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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 9 décembre 1843

(Moniteur belge n°344, du 10 décembre 1843)

(Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et demi,

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners communique les pièces de la correspondance.

« La chambre de commerce de Termonde présente des observations contre le projet de loi sur le sel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« La chambre de commerce de Termonde prie la chambre de ne pas donner suite aux demandes qui lui ont été faites pour obtenir une réduction des droits d’entrée sur les tulles. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« Le sieur Marie-Désiré Mongenet, lieutenant, né à Lons-le-Saunier (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Plusieurs habitants de la ville d’Anvers prient la chambre d’annuler la délibération du conseil communal d’Anvers, en date du 9 mai 1841, établissant une taxe sur la vidange. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les fabricants de vinaigre artificiel, à Bruxelles, demandent d’être exemptés du droit d’accise sur les vinaigres artificiels. »

- Même renvoi.


M. le ministre de la justice adresse, accompagnées de renseignements relatifs à chacune d’elles, quatre demandes en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi portant les budgets de la dette publique et des dotations de l'exercice 1844

Rapport de la section centrale

M. Cogels dépose sur le bureau le rapport sur le budget de la dette publique et des dotations.

- Sur la proposition de M. le rapporteur, la chambre fixe la discussion de ce budget immédiatement après le vote du budget des voies et moyens et celui du budget de la chambre.

Rapports sur des pétitions

M. Malou (à la tribune). - Messieurs deux pétitions ont été renvoyées à la section centrale, qui a été chargée de l’examen du budget des voies et moyens.

L’auteur de l’une de ces pétitions propose un moyen pour couvrir le déficit qui existe au budget de 1844. Ses vues sont peu développées. Il indique la révision de quelques lois d’impôt.

L’autre pétition attaque surtout le mode d’établissement des octrois municipaux, et demande la révision de la loi sur la contribution personnelle.

La section centrale m’a chargé de vous proposer le dépôt de ces deux pétitions sur le bureau pendant la discussion, et ensuite le dépôt au bureau des renseignements.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Osy demande que le budget de la guerre du royaume de Bavière, dont il a parlé dans la séance d’avant-hier, soit traduit et imprimé aux frais de la chambre, et distribué aux membres de l’assemblée.

- Cette motion d’ordre est adoptée.

Projet de loi sur les céréales

Motion d’ordre

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, il vient d’être distribué deux nouveaux projets de loi sur les droits d’entrée et de sortie des céréales.

Il a été généralement admis en principe que, dans des questions d’une aussi haute importance, on devait consulter les chambres de commerce, les commissions d’agriculture et les députations des conseils. C’est ce qui a été fait, notamment, au sujet du projet de loi ayant pour objet d’établir un droit sur les avoines seules. Maintenant qu’il s’agit d’une loi générale sur les céréales, il faut, à plus forte raison, que la chambre s’éclaire des lumières des commissions que je viens de nommer. C’est le seul moyen que nous ayons pour parvenir à faire une bonne loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je croyais avoir pris toutes les précautions pour qu’on ne s exagérât pas la portée du projet de loi qui a été présenté à la chambre.

En effet, quelles sont les nouvelles dispositions qu’on vous propose ?

Je diviserai ces dispositions en trois catégories.

D’abord, il s’agit de renouveler, quant à l’orge, une disposition qui a été prise l’année dernière. Au lieu du droit de 14 francs, je propose de nouveau de fixer le droit d’entrée à 4 francs. L’année dernière, on n’a pas réclamé une instruction nouvelle ; j’ignore pourquoi on la réclame cette année. Je crois donc que, quant à l’orge, une instruction nouvelle n’est pas nécessaire.

En deuxième lieu, nous proposons de réduire le droit, quant à l’avoine. Ceci est une question nouvelle, mais il a été fait une instruction sur ce point ; j’ai fait une enquête et les pièces vous sont distribuées depuis fort longtemps,

Il s’agit, en troisième lieu, de mieux graduer l’échelle descendante pour le froment et pour le seigle. Eh bien, là encore il n y a pas de disposition nouvelle. C’est une question sur laquelle depuis longtemps l’attention publique et celle de la chambre ont été appelées.

Le projet de loi qui vous est proposé n’a donc pas une grande portée ; il ne présente rien d’essentiellement nouveau. C’est un système de transaction. Je désire que le projet soit examiné en sections, que la section centrale se constitue, et si la section centrale a besoin de renseignements supplémentaires, nous verrons de quelle manière il faut les lui fournir.

Si l’on ne procède pas de cette manière, je puis prédire qu’il y aura un ajournement indéfini. Si vous allez consulter les chambres de commerce, la plupart de ces corps ne verront que la question commerciale, ils trouveront que le projet doit être renforcé dans l’intérêt commercial ; si, au contraire, vous consultez les commissions d’agriculture, ces commissions, ne voyant que l’intérêt agricole, trouveront que le projet doit être renforcé dans l’intérêt de 1’agriculture. C’est nous, seulement nous, chambres législatives, dominant tous les intérêts, toutes les positions, qui pouvons apprécier le système de transaction qui vous est proposé.

M. Eloy de Burdinne. - Il me paraît que la question est assez importante pour être examinée avec toute la maturité que la matière comporte. Le système qu’on nous présente est tout à fait différent de celui qui existe, c’est-à-dire que, d’après le projet de loi qui vous est soumis, on vient au secours de l’agriculture au moment où elle va se trouver dans la plus grande détresse. C’est comme si, alors que le palais de la Nation serait en feu, on vous proposait d’attendre qu’il fût brûlé à moitié avant de faire jouer les pompes.

Messieurs, quand il s’agit de questions commerciales ou industrielles, on consulte les chambres de commerce, on consulte les parties intéressées. On ne peut se refuser à procéder de même dans la circonstance présente.

Je demande donc formellement à la chambre de renvoyer le projet de loi aux commissions d’agriculture, aux chambres de commerce et aux députations des conseils provinciaux.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande que sans rien préjuger, on continue, ou plutôt qu’on commence l’examen en sections. Pour que rien ne soit préjugé, il ne faut pas qu’on statue sur le fond de la motion qui est faite. Je demande donc l’ajournement de cette motion.

M. Dumortier. - Messieurs, il me semble que si une instruction devait avoir lieu il est préférable qu’on y procède avant que le projet soit examiné dans les sections. Car, après que les sections se seraient livrées à cet examen, après que la section centrale aurait fait son rapport, je demande à quoi servirait alors un renvoi aux commissions d’agriculture. Le renvoi aux commissions d’agriculture est fait dans un but spécial, c’est d’éclairer l’assemblée ; or, il vaut bien mieux éclairer l’assemblée avant qu’elle commence ses travaux préparatoires que lorsqu’elle les a terminés.

La question des droits sur l’entrée des grains est une des questions les plus graves qu’on puisse introduire dans le pays ; car de toutes les industries du pays, il n’en est certainement aucune qui soit comparable à celle de l’agriculture.

Il importe donc de ne pas prendre à la légère des mesures en ce qui touche l’agriculture alors que nous sommes si réservés, et cela à bon droit, quand il s’agit de mesures relatives à l’industrie manufacturière. Or, nous ne pourrions nous départir sans injustice de ce système de réserve, quand il s agit de l’industrie agricole.

Je dis donc que la motion de l’honorable M. Eloy de Burdinne est infiniment raisonnable, une motion que je suis surpris de ne pas voir M. le ministre accueillir. Je ne puis que me rallier à l’opinion de l’honorable député de Waremme.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il me paraît que l’honorable M. Dumortier a mal posé la question ; et d’abord je déclare ici que notre sollicitude pour les intérêts de l’agriculture n’est pas moins grande que celle des deux honorables membres que nous venons d’entendre ; je dis que M. Dumortier pose mal la question. Si, dit-il, des renseignements sont nécessaires, il vaut mieux les demander maintenant que plus tard aux commissions d’agriculture, aux chambres de commerce et aux députations permanentes. Cela serait juste si le gouvernement ne se croyait pas à même de donner lui-même tous les renseignements nécessaires. Le gouvernement croit que, quand la section centrale sera formée, si elle a besoin de renseignements ultérieurs, il pourra les lui fournir ; M. le ministre de l'intérieur a ajouté : si la section centrale ne trouve pas suffisant les éclaircissements qui lui seront donnés, nous ne nous opposerons pas à ce que l’on consulte les corps indiqués par l’honorable M. Eloy de Burdinne. Il ne s’agit donc pas de statuer sur la question telle que la pose M. Dumortier.

M. de Brouckere. - J’appuie la proposition de M. le ministre de l’intérieur. Il est incontestable que si le projet dont il s’agit est envoyé à l’avis des députations permanentes, des commissions d’agriculture et des chambres de commerce, ce serait prononcer l’ajournement indéfini de la discussion, car on comprendra que les avis de ces corps se feront attendre assez longtemps, il faudra les faire imprimer, il faudra que chacun puisse les consulter. Je ne crains donc pas de dire qu’adopter la motion qui est faite serait remettre à une autre session le projet de loi sur les céréales. Il est incontestable que ce projet de loi est urgent, en ce sens que de toutes les parties du pays, on a réclamé des modifications à la législation sur les céréales.

Ces modifications, à la vérité, sont en sens différent, mais l’opinion est générale pour trouver le système vicieux et y demander des modifications. Le gouvernement répond à l’appel du pays, il présente un projet de loi ; qu’avons-nous à faire ? l’examiner et le discuter. C’est à tort qu’on vous présente ce projet de loi, comme ayant été formulé à la légère. Il y a très longtemps que le gouvernement a pris un grand nombre de renseignements dans les localités pour s’éclairer sur cette matière. Il est nanti de ces renseignements, il les annonce et les communiquera quand le moment sera venu. Autre chose encore, c’est que les chambres de commerce et d’agriculture, qui croiront avoir des observations à faire, ne manqueront pas de les transmettre à la chambre. Je parle en connaissance de cause, car je suis persuadé que plusieurs des corps dont a parlé M. Eloy de Burdinne, ont déjà fixé leur attention sur le projet du gouvernement, et enverront leurs observations à la chambre s’ils croient ce projet susceptible d’observations importantes. Je crois que la meilleure marche à suivre est celle indiquée par M. le ministre de l'intérieur. Les section examineront le projet, la section centrale l’examinera également, et quand le gouvernement aura fourni à la section centrale tous les renseignements qu’il a en son pouvoir, s’il reste encore quelques points sur lesquels de nouveaux renseignements ou des renseignements plus complets sont nécessaires, qu’on pose des questions et qu’on le envoie aux corps dont il s’agit, cela facilitera la besogne de ces corps, et de cette manière nous pourrons arriver à la discussion et à la solution de cette importante question avant la fin de la session.

M. Desmet. - Certainement je reconnais que les modifications à apporter à la loi sur les céréales sont urgentes. Mais l’honorable membre trouve aussi que cette loi est importante. Si nous la faisons sans consulter les commissions d’agriculture, les chambres de commerce et les députations permanentes, nous courons risque de faire une loi qui devra être révisée l’année prochaine.

Dans beaucoup de localités, on a attaqué non seulement l’échelle établie dans la loi qui nous régit mais le principe même de cette loi, de sorte que c’est sur ce principe même qu’il faudra consulter les corporations que je viens d’indiquer.

Je crois que la motion faite par l’honorable M. Eloy de Burdinne aura pour effet de nous faire arriver plus vite à la solution de cette question, que celle présentée par M. le ministre de l’intérieur ; car si vous allez attendre pour demander un complément de renseignements que les sections et la section centrale aient examiné la loi, vous n’aurez pas ces renseignements aussi vite que si vous les demandiez dès à présent. La discussion du projet ne doit venir qu’après le vote des budgets ; vous avez donc le temps d’attendre l’avis des corporations dont il s’agit, et il suffit de 15 jours pour les obtenir. Cela n’empêchera pas de commencer l’examen dans les sections. J’appuie donc la motion de l’honorable M. Eloy de Burdinne de consulter sur le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur, les députations permanentés, les commissions d’agriculture et les chambres de commerce.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, on dirait, à entendre certains membres, que le gouvernement vous a présenté une œuvre d’imagination. Mais le ministère s’est entouré de renseignements depuis plusieurs années ; il les a même résumés ; de nombreuses pièces sont annexées au projet de loi qui vous a été distribué hier soir ; il n’était pas nécessaire de faire imprimer tous les documents. Quand le gouvernement donne les résultats, on peut se dispenser d’avoir les pièces mêmes. Le projet n’est donc pas présenté à la légère sans documents à l’appui ; au contraire, car on vous a distribué un cahier assez volumineux

Il importe au gouvernement de ne pas laisser s’accréditer certaines prétentions. On dirait que ce projet est la destruction de l’agriculture. Je prétends au contraire que ce projet de loi apporte au système de 1834 des rectifications telles que c’est peut-être le seul moyen de sauver la loi de 1834. Ici je me permettrai de donner un avis au premier orateur qui a soulevé cette discussion. C’est un système de transaction que je propose ; il contient une meilleure gradation, et c’est le seul moyen, peut-être, de sauver le système de 1834. Je désire, dans l’intérêt de l’agriculture, le maintien du système de 1834, et c’est pour cela que j y propose des rectifications.

Quand M. le président a propose d’ajourner la motion après le rapport de la section centrale, je n’avais pas entendu dire que la section centrale ferait un rapport complet dans tous les cas. Je suppose que le projet arrive à la section centrale, la section centrale trouve que les renseignements sont incomplets et en demande de nouveaux, la section centrale nous fera un rapport ; elle viendra déclarer que, dans l’état actuel de l’instruction, l’examen du projet est impossible, qu’il faut une instruction nouvelle ; si des pouvoirs lui sont nécessaires pour se constituer en commission d’enquête, elle vous demandera ces pouvoirs. Mais il vaut mieux qu’on s’en rapporte au gouvernement pour faire cette enquête ; les sections et la section centrale lui adressent une série de questions auxquelles il répondra.

M. Orts. - La question dont il s’agit est toute simple. C’est une question d’urgence. La proposition de M. Eloy de Burdinne est de renvoyer le projet présenté à l’avis des chambres de commerce, des commissions d’agriculture et des députations permanentes avant que les sections soient saisies. Cette proposition est combattue par celle de M. le ministre de l’intérieur, qui demande le renvoi à l’examen des sections et de la section centrale, pour juger s’il faut renvoyer oui ou non le projet à ces corps, s’il est nécessaire d’avoir des renseignements ultérieurs. En adoptant la proposition de M. Eloy de Burdinne, vous retardez l’instruction de la loi. Pourquoi ordonnons-nous le renvoi en sections ? Pour que chaque membre indique les renseignements ultérieurs dont il croit avoir besoin.

De deux choses l’une : l’examen en section et en section centrale va démontrer la nécessité de nouveaux renseignements, ou cette nécessité ne sera pas sentie. Si de nouveaux renseignements sont jugés nécessaires, les corps que vous consulterez seront plus à même de vous satisfaire que si vous leur demandiez ce travail aujourd’hui. Pour procéder rationnellement et économiser le temps, il vaut mieux commencer par le travail en sections afin de formuler les doutes que le projet pourra soulever et indiquer les points sur lesquels des renseignements nouveaux sont nécessaires. Je ne comprends pas qu’on ne voie pas tout de suite que la proposition de M. Eloy de Burdinne, faite dans de bonnes intentions, aura cependant pour effet de retarder l’examen de la loi.

M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole.

M. le président. - Vous avez déjà eu la parole sur la motion, je ne puis vous l’accorder une troisième fois sans consulter la chambre.

- La chambre consultée consent à ce que la parole soit accordée une troisième fois à M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - Je dois répondre quelques mots à différents arguments qu’on a fait valoir.

L’honorable M. de Brouckere vous a dit qu’il y avait urgence. Eh bien, c’est parce qu’il y a urgence, que nous devons consulter, dès à présent, les commissions d’agriculture, les chambres de commerce et les députations permanentes, puisque si nous ne les consultons qu’après avoir examiné le projet en sections et en section centrale, les avis de ces corps nous arriveront plus tardivement : M. de Brouckere nous a dit que le projet était connu des corps que je voulais consulter et qu’ils nous enverront leur avis. Mais vous ne pourrez pas avoir l’avis des commissions d’agriculture, celui dont nous avons le plus spécialement besoin, puisqu’elles ne sont pas réunies en permanence.

Je ne vois pas quelle crainte on peut avoir, le prix des grains n’est pas en hausse, il est au contraire en baisse, et s’il était à 20 fr. et que le commerce eût envie de faire entrer des grains en franchise de droits, il pourrait renouveler ce qu’on m’assure qu’il a fait, dépenser huit à neuf mille fr, pour en gagner 7 à 800 mille fr.

Mais vous ne devez pas craindre que cet état se reproduise, vous ne verrez plus d’ici à longtemps le froment à 20 fr. l’hectolitre.

C’est parce que je crois qu’il y a de grandes modifications à apporter au projet de loi présenté, et que la question est si importante que nous ne pouvons l’entourer de trop de lumière. Déjà, je dois le dire, le projet de loi a jeté la perturbation dans nos campagnes. J ai reçu plusieurs lettres qui le prouvent ; et bientôt vous recevrez des pétitions demandant le maintien de la législation actuelle ; cette législation ne me convient pas mieux qu’à vous ; mais je la veux telle que l’industrie qui fournit les treize seizièmes de l’impôt soit soutenue.

M. le président. - Je rappellerai à l’orateur que la motion d’ordre est seule en discussion.

M. Eloy de Burdinne. - Je suis dans la question ; car je réponds aux arguments des honorables préopinants. Au surplus, je me bornerai à ce que j’ai dit.

M. Dumortier. - Il y a entre les personnes qui s’opposent à l’adoption de la proposition une divergence d’opinions telle qu’elles se combattent entre elles. Ainsi M. le ministre de l’intérieur demande l’examen du projet de loi en sections et en section centrale. Laissez, a-t-on dit, la section centrale faire son rapport, ou plutôt un quasi-rapport, car elle ne ferait rapport que sur une partie ; on verrait ensuite pour le reste ; laissez donc la section centrale faire une partie de son rapport, et vous verrez alors si vous devez renvoyer la question à l’examen des commissions d’agriculture et des députations permanentes.

L’honorable M. de Brouckere, au contraire, dit : Si vous renvoyez la loi à l’examen des commissions d’agriculture et des députations permanentes, ce sera un ajournement indéfini, ce sera le renvoi à la session prochaine. Je voudrais que ces messieurs se missent d’accord entre eux.

M. de Brouckere. - C’est ce que nous allons faire.

M. Dumortier. - Ce sera difficile ; car, si vous voulez le renvoi aux commissions d’agriculture et aux députations provinciales, à plus forte raison sera-ce le renvoi à la session prochaine.

Comment, vous craignez un retard, et vous accueillez la proposition de M. le ministre de l’intérieur, qui entraîne un retard double ? J’entends un de mes honorables voisins qui dit que c’est un retard éventuel. Eh bien, je réponds que, dans une question aussi grave, nous devons être éclairés non seulement par le gouvernement, mais encore par nos commettants, ; nous verrons plus clair par leurs yeux qu’à travers les lunettes de M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur nous dit qu’il a recueilli des renseignements. Mais nous voulons un examen non sur les renseignements recueillis par le ministre, mais sur le projet présenté. Nous voulons savoir si le projet a l’assentiment des populations ; s’il n’est pas onéreux pour les campagnes. Voilà les motifs du renvoi que nous demandons à y opposer, ce serait déclarer qu’on ne veut pas entendre, qu’il y a parti pris de ne pas écouter les plaintes des populations sur un projet de loi d’une telle importance

Je n’admets pas ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere, que de toutes parts, on considérerait la législation sur les céréales comme vicieuse. Je n’ai jamais entendu dire qu’elle fût envisagée ainsi ailleurs que dans deux ou trois localités, spécialement des ports de mer. Dans mon pays, je n’ai jamais entendu parler de cette manière de la législation sur les céréales. Je ne conteste pas, du reste, qu’il n’y ait des améliorations à y apporter.

Ce que demande l’honorable M. Eloy de Burdinne, jamais vous ne vous êtes refusés à le faire pour les autres lois d’intérêt industriel ; toujours vous avez renvoyé ces lois à l’examen des intéressés, avant l’examen en sections. Si on propose ce renvoi après l’examen en sections, c’est donc une innovation, innovation qui n’a qu’un but, à savoir de priver la législature des commissions d’agriculture, des chambres de commerce et des députations provinciales.

Il y a d’ailleurs une autre considération : vous savez que les commissions d’agriculture ne se réunissent que deux fois par an ; elles n’ont pas de réunions périodiques, comme les députations provinciales ; si donc les commissions d’agriculture ne sont pas mises en demeure par une résolution, elles ne se réuniront pas, et nous serons privés de leurs lumières ; il importe de les leur demander, si vous voulez les avoir. Pour moi je désire les avoir. Avant de résoudre une question si importante, je serai charmé de connaître l’opinion de personnes qui s’y connaissent beaucoup mieux que moi, beaucoup mieux que nous tous.

Pour accélérer, on pourrait ne pas renvoyer aux chambres de commerce. (Réclamations.) De quoi s’agit-il ? Quand on fait une loi sur l’industrie, est-ce qu’on la renvoie aux commissions d’agriculture ? N’ayons donc pas deux poids et deux mesures. Ou vous renvoyez à ces commissions les lois relatives aux produits manufacturés ; ou, si vous ne le faites pas, ne renvoyez pas non plus aux chambres de commerce les lois relatives à l’agriculture.

Je conçois, au reste, qu’on ne partage pas cette opinion ; mais je dis qu’il n’y a pas lieu de tant se récrier, car elle n’a rien de déraisonnable. En effet, l’agriculture est seule intéressée dans la question. Je présume que l’assemblée veut accorder à toutes les industries une protection égale, sérieuse, efficace ; l’industrie agricole mérite d’ailleurs notre attention sérieuse autant que toute autre ; d’autant plus que c’est sur elle que pèse la majeure partie des populations, que c’est elle qui donne des moyens d’existence à la majeure partie des habitants du pays. Si on veut simplifier l’instruction du projet de loi, il est évident qu’on peut se borner au renvoi aux commissions d’agriculture.

Quant à nous, nous ne chercherons jamais à élever les droits sur les grains étrangers assez haut pour nuire aux populations, mais d’autre part, nous devons maintenir les droits à un taux assez élevé pour que le fermier ait un bénéfice, en faisant vivre les habitants.

Je dis donc qu’on pourrait se borner a renvoyer le projet de loi à l’examen des commissions d’agriculture ; mais ne les renvoyer à personne ; se borner à l’examen du gouvernement, se priver des lumières de ceux qui nous ont envoyés dans cette enceinte, ce serait fausser la discussion, ce serait risquer de résoudre en aveugles uns des plus graves questions qui vous aient été soumises.

Remarquez, au reste, que nous avons un mois devant nous ; nous commençons l’examen des budgets, qui durera au moins un mois. Avant un mois, il nous est impossible de nous occuper de la loi des céréales ; profitons de ce mois pour faire examiner le projet de loi par les commissions d’agriculture, et nous aurons bien mérité de nos commettants.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis forcé de revenir sur les réflexions que j’ai présentées à l’assemblée. On exagère la portée de la loi. Elle a trois objets 1° 4 fr au lieu de 14 à l’entrée de l’orge (cet objet est instruit depuis longtemps, c’est le renouvellement de la loi de l’an dernier), °2 réduction du droit sur l’avoine (l’instruction est faite, elle vous est soumise), 3° une meilleure gradation de l’échelle descendante, tant pour le froment que pour le seigle. C’est une question extrêmement simple.

J’ai présenté ce projet de loi, avec les pièces à l’appui ; c’est mon habitude.

Je demanderai à la chambre la permission de lui indiquer les documents que j’ai annexés au projet de loi ce sont :

1° Sub litt. A à N, les lois et arrêtés temporaires et exceptionnels intervenus depuis la loi de 1834 (j’épargne ainsi les recherches) ;

2° Sub litt. O, un tableau qui expose en quelque sorte tout le mécanisme de la loi rectifiée ;

3° Sub litt. P, un relevé des prix moyens du froment et du seigle, destiné à faire apprécier le rapport entre ces deux céréales ;

4° Sub litt. Q, un relevé des prix moyens de l’orge ;

5° Sub litt. R, un pareil relevé pour l’avoine ;

6° Sub litt. S, un relevé présentant, à partir de 1835, les chiffres des importations et des exportations du froment, du seigle, de l’orge, de l’avoine, des farines et des pommes de terre. Ce relevé est destiné à faire apprécier les quantités qui, pour les besoins de la consommation, doivent être demandés chaque année à l’étranger ;

7° Sub litt. T, le relevé, a partir de 1835, des droits et du régime d’entrée qui ont été en vigueur sur le froment et le seigle ;

8° Sub litt. U et V, un double relevé général des importations et des exportations des céréales ;

9° Sub litt. W, le relevé des droits perçus sur le froment et le seigle, de 1840 à 1842.

J’avoue que, si c’est là présenter un projet de loi sans renseignements, je ne sais comment il faut s’y prendre pour instruire une affaire.

On nous dirait au moment de nous diviser en partisans et en adversaires de l’agriculture.

Il s’agit ici d’apporter quelques rectifications au système de 1834 ; ces rectifications sont telles que, selon moi, elles sont de nature à sauver le système de 1834 qu’on regarde comme si favorable à l’agriculture. J’insiste donc pour que l’examen du projet de loi, en sections, suive son cours. Si un examen supplémentaire est nécessaire, la section centrale le fera. S’il lui faut des pouvoirs spéciaux, elle nous les demandera.

- La demande d’ajournement faite par M. le ministre de l'intérieur sur la proposition de M. Eloy de Burdinne est mise aux voix par appel nominal.

En voici le résultat :

66 membres répondent à l’appel.

42 votent pour l’ajournement.

21 votent contre.

3 s’abstiennent.

En conséquence, l’ajournement de la motion de M. Eloy de Burdinne est adopté.

Ont voté contre l’ajournement : MM. Castiau, de Florisone, Delehaye, de Meer de Moorsel de Mérode, Deprey, de Renesse, de Saegher, Desmet, Dolez, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Huveners, Lange, Peeters, Rodenbach, Simons, Vanden Eynde, Vilain XIIII et Wallaert.

Ont voté pour : MM. Angillis, Brabant, Cogels, de Baillet, de Brouckere, de Corswarem, Dedecker, Delfosse, de Meester, de Naeyer, de Nef, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Huart, Donny, Duvivier, Fleussu, Goblet, Henot, Jadot Kervyn, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Scheyven, Sigart ; Thienpont, Van Cutsem, Van Volxem et Zoude.

Se sont abstenus : MM. de la Coste, d’Hoffschmidt et Verwilghen.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à en faire connaître les motifs.

M. de La Coste. - Je me suis abstenu, parce que je n’étais pas présent à la discussion, je viens d’entrer.

M. d’Hoffschmidt. - Je n’ai reçu le projet de loi sur les céréales avec les renseignements qui l’accompagnent, que hier soir. Je n’ai pu encore examiner si ces renseignements sont suffisamment complets ; j’ignore donc s’il en faut de nouveaux, et j’ai dû m’abstenir.

M. Verwilghen. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l’honorable M. de la Coste.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l'exercice 1844

Rapport de la section centrale

M. de La Coste. - Messieurs, la section centrale chargée de l’examen du budget des affaires étrangères et de celui de la marine, m’ayant nommé son rapporteur, j’aurai l’honneur de déposer mardi le rapport sur le budget de la marine. Aujourd’hui j’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur le budget des allaires étrangères.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La chambre fixe la discussion du budget des affaires étrangères après celle du budget de la dette publique et des dotations.

Pièce adressée à la chambre

M. le président. - Le bureau vient de recevoir une dépêche de M. le ministre de l’intérieur. Il va en être donné lecture à la chambre.

M. Huveners, secrétaire, donne lecture de cette dépêche :

« Bruxelles, le 8 décembre 1843.

« M. le président,

« J’ai l’honneur de vous informer qu’un Te Deum sera chanté, le 16 de ce mois à midi, dans l’église des SS. Michel et Gudule, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du Roi.

« L’escorte d’usage sera mise à la disposition de la chambre, si elle le désire.

« Il me serait agréable, M. le président, de connaître la décision qui sera prise à ce sujet.

« Agréez, etc.

« Le Ministre de l’intérieur, Nothomb. »

- La chambre décide qu’elle se rendra en corps au Te Deum. Cette décision sera portée à la connaissance de M. le ministre de l’intérieur.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1844

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du budget des voies et moyens. La parole est à M. d’Hoffschmidt.

M. d’Hoffschmidt - Messieurs, j’avais demandé, hier, la parole, pour un fait personnel, parce que je crois que l’honorable M. Delehaye, qui m’a répondu sur plusieurs points, s’est mépris sur le sens de mes paroles.

L’honorable M. Delehaye, en me répondant, vous a longuement parlé des souffrances de la classe ouvrière. Messieurs, je n’ai pas dissimulé dans mon discours la misère qui règne dans la classe des travailleurs de plusieurs de nos provinces. A Dieu ne plaise que je ne compatisse autant que qui que ce soit à de pareilles souffrances et que je veuille les atténuer. Cette situation doit occuper plus que toute autre le gouvernement et le pouvoir législatif. Quant à moi, je serai toujours disposé à prêter mon concours à toutes les mesures rationnelles qui tendraient à alléger ces souffrances.

Un honorable orateur qui a pris hier la parole, à la fin de la séance a, de son côté, mal compris plusieurs passages de mon discours. Non seulement il m’a prêté quelques opinions que je n’ai pas émises, mais même il m’a prêté des opinions tout à fait contraires à celles que j’ai formulées.

Il m’a représenté d’abord comme partisan de l’immobilité en matière d impôt et en toute autre matière. J’ai manifesté, messieurs, une opinion tout à fait différente. Il me suffira de lire quelques lignes de mon discours d’hier pour vous le prouver à l’évidence.

Voici comment je me suis exprimé :

« Un honorable orateur qui m’a précédé a parlé beaucoup de la réforme de nos impôts actuels. Je ne pense pas non plus, messieurs, que nous devrons rester dans une immobilité en quelque sorte routinière. Je crois qu’il y a de nombreuses améliorations à apporter aux impôts actuels, mais je crois aussi qu’il faut bien se garder d’improviser dans cette matière.

Vous voyez donc, messieurs, que je suis partisan d’une progression sage et modérée. Je ne suis contraire qu’à des réformes brusques et imprévoyantes.

Quand j’ai fait mention de ces réformes sociales qu’il fallait bien se garder de discuter prématurément dans cette chambre, j’ai voulu vous parler de ces réformes qui sont soulevées dans beaucoup d’ouvrages, dans beaucoup de publications ; de cette réforme de l’organisation de l’industrie et de la société. De pareilles questions, il serait dangereux de es discuter prématurément dans les chambres législatives. Serait-il prudent, par exemple, de discuter dans les chambres législatives le système de Fourier et d’autres systèmes semblables ? Je ne pense pas non plus qu’il serait bon de livrer aux débats d’une chambre législative la question de savoir s’il est nécessaire de rétablir maintenant, comme des économistes le proposent, les jurandes et let maîtrises.

Voilà, messieurs, les réformes dont je voulais parler, quand je disais qu’elles devaient être abandonnées encore longtemps à l’examen des publicistes, à l’examen de la presse avant d’être soulevées dans nos débats.

Et certes, en parlant de ces réformes hardies, je n’ai pas entendu mentionner celles, par exemple, dont parlait hier l’honorable M. Verhaegen, que je regrette de ne pas voir en ce moment dans cette enceinte. Celles-ci, messieurs, n’ont rien de nouveau selon moi. Ce sont des réformes d’impôt souvent formulées qu’il nous propose ; ce sont des modifications qui ont été présentées chaque année dans cette chambre, et, si elles n’ont pas été adoptées, ni même discutées, c’est qu’on les croit inefficaces ; c’est que l’on est persuadé que, parmi les ressources indiquées, ce ne sont pas celles-là qui doivent procurer des revenus considérables pour le trésor.

Je ne dis pas que, dans les opinions qu’il a émises, il n’y ait certainement plusieurs idées susceptibles d’être adoptées. Je partage, comme tout autre le principe que l’impôt doit peser sur la classe riche, sur la classe aisée et non pas sur la classe pauvre. Je crois, par exemple, que si l’on augmentait les droits sur les vins, on ferait très bien ; je crois qu’il est très absurde que les droits d’entrée sur cent bouteilles de bon vin, comme le disait hier l’honorable orateur, n’étant que de 2 francs, ceux sur cent bouteilles vides soient de 6 fr. Mais, messieurs, je ne sais pas si l’honorable membre voudrait substituer les impôts nouveaux qu’il indique aux impôts actuellement existants. C’est là qu’il rencontrerait des difficultés. Si l’on voulait, par exemple, faire table rase des impôts actuels sur la consommation et y substituer les bases qui ont été indiquées, c’est alors, je crois, que nous aurions des déficits, c’est alors que les tristes prévisions que l’on nous a présentées sur notre avenir financier se réaliseraient bien certainement. Il ne suffit pas qu’un impôt soit possible, il faut qu’il soit profitable au trésor, il faut qu’il ne nuise pas à la classe ouvrière, en diminuant le travail sans rapporter de notables revenus. C’est ce qu’il faut bien examiner, surtout lorsqu’il s’agit des objets de luxe dont on peut facilement se passer.

Le résultat de l’impôt est nécessairement de diminuer la consommation de ces objets de luxe, de priver, par conséquent, les classes ouvrières de travail et de ne presque rien rapporter au trésor.

L’honorable préopinant vous a cité aussi comme pouvant remplacer les autres impôts, l’impôt progressif sur les revenus. Cet impôt, messieurs, en théorie, est certainement plus juste, plus équitable, mais c’est dans l’application qu’il faut le juger. Dans l’application il est impossible de l’établir sans que la contribution soit exposée à l’arbitraire, et c’est pour cela, je pense, qu’on ne l’a jamais adopté.

L’honorable M. Verhaegen a cité encore les paroles que j’avais prononcées, relativement à l’Angleterre, et je pense qu’il en a tiré des conséquentes fausses. Je n’ai point, dans le discours que j’ai prononcé hier, parlé des institutions de l’Angleterre. J’admire l’Angleterre comme une grande et puissante nation ; mais je n’admire nullement l’état social de l’Angleterre, je n’admire nullement ce contraste d’immenses fortunes, de fortunes pour ainsi dire fabuleuses, qui comptent leurs revenus par millions, placées à côté d’une misère affreuse, à côté de masses d’ouvriers souvent jetés sur le pavé, sans pain pour soutenir leur existence.

Ce n’est point seulement, du reste, à ses institutions que l’Angleterre doit les souffrances de ses travailleurs, elle les doit aussi à une cause plus générale, à son régime industriel. Avec ce régime, la perte d’un débouché, l’invention d’un procédé nouveau dans l’industrie, une guerre, une apparence de guerre même, suffit souvent pour enlever le travail à des masses d’ouvriers et les plonger dans la misère.

On m’a reproché aussi, messieurs, d’avoir présenté la situation de notre pays sous un aspect trop brillant. Je sais bien que, depuis quelques années surtout, il est, en quelque sorte, de mode de représenter la Belgique comme succombant sous le poids des impôts, comme se trouvant dans un état de crise continuel, comme marchant enfin à sa ruine.

Je ne considère pas, comme on l’a bien voulu dire, un budget de 109 millions comme une chose extrêmement satisfaisante, mais j’ai dit que j’espère de l’avenir ; j’ai dit que j’espérais que la progression croissante suivie depuis quelques années par le chiffre du budget, progression qui, en effet, est devenue presque effrayante, j’ai dit que j’étais convaincu que cette progression allait s’arrêter. J’ai la confiance qu’un pays libre et riche comme la Belgique, avec le caractère industrieux de ses habitants, ne peut pas manquer de devenir prospéré dans l’avenir. Si je me trompe, j’espère au moins que je conserverai encore longtemps mes illusions.

Je n’en dirai pas davantage, pour ne pas abuser des moments de la chambre.

M. Dumortier. - J’ai demandé la parole pour ne point laisser passer sans réponse certaines observations présentées par l’honorable préopinant, relativement au système financier du pays, dans le discours qu’il a prononcé hier et dont ses dernières paroles sont le résumé. Cet honorable membre a présenté la situation financière de la Belgique comme extrêmement prospère.

M. d’Hoffschmidt. - Pas du tout.

M. Dumortier. - Il m’a paru résulter de votre discours que l’état de nos finances était infiniment prospère et je pense que vos paroles ont fait la même impression sur tous mes honorables collègues. Quant à moi, je ne partage nullement cette opinion. Je ne puis découvrir la prospérité dont l’honorable membre a parlé hier, et je crois que ce serait laisser le gouvernement et le pays s’égarer que de laisser de pareilles assertions sans réponse. Je ne prétends pas dire que l’état de la Belgique soit désespéré, loin de là, mais il ne faut pas non plus voir les choses trop en beau. Ce serait rendre trop facile la tâche du gouvernement, ce serait l’encourager à nous entraîner de plus en plus dans la voie des emprunts, dans le système d’imprévoyance qui nous a dirigés jusqu’ici. Je dois donc, messieurs, sous ce rapport, quelques mots de réponse à l’honorable préopinant.

Certainement, messieurs, la situation financière du pays ne s’est point améliorée depuis quelques années. L’honorable député de Liége qui a parlé le premier dans la séance d’avant-hier, nous a présenté des faits appuyés de chiffres et qu’il me paraît impossible de méconnaître. Lorsque l’honorable M. Delfosse est venu nous exposer les déficits successifs que notre situation financière a présentés, lorsqu’il est venu mettre sous vos yeux les augmentations de dépenses que vous avez dû voter chaque année, lorsqu’il vous a signalé l’accroissement progressif des impôts qui pèsent sur le pays, manifestement, c’est là une chose fort sérieuse sur laquelle le pays et la chambre des représentants ne sauraient faire de trop mûres réflexions.

Messieurs, nos mauvaises situations financières datent de 1839 ; c’est de cette époque que partent les déficits successifs, les découverts du trésor qui ne sont que des déficits, et tout ce qui crée pour le présent et pour l’avenir les embarras financiers en face desquels nous nous trouvons. Tout cela est la suite nécessaire du traité que vous avez votée en 1839 ; à cette époque, messieurs, vous avez admis deux principes qui devaient être extrêmement nuisibles au trésor public ; c’est, en premier lieu, le paiement d’une dette énorme que nous n’avions point contractée, d’une dette de 10 millions de francs par an, portée à 11 millions par le rachat de la navigation d’Anvers ; c’est en second lieu, la malheureuse cession du Limbourg et du Luxembourg, qui nous a privé d’un revenu assuré jusqu’alors, qui s’élevait à près 4 millions de francs.

J’examine ici la chose, messieurs, uniquement sous le point de vue du trésor public, je ne veux pas rappeler des souvenirs plus déchirants, je veux seulement faire remarquer que l’état fâcheux de nos finances est dû surtout au traité voté en 1839. Toutefois, nous aurions pu trouver dans le traité du 5 novembre 1842, des ressources considérables, car quelque mauvais que fût le traité de 1839, son texte présentait encore des moyens d’améliorer notre situation financière, malheureusement ces moyens n’ont amené aucun résultat satisfaisant pour le trésor. Nous avions des droits à faire valoir pour une somme de plus de 100 millions ; ces droits n’ont rien amené, absolument rien dans le trésor public, ils sont perdus sans retour. Ainsi, vous aviez des droits manifestées sur 32 millions de los-renten, et malgré le droit le plus incontestable, il ne vous est rien rentré de ce chef lors du traité de 1842.

Un article du traité stipulait en termes exprès les droits de la Belgique sur la dette dite française ; ce qui devait nous revenir du chef de cette dette, s’élevait à 37 millions, et nous avions à faire valoir les arguments présentés en 1818, par la diplomatie hollandaise elle-même, contre la France ; cette somme énorme, qui ne paraissait pas pouvoir nous échapper, est encore perdue pour le trésor public. Nous avions à faire valoir des droits incontestables sur les palais et les domaines que la maison d’Orange avait occupés en Belgique ; ces droits résultaient d’une note remise en 1833, par M. le ministre des affaires étrangères actuel, à la conférence de Londres ; et non contredite par les plénipotentiaires hollandais.

Cette note a été perdue et l’on a encore dépensé 8 millions pour le rachat des propriétés qui devaient nous revenir gratuitement.

Enfin, on a admis un prétendu principe de non-liquidation dans les bases qui devaient nous présenter des avantages, et ce même principe on l’a abandonné sur celles qui devaient nous amener de la perte, en sorte que les ressources que le premier traité aurait pu présenter ont été entièrement perdues dans le second.

Ainsi en résumé, le premier traité a amené une perte considérable pour le trésor, et le deuxième traité qui aurait dû améliorer notre situation financière, n’y a exactement rien changé.

Maintenant on s’étonne que pour la Belgique, la crise de 1839 ait continué à se faire sentir, qu’il ait pénurie de numéraire. Mais, messieurs, à mes yeux le contraire devrait singulièrement nous étonner, car lorsque chaque année nous devons faire sortir du pays onze millions de francs pour payer la dette hollandaise, évidemment ces 11 millions n’y rentrent plus, ils doivent être pris sur les bénéfices de l’industrie. D’un autre côté, la balance commerciale est entièrement en notre défaveur.

L’honorable M. d’Hoffschmidt nous a dit hier que le déficit de la balance commerciale s’élève à 92 millions. Je n’examinerai point si ce chiffre est exact, je le crois même très exagéré, mais ce que je sais parfaitement, c’est que chaque année le chiffre de ce déficit va en augmentant. C’est là un point extrêmement grand sur lequel le gouvernement ne porte pas une attention assez sérieuse. Il importe que le gouvernement comprenne la nécessité de faire tous les efforts imaginables pour rendre le résultat de la balance commerciale moins préjudiciable au pays, car il est évident, messieurs, que lorsque vous n’expédiez pas de marchandises en échange de celles que vous tirez de l’étranger, il ne vous reste qu’un seul moyen de liquider vos comptes à la fin de l’année, c’est de payer le solde en numéraire et dès lors le pays s’appauvrit. Eh bien, c’est là la situation actuelle de la Belgique.

L’honorable M. d’Hoffschmidt a prétendu que le pays s’était considérablement enrichi depuis quelques années et il en a vu la preuve dans les propriétés foncières qui étaient autrefois possédées par des étrangers et qui ont été acquises par des Belges. Mais l’honorable membre a perdu de vue les capitaux énormes versés dans le pays depuis la révolution, circonstance dont il ne faudrait jamais faire abstraction dans ces sortes de discussions ; il a perdu de vue les emprunts considérables que la Belgique a contractés depuis 1830, ct qui s’élèvent à une somme de 300,000,000 de francs. Or, vous le savez, messieurs, une partie très notable de ces emprunts, la presque totalité des premiers a été faite à l’étranger. Il en est donc résulté qu’une énorme quantité de numéraire a été déversée momentanément en Belgique et cette circonstance a donné au pays pendant quelques années une prospérité très grande mais évidemment passagère. On peut dire sans exagération que la moitié de toutes les sommes empruntées depuis la révolution, c’est-à-dire 160 millions de francs ont été tirés de l’étranger.

D’un autre côté, la vente de plusieurs de nos richesses minières en actions industrielles sur les marchés étrangers, a amené aussi temporairement des capitaux considérables en Belgique, et l’introduction de ces capitaux a été également augmentée par suite d’un événement funeste, je veux parler de la chute de la banque de Belgique dont plus de 15 millions se trouvaient à Paris.

On peut, sans exagération, dire que du chef des emprunts, du chef de la chute de la banque de Belgique, du chef des sociétés industrielles, 200 millions de capitaux ont été déversés en Belgique, pendant les dix premières années de notre émancipation politique. C’est là une source considérable de prospérité, mais ce n’est qu’une prospérité momentanée, quand la balance commerciale n’a pas pour résultat de conserver ces capitaux dans le pays.

Or, ces capitaux n’ont pas été conservés dans le pays. Je vous en fais connaître les causes. Une des principales causes, c’est le résultat de la balance commerciale ; une autre, notre système monétaire ; une autre enfin, c’est la nécessité d’envoyer du numéraire à l’étranger pour le payement de la dette nationale, ce dernier point est, je le sais, un mal sans remède. Mais il fallait que le gouvernement, par des mesures sagement combinées, cherchât à faire entrer dans le pays, au moyen de l’industrie, d’autres capitaux, pour balancer ceux qui en sortaient.

C’est ce qui, malheureusement, n’a pas été fait ; depuis 5 ans le pays s’est sensiblement appauvri, car, jusqu’aujourd’hui, on a administré ; on n’a pas gouverné.

C’est donc une erreur de dire, avec l’honorable M. d’Hoffschmidt que la richesse publique s’est considérablement accrue depuis ces dernières années. Je dis qu’il y a eu accroissement momentané de la richesse publique pendant les premières années de notre régénération, mais que depuis le traité de 1839, la richesse publique, loin de s’être accrue, a éprouvé, au contraire, une diminution, et que si l’on ne se hâte pas d’apporter un remède convenable au mal que je signale, cette richesse publique diminuera encore.

Parmi les vices de notre système financier, il en est un que nous devons chercher à écarter pour l’avenir, je veux parler du système des emprunts. Depuis la révolution, nous nous sommes jetés dans un système d’emprunts qui doit entraîner les conséquences les plus funestes pour le pays. Je l’ai déjà dit, nous avons emprunté pour 300 millions depuis la révolution, de manière que depuis 1831, nous avons emprunté pour 28 millions de francs ; je vous le demande, messieurs, un pays peut-il longtemps marcher dans cette voie ?

J’appelle surtout l’attention de la chambre sur ce point, parce que le gouvernement, dans le discours du trône, a parlé de la création d’un système de canaux. Or, si la chambre ne mettait pas un terme à ces dépenses, ce système de canaux nous jetterait dans une voie aussi dispendieuse que celle dans laquelle nous a entraînés la création du chemin de fer avec, toutefois, cette différence, que le chemin de fer, s’il est bien administré, produira plus tard l’intérêt des capitaux que le pays a engagés dans sa construction, tandis que les canaux ne doivent jamais amener un pareil résultat.

Messieurs, c’est une vérité que nous ne devons pas perdre de vue, l’avenir du pays gît entièrement dans la question financière. Il faut que le gouvernement et les chambres sachent mettre un terme aux dépenses désordonnées, il faut avoir le courage de se mettre un frein à soi-même si l’on veut conserver la nationalité du pays, il faut ne pas vouloir faire tout en un jour, il faut savoir réserver quelque chose pour l’avenir.

Si donc on voulait aujourd’hui entrer dans le système infiniment onéreux des canalisations, et qui, dans aucune hypothèse, ne peuvent couvrir les dépenses que l’on ferait, vous augmenteriez les charges publiques, et vous créeriez un abîme sous vos pas.

Un autre système non moins dangereux est celui suivi relativement aux bons du trésor. M. le ministre des finances dans le projet de budget, porte un chiffre pour les intérêts des 30 millions à 4 p. c., provenant de l’encaisse de la Société générale.

Ceci me porte à appeler l’attention de la chambre sur un grand vice de la législation actuelle, je veux parler des bons du trésor.

Les bons du trésor sont, à mon avis, la principale source de notre mauvaise gestion financière, parce que c’est un moyen facile auquel on a recours pour commencer toutes les entreprises dispendieuses, et l’on finit toujours par être obligé de créer des emprunts.

Pour moi, je forme un vœu sincère, je désire que la chambre comprenne enfin la nécessité de supprimer les bons du trésor. C’est là une mesure indispensable ; si l’on veut assurer l’avenir de la Belgique, il faut remplacer ce système par un système plus rationnel, système dont j’ai déjà eu l’honneur d’entretenir plusieurs fois la chambre, et qui consiste à établir un fond de caisse dans le pays, pour faire face à toutes les éventualités, à la possibilité d’une guerre. Ce fonds de caisse nous servirait aussi à passer d’un exercice à l’autre sans devoir recourir aux bons du trésor. Toutes les nations bien gouvernées ont une caisse considérable pour parer à toutes les éventualités. La France fait des emprunts, et cependant elle a des centaines de millions en fonds de caisse. Voyez maintenant combien notre système est dépourvu de prévoyance.

Nous avons une armée considérable que nous n’entretenons que pour la défense du territoire et moi, je suis un de ceux qui veulent une forte armée pour la défense du territoire ; mais la Belgique n’entretient une armée nombreuse que pour les cas de guerre, et non pas pour faire des parades en temps de paix ; c’est pour le cas de guerre seulement que nous consacrons annuellement un tiers de nos ressources à l’entretien d’une armée. Eh bien, voyez, messieurs, comme le système actuel est faussement combiné. Si la guerre arrivait, vous n’auriez pas un denier pour payer votre armée. Mais ce n’est pas tout, vous avez des dettes exigibles dont les créanciers pourront venir réclamer le paiement.

Voilà, messieurs, les conséquences qui peuvent découler de notre système financier actuel. Il importe donc de faire cesser un semblable système qui n’a ni présent, ni avenir.

Vous ne manquerez pas pour cela de moyens. Vous avez des bons 4 p. c. jusqu’à concurrence de 30 millions de francs. Eh bien, par une combinaison sage, émettez cette somme ; vous n’auriez pas alors besoin de passer par aucun emprunteur, et vous auriez de quoi couvrir votre dette flottante qui sera toujours un chancre pour le pays. Créez-vous ensuite un fond de caisse, pour parer à toutes les éventualités de guerre qui peuvent surgir et vous aurez rendu au présent et à l’avenir le service le plus important.

Eh, je vous le demande, à quel moyen auriez-vous recours, si des événements calamiteux venaient à arriver ? L’emprunt forcé peut-être !... L’emprunt forcé ! on y a eu recours avec succès en 1830, lorsqu’il s’est agi d’une guerre nationale, du maintien de l’indépendance qu’on venait de reconquérir. Mais c’est là un moyen que des hommes d’Etat ne doivent pas employer deux fois.

L’emprunt forcé, ne vous y trompez pas, l’emprunt forcé, dans la situation actuelle du pays, avec l’espérance qui nourrit une nation voisine, d’amener une réunion politique, l’emprunt forcé serait une arme dont on s’emparerait pour la tourner contre la nationalité. (Adhésion.) Oui, messieurs, cet état de choses mérite toute votre attention, et je suis heureux de voir que mes paroles sont recueillies avec quelque sympathie par l’assemblée.

Messieurs, il est temps de mettre un terme à une semblable situation, nous devons nous créer un système financier définitif, prévoir les éventualités d’un armement pour la défense du territoire, et nous le pouvons maintenant d’autant mieux que notre liquidation avec la Hollande est terminée.

Il est un autre objet d’une importance extrême, complément nécessaire du système financier, et que la chambre semble avoir perdu de vue jusqu’ici, c’est la création d’un système monétaire national. Mon honorable ami, M. d’Huart, a présenté à cet effet, il y a six ans, un projet de loi dont les dispositions rentrent dans les vues que j’ai indiquées à plusieurs reprises. Déjà, et même dès l’année 1832, j’ai eu l’honneur de faire remarquer à la chambre combien le système monétaire que nous votions pouvait avoir des résultats fâcheux. Je sais que ce système, fondé sur une analogie parfaite avec la monnaie de France, facilite les transactions commerciales ; mais les nations ont encore à se préoccuper d’autre chose, des événements graves, des crises qui peuvent surgir d’un jour à l’autre. Eh bien, c’est pour parer à de semblables éventualités que de véritables hommes d’Etat doivent avoir des vues d’avenir et trouver des moyens pour empêcher que des crises de cette nature ne viennent désorganiser le pays, le précipiter à sa perte. Eh bien, messieurs, notre système monétaire actuel est tel que, grâce à un jeu de banque, une nation ennemie peut, en quelques jours, enlever tout le numéraire du pays et nous plonger ainsi dans une crise affreuse. Nous en avons vu plus d’un exemple.

La Belgique, déjà deux fois, en 1833 et 1839, s’est trouvée, sous ce rapport, dans une situation telle que la Société générale, pour sauver le pays, a dû faire refluer les capitaux en même quantité.

Je dis donc qu’il est absolument nécessaire de reformer notre système monétaire, et surtout de nous créer une monnaie de billon. D’un bout du pays à l’autre, on se plaint du manque de numéraire d’argent. Il y a dix ans qu’on a créé une Monnaie à Bruxelles, et il y a dix ans qu’on n’y bat pas de monnaie.

On me dit que la Monnaie travaille maintenant. Oui, elle travaille, mais seulement pour la fonte des petites monnaies anciennes qu’une loi a retirées de la circulation. Mais elle ne fait pas de monnaie nouvelle, de monnaie nationale, et c’est un malheur pour le pays. Voyez combien notre système est vicieux, le florin d’Hollande a cessé d’avoir chez nous une valeur légale, et tous les payements sont effectués en florins d’Hollande.

La chambre devrait donc se hâter d’adopter le projet de loi que mon honorable ami M. d’Huart lui a présenté, et qui est empreint d’une sagesse telle que je tiens d’hommes des plus éminents d’un pays voisin que ce projet est digne de servir désormais de modèle à tout système monétaire.

Voilà des objets d’une importance majeure, sur lesquels l’assemblée doit fixer toute son attention. Voilà de véritables réformes, des réformes utiles, indispensables, pour donner au pays un caractère de stabilité. Les moyens que j’indique, contribueront à empêcher le numéraire de sortir du pays, comme il en est sorti jusqu’ici ; ces moyens nous assureront au présent la conservation des sources de la richesse nationale, et nous préserveront des crises toujours inséparables de l’existence d’une nation.

Messieurs, avant de terminer, je ne puis m’empêcher de dire quelques mots sur les projets d’impôt dont un honorable député de Bruxelles vous a entretenus dans la séance d’hier.

Selon mon honorable collègue, on devrait changer la plupart de nos impôts et remplacer ces impôts par deux autres, l’impôt progressif et l’impôt sur les successions en ligne directe. Je crois devoir dire quelques mots à ce sujet, parce que l’honorable membre qui m’a précédé, a dit que ces propositions n’avaient rien de dangereux. Je ne partage pas cette opinion. Je les regarde, au contraire comme infiniment dangereuses, comme constituant dans le pays une révolution et une révolution terrible qui laisse toujours des traces profondes,

Ce n’est pas d’aujourd’hui, messieurs, que je soutiens que les meilleurs impôts sont les plus anciens, ceux auxquels le peuple s’est fait, ceux dont il ne se plaint pas.

L’expérience des temps et des nations est là pour démontrer la vérité de cette assertion. Le peuple s’est habitué à ces impôts parce que le temps est venu faire disparaître ce qu’il y avait eu d’acerbe ou ce qui avait paru tel dans leur établissement. Aussi un ancien impôt, quand il est juste, est-il toujours le meilleur.

Quant à l’impôt progressif, j’en dirai aussi quelques mots, parce que M. le ministre de l’intérieur, dans une circulaire aux administrations communales a paru en jeter les idées en avant. Je dis que dans un pays comme le nôtre, l’impôt progressif serait la chose la plus inique. En effet, comment peut-il être établi ? Par les administrations locales ou par les délégués des administrations locales. Or, par suite du système électoral qui nous régit presque toujours, vous voyez dans les communes, un seul parti arriver au pouvoir et l’autre n’y être pas même représenté. Quelle serait la conséquence d’un système qui mettrait la fortune des particuliers aux mains des conseillers communaux ? Vous l’avez tous dit avant moi, ce serait de faire peser tous les impôts sur les minorités. Voilà une observation que je livre à l’appréciation de l’auteur de la proposition. Je ne pense pas qu’il soit possible d’asseoir un pareil impôt sans arriver à un résultat aussi funeste, qui mettrait le couteau à la main des habitants pendant des siècles sans qu’il soit possible de porter remède à un pareil malheur. Les élections sont aujourd’hui des accidents passagers, et on voit, quand elles sont terminées, les hommes qui s’y étaient montrés les adversaires les plus animés, se donner la main. Il n’en sera pas ainsi quand il se formera une division basée sur l’intérêt, cette division sera permanente et elle pourra avoir les conséquences les plus funestes. En effet, supposez un moment de crise de guerre en Europe, et vous verrez quels éléments l’étranger trouvera dans de semblables divisions.

Quant à l’impôt sur les successions en ligne directe, je dirai qu’il a été reprouvé de tout temps en Belgique. Quand le roi Guillaume régnait sur nous, il s’est souvent trouvé dans une gêne très grande. Eh bien, il a toujours reculé devant l’établissement d’un impôt sur les successions en ligne directe. Il n’a jamais voulu y consentir, et nos anciens frères du Nord, les états-généraux de Hollande, quoique pressés par leur situation financière, ont rejeté deux fois un projet de loi d’impôt sur les successions en ligne directe.

Il ne faut donc pas laisser passer de pareilles propositions inaperçues ; ce serait faire croire à la classe moins fortunée qu’il y a moyen de frapper un nouvel impôt quelconque sur la classe riche et la mettre en hostilité avec cette partie de la nation. Il serait fâcheux qu’il en fût ainsi. Je ne pense pas, pour mon compte, qu’un pareil impôt puisse être admis. Que si je prenais les bases de l’honorable collègue auquel je réponds je pourrais faire voir combien son système prêterait à l’absurde. En effet, pour les successions au-dessous de 2,500, il y aurait exemption de droit, celles de 2,500 à 5,000 paieraient 1/4 p. c., celles de 5,000 à 10,000 paieraient 1/2 p. c., celles de 10 à 20,000 paieraient 1 p. c., celles de 20 à 30,000 paieraient 2 p. c., celles de 30,000, 3 pour cent, de 40,000, 4 pour cent, de 60,000, 6 pour cent, et ainsi de suite, car c’est ainsi que le système a été formulé. Quelle serait la conséquence en suivant ce système ? C’est que, quand on hériterait d’un demi-million on n’en aurait que la moitié de sa fortune ! et quand ou hériterait d’un million, on n’en aurait plus rien ; le fisc s’emparerait de tout l’avoir.. De manière que, pour protéger les pauvres, on commencerait par en faire. Je crois que cette simple observation prouve combien la donnée mise en avant est peu pratique et éloignée de la possibilité. Je ne crois pas que le pays consente jamais à l’établissement d’un impôt, qu’en aucune circonstance, à aucune époque, la Belgique n’a voulu admettre. Cet impôt est contraire au droit naturel ; il est également contraire aux principes du code. En effet, d’après le code, la propriété n’appartient pas au chef de famille mais à la famille.

Pourquoi voulez-vous que la famille paie un droit pour une chose qui lui appartient ? Si vous ne voulez pas que la propriété appartienne à la famille, laissez donc au père de famille le droit d’en faire ce qu’il veut. Mais si le père de famille n’en est que l’usufruitier, il est injuste de faire payer un impôt au propriétaire quand l’usufruitier vient à mourir.

Nous avons d’ailleurs, dans le pays, des matières imposables, nous avons des objets sur lesquels on peut mettre des impôts, sans recourir à des moyens extrêmes comme ceux-là. Loin de moi l’intention de vouloir augmenter les impôts. Nous voilà arrivés à un budget de 110 millions ! Nous sommes bien loin du budget de 1831. Alors tout le budget de l’Etat ne s’élevait qu’à 66 millions. Aujourd’hui il s’élève à 110. Il faut, il est vrai, retrancher 10 millions pour le chemin de fer, mais il reste encore une augmentation de 35 millions depuis 1831.

Cependant, s’il y avait nécessité d’augmenter les impôts, si des intérêts majeurs venaient à l’exiger, faudrait-il recourir à des moyens qui seraient une révolution financière dans le pays ? Je ne le pense pas ; il y a des sources de revenus dont vous pouvez vous emparer. Pourquoi ne pas mettre un droit et un droit très raisonnable sur les tabacs étrangers ? Voilà bien la matière la plus imposable. Le peuple n’en souffrira pas, car il ne se sert que du tabac du pays, celui qui consomme le tabac étranger peut bien payer le droit. Je dis que voilà une source de revenu public dont on peut s’emparer sans crainte de frapper la classe pauvre.

On pourrait mettre un droit raisonnable sur le tabac par un autre motif encore ; c’est que ce droit ne ferait aucun tort au commerce, parce que le tabac est prohibé en France, qu’il existe aussi une régie en Allemagne et qu’un droit même raisonnable ne modifierait en rien l’exportation que nous pouvons faire vers ces pays. Je suppose qu’on mette sur le tabac un droit de 10 centimes à la livre ; je pose en fait que le commerce interlope n’introduira pas une livre de moins en France ou en Allemagne, et ce sera un revenu énorme pour le trésor.

L’honorable M. Peeters avait proposé, dans l’intérêt de l’agriculture, un impôt sur les bois étrangers. N’est-ce pas une chose anormale ; je pourrais dire anomale, que quand nos bois paient un droit considérable par l’impôt foncier dont on charge la terre pendant tout le temps de leur croissance, les bois étrangers n’en paient pas.

On invoquera l’intérêt de la navigation eh bien ! qu’on exempte du droit les bois employés à la construction des navires, j’admets donc l’intérêt commercial qui sollicite cette faveur pour les constructions maritimes. Mais quand on se sert de bois étrangers pour les constructions territoriales, on ne doit pas exempter ces bois, on doit leur faire payer un droit proportionné à celui qu’ont payé les chênes et les bois blancs nés dans le pays. Voilà une ressource d’autant plus belle que, par suite du défrichement de nos forêts, la consommation des bois étrangers va chaque jour en augmentant. Vous pourriez donc, tout en protégeant les constructions maritimes, constituer une grande ressource pour le trésor, sans recourir à des moyens vexatoires et dangereux, vous créeriez une ressource nouvelle et en même temps insensible pour le contribuable.

Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas la classe indigente qui use du tabac étranger ; ainsi mon impôt frapperait sur le riche et non sur le pauvre. Je n’examinerai pas les autres sources d’impôt qu’on vous a présentées. Je désire que le gouvernement doive en présenter le moins possible, je désire que nous puissions balancer nos dépenses par nos recettes sans augmentation de charge pour les contribuables. Il est indispensable que le pays arrive, après 13 années, à établir enfin l’équilibre entre les recettes et les dépenses. C’est urgent si vous voulez assurer l’avenir national.

Il est un autre point sur lequel votre attention a été appelée et sur lequel je dirai quelques mots. C’est la situation de notre industrie, Il est incontestable que l’industrie est dans un état de souffrance bien grave et qui n’est pas de nature à devoir disparaître bientôt. Je le déclare, après avoir examiné mûrement la question de nos alliances en Europe, je suis arrivé à cette conviction profonde que, à part quelques traités particuliers, pour quelques abaissements de droits spéciaux que nous payerons bien cher, alors que nous avons supprimé les moyens que nous avions d’offrir des équivalents, ce n’est pas de ce côté que nous devons chercher la prospérité de l’avenir commercial de notre pays. Selon moi, il est indispensable que le pays comprenne qu’un seul système est favorable à son avenir, celui de la colonisation, c’est le seul qui ait un côté sérieux, efficace et pratique ; je dis que tous nos efforts iront se briser contre la France et l’Allemagne. Peut-être pourrons-nous obtenir des conditions favorables de la Hollande ; mais, je le répète, le seul système efficace que nous ayons en nous, c’est celui de la colonisation. Arrivée au point où la Belgique est arrivée, c’est vers ce système que doivent tendre nos efforts, et que ce système, pour être efficace, doit être base sur un système de droits différentiels le seul propre à rétablir la marine.

Messieurs, il faut reconstituer notre ancienne marine. Autrefois, la marine flamande couvrait toutes les mers ; pourquoi ne ferions-nous pas nos efforts pour retrouver cette prospérité qui faisait naguère la gloire des ports de Bruges et d’Anvers ?

En troisième lieu, il est impérieusement nécessaire, vu l’accroissement de la population, que la Belgique appuie de tous ses moyens un système d’expatriation, qu’elle favorise la fondation dans les contrées transatlantiques de colonies belges, qui toujours attachées à la mère patrie offriront par leurs relations un débouché important à votre industrie, qu’elle favorise surtout la fondation de colonies flamandes qui, parlant une langue spéciale, seront toujours nécessairement en relations avec la mère patrie. Voilà où doivent tendre vos efforts.

Vous déverserez dans ces colonies le trop plein de la population ; vous soulagerez ainsi les Flandres, dont la position est terrible et dont la position ne fera qu’empirer à mesure que l’industrie linière à la mécanique se développera. Vous assurerez ainsi à un grand nombre de citoyens une existence prospère, en même temps que vous favoriserez l’industrie et les relations commerciales du pays et que vous assurerez par là la prospérité publique.

Voici donc le système que le gouvernement doit suivre : supprimer la dette flottante ; conserver un fonds de caisse pour assurer l’existence de la Belgique contre les éventualités de la guerre ; établir un système monétaire particulier ; adopter un système commercial basé sur le développement de la marine et sur la colonisation, système qui doit évidemment être le plus favorable à notre industrie. Voilà les réformes nécessaires pour rétablir la prospérité publique, voilà où doivent tendre nos efforts ; hors de là point de salut ; car si nous restons dans la voie inconsidérée où nous sommes, nous conduirons le pays à sa ruine, nous, ses mandataires, nous qui devons assurer sa prospérité.

M. Eloy de Burdinne. - Je vois que la chambre est fatiguée de cette discussion. Je me bornerai donc à quelques observations.

Il faut améliorer notre système financier, en ce qui concerne les droits imposés sur les produits étrangers. Dans la séance d’hier, l’honorable M. Cogels a dit qu’il serait dangereux de réviser notre législation sur les sucres. Dans une séance précédente, j’avais indiqué les sucres comme un objet susceptible d’être plus imposé. Mais on craint d’imposer ainsi une charge au consommateur ; c’est une erreur ; nous en avons deux exemples frappants. Vous avez imposé, dans la session dernière à 4 fr. l’orge qui auparavant ne payait rien. Eh bien, l’orge n’a pas, haussé immédiatement.

Dans la session dernière, vous avez établi un impôt sur les sucres ; cet impôt vous produit 3 millions, au lieu d’un million seulement que le sucre rapportait auparavant. Qu’en est-il résulté ? Le sucre a-t-il renchéri ? le consommateur en a-t-il souffert ? Nullement. Le sucre n’a pas renchéri d’un centime. Ceci prouve que l’impôt sur les produits étrangers est supporté presque toujours par l’importateur. Vous avez obtenu deux millions en plus sur l’impôt des sucres. Eh bien, établissez sur le sucre un droit de 25 c. de plus par kilog. Au lieu de 3 millions, vous aurez 10 millions, et le sucre n’augmentera que faiblement ; l’étranger vendra le sucre 2 c. de moins par kilog.

Je viens au tabac, dont un honorable préopinant vous a entretenus. Si l’impôt sur le tabac était augmenté de 25 c. par kilog., cela rapporterait 3 millions de plus ; en effet, vous savez que l’on peut évaluer le nombre des consommateurs à 2 millions et à 6 kilog. par consommateur la quantité de tabac consommée. A 25 c. par kil., cela produirait 3 millions.

J’appellerai aussi l’attention de M. le ministre des finances sur l’entrée des livres ; nos livres sont frappés à l’entrée en France de droits considérables, presque prohibitifs ; les livres venant de France, au contraire, sont soumis à l’entrée en Belgique, à un droit minime, qui peut être considéré comme un simple droit de balance. Il est évident qu’il conviendrait d’augmenter ce droit.

Je n’entends pas imposer mes idées au gouvernement ; je n’ai fait que signaler les moyens d’augmenter les revenus du trésor. Par contre, si l’on adopte le système d’imposer davantage des produits que je considère comme des objets de luxe, tels que le sucre et le tabac, si l’on obtenait ainsi un accroissement de revenu, je demanderais que l’on réduisît en proportion les droits sur la bière et sur le sel.

Je bornerai là mes observations. J’en ai d’autres à faire ; je me réserve de les présenter dans la discussion des articles.

M. Van Cutsem. - Messieurs, ce que j’ai toujours désiré trouver dans un ministère, ce sont des vues de conciliation et d’impartialité ; c’est une volonté ferme de s’occuper sérieusement des affaires du pays.

La Belgique n’est pas divisée en deux camps comme on voudrait le faire croire dans cette assemblée ; ce pays, au contraire, se fatigue de toutes ces luttes stériles pour lui, luttes qui peuvent bien satisfaire tel ou tel homme qui aspire à une position élevée, mais qui, en dernière analyse, sont sans résultat pour lui. Savez-vous ce que le pays demande et attend de ses mandataires ? Il veut d’eux des lois qui fassent prospérer son commerce et son industrie, il veut d’eux des mesures qui, dans certaines localités, donnent du pain aux populations qui en sont privées ; il veut d’eux des dispositions législatives telles que la classe ouvrière n’ait pas à regretter la position des esclaves ou des serfs d’autres époques qui ont toujours eu du moins du pain pour vivre, tandis que nos ouvriers en manquent parfois.

Le ministère qui leur en donnera sera pour cette classe intéressante et pour la partie saine et bien pensante de la nation celui qui méritera le mieux du pays.

Si nous pouvons attendre des hommes qui sont au pouvoir ce bien-être pour la nation, tout est dit, ils auront mon appui.

Le gouvernement est placé plus haut, a une raison plus éclairée que les assemblées politiques ! Par sa position il sait mieux ; peut-être satisfait-il moins les opinions exagérées, mais il sert plus complètement les intérêts du pays, et cela est préférable pour moi.

Le pouvoir, à mon avis, a intérêt à faire le plus de bien possible, et aussi longtemps que les hommes qui sont au pouvoir n’auront pas démérité, c’est cet intérêt qui doit être leur caution pour tout homme de sens. Ne dénaturons donc pas sans raison et d’avance leurs projets ; critiquons leurs actes mauvais, quand ils seront posés, mais ne leur faisons pas de procès de tendance, ne retombons pas dans des fautes commises à une autre époque, n’attaquons le ministère que s’il venait nous proposer des lois réactionnaires, mais ne lui prêtons pas l’intention d’en doter le pays pour avoir le plaisir de le combattre, alors qu’il ne lui viendra peut-être jamais à l’esprit de les proposer aux chambres.

Quand je dis qu’il ne lui viendra peut-être jamais à l’esprit de demander à la chambre des mesures réactionnaires, je lui fais injure en prononçant ce mot peut-être ; parce qu’il est impossible que le ministère, composé des hommes que nous voyons aujourd’hui au banc ministériel, ait un jour de pareilles idées. Je me hâte donc de dire que pareille pensée ne sera jamais la sienne, il ne se laissera pas pousser par les partis dans des intérêts aristocratiques, cléricaux ou ultralibéraux, il conservera au pays toutes les libertés que la constitution nous a données, il marchera entre les différents extrêmes ; il en agira ainsi, parce que telles sont ses convictions, et qu’il sait bien aussi qu’il n’y a pas d’autre voie à suivre pour réconcilier les différentes oppositions entre elles, et pour donner au pays cette somme de bonheur qu’il a le droit de réclamer de ceux qui le gouvernent.

Le langage que je tiens aujourd’hui ne surprendra que ceux qui le jugeront sans réflexion ; partisan d’un ministère renversé injustement, parce qu’on n’a pu lui reprocher aucun acte et qu’on n’a pu lui prêter que des intentions, je ne me suis pas dit que je ne jugerais pas sans passion la position réelle des choses sous ses successeurs, que, par cela même qu’une injustice à laquelle je n’avais pris aucune part avait été faite, j’attaquerais sans raison, à mon tour, pour venger l’affront fait à ces hommes, d’autres hommes qui peuvent faire le bonheur de mon pays ; telle n’a pas été ma pensée et telle ne serait pas même ma pensée si j’avais été au nombre des hommes victimes de l’erreur parlementaire dont je parle ; alors encore, déposant tous motifs de ressentiment sur l’autel de la patrie, je ne voudrais d’autre vengeance, d’autre réhabilitation, que celle de forcer mes adversaires à dire que nul n’a travaillé plus que moi pour donner à la Belgique cette aisance dont elle a joui sous tous ses souverains, et dont elle jouira encore à l’avenir, si nous voulons nous occuper un peu moins de questions de personnes, et un peu plus du bien-être du peuple , et nous dire que nous ne devons faire, dans l’état actuel de la Belgique, qu’une opposition calme et régulière, et non pas une opposition ardente et exagérée, qui n’est que celle des temps d’orage et des temps de commotions politiques dont nous serons, je l’espère, pour notre pays, encore longtemps préservés ; ne faisons donc pas nous, hommes modérés de cette chambre, une opposition de parti, et n’oublions pas que les partis ne veulent qu’une chose, c’est d’avoir leurs propres hommes aux affaires, qu’ils demandent moins des concessions que des positions, et qu’il ne nous appartient pas à nous, qui ne voulons que le bonheur du pays, de leur servir de marchepied pour arriver à leurs fins.

Le ministère au pouvoir aujourd’hui me convient, à moi, parce qu’il n’a pas une majorité de parti, une majorité compacte et toute dévouée, qu’il n’a pas, dans cette enceinte, une seule opinion toute puissante pour lui, et que, dans une position pareille, il ne peut se maintenir au pouvoir qu’avec une majorité qu’il se créera par une sollicitude administrative et une juste protection des intérêts de tous. Les partis portent avec eux-mêmes quelque chose d’implacable, et triste gouvernement que celui qui se fait parti ! Le pouvoir pardonne quand il n’est pas l’émanation d’un parti, parce qu’il voit de haut ; les factions jamais, parce qu’elles contractent toutes les faiblesses de l’individu. Que ce ministère, auquel je crois pouvoir donner mon appui, parce que je suis convaincu qu’il n’est pas composé d’hommes de parti, ne fasse pas non plus les affaires de l’un ou l’autre parti, en donnant à des hommes de ce parti des positions en cette seule qualité, car ce serait y leur donner un moyen de triompher dans l’avenir, sans s’assurer leur reconnaissance pour les opinions modérées, qui sont aujourd’hui au banc ministériel. Les partis, je le répète, ne seraient pas tenus à la reconnaissance ; ils font leurs affaires, et voilà tout.

N’oubliez donc pas, ministres, aujourd’hui au pouvoir, que vous ne devez pas prendre les partis par la main pour les conduire aux affaires, et vous aurez bien mérité de la confiance que le souverain a eue en vous, en vous donnant la direction du gouvernement.

Je n’aborderai la discussion des budgets que pour vous dire que j’ai pleine foi dans les paroles du ministre qui est à la tête du département des finances, parce que je vois que ce haut fonctionnaire nous fait connaître, comme en 1840, notre véritable situation financière : en 1840, il nous dit que le découvert du trésor était de 25,000,000 de francs, et personne, jusqu’à ce moment, ne nous a prouvé qu’il était plus élevé. Aujourd’hui, il nous apprend qu’il est de 37,000,000 de francs ; est-ce qu’un membre a établi par des chiffres qu’il ira au-delà ? Si le ministre a été dans le vrai, en nous signalant le découvert du trésor, pourquoi n’en serait-il pas de même lorsqu’il nous déclare qu’il y a insuffisance de 400,000 francs au budget des voies et moyens pour faire face à toutes nos dépenses ? Puisqu’il nous a, en toutes circonstances, fait connaître notre véritable position financière, pourquoi ne nous en rapporterions-nous pas à lui, quand il nous donne la certitude que, sous peu, tous nos embarras financiers auront cessé ?

Que l’insuffisance du budget des voies et moyens soit de 300,000 fr. comme elle résulte des propositions de la section centrale ou qu’elle soit de quatre cent mille francs, selon le budget présenté par l’honorable ministre des finances, n’y a-t-il pas exagération à traiter cette insuffisance de déficit, de déficit tel que notre position financière pourrait en être compromise, alors surtout que des projets de lois déjà présentées sur les sels, sur les céréales comblent déjà amplement cette insuffisance ? Je regarderais ces inquiétudes comme vaines, si un homme moins expérimenté que le ministre actuel était au pouvoir ; avec un homme à connaissances spéciales comme lui, je dis hautement que cette insuffisance ne doit pas fixer sérieusement notre attention, qu’elle cessera sous peu ; bien plus, je suis intimement convaincu que, s’il peut diriger pendant quelque temps le ministère des finances, il parviendra sous peu, comme il l’a promis, à rendre notre position financière bonne. Telle est l’opinion que j’ai des promesses et du savoir de M. le ministre des finances ; quant à ses opinions politiques, je le connais assez intimement, pour proclamer qu’elles seront au banc ministériel ce qu’elles étaient sur le banc de simple député ; elles seront d’un libéralisme modéré, d’un libéralisme tel qu’elles recevront l’approbation des hommes qui, comme moi, ont les mêmes vues politiques que l’honorable ministre et d’autres hommes qui, sous une dénomination politique différente de celle qui nous est donnée à nous libéraux-modérés ont, par cela seul qu’ils sont sans exagération dans leur parti, lorsqu’on pénètre le fond des choses, la même opinion que nous.

Si le ministre des finances a des adversaires politiques parce qu’ils ne le connaissent pas assez bien, je les conjure d’attendre ses actes, et s’ils ne le jugent qu’après qu’il les aura posés, ils verront que c’est pour la seconde fois que la confiance du roi l’appelle au pouvoir, et qu’il y a été la première fois le défenseur de nos libertés politiques et l’appui de nos intérêts matériels.

M. de Mérode. - Tous les ans, messieurs, j’ai combattu l’optimisme qui présentait notre avenir financier comme rassurant. Tous les ans j’ai demandé qu’on rétablît l’équilibre des recettes et des dépenses. J’ai cru même à propos de m’abstenir sur l’adoption du budget des voies et moyens parce qu’il était notoirement insuffisant. Malheureusement une cause permanente que le véritable sentiment d’indépendance peut seul détruire, gêne le libre vote des chambres législatives, lorsqu’il s’agit d’impôts, la crainte de l’impopularité. Plus d’une fois l’on m’a dit que je compromettais la mienne en répétant avec insistance que les dépenses nécessitaient des impositions équivalentes, si l’on voulait éviter au pays d’ultérieurs accroissements de taxes, qui deviendraient insupportables comme en Angleterre et en Hollande ; en sollicitant des augmentations actuelles modérées pour ne pas être condamné à subir plus tard les tortures financières qu’entraîne l’accumulation des dettes publiques. Je me suis peu soucié des inquiétudes que l’on essayait de m’inspirer par bienveillance pour moi. Je le sais, car je préfère ne plus figurer sur ces bancs que de décliner l’accomplissement du devoir que m’impose une profonde conviction. Après tout, messieurs, cette crainte d’impopularité serait-elle motivée si la plupart des membres de cette chambre exposaient au public, comme je l’ai fait plus d’une fois, les raisons pour lesquelles il doit accepter quelques majorations d’impôts, dans son intérêt bien entendu ? Ici, cependant, je dois distinguer deux opinions qui ne procèdent pas d’après les mêmes idées. Une de ces opinions est d’avis qu’il faut conserver l’armée actuelle, coûtant à l’Etat de 28 à 30 millions. Elle veut un cadre de 80,000 hommes ; elle veut aussi conserver à l’extérieur nos agents diplomatiques et leur laisser le traitement qui se donne partout aux agents des autres nations. L’autre ne veut attribuer aux dépenses de l’armée que 2 millions au plus et supprimer la plupart des missions à l’étranger. Celle-ci demande donc de larges économies. Elle pourrait, à la rigueur et logiquement, s’opposer aux subventions nouvelles pour le trésor de l’Etat, si d’autre part, elle ne cherchait pas à faire peser sur lui toutes les exigences du commerce et de l’industrie entre autres, le transport à perte des voyageurs sur les chemins de fer ainsi que celui des marchandises sur les mêmes chemins et les canaux du gouvernement, dont le revenu est une des précieuses ressources du fisc.

Cependant, messieurs, je ne confonds pas cette espèce de contradiction d’idées économes d’une part, dépensières de l’autre, avec le charlatanisme qui s’appesantit sur les misères et les sueurs du peuple, qui supprime pour son prétendu bien-être les impôts du consommateur, seuls capables de produire de fortes recettes, et déclare en même temps qu’il veut maintenir l’armée sans réduction de son budget. C’est là, messieurs, le système quêteur de popularité saisie de toute main ; c’est une comédie qui n’offre rien de sérieux et n’est pas même risible. Son jeu manque de finesse et se trouve, selon l’expression vulgaire, cousu de fil blanc.

Les véritables amis du peuple ne demandent pas pour lui la suppression des productifs impôts de consommation, parce que les personnes, favorisées de la possession de quelque fortune, les payent beaucoup plus que l’ouvrier réel. Celui que je connais, avec lequel je me trouve souvent en contact, et qui use, il est vrai de sel, mais ne boit point de bière dans sa famille, se contente de pain et de légumes, et s’en contentera probablement jusqu’à la fin du monde, parce que jusqu’à la fin du monde, dans les pays où existent l’ordre et la sécurité, l’homme se multiplie, de manière qu’un très grand nombre doit vivre de substances faciles à recueillir et du prix intrinsèque le moins élevé. Quant aux ouvriers buvant de la bière et mangeant de la viande, il en existe quelques-uns en Angleterre, dans certaines usines spéciales où l’on a besoin d’individus doués d’une grande force musculaire mais les ouvriers de fabrique, malgré les développements de l’industrie, et à cause de ces développements excessifs peu désirables, sont condamnés en Angleterre au régime le plus maigre qu’on puisse imaginer, et ce, malgré les droits sur les armoiries, les livrées, les galons et autres objets de luxe semblable, qu’il serait bien facile de faire disparaître en Belgique, pour peu qu’on leur cherchât querelle au détriment des passementiers et des peintres en blason.

Avant 1830 je vivais ordinairement à la campagne dans un pays où la culture est assez divisée et le laboureur peu riche. Je voyais la peine qu’il avait souvent à se procurer une paire de bœufs ou un cheval. Puis quand j’allais momentanément à Paris où à Bruxelles, je ne rencontrais pas sans impatience une multitude de belles voitures. de beaux chevaux, qui semblaient à mes yeux n’être à peu près utiles à rien, et je me disais : combien de chars rustiques, combien de paires de bœufs on pourrait avoir avec un seul de ces beaux équipages qui traînent des dames et des messieurs. Vint la révolution belge en vertu de laquelle nous siégeons ici. Je fis partie d’un gouvernement provisoire dont la tâche fut rude, spécialement dans la ville de Bruxelles d’où les équipages, les toilettes, le luxe de tout genre disparurent cette année. Le gouvernement ne coûtait presque rien, nous mangions à déjeuner des pommes et du pain auquel on ajoutait une tasse de café ; et jamais je ne vis tant de misère autour de moi. Des tailleurs, des maréchaux, des charrons en carrosserie, des tapissiers qui précédemment gagnaient deux et trois francs par jour, allaient au boulevard se jeter de la terre les uns aux autres pour cinquante cens que la ville leur donnait, avec grand embarras, afin de les occuper d’une manière quelconque. Les couturières, les brodeuses ne gagnaient rien du tout. Les fiacres, malgré l’absence des voitures de maître, demeuraient sans pratiques sur la place. L’année suivante reparurent quelques équipages, les soirées recommencèrent et chaque fois que je voyais passer une de ces brillantes voitures, que j’aimais si peu dans mon humeur campagnarde, j’éprouvais une vraie satisfaction. Maintenant je l’affirme sans crainte d’être contredit par aucun homme pratique, diminuez de cinq centimes la livre de sel, vous nuirez au trésor public, vous l’appauvrirez et l’ouvrier n’en sera pas mieux ; car vous ne lui procurerez pas ainsi du travail, et c’est le travail et son salaire qu’il lui faut. Si vous voulez encore créer des routes gardez-vous de diminuer les recettes productives, en leur substituant des taxes sur les confitures, les bonbons ou les boutons armoriés, car ceux-ci pourraient se remplacer très bien par des boutons tout unis. Vous détruiriez les moyens d’existence de quelques ouvriers en recueillant le plus mince profit pour le trésor ; les millions ne peuvent en effet se prélever que sur les masses, parce que les masses les possèdent ou les reçoivent nécessairement comme salaire. Prélevez, comme appoint, quelque chose sur le luxe, je le veux bien, mais ne comptez pas sur lui, si vous voulez remédier au déficit.

Au surplus, des discussions complètes à ce sujet ont eu lieu dans cette enceinte, il est épuisé ; et recommencer à nous agiter dans le vide serait vraiment un malheur quand nous avons à discuter tant de lois urgentes.

Selon des chiffres très clairs, le budget des voies et moyens de M. Mercier est évidemment fort au-dessous des besoins du service. Dans un pareil budget ne devraient jamais figurer les recettes provenant d’aliénation de domaines qui ne constituent point un revenu, mais comme tous les ministres, comme beaucoup de représentants, M. Mercier est dans l’embarras quand il s’agit de créer des ressources. Qu’il présente les meilleurs projets, on les décriera, on en fera ressortir tous les inconvénients et cela ne sera nullement difficile. Aussi, je l’avoue, je désespère de l’équilibre financier. Une seule autorité pouvait le produire, c’était la puissance royale, en ne sanctionnant les dépenses de travaux publics que tous désirent, qu’après la création des recettes suffisantes. La puissance royale est seule permanente par l’hérédité. Les autres pouvoirs politiques, sans cesse renouvelés, s’abandonnent aux préoccupations de leur existence du moment, il leur faut donc la popularité du moment, par conséquent donner beaucoup dans le présent, prendre peu sur lui, beaucoup sur l’avenir.

Voilà tout le secret de notre situation financière, il n’en est pas de même de la personne royale destinée à se perpétuer sur le trône. A elle particulièrement appartient la prudence et la plus prévoyante sollicitude, car les ministres ne se sacrifieront pas plus à cette prévoyance les uns que les autres. Je suis assez lié avec M. de Theux, et ne lui ai-je pas entendu dire ici, que dans trente ans toute la dette sera amortie, et que la position de ceux qui viendront après nous sera trop belle ; comme s’il était probable que l’on va jouir pendant trente ans d’un ordre et d’une paix non interrompus, et n’est-ce pas avec de pareilles espérances que l’on a conduit la Hollande à la situation si pénible où elle se trouve ? Cependant les embarras de finances engendrent les révolutions et la chute des trônes, c’est pourquoi la royauté prussienne règle sa gestion financière avec un soin parfait. Elle a vu construire, sans bourse délier, un chemin de fer de Cologne au Rhin, par lequel les Allemands tireront les marrons non pas du feu, mais de la mer avec les mains belges et hollandaises. Car celles-ci vont s’empresser de servir au rabais l’Allemagne rhénane, qui les paiera de transit à bon compte, et pendant que les ouvriers flamands sauront que les cuirs, le sucre, le café volent presque gratis sur la voie ferrée d’Anvers à Cologne, ils continueront à végéter sur un sol qui ne peut que difficilement nourrir tous ses habitants, et si quelques personnes, animées d’un zèle vraiment progressif, essayent les moyens d’utiliser d’immenses et fertiles parties du globe livrées à la solitude, afin d’y introduire les enfants de la race humaine trop pressés ailleurs, on leur refuse tout encouragement et ceux qui prétendent au progrès, non seulement refusent de concourir à l’œuvre qui mériterait du moins quelque attention bienveillante, mais ils l’attaquent et blâment ici même toute entreprise de colonisation, c’est pourquoi j’en dis un mot.

Messieurs, parmi les voies et moyens les plus justes se présente nécessairement l’augmentation du prix des places sur les chemins de fer. On paie en Belgique un quart de moins que sur les chemins d’Alsace et d’Orléans et pourquoi ? parce que les nôtres coûtent au trésor un sacrifice annuel de près de 4 millions ! Est-il juste de prélever ainsi sur les contribuables les frais de route des voyageurs et ne vaudrait-il pas mieux en diminuer quelque peu le nombre en obtenant plus de recettes tous frais déduits. Un million, deux peut-être seraient facilement recueillis de cette manière.

Quant aux droits sur les successions en ligne directe, quoi qu’on en puisse dire, il n’est pas plus injuste que l’impôt foncier, et certes le propriétaire gagnerait à ce que son héritage fût grevé d’un droit léger plutôt que de laisser au trésor des découverts accumulés qui n’aboutiraient qu’à sa propre ruine ou à celle de ses enfants.

C’est là l’intérêt majeur à considérer avant tout, il a cependant toujours été négligé.

M. de La Coste. - Mon but n’est pas de rentrer dans la discussion générale, qui a occupé les précédentes séances. Je veux seulement présenter quelques observations sur les vues financières exposées par deux membres de cette assemblée.

Lorsque vous aurez voté la loi du budget, il restera cependant autre chose que la loi que vous aurez faite ; il restera les idées qui ont été émises dans la discussion ; les idées ont une puissance qu’il faut reconnaître et que je respecte, lorsqu’elles sont consciencieuses. C’est pour cela que je crois utile d’opposer aux idées des honorables membres mes idées également consciencieuses et qui, je me trompe peut-être, me semblent plus justes.

On a proposé différents moyens d’alléger les charges qui pèsent le plus sur le peuple et c’est là un dessein auquel je m’associerais volontiers ; mais je crains, je l’avoue, que, si les moyens qu’on a suggérés étaient admis, les autres charges qui pèsent sur le peuple subsisteraient, et que ce serait encore là des charges additionnelles.

On a parlé de l’impôt sur les revenus ; mais sait-on bien ce que c’est que l’impôt sur les revenus ? Je ne parle pas du klassen**-steuer de Prusse ; nous nous accommoderions difficilement d’une base qui laisse tout à l’arbitraire. Mais je vous parlerai de l’income-tax d’Angleterre. Sait-on bien ce que c’est que l’income-tax ? Sait-on que chaque avocat, chaque notaire, chaque médecin doit faire connaître les produits de sa profession. et doit être taxé en proportion de ses bénéfices, que chaque négociant doit faire pour ainsi dire le bilan de ses affaires, ouvrir ses registres à des commissaires, à la vérité tenus au secret, mais qui doivent prendre connaissance de tous les détails de ses opérations. Le propriétaire est le moins frappé par cette taxe ; son revenu, déjà atteint par l’impôt foncier, véritable taxe des revenus pour les propriétaires, n’a pas paru pouvoir être atteint comme les autres, on a pensé qu’il y aurait double emploi.

Il faut un gouvernement aussi fort que le gouvernement de la Grande-Bretagne, une nation aussi habituée à se soumettre à la loi que le peuple anglais, et des circonstances aussi graves que celles qui ont déterminé l’adoption provisoire de celle dont il s’agit, pour qu’un impôt semblable ait pu être tenté.

On a de plus recommandé l’impôt sur les successions en ligne directe ; mais il faut se souvenir de ce qui s’est passé à cet égard. Lorsque cet impôt a été aboli, ce n’a pas été une concession à titre gratuit ; on a majoré considérablement les droits de succession et en échange on a fait deux concessions : l’abolition du droit sur les successions en ligne directe et la déduction des dettes. Conserver tout ce qu’il y avait d’onéreux dans le système hollandais et en même temps tout ce qu’il y avait d’onéreux dans le système français, serait-ce juste ? Serait-ce même loyal ? Ne semblerait-il pas, en quelque sorte, qu’on eût tendu un piège aux pères de famille, qui, souvent, ont pu être guidés dans leurs opérations par l’idée que l’impôt de succession en ligne directe ne devait plus atteindre leurs enfants.

J’ai sur beaucoup d’entre vous, messieurs, le triste avantage d’avoir vécu plus longtemps qu’eux, et par suite d’avoir vu plus de choses passées, d’avoir été en contact avec des hommes éminents qui ont disparu.

J’ai vécu sous l’empire de la loi française sur les droits de succession, je l’ai jugée dans ce temps avec cette appréciation vive, souvent saine et toujours désintéressée de la jeunesse. Je l’ai entendue apprécier par un de ces hommes éminents, dont je vous parlais, par un des membres distingués de ce célèbre conseil d’Etat de France, de cette assemblée qui avait, à cette époque, pour ainsi dire, le privilège exclusif des discussions, et dans laquelle il semblait que le chef du gouvernement d’alors eût enseveli la parole. Un financier distingué de cette assemblée, M. le comte Jaubert, gouverneur de la banque, me disait à cette époque : C’est un impôt odieux, c’est un impôt sur le deuil des familles.

Et, en effet, messieurs, le droit de succession en ligne collatérale atteint une sorte de bénéfice fortuit sur lequel on n’avait pas dû compter, et dont l’Etat demande sa part ; un bénéfice qui n’est pas accompagné d’une affliction bien vive. Il peut exister, il faut le supposer pour l’honneur de l’humanité, qu’il existe des sentiments d’affliction, lorsqu’on perdant un parent plus ou moins rapproché, on obtient un semblable avantage. Cependant cette affliction ne peut pas être comparée à celle d’un fils qui a perdu son père.

Dans les successions en ligne collatérale, l’impôt n’a donc rien d’odieux, Mais, en ligne directe, messieurs, il en est tout autrement. On peut dire même qu’en ligne directe il n’y a pas de succession. Car, avant le décès, il y a une sorte de copropriété, ou, du moins, si je puis employer cette expression une co-jouissance, et bien souvent la perte si douloureuse d’un père n’est pas un avantage pécuniaire pour les enfants. Lorsqu’un artiste, un fonctionnaire, un avocat distingué meurt, ses enfants auront une existence moins aisée, une existence moins brillante que de son vivant. Lorsqu’un père de famille, dont les enfants habitaient la maison paternelle, meurt, ceux-ci, qui se dispersent, dont le lien est brisé, ont souvent une existence moins prospère que du vivant de leur père. Eh bien, ces enfants n’ont-ils pas le droit de dire au fisc, en empruntant l’expression de M. Jaubert que je répétais tout à l’heure : où est la matière imposable ? que venez-vous taxer chez nous ? Vous venez taxer nos crêpes de deuil, le cercueil qui renferme notre meilleur ami et notre plus ferme soutien !

Mais, messieurs, on a trouve un moyen de parer à toutes ces objections, c’est de combiner avec l’impôt des successions en ligne directe l’impôt progressif ; c’est-à-dire, messieurs, de résoudre une difficulté par un problème et par un problème très grave.

Messieurs, il est juste que le riche paie, qu’il paie largement, suivant ses facultés. Mais est-il juste qu’il paie toujours de plus en plus dans une progression arbitraire, de telle sorte que, comme l’a déjà fort bien fait remarquer l’honorable M. Dumortier, si ce système était adopté, s’il se généralisait, les portions de propriété qui se trouveraient au sommet de l’échelle progressive, seraient tellement frappées qu’elles deviendraient onéreuses ? Mais ce serait là une véritable confiscation, et qu’il me soit permis de le dire, en employant une parole énergique à un honorable membre auquel je réponds et dont je respecte les opinions consciencieuses, ce serait là, non dans l’esprit de cet honorable membre, mais dans la réalité des choses, une attaque sournoise contre la propriété. C’est un moyen de diviser les propriétaires par l’envie, un des sentiments les plus faciles à exciter.

Et cependant, messieurs, il y a solidarité entre tous les propriétaires. (erratum Moniteur belge n°346, du 12 décembre 1844) La loi, le sentiment qui protège le plus grand propriétaire du pays c’est la même loi, c’est le même sentiment qui protège le propriétaire médiocre, qui protège le plus petit propriétaire. Et vous savez, messieurs, combien aujourd’hui la propriété est divisée ; il y a peu de grands propriétaires, il y a une masse énorme de petits. C’est une question qu’on a soulevée, depuis quelque temps, de savoir si cette subdivision de la propriété n’était pas portée trop loin. Je laisse cette question de côté ; mais voyez, messieurs, voyez les sacrifices que s’imposent nos laboureurs pour devenir propriétaire, pour acquérir une fraction d’hectare. Savez-vous pourquoi ils travaillent depuis le matin, pourquoi ils vivent de peu, pourquoi ils se courbent sur les sillons, afin d’obtenir une fraction d’hectare ? C’est que cette fraction d’hectare, messieurs, c’est pour eux l’indépendance, c’est pour eux ce qu’on promet tant, ce dont on est si avide pour soi et si avare pour les autres, la liberté.

Messieurs, je ne repousse pas les idées qui tendent à des améliorations. Ne dédaignons rien ; examinons tout ; mais ne prenons pas légèrement pour guide des lueurs fugitives, jusqu’à ce que ces nébuleuses aperçues dans le vague de l’imagination, soient devenues des astres qui éclairent le monde, ou peut-être l’embrasent ; respectons, entretenons soigneusement ces vieux fanaux qui l’ont conduit à la civilisation, et parmi lesquels un des plus importants est la propriété.

(Moniteur belge n°346, du 12 décembre 1843) M. Meeus. - Messieurs, tant d’orateurs distingués se sont fait entendre dans cette discussion, que le meilleur parti que j’aurais à prendre, serait de garder le silence. Cependant, comme on a touché à quelques questions d’un ordre supérieur que j’ai l’habitude de traiter devant vous, il m’a paru convenable de vous soumettre de nouveau mes observations sur ces importantes matières.

D’abord, messieurs, on a parlé, chacun à sa manière, de notre balance commerciale ; les opinions les plus divergentes ont été émises, et c’est ici le cas de dire : tot capita, tot sensus.

Messieurs, dans vos sessions précédentes, j’ai déjà examiné cette question. Effrayé comme tant d’autres de la statistique commerciale de la Belgique, j’ai dit que je croyais que le gouvernement ne pouvait assez en méditer les conséquences, qui apparaissaient désastreuses en chiffres. J’ai réfuté alors quelques-uns des arguments qu’on a fait valoir dans cette discussion.

On a dit de nouveau : Mais si la Belgique avait une balance commerciale de 90 millions en sa défaveur, depuis treize ans plus de 1,100 millions auraient disparu de la Belgique. Cet argument, messieurs, n’est que spécieux ; je l’ai réfuté plusieurs fois ; je le réfuterai encore de la même manière.

Il en est de la Belgique, passez moi la comparaison qui me vient à la pensée, il en est de la Belgique ou de toute autre nation, comme il pourrait en être d’un particulier. Supposons un particulier ayant 50,000 fr. de rente placés, partie en biens-fonds, partie en fonds publics. Il a une fabrique, il a un commerce, et cette fabrique, ce commerce lui donnent à la fin de l’année 20,000 fr. de perte. Il dépense pour l’entretien de sa famille vingt autres mille fr. Cet homme, s’est-il ruiné ? Non, il a encore dix mille fr. d’économie dont il accroît le patrimoine de ses enfants.

Ce qui est vrai pour le particulier, messieurs, est vrai pour une nation. Quand on fait le compte de la balance commerciale, on ne fait pas le compte de la richesse générale du pays. Il y a peu de pays, si j’en excepte la Hollande, qui possèdent tant de capitaux, tant de richesses que la Belgique, placés à l’étranger ; capitaux en terres, capitaux en rentes de différentes espèces.

Eh bien, messieurs, s’il était vrai que la Belgique, par suite de notre système commercial, qu’une statistique bien établie démontrerait être fatal à ses intérêts (je suis loin de reconnaître celle qui existe comme bonne) ; s’il était vrai, dis-je, que la Belgique eût une balance commerciale de 20 ou 30 millions en sa défaveur, recevant cet excédant de l’étranger, en revenus, par supposition 80 ou 100 millions, ne se trouverait-elle pas encore avoir 60 ou 80 millions d’accumulations de richesses à la fin de chaque année ? La Belgique serait-elle ruinée ? Certainement non. Mais ne serait-il pas désastreux pour le pays, ne serait-il pas déplorable aux yeux du gouvernement, qu’un pays comme la Belgique, que la nature a si largement doté, dont le génie industriel des habitants est passé en proverbe, laissât infructueux les moyens que le ciel a déposé dans ses mains ? Il ne doit pas en être ainsi ; et c’est par cette raison que c’est la une des questions les plus importantes qui doive éveiller l’attention du gouvernement.

Je ne serai donc pas du nombre de ceux qui encourageront le gouvernement, qui encourageront MM. les ministres à tomber, si je puis m’exprimer ainsi, dans un quiétisme industriel qui serait funeste aux intérêts nationaux. Je le reconnais avec l’honorable M. Cogels, la statistique, telle qu’elle est représentée, n’est qu’un mensonge. L’honorable M. Cogels a cité plusieurs points qui démontrent à l’évidence les fausses bases sur lesquelles on l’a établie. Je pourrais, à mon tour, en fournir d’autres preuves.

Ainsi je dirai au gouvernement : dans une statistique bien faite, il ne suffit pas de venir avec des chiffres méthodiquement placés ; il faut, à côté de cette statistique, un compte moral, si je puis m’exprimer ainsi ; il faut un compte général du mouvement commercial et industriel du pays.

Dites-le-moi, messieurs, est-ce que notre commerce avec la France, par exemple, peut se traduire officiellement en chiffres ? Mais certainement non. La France, nous livre une partie de ses produits officiellement, mais elle nous en livre beaucoup d’autres officieusement, c’est-à-dire, par la fraude. Et je veux insister sur ce point, parce que je réponds ainsi indirectement à un honorable orateur qui a trop fait valoir, à mon sens, les avantages que la Belgique trouve vis-à-vis de la France dans la balance commerciale qui nous est présentée entre ces deux pays.

J’ajouterais à ce fait, messieurs, si je pouvais m’étendre davantage, d’autres considérations ; il en est une cependant que je ne veux pas laisser échapper.

La France tire de la Belgique des matières premières ; la Belgique reçoit de la France des matières fabriquées. Tout homme qui a étudié un peu l’économie sociale n’a pas besoin d’autres développements ; la différence qui en résulte est sensible ; cette différence est tout à l’avantage de la France.

Si je parle ainsi, messieurs, ce n’est pas, croyez-le bien, et vous le savez, je pense, que je ne sois partisan prononcé de larges traités de commerce avec la France. Mais c’est que, pour les obtenir tels qu’ils nous les faut, il est nécessaire de rester dans le vrai, et le vrai est tel que j’ai l’honneur de vous le dire ; c’est qu’il y a plus d’avantages pour la France dans ses rapports avec la Belgique, qu’il n’y en a, en réalité, pour la Belgique, dans ses rapports avec la France.

Ces deux nations, messieurs, sont appelées à se donner la main sur la ligne des douanes ; il est temps que des traités interviennent ; mais il faut des traités basés sur l’honneur, basés sur l’équité.

La Belgique n’est pas une petite nation, quand elle traite avec la France ou avec quelque nation que ce soit ; sur le terrain commercial et politique il n’y a pas plus de différences entre les nations qu’entre les diadèmes que portent les rois des différents Etats ; on est fort, parce qu’on n’est pas seulement fort de soi, mais fort de tout ce qui est derrière soi. Si la Belgique et la France n’étaient que les deux pays qui existassent en Europe, la Belgique n’existerait pas.

Messieurs, je vous ai promis d’être court, et je m’aperçois que je me laisse entraîner bien plus avant que je le désirais, J’aborde tout de suite une autre question. Mais avant tout, je dois le répéter, j’adjure la cabinet de porter la plus sérieuse attention sur cette question délicate. Le cabinet est composé d’hommes éminents pour leur intelligence. Qu’ils se mettent à l’œuvre, ils trouveront ; c’est le cas de leur dire : labor improbus omnia vincit. Oui, il y a des difficultés, je l’avoue, il y a de difficultés ; mais ces difficultés, vous les surmonterez, car vous êtes intelligents, vous êtes travailleurs.

Messieurs, une seconde question que j’ai souvent traitée dans cette enceinte, c’est celle de notre système monétaire.

J’ai eu l’honneur de vous dire, dans d’autres séances et dans d’autres sessions, que je regardais comme indispensable que la Belgique ne s’écartât pas du système suivi par toutes les autres nations. Chaque nation a son système monétaire ; pourquoi la Belgique n’en aurait-elle pas ? Vous avez fait, il est vrai, une loi monétaire, mais une loi qui n’en est pas une, une loi parfaitement inutile, une loi en vertu de laquelle vous n’avez en Belgique ni une pièce de cinq francs, ni une pièce de 10 florins de plus ; supportez cette loi et votre position sera la même qu’aujourd’hui.

Je conçois très bien l’avantage qu’il y a pour un pays de pouvoir trafiquer avec des monnaies étrangères ; je sais, par la pratique, combien il est utile d’avoir en Belgique pour le commerce, pour l’industrie même, et les monnaies françaises et les monnaies hollandaises ; mais quand vous aurez une monnaie nationale, n’allez pas croire que vous n’aurez pas et la monnaie française et la monnaie hollandaise. Eh ! messieurs, le commerce ne sera-t-il pas là pour vous les apporter ? En voulez-vous un exemple frappant ? Voyez ce qui s’est passé sous l’ancien gouvernement : sous l’ancien gouvernement on a poussé l’absurde jusqu’à tarifer les pièces de 5 francs ; on ne pouvait pas les recevoir dans les caisses de l’Etat, et tous les receveurs cependant, tous les percepteurs désiraient qu’on leur donnât des pièces de 5 fr., parce que ces pièces de 5 francs continuaient à être recherchées par le commerce. Mais, à l’aide de son système monétaire, le royaume des Pays-Bas se trouvait toujours à l’abri des grandes crises financières. C’est que lorsqu’un pays a un système monétaire, c’est-à-dire, une monnaie particulière à lui, il se trouve à l’abri de ces transactions internationales, de ces transactions cambistes (pour me servir du mot propre), qui enlèvent 30, 40, 50 millions en quelques jours. L’honorable M. Dumortier, traitant la même question, vous a dit, messieurs, que la Société générale a, deux fois, prévenu des crises ; cela est parfaitement exact : en 1833, il s’est fait une opération dont je n’ai jamais pu bien saisir les fils, ce qui prouve que l’on peut s’y tromper facilement puisque, par ma position, j’étais certainement en état de connaitre, aussi bien que qui ce fût, ce qui se passait en changes. Eh bien, messieurs, tous les jours, des diligences partant de Bruxelles et se dirigeant vers Paris emportaient une charge complète en sacoches de pièces de 5 francs ; le troisième jour je m’en aperçus, car non seulement à Bruxelles, mais aussi à Anvers le numéraire disparaissait ; j’en fus alarmé, et immédiatement le conseil de la direction prit les mesures que ces circonstances réclamaient. On crut que le meilleur parti à prendre était de faire revenir de Paris les sommes nécessaires pour prévenir tout danger ; on réunit donc à Paris des valeurs importantes en fonds publics et en papier de toute espèce et pendant dix-huit jours, si ma mémoire m’est fidèle, il nous arrivait de Paris 1,200,000 francs, 1,300,000 fr., 2,000,000 de francs en pièces de 5 francs, qui repartaient avec les mêmes diligences qui les avaient apportées. Voilà, messieurs, un jeu qu’on s’explique difficilement, quand on ne veut pas voir le côte pratique des choses ; mais aux faits il n’y a rien à opposer. Eh bien, messieurs, si alors il n’y avait pas eu en Belgique un grand établissement, croyez-vous que l’escompte ne se serait pas de suite élevé à 7,8, 9, 10 p. c. ? Que seraient devenus, au milieu de cette crise, les petits industriels ? Que serait devenue l’industrie elle-même ? Vous savez messieurs, on l’a déjà dit souvent à la chambre, que nous avons en Belgique beaucoup d’industriels qui possèdent des capitaux suffisants pour ne pas recourir au crédit, il en existe aussi un très grand nombre qui sont dans l’impossibilité de marcher sans le secours de l’escompte, qui ne peuvent faire honneur à leurs affaires qu’en s’appuyant sur le crédit. Eh bien, messieurs, que des circonstances semblables se présentent, que le taux de l’escompte s’élève, que l’argent se raréfie, que la frayeur se répande, et les banqueroutes sont imminentes. Je le répète donc, messieurs, c’est encore là une question qui exige impérieusement une solution. Je sais bien qu’en ce moment il n’y a pas de danger ; de grands établissements existent en Belgique ; ces établissements, n’en doutons pas, feront leur devoir, mais des limites sont imposées à tout établissement comme à tout particulier, et un gouvernement sage doit se reposer surtout sur les lois, pour la conservation de l’intérêt général.

Je passe, messieurs, à une troisième question que l’on a agitée dans cette enceinte. L’année dernière, l’honorable M. Rogier a soulevé cette question du premier ordre, celle des caisses d’épargnes ; j’ai eu l’honneur de prendre part à la discussion ; ma position particulière m’en faisait un devoir, et je crois encore que cette position me commande aujourd’hui d’y rentrer. L’honorable M. Rogier, dans un sentiment que je ne puis trop louer, disait : « Que le gouvernement se charge des caisses d’épargnes, qu’il les étende de manière que tout le pays puisse en profiter ; c’est là un grand principe d’ordre, c’est là un puissant moyen de moralisation, et le gouvernement se couvrira ainsi de gloire. » J’eus l’honneur de répondre que je réclamais une bonne partie de cette gloire pour la Société générale qui, la première en Belgique, et depuis 1831, avait fondé des caisses d’épargnes sur une base large et qui ont donné des résultats immenses. Je convenais avec l’honorable M. Rogier que l’on pouvait encore faire mieux et donner une plus grande extension à cette institution, mais je m’arrêtais à cette pensée : faut-il que le gouvernement le fasse ? Messieurs, c’est une des questions qui préoccupent le plus aujourd’hui les hommes d’Etat en France. C’est une question qui renferme en elle-même des causes immenses de désastres, des causes immenses de maux irréparables.

Avant de faire l’historique des causes d’épargnes en Belgique, qu’il me soit permis de m’étendre un moment sur cette première considération. Les gouvernements, messieurs, vous le savez, sont tous, sous quelques rapports, de la même nature ; la facilité d’avoir de l’argent excite à faire des dépenses. Le jour où le soleil luit, on ne croit pas à la tempête ; la tempête arrive cependant, et pour ne l’avoir pas prévue, vous en êtes écrasés. Lorsque, de Bruxelles, j’ose me permettre de considérer la situation financière de la France, je tremble (et je ne crains pas qu’on m’entende a Paris), je tremble de voir ainsi le gouvernement français vivre si fortement de crédit et ne pas profiter des beaux jours pour compter avec l’avenir. En ce moment, le gouvernement français présente aux chambres un déficit qui ne peut se combler qu’au moyen de 2 ou 300 millions de francs ; il a de plus dans la caisse d’épargnes une charge de 360 millions, qui s’élèveront à 800 millions avant trois ans, car c’est là la tendance inévitable des choses. Eh bien ! vienne le jour du danger, vienne la guerre, vienne seulement la crainte de la guerre, où le gouvernement prendra-t-il les 7 ou 800 millions qu’il faudra pour compter avec le passé, sans tout ce qu’il faudra pour compter avec l’avenir qui se présentera menaçant devant lui ? Messieurs, pour ma part, jamais je ne donnerai ma voix à un projet quelconque tendant à remettre entre les mains du gouvernement les sommes provenant des dépôts faits à la caisse d’épargnes. Comme vous l’a dit l’honorable M. Dumortier, c’en est trop des bonis du trésor, c’en est trop de cette dette flottante ; avons-nous donc perdu l’expérience de ce qui s’est passé il y a plus de deux ans ? Qu’était-il arrivé sous le ministère Lebeau, lors de la question d’Orient ? Nous étions loin encore de la guerre, et cependant le gouvernement a dû contracter un emprunt à des conditions onéreuses. Et encore, messieurs, est-ce avec l’étranger qu’il put contracter ? L’étranger lui ferma ses coffres qui s’étaient toujours ouverts pour lui aux jours de prospérité et de paix. Aux temps de prospérité, vous trouverez toujours des capitalistes prêts à vous donner de l’argent, mais aux jours de revers, aux jours d’embarras, vous en trouverez à peine dans votre propre pays. Cependant alors le gouvernement pût trouver 20 millions qui lui étaient indispensables pour sortir d’embarras. Qu’eût-ce été, messieurs, si à côté des porteurs de bons du trésor, une foule menaçante de déposants à la caisse d’épargne étaient venus demander le remboursement de leurs fonds ? Qu’eussiez vous fait ? Quelles alarmes générales répandues dans le pays ! Quelle détresse ! Ce sont là, messieurs, les conséquences effrayantes, terribles, qu’eût entraînées à cette époque la gestion des caisses d’épargnes par les soins de l’Etat. Il faut, messieurs, traiter cette question avec franchise, il faut parler à cœur ouvert ; dans le public, dans les chambres, on s’effraie de ce que les caisses d’épargnes sont entre les mains de la Société générale, et l’on a raison de s’en inquiéter, car la Société générale s’en est inquiétée elle-même. Les dépôts faits à cette caisse, fondée si laborieusement, ont fini par atteindre un chiffre qui a commandé aux hommes prudents qui la dirigent, d’arrêter l’essor que la société elle-même lui avait imprimé, et, je dois le dire à regret, malgré toutes les dispositions prises pour faire diminuer les dépôts, cette diminution est peu sensible. Cependant, ce qui doit tranquilliser tout le pays, ce qui peut tranquilliser les hommes d’Etat et les membres de la chambre qui se sont opposés de cette question, c’est que, quoi qu’il arrive, la société générale fera face à tous ses engagements, en 1843 comme en 1839 ; quelle que soit la foule qui se presse à ses bureaux, elle répondra , non par des paroles, non par des écrits, mais par des écus, seule réponse que puisse donner un établissement financier qui se respecte.

C’est parce que la prudence n’a pas manqué à la Société générale que, lors de la crise d’Orient, dans les trois fois 24 heures, le ministre des finances a pu compter sur un versement de 20 millions de francs par la Société générale ; cette prudence est nécessaire, parce que, depuis longtemps, et les calomnies, et les clameurs, et les différents moyens dont on se sert en Belgique contre cet établissement, lui ont commandé et lui commandent journellement des actes de prévoyance et de sagesse qui puissent parer à tous les événements.

Il y a eu peut-être alors un peu trop de dévouement à se dégarnir d’une somme aussi considérable, qui était disponible pour faire face aux exigences de la caisse d’épargnes, mais c’était, messieurs, pour venir au secours du gouvernement. Ce n’est, sans doute, ni le gouvernement ni les chambres qui accuseront en cette occasion le patriotisme de cet établissement. Du reste, trois mois ne s’étaient pas écoulés, que tout était de nouveau rétabli dans l’ordre, de manière à pouvoir faire face à tous les événements.

Bien que je ne veuille pas m’étendre davantage sur cet objet, il me reste cependant à vous dire comment les caisses d’épargne existaient, avant 1830, tant en Belgique qu’en Hollande, et comment la Société générale a été appelée à les créer.

Les villes de Bruxelles, Gand et Amsterdam avaient, chacune, une caisse d’épargnes. Elles suspendirent toutes leurs paiements, parce qu’on avait imprudemment placé l’actif de ces caisses en fonds publics sur l’Etat ; à Amsterdam, la caisse d’épargnes liquida, et les déposants eurent 66 p. c. Les caisses d’épargnes de Gand et de Bruxelles furent mieux avisées. Elles étaient administrées par des hommes prudents et sages qui avaient foi dans le dévouement de la Société générale, et qui me firent l’honneur de me proposer d’engager la Société générale à prendre ces caisses sous son patronage. On donna à ces caisses les fonds nécessaires pour rembourser aux déposants ce qu’ils avaient versé, et on remit à la Société générale les fonds publics qui en formaient la contre-valeur.

La caisse de Gand a liquidé ce compte, il y a seulement quelques jours.

Ainsi, messieurs, avant 1830, des villes avaient essayé d’établir des caisses d’épargnes, et 1830 est venu faire justice de leurs fausses applications.

La Société générale crut que le immenses capitaux qu’elle possédait, la facilité qu’elle avait de faire mouvoir des sommes considérables lui permettaient de rétablir ces institutions si philanthropiques, si essentielles dans l’intérêt de l’ordre comme dans celui des travailleurs.

On ne crut pas que ces caisses s’étendraient aussi rapidement qu’on l’a vu depuis. Aujourd’hui, de toute nécessite, la Société générale doit, sinon les diminuer, du moins en arrêter l’essor. Depuis quatre ans, c’est le but constant de ses méditations, et le résultat qu’elle a obtenu est des plus satisfaisants, sous ce point de vue. Aussi, il y a quatre ou cinq ans, la moyenne de livrets s’élevait à près de 3,000 fr. ; aujourd’hui la moyenne des livrets n’est plus que de 967 fr., sur les 47 millions déposés par des particuliers.

Maintenant, après ces explications, je me demanderai : Que fera la Belgique ? Ne faut-il pas à la Belgique des caisses d’épargnes ? Doit-on se contenter de la caisse d’épargnes de la Société générale, c’est-à-dire d’un établissement particulier qui, si son intérêt pouvait l’exiger, serait libre de la supprimer du jour au lendemain. Je le répète, que fera-t-on ? quel système faut-il adopter ? Ce sujet, messieurs, mérite d’être gravement médité. C’est une des questions les plus épineuses et les plus délicates. Elle se lie à la moralité du peuple, et, à ce titre, elle doit avoir toutes vos sympathies.

Eh bien, malgré l’expérience de 1830, je crois que si la Belgique veut entrer dans un bon système de caisses d’épargnes, c’est aux communes qu’il faut s’adresser, en créant dans les communes des établissements particuliers ayant de la latitude pour le placement de leurs fonds, sous le contrôle et la surveillance de la députation de la province. Voilà, à mon sens, le seul système, quelques inconvénients qu’il puisse présenter, et j’en aperçois beaucoup, voilà le seul système qui me paraît résumer en lui en partie la prudence d’une part, et, de l’autre la sécurité que l’intérêt des travailleurs demande. Un projet semblable a besoin d’être médité. Il faudrait que le gouvernement s’en occupât ; il faudrait qu’une commission composée d’hommes qui ont étudié ces questions, fît un travail, il faudrait qu’il fut laborieusement élaboré, il faudrait qu’on le livrât, après cela, aux discussions des chambres. Messieurs, je m’arrête ici, de peur d abuser de vos moments. Force n’est cependant, avant de terminer, de répondre quelques mots à l’honorable M. Zoude.

Dans une autre session à deux reprises différentes, l’honorable membre a cru pouvoir émettre des insinuations peu bienveillantes, pour ne pas me servir d’un mot qui serait peu parlementaire, envers la Société générale et d’autres établissements auxquels j’ai l’honneur d’appartenir. Il vous a dit que c’était par malveillance, en vue de nuire à la banque de Belgique, qu’on avait réduit le taux de l’escompte. Je m’étonne qu’un défenseur d’une banque vienne se plaindre de la diminution du taux de l’escompte.

Mais quelle est donc la mission des banques ? C’est de tendre constamment à l’abaissement du taux de l’intérêt. Voilà leur première mission, et avant que la banque de Belgique n’existât, avant qu’elle ne fût conçue, la Société générale avait établi ses escomptes bien autrement bas qu’elle ne la fait depuis. Mais l’escompte avant 1830 était à 3 p. c. ; en 1832 et 1833, il était à 3 p. c. en 1835, il était à 3 p. c. ; aujourd’hui, il est a 4 p. c. En vérité, je m’étonne qu’on vienne, au nom d’un établissement de banque, se plaindre de ce qu’un autre remplît le but de son institution.

Maintenant l’honorable membre a dit : C’est par malveillance qu’on l’a fait ; à de telles insinuations, je n’ai qu’un mot à répondre : Cela n’est pas ! C’est la seule réponse digne de quelqu’un qui se respecte.

L’honorable membre a ajouté : Avec quel argent fait-on ces escomptes ? Pour traduire sa pensée, pour parler à cœur ouvert, il a voulu dire : c’est avec les fonds de l’Etat, avec l’encaisse que la Société générale peut ainsi faire ses escomptes. A de telles insinuations que je ne veux pas qualifier, je répondrai encore par ces seuls mots : Cela n’est pas.

(Moniteur belge n°344, du 10 décembre 1843) M. Verhaegen. - Messieurs, certaines propositions, en les renfermant dans de justes limites, n’ont rien d’exorbitant, mais en les étendant outre mesure, elles deviennent inquiétantes pour une certaine classe de la société.

Les honorables membres auxquels je réponds, ont donné à mes paroles un sens qu’elles ne comportent pas, ont trouvé dans mon discours une tendance qu’il n’a point.

On a voulu distraire l’attention du pays des véritables questions qui sont aujourd’hui à l’ordre du jour ; on a fait des phrases longues et sonores, on s’est permis des sarcasmes indignes d’une chambre législative, on a même insulté à la misère publique, et tout cela pour échapper indirectement aux conséquences d’un système qu’on n’ose pas attaquer de front.

Pourquoi donc mon discours d’hier a-t-il été l’objet d’attaques si vives et si acerbes ; aurais-je par hasard posé quelques principes subversifs de l’ordre social ? mais il s’agissait du budget des voies et moyens, et en prenant part à la discussion je me suis permis d’attaquer la base des impôts actuels et j’étais dans mon droit. Un des honorables membres auxquels je réponds se trouvait derrière moi pendant que je parlais, et il se permit de m’interrompre pour me sommer d’indiquer un autre système en remplacement de celui que j’attaquais ; c’est de lui qu’est venue la provocation. Il m’a jeté le gant et je j’ai ramassé : en indiquant plusieurs bases nouvelles d’impôts, il a été loin de ma pensée de faire violence aux opinions de la chambre, j’étais sommé de les indiquer et je l’ai fait.

C’est le comte de Mérode qui m’a conduit sur un terrain, qui semble être devenu brûlant, et, après m’y avoir conduit, il trouve mauvais que je m’y sois placé. Les sorties inconvenantes de l’honorable membre, je dirai même ses sarcasmes, ne peuvent pas m’atteindre et je les méprise ; ils ne décèlent que du dépit. Quand on se trouve réduit à de pareils moyens pour combattre des opinions consciencieuses, ou ferait mieux de se condamner au silence !

On a souvent entendu avec plaisir les discours écrits de M. de Mérode, moi-même je me suis amusé quelquefois en l’écoutant, son style a quelque chose d’original. Mais aujourd’hui, il a dépassé toutes les bornes. Son langage n’est plus un langage parlementaire, et je ne sais réellement quel nom lui donner.

Ce que j’ai trouvé de plus saillant dans le discours de M. de Mérode, après ses attaques toutefois contre la révolution de 1830, à laquelle il a pris naguère une part si active, c’est sa prétention de faire supporter les augmentations d’impôts par les masses qui, d’après lui, ne doivent se nourrir que de pain et de pommes de terre ; à cette prétention, je réponds qu’elle constitue une insulte faite à la misère publique, et je demanderai à mes honorables collègues des Flandres, eux qui mieux que nous, connaissent la détresse de la classe ouvrière, quelle impression ont fait sur eux les paroles qu’ils viennent d’entendre.

M. de Mérode a parlé de charlatanisme, mais quel serait donc le charlatan ? On fait de la popularité en caressant les opinions de ceux dont on croit avoir besoin, et on ne m’accusera certes pas d’avoir soigné mes intérêts politiques et autres en défendant les droits d’une certaine classe d’individus qui n’ont pas même la faveur de concourir à la nomination de leurs représentants. Puisque, d’après M. le comte de Mérode, l’intérêt est la mesure des actions humaines, qu’il nous dise donc quel intérêt l’a poussé en m’attaquant avec tant de véhémence ?

J’ai toujours pensé qu’il fallait avoir le courage d’énoncer à la tribune ses opinions sans égard à aucun intérêt et sans arrière-pensée, et je crois avoir rempli cette tâche. Je mets autant de prix à la propriété que l’honorable membre qui a parlé immédiatement avant moi.

M. de La Coste. - Je le sais bien

M. Verhaegen. - Il faut entourer la propriété de toutes les garanties d’ordre et de stabilité. Je suis d’accord sur ce point avec l’honorable M. de la Coste, mais je ne suis plus d’accord avec lui quand il veut la ménager dans la répartition des impôts ; je crains qu’en voulant trop on ne rencontre des résistances ; il faut savoir faire des sacrifices à temps, pour mieux se maintenir et consolider sa position. Les tendances qui se manifestent dans tous les pays et qui ne sont pas rassurantes peuvent donner matière à de graves réflexions.

M. de La Coste. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Verhaegen. - Il faut maintenir les impôts, vous a-t-on dit, quelque odieux qu’ils puissent paraître ; on a habitué le peuple à les supporter, ce qui veut dire qu’on a habitué le peuple à supporter la misère qui l’accable ! Mais, qu’on y prenne garde, avant 89 on avait aussi habitué le peuple à supporter la féodalité et toutes ses horreurs ; mais un jour le peuple s’est lassé ; et il a violemment brisé ses chaînes Vous voulez habituer le peuple à supporter la misère ; prenez garde que ce peuple, à qui vous n’accordez que du pain et des pommes de terre, ne finisse pas trouver que ces aliments lui sont insuffisants et qu’il ne vienne malgré vous prendre place à vos tables somptueuses ; il y a tout au moins de l’imprudence a énoncer de pareils principes. Je regrette qu’on nous ait attiré sur ce terrain. Mais il y aurait eu lâcheté à ne pas suivre ceux qui nous y avaient attirés.

A en croire nos honorables contradicteurs, nous voudrions une réforme sociale ; ce serait une véritable révolution que nous provoquerions. Et pourquoi donc ? Parce que nous attaquons l’impôt sur le sel, l’impôt sur les patentes, sur les bières, sur le débit des boissons distillées, tous les impôts de consommation en un mot, qui frappent la classe indigente ; nous voudrions une réforme sociale, parce que, répondant aux provocations de l’honorable comte de Mérode, nous avons indiqué quelques nouvelles matières imposables, parce que nous voudrions voir imposer le luxe et la propriété. Mais, s’il en est ainsi, il ne faut plus discuter ; les questions que nous avons examinées ne sont-elles pas à l’ordre du jour ? Dans une discussion générale du budget des voies et moyens, de quoi peut-on s’occuper si ce n’est des bases de l’impôt ?

Il y a donc injustice dans les reproches qui m’ont été adressés, et l’injustice est d’autant plus grande, qu’en indiquant de nouvelles matières imposables, je commençais par me frapper moi-même, est-ce la de l’égoïsme ?

On trouve exorbitant ce que j’ai dit quant à l’impôt progressif ; mais on ne m’a pas compris : j’ai présenté quelques idées quant à cet impôt ; mais je n’ai formulé aucun système ; j’ai émis une opinion ; libre a tous mes collègues de la combattre, ou d’en restreindre la portée.

Quant au droit sur les successions en ligne directe, je me suis encore borné à soumettre quelques idées à la chambre, sans toutefois avoir formulé un système complet, car ce soin, je veux le laisser au gouvernement.

Vous voulez, me dit-on, venir au secours de la classe indigente, et par votre système vous augmentez le nombre des indigents ! On exagère mon système ; car, quand j’ai parlé d’une progression, je n’ai pas entendu la pousser à l’infini ; j’ai voulu, au contraire, la restreindre dans de justes limites, et, en effet, on pourrait arrêter le chiffre extrême à 5, 6 ou 7 p. c.

On vient, après cela, nous parler de tombeau, de crêpe funèbre, de famille est deuil, de souvenirs pieux ! Ce sont des phrases, et rien de plus, des phrases qu’on arrange à loisir pour faire de l’effet ; mais ce ne sont pas des réponses à des arguments. L’intérêt et l’affection sont deux choses qu’il ne faut pas confondre. Je pleure la mort de mon père sans m’occuper de la fortune qu’il me laisse et des faibles droits qui pourraient en diminuer l’importance.

Je considère un droit sur les successions en ligne directe, comme un impôt sur la propriété, impôt juste et nécessaire, impôt que les idées du siècle et les besoins du trésor réclament. J’établirais encore une progression, mais je ne la pousserai pas à l’extrême. De 1/4 p. c. jusqu’à 5 ou 6 p. c., par exemple, d’après l’importance des biens ; j’établirais d’ailleurs trois bases principales : d’abord je ne permettrais pas qu’on entamât jamais la légitime. Ensuite je frapperais du droit le plus fort tout préciput ; je sais que cette idée ne marche pas avec l’opinion d’un honorable préopinant qui a énoncé que les propriétés étaient déjà trop morcelées, et cela, sans doute, dans l’intention de favoriser les majorats.

M. de La Coste. - Quelle absurdité !

M. Verhaegen. - Il n’y a pas d’absurdité. On crie à l’absurdité, quand on voit qu’on est allé trop loin, quand on n’a rien de bon à répondre.

Ma troisième base, serait une progression dans le sens que je l’ai indiquée plus haut.

L’honorable M. d’Hoffschmidt, qui, au commencement de la séance d’hier, semblait ne pas partager mes opinions, a fini aujourd’hui par en admettre quelques-unes, il a pensé qu’on pourrait puiser dans les sources que j’ai indiquées. Je prends acte de ce revirement.

En résumé, je n’ai fait que répondre à une provocation directe de M. de Mérode ; je n’ai formulé aucun système, j’ai émis des opinions consciencieuses. Libre à la chambre de les adopter en tout ou en partie où de les rejeter ; je n’ai voulu faire violence à personne ; je n’ai fait ni de la popularité, ni du charlatanisme ; je laisse ce rôle à d’autres.

M. de La Coste (pour un fait personnel.) - Je ne devais pas m’attendre, d’après la manière très modérée (et je n’avais aucune raison de ne pas être très modéré) dont je m’étais exprimé, je ne devais pas m’attendre, dis-je, à ce que l’honorable M. Verhaegen me répondît d’une manière aussi acerbe.

Je ne viens pas prendre la défense des phrases qui ont eu le malheur de déplaire à cet honorable membre, ni lui prouver qu’il est possible de s’exprimer en français passable, sans avoir appris un discours par cœur ; je ne viens pas relever des accusations qui ne pèsent pas sur moi, j’ignore à qui elles s’adressent ; les personnes qui me connaissent savent que ces accusations ne peuvent me concerner. Je ne viens pas apprendre à l’honorable M. Verhaegen, qui doit le savoir aussi bien que moi, que les idées relatives au trop grand morcellement de la propriété, auxquelles j’ai fait allusion, n’appartiennent pas à ceux qui veulent des majorats, mais à l’opinion libérale la plus avancée. Je viens seulement constater un fait ; je viens, rentrant dans le fait personnel, rappeler à l’assemblée (ce que reconnaîtront du reste tous ceux qui m’ont entendu ou qui me liront dans le Moniteur) que je n’ai pas traité la question au point de vue d’un intérêt personnel. Il importe peu que l’honorable M. Verhaegen et moi soyons propriétaires. Je n’ai pas, je l’avoue, assez d’humilité, je ne suis pas assez modeste pour attacher un prix énorme à la qualité de propriétaire. Mais je tenais à rappeler que j’ai traité la question d’une manière générale, dans un intérêt public, que j’ai fait valoir les droits des artistes, des avocats, des plus minces propriétaires, en un mot, de la nation, du peuple tout entier.

M. de Mérode. - Messieurs, je ne demande pas mieux qu’on me suive sur tous les terrains, particulièrement sur le terrain des faits ; parce que c’est le plus solide. Quand le préopinant voudra mettre en doute les faits que j’ai cités, je ne serai pas embarrassé pour lui répondre. Il n’y en a pas un seul, en effet, que je ne puisse prouver mathématiquement. Il a dit que je condamnais les ouvriers à manger du pain et des pommes de terre. J’ai dit, et c’est un fait qui se reproduit dans toute l’Europe, même dans les cantons les plus complètement démocratiques de la Suisse, que la population s’élève partout où il y a de la sécurité et de l’ordre, à un nombre tel que les aliments végétaux suffisent à peine à la consommation de la généralité des hommes.

M. Verhaegen a-t-il trouvé un remède à cet état de choses que je ne n’ai pas créé, car il ne m’attribuera pas, sans doute, l’existence de la population si nombreuse qui couvre la Belgique.

J’ai dit que les millions étaient dans les masses, et j’ai suffisamment indiqué que par les masses j’entendais la généralité des habitants du pays. Eh bien, la fortune entière de quelques propriétaires principaux ne suffirait pas pour faire vivre le pays pendant trois mois, tandis que les recettes qui s’appliquent à la généralité produisent des sommes considérables sans ruiner ni les uns ni les autres, et certainement il n’en est ainsi que parce que les millions sont dans la masse de la nation J’appelle charlatanisme un système qui consiste à dénigrer tous ces impôts et à soutenir en même temps qu’il ne faut rien retrancher aux dépenses de l’armée. Oui, c’est là du charlatanisme, je n’ai pourtant appliqué cette expression a aucun nom propre et si M. Verhaegen a trouvé qu’elle s’appliquait à lui, s’il s’est reconnu dans le système, ce n’est pas ma faute, assurément.

M. le président. - Je vous ferai remarquer, M. de Mérode, que lorsque vous avez prononcé le mot de charlatanisme, j’ai cru qu’il s’appliquait au système. Si j’avais compris qu’il s’appliquait à M. Verhaegen lui-même, comme vous venez de le faire entendre, je vous aurais rappelé à l’ordre.

M. de Mérode. - Je n’avais nommé personne ; si l’honorable M. Verhaegen s’est reconnu lui-même, ce n’est pas ma faute.

M. Verhaegen. - Cela ne mérite pas une réponse.

Plusieurs membres, qui s’étaient fait inscrire, renoncent à la parole ou sont absents.

- La discussion générale est close.

La séance est levée à 4 heures et demie.