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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 27 février
1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition demandant la suppression des avantages douaniers au
grand-duché par suite de son incorporation dans le Zollverein (Delfosse)
2) Projet de loi autorisant le gouvernement à effectuer le remboursement
des titres de l’emprunt de 100,800,000 francs
3) Projet de loi portant le budget
du département des travaux publics pour l’exercice 1844. Discussion des
articles. Tarifs du chemin de fer et péage du canal de Charleroy (Dumont), coûts d’exploitation, tarifs et rentabilité du
chemin de fer (Verhaegen, de
Mérode, Rogier, Dechamps)
(Moniteur belge n°59, du 27 février
1844)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à deux heures.
M.
Dedecker donne
lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est
approuvée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées
à la chambre :
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les fabricants et débitants de tabac et les cultivateurs de Rongy présentent des observations contre le projet de loi
sur les tabacs. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de projet de loi sur la
matière.
_________________________
« Le sieur Deprez, milicien de la commune de Boussu, se plaint d’avoir été
désigné pour faire partie de la classe de 1843, tandis qu’il a été incorporé
dans celle de 1842. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________________
« Le sieur Deham,
milicien de la commune de Boussu, réclame contre une décision par suite de
laquelle l’exemption du service qu’il avait obtenue se trouve annulée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________________
« Le sieur Ch. Van Waerbeek, blessé de septembre, réclame l’intervention de la
chambre pour obtenir une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________________
« Le sieur Lahaye
prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à être exempté de la milice
nationale. »
- Renvoi à la commission de pétitions.
« Plusieurs fabricants de Liége
demandent l’abrogation de la loi du 6 juin 1839, qui établit des tarifs de
douane particuliers en faveur des fabricants des parties cédées du Limbourg et
du Luxembourg. »
M. Delfosse. - La pétition dont on vient de donner l’analyse est signée par les
principaux fabricants d’étoffes de laine de la ville de Liège ; ils se
plaignent de nouveau de ce qu’on laisse en vigueur la loi du 6 juin 1839, qui
donne à certains industriels de la partie cédée du Luxembourg le droit
d’importer leurs produits en Belgique, en franchise de droits. Lorsque la
partie cédée du Luxembourg n’était pas comprise dans l’association douanière
allemande, cette loi avait un motif plausible ; sans cette loi, les industriels
de la partie cédée se seraient trouvés tout à coup sans débouchés, leur ruine
eût été immédiatement consommée ; mais aujourd’hui la position est tout autre,
le marché du Zollverein leur est ouvert, ils ont des débouchés beaucoup plus
étendus que les nôtres et il est étrange qu’ils puissent encore invoquer le
bénéfice de la loi du 6 juin 1839 ; ce qui, dans le principe, était un acte de
justice, est devenu un privilège que rien ne saurait plus justifier ; les
pétitionnaires prétendent, en outre, que l’exécution de la loi du 6 juin 1839
donne lieu à une fraude très active ; je demande, messieurs, que cette pétition
soit renvoyée à la commission des pétitions, et que celle-ci soit invitée à
faire un prompt rapport.
- La proposition de M. Delfosse est mise aux voix et adoptée.
RAPPORT SUR UNE PETITION
M. Desmet, au nom de la commission permanente d’industrie, présente un rapport sur
la pétition des facteurs de pianos qui réclament une majoration de droits.
- Le rapport sera imprimé et distribué. La discussion en sera fixée
ultérieurement.
PROJET DE LOI AUTORISANT LE
GOUVERNEMENT A EFFECTUER LE REMBOURSEMENT DES TITRES DE L’EMPRUNT DE 100,800,000 FRANCS
M. le ministre des finances (M.
Mercier) donne
lecture du projet de loi suivant :
(Le Moniteur reprend les 11 articles
d’un projet de loi autorisant le gouvernement à effectuer le remboursement des
titres de l’emprunt de 100,800,000 francs. Ces
articles ne sont pas repris dans la présente séance de la version numérisée.)
- Il est donné acte à M. le ministre des finances du projet de loi dont il
vient de faire lecture.
Le projet ainsi que l’exposé des motifs seront imprimés et distribués.
La chambre ordonne le renvoi du projet aux sections de février, qui s’en
occuperont, en même temps que du projet de loi sur le jury d’examen pour les grades
académiques.
Discussion des articles
CHAPITRE III. Chemin de fer et postes
Discussion générale sur
le chapitre III
M. le
président. - La
discussion continue sur le chap. III : Chemin
de fer. La parole est à M. Dumont.
M.
Dumont. - Messieurs,
j’ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l’honorable M. David, qui,
dans une séance précédente, a dit : « M. Dumont ne paraît pas avoir
interprété dans son véritable sens la loi du premier janvier 1834. »
Messieurs, je crois que cette loi est tellement claire qu’elle n’est pas
susceptible de plusieurs interprétations. Je vais avoir l’honneur de vous en
donner lecture. Je dois auparavant rappeler à l’assemblée que le district de
Charleroy s’est plaint de ce qu’on n’avait pas abaissé les péages sur les
canaux du Hainaut, et notamment sur le canal de Charleroy à Bruxelles, à l’égal
des péages établis sur le chemin de fer.
Voici ce que porte l’art. 1er de la loi du premier mai 1834 :
« Art. 1er. Il sera établi dans le royaume un système de chemin de fer
ayant pour point central Malines, et se dirigeant à l’est vers la frontière de
Prusse par Louvain, Liége et Verviers ; au nord par Anvers ; à l’ouest sur
Ostende par Termonde, Gand et Bruges, et au midi sur Bruxelles et vers les
frontières de France par le Hainaut. »
Vous remarquerez, messieurs, qu’il s’agit bien ici de péages, il s’agit de
ramener les péages établis sur les canaux du Hainaut, au taux des péages à
établir sur le chemin de fer.
L’honorable M. David interprète cet article d’une tout autre manière ; il
voudrait lui faire signifier que les péages sur les canaux du Hainaut, mis en
parallèle avec les péages du chemin de fer, doivent être réglés de telle sorte
que les dépenses totales de transport soient égales et sur les canaux et sur
les chemins de fer. Il me paraît impossible d’interpréter l’article de cette
manière. On ne peut comprendre le mot péages
dans un sens étendu, surtout lorsque, d’un côté, on joint les frais de
transport aux péages proprement dit, et que, d’un autre côté, il ne s’agit que
des péages proprement dits, de la rétribution à payer à l’Etat.
La loi de 1834 ne pouvait vouloir, sans
une injustice criante, ce que demande aujourd’hui l’honorable M. David.
Les canaux ont cet avantage sur les chemins de fer, que les frais de
traction y sont infiniment moindres que sur le chemin de fer.
La loi n’a pas pu vouloir déposséder les établissements qui profitaient des
canaux pour l’exportation de leurs produits ; les déposséder, dis- je, de cet
avantage qu’ils tenaient, non du gouvernement, mais de leur position.
Si l’on entend l’article comme il doit être entendu, je crois qu’il ne me
sera pas alors difficile de répondre au défi que l’honorable M. David m’a
porté, en disant ; « est-il bien sûr que l’honorable M. Dumont pourrait
nous prouver que le chemin de fer marche en dessous des canaux ? »
Je m’engage, messieurs, à vous faire cette preuve, bien entendu qu’il ne
s’agira que de la comparaison des péages proprement dits. Je pourrais faire
preuve aujourd’hui même ; mais je pense que cette discussion et les calculs que
j’aurai à présenter, trouveront mieux leur place lorsque la chambre s’occupera
du projet de loi sur les péages. En conséquence Je n’en dirai pas aujourd’hui
davantage sur ce point, à moins que je n’y sois ramené par la discussion.
M. Verhaegen. - Messieurs, on s’est occupé, à
l’occasion de la discussion du chapitre III, du matériel et du personnel du
chemin de fer. Il y a beaucoup à dire sur le personnel et sur le matériel. Je
ne dirai que quelques mots de la dernière branche du service, parce que
d’autres collègues s’en sont occupés spécialement, et je ne pense pas que M. le
ministre des travaux publics ait répondu à leurs observations. Je me bornerai,
messieurs, à fixer votre attention sur deux points importants.
On s’est plaint et avec raison des travaux énormes qu’on a été obligé de
faire en dehors des devis. On a ajouté des millions à des millions et cela par
suite de l’imprévoyance des fonctionnaires chargés de faire les études.
Des observations sérieuses ont été présentées à cet égard par mon honorable
ami M. Lys. Ces observations sont restées sans réponse : il est vrai, comme l’a
fait remarquer M. Lys, que certains travaux estimés à 4 ou 5 millions ont coûte
9 ou 10 millions, et pourquoi ? Parce que les études avaient été mal faites,
parce que les plans n’avaient pas été suffisamment médités.
Il est indispensable que M. le ministre des travaux publics entre dans
quelques explications sur ce point et rencontre les observations de l’honorable
M. Lys.
Il est un autre point qui se rattache en quelque sorte au matériel et
auquel M. le ministre des travaux publics n’a pas répondu non plus : je veux
parler de l’affaire relative au chemin de fer rhénan. L’honorable M. Lys a
révélé, quant à cette opération, des faits graves, il a demandé des
explications à M. le ministre des travaux publics, et ces explications n’ont pas
été données. Je désire que M. le ministre des travaux publics rompe le silence
et nous mette à même d’apprécier les résultats désastreux signalés par M. Lys.
Je dirai maintenant quelques mots du personnel, et ce point, messieurs,
mérite de fixer toute l’attention de la chambre.
L’honorable M. Desmaisières s’est chargé de justifier son arrêté du 8 avril
1843 ; cette tâche lui avait été laissée par M. le ministre des travaux publics
; mais à quoi donc se sont bornées ses observations ? Il a prétendu que l’arrête
du 8 avril n’était pas prématuré, comme l’avait dit l’honorable M. de Man ;
qu’au contraire cette mesure avait été prise au moment même où elle était
nécessaire.
Puis répondant à quelques autres objections, l’honorable M. Desmaisières a
voulu justifier l’administration du chemin de fer en invoquant ce qui se
pratique dans l’administration des finances ; mais c’est justifier un abus par
un abus. Quand il s’est agi du budget des finances, j’ai prouvé qu’il existe au
ministère des finances, quant à la répartition des emplois et des appointements
y attachés, un arbitraire effrayant, et j’ai lieu de croire que la chambre est
convaincue qu’il faut porter un remède à cet état de choses.
Les minima, les maxima, les augmentations d’appointements, les pensions
même entendus comme on les entend aujourd’hui, mettent le trésor public à la
merci du ministère des finances, et ce qui se rencontre dans cette
administration, se rencontre d’une manière plus caractérisée encore dans
l’administration du chemin de fer. M. Desmaisières, en justifiant
l’administration du chemin de fer, par l’administration des finances, a donc,
comme je viens de le dire, justifié un abus par un abus.
J’appelle l’attention de la chambre sur les art.
20 et 21 de l’arrêté du 8 avril 1843 ; et je pense que c’est surtout à ceux qui
veulent des économies, à prendre des mesures pour que le gouvernement ne puisse
pas à son gré disposer des fonds de l’Etat. Il faut que la législature
intervienne quand il s’agit d’établir les cadres des employés et de fixer les
appointements y attachés.
D’après l’arrêté du 8 avril 1843, pour l’administration da chemin de fer,
il est permis au gouvernement de faire tout ce qu’il juge à propos, sans aucun
contrôle ; aux termes de cet arrêté il a créé des inspecteurs, des sous-inspecteurs,
des contrôleurs, des fonctionnaires de toute espèce ; mais, qu’on ne le perde
pas de vue, en créant ainsi des emplois, en les multipliant, il grève le trésor
public. Or, peut-il appartenir au gouvernement, sans l’intervention des chambres,
de grever le trésor ?
Il me semble qu’il faut pour toute administration, pour l’administration
des finances comme pour l’administration du chemin de fer, pour toutes les
administrations, en général, ce qu’il faut pour l’ordre judiciaire.
Quoi ! pour adjoindre à un tribunal même de
troisième ou quatrième classe un seul juge que réclamerait le besoin du
service, il faut une loi ! et il appartiendra au
gouvernement, dans l’administration des finances et dans l’administration du
chemin de fer de nommer autant d’employés qu’il jugera à propos ! C’est la
conséquence de l’arrêté du 8 avril 1843.
Le gouvernement a établi des cadres de fonctionnaires, il les a établis par
arrêté royal ; de cette manière nous dépensons des millions par la seule
volonté du pouvoir exécutif ; les chambres n’auront bientôt d’autre mission que
de voter les voies et moyens.
Mais ce n’est pas tout : non seulement le gouvernement établit les cadres à
son gré, mais encore il fixe seul et sans l’intervention des chambres et les
appointements et les indemnités, par de simples décisions ministérielles, il
peut être alloué à un employé telles indemnités que le ministre juge à propos
de lui accorder en conséquence des articles 20 et 21 de l’arrêté qu’a voulu
justifier l’honorable M. Desmaisières.
(Erratum, Moniteur belge n°60, du 28
février 1844 :) L’art. 21 est ainsi conçu :
« Art. 21. Les indemnités pour frais de déplacement,
de séjour et de bureau sont réglées par dispositions ministérielles, d’après
l’importance des services. »
Ainsi un employé du chemin de fer aura en appointements fixes trois mille
francs, par exemple, et il dépendra du ministre, par simple décision
ministérielle, de doubler ces appointements en lui accordant une autre somme de
trois mille francs à titre d’indemnités. Voilà la portée de l’article 21.
Ce n’est pas tout, l’arrêté du 8 avril accorde, en outre, au ministre la
faculté de donner aux employés du chemin de fer un tantième du produit net des
recettes dans certaines circonstances qu’il lui sera permis d’arbitrer. L’art.
22 porte :
« Art. 22. Outre le traitement fixe, les fonctionnaires et employés qui
sont dans le cas d’exercer une influence marquée sur la balance des recettes et
dépenses, toucheront un tantième du produit net, conformément aux bases que
nous nous réservons de fixer ultérieurement, sur la proposition de notre
ministre des travaux publics. »
Avec cela, le gouvernement fait tout ce qu’il veut, il grève le trésor de
millions sans qu’il y ait le moindre contrôle de la part de la chambre. On fait
donc dans l’administration du chemin de fer ce qu’on fait dans l’administration
des finances. On laisse la faculté au gouvernement de doubler, de tripler les
appointements des fonctionnaires. Je le demande, cet arbitraire peut-il
continuer ? La chambre veut-elle abandonner la plus belle de ses prérogatives
alors surtout que de toutes parts on réclame des économies, que de toutes parts
on sent le besoin de venir, d’une manière efficace, au secours du trésor ? Que
devient notre intervention dans les affaires de l’Etat s’il dépend du
gouvernement de disposer à notre insu de sommes énormes et de réclamer plus
tard le bénéfice des faits accomplis.
Messieurs, il ne s’agit pas ici seulement de théories dangereuses, mais
l’exécution a suivi de près. Je vois, en effet, dans le compte rendu du chemin
de fer, figurer pour des employés de première et de deuxième classe, des
indemnités et des traitements variables, qui s’élèvent au même chiffre que les
traitements fixes. Que M. le ministre veuille bien nous dire pourquoi les traitements
variables doivent doubler les traitements fixes ? Autant vaudrait porter de
suite le traitement fixe à une somme plus élevé. Il est des fonctionnaires qui,
ayant un traitement fixe de 3,200 fr,, reçoivent en
outre, en indemnités, 2,800 fr., ce qui porte leur traitement à 6 mille fr.
C’est une manière détournée d’augmenter les appointements et de laisser au
gouvernement la faculté d’être favorable aux uns, défavorable et injuste envers
les autres. J’ai vu, d’après les détails donnés à la suite du rapport, qu’on
suit, dans l’administration du chemin de fer, la même marche que dans
l’administration des finances, Les petits employés sont toujours les plus mal
traités.
M. le ministre des finances (M.
Mercier) - C’est le
contraire.
M. Verhaegen. - Je parle du chemin de fer et j’ai
démontré qu’il en était également ainsi dans l’administration des finances.
M. le ministre des finances (M.
Mercier) - C’est le
contraire.
M. Verhaegen. - Je prie mon interrupteur de demander
la parole s’il a une réponse à me faire, mais de me laisser continuer.
Les appointements des petits employés restent au taux ordinaire, mais quant
aux employés supérieurs on les augmente au moyen d’indemnités et
d’appointements variables !
L’honorable M. Lys a donné, à cet égard, des détails précieux qui me
dispensent de vous en dire davantage.
Voulez-vous, messieurs, continuer cet état de choses, voulez-vous laisser
au gouvernement cet arbitraire effrayant ? Quant à moi je crois qu’il est temps
de l’arrêter.
L’honorable M. Peeters a indiqué un moyen à l’adoption duquel je concourrai
de tout mon pouvoir. Il vous a proposé de nommer une commission qui
s’occuperait de dresser un tableau comparatif de tous les traitements des
fonctionnaires dans toutes les administrations, pour l’administration des
finances, comme pour l’administration de la justice, pour l’administration du
chemin de fer, comme pour toutes les administrations sans exception on
retrancherait à ceux qui ont trop pour ajouter à ceux qui n’ont pas assez. De
cette manière il y aura ce qu’on appelle très bien de la justice distributive.
On veut, parce que nos finances ne sont pas dans un état prospère, que des
fonctionnaires d’une seule catégorie fassent des sacrifices ! Puisque nous
voulons faire des économies sur les traitements, pourquoi ne pas mettre chacun
dans la position dans laquelle il doit se trouver ? On a dans l’ordre
judiciaire des appointements tellement inférieurs à ce qu’ils doivent être, que
le magistrat qui les touche ne peut pas subvenir à ses premiers besoins. C’est
une vérité, aujourd’hui, reconnue de tout le monde. Depuis des années nous
réclamons et on ne fait pas droit à nos réclamations, sous le prétexte que la
position financière du pays ne le permettrait pas, et cependant des
fonctionnaires qui sont loin de pouvoir être comparés aux membres de l’ordre
judiciaire touchent d’énormes appointements. Est-ce de la justice ?
Mais s’il faut faire des économies, qu’on
les fasse, mais que tout le monde apporte sa part de patriotisme et de
résignation !
Si le trésor est dans un état tel qu’on ne puisse pas rétribuer les
fonctionnaires comme ils méritent de l’être, que tout le monde ait sa part dans
les sacrifices ; qu’ils ne soient pas imposés à la magistrature seule ! Qu’on
retranche à ceux qui ont trop, et qu’on ajoute à ceux qui ont trop peu. Ainsi
on fera un acte de justice distributive. C’est ce que demande l’honorable M.
Peeters, C’est ce que je demande avec lui.
Qu’on donne un tableau de tous les appointements sans exception, en un mot,
un tableau comparatif. Qu’à la suite de ce travail, un projet de loi règle
enfin la position de tout le monde.
Je désire, ainsi que je l’ai dit, en parlant du budget des finances, qu’on
en vienne enfin à cette position que je considérerai comme normale de fixer par
une loi les appointements des fonctionnaires de toutes les administrations sans
exception, et qu’on en vienne à ne plus permettre au gouvernement d’établir
d’avance, sans le concours de la législature, des cadres qui coûtent des sommes
énormes. Que le gouvernement prépare un projet de loi, et que la législature
statue, elle qui devrait être consultée pour toute organisation entraînant des
dépenses. Car, je le dis en terminant, comme je l’ai dit en commençant, si le
gouvernement peut établir des cadres, comme il l’entend, sans consulter la
législature, il disposera par cela même de sommes considérables, contrairement
au vœu de la législature.
J’appuie donc de toutes mes forces la proposition de l’honorable M.
Peeters. J’ose compter assez sur la justice et l’équité de la représentation
nationale, pour être assuré qu’elle portera un prompt remède à cet état de
choses, encourageant pour quelques-uns, mais désastreux et décourageant pour le
plus grand nombre ; car il faut avant tout de la justice distributive.
M. de Mérode. - Il est évident, messieurs, que la cause
principale des embarras du trésor est la création d’un trop grand réseau de
chemins de fer par l’Etat. Heureux les pays qui ne suivront pas notre exemple,
ils auront d’ici à peu d’années, comme nous ce moyen de transport rapide, mais
sans les dépenses énormes qui surchargent notre budget. Déjà M. le ministre des
travaux publics vous l’a dit. En Allemagne, beaucoup de chemins de fer existent
et les gouvernements n’y ont concouru que pour la garantie d’un minimum
d’intérêt et sur des lignes asses productives pour que ce minimum ne fût pas
atteint. Qu’on ne me dise donc plus : vous êtes l’ennemi des chemins de fer.
Assurément je ne puis être hostile à une belle invention comme celle-là ; mais
je regrette vivement l’application qu’on en fait en Belgique, parce qu’elle est
très mal entendue et funeste à la bonne gestion des finances. De plus, grâce
cette fausse application, on dérange dans le pays toutes les situations
industrielles et si l’on continue dans le même système on finira par
transporter à meilleur compte un ballot de marchandises de Liége à Bruxelles
que de Wavre à Bruxelles.
Avec un mode de construction de chemins de fer, confié aux sociétés
d’entreprises particulières, comme en Angleterre, en Allemagne, en France, les
travaux se seraient exécutés avec plus de justice distributive, les prix de
transport se seraient fixés plus équitablement. Car n’est-il pas d’une grande
injustice que l’on ne prenne en aucune considération, à l’égard de ces prix,
les frais d’établissement des diverses grandes sections et la nature plus ou
moins accidentée du sol qu’elles traversent. Sur les routes pavées les frais de
transport ne sont pas les mêmes dans un pays plat, ou dans un pays montueux. De
Chimay à Mons il y a dix grandes lieues pavées comme de Mons à Bruxelles ; eh
bien, l’on peut conduire, sur la seconde de ces routes, avec quatre chevaux, la
charge qui en exige six sur la première, où il faut franchir 52 montées. Sur
celle de Bruxelles à Malines il n’en faudrait que trois. Eh bien, lorsque la
nature, la situation des lieux donne aux divers transports d’un point à un
autre des avantages inégaux, l’Etat ne vient point à coups de millions au
secours des moins favorisés ; il fournit une route plus chère à parcourir aux
uns, moins chère aux autres en raison de la puissance des attelages qui leur
sont respectivement nécessaires à cause des irrégularités du sol, tandis qu’au
chemin dé fer de l’Etat on n’admet jusqu’ici malheureusement aucune
distinction. Ainsi l’on a accordé tout d’un coup aux industriels de Verviers
plus de 60 p. c. de rabais sur le transport des charbons de Liége et cela aux
dépens des industriels, des propriétaires de Wavre, de Chimay et autres,
éloignés des lignes de chemins de fer, qui ne peuvent plus soutenir la
concurrence avec les fers au coak, avec les bois
étrangers qui pénètrent au fin fond du pays, et ces personnes paieront
néanmoins, en impôts, leur part des trois ou quatre millions de déficit que
subit le trésor public par suite de la combinaison fatale qui a mis les chemins
de fer exclusivement à la charge des contribuables.
Mais le mal est-il sans remède ? Avec des ministres faibles, oui ! Avec des
ministres fermes et dévoués à leur devoir, non ! Quel devrait être le plan de
conduite d’un véritable directeur de l’exploitation des chemins de fer ? Il
devrait se dire à lui-même : J’administre une grande propriété de l’Etat, une
propriété qui lui coûte beaucoup, Je vais donc l’exploiter comme ferait un
autre propriétaire. Je vais sur chaque section combiner mes prix de la manière
la plus productive pour mon maître, pour la nation, mais pour la nation tout
entière qui a payé le prix de l’objet que je régis dans son intérêt, et non
dans l’intérêt spécial d’un certain nombre d’individus déjà suffisamment
avantagés par la proximité d’une voie extraordinairement facile et rapide de
communications. Partout j’accorderai un rabais sur les prix payés précédemment
dans chaque région, au moyen des route préexistantes (je ne parle pas, bien
entendu, des canaux), et de manière, je le répète, à procurer à mon commettant
le plus de bénéfice net possible. Telle sera ma règle, mon ferme principe,
principe dont je ne m’écarterai, par exception, qu’avec le consentement de la
représentation nationale, et en lui exposant nettement ce qu’il en coûterait à
la masse des contribuables pour en dévier.
Le proverbe : L’appétit vient en mangeant, vient se
confirmer à l’occasion du chemin de fer d’une manière frappante. Faire passer
le chemin directement par Liége, paraissait d’abord un très grand sacrifice. Il
a été fait. Croyez-vous qu’on s’en contente ? non. La
station actuelle ne suffit pas, il faut une station plus intérieure. On nous
arracha pour cela un million l’année dernière, et la ville elle-même finira par
se ruiner pour la satisfaction de quelques-uns de ses habitants auxquels rien
ne paraît jamais complet ; car lorsqu’eut lieu l’inauguration de la voie de fer
près Liége, on ne craignit pas de déclarer au ministre, que rien n’était fait
sans l’amélioration de la Meuse. Et cependant, à une lieue de Bruxelles, allez
visiter certains villages, vous vous perdrez dans les bourbiers, et là où l’on n’a
rien encore, on se plaint moins que là où l’on a tout à souhait. J’en conclus
que tout ministre qui se laissera dominer par les prétentions ne le épuisera jamais. Il doit donc chercher une règle, une
règle certaine d’intérêt général comme le plus grand revenu que puisse
recueillir le trésor public. Qu’il la cherche avec la même sincérité, le même
zèle que celui dont serait animée une compagnie-propriétaire, et bientôt nous
ne prélèverons plus sur d’autres ressources un déficit de trois à quatre
millions. Laissons aussi momentanément les chemins de fer de Jurbise et autres,
qui ne pressent point. Le temps viendra de les construire, j’aime à le croire,
mais n’imitons pas en travaux grandioses l’ardeur de Napoléon dans ses grandes
guerres. Sachons modérer le mouvement, ou nous nous ruinerons par soif de
richesses, comme lui par soif de conquêtes.
M.
Rogier. - Cette
discussion sur le chemin de fera déjà été bien longue. Je me bornerai donc à
quelques observations.
La discussion relative au tarif viendra plus à propos, ce me semble, dans
la discussion de la loi qui tend à accorder au gouvernement le droit de régler
les péages du chemin de fer, loi qui devra être renouvelée avant le 1er juillet
1844.
J’ignore si M. le ministre des travaux publics proposera de proroger cette
loi, ou s’il saisira les chambres mêmes du tarif du chemin de fer. Quant à moi,
je verrais avec plaisir les chambres se livrer à une discussion approfondie de
la question qui chaque année nous occupe inutilement, et arriver à ce résultat
si désirable : la fixité du tarif.
Il importe à l’industrie et au commerce de savoir à quoi s’en tenir. Trop
de lois et d’arrêtés successifs ont bouleversé toutes nos relations, tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur dans l’état actuel des choses, du jour au
lendemain l’industrie ne sait à quoi s’en tenir. Il dépend non seulement du
gouvernement, du ministre, mais d’agents inférieurs de changer le tarif, de
bouleverser ainsi toutes nos relations commerciales.
Un tel état de choses doit avoir un terme.
J’espère que M le ministre des travaux publics, soit qu’il saisisse les
chambres d’un projet de loi spécial, soit qu’il demande le renouvellement de la
loi qui autorise le gouvernement à fixer les péages du chemin de fer,
reconnaîtra qu’il est nécessaire d’adopter un tarif stable et définitif, qu’on
ne modifie pas du jour au lendemain ; ce qui est trop souvent arrivé au grand
détriment du commerce, de l’industrie et du trésor.
Mon but, en prenant la parole, est surtout de prémunir M. le ministre
contre des conseils que je considère comme dangereux, conseils réactionnaires
contre le tarif du chemin de fer. M. le ministre saura résister, je l’espère,
aux derniers conseils qui viennent de lui être donnés par M. le comte de
Mérode.
Cet honorable membre persiste à considérer le chemin de fer comme une
clause ruineuse pour le pays. J’ai déjà eu maintes fois l’occasion de démontrer
que le chemin de fer, même au point de vue fiscal peut devenir une entreprise
très avantageuse. Déjà, en examinant les choses de sang-froid, avec
impartialité, sans parti pris, sans antipathie, on peut dire que le chemin est
une bonne institution, au point de vue fiscal. Ses plus grands adversaires
reconnaissent qu’il rapporte 2 et 1/2 p. c. du capital engagé. Il ne fait que de
naître ; il n’y a que quelque mois qu’il a reçu son complément. A peine
vient-on d’en poser le dernier rail. Je le demande, quel est l’établissement
industriel qui, le lendemain de son achèvement, aux premiers jours de son
exploitation, rapporte 2 et 1/2 p. c. du capital engagé. Laissez le chemin de
fer vivre, se déployer librement, généreusement, et je ne mets pas en doute,
qu’avec le temps le produit ne s’élève facilement de 2 1/2 à 4 ou 5 p. c.
Je ne combats pas tous les conseils qui ont été donnés à M. le ministre. Je
m’associe à beaucoup d’observations qui ont été faites particulièrement en ce
qui concerne les économies et le contrôle. Je crois qu’il y aurait des
économies à effectuer, et que le contrôle pourrait s’étendre à beaucoup
d’objets aujourd’hui négligés.
Je dirai deux mots en passant des observations faites à tort, selon moi,
par l’honorable M. de Man, contre la régie du chemin de fer.
Il a confondu deux choses distinctes, les travaux en régie et la direction
de la régie. Ces deux choses sont tellement distinctes que la direction de la
régie a été précisément instituée pour contrôler les travaux en régie, qui
précédemment n’étaient soumis à aucun contrôle. Sous l’administration de
l’honorable M. Nothomb, il a été créé, sous le nom de régie, une administration
chargée de contrôler les travaux exécutés en régie, de payer à pied d’œuvre les
ouvriers qui concourent à ces travaux. Voilà l’origine de cette administration
qu’on attaque à tort ; car c’est par elle qu’est contrôlée l’exécution des travaux
en régie.
Cette direction de la régie pourrait rendre de grands services, en étendant
sous contrôle aux fournitures, Par une mesure prise sous mon administration, ce
contrôle devrait s’étendre à toutes les fournitures. J’ignore pourquoi cet
arrêté n’a pas reçu d’exécution. J’espère que M. le ministre voudra bien le
revoir ; j’attends de son impartialité un examen attentif de cette mesure.
Je donnerai les mains à toutes les économies sages et prudentes qui
pourront se faire. On vient de s’élever contre les traitements accordés à
certains ingénieurs du chemin de fer. Je n’ai à défendre, sous ce rapport,
aucun acte de mon administration. Je dirai seulement deux mots du personnel du
chemin de fer qu’on traite avec peu de bienveillance.
En même temps que le chemin de fer se développait, son personnel a dû en
quelque sorte s’improviser.
J’ai souvent, comparé ce personnel à une armée de volontaires, Il y a, dans
ce personnel, des hommes pleins de zèle et d’énergie ; il y en a d’autres qui
laissent à désirer. Ce n’est que successivement qu’on parviendra à discipliner
cette armée. Je ne doute pas que ce personnel ne forme un jour une
administration organisée aussi bien que les autres. Elle aura de plus
l’avantage de l’énergie, de la jeunesse qui manque à des administrations plus
anciennes. On a donc tort d’attaquer en général ce personnel. En effet, si on
envisage le chemin de fer, au point de vue de son exploitation, est-il en
Europe un chemin de fer qui offre plus de régularité et de sécurité que le
nôtre ? Sous ce rapport, notre railway laisse peu à désirer.
On a parlé du luxe des constructions. Parcourez les autres chemins de fer
vous verrez que nulle part les travaux ne sont plus simples, plus économiques
que les nôtres.
Quant à l’augmentation des devis primitifs, je n’ai pas à la défendre, elle
date d’une époque où je ne tenais pas les rênes de l’administration. Quoi qu’il
en soit, dans tous les pays où l’on a construit des chemins de fer, les devis
primitifs ont été dépassés. D’ailleurs, M. le ministre a parfaitement justifié
la cause des diverses augmentations. Pour ceux qui ne seraient pas suffisamment
édifiés sur ce point, je les renvoie au travail remarquable qui nous a été
distribué, et qui fait partie des publications de la commission de statistique.
Je partage l’opinion qui a été exprimée sur l’utilité des économies ; mais
je crois qu’il y aurait autre chose à faire pour rendre le chemin de fer
productif ; ce serait de l’utiliser, d’utiliser les forces immenses qu’il met
tous les jours au service de l’industrie, du commerce, des voyageurs. Souvent
ces forces ne sont pas utilisées. On pourrait accroître de beaucoup les
recettes, non par le tarif, mais par les transports, en leur accordant une plus
grande facilité.
Pour les marchandises, je dois dire que, pour le moment, je considère le
tarif comme très modéré, il est même plus bas que le tarif établi par moi et
contre lequel tant de récriminations s’étaient élevées. Nous parlons très
souvent dans cette enceinte de la nécessité de favoriser l’agriculture et le commerce.
Pour la plupart de nos industries, toute la question réside dans la facilité et
le bon marché des transports. Pour nos houilles, nos fers, nos chaux, nos
engrais, nos pierres, nos céréales, notre bétail, notre poisson, tous ces
objets principaux de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, c’est par la
facilité et le bon marché des transports que vous pourrez assurer leur
prospérité et leur extension tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le problème, messieurs, n’est pas si difficile ; l’exploitation du chemin
de fer n’est pas une mer féconde en écueils. Je crois que la grandeur de
l’entreprise exagère aux yeux de beaucoup de personnes la grandeur des
difficultés. Au fond l’administration du chemin de fer n’est pas une machine
très compliquée ; un grand nombre d’établissements industriels particuliers
supposent, suivant moi, beaucoup plus de complications.
Loin de repousser les voyageurs et les marchandises par des tarifs élevés,
il faut les attirer au chemin de fer par des tarifs modérés, et persister, en
l’améliorant, dans le système que l’on a suivi jusqu’à présent.
Il faut, messieurs, accorder des facilités à tous les transports par des
mesures de douanes sagement combinées. Il ne faut pas, par exemple, que nos
lois sur le transit et l’exécution de ces lois viennent entraver le chemin de
fer, dont un des buts principaux a été le transit.
Ainsi on se plaint que le chemin de fer ne
rapporte pas tout ce qu’il pourrait produire. Mais permettez-lui d’abord de
transporter tout ce qu’il peut transporter. Ne le privez pas du transport du
poisson, du transport du bétail, du transport de la fonte en transit. Voilà des
objets dont vous le privez et dont vous le privez d’autant plus imprudemment,
que quand ils ne sont pas transportés par lui, ils le sont par une autre voie,
par un pays étranger. Je citerai, par exemple, un chargement de poisson
d’Ecosse arrivé récemment à Anvers ; on lui a interdit le transit de la
Belgique, et le chemin de fer a été frustré d’un revenu considérable. Qu’a fait
le négociant à qui ce poisson avait été envoyé ? Il l’a fait passer par les
eaux intérieures de la Hollande, avec plus de frais pour lui, il est vrai, mais
avec perte pour le chemin de fer.
On m’a dit que le même résultat avait eu lieu pour les fontes en
destination de l’Allemagne. Dans le but de favoriser l’exportation des fontes
beiges, on a interdit le transit par le chemin de fer aux fontes anglaises, qui
ont transité par la Hollande.
Le bétail hollandais transite maintenant par notre pays. Eh bien ! quand on s’y opposera, il reprendra la voie d’autrefois ; il
ne passera plus par les Flandres, mais par Dunkerque.
J’aime à croire que M. le ministre des travaux publics s’occupe avec
activité de tous les moyens de rendre le chemin de fer productif. C’est sur ce
point que j’appelle son attention et j’espère qu’il saura à la fois imprimer
une direction énergique et intelligente à son administration, et s’opposer à
toute impulsion réactionnaire.
Du reste, messieurs, je voudrais que les partisans des tarifs élevés
fussent à même d’en faire l’application pendant trois mois. Je ne reculerais
pas pour ma part devant l’expérience ; et je suis convaincu que la réaction
sera telle que peut-être on arriverait à des tarifs trop bas.
Quoi qu’il arrive, messieurs, quoi qu’on fasse, je suis parfaitement
tranquille sur l’avenir du chemin de fer. Quelle que soit la passion avec
laquelle on l’attaque, quelle que soit l’injustice de ses détracteurs, quelles
que soient les défiances qu’il puisse inspirer même à des hommes de bonne foi,
le railway continuera sa marche en versant des torrents de bienfaits sur le
pays.
M.
le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, je crois aussi, comme
l’honorable M. Rogier, que la chambre doit prendre garde de se laisser aller à
ce qu’il a appelé une réaction contre le chemin de fer.
Le pays, messieurs, est maintenant préoccupé presque exclusivement de la
question financière qui prime toutes les autres. Cette question est immense
sans doute ; la force d’un pays tient en partie à son état financier. Notre
position financière est belle encore, meilleure sans aucun doute que celle de
la plupart des Etats qui nous environnent ; des imprudences, j’en conviens,
pourraient la compromettre.
Mais il faut aussi avec le même soin éviter de se laisser aller sur la
pente des réactions. En restant uniquement placé au point de vue de l’intérêt
financier, la Belgique pourrait compromettre d’autres puissants intérêts, elle
pourrait détruire ce qu’elle a créé avec tant de peine et ce qui lui a acquis
tant de gloire.
En effet, messieurs, il ne faut pas l’oublier : La Belgique, depuis 1830, a
crée dans l’ordre des faits matériels, deux grandes choses : le chemin de fer
et l’armée. Ces deux créations ont contribué beaucoup à faire respecter notre
nationalité à l’étranger ; elles ont fait croire en nous ; elles ont attiré
l’attention de l’Europe sur nous. N’allons pas nous dégoûter de ces résultats,
regretter les sommes que nous avons dépensées pour les obtenir ; je
considérerais cette réaction comme fatale, pour notre avenir, parce que ce
serait un symptôme de l’affaiblissement de l’esprit national.
Messiers j’ai aussi la conviction que notre chemin de fer ne peut pas
encore être apprécié. Ses dépenses sont connues, ses résultats ne le sont pas.
Le chemin de fer ne vient que de naître ; nous venons à peine de toucher à
l’une de nos frontières, et cependant, messieurs, les résultats sont déjà tels
que les espérances premières se trouvent déjà dépassées.
Sans suivre plusieurs honorables membres dans toutes les questions de
détail qu’ils ont soulevées, vous me permettrez, messieurs, d’envisager le
chemin de fer à un point de vue plus général.
Messieurs, les comptes rendus vous l’ont appris, la dépense moyenne par
lieues de chemin de fer exploitée, va tous les ans en diminuant.
Je veux le considérer sous le double rapport des dépenses, et des résultats
d’exploitation obtenus. J’examinerai si, sous ces deux rapports, le chemin de
fer est en progrès, ou si nous marchons à reculons.
En 1841, cette dépense moyenne par lieue exploitée, était de fr, 64,263
En 1842, de fr. 59,497
En 1843, elle a été de fr. 55,959.
L’administration du chemin de fer présente annuellement au ministre un
compte des dépenses annuelles et réelles de l’exploitation, qui diffère du
compte légal des dépenses, telles qu’elles figurent dans le compte-rendu.
Celle-ci est la comptabilité que j’appellerai légale ; elle se rapporte au
cadre du budget, aux imputations et aux registres, tels que la cour des comptes
les tient.
Un autre compte, que j’appellerai compte commercial, est fourni
annuellement au ministre par l’administration du chemin de fer ; c’est le
compte des dépenses qui ont été effectivement faites du 1er janvier au 31
décembre de l’exercice courant.
Dans le compte légal on procède d’une manière. Ainsi, par exemple, une
adjudication est approuvée le 31 décembre. Elle figure dans le compte légal
pour l’exercice qui expire, tandis que l’objet est consommé, que la dépense
réelle est faite dans l’exercice suivant. Eh bien ! voici
les résultats de ce compte commercial, de ce compte réel de l’exploitation du
chemin de fer pendant les années 1840, 1841, 1842 et 1843.
En 1840, la dépense moyenne par lieue exploitée, a été de fr. 56,162 95.
En 1841, 65,979 32.
En 1842, 65,812 32.
En 1843, 56,003 17.
Ainsi, messieurs, vous le voyez, la dépense totale par lieue de chemin de
fer exploitée, va tous les ans en baissant. Le résultat donc de l’exploitation
par rapport aux dépenses constate une amélioration progressive.
Il ne faut pas oublier, messieurs, que les dépenses d’exploitation au
chemin de fer doivent varier d’après le système même d’exploitation qui est
admis, et ce fait a été trop peu remarqué. Lorsqu’on isole la dépense de la
recette et qu’on l’envisage séparément, on obtient évidemment des résultats
complètement différents, selon que l’on a adopté un système d’exploitation à
rouages simples, comme en Angleterre, ou un système d’exploitation plus étendu,
plus utile, plus complet.
Dans le système d’exploitation adopté, par exemple, sur plusieurs des
chemins importants de l’Angleterre, et sur les chemins de fer de Lille, de
Valenciennes, l’administration ne fait que prêter la route et son matériel ;
elle ne fait en quelque sorte que le roulage, tandis qu’en Belgique nous avons
admis un système beaucoup plus utile, qui répond beaucoup mieux aux intérêts
des populations, du commerce et de l’industrie, mais qui amène une grande
complication dans les rouages administratifs, un personnel plus nombreux, et
dès lors une plus grande dépense, si vous isolez celle-ci de la recette.
Exploiter le chemin de fer à un point de vue purement financier, c’est
l’exploiter comme le font les compagnies anglaises. Le système des compagnies
anglaises réside dans la solution de ce problème : gagner beaucoup en
transportant peu. Pour réaliser ce système, elles ont admis des tarifs
usuraires et un mode d’exploitation qu’on a appelé, en Angleterre, désastreux.
L’Etat, messieurs, doit exploiter le chemin de fer, à un tout autre point de
vue, celui de l’intérêt général ; il doit mettre le chemin de fer à la portée
de toutes les industries. Le système d’exploitation qui donne le plus de
facilité aux voyageurs et au commerce, c’est le système des tarifs modérés.
Je crois, messieurs, que le mode d’exploitation adopté en Belgique est le
meilleur et que lorsque le temps aura permis d’en faire sortir tous les
résultats heureux, ce sera celui qui pour la Belgique, amènera la plus grande
recette.
Mais il n’en résulté pas moins que la dépense prise isolément est beaucoup
plus considérable que dans un système entrant dans moins de détails. Ainsi,
selon que vous adopteriez l’un ou l’autre des deux systèmes d’exploitation, les
art.1, 2, 8, 9, 10 et 11 du budget devraient être profondément modifiés.
Le service des transports figure au budget pour une somme de 575,380 fr. ;
les salaires d’ouvriers sont compris dans cette somme pour 408,000 fr. Eh bien,
messieurs, en Angleterre et sur les chemins de fer dont je vous ai parlé, les
dépenses de chargement et de déchargement, qui nécessitent un personnel
d’ouvriers considérable, sont à la charge des expéditeurs et des destinataires.
Cette dépense n’y est pas connue.
En Belgique cette dépense mise à la charge de l’administration monte à
350,000 fr.
Pour le camionnage, messieurs, les mêmes résultats peuvent être constatés.
Si l’on n’avait pas admis en Belgique ce système de camionnage, on pourrait
défalquer du budget une somme de 150,000 fr. que ce service exige.
Pour les frais de perception la différence en moins pourrait être évaluée à
une somme approximativement de 150,000 fr , parce que
la comptabilité pourrait être organisée sur un pied infiniment plus économique.
Le chapitre : Main-d’œuvre et fournitures, s’élève à 1,113,500
fr. Dans cette somme sont compris 1,381 ouvriers pour 821,000 fr. et dans ces
821,000 fr. les gardes-barrières figurent pour 35,700 fr. Or vous savez
messieurs, qu’en Angleterre, où les chemins de fer sont clôturés partout, où
ils ne traversent jamais les routes ordinaires à niveau, cette dépense n’existe
pas. Ainsi, messieurs, en résumant les divers chiffres que je viens d’indiquer
et qui n’existeraient pas au budget si nous avions admis un mode d’exploitation
autre que celui qui a été introduit, le budget pourrait être dégrevé de ce chef
de 1 million de francs.
N’oubliez pas non plus, messieurs, qu’on est habitué à demander au chemin
de fer des services qui sortent complètement de sa spécialité. Ainsi, par
exempte, le commerce réclame des bâtiments de douane dans les stations. Eh
bien, la dépense des bâtiments de douane dans les stations de Quiévrain, de
Courtrai, de Verviers, de Mons, de Liège, d’Ostende, de Bruxelles et de Gand ;
cette dépense montera à 800,000 fr, ; le chemin de fer
prendra à sa charge cette dépense, qui cependant ne devrait pas lui incomber.
Le budget du chemin supporte aussi pour le service des postes, une dépense
annuelle de 250,000 fr.
Ainsi, messieurs, vous le voyez, il ne faut pas, dans l’appréciation de
l’exploitation du chemin de fer, envisager la dépense d’une manière isolée, il
ne faut pas la séparer de la recette totale et des résultats obtenus. Je viens
de vous démontrer que, selon que vous adopteriez le système anglais ou celui
qui existe en Belgique, vous arriveriez à une différence de près de 1 million
et demi dans la dépense annuelle ; c’est plus du quart de la dépense totale.
Maintenant, messieurs, après avoir considéré le chemin de fer par le côté
des dépenses, après vous avoir montré la dépense moyenne par lieue exploitée
s’abaissant d’année en année, après vous avoir démontré que plus d’un quart de
ces dépenses tiennent exclusivement au système d’exploitation qu’on a, du
reste, bien fait d’adopter, permettez-moi de vous dire quelques mots des
résultats mêmes de l’exploitation. L’appréciation la plus exacte qu’il soit
possible d’en faire, c’est de se rendre compte de l’excédant de la recette sur
la dépense totale. Eh bien, messieurs, cet excédant a été par lieue parcourue :
En 1841, de fr. 5,88.
En 1842, de fr. 7,12.
En 1843, de fr. 9,60.
Ainsi, messieurs, si d’une part la dépense moyenne par lieue exploitée,
diminue successivement, l’excédant de la recette sur la dépense va, de son
côté, sans cesse en augmentant. Nous ne devons donc pas, en face d’un pareil
résultat, nous décourager. La marche peut paraître lente à quelques-uns, mais
elle est progressive.
Quels sont les résultats d’exploitation qu’une administration intelligente
tâche d’atteindre ? Des transports nombreux ; le meilleur emploi utile du
matériel et de la puissance locomotive ; la moyenne la plus élevée de voyageurs
par convoi, la répartition la plus favorable des voyageurs entre les trois
classes de voitures, la charge la plus complète des waggons ; les transports à
grande distance ; l’économie dans le combustible. Tout le problème de
l’exploitation se résume dans ces résultats à conquérir.
La première condition, c’est une grande masse de transports. Le chemin de
fer ayant beaucoup coûté, il faut, pour qu’il produise un intérêt élevé,
l’utiliser beaucoup. Des transports considérables voilà le moyen de réduire le
prix de revient, bien entendu en maintenant les tarifs à un taux sagement
rémunérateur.
Vous le savez, messieurs, il y a au chemin de fer des dépenses fixes, qui
restent à peu près les mêmes quel que soit le nombre de voyageurs ou la
quantité de marchandises transportés ; eh bien, plus les transports
augmenteront, plus ces dépenses, qui sont considérables se répartiront sur un
plus grand nombre de voyageurs et une plus grande quantité de marchandises,
plus les prix diminueront, plus les revenus s’élèveront.
Eh bien, messieurs, lorsqu’on se reporte aux prévisions primitives pour le
mouvement des transports, on voit les ingénieurs, MM. Simons et de Ridder évaluer le mouvement général des voyageurs par le
chemin de fer à un nombre de 23 millions de voyageurs transportés à un
kilomètre ; eh bien, sur les mêmes lignes, en 1842 le nombre des voyageurs
transportés à un kilomètre s’élève à 90 millions, c’est-à-dire à un nombre
quatre fois plus considérable que celui des prévisions primitives. Il ne faut
pas oublier, messieurs, que si l’on s’est trompé dans les devis de la
construction du chemin de fer, on s’est aussi trompé sur l’importance des
transports qui seraient effectués.
Pour les marchandises, le service a été naturellement lent à s’organiser ;
les habitudes commerciales n’étaient pas mises en rapport avec le chemin de fer
; ces habitudes devaient se créer ; le matériel était insuffisant. En 1838,
lorsque le service du transport des marchandises a été organisé, on a commencé
ce transport à l’aide de quelques waggons de marchandises, Eh bien, messieurs,
le transport des marchandises, dont on désespérait, il y a quelques années, ce
transport acquiert une importance sur laquelle on ne comptait plus. Ainsi, le
transport des marchandises figurent dans les recettes totales :
En 1837 pour 1 1/5 p. c.
En 1838 pour 5 1/4 p. c.
En 1839 pour 13 1/4 p. c.
En 1840 pour 23 3/4 p. c.
En 1841 pour 34 p. c.
En 1842, pour 36 1/2 p. c.
En 1843 pour 39 1/2 p. c.
En 1843, j’ai déjà eut l’occasion de le dire, messieurs, le transport des
grosses marchandises s’est élevé de 194,000 tonnes, chiffre de 1842, à 350,000
tonnes, et dans les mois de novembre et de décembre on a obtenu un mouvement de
plus de 40,000 tonnes de grosses marchandises par mois. Ainsi d’une année à
l’autre les transports ont plus que doublé.
Sans doute, messieurs, et je suis le premier à en convenir, ce transport,
considérable si on l’envisage d’une manière relative, est encore insignifiant
si on l’apprécie d’une manière absolue, c’est-à-dire au point de vue des
espérances légitimes que nous devons concevoir. Il est certain que, sur un
réseau de chemins de fer aussi étendus qui touche à tous les centres de
population, à tous les centres industriels, qui va se trouver au confinent de
toutes les lignes ferrées des pays étrangers, il est certain que, sur ce chemin
de fer, nous devons obtenir un mouvement bien autrement étendu encore.
Un des résultats que l’on peut considérer dès aujourd’hui, c’est la concurrence
que notre chemin de fer fait au Rhin.
Vous savez, messieurs, que c’était là le problème à résoudre. Cette
question était dominante en 1834 ; le but qu’on avait surtout en vue, c’était
de remplacer l’Escaut, c’était de récupérer une partie du marché de l’Allemagne
et de l’Europe centrale, que la Hollande nous avait enlevé. Eh bien, messieurs,
ce problème rencontrait à cette époque beaucoup d’incrédules ; on ne croyait
pas à la possibilité qu’un chemin de fer pût créer une rivalité sérieuse au Rhin.
Eh bien, le fait existe ; interrogez les chambres de commerce d’Anvers, de
Cologne et de Rotterdam, et elles vous diront que le problème de 1834 est
résolu. Non pas que je crois que nous allons anéantir la concurrence de la
Hollande, que nous allons être substitués à la Hollande pour tout le transit
qui se fait entre cette voie et l’Allemagne ; mais nous avons lieu d’espérer
que la Belgique deviendra l’intermédiaire entre les colonies libres et
l’Allemagne, et une partie de l’Europe centrale, comme la Hollande est
l’intermédiaire obligé entre ces contrées et ses propres colonies de Java.
En présence de ce fait capital, les plaintes et le découragement ne peuvent
pas nous être permis.
L’honorable M. Rogier vient de vous dire avec beaucoup de raison que ce qui
frappe, lorsqu’on étudie le chemin de fer, c’est l’immense force perdue, sous
le rapport de la puissance locomotive, de l’emploi du matériel, de la moyenne
des voyageurs dans les convois, de la moyenne du tonnage pour chaque waggon et
chaque convoi de marchandises.
J’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, messieurs, pour moi, tout le
problème est dans les moyens d’utiliser cette force perdue. La question des
tarifs sans doute est importante, les tarifs exercent toujours une grande
influence sur les transports au chemin de fer ; mais, selon moi, cette question
des tarifs qui a servi de texte à des controverses passionnées, est maintenant,
permettez-moi de le dire, un peu de l’histoire ancienne ; la question véritable
est le mode même d’exploitation. Nous avons certainement beaucoup à faire dans
cette voie, mais quelques chiffres vous démontreront que nous sommes aussi,
sous ce rapport, en voie d’amélioration.
En Angleterre, on a calculé que les neuf dixièmes de la force locomotive
étaient perdus, qu’un dixième seulement était utilisé. Nous sommes, à cet
égard, en meilleure position : en Belgique j’ai recueilli pour l’année 1843
quelques renseignements qu’il est utile d’étudier.
Ainsi, pour l’emploi utile des locomotives dans les premiers mois de
l’année 1843, je trouve que 49 locomotives étaient allumées par jour ; que le
parcours moyen de chaque locomotive allumée était de 19 lieues ; que chaque
locomotive allumée avait stationné pendant 4 heures 17 minutes et n’avait été
en course que pendant trois heures 10 minutes. Ainsi chaque locomotive n’avait
d’emploi utile qu’un jour sur 2 3/4.
Lorsque j’examine les résultats atteints sous ce même rapport pendant les
mois d’octobre et de novembre de la même année, j’obtiens les données suivantes
:
Pendant ces deux mois, 63 locomotives étaient allumées par jour ; le
parcours moyen était de 30 lieues ; les heures de stationnement n’étaient plus
pour chaque locomotive que de 1 heure 41 minutes, et le temps de la course même
de 5 heures. L’emploi utile était donc de un jour sur 1 9/10.
Le parcours moyen des locomotives tend à s’accroître ; le nombre d’heures
de stationnement diminue ; ce sont là des progrès dont il faut tenir compte à
l’administration.
On s’est souvent plaint du nombre exagéré de locomotives sur nos chemins de
fer. Eh bien, sous ce rapport encore, malgré la difficulté d’exploitation sur
un chemin de fer divisé en plusieurs branches distinctes, l’on constate qu’en
Angleterre il y a 3 1/2 locomotives par myriamètre ; en France, un peu plus de
trois et en Belgique un peu moins de trois.
Une des améliorations à apporter au chemin de fer est de faire augmenter, à
l’aide du système d’exploitation et des tarifs, la moyenne des voyageurs par
convoi.
Ainsi, messieurs, lorsqu’on songe que le nombre de places disponibles dans
un convoi de voyageurs est de 200 au moins, et que la moyenne des voyageurs par
convoi est de 80 à 100 voyageurs seulement, on est effrayé de l’immense force
perdue et qu’il serait possible d’utiliser : Du reste, il est à remarquer qu’à
l’étranger les chemins de fer se trouvent, à cet égard, dans une position même
inférieure. En Angleterre, la moyenne des voyageurs par convoi y est très
restreinte pour la plupart des lignes ; elle y varie de 50 à 80.
Messieurs, en 1840, notre moyenne de voyageurs par convoi était de 83 ; en
1841, de 92, et en 1842 de plus de cent. Ainsi, nous sommes encore là en voie
d’amélioration. Mais je conviens qu’il reste beaucoup à faire. Vous concevez
parfaitement que si cette moyenne était doublée comme elle pourrait l’être, les
dépenses n’en seraient pas sensiblement augmentées, et le revenu s’élèverait
considérablement.
Une des questions sur lesquelles l’administration a toujours les yeux
fixés, c’est la répartition des voyageurs dans les convois, ainsi, avec le même
nombre de voyageur dans un convoi, la recette peut doubler, selon que la
répartition des voyageurs est plus utilement opérée. Si les voyageurs en
waggons sont relativement beaucoup plus nombreux que les voyageurs en
chars-à-bancs et en diligences, vous pourrez arriver à un nombre très
considérable de voyageurs, mais à une recette presque nulle, tandis que, si ce
même nombre de voyageurs est réparti de manière telle que la moyenne des
voyageurs en waggons diminue pour faire monter celle des voyageurs en chars-à-bancs
et en diligences, vous arriverez à un résultat financier de beaucoup supérieur.
Eh bien, à ce point de vue encore, un progrès a été effectué depuis
quelques années.
En 1841, les voyageurs en waggons figuraient pour 64 3/4 p. c. ; en 1842, pour 65 1/2 p. c. ; en 1843, pour 62 p. c.
En 1841, les voyageurs en chars-à-bancs figuraient pour 27 1/2 p. c. ; en 1842, pour 25 p. c. ; en 1843, pour 28 p. c.
En 1841, les voyageurs en diligence figuraient pour 8 p. c.
; en 1842, pour 9 1/2 p. c. ; en 1843, pour 10 p. c.
La répartition des voyageurs tend donc à s’opérer d’une manière plus
fructueuse pour le trésor public.
Pour l’emploi utile des waggons, j’ai trouvé qu’en janvier et février de
l’année 1843, un waggon avec charge de 3,500 kil. n’était utilisé qu’une fois tous les six ou sept jours,
tandis qu’en octobre, novembre et décembre, chaque waggon était utilisé une
fois sur 3 1/2 jours. En d’autres termes, on a transporté à la fin de l’année,
avec un même matériel, deux fois autant de marchandises qu’au commencement de
l’année.
Une amélioration peut encore être constatée, sous le rapport des
marchandises. Ainsi, la charge moyenne des waggons en 1841, variait entre 2,100
et 3,100 kilogrammes par waggon ; en 1842, entre 2,600 et 4,000, et en 1843,
entre 3,600 et 4,100.
La charge complète était de 4,500 kil. : vous voyez que les résultats de l’exploitation sont tels que
ce maximum est prêt d’être atteint. Le compte-rendu vous a fait connaître que
l’économie sur le combustible a été pour 1843 de près de 300,000 fr.
J’arrive aux tarifs. Cette question est beaucoup plus difficile que
quelques-uns semblent se l’imaginer. Faut-il grossir les recettes en
restreignant les transports et en élevant les prix, ou bien en augmentant les
transports à l’aide de prix modérés ? La question est là.
Lorsqu’il s’agit de diminuer les tarifs, comme l’honorable M. David l’a
proposé, la question est ce savoir si le nombre plus grand de voyageurs et la
quantité plus considérable de marchandises peuvent compenser le déficit causé
par la baisse des tarifs, de même qu’en élevant les tarifs, la question est de
savoir si vous ne repoussez pas les transports. Vous voyez donc que la théorie
est ici de peu de secours ; l’expérience, les faits seuls doivent être écoutés.
Vous le savez, messieurs, les tarifs belges sont les plus modérés qui
existent ; il sont de deux tiers plus bas que les
tarifs anglais ; ils sont d’un tiers moins élevé que les tarifs français.
Aussi, et l’honorable M. Rogier vient de le reconnaître, les tarifs actuels,
pour les marchandises, doivent être considérés comme des tarifs modérés
seulement, comme on a procédé par essais, par tâtonnements, et l’on devait le
faire, ces tarifs ont besoin d’être coordonnés.
M. Rodenbach. - Vous n’avez pas de transports.
M.
le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Les tarifs modérés et les tarifs élevés
ont été tour à tour admis en Angleterre, et lorsqu’on interroge cette
expérience, le doute seul vous répond. Ainsi, en général, en Angleterre, les
administrations des chemins de fer ont eu une tendance à relever leurs prix. Si
je dois constater une erreur dans laquelle est tombé un savant ingénieur
français, Merlies, qui a cru remarquer en Angleterre
une tendance générale vers la modération des tarifs. Cela n’est vrai que
relativement. Les compagnies ont baissé leurs prix dans le but d’écarter toute
concurrence, mais quand la concurrence a été anéantie, on a vu la plupart des
compagnies rehausser démesurément leurs tarifs et arrivé, comme je l’ai dit, à
des taux usuraires. Ainsi pour le chemin de fer de Birmingham, le Grand
Jonction, le Great Western pour les chemins de fer les plus importants et les
plus productifs, les compagnies ont successivement augmenté le prix des places.
La compagnie du chemin de fer de Grand Jonction avait vu ses actions monter
de 100 à 240 ; cela ne l’empêcha pas d’élever le tarif de 20 à 30 p. c. et elle
parvint à accroître ainsi proportionnellement ses revenus.
Des résultats contraires ont été obtenus par d’autres administrations de
chemin de fer dans le même pays. Ainsi le chemin de Glastow
à Greenoch a opéré une diminution des deux tiers dans
les prix de ses tarifs et la recette en est considérablement accrue. Pour le
chemin de fer de Dublin à Klingstown une diminution
de prix très considérable a été effectuée et les autres actions qui, avant la
diminution, étaient de 18 1/2 p. c. au-dessous du pair se sont élevées à 16 1/2
au-dessus. Ainsi l’expérience en Angleterre ne nous dit absolument rien. Pour
certaines administrations une élévation de tarif a produit une augmentation de
recettes, pour d’autres une diminution de tarif a amené un fait analogue.
Vous voyez donc que d’autres circonstances influent autant que les tarifs
sur les transports et les recettes. En Belgique des expériences nombreuses ont
été faites. L’honorable M. Nothomb, en 1839, a essayé d’élever les prix des
waggons de 12 1/2 centimes à 20. Quel a été le résultat immédiatement obtenu ?
C’est que les waggons ont été abandonnés ; les transports ont subi une
dépréciation considérable. Sous le tarif du 10 avril on a essayé une diminution
trop brusque aussi ; le nombre des voyageurs a augmenté, mais la recette a
baissé. Depuis on a cherché par des tâtonnements et des essais à trouver des
tarifs intermédiaires les plus favorables aux transports et aux revenus. Les
produits de ces expériences continuent à être étudiés, mais tous les faits nous
prouvent qu’il ne faut tenter les modifications aux tarifs que d’une main
prudente.
Pour le transport des marchandises, le tarif, comme l’a reconnu l’honorable
M. Rogier, est modéré et même plus bas en somme que celui du 10 avril, à cause
des modérations de taxe qu’on y a introduites. Ce tarif pour les grosses
marchandises varie de 30, 40, 45 et 50 centimes, ce qui démontre que ce tarif
n’est pas trop bas, l’honorable M. Rodenbach vient de le faire remarquer en
m’interrompant, c’est qu’il n’a pas attiré une bien grande affluence de
transports sur le chemin de fer. Toutefois le mouvement va croissant, mais seulement
dans une mesure proportionnelle et successive.
Messieurs, pour moi la question est donc plus encore dans le mode
d’exploitation, dans les facilites à accorder aux transports, que dans le tarif
lui-même. Ainsi un fait peut être cité : le tarif du chemin de fer entre
Charleroy et Namur est beaucoup plus modéré que le transport par la Sambre. Le
transport sur le canal de Charleroy, entre Charleroy et Bruxelles à certaine
époque de l’année est beaucoup plus cher que ne l’est le tarif du chemin de
fer. Cependant le chemin de fer n’a pas fait de transport de houille entre
Charleroy et Namur, ni entre Charleroy et Bruxelles. D’où cela vient-il ? De ce
que les habitudes commerciales ne sont pas encore mises en harmonie avec les
transports du chemin de fer. Les transports se font à des prix modérés de
station à station, Mais on n’a pas encore créé pour le chemin de fer des
correspondants et des affluents.
Le problème à résoudre, c’est de mettre toutes les localités du pays en
rapport immédiat, régulier avec le chemin de fer. Cette question prime pour moi
de beaucoup celle des tarifs. Mon attention est portée sur ce point ; j’ai
l’espérance de pouvoir saisir la chambre d’un projet qui aura pour but la
réalisation de cette pensée. Si l’on parvient à mettre les centres de
population et d’industrie mieux en correspondance avec le chemin de fer, les
transports augmenteront dans une proportion très considérable. En 1841,
l’honorable M. Rogier a parfaitement compris cet état de choses, quand il a
institué le système de camionnage.
Il a voulu supprimer des intermédiaires ruineux placés entre l’expéditeur
ou le destinataire et le chemin de fer. L’organisation était-elle bonne ? Les
prix n’étaient-ils pas trop bas ? Le camionnage ne devait-il pas rester
facultatif ? Ce sont là des points d’exécution que je n’examine point, mais le
principe était un perfectionnement qui doit servir de point de départ à
beaucoup d’autres.
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.