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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 5 avril 1843

(Moniteur belge n°96, du 6 avril 1843)

(Présidence de M. Dubus (aîné))

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse analyse les pétitions suivantes.

« Plusieurs cabaretiers et cafetiers de la ville de Tournay demandent que les mesures métriques en étain coulées une fois vérifiées et poinçonnées, ne soient plus assujetties à un repoinçonnage annuel. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Caprés, sous-brigadier des douanes à Heyst, né à Ditzum (Prusse), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Vincent, ancien musicien gagiste, né à Fresnes (France), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


M. Mercier informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance.

- Pris pour notification.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur. - Vous avez renvoyé à la section centrale, comme commission spéciale, la pétition de plusieurs actionnaires de la société anonyme des moulins à vapeur de Bruxelles. J’ai l’honneur de vous présenter son rapport :

Pour bien apprécier l’importance de cette pétition, il suffira à votre commission de rappeler les motifs que M. le ministre a fait valoir à l’appui de son projet sur les droits qu’il a proposés à l’entrée de l’orge et du riz.

« Ces dispositions, dit-il, favorables au trésor, ont encore pour but de favoriser, dans le pays, l’exploitation d’une nouvelle industrie, le perlage de l’orge ainsi que l’écossage et le glaçage du riz. »

Quant à l’orge, l’avantage en est tel que la Hollande accorde à la sortie de l’orge mondé et perlé une prime de 3 fr. à 3 fr. 50 c. par 100 kil.

Pour le riz, c’est chose autrement importante, parce qu’en favorisant son arrivage dans un état brut, il fournira à notre marine un grand article d’encombrement qui deviendra important pour notre commerce transatlantique ; car pour obtenir les 4 millions de riz écossé que notre pays consomme, il faut une importation de 7 millions de riz brut, que nos navires iront chercher à la source, au lieu d’être les tributaires de nos voisins, auxquels nous payons le fret et le prix d’une main-d’œuvre assez considérable.

C’est dans l’attente de faire jouir le pays de ces divers avantages, que les pétitionnaires ont fait construire, à grands frais, un établissement qu’il leur importe de voir bientôt en activité.

Votre commission appuie la demande des pétitionnaires et aurait vivement sollicité la prompte discussion de la loi sur les droits d’entrée, si la chambre n’eût été à la veille de clore ses travaux. Mais le gouvernement a toute latitude pour faire jouir les pétitionnaires de l’objet de leur demande, la loi de 1822 lui en accorde la faculté pendant l’absence des chambres.

Votre commission a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l’intérieur.

M. Rodenbach. - Messieurs, j’appuierai les conclusions que vient de proposer le rapporteur, d’autant plus que c’est une industrie nouvelle qui est digne d’être protégée par le gouvernement. Elle existe en Hollande, en Angleterre et en France. Cela doit augmenter le travail de nos ouvriers. J’appuie également la demande de M. le rapporteur, qu’en vertu de la loi de 1822, le gouvernement prenne des mesures de protection pour le travail national. Je pense qu’en attendant la discussion de la loi sur les droits d’entrée, le gouvernement peut, en vertu de cette loi de 1822, augmenter les droits d’entrée sur une foule d’articles. Il faut assurer à notre industrie le marché intérieur. L’espoir de conclure des traités avec les puissances étrangères, s’éloignant de plus en plus, il est urgent de prendre des mesures dans l’intérêt de notre industrie.

M. Osy. - J’appuie également le renvoi proposé ; mais je demanderai s’il ne serait pas temps de présenter un projet de loi définitif sur les céréales. Nous sommes toujours dans le provisoire. Je prie M. le ministre de nous dire s’il a l’intention de nous présenter à la prochaine session un projet de loi définitif.

M. Dumortier. - L’honorable préopinant est dans l’erreur quand il dit qu’il n’y a pas de loi sur les céréales. Nous en avons une qui a été votée après de longues discussions, et qui continue à être en vigueur. Chaque mois, elle reçoit son exécution dans la publication des tarifs qui sont la conséquence du tarif général adopté par le parlement.

Je ne pense pas qu’il faille détruire cette loi pour favoriser le commerce, car je ne veux pas favoriser le commerce aux dépens de l’agriculture. Je regarderais une loi nouvelle détruisant les avantages dont jouit l’agriculture sur l’importation des grains étrangers, avantages qui ne sont pas considérables, car le peuple n’en souffre pas ; je regarderais, dis-je, une loi semblable comme un malheur pour le pays. Nous avons combattu en 1834 et 1835 le système qu’on voudrait reproduire aujourd’hui, et la loi que nous avons adoptée a reçu l’assentiment général à l’exception, peut-être, de quelques négociants d’Anvers. Nous devons nous en tenir là. Une autre loi a été présentée par le ministère précédent. Jusqu’à présent elle est restée dans les cartons, si quelqu’un veut en demander la discussion, je ne m’y oppose pas.

M. Osy. - Je sais que nous avons une loi sur les céréales. Le ministère précédent a présenté un nouveau projet. Je demande si le ministère actuel maintient ce projet. Dans le système actuel le droit d’entrée sur le seigle n’est pas en rapport avec le droit sur le froment : On avait réduit le droit sur le seigle aussi longtemps que le froment serait libre à l’entrée ; mars, huit jours après l’entrée du froment n’était plus libre et le seigle payait le droit en proportion de celui du froment. Je demande si le ministère se propose de maintenir le système actuel ou de demander la discussion du projet présenté par le cabinet précédent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’opinion du gouvernement ne peut être douteuse, pour l’honorable préopinant, puisqu’il vient de rappeler ce que j’ai dit dans la discussion du mois de décembre dernier ; à propos de quelques mesures transitoires je reconnus qu’il y avait lieu de soumettre à une révision quelques dispositions de la loi de 1834. La chambre est saisie d’un projet de loi qui lui a été présenté par mon honorable prédécesseur. M. Liedts. Ce projet existe, il n’a pas été retiré ; je regrette que les travaux de la chambre n’en aient pas permis l’examen en sections, Je ne me prononce pas sur les détails du projet ; je me borne à des considérations générales ; je dis qu’il y a lieu de faire quelques changements à la loi de 1834, je ne puis pas aller plus loin. Je n’en ai pas dit davantage en décembre dernier.

M. Eloy de Burdinne. - Je crois qu’il y a quelque chose à faire mais je ne pense pas que la révision qu’on pourrait faire de la loi de 1834 soit de nature à satisfaire l’honorable préopinant. Car cette loi est la moins favorable à l’agriculture. Voulez-vous une loi dont on ait pu apprécier les résultats ? Adoptez la loi française, voilà une loi qui nous convient comme à la France. Nous aurons la chose toute faite et nous ne perdrons pas de temps à discuter. Il ne peut être question de savoir si on donnera de nouveaux avantages au commerce d’Anvers, au préjudice de l’agriculture qui alimente directement ou indirectement les treize seizièmes de la population du pays. Il est évident que quand il vient moins de grains à Anvers, il y a moins de bénéfices pour le commerce de commission. Je dirai à M. Rogier, qui m’interrompt, que les interruptions ne sont pas des arguments.

La Belgique est un pays agricole. L’agriculture a autant de droit à la protection du gouvernement que toutes les autres industries. Voilà mon opinion ; au surplus, l’honorable préopinant sait qu’il arrive souvent à Anvers des grains gâtés qu’on vend presque pour rien. Mais ces grains gâtés ce n’est pas à Anvers qu’on les mange, on les envoie dans les pays industriels. Je tiens de bonne source que des grains à demi-gâtés ont été expédiés sur Mons.

M. Zoude. - Vous avez renvoyé à la même commission la pétition des fabricants, filateurs et imprimeurs de tissus de laines réclamant une protection pour leur industrie.

M. Osy. - L’honorable M. Eloy de Burdinne me parle comme si je ne représentais ici que les intérêts d’Anvers et du commerce. Je suis député de la Belgique, et quand je demande une nouvelle loi sur les céréales, c’est pour donner à l’agriculture et au commerce la fixité dont ils ont besoin, afin qu’ils puissent savoir à quoi s’en tenir. Je désire qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - Après quelques observations sur les illusions du système commercial dont nous nous sommes bercés quelque temps, les pétitionnaires, filateurs et fabricants de tissus de laine appellent la sollicitude de la chambre sur la nécessité de défendre nos marchés contre son envahissement par les produits étrangers,

Déjà, sur une pétition de même nature de la part du commerce de Verviers, la commission d’industrie, par l’organe de M. Desmet, avait fait un rapport sur l’importance de ces fabrications, la nécessité de les protéger et les moyens protecteurs à employer.

De son côté, M. le ministre de l’intérieur, dans les audiences qu’il a accordées à ces industriels, n’a pas hésité à reconnaître avec eux que le seul remède à apporter à leurs souffrances était la majoration des droits à l’entrée.

Pouvait-il en être autrement en présence des tarifs des pays voisins ?

En Angleterre, malgré le système moins restrictif adopté naguère, le droit est de 15 à 20 p. c. à la valeur, auquel, croyons-nous, s’ajoutent encore le droit différentiel et celui de liquidation en douane.

Dans les Etats de la Confédération douanière allemande, il est de 20 à 25 p. c.

En France, non seulement les fils et tissus de laine sont généralement prohibés, mais une prime est accordée à l’exportation, et cette prime équivaut au droit d’entrée en Belgique, droit qui n’est que de 5 à 7 p.c. !

Cependant en élevant notre tarif à l’égal de celui de nos voisins, c’est l’agriculture que nous protégeons, puisque la toison de nos moutons fournit la majeure partie de la matière première de cette industrie.

C’est le travail national que nous protégeons, tandis que, dans le système actuel, c’est la main-d’œuvre étrangère que nous salarions, et ce salaire s’applique à une fabrication d’objets dont l’importation, suivant les relevés officiels, s’élève de 14 à 16 millions de francs, valeur déclarée à la douane, et qui n’est réelle que du côté de la France, car elle sert de régulateur à la prime, mais qui doit être élevé d’un tiers sur toutes les autres provenances.

C’est dans un tel état de choses qu’un homme d’Etat dit à la tribune de France que nous étouffons, parce qu’il y a inégalité entre nos productions et nos consommations.

En 1830, on avait déjà dit à cette même tribune que nous étouffions et que nous devions périr sous le poids de nos produits. Ces paroles ont été répétées alors dans cette enceinte, comme un avertissement sur ce que nous avions à faire pour échapper au péril qui nous menaçait ; mais ces paroles n’eurent pas d’écho, parce que les questions politiques absorbaient sans doute alors toute notre attention.

Cependant, ce qu’a dit M. Guizot est vrai nous étouffons, mais c’est sous la masse des produits étrangers qui nous oppresse. Donnons-nous de l’air, imitons nos voisins, déblayons notre marché et tout ce qui l’obstrue, assurons-le à nos producteurs ; il suffira à plusieurs branches d’industrie, d’abord à celle qui nous occupe ; il suffira encore à l’importante manufacture cotonnière et à quelques autres, qui n’échappent pas à la sagacité du gouvernement.

Que nous est-il arrivé avec notre système libéral ? C’est qu’après avoir fait des sacrifices réels, nous avons reçu en échange des promesses qu’on n’a pas réalisées, qu’on ne réalisera pas.

Il est arrivé que nous ne pouvons plus faire des traités de commerce, parce qu’il faudrait des compensations aux concessions que nous aurions à demander ; or, nous n’avons plus rien à concéder, et des sacrifices gratuits, les nations n’en font pas ; à nous seuls il était réservé d’en faire ; notre ignorance et notre bonne foi sont notre excuse.

Cependant, messieurs, la sécurité de l’Etat exige que nous nous occupions de la classe ouvrière ; celle qui est sans travail est déjà nombreuse, elle s’accroît tous les jours, à mesure que nos établissements industriels déclinent, et nos chemins de fer bientôt terminés, le nombre en augmentera de la manière la plus inquiétante pour le pays.

Nous adjurons le gouvernement de prévenir les maux dont l’avenir nous menace, mais la session étant près de finir, on ne peut plus y parer par des lois ; toutefois, il lui reste la voie des ordonnances royales dont il a déjà fait un heureux essai : nous sommes dans la confiance qu’il en usera encore et qu’il portera sa sollicitude vers les industries les plus souffrantes. Nous lui signalons, en premier lieu, celle qui nous occupe, les fontes de fer et les glaces du bel établissement d’Oignies et autres dont les besoins sont pressants. Une élévation du tarif est notre seule planche de salut. Votre commission a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.

M. Lys. - Je viens appuyer les conclusions de l’honorable rapporteur. Je viens renouveler mes plaintes, et j’y suis autorisé par le silence que garde le gouvernement.

Les ressources lui manquent, il est à la recherche de la matière imposable, et depuis trois ans nous lui indiquons l’augmentation de l’impôt sur les fils et tissus de laine étrangers, qui pourrait lui produire annuellement en plus 4 à 5 cent mille francs.

Nous avons fait un bien triste essai, messieurs, en adoptant un régime libéral de douanes, malgré les tarifs prohibitifs des Etats qui nous environnent. Il en est résulté que nous avons été exploités par l’industrie étrangère.

Au lieu d’assurer une protection suffisante à l’industrie nationale le gouvernement s’est mis à la recherche de traités de commerce, mais nous n’avons rien obtenu, et la raison en est simple : un traité de commerce est un échange de concessions, et nous n’avons plus à en faire. L’étranger a lieu d’être pleinement satisfait de sa position.

Vous en avez eu une preuve complète ; lorsqu’il s’est agi de l’industrie linière, nous avons dû prendre sur nos impôts intérieurs les concessions à faire à la France en échange.

Voilà le résultat de la grande faute qui a été commise en 1838. Nous avons alors fait des concessions gratuites. Nous avons été généreux, espérant réciprocité. Nous avons poussé la générosité jusqu’à l’absurdité ; et en effet, messieurs, la France maintenait la prohibition sur nos draps et tissus de laine, et nous avions la bonhomie, pour ne pas dire la sottise, de laisser entrer chez nous les produits similaires, moyennant un simple droit.

La France maintient cette prohibition depuis cinq ans, et nous sommes assez dupes de laisser les choses dans le même état.

La liberté de commerce est une chose fort belle et fort désirable, mais un petit Etat comme la Belgique, qui la pratique seul, fait acte de franche duperie.

Le gouvernement ouvrira-t-il enfin les yeux sur la situation de notre industrie ?

Les paroles prononcées à la chambre des pairs de France par le ministre des affaires étrangères sont-elles assez claires, assez précises ?

Le gouvernement français, dit le ministre, n’a pas cherché l’union douanière avec la Belgique.

J’admets volontiers, messieurs, et j’en sais gré au gouvernement belge, que ce soit la Belgique qui ait recherché cette union ; et, en effet, la Belgique tend à se rapprocher de la France depuis bien longtemps, nos concessions de 1838 sont là.

La Belgique croit et a toujours cru qu’il était de l’intérêt des deux pays d’abaisser le tarif des douanes qui les sépare. Les industriels de Belgique, comme ceux de France, devraient y trouver leur intérêt.

La Belgique a fait les avances en 1838, j’admets volontiers qu’elle les ait faites encore en 1842.

Mais M. le ministre de France se trompe étrangement sur les causes de la situation de l’industrie en Belgique. Elle a de la peine à vivre, dit ce ministre, parce qu’elle étouffe dans son intérieur, entre l’inégalité de sa production et de sa consommation.

M. le ministre de France se trompe !

La cause de la gêne réside en ce que la Belgique ne possède pas son marché intérieur ; parce qu’elle le laisse envahir par l’étranger. C’est parce que la Belgique a voulu donner le bon exemple à ses voisins, en abaissant ses tarifs pour amener à une certaine liberté réciproque du commerce.

Dans cette situation le marché belge est inondé de fabricats étrangers.

Mais que le gouvernement belge prenne exemple sur celui de France, qu’il traite une bonne fois l’étranger comme celui-ci le traite, qu’il admette un système de réciprocité, qu’il prohibe celui qui le prohibe, qu’il élève son tarif de douane à la hauteur de celui de ses voisins, qu’il prenne comme eux les mêmes précautions contre la fraude, et il pourra dire comme le ministre de France :

Appeler les plus grands industries de la Belgique, des intérêts privés ; le travail national, la sécurité, l’activité du travail national, des intérêts privés ! Mais il n’est pas un intérêt public plus grand que ceux-là, plus sacré, et c’est le premier devoir du gouvernement de les ménager ; et lors même qu’il serait contraint un jour de leur demander des concessions, ce serait avec une extrême réserve et les transitions les plus douces.

Si la Belgique avait agi comme la France, la demande d’union eût été généralement accueillie par le commerce français ; que dis-je, l’industrie française l’eût sollicitée.

A son commerce de vin et de soierie se seraient associés les fabricants de fils et tissus de laine, les ouvrages de cuir, de bois, de cuivre et de bronze, les instruments de musique, la coutellerie, la mercerie, la quincaillerie, la carrosserie, les tapis, les meubles, l’orfèvrerie et les ouvrages d’or et d’argent, les glaces, les papiers de tenture, etc. ; tous ces objets ne sont soumis aujourd’hui, à leur entrée en Belgique, qu’à des droits minimes et équivalant, pour la plupart, à un taux réel de 4 à 5 p. c.

Ce ne serait plus la Belgique qui aurait étouffé dans son intérieur, et ce serait bien la France qui aurait pris l’initiative, soit pour l’union douanière, soit pour le traité de commerce, parce qu’elle y aurait été amenée par les plaintes incessantes de ses industriels.

Pour le prouver, messieurs, je vous ai déjà parié à plusieurs reprises de l’une des principales industries de la Belgique, celle des draps et étoffes de laine. J’ai évalué la fabrication annuelle, pour la province de Liége, à cent mille pièces qui, à 15 mètres, donnent 1,500 mille mètres. Je supposerai seulement 1,500 mille habitants qui en usent (c’est à peu près le tiers de la population), il en résulterait que, pour absorber toute la fabrication, ce serait 1 mètre par individu, ce serait tout au plus de l’étoffe pur un pantalon. Voici la preuve que cette industrie serait prospère. Car elle pourrait tripler sa fabrication, si elle avait le marché national exclusivement. Aujourd’hui, messieurs, elle est très souffrante, parce que le marché belge appartient, pour la meilleure part, aux Anglais et aux Français, peuples qui tous les deux prohibent l’entrée chez eux de nos fabricats.

Ainsi, messieurs, c’est par notre faute, c’est par la faute du gouvernement que cette industrie est en souffrance.

Son projet de loi sur les droits d’entrée n’apporte aucun remède, il ne concerne que les fers et les tabacs.

Comment se fait-il donc que le gouvernement n’ait aucun égard aux réclamations qui lui sont adressées depuis si longtemps et que nous lui avons si souvent rappelées.

Espérons, messieurs, que le ministère de France lui aura fait ouvrir les yeux et que le tarif, à cet égard, sera rectifié d’après nos vœux et même dans l’intérêt du trésor.

Pourquoi clore la session, quand il y a tant de choses utiles et même nécessaires à faire ?

Serait-ce à cause des prochaines élections, mais les élus de la nation n’ont nul besoin chez eux avant le mois de juin. C’est aux électeurs à juger si leur mandat a été convenablement rempli.

Il y a urgence, messieurs, le marché intérieur est notre principale ressource. Admettons le principe de la réciprocité, réprimons la fraude, et la Belgique sera satisfaite.

Vous pourrez alors conclure des traités, vous pourrez parvenir à l’union douanière. La France verra que cette union est dans son intérêt tout autant que dans le nôtre.

Et si, contre toute attente, la session est close sans que la législature ait porté remède à notre tarif, il restera au gouvernement d’user du pouvoir lui délégué par l’art. 9 de la loi générale.

Il a promis au sénat d’en user pour l’industrie métallurgique ; il en usera aussi, je l’espère, pour l’industrie drapière. Le temps presse, messieurs, des mesures ne peuvent plus être ajournées ; il y va de l’existence de nombreuses populations ouvrières que les fabricants ne peuvent nourrir qu’autant que les produits manufacturiers ne restent pas invendus. Le défaut de travail réduit au désespoir, et, vous le savez, la faim est une bien mauvaise conseillère. Prenez garde, MM. les ministres, qu’on ne vous reproche un jour de vous être laissé couvrir de décorations et d’avoir laisse accablé le peuple de misère.

M. Osy. - Messieurs, comme moi, vous aurez vu avec déplaisir les paroles prononcées à la chambre des pairs de France par M. le ministre des affaires étrangetés. Voici ce qu’il disait à propos de la Belgique :

« Et, à cette occasion, je dirai un mot de la question de l’union douanière franco-belge. On nous a représentés comme ayant élevé nous-même cette question, comme l’ayant cherchée, comme n’ayant prévu aucune de ses difficultés intérieures et extérieures, et puis, sur l’apparition inattendue de ses difficultés, comme ayant abandonné le projet dans lequel nous nous étions imprudemment engagés.

« Rien de semblable. Le gouvernement français n’a pas cherché l’union douanière avec la Belgique : La France n’a pas besoin de l’union douanière avec la Belgique, et nous savons les obstacles attachés à une pareille œuvre. Les difficultés extérieures, permettez-moi de le dire, sont les moindres.

« L’honorable duc d’Harcourt s’étonnait tout à l’heure à cette tribune de nos égards pour ce qu’il appelle des intérêts privés dans une pareille question.

« Messieurs, les plus grandes industries de la France, des intérêts privés ! le travail national, la sécurité, l’activité du travail national, un intérêt privé ! Mais il n’est pas un intérêt public plus grand que ceux-là, plus sacré, et c’est le premier devoir du gouvernement de les ménager. Et lors même qu’il serait contraint un jour de leur demander des concessions, ce serait avec une extrême réserve et les transitions les plus douces.

« Non, non, nous n’avons pas agi légèrement, nous ne nous sommes pas imprudemment engagés dans cette question ; nous ne l’avons pas été chercher, nous n’irons jamais la chercher ; elle se produit d’elle-même à nos portes, elle nous presse, elle nous assiège malgré nous.

« Et savez-vous pourquoi ? Parce que, dans sa situation actuelle, la Belgique, dit-elle elle-même, a de la peine à vivre, parce qu’elle étouffe dans son intérieur entre l’inégalité de sa production et de sa consommation. Tant que cela n’entraîne que des souffrances individuelles, que des difficultés individuelles, le gouvernement français peut y rester non pas indifférent, mais étranger. Mais si jamais il pouvait en résulter de grandes difficultés politiques, si jamais la sûreté de la Belgique pouvait en être compromise, alors il faudrait bien que le gouvernement du Roi y regardât de très près et cherchât un remède à un pareil mal, car la sûreté de la Belgique, ne l’oubliez pas, c’est la paix de l’Europe. »

Messieurs, d’après les paroles prononcées par M. Guizot, il faut croire qu’on induit en erreur ou la chambre belge ou la chambre française. Pendant la dernière session, comme pendant celle-ci, à toutes nos interpellations, on a toujours répondu : Nous sommes en négociation avec la France, ne prenons aucune mesure qui pourrait l’indisposer ; attendons. Aujourd’hui, il est clair que nous ne pouvons pas espérer d’union douanière. La France n’en veut pas et nous nous jetons aux genoux de la France. Notre grand malheur est, dit-on, de produire trop. Non, messieurs, c’est que nous n’avons pas notre marché intérieur, et il est plus que temps de l’assurer à notre industrie. Il serait convenable, quand nous discuterons la loi sur les droits d’entrée, d’établir des droits plus élevés sur tous les produits similaires de notre industrie Je demanderai à M. le ministre si les négociations sont abandonnées, et si nous pouvons agir franchement dans l’intérêt du pays.

M. Dumortier. - Je n’ai jamais beaucoup compté sur l’union douanière avec la France. C’est une grave question, que celle de savoir jusqu’à quel point une pareille union serait avantageuse pour notre nationalité, mais ce que nous devions rechercher, ce que nous étions en droit d’exiger, c’étaient des concessions mutuelles. Messieurs, lorsqu’en 1837 nous avons commencé à examiner le projet de loi qui donne lieu à la pétition actuellement en discussion, l’arrêté du roi Guillaume qui frappait aux frontières de terre les produits français de droits prohibitifs ou de prohibition avait encore toute sa vigueur. Alors nous étions en mesure de pouvoir réclamer des concessions du gouvernement français, quand il demandait l’abaissement de notre tarif sur la frontière de terre. Malheureusement notre système n’a pas prévalu. C’est une grande faute qui a été commise. Au lieu de consentir à abaisser votre tarif à la frontière française, il fallait commencer par demander des équivalents. On vous a dit qu’on vous en avait promis notamment sur les toiles. Cependant jamais cela ne s’est réalisé. Nous avons fait des concessions gratuites sans équivalent. Aujourd’hui nous en subissons les fâcheuses conséquences. Dans l’impossibilité où l’on est de procurer à la Belgique des débouchés étrangers, il est nécessaire d’assurer à nos fabricants la consommation intérieure, car il n’est pas juste de voir que toutes exportations sont en matières premières, en matières non ouvrées ; tandis que ce qui a subi la dernière manutention, nos produits manufacturés sont frappés de droits prohibitifs en France.

Vous le voyez donc bien, messieurs, si, en 1838, nous avions conservé les mesures qui étaient alors en vigueur contre la fraude, nous aurions été dans une position superbe pour demander des concessions justes et légitimes, en échange des modifications que l’on demandait à notre tarif dans son intérêt. Cela est tellement vrai, que relativement aux objets dont il est question maintenant, relativement aux tissus de laine, nous avons, mon honorable ami M. Demonceau et moi, soutenu qu’il fallait des droits plus élevés sur l’introduction des tissus de laine ; on en a parlé bien des fois dans cette enceinte, et il est très fâcheux que cette question n’ait pas reçu une solution favorable ; je vous citerai particulièrement les tapis de Tournay ; il est un fait certain, c’est que les tapis français payent à l’entrée en Belgique un droit moins élevé que ne l’est la prime de sortie des tapis en France ; de manière que le fabricant de tapis français vient vendre ses produits en Belgique à meilleur marché que sur le marche français ; notre industrie, loin d’être protégée, est lésée par notre tarification, Dans un pareil état de choses, il est nécessaire de venir au secours de l’industrie ; ce que je viens de dire s’applique à la plupart des autres tissus de laine. L’industrie des tissus de laine devrait avoir en Belgique un immense avenir, et pourquoi ? parce que dans notre climat froid et humide, les étoffes de laine sont le porter habituel de toute la population, la consommation que nous faisons des étoffes de coton n’est pas comparable à ce qui se consomme dans le midi de la France ; mais nous consommons en revanche beaucoup plus d’étoffe de laine que les autres parties méridionales de l’Europe ; et ce sont ces étoffes qui subissent de la manière la plus vive la concurrence des produits étrangers sur notre marché ; c’est là un non-sens, puisque cette industrie pourrait prendre sans cela une grande activité ; il faut qu’elle soit même bien vivace et assise sur des bases bien solides pour avoir pu lutter dans des circonstances aussi défavorables.

Il est donc indispensable de revenir à la proposition que nous avions faite en 1838, proposition qu’on a combattue et qu’il faut admettre aujourd’hui ; je désire que la pétition qui est déposée sur le bureau obtienne l’appui de cette assemblée, et que l’on comprendre que le jour est venu d’assurer à notre industrie la consommation du marché intérieur ; car si nous continuons à recevoir des masses de produits manufacturés étrangers, et à ne livrer que des produits bruts, nous détruisons le travail de nos ouvriers, et nous arrivons avec toutes ces belles théories de liberté du commerce, à ruiner le pays ; car jeter les yeux sur la balance commerciale, et vous verrez qu’elle est en notre défaveur. D’où vient que le numéraire est aussi rare en Belgique ; cela tient à la balance commerciale ; et à la dette que nous devons payer à la Hollande. Quant à la dette, nous n’y pouvons rien changer, mais tâchons au moins de rendre la balance commerciale en notre faveur ; et de faire que la majeure partie de ce que la Belgique consomme soit fabriquée dans le pays, et que le bénéfice soit à notre profit. J’insiste particulièrement sur les tissus de laine ; si on avait adopté notre proposition en 1838, nous n’aurions pas de plaintes aujourd’hui. J’appuie donc le renvoi de la pétition à MM. les ministres de l’intérieur et des finances, et je ne doute pas qu’ils ne fassent droit à cette réclamation.

M. de Mérode. - Messieurs, on a parlé du discours prononce par M. Guizot à la chambre des députés ; il a peint la Belgique comme si elle était dans la situation la plus embarrassante, comme si elle étouffait sous ses produits ; il semblerait ainsi que la France est dans un état d’aisance parfait. Comme j’habite sur la frontière des deux pays, je ne vois pas qu’il y ait entre eux une si grande différence ; en ce qui concerne les forges particulièrement, il y a une multitude d’usine en France qui se trouvent dans la situation la plus embarrassée, qui ont toutes les peines du monde à équilibrer leurs recettes avec leurs dépenses, et qui même sont en perte. J’en suis parfaitement bien informé, parce que j’ai des intérêts dans cette espèce d’établissements.

On a, en outre, parlé de l’union douanière avec la France. L’immense intérêt qu’aurait cette union, ne serait pas seulement de faciliter les échanges entre les deux pays, c’est un avantage que je ne conteste pas ; mais il y en aurait un plus évident, ce serait de supprimer la double armée qui s’étend sur une ligne de soixante lieues de part et d’autre, et qui doit continuellement lutter avec des cosaques que l’on appelle contrebandiers. Il serait certes extrêmement désirable que l’on pût réduire enfin la multiplicité de ces barrières entre les nations.

On a établi en Allemagne l’union douanière ; j’applaudis beaucoup à cette combinaison, puisqu’elle fait cesser pour ce grand pays les luttes intérieures, Mais si l’Allemagne a pu fonder l’union douanière, pourquoi les nations qui parlent la langue française, qui ont les mêmes institutions politiques ne pourraient-elles pas s’entendre et ajouter une autre diminution des douanes qui divisent l’Europe. Je souhaite infiniment qu’un pareil résultat soit obtenu.

Si nous y parvenions, nos finances reprendraient une situation excellente, nous aurions un revenu très considérable du sucre, du tabac, du café, et nous pourrions subvenir à toutes les dépenses que l’on réclame du trésor. Vous savez combien vous avez de travaux à faire encore dans l’intérêt des diverses provinces, et nous sommes sans cesse arrêtés par l’insuffisance de nos recettes, parce que nous ne tirons que peu ou rien des objets qui sont susceptibles de fournir des ressources au trésor avec l’union douanière, il nous serait facile de recevoir notre part dans la masse des recettes de l’association, et nous serions ainsi à même de satisfaire à tous nos besoins.

M. Mast de Vries. - Nous aurions aussi les pantalons garances.

M. de Mérode. - J’entends dire que ce serait une réunion politique ; cependant, messieurs, la Bavière s’est ralliée au système des douanes prussiennes, et la Bavière n’est pas prussienne pour cela, ni la Saxe, ni le Wurtemberg ; il en serait de même pour nous, après notre union douanière avec la France. Car aujourd’hui bien des personnes désirent peut-être plus ou moins la fusion politique, parce qu’elles se figurent que leurs intérêts commerciaux en tireraient un grand profil ; mais dès l’instant que celui-ci serait assuré, quel bénéfice y aurait-il recueillir d’un changement qui détruirait tous les avantages que nous retirons du gouvernement particulier qui nous régit ? La ville de Bruxelles ne serait plus qu’un chef-lieu de département, et nos institutions se trouveraient modifiées. Je ne vois donc dans la réunion douanière nulle tendance de notre part à une réunion politique. La France, de son côté, n’aurait plus les mêmes motifs de désirer un agrandissement qui n’augmenterait pas beaucoup sa puissance.

J’ai tout lieu de croire que ceux qui ne veulent pas en France de cette mesure, la représentent exprès comme devant amener une réunion politique. C’est une tactique de leur part pour l’empêcher ; ce sont des intérêts privés qui mettent en avant l’opinion que la France doit vouloir la fusion douanière pour arriver à l’union complète. Un pareil langage est en effet de nature à rendre l’Europe attentive à exciter son opposition, mais ceux qui désirent véritablement la suppression des barrières, qui gênent tant les relations commerciales de la Belgique et de la France, ne s’exprimeraient pas de la sorte.

J’ai indiqué sommairement les motifs pour lesquels je ne crois pas aux conséquences qu’on prétend devoir découler d’une simple alliance industrielle. Je me contenterai de ces observations.

M. Demonceau. - L’honorable comte de Mérode a porté la question sur un autre terrain ; il ne s’agit pas aujourd’hui de savoir s’il convient de contracter une union douanière avec la France... La France ne veut pas d’une pareille union.

M. de Mérode. - Je demande à ajouter deux mots : J’ai oublié de dire qu’en attendant une union douanière, je suis d’avis qu’il faut aux produits du pays le marché intérieur. J’ai commencé à parler dans ce sens, et si je ne l’ai pas répété, c’est que j’avais déjà exprimé cette idée si souvent que je croyais inutile de le faire encore.

M. Demonceau. - Il m’avait bien semblé que l’honorable comte de Mérode avait oublié de nous dire ses conclusions. Nous voilà à peu près d’accord. Mais pour voter dans la question actuellement en discussion, il me suffira de vous rappeler que la France prohibe les tissus de laines similaires aux nôtres. Eh bien ! Jetez les yeux sur le tableau des importations et des exportations, vous verrez que la France qui prohibe tous les tissus belges, inonde la Belgique de ses produits, et pour être plus certain de nous faire concurrence chez nous, elle nous accorde à la sortie une prime qui, pour la grande partie des tissus (les légers surtout), est égale, voire même supérieure aux droits que les produits français payent à l’entrée en Belgique. Cela est évident, et prouvé de la manière la plus formelle. C’est cette erreur, car c’est une erreur dans laquelle nous persistons, que nous voudrions voir rectifier.

En 1838, j’avais fait la proposition de frapper d’un droit uniforme tous les tissus étrangers, mais à cette époque la question n’était pas comprise comme elle l’est maintenant. Vous savez, messieurs, avec quelle persistance je réclamais alors le système que l’on désire aujourd’hui, mais on crut que je demandais trop, et cependant je ne demandais qu’un droit protecteur, égal à celui qui était admis par l’association douanière allemande, c’est-à-dire un droit de 10 à p.c. ; on nous accorda ce droit sur une certaine partie de tissus. Eh bien, j’en appelle maintenant au gouvernement lui-même.

Cette partie des tissus qui a obtenu une protection raisonnable a résisté à la concurrence étrangère ; mais la partie des tissus qui n’a obtenu qu’une protection insignifiante n’a pu se soutenir. C’est un fait qui est aujourd’hui évident, que nous recevons plus de tissus de laine étrangère que nous n’exportons des nôtres.

Ainsi, si le gouvernement parvenait à nous donner une loi qui garantirait à nos industriels le marché intérieur, ils pourraient doubler à peu près leur production. Car nous recevons, année commune, pour 15 millions environ de tissus de laine, et nous n’en exportons pas pour une valeur supérieure.

L’association des douanes allemande, messieurs, a parfaitement compris qu’elle ne devait pas aussi légèrement recevoir les produits étrangers, et c’est ainsi que dernièrement, au lieu de se contenter du droit de 250 fr. dont étaient frappés les tissus légers qui, chez nous, ne sont frappés que d’un droit de 180 fr. elle n’a pas balancé à le porter à au-delà de 350 francs. C’est, m’a-t-on assuré, en représailles contre la France qu’elle a agi ainsi.

En 1838, messieurs, nous avions adopté pour base le système prussien, parce que ce système était le plus modéré de tous. Eh bien ! aujourd’hui les industriels belges ne demandent au gouvernement qu’un droit de 250 frs., aussi bien sur les tissus légers que sur les tissus pesants. Je crois, quant à moi, que cette protection ne serait même plus suffisante, parce que les droits étant établis au poids, les tissus légers rapporteraient un droit moins élevé que les draps et tissus similaires.

Je voudrais donc voir, messieurs, adopter par la Belgique le système prussien, en ce qui concerne les tissus de laine en général ; je voudrais que notre loi de douanes fût rectifiée, en ce sens que les tissus venant de pays qui accordent des primes d’exportation dussent payer à leur entrée en Belgique, non seulement les droits de douane, mais aussi le montant de la prime d’exportation, C’est la mesure qui a été adoptée pour les draps et tissus similaires ; système qui n’a pas été admis pour les tissus légers, par une erreur manifeste qu’il faut réparer le plus tôt possible.

Messieurs, la pétition sur laquelle on vient de vous faire rapport est de la plus haute importance. et comme il paraît que nous sommes à la veille de nous séparer et que je crois avoir lu quelque part que le gouvernement trouvait dans la loi de 1822 les moyens, en l’absence des chambres, de pourvoir aux besoins réclamés par l’industrie, je ne finirai pas sans demander au gouvernement s’il croit que cette loi lui donne le droit de satisfaire aux justes réclamations de l’industrie, en ce qui concerne les tissus de laine. J’aurais préféré que l’on nous présentât un projet, projet qui, présenté assez à temps, aurait pu être discuté avant la fin de la session ; mais puisque la chose ne paraît plus possible, j’espère que le gouvernement, pour tranquilliser les industriels du pays, voudra bien répondre à mon interpellation.

M. Delehaye. - Messieurs, il est toujours très sage pour un gouvernement comme pour un particulier, de chercher à profiter, pour la suite, des fautes commises ; pour ma part, depuis quatre ans que je siège dans cette enceinte, j’ai eu souvent l’occasion de vous dire que de toutes les négociations que nous avions entamées, de tous les traités que nous avions conclus, il ne résulterait pour la Belgique que très peu de profits, sinon beaucoup de mal. Mes craintes ont été confirmées au-delà de ce qu’on pouvait prévoir ; tenons compte de ce que nous avons fait, et évitons le mal commis.

J’admets la plupart des observations qui ont été faites par les honorables préopinants touchant la réunion douanière avec la France, pour ce qui concerne les mesures qu’ils ont proposées, je ne puis encore cette fois croire à l’efficacité qu’on leur attribue.

On vous a dit qu’il fallait adopter le système de l’Allemagne. Le dernier orateur que vous avez entendu croit qu’il faut adopter le système prussien.

Messieurs, je crois qu’il faut établir vos droits de douane de manière à balancer les avantages qu’accorderaient des pays à ceux de leurs produits qui sont importés chez vous. C’est ainsi que, comme l’a dit l’honorable M. Dumortier, la France accordant une prime d’exportation pour ses tissus de laine, il est juste que la Belgique augmente ses droits de douane d’une somme égale à cette prime d’exportation, sur les produits venant de France.

Mais voici un inconvénient qui peut résulter d’une pareille mesure : c’est que vous allez voir la fraude inonder le pays de marchandises étrangères, si ce droit est trop élevé. Lorsque nous avons discuté le projet de loi tendant à réprimer la fraude en matière de douane, j’avais, ainsi que quelques autres honorables membres, proposé une mesure pour parer à cet inconvénient ; cette mesure, vous l’avez repoussée. Cependant, nous avions, mes honorables amis et moi, la conviction que dans cette mesure de douane résidait l’intérêt futur de l’industrie en Belgique. Vous l’avez repoussée, et, par une singulière anomalie, vous demandez aujourd’hui une majoration de droits. Mais ne savez-vous pas qu’une majoration de droit est un appât à la fraude ?

Messieurs, on a demandé, et, si je ne me trompe, c’est le premier orateur que vous avez entendu, où en étaient nos négociations avec la France ? Le silence de M. le ministre des affaires étrangères me donne lieu de croire que ces négociations sont rompues. Eh bien ! j’en félicite le pays ; je serais fort heureux d’apprendre que nos négociations avec la France sont rompues.

La France, messieurs, s’est réellement trompée sur la situation de la Belgique. On se figure dans ce pays que la Belgique produit de quoi fournir abondamment le marché belge et le marche français. Je crois qu’il ne serait pas difficile de convaincre le gouvernement français, que non seulement la Belgique ne produit pas de quoi effrayer la France, mais qu’elle ne produit pas de quoi satisfaire aux besoins de son propre marché. Mais pour cela il faudrait que le gouvernement belge reprît toute sa liberté vis-à-vis de la nation française, et il est avéré pour moi que le gouvernement en a eu l’occasion.

Messieurs, on vous a parlé dernièrement des mesures prises par le département de la guerre en France concernant l’emploi des toiles belges dans la confection des habillements pour l’armée. Je crois, quant à moi, que le gouvernement français avait le droit d’exiger que les toiles françaises fussent exclusivement employées aux besoins de l’armée ; mais il aurait fallu prévoir cette circonstance dans les négociations qui ont amené votre convention avec la France. Son gouvernement a agi avec plus de prudence dans la stipulation des avantages qu’il réclamait pour son commerce, il n’a rien oublié ; il n’a pas seulement stipulé pour les droits de douane, il a même pensé aux octrois des villes. Avec un peu de prudence, le gouvernement belge aurait aussi prévu la dernière mesure qui a frappé votre industrie linière.

Mais puisque nous avons commis la faute, il faut tâcher de la réparer.

Il y avait, je crois, un motif suffisant pour dénoncer le traité fait avec la France, par l’interprétation qu’on lui donnait dans ce pays. Messieurs, la rédaction du traité, touchant l’exportation des fils belges, était clair. Cela n’a pas empêché que le gouvernement français ne l’interprétât d’une manière nuisible à nos intérêts. C’est ainsi que, si dans une pacotille de fil, la douane trouve un seul écheveau qui tombe dans une catégorie frappée de droits favorables aux intérêts du trésor français, toute la pacotille est frappée comme si elle était entièrement de la même qualité que cet écheveau.

Je dis que c’est là une atteinte portée au traité ; et, je le répète, j’aurais voulu que le gouvernement profitât de l’occasion pour déclarer le traité non avenu.

Le gouvernement a eu une autre occasion ; lors de la discussion de ce traité, un honorable député de Bruxelles, M. Verhaegen, avait parlé de l’importation des vins en bouteille. Il avait demandé si le droit se paierait non seulement sur le vin, mais aussi sur les bouteilles, et le gouvernement était d’accord avec l’honorable membre pour l’affirmative. M. le ministre des affaires étrangères l’a déclaré à plusieurs reprises. Dans mon opinion, le gouvernement se trompait ; mais puisque tel était son avis, je devais croire que le gouvernement exigerait que le traité fût ainsi exécuté. Cependant il n’en est rien ; on ne paie pas de droits sur les bouteilles. C’était encore là une circonstance dont le gouvernement pouvait s’emparer pour exiger de la France d’autres concessions.

Messieurs, je vous ai dit que je félicitais le pays de ce que nos négociations avec la France étaient interrompues, et en voici la raison :

Nous voyons que presque chaque jour l’industrie française adresse des pétitions à la chambre des députés pour demander l’union douanière. Dans mon opinion il est impossible, si le gouvernement et la législature belge prennent à cœur les intérêts du pays, que la France ne soit pas obligée dans quelque temps de solliciter elle-même l’union douanière. J’ai la conviction que si nous prenons à l’égard de l’industrie française les mesures que nous devrions prendre et si nous empêchons la fraude, ce serait le gouvernement français qui, poussé par l’industrie, viendrait faire les premières démarches.

Messieurs, je ne veux pas de la réunion politique avec la France, et si l’union politique devait résulter de l’union douanière, je serais le premier à repousser celle-ci. Je veux pour la Belgique la position politique qui lui a été faite par la révolution de 1830 ; par conséquent je repousserai toute réunion politique avec quelque nation que ce soit. Mais la position du pays est telle qu’il est impossible qu’il fasse un traité commercial avec quelqu’autre nation, qui soit d’un grand avantage pour ses intérêts ; dans mon opinion il n’y a véritablement pour nous qu’un seul avenir avantageux, et c’est la réunion douanière avec la France.

Cette réunion douanière, messieurs, nous assurerait des avantages, mais elle en assurerait aussi à la France. Car, remarquez-le bien, l’industrie française n’est pas du tout similaire de la nôtre. La France a ses vins, elle a ses soieries, elle a ses bijouteries et d’autres articles encore que nous ne produisons pas. D’un autre côté nous avons des produits que la France serait fort heureuse de trouver en Belgique ; ce n’est qu’en imitant la France, qu’en frappant les produits étrangers de droits prohibitifs, que nous lui forcerons la main.

Dans l’état actuel des choses, nous n’obtiendrons rien, parce que nous n’avons plus davantage à accorder ; c’est par des rigueurs que nous pourrons vaincre ses répugnances.

Quant à la pétition, messieurs, qui nous occupe et qui demande que le gouvernement veuille bien hausser les droits sur les tissus de laine, je l’appuie également. Mais si le gouvernement veut réellement le bien-être de notre industrie, que non seulement il augmente les droits sur l’importation étrangère, mais qu’il avise aussi aux mesures à prendre vis-à-vis la fraude.

Ainsi, messieurs, deux mesures sont indispensables ; droits élevés sur l’importation en produits étrangers, et mesures vraiment répressives de la fraude à l’intérieur.

M. Dubus (aîné). - Je viens aussi messieurs, appuyer la pétition sur laquelle il vous a été fait rapport, et je dirai un mot en réponse aux observations de l’honorable préopinant, qui paraît considérer une majoration de droits sur les tissus de laine comme devant favoriser la fraude, et cela parce qu’on n’a pas adopté dans la loi, sur la répression de la fraude, les mesures acerbes qu’il aurait voulu faire introduire dans la loi.

Messieurs, je crois que l’on n’a pas rendu justice à l’administration de la douane en Belgique ; on n’a pas fait assez attention que le service de la douane, tel qu’il est organisé en Belgique, a fait à notre trésor une recette de plus de 12 millions. En réunissant les divers droits d’entrée dont la perception est assurée par le service de la douane, on arrive à une recette de 12 millions. Et la plupart de ces droits sont assez élevés ; il y a des droits de 10, de 12, de 15 p. c. qui sont perçus, Je pense qu’en présence d’un pareil état de choses on a dit à tort que l’élévation d’un droit de 5 p. c. à 10 ou 15 p. c. ouvrirait nécessairement la porte à la fraude.

Messieurs, le droit sur les tissus de laine est à peine, en moyenne, de 5 à 6 p.c., sans tenir compte de la prime d’exportation qui se paie dans un pays voisin. Or, un droit de 5 à 6 p. c. est décidément inférieur à celui qui protège les autres industries du pays. Cependant vous devez à l’industrie des tissus de laine une protection égale à celle que vous accordez à d’autres industries. Vous avez établi en faveur de l’industrie des tissus de lin, par exemple, un droit très élevé, un droit égal à celui du tarif français ; vous n’avez pas craint de favoriser par là la fraude.

Je ne connais pas, messieurs, que l’on puisse délibérer encore sur la question qui nous est soumise par la pétition ; si l’on a pu hésiter la première fois que la question a été portée devant la chambre, on ne le peut plus maintenant, que la nécessité d’établir un droit plus élevé a été démontré si souvent sans que l’on ait donné une seule réponse suffisante aux raisons présentées en faveur de l’augmentation du droit. Il est donc temps d’accorder à l’industrie des tissus de laine la protection qu’elle a droit d’exiger.

J’insiste sur l’interpellation qui a été faite au gouvernement, par mon honorable ami, M. Demonceau ; je désire savoir si le gouvernement croit trouver dans la législation en vigueur le moyen de prendre des mesures en faveur de l’industrie dont il s agit, dans l’intervalle des sessions.

M. Delehaye. - Messieurs, je n’ai pas combattu l’opinion émise par plusieurs orateurs, qu’il faut augmenter les droits sur les tissus de laine ; j’ai demandé, au contraire, que le gouvernement usât de la faculté que lui donne la loi de 1822, d’augmenter, en l’absence des chambres, les droits d’entrée sur les produits étrangers quelconques. Seulement j’ai ajouté que si notre système douanier était réformé, une semblable augmentation serait beaucoup plus efficace ; je soutiens que si l’on empêchait la fraude, les douanes, qui rapportent maintenant 12 millions, rapporteraient au-delà de 20 millions.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, deux honorables membres ont demandé si le gouvernement pense que, dans l’intervalle des sessions, il peut faire usage de l’art. 9 de la loi de 1822. Il est impossible de répondre à cette question autrement que d’une manière générale. Le ministère actuel est le premier qui ait fait usage de cet article, et l’usage qu’il en a fait a été en quelque sorte validé par la chambre, de sorte qu’il ne peut plus y avoir de doute sur le droit du gouvernement en cette matière. Néanmoins, il est impossible que le gouvernement dise que, dans tel ou tel cas, il fera usage de ce droit ; c’est une question de responsabilité pour le gouvernement, et le gouvernement doit se décider d’après les circonstances.

M. de Foere. - L’honorable ministre de l’intérieur vient de vous dire, messieurs, que l’application de l’art. 9 de la loi de 1822 dépend des circonstances. C’est maintenant un fait constaté que tous les ministres nous ont constamment fait la même réponse. Depuis dix ans, toutes les fois que des membres de cette chambre, d’accord avec tous les pays, ont demandé que le gouvernement adoptât un système plus protecteur de l’industrie belge, les différents ministères qui se sont succédé ont toujours répondu d’une manière évasive ; ils ont toujours dit qu’ils étaient en négociations et que dès lors, ils ne pouvaient pas encore adopter les propositions que l’on faisait dans cette enceinte. Il est bien constaté maintenant, d’après tous les orateurs que vous venez d’entendre, que la chambre entière veut un système plus favorable à l’industrie nationale ; il est bien constaté aussi que c’est là l’opinion générale de tout le pays ; eh bien, messieurs, si le ministère peut maintenir un système, contrairement à l’opinion de la chambre et du pays, je dis que nous ne sommes plus dans les éléments d’un gouvernement constitutionnel, dans lequel ce sont toujours les chambres et le pays qui indiquent au ministère la direction politique qu’il doit suivre. Constamment, on nous oppose des termes moyens, des fins de non-recevoir, et c’est ainsi que le pays est toujours traité dans la même voie ; si cela ne change pas, je ne puis réellement répondre des conséquences d’un semblable état de choses.

Je désirerais donc que M. le ministre de l’intérieur voulût bien répondre d’une manière plus positive, plus catégorique aux interpellations qui lui ont été faites. Je désirerais savoir si le pays doit rester plus longtemps dans la position malheureuse dans laquelle il se trouve, et sous le rapport de son commerce et sous le rapport de son industrie.

M. Savart-Martel. - Je dois appuyer la requête soumise à la chambre. Je n’entrerai pas en ce moment dans de grands détails, car il ne s’agit encore que d’adresser la demande au ministre. Oui, messieurs, il est de vérité qu’à Tournay les tissus, et notamment les tapis français se vendent à un prix inférieur aux prix d’achat en France ; ce fait est de notoriété publique. C’est une ruine pour nos fabricants, il est temps d’y mettre fin.

M. le ministre vient de nous déclarer qu’il croyait trouver dans la loi de 1822, le pouvoir accordé au gouvernement de faire droit à nos justes plaintes, je prends à profit cet aveu, et comme tous les orateurs qui ont été entendus abondent dans le sens de la requête, je dois espérer que le gouvernement faisant usage de son droit, l’appliquera en faveur des pétitionnaires, sinon une loi deviendrait nécessaire.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Maertens dépose 46 rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.

- La chambre en ordonne l’impression et la distribution.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au ministère de la guerre, pour dépenses arriérées

Vote des articles et vote sur l'ensemble du projet

M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion d’un projet de crédit pour l’apurement de créances arriérées au département de la guerre.

Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la commission ?

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Oui, M. le président.

- La chambre adopte successivement, sans discussion, les divers articles du tableau annexé au projet, et qui est ainsi conçu :

(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

Les deux articles du projet de loi sont également adoptés sans discussion, dans les termes suivants :

« Art. 1er. Il est ouvert an département de la guerre un crédit de quatre-vingt-seize mille huit cent cinquante-neuf francs soixante-quatorze centimes (96,859 fr. 74 c.), applicable au payement des créances arriérées qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi. »

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »


Il est passé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi qui est adopté à l’unanimité des 63 membres qui ont pris part au vote.

En conséquence, la loi sera transmise au sénat.

Ont répondu à l’appel : MM. Brabant, Coghen, Coppieters, de Behr, Dechamps, de Florisone, de Foere, de La Coste, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, de Roo, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, Dolez, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Huveners, Hye-Hoys, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Matou, Masi de Vries, Meeus, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Savart, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, van Cutsem, Vandenbossche, Vanden Eynde, Vandensteen, van Hoobrouck et Zoude.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances, pour l'exécution de la loi sur les sucres

Vote de l'article unique

M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :

« Article unique. Il est ouvert au ministère des finances un crédit supplémentaire de quarante mille francs (fr. 40,000), sous l’article 3 du chap. IlI du budget de ce département, pour l’exercice 1843, aux fins d’assurer le service de surveillance des fabriques de sucre.

- Personne ne demandant la parole, il est passé à l’appel nominal pour le vote de l’article unique du projet. La loi est adoptée à l’unanimité des 63 membres qui ont pris part au vote. Elle sera transmise au sénat.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la marine, pour la construction de bateaux pilotes

Discussion générale

M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :

« Article unique. Un crédit de cent trente-cinq mille francs (fr. 135,000) est ouvert au ministère des affaires étrangères (marine), pour la construction de quatre bateaux pilotes destinés au service de la station des bouches de l’Escaut.

M. Hye-Hoys. - Messieurs, j’appuie volontiers la demande que le gouvernement nous fait d’un crédit extraordinaire pour le développement du système de pilotage qui sera très favorable à nos ports de mer et au commerce ; car, à défaut de pilotes réguliers dans la Manche, la plupart des capitaines de navires arrivant de voyages de long cours étaient obligés de prendre des pilotes anglais ou des pêcheurs, qui coûtaient des frais énormes ; les dépenses pour pilotage étaient considérées par les armateurs comme frais de port ordinaire, et ils les trouvaient ainsi plus considérables qu’ils ne devraient l’être. C’est ainsi que la navigation vers la Belgique était réputée dispendieuse, et provoquait de hauts frets pour notre commerce ; tandis que par une organisation convenable d’un nombre suffisant de bateaux, ces contributions imposées par les pilotes et les pêcheurs anglais disparaîtront, et les capitaines n’auront plus que le pilotage ordinaire à payer, ce qui réduira considérablement leurs dépenses.

Par une augmentation de service résultant d’un plus grand nombre de bateaux et pilotes, le pilotage belge est presque certain d’enlever tous les navires aux pilotes hollandais, et d’augmenter la confiance des capitaines, en même temps que la recette de l’administration qui doit donner un revenu notable au trésor.

Les sommes employées, messieurs, pour ce service, produiront un grand intérêt ; on ne peut donc hésiter à accorder ce crédit extraordinaire.

M. Osy. - Messieurs, je demanderai si l’intention du gouvernement est de se borner à faire construire de simples bâtiments pilotes. Le dernier bâtiment de ce genre qui a été construit ressemble plus à un yacht qu’à un simple bâtiment pilote.

D’après les données que nous avons obtenues des personnes qui sont constructeurs et armateurs de navires, je crois que les prix qu’on nous a indiqués sont trop élevés ; je ne demanderai pas de réduction, parce que je crois que c’est l’intention de M. le ministre des affaires étrangères de faire construire ces navires par concurrence et par publicité. Si telle est son intention je voterai le crédit global qui est pétitionné.

Je demanderai maintenant une explication à M. le ministre des affaires étrangères. Je vois qu’on réclame pour les quatre navires une somme assez forte pour le lest. Je prierai M. le ministre de me dire si les navires qui ont été mis hors de service et démolis n’avaient pas de lest dont on pût faire emploi dans les navires à construire. Il doit y avoir également à la fonderie de Liége assez de fer inutile pour recevoir cette destination.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je rassurerai d’abord l’honorable préopinant sur les intentions qu’il paraît supposer au gouvernement. La pensée du ministre est assurément que les bateaux pilotes qu’il demande soient construits avec toute l’économie désirable et ne diffèrent que le moins possible du prix de revient de ceux qui existent déjà. Quant au bateau pilote qui a été construit en dernier lieu et que l’honorable préopinant a pompeusement comparé à un yacht, je ne sais quelle circonstance a pu lui faire faire une semblable comparaison : ce bateau est un bateau pilote comme les autres. Seulement il s’y trouve une cabine un peu plus convenable, et l’on comprendra facilement le motif de cette distinction.

En effet, ce bateau devait servir à relever les bouées et à transporter les inspecteurs du pilotage, lorsqu’un sinistre a lieu dans le cours et vers les bouches de l’Escaut (voyage qui dure souvent plusieurs jours), il est nécessaire que ces fonctionnaires puissent trouver dans leur bateau un abri contre les mauvais temps. J’ajouterai, au reste, que l’ameublement de cette cabine a été fourni par ces inspecteurs mêmes.

L’honorable préopinant croit qu’il serait possible de construire des bateaux pilotes à des prix moins élevés que ceux qui sont indiqués dans la note que j’ai fournie à la section centrale ; mes prix ont été basés sur les renseignements que j’ai fait prendre, et je les crois conformes aux prix actuels. Si cependant une réduction était possible, certes je m’empresserais de la faire.

Toutefois, je ne puis m’engager et je ne m’engage pas à faire construire les bateaux pilotes par concurrence. Ce système, dont je ne nie pas d’ailleurs les avantages, peut aussi, en certain cas, n’être pas sans inconvénient, surtout lorsque les personnes qui doivent prendre part au marché à conclure, sont en petit nombre et que l’on ne peut leur créer aucune concurrence.

Quant au lest et à la possibilité d’employer le fer de rebut de la fonderie de Liége pour remplir cet objet, cette proposition peut mériter d’être prise en considération, et je pourrai m’entendre avec M. le ministre de la guerre, dans le cas où elle serait praticable et que des fers inutiles et convenables existassent réellement en quantité suffisante.

Vote sur l'ensemble

- Personne ne demandant plus la parole, la chambre passe à l’appel nominal pour le vote du projet de loi. La loi est adoptée à l’unanimité des 59 membres qui ont pris part au vote. Elle sera transmis au sénat.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la marine, pour l'exploitation de la British Queen

Discussion générale

M. le président. - La section centrale propose de porter le crédit à 91 mille francs, sauf à porter en recettes les sommes à recouvrer.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) déclare se rallier à cette proposition.

M. Lys. - Je demande la parole pour faire observer que j’ai trouvé une omission dans le rapport de la section centrale. Ce ne sont pas seulement plusieurs sections qui ont exprimé le regret que les crédits votés aient été dépassés, alors surtout que les chambres étaient réunies, et qu’après un deuxième voyage on prévoyait qu’il ne resterait pas assez de fonds pour en effectuer un troisième ; c’est aussi la section centrale, à l’unanimité, qui a exprimé ce regret. Si le ministre s’était présenté alors pour avoir un crédit supplémentaire, j’aurais voté pour son admission. On avait tellement discrédité ce steamer, que deux voyages ne suffisaient pas pour le réhabiliter. Puisque c’étaient des voyages d’essai, il devenait nécessaire de tenter un troisième voyage, afin de savoir à quoi s’en tenir.

Je dois dire que les trois voyages ne présentent pas seulement une perte de 318,508 fr. 12 c., mais bien une perte de 670,000 fr ; j’en trouve la preuve dans le procès-verbal d’une séance du conseil général de navigation du 29 novembre 1842. Les pertes essuyées sont établies comme suit :

Subside du gouvernement pour les frais occasionnés pour le service : fr. 300,000

Intérêts du capital (en effet, vous devez compter les intérêts du capital d’achat) : fr. 90,000

Détérioration du navire à raison de 10 p.c. (on ne peut pas supposer qu’un navire semblable dure plus de dix ans) : fr. 180,000

Risques d’assurances (le navire n’étant pas assuré, le gouvernement court les chances d’en faire la perte totale, et en conséquence on doit compter la prime comme dépense faite) : fr. 100,000

Eu additionnant ces sommes, vous trouverez fr. 670,000.

Avec de pareils calculs, il devient impossible de continuer une pareille entreprise.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Il semblerait résulter du discours de l’honorable préopinant, que j’aurais présenté à la chambre des données inexactes sur la dépense résultant de l’exploitation de la British-Queen en 1842. Il me sera facile de me justifier de cette induction que l’on pourrait tirer des paroles de M. Lys, en rappelant que les chiffres qu’il a cités se trouvent à la page 153 de mon compte-rendu dans les procès-verbaux qui y sont annexés. Les crédits que j’ai demandés ont pour but de couvrir les dépenses réelles, tandis que les pertes qu’on a énumérées dans le procès-verbal en question, sont en quelque sorte arbitraires et peuvent être très facilement contestées. Ainsi on porte en ligne de compte à la dépense, une somme de cent mille fr. représentant la valeur de l’assurance à laquelle on aurait dû soumettre la British-Queen. Or, cette dépense n’a pas été faite, le navire n’a pas été assuré et il est revenu sain et sauf. C’est cent mille francs à déduire de la dépense. Je conçois aussi qu’on tienne compte dans une certaine mesure, de la détérioration du navire, mais 180 mille francs est également un chiffre évidemment trop élevé, et quand même on admettrait un amortissement de dix pour cent, il faudrait encore prouver, pour faire accepter le chiffre, qu’au bout de dix ans, navire, machine, chaudière, gréement, etc. ne seraient plus de la moindre valeur, et c’est ce que personne n’admettra.

L’honorable membre trouve un reproche, adressé au ministre, dans le parti qu’il a pris de faire le troisième voyage. La section centrale, ainsi qu’il me le rappelle, en faisait mention avant lui. Je crois, messieurs, que ma justification est facile. Il me suffira de reporter la chambre à la page 147 du rapport, elle verra dans la séance du conseil-général du 26 juillet 1842, l’état des dépenses qui avaient eu lieu jusqu’alors ; le montant des dépenses après le premier voyage était de 118,000 fr. D’un autre côté, le chiffre de l’avoir se composait 1° des fonds disponibles à Anvers et à Bruxelles, se montant à 111,725, et 2° des valeurs en magasin à 109,000 fr. et 3° et les produits divers à 10,000 fr., de sorte que l’acte fait s’élevait de 230 à 240 mille fr.

Eh bien, je pense qu’aucun ministre, quelque timide qu’on puisse le supposer, en présence de chiffres semblables, n’eut hésité à faire un troisième voyage. J’ajouterai que les comptes exacts ne nous étaient pas encore parvenus, et ne pouvaient pas l’être, que près du quart des dépenses portées au premier voyage, étaient antérieures à ce voyage et que l’on ne pouvait prévoir plusieurs des dépenses que l’on a été obligées de faire dans le troisième voyage. J’ajouterai, au reste, que dans le cas même où les données que je possédais, m’eussent laissé moins d’espoir encore de n’être pas obligé de recourir à une demande de crédit, je n’aurais probablement pas reculé devant la responsabilité d’un troisième voyage. Il y allait, selon moi, de la dignité du pays de ne pas abandonner ainsi un troisième voyage, une exploitation sur laquelle l’attention de l’Europe avait été appelée, et dont le succès pouvait avoir une si heureuse influence sur notre commerce et notre industrie. Indépendamment de ces motifs, nous aurions été soumis, en renonçant au voyage, à des restitutions onéreuses, et à des demandes en dommages-intérêts difficiles à apprécier à présent.

Une partie des marchandises à exporter était arrivée à Anvers, une autre était en route, il eût fallu les renvoyer aux expéditeurs, payer l’arrivée, le retour et, sans doute, des dédommagements et d’autres frais encore. Il en eût été de même pour les passagers. En pareille circonstance, il n’y avait pas à hésiter. Le ministère n’a pas cru devoir le faire et sa manière de voir a été partagée,, ainsi que vous l’avez vu par la lecture du procès-verbal du 27 juillet par les membres du conseil-général, qui avait pris spontanément l’initiative de la résolution.

M. Osy. - J’ai établi aussi simplement que possible la situation. Les comptes ne donnant pas les dépenses par voyages, j’ai dû réunir toutes les sommes et prendre une moyenne. Le premier voyage avait coûté 110 mille francs, Comme on connaissait les recettes, on pouvait prévoir que l’excédant de la somme en caisse, après le deuxième voyage, ne monterait qu’à environ 36 mille fr. Vous savez que, connaissant ce résultat au mois d’août, j’ai interpellé le ministère pour savoir s’il avait assez de fonds pour faire un troisième voyage. On a répondu que ce n’était pas à l’ordre du jour, et qu’on n’avait pas de compte à nous rendre. On n’avait pas demandé les fonds nécessaires pour ce troisième voyage, quoique les chambres fussent assemblées. Voilà le regret qu’a exprimé la section centrale.

Le ministre dit qu’il ne croyait pas en avoir besoin. Cependant les résultats connus ne lui laissaient que 36 mille francs disponibles, et il savait aussi bien que nous, que ce serait insuffisant peur effectuer un troisième voyage. Voilà l’irrégularité que la section centrale vous signale.

M. Lys. - Ce que vient de dire l’honorable préopinant, me dispense d’une partie de ma réplique. Je dirai à M. le ministre que ce n’est pas moi seul, mais la section centrale à l’unanimité qui a exprimé les regrets que j’ai annoncés. Je n’ai nullement entendu que M. le ministre ait rien voulu cacher à la chambre, car c’est dans les pièces distribuées que j’ai puisé ces détails. M. le ministre dit dans son exposé que les pertes essuyées s’élèvent à 318,518 fr. 12 c. ; j’ai cru qu’il était de mon devoir de démontrer à la chambre que ce n’était pas seulement 318,000 francs mais 670,000 fr. que l’on a perdus ; et encore ne faut-il pas compter la marine royale qui a été employée à l’exploitation de la British-Queen, et je puis donc en conclure qu’il n’est plus possible de faire de pareils sacrifices.

M. Rogier. - Je demanderai un moment d’attention à la chambre, j’ai quelques observations importantes à lui présenter.

Messieurs, sans vouloir renouveler les discussions relatives à la British-Queen, je ne puis m’empêcher de présenter quelques observations sur la manière dont cette navigation a été exploitée par le gouvernement. Je crois que le gouvernement aurait pu, par une direction plus sage, éviter l’inconvénient de dépasser les crédits sans l’autorisation de la législature, et de venir demander des crédits supplémentaires. Je crois pouvoir démontrer que ce dont on s’est le moins préoccupé dans cette affaire importante, c’est l’économie, et qu’au contraire on a tout fait pour imposer à cette entreprise les charges les plus onéreuses.

Quelques faits suffiront pour le démontrer.

D’abord, messieurs, je reconnais que diverses circonstances indépendantes de la volonté du gouvernement ont nui à l’entreprise. Nous avions pour but d’établir des relations suivies en marchandises et en voyageurs, avec les Etats-Unis. Une crise des plus malheureuses coïncide avec l’ouverture de ce service ; toutes relations, en quelque sorte, ont été interrompues entre les Etats-Unis et le continent ; ce qui est arrive pour la Belgique, est arrivé pour la France et pour l’Angleterre, la navigation à vapeur de l’Angleterre a beaucoup souffert de cette crise. Voilà donc sous quels auspices nous avons dû commencer ce service. Joignez à cette circonstance toutes celles qui avaient précédé la mise à exécution de cette entreprise, les prédictions sinistres qui l’avaient entouré dans le sein même de la chambre, la dépréciation qu’on jetait même sur la solidité du navire. Et bien, messieurs, ce manque de confiance, manifesté dans une partie de la chambre, a gagné le gouvernement lui-même. M. le ministre, chargé du commerce, n’a rien eu de plus pressé que de se débarrasser de l’entreprise pour en charger son collègue des affaires étrangères.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Qui est ministre de la marine.

M. Rogier. - Et cela sous quel prétexte ? Sous le prétexte que M. le ministre des affaires étrangères fournissait des hommes de la marine à la British-Queen. Voila sous quel prétexte M. le ministre de l’intérieur s’est débarrassé de l’entreprise.

Dès lors, on a pu croire que M. le ministre de l’intérieur n’avait pas de confiance dans cette entreprise, et, en effet, nous ne le voyons pas paraître dans les premiers moments de l’exploitation ; mais il paraît dans des circonstances assez significatives.

Des deux administrateurs, l’un qui était plus particulièrement chargé de la partie commerciale de l’entreprise, avait donné sa démission, je ne sais pour quel motif, ou plutôt, je sais trop pour quel motif, mais je n’ai pas besoin de le faire connaître à la chambre ; restait donc un seul des deux administrateurs ; il demanda de faire le premier voyage avec la British Queen ; il était naturel que l’administrateur qui avait intérêt à faire réussir l’entreprise, fît lui-même le premier voyage, pour connaître par lui-même comment les premiers essais se faisaient, quelles relations pouvaient être établies avec les Etats Unis, et quelles chances de succès pouvaient s’y présenter. De plus, mille bruits avaient été répandus sur la British-Queen ; on disait que personne n’oserait s’y embarquer ; l’administrateur demande à s’embarquer pour montrer sa confiance dans le navire ; eh bien M. le ministre de l’intérieur interdit à l’administrateur de faire le voyage, sous prétexte que sa présence serait plus utile à Anvers. Ainsi l’administrateur lui-même a eu l’air de trembler devant l’entreprise, de reculer devant le voyage. Et voilà un des premiers effets de l’intervention de M. le ministre.

Ce n’est pas tout. M. le ministre intervient encore ; il déclare que tout le charbon nécessaire à l’exploitation de la British-Queen sera du charbon national ; on fit sonner bien haut la nationalité de l’entreprise, défense fut faite d’employer un seul kilogramme de charbon qui fût étranger. Et qu’arriva-t-il ? On affréta cinq navires chargés de transporter des charbons à New-York, à raison de 21 francs par tonneau, ce qui doubla le prix du charbon qu’on pouvait se procurer à New-York. De là une augmentation énorme de dépenses que la British-Queen a dû supporter. Je vous le demande, messieurs, si on avait remis cette entreprise dans les mains de ses adversaires les plus déclarés, auraient-ils agi autrement pour la faire manquer ? Si vous vouliez favoriser l’exportation des charbons belges vers New-York, il n’y avait rien de plus simple, il n’y avait qu’a imputer sur le budget de l’industrie une prime d’exportation, mais il ne fallait pas faire supporter à la British-Queen ce surcroît énorme de frais. Le charbon belge transporté à New-York à raison de 25 francs par tonneau, devait revenir à 60 francs, tandis, que le charbon anglais n’y coûte que 20 à 25 schellings, c’est-à-dire la moitié.

Messieurs, ce n’est rien encore ; vous allez voir quelle habileté merveilleuse M. le ministre de l’intérieur a déployée dans toute cette affaire.

Ces cinq navires transportant du charbon belge à New-York, aux frais de la British-Queen, lui font en outre la concurrence la plus redoutable et se chargent de toutes les marchandises que la British-Queen aurait pu transporter. Des émigrants se présentent pour faire le voyage sur la British-Queen ; savez vous ce qu’on en fait ? on ne les accepte pas ; ce n’était probablement pas des gens assez comme il faut. Que font-ils ? Ils s’embarquent sur les bateaux qui transportaient les charbons, et cela au détriment de la British-Queen.

Ce n’est pas tout. Comme la British-Queen ne devait pas transporter de marchandises, il fallut aussi que les bateaux de charbons s’en emparassent. J’en trouve le détail dans le rapport fait par M. Dedecker sur le budget de l’intérieur, car le rapport de M. le ministre des affaires étrangères est très incomplet ; on voit bien que M. le ministre de l’intérieur, très expert dans ces sortes de travaux, n’a pas passé par là.

Le rapport de M. Dedecker mentionne les marchandises diverses expédiées par navires chargés du transport des charbons ; et d’abord remarquez que les départs de la British Queen devaient avoir lieu les 4 mai, 7 juillet et 7 septembre ; et les bateaux de charbons partaient les 15 mai, 15 juillet, 15 août, c’est-à-dire vers les mêmes époques ; et leur fret était assuré par les charbons, ils pouvaient faire de très bonnes conditions pour les autres marchandises.

Sur le Zéphyr, on a chargé cinq caisses de poil de lapin, 75 caisses de bière, du drap, des armes, et la preuve que tout n’était pas marchandises lourdes, un paquet de diamant ; assurément la British-Queen aurait bien pu transporter celui-là.

Sur le navire Maria, il y a eu des armes, des draps, etc. ; j’épargne à la chambre le détail des divers chargements.

Voilà, messieurs, par quels avantages signalés on a favorisé les premiers voyages de la malheureuse British-Queen : Eh bien malgré cette concurrence fatale que le gouvernement faisait à sa propre entreprise, je ne sais dans quel intérêt elle fit encore assez honorablement ses affaires, et si outre de fortes dépenses extraordinaires, elle n’avait pas eu à payer, à ses concurrents, un surcroît de dépense pour le transport des charbons, si on ne l’avait pas privée de recettes assurées, non seulement on n’aurait pas été obligé de demander de nouveaux crédits, mais on aurait pu faire un quatrième voyage avec le crédit de 250,000 fr.

On comprend, messieurs, et cela n’est pas une manière équitable de raisonner, on comprend dans les frais des voyages de la British-Queen, bien des frais généraux, antérieurs même au départ du navire.

M. Osy. - Je demande la parole. Voyez-en la note.

M. Rogier. - Je l’ai consultée ; je la prends dans le rapport même du ministre ; j’ai beaucoup de confiance dans les détails authentiques.

M. Osy, rapporteur. - J’ai plus de confiance dans la cour des comptes.

M. Rogier. - On compte, dans les frais d’exploitation de la British-Queen, la dépense de la passation du contrat d’achat, 5,300 fr. De bonne foi, peut-on comprendre cette somme dans la dépense des voyages ? On comprend aussi, dans les frais d’exploitation, pour passage des matelots anglais de Londres à Anvers, 3,000 fr.

Il y a encore beaucoup d’autres frais généraux antérieurs aux voyages et qui ne peuvent être imputés sur les dépenses de ces voyages. Il y a aussi des frais d’annonces très considérables ; ces frais se sont élevés, en Angleterre, à plusieurs mille fr. ; en France ils ont aussi été fort élevés. Ces frais sont encore indépendants du premier voyage. Ils auraient dû se renouveler sans doute, mais ils ne se seraient plus élevés à des sommes aussi considérables.

Messieurs, la British-Queen a très bien tenu la mer, quoi qu’on en eût prédit ; elle a eu à soutenir des tempêtes sans exemple, des mers furieuses ; lisez dans le compte rendu le livre de mer, et vous verrez qu’il y a eu presque constamment des temps horribles, des orages furieux ; des lames énormes sont entrés dans le navire. Eh bien, la British-Queen a résisté à tout ; elle a confondu ses calomniateurs, elle est revenue sans avoir aucune avarie, alors que d’autres navires et en grand nombre, ont péri.

On a été vaincu sur ce point ; on a été obligé de reconnaître, malgré les prédictions, qu’elle pouvait tenir la mer, qu’elle était d’excellente construction.

M. de Mérode. - Il y avait des chevilles grosses comme le bras enlevées.

M. Rogier. - Je ne sais qui a appris cela l’honorable comte de Mérode. Au surplus, si l’honorable membre était au courant de ce qui se passe sur mer, il saurait que dans les mauvais temps, cela arrive très souvent. Je ferais au besoin, sur l’état de la British-Queen, un appel à l’honorable M. Osy dont l’opinion ne peut pas être suspecte.

Messieurs, on fait faire à ce navire un voyage extraordinaire aux îles Açores, pour fuir la tempête. Ce voyage extraordinaire a encore coûté 15 à 20,000 fr. Il a fallu acheter du charbon pour 20,000 fr., faire d’autres dépenses. C’est encore là une circonstance qui ne se reproduirait plus dans d’autres voyages.

En résumé, je dis que sans la concurrence que le gouvernement a faite à sa propre entreprise, nous aurions eu beaucoup plus de recettes. Car les voyageurs et les marchandises qui sont partis avec les bateaux à charbon, seraient partis, en forte proportion du moins, avec la British Queen. Je dis, de plus, que nous avons fait des dépenses extraordinaires dont nous pouvions nous dispenser, et que, par conséquent l’entreprise aurait mieux réussi qu’on le dit, et les crédits supplémentaires n’auraient pas dû être demandés si cette affaire avait été conduite, je ne dirai pas avec intelligence, mais avec sympathie.

Quant à l’avenir l’honorable rapporteur de la section centrale propose simplement de vendre le navire ; M. le ministre des affaires étrangères et de la marine ne dit pas non, et sans doute, M. le ministre de l’intérieur a déjà dit oui, ce qui me fait croire que le navire sera vendu.

Messieurs, je regrette de ne pas avoir eu le temps de mieux me préparer ; car il y a encore beaucoup de choses à dire. Malheureusement l’objet a été mis à l’ordre du jour à l’improviste ; nous ne devions pas nous attendre à ce qui s’est passé hier. Mais je dis que la chambre n’est pas encore suffisamment éclairée pour prendre un parti quant à la British-Queen.

On aurait pu, c’est mon opinion, si l’on ne voulait pas de l’entreprise, se dispenser d’acquérir la British-Queen. On aura beau vouloir rejeter en tout ou en partie la responsabilité de ce fait sur d’autres, ce fait incombe entièrement au ministère d’aujourd’hui. Il pouvait se dispenser d’acheter le navire ; l’ayant acheté, il ne pouvait se dispenser de l’exploiter en bon administrateur, en bon père de famille, et d’une toute autre manière qu’il ne l’a fait. Je crois l’avoir démontré.

Maintenant, à la suite de cette mauvaise administration, qu’y a-t-il à faire ? Faut-il, sous l’impression de résultats qui ne sont pas déplorables, mais qui ne sont pas non plus avantageux, je le reconnais, décider qu’on vendra la British-Queen ? Je ne le crois pas. Je ne suis pas un partisan fanatique de ce navire, je le juge avec impartialité, mais je le défends aussi contre des préventions exagérées.

Dans tous les cas, j’espère que le gouvernement, puisqu’on lui fournit des fonds pour 1843, ne s’engagera pas pour 1844, ne dira pas dès maintenant qu’il veut se défaire du navire. Car, si même il voulait le vendre, la seule prudence lui commanderait de cacher ses intentions, S’il s’oblige dès maintenant à vendre, il est certain que tous les acquéreurs le sachant sous l’influence d’une contrainte, lui feront de bien mauvaises conditions. Je ne pense donc pas que le gouvernement puisse prendre un pareil engagement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne veux pas non plus renouveler l’ancienne discussion ; je ne veux pas même rechercher quel peut avoir été le but de certaines insinuations de l’honorable préopinant.

M. Rogier. - Je suis fâché de vous interrompre ; mais je dois dire que je n’ai pas fait d’insinuation. Je crois que mes accusations ont été très directes ; elles ont pour but de démontrer que l’affaire de la British-Queen a été très mal conduite.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous avez été plus loin ; vous avez supposé que c’était en quelque sorte à dessein que l’on avait fait échouer l’entreprise,

M. Rogier. - Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ainsi qu’on aurait pu le supposer.

M. Rogier. - Répondez directement à ce que j’ai dit.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je réponds directement ; mais j’aurais désiré que l’honorable préopinant eût découvert le fond de sa pensée. Si l’on veut résumer le discours de l’honorable préopinant, en voici le sens véritable : le ministre de l’intérieur, n’ayant aucune sympathie pour cette entreprise, a fait son possible pour la faire échouer. Voilà le sens du discours de l’honorable membre, si l’on veut rechercher le but de certaines insinuations, ou, si on l’aime mieux de certaines accusations. Mais laissons toutes ces questions personnelles et voyons les faits.

C’est le ministre de l’intérieur qui a présenté à la chambre le projet de loi relatif à la navigation transatlantique ; c’est le ministre ayant dans ses attributions la marine, qui a exploité le navire la British-Queen. Pourquoi deux ministères différents sont-ils successivement intervenus dans cette affaire ?

Mais la raison en est extrêmement simple ; elle résulte de la force des choses, et l’honorable préopinant aurait reconnu les motifs du changement, s’il avait voulu s’attacher aux faits.

Pourquoi le ministre de l’intérieur, en 1840, a-t-il saisi la chambre du projet de loi ? Mais c’est qu’à cette époque il s’agissait, de la part du gouvernement, d’intervenir à l’aide d’un subside. Une société en dehors du gouvernement devait se former, et celui-ci se bornait à fournir un subside à cette société. Dès lors évidemment c’était le ministre de l’intérieur qui devait fournir sur son budget le subside à la société exploitant la British-Queen, tout comme le ministre de l’intérieur donne aujourd’hui un subside aux sociétés ou aux particuliers qui, à l’aide de subventions, font, par exemple, le service de la navigation transatlantique à voiles.

Mais la position est venue à changer. Ce n’est plus une société recevant un subside, qui exploite, mais c’est le gouvernement lui-même, et cela à l’aide de la marine royale. Est-ce que l’entreprise devait encore rester entre les mains du ministre de l’intérieur ? Mais évidemment non il y aurait eu des conflits continuels.

Il est donc évident que du moment où l’intervention du gouvernement ne consistait plus à fournir un subside à une compagnie formée en dehors du gouvernement, que du moment que celui-ci exploitait directement, c’était le ministre de la marine qui devait être chargé de cette exploitation. Et, en effet, quand le ministre, chargé de la direction du département de la marine s’est adressé à moi pour que l’entreprise passât entièrement dans son administration, je n’ai rien eu à objecter. Je ne pouvais pas dire à mon collègue le ministre de la marine : J’entends exploiter avec vos agents. C’aurait été lui dire en un mot : Je veux avoir dans mes attributions l’administration de la marine.

Vous voyez donc combien il est facile d’expliquer ce fait du passage de cette affaire d’un ministère à l’autre. Ce fait est extrêmement simple ; il tient au changement survenu dans la situation, changement que l’on ne peut pas méconnaître.

L’honorable préopinant nous a signalé plusieurs faits dus, selon lui, au ministre de l’intérieur et qui ont discrédité l’entreprise. Le premier de ces faits est une affaire toute personnelle, c’est la défense faite à l’administrateur de se rendre aux Etats-Unis sur la British-Queen lorsque ce navire faisait son premier voyage. Nous avons pensé, messieurs, que la présence de l’administrateur était indispensable à Anvers. Ce fait, du reste, est demeuré complètement inconnu et n’a pu dès lors influer sur la détermination d’aucun voyageur qui aurait été disposé à se rendre aux Etats-Unis. J’ai trouvé aussi que l’administrateur faisait preuve de bonne foi en demandant l’autorisation de se rendre à New-York et mon premier mouvement était de dire : « Vous ferez bien d’y aller ; vous donnerez ainsi un démenti à ceux qui ont présenté la British-Queen comme peu solide. » Je crois même que j’avais d’abord donné verbalement l’autorisation demandée ; mais d’après les observations qui m’ont été faites relativement au bien du service, lorsqu’il s’est agi de statuer officiellement, j’ai pensé qu’il valait mieux que l’administrateur restât à Anvers.

« Le gouvernement s’est fait concurrence à lui-même, et, de plus, en se servant de charbon belge, il a augmenté démesurément les frais de l’exploitation de la British-Queen. » Il y a, messieurs, quelque chose de vrai dans la dernière des observations ; le gouvernement, en exigeant qu’on employât du charbon belge, a augmenté les frais d’exploitation de la British-Queen, et pour apprécier l’essai fait l’année dernière, il est juste, comme le dit l’honorable préopinant, de déduire le montant des frais que cet essai a coûté, la différence qu’il y a entre le prix du charbon belge transporté à New-York, et le prix du charbon que l’on aurait pu trouver dans cette ville. Mais, messieurs, faut-il jeter une espèce de ridicule sur cette tentative faite par le gouvernement belge sur la condition qui avait été imposée d’employer du charbon du pays ? Je ne le pense pas ; on avait dit que le charbon belge ne pouvait pas servir à cet usage, et c’est déjà un des résultats de la navigation transatlantique, que d’avoir constaté à l’évidence que le charbon belge peut, aussi bien que tout autre, être employé à cette navigation, La question de la qualité, de la vertu (si je puis m’exprimer ainsi) du charbon belge ; cette question est résolue, il ne reste que la question du prix. C’est un débouché nouveau qui existe, et si ce débouché est inaccessible aux exploitants belges, c’est non pas à raison de la qualité de leur charbon, mais à raison du prix, à raison de certaines difficultés de transport. Je dis que c’est là un résultat important, et que l’honorable préopinant aurait dû proclamer.

M. Rogier. - Il ne fallait pas le faire au détriment de la British-Queen.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Du moment que je reconnais avec vous qu’il faut déduire des frais d’exploitation, la différence qu’il y a entre le prix du charbon belge, et le prix de celui que l’on aurait pu obtenir à New-York, du moment que je vous fais concession, vous devez reconnaître avec moi, que l’on a bien fait de prendre cette mesure, c’est maintenant un fait acquis que le charbon belge peut servir à la navigation transatlantique.

L’honorable préopinant prétend que le gouvernement s’est fait concurrence à lui-même parce que les navires, chargés du transport du charbon, ont transporté en même temps des émigrants et des marchandises. On pouvait espérer que ces navires ne transporteraient que des marchandises pondéreuses que la British-Queen ne devait pas recevoir. Il est vrai qu’ils ont pris aussi d’autres marchandises, mais je ne pense pas que ce soit en grande quantité. Du reste, il eût été bien difficile de faire une défense efficace à cet égard, et à quoi une semblable défense aurait-elle servi ? D’autres navires, les navires américains, qui partent en grand nombre sur lest, auraient accepté à des prix extrêmement réduits le transport de ces marchandises. La défense n’eût été efficace que si l’on avait pu défendre à tous les navires quelconques de se charger de ce transport. Or, c’est là une chose impossible. Si, sous ce rapport, le gouvernement s’est fait concurrence à lui-même, c’est parce qu’il ne pouvait pas empêcher les particuliers de confier leurs marchandises à d’autres navires qu’à la British-Queen.

Mais le gouvernement se serait fait une concurrence plus directe encore parce que les navires chargés de transporter aux Etats-Unis le charbon nécessaire à la British-Queen, ont transporté des émigrants. Certes il ne s’agissait pas de faire de la British-Queen une entreprise aristocratique, mais on nous a exposé que si la British-Queen se chargeait du transport des émigrants, les voyageurs qu’on attendrait, notamment de l’Angleterre, et qui appartiennent aux classes élevés de la société, que ces voyageurs ne se présenterait pas. Il vous a été démontré par le conseil général qu’il était impossible faire servir la British-Queen, à la fois au transport des émigrants et au transport des voyageurs appartenant aux classes élevées de la société. Je crois, messieurs, que cette impossibilité est un démenti donné à certaines prévisions faites lorsque l’on discutait un peu à priori la question de la navigation transatlantique ; on supposait alors que l’on pouvait par le même navire transporter indistinctement des voyageurs appartenant à toutes les classes de la société...

Un membre. - Cela peut encore être.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On dit que cela peut encore être : je réponds en citant le rapport des hommes pratiques. On nous a démontré qu’il fallait renoncer à l’une ou à l’autre classe de voyageurs ; que si nous voulions transporter les émigrants allemands qui se rendent aux Etats-Unis il fallait renoncer alors aux voyageurs appartenant aux classes élevées et qui paient cher, notamment à ceux qui nous attendaient de l’Angleterre.

M. Hye-Hoys. - La même chose existe en Angleterre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On nous a dit : « Vous avez à opter : voulez-vous transporter les émigrants allemands, alors, vous devez renoncer aux voyageurs appartenant aux classes élevées ; voulez-vous transporter les voyageurs appartenant aux classes élevées, alors vous devez renoncer aux émigrants allemands. » Voilà, messieurs, l’alternative dans laquelle nous nous trouvions placés, et dès que nous avions opté pour les voyageurs appartenant aux classes élevées de la société, pour les voyageurs qui paient cher, quel intérêt avions-nous à défendre aux navires chargés de transporter les émigrants allemands, auxquels la British-Queen avait été forcée de renoncer ?

Ainsi, messieurs, le tort que le gouvernement s’est fait à lui-même dans l’exploitation de la British-Queen, se réduit à ceci : Nous avons pensé qu’il fallait constater que le charbon belge est propre à la navigation transatlantique ; cela posé, nous avons envoyé du charbon à New-York, et il et juste de déduire des frais de l’exploitation de la British-Queen la différence entre le prix de ce charbon et celui du charbon que nous aurions pu trouver sur les lieux ; mais je dis qu’il est bon que cet essai a été fait. Les navires qui ont transporté ce charbon aux Etats-Unis, ont aussi transporté des émigrants et certaines marchandises. Pour les marchandises, il y avait impossibilité pour le gouvernement de s’en approprier le transport en faveur de la British-Queen ; les particuliers étaient libres de confier ces marchandises à qui bon leur semblait, et s’ils n’avaient pas pu les confier à l’un ou à l’autre des navires chargés du transport du charbon, ils les auraient confiées à d’autres navires, par exemple, aux navires américains, qui partent en grande quantité sur lest et qui, dès lors, s’en seraient chargés à des conditions très avantageuses. Ces navires ont en outre transportés des émigrants. J’ai démontré tout à l’heure que d’après les faits constatés, d’après les usages consacrés, on ne peut pas transporter à la fois et des émigrants, et des voyageurs appartenant aux classes élevées de la société. Voilà, messieurs, à quoi je réduis cette grave accusation articulée par l’honorable membre, contre le gouvernement et contre moi en particulier.

Maintenant l’entreprise de la British-Queen peut-elle être considérée comme définitivement jugée ? Le gouvernement n’a jamais dit qu’il la considérait comme définitivement jugée. Il les a fait connaître tous ; moi-même, je tiens beaucoup à ce que l’on reconnaisse la justesse de plusieurs des observations de l’honorable préopinant, notamment en ce qui concerne l’emploi du charbon belge ; cet emploi a considérablement augmenté les frais d’exploitation de la British-Queen.

D’un autre côté, ceux qui voudront juger l’entreprise d’une manière moins favorable, diront qu’il faut ajouter aux frais d’exploitation l’emploi des officiers de la marine belge, et la dépense à laquelle ils ont donné lieu. Quoi qu’il en soit, le gouvernement avait à faire connaître tous les détails ; ces détails ont été donnés, on peut les étudier, et le gouvernement verra ce qu’il y a ultérieurement à faire.

Je me félicite avec l’honorable préopinant que bien des prédictions sinistres aient été démenties. La British-Queen avait été calomniée, je me sers de la même expression que l’honorable M. Rogier, mais néanmoins il restera constaté que les 250,000 fr. demandés pour trois voyages n’aurait pas suffi, si le gouvernement avait dû faire ces trois voyages sans le secours de la marine belge.

M. Osy. - Je pense avec l’honorable M. Rogier, qu’il est quelques dépenses portées pour l’exploitation qui auraient dû figurer au budget de 1841 ; mais ces dépenses sont très peu importantes.

La section centrale avait demandé à M. le ministre des affaires étrangères de fournir la note des dépenses faites pour le navire, après son arrivée à Anvers, et avant son premier voyage. Cette note n’a pu nous arriver assez à temps pour être insérée dans le rapport ; mais je me suis rendu à la cour des comptes, où j’ai appris que le montant de la dépense imputée de ce chef sur le crédit de 400,000 fr. du budget de 1841 est de 175,124 fr.

M. Pirmez. - Messieurs, selon moi, nous devons abandonner la récrimination, relativement au passé de la British-Queen, nous devons nous borner à examiner maintenant comment nous agirons à l’égard de ce steamer dans l’avenir.

Je crois qu’à l’heure d’aujourd’hui les opérations de la British-Queen sont jugées par tout le monde. Vos sections et votre section centrale à l’unanimité partagent à peu près ce sujet les mêmes idées, et il paraît presque inutile de parler à des gens entièrement convaincus.

Le résultat des opérations de la British-Queen devait nécessairement arriver ; en effet ce résultat est infaillible, chaque fois qu’une semblable opération qui devrait être faite par un particulier est entreprise par le gouvernement ; vous recommenceriez 50 fois l’expérience, et la cinquantième expérience n’aurait pas plus de succès que la première. Quant le gouvernement se charge d’entreprises de ce genre, il les exécute toujours avec une extrême prodigalité. On a dit qu’on n’avait pas cherché à faire des économies ; je ne m’étonne pas de cela : un gouvernement est composé de tant d’hommes divers qui ne sont nullement intéressés à faire le moins de dépenses possible, ne peut réaliser des économies, comme peut le faire un particulier qui se charge d’une semblable opération.

Il en est de même de toutes les choses dont s’occupe le gouvernement... .

M. Lebeau. - Et les chemins de fer ?

M. Pirmez. - Oui, mais les chemins de fer, vous ne voyez pour pas aussi facilement le résultat que pour la British-Queen. Le résultat pour cette dernière opération vous frappe tout d’abord, et pourquoi ? parce que vous pouvez faire une comparaison ; vous voyez à l’instant qu’il y a une perte énorme à faire une semblable opération. Cette opération n’est pas compliquée comme les chemins de fer. Vous pouvez en faire de suite la comparaison avec les opérations des navires des particuliers.

On a dit que des attaques injustes avaient été dirigées contre la British-Queen ; mais, messieurs, ces attaques sont naturelles ; le gouvernement venant faire concurrence à des particuliers, il n’est pas étonnant du tout que ces particuliers se plaignent. Vous voulez me ruiner, et vous trouvez mauvais que je cherche à discréditer le moyen par lequel vous voulez me ruiner.

On a prétendu que les adversaires de la British-Queen avaient prédit qu’elle périrait. Pour ma part, je n’ai pas fait une semblable prédiction ; j’ai toujours soutenu qu’on perdrait beaucoup, et en effet la perte a été fort grande.

Maintenant je crois que nous ne devons pas engager le gouvernement à recommencer une opération si onéreuse pour le trésor public ; la chambre devrait faire entendre au gouvernement qu’elle désire qu’il se défasse de la British-Queen, et qu’il ne nourrisse pas un semblable pensionnaire dans les bassins d’Anvers (On rit.) ; Si le gouvernement procédait à cette vente, il faudrait qu’il fût bien entendu qu’il ne peut être blâmé de ce chef.

M. de Mérode. - Messieurs, ce qui prouve combien cette opération de la navigation transatlantique était inutile, c’est l’observation de M. le ministre de l’intérieur, que les navires américaines retournant sur lest pouvaient transporter des marchandises. On ne conçoit pas pourquoi on faisait faire des voyages exprès pour transporter ce qui pouvait être mis à bord de navires de retour.

Messieurs, on a en quelque sorte attaqué le capitaine du navire ; parce qu’il était allé aux Açores ; il n’est pas allé aux Açores par ordre du gouvernement ; mais il y est allé, parce que la tempête l’y a forcé, et que s’il ne s’y était pas rendu, il aurait probablement péri. Je suis allé à bord de la British-Queen ; j’ai pris des informations aussi exactes que possible sur tout ce qui s’était passé, et d’après les renseignements qui m’ont été donnés par un témoin oculaire, il y avait réellement nécessité d’aller aux Açores, et on ne peut pas dès lors reprocher au capitaine d’avoir fait ce détour ; on peut d’autant moins le lui reprocher que le capitaine Roberts qui commandait le Président, avait voulu agir autrement, c’était un homme intrépide et obstiné qui ne reculait devant aucune difficulté. Le dernier navire qui l’a rencontré, l’a trouvé luttant contre une tempête et marchant directement contre les vagues qui ont fini par l’engloutir. Pour ma part, je félicite beaucoup le capitaine Eyckholdt de n’avoir pas montré une semblable intrépidité.

Quand on a vu une seule fois une machine telle que la British-Queen, on est vraiment étonné qu’il ait pu tomber dans l’esprit de quelqu’un d’acheter un pareil monstre pour la Belgique. On ne peut presque pas le faire entrer dans les bassins d’Anvers, et il entraîne nécessairement des frais énormes pour son exploitation.

Il y a une observation de l’honorable M. Rogier qui se trouve fondée, c’est la critique qu’il a faite du transport des charbons belges à New-York pour le retour du navire. Je trouve que c’est montrer une sympathie outrée pour nos houillères que d’imaginer de transporter le charbon jusqu’à New-York, tandis qu’on pouvait avoir dans ce pays le charbon à bien meilleur compte pour le voyage de retour.

Aujourd’hui, l’opération de la British-Queen est parfaitement jugée. Le meilleur parti à prendre, c’est, pour me servir de l’expression de l’honorable M. Pirmez, de ne pas nourrir ce pensionnaire plus longtemps, et de tâcher de le passer à quelqu’un qui puisse le nourrir.

J’ai ouï dire que le navire était beaucoup trop long, mais qu’on pourrait le raccourcir, et qu’alors il serait plus facile de le diriger et qu’il serait moins exposé aux dangers des tempêtes. Je pense qu’on peut en tirer parti, qu’il y a quelque chose à en faire. Du reste, il ne faut pas croire que ce qu’on peut dire ici soit de nature à tromper les personnes disposées à l’acheter ; si elles ont des moyens de le mettre en œuvre utilement, elles le prendront ; sinon elles le laisseront. Tout ce que nous affirmons à ce sujet dans cette enceinte n’influencera pas les amateurs, qui n’agiront que d’après leur propre examen.

M. Rogier. - La dernière de mes observations que l’honorable préopinant a trouvée fondée est mon objection principale. J’ai démontré comment, par cette concurrence qu’il s’était faite, le gouvernement avait paralysé les heureux effets de l’entreprise, et augmenté outre mesure les frais d’exploitation. M. le ministre de l’intérieur a dit qu’il avait voulu faire l’expérience du charbon belge. Mais, comme l’a dit l’honorable préopinant, cette expérience, il fallait la faire pour le voyage d’aller, mais non pour le retour, et, dans aucun cas, ce ne devait être aux dépens de la British Queen. Je reconnais, au surplus, que c’est un avantage d’avoir fait connaître la qualité de notre charbon, d’avoir prouvé qu’il pouvait servir aux voyages transatlantiques.

Je regrette qu’aucun des ministres n’ait fait ressortir d’autres avantages qu’a présentés l’exploitation de la British-Queen, car tout n’a pas été désastre. Les voyages n’ont pas été improductifs. Au premier il y a eu 33 passagers, au deuxième 34, au troisième 62, et le nombre aurait pu s’accroître davantage. Le premier voyage a donné 50,800 fr. de recettes, le second 45,000 fr, et le troisième 52,700. Voilà des produits qu’on aurait dû faire ressortir plus qu’on ne l’a fait.

M. le ministre a nié que le conseil d’administration ait demandé l’envoi de l’administrateur aux Etats-Unis ; il a même soutenu que le conseil avait été d’avis que l’administrateur devait rester à Anvers. Je lis page 132 du rapport de M. le ministre des affaires étrangères :

« Le conseil décide en définitive d’écrire à M. le ministre pour qu’il autorise M. Lejeune à se rendre à New-York, à bord du steamer British-Queen. »

M. de Mérode a pris la défense d’une personne que je n’ai pas attaquée. J’ai signalé le voyage aux Açores, comme ayant entraîné des frais considérables, frais qui n’étaient pas de nature à se reproduire, car il était tout à fait extraordinaire d’aller jusqu’aux Açores, au lieu de venir directement sur Anvers. M. de Mérode pense que le navire aurait péri, s’il n’avait pas fait ce détour. J’avoue que je n’ai pas une confiance illimitée dans les connaissances maritimes de l’honorable membre ; quoi qu’il en soit, il n’est pas moins vrai que ce voyage a entraîné une dépense de plus de 20 mille francs à charge de la British--Queen, et les avis sont partagés sur la nécessité qu’il pouvait y avoir à se rendre aux îles Açores.

M. Osy. - On n’avait plus de charbon.

M. Rogier. - Il fallait donc dire alors que c’était pour s’approvisionner, et non pour éviter la tempête.

M. de Mérode dit que le navire le Président a péri, parce qu’il n’a pas été aussi aux Açores. Le public ne s’attendait pas sans doute à apprendre de M. de Mérode cette nouvelle du Président.

M. de Mérode. - Je n’ai pas dit cela.

M. Rogier. - Ma dernière observation est celle-ci : La British-Queen a été exploitée dans des circonstances trop exceptionnelles et à des conditions trop onéreuses pour que dès aujourd’hui on puisse se former une opinion définitive sur une pareille entreprise.

Quant à moi, je ne puis conseiller au gouvernement de suivre l’espèce d’injonction que lui fait la section centrale de vendre ce navire. Nous sommes à la veille d’établir des relations suivies avec l’Allemagne an moyen des eaux intérieures et surtout de nos chemins de fer ; je demande si c’est le moment de fermer une voie de communications de cette importance avec les Etats-Unis, voie pour laquelle les chambres ont consenti à faire une dépense annuelle de 400,000 fr. pendant 14 ans.

J’espère que cette discussion n’est pas épuisée, que nous aurons encore occasion de revenir sur l’importance de relations transatlantiques. Il y a deux heures on se plaignait de manquer de débouchés ; je ne comprends pas qu’en pareille situation on songe à se fermer un débouché qui peut devenir si précieux, Je pense donc que le gouvernement fera bien de ne pas s’associer aux intentions de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois avec l’honorable préopinant, que l’entreprise présente plusieurs résultats heureux qu’on méconnaît complètement. J’en ai cité un ; il est constaté maintenant que le charbon belge peut servir à la navigation transatlantique. D’autres avantages résultent des essais qui ont été faits. Ils sont énumérés dans le rapport à la dernière page. Je me permets d’y renvoyer l’honorable membre.

C’est la marine belge qui a fait le service du navire. C’est, je crois, encore quelque chose que d’avoir prouvé que la marine belge est capable de voyages de ce genre.

L’honorable membre maintient son reproche quant à l’envoi de charbons belges à New-York pour le service de la British-Queen. Mais si on n’avait pas employé du charbon belge, on aurait accumulé je ne sais combien d’autres accusations contre cette entreprise. On pourra dire aussi qu’il faut se servir de charbons étrangers pour le chemin de fer ; on dira que, dans certaines parties, il est exploitable avec du charbon anglais à moins de frais qu’avec du charbon belge.

Je dis que toute l’objection vient à cesser quand on vous accorde qu’il faut déduire la différence de la dépense du montant des frais d’exploitation. Vous soutenez qu’il y aurait économie si vous aviez pris en partie aux Etats-Unis le charbon nécessaire, c’est-à-dire si vous aviez fait des commandes en Angleterre, pour avoir les charbons à votre disposition à New-York .. (on me dit y a des approvisionnements, mais n’importe, ce n’est pas sûr) ; vous n’auriez pas pu donner l’exemple de commandes de charbons en Angleterre par le gouvernement belge, pour avoir du charbon à New-York. Passons là-dessus. On m’accordera qu’on aurait pu employer du charbon belge pour aller d’Anvers aux Etats-Unis le charbon anglais n’aurait été employé que pour le retour ; l’économie n’aurait été alors que de 30 à 40 mille francs.

Quant à la concurrence que le gouvernement s’est faite en laissant prendre les émigrants pour les navires chargés de charbon et en laissant transporter certaines marchandises, j’ai déjà démontré à quoi elle se réduisait. Il ne pouvait pas prendre les émigrants, j’en ai expliqué la cause ; quant aux marchandises, s’il avait interdit ces navires de s’en charger, les particuliers les auraient portées à d’autres navires qui partaient sur lest d’Anvers.

Je crois, je le répète, que l’entreprise n’est pas encore définitivement jugée, qu’il faut examiner tous les détails des comptes. Et le gouvernement déclare qu’il n’a pas de résolution définitivement prise en ce qui la concerne. (La clôture ! La clôture !)

- La clôture est prononcée.

Vote de l'article unique

« Article unique. Un crédit de 91,000 francs est ouvert au département des affaires étrangères (marine) pour solder les dépenses occasionnées par l’exploitation du service transatlantique de navigation à vapeur pendant l’exercice 1842. »

Il est procédé à l’appel nominal.

Le projet est adopté à l’unanimité des 48 membres qui ont répondu à l’appel.

Ce sont : MM. Coghen, Coppieters, de Behr, Dedecker, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, de Roo, Desmaisières, de Terbecq, Dubus (aîné), Dumont, Fallon, Fleussu, Hye-Hoys, Jonet, Kervyn, Lebeau, Lys, Maertens, Mast de Vries, Meeus, Morel- Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Vanden Eynde, Vandensteen, van Hoobrouck, van Volxem, Verhaegen, Zoude et Raikem.

La séance est levée à 4 heures 1/2.