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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10 mai 1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative au droit de patente dû par les médecins (Rodenbach)
2) Conclusions de la commission
d’enquête parlementaire (commission « de Foere ») et système des
droits différentiels. Politique commerciale du gouvernement (de
Foere, Mast de Vries, Delfosse,
Dechamps)
3) Ordre du jour (projets de loi de
grande naturalisation) (de Mérode)
(Moniteur
belge n°132, du 11 mai 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. Huveners fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction
en est adoptée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur de Mangier, major
pensionné, décoré de
« Plusieurs secrétaires communaux
dans l’arrondissement de Thielt demandent le maintien de l’arrêté royal du 1er
janvier sur la traduction du Bulletin
officiel en langue flamande. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_________________________
« Plusieurs habitants de Turnhout
demandent une diminution des droits d’entrée sur le poisson frais venant de
« La chambre de commerce de
St-Nicolas déclare adhérer au système de droits différentiels, proposé par M.
Cassiers ; elle demande toutefois une plus grande protection pour le pavillon
national. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire.
« Plusieurs médecins et chirurgiens
accoucheurs, établis à Gand, demandent l’exemption du droit de patente pour
tous ceux qui exercent une des branches de l’art de guérir. »
M. Rodenbach. -
Je trouve qu’il n’est pas juste de faire payer une patente à ceux qui exercent
la profession libérale de médecin ; car souvent c’est par humanité qu’ils
doivent exercer leur état. D’autres Ires branches libérales ne payent pas de
patente, notamment. Il me semble qu’on devrait placer les docteurs en médecine
et en chirurgie sur la même ligne que les avocats. Je demande le renvoi de la
pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
CONCLUSIONS
DE
Discussion générale
M. le président. - La parole est à M. de
Foere.
(Moniteur
belge n°135, du 13 mai 1844) M. de Foere. - Avant d’entrer en discussion, j’éprouve, avec quelque répugnance, le
besoin de répondre à un appel que l’honorable M. Delfosse a fait à mes
sympathies envers la classe ouvrière. Si ce besoin ne se rattachait pas à la
grande question qui nous occupe, et si, dans l’intérêt de cette question, il
n’était pas nécessaire d’en éloigner tous les préjugés nuisibles, j’aurais pris
la résolution de le dissiper par la seule voie de la discussion.
Je déclare que, dans mes plus
sincères convictions, la question maritime n’a jamais eu pour moi d’autre but
que celui de protéger la classe ouvrière elle-même. J’ajouterai que, dans ma
pensée intime, la classe ouvrière de la province de Liége retirera du commerce
maritime, si nous sommes assez heureux de le développer, autant d’avantages que
la classe ouvrière de toutes les autres provinces du pays. Je crois même, et
j’en ai la conviction, que la province de Liége continuera l’exportation de ses
produits naturels, et qu’elle augmentera l’exportation de ses produits
industriels.
J’entre maintenant en discussion.
Les discours remarquables qui ont été
prononcés dans la séance d’hier, ont beaucoup abrégé la tâche que je m’étais
imposée. J’ai changé le plan de défense que je m’étais formé. J’établirai
d’autres faits, dans le but de concilier et de fixer les opinions divergentes.
Si j’ai bien analysé les débats qui
ont eu lieu jusqu’à présent, ils se sont exclusivement établis entre les
intérêts de l’Escaut et de
Parmi les orateurs que nous avons eu l’honneur
de rencontrer, comme des adversaires intelligents et loyaux, j’ai distingué
particulièrement l’honorable M. Lesoinne. Il a le mieux saisi le côté pratique
de la question. L’honorable député de Liège a commencé son discours par
admettre deux faits que la commission d’enquête a recueillis à Liége, aussi
bien qu’à Anvers, comme dans toutes les autres villes. Elle les a constatés,
comme point de départ dans son rapport. Le premier : c’est le malaise, l’état
de souffrance (erratum Moniteur belge
n°136, du 15 mai 1844 :) de plusieurs industries ; considérés dans
leurs rapports avec le commerce extérieur. Il a exprimé l’autre fait en ces
termes : « Il est encore vrai, a dit l’honorable membre, que plusieurs
Etats de l’Europe repoussent par des droits prohibitifs une quantité de nos
produits. »
Le bruit de ces deux faits a souvent
retenti dans cette enceinte ; aussi ils ont été déposés dans les mémoires et
les documents de toutes les chambres de commerce. La chambre peut donc
considérer ces deux faits comme définitivement acquis à la discussion. Il n’y
a, à leur égard, aucune dissidence d’opinions dans le pays. Cependant, l’Escaut
et
Ce fait, vous le connaissez tous,
messieurs, c’était la navigation à vapeur vers les Etats-Unis. Mais ce que vous
avez peut-être oublié, ce sont les motifs qui ont créé cette navigation. Il
importe beaucoup de les rappeler à votre souvenir. D’abord, ils répandent une
lumière éclatante sur la grande question qui nous occupe. Ensuite il n’est
nullement probable que cette unanimité d’opinions se réduise aujourd’hui à une
fraction de minorité. Il y aurait inconséquence flagrante.
Je vais, donc avoir l’honneur d
exposer ces motifs à la chambre. Ce sont identiquement les mêmes sur lesquels
nous fondons la protection que nous demandons pour notre marine marchande.
Presque tous les Etats de l’Europe,
disaient alors l’Escaut et
L’opinion renfermée dans ce premier
motif peut être considérée comme établie irrévocablement et de commun accord.
Le deuxième motif était aussi partagé
par Anvers et par Liége, comme par tous les hommes qui apprécient justement
notre situation commerciale et industrielle. Il peut être formulé en ces termes
: Nous exportons plus par terre que par mer ; d’un autre côté, tous les ans,
nos exportations par terre diminuent et nos exportations par mer n’agrandissent
pas. La raison en est, disait-on, avec raison, que tous les ans les marchés du
continent se resserrent pour nous, soit que chez nos voisins la production des
articles, similaires en qualité et en prix, augmente, et qu’ils parviennent à
satisfaire à leurs propres besoins, soit que leurs tarifs soient devenus
progressivement plus sévères envers nous, soit enfin pour ces deux raisons
réunies.
En présence de cette situation, il
devient urgent de rechercher les moyens de remédier à cet état de choses ; il
faut tâcher de compenser par mer les pertes que nous subissons par terre et que
probablement nous éprouverons progressivement. Si nous restons les bras croisés
au milieu de tant de forces actives et concurrentes qui s’agitent autour de
nous, nous continuerons de faire des pas rétrogrades, et nous ne répondons pas
de l’avenir du pays.
Cette conformité d’opinion a été
maintenue dans la discussion par nos adversaires quant aux faits sur lesquels
elle est basée. L’honorable M. Delfosse a très bien établi l’immense distance
qui, dans notre statistique commerciale, sépare nos importations des contrées
d’outre-mer de nos exportations vers ces mêmes contrées. L’honorable ministre
de l’intérieur, d’accord avec nous sur les faits et sur les conséquences qui en
découlent, a établi la différence entre 50 millions d’importations des contrées
lointaines, contre 4 millions et demi d’exportations vers les mêmes contrées.
Cette différence a constitué une des principales bases du rapport de la commission
et elle est arrivée à la même conclusion, qu’il était urgent de chercher à
compenser par mer les pertes que nous faisons par terre.
Le troisième motif qui a présidé à
l’établissement de la navigation à vapeur peut se formuler ainsi :
L’exploitation de marchés lointains n’exclut pas l’exploitation de ceux
d’Europe. Elle ne s’oppose pas non plus à des négociations et à des
transactions dans lesquelles
Il est vrai que cette navigation à
vapeur, si elle avait pu avoir du succès, aurait vivement contrarié les
intérêts de
Le quatrième motif qui a été allégué
pour faire accorder une protection puissante à la navigation à vapeur nationale
était celui-ci : Marchant toujours ensemble comme deux amis intimes, liés par
des intérêts communs, contemplez, s’écriaient l’Escaut et
Il faut créer des routes sur mer,
disait-on, avec non moins de raison, pour rapprocher le producteur du
consommateur. Sous le rapport du commerce et de l’industrie, les navires sont,
à l’égard de deux continents, ce que les routes et les canaux sont à l’égard
des provinces éloignées les unes des autres dans un même pays. Dans les deux
cas, les échanges s’opèrent d’une manière régulière et suivie entre des
articles dissimilaires, suivant la diversité de la nature du sol, des
industries, du climat, et par conséquent, selon la diversité des besoins ;
c’est ainsi que les routes et les canaux rapprochent les provinces de Liége et
du Hainaut des autres provinces qui ont un sol différent et des industries
dissimilaires. Cette diversité de besoins joue un grand rôle dans l’industrie
et dans le commerce extérieur aussi bien que dans le commerce intérieur. Il
faut donc à tout prix se créer une navigation nationale vers les Etats-Unis ;
il faut demander au gouvernement une protection efficace de 400,000 fr par an pendant
quatorze ans pour établir une navigation à vapeur vers les Etats-Unis. Si une
société quelconque recule encore devant cette puissante protection, le
gouvernement, en dépit de la constitution et de la loi, se chargera peut-être
de l’entreprise aux frais de l’Etat. Entre-temps, nous continuerons de
demander, comme l’a fait l’autre jour M. Delfosse, une stricte économie dans
les dépenses.
Si l’application du principe à la
navigation à vapeur vers les Etats-Unis a été abandonnée, et abandonnée de
commun accord, il est resté cependant une parfaite conformité d’opinion à
l’égard du principe. L’utilité et même la nécessité de mettre à l’intérieur
d’un pays, par des routes et des canaux, des centres de productions
dissimilaires en communication avec des centres de consommation, équivaut, dans
l’opinion de tout le monde, à une démonstration mathématique. Mais si cette
démonstration, à l’égard des routes et des canaux à l’intérieur d’un pays, est
admise, pourquoi serait-elle abandonnée à l’égard des routes que nous traçons
sur mer au moyen de navires ? Si une énorme protection maritime a été
nécessaire, dans le but d’échanger nos industries avec les industries d’un seul
pays, les Etats-Unis, pourquoi n’accorderait-on pas un droit différentiel,
lorsqu’il s’agit de diriger nos navires, non seulement vers un seul pays, mais
vers tous les pays de consommation du monde ? Ce refus constituerait une
contradiction d’autant plus flagrante que la protection demandée aujourd’hui
pour protéger la navigation commerciale du pays et pour rapprocher, au moyen de
cette navigation, nos producteurs des consommateurs d’outre-mer, (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai
1844 :) ne coûte rien à l’Etat. Les chiffres du tarif différentiel ont
été combinés de manière qu’il n’en résulte aucune perte pour le trésor public.
Vous demandez des preuves qui
établissent l’assertion qu’il faut une protection efficace à la marine
marchande du pays pour exporter des produits. Elles abondent en faits et en
raisons. En faits : consultez l’histoire maritime et commerciale de tous les
peuples anciens et modernes et vous serez saturés de conviction. Consultez
votre propre statistique maritime et commerciale ; sous le rapport de vos
exportations, elle offre des résultats comparatifs très remarquables. Notre
navigation nationale, consistant en 130 navires, a lutté, chaque année, contre
1,300 navires étrangers qui sont entrés annuellement dans nos ports. Quel a été
le résultat de cette concurrence énorme à l’égard de l’exportation de nos
produits ? Nos 130 navires ont exporté, tous les ans, à peu près la moitié de
la valeur que les 1,300 navires étrangers ont exportée. Tel est aussi le
résultat comparatif de l’exportation dans tous les pays du monde, qui sont en
même temps industriels et maritimes.
Si nous cherchons dans la raison des
preuves de cette différence qui est tout entière à l’avantage de la navigation
nationale, elles abondent également. Les navires étrangers sont presque
exclusivement envoyés dans nos ports pour y apporter des marchandises et pour les
quitter après y avoir déchargé leur cargaison. Les faits sont là pour le
prouver.
Ensuite, les étrangers ne connaissent
la nature, ni les qualités, ni les prix des produits nationaux. Ils ne peuvent
pas comparer nos produits avec les leurs, soit en qualité, soit en prix, comme
peuvent le faire les négociants du pays. Ceux-ci sont dans une meilleure
situation pour faire le choix d’articles exportés et exportables, et pour faire
de nouveaux essais. Pour exporter, les étrangers sont forcés d’employer des commissionnaires
belges. Il est naturel qu’ils n’aient pas dans des agents intermédiaires la
même confiance que dans leurs agents nationaux. Ils ont chez eux une maison de
commerce qui fait les achats. Chez nous, il faut qu’ils supportent les frais de
commission. Ils possèdent dans leurs propres pays des articles d’exportation
qui sont déjà appropriés aux goûts et aux habitudes des contrées lointaines où
ils trouvent un placement facile. Lorsqu’ils les ont placés et qu’ils les ont
échangés contre les produits de ces contrées, ils viennent jeter leurs
cargaisons de retour dans les ports. Ces importations du commerce étranger font
obstacle à nos propres échanges.
Vous attachez, avec beaucoup de
raison, une très grande importance à la possession d’agences nationales
établies dans les centres les plus importants du commerce d’outre-mer, afin de
nouer des relations utiles et sûres avec les maisons de commerce établies en
Belgique.
Sans aucun doute, pour encourager les
exportations dans les contrées d’outre-mer, il faut dans ces contrées des
maisons de confiance qui placent nos produits avec avantage et qui en même
temps prépareront des cargaisons de retour.
Après l’établissement du système
maritime, les subsides du gouvernement seront utilement employés à l’établissement
de ces comptoirs extérieurs. Mais il est surprenant que quand il s’agit de
l’exportation de nos produits, on ne reconnaît pas la nécessité des maisons
établies à l’intérieur du pays. Ces maisons sont infiniment plus nécessaires
pour exporter les produits, que les agences établies à l’extérieur pour opérer
des soldes ou pour préparer des cargaisons de retour ; et on veut que, dans une
semblable situation, ce soit le commerce étranger qui soit plus propre à faire
dans notre pays même le choix des articles exportables et de nouer ces
relations utiles entre le pays et les contrées d’outre-mer.
Il n’y a pas de maisons plus
disposées et plus remplies de connaissances pour faire choix de ces articles,
que nos maisons nationales mêmes établies dans le pays et en relations avec nos
industriels. Pendant que les navires du pays sont en voyage pour exporter nos
produits et ceux de l’Allemagne et pour ramener des cargaisons de retour, nos
armateurs négociants préparent une nouvelle cargaison de sortie en articles pour
lesquels ils trouvent un débouché avantageux. Pour compléter leurs cargaisons,
ils font de nouveaux essais en articles qui n’ont point encore été exportés.
Leurs expériences profitent à nos industriels. Ils leur donnent des conseils
pour approprier leurs produits aux goûts et aux habitudes des consommateurs
lointains, et ils font avec nos industriels des expéditions et des opérations
en participation avec d’autant plus de confiance que, jouissant de la faveur
différentielle, ils pourront se défaire de leurs retours avec facilité et
avantage sur les marchés du pays. Ce sont là les principales raisons pour
lesquelles la navigation commerciale du pays est beaucoup plus avantageuse à
l’exportation de nos produits que la navigation commerciale de l’étranger.
Au surplus, messieurs, il y a
différentes espèces d’armateurs étrangers. La plupart des navires étrangers qui
entrent dans nos ports, appartiennent à des armateurs proprement dits, qui ne
sont pas négociants. Lorsque ces armateurs ne trouvent pas de chargement
immédiat, ils ne tardent pas de quitter nos ports après avoir déchargé leur
cargaison. Ils vont chercher des frets ailleurs. La plupart des navires
suédois, danois, brêmois et hanovriens, se trouvent dans ce cas. Plus ils
peuvent faire de voyages dans une année, plus leurs intérêts sont servis. C’est
à tel point vrai que lorsqu’ils louent leur navire à un négociant, ils font
stipuler le nombre de ce qu’on appelle les jours
de planche, c’est-à-dire qu’ils font fixer le nombre des jours pendant
lesquels le navire sera obligé de rester dans le port de déchargement. Ce sont,
pout la plupart, ces sortes de navires qui entrent dans nos ports. Il est vrai,
lorsqu’une expédition se trouve préparée, ces navires se mettent en concurrence
avec les navires du pays pour obtenir des frets. Il n’en est pas de même des
navires appartenant à des armateurs nationaux ; ceux-ci restent ordinairement
dans nos ports jusqu’à ce qu’ils aient obtenu un fret. Mais, comme je l’ai fait
remarquer, ce sont les maisons de l’intérieur, surtout les négociants-armateurs
du pays, qui sont plus particulièrement utiles à l’exportation de nos produits.
Le secret des exportations, a dit
l’honorable M. Delfosse, est dans la production à bon marché.
Personne n’a jamais douté de cette
vérité. La commission d’enquête a même écrit un paragraphe tout entier, afin de
faire comprendre cette vérité à la chambre ; cette opinion est partagée par le
gouvernement, par la chambre, par Anvers et par Liége. Mais, remarquez-le bien,
messieurs, lorsque la navigation à vapeur a été établie par ces mêmes
autorités, cette navigation, énormément protégée, se trouvait en face du même
principe. Elle a été créée dans le même but, c’est-à-dire, pour protéger
l’exportation de nos produits vers les Etats-Unis. Cependant, cette objection
que l’on élève aujourd’hui n’a pas empêché l’établissement de cette navigation
nationale à vapeur. On a répondu à cette objection comme on lui répond
aujourd’hui. On a dit que les articles qui réunissent aujourd’hui les
conditions d’exportation, seraient placés au-dehors dans un cercle beaucoup
plus étendu, et que le commerce protégé dans ses retours exporterait d’autres
produits, capables de soutenir la concurrence, mais dont l’exportation n’avait
pas encore été essayée sérieusement. On a fait remarquer, en outre, que la
législature remplissait ses devoirs envers l’industrie et le commerce, en leur
donnant des moyens d’exportation par une navigation nationale protégée, et que
c’était aux industries arriérées à remplir les leurs, en cherchant à améliorer
leurs produits en qualité et en prix, afin de pouvoir concourir sur le marché
des Etats-Unis, soit avec les produits de ces Etats, soit avec les produits des
autres nations, envoyés sur le même marché. Nous soutenons encore aujourd’hui
avec Anvers et Liége, que lorsque les relations directes seront efficacement
établies par le système que nous proposons, et que les résultats en auront
prouvé les avantages, ces industries arriérées en recevront une grande
impulsion, et se mettront en devoir de perfectionner leurs produits. La
situation n’est donc pas changée ; nous nous trouvons exactement dans la même
position. Les mêmes opinions qui ont été acquises à cette navigation à vapeur
vers les Etats-Unis doivent, pour être conséquents avec elles-mêmes, être
acquises aujourd’hui à la discussion.
L’honorable M. Delfosse s’est plaint
de ce que déjà Liège rencontre, pour ses houilles, la forte concurrence de
l’Angleterre et de
Les Etats-Unis, a dit l’honorable M.
Lesoinne, ont élevé contre nous leur tarif. Mais encore ici votre navigation à
vapeur se trouvait aussi en présence du même tarif…
M. Lesoinne. -
Ce n’était pas le même tarif.
M. de Foere. - L’honorable M. Lesoinne me fait observer que ce n’était pas le même
tarif. Cette observation n’est pas une objection sérieuse. Il n’en est pas
moins vrai que, quelles que fussent les modifications qui aient été apportées
au tarif des Etats-Unis, il était, dans tous les cas, très élevé contre vos
produits similaires aux leurs. Il était de 30 à 35 p. c. ad valorem. Cependant
les intérêts de Liége, de Verviers et d’Anvers, se sont liés ensemble, pout
créer cette navigation avec une protection énorme.
La première condition d’un débat,
c’est d’être conséquent avec soi-même. Il faut accepter aujourd’hui les mêmes
positions qu’alors vous vous êtes faites à vous-mêmes.
Ce qu’il fallait faire alors, c’était
de protéger votre navigation à voiles vers des contrées où, à raison des
produits dissimilaires, les tarifs ne vous excluaient pas. C’est la proposition
que nous faisons aujourd’hui. Il fallait encore diriger votre navigation
nationale vers des contrées qui n’ont pas elles-mêmes de navigation. Vous
auriez établi des relations fructueuses avec ces pays qui n’ont ni tarif
prohibitif, ni navigation propre ; vous auriez échangé vos produits contre
leurs produits dissimilaires. C’est toujours sur les échanges des produits
dissimilaires que le commerce régulier et suivi est fondé. Tout autre commerce
n’est qu’un commerce de ricochet.
En accordant une protection à la
navigation à vapeur vers les Etats-Unis, vous ne pouviez, dans aucun cas
développer considérablement vos exportations vers les Etats-Unis au-delà des
limites actuelles. En premier lieu, le tarif des Etats-Unis vous excluait,
quant aux articles similaires ; en second lieu, vous étiez en possession de
moyens abondants pour exporter dans ce pays les articles que son tarif ne
repoussait pas. Les Etats-Unis vous envoyaient tous les ans 70 navires ; ils ne
demandaient pas mieux que de s’en retourner directement chez eux avec des
cargaisons de retour, composées de vos produits et d’articles entreposés.
Il est un sixième point sur lequel
Anvers et Liège sont parfaitement d’accord. C’est une des bases principales sur
lesquelles la commission d’enquête a établi son rapport. L’honorable M Lesoinne
l’a exprimé en ces termes : « On reconnaît enfin, a dit l’honorable
membre, la vérité de cet axiome des économistes politiques, qu’un pays ne peut
payer les produits d’un autre pays quant ses propres produits. »
C’est sur cet axiome qu’est basée en
grande partie l’indispensable nécessité de faire des échanges commerciaux. Si
vous n’échangez pas les produits contre les produits d’autres pays, votre
commerce ne s’établira jamais d’une manière suivie et régulière.
Il nous reste, à l’égard des contrées
d’outre-mer, une lacune à combler entre 4 millions 1/2 et 30 millions ;
c’est-à-dire, que nous exportons seulement vers les contrées lointaines pour
une valeur de quatre millions 1/2, tandis que nous recevons de ces mêmes
contrées une valeur de 30 millions. Ce sont là des ressources considérables
pour payer nos produits avec les produits d’autres pays, et pour établir, dans
l’intérêt de vos industries, des relations directes et des échanges
commerciaux, basés sur des besoins mutuels, avec les pays de production
dissimilaires. L’axiome rappelé par l’honorable député de Liége recevra son
application ; il est toujours sage de se conformer aux axiomes. Ce sont, comme
vous le savez, messieurs, les vérités que l’expérience générale a recueillies.
Or, payer les produits d’autres pays avec les vôtres est le résultat avantageux
que l’expérience de toutes les nations industrielles et commerçantes a
constamment constaté.
Un septième motif sur lequel il
existe aussi une parfaite conformité d’opinion, a été très souvent exprimé par
Liége. Lorsque les expéditeurs acceptent, en payement des articles qu’ils y ont
exportés, du papier-monnaie, cette opération donne lieu à des pertes
considérables. Si les industriels se font payer par des traites sur Londres,
cette opération présenté souvent aussi des pertes, quoique moins sensibles, sur
le change, auxquelles il faut ajouter la commission du banquier.
Cette opinion est encore partagée par
tout le monde, c’est la raison pour laquelle nous sommes tous d’accord avec
l’honorable M. Lesoinne, qu’il faut payer, au moyen d’échanges, les produits
d’autres pays avec les vôtres, afin de ne pas subir ces pertes considérables si
vous vous faites payer, soit par papier-monnaie des colonies lointaines, soit
par des traites sur Londres.
C’est donc par l’échange des
marchandises coloniales contre vos propres produits que vous créerez le moyen
le plus sûr, le plus régulier et le plus avantageux de nouer utilement des
relations directes.
Nous arrivons maintenant à un
huitième point de conformité d’opinion d’une nature très importante. C’est une
des grandes bases sur lesquelles le système différentiel maritime est fondé.
Conformément aux désirs exprimés par
la chambre de commerce de Liége, l’honorable M. Delfosse a invoqué l’avantage
commercial de faire des retours de
La chambre de commerce d’Anvers et
les autres chambres du pays qui se sont prononcées en faveur des droits
différentiels, appliqués au commerce maritime, le gouvernement et la commission
professent tous le grand principe, sanctionné par l’expérience générale, que le
moyen le plus sûr et le plus régulier d’exporter les produits du pays est dans
les retours avantageux.
Les avantages que la chambre de
commerce de Liège demande pour sa localité, le gouvernement, la commission, la
très grande majorité du pays les demandent pour le pays tout entier, sans
excepter la province de Liége. En effet, rien ne favorise plus efficacement les
exportations aux contrées lointaines que les importations avantageuses faites
des mêmes contrées. Cette combinaison des sorties avec les retours est l’âme du
commerce maritime. Elle est sanctionnée, depuis des siècles, par les résultats
avantageux que l’expérience générale a partout sanctionnés. Or, Liége accepte
le principe pour sa localité ; nous sommes donc parfaitement d’accord ; il y a
entre nous une exacte conformité d’opinion, lorsque nous posons le principe ce
qui encourage le plus efficacement les exportations, ce sont les retours
avantageux.
Messieurs, pour faire bien comprendre
l’immense importance qui se rattache aux retours avantageux opérés par la
navigation nationale de tous les pays à la fois maritimes et industriels,
j’aurai l’honneur de développer l’esprit et le but de la fameuse enquête
anglaise de 1840 et d’expliquer la nature de la liberté commerciale que le
commerce et l’industrie de l’Angleterre ont demandée. La chambre de commerce de
Liége et la presse ont été induites en erreur (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) sur l’un et
sur l’autre point. Si l’honorable M. Cogels, et après lui l’honorable M. Donny,
avaient connu les antécédents de cette enquête, ou tout au moins, s’ils
l’avaient lue, ils ne seraient pas tombés dans une erreur grave, en attribuant
exclusivement à la diminution des produits coloniaux anglais et à
l’augmentation de leur consommation, les dernières modifications que, sous ce
rapport, sir Robert Peel a successivement apportées au tarif colonial de
l’Angleterre. Ces modifications sont presque exclusivement dues aux besoins
impérieux que, malgré la puissance de la marine marchande de l’Angleterre, le
commerce et l’industrie de ce pays éprouvent pour faire des retours avantageux
après avoir exporté au loin ses produits industriels. Cette vérité sort de tous
les pores des antécédents parlementaires de l’enquête anglaise, comme des pores
de cette enquête même.
On a invoqué cette enquête contre
nous ; or elle est basée sur la même nécessité de combiner les retours
avantageux avec les exportations.
Ce sont exactement les mêmes retours
que, dans l’intérêt de nos exportations industrielles, nous réclamons. Le
système colonial de l’Angleterre ne permettait pas que les produits similaires
des colonies étrangères entrassent dans la consommation intérieure. Il en
résultait que le commerce, exportant dans les colonies libres ou étrangères,
rencontrait des entraves considérables dans ses exportations, attendu qu’il ne
pouvait faire des retours pour la consommation intérieure. Il était forcé de les
entreposer ou de les jeter dans les ports du continent. (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) C’est la
liberté d’importer des denrées, pour la consommation intérieure, des colonies
libres ou étrangères, ou l’affranchissement du système colonial de
l’Angleterre, que le commerce et l’industrie de ce pays ont appelée liberté
commerciale. Cette liberté, exclusivement réclamée pour faciliter et pour
développer le commerce d’exportation vers toutes les contrées coloniales
étrangères, a été confondue chez nous avec la liberté commerciale qui a pour
objet l’abaissement international des tarifs.
Le commerce et l’industrie de
l’Angleterre ont constamment demandé que sa législation coloniale fût modifiée,
afin qu’affranchie du monopole du commerce des colonies anglaises, ils pussent
établir des relations directes avec les colonies étrangères et faire avec leurs
produits des échanges commerciaux. Si la connexité des exportations et des
importations directes a été vivement sentie et démontrée comme un besoin
impérieux par l’Angleterre dont l’industrie, le commerce et la navigation ont
reçu des développements immenses, à plus forte raison est-elle impérieusement
réclamée par
La démonstration a été complète,
lorsque les difficultés et les désavantages d’opérer les soldes, soit en
papier-monnaie, soit en traites, ont été prouvés par l’enquête anglaise.
Le célèbre homme d’Etat Huskisson
avait déjà soulevé le coin du voile qui couvrait cette importante question
coloniale. Il avait prédit que le jour arriverait auquel l’Angleterre, dans
l’intérêt de son industrie, permettrait à son commerce de faire des colonies
étrangères des retours en consommation intérieure.
Vous aurez compris, messieurs,
l’indispensable nécessité de faire des retours avantageux dans vos propres
ports, si vous voulez développer vos exportations. Sans combiner les sorties
avec les retours, vous ne pouvez exercer un commerce régulier et utile, ni
échanger d’une manière suivie, nos produits avec les produits coloniaux.
L’Angleterre commerciale ou industrielle, malgré toute la puissance de sa
navigation, a constamment demandé cette liberté de commerce avec les colonies
étrangères. Un commencement d’exécution lui a été accordé par le premier tarif
de sir Robert Peel. Les droits qui pesaient sur les cafés étrangers ont été
d’abord considérablement diminués, dans l’intérêt de l’industrie et du
commerce, le gouvernement anglais vient de proposer une nouvelle diminution
considérable sur le chiffre qui pèse sur les cafés et les sucres des colonies
étrangères.
On a cru, dans cette chambre, que
cette liberté commerciale avait porté sur l’abaissement des droits qui
protégeaient les produits fabriqués, afin de permettre aux produits similaires
du continent la concurrence sur le marché anglais. J’ai prouvé que cette
opinion est complètement erronée.
Cependant l’Angleterre n’a rien
négligé pour entretenir et pour propager cette déception. A cet effet, elle a
baissé quelques chiffres d’après les avis de l’enquête qui posait en principe
un abaissement complètement illusoire.
Il avait été contenu d’avance que cet
abaissement s’arrêterait à la limite où la concurrence étrangère resterait
impossible. Le vieux tarif anglais était prodigieusement élevé.
Les progrès que l’Angleterre avait
faits en industrie, permettaient de l’abaisser sans s’exposer à la concurrence
étrangère. L’Angleterre est allée jusque-là. Alors elle s’est ingénié à prêcher
sur le continent la liberté commerciale aux nations qui lui avaient objecté : «
Votre tarif est monstrueusement élevé ; nous suivons votre exemple, et vous
voulez que nous abaissions notre tarif en votre faveur ! »
L’industrie de Verviers a été
sérieusement engagée dans l’enquête anglaise. Ce fait prouvera le principe qui
l’a dirigée. Mac-Gregor a été cité par la chambre de Liége comme partisan et
comme promoteur de la liberté commerciale. Interrogé par Hume, président de
l’enquête, il a répondu que les fabricants de draps ne demandaient pour le
moment aucune protection ; mais il ne voulait pas soutenir, ajoutait-il, que
bientôt une protection de 15 p. c. n’eût point été nécessaire pour assurer le
marché anglais aux fabricants du pays contre la concurrence de Verviers,
d’Eupen et d’autres parties de l’Allemagne.
Au lieu d’un chiffre protecteur de 15
p.c. contre les draps de Verviers, sir Robert Peel en a établi un de 20 p c, ,
chiffre qui, avec les frais de transport, d’assurance et de commission, peut
être porté à 25 p. c. Telle est la liberté commerciale que la chambre de
commerce de Liége attribue à l’Angleterre.
A l’exception d’articles nécessaires
à la vie animale et de quelques autres, d’un poids léger, sur lesquels la
répression de la fraude n’exerçait pas d’action, tous les autres ont été
tarifés d’après le même système convenu. Les chiffres ont été arrêtés au-delà
d’une limite à laquelle la concurrence étrangère restait impossible. Les faits
l’ont d’ailleurs suffisamment prouvé.
Les honorables députés de Liège sont
parfaitement d’accord avec le pays tout entier sur un neuvième principe
commercial concernant la protection de l’industrie indigène.
Ils ne refusent pas une prohibition
pour les fers, les bouilles et les armes de la province de Liége.
M. Lesoinne. -
Pas pour les armes.
M. de Foere. - Je me bornerai donc aux fers et aux houilles. Dans leurs documents
envoyés à la commission d’enquête, Liége et Verviers ont admis le principe
qu’il faut une juste protection pour toutes les industries du pays. Or la
construction des navires est une industrie extrêmement importante ; elle fait
vivre une foule d’autres industries, et elle donne une valeur à plusieurs
produits naturels du pays. La navigation est une autre industrie non moins
importante. En exploitant ces deux industries, nous employons nos capitaux, nos
bras et nos matières premières. En exerçant la navigation commerciale par
nous-mêmes sur une plus grande échelle, nous n’aurons plus la simplicité de
payer chaque année, pour frets, 7 millions à la navigation étrangère. Liége et
Verviers comprennent donc qu’il y aurait de l’inconséquence à distraire ces
deux industries du principe général qui veut que chaque industrie importante du
pays soit protégée suffisamment.
Anvers, Liége, Verviers vivent, en
dixième lieu, dans une parfaite harmonie relativement à l’établissement du
transit. Ces villes y ont toujours attaché de grands avantages. C’est la raison
pour laquelle elles ont applaudi hautement à la construction du chemin de fer
destiné à lier commercialement la mer par Liège et Verviers au Rhin, Mais,
comme l’honorable M. de
Plus vous pourrez importer des pays
lointains pour le transit, plus vous aurez des moyens d’exporter, parce que les
moyens sont presque toujours dans les retours avantageux.
J’ai mis en évidence les opinions
professées par la province de Liége aussi bien que par toutes les autres
provinces, sur les principales bases sur lesquelles repose le système des
droits différentiels efficace. Après avoir établi cette parfaite conformité
d’opinions sur un grand nombre de points essentiels qui dominent la question,
je me suis mis à la recherche des dissidences essentielles qui pourraient
encore exister entre le gouvernement, la commission d’enquête et la chambre de
commerce d’Anvers d’un côté, et la province de Liége de l’autre.
Je dois le dire, je n’en ai découvert
aucune. Dans tous les cas, s’il en existe, je suis disposé à les accepter en
discussion.
Si vous portez la discussion sur le
terrain de la navigation vers
On a beaucoup parlé qu’il ne faut pas
surexciter dangereusement les espérances des industriels, en leur faisant
accroire que, par l’établissement d’un système de droits différentiels
efficace, ils pourront immédiatement exporter leurs produits dans les contrées
lointaines. Jamais semblable opinion n’a été émise par aucun membre de la
commission. Il a été, au contraire, établi, que les avantages ne pourraient
être recueillis que progressivement, soit pour les produits du pays qui
réunissent dès aujourd’hui les conditions d’exportation et qui, au moyen de
l’exclusion de notre navigation, trouveront un placement plus étendu et plus
général, soit pour les mêmes produits dont l’exportation dans diverses contrées
lointaines n’a point encore été utilement essayée, soit enfin pour ceux que nos
industriels chercheront à améliorer en qualités et en prix. C’est dans ce but
que la législature et le gouvernement doivent à l’industrie et au commerce des
moyens d’exportation.
Ce sont ces moyens que nous
demandons. Si quelques industries restent arriérées, si, supposition
presqu’absurde, elles ne progressaient pas, le gouvernement et les chambres
auraient rempli leur devoir. Si, au contraire, en suivant l’instinct de leurs
intérêts, elles veulent progresser et améliorer leurs produits, en prix et en
qualités, nous avons l’entière conviction, basée sur l’expérience générale, que
la législature leur aura donné les moyens d’exporter.
Quoiqu’on nous l’ait plusieurs fois
reproché, nous n’avons jamais présente un système de droits différentiels
efficace comme une panacée universelle à toutes les plaies du pays. Jamais une
telle opinion n’a été émise de notre part. C’est un système qui doit
puissamment, mais progressivement, aider nos exportations. C’est de la même
manière qu’en Angleterre, comme dans tous les autres pays, le système a opéré
sur les exportations de leur industrie. L’Angleterre ne cesse d’attribuer à sa
protection maritime les prodigieux développements de son industrie et de son
commerce. Les mêmes expériences sont faites aujourd’hui en France.
On a aussi objecté qu’en France et en
Angleterre on protège la marine marchande dans les intérêts presqu’exclusifs de
leur marine militaire. A cet égard, on est tombé, depuis plusieurs années, dans
des erreurs graves qu’on répète encore aujourd’hui dans cette enceinte.
La vérité est exactement dans
la proposition inverse. L’Angleterre et la France ont une marine militaire,
dans le but presqu’exclusif de protéger leur marine marchande et leurs colonies
qui, elles-mêmes, se lient à leur industrie. La marine militaire n’est pas le
but ; c’est le moyen. C’est la marine marchande qui est le but. Si leur marine
marchande et leurs colonies ne devaient point être protégées, leur marine
militaire serait presque inutile.
Nous n’avons pas besoin de marine
militaire, par trois raisons :
Comme rapporteur de la commission
d’enquête, je me propose de prendre de nouveau la parole, soit pour défendre
les positions qu’elle a prises, soit pour discuter mes questions de détail.
(Moniteur
belge, n°132, du 11 mai 1844) M. Mast de
Vries. - En prenant la parole, messieurs,
dans la grave discussion qui nous occupe, je n’ai pas la prétention de jeter de
nouvelles lumières sur une question traitée avec tant de talent par les
orateurs des deux opinions qui divisent la chambre ; mais ayant eu l’honneur de
faire partie de l’enquête parlementaire, je crois devoir vous donner les
raisons qui me font dévier des conclusions qui vous ont été présentées par la
commission.
A quelque opinion que l’on
appartienne, il faut convenir, messieurs, que cette opinion a été quelque peu
ébranlée par la discussion. Ce qui se passe dans cette chambre a lieu aussi
dans le pays. Ainsi, par exemple, si mes souvenirs sont exacts, telle réunion
de négociants d’une de nos grandes villes, unanime pour demander le régime
protecteur, se trouve divisée aujourd’hui et réclame en partie contre les
droits différentiels. Telle chambre de commerce opposée en grande partie au
système de droits protecteurs, avait, après une longue discussion, admis ce
système, sauf quelques exceptions. De nouveau, aujourd’hui, elle se trouve
divisée. Cet état de choses ne me surprend point. Quand on doit passer d’un
système à un autre, que l’exécution est immédiate, que l’expérience va se
faire, le doute vient exercer toute son influence. L’on craint de changer un
certain passable contre un incertain brillant ; quant à moi, messieurs, je
me hâte de le déclarer, dans la situation où nous nous trouvons, si j’avais la
certitude de pouvoir conserver la situation commerciale actuelle, quelque
décriée qu’elle soit, je rejetterais tout autre système. Mais malheureusement
c’est la conviction contraire qui me domine ; les explications si franches
données par le gouvernement dans le comité général ne me laissent aucun espoir
à cet égard ; le rétrécissement de nos relations commerciales m’obligera à
donner ma voix un système nouveau. Puissions-nous avoir la main heureuse dans
notre choix !
Mais, pour que ce système nouveau
soit vraiment national, il faut qu’il puisse réunir le plus grand nombre de
voix possible ; il faut faire en sorte que le commerce de
La 1ère année, la différence serait
si minime qu’il est impossible que nos relations puissent s’en ressentir.
J’espère qu’il en sera de même par la suite. Mais si, au bout de la 3ème ou
4ème année, nos relations diminuaient, ce serait un indice certain que nous
aurions atteint le point culminant du système différentiel, ce serait l’indice
le plus sûr, celui qui frapperait le plus le pays ; ce serait le vrai moment de
s’arrêter.
En admettant cet amendement,
messieurs, vous feriez disparaître aussi toute appréhension de représailles des
gouvernements étrangers ; ils pourraient étudier à leur tour les différentes
phases par où nous passerions, et être amenés ainsi insensiblement à établir
des relations plus avantageuses avec nous.
J’ajouterai, messieurs, que cet
amendement présente encore cet immense avantage, que nos armateurs pourraient
se procurer, à mesure des besoins, les navires nécessaires, et nous éviterions
par là de devoir nationaliser des vaisseaux étrangers.
Vous avez entendu les doléances des
représentants du commerce de
Pour obvier à cet état de
choses, pour laisser le commerce de
« Les importations de denrées
coloniales faites par
Je ferai une application de cette
disposition.
D’après le projet, le café, importé
par
J’espère que vous apprécierez et que
vous appuierez ma proposition, et que vous la jugerez de nature à faire
disparaître des rivalités d’intérêts, qui ont souvent les résultats les plus
fâcheux et les plus déplorables.
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur, en répondant à mon discours, a
accepté le terrain sur lequel j’ai placé la discussion. Il a reconnu que la
raison la plus forte que l’on puisse invoquer en faveur des droits
différentiels, c’est qu’ils contribueraient puissamment à l’exportation des
produits de notre industrie. Il a reconnu que le système des droits
différentiels serait considérablement affaibli, s’il était démontré que son
influence sur nos exportations serait nul ou peu sensible.
Voici les paroles de M. le ministre
de l’intérieur ; telles qu’elles sont consignées au Journal officiel :
« L’honorable M. Delfosse a
placé la question sur son véritable terrain. S’il est vrai que les calculs de
probabilité que j’ai présentes soient démentis par l’expérience ; s’il est vrai
qu’il n’y ait pas de corrélation entre les exportations belges et les
importations des pays transatlantiques par pavillon beige, le système est
condamné dans son but principal. »
Il ne me sera pas difficile,
messieurs, de démontrer que l’opinion, qui, de l’aveu de M. le ministre de
l’intérieur, condamne le système des droits différentiels dans son but
principal, est une opinion vraie, fondée sur l’expérience.
J’ai déjà prouvé, la première fois
que j’ai eu la parole, qu’en général, nos relations directes avec les pays
transatlantiques ont donné lieu à peu d’exportations. M. le ministre de
l’intérieur a été obligé d’en convenir ; mais il a prétendu que j’avais négligé
une distinction essentielle.
M. le ministre de l’intérieur n’a pas
nié ce fait que nos exportations dans les pays de provenance sont presque
nulles, si on les compare nos achats dans ces mêmes pays, Mais tout en
admettant ce fait, il a soutenu que si nos relations directes, prises en masse,
sans acception de pavillon, ont donné lieu à peu d’exportations, il n’en a pas
été de même de nos relations directes par navires belges.
M. le ministre de l’intérieur en a
conclu que tout au moins les relations directes par navires sont favorables aux
exportations.
M. le ministre de l’intérieur s’est
livré à des calculs de probabilités fondés en partie sur les chiffres de nos
exportations dans les pays de provenances. D’après ces calculs, il y aurait
plus de probabilités d’exportations par navires belges allant aux lieux de
provenances que par navires étrangers ayant la même destination, et surtout que
par navires, soit belges, soit étrangers, en destination pour les pays
d’entrepôt
Les calculs de M. le ministre de l’intérieur
tombent, en partie, devant ce fait que j’ai signalé l’autre jour, que toutes
proportions gardées, nous avons placé en Hollande, pays d’entrepôt, plus de
produits que dans les pays transatlantiques. La proportion de nos ventes à nos
achats en Hollande, est de 13 à 19 ; aux Etats-Unis, au Brésil, à Cuba, à Rio
de
A ces faits significatifs j’aurais pu
joindre un fait plus significatif encore : c’est que la proportion de nos
ventes à nos achats dans les villes anséatiques est de 6 à 1. En 1842, nous
n’avons reçu des villes anséatiques que pour 1,590,736 fr. et nous y avons
exporté pour 9,894,999 fr.
Je maintiens qu’en présence de ces
faits l’on n’est pas admis à soutenir que les relations directes sont plus
favorables à nos exportations que les relations avec les pays d’entrepôt.
L’autre partie des calculs de M. le
ministre de l’intérieur est-elle plus vraie ? Y a-t-il plus de probabilités
d’exportation par navires belges que par navires étrangers ? Je ne le pense
pas, messieurs. Je pense, au contraire, que la plus grande probabilité
d’exportation est pour le navire étranger, si le fret de ce navire est plus bas
que celui du navire belge. Ce n’est pas la couleur du pavillon, c’est la
modicité du fret qui attire les produits destinés à l’exportation.
Je sais bien, et M. le ministre de
l’intérieur nous l’a dit, qu’il y a eu, toutes proportions gardées, plus
d’exportations dans les pays transatlantiques par navires belges que par navires
étrangers. Mais quelle en est la cause ? N’est-ce pas, messieurs, parce que le
gouvernement a accordé des subsides aux navires belges ? Pour obtenir ces
subsides, les navires belges devaient avoir des départs réguliers et se
contenter d’un fret peu élevé. Cette circonstance, bien loin d’appuyer les
calculs de M. le ministre de l’intérieur, les renverse. Elle prouve ce que je
disais tantôt, que ce n’est pas la couleur du pavillon, mais la modicité du
fret qui attire les produits destinés à l’exportation.
Je n’ai pas blâmé, messieurs, les
subsides que le gouvernement a accordés aux navires belges qui avaient des
départs réguliers pour les pays transatlantiques, de même que je n’ai pas blâmé
l’établissement d’une navigation à vapeur entre
Je persiste à croire que ce qui
facilite les exportations, ce ne sont pas les relations directes, même par
navires belges, mais que c’est la production à bon marché. Rien de ce qui a été
dit, ni par M. le ministre de l’intérieur, ni par les autres partisans des
droits différentiels, n’a affaibli cette vérité, qui est incontestable, et que
tous les calculs de probabilités de M, le ministre de l’intérieur ne sauraient
détruire.
Mais., m’a demandé M. le ministre de
l’intérieur, comment se fait-il, si la production à bon marché peut se passer
de l’appui des droits différentiels, comment se fait-il que les Anglais et les
Français fournissent au Brésil beaucoup plus de draps que nous, alors qu’il est
reconnu que nous fabriquons les draps mieux et à meilleur marché qu’eux ?
Messieurs, la réponse à cette question est très facile. Si les Anglais et les
Français fournissent plus de draps au Brésil que nous, c’est qu’ils fabriquent
des qualités qui conviennent au Brésil, de qualités que le Brésil veut avoir et
que nous ne fabriquons pas.
La preuve, messieurs, que la cause de
notre infériorité au Brésil, pour la vente des draps, n’est pas dans l’absence
d’un système de droits différentiels, c’est qu’aux Etats-Unis nos draps sont
préférés aux draps de France et d’Angleterre. Et cependant le système des
droits différentiels est établi en France et en Angleterre, pour les Etats-Unis
tout comme pour le Brésil.
Si je faisais une concession à M. le
ministre de l’intérieur, concession toute gratuite ; si j’admettais avec lui
qu’il y a plus de probabilités d’exportations par navires belges que par
navires étrangers, il ne faudrait pas encore en conclure que l’accroissement de
nos relations directes par navires belges nous ferait exporter plus de
produits.
On peut dire, messieurs, que nous
avons exporté jusqu’à ce jour dans les pays transatlantiques, tout ce qui
pouvait y être exporté, tout ce qui pouvait y être placé avantageusement ; ce
qui le prouve, c’est que les navires belges sont partis, les uns sur lest, les
autres avec des charges incomplètes.
En 1842, quatorze navires belges de
3,070 tonneaux sont partis pour le Brésil, avec une charge de 2,213 tonneaux
seulement ; un navire belge est parti sur lest pour la même destination, trois
navires belges de 983 tonneaux sont partis pour Haïti, avec une charge de 141
tonneaux seulement. Quatre navires de 808 tonneaux, partis pour Rio de
Il est évident, messieurs, que si
d’autres produits que ceux qui ont été exportés dans les pays transatlantiques,
avaient pu y être placés avantageusement, les navires belges ne seraient pas
sortis sur lest, ou avec un chargement incomplet ; ce ne sont ni les relations
directes, ni les navires belges qui ont manqué, ce sont les produits
susceptibles d’être placés avantageusement.
S’il n’y avait pas de ces produits
pour les navires belges qui sont partis sur lest ou avec un chargement
incomplet, il n’y en aurait pas eu davantage pour d’autres navires.
Je ne puis résister, messieurs, au
désir de vous lire quelques extraits d’une lettre qui m’a été adressée hier par
un homme profondément versé dans la science des faits commerciaux, d’un homme
qui a voyagé et résidé longtemps dans les pays transatlantiques :
« Il n’y a, m’écrit-il, entre
autres choses, aucune corrélation nécessaire ou de fait entre les importations
et les exportations, soit vers les pays lointains, soit vers les pays
limitrophes. Non seulement vos chiffres le prouvent à l’évidence, mais les
relevés du commerce de tous les pays en sont à chaque page la démonstration la
plus précise.
« Ainsi la France qui n’admet
pas comme nous la consommation des produits brésiliens, qui surtaxe les cafés,
les sucres, etc., du Brésil, de droits énormes, y envoie cependant une quantité
considérable de produits que nous fabriquons mieux et à meilleur marché
qu’elle. L’Angleterre est absolument dans le même cas, et c’est la situation
désavantageuse où ce système la met pour les paiements, qui a engagé, disons
mieux, qui a forcé le cabinet tory à proposer la réduction des droits
différentiels et autres qu’il avait énergiquement repoussée en 1840,
lorsqu’elle était présentée par ses adversaires politiques.
«
« Mais nous-mêmes n’exportons-nous
pas en France malgré les protections, malgré les prohibitions dont elle couvre
ses frontières, pour une somme plus considérable que nous n’importons de chez
elle, même officiellement ; car si l’on ajoutait au chiffre officiel la somme
des affaires clandestines, on arriverait à une différence encore bien plus
considérable.
« Nous avons exporté en Allemagne, en
Hollande, en France et dans le Grand-Duché, pour 169 1/2 millions au commerce
général en 1842, et pour 113 millions au commerce spécial ; nous en avons
importé seulement pour 134 millions au commerce général et pour 97 millions au
commerce spécial.
« Ainsi donc, nous restreindrions nos
relations, déjà désavantageuses, selon moi, avec les pays voisins, qui nous
achètent la presque totalité de nos produits superflus, pour aller chercher
mieux sur des marchés que nos négociants ont toujours refusé d’approvisionner,
à cause des chances de pertes et de tromperies qu’ils offrent. On peut faire
sortir notre commerce de ses voies naturelles pour le lancer, malgré lui, dans
une route où jusqu’à présent il n’a pas trouvé une sécurité suffisante.
« Le défaut de corrélation qui
existe entre les exportations et les importions s’explique sans peine,
lorsqu’on a vu comment les choses se passent dans les ports lointains, et même
à Anvers. Avant de nous proposer des droits différentiels, les auteurs de la
proposition auraient bien dû prendre l’air des ports étrangers ; ils en
seraient revenus guéris, sans aucun doute, de leur fièvre d’innovation.
« Entrons dans l’une des quatre
bourses de
« Il ne peut donc y avoir aucune
corrélation entre des opérations absolument distinctes, séparées, et c’est
vouloir ramener le commerce à son enfance, aux temps de la compagnie des Indes
orientales, à Ostende et en Hollande, que de vouloir faire coïncider les
exportations avec les importations, puisque ni au Havre, ni à Liverpool, ni à
Londres, ni à Marseille, ni à New York, ni dans aucun grand centre commercial,
cette corrélation n’existe, et qu’il a été reconnu par l’Angleterre elle-même
lorsqu’elle a supprimé la compagnie des Indes occidentales, qu’il était
fâcheux, onéreux que cette coïncidence existât forcément.
« Or n’est-il pas de la dernière
évidence que si l’on frappe l’expéditeur américain, ou autre, de droits
différentiels, il adressera ses marchandises vers le port où il trouvera
meilleur accueil et plus de certitude de placement.
« Mais, dit-on, c’est précisément
pour le forcer à expédier les marchandises à Anvers directement, que l’on veut
frapper ces expéditions indirectes d’un droit différentiel. Il faut seulement avoir
parcouru une fois les quais de New-York ou de
« En effet, sur 4, 6 et quelquefois
800 navires au long cours, qui s’y trouvent rangés, vous n’y voyez jamais un
pavillon belge, du moins à l’époque où j’y étais. À peine 6 ou 8 français. Une
vingtaine d’anglais, et autant de brêmois ou d’hambourgeois. Tous les autres
navires sont des américains, quoique tous les autres pavillons soient reçus sur le même pied qu’eux. Or, n’est-il pas
évident que l’expéditeur ne pourra attendre qu’il plaise à un navire belge de
se risquer dans ces parages, pour envoyer des produits à Anvers, en ligne
directe. Peu lui importe si nous prenons ses cotons directement ou indirectement
; ce qu’il veut, c’est une certitude d’écoulement. Or, qui lui garantit, s’il
envoyait ses cotons par un navire américain, par exemple, qu’il ne trouverait
pas à Anvers des expéditions faites d’Egypte ou d’ailleurs, par pavillon belge,
ce qui ruinerait sa spéculation. Dans le doute, il fera comme le sage, comme
font nos négociants à l’égard des marchés qu’on leur préconise, il
s’abstiendra.
« Maintenant nous nous demandons :
Qu’importe à Anvers de recevoir les colons de première, de deuxième ou de
centième main, si nos fabricants y trouvent leur avantage, si nos
commissionnaires, nos importateurs y ont le même bénéfice ; si, au moyen des
immenses magasins de l’Angleterre, ils évitent ces grands approvisionnements
ruineux, par les capitaux énormes qu’ils exigent ; à mesure qu’Anvers offrira
un écoulement plus régulier, plus assuré, plus large, les consignations
directes prendront naturellement le chemin de son port, sans effort, sans
violence, par l’intérêt seul des expéditeurs étrangers. Ce qu’il doit donc demander,
et ce que le pays doit lui accorder, c’est tout ce qui peut tendre à diminuer
le fret et les frais de transport tant à l’entrée qu’à la sortie. Il faut
surtout diminuer ces droits d’entrée qui agissent d’une manière si funeste sur
les spéculations commerciales en les transformant en une véritable loterie où
la hausse et la baisse de quelques centimes n’affectant ni le droit ni les
frais, occasionnent ces gains désordonnés, ces ruines instantanées qui
troublent le commerce ou exigent des moyens qui ruinent les pays qui doivent
les supporter. »
Voilà, messieurs, l’opinion d’un
homme qui, comme je le disais tantôt, et comme vous avez pu le remarquer à la
lecture que je viens de faire, est profondément versé dans la science des faits
commerciaux ; vous voyez que les relations directes, même par navires belges,
exercent peu d’influence sur les exportations. Dès lors, de l’aveu de M. le
ministre de l’intérieur, le système des droits différentiels est condamné dans
son but principal.
Les raisons que j’ai fait valoir pour
démontrer que le système des droits différentiels, bien loin de développer
notre industrie, lui fera, au contraire, beaucoup de mal, ces raisons sont
restées debout.
Les droits différentiels amèneront ou
bien un renchérissement du fret et des matières premières, ou bien un déficit
qu’il faudra couvrir par de nouveaux impôts, dont l’industrie paiera sa part.
Je l’ai prouvé, et l’on ne m’a pas répondu.
Les droits différentiels porteront un
coup fatal au batelage aux usines et aux houillères de la province de Liège. Je
l’ai prouvé, et l’on ne m’a pas répondu. M. le ministre de l’intérieur et
d’autres partisans des droits différentiels ont bien dit que les exportations
de la province de Liége en Hollande, par la voie de
Ici l’honorable abbé de Foere a
encore cru remarquer une contradiction. « Quoi ! vient-il de nous dire, Liège
trouve que les retours de
Le système des droits différentiels
amènera des représailles qui frapperont toutes les industries du pays, qui
priveront subitement le pays d’un débouché de plus de 26 millions de francs. Je
l’ai dit ; on l’a nié ; chose facile, mais on a laissé sans réponse deux points
sur lesquels j’ai insisté et qui sont décisifs. Le gouvernement des Pays-Bas a
usé dans le temps de représailles contre la France, parce que la France avait
élevé son tarif. La mesure prise par la France était cependant une mesure
générale, tout comme celle qu’on nous propose.
Le gouvernement des Pays-Bas, lié par
ses traités envers l’Angleterre, se trouve dans l’impossibilité de nous faire
de grandes concessions ; il n’a d’autres ressources que l’emploi de
représailles pour obtenir de nous le retour au statu quo ; voila les deux
points auxquels on aurait dû répondre.
Je sais bien que M le ministre de
l’intérieur craint d’aborder cette question en séance publique. Pauvre homme
d’Etat, en vérité ! Mais les orateurs qui ont pris la parole après lui
n’étaient pas tenus à garder la même circonspection. L’honorable M. Donny, se
renfermant dans une réserve diplomatique qui peut s’expliquer par le rôle que
l’honorable membre a joué dans les négociations d’Utrecht ; l’honorable M.
Donny m’a dit, pour toute réponse, qu’il fallait avoir foi dans la sagesse du
gouvernement.
Il est étrange, messieurs, qu’on
vienne nous parler de la sagesse du gouvernement, dans un moment où nous sommes
encore sous l’impression récente des communications qui nous ont été faites, et
qui ont prouvé l’insuffisance, je ne veux pas dire l’ineptie du gouvernement
dans ces relations internationales. Si je ne connaissais le caractère de
l’honorable M. Donny, je serais tenté de voir dans cet appel à la sagesse du
gouvernement, le désir d’engager le gouvernement, pour le cas où de nouvelles
négociations seraient ouvertes, à avoir recours une seconde fois au talent
diplomatique de l’honorable député d’Ostende. (On rit.)
M. Donny. - Rien n’est plus loin de ma pensée.
M. Delfosse. - Je veux le croire.
L’honorable M. Dumortier m’a accusé
d’imprudence, parce que j’avais parlé des représailles. Je l’ai déjà dit en
comité secret ; je suis convaincu que le gouvernement hollandais se déterminera
lorsqu’il devra prendre une résolution, non d’après les paroles que j’aurai
prononcées dans cette enceinte, mais d’après les intérêts de
J’ai cru remplir un devoir, et je
crois encore que j’ai rempli ce devoir, en signalant à mon pays le danger dont
il est menacé ; si j’ai commis une imprudence, je prie l’honorable M. Dumortier
de vouloir bien en accepter sa part, car si j’ai dit que l’adoption du projet
de loi amènerait des représailles, l’honorable M. Dumortier a dit que
l’adoption du projet de loi sans modifications amènerait des représailles…
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.
M. Delfosse. - Vous avez dit que si l’on maintenait la faveur accordée aux
entrepôts situés au-delà de Gibraltar et du Sund, on s’exposerait à des
représailles de la part de
M. Dumortier. - J’ai dit que cela aurait l’apparence d’une mesure hostile à
M. Delfosse. - C’est au fond la même chose.
Messieurs, j’ai écouté et lu avec
beaucoup d’attention tous les discours qui ont été prononcés, et, je dois le
dire, je n’ai trouvé dans la plupart d’entre eux que des doutes, des
hésitations. Et c’est dans une telle situation d’esprit, c’est lorsque l’on
doute, lorsqu’on hésite, qu’on irait bouleverser tout le système commercial et
exposer le pays aux plus graves dangers !
Mais, nous dit M. le ministre de
l’intérieur, il faut de la justice, il faut pour tous la liberté commerciale ou
le système protecteur ; le système protecteur est un ; le littoral a fait des
sacrifices au reste du pays ; il faut que le reste du pays fasse à son tour des
sacrifices au littoral, il faut que les destinées du littoral s’accomplissent.
Messieurs, lorsque j’ai entendu ces
paroles, lorsque j’ai entendu M. le ministre de l’intérieur nous dire qu’il
fallait justice pour tous, qu’il fallait de la protection pour tous, j’ai cru
que, conséquent avec ses paroles, il allait nous proposer des mesures
favorables à la navigation de
La navigation maritime se trouve déjà
protégée, la navigation de
S’il faut de la justice pour tous,
protégez donc la navigation de
Je le sais, la province de Liége,
comme la province de Hainaut, jouit d’une forte protection pour les charbons et
pour les fers. Je n’avais pas l’honneur de faire partie de la représentation
nationale, lorsque cette protection a été établie, et je suis encore à me
demander si elle était bien nécessaire ; je suis à me demander si elle n’a pas
contribué à cette production exagérée qui cause aujourd’hui tant d’embarras à
nos industriels.
En 1840, lorsque l’honorable M.
Mercier, qu’il veuille bien se le rappeler, proposa l’augmentation du droit
d’entrée sur certains fers anglais, je fus le premier à élever la voix pour
m’opposer à cette augmentation. Dernièrement, il est vrai, j’ai voté
l’augmentation du droit d’entrée sur les fontes anglaises. Je l’ai fait, parce
qu’il paraissait y avoir unanimité dans cette chambre, parce qu’on nous disait
que nous nous trouvions dans une position exceptionnelle, que le pays courait
risque d’être inondé de fontes anglaises, et qu’il en résulterait une grave
perturbation industrielle. Ce sont ces raisons, tout exceptionnelles, qui ont
entraîné mon vote, et encore ce vote, je ne l’ai pas donné sans quelque
répugnance. Mais, je le déclare hautement, je ne considérais cette mesure que
comme temporaire, et le jour où le gouvernement viendra en proposer
l’abrogation, il pourra compter sur mon assentiment.
Je pense que les industriels de la
province de Liège et du Hainaut ne seraient pas, le cas échéant, opposés à une
réduction des droits d’entrée sur les fers et les charbons. La chambre de
commerce de Liége a proposé elle-même, dans un mémoire adressé au gouvernement,
une réduction de 50 p. c. du droit d’entrée sur les charbons.
Ne perdons d’ailleurs pas de vue,
messieurs, qu’autant il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, de
soutenir, par des protections, les industries dans lesquelles des capitaux
considérables sont engagés, autant il peut être dangereux de pousser par des
protections nouvelles les capitaux dans une mauvaise voie, dans une voie peu
productive.
Ce sont là les principes d’économie appliquée
de M. Rossi, dont l’honorable M. d’Hoffschmidt invoquait dernièrement
l’autorité.
On parle toujours comme si le
littoral n’avait fait que des sacrifices sans compensation, comme si le
littoral ne jouissait d’aucune faveur. Mais n’est-ce donc rien que les primes
accordées à la construction des navires ? N’est-ce donc rien que le monopole du
sel ? N’est-ce donc rien que le quasi-monopole du sucre ? N’est ce donc rien
que la faveur accordée pour le tonnage ? N’est-ce dont rien que la remise des
10 p. c. sur tous les droits d’entrée ? N’est-ce donc rien que la protection
accordée à la pêche nationale ? N’est-ce donc rien enfin que le remboursement
du péage de l’Escaut, qui s’élève déjà à 800,000 fr. et qui, si les vœux
sincères que je forme pour la prospérité d’Anvers se réalisent, pourra un jour
s’élever à deux millions.
Il faut, dit-on, que les destinées du
littoral s’accomplissent.... Oui, messieurs, il faut que les destinées du
littoral s’accomplissent, mais ce n’est pas par de mesquines entraves qu’elles
s’accompliront.
Tel était l’avis des députés
d’Anvers, lorsque la grave question du péage de l‘Escaut a été agitée, alors
ils demandaient l’admission égale des navires de tous pays, de toute
provenance. D’accord avec eux, je dis : Oui, il faut que les destinées du
littoral s’accomplissent, mais c’est par la liberté qu’elles s’accompliront.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, la question que nous avons à résoudre est celle de savoir
si
En effet, messieurs, compter sur le
système actuel, lorsque pendant 14 ans, non seulement il n’est pas parvenu a
augmenter nos relations commerciales, mais n’a pas même pu maintenir le statu
quo de ces relations ; compter sur le système actuel pour fonder un commerce
maritime étendu, c’est se complaire dans une illusion que l’expérience dément.
Je suis étonné de rencontrer parmi
les adversaires du projet du gouvernement d’honorables membres que j’ai trouves
à côte de moi, en 1840, lorsqu’il s’est agi d’établir un service de bateaux à
vapeur entre Anvers et New York, pour démontrer l’importance de ces marchés
lointains, pour déplorer l’insignifiance de nos exportations vers les pays
transatlantiques. Alors les honorables MM. David et Lys nous disaient que ce
marché transatlantique était la vie, l’avenir de l’industrie belge.
Le moyen de la navigation à vapeur
nous était présenté alors comme devant provoquer nos exportations lointaines ;
c’était, disait-on, une œuvre grande dont on faisait honneur au ministère de
cette époque ; on convenait qu’il fallait sortir du statu quo reconnu par tous
comme impuissant pour développer notre commerce maritime.
En 1840, on n’invoquait pas, comme
l’honorable M. Delfosse vient de le faire, l’exemple de
Alors il fallait sortir du statu quo,
rompre le cercle vicieux dans lequel nous étions renfermés, quant à nos
exportations lointaines. Aujourd’hui on change de langage. Cet avenir de
l’industrie belge, on semble y renoncer, puisqu’on se résigne à défendre le
statu quo que l’on croyait insuffisant en 1840 pour créer cet avenir.
Messieurs, on dirait, à entendre
quelques membres, qu’il s agit d’opter entre les marchés transatlantiques et
les marches européens de la France, de
J’ai une opinion contraire : si, par
un meilleur système commercial prudemment établi, nous parvenions à doubler, à
quintupler, comme il est possible de le faire, nos exportations insignifiantes
de 6 à 7 millions vers les contrées tropicales, n’est-il par évident que nous
serions plus forts, dans nos négociations, par cela seul que nous en aurions
moins besoin, que nous serions moins à leur merci.
Messieurs, l’ouverture des marchés
transatlantiques pour notre industrie n’est pas soumise aux mêmes difficultés
dont sont entourées les négociations avec les pays d’Europe. Ces marchés sont
ouverts à
Je dis : il s’agit de compléter notre
législation commerciale ; car nos adversaires ont toujours présenté le système
du gouvernement comme devant provoquer une espèce de révolution dans notre
législation intérieure.
Messieurs, il n’en est rien. Le
système différentiel n’existe-t-il donc pas chez nous ? Personne n’ignore que
la navigation nationale jouit d’une prime différentielle de 10 p. c. sur les
droits de douane, que nous avons un droit différentiel prohibitif pour
l’importation du sel, que ces droits sont établis relativement à la pêche, au
sucre et aux thés. Le système existe donc. La question est de savoir s’il faut
l’étendre à d’autres articles de notre tarif, s’il faut surtout mieux le
régulariser qu’il ne l’est.
Je vais aborder les objections
essentielles qui ont été faites contre le projet qu’il s’agit d’adopter.
J’en demande pardon aux honorables
membres qui ont fait l’objection, mais ils n’en ont pas compris la
signification. Une chose évidente, c’est que le système des droits
différentiels est surtout propre aux pays qui n’ont pas de colonies. En effet,
quelle est la position des pays qui n’ont pas de colonies, comme l’Allemagne,
et
L’Allemagne et
En présence de ce double fait,
comment se fait-il que ce soient la France et l’Angleterre qui exportent vers
le continent américain, chacune pour plusieurs centaines de millions de francs,
tandis que l’Allemagne y expédie beaucoup moins et
M. le ministre de l’intérieur l’a
déjà constaté : le commerce avec les colonies se fait en général par échanges.
L’honorable M. Delfosse a nié la corrélation qu’il y avait entre les
importations et les exportations, il a nié que le commerce avec le continent
américain se fît surtout au moyen d’échanges. Il nous a cité une autorité
anonyme que je suis prêt à respecter ; mais j’ai à lui opposer une autre
autorité autrement imposante, c’est l’enquête anglaise de 1840, dont je
citerais des passages, si je ne craignais d’être trop long....
Plusieurs membres. - Lisez ! lisez !
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Puisqu’on m’y invite, je vous
en lirai quelques passages, vous verrez par ces passages qu’il a été établi
dans l’enquête d’Angleterre de 1840, qu’il y avait nécessité presque générale
de prendre au Brésil, à
On demandait à Mac Gregor, sous le n°
901 :
« Les droits élevés sur l’importation
du café des colonies étrangères, n’entravent-ils pas nos relations commerciales
avec ces pays ?
« Réponse. Oui,
« N°902. De quelle manière
s’établissent ces entraves ?
« Réponse. Comme une restriction
au commerce naturel, que nous saurions poursuivre si nous recevions le café, ou
tout autre objet d’usage de ces contrées, en échange des articles qu’elles
réclament de nous.
« N°904. Cela n’oblige-t-il pas nos
marchands à rechercher le café en payement de leurs marchandises, pour
l’expédier dans d’autres ports en Europe ?
« Réponse. Ils sont forcés d’en agir
ainsi, surtout dans le commerce avec le Brésil.
« N°905. Y a-t-il d’autres modes
de payement ?
« Réponse. On y paye en
plusieurs autres produits brésiliens ; mais le gouvernement brésilien et les
marchands brésiliens nous menacent de représailles (have threatened us with
retaliating measures), si nous continuons à ne pas prendre leurs sucres et leur
café, comme étant les productions principales qu’ils aient a exporter en
payement des 3,000,000 de liv. sterl. de produits manufactures anglais qu’ils
nous achètent.
« N°906. Le refus, de la part de
l’Angleterre de recevoir le café brésilien, ne limite-t-il pas beaucoup
l’introduction des manufactures britanniques dans cette contrée ?
« Réponse. Depuis trois à quatre
ans, la diminution a été continuelle. »
Je trouve plus loin dans un autre
interrogatoire :
« Vois êtes un négociant de
Liverpool, faisant le commerce avec le Brésil ?
« Réponse. Oui.
« N°1953. Avec quelle partie du
Brésil commercez-vous ?
« Réponse. Avec Fernambouc.
« N°1954. Exportez-vous des
manufactures britanniques ?
« Réponse. Oui.
« N° 1955. Depuis quand ?
« Réponse. Depuis quatorze ou
ans ans que je réside à Liverpool.
« N°1957. En quelle monnaie se payent
les manufactures britanniques que vous vendez à Fernambouc ?
« Réponse. En papier-monnaie.
« N°1958. Quelle est la valeur de
cette monnaie comparée avec les espèces métalliques ?
« Réponse. Les espèces
(piastres) jouissent d’une prime de 50 à 60 p. c.
« N° 1959. Le papier-monnaie est
donc déprécié
« Réponse. Oui.
« N° 1960. Est-il facile de se
procurer des lettres de change sur l’Angleterre ou sur l’Europe ?
« Réponse. Cela nous est très difficile.
« N° 1961. Dans ce cas, vous êtes en
quelque sorte contraint de prendre des produits brésiliens en échange des
manufactures britanniques ?
« Réponse. Très fréquemment.
« N° 1962. Etes-vous souvent obligé
de prendre du sucre comme le meilleur mode de payement des marchandises que
vous exportez à Fernambouc ?
« Réponse. Oui. »
Ainsi, messieurs, il a été démontré
dans l’enquête anglaise qu’on ne paye en général aux colonies qu’en papier
monnaie, que ce papier subit une dépréciation de 50 à 60 p. c. relativement aux
espèces métalliques, qu’on trouve difficilement des lettres de change sur
l’Europe, qu’en conséquence, il faut presque toujours échanger les produits
manufacturés d’Europe contre des produits des colonies.
L’allégation de M. Delfosse est donc
détruite par les faits consignés dans l’enquête que je viens de citer et dont
l’autorité est autrement imposante, comme je le disais tout à l’heure, que
l’autorité anonyme sur laquelle il s’est appuyé.
Ainsi, messieurs, je vous ai demandé
tout à l’heure comment il se faisait que la France et l’Angleterre, qui ont un
régime colonial qui exclut en fait les produits des autres colonies que les
leurs, de leur propre consommation, sont parvenues à exploiter
presqu’exclusivement ces colonies libres où nous n’envoyons presque rien,
tandis que nous devrions avoir de meilleures chances d’exportations vers ces
marchés, nous qui recevons leurs denrées coloniales en consommation en
Belgique, dans les conditions les plus favorables. Je vous en ai donné la
raison : c’est parce que les pays sans colonies, comme l’Allemagne et nous,
nous permettons à l’Angleterre de diriger sur la place d’Anvers, de verser dans
notre consommation les produits coloniaux qu’elle a échangés à Rio, à Cuba et
ailleurs, contre les fabricats de Manchester qu’elle y a importés.
Pour faire mieux comprendre ma
pensée, je la présenterai sous une forme absolue.
Je suppose que l’Allemagne et
Ne résultera-t-il pas de ce fait que
l’Angleterre, par exemple, ou bien devra abandonner son régime colonial, ce
qu’elle ne fera pas, ou bien renoncera à opérer ses échanges dans les colonies
libres, dont elle ne pourra plus déverser les produits sur le continent. Ne
pouvant plus acheter que difficilement au Brésil, elle ne pourra plus y vendre
ses produits pour la somme de 125 millions de francs.
Ces 125 millions de francs seront
réservés aux nations sans colonies, le jour où ces nations adopteront un
système différentiel favorisant le commerce direct.
Je répète donc que le système des
droits différentiels convient particulièrement aux pays qui n’ont pas de
colonies ; c’est une nécessite pour eux de l’établir s’ils veulent conquérir un
commerce maritime.
Il est un fait fort important qu’il
ne faut pas perdre de vue. Un changement dans la législation des contrées
transatlantiques est peut-être prochain.
Jusqu’à présent, les colonies libres
ont admis toutes les nations qui commercent avec elles, ont admis l’Angleterre
et la France, qui les excluent, sur le même pied que les pays qui, comme nous,
les favorisent. Cette législation, peu rationnelle, sera-t-elle maintenue ? On
peut en douter. Vous savez que le Zollverein a traité avec les Etats-Unis ; il
admet leur riz, leur tabac, leur coton, à des droits exceptionnellement
favorables, à charge pour les Etats-Unis d’admettre les fabricats de
l’Allemagne à des droits abaissés.
Ce que l’Allemagne vient de faire par
un traité, c’est ce que nous pouvons faire par le système en discussion. Nous
pouvons dire aux colonies libres : nous recevrons votre café, votre sucre,
votre coton, votre riz, votre tabac, à des droits différentiels, favorables, au
désavantage du café, du riz, du tabac, du coton des Indes britanniques, dont le
marché se trouve établi à Londres et à Liverpool.
Ainsi notre système est précisément
celui qui forme la base du traité conclu entre le Zollverein et les Etats-Unis.
Pour le Brésil, un fait plus
remarquable peut être signalé : Vous savez que le Brésil, fatigué de sa
législation, a laisse périmer tous ses traités conclus avec les autres pays. Le
dernier qui expire en novembre prochain, est celui conclu avec l’Angleterre.
Dans l’enquête anglaise de 1840, tous les négociants anglais ont prévu que ce
traité ne serait pas renouvelé, à moins que l’Angleterre n’admette le commerce
libre avec le Brésil. L’Angleterre craint que le Brésil ne se refuse à la
prorogation du traité. Le gouvernement de l’Angleterre dans le but de faire une
concession au Brésil en particulier, vient de diminuer les droits sur le café
et le sucre étrangers aux plantations britanniques.
Il consent à réduire le droit sur les
cafés étrangers de 8 à 6 pence. Le droit sur le café des plantations
britanniques demeure fixé à 4 pence. L’Angleterre a cru faire ainsi une immense
concession, c’est la première fois que, dérogeant à son système général, elle
admet dans sa consommation des produits des colonies à esclaves.
Mais cette concession n’est que
fictive. Savez-vous quel est le droit différentiel que cette réduction laisse
subsister ? C’est un droit de plus de quatre cents francs par tonneau ; et nous
nous effrayons d’un droit de vingt-cinq francs par tonneau que le gouvernement
propose sur les cafés ! Pour les sucres, l’Angleterre continue à ne pas
admettre le sucre provenant des colonies à esclaves. Le droit différentiel
nouveau qu’elle se propose d’établir comme concession s’élèvera encore à 250
fr. par tonneau. Aussi il est évident qu’en présence de cette éventualité
probable du non-renouvellement du traité de l’Angleterre avec le Brésil, nous
devons adopter un système qui favorise le commerce direct entre le Brésil et
Une des objections que l’on vient de
renouveler encore, c’est l’état d’infériorité de certains articles de
l’industrie belge pour l’exportation. On dit : Produisez à bon marché et mieux
; vous exporterez quel que soit votre système.
En 1840, les honorables MM. David et
Lys ont protesté énergiquement contre ces allégations, ils nous ont démontré
que l’industrie belge, pour beaucoup de produits, n’est pas dans une position
d’infériorité relativement à celle des autres nations. Pour l’industrie
drapière, par exemple, la France frappe nos draps de prohibition ; elle craint
notre concurrence sur son propre marché, et nous ne pourrons soutenir la
concurrence avec la draperie française dans les colonies où nous sommes admis
sur le même pied qu’elle. Notez que les draps de Verviers conviennent
particulièrement aux colonies : ils sont légers, apparents, et d’un prix peu
élevé ; tandis que les draps de Sedan sont très forts et très chers.
Pour les armes, la chambre de
commerce de Liége vous a signalé ce fait, que Liége, ne trouvant pas à Anvers
des relations régulières et suivies avec les marchés lointains , est obligé
souvent de transporter par axe ses armes au Havre, où elle trouve des relations
établies. Les frais de transport frappent la marchandise d’une augmentation de
15 à 20 p. c. Malgré cette défaveur, Liège parvient à exporter.
La supériorité de Liége pour la
fabrication des armes est un fait reconnu que personne ne contestera.
Cependant, en 1840, l’Angleterre a exporté à Rio pour 2 millions de fr.
d’armes, tandis que
Pour les toiles, pour nos tissus de
lin, la France ne veut les admettre que moyennant des droits élevés, parce
qu’elle craint notre concurrence. Cependant elle vend aux Etats-Unis pour 7 à 8
millions de tissus de lin, tandis que nous n’en exportons pour ainsi dire pas.
La concurrence que nos toiles de Flandres font aux toiles de Normandie sur le
marché français, malgré des droits élevés, comment ne peuvent-elles le faire
sur les marchés coloniaux où ces droits n’existent pas ?
La France envoie aux Etats-Unis pour
12 millions de tissus de coton ; et cependant, lorsqu’il s’agit de négocier
avec elle, elle ne consent à admettre nos tissus de coton chez elle qu’à des
droits très élevés. La fabrication gantoise, qui consiste en tissus communs et
en calicots, est plus appropriée aux besoins des colonies que la fabrication
alsacienne qui consiste en imprimés fins. Malgré ces faits la France exporte pour
12 millions de tissus de colon aux Etats-Unis où nous ne savons rien placer.
Je pourrais en dire autant de nos
verres à vitre, de notre clouterie, de la fabrication des genièvres et de
beaucoup d’autres de nos produits. Ainsi ce n’est pas à l’infériorité de notre
fabrication industrielle que notre impuissance d’exporter doit être attribuée.
Quel est donc le motif pour lequel
nos exportations sont languissantes et tendent à diminuer vers les pays
lointains ? Ecoutez, messieurs les raisons que vous ont données les partisans
comme les adversaires du système en projet. Toutes ces raisons se résument dans
une seule : les relations directes, les relations suivies, régulières, nous
manquent.
Que vous ont dit l’honorable M.
Lesoinne, l’honorable M. David et presque tous ceux qui ont pris la parole pour
s’opposer au système du gouvernement ? Ils vous ont dit : pour que nos
exportations soient possibles, il faut la création de comptoirs, il faut que,
comme les autres peuples, nous ayons des factoreries, des maisons correspondantes,
que notre fabrication industrielle puisse connaître les goûts et les besoins
des marchés transatlantiques ; en un mot, qu’il y ait contact habituel entre le
vendeur et l’acheteur.
Eh bien messieurs, comment
établirez-vous ces comptoirs, ces maisons correspondantes, comment l’industrie
pourra-t-elle connaître les goûts et les besoins du consommateur lointain,
comment créerez-vous les habitudes commerciales, source des affaires ? N’est-ce
pas toujours par les relations directes ? Or, ces relations, vous avouez
qu’elles n’existent pas. Comment les créerez-vous ? Est-ce par le statu quo ou
par notre système ?
L’honorable M. Lesoinne vous a dit un
mot très juste. Il vous a déclaré qu’il ne suffit pas de former une cargaison
de produits à l’égard desquels nous avons une supériorité sur nos concurrents,
qu’il fallait que cette cargaison ne fût pas envoyée d’aventure. Une expédition
de ce genre, a-t-il ajouté, produit presque toujours de la perte.
Pourquoi, messieurs, une expédition
faite à l’aventure produit-elle des pertes ? Par deux motifs principaux, et
j’attire un moment sur ce point votre attention,
Lorsque nous arrivons sur le marché
transatlantique, nous le trouvons encombré de produits européens similaires aux
autres ; lorsque nous revenons en Belgique avec la cargaison de retour, le
marché belge est aussi souvent encombré de mêmes produits coloniaux que nous
importons.
Aussi longtemps que ce fait existera,
l’on conçoit que nos exportations et notre commerce maritime seront
impossibles.
Or, pourquoi trouvons-nous presque
toujours les marchés transatlantiques encombrés de produits européens ?
Pourquoi, au retour, retrouvons-nous notre propre marché d’Anvers encombré de
produits coloniaux ? C’est parce que, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous favorisons
par notre système les échanges entre l’Angleterre et la France, et les colonies
libres, et parce que, pour le retour, nous admettons les cafés, les sucres des
entrepôts européens qui déversent leur trop plein sur notre propre marché
qu’ils encombrent.
Pour établir les relations directes
qui nous manquent, pour mettre par là le producteur et le consommateur en
contact habituel, pour créer ainsi les affaires, il faut renoncer au système
actuel. Le statu quo que vous défendez, rend impossibles ces relations, et je
l’ai suffisamment prouvé.
Si vous me disiez : « Mais, en
admettant les importations de toutes provenances et par tout paillon
indistinctement, j’amènerai la matière première et les denrées de consommation
à plus bas prix ; l’industrie et le consommateur belge en profiteront, »
je vous comprendrais ; c’est une thèse que je n’admets pas, mais que l’on
pourrait défendre. Mais, ce qui est évident, c’est que vous empêchez, autant
qu’il est en vous, par votre système, l’établissement des relations directes ;
vous l’empêcherez dans l’avenir, comme vous l’avez empêché dans le passé,
tandis que le système différentiel favorise ces relations.
Si donc vous avez admis que ce n’est
pas l’industrie qui est impuissante à produire pour l’exportation, mais que ce
sont les relations qui nous font défaut, votre système est jugé.
Messieurs, le système présenté par le
gouvernement veut atteindre deux buts. L’un est de créer en Belgique des marches
d’importations coloniales de première main, l’autre de favoriser nos
exportations. Or, pour créer ces marchés d’importations coloniales de première
main, il faut évidemment ne plus admettre le café de Rotterdam, le sucre, le
coton de Liverpool, de Londres et du Havre, sans aucune distinction avec les
arrivages des pays de production. Comment voulez-vous, messieurs, créer, par
exemple, à Anvers un marché de café en concurrence avec le marché de Rotterdam
(et je n’entends naturellement pas parler du café Java, mais des cafés Brésil
St-Domingue), si vous recevez dans votre propre consommation les importations
des entrepôts de Rotterdam ? Mais vous faites par là tout ce qui est en vous
pour maintenir et agrandir le marché de Rotterdam, et pour empêcher que celui
d’Anvers ne se forme !
Il en est de même, messieurs, pour
les matières premières, et je ne citerai que les cotons. Lors de l’enquête, il
a été reconnu par tous les négociants de Gand, qu’il y aurait pour l’industrie
cotonnière gantoise un immense avantage à voir s’établir en Belgique des
marchés de coton de première main. Ils ont constaté que les fabriques de
Manchester et de Rouen possédaient un grand avantage sur Gand, parce qu’elles
avaient sous la main, à Liverpool et au Havre, des marchés importants de coton
; ils ont évalué que le défaut de choix, la nécessité de faire des
approvisionnements plus considérables, les frais de chargement, de déchargement
et de commission équivalaient, pour l’industrie gantoise, à une défaveur de 10
à 12 fr.
L’honorable M. David me fait un signe
dubitatif.
M. Delehaye. - C’est cependant évident.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je dois croire ici à la compétence de l’industrie gantoise.
M. David. -
Mais vous détruisez les entrepôts qui sont une ressource de plus pour elle.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je réponds que la différence des droits n’est pas telle, que nous
détruisions le commerce d’entrepôts, et puis vaut-il mieux, pour jouir de la
faculté, dans des cas exceptionnels, d’aller s’approvisionner dans les
entrepôts d’Europe, renoncer à l’avantage permanent de posséder un marché
d’importation directe ?
Là est la question, et Gand a répondu
négativement.
On me dira : Mais comment pouvez-vous
espérer établir à Anvers un marché de coton, en concurrence avec celui du
Havre, avec une consommation si inférieure à celle de la France ?
D’abord, cette consommation est loin
d’être insignifiante, et puis ne devons-nous pas compter de conquérir une
partie du transit vers les provinces rhénanes, vers
Ce marché de première main est
impossible avec le système actuel. Accepter notre coton des entrepôts d’Europe,
c’est renoncer à créer un marché chez nous. Je vous en donnerai une raison
entre mille :
Pourquoi, messieurs, les maisons
d’Anvers, par exemple, ne font-elles pas aux maisons américaines des avances
aussi considérables pour les consignations en coton, qu’on en fait sur la place
de Liverpool ? Et c’est à cause de ces avances considérables que les
exportations des Etats-Unis se dirigent de préférence sur cette place. Mais la
raison en est très simple ; ces avances, de moitié ou des deux tiers, sont
impossibles chez nous. Il faudrait, pour qu’elle fussent possible, que les
maisons d’Anvers eussent la certitude d’avoir au moins pour elles la
consommation intérieure ; il faudrait que, lorsqu’elles adressent un ordre aux
Etats-Unis, elles pussent compter que, dans l’intervalle, les entrepôts
d’Europe, le Havre et Liverpool, ne viendront pas, à la faveur d’une baisse
imprévue, jeter leur trop-plein sur le marché belge. C’est une des raisons
péremptoires pour lesquelles l’établissement d’un marché de coton en Belgique
est impossible avec le système actuel.
Messieurs, j’aborde ici l’objection
principale qu’a faite l’honorable M. Delfosse. Cet honorable membre a voulu
contester ce qui n’est guère contestable : la corrélation qui existe en général
entre les importations directes et les exportations. Il vous a dit : Mais
comment se fait-il que
« Je reconnais que la navigation
nationale a, en général, plus exporté que la navigation étrangère (et il a
attribué cela à une cause que j’examinerai tout à l’heure) ; mais les navires
belges, a-t-il ajouté, sont souvent partis ou sur lest ou avec une charge incomplète.
On n’a donc transporté que tout simplement ce qu’on avait à transporter, ni
plus ni moins. »
Messieurs, une chose étrange, c’est
que nos adversaires argumentent constamment des résultats du système actuel
contre nous, qui le déclarons insuffisant, tandis que nous devrions, au
contraire, argumenter contre eux, qui plaident en faveur du maintien de ce
système, de tous les faits qu’ils signalent. En effet, messieurs, depuis 10
années, qu’avons-nous soutenu ? Nous avons dit qu’il fallait favoriser les retours
par des avantages plus marques, afin de favoriser les exportations. L’honorable
M. Delfosse me répond : « Mais ces exportations ne se sont pas développées,
même par la navigation. »
D’abord, c’est la navigation
nationale qui a pris la grande part dans nos insignifiantes exportations,
puisque, dans les 6 1/2 millions de produits belges exportés, elle figure pour
plus de 5 millions. Mais si ces exportations par navires belges n’ont pas pris
plus d’extension, c’est parce que votre système existe, c’est parce que la
faveur dont ces navires jouissent est inefficace et inopérante. (Interruption.)
Vous avez, dites-vous, pour 70
millions d’importations, et vous n’exportez que pour 6 millions. Mais je tire
de ce fait une conclusion contre vous. Qu’avez-vous soutenu depuis dix ans ?
Qu’il suffit de provoquer des importations en général sans distinction de
provenance ou de pavillon ; que, de cette manière, nous attirerons de grandes
masses d’importations et pour la consommation et pour le transit ; que ces arrivages
de toutes provenances favoriseraient nos exportations. Voilà votre thèse, que
nous avons sans cesse combattue. Quelle était la nôtre ? Nous disions : Il ne
suffit pas, pour exciter les exportations, d’avoir beaucoup d’importations
quelconques, il faut que ces importations soient faites directement ou par
navire national, ou par navire du pays de production. Ce n’est pas autant la
quantité des importations que leur nature qui favorise le commerce d’échanges.
M. Delfosse. - Ce ne sont pas seulement les navires étrangers, ce sont aussi les
navires belges qui ont importé beaucoup plus qu’ils n’ont exporté. Il y a eu
des navires belges partis sur lest et d’autres avec charge incomplète.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Mais je puis vous répondre par un fait : c’est que sur 58 millions
d’importations, en 1842, la navigation étrangère y est entrée pour 49 millions,
et la navigation belge seulement pour 9 millions. Mais veuillez ne pas
m’interrompre.
Lorsque vous parlez des importations
directes, vous jouez sur les mots et nous ne donnons pas à cette dénomination
le même sens que vous. L’importation par un navire étranger au pays de
production est pour nous une opération indirecte.
Pourquoi, selon nous, cette quantité
assez considérable d’importations n’a-t-elle pas provoqué plus d’exportations ?
C’est parce qu’elles ont été faites non pas directement, mais par navigation
indirecte. C’était un navire anglais, par exemple, qui échangeait au Brésil une
cargaison de fabricats de Manchester contre une cargaison de café, qu’il
importait ensuite chez nous en droite ligne. Or, cette opération, est au fond à
peu près la même que celle d’un navire anglais qui nous importerait ce même café
Brésil de l’entrepôt de Londres ou de celui de Liverpool. Le fait que nos
adversaires signalent tourne donc complètement contre eux-mêmes.
Messieurs, on ne se rend pas assez
compte de l’ensemble du système proposé ; on nous dit : « Mais prenez
garde, vous allez exclure la navigation étrangère, et en excluant la
concurrence de la navigation étrangère, vous augmenterez le prix des matières
premières, le prix des denrées de consommation et du fret ; vous rendrez ainsi
notre position pire qu’elle ne l’est aujourd’hui. » Mais, messieurs, ce
sont là autant d’erreurs : veuillez remarquer que nous ne touchons pas au
transit ; nous admettons les navires de toute provenance pour le transit. Or,
vous le savez, la navigation étrangère, pendant une période de dix années
récentes, a augmenté en France dans la proportion de 3/5 sur la navigation
nationale, en Angleterre dans la proportion de 70 p. c. Que faut-il conclure de
ce fait ? C’est que le système des droits différentiels, prohibitif en
Angleterre, exorbitant en France, n’a pas empêché la navigation étrangère
d’entrer de plus en plus et dans une proportion très forte, dans le mouvement
commercial des colonies avec l’Angleterre et avec la France ; et cela,
messieurs, à l’aide d’un seul élément, l’élément du transit. La France, depuis
Pourquoi n’en serait-il pas de même
en Belgique, où les droits différentiels seront très modérés et le transit plus
libre ?
En deuxième lieu, messieurs, nous
admettons en principe l’assimilation des navires des pays de production. Cette
assimilation pourra être admise, par ordonnance royale, pour les pays
transatlantiques, pour les nations européennes. Ainsi, entre les Etats-Unis et
Ainsi, messieurs, nous ne touchons
pas au transit, et nous admettons en principe l’assimilation des navires du
pays de production.
Pour les matières premières, on l’a
répété bien des fois, nous réduisons les droits actuels et dès lors les
matières premières ne peuvent pas renchérir.
A l’égard des denrées de
consommation, la faveur différentielle sur le café, par exemple, est de 25 fr.
par tonneau. Ce droit est-il tel qu’il doive éloigner la navigation étrangère ?
Mais, messieurs, il arrive souvent que, dans l’intervalle de quelques mois, le
prix du café subît des fluctuations plus fortes que cette différence de 25
francs.
M. Dumortier. - Cela ne fait qu’un centime et demi par livre.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Ainsi, messieurs, le système proposé sera, selon moi, assez efficace
pour protéger, mais non pour exclure, et toutes les craintes relatives
l’exclusion de la navigation étrangère me paraissent complètement dénuées de
fondement.
Ce que je viens de dire, messieurs,
répond déjà aux objections qui ont été faites relativement au renchérissement
du fret ; car si nous n’excluons pas la concurrence de la navigation étrangère,
je ne comprends pas comment nous allons faire renchérir le fret. Nous ferions
peut-être élever le fret si nous persistions dans un système qui amènerait à la
longue le dépérissement de la navigation nationale. Alors le prix du fret
s’élèverait, parce que cet élément de concurrence n’existerait plus.
Je crois, messieurs, que le système
des droits différentiels doit, au contraire, avoir pour résultat l’abaissement
du prix du fret, et cela par une raison toute simple : c’est l’avantage que
nous donnons à l’armateur pour ses retours. En lui assurant des retours, nous
lui permettons de diminuer son fret d’aller. Nous avons un exemple frappant qui
prouve la vérité de cette assertion ; c’est ce qui se passe pour le sel. Vous
savez, messieurs, qu’il existe pour le sel un droit différentiel tel, que la
navigation étrangère est complètement exclue. Eh bien, d’après le raisonnement
de l’honorable M. Delfosse, le prix du fret pour le transport de nos écorces et
de nos lins vers l’Angleterre devrait être considérablement élevé. Eh bien,
messieurs, le contraire a lieu, et, chose remarquable, c’est vers Liverpool, où
les navires belges vont prendre leur cargaison de sel en retour, c’est vers
Liverpool que le fret des écorces et du lin est surtout fort abaissé, beaucoup
moins élevé que dans aucun autre port de l’Angleterre. Eh bien, messieurs, cela
provient de ce qu’à Liverpool nous trouvons des retours d’un placement assuré.
Ainsi un droit différentiel prohibitif, en ce qui concerne le sel, a eu pour
résultat, non pas de faire renchérir le fret pour nos exportations, mais d’en
réduire, au contraire, le prix dans une proportion considérable.
M. Delfosse. - Je demande à expliquer mes paroles. Je n’ai pas dit que le fret
renchérirait nécessairement ; j’ai dit qu’il y aurait ou bien renchérissement
du fret, ou bien déficit dans les recettes de l’Etat. Or, il est bien évident
que le gouvernement, ne recevant aucun droit sur le sel importé par navires
nationaux, il en résulte une perte pour le trésor.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Vous ne répondez pas à mon observation. Il n’y aurait déficit pour le
trésor que dans le cas où, comme pour les matières premières, on procéderait
par réduction de droits, Or, ce n’est pas de cela qu’il s’agit pour le sel. Ce
n’est pas ici que votre objection peut trouver sa place. L’honorable M.
Delfosse, lorsqu’il parle de
Nous disons que la certitude de
retours avantageux favorisera nos exportations et amènera l’abaissement du prix
du fret. L’honorable M. Delfosse raisonne exactement comme nous pour
M. Delfosse. - Nous avons nos retours naturellement sans que le pays nous accorde
de prime.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, j’ai oublié tout à l’heure de répondre a une autre
objection de l’honorable M. Delfosse. En présence des tableaux fournis par M.
le ministre de l’intérieur, l’honorable membre a avancé que, si la navigation
nationale exportait plus de produits, proportionnellement, que la navigation
étrangère, cela tenait a une cause, à l’établissement de services réguliers de
bateaux à voiles entre Anvers et Rio et quelques autres points
transatlantiques.
Mais d’abord, avant 1842, avant
l’établissement de ces services réguliers, le même fait existait : la
navigation nationale participait dans une proportion plus grande que la
navigation étrangère dans nos exportations lointaines.
Mais, dit l’honorable M. Delfosse, le
gouvernement, pour prix des subsides qu’il accordait, a imposé à ces services
réguliers, à cette navigation, des frets réduits, et c’est à cause de ces frets
réduits qu’il n’a pu exporter.
C’est la une erreur. L’abaissement du
fret qu’on a imposé à la navigation nationale en service régulier, a amené
naturellement le même abaissement de fret pour la navigation concurrente
étrangère, de manière que le fret est resté au même niveau pour tous, et la
navigation étrangère aurait dû exporter tout autant que la navigation
nationale,
Messieurs, je n’ai plus qu’à
entretenir la chambre d’un point ; c’est la question des représailles. Je n’en
parlerai qu’avec ménagement, et du reste, je n’ai pas à discuter les chances de
représailles ; je n’aurais, à cet égard, comme chacun de vous, qu’une
appréciation toute personnelle à faire. Je veux simplement indiquer cette
double pensée : que des mesures de représailles seraient injustes et seraient
impolitiques de la part des nations qui les prendraient.
Le système modéré de droits
différentiels est-il un acte d’hostilité à l’égard des autres nations ? On
raisonne toujours comme si nous admettions un système exclusif, comme
l’Angleterre et la France, à l’égard de la navigation étrangère ; je vous ai
prouvé qu’il n’en est rien.
Je vous ai dit que le principe de
l’assimilation des navires du pays de production était au fond de notre projet.
Nous disons donc à chaque pays : Nous ferons le commerce direct avec vous, par
vos navires et par les nôtres. Nous éloignerons à certain degré de ce commerce
la concurrence des navires étrangers aux deux pays. Mais, messieurs, est-ce là
un principe d’hostilité ?
Je ne reproduirai pas la raison
générale que l’on a fait valoir et qui consiste à soutenir qu’il est de
principe international admis par les nations commerçantes qu’un peuple peut
modifier son tarif d’une manière générale, applicable à toutes les nations,
sans que chacune d’elles ait le droit de répondre à cette mesure générale et
dès lors sans caractère d’hostilité, par des représailles prises d’une manière
spéciale.
Un membre. -
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je ne sais ce que le gouvernement des Pays-Bas fera, pas plus que
vous ; mais je dis que depuis 1822 surtout, ce principe est entré dans les
usages de la diplomatie commerciale. Huskisson les avait proclamés en
Angleterre.
Est-il vrai que
L’intérêt de
Du reste, messieurs, vous le savez
comme moi, il y a en Hollande des influences qui luttent entre elles,
l’influence du haut commerce et l’influence de ceux qui voudraient faire de
Eh bien, messieurs, si
Le gouvernement ne peut pas discuter
l’hypothèse des représailles. C’est placer la question des droits différentiels
sur un terrain étranger à la question même. La position change complètement au
point de vue de cette hypothèse. Tout ce que je puis dire, c’est qu’en Hollande
nous n’avons pas voulu poser un acte d’hostilité à l’égard de qui que ce soit,
et que nous n’avons pu, dès lors, admettre l’hypothèse des représailles.
Messieurs, dans ma conviction, si
nous n’adoptons pas le système proposé par le gouvernement, nous n’aurons pas
de base sérieuse pour un commerce d’exportation maritime, ce sera renoncer à la
création de ce commerce si important pour nous. Si nous ne possédons pas cette
base, nos négociations deviendront plus difficiles.
Il y a dans cette chambre et dans le
pays beaucoup de partisans de la fondation d’une société centrale de commerce
d’exportation. Eh bien, n’est-il pas évident qu’il est impossible de songer à créer
une société de commerce d’exportation, si vous ne lui donnez pas pour fondement
ou des privilèges ou un système de droits différentiels. Si vous maintenez le
statu quo, le système actuel, la société de commerce d’exportation sera dans la
même position dans laquelle se trouvent aujourd’hui les armateurs belges, avec
cette différence seulement, qu’elle aura la faculté de perdre plus et pendant
plus longtemps.
Comme l’heure est avancée et que je
me sens fatigué, j’ajournerai quelques autres observations que j’ai à présenter
en réponse aux critiques que M. de Foere a faites du projet du gouvernement.
Nous avons deux sortes d’adversaires : ceux qui, comme l’honorable M. de Foere,
accusent le projet du gouvernement d’inefficacité, et ceux qui, comme M. Delfosse,
le taxent d’exagération.
Du reste, les observations que
j’aurai à émettre à cet égard, trouveront mieux leur place lorsque nous en
serons venus à la discussion des articles et des questions de principes qui ont
été posées par M. le ministre de l’intérieur.
M. Eloy de Burdinne dépose un amendement qu’il développera demain.
- Sur la motion de M. de Mérode, la
chambre fixe à l’ordre du jour de demain, en premier lieu, le vote sur les projets
de loi tendant à accorder la grande naturalisation à MM. le général Chazal, le
colonel Chapelié, le major Collins et
La séance est levée à 4 heures et
demie.