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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 11 janvier 1844

(Moniteur belge n°12, du 12 janvier 1844)

(Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et demi.

- La séance est ouverte.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Nicolas-Victor-Eugène Grus, ancien juge au tribunal de commerce de Gand, né à Amiens (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Edouard Wouvermans, profeseur à Drogenbosch, demande la place de bibliothécaire de la chambre.

« Même demande du sieur Tarlier. »

- Dépôt sur le bureau des renseignements.


« Les pharmaciens de la province de Luxembourg demandent une nouvelle organisation du service médical en Belgique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Liagre, clerc de notaire, soumet à la chambre la question de savoir s’il ne conviendrait pas d’abroger l’article 42 de la loi du 25 ventôse an XI. »

- Même renvoi.


« Leur sieurs Caillet, frères, maîtres charpentiers à Mons, demandent le payement de ce qui leur est dû pour travaux exécutés par ordre de l’administration du chemin de fer. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le budget des travaux publics.


« Plusieurs habitants du canton de Ciney présentent des observations concernant le projet de loi sur les céréales. »

« Même observations de la part des habitants de Lincent et de Créhen. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet.


« Le conseil communal de Jemeppe-sur-Meuse demande que cette commune fasse partie du canton de Seraing. »

- Renvoi à la commission du projet de loi sur la circonscription cantonale.


Par dépêche en date du 19 janvier 1844, M. le ministre de l’intérieur transmet à la chambre 97 exemplaires de l’Annuaire de l’observatoire royal de Bruxelles pour l’année 1844.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.


M. Henot informe la chambre que par suite de la maladie grave de son père, il ne peut assister aux séances.

- Pris pour notification.


M. de Roo. - Messieurs, dans la séance d’hier, on a fait l’analyse d’une pétition adressée par les marchands de bétail d’Ypres et environs, qui demandent le retrait de l’arrêté du mois de septembre 1843, concernant le transit du bétail étranger par la Belgique.

Cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.

La commission est déjà saisie d’une semblable demande, elle est prête à faire un rapport, toutefois elle a décidé qu’il serait préalablement demandé des renseignements statistiques au gouvernement, afin de savoir quel était le nombre des têtes de bétail qui avaient transité par la Belgique. Dès que ces renseignements auront été adressés à la commission, elle fera son rapport à la chambre.

J’ai cru devoir donner ces explications à l’assemblée pour qu’elle connaisse les causes du retard qu’éprouve la présentation du rapport.

M. Rodenbach. - Il me semble que les observations de l’honorable M. de Roo devraient être reproduites lorsque M. le ministre des finances sera présent.

M. Delehaye. - Je pense, messieurs, que l’honorable M. de Roo devrait renouveler sa motion lorsque M. le ministre des finances sera présent. Toutefois, je dois faire observer que c’est à la chambre et non à la commission des pétitions que le ministre des finances a promis de fournir des renseignements.

Projet de loin portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1844

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Cultes

Article premier

M. Delfosse. - Messieurs, je laisse subsister la division en trois articles que j’ai proposée hier ; la spécialité des articles du budget est une chose très utile qui prévient de graves abus, tout le monde y est soumis, le clergé doit s’y soumettre comme les autres.

Mais je dois réduire le chiffre de mon article 2 d’une somme de 60,000 fr. et augmenter d’autant le chiffre de l’art. 3.

Ce changement est indiqué dans le discours que j’ai prononcé hier ; j’ai dit hier que précédemment une somme de 62,000 francs était transférée du littera B, qui est mon article 2, au littera C, qui est mon article 3 ; elle servait à couvrir l’insuffisance du littera C.

Comme ce transfert, qui s’opérait en fait, ne serait plus possible si la division que je propose était admise, il est nécessaire que le transfert s’opère par la loi même.

Au moyen de cette rectification, j’accorde à M. le ministre de la justice à peu près ce qu’il demande pour les constructions et réparations. M. le ministre de la justice demande 350,000 francs ; mais il impute sur ces 350,000 francs les 30,000 francs accessoires pour la réparation des palais et des séminaires épiscopaux, ce qui réduit le chiffre à 320,000 francs ; j’accorde 320,000 francs ; vous voyez, messieurs, que le désaccord qui existe entre M. le ministre de la justice et moi se réduit à peu de chose, quant au chiffre.

Le seul désaccord qui existe réellement entre M. le ministre de la justice et moi, c’est que M. le ministre de la justice, en demandant 350,000 francs, soutient qu’il demande une augmentation de 50,000 francs fondée sur des besoins nouveaux ; je dis, au contraire, que la somme que le gouvernement demande est à peu de chose près la même que celle qu’il a obtenue jusqu’à ce jour ; et par conséquent, qu’il n’y a pas plus de besoins que par le passé. S’il y avait de nouveaux besoins, le gouvernement devrait demander plus de 350,000 francs.

Si mon amendement est admis, messieurs, la question des tours d’église, qui n’aurait pas dû être agitée, disparaît, il ne reste que la question de l’érection d’un grand nombre de succursales, la seule sur laquelle le débat porte réellement.

Pour faire face à la dépense qui résulte de cette mesure, il faudrait augmenter de 100,000 francs le chiffre de mon article 2 ; ceux qui pensent qu’il y a lieu de voter actuellement cette dépense, pourront demander que le chiffre soit augmenté de 100,000 francs ; au contraire, ceux qui sont d’avis qu’elle ne doit être votée qu’après que le gouvernement aura fait un rapport et communiqué les pièces, adopteront purement et simplement mon article ; mais plus tard, lorsque l’existence des arrêtés sera officiellement connue, ils pourront, comme je le pourrai moi-même, voter les 100,000 francs ; je prie la chambre de ne pas perdre de vue que les pièces ne lui ont été communiquées ni cette année, ni l’année précédente ; la chambre ne peut voter une allocation de 100,000 francs sans se faire remettre les pièces sur lesquelles la demande de l’allocation est fondée.

- L’amendement de M. Delfosse, modifié comme il vient d’être indiqué, est appuyé.

M. Scheyven. - Messieurs, comme membre de la section centrale, qui vous propose l’allocation des 50,000 fr. pour réparations des tours, je tiens à faire connaître les motifs du vote que j’ai émis et que je me propose d’émettre encore, et qui sera en faveur du chiffre pétitionné.

En général, les tours pour lesquelles le subside est pétitionné sont de véritables monuments publics qui honorent non seulement les villes où elles sont situées, mais le pays tout entier ; dès lors le pays a un intérêt, l’honneur lui fait un devoir de les conserver, le législateur de 1836 en a si bien senti l’importance pour la Belgique, qu’il a prescrit dans l’art 76 de la loi communale qu’un monument ne peut être démoli, et qu’on ne peut même y faire des réparations qui seraient de nature à en changer le style ou le caractère, sans l’avis préalable de la députation permanente et l’approbation du Roi.

Il est donc juste que l’Etat intervienne dans la dépense pour les grosses réparations que ces monuments réclament. Je pense que, sons ce rapport, nous sommes tous d’accord, surtout alors que les ressources des communes ne suffisent point pour faire face aux dépenses que nécessitent ces réparations.

Cependant quelques orateurs, qui ont parlé à la séance d’hier, se sont prononcés contre la somme demandée.

Les uns ont prétendu que cette somme, au lieu d’être employée à des constructions, servirait aux traitements des membres du clergé, les autres ont soutenu qu’il fallait, avant tout, savoir si les tours appartiennent aux fabriques d’église ou si elles appartiennent aux communes.

Quant au premier moyen d’opposition, M. le ministre de la justice y a répondu dans la séance d’hier, Il vous a dit que jamais il n’a été pris sur le chiffre destiné à accorder des subsides pour constructions et réparations, une somme quelconque pour les traitements du clergé, et que dans la suite il suivra également la même ligne de conduite ; mais au contraire l’excédant de la somme, destinée à ces traitements, a été réparti en subside pour les constructions. On a rendu hommage à la sincérité et à la franchise du chef du département de la justice : je m’associe volontiers à cette manifestation, mais d’accord avec mes paroles, j’ai pleine et entière confiance que le chiffre, s’il est alloué, recevra sa destination, conformément au libellé du litt. C. Je n’en dirai pas davantage sur ce point.

Quant au second moyen d’opposition, il n’est point de nature à pouvoir être accueilli par la chambre. En effet, qu’importe si la commune ou la fabrique d’église est propriétaire ; dans l’un et l’autre cas le gouvernement exigera leur intervention dans la dépense, d’après leurs ressources respectives, c’est ce qui s’est pratiqué chaque fois que des subsides de ce genre ont été accordés. Mais jamais la législature n’a exigé, avant de voter un crédit, que le gouvernement prouve que telle commune ou fabrique d’église ne possèdent point les moyens nécessaires pour faire à elles seules la dépense. C’est ainsi qu’elle a voté une somme de 300,000 fr pour constructions à la cathédrale de Tournay, une somme plus forte encore pour restaurer la tour et l’église de Ste-Gudule à Bruxelles, une autre pour l’église de St-Jacques à Liége, etc. sans exiger préalablement la preuve que l’on veut faire produire aujourd’hui. Ce que l’on veut est donc contraire à tous les antécédents de la chambre.

Du reste, le chiffre de 300,000 fr. voté l’année dernière et porté cette année au budget, est destine à allouer des subsides pour les constructions et réparations des églises et presbytères. Or, en règle générale, les églises sont entretenues et réparées par les fabriques, et les presbytères qui, pour la plupart, sont la propriété des communes, sont à la charge de ces dernières. S’est-on jamais avisé de demander au gouvernement de prouver au préalable, devant la chambre, qu’elles n’ont point les moyens de faire les dépenses ? Cette année-ci même, on ne le demande pas. Pourquoi donc se montrer si sévères pour les communes qui réclament des subsides pour les réparations aux tours ? Ne devrait-on pas craindre avec fondement, d’être accusé d’avoir deux poids et deux mesures ?

En tout cas, il est satisfait en partie à l’objection faite quant à la propriété des tours. Il résulte, en effet, des renseignements communiqués à la section centrale, et qui se trouvent consignés dans le rapport que les tours de St-Rombaud, à Malines ; de Notre-Dame, à Anvers ; de Saint-Julien, à Ath ; de St-Martin, à Courtrai, ainsi que les tours d’Ypres, de Roulers et d’Harlebeke appartiennent aux villes ou communes respectives.

Si après ces renseignements, il pouvait encore rester du doute sur la propriété au moins d’une de ces tours, je suis à même de vous prouver par des extraits des comptes de la ville de Malines, certifiés conformes par l’administration communale, extraits que j’ai par devers moi et que je suis prêt à déposer sur le bureau à votre inspection, si on le juge convenable, que la tour de Malines est la propriété de la ville ; qu’elle a été bâtie par elle , que la première pierre a été placée le 22 mai 1452, et que depuis qu’elle existe, la ville a été chargée des frais de réparation et d’entretien. Il en résulte encore que depuis 1821 jusqu’en 1840 la ville a dépensé pour réparations et constructions à la tour une somme de fr. 100,682 83.

Je pense que les autres villes pourraient également prouver qu’elles en sont les propriétaires. Mais admettons que cette preuve ne puisse point être administrée ; est-ce un motif pour refuser d’allouer le crédit demandé, et de refuser ainsi un subside à la ville de Malines qui justifie sa propriété, et qui offre d’y contribuer pour une somme de 72,000 fr. ? Elle a déjà porté à cet effet, 6,000 fr. à soit budget pour l’année courante, et la province une pareille somme, pour la même année. S’il était nécessaire de vous prouver l’urgence des réparations, je vous dirais que, depuis quelques années, la ville a été forcée de faire abattre plusieurs tourelles qui garnissaient l’extérieur de la tour, parce qu’elles menaçaient ruine ; qu’à chaque instant, il s’en détache encore des pierres qui compromettent la sûreté des passants. Ces faits, je puis les attester pour les avoir vus, ainsi que plusieurs habitants de la ville.

Qu’après cela, on ne cherche point, par des considérations en-dehors de la question, à refuser le crédit nécessaire pour faire des réparations que réclame avec urgence la sûreté des habitants.

Messieurs, vous vous rappelez tous la terrible catastrophe de Valenciennes. Ne nous exposons point à voir arriver dans notre pays un semblable malheur par le retard à allouer le crédit.

M. de Theux. - Messieurs, il semble résulter des discours qui ont été prononcés dans la séance d’hier par quelques honorables membres, que les fonds portés au budget de 1840 pour les traitements des ministres du culte auraient été insuffisants, et qu’on aurait, depuis cette époque, demandé de nouveaux fonds pour ces traitements.

C’est là une erreur ; loin que les fonds portés aux litt. A et B auraient été insuffisants pour les traitements des ministres du culte, je pense qu’ils ont laisse annuellement un excédant qui a été employé aux réparations des églises et presbytères,

M. Delfosse. - C’est ce que j’ai dit.

M. de Brouckere. - On est d’accord là-dessus.

M. de Theux. - Or, tel est précisément l’état des choses que j’aurais annoncé à la chambre lors de la discussion du budget de 1840. Ainsi l’assertion que j’avais émise alors, à savoir que je considérais le budget du culte comme normal, demeure encore vraie.

Toutefois, je n’entends en aucune manière émettre une opinion sur chacune des érections d’annexes en succursales. Il faudrait, pour cela, être muni de renseignements que je n’ai pas. Nous pourrons à cet égard nous former une opinion plus certaine, lorsque nous aurons reçu de M. le ministre de la justice les communications qu’il a promis de nous faire.

Cependant je dois rappeler à la chambre que, lors de la discussion du budget de 1840, le gouvernement avait annoncé, par mon organe, la nécessité d’ériger un certain nombre de chapelles en succursales, et de destiner à cet objet une partie considérable des fonds du personnel du culte, qui n’avaient pas reçu jusqu’alors d’emploi. J’avais même annoncé à la chambre que dans l’intervalle qui s’était écoulé entre la confection et la discussion du budget, un certain nombre de chapelles avaient été érigées en succursales ; qu’un certain nombre d’affaires étaient en instruction, et qu’il était à prévoir qu’une somme assez considérable serait nécessaire. A cette époque, la question de légalité ne fut pas soulevée. Les renseignements que je donnai à la chambre firent même l’objet d’une délibération spéciale de la part de la section centrale qui, par l’organe de son rapporteur, proposa l’acceptation pure et simple du chiffre du gouvernement sans aucune objection, touchant l’érection des chapelles en succursales.

Je ferai remarquer que ce n’est pas seulement depuis lors que le gouvernement s’est cru en droit d’ériger des chapelles en succursales ; dès l’année 1833, l’honorable M. Rogier, alors ministre de l’intérieur, avait adressé une instruction aux autorités provinciales pour l’érection de chapelles en succursales et pour la création de conseils de fabrique auprès des chapelles. Cette instruction avait été nécessitée par cette circonstance que quelques églises succursales croyaient avoir le droit d’administrer les biens appartenant aux chapelles, inconvénient que l’instruction adressée par l’honorable M. Rogier fit cesser.

Vous voyez donc que de tout temps le gouvernement et les chambres, par leur assentiment, ont partagé l’opinion que l’érection des chapelles en succursales était légale.

L’on a cité, dans la séance d’hier, un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles. Je regrette qu’on n’ait pas donné lecture de cet arrêt ; nous aurions pu en apprécier la portée...

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je donnerai lecture de l’arrêt.

M. de Theux. - Je me rappelle qu’il a été rendu un arrêt par la cour de cassation, arrêt qui est entièrement conforme à l’opinion du gouvernement, et l’on a dit qu’il appartient au pouvoir exécutif de statuer sur la constitution des conseils de fabrique et sur toutes les questions qui s’y rapportent, et que les tribunaux sont incompétents à cet égard.

Il m’a paru qu’on était, messieurs, généralement d’accord sur ce point, qu’il y avait équité, dans certaines circonstances, à ériger des chapelles en succursales, et en effet cela se comprend : les chapelains n’ont qu’un traitement de 500 francs ; or il est impossible qu’un chapelain vive d’un traitement de 500 fr., surtout qu’aux chapellenies il est attaché très peu de casuel. Dès lors, qu’arrivait-il ? Que les habitants des hameaux où sont situées ces chapelles étaient obligés de se cotiser pour fournir un supplément de traitement à leur chapelain. Il avait là quelque chose d’excessivement onéreux pour ces habitants, généralement pourvus de moins de ressources que ceux du centre de la commune et qui n’en devaient pas moins contribuer aux frais de l’église succursale située au chef-lieu de la commune. Vous voyez que, dans certaines circonstances, il y a équité, nécessité même de venir au secours des habitants de ces hameaux en érigeant des chapelles en succursales. Toutefois je ne veux pas dire que toutes les chapelles doivent être érigées en succursales, car souvent des raisons et des raisons très graves doivent y opposer. Mais dans beaucoup de circonstances, il y a des motifs extrêmement pressants d’équité, d’utilité publique à ce qu’il en soit ainsi.

Depuis longtemps il y a tendance à améliorer le sort des hameaux. Ainsi pour l’instruction publique, autrefois les hameaux en étaient dépourvus ; mais déjà sous le gouvernement hollandais, on avait commencé à leur donner des écoles, on avait fait construire des locaux et alloué un traitement convenable pour l’instituteur. Ce qui s’est fait pour l’instruction publique doit se faire également pour le culte, lorsque cela se peut sans inconvénients graves ; il y a parité de motifs. On peut considérer ces mesures comme prises dans un esprit progressif qui tend à relever les hameaux de la position dans laquelle ils ont langui si longtemps, parce que les fonds étaient toujours dévolus au chef-lieu.

En ce qui concerne la légalité, une objection nouvelle a été présentée par l’honorable M. Lys, qui n’avait pas été prévue par la réponse de M. le ministre de la justice, c’est celle tirée de la prérogative des conseils communaux, en vertu du décret de 1807 qui exige une délibération du conseil communal pour établir une chapelle dans une commune. Je répondrai à l’honorable membre que ce décret n’est pas applicable au cas présent. Il faut se rendre compte de l’état des choses sous l’empire français.

Les traitements des ministres du culte avaient été déclarés dette de l’Etat par le décret de 1789 sur l’expropriation des biens du clergé ; ensuite le culte avait été déclaré d’intérêt national ; il fallait donc pourvoir aux dépenses du culte à charge du trésor.

Le gouvernement avait cru faire suffisamment en décrétant l’établissement de cures et de succursales. La loi de germinal an X portait que des succursales seraient établies dans toutes les localités où le besoin s’en ferait sentir. Le gouvernement croyait avoir satisfait à tous les besoins ; cependant il laissait à la spontanéité des communes la faculté d’ériger des chapelles quand elles voudraient avoir plus de facilité pour l’exercice du culte.

La même faculté était laissée aux habitants qui voulaient se cotiser pour créer des annexes ; mais comme le gouvernement considérait ces établissements non comme de première nécessité, mais de convenance, il leur en laissait la charge. Les communes faisaient les frais des chapelles, et les habitants les frais des annexes.

Si l’on voulait argumenter du décret de 1807, contre l’établissement de succursales dont la nécessité est reconnue par l’autorité civile de concert avec les évêques, ce serait une argumentation tout à fait fausse. La loi de germinal an X n’a pas été abrogée par le décret de 1807. La loi de germinal an X statue sur un autre ordre de choses ; il ne pouvait pas dépendre du plus ou moins de bonne volonté d’un conseil communal d’empêcher l’exercice du culte dans le ressort de la commune ; telle serait cependant la portée de l’argumentation de l’honorable M. Lys.

Quand le décret de 1809 a déclaré les dépenses du culte dépenses de l’Etat, quand notre constitution met également à la charge de l’Etat les dépenses du culte, il faut que, lorsque le gouvernement a reconnu la nécessité de l’établissement d’une succursale, il puisse la décréter alors que la commune ne s’y prêterait pas de bonne grâce. Il en est des dépenses pour cet objet comme d’autres dépenses que la loi communale et la loi provinciale ont mises à la charge des communes. La constitution renferme une exception au principe qu’elle pose qu’aucune charge provinciale ou communale ne peut être établie sans le consentement de la province ou de la commune, c’est celle de l’existence d’une loi qui autorise l’établissement de ces charges. Cette loi existe pour le cas actuel, c’est celle du 18 germinal an X.

Je crois, messieurs, pouvoir me borner à ces courtes observations ; nous verrons s’il y a lieu d’entrer dans d’autres considérations quand les tableaux annoncés par M. le ministre auront été communiqués à la chambre.

M. Van Volxem. - Messieurs, dans la séance d’hier, l’honorable M. Delfosse a dit qu’après avoir proposé au Roi la création d’un grand nombre de succursales, je n’avais pas eu le courage de faire connaître à la chambre l’augmentation de dépenses qui devait en résulter, que j’avais masqué les besoins du département de la justice en demandant une allocation plus forte, seulement sous prétexte de dépenses à faire en réparations à différentes églises. Cette assertion de l’honorable membre est tout à fait inexacte. Il a ajouté que la chambre avait été trompée, qu’elle avait donné dans le piège, qu’elle avait voté l’augmentation pour des constructions, tandis qu’en réalité la somme devait être employée au traitement des desservants. C’est ainsi du moins que j’ai compris l’accusation de M. Delfosse.

Eh bien, il n’est rien de tout cela. Déjà en 1840, sous le ministère de l’honorable M. de Theux, il avait été signalé à la chambre que de nombreuses demandes étaient formées pour l’érection de succursales, que déjà au sujet d’un grand nombre de ces demandes l’instruction était complète, que l’on s’occupait de l’examen des autres, que c’était à l’occasion de ces demandes si multipliées qu’une majoration de crédit avait été proposée pour l’article Cultes. Elle n’a rencontré aucune objection, ainsi que l’a fait connaître l’ancien chef du département qui a formulé la demande. Lorsque la section centrale examinait le budget de 1843, je lui ai fait connaître que l’érection des succursales, déjà annoncée en janvier 1840, avait eu lieu, et la section centrale l’a fait connaître à la chambre, car voici ce que contient le rapport de la section centrale sur le budget de 1843 :

« CHAPITRE VIII. Culte

« Art. 1er. - Culte catholique. fr. 4,006,047. »

« Les deux premiers littera de cet article n’ont donné lieu à aucune observation de la part des sections et de la section centrale. Quant au littera C, subsides pour la construction et l’entretien des églises et presbytères, la deuxième section, en admettant le chiffre de 350,000 fr., demande les renseignements détaillés annoncés par la note c, jointe aux développements du budget (p. 33). La troisième section fait la même demande ; elle n’admet l’augmentation de 100,000 francs, portée au budget de 1843, que provisoirement et sauf justification ; il lui paraît que, si cette augmentation était justifiée, elle devrait du moins être considérée comme une charge extraordinaire et temporaire. »

Ainsi le rapport de la section centrale contient textuellement une lettre que j’ai eu l’honneur de lui adresser.

Après avoir annoncé une demande d’augmentation pour des constructions, vient le paragraphe suivant :

« Le chiffre précédemment porté au littera C était insuffisant, et si on n’en a pas demandé la majoration, c’est parce que, en attendant l’érection de nouvelles succursales qui a aujourd’hui eu lieu, les sommes destinées aux traitements nouveaux pouvaient provisoirement suppléer à son insuffisance. »

Il résulte manifestement de ce paragraphe de ma lettre à la section centrale, et qui se trouve transcrite mot à mot dans le rapport, qu’il lui a été annoncé que l’érection des nouvelles succursales était un fait consommé, et que c’était pour cela qu’on ne pouvait plus, comme on l’avait fait précédemment, employer l’excédant du littera B aux dépenses du littera C, non couvertes par le chiffre de ce dernier littera.

La section centrale, à la réception de cette lettre, n’a fait aucune observation, n’a demandé aucun renseignement ultérieur, elle n’a demandé ni l’état des succursales érigées, ni le chiffre de la dépense que leur érection provoquerait. Tous les membres de la chambre ont examiné le rapport dans le silence du cabinet, aucun d’eux n’a fait la moindre observation. Si des renseignements avaient été demandés en 1843, ils auraient été donnés avec empressement. Mais comme le fait de l’érection de nouvelles succursales attendue depuis 1840, avait été annoncé par le gouvernement à la section centrale et par la section centrale à la chambre, et qu’aucun renseignement n’a été demandé, il a paru inutile de les donner. Ce n’est donc pas dans une ignorance profonde, comme l’a avancé M. Delfosse, que la chambre a voté, car elle a voté une augmentation pour les réparations parce qu’on ne pouvait plus employer une partie du littera B aux dépenses du littera C.

Il est donc évident, comme on l’a toujours dit, qu’on a pu prendre, et qu’on a pris sur le litt. B de quoi pourvoir à l’insuffisance du litt. C. Mais il n’est pas exact de dire que jamais il ait été pris un centime sur le litt. C., même après le vote du budget de 1843, pour faire face aux dépenses nécessitées par l’érection de nouvelles succursales.

La connaissance que la chambre a eue de l’érection, en 1842, de nouvelles succursales, avait sans doute échappé à l’honorable M. Delfosse.

M. Rogier. - Je serai favorable au nouveau crédit demandé pour la réparation des tours monumentales, et ici je ne sais si j’ai besoin de me défendre de céder à des entraînements auxquels on ne résiste pas toujours dans cette enceinte, à des entraînements d’intérêt local. Autant que je le puis, je lutte, ici et ailleurs, contre de pareils entraînements.

Parmi les monuments pour lesquels les nouvelles dépenses nous sont proposées, figurent deux tours, appartenant à une province à laquelle me rattachent et mon mandat et de précieux souvenirs. Je veux parler des tours de Malines et d’Anvers. De pareils monuments ne sont pas, à vrai dire, les monuments d’une ville, d’une province ; je dirai même qu’ils ne sont pas les monuments du pays. De pareils monuments, par leur caractère et leur grandeur, appartiennent toute à l’Europe civilisée, à toute la chrétienté.

C’est ainsi que ceux d’entre nous qui ont fait récemment le voyage de Cologne n’ont pas été surpris de voir la commission chargée de la surveillance des travaux d’achèvement de la cathédrale de Cologne faire un appel à la libéralité de tous les étrangers qui étaient alors présents, parce qu’ils pensaient que la cathédrale de Cologne, comme les monuments belges qu’il s’agit de conserver, appartiennent en quelque sorte à tous les pays.

Je suis d’autant moins contraire à la dépense qui a pour but de réparer la tour de Malines, que non seulement j’ai toujours voulu les travaux nécessaires à la conservation de ce monument, mais que j’ai poussé la témérité jusqu’à désirer son achèvement. Oui, il m’est arrivé de penser qu’un tel monument achevé, au sein de nos chemins de fer, serait une nouvelle preuve de la puissance de notre pays, de sa puissance dans les arts et dans l’industrie, comme de sa foi religieuse.

Une pareille idée a été rejetée par quelques-uns dans le domaine des utopies. De pareilles utopies ; j’en accepte volontiers la responsabilité, et j’espère qu’un jour viendra où la Belgique, plus confiante dans ses propres forces, ne craindra plus d’aborder l’achèvement de ce monument, qui sera alors un des plus magnifiques du monde entier.

Je crois que plus un pays est resserré dans ses limites, plus il doit chercher à s’agrandir et à s’élever par de grandes et belles institutions, par de grands et beaux monuments.

A Dieu ne plaise, cependant, que je veuille entraîner la Belgique dans un système de dépenses qu’elle ne pourrait supporter. Je sais qu’il en coûte cher pour être nation, pour être nation respectable et respectée ; mais je sais aussi que pour une nation comme pour un individu, la première condition pour se faire respecter, c’est de faire honneur à ses affaires, d’être dans une bonne position financière ; or ce n’est pas moi qui voudrais entraîner la Belgique dans de nouvelles dépenses, aussi longtemps que le trésor public ne sera pas dans une situation meilleure.

J’ai regretté, sous ce rapport, que des propositions de dépenses nouvelles coïncidassent avec un déficit dans nos finances. Cette situation du trésor est de nature à exercer une influence fâcheuse sur la discussion de tous nos budgets ; il est possible que de nouvelles dépenses, qui, en elles-mêmes, sont jugées très utiles, soient repoussées, parce qu’on aura constamment en vue cette situation du trésor que l’on n’a pas encore songé sérieusement à améliorer ; nous attendons toujours les propositions promises par M. le ministre des finances.

Un autre inconvénient qui peut nuire à la proposition de crédit, si utile à mes yeux, qui nous est faite, c’est l’absence complète d’instruction. Tout récemment un monument moderne a couru certain danger dans cette enceinte ; je veux parler du palais de justice de Gand ; la chambre a voté avec quelque hésitation la demande d’un nouveau crédit pour ce monument ; on s’est plaint que les dépenses réelles aient dépassé d’une manière exorbitante les évaluations primitives. Prenons garde, en l’absence de toute instruction préalable, de nous voir entraîner, pour les monuments religieux, dans l’exagération de dépenses où nous a entraînés ce monument consacré à la justice.

L’honorable rapporteur de la section centrale nous a annoncé que cette section avait demandé à M. le ministre de la justice divers renseignements : « Ainsi l’emploi des 300,000 fr. consacrés à l’entretien et à la réparation des monuments religieux, la communication des projets de réparation, en quelle proportion contribueraient à la dépense l’Etat, les provinces, les communes et les fabriques. » La section centrale ajoute que ces renseignements ont été fournis par le gouvernement dans l’annexe B. Quand nous recourons à cette pièce, nous n’y trouvons pas ces renseignements, ou nous n’y trouvons que des renseignements insuffisants.

Sur le concours des provinces, des communes et des fabriques, sur les devis et plans, nous ne trouvons rien, absolument rien. Nous y voyons seulement que les réparations exigent une dépense de 444,693 francs pour la tour de St-Rombaut à Malines, et une dépense de 849,200 francs pour la tour de Notre-Dame à Anvers. Voilà donc une dépense de 1,200,000 fr. à laquelle il s’agit de faire face. Mais dans quelle proportion, la province, la ville et la fabrique y concourront-elles ? On ne le dit pas.

Des renseignements ont pu être communiqués à la section centrale ; mais ils n’ont pas été communiqués à la chambre ; dès lors, il est difficile de se former une opinion. Il eût donc été à désirer, dans l’intérêt du crédit demandé, que ces renseignements fussent fournis.

J’espère que M. le ministre de la justice ne procédera à la répartition du nouveau crédit qu’avec une extrême réserve, après s’être assuré du concours des provinces, des communes et des fabriques ; je suis d’autant plus porté à lui faire cette recommandation que, d’après un discours d’un honorable représentant de la Flandre occidentale, il paraît que le conseil provincial de cette province s’est refusé à concourir à la dépense de la tour de Furnes, par le motif que le devis n’était pas régulièrement établi.

Nous entrons dans une nouvelle voie de dépenses, puisqu’il s’agit de dépenser pour deux tours 1,200,000 fr. En supposant que le gouvernement concoure à cette dépense pour un tiers. C’est une dépense de 400,000 francs ; je ne m’y oppose pas, au contraire, je vois avec plaisir le gouvernement s’occuper d’améliorer, de conserver nos monuments publics.

Je crois que conserver, améliorer doit être la mission d’un bon gouvernement. Mais il ne faut pas procéder avec précipitation dans cette circonstance ; il ne faut pas que ce désir d’améliorer nous entraîne dans des dépenses que nous ne pourrions supporter ; il faut donc le concours des provinces, des communes et des fabriques. C’est, du reste, ce qui est arrivé pour Malines. Déjà la province d’Anvers, de mon temps, avec le concours de la commune et du gouvernement, avait procédé à la réparation de l’église.

Maintenant, comme il importe d’établir l’ordre et la régularité des dépenses, qu’il ne faut pas que le litt. C soit absorbé par le litt. B, relatif au traitement du personnel, et qu’il ne faut pas non plus que le litt. B soit absorbé par le litt. C, je crois qu’il est très sage de faire du litt. C un article spécial. Il y aura alors ici la même division que dans tous les budgets : la division en personnel et matériel, un article pour le traitement du haut clergé et du clergé inférieur, et un article pour la réparation des monuments religieux. Je ne pense pas que M. le ministre de la justice s’oppose à une division toute d’ordre et de régularité.

Cependant, M. le ministre de la justice a fait une observation a dit que, dans l’état actuel des choses, une partie des sommes affectées au traitement des ecclésiastiques était quelquefois employée à la réparation des monuments, et que si l’on spécialise ces deux dépenses, à l’avenir les excédants que présente l’article des traitements ne pourront plus servir à l’article des réparations. Messieurs, j’aime mieux encourir ce léger inconvénient que de faciliter de nouvelles occasions d’irrégularité. Il y a eu, en effet, quoi qu’on vienne dire, des irrégularités. Il est certain qu’on n’a pas agi en 1842 avec toute la franchise qu’un gouvernement doit toujours mettre dans l’exposé de ses actes. Comment ! on a créé tout d’un coup, pour ainsi dire en une fois, 351 nouvelles succursales ; le Moniteur, le Bulletin officiel n’en ont dit mot ; on n’est pas venu exposer l’état des choses à la chambre ; on n’est pas venu dire : 351 succursales ont été établies ; il y a de ce chef une augmentation de 100,000 fr. ; antérieurement cette somme de 100,000 fr. existait au budget, mais elle était consacrée à la réparation des bâtiments et monuments ; à l’avenir, comme cette somme sera absorbée par les traitements, il faut augmenter d’autant le crédit destiné aux réparations. Voilà, messieurs, le langage que l’on devait tenir si l’on voulait agir dans cette circonstance avec toute franchise. Et on le pouvait sans faire grand acte de courage. La chambre toujours bienveillante pour le clergé, toujours bienveillante sur tous ces bancs, quoi qu’on est dise, aurait accueilli cette nouvelle dépense. Je défie qu’on cite un exemple du mauvais vouloir de la chambre alors qu’il s’est agi de l’amélioration du sort du clergé. La chambre, je dirai plus, la presse, vis-à-vis de laquelle on s’est montré dans certains cas très injuste ; la chambre et la presse, à l’égard du clergé, du clergé chargé d’enseigner et de propager la religion et la morale, ont montré plus de bienveillance en Belgique, qu’en nul autre pays du monde. Oui, malgré l’espèce d’interdit que l’on veut faire peser sur la presse en Belgique, je soutiens que dans nul pays du monde la presse ne se montre plus respectueuse à l’égard du clergé dans l’exercice de sa mission religieuse ; que dans nul autre pays la religion, le culte ne sont plus respectés par la presse qu’en Belgique ; que dans nul autre pays du monde, la presse n’est moins irréligieuse, moins philosophique qu’en Belgique. C’est une vérité, messieurs, et j’inviterai ceux de mes collègues qui pourraient contester ce que je viens de dire, à vouloir bien me répondre.

Ainsi, messieurs, il fallait comme toujours avoir confiance dans la bonne volonté de la chambre à l’égard du clergé. Cette bonne volonté n’est pas douteuse elle s’est manifestée en maintes circonstances, et jamais nous n’avons vu la presse (j’entends la presse qui mérite ce nom) combattre les tendances de la chambre à favoriser le clergé dans ses prétentions raisonnables, et alors surtout qu’il s’agissait d’améliorer son sort. Je n’ai pas besoin de dire que l’opinion à laquelle j’appartiens a pris elle-même souvent l’initiative des améliorations apportées au sort du clergé. Elle pouvait le faire avec d’autant moins de scrupule qu’on savait alors qu’elle n’agissait point par une servile dépendance aux volontés du clergé, mais qu’elle agissait en pleine liberté et indépendance.

En résumé, messieurs, j’adopterai une partie de l’amendement de l’honorable M. Delfosse, qui a jeté tant de lumières dans cette discussion comme dans beaucoup d’autres ; j’adopterai une partie de cet amendement, en ce sens que l’allocation pour le culte catholique serait divisée en deux articles, l’un pour le personnel, l’autre pour la réparation des bâtiments. Je conserverai, du reste, la somme telle qu’elle nous est demandée, sans en rien retrancher, et je termine encore par la recommandation que j’ai eu l’honneur d’adresser à M. le ministre de la justice, de n’user de ce crédit qu’avec beaucoup de circonspection, d’après s’être assuré du concours efficace des provinces, des communes et des fabriques, s’il y a lieu.

M. le président. - Présentez-vous un amendement ?

M. Rogier. - Je demande la division en deux articles avec les chiffres proposés par M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. Delfosse vient de faire une modification à l’amendement qu’il avait proposé hier, et l’amendement de cet honorable membre est sous-amendé par l’honorable M. Rogier.

Messieurs, je répéterai, relativement à l’amendement de l’honorable M. Delfosse, ce que je disais hier, c’est que s’il était adopté, il serait impossible de rétribuer les desservants qui sont maintenant légalement institués, ou dont les institutions sont autorisées par les arrêtés pris en 1842 et 1843. Aussi l’honorable M. Delfosse ne cache pas que tel est le but de son amendement, puisqu’il dit : je ne refuse pas d’une manière positive les fonds nécessaires pour les traitements de ces desservants, mais je ne veux accorder ces fonds que lorsqu’on aura justifié de l’existence des arrêtes ayant créé ces succursales.

L’honorable M. Delfosse propose un autre changement au libellé du chapitre en discussion. J’ai dans les deux premiers littera porté la dépense nécessaire pour le personnel du clergé. L’honorable membre ne veut pas de cette innovation, et il ajoute au littera A ce que j’en ai ôté en vue de régulariser l’allocation ; j’en ai retranché ce qui, l’année dernière, s’y trouvait pour réparation des palais épiscopaux.

Il me semble que la manière dont j’ai agi est beaucoup plus régulière et qu’il est plus convenable de laisser aux deux premiers litt. les sommes uniquement nécessaires pour payer le personnel du clergé, et de comprendre dans la dernière partie de l’article tout ce qui est nécessaire pour les réparations quelconques à faire aux édifices du culte.

Messieurs, l’amendement de l’honorable M. Rogier pourrait être adopté, mais à une condition. J’ai dit hier, et c’est une déclaration qu’avaient faite avant moi l’honorable M. de Theux et l’honorable M. Van Volxem, que le chiffre demandé pour la réparation des édifices était insuffisant, que la somme de 300,000 fr, qui avait été allouée l’an passé ne pouvait suffire à tons les besoins, et mes honorables prédécesseurs avaient annoncé à la législature qu’ils feraient emploi des sommes provenant des vacances de place pour suppléer à l’insuffisance des fonds destinés à subsidier les provinces et les communes. Cela avait été déclaré d’une manière formelle, en 1840, et avait été répété dans tous les développements des budgets jusqu’à celui-ci.

Il résulte de cette déclaration mise en pratique avec l’approbation tacite de la chambre, que pendant les années précédentes, des sommes considérables ont été prises des litt. A. et B. pour être employées à l’usage indiqué au litt. C, et c’est seulement de cette manière qu’il a été possible d’obtenir une somme suffisante pour satisfaire aux besoins les plus urgents.

C’est ainsi qu’en 1841, par exemple, il a été pris sur les litt. A et B, par suite des vacances de place, et parce que les succursales dont on avait annoncé la création, n’étaient pas encore constituées ou parce que les ecclésiastiques pour les desservir n’étaient pas encore nommés ; c’est ainsi qu’il a été pris, dis-je, une somme de 238,713 fr. ; en 1842, une somme de 225,000 francs ; en 1843, une somme de 93,459 fr.

En 1844, il y aura nécessairement encore une somme disponible sur les deux premiers littera, et c’est en vue de pouvoir employer cette somme comme les années précédentes, que nous n’avons demandé pour réparation des édifices, qu’une somme de 350,000 fr. Si l’on ôte au gouvernement, par la division que propose l’honorable M. Rogier, la faculté d’opérer ce transfert, qui avait toujours été fait du consentement de la chambre, il en résultera qu’on devra augmenter la somme qui est demandée au littera C. Il n’en résultera réellement pas d’aggravation de charge, parce que les sommes provenant des vacances resteront au trésor ; ce sera une simple régularisation, et sous ce rapport, je pense que l’amendement de l’honorable M. Rogier peut-être adopté. Mais je demanderai pour ce cas, et je vais formuler un amendement dans ce sens, une augmentation sur le litt. C, qui formera alors un article séparé.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - L’honorable M. Delfosse, en diminuant le chiffre que j’ai demandé pour le personnel, veut attendre que je lui aie fourni tous les arrêtés qui ont été pris pour créer les succursales. Je n’ai certes pas pu, depuis hier, me mettre à même de satisfaire à son désir et à la promesse que j’ai faite à l’honorable M. Verhaegen, de présenter à la chambre un travail complet sur les succursales érigées, c’est-à-dire, d’indiquer les endroits où elles ont été érigées, et le chiffre de la population des communes qu’il a rendu cette création nécessaire.

Mais je me suis fait donner un tableau de toutes les succursales qui ont été créées par l’arrêté du 11 juillet 1842. Il m’est impossible de rien faire de plus pour le moment. Je me borne à affirmer l’existence des arrêtés royaux qui ont érigé les succursales dont j’ai ici la liste ; il en sera justifié ultérieurement, si on le désire. Mais dans l’état actuel des choses, il est impossible, me paraît-il, de refuser les fonds demandés pour payer des ecclésiastiques nommés en vertu d’une mesure prise dans les attributions du pouvoir exécutif. Je dépose le tableau dont je viens de parler pour que les membres de la chambre puissent le consulter. J’ajouterai au tableau pour 1842 celui des succursales qui ont été créées depuis que je suis au ministère ; depuis le 16 avril de l’année passée. Ces dernières sont au nombre de 7 et non de 4, comme je l’avais dit hier par erreur ; et je déclare que je suis prêt, quant à présent, à donner tous les renseignements qu’on peut désirer pour justifier la nécessité qu’il y avait de les autoriser.

Je suis, du reste, décidé, à l’avenir, à faire publier tous les arrêtés qui seront contresignés par moi, et qui autoriseront la création soit de succursales, soit de chapelles. Je désire moi-même que cette publicité existe, et je prie la chambre de croire que dans aucune circonstance, je ne reculerai devant la publicité de mes actes.

Maintenant, messieurs, je dois répondre quelques mots à ce qu’a dit hier l’honorable M. Verhaegen, sur un arrêt rendu par la cour d’appel de Bruxelles et par lequel, d’après l’honorable M. Verhaegen, il aurait été établi que j’avais faussé et violé la loi. Messieurs, cet arrêt n’a aucune espèce de rapport avec la question qui nous occupe, et surtout ne peut avoir aucune espèce de rapport avec les actes que j’aurais posés, car il est relatif à un acte posé à une époque antérieure à mon entrée au ministère.

M. Verhaegen. - J’ai dit : le ministre.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - L’honorable M. Verhaegen me répond qu’il a dit : le ministre ; qu’il veuille bien se rappeler qu’il m’a dit, en propres termes, que la cour d’appel elle-même m’avait condamné.

Quoi qu’il en soit, messieurs, voici l’indication des points décidés par cet arrêté :

« Une chapelle ou annexe ne peut être érigée en personne civile, comme les paroisses et les succursales. Un arrêté par lequel le gouverneur, sur la proposition de l’évêque, institue un conseil de fabrique, pour administrer les biens d’une chapelle, n’est pas légal. Les biens d’une chapelle ou annexe doivent être régis par le conseil de fabrique de la paroisse ou de la succursale dans l’arrondissement de laquelle elle est située. »

Dans les considérants de l’arrêt, on voit qu’il est uniquement question d’examiner la légalité d’un conseil de fabrique, nommé par le gouverneur du Brabant, en 1834, auprès d’une chapelle créée le 20 novembre 1823.

Je ne me prononce pas sur les principes consacrés par cet arrêt, mais je vous le demande, l’honorable M. Verhaegen pouvait-il le citer pour appuyer son opinion touchant la légalité de l’érection des succursales ? Evidemment non. Cet arrêt tranche une question qui ne vous est nullement soumise. Il ne s’agit pas ici de savoir si une chapelle peut avoir une fabrique séparée, mais si le gouvernement a le droit de créer des succursales et de leur donner une existence légale. Cette dernière question n’a été décidée ni directement ni indirectement par l’arrêt dont parle l’honorable M. Verhaegen.

D’après la législation appliquée jusqu’en 1834, les chapelles n’avaient jamais eu d’autre conseil de fabrique que celui de la succursale dont la chapelle dépendait. Le 18 février 1834, le ministre de l’intérieur d’alors, l’honorable M. Rogier écrivit à l’archevêque et aux évêques du royaume une lettre ainsi conçue :

« Bruxelles, 18 février 1834.

« A MM. les archevêque et évêques du royaume.

« Messieurs,

« Ayant reconnu les graves inconvénients qui résultent, dans diverses localités, de l’administration des biens des églises annexes, par les fabriques des églises principales dont elles dépendent, et désirant les voir cesser, je vous prie, messieurs, de vouloir bien vous entendre avec la députation des états, pour la nomination d’une fabrique spéciale, conformément au décret du 30 décembre 1809, prés de chaque église où vous en jugerez l’établissement nécessaire. Je donne des instructions dans ce sens aux députations des états des provinces.

« Agréez, etc.

« Le ministre de l’intérieur, (Signé) Ch. Rogier. »

Le 7 février 1835, l’honorable M. de Theux, qui avait succédé à l’honorable M. Rogier, écrivit une circulaire dans le sens de la lettre que je viens de citer et dont il recommandait l’exécution. C’est à la suite de cette lettre et de cette circulaire que le gouverneur du Brabant crut devoir instituer, de concert avec l’archevêque, un conseil de fabrique spécial pour une chapelle récemment établie. La cour d’appel de Bruxelles décida contrairement à l’opinion de l’honorable M. Rogier et de l’honorable M. de Theux, que d’après la législation existante les chapelles n’avaient pas le droit d’avoir un conseil de fabrique séparé. Voilà ce que la cour d’appel de Bruxelles a décidé, rien de plus. Je ne pense donc pas, messieurs, que l’opinion de la cour d’appel puisse être invoquée relativement à la question qui nous occupe. Cette dernière question est absolument différente de celle qui a été décidée par la cour d’appel ; je dirai plus : ces deux questions n’ont rien de commun entre elles.

L’honorable M. Rogier m’a engagé (et certes je suivrai son conseil) à distribuer avec la plus grande circonspection les fonds que je demande pour pouvoir aider les villes et communes dans la réparation des tours et édifices religieux. Mais l’honorable membre s’est plaint en même temps de ce que je n’aurais pas donné de renseignements à la section centrale, lorsqu’elle m’en avait demandé...

M. Rogier. - J’ai dit que ces renseignements n’étaient pas joints au rapport.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Cela peut être ; mais cela ne m’est pas imputable, puisque toutes les pièces sont entre les mains de la section centrale.

M. Savart-Martel, rapporteur. - Ces pièces sont à la disposition de la chambre.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Les honorables membres qui voudront bien les consulter pourront se convaincre qu’elles sont aussi satisfaisantes qu’elles peuvent l’être, sur l’état des instructions existantes au moment où les renseignements m’ont été demandés.

Il y a parmi ces renseignements des rapports des gouverneurs, des détails estimatifs, etc. Du reste, le gouvernement, j’en fais la déclaration bien formelle, le gouvernement ne donnera rien si les provinces et les communes ne veulent pas contribuer de leur côté, de manière que l’on puisse réunir une somme convenable, une somme suffisante pour faire les réparations nécessaires.

Remarquez-le bien, messieurs, le gouvernement se borne à donner des subsides, mais la véritable obligation incombe aux communes propriétaires.

Ce principe, messieurs, je ne le perdrai pas de vue, pas plus dans cette circonstance que lorsqu’il s’agit des édifices du culte proprement dits, à l’égard desquels ce principe a toujours été appliqué.

Je suis encore à même de satisfaire à une demande faite hier par l’honorable M. Verhaegen, relativement aux associations de religieuses hospitalières. J’ai ici le tableau de toutes les associations de cette nature, qui ont été autorisées depuis 1830. Elles s’élèvent à 30, savoir :

Pour le Limbourg 2

Pour la province de Liége, 1

Pour la province de Flandre occidentale, 15

Pour la province de Flandre orientale, 7

Pour la province d’Anvers, 1

Pour la province de Brabant, 2

Pour la province de Hainaut, 2

Ensemble, 30.

L’honorable M. Verhaegen avait également demandé, si l’on observait encore l’art. 15 du décret de 1809, qui permet au gouvernement d’autoriser de semblables associations. J’ai répondu à l’honorable membre que toutes les dispositions de ce décret, qui ne sont pas abrogés, continuent à recevoir leur exécution. Depuis 1830 jusqu’à présent, l’art. 15 a été considéré comme abrogé ; depuis 1830, on n’a plus demandé que les associations dont il s’agit fournissent, chaque année, un compte détaillé de leurs revenus et de leurs dépenses. Voici, messieurs, pourquoi l’on a agi de cette manière.

On a pensé que l’arrêté du gouvernement provisoire, du 16 octobre 1830, rendait impossible la demande de ces comptes, que ce serait, en quelque sorte, violer cet arrêté et la liberté d’association qu’il consacre, que d’exiger des sœurs hospitalières qu’elles soumissent annuellement au gouvernement le compte de leurs revenus.

Je ne me prononce pas encore sur cette interprétation donnée à l’arrêté du 16 octobre 1830, je ne dis pas encore si, d’après moi, cet arrêté a la portée qu’on lui a donnée depuis la révolution. Je constate seulement le fait que depuis 1830, par suite de cet arrêté, aucun compte n’a été demandé aux sœurs hospitalières. Je verrai ultérieurement si, malgré l’arrêté du 16 octobre 1830, il y a lieu d’exécuter l’art. 15 du décret de 1809. Du reste, je n’ai autorisé que deux ou trois de ces associations ; toutes les autres ont été autorisées par mes prédécesseurs, qui ont peut-être donné à l’arrêté du 16 octobre 1830 une portée trop étendue.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen a attaqué hier l’extension qu’a donnée le gouvernement à l’érection de succursales par son arrêté du 11 juillet 1842, et pour prouver que ce blâme était fondé, il a cité deux communes de l’arrondissement de Bruxelles, où le gouvernement a admis dans chacune d’elles une paroisse nouvelle. Afin de répondre d’une manière assurée à l’honorable député, j’ai ajourné ma réplique à aujourd’hui, à l’effet de prendre des renseignements sur la situation de ces communes, qui m’était inconnue ; les renseignements que je vais vous donner ont été pris à des sources officielles près des autorités provinciales.

Mais avant d’entrer dans les détails, il me semble convenable d’en revenir à la cause de la mesure qui a été jugée si sévèrement.

Nous savons tous que le principe des traitements du clergé, c’est une indemnité pour compenser la jouissance des propriétés dont il a été frustré lors de la grande révolution française ; notre constitution a chargé le nouvel Etat belge de ces traitements.

Quelle est la situation où le gouvernement belge a trouvé le clergé, quant à ses traitements ; le gouvernement a trouvé la situation la plus bizarre, la plus irrationnelle ; il a trouvé des paroisses subsidiées, parce qu’elles étaient reconnues comme succursales, et il a trouvé des paroisses non reconnues par lui, et dont les desservants n’avaient que le traitement de chapelain à 200 fr., qui a été élevé à celui de 500 fr, par la loi sur le traitement des vicaires.

Qu’a donc fait le gouvernement ? Prenant au sérieux l’article de la constitution, qui met à la charge du trésor les traitements du clergé, il a fait faire un travail général par les autorités administratives, auquel j’ai eu l’honneur de prendre part, comme commissaire d’arrondissement. Il a fait faire ce travail, afin de connaître quels étaient les paroisses non reconnues par le gouvernement, qui avaient droit à un traitement pour leur desservant, quelles étaient les chapelles desservies par des vicaires, dont la situation exigeait qu’elles fussent élevées au rang de paroisses, dites succursales.

Ce travail fut fait par les autorités administratives, et il fut transmis, avec l’avis de l’autorité ecclésiastique, au gouvernement. Et que fit le gouvernement après avoir entendu les autorités civiles et religieuses ? Il prit un arrêté royal du 11 juillet 1842, qui reconnut comme succursales un grand nombre de paroisses, qui n’étaient envisagées comme telles que par le pouvoir ecclésiastique ; c’était là un acte de justice.

Il fit plus même, il éleva au rang de paroisses, des chapelles qui n’avaient ce caractère ni près de l’autorité civile, ni près de l’autorité ecclésiastique.

Cette mesure, et ici je ne parle que pour la province de Brabant, était parfaitement juste, parfaitement fondée, et elle n’a été prise qu’avec l’avis favorable de la députation provinciale et des conseils communaux.

Et ceci n’a rien d’étonnant, car si cette mesure était fondée sur la constitution, elle l’était aussi sur l’équité ; car il était absurde que certaines paroisses eussent l’avantage d’être reconnues par le gouvernement, et que d’autres n’eussent pas cet avantage. C’est ainsi qu’à côté d’une paroisse dont le desservant jouissait de 800 fr. de traitement, il en existait une autre qui ne recevait que 500 fr., et dont la commune était obligée de voter annuellement un supplément élevé pour subvenir aux besoins du culte. Cette mesure a donc eu pour résultat de diminuer les charges de communes qui se trouvaient injustement maltraitées.

Quant à l’érection en succursales de certaines chapelles, cette érection s’explique par l’augmentation de la population ; il est des hameaux éloignés du centre d’une commune, qui autrefois étaient trop peu populeux pour fonder la demande d’une église paroissiale, et qui aujourd’hui sont devenus des villages de 12 à 1,500 âmes. Eh bien, ces villages ont fait entendre leurs plaintes sur l’éloignement des secours spirituels, sur l’exiguïté des églises ; les autorités provinciales et ecclésiastiques ont accueilli leurs plaintes, elles les ont déférées au gouvernement, et le gouvernement n’a pas cru devoir se refuser à faire droit à ces réclamations.

Maintenant, je vais prouver ce que je viens d’avancer en vous faisant connaître la situation des deux communes que l’honorable M. Verhaegen a citées à l’appui de ses critiques. Ce sont celles de Lennick et de Saintes, toutes deux situées dans l’arrondissement de Bruxelles ; car, je le répète, je n’entends pas émettre d’opinion sur ce qui s’est passé dans d’autres provinces.

La commune de Lennick se compose du centre de la commune et du village de Eyseringhen, situé à plus de 3 kilomètres de l’église paroissiale ; ce village compte 1,300 habitants, et il a toujours possédé une chapelle desservie par un ecclésiastique dit prévôt. Ces habitants, trouvant à juste titre, leur chapelle trop petite et malsaine, en demandèrent l’agrandissement, et les autorités purent se convaincre que cette demande était fondée.

Le conseil communal, le conseil de fabrique, la députation accordèrent des subsides pour faire face à cette dépense, et j’ai lieu de croire, que le même accord a existé, pour que cette chapelle fût érigée en paroisse ; c’était, en effet, un avantage pour la commune, car le chapelain du village de Eyseringhen obtint un traitement de l’Etat, et ce fut un soulagement pour la commune. Le gouvernement ne fit qu’un acte de justice, car toutes les autorités reconnurent que le village de Eyseringhen réunissait toutes les conditions d’une paroisse, et avait des droits à jouir des avantages auxquels l’état de paroisse donne droit près de l’Etat ; tout le monde applaudit à cette mesure, sauf peut-être quelques personnes dont les intérêts furent froissés.

Quant à la commune de Saintes, cette commune est partagée en deux paroisses depuis un temps immémorial, au moins depuis longtemps.

Mais le gouvernement n’en reconnaissait qu’une comme telle ; ces deux paroisses sont celles de Saintes et de Wisbeck. La paroisse de Saintes était reconnue par le gouvernement ; la paroisse de Wisbeck, située à une demi-lieue de celle de Saintes, ne l’était pas, et son desservant n’avait qu’un traitement de chapelain de 100 fl. porté depuis à 500 fr. Le gouvernement a reconnu à la paroisse de Wisbeck le caractère de paroisse ; il l’a fait sur l’avis de la députation provinciale, et la commune n’a pas eu à s’en plaindre. Le gouvernement n’a fait que se conduire constitutionnellement en accordant un traitement de desservant à celui qui dessert la paroisse de Wisbeck, qui existe depuis longtemps au même titre que toutes les autres. Je suis donc fondé à dire que la mesure prise par l’arrêté du 11 juillet 1842 est parfaitement fondée. Quant à la province de Brabant, car mon expérience et les renseignements que j’ai pris me permettent de le dire, cette mesure a été un grand bienfait pour un grand nombre de communes, et un acte de justice de la part du gouvernement.

L’honorable M. Rogier vient de terminer son discours en disant que dans aucun pays du monde le clergé n’était plus respecté par la presse qu’en Belgique ; je n’ai pas à débattre ici le plus ou moins de fondement de cette assertion ; mais je dirai qu’il serait désirable qu’on pût en dire autant de la morale.

M. le ministre vient de nous dire qu’il était décidé à donner, à l’avenir, toute publicité à l’érection de succursales ; je ne puis qu’approuver ce parti, car le manque de publicité aux actes précédents du gouvernement concernant cette matière, me semble injustifiable.

M. le président. - M. Delfosse a demandé la parole ; comme il l’a déjà obtenue deux fois, je dois consulter la chambre pour savoir si elle m’autorise à la lui accorder une troisième fois.

- La chambre consultée accorde la parole à M. Delfosse.

M. Delfosse. - Messieurs, je dois maintenir ce que j’ai dit hier de l’honorable M. Van Volxem.

Qu’ai-je dit ? Que l’honorable M. Van Volxem avait créé 351 succursales ; qu’il résultait de cette création une dépense de 108,000 fr,, et qu’au lieu de dire cela à la chambre, l’honorable membre, alors ministre de la justice, était venu demander 100,000 fr. pour des tours d’église. Ce sont là des faits qui ne peuvent être contestés. L’honorable M. Van Volxem, qui avait augmenté de 351 le nombre des desservants, présentait à la suite du budget de 1843 des tableaux qui ne contenaient aucune trace de cette augmentation ; ce n’est que dans le tableau annexé au budget de 1844, que l’augmentation a été indiquée par M. le ministre de la justice. Non seulement l’honorable M. Van Volxem n’indiquait pas qu’il devait y avoir sur le litt. B une augmentation de dépense, résultant de l’augmentation du nombre des desservants, mais il donnait clairement à entendre que le litt. B, destiné aux traitements des desservants, des curés et des vicaires, continuerait à présenter un excédant puisqu’il laissait subsister à la suite du tableau cette note : qu’une somme de 62,000 fr., comprise dans le litt. servirait à couvrir l’insuffisance du litt. C. Puisqu’une partie du litt. B devait continuer, comme par le passé, à couvrir l’insuffisance du litt. C, on devait croire que la dépense à imputer sur le litt. B n’avait pas été augmentée ; j’avais donc raison de dire hier que l’honorable M. Van Volxem avait induit la chambre en erreur.

Il est bien vrai que plus tard la section centrale, s’étonnant d’une demande d’augmentation de 100,000 fr., réclama des explications de M. le ministre de la justice. L’honorable M. Van Volxem écrivit à la section centrale une lettre dans laquelle on trouve tout le contraire de ce qu’on voyait dans le tableau annexé au budget. On avait dit dans le tableau que l’excédant du litt. B serait employé à couvrir l’insuffisance du litt. C, et dans sa lettre à la section centrale, l’honorable M. Van Volxem disait que le litt. B n’aurait plus l’excédant, c’est-à-dire, que l’honorable M. Van Volxem disait dans sa lettre tout le contraire de ce qu’il a dit dans le tableau annexé au budget ; si c’est là de la franchise, je ne m’y connais plus. L’honorable M. Van Volxem a parlé, dans cette lettre adressée à la section centrale, d’une érection de succursales, mais il s’est bien gardé de dire qu’il en avait créé 351. La section centrale n’a pu croire qu’il fût question d’un nombre de succursales aussi considérable, et la preuve qu’elle ne l’a pas cru, c’est qu’elle a dit que les observations contenues dans la lettre de M. le ministre de la justice ne justifiaient pas l’augmentation qu’il demandait, c’est qu’elle a, en conséquence, réduit le chiffre de 100,000 fr. à 50,000 fr.

Si l’honorable M. Van Volxem avait parlé de 351 succursales, la section centrale n’aurait pas pu dire que la demande d’augmentation n’était pas justifiée. Cette demande aurait été parfaitement justifiée si on avait parlé de 351 succursales, puisque ces 351 succursales entraînaient une nouvelle dépense de 108,000 francs.

L’honorable M. Van Volxem n’avait qu’un mot à dire pour fermer la bouche à la section centrale ; ce mot il ne l’a pas dit, et pourquoi ne l’a-t-il pas dit, c’est qu’il s’était trop avancé, en venant demander pour des tous d’église un crédit qui n’était nécessaire que parce que l’on avait créé 351 succursales.

M. le ministre de la justice actuel vient de confirmer en quelque sorte une observation que j’ai soumise à la chambre dans la séance d’hier. J’avais dit qu’il serait désirable que les arrêtés qui imposent de charges à l’Etat fussent publics. J’ai entendu avec plaisir M. le ministre de la justice déclarer que dorénavant cette publication aurait lieu. Cette déclaration, dont je le remercie, est la condamnation de la marche suivie par l’honorable Van Volxem.

Un mot maintenant sur le fond de la question. Le débat ne porte réellement que sur les 100,000 francs absorbés par les nouvelles succursales. Je suis parfaitement d’accord avec M. le ministre de la justice et avec tous ceux qui ont pris la parole, pour voter la somme demandée pour constructions et réparations. Il y a des membres qui accordent la somme, quoique, selon eux, il y ait augmentation, et moi, je l’accorde, parce que je sais qu’il n’y a pas d’augmentation. La différence entre mes adversaires et moi consiste en ce que je ne veux pas accorder aujourd’hui les 100,000 fr. pour de nouvelles succursales. Je veux attendre que l’on nous ait communiqué les pièces. Je ne veux pas voter une allocation sans savoir sur quoi cette allocation est fondée.

M. de Theux. - Messieurs, il résulte des explications qui ont été données par le ministre de la justice, que l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles n’a véritablement pas trait à l’érection d’une chapelle en succursale. Cet arrêt a trait à une autre question qui a également son importance, c’est celle de savoir si un conseil de fabrique peut être donné à une chapelle. Cette question a été décidée différemment par l’honorable M. Rogier et ensuite par moi qui ai suivi ses errements, de pleine conviction.

Qu’il me soit permis de dire quelques mots de cet arrêt. J’ignore les circonstances particulières dans lesquelles il a été rendu ; conséquemment, il m’est impossible d’en discuter la valeur, mais je ferai remarquer que, dans tous les cas, l’arrêt ne forme pas jurisprudence. C’est ainsi que, dans deux autres questions, une opinion que j’avais eue comme ministre de l’intérieur, n’avait pas été partagée par la cour d’appel de Liége ; mais elle fut partagée par la cour de cassation ; la première relative à la constitution d’un conseil de fabrique à Tongres ; et la seconde à la propriété des cimetières.

Je crois que la question de la constitution des conseils de fabrique auprès des chapelles a une grande importance, parce qu’il est certain qu’une chapelle peut posséder des propriétés distinctes de celles de la succursale. Des dons particuliers peuvent être faits à une chapelle. Il importe que le revenu de ces propriétés soit exclusivement appliqué à la chapelle.

Dans tous les cas, si l’opinion de la cour d’appel de Bruxelles devait devenir jurisprudence, il conviendrait alors que le gouvernement présentât un projet de loi, tendant à l’autoriser à créer auprès des chapelles des conseils de fabrique qui pussent gérer leurs intérêts.

Je ne dirai qu’un mot de la division proposée par l’honorable M. Rogier, et à laquelle M. le ministre de la justice a consenti, Je ne m’opposerai pas non plus à cette division, si les chiffres sont arrangés de telle manière qu’on trouve sur le crédit du personnel des sommes suffisantes pour pourvoir au payement des traitements des curés, succursalistes, chapelains ou vicaires, qui pourraient être nommés, dans le courant de l’exercice, aux places actuellement vacantes et déjà reconnues par le gouvernement.

Je ferai remarquer, en outre, que la division, si elle est admise, nécessitera dans la suite quelques revirements de fonds. Jusqu’aujourd’hui, il a été possible, grâce aux vacatures d’emploi, d’affecter une partie du crédit du personnel aux réparations des églises et des presbytères. Mais lorsque les places vacantes seront remplies, lorsque d’autre part, il aura été pourvu aux réparations qui sont aujourd’hui considérables par suite de l’état d’abandon où on a laissé les églises et les presbytères dans des temps difficiles, il y aura lieu à un revirement de chiffre.

M. le président. - Je dois faire remarquer que le ministre de la justice ne s’est rallié à la division proposée par M. Rogier, qu’à la condition que l’art. 2 serait majoré de 100,000 francs. L’article comporterait alors une somme de 450,000 fr (350,000 fr. de fonds ordinaires et 100,000 fr. de fonds extraordinaires).

Un membre. - C’est une augmentation.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Ce n’est pas positivement une augmentation. Par suite des décès et des vacances de places, il y a ordinairement une économie de 100,000 fr, par an sur le chiffre destiné au personnel. Cette somme est employée à combler l’insuffisance des crédits votés pour les constructions. Si, en adoptant la division, on nous prive de cette ressource, il faut bien augmenter le crédit demandé pour les constructions ; mais alors la somme qui restera disponible sur le chiffre du personnel, sera acquise au trésor. Du reste, je ne puis consentir à la division, si l’on ne vote l’augmentation que j’ai demandée, car il m’est complètement impossible de faire face aux besoins très nombreux qui se présentent, au moyen de la somme de 350,000 fr. proposée pour les constructions ; cela me serait d’autant plus impossible que le ministère de la justice devra maintenant accorder des subsides aux communes pour la restauration des tours d’église.

M. le président. - M. Verhaegen a demandé la parole, mais comme il a déjà parlé deux fois je ne puis la lui accorder sans le consentement de la chambre.

- La chambre décide que la parole sera accordée à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n’ai pas considéré la question que j’ai soulevée hier comme une simple question de traitements, je l’ai envisagée à un point de vue plus élevé, et ce que vient de soutenir l’honorable M. de Theux me prouve que j’ai eu raison.

En disant quelques mots des intérêts matériels, que la question touche accessoirement, j’ai défendu des droits acquis, j’ai soutenu la position des anciens desservants auxquels on enlève une partie de leurs émoluments pour les attribuer aux desservants nouveaux qui leur sont adjoints dans la même commune, mais, je le répète, la question elle-même a tout une autre portée, et l’honorable M. de Theux lui-même n’a pas dissimulé son importance.

Peut-il dépendre d’un ministère, à l’intervention du haut clergé, de couvrir la Belgique de personnes civiles ? Voilà la véritable question, et c’est sur cette question que je fixe l’attention de la chambre.

En érigeant dans une même commune plusieurs succursales, comme il s’est permis de le faire depuis quelque temps, le gouvernement s’arroge le droit exorbitant de multiplier à l’infini les personnes civiles c’est ce droit que je lui ai contesté hier et que je lui conteste de nouveau. On se rappelle encore tous les efforts de certain parti pour rétablir la mainmorte, et je ne serais pas étonné qu’on voulût obtenir, par voie indirecte, ce que naguère on n’a pas pu obtenir par voie directe. Je m’opposerai de toutes mes forces à cette nouvelle tentative ; ce qu’autrefois on croyait devoir demander à la législature, on le demande aujourd’hui au pouvoir exécutif, et au moyen d’un arrêté royal, on pense pouvoir se passer d’une loi.

L’honorable M. de Theux va même plus loin, et je ne puis laisser passer son observation sans la rencontrer ; d’après lui, l’autorité judiciaire serait incompétente pour apprécier la légalité d’un conseil de fabrique. Par un signe de tête, l’honorable membre confirme ce que je viens de dire. Quoi, l’autorité judiciaire serait incompétente pour apprécier la légalité d’un conseil de fabrique, œuvre du ministère et de l’épiscopat ! En vérité, je ne sais, messieurs, où nous marchons. J’ai pu croire à certaines tendances, mais pas des exagérations telles que celles-là ! Je m’étais interdit dès le commencement de la session, et je m’interdirai encore de traiter des questions irritantes ; mais cependant je ne puis pas, en me taisant plus longtemps, encourager ces tentatives nouvelles, car Dieu sait dans quelle voie on finirait par nous entraîner. Quoi ! l’autorité judiciaire ne serait pas compétente pour apprécier la légalité d’un conseil de fabrique institué par l’autorité civile et par l’autorité ecclésiastique !! En faisant une distinction, nous pourrons peut-être nous mettre d’accord.

M. de Theux. - Nous le sommes peut-être déjà.

M. Verhaegen. - La question de savoir s’il y avait matière à nommer un conseil de fabrique, est certes une question qui rentre dans la compétence de l’autorité judiciaire, car cette question dépend de celle de savoir si on a pu créer une personne civile. Mais une fois qu’il est démontré qu’une personne civile a pu être créée, et qu’elle a été créée en effet, alors tout ce qui tient à la composition du conseil peut, dans l’opinion de quelques-uns, être apprécié par l’autorité administrative réunie à l’autorité ecclésiastique.

Quoi qu’en ait dit M. le ministre de la justice, c’est ce qu’a décidé l’arrêt dont j’ai parlé hier. Dans l’espèce de cet arrêt, il s’agissait d’une chapelle à Basse-Wavre, et cette chapelle, par arrêté de 1842, avait été érigée en succursale ; or, l’arrêt dont j’ai parlé est de 1843 ; et que décide cet arrêt ? Que le conseil de fabrique qui avait été institué pour cette chapelle érigée en succursale en 1842, n’était pas légal ; la cour d’appel, sans avoir égard à des arrêtés qu’elle a considérés comme illégaux, a refusé action au conseil de fabrique, et elle s’est basée sur l’art. 108 de la constitution qui déclare que, quand un arrêté royal n’est pas conforme à la loi, les cours et les tribunaux disposent comme s’il n’existait pas. Voilà les vrais principes.

Je sais que quelques personnes n’admettent pas cette doctrine ; je sais qu’ils trouvent le pouvoir judiciaire trop indépendant, qu’elles pensent qu’il pourrait, dans certains cas, faire la loi au pouvoir exécutif. Mais, messieurs, n’oublions pas que l’autorité judiciaire est un contrepoids indispensable, qu’il est la sauvegarde de nos libertés ; un jour peut-être ceux qui ne partagent pas notre opinion seront les premiers à réclamer cette sauvegarde.

Ainsi, la question du savoir si un conseil de fabrique peut être établi, doit être appréciée par l’autorité judiciaire, et l’arrêt que nous avons cité a été rendu dans les limites de sa compétence.

Maintenant la question de personnification civile a une importance tellement grande qu’il serait difficile d’en calculer toute la portée.

Je crois l’opinion de l’honorable M. de Theux sévère, mais il va beaucoup trop loin ; il va jusqu’à dire que si la loi était douteuse, il faudrait l’interpréter dans son sens, et même qu’il faudrait, au besoin, faire une loi nouvelle pour accorder au gouvernement la faculté que je lui conteste ; cette loi aurait pour effet de couvrir la Belgique de personnes civiles. Beau résultat !

Messieurs, au sujet de l’importante question qui s’agite en ce moment, qu’il me soit permis de dire que je suis fort curieux de savoir ce que, depuis treize ans, le clergé a reçu de particulier à titre de legs, dons, etc. Je m’occupe de ces recherches depuis assez longtemps et j’espère que bientôt j aurai rempli ma tâche, et que je pourrai présenter un aperçu, que si le gouvernement voilait m’aider un peu, je pourrais aller plus vite, et m’approcher davantage de la réalité ; mais toujours est-il, que des sommes énormes sont tombées dans ce gouffre depuis 1830, et que si on continue sur ce pied pendant un demi-siècle, la moitie de la richesse du pays sera entre les mains du clergé, et on veut venir en aide à ces manœuvres qui dépouillent les familles, en permettant au pouvoir exécutif de créer, par simples arrêtés, autant de personnes civiles qu’il lui plaira.

Messieurs, je n’entrerai pas dans des détails pour que la discussion ne devienne pas irritante. Loin de moi la pensée de la porter sur ce terrain, mais quand on vient parler de manque de ressources, d’indemnités dues au clergé, de biens perdus, il doit nous être permis de dire un mot des richesses que le clergé a su accumuler. Je ne parlerai pas des moyens qu’il a employés, mais il est une chose que je ne puis passer sous silence, et il faut bien qu’on y réponde une fois.

Un journal de province a parlé, il y a peu de jours, d’un testament fait par un curé au profit d’une autorité ecclésiastique et d’un testament postérieur révocatoire portant que le premier testament avait été le fruit de la contrainte et d’une menace de destitution. Ce testament révocatoire paraît être déposé dans l’étude d’un notaire. Le fait a été affirmé et aucun journal n’a osé le contredire.

Vous voyez, messieurs, que la question que nous avons soulevée a une portée immense ; c’est ainsi que je l’ai envisagée au début de la discussion, en ne la réduisant pas aux proportions mesquines d’une question de traitement. Aussi, je ne répondrai pas à ces observations de détail faites par M. de Man. Cet honorable membre s’est trompe en parlant de villages quand il ne s’agissait que de hameaux ayant à leur portée des églises plus que suffisantes.

J’avais parlé, au sujet de la personnification civile, de ces congrégations fort intéressantes, et qui jouissent des privilèges que leur accorde le décret du 30 octobre 1807, privilèges assez importants, car toutes les transmissions de propriétés faites à leur profit ne payent qu’un droit fixe de 2 francs et des centimes ; loin de moi, de contester ces privilèges aux sœurs hospitalières qui méritent toutes nos sympathies mais je veux savoir si on n’a pas abusé de ce décret de 1807, et si, sous le prétexte d’autoriser des congrégations de sœurs hospitalières, on n’a pas autorisé d’autres congrégations qui n’en auraient que le nom sans en remplir les devoirs.

L’honorable ministre de la justice a mis sous les yeux de la chambre un tableau que je n’ai pas eu le temps d’examiner, j’ignore donc si ces congrégations remplissent le vœu du décret de 1807. Je prie M. le ministre de faire insérer ce tableau au Moniteur, il servira à compléter mon travail.

L’honorable ministre de la justice pense que l’article 15 du décret de 1807, d’après lequel une note des revenus des congrégations doit être remise annuellement au gouvernement n’est pas applicable. (Dénégations de la part de M. le ministre de la justice). M. le ministre dit au moins que cette disposition n’est pas appliquée, et qu’elle ne doit pas l’être aux termes de l’arrête du gouvernement provisoire du 16 octobre 1830, qui proclame la liberté d’association ; c’est une erreur manifeste : loin de moi la pensée de vouloir porter la moindre atteinte au droit d’association. Mais quand certaines associations veulent avoir un privilège que leur donne une loi spéciale, quand elles veulent être considérées comme personnes civiles avec tous les effets de la personnification, elles doivent se soumettre aux conditions auxquelles est attaché ce privilège. Ainsi, pour M. le ministre de la justice, qui est jurisconsulte, il ne peut être douteux que les congrégations qui invoquent le bénéfice du décret de 1807, doivent en remplir les conditions.

Toutes ces questions, messieurs, sont d’une haute importance. Je les soumets à vos graves méditations. Il s’agit de savoir s’il peut dépendre du gouvernement de constituer, avec le concours de l’autorité ecclésiastique, autant de personnes civiles qu’il jugera à propos. Il m’aura suffi d’avoir signalé le danger pour avoir rempli mon devoir.

M. Lys. - Vous avez pu remarquer, messieurs, que dans les observations que je vous ai présentées hier, je ne me suis nullement opposé au crédit demandé, soit pour le haut clergé, soit pour le clergé inférieur. Le but de mes observations était de démontrer que la loi de germinal an X ne sympathise plus aujourd’hui avec la loi communale.

Je me suis plaint aussi (je crois que ce n’est pas sans raison) de ce que l’on a doté la ville de Verviers de deux nouvelles succursales. Quand je dis doté, ce n’est pas qu’elle reçoive la dot ; mais au contraire elle la paie.

Je me suis plaint de ce que l’on a accordé deux nouvelles succursales à la ville de Verviers, sans avoir consulté le conseil communal sur la nécessité de leur institution Je ne me suis pas plaint de l’exécution donnée à la loi du 18 germinal an X, en ce qui concerne le droit que ses dispositions donnent au gouvernement. J’ai reconnu que le gouvernement était en droit d’établir des succursales partout où le besoin s’en faisait réellement sentir. Mais je voulais que ces créations n’eussent lieu qu’après avoir consulté les communes. Je disais, messieurs, que l’on crée des succursales partout on le besoin s’en fait réellement sentir, mais que ces créations n’aient lieu qu’après avoir consulter les communes et le pouvoir provincial, qu’après l’observation des formalités préalables qui garantissent aux communes et aux habitants, que ce n’est ni le caprice, ni l’arbitraire qui leur imposent une augmentation de dépenses publiques, qui garantissent à chacun que l’érection de la paroisse nouvelle était commandée par le besoin réel des populations et des localités. Voilà, messieurs, sur ce point, les observations que j’ai eu l’honneur de vous présenter.

Je crois qu’en cela je n’ai rien demandé de trop, et que vous partagez l’opinion que j’ai émise.

Pour le subside que l’on veut accorder pour la réparation des tours, j’ai soutenu qu’il y avait lieu de l’ajourner, je crois que ce soutènement est encore fondé. Mes observations à cet égard sont basées sur l’opinion même de la section centrale car la section centrale, dans sa première délibération, a partagé mon avis ; en effet, on lit dans son rapport :

« La section centrale s’est occupée à plusieurs reprises de cet objet, qui élèverait le chiffre de 300,000 à 350,000 fr., augmentation susceptible de grever le budget pendant un certain nombre d’années, et dont les conséquences peuvent être graves, car les tours ci-dessus indiquées ne sont pas les seules pour lesquelles de subsides seront réclamé.

« La section centrale a cru de son devoir de réclamer d’abord l’emploi des 300,000 fr. ; elle s’est ensuite informée quels sont les projets de réparation des tours d’églises dont l’instruction serait complète.

« Elle a demandé aussi la communication de ces projets avec les devis, les résolutions des provinces, communes et fabriques relatives au fonds à voter. Elle a demandé aussi à quelles tours et dans quelles proportions on entendait répartir le subside de 50,000 francs. Les renseignements ont été fournis par la pièce ci-annexée B. »

Je recours à cette pièce et je trouve qu’elle ne satisfait nullement à la demande de la section centrale ; en effet, elle porte :

« A. Tour de St-Rombaut à Malines. La dépense est évaluée à 444,693 fr., la ville donnerait 72,000 fr., en 12 ans, elle demande la même somme à la province, et au gouvernement 300,000 fr. aussi en 12 ans ci joint se trouvent la requête, le rapport du gouverneur et deux détails estimatifs. - Rien n’est encore promis. »

Donc la province n’a rien statué. Il en est de même pour la tour de Notre-Dame d’Anvers et pour toutes les autres tours. Ainsi, vous voyez que la section centrale a trouvé qu’on avait satisfait à toutes ses demandes et que cependant elle n’avait reçu aucun renseignement.

Un honorable préopinant nous a dit aujourd’hui, et M. le ministre l’avait dit hier : « Il n’y a pas de contestations sur la propriété de ces tours ; on reconnaît qu’elles appartiennent à la commune. » Ce sont des allégations sans preuve. Je voudrais entendre les conseils de fabrique de St-Rombaut, de Malines et de Notre-Dame d’Anvers, venir déclarer qu’ils ne réclament sur ces tours aucun droit de propriété.

Quand un honorable préopinant dit : « La tour de St-Rombaut appartient à la ville de Malines ; car elle a été bâtie par la ville de Malines, » il ne prouve rien, il pourrait même dire que c’est la ville de Malines qui a bâti l’église. Il est bien certain que ce ne sont pas les fabriques d’église qui ont bâti les églises. Les églises ont été bâties au moyen des dons qui ont été faits et aux frais des villes. Il ne résulte pas de là que les villes, en faisant construire les tours en aient conservé la propriété. Voilà ce qui n’est prouvé nulle part et ce que les fabriques ne concéderont jamais.

D’après la loi de germinal an X et d’après le décret de 1809, dont je demande l’application, les grosses réparations des églises cathédrales, des palais épiscopaux, et des séminaires diocésains restent à la charge des provinces. Ainsi, dans le cas actuel, les provinces sont tenues aux grosses réparations. Je suis loin de m’opposer à ce que le gouvernement accorde une somme pour les aider. Mais ce n’est pas au gouvernement, c’est à la commune à prendre l’initiative ; c’est à la province, chargée par la loi de la dépense, à pourvoir aux frais nécessaires ; et si la province demande un subside, je suis loin de m’opposer à ce que le gouvernement l’accorde.

Je m’intéresse autant que qui que ce puisse être à la conservation de nos monuments ; mais dans la position de nos finances, quand notre budget des recettes est bien au-dessous de notre budget des dépenses, il ne nous appartient pas de voter des dépenses nouvelles, sans savoir si nous devons réellement en faire car notre vote doit dépendre de ce que feront les provinces. Si les provinces n’accordent pas une somme convenable, nous ne sommes tenus de rien accorder. Le gouvernement ne doit pas prendre l’initiative.

Nous parlons d’économies, au commencement de chaque session, et lorsque nous arrivons à la discussion des budgets, nous n’avons à proposer que de nouvelles dépenses ; il semble que nous ne puissions avoir que des velléités d’économies. Nos économies ne se réalisent jamais. Vous le voyez encore dans cette circonstance. Vous n’avez aucun devis des sommes nécessaires pour ces réparations, et vous voulez vous engager pour 50,000 fr. d’après M. le ministre de la justice, ce serait 150,000 fr. ; car il espère trouver sur l’art. 2 de quoi augmenter de 100,000 fr. l’art. 3.

On vous demande d’accorder déjà 50,000 francs pour la réparation de tours, et vous ne savez pas où vous pourrez vous arrêter. Car, remarquez-le bien, et déjà mon honorable ami, M. Rogier, vous l’a dit : ce n’est pas une petite dépense que vous aurez à faire ; il s’agit pour une seule tour d’une dépense de 450,000 fr., pour une autre d’une dépense de huit cent et des mille francs, sans parler des autres tours ; car partout où il y aura des églises avec des tours, on viendra vous dire : ces tours appartiennent à la ville.

Je crois donc que dans la position où sont nos finances, nous devons être sages et prudents. Nous ne pouvons prendre l’initiative dans cette circonstance ; elle ne nous appartient pas. Elle appartient aux communes et ensuite aux provinces ; lorsque celles-ci auront fourni un contingent quelconque, elles devront s’adresser au gouvernement pour parfaire la somme nécessaire.

Je persiste à demander l’ajournement du crédit qui concerne la réparation des tours.

En faisant pareille demande, je ne fais que ce que voulait la section centrale lorsqu’elle demandait des renseignements à M. le ministre de la justice, elle n’a eu aucun motif de changer la marche qu’elle avait admise, car les renseignements qu’elle a demandés, ne lui ont pas été fournis.

Si vous n’accueillez pas ma demande, je suis en droit de croire que la chambre n’a que des velléités d’économie, et qu’elle continue à suivre la route des prodigalités.

Je propose l’amendement suivant :

« La chambre ajourne le crédit demandé pour la réparation des tours jusqu’a ce que les provinces et les communes aient présenté leurs subsides pour cette réparation. »

M. Van Volxem (pour un fait personnel). - Messieurs, l’honorable M. Delfosse a dû reconnaître qu’il avait été trop loin, en disant que la chambre avait décidé l’année dernière, sans avoir aucun renseignement, qu’elle avait ignoré que des succursales eussent été créées. Et, en effet, il devait me faire cette concession en présence du texte du rapport de la section centrale.

Il se retranche maintenant uniquement sur ce point, que je n’aurais pas fait connaître la quantité de succursales qui auraient été créées et la dépense à laquelle elles auraient donné lieu. J’aurai d’abord l’honneur de lui faire observer que personne ne m’a demandé ni le chiffre de cette dépense, ni ce nombre de succursales. J’ajouterai que dans le rapport de la section centrale on renvoyait à ce qui s’était passé au mois de janvier 1840 et on invitait même à recourir au Moniteur. Or, si l’on consulte le Moniteur de cette époque, on verra que l’honorable M. de Theux, alors ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, annonçait qu’il y avait déjà des demandes instruites ou sur le point d’être instruites pour une somme qui dépassait 63,000 fr. Si, à ces 63,000 fr on ajoute les diminutions qui sont résultées de la réduction du nombre des chapelains, on aura bientôt le chiffre qui a été nécessaire pour le paiement des succursalistes qui ont été créés. De manière que sous tous les rapports, la chambre a voté en connaissance de cause, et que si des renseignements ultérieurs n’ont pas été donnés, c’est qu’ils n’ont pas été demandés.

M. Rogier. - Messieurs, j’avais vu avec plaisir M. le ministre de la justice se rallier à mon amendement. Je croyais qu’il avait compris comme moi la nécessité d’établir de l’ordre dans cette spécialité de dépenses. Malheureusement, M. le ministre est venu par une autre proposition détruire cet accord que je me félicitai de savoir entre nous sur ce point. D’après cette proposition, il s agirait de grever le budget d’une somme nouvelle de cent mille francs et d’ajouter ce nouveau déficit à celui que présente déjà la balance de nos recettes et de nos dépenses pour l’exercice de 1844. Messieurs, je m’oppose de toutes mes forces à un pareil système. Je ne pense pas que M. le ministre de la justice, qui a répété à plusieurs reprises dans cette discussion qu’il voulait agir avec franchise, ait eu l’intention de faire, par un moyen détourné, repousser mon amendement. Or, il est certain que si mon amendement doit grever le budget de la justice d’une somme nouvelle de cent mille francs, moi le premier, je le combattrai et le repousserai.

Mais, messieurs, il y a moyen de s’entendre. Que dit M. le ministre de la justice ? C’est dans l’intérêt des monuments même qu’il faut conserver le chiffre global, parce que chaque année des vacatures, des décès se présentent, qui laissent des sommes disponibles sur les traitements. Ces sommes disponibles, je les applique aux bâtiments et monuments. Si à l’avenir le subside pour les traitements forme un article spécial, je ne puis plus opérer ce transfert d’un littera à l’autre, et dès lors l’article des réparations est insuffisant.

Messieurs, rien n’est plus simple que de porter remède à cet inconvénient. A la fin de l’exercice, M. le ministre de la justice fera le relevé des sommes disponibles par suite des vacatures ; si l’article des réparations est en souffrance, M. le ministre de la justice fera ce que font tous ses collègues, il demandera un transfert de l’art 1er à l’article 2. Il dira : L’art. 1er présente un boni, l’art. 2 présente une insuffisance ; je demande à opérer un transfert d’un article à l’autre. Ce sont des lois qui sont souvent présentées. Dès lors l’inconvénient signalé n’existe plus.

Je pense que cette observation engagera M. le ministre de la justice à retirer sa demande d’augmentation de cent mille francs, dont il est venu tout à coup effrayer la chambre. Il ne faut pas aggraver, même d’une manière seulement apparente, l’inégalité qui existe déjà entre les recettes et les dépenses ; il faut, au contraire, tendre à réduire nos dépenses, de telle manière que nous ayons un équilibre parfait, et tel qu’il convient à un système financier bien organisé.

Je demanderai à M. le ministre de la justice s’il voit quelque inconvénient à suivre la marche que j’indique ; à venir demander, pour autant que de besoin, un transfert législatif d’un article à l’autre ; de l’art. 1er à l’art. 2, si l’article 1er offre des ressources en trop et l’article 2 une insuffisance, et réciproquement. Car il pourrait arriver dans d’autres circonstances que l’art. 2 vînt au secours de l’art. 1er. De cette manière, la confusion cesserait, et les choses se passeraient à l’avenir plus régulièrement.

Ce n’est pas trop de deux articles pour un crédit de 4 millions. Je crois que la chambre n’irait pas trop loin, qu’elle n’envahirait pas le domaine administratif, en demandant que l’on fasse deux articles pour un pareil crédit.

M. Delfosse. - Je demande la parole sur l’incident.

M. le président. - Il n’y a pas d’incident.

M. Delfosse. - Il y a un incident, en ce que M. le ministre de la justice propose une augmentation de cent mille francs.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Il me semble, messieurs, que ce que vient de dire l’honorable M. Rogier tend à établir qu’il est préférable de ne pas avoir de division. Il a dit, en effet : quelquefois le litt. C. pourra venir en aide au litt. B et réciproquement.

Je crois, messieurs, qu’il est préférable de laisser les choses comme elles ont toujours existé, c’est-à-dire, de n’avoir qu’un article unique divisé par littera, sans affectation spéciale par articles ; je ne me suis rallié à l’amendement de l’honorable membre qu’à la condition d’une augmentation au litt. C.

L’honorable M. Rogier a dit : mais on pourrait, s’il y a excédant sur l’art. 2 à la fin de l’année, demander un transfert, et je pense, a-t-il ajouté, que cette manière de procéder n’offrirait aucun inconvénient Il me semble, messieurs, qu’il y aurait un inconvénient, et le voici : c’est que pendant l’année on ne pourrait jamais disposer que des 350,000 fr. de l’art. 3, que l’on ne pourrait prendre aucun engagement, que l’on devrait refuser toutes les demandes qui excéderaient cette somme ; tandis que par suite de ce qui s’est toujours pratiqué au vu et au su de la législature, on pouvait savoir au bout de six mois, par exemple, combien il existait de places vacantes, et par suite quelle somme resterait disponible assurée sur ce littera, et l’on pouvait en disposer en conséquence.

Je dis que cela s’est fait depuis très longtemps ; cela s’est fait sous le ministère de l’honorable M. de Theux qui l’a déclaré d’une manière formelle à la chambre, et cela s’est toujours continué.

Je pense donc qu’il est indispensable ou de laisser les choses comme elles étaient, ce qui serait peut-être préférable, ou d’adopter mon amendement.

M. Delfosse. - Ce que vient de dire M. le ministre de la justice fait le procès à tous nos budgets ; car ils contiennent tous des spécialités. Il faudrait, pour faire droit aux observations de M. le ministre, changer tous nos budgets ; mais c’est ce que l’on ne fera pas ; sans la spécialité des dépenses, les plus grands abus seraient à craindre.

M. le ministre de la justice ne se rallie à l’amendement de l’honorable M. Rogier, qu’à une condition ; c’est qu’on augmentera le littera C de cent mille francs ; à l’augmentation extraordinaire de 50,000 francs votée l’année dernière, à l’augmentation de 50,000 francs demandée cette année, M. le ministre de la justice voudrait encore ajouter une augmentation extraordinaire de 100,000 francs. Une telle proposition n’est pas sérieuse.

Ce qui engage M. le ministre de la justice à faire cette proposition, c’est qu’il pense trouver sur le littera B. un excédant de fonds considérable, qui servirait à augmenter le littera C. Mais c’est une erreur. Le littera B présentait un excédant de dépenses lorsqu’il y avait 62,000 fr. portés pour dépenses imprévues. On transférait par le fait ces 62,000 fr. au littera C ; mais ils sont maintenant absorbés par les traitements des desservants.

Remarquez que l’augmentation de dépenses pour le traitement des desservants est de plus de cent mille francs, tandis que le litt. B. n’est augmenté que de 26,000 fr. Il est évident que l’excédant qui existait au litt. B ne se présentera plus. C’est en partie parce que le litt. C est désormais privé de cet excédant, qu’on l’a augmenté de 50,000 fr. l’année dernière, et qu’on vous propose de l’augmenter encore de 50,000 fr.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. le président. - Vous avez déjà parlé deux fois sur cet article. Je dois consulter la chambre pour savoir si elle vous accorde la parole.

M. de Theux. - Je ferai remarquer que l’honorable M. Delfosse et l’honorable M. Verhaegen ont eu trois fois la parole.

- La chambre décide qu’elle entendra M. de Theux.

M. de Theux. - Messieurs, je ne crois pas avoir émis une opinion erronée, ainsi que m’en a accusé l’honorable M. Verhaegen, et la meilleure preuve que je puisse en avoir donné, c’est que j’ai voté moi-même pour qu’on lui accordât une troisième fois la parole.

Je suis d’ailleurs heureux qu’il ait pris la parole, parce que je pense, au moyen d’une courte explication, pouvoir réfuter ce qu’il vous a dit.

Ainsi j’admets sans difficulté avec l’honorable membre que la question de savoir si la loi du 18 germinal an X accorde au gouvernement, de concert avec les autorités diocésaines, la faculté de créer des succursales, et par suite des conseils de fabriques, que cette question, dis-je, est du ressort des tribunaux, parce que l’interprétation des lois est essentiellement du ressort des tribunaux. Mais je pense qu’en admettant, ainsi que l’a soutenu M. le ministre de la justice, ainsi que l’ont soutenu tous les ministres qui ont été au pouvoir depuis la promulgation de la loi du 18 germinal an X, ainsi que l’ont soutenu successivement le gouvernement impérial, le gouvernement des Pays-Bas et le gouvernement actuel ; je pense qu’en admettant que la loi ne laisse aucun doute sur la faculté qu’a le gouvernement de créer des succursales et par suite des conseils de fabrique, il faut admettre aussi que la question d’opportunité doit être décidée par le gouvernement seul, car une question d’opportunité n’est nullement du ressort des tribunaux. C’est uniquement dans ce sens, messieurs, que j’ai voulu m’expliquer.

L’honorable M. Verhaegen a supposé que je voulais couvrir la Belgique de personnes civiles. Non, messieurs, je ne veux pas plus couvrir la Belgique de personnes civiles que M. le ministre de la justice, que tous les gouvernements qui ont régi la Belgique depuis l’an X. Du reste, ces personnes civiles sont ici un véritable épouvantail. De quoi s’agit-il ? De conseils de fabrique chargés d’administrer des biens d’église. Ces conseils n’ont rien de redoutable ; ils sont créés au contraire pour enlever l’administration des biens d’église aux curés qui avaient autrefois cette administration, sous le contrôle de l’évêque. Ces personnes civiles n’ont donc rien qui puisse épouvanter l’honorable M. Verhaegen ni ceux qui partagent ses opinions.

J’ai dit en second lieu, messieurs, que selon moi il était d’une véritable équité que les chapelles eussent des conseils de fabrique chargés d’administrer les biens particuliers qui appartiennent à ces chapelles. Eh bien, cette opinion, je la maintiendrai, et si les tribunaux venaient à décider que le gouvernement n’a pas le droit de donner aux chapelles des conseils de fabrique séparés, je crois qu’il serait d’une sage administration que le gouvernement proposât un projet de loi qui le mît à même d’obvier aux difficultés.

Il faut que les intérêts des petits soient défendus aussi bien que ceux des grands, et l’institution des conseils de fabriques auprès des chapelles n’a pas d’autre but.

L’honorable membre a parlé de la grande quantité de donations et de legs qui ont été faits au clergé. Je ferai remarquer que l’expression est impropre ; ces dons et ces legs n’ont point été faits au clergé, ils ont été faits à des fabriques d’église ; or, les fabriques d’église sont composées de personnes laïques, seulement le curé de la paroisse en fait partie.

Les dons faits à l’église ne sont donc en aucune manière faits au clergé. Au surplus, je crois que si l’on veut faire le relevé des dons et legs faits aux églises, on trouvera que ceux qui ont été faits aux hospices et aux bureaux de bienfaisance les surpassent de beaucoup. Dans tous les cas, les dons faits aux églises ont uniquement pour résultat d’alléger la charge qui incombe aux communes lorsque les ressources des fabriques sont insuffisantes, car on sait qu’aux termes des lois existantes les communes doivent suppléer ce que les fabriques d’églises peuvent avoir d’insuffisant dans leur ressources.

Aussi voyons-nous que de semblables donations sont toujours accueillies avec faveur par les administrations communales et par les députations provinciales qui sont chargées aujourd’hui de se prononcer sur l’autorisation d’accepter ces donations, au moins jusqu’à concurrence d’une certaine somme.

En ce qui concerne la division proposée par l’honorable M. Rogier et consentie par M. le ministre de la justice, à la condition qu’on lui accorde une augmentation de crédit de 100,000 fr. sur le litt. C, je crois qu’il serait préférable de demeurer dans les errements des budgets précédents, de ne point augmenter le chiffre du litt. C, mais de permettre au gouvernement d’appliquer à la restauration des églises et presbytères l’excédant que peut présenter le crédit destiné au personnel. Nous n’avons point vu, les années précédentes, qu’il soit résulté des inconvénients de cet état de choses. Je crois donc qu’il vaut mieux rester dans les anciens errements que d’augmenter encore le budget d’une somme de 100,000 fr.

Je demanderai donc que l’on mette d’abord aux voix la question de savoir si l’article sera divisé. Si la division est adoptée, alors seulement il y aurait lieu de voter sur l’augmentation du chiffre, et je prévois dès à présent que, si la division est admise, force sera à la chambre d’accorder une majoration quelconque, car on ne peut jamais renfermer l’administration dans des limites aussi étroites, lorsqu’il y a division, que lorsqu’il y a crédit global. C’est une observation que j’ai faite souvent et que l’expérience a toujours confirmée. Toute demande de division, lorsqu’elle est admise, a généralement pour résultat d’augmenter le chiffre du budget, car on augmente alors les différentes subdivisions, parce que l’on ne peut plus appliquer à l’une les excédants que les autres peuvent présenter.

M. Devaux. - Il me semble, messieurs, que puisque la demande en est faite, ce n’est réellement pas trop qu’une seule division dans un article dont le chiffre est de plus de 4 millions, et qui comprend des dépenses aussi différentes de leur nature que les traitements des personnes et les constructions de bâtiments. Je conçois que la fusion des crédits destinés à ces diverses dépenses offre quelques facilités à l’administration ; mais, messieurs, que diriez-vous si M. le ministre de l’intérieur vous proposait de confondre dans un même article les employés du ministère et les réparations des bâtiments civils ?

Assurément il résulterait de là des facilités pour M. le ministre de l’intérieur ; M. le ministre de l’intérieur pourrait vous dire : « S’il y a des vacatures au ministère, je pourrai employer l’excédant qui en résultera à la construction de bâtiments civils, ou si le crédit, destiné aux bâtiments civils présente une somme disponible, je pourrai employer cette somme disponible à rétribuer les employés. » Voilà ce que M. le ministre de l’intérieur pourrait vous dire ; mais vous lui répondriez, sans doute, qu’il s’agit de deux espèces de dépenses tout à fait différentes de leur nature et qu’il n’y a pas de raison pour les confondre, vous tiendriez surtout ce langage s’il s’agissait d’une somme de plus de 4 millions de francs.

M. le ministre de la justice a fait une objection, qu’il peut faire à toute espèce de spécialisation de dépenses ; il a dit : « Je ne pourrai pas prendre d’engagement ; ainsi, au bout de six mois, je puis déjà calculer les vacatures qu’il y aura dans l’année, et dès lors, je puis engager, pour les constructions, une partie des fonds destinés aux traitements. » D’abord, messieurs, au bout de six mois, rien n’empêche M. le ministre de la justice de demander un transfert à la chambre, il peut ensuite présenter un nouveau transfert à la fin de l’année. De cette manière, il y aura deux transferts au lieu d’un, mais il y aura régularité, on ne confondra plus deux choses aussi différentes que la restauration des tours et les traitements des vicaires.

D’ailleurs, messieurs, cet inconvénient, quelque léger qu’il soit, ne se présentera que cette année ; les années suivantes, on pourra calculer assez exactement quelle est la somme qui sera nécessaire pour le personnel. La proportion de la mortalité dans le clergé est assez invariable. Le grand nombre de membres dont il se compose permet d’établir à cet égard des calculs exacts ; le chiffre de la mortalité peut donc être connu d’avance. il ne l’a pas été cette année, parce qu’on ne s’est pas attendu à la demande de division, mais l’année prochaine il sera très facile de réduire le chiffre des traitements à une somme dépassant de très peu de chose les besoins auxquels il faudra faire face dans le cours de l’exercice. De sorte que l’inconvénient du transfert, s’il se présente cette année, ne se reproduira pas l’année prochaine. Du reste, cet inconvénient est bien peu de chose ; il s’agit d’un projet de loi qui sera voté au bout d’un quart d’heure.

- La clôture est demandée et prononcée.

La chambre consultée sur la position de la question décide qu’elle votera d’abord sur le point de savoir si l’article sera divisé.

La chambre décide ensuite que le crédit destiné au culte catholique formera un article unique.

M. Delfosse. - Par suite de la décision que la chambre vient de prendre, je dois retirer mon premier amendement ; quant à mon amendement subsidiaire, il est au fond le même que celui de M. Lys, il tend, comme celui de M. Lys, à faire voter le chiffre de l’année dernière.

M. le président. - Je vais mettre séparément aux voix les trois litteras de l’art. 1er du chap. VIII.

« A. Traitement du haut clergé, y compris les bourses et demi-bourses affectées aux séminaires : fr. 403,822 39 »

- Ce littera est adopté.

« B. Traitements des curés, desservants, chapelains et vicaires : fr. 3,252,224 61 »

- Adopté.

« C. Subsides pour les édifices servant aux cultes, y compris une somme de 100,000 francs, comme charges extraordinaires : fr. 350,000 »

- Le subside de 250,000 fr., formant le subside ordinaire, est d’abord mis aux voix et adopté.

Le subside extraordinaire de 100,000 fr. dont M. Lys, par son amendement, a proposé l’ajournement, est ensuite mis aux voix et également adopté.

L’ensemble de l’art. 1er est mis aux voix et adopté, avec le chiffre de 4,006,047 fr.

Articles 2 à 4

« Art. 2. - Culte protestant : fr. 57,900 »


« Art. 3. - Culte israélite : fr. 11,000 »


« Art. 4. - Secours : fr. 100,000 »

- Ces articles sont adoptés sans discussion.

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisanceArticle premier

« Art. 1er. Frais d’entretien et de transport de mendiants et insensés, dont le domicile de secours est inconnu : fr. 20,000 »

- Cet article est adopté sans discussion.

Article 2

« Art. 2. Subsides à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d’aliénés : fr. 120,000 »

M. Orts. - Messieurs, j’ai cru devoir réserver pour la discussion spéciale de l’art. 2 du chapitre IX, article ainsi libellé : « Subsides à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d’aliénés, » des observations assez sérieuses que je signale à l’attention du ministre de la justice. Il s’agit de mettre enfin un terme à un abus. Le mot est peut-être très modéré, car je prouverai que ce que je qualifie d’abus est un véritable délit, aux termes des lois en vigueur.

Messieurs, vous aurez peut-être déjà deviné que j’entends parler de ces loteries qui, sous le manteau de la bienfaisance, vertu à laquelle je suis le premier à rendre hommage, lorsqu’elle marche dans les voies légales, menacent de tarir la charité publique dans sa source.

Nous ne devons pas nous le dissimuler, messieurs, il y a un véritable danger dans tout ce qui se passe sous ce rapport en Belgique, et surtout dans la capitale.

Dans le principe, à Bruxelles, et aujourd’hui encore dans les villes de province, l’usage de ces loteries n’existait qu’au moyen de certains ouvrages, fruits des nobles loisirs d’un sexe qui a toujours des consolations pour toutes les douleurs, des secours pour toutes les infortunes. Ces loteries se composaient enfin de ce que des dames charitables voulaient bien leur consacrer.

Mais s’est-on arrêté là ? Non, messieurs ; dans la capitale surtout, on a mis à contribution, moyennant finances, les magasins les plus riches en productions de l’industrie, et l’on est allé étaler ces productions dans des locaux spécialement consacrés à cette destination.

Je n’examinerai pas jusqu’à quel point l’industrie est elle-même intéressée à ce que cet usage ne se propage pas. Mais je dirai que des institutions qui ont dans la capitale près d’un demi-siècle d’existence, qui doivent tout à la bienfaisance des habitants de Bruxelles, souffrent. Et ce ne sont pas ici de vains mots. Ces institutions ont jeté un cri d’alarme.

Nous avons dans la capitale deux refuges pour les vieillards indigents. L’un de ces refuges reçoit même un subside sur les fonds de l’Etat, car je trouve à la page 45 du rapport sur le budget de la justice, cet article-ci :

« Subside au refuge des vieillards, dit des Ursulines, à Bruxelles, pour l’aider à pourvoir à ses besoins (cet établissement qui renferme plus de 200 vieillards indigents, n’existe qu’au moyen de secours de la charité particulière), fr. 2,000. »

Le second des deux refuges dont je parle, c’est celui de Ste-Gertrude. Cet établissement renfermait 130 pensionnaires avant 1830 ; depuis la révolution, grâce à la bienfaisance des habitants de cette ville, il a vu augmenter ses ressources, et il a pu dès lors donner plus d’extension à ses bienfaits : le nombre des pensionnaires s’est accru de 45. Mais depuis quelque temps, non seulement l’établissement ne peut plus augmenter ce nombre, mais il est menacé de devoir renvoyer ses vieillards. Dans une lettre adressée à l’administration communale de Bruxelles, sous la date du 8 décembre 1843, les administrateurs de cet hospice ont transmis leurs justes plaintes ; ils ont dit, comme c’était leur devoir, quelle pouvait être la cause de cette décadence ; et ils ne se sont pas trompés : ils ont déclaré que ces nombreuses loteries, ces fréquentes tombolas détournaient en quelque sorte les dons particuliers qui jusqu’alors avaient formé le budget de la bienfaisance.

L’administration communale a été tellement convaincue de l’état de gêne où cet établissement est tombé, qu’elle a été obligée de lui consacrer dans son dernier budget, un subside de 2,000 fr. Et remarquez, messieurs, que cet hospice, à la différence de celui de Ste-Gertrude, ne reçoit rien du gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - C’est une erreur.

M. Orts. - Il paraît pourtant que le ministère de la justice lui a refusé la continuation du subside qu’il touchait précédemment.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Un arrêté royal est signé.

M. Orts. - Il est donc postérieur à la lettre des administrateurs de l’hospice. Quoi qu’il en soit, je ne suis entré dans ces détails que pour en venir à la grande question de principe, la question de l’illégalité des loteries. Il faut qu’on finisse par abolir cet abus, parce que, si l’on tardait à le faire, il arriverait que ce qui est abus passerait en définitive comme un usage, et jouirait des honneurs et des prérogatives de l’usage.

L’art. 410 du code pénal n’est pas abrogé, que je sache. Cet article est tellement positif que je ne conçois pas comment, en présence de ses dispositions, l’on a pu tolérer toutes ces loteries qui ont surgi l’une après l’autre.

L’art. 410 porte :

« Tous ceux qui auront établi ou tenu des loteries non autorisées par la loi, tous administrateurs, préposés ou agents de ces établissements, seront punis d’un emprisonnement de deux mois au moins et de six mois au plus et d’une amende de 100 à 6,000 fr.

« Dans tous les cas seront confisqués tous les fonds ou effets... mis en loterie. »

De la discussion que la loi a subie, en 1810, au conseil d’Etat en France, de la doctrine des auteurs et surtout de la jurisprudence des arrêts, il résulte à l’évidence que le but du législateur a été tout moral : il a eu en vue de combattre les penchants du peuple aux jeux de hasard. La loi atteint toute opération, simple ou complexe, offerte au public pour faire naître l’espérance d’un gain éventuel à obtenir par la voie du sort. Comment, après que la loterie génoise, la loterie hollandaise, ont été abolies par des considérations de morale publique, sera-t-il permis de venir offrir de nouveaux appâts à cet esprit de gain, à cette avidité d’obtenir, pour un mince enjeu, des lots d’une valeur bien supérieure ? Non.

Il ne peut en être ainsi ; ces loteries sont dangereuses. En voici le principal motif : c’est qu’il y a absence de tout contrôle ; personne n’est là pour s’assurer de l’applicat du produit des mises, personne n’est là pour assister officiellement au tirage des lots. Je n’entends accuser ni même soupçonner personne d’avoir, en ces circonstances, employé des procédés qui ne seraient pas loyaux, mais la possibilité seule du soupçon est un malheur.

De plus, ces loteries sont accessibles à tous. Qu’on ne dise pas que les classes aisées y prennent seules part. Il y a eu à Bruxelles une loterie de quatre-vingt mille lots, parmi lesquels il s’en trouvait d’une valeur de 2,500 à 3,000 fr.

On y voyait étalés des bijoux, des garnitures en diamants, beaucoup d’autres objets de grand prix, que l’on s’était procurés dans les premiers magasins de la ville ; il y avait des voitures, il n’y manquait plus que des chevaux. Qu’on ne dise plus que cela n’a pas présenté de danger pour d’autres classes que les classes aisées ; il est notoire qu’attirés par cet appât, des domestiques, des ouvriers même y ont pris part.

Des arrêts des cours souveraines ont condamné comme coupables du délit de loterie prohibée, ceux qui se livrent à de pareilles spéculations. Je ne vous en citerai que quelques uns. Dès l’année 1835, sous la date du 6 août, la cour de Bruxelles a jugé que l’article 410 était applicable à la vente d’un immeuble par séries d’actions, dont les numéros gagnant doivent être déterminés par un tirage. En 1836, un éditeur d’un ouvrage estimé s’avisa de mettre son ouvrage en souscription par voie de loterie avec une certaine somme à répartir à titre de prime entre les 300 premiers souscripteurs, la cour de Bruxelles a décidé que cela constituait le fait de loterie puni par l’article 410. Remarquez qu’un des considérants de cet arrêt de la cour de Bruxelles résume si bien ces principes, qu’il pourrait passer pour un traité complet sur la matière. Voici ce qu’il porte :

« Attendu que, si dans cette opération les souscripteurs ont quelque chose de certain et de fixe, il n’en est pas moins vrai que, d’un côté, c’est pour obtenir le taux de la souscription, que l’appelant a présenté à ses souscripteurs l’appât d’une prime, et que, d’autre part, ceux-ci ne sont censés avoir souscrit à ce taux, qu’en cédant à cet appât, qui cependant n’est pour eux qu’une chance de pur hasard, qui, selon le sort ou le tirage, doit ou non réaliser l’espérance qu’ils ont conçue et calculée, d’un gain en recouvrement de leur mise, et même d’un gain supérieur.

« Qu’une semblable opération présente tous les éléments qui caractérisent l’espèce de jeu de hasard, que la loi envisage comme loterie, et qu’elle proscrit comme dangereuse ou pouvant compromettre la bonne foi et la fortune des citoyens. »

Messieurs, il existe aujourd’hui sur ce point un relâchement complet de l’action publique, tandis qu’on a peut-être poussé les principes, à certaines époques et dans certaines circonstances, jusqu’au puritanisme. Un peintre, auteur d’un tableau assez remarquable, mais peu fortuné, conçut en 1838 l’idée de le mettre en loterie. Il s’était obligé de remettre à chaque souscripteur une lithographie du tableau. Il trouvait un léger avantage à placer son tableau de cette manière.

Chaque joueur était sûr d’avoir pour son enjeu au moins une lithographie. L’affaire fut déférée par le ministère public au tribunal de première instance, et portée jusque devant la cour d’appel ; le fait a été déclaré constituer une loterie prohibée par l’art. 410. Le tableau a été confisqué et le peintre condamné à l’amende.

Mais, dit-on, il n’y a pas identité de motifs entre ces différentes espèces et les loteries dont il s’agit, parce que ceux qui les établissent en consacrent le produit à des œuvres de bienfaisance, parce que le produit ne tourne jamais au profit de ceux qui les établissent. Cette objection croule devant le texte et l’esprit de la loi ; devant son texte, car elle ne fait aucune distinction ; devant son esprit, parce que c’est la malheureuse passion de se livrer à cette espèce de jeu de hasard que la loi a voulu proscrire.

Je crois devoir signaler cet abus parce que c’est, selon moi, un délit permanent que l’on tolère. Je dis que le but du législateur a été de ne pas permettre qu’un citoyen pût compromettre sa fortune, que la bonne foi des joueurs pût être mise en danger. L’art. 410 est conçu de telle manière que l’on doive naturellement se demander par quelle autorité a été donnée la permission d’établir ces loteries.

Cet article porte, en effet :

« Pour ceux qui auront établi ou tenu des loteries non autorisées par la loi, etc. »

La loi est le produit des trois branches du pouvoir législatif ; je ne crois pas qu’une seule loi soit émanée qui autorise les loteries dont il s’agit. Dira-t-on que la loi dans ce cas doit être prise dans le sens d’une autorisation du pouvoir exécutif ? Ce serait une étrange interprétation du mot loi. Je demanderai tout au moins à M. le ministre si une seule de ces loteries a été autorisée en vertu d’un arrêté royal ? Qui donc les a autorisées ? Est-ce l’autorité provinciale ? Est-ce l’autorité communale ? Vous voyez qu’il y a là absence complète d’intervention légale de la part de l’autorité.

Je pense, moi, qu’il faut une loi pour autoriser une loterie. L’opinion la plus large serait qu’il suffit d’une autorisation du pouvoir exécutif.

Sous le royaume des Pays-Bas, par suite des protestations énergiques et continuelles des députés des provinces méridionales au sein des états-généraux, la loterie génoise, cette source de tant de malheurs, fut supprimée. Restait la loterie par classes ; c’est le gouvernement provisoire qui, par un décret du 13 octobre 1830, l’a abolie. Le préambule de ce décret consacre le principe que j’ai invoqué : « Considérant que l’impôt des loteries est immoral et onéreux pour le peuple, etc. »

Croyez-vous que si le gouvernement provisoire n’avait pas entendu supprimer les loteries d’une manière absolue, il n’en eût pas autorisé l’établissement au profit des malheureuses victimes de la révolution ? Au lieu de cela, il a encouragé les souscriptions patriotiques, moyen qui concilie la bienfaisance avec la morale publique.

Messieurs, j’ai cru devoir signaler ces loteries prohibées, parce qu’à mon sens le ministère public ne peut pas attendre plus longtemps pour les faire cesser. Il faut que M. le ministre de la justice donne l’impulsion, il faut arracher à sa somnolence l’action publique, qui paraît ne pas s’occuper de ce danger réel.

Je pense, messieurs, que s’il est du devoir d’un ministre de la justice de tenir la main à la stricte exécution des lois, il est du devoir d’un bon et loyal député de signaler les délits qui se commettent et se perpétuent par l’espoir de l’impunité.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’art. 410 du code pénal punit les personnes qui tiennent des maisons de jeux de hasard, des loteries ; mais, messieurs, depuis plus de 13 ans on a toujours toléré les loteries, quand elles avaient pour but des actes de bienfaisance, ou bien quand on mettait en loterie des objets d’art. Cela est toléré depuis 1830, aucune réclamation n’a été adressée contre cette tolérance et je ne pense pas qu’il soit résulté le moindre abus de cet état de choses. Le but du législateur dont vous a entretenus l’honorable M. Orts, prouve que si le texte de l’art. 410 peut être appliqué aux faits signalés par l’honorable membre, ces faits n’entraient pas dans les prévisions du législateur, quand il a fait cet article. Car il a été rédigé dans un but de hante moralité, dans l’intérêt des classe pauvres de la société, pour empêcher l’établissement de loteries et de maisons de jeu présentant un appât trompeur, et où l’ouvrier, attiré par l’espérance d’un gain considérable, irait perdre le faible produit de ses peines et de ses travaux. Ce danger n’est pas à craindre dans les loteries signalées par l’honorable membre, car ce n’est pas animées pas la passion du jeu que des personnes généreuses viennent prendre des billets dans ces loteries dont le produit est destiné à des actes de bienfaisance.

Je pense donc que le but du législateur et l’esprit de la loi dont a parlé l’honorable M. Orts prouvent suffisamment que l’art. 410, sainement entendu, ne doit pas frapper des loteries de cette espèce.

Cette tolérance dont se plaint l’honorable membre ne date pas de mon ministère ; elle existe, comme je l’ai déjà dit, depuis 1830, et elle n’avait pas encore été signalée comme coupable à cette tribune. Du reste, je me suis déjà occupé de régulariser ce qui existe ; car je reconnais avec l’honorable préopinant que cette régularisation est désirable, qu’il convient de ne pas laisser subsister l’art. 410 du code pénal, dont le texte peut permettre d’entamer des poursuites évidemment contraires à son esprit. Un projet de loi est préparé ; il sera soumis au conseil des ministres : et nous verrons si, en présence des travaux qui nous restent à faire, nous pourrons nous en occuper pendant cette session.

Je ne puis satisfaire autrement au désir de l’honorable M. Orts, jusqu’à la présentation de cette loi. Je suivrai la même ligne de conduite qu’ont suivie tous mes prédécesseurs, et je ne croirai pas manquer à mon devoir en ne donnant au ministère public aucun ordre pour poursuivre les personnes qui s’occuperont d’organiser des loteries dans un but de bienfaisance.

L’honorable M. Orts a parlé de l’établissement de Ste-Gertrude ; il a dit que cet établissement ainsi que celui des Ursulines étaient en souffrance, par suite de ces loteries. Je ne pense pas que ces établissements soient en souffrance. Si celui de Ste-Gertrude a fait quelques plaintes, c’est à cause du retard qu’a éprouvé le subside qui lui est accordé annuellement par le gouvernement. Une difficulté s’est élevée à ce sujet, sous mon prédécesseur ; on avait demandé à l’administration de faire au règlement une modification à laquelle l’administration n’a pas consenti. Je n’ai pas cru devoir insister à cet égard. Un arrêté royal qui accorde 2,000 fr. à l’établissement de Ste-Gertrude a été pris récemment.

Je pense que les inconvénients signalés par l’honorable M. Orts viennent de la manière dont se répartissent les dons de la charité publique ; ils sont trop divisés ; et le défaut d’unité dans leur distribution est souvent cause de doubles emplois. Je tâche de porter remède à cet état de choses. J’espère atteindre ce résultat au moyeu d’un règlement qui a été fait au ministère de la justice et qui est ou sera incessamment soumis aux conseils provinciaux et communaux.

M. Castiau. - Je n’ai pas demandé la parole pour me mêler au débat qui vient d’être soulevé sur la légalité de l’application de la loterie à des actes de bienfaisance et de charité. Ma première inspiration est toujours en faveur d’institutions de cette nature ; c’était un besoin pour moi d’applaudir à toutes les manifestations de la charité publique, quelque forme qu’elles prennent. Cependant, l’honorable M. Orts a traité d’une manière si remarquable la question de légalité de ces loteries, qu’il en a presque ébranlé mes premières impressions. S’il est vrai qu’elles soient en contravention formelle avec la loi, et qu’elles donnent lieu aux graves abus qu’il a signalés, c’est à M. le ministre de la justice, c’est aux magistrats chargés de la répression des délits, qu’il appartient d’y pourvoir.

Cependant, je ne puis me faire à la pensée de voir porter des peines et des décrets contre la bienfaisance publique. La charité certes, dans ce siècle, a plus besoin d’être encouragée qu’effrayée.

C’est la vertu qu’on prétend manquer à notre société, rongée de toutes parts par l’égoïsme. Il n’est plus aujourd’hui qu’un sentiment qui domine tous les autres, la vanité et le calcul. Il n’est donc pas étonnant que, pour ranimer quelque étincelle de la charité antique, on en soit réduit à spéculer aujourd’hui plus que sur les vices du siècle.

C’est aussi, du reste, une question de charité publique que je viens examiner devant vous, en renouvelant mes instances et mes efforts, en faveur d’une classe de malheureux que déjà j’avais recommandés à votre sollicitude et à celle du gouvernement.

Il s’agit, dans l’article en discussion, d’accorder 120,000 fr. pour subsides extraordinaires à des établissements de bienfaisance et à des hospices d’aliéner.

Avant de voter ce chiffre, je voudrais que M. le ministre de la justice nous dît quelle partie de ce crédit sera affectée spécialement aux hospices d’aliénés. Il y a là en effet deux catégories d’établissements et de besoins ; pour l’avenir, il serait à désirer que cette dernière, sur laquelle je crois devoir interpeller M. le ministre, existât pour toutes les dispositions de son budget. Ce n’est qu’à cette condition qu’on pourra réaliser cette spécialité dont la cause a été plaidée au commencement de cette séance. Je voudrais donc, je le répète, que l’on séparât les établissements de bienfaisance des hospices d’aliénés, et qu’on affectât un crédit spécial à ces deux branches de la bienfaisance publique.

C’est pour la seconde fois que je viens vous signaler la situation déplorable des hospices d’aliénés dans le pays. M. le ministre de la justice doit connaître, mieux que personne, la gravité du mal, la situation fâcheuse, intolérable de ces établissements ; il doit savoir qu’ils sont dépourvus de tous les moyens curatifs, que les aliénés qui y entrent, n’en sortent jamais, et sont, par suite de l’absence de soins, frappés à tout jamais d’incurabilité.

M. le ministre de la justice, qui connaît la position déplorable de ces établissements, doit également connaître le moyen de mettre un terme à ce désolant état de choses ; ce moyen a été indiqué par la commission chargée d’examiner la situation des hospices d’aliénés, et d’en proposer la réforme. En présence du mal, avec le remède entre les mains, s’il persiste dans son système d’abstention, je me croirais autorisé à lui reprocher de manquer à sa première mission, au premier devoir de sa charge ; puisqu’ayant le remède dans les mains, il laisserait subsister toute la gravité du mal ! et qu’il ne pense pas pouvoir échapper à toute responsabilité, en se retranchant comme il l’a fait déjà, derrière l’économie de la dépense, dépense dont il a grossi le chiffre comme pour mieux épouvanter la chambre ; car il a élevé à 4 millions la somme présumée nécessaire pour la réforme du régime sanitaire des aliénés. En supposant que cette amélioration coûtât quelques milliers, quelques millions même de francs, la vie, l’intelligence, la raison de ces malheureux ne peuvent-elles pas être prises en considération, et ne doivent-elles pas peser dans la balance autant que les sommes qu’on refuse d’affecter à leur guérison ?

Et quand donc voyons-nous naître ces scrupules, ces alarmes de M. le ministre de la justice sur notre situation financière ? C’est quand il s’agit d’accomplir les devoirs les plus pressants de l’humanité et de la justice. Quand il s’agit, non plus des nécessités sociales, mais des exigences du luxe, quand il s’agit de créer des monuments et des palais, les scrupules et les alarmes s’évanouissent. M. le ministre est alors d’une facilité merveilleuse ; c’est ainsi qu’il est le premier à demander qu’on accorde à la ville de Gand un demi-million pour l’achèvement d’un monument, alors que le contrat fait avec la ville dégrevait l’Etat de cette obligation ; c’est ainsi qu’avec son nouveau crédit pour les tours, il veut vous lancer dans un système de restaurations artistiques, qui culmineront l’Etat dans une dépense non pas de 400,000 fr., mais de 4, de 6, de 10 millions peut-être, si nous voyons, comme nous en sommes menacés, défiler devant nous toutes les tours du pays pour les rétablir dans leur style primitif.

J’avoue qu’en ce moment le courage me manque pour continuer la critique que j’avais à adresser à M. le ministre de la justice la cause de ces réparations de monuments, la cause de l’art et du luxe artistique ont été plaidées devant vous au commencement de cette séance, avec une chaleur qui aura fait sur vos esprits une impression qui m’obsède moi-même en ce moment. On est venu plaider cette cause avec un langage magique, chaleureux, éloquent ; on a fait un appel à de magnifiques souvenirs ; on vous a parlé de la cathédrale de Cologne ; puis, comme par un coup de baguette, on a fait apparaître devant vous la tour de Malines qu’on aurait voulu voir se perdre dans les nues, pour devenir le monument le plus grandiose du monde. On vous a dit que ces monuments feraient la gloire de notre civilisation, l’honneur du pays, l’admiration de la postérité ! Ce sont là de grandes inspirations et de chevaleresques pensées. Mais si l’honorable orateur qui siège à ma droite, voulait descendre de ces hauteurs ou il a placé le débat artistique, s’il voulait abaisser son regard du ciel sur la terre, son enthousiasme se serait glacé à la vue de toutes les misères et des maux qui rongent notre société, on aurait vu à côté de ces monuments qui échauffent son enthousiasme des populations affamées, sans travail et sans pain ; souvent il aurait vu toutes les misères sociales qui se déroulent au sein de nos bureaux de bienfaisance, de nos hospices, de nos prisons et de nos bagnes ; et après avoir mesuré de la pensée et du regard la profondeur de toutes ces plaies hideuses cachées sous le luxe menteur de notre civilisation, il aurait peut-être renoncé à plaider en ce moment la cause de l’art pour s’occuper de nos besoins sociaux les plus pressants. Il aurait pensé, comme moi, qu’il est quelque chose de plus élevé, de plus saint encore que l’art, l’humanité ; comme moi, il aurait pensé que l’intelligence doit l’emporter sur la matière et que l’homme mérite bien qu’on lui donne le pas sur la pierre ou sur le marbre.

J’en reviens, après cette digression, motivée par les considérations éloquentes présentées par l’honorable M. Rogier, en faveur des dépenses artistiques ; j’en reviens à la modeste question de chiffres dont j’avais parlé en commençant.

M. le ministre de la justice a dit que les dépenses à faire pour l’établissement d’hospices d’aliénés s’élèveraient à quatre millions, et grèveraient le budget de l’Etat de cette somme. Il a puisé, a-t-il dit, cette évaluation dans le rapport des députations permanentes. Que ne consultait-il le travail fait sur cet objet par la commission spéciale ? S’il l’avait fait, il saurait que la dépense n’est pas de quatre millions, comme il la supposait, mais de 2,700,000 fr.

Et croyez-vous qu’il s’agissait de faire supporter entièrement cette dépense par le budget de l’Etat ? Non certes ; une partie de cette somme seulement retombait à sa charge.

L’entretien des aliénés, l’amélioration de leur régime étaient avant tout des charges communales. Aux termes de la loi communale, c’est à la commune d’abord à pourvoir à l’entretien des aliénés ; vient ensuite la province. Le gouvernement n’arrive qu’en troisième lieu, il ne s’agissait donc pas de faire porter sur le gouvernement la totalité de cette charge, mais de la répartir conformément à la loi, d’en faire supporter une partie par les communes, une partie par les provinces.

En supposant que l’Etat y eût mis quelque générosité, en supposant qu’il eût consenti à se charger du tiers de la dépense, il en résulterait que la somme à figurer au budget n’aurait plus été que de 13 cent mille fr. ; et il ne s’agissait pas de réaliser cette réforme comme par enchantement et en une année. On devait, au contraire, échelonner cette dépense sur plusieurs exercices ; une somme annuelle de 150,000 fr., si je ne me trompe, d’après les conclusions même de la commission, aurait suffi pour obtenir cette réforme si impatiemment attendue.

La commission, messieurs, avait même poussé la sollicitude plus loin encore. Prévoyant la difficulté que soulève en ce moment M. le ministre, elle avait indiqué un mode qui aurait été de nature à réaliser cette réforme sans grever, en définitive, le budget de l’Etat. Elle avait proposé l’émission d’un emprunt spécial qui aurait été hypothéqué sur les hospices projetés, et dont le remboursement se serait opéré par annuités pendant 30 ou 40 années, au moyen des bénéfices sur les frais d’entretien qu’il aurait suffi d’augmenter de quelques centimes. Ce n’était donc, en réalité, qu’une avance qui aurait été faite par le gouvernement.

Vous voyez, messieurs, si en présence de tous ces systèmes, si en présence de toutes ces combinaisons, la résistance de M. le ministre de la justice est légitime. Vous voyez s’évanouir maintenant ce chiffre effrayant de 4 millions. Il ne s’agit plus pour l’Etat que de supporter à peine la moitié de cette somme, répartie sur plusieurs années, et si l’Etat ne veut pas supporter cette charge, d’admettre une combinaison qui lui permettrait de rentrer, après un certain nombre d’années, dans les avances qu’il aurait faites.

Si, messieurs, j’insiste de nouveau, si j’insiste fortement pour que M. le ministre de la justice consente enfin à soumettre à la législature le travail de la commission, alors que le gouvernement l’aura revêtu de sa sanction, c’est parce que, ainsi que je l’ai dit, indépendamment de la question d’humanité, il y a ici une question de légalité qui touche aux droits de la liberté individuelle.

C’est qu’en effet la position des aliénés n’est maintenant entourée d’aucune garantie ; c’est que, comme je l’ai déjà énoncé dans cette enceinte, leur liberté est livrée à un arbitraire vraiment effrayant. M. le ministre de la justice s’est contenté de me répondre qu’on ne recevait les aliénés qu’avec l’autorisation des administrations communales et des conseils de famille. Mais M. le ministre de la justice est jurisconsulte. ; il doit savoir que l’intervention des conseils de famille n’a lieu que lorsqu’il s’agit de l’interdiction légale. Si M. le ministre de la justice veut prendre des renseignements, s’il veut faire le relevé des aliénés qui se trouvent dans les maisons de détention, il verra que les trois quarts, la presque totalité même, sont détenus arbitrairement, sans qu’il y ait eu autorisation d’un conseil de famille, sans qu’il y ait eu interdiction légalement prononcée.

Il ne suffit pas en pareil cas de dire que leur liberté est protégée par les visites que les procureurs du Roi peuvent faire dans ces établissements. D’abord, je ne sais si ces visites ont lieu, quels en sont les résultats, si elles sont obligatoires, à quelles époques elles se font. Dans tous les cas, il ne faut pas ici des garanties laissées à l’arbitraire de l’homme, il faut des garanties placées dans les dispositions protectrices de la loi.

C’est ce qui s’est fait en France. Ce régime dont M. le ministre de la justice fait l’apologie en ce pays, on a reconnu en France qu’il était arbitraire et dangereux. Une loi spéciale a été portée en 1838 pour prévenir les abus et les dangers de ces détentions arbitraires ; pour y parvenir, on a adopté une série de précautions et de garanties de toute espèce ; intervention des préfets, des sous-préfets, des présidents de tribunaux, des juges de paix, des maires des communes et des hommes de l’art. Rien n’a été épargné pour donner à la liberté individuelle une protection suffisante et pour la garantir contre les combinaisons immorales de la cupidité privée.

La Belgique fera-t-elle moins que la France pour la liberté individuelle ? Fera-t-elle moins qu’elle pour l’humanité ? J’espère que non, messieurs. J’espère que M. le ministre de la justice, touché par ces considérations d’humanité et de légalité, prendra enfin l’initiative et qu’il voudra signaler son passage au pouvoir par un acte qui laisserait un souvenir honorable de sa sollicitude pour l’une des misères humaines les plus dignes de ses sympathies.

M. Rogier. - Messieurs, je ne puis pas accepter l’hommage plus que bienveillant que l’honorable préopinant a bien voulu adresser à mes paroles de tout à l’heure. Les éloges qu’il a bien voulu me donner, je pourrais les lui renvoyer, et cette fois avec l’assentiment de la chambre. Car je pense que la chambre a vu avec grand plaisir ses rangs s’enrichir d’un orateur aussi remarquable. Il y a plaisir à rencontrer sur certaines questions un adversaire tel que l’honorable député de Tournay.

Mais si je ne puis accepter ses compliments trop flatteurs, je ne puis non plus accepter les reproches dont il a cru devoir les corriger.

Tout d’abord, l’honorable député de Tournay s’est posé dans cette enceinte, et je lui en sais gré, comme le défenseur, le protecteur des classes souffrantes. Cette politique est grande, est généreuse, et je ne puis, pour ma part, que m’y associer. Chaque fois que cette politique se présentera dans cette enceinte, non pas seulement par de beaux discours, par de magnifiques paroles, mais par des propositions immédiatement réalisables et praticables, oh ! je le répète, je m’y associerai de toutes mes forces.

Jusque-là, messieurs, que l’honorable préopinant veuille bien nous soutenir dans nos efforts aussi, alors que nous nous occupons d’améliorations d’un autre ordre. Oui, il faut améliorer le système de nos hospices, le système de nos prisons ; mais est-ce à dire qu’il faille laisser dépérir et nos églises et tous nos monuments nationaux. Ces monuments, messieurs, ont aussi le côté populaire. Si vous en doutez, essayez donc d’enlever à la ville d’Anvers le musée dont elle est en possession. Vous verrez jusqu’à quel point ce musée est compris, jusqu’à quel point il est aimé par le peuple, par les dernières classes du peuple.

Ainsi donc, messieurs, ne repoussons aucune amélioration, ni les améliorations qui ont pour but de conserver au pays ses monuments, ni les améliorations qui auraient pour but d’introduire des perfectionnements dans le système de nos prisons et de nos hospices.

Sans doute, il importe que le gouvernement s’occupe des besoins matériels de nos populations, mais il ne doit pas perdre de vue leurs besoins moraux. Je suis persuadé que l’honorable préopinant comprend ces besoins avec la même chaleur que les besoins purement matériels.

Je n’ai, pour ma part, jamais combattu les propositions qui avaient pour but d’introduire des améliorations du genre de celles dont il a parlé. Je le répète, que l’honorable membre veuille bien formuler quelques-unes des pensées généreuses qu’il a agitées, qu’il veuille bien, aidé de l’expérience administrative qu’il a pu acquérir dans ses fonctions de membre de la députation, nous présenter des projets de loi réalisables, et je serai trop heureux de les appuyer. Que si ces idées se faisant jour jusque dans le cabinet de MM. les ministres peuvent y fructifier, et sans amener des propositions de leur part, je les soutiendrai également ; je les soutiendrai, de quelque part qu’elles viennent.

Voilà, messieurs, ce que j’avais à répondre. Je n’ai rien trouvé, d’ailleurs, de malveillant dans les paroles de l’honorable préopinant. Je suis convaincu que ses opinions s’accordent en divers points avec les miennes. Il peut y avoir plus d’impétuosité, plus d’impatience chez l’un que chez l’autre, mais, je le répète, je suis convaincu que dans plusieurs des opinions exprimées par l’honorable membre, nous nous trouverions en parfait accord.

M. Desmet. - Messieurs, si j’ai quelque chose à envier aux belles expositions de Bruxelles, faites pour les pauvres, ce serait que nous ne les voyons pas avec une telle splendeur dans nos misérables campagnes des Flandres. Si nous avions le bonheur que des riches de Bruxelles vinssent verser leurs aumônes chez nos pauvres campagnards, je me garderai de m’en plaindre et de les critiquer, je m’empresserai au contraire de leur rendre grâce et de les remercier. Je ne dois plus traiter la question de droit qui a été soulevée par l’honorable député de Bruxelles, à l’occasion des expositions qui se font dans cette ville ; elle l’a été complètement par l’honorable ministre de la justice, et j’ai eu la satisfaction d’entendre qu’il ne sera pas question de poursuivre et de mettre en prison, ou le vénérable prêtre, digne imitateur de son immortel oncle, ou les nobles et charitables dames de Bruxelles.

Le but de l’exposition de la rue aux Laines n’avait certainement rien de vaniteux ; si elle a bien réussi, les pauvres ouvriers de la capitale y trouveront un plus grand profit pour leur enseignement et leur entretien, et si celle de la rue Ducale a le bonheur d’être couronnée de succès, ce sera certainement aussi un grand bonheur pour ces pauvres et innocents enfants qu’on désire conserver dans la bonne voie et préserver des tentatives qu’on fait pour les perdre. Je n’ai rien d’autre à dire sur les critiques qu’on vient de faire sur les expositions en faveur des pauvres, mais je fais des vœux pour que celle qui va s’ouvrir sous de si nobles et charitables auspices, puisse avoir une réussite complète ; et je pense que la chambre comme le gouvernement ne voient pas la chose comme l’honorable député de Bruxelles, qu’ils ne voudront assimiler les tirages des expositions de charité aux loteries de Venise, ou à celles qui ont lieu en Allemagne et à celles qui avaient lieu ici au commencement du règne précédent.

Messieurs, comme je viens de parler de la misère qui règne dans nos campagnes, et surtout puisque l’honorable député de Tournay a attiré l’attention du gouvernement sur les progrès du paupérisme, je dirai aussi un mot sur l’accroissement de la mendicité qui se fait remarquer dans nos provinces.

Je suis certain, messieurs, que le gouvernement est instruit de la misère qui règne dans nos campagnes des Flandres. Si j’en parle, ce n’est pas pour alarmer le pays, mais c’est parce que je crois qu’il y a un remède à cet état de choses.

Messieurs, cette misère est tellement grande que je puis assurer qu’il y a des localités où l’on voit par jour jusqu’à mille mendiants, qui viennent demander leur pain aux fermes.

Je citerai, par exemple, le district d’Audenarde et une partie du district d’Alost, et dans la Flandre occidentale je citerai le canton de Thielt, je pourrais même citer des quartiers de la province du Hainaut qui ont la même pauvreté.

Quand on remonte à la cause de cette indigence, on en trouve aisément le remède. La cause est le manque de travail ; les nécessiteux ne demandent que du travail, ce n’est pas comme dans d’autres pays où on demande le pain sans parler du travail. Mais comment pourrait-on ne pas avoir un manque de travail dans l’intérieur, quand la concurrence étrangère vient nous l’enlever et ôter le pain à nos malheureux indigents ? si donc vous voulez faire cesser l’indigence, procurez à ces malheureux du travail. Les deux Flandres, et surtout la Flandre occidentale, s’occupent des moyens de donner du travail aux pauvres habitants des campagnes ; des règlements ont été proposés pour organisés des comités de travail. Certainement les communes ne peuvent pas s’acquitter de cette tâche sans recevoir des subsides du gouvernement, et je crois que le crédit de 120,000 francs demandé au budget est beaucoup trop minime. Un crédit plus élevé permettrait aux communes des Flandres d’atteindre le but qu’elles se proposent ; les subsides du gouvernement viendraient se joindre aux subsides de la province, de la commune, du bureau de bienfaisance, aux produits des collectes que l’on fait dans le but d’arrêter la mendicité, et l’on obtiendrait ainsi les sommes nécessaires pour procurer du travail aux populations. Je citerai un exemple de ce qui se fait sous ce rapport : la commune d’Ardoye avait 700 pauvres, eh bien, en mettant ce système à exécution elle a pu donner du travail et du pain à tous ces malheureux, pendant l’année entière avec une somme de 2,800 fr. c’est-à-dire avec 4 fr. par tête. Cette commune a eu l’insigne avantage d’entretenir leurs nombreuses familles et en même temps favoriser le commerce national en fabricant de bons produits, cela s’explique, parce que les commissions de charité établies pour soigner le travail des pauvres, ont pris les moyens nécessaires pour faire bien fabriquer, et en fabricant de bons produits, elles ont aisément trouvé les moyens de les placer. Car il est constant que les bons fabricats se placent facilement.

Il y a autre chose à faire, messieurs, pour venir au secours des ouvriers des Flandres c’est de prendre des mesures pour assuma le marché du pays au travail national, pour empêcher que la concurrence étrangère vienne enlever à nos ouvriers le travail dont ils ont besoin.

Nous devons nous flatter qu’un jour, du moins, le gouvernement comprendra qu’il faut à tout prix conserver au pays son marché intérieur ; entre-temps nos ouvriers ne devront pas pâtir de la concurrence et c’est le seul moyen d’avoir des traités avec d’autres nations, car tous les pays ont le même intérêt d’agrandir leur marché, et il n’y en a pas qui suivent notre exemple, d’ouvrir nos barrières à des pays qui pour nous tiennent les leurs fermées.

Je le répète, messieurs, dans les communes ou les comités de travail sont organisés, on parvient aisément à secourir les indigents, et c’est dans ces circonstances que les ecclésiastiques, les curés des paroisses donnent de si beaux exemples et rendent de si éminents services à l’humanité souffrante et viennent en aide aux malheureux, en organisant des ateliers de travail. Aussi je verrais avec plaisir qu’on se dépêchât à placer des desservants là où il en manque, et que l’on n’ajourne plus à remplir les lacunes qui ne devraient pas exister. Car il est certain qu’ils rendent de très grands services, c’est en quelque sorte par eux seuls que le travail se donne dans nos communes, et aujourd’hui comme toujours, c’est encore ce digne clergé de Belgique qui, le premier, donne l’exemple de charité ; il met en œuvre le moyen qui est reconnu le plus utile pour arrêter les progrès effrayants du paupérisme.

On a parlé, messieurs, des aliénés ; certainement ce sont encore là des malheureux bien digues d’être secourus, surtout les aliénés des campagnes qui sont le plus à plaindre. Cependant je ne puis rentrer à cet égard dans les vues de l’honorable député de Tournay. Cet honorable membre voudrait que l’on exécutât le projet de la commission qui a été nommée pour faire un rapport sur cet objet ; je ne puis m’associer à ce vœu, non que je ne considère les vues de la commission comme excellentes, mais parce que je les crois impraticables, à cause de la dépense considérable qu’il faudrait faire pour les réaliser. Je pense en effet que dans le moment actuel les chambres seraient fort peu disposées à accorder pour ce seul objet une somme de 4 à 5 millions.

Remarquez bien, messieurs, qu’il existe en Belgique des établissements d’aliénés mieux organisés que ceux que l’on trouve dans d’autres pays. Je citerai, par exemple, la commune de Gheel ; les aliénés qui sont à Gheel reçoivent réellement tous les soins que réclame leur état et beaucoup d’entre eux guérissent. Une circonstance qui contribue puissamment à leur amélioration, c’est qu’ils sont presque toujours en plein air. Eh bien, messieurs, que devrait faire le gouvernement ? Il devrait, ce me semble, donner des encouragements à cette commune ainsi qu’aux différents établissements du pays où les aliénés sont bien soignés. Je citerai encore l’établissement de Velsicque, dans le district d’Alost, qui mérite également la bienveillance du gouvernement et qui ne demande qu’un subside modique pour pouvoir se maintenir.

Au lieu donc de construire de nouveaux établissements pour les aliénés, il me semble que l’on ferait mieux d’aider par des subsides et des conseils ceux qui existent, et ainsi les relever, les agrandir et les rendre plus propres à leur destination, et ici j’attire encore l’attention de M. le ministre de la justice sur l’intéressante ville de Gheel, qui rend de si éminents services à cette partie de l’humanité souffrante et où on rencontre tant de charité et peu d’inconvénients. Je lui recommande aussi ces établissements de charité où les aliénés sont si bien traités, mais qui ont aussi besoin des secours du gouvernement pour s’ériger sur une plus grande échelle et rendre de plus grands services.

J’appellerai aussi l’attention de M. le ministre de la justice sur un autre objet fort important. Je veux parler des enfants trouvés. Ces malheureux enfants, mis en nourrice dans les campagnes, sont extrêmement mal soignés. Très souvent les personnes à qui ils sont confiés donnent à leurs propres enfants les vêtements destinés à ces infortunés ; souvent aussi ce sont ces pauvres enfants qu’ils envoient mendier et auxquels ils font contracter ainsi des habitudes funestes.

Et qu’on ne me parle pas des inspections ! les inspections, si elles ont lieu, sont très mal faites ; elles n’amènent aucune espèce de résultat. Quand ces malheureux enfants sont arrivés à l’âge où ils devraient être à même de pourvoir à leurs besoins, ils en sont incapables, parce qu’ils sont mal élevés ; très souvent on n’en a fait que des vagabonds ou des mendiants.

Je recommande donc les enfants trouvés à l’attention du gouvernement, Il y a beaucoup à faire sous ce rapport. Je ne parle pas du rétablissement des tours, je ne voudrais pas qu’il y eût des tours trop nombreux, mais je voudrais que ces enfants fussent mieux soignés et mieux élevés. Oui, messieurs, j’ose bien le dire, je ferai des vœux pour la suppression totale des tours. Je n’y vois aucun avantage et beaucoup d’inconvénients. Ils favorisent le libertinage et l’immoralité. Ils ne font qu’augmenter les expositions, ils engagent, pour ainsi dire, les mères à exposer et abandonner leurs enfants. Ceci est prouve et démontré par les résultats, aussi des villes demandent la suppression des tours qu’elles ont chez elles. Mais si je demande la suppression des tours pour les enfants trouvés, je dois demander ensuite que le sort des enfants abandonnés soit plus soigné, que l’on prenne des mesures pour bien les élever et leur procurer une certaine éducation et les préparer à un état. Que le gouvernement prenne pour modèle un établissement crée et fondé par feu le chanoine Triest. J’ai dit.

M. Orts. - Messieurs, je n’ai qu’un mot à dire. M. le ministre de la justice à fort mal saisi ma pensée. Lorsque je me suis élevé contre les loteries, lorsque j’en ai présenté les dangers, je me suis bien gardé de blâmer les souscriptions en faveur des pauvres, souscriptions ouvertes ici dans la saison rigoureuse par le respectable clergé de Bruxelles lui-même, souscriptions auxquelles je rends hommage et auxquelles tous les hommes charitables s’empressent de s’associer. Certes, il a été loin de ma pensée de rien dire qui pût jeter de la défaveur sur ces souscriptions.

En ce qui concerne les loteries dont j’ai signalé les inconvénients, M. le ministre de la justice a cru me répondre en disant qu’elles n’offrent pas de danger parce que la classe peu aisée n’y prend point part. Je ferai remarquer à M. le ministre de la justice qu’il n’est pas au courant de ce qui s’est passé. Il m’est revenu que dans un seul atelier 30 ou 40 ouvriers ont pris part à une de ces loteries dont les billets étaient de un franc. C’était un franc qu’ils prélevaient sur leur semaine et dont ils privaient leur famille. il est certain que lorsqu’on peut, au moyen d’une dépense d’un franc, avoir la perspective de gagner un lot de 2500 ou 3000 fr., ce ne sont pas seulement les personnes aisées qui prennent part à ces loteries. Sous ce rapport donc le but du législateur subsiste ici dans toute sa force. Si M. le ministre de la justice ne voit pas qu’il y a ici abus, j’y vois, moi, plus qu’un abus, j’y vois un véritable danger pour la bienfaisance publique, qui, comme M. le ministre de la justice l’a dit, a grand besoin d’être organisée, pour atteindre le noble but qu’elle se propose.

- La séance est levée à 4 heures et demie.