieurs, qui puisse servir de réponse aux arguments donnés à l’appui de
l’amendement de l’honorable M. Delfosse ; il m’est donc permis de dire que dans
plusieurs circonstances, et lorsqu’on le voudra, les délais seront expirés
avant que les citoyens ne puissent interjeter appel.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - J’accepte l’amendement.
M. Verhaegen. - Il y en a d’autres qui n’en veulent point.
Je crois, messieurs, qu’il est inutile de vous en
dire davantage. Il me semble que la majorité est décidée à repousser tous les
amendements que nous pourrions vous proposer ; quoiqu’il en soit, j’ai rempli
mon devoir et je termine comme j’ai commencé, en disant que je considère la
disposition qu’on nous présente comme un véritable coup d’Etat au moyen duquel
on veut s’emparer des élections prochaines.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, et moi aussi, je suis de l’opinion que la disposition dont
nous nous occupons est très importante ; je pense qu’à défaut d’une disposition
semblable, vous vous exposez à voir corrompre la source du pouvoir législatif
(pour me servir d’une expression de l’honorable préopinant). A mes yeux, du
vote qui sera donné sur l’article en discussion, dépendra la question de savoir
si l’on veut sincèrement, oui ou non, réprimer les fraudes électorales, et je
dis les fraudes électorales les plus scandaleuses ; fraudes qui ne violent pas
seulement la loi électorale, mais aussi la constitution elle-même.
Aujourd’hui, messieurs, la constitution est violée,
et elle est impunément violée, et l’on ne veut pas donner le moyen de la faire
respecter !
Voilà en deux mots toute la question, tout le débat.
Les faits qui nous ont été révélés nous apprennent
que dans certaines communes un grand nombre d’électeurs, la majorité des
électeurs inscrits sur les listes, sont de faux électeurs, sans que le moyen prévu
par la loi électorale, je veux parler de l’action populaire, ait amené
l’élimination de ces faux électeurs.
Ces faits accusent donc tout à la fois et le mal et
l’inefficacité du remède qui est prévu par la loi. Il faut donc recourir à un
autre remède. Eh bien, cet autre remède, on le repousse de toutes ses forces ;
on n’indique, d’ailleurs, aucun moyen d’y suppléer ; par conséquent, ou veut
maintenir les abus, on ne veut pas réprimer les véritables fraudes.
Quoi ! dans trois communes
seulement, sur 182 électeurs, il en est 102 qui ne paient pas le cens, et l’on
ne serait pas effrayé de pareils abus ! On ne dira pas qu’à tout prix il faut
trouver un moyen de les faire cesser !
On me dit que les citoyens étaient là, que l’action
populaire était ouverte. Mais cette action populaire, qu’a-t-elle produit ? Rien, absolument rien, puisqu’aucune réclamation
n’a eu lieu contre l’inscription de ces faux électeurs, qu’ils ont été
conservés sur la liste électorale. Vous ne pouvez pas répondre à ce fait ; il
existe, il est là….
M. de Garcia. - Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - Ainsi, il ne s’agit pas ici d’électeurs qui seraient portés sur les rôles
des contributions en vertu de déclarations reposant sur des bases qu’ils ne
possèderaient pas, fait qui a donné lieu à tant de réclamations ; mais il
s’agit d’individus qui ne paient réellement pas le cens, dont plusieurs ne
paient pas même le minimum établi par l’art. 47 de la constitution, et qui
cependant sont inscrits sur la liste électorale.
Ainsi, comme je l’ai dit, non seulement la loi
électorale, mais la constitution elle-même est violée, et elle est violée
impunément.
Maintenant vous ne voulez pas qu’il y ait un agent
quelconque qui soit chargé de veiller, dans l’intérêt général, à ce que la
constitution s’exécute, à ce qu’il ne lui soit pas porté de semblables
atteintes, à ce que, soit par négligence, soit par connivence, les villes ne
soient pas composées, en grande partie, de faux électeurs ? Apparemment que ce
n’est pas là un objet d’intérêt général, c’est une chose dont on doit prendre
peu de souci !
L’action populaire est là ; mais remarquez que cette
action populaire ne s’exerce que par les individus et dans un intérêt
individuel ou de parti. Mais qui représentera l’intérêt général ? Qui agira
dans l’intérêt général ? Qu’on réponde ; qu’on indique un fonctionnaire qui
sera chargé de ce soin ; mais on s’en garde bien, on n’en indique aucun, on
s’attache seulement à repousser celui qui est indiqué par le projet du
gouvernement. Le but est évident, c’est qu’on ne veut pas la répression des
abus.
Messieurs, j’ai écouté avec beaucoup de patience
toutes les déclamations passionnées qui ont été produites dans cette enceinte
sur les fraudes électorales ; eh bien, il n’y a rien de comparable aux faits de
fraude qui ont été signalés par l’honorable M. Lejeune, et cependant on demeure
impassible devant de pareils faits !
Là cependant, il y avait matière à plus que des
déclamations. Il semble, en vérité, qu’il y ait des abus dont on profite et
dont, pour ce motif, on ne veut pas la répression ; mais il faut être
impartial, et pour cela il faut vouloir la répression de tous les abus. Or, la
loi que nous discutons tend précisément à ce but ; le gouvernement nous a
annoncé que le but de la loi est de réprimer tous les abus en matière
électorale, et non pas seulement tels ou tels abus qui ont pu être signalés par
telle ou telle opinion dans son intérêt exclusif.
Selon moi, messieurs, d’après les faits dénoncés, il
est évident qu’il faut un contrôle de la formation des listes ; le gouvernement
nous propose ce contrôle dans l’article eu discussion, en donnant au
commissaire d’arrondissement le droit de vérifier les listes, et lorsqu’il
constatera des abus de la nature de ceux qui ont existé, de les dénoncer à la
députation permanente, qui, après les avoir vérifiés, les réprimera.
Voilà toute la loi. Il semble véritablement,
messieurs, qu’il n’y ait pas d’objection sérieuse à faire contre une semblable
proposition.
Mais, dit-on, vous chargez de ce soin un agent du
gouvernement. Mais, messieurs, dans toute autre matière, où il est question
d’agir dans l’intérêt général pour faire réprimer les abus, pour faire respecter
les lois, il me semble que c’est toujours un agent du gouvernement qui prend
l’initiative. Pourquoi voulez-vous faire une exception au cas actuel ? Mais,
dit-on, il s’agit de la formation des listes, de la source même du pouvoir
législatif. Eh bien, n’est-ce pas une raison pour désirer que ces listes soient
épurées, que si elles contiennent les noms de faux électeurs, on les en fasse
disparaître. L’objection même que vous faites tourne donc contre vous.
Mais on répond : Le commissaire de district ne fera
pas tout ce qu’il doit faire ; il ne sera pas impartial ; parce que c’est un
agent du gouvernement, il sera nécessairement partial, et parce qu’il sera
partial, il voudra exclure certains noms, et il s’abstiendra de provoquer
l’exclusion de certains autres.
Il y a plus, dit-on, cet agent sera peut-être un
candidat aux élections et alors son intérêt particulier se joindra à l’intérêt
du gouvernement lui-même, pour le déterminer à cette partialité.
Messieurs, on vous a déjà fait, sur ce point, une
réponse tout à fait péremptoire. Le commissaire qui préférerait son intérêt à
son devoir, qui serait partial, qui agirait, dans le sens qu’on a supposé,
n’aurait pas besoin de l’attribution nouvelle qui lui est faite par le projet
de loi et dont l’usage ne peut que compromettre sa responsabilité de
commissaire d’arrondissement, puisqu’en mettant de côté cette responsabilité,
il peut déjà faire ce que vous ne voulez pas qu’il fasse. Car, agissant en son
nom privé, il peut déjà choisir sur la liste les faux électeurs dont il
voudrait l’exclusion, et négliger ceux qu’il désirera conserver. Et en cela
vous n’auriez aucun reproche à lui adresser, puisque tout individu, lorsqu’il
agit comme individu, agit dans son intérêt individuel et n’a pas de compte à
rendre de ses préférences ni de ses motifs.
S’il ne veut pas même mettre son nom en jeu, il peut
aisément trouver un autre individu, jouissant de ses droits civils et
politiques, auquel il fournira les éléments nécessaires pour intenter les
actions.
Vous voyez donc que cette seule considération fait
évanouir complètement toute l’objection. La faculté dont on veut vous faire un
fantôme existe déjà, et elle existe sans aucune garantie, sans que la
responsabilité du fonctionnaire soit engagée ; sans qu’il ait un compte à rendre,
tandis que la proposition du gouvernement lui faisait un devoir d’examiner la
liste, de la contrôler, et de demander la radiation de tous les noms qui
doivent être rayés. Ce n’est plus ici l’individu qui est en jeu, c’est le
fonctionnaire en sa qualité de fonctionnaire, et sa responsabilité de
fonctionnaire se trouverait compromise, s’il manquait à son devoir.
Ainsi, bien loin que la proposition ait les
conséquences qu’on vous a présentées, vous voyez qu’elle offre des garanties
qui n’existent pas aujourd’hui.
Quant à la responsabilité de ce fonctionnaire, il y
a un contrôle établi dans la publicité et dans le droit de tout individu
jouissant de ses droits civils et politiques, de se livrer au même travail
d’épuration et de vérification des listes, qui est imposé au commissaire
d’arrondissement.
Et ce n’est pas là une garantie dérisoire. Si
réellement un commissaire d’arrondissement avait mis, dans l’exercice de ses
fonctions, la partialité qu’on a supposée, et si la députation, saisie des
appels du commissaire d’arrondissement, recevait d’autres individus des
réclamations fondées et justifiées par la comparaison même des pièces que le
commissaire d’arrondissement adressera à la députation, et que le commissaire
d’arrondissement aurait négligé de former dans un intérêt de parti, n’est-il
pas manifeste que sa partialité serait mise à découvert précisément par
l’exercice de ce contrôle qu’établit la loi en discussion ?
Ainsi, alors qu’il serait porté à négliger ainsi de
signaler les faux électeurs utiles à son parti, car vous le supposez d’un
parti, il doit penser que d’autres les signaleront et que, par suite, sa
partialité serait mise en évidence, ce à quoi il ne voudra pas s’exposer. Vous
le voyez donc, vous ne devez pas craindre cette partialité, d’autant moins
qu’aujourd’hui, en son nom privé, par lui-même, au moyen d’autres individus
jouissant de leurs droits civils et politiques, il peut déjà provoquer les
rectifications qu’il désire et faire un choix dans les radiations à opérer sur
les listes.
Mais, a-t-on dit, cette action populaire n’est pas
un contrôle suffisant, car comment voulez-vous qu’un individu puisse, dans un
délai aussi court que celui assigné au commissaire de district, examiner toutes
les listes d’un district, tous les rôles et intenter toutes les réclamations
dont cet examen peut faire reconnaître la nécessité ou l’utilité ? Ce n’est pas
un individu qui est autorisé à faire ce contrôle, ce sont remarquez-le bien,
tous les individus jouissant de leurs droits civils et politiques, c’est un grand
nombre, ce sont des milliers d’individus.
Il me semble que dans ce grand nombre de personnes,
il s’en trouvera assez pour examiner en peu de temps toutes ces listes.
Elles sont publiées dans toutes les communes avant
d’arriver au commissariat de district, elles peuvent être examinées dans toutes
ces communes. J’ai même à faire remarquer, d’après une publication récente,
qu’une opinion a pris ses mesures pour que ces listes soient examinées dans
toutes les communes, que déjà on s’occupe du travail de l’examen des listes de
l’an dernier, de sorte que quand, les listes de cette année seront publiées,
déjà un travail de vérification très considérable aura été fait sur les listes
précédentes.
L’honorable membre qui a parlé de l’impossibilité de
cet examen sait mieux que moi, sans doute, qu’il est déjà fort avancé.
Il me semble que ces observations
suffisent pour justifier mon vote, qui sera favorable à l’article en
discussion. (A demain ! à demain !)
M. Delfosse dépose un amendement ayant pour but de décider qu’en cas de partage de la
députation, l’électeur dont le droit est contesté sera maintenu où inscrit sur
la liste électorale. »
- Cet amendement sera imprimé.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.
M. de Foere (pour un fait personnel). - Messieurs,
afin de bien comprendre toute l’injustice des attaques qui ont été dirigées
contre moi dans la séance de samedi dernier, il est nécessaire de constater
préalablement les faits qui les ont provoquées. Je vous ai promis que je ne
jetterai pas de nouvelles irritations dans cette discussion. Sans manquer de
fermeté dans mes moyens de justification, je tâcherai de mettre dans ma parole
tonte la dignité exigée par les convenances parlementaires et par les justes
égards que les membres de la chambre se doivent les uns aux autres.
Pans la séance du 15 décembre dernier, plusieurs membres de la chambre
avaient qualifié de fraude électorale le paiement indu du cens électoral, dans
le but d’acquérir la qualité d’électeur. Quelques membres voulaient aussi que
le gouvernement réprimât ces actes par voie administrative.
Je soutenais, dans cette même séance, que, d’après la législation actuelle
sur la matière, ces faits ne constituaient pas de fraudes illégales. J’en
déduisais la conséquence que le gouvernement n’était armé d’aucun pouvoir légal
pour les réprimer et que les recherches et les répressions gouvernementales
auraient été arbitraires et vexatoires et auraient constitué un véritable abus
de pouvoir.
Je basai cette opinion sur le texte même de la loi électorale. En effet,
l’art. 1er de cette loi statue que, pour être électeur, il faut verser au
trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises,
déterminée dans le tableau annexé à la présente loi.
L’art. 4 de celte loi établit les diverses formes par lesquelles cette
quotité de contributions peut être constatée pour être électeur. Le cens
électoral, y est-il dit, sera justifié, soit par un extrait des rôles des
contributions, soit par les quittances de l’année courante, soit par les
avertissements du receveur des contributions.
Voilà tout ce que le texte de la loi électorale prescrit pour être électeur.
Je ne reproduirai pas les autres motifs sur lesquels j’ai fondé mon opinion.
Ils sont consignés dans le discours qui a été l’objet des attaques. Ils ont été
plusieurs fois répétés par mes amis politiques dans la discussion du mois de
décembre et dans celle-ci. Les efforts que l’opposition a faits pour soutenir
l’illégalité des fraudes sont tombés sous le poids de leur propre impuissance.
Nos adversaires ont abandonné la lutte placée sur ce terrain. Seulement je
dirai que, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, ce fut le
parti accusé de tendances contraires aux libertés publiques, qui seul défendit
ces libertés basées, en grande partie, sur le texte clair et positif de la loi.
En effet, si on abandonnait cette base, et que, dans l’exécution et dans
l’application des lois politiques, on lui substituât l’intention de ces lois,
on ouvrirait une issue continuelle à des vexations et à des oppressions
déplorables. Je ne connais que l’honorable M. Delfosse qui, dès le principe,
s’associa ouvertement et franchement à notre opinion.
Dans la même séance du 15 décembre dernier, quelques membres avaient aussi
taxé d’immoralité le paiement du cens électoral sans justifier de sa base.
J’examinai aussi cette question sous le rapport moral. Considérée sous ce point
de vue, elle se présentait à mon esprit d’une nature très délicate. La question
avait été brusquement soulevée dans la même séance par l’honorable M. Mercier.
Nous n’avions pas eu le temps de l’examiner avec toute la maturité que sa
gravité exigeait. Avant que j’eusse pris la parole, la discussion avait été
enveloppée dans une grande confusion d’idées ; elle n’avait répandu aucune
lumière propre à guider les opinions. C’est dans cette même séance que
j’exprimai des doutes formels sur la moralité du cens électoral payé sans
justifier de sa base et dans le but d’acquérir la qualité légale d’électeur.
Voici les motifs de nies hésitations. D’un côté, je fis remarquer que la
loi accorde au contribuable le droit d’évaluer lui-même les bases de la plupart
de ses contributions qui forment le cens électoral. Dans la première partie de
mon discours, j’avais invoqué deux principes reconnus et pratiqués par les
jurisconsultes de tous les pays gouvernés par de vraies institutions libérales.
Le premier de ces principes était : inclusio unius est exclusio alterius. La loi électorale avait défini et énuméré les
fraudes. Celles que la loi avait prévues pouvaient seules, de droit, être
taxées de fraudes illégales. L’antre principe était que, relativement à
l’obéissance aux lois politiques, tout citoyen accomplit ses devoirs envers
l’Etat en se conformant aux prescriptions textuelles de ces lois et que
l’intention de ces mêmes lois n’entrait, en aucune manière, quant à leur
accomplissement, dans les attributions du pouvoir civil. Je soutenais comme je
l’ai déjà dit, qu’admettre le principe contraire, c’était ouvrir la voie à des
erreurs, à des abus et à des oppressions interminables. Je savais que ce
principe était admis, même sous le rapport moral, en Angleterre par la jurisprudence
parlementaire et politique; j’appuyai, dans l’espèce, cette opinion sur
l’admission incontestée au parlement du célèbre Canning ,
au moyen de titres fictifs, et, par conséquent, contre les intentions et les
principes de la loi anglaise, qui demande des garanties à la possession.
J’avais aussi l’intime conviction que les sept huitièmes de la population de
tous les pays n’ont ni le temps, ni la capacité de se rendre compte des
intentions des lois, et que, pour eux, la seule règle qu’ils aient pour
accomplir leurs devoirs civils et politiques, c’est le texte ad la loi. Combien
faut-il payer de contributions pour être électeur? Autant ; tel est le langage
pur et simple, et presque général.
D’un autre côté je ne me faisais pas illusion sur les intentions et le but
de la loi électorale, ni sur le respect et l’obéissance dus à l’esprit et au
but de toute loi; mais j’étais dans la ferme persuasion que, si des
déclarations fictives avaient eu lieu, elles avaient pu être faites de bonne
foi par les motifs que je viens d’alléguer.
Telle était la situation de mon esprit, lorsque j’exprimai, en décembre,
mes doutes sur la moralité de la question. Dans l’intérêt du fond de cette
question, comme dans celui des absents qui furent virulemment attaqués, je
croyais avoir porté la probité parlementaire jusqu’à ses dernières limites de
délicatesse.
Je ne fus pas jugé ainsi par l’honorable M. Lebeau, dans la séance de
samedi dernier. Selon lui, mes doutes
n’étaient qu’une précaution oratoire, peu conciliable avec les théories que
j’avais exposées.
Telle est la première accusation acerbe et peu parlementaire dirigée contre
moi et contre laquelle je dois à ma probité et à mon honneur de me défendre. Je
vous ai promis, messieurs, que je ne jetterais pas de nouveaux brandons
d’irritation dans cette assemblée. Je n’entrerai dans aucune récrimination.
J’ai toujours suivi et je suivrai encore dans la vie parlementaire le principe
d’abandonner chaque membre à sa propre conscience, en fait de moralité
parlementaire et publique. Mais je demanderai à l’assemblée de quel droit M.
Lebeau est-il venu suspecter la sincérité de mes doutes ? Y a-t-il aucun
antécédent dans ma vie parlementaire qui ait pu l’autoriser à cette injuste
interprétation ?
Avais-je jamais reculé, même dans les circonstances les plus délicates,
devant l’expression franche et entière de mes principes et de mes opinions ?
Avais-je jamais professé des opinions de circonstance pour les appliquer
dans des situations contraires à des intérêts politiques et ambitieux? La jurisprudence
de la chambre, écrite dans son règlement, les principes de moralité, les égards
que nous nous devons les uns aux autres, les convenances parlementaires et
sociales ne s’opposent-ils pas ouvertement à l’expression d’opinions qui
blessent l’honneur de son prochain ?
Je demanderai encore à l’assemblée par quelle étrange préoccupation
d’esprit j’ai été, aux yeux de M. Lebeau, le seul coupable, alors que , dans la discussion de décembre dernier , d’honorables
membres même qui appartiennent transitoirement à sa ligne de politique, avaient
exprimé les mêmes doutes? Voici les paroles de l’honorable M. Savart : «
La loi électorale laisse beaucoup à désirer, et il y a souvent beaucoup de
questions à l’égard desquelles on ne sait pas comment la loi doit être
entendue; mais, dans le moment actuel, il ne s’agit pas des doutes que la loi
peut soulever, il s’agit uniquement de réprimer la fraude électorale. »
L’honorable M. Fleussu s’exprima en ces termes: « C’est une question
très grave que celle de savoir si, par cela seul qu’on verse au trésor la somme
fixée par la loi électorale, on a qualité pour être électeur. »
L’honorable député de Liége émet ensuite l’opinion que, pour être électeur, il
faut posséder la base du cens électoral, puis il ajoute : « Telle est mon
opinion, opinion que j’émets peut-être un peu à la légère, puisque je ne
m’attendais pas cette discussion. »
Vous !e voyez, messieurs, argumentant, comme moi, mais de son côté
exclusivement, du texte de la loi électorale, l’honorable M. Fleussu qualifiait
de question, et de question très grave, le principe qui nous divisait, et il
doutait de l’obligation que cette loi imposait.
Un autre député de Liége ne douta pas. L’honorable M. Delfosse exprima son opinion
dans un langage qui borde la plus entière conviction. « Messieurs, dit-il,
je suis du nombre de ceux qui pensent que, sous la législation actuelle, il
suffit, pour être électeur, de payer la somme à laquelle le cens électoral est
fixé et qu’il n’est nullement nécessaire de justifier de l’existence des bases
de l’impôt. Les paroles qu’un honorable ministre des finances a prononcées dans
cette enceinte, l’adhésion qu’elles ont paru rencontrer sur tous les bancs, et
il faut bien le dire aussi, te texte même de la loi, tout donne à cette opinion
un caractère de vérité auquel il est difficile de ne pas se rendre. »
Ainsi l’honorable M. Delfosse, en fondant aussi en partie son opinion sur
la législation actuelle, alla plus loin. II exprima une quasi conviction. Moi,
je n’avais exprimé que des doutes sur le devoir que la loi électorale imposait
aux électeurs, Il me sera donc permis d’exprimer tout mon étonnement à l’égard
de l’inconcevable exception dont j’ai été l’objet. Une même opinion, appliquée
aux uns, ne peut être vraie, et fausse, appliquée aux autres.
Maintenant, je mettrai l’honorable M. Lebeau à l’aise, relativement à mes
doutes. Lorsqu’en décembre dernier, je prononçai le discours qui à été si
amèrement attaqué, j’ignorai un fait, et un autre n’était pas présent à ma
mémoire. J’ignorai que dans le but d’avoir qualité d’être électeur, de
nombreuses déclarations fictives avaient été faites impunément par un parti
antérieurement à celles contre lesquelles le même parti, sans songer à l’odieux
monopole auquel il prétendait indirectement, réclamait avec tant de violence,
La discussion de 1836 sur la loi communale m’était aussi échappée. Dans cette
discussion, l’honorable M. Pirmez avait soulevé la question de savoir s’il
suffisait de payer le cens électoral pour la commune, sans devoir justifier de
sa base. Un court débat s’éleva sur cette question. L’honorable M. d’Huart,
alors ministre des finances, répondit affirmativement à cette question. Il fut
mis un terme à ce débat pas cette conclusion de M. Pirmez : « Ainsi, dit
l’honorable membre, le paiement du cens suffit; il ne faut pas justifier de la
possession des bases. »
Si j’avais connu le premier fait et que l’autre eût été présent à ma
mémoire, je ne me serais pas renfermé dans des formes dubitatives relativement
à la moralité de la question; mais j’aurais adopté franchement la forme plus
positive de M. Delfosse, pour défendre la bonne foi des prétendus coupables des
deux partis, sans néanmoins renoncer au regret que les conditions de la loi
n’eussent point été religieusement accomplies.
Mais l’honorable M. Lebeau éprouvait le besoin de transformer mes doutes
consciencieux en assertions positives, pour articuler contre moi, d’une manière
formelle, sa deuxième accusation. Voici les conséquences qu’il a tirées de mes
doutes: J’aurais admis une distinction fatale entre la moralité politique et la
moralité privée ! J’aurais soutenu que non seulement la loi, mais la
morale permet le mensonge aux citoyens; j’aurais légitimé le mensonge en
politique; j’aurais enfin insinué que ce qui est immoral dans la vie privée
n’est pas également immoral dans la vie politique.
Tirer des conséquences justes des paroles de son adversaire n’est pas de la
portée de tout agresseur parlementaire. Aussi cette logique n’entre souvent pas
dans les besoins du moment. Arranger des prémisses à sa convenance, en
dénaturant les paroles, en prenant des doutes pour des assertions positives, en
transportant la justification d’actes déjà accomplis de bonne foi sur le
terrain des principes immuables, est un sophisme très vieux auquel on ne doit
pas l’honneur d’une discussion sérieuse.
C’est, en effet, très commode de créer une thèse pareille à celle-ci : Il
n’y a pas de distinction entre la moralité politique et la moralité privée,
entre le mensonge politique et le mensonge privé. Ma réponse à la première
accusation a déjà démontré la fausseté de cette position. A quel propos
l’honorable M. Lebeau s’y est-il placé? Le mérite d’un debater parlementaire, comme les Anglais appellent leurs grands orateurs,
consiste dans la vérité des farts qui ont donné lieu au débat. Un peu de
logique ne gâte pas la dignité parlementaire. Mais quelle est cette logique qui
pose ses propres conséquences en prémisses et en accuse son adversaire?
Ensuite, lorsqu’on prend la parole comme accusateur, ne devrait-on pas
sentir le besoin de définir les termes sévères dont on accable le coupable. Si
M. Lebeau avait cru devoir nous donner la définition du mensonge, avant de
l’appliquer ensuite au fait qu’il a dénoncé comme tel, il eût été curieux de le
voir, comme tireur de conséquences, se débattre dans ses embarras logiques.
J’ignore si M. Lebeau a éprouvé le besoin d’appuyer de son éloquence à lui,
les aménités dont l’occasion des discussions du mois de décembre, sur les fraudes
électorales, certaine Revue a
gratifié le parti parlementaire qu’elle affecte tant, et pour cause, d’appeler
catholique, un prêtre à la tête. Quoique l’identité du langage puisse, en
quelque sorte, légitimer cette supposition, il me répugne de le croire.
Cependant M. Lebeau a prononcé, dans le même discours de samedi dernier, les
paroles suivantes, que je m’abstiendrai de qualifier :
« N’est-il pas avéré que des ecclésiastiques ont souillé leur soutane en
allant mentir dans le bureau du receveur de l’Etat ? Et quand ils revenaient
ensuite recommander du haut de la chaire le respect de la vérité, ne
s’exposaient-ils pas à ce qu’en les interrompe pour leur dire : Vous qui
recommandez l’observance de la vérité, hier sous avez menti devant le receveur de
l’impôt. »
Et dans ladite Revue on lit cette autre fabrication de mensonge :
« Avec quelle autorité pourra-t-il (le clergé belge), dans les
remontrances du confessionnal, dans les allocutions de la chaire de vérité,
recommander la probité, le respect des lois, l’horreur du mensonge, la pureté
de l’âme, lorsque le plus obscur paysan pourra lui dire : Vous qui me
parlez ce langage, tel jour, telle heure, au su de toute ta commune, au su du
pays tout entier, vous avez sciemment menti. »
Sont-ce là de simples réminiscences, ou sont-ce de déplorables nécessités
de l’esprit de parti, qui, au prix de tous les principes de probité, s’acharne
à découvrir partout des adversaires qui en ont sciemment menti, pour les
dénoncer comme tels à l’animadversion et au mépris du public? Je ne puis le
croire. Je préfère attribuer des accusations aussi odieuses à l’aveuglement des
passions politiques et aux violents préjugés que trop souvent elles impriment
profondément dans l’esprit de ceux qui en subissent le joug.
Détournons nos regards de ces scènes affligeantes pour toute âme probe et
honnête. Je finirai ma réponse au deuxième reproche amer dont j’ai été l’objet,
en faisant remarquer que si M. Lebeau avait considéré, avec maturité et sans
préoccupation d’esprit, le principe de l’alliance éternelle entre la moralité
politique cl la moralité prisée, et l’indispensable nécessité de cette alliance
pour le bonheur des peuples, et s’il avait examiné avec impartialité
l’encyclique, il n’aurait pas trouvé dans ce document le sens faux et odieux
qu’il lui a attribué. Mais quand on ne voit qu’à travers le milieu de ses
préjugés ou de ses intérêts politiques, on croit voir tout ce qu’ils aiment,
tout ce qui les flatte, tout ceux qui leur promettent.
Enfin, les conséquences immorales
qui appartiennent exclusivement à M. Lebeau, mais qu’il a identifiées avec mes
paroles, sont parties de la bouche d’un prêtre ! En effet, quel scandale
parlementaire ! L’orateur aura-t-il tenté de produire quelque scène
théâtrale ? La raison d’un parlement est si calme, si froide; sa logique
est si impassible, et elle saisit le ridicule et le burlesque avec tant de
justesse et de promptitude ! Et de quel droit l’homme si sensible à la plus
légère inconstitutionnalité, si respectueux envers les droits que notre loi fondamentale
confère â tout citoyen et surtout envers les prérogatives des membres de la
chambre, de quel droit, disons-nous, est-il venu attaquer un députe en sa
qualité de prêtre, alors surtout que les débats s’établissaient sur les fraudes
électorales , alors encore qu’il lui imputait des accusations si fausses et si
odieuses? L’art. 6 de la constitution est-il aboli au profit d’un parti ?
Y a-t-il encore des distinctions d’ordres ? Les Belges ne sont-ils plus égaux
devant la loi ? Les députés de la nation siègent-ils dans la représentation
nationale en leur qualité de gouverneurs, de procureurs du Roi, de
bourgmestres, d’avocats, de prêtres ? M. Lebeau semble avoir compris lui-même
l’inconvenance et l’inconstitutionnalité de ses attaques personnelles; il a compris
qu’il n’avait pas le droit de s’enquérir dans cette assemblée de mon caractère
de prêtre, ou du corps auquel j’appartiens et dont je m’honore de faire membre;
il n’a pas reproduit textuellement dans le Moniteur
celte dernière offense faite à mon caractère ; seulement il l’a maintenue
derrière le voile transparent d’une précaution oratoire. Cependant, je dois
l’avouer, il a rendu hommage à mon intégrité, et si, sous quelque rapport que
se soit, je pus m’associer à un faux système parlementaire de bascule, ou à la
singulière manie de blesser d’abord pour exercer ensuite l’art de guérir, je
devrais lui adresser mes remerciements. Mais je ne descendrai pas à ce degré de
faiblesse.
(Retour au compte-rendu de la séance du 22 mars 1843)