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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 30 avril 1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition de bateliers contre le système des droits différentiels (Lesoinne)
2) Projet de loi sur les loteries
(article 410 du code pénal)
3) Interpellation sur l’enregistrement
en débet de l’acte de vente de la forêt de Chiny (Delfosse,
Smits, Delfosse, Smits, de Garcia, Delfosse, de Theux, Mercier, de Theux, d’Huart, Mercier)
4) Conclusions de la commission
d’enquête parlementaire (commission « de Foere »). Formation du
comité secret
(Moniteur
belge n°122, du 1er mai 1844)
(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance la rédaction en
est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Les sieurs Masion
fils, Benoît Lalleur et Chainaye-Discry, commissaires de l’association des bateliers de la
Meuse, présentent des observations contre l’adoption d’un système des droits
différentiels. »
M. Lesoinne. -
Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion des
conclusions de la commission d’enquête parlementaire.
- Cette proposition est adoptée.
_________________________
« Le sieur Laureys,
ancien militaire congédié pour infirmités contractées au service, demande une
pension. »
- Renvoi à la commission de
pétitions.
_________________________
La commission d’agriculture de la
province de Liége adresse à la chambre 100 exemplaires de son rapport sur le
défrichement des bruyères et landes.
- Distribution à MM. les membres de
la chambre et dépôt à la bibliothèque.
PROJET DE LOI SUR LES
LOTERIES (ARTICLE 410 DU CODE PENAL)
M. le ministre de
la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, le Roi m’a chargé de présenter à la chambre un projet de
loi sur les loteries, pour régulariser ce qui s’est fait jusqu’à présent par
tolérance et pour maintenir du reste les dispositions de l’art. 410 du code
pénal.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre
de la justice de la présentation du projet de loi qu’il vient de déposer. Ce
projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux
membres et renvoyés à l’examen des sections.
M. Delfosse. - Vous vous souvenez probablement, messieurs, que j’ai, à l’occasion
de la vente de la forêt de Chiny, reproché deux choses à l’honorable M. Smits,
ministre des finances à l’époque où les faits dont j’ai entretenu la chambre se
sont passés. J’ai reproché à l’honorable M. Smits, en premier lieu, d’avoir
violé la loi et posé un acte préjudiciable au trésor en accordant des délais pour
le payement des droits d’enregistrement qui s’élevaient à environ 200 mille
francs. Je lui ai reproché, en second lieu, d’avoir laissé enregistré au droit
fixe de 5 fr., le jugement par défaut qui avait prononcé la résolution de la
vente, alors qu’il y avait lieu de percevoir un nouveau doit proportionnel égal
au premier, c’est-à-dire, s’élevant, comme le premier, à environ 200,000 fr.
L’honorable M. Smits nia d’abord que
ces mesures eussent été prises par lui ; mais bientôt, reconnaissant qu’il en
était l’auteur, il prétendit qu’il avait agi dans l’intérêt du trésor, qu’il
avait posé un acte de bonne administration.
Pour mettre la chambre à même
d’apprécier les faits et de décider qui avait raison de l’honorable M. Smits ou
de moi, je priai M. le ministre des finances de présenter un rapport sur cette
affaire avec les pièces à l’appui. M. le ministre des finances, se conformant à
ma demande, a présenté ce rapport dans la séance du 19 janvier dernier. Mais il
fut trouvé incomplet. Il gardait le silence sur le fait qui avait le plus de
gravité, sur l’arrêté par lequel l’honorable M. Smits avait accordé un deuxième
délai.
Un rapport supplémentaire fut demandé
et obtenu. Les deux rapports out été insérés au Moniteur, ainsi que plusieurs pièces du dossier. Ceux qui ont lu
ces pièces doivent être convaincus que le jugement que j’avais porté sur les
actes de l’honorable M. Smits était loin d’être trop sévère. C’est ce que je
tiens à vous démontrer.
Permettez-moi d’abord de vous
rappeler les faits en peu de mots.
Avant 1830, le comte de Geloës avait acquis du gouvernement les forêts de Chiny et
Orval pour une somme d’environ un million de francs. Il avait obtenu des termes
pour le payement du prix. A l’expiration de ces termes, le prix n’étant pas
acquitté, l’honorable M. d’Huart ordonna des poursuites pour faire prononcer la
déchéance, pour faire rentrer l’Etat en possession des domaines vendus. En
1840, l’honorable M. Mercier, ministre des finances, fit cesser les poursuites,
consentit à relever l’acquéreur de la déchéance qu’il avait encourue, moyennant
le payement de la partie du prix qui restait encore due. Ce payement fut
effectué par une société que le comte de Geloës était
parvenu à organiser pour l’exploitation des deux forêts. Mais bientôt après,
cette société n’ayant pas obtenu l’autorisation de se constituer en société
anonyme, fut dissoute. Un liquidateur fut nommé. Ce liquidateur, agissant de
concert avec le fondé de pouvoirs du comte de Geloës
et des créanciers hypothécaires, vendit les deux forêts à une maison de Paris,
pour une somme d’environ trois millions.
Il est dit dans l’acte de vente passé
à Paris que cet acte serait enregistré par les soins et aux frais des vendeurs,
en Belgique, avant le 10 février 1842. Le 9 janvier les vendeurs adressèrent une
requête au ministre des finances pour obtenir un délai de six mois, pour le
payement des droits d’enregistrement qui devaient s’élever, comme je viens de
le dire, à environ 200 mille francs. Ils offraient une caution qui paraissait
solvable et en outre le payement des intérêts du montant des droits, à raison
de 4 p. c. l’an. La seule raison qu’ils donnaient à l’appui de leur demande,
était qu’ils avaient fait rentrer des sommes très fortes au trésor, et qu’ils
ne pourraient obtenir le payement du prix de vente qu’après l’enregistrement.
L’honorable M. Smits accueillit cette
demande. L’arrêté par lequel il accorde le délai de six mois demandé par les
vendeurs pour le payement des droits d’enregistrement se fonde uniquement sur
ce motif que les vendeurs ont besoin de facilités, et que les intérêts de
l’Etat sont garantis par la caution offerte et l’engagement de payer les
intérêts 4 p. c. l’an. Voilà les seuls motifs que j’ai trouvés et que vous
aurez trouvés dans l’arrêté de l’honorable M. Smits.
L’acte fut enregistré le 30 mars
1842. Le délai accordé pour le payement des droits d’enregistrement expirait le
30 septembre de la même année. Le 30 octobre, les droits n’étant pas encore
payés, le département des finances ordonna des poursuites ; les intéressés présentèrent
une nouvelle pétition au ministre des finances, dans laquelle ils demandaient
un nouveau délai de six mois ; se fondant sur ce qu’ils n’avaient pas encore
reçu le prix de la vente ; l’honorable M. Smits laissa écouler trois mois avant
de répondre. Pendant les trois mois qui se sont écoulés entre la demande et le
second arrêté, M. Smits n’a pris aucune espèce de mesure. Par le fait seul de
cette inaction, il accordait un nouveau délai de trois mois aux intéressés.
Dans le courant de janvier
Dans l’intervalle entre la demande
d’un second délai et l’arrêté qui l’a accordé, un fait nouveau était intervenu
; le comte de Geloës avait intenté une action en
nullité de la vente, action fondée sur ce que le liquidateur et le fondé de
pouvoirs auraient excédé leurs pouvoirs ; et il avait obtenu le 16 décembre
1842 un jugement par défaut, rendu par le tribunal de Charleroy, qui prononçait
cette nullité. Bien qu’il s’agît d’une somme de 3 millions, les intéressés
n’avaient pas comparu.
Tels sont les faits. Un seul de ces
faits est imputable à l’honorable M. Mercier, non pas au ministre des finances d’aujourd’hui,
mais au ministre des finances de 1840, ce qui n’est pas tout à fait la même
chose. Les autres faits ont été posés par l’honorable M. Smits.
C’est l’honorable M. Mercier qui a
consenti à relever l’acquéreur de la déchéance que ce dernier avait encourue et
que l’honorable M. d’Huart avait fait prononcer. L’honorable M. Mercier a-t-il
bien fait ? On peut en douter. Les forêts d’Orval et de Chiny avaient reçu
depuis la vente qui en avait été faite au comte de Geloës,
un grand accroissement de valeur ; la preuve, c’est qu’on les a vendues en
1842, 3 millions, et vous savez que le comte de Geloës
les avait acquises pour un million environ. L’Etat, en se remettant en
possession, aurait donc fait une opération très avantageuse ; au lieu de
recevoir un million, il aurait repris des domaines qui en valaient trois.
J’ignore quelles sont les raisons
(car l’honorable M. Mercier. ne les a pas fait connaître) qui ont pu l’engager
à entrer dans cette voie.
L’honorable M. d’Huart qui connaît
cette question beaucoup mieux que moi, pourrait donner quelques
éclaircissements à la chambre ; j’espère qu’il le fera.
J’arrive à l’honorable M. Smits.
La première fois que j’ai parlé de cette affaire, j’ai dit que l’honorable M. Smits
avait violé la loi en accordant un délai pour le payement des droits
d’enregistrement. Que M. Smits ait violé la loi, c’est ce qui est évident.
C’est ce que l’honorable M. Mercier, dans son rapport, ne cherche pas à nier.
L’honorable M. Mercier n’aurait pu, sans se mettre en contradiction avec
lui-même, prétendre que la loi n’avait pas été violée ; car on m’a assuré (et
je tiens le fait pour certain) qu’un individu, se fondant sur le précédent
déplorable posé par l’honorable M. Smits, avait demandé un délai pour le
payement des droits d’enregistrement, et que cette demande a été rejetée par
l’honorable M. Mercier, par le motif qu’on n’eût pu l’accueillir sans se mettre
en opposition formelle avec la loi du 22 frimaire an VII. Il suffit, messieurs,
de lire les dispositions de la loi du 22 frimaire an VII pour avoir la
conviction que cette loi a été violée par l’honorable M. Smits.
L’art. 28 de cette loi porte :
« Les droits des actes seront payés
avant l’enregistrement aux taux et qualités réglés par la présente.
« Nul ne pourra en atténuer ni différer
le payement. »
L’art. 29 est conçu en des termes non
moins formels ; il porte :
« Aucune autorité publique, ni la
régie, ni ses préposés ne peuvent accorder de remise ou modération des droits
établis par la présente et des peines encourues, ni en suspendre ou faire
suspendre le recouvrement sans en devenir personnellement responsable. »
Il est évident que les deux
dispositions dont je viens de donner lecture ont été violées par l’honorable M.
Smits, quand il a accordé un délai pour le payement des droits
d’enregistrement.
Dans quelle loi l’honorable M. Smits
a-t-il trouvé des pouvoirs suffisants pour se mettre au-dessus de ces deux
dispositions de la loi du 22 frimaire an VII ? Certes, ce n’est pas dans la
constitution, car l’article 67 de la constitution porte :
« Il (le Roi) fait les
règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir
jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. »
Ce que l’honorable M. Smits a cru
pouvoir faire par arrêté ministériel, n’aurait pu, aux termes de l’art. 67 de
la constitution, être fait même par arrêté royal.
Il y a un autre article dans la
constitution, c’est l’art. 112 qui porte :
« Que l’on ne peut établir de
privilège en matière d’impôt. »
On a répondu à cela qu’il n’y a pas
eu de privilège, puisqu’il y a eu engagement de payer des intérêts. Mais je dis
qu’il y a privilège, chaque fois qu’on accorde à l’un ce que l’on refuse aux
autres.
L’honorable M. Mercier ne pouvant,
dans son rapport, justifier son prédécesseur du reproche d’avoir violé la loi,
a essayé de démontrer que tout au moins ce dernier avait agi dans l’intérêt du
trésor, qu’il n’avait pas cause de préjudice au trésor. Les faits qui se sont
passés depuis que l’arrêté de l’honorable M. Smits a été pris prouvent le
contraire.
En effet, si l’honorable M. Smits se
renfermant, comme l’honorable M. Mercier l’a fait depuis, dans les termes de la
loi du 22 frimaire an VII, avait rejeté la demande d’un délai ; s’il avait dit
: « Je ne puis accorder ce délai, parce que ce serait violer la
loi, » le droit aurait dû être payé au moment même de l’enregistrement, et
l’Etat ne se serait pas exposé au procès qu’il doit soutenir en ce moment pour
obtenir le paiement des droits. Il est bien plus sûr de se faire payer comptant,
que d’accorder des délais, même à ceux qui offrent les meilleures cautions ;
car une caution, solvable quand elle est acceptée, peut ne plus l’être quand il
s’agit de payer.
L’honorable M. Smits, en violant la
loi, a donc exposé l’Etat à un risque éventuel. Mais, dit-on, si le délai
n’avait pas été accordé, l’enregistrement n’aurait pas eu lieu, l’Etat n’aurait
rien perçu du tout ; il n’aurait pas perçu les 200,000 fr. sur la rentrée
desquels on peut compter, bien qu’il y ait procès. Voilà la grande raison qu’on
fait valoir en faveur de l’honorable M. Smits. L’Etat n’aurait-rien perçu donc
l’honorable M. Smits a fait acte de bonne administration, Voyons jusqu’a quel
point cette raison est fondée. Est-il vrai que si l’honorable M. Smits n’avait
pas accordé de délai, l’enregistrement n’aurait pas eu lieu. Par l’acte de
vente passé à Paris, les vendeurs s’étaient obligés à faire enregistrer l’acte
en Belgique, avant le 10 février 1842. Il y avait obligation formelle. Je vais
avoir l’honneur de donner lecture de la clause du contrat qui imposé cette
obligation aux vendeurs :
« Et MM. de Meulemeester
et de Cock, et dits noms s’obligent à faire réaliser
par acte authentique et enregistrer le présent contrat, le tout en Belgique,
d’ici au 10 février prochain pour tout délai, et cela à leurs frais, etc. »
Vous voyez, messieurs, que cela est
bien clair. Il y avait obligation formelle de faire enregistrer. Si le vendeur
ne remplissait pas cette obligation il se rendait passible de
dommages-intérêts, l’acquéreur pouvait le forcer à la remplir. La crainte de
l’honorable M. Smits, que, s’il n’avait pas accordé de délai, l’acte n’eût pas
été enregistré, est donc tout à fait chimérique.
Mais, dit-on, la vente n’était pas
parfaite ; cette obligation de faire enregistrer avant le 10 février, était une
condition suspensive ; la vente ne devenait parfaite qu’après l’accomplissement
de cette condition. Pour faire valoir de telles raisons, il faut ignorer les
premiers éléments du code civil, ou supposer que la chambre les ignore. Une
condition suspensive est celle qui dépend d’un événement incertain, d’un
événement qu’il ne dépend pas de la partie au profit de laquelle on s’oblige de
réaliser.
Ici, il dépendait de l’acquéreur de
réaliser l’événement, de forcer le vendeur à faire enregistrer et, si le
vendeur n’agissait pas, de faire enregistrer lui-même. D’ailleurs, il n’est pas
dit dans l’acte que la vente ne sera parfaite qu’après l’enregistrement. La
vente qui a été faite était une vente actuelle, une vente pure et simple et non
une vente conditionnelle ; l’obligation imposée au vendeur de faire enregistrer
en Belgique dans un délai donné ne peut certes être assimilée à une condition
suspensive.
Il y a plus, le gouvernement ayant
connaissance de l’acte de mutation passé à Paris, pouvait faire des poursuites
pour le payement des droits d’enregistrement.
Cela résulte de l’art. 12 de la loi
du 22 frimaire an VIII.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 12. La mutation d’un immeuble,
etc., sera suffisamment établie pour la demande du droit d’enregistrement et la
poursuite du payement contre le nouveau possesseur, soit par l’inscription de
son nom au rôle de la contribution foncière, etc., soit par des baux, etc., ou
enfin par des transactions ou autres actes constatant sa propriété ou usufruit.
»
Mais supposons un instant que cette
raison, la seule au moyen de laquelle on cherche à justifier l’honorable M.
Smits, soit valable. Supposons que s’il n’avait pas accordé de délai, on eût pu
craindre raisonnablement que l’enregistrement n’aurait pas lieu, que l’Etat
serait frustré d’une rentrée de 200,000 fr.
Cette raison, si l’on pouvait
l’admettre, serait bonne pour justifier le premier délai accordé par
l’honorable M. Smits, mais elle est sans valeur pour le second délai. Lorsque
le premier délai a été expiré, il y avait lieu à recouvrement, les droits
étaient dus ; il n’y avait aucune espèce de raison pour accorder un second
délai.
Mais, messieurs, l’on ne saurait trop
admirer la complaisance que l’honorable M. Smits a montrée pour les intéressés
; non seulement il leur accorde le délai qu’ils demandent, il leur en accorde
un beaucoup plus long ; au lieu de six mois qu’ils demandent, il leur en
accorde neuf. C’est le 15 octobre que les intéressés avaient demandé un second
délai, et c’est dans le courant de janvier que l’honorable M. Smits acquiesçant
à leur demande, fait courir ce second délai du jour de l’arrêté pris, et non du
jour de la demande.
Messieurs, l’honorable M. Smits
aurait dû être d’autant plus circonspect, que la vente pour l’enregistrement de
laquelle il y avait des droits à payer, venait d’être résiliée par un jugement
du tribunal de Charleroy. Ce fait venait compliquer la question. C’était une
raison pour ne plus accorder de délai et pour en finir.
On cherche aussi à justifier ce
second délai, mais cette fois on n’a plus la raison qu’on avait fait valoir
pour le premier. On dit : Les intéressés avaient encore besoin de facilités, et
c’est pour ce probablement qu’on leur a accordé des facilités plus grandes que
celles qu’ils demandaient. Mais si parce que quelqu’un a besoin de facilités,
on doit lui accorder un délai, tout le monde viendra dire qu’il a besoin de
facilités ; et que deviendra alors la rentrée des droits d’enregistrement ?
On dit encore : Il y avait une
opposition à craindre. C’est là une raison pitoyable. Ou cette opposition était
sérieuse, et vous l’auriez rencontrée neuf mois plus tard ; ou elle était
futile, et alors cette crainte ne devait pas vous arrêter. D’ailleurs, malgré
votre complaisance, on a fait opposition, puisque vous êtes en procès.
J’ai encore adressé, messieurs, un
autre reproche à l’honorable M. Smits, et ce reproche est aussi fondé que les
deux autres. Je lui ai reproché d’avoir laissé enregistrer au droit fixe de 5
fr. le jugement par défaut qui prononçait la résolution de la vente, alors
qu’il y avait lieu de percevoir un nouveau droit proportionnel.
En effet, messieurs, lorsqu’une vente
est faite, on paye un droit proportionnel. Si celui qui a vendu rachète
ensuite, aux termes de la loi du 22 frimaire an VII, et cela ne fait pas le
moindre doute, un nouveau droit de mutation doit être payé. Il est bien vrai
que le jugement par défaut avait prononcé la nullité de la première vente ;
mais comment ce jugement par défaut avait-il été obtenu ?
Il s’agit d’une vente de 3 millions ;
elle a été faite par le liquidateur de la société et par le fondé de pouvoirs
du propriétaire qui avait mis l’immeuble en société. Ces deux personnes
paraissaient réunir des pouvoirs suffisants pour opérer la vente. Néanmoins le
comte de Geloës assigne et le liquidateur et son
fondé de pouvoirs et les acquéreurs de Paris, devant le tribunal de Charleroy,
et personne ne se présente, on se laisse condamner. Le liquidateur de la
société formée par le comte de Geloës, son fondé de
pouvoirs, les acquéreurs se laissent condamner.
Mais il y a plus : quand ce jugement
par défaut a été pris, on acquiesce à ce jugement par défaut. On laisse
prononcer la nullité d’une vente de trois millions sans faire la moindre
résistance, puis on acquiesce au jugement. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela
signifie que le comte de Geloës d’un côté, que le
liquidateur de la société, le fondé de pouvoirs et les acquéreurs de l’autre,
étaient d’accord pour faire annuler la vente. Ils avaient probablement quelques
raisons pour faire repasser la propriété dans les mains du comte de Geloës, et ils avaient imaginé un moyen tout ingénieux
d’arriver à ce résultat sans payer un nouveau droit de mutation.
Que devait faire M. le ministre des
finances ? Il devait voir là un acte fait en fraude des droits de l’Etat ; Il
aurait dû ordonner des poursuites pour le payement d’un nouveau droit
proportionnel. C’est ce que M. Mercier a fait ; mais il la fait après que j’ai
eu attiré l’attention dé la chambre sur ce point.
Quand je n’aurais obtenu que ce
résultat des paroles que j’ai prononcées et du blâme qu’à regret et par devoir,
j’ai déversé sur l’honorable M. Smits, j’aurai lieu d’en être satisfait.
Vous me demanderez, messieurs, à quelles
conclusions je veux arriver, et dans quel but j’ai présenté mes observations.
Messieurs, il y a pour un ministre
trois espèces de responsabilité. Il y a là responsabilité fort grave qui
conduit un ministre devant la cour de cassation. Celle-là est réservée pour des
cas extrêmement rares, et je n’en demanderai pas l’application contre
l’honorable M. Smits. Je ne demanderai pas, pour me servir d’une expression
employée dans une discussion récente, qu’on imprime quelque chose sur la peau
de l’honorable membre.
Il y a une autre responsabilité :
c’est la responsabilité pécuniaire qui serait ici applicable, si l’on exécutait
la loi du 22 frimaire an VII. L’art. 59 de cette loi dit formellement que l’on
ne peut suspendre ou faire suspendre le recouvrement des droits, sans en
devenir personnellement responsable. Mais pour qu’il y eût à invoquer cette
disposition, il faudrait qu’il fût bien démontré que les droits ne seront pas
payés.
Il y a bien actuellement un dommage
pour 1’Etat, en ce sens qu’il doit soutenir un procès ; mais on ne sait pas
encore quelle en sera l’issue, on ne sait pas si les adversaires de l’Etat
seront condamnés à payer ; on ne sait pas si après avoir été condamnés, ils
payeront.
On ne pourrait, je le répète,
invoquer la responsabilité établie pat l’art. 59 de la loi du 22 frimaire an
VII, qu’autant qu’il serait constaté que l’Etat ne recouvrera pas les droits
pour le payement desquels l’honorable M. Smits a, bien à tort, accordé des
délais. Je dois donc attendre que cela soit bien prouvé avant d’invoquer les
dispositions de l’art. 59 ; et encore, si telle était l’issue de cette affaire,
je doute fort que la chambre, si je cherchais à l’engager dans cette voie,
consentît m’y suivre. La chambre se montre en général fort indulgente pour les
ministres, plus indulgente encore pour les ministres passés que pour les
ministres présents. Après avoir accordé un bill d’indemnité pour la scandaleuse
affaire de
Reste la troisième espèce de
responsabilité, c’est la responsabilité morale. C’est dans le but de faire
peser sur l’honorable M Smits cette responsabilité, que j’ai demandé la parole.
Je l’ai fait, non pas dans un sentiment d’animosité personnelle contre
l’honorable M. Smits, il n’y a rien en moi qui ressemble à un tel sentiment ;
mais j’ai cru remplir un devoir ; mon opinion est que si l’on ne dénonçait pas
à la tribune, que si on ne livrait pas à la publicité, les abus que l’on
découvre, les abus finiraient par se multiplier à l’infini.
M. Smits. -
Je remercie l’honorable M Delfosse de la générosité qu’il vient de me
témoigner. Il veut bien consentir à ne pas m’envoyer devant la cour de
cassation, à ne pas faire imprimer sur la peau d’un ministre les dispositions
de la constitution. Je l’en remercie d’autant plus qu’il faudrait renvoyer
devant la même cour tous les ministres, mes honorables prédécesseurs ; car ; je
le déclare, tous, sans exception, ont fait enregistrer des actes en débet.
M. Delfosse. - Ils ont eu tort.
M. Smits. -
Et les actes qu’ils ont fait enregistrer en débet, je prie la chambre d’y faire
attention, étaient des actes passés dans le pays. Ces honorables ministres
n’ont jamais cru qu’il y avait dans ce fait une violation de la loi. Il y a,
messieurs, dans l’administration deux choses, c’est la loi positive et la
jurisprudence administrative, consacrée souvent par la jurisprudence des
tribunaux. Eh bien, messieurs, c’est en s’appuyant sur ces jurisprudences que
jamais mes prédécesseurs n’ont cru enfreindre la loi en permettant
l’enregistrement en débet d’actes passés en Belgique. Je pourrais citer
beaucoup d’actes qui ont été enregistrés de cette manière, mais d’accusé que je
suis dans ce moment, je ne veux pas devenir accusateur, comme je pourrais
sembler l’être si j’indiquais d’une manière précise les actes auxquels je fais
allusion.
L’acte dont j’ai autorisé
l’enregistrement en débet avait ceci de particulier, messieurs, qu’il avait été
passé en France, et que si j’avais refusé l’enregistrement en débet, le
gouvernement belge pouvait perdre tout recours pour le recouvrement des droits
; car M. Delfosse s’est singulièrement trompé lorsqu’il a dit qu’il suffisait
d’avoir connaissance de l’acte pour exercer des poursuites en recouvrement ;
cela est vrai pour les actes passés dans le pays, mais cela n’est pas vrai pour
les actes passés à l’étranger ; pour que ces derniers puissent donner lieu à
des poursuites il faut que l’administration ait possession de l’acte ou qu’il y
ait prise de possession de la propriété vendue ; or, nous n’eussions pas
possédé l’acte et il n’y a pas eu prise de possession.
L’honorable M. Delfosse prétend que
j’ai compromis les intérêts de l’Etat ; moi, je viens de prouver et je dis
encore que j’ai sauvé, que j’ai garanti ces libertés, car en ne permettant pas
l’enregistrement en débet de l’acte dont il s’agit, je ne donnais pas ouverture
aux droits ; en autorisant, au contraire, cet enregistrement, je créais un
droit en faveur de l’Etat. Il était évident, d’après l’historique qu’a fait
l’honorable M. Delfosse, historique qu’il a fait avec une grande vérité et dont
je le remercie, il est évident, d’après cet historique, que ceux qui devaient
payer le droit d’enregistrement n’étaient pas à même de débourser la somme
nécessaire à ce payement, à l’époque où ils ont fait la demande
d’enregistrement.
Eh bien, messieurs, dans
l’impossibilité où ils étaient de payer le droit par suite des avances
considérables qu’ils avaient faites pour couvrir le trésor du prix d’achat,
l’acte échappait à l’enregistrement ; ils ne le faisaient pas enregistrer et
l’Etat n’avait pas droit au recouvrement des sommes qui lui sont aujourd’hui
assurées. Toutefois, je le répète, ce n’est pas moi qui ai créé l’antécédent,
ce sont mes prédécesseurs, depuis l’honorable M. Coghen jusqu’à moi. J’ai
rectifié l’antécédent en faisant payer un intérêt pour le délai accordé. Je
n’ai autorisé l’enregistrement que pour un acte passé à l’étranger et qui, sans
ma décision, échappait aux droits. En un mot, j’ai donné ouverture à un droit ;
j’ai créé une créance.
Du reste, messieurs, un
ministre des finances n’est pas un homme qui puisse embrasser la généralité des
spécialités d’une vaste administration comme celle-là. Il y a pour de pareilles
affaires un conseil d’administration et du contentieux, dirigé par les sommités
de la science ; et quand ce conseil à l’unanimité propose au ministre une
décision dans le sens de celle qui vient d’être attaquée, le ministre, d’après
moi, peut signer avec sécurité, parce qu’il peut avoir confiance dans ces
hommes spéciaux et supérieurs. S’il n’en était point ainsi, messieurs, où
trouveriez-vous un ministre des finances ? Quel est l’homme dans le pays,
réunissant toutes les connaissances spéciales qui sont du ressort des
attributions immenses de ce département ? Je crois, messieurs, que cet homme
n’existe pas. On peut avoir des connaissances très étendues en finances, en
douanes, en accises, en contributions directes et indirectes, en ne pas avoir
en même temps des connaissances en matière de domaines, d’hypothèques,
d’enregistrement. Et quand bien même on aurait connaissance des lois générales,
on ne connaîtrait pas pour cela la jurisprudence administrative et judiciaire.
Je le répète, messieurs, je crois
qu’en permettant l’enregistrement en débet de l’acte dont il s’agit, j’ai fait
un acte de bonne administration. Au moins l’Etat recevra quelque chose, et si
cette mesure n’avait pas été prise, il n’aurait rien reçu.
M. Delfosse. - Je vois bien que l’honorable M. Smits se trouve dans l’impossibilité
de justifier les arrêtés qu’il a pris, car il n’a donné, pour justifier le
premier arrêté, que des raisons que j’ai déjà réfutées et il n’a rien dit du
tout pour justifier le second.
L’honorable M. Smits nous dit que de
qu’il a fait n’est pas nouveau, que tous ses prédécesseurs l’ont fait avant lui
; qu’il y a une jurisprudence administrative contraire à la loi. Je vous avoue,
messieurs, que cela m’étonne fort. J’avais bien raison de dire tantôt qu’il se
commet beaucoup d’abus qu’on ne parvient pas à découvrir. Je suis fort surpris
que tous les prédécesseurs de l’honorable M. Smits se soient permis, comme lui,
de violer la loi. L’honorable M. Smits a dit qu’il ne voulait pas se porter
l’accusateur de ses prédécesseurs ; qu’il ne voulait pas les nommer. Cependant,
après avoir usé de cette réserve, il a fini par en nommer quelques-uns, entre
autres l’honorable M. Coghen, qui n’est pas ici pour se défendre.
L’honorable M. Smits a dit que
lorsqu’un acte a été passé en pays étranger, le gouvernement ne peut pas
exercer des poursuites pour obtenir le recouvrement des droits
d’enregistrement.
Mais, messieurs, c’est là une erreur et
une erreur complète, et je suis convaincu que l’honorable M. Mercier n’admet
pas cette doctrine ; je suis convaincu que l’administration a bien des fois
ordonné de poursuites en payement des droits de mutation lorsque les actes
avaient été passés en pays étranger. Aux termes de l’art. 12 de la loi du 22
frimaire an VII, il suffit qu’il y ait un acte, peu importe dans quel pays cet
acte à été passé, qu’il y ait un acte qui constate la mutation, pour que le
gouvernement puisse exercer des poursuites en payement des droits.
Ce que l’honorable M. Smits
vient de dire, qu’un ministre ne peut pas tout savoir, est une espèce d’aveu de
la faute qu’il a commise.
M. Smits. -
Du tout.
M. Delfosse. - L’honorable M. Smits dit qu’un ministre doit s’en rapporter aux
employés. C’est là une singulière doctrine. Je sais bien qu’un ministre ne peut
pas examiner par lui-même une foule de petites questions de détails ; mais ici
il ne s’agissait pas d’une petite question ; il s’agissait d’une somme de
200,000 fr., d’une dérogation à la loi, et l’attention de l’honorable M. Smits
devait d’autant plus être rappelée sur la question, qu’un employé supérieur du
département des finances avait fait des remontrances. Cet employé, dans un
rapport très remarquable, avait démontré tout ce qu’il y avait de faux dans la
voie où l’on s’était engagé et où l’on voulait rester.
Je n’en dirai pas davantage,
messieurs, pour ne pas abuser de vos moments. Tout ce que j’ai dit reste
debout, nonobstant réponse de l’honorable M. Smits.
M. Smits. -
Le rapport de l’employé supérieur, dont l’honorable M. Delfosse vient de
parler, était relatif au deuxième délai et non pas au premier.
M. Delfosse. - Peu importe ! vous avez accordé le second
délai comme vous aviez accordé le premier.
M. Smits. -
Et cet employé supérieur était un des signataires de la première décision qui
m’a été soumise. Je prie M. le ministre des finances de bien vouloir dire si le
fait n’est pas exact.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est vrai.
M. Delfosse. - Cela ne signifie pas que vous aviez raison.
M. Smits. -
Cela prouve que le conseil d’administration du contentieux et des domaines
avait été unanime pour me soumettre la décision qui a été attaquée.
Si un deuxième délai a été accordé,
c’est parce que les personnes qui avaient demandé l’enregistrement en débet en
premier lieu, étaient encore dans la même position, c’est-à-dire, qu’elles
avaient fait des avances considérables pour couvrir l’Etat du prix
d’acquisition, et que, n’ayant pas pu retirer le prix de vente de leur
propriété, elles étaient encore dans l’impossibilité d’acquitter la forte somme
du au trésor.
Les conditions étaient donc
les mêmes pour le second délai que pour le premier, à l’égard duquel une
décision unanime avait été prise par le conseil d’administration.
Je n’ai pas vu de motifs pour refuser
le second délai, puisque les choses étaient identiquement les mêmes que pour le
premier, sauf la dissidence d’un seul fonctionnaire. Dans ces cas-là, on écoute
les deux parties, et la majorité ayant donné de meilleures raisons que la
partie dissidente, j’ai fini par adopter l’opinion de la majorité.
L’honorable M. Delfosse a dit encore
que j’aurais dû empêcher l’enregistrement à droit fixe du jugement prononcé par
le tribunal de Charleroy. Mais, messieurs, le ministre des finances ignore
quels sont les actes enregistrés dans les différents bureaux du royaume ; il
n’aurait pas même le droit de dire à un receveur d’enregistrement que tel acte
doit être enregistré, soit à un droit fixe, soit à un droit proportionnel. Ce
n’est pas là son fait. Le receveur enregistre les pièces qui lui sont soumises
sous sa responsabilité. Une inspection est établie, et si elle révèle des
erreurs ou des irrégularités, le receveur en est rendu responsable.
M. de Garcia. - Messieurs, en présence du texte formel de la loi du 22 frimaire an
VII, il est difficile de concevoir que l’on accorde des délais pour
l’enregistrement des actes. On a cité la jurisprudence pour appuyer ce fait. Je
ne le reproche pas à l’honorable M..Smits, puisqu’il a toujours été pratiqué
par ses prédécesseurs, comme il vient de l’annoncer. Cependant j’applaudis à la
motion d’ordre faite par l’honorable M. Delfosse pour faire rentrer les
administrations supérieures dans la loi.
Messieurs, le fait posé par
l’honorable M. Smits est-il un acte de bonne administration ? C’est là la seule
question que nous avons à examiner. C’est à ce seul point de vue que je veux
envisager la question.
Quant à moi, messieurs, je pense que
M. Smits, dans cette circonstance, a posé un acte de bonne administration ;
pour le démontrer, je dois relever des principes qui ont été émis dans cette
discussion. D’abord, je ne partage pas l’opinion de l’honorable M. Delfosse,
que sur le simple avis de l’acquisition d’une propriété, l’administration des
finances puisse exercer des poursuites.
Je ne partage pas davantage l’opinion
absolue émise par M. Smits, qu’un acte passé en pays étranger ne peut pas
donner lieu à un droit de mutation : ni l’une ni l’autre de ces doctrines ne me
paraît fondée en principe.
Il est toujours dangereux de laisser
passer sans réponse des opinions qui ne sont pas fondées en droit. D’un côté,
l’on a dit qu’un acte passé en dehors du territoire belge n’était pas soumis au
droit.
Quant à moi, je pense qu’un acte
passé en pays étranger, s’il tombe entre les mains de l’administration des
finances belges, je crois, dis-je, que cet acte vaudrait comme acte privé, et
que les mutations qui eu résulteraient seraient soumises au droit
d’enregistrement en Belgique. Dans ma manière de voir, ceci doit rester comme
constant. Mais est-il constant, est-il exact de dire que, dans l’espèce,
l’administration avait devant elle tous les éléments pour exercer des
poursuites à l’occasion de la cession dont s’agit ? Selon moi, ces éléments
n’existaient pas, et à ce point de vue, je dois relever l’erreur où l’on est
tombé.
L’honorable M. Delfosse a bien
cité une demande du prétendu vendeur, demande par laquelle on annonce qu’on
fera enregistrer en Belgique un acte de mutation de telle propriété, si l’on consentait
à accorder délai pour payement du droit. Un allégué semblable, fait par une
seule des parties intéressées, suffit-il pour donner lieu à des poursuites de
la part de l’administration des finances ? Je ne puis le supposer. Si l’on
introduisait un pareil système dans l’administration des finances, il en
résulterait des vexations presque journalières. Il arrive constamment que la
notoriété publique annonce, et souvent avec vérité, que telle propriété, tel
domaine a été vendu dans cet état, et sur des allégations, direz-vous que
l’administration doit exercer des poursuites ? Ce serait évidemment sortir des
termes et de l’esprit de la loi du 22 frimaire au VII. Ce serait autoriser des
vexations contre lesquelles cette chambre, comme tout le pays, ne tarderaient
pas à s’élever.
D’après ces considérations,
que j’ai cru devoir présenter, pour ne pas laisser accréditer des idées
erronées, je pense que l’honorable M. Smits, en attirant au trésor belge un
droit de mutation qui pouvait lui échapper, a fait, sinon un acte parfaitement
légal, au moins un acte de bonne administration.
M. Delfosse. - Je ferai remarquer à
l’honorable M. de Garcia que l’administration avait eu connaissance de l’acte
de mutation passé à Paris (erratum Moniteur belge n°123, du 2 mai 1844 :),
du devant notaire, par la pétition des vendeurs qui demandaient un délai pour
l’enregistrement de cet acte.
L’honorable M. Smits a dit tantôt
qu’il n’avait pas eu connaissance de l’enregistrement du jugement par défaut au
droit fixe ; je lui répondrai qu’il aurait dû en avoir connaissance, parce que
les pétitionnaires avaient parlé dans leur seconde pétition de l’action en
nullité intentée par le comte de Geloës.
Il était du devoir de l’honorable M.
Smits de se faire rendre compte des suites que cette action avait eues.
M. de
Theux. - Messieurs, la discussion qui
vient de s’engager soulève plusieurs questions de droit très délicates, qui, à
mon avis, n’ont pas été suffisamment approfondies, pour que nous puissions
maintenant nous former une opinion bien exacte sur la véritable interprétation
de la loi ; mais un point sur lequel mon opinion est suffisamment éclairée,
c’est la parfaite bonne foi avec laquelle le ministre des finances a agi.
La discussion soulève une autre
question de droit qui n’a pas été indiquée par l’honorable M. Delfosse, et qui,
cependant dans le cas présent, avait une portée infiniment plus considérable,
c’est celle de savoir si, lorsque les tribunaux ont prononcé la déchéance à
l’égard d’acquéreurs de biens nationaux, le ministre des finances peut relever
ces acquéreurs de la déchéance.
Je dis que, dans cette circonstance,
cette question avait une portée immense, puisque d’après M. Delfosse, une
propriété qui avait été acquise pour un peu plus d’un million, et à l’égard de
laquelle la déchéance a été prononcée, a été revendue pour trois millions ;
d’où il suivrait que l’Etat aurait subi une perte d’à peu près 2 millions.
Je sais que l’honorable M. d’Huart, lorsqu’il
était à la tête du département des finances, s’est constamment refusé à cesser
les poursuites ; qu’il a prescrit à l’administration de continuer les
poursuites commencées à la suite d’une contrainte lancée antérieurement à son
administration. Voilà les faits qui sont à ma connaissance. Je sais que,
lorsque cette question a été agitée, lors du ministère de l’honorable M.
d’Huart, plusieurs de ses collègues partageaient son avis, qu’on ne pouvait
abandonner les poursuites, sans causer un grave préjudice à l’Etat. Je n’aurais
pas parlé de ces faits, mais puisque la discussion a été soulevée, j’ai cru
qu’il était de mon devoir d’appeler l’attention de la chambre sur ces
circonstances.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je crois devoir faire observer d’abord que le jugement
prononcé par le tribunal de première instance de Bruxelles n’est pour rien dans
le fond de la question que vient de soulever l’honorable M. de Theux. La
jurisprudence a établi de la manière la plus formelle que la déchéance est
encourue dans les 15 jours de la signification de la contrainte pour le
payement des termes échus ; du moment où il y a eu contrainte décernée par
l’administration, et que le payement n’est pas effectué dans les 15 jours, la
déchéance est encourue de plein droit. Tel est le vœu de la loi ; du reste, je
n’ai pas trouvé d’exemple qu’on ait maintenu la déchéance alors que les
intéressés offrent d’acquitter le prix de vente. J’ai sous les yeux l’état de
toutes les déchéances dont les intéressés ont été relevés en Belgique. Cet état
renferme douze articles de déchéances encourues par suite de la signification
de la contrainte et de non-paiement dans le délai de quinze jours. Tous les
ministres qui m’ont précédé, et dans ces cas, ils ont agi comme je l’ai fait,
non seulement de bonne foi, mais en obéissant encore à des considérations
d’équité et de bonne administration, en se conformant aux précédents ; mes
prédécesseurs, dis-je, n’ont jamais hésité à relever de la déchéance les
acquéreurs qui ont voulu acquitter leur redevance.
Dans cette circonstance, j’ai fait
plus, j’ai exigé les intérêts à dater du jour de chaque en échéance ; ce qui
n’avait pas été réclamé dans les cas antérieurs. Le jugement intervenu a été
prononcé par suite d’une action intentée par MM. le comte de Geloës, de Blanckaert, et Henry, qui déniaient au
gouvernement belge le droit de poursuivre, soit le payement du prix, soit la
déchéance de leurs acquisitions ; ils ont fait valoir que le gouvernement belge
ne pourrait procurer la radiation des inscriptions prises à Maestricht.
Le tribunal de Bruxelles les a
déboutés de leur opposition et a reconnu les déchéances dûment encourues par
suite de la signification des contraintes.
De tous mes prédécesseurs, aucun n’a
refusé de relever les acquéreurs de la déchéance encourue. Je citerai l’affaire
d’un nommé Colin..., dont la déchéance a été relevée par décision du 13 janvier
1832, prise par M. Coghen il s’agissait d’une somme de 221,000 florins ;
d’autres décisions, du même genre, ont été prises par le même ministre, par M.
Duvivier, par M. d’Huart, par M. Desmaisières. Mes honorables prédécesseurs
n’ont fait que se conformer à ce qui se pratiquait sous le gouvernement des
Pays-Bas, et à ce qui se fait en France dans de semblables occasions.
Du reste, le payement des
sommes qui rentrèrent dans les caisses de l’Etat, par suite de cette décision,
concernait d’autres domaines encore, et, dans ces derniers domaines, les
intéressés avaient fait des coupes de bois considérables qui en avaient diminué
la valeur, de sorte qu’on ne peut envisager isolément les forêts d’Orval et de
Chiny ; la somme versée s’élève en tout à 2 millions 600,000 francs ; et quant
aux deux domaines dont il s’agit, les sommes que le trésor a perçues, ne sont
pas d’un million, mais d’un million 500.000 francs, y compris les intérêts.
Au surplus, ce sont des
considérations d’équité, ce sont les précédents qui ont déterminé
l’administration.
Voilà les renseignements que j’avais
à donner à la chambre sur ce point.
M. de Theux. - Messieurs, je n’ai pas porté de jugement sur l’acte posé par
l’honorable M. Mercier ; j’ai seulement appelé l’attention de la chambre sur la
question des déchéances et en particulier sur la déchéance dont il s’agit en ce
moment. Je l’ai fait, parce qu’il est à ma connaissance que l’honorable M.
d’Huart, mu par des considérations très graves, avait cru ne pas pouvoir
abandonner les poursuites. Du reste, j’ignore quels sont les motifs particuliers
qui ont déterminé l’honorable M. Mercier à suivre un autre système à l’égard de
ces affaires.
M. d’Huart. - Messieurs, je ne veux pas non plus supposer que l’honorable M.
Mercier n’ait pas eu de très bonnes raisons pour prendre la mesure qu’il a
adoptée. Cependant je dois déclarer que ce que vient de dire l’honorable M. de
Theux est parfaitement exact, que pendant toute la durée de mon ministère, j’ai
résisté à une foule de sollicitations, et que j’ai poursuivi avec la plus grande
activité, même avec énergie, la déchéance dont il s’agit en ce moment. Pourquoi
l’ai-je fait dans cette circonstance et pourquoi me suis-je abstenu d’en agir
de même dans d’autres cas ? C’est que, dans le premier cas, j’ai cru voir dans
la déchéance un immense intérêt pour le trésor ; tandis que je voyais un
intérêt contraire à provoquer les autres déchéances.
Je ne pense pas que j’eusse
jamais relevé le comte de Geloës de cette déchéance,
faveur qu’il ne me semblait pas mériter, d’après les faits qui avaient été mis
sous mes yeux lorsque je dirigeais le département des finances.
En effet, après usé largement, je
dirai plus, après avoir abusé des domaines qu’il avait acquis, le comte de Geloës n’avait pour ainsi dire rien soldé à l’Etat.
Qu’étaient devenus les fonds, les rentrées considérables qu’il avait effectuées
? Je n’en sais rien ; mais cette absence de versements du produit des bois
achetés à l’Etat, à part le bénéfice que devait trouver l’Etat par la reprise
de possession, m’aurait déterminé à ne pas accueillir les instances du comte de
Geloës, et à poursuivre sa déchéance.
L’honorable M. Mercier a été saisi de
cette question à une date plus reculée et dans des circonstances différentes ;
il a eu, sans doute, je le répète, des motifs plausibles pour prendre la mesure
qu’il a prise, et du reste, j’en suis convaincu, il est prêt assurément à les
justifier ; je n’ai pas à m’occuper de ce point ; mais, pour ce qui me concerne
personnellement, je ne pouvais m’abstenir de déclarer franchement que les faits
rappelés par l’honorable M. de Theux sont parfaitement conformes à la vérité.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je n’ai pas voulu dire que l’honorable M. d’Huart aurait relevé, dans
ce cas spécial, de la déchéance encourue, c’est ce qu’il ne m’était pas permis
de préjuger ; mais j’ai fait remarquer qu’un jugement ne changeait rien à
l’état des choses, qu’il suffisait qu’il y eût une signification de contrainte,
pour que la déchéance fût encourue de plein droit, après un délai de quinze
jours, et qu’elle ne devait pas être prononcée par un jugement ; je n’ai trouvé
à l’administration aucun précédent du maintien d’une déchéance, lorsque
l’acquéreur offrait le payement et surtout les intérêts des termes déchus.
Cependant il y a eu des affaires de
720 milles florins, de 200 mille florins, de 150 mille florins, dans lesquelles
on n’a pas maintenu la déchéance.
J’ai donc suivi ce que mes
prédécesseurs avaient fait dans d’autres cas ; je n’ai pas pensé qu’il y eût
des motifs pour être plus rigoureux dans cette circonstance que dans d’autres.
M. le président. - Aucune proposition n’étant déposée, la chambre passe à l’ordre du
jour.
CONCLUSIONS DE LA
COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE (COMMISSION « DE FOERE »)
Formation du comité secret
La chambre se forme ensuite en comité
général à 2 3/4 heures.
La séance a été levée à 4 heures et
renvoyée à demain.