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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 mai 1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative au système des droits différentiels (Lesoinne)
2) Conclusions de la commission
d’enquête parlementaire (commission « de Foere ») et système des
droits différentiels. Politique commerciale du gouvernement (Lesoinne, Meeus, Nothomb,
Rodenbach, Lys, Meeus,
Manilius, Castiau, de Foere, Pirmez, Nothomb)
(Moniteur
belge n°135, du 14 mai 1844)
(Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente la rédaction en
est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Deroubaix,
blanchisseur de cire à Bruxelles, prie la chambre de ne prendre aucune décision
sur la pétition du sieur Quanone, avant que les
fabricants de cire aient pu lui présenter leurs observations. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion du rapport.
_________________________
« Le sieur Jean Bleis, vitrier à Dudelange, né à Rodemack
(France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la
justice.
_________________________
« Le sieur Proost,
désirant soumettre un plan pour la conservation des anciens registres de
l’état-civil, demande qu’on lui confie les registres de l’une ou l’autre
commune. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
« Un grand nombre d’industriels et commerçants
à Liége, prient la chambre de rejeter le projet de droits différentiels. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire.
M. Lesoinne. -
Je demande la lecture de cette pétition et l’insertion au Moniteur.
- Cette proposition est adoptée.
M. de
Renesse, secrétaire, donne lecture de la
pétition, qui est ainsi conçue : (note du
webmaster : le texte de cette pétition, insérée au Moniteur, n’est pas repris
dans cette version numérisée.)
« La chambre de commerce et des
fabriques de Bruxelles déclare se rallier au projet de loi de droits différentiels
proposé par le gouvernement. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire et
insertion au Moniteur.
_________________________
M. le ministre de
la justice (M. d’Anethan) transmet, avec les renseignements relatifs à chacune d’elles, deux
demandes en naturalisation.
- Renvoi à la commission des
naturalisations.
_________________________
M. Lys. - Messieurs, je suis chargé, par mon honorable ami M. David, de vous
faire part d’un événement déplorable qui vient d’accabler sa famille et qui
l’empêche d’assister à vos séances. Une mort subite venant de frapper son
frère, M. David-Kelleter, il devra donner quelques soins
aux affaires commerciales du défunt, aujourd’hui de sa veuve et de sa jeune
famille. C’est pourquoi, messieurs, il demande à la chambre un congé indéfini.
- La chambre, consultée, accorde le
congé.
CONCLUSIONS
DE
Discussion générale
M. le président demande d’abord si l’amendement quia été présenté et développé, dans la
dernière séance, par M. Dumortier, est appuyé.
- L’amendement est appuyé ; il fera
partie de la discussion.
M. le président. - La parole est à M. Lesoinne
et ensuite à M. Meeus.
M. Lesoinne. -
Messieurs, j’ai écoulé tout ce qui s’est dit dans cette discussion avec la plus
grande attention ; j’ai relu tous les discours qui ont été prononcés en faveur
du système proposé et je dois dire que je n’ai rien vu ni entendu qui pût nous
faire espérer que, par l’adoption des droits différentiels, nous verrions
augmenter nos exportations vers les marchés transatlantiques. Tout ce qu’on a
pu dire, c’est que le pavillon national présentait plus de chances de
probabilité pour l’exportation de nos produits, que le pavillon étranger mais
tout s’est borné à cela. On a bien cité quelques-uns de nos articles que, selon
M. le ministre de l’intérieur, nous fabriquions mieux que les autres nations,
et que, malgré cela, nous n’exportions pas. Nous examinerons tantôt quelles
sont les causes qui s’opposent à ce que ces produits s’exportent.
Comme c’est principalement dans le
but de favoriser l’exportation de nos produits vers les marchés
transatlantiques, qu’a été instituée l’enquête commerciale, je me trouve obligé
de vous parler de nouveau de ces marchés.
Mon honorable ami, M. Delfosse, vous
a cité une lettre d’une personne qui me paraît avoir une grande connaissance
pratique des marchés d’outre-mer, et il vous a dit que le plus souvent il
n’existait pas de corrélation entre les importations et les exportations.
L’honorable ministre des travaux publics a cru pouvoir prouver l’existence de
cette corrélation en invoquant l’autorité de l’enquête commerciale faite en
Angleterre en 1840. Le passage cité par M. le ministre et qui regarde le
Brésil, tend plus, selon moi, à prouver que, lorsqu’on refuse les produits d’un
autre pays, on doit nécessairement voir ses exportations y diminuer de plus en
plus, que la corrélation directe des importations et des exportations.
Aux Etats-Unis, par exemple, les
expéditions se soldent généralement par des traités sur l’Europe, et l’on
conçoit que le fabricant préfère ce mode de transaction aux retours en
marchandises. En effet, un retour en marchandises ne pourrait que compliquer
son opération et en compromettre le succès ; car, s’il ne réalise pas son
retour aussitôt après l’arrivée. Les frais de magasinage, commission, etc.,
peuvent lui enlever tout son bénéfice.
C’est ici, je pense, le moment
d’examiner les causes qui s’opposent ce que les articles cites par M. le
ministre de l’intérieur trouvent à s’écouler sur les marchés transatlantiques.
J’ai dit que les maisons d’Europe qui
sont en relations suivies avec ces marchés y avaient des succursales qui
recueillaient les commandes, et soignaient la rentrée des factures. On connaît
quel avantage ont ces maisons sur les expéditeurs d’Europe, qui n’emploient pas
les mêmes moyens qu’elles. Lorsque ces derniers arrivent sur les marchés
d’outre-mer, ils trouvent les besoins de ces marchés satisfaits, et même de la
manière qui convient le mieux au goût des commettants de ces pays. Voilà, je
pense, la cause principale qui s’oppose à ce que plusieurs de nos articles
trouvent à s’écouler sur plusieurs marchés transatlantiques, et le système
proposé ne la fera pas disparaître. Car, pour les Etats-Unis, par exemple, les
droits différentiels sont pour ainsi dire hors cause, puisque les retours ne se
font pas généralement en marchandises.
On m’a dit encore autre chose : c’est
que les industriels du pays, pour ce qui regarde les toiles n’avaient pas voulu
fabriquer conformément aux échantillons venus de ce marché, parce que,
disaient-ils, ils compromettraient la réputation de leurs toiles.
J’ai peine à croire cela de la part
des industriels. Nous ne devons pas être assez fiers pour refuser de fabriquer
selon les ordres qu’on nous transmet. Si cela était, les industriels ne doivent
s’en prendre qu’à eux-mêmes, s’ils n’exportent pas...
M. Rodenbach. -
Je demande la parole.
M. Lesoinne. -
L’honorable M. Donny nous a indiqué trois manières d’exporter avec succès vers
les pays transatlantiques. Le premier de ces moyens est celui que j’avais
signalé. Je maintiens qu’il faut avoir une maison permanente, et je crois que
c’est le seul moyen de faire des affaires avec les marchés transatlantiques.
Le second moyen consiste dans les
achats que l’armateur fait pour son propre compte.
Jusqu’au présent ce second moyen a
présenté bien peu de chances de succès pour nos armateurs, car les exportations
faites par eux se réduisent à bien peu de chose.
« Mais il est un troisième mode,
nous dit l’honorable membre, qui est pratiqué par d’autres pays avec le plus
grand succès, et je pense que c’est à ce mode qu’a fait allusion l’honorable M.
David, lorsqu’il a fait un appel à unie entente cordiale entre le fabricant et
l’armateur. »
Ce troisième mode est l’opération de
compte à demi. Quant à moi, je pense que, lorsque nos fabricants auront fait
l’essai de ce genre d’opération, ils se lasseront bientôt d’opérer de cette
manière, car généralement les chances sont contre eux.
L’opération de compte à demi se fait
de cette manière. Supposons une affaire de 10,000 fr. L’armateur donne, je
suppose, 5,000 fr., et le fabricant 5,000. L’armateur prend son fret sur le tout.
Il y a donc déjà à un bénéfice pour lui. Si le navire ramène des retours, c’est
un second bénéfice. S’il se trouve chargé de la vente, comme il n’y a pas de
doute, puisqu’il est intéressé dans l’opération, il prélèvera ses frais de
commission sur le produit de la vente. Il est donc bien évident que les chances
sont plutôt contre le fabricant que contre l’armateur.
L’honorable M. Donny a fait une
opération, comme on en fait dans une école de commerce. L’armateur a conduit
l’affaire à bonne fin, il est arrivé au point de destination, il a réalisé de
suite ; il a trouvé moyen de ramener son retour ; grâce à l’honorable M. Donny,
l’armateur et le fabricant réalisent chacun un bénéfice de 100 fr. Mais
malheureusement, en réalité, les choses ne se passent pas de cette manière.
On ne réalise pas dès l’arrivée ; et
je vous en donnerai pour preuve ce que nous avons appris par nous-même relativement à un des marchés vers lesquels
s’exportent les plus grandes masses de produits, précisément mentionnés par
l’honorable M. Donny.
« Les arrivages du 1er janvier au 30
novembre 1842, se montaient à 13,300 quintaux et 1,200 quintaux étaient encore
attendus de l’Angleterre. 500 barils de clous, arrivés le 1er décembre par
navire espagnol, se trouvaient encore invendus ; ce qui prouve que, malgré un
avantage de 3 fr. que donne le pavillon espagnol, on ne pouvait encore réaliser
le prix coûtant. » Ceci prouve, messieurs, que, quand on est arrivé au
lieu de destination, on ne réalise pas tout de suite. On doit attendre une
occasion favorable, et jusque-là on a à payer des frais de magasinage. Cette
opération présente peu de chances de bénéfices. S’il arrive des retours,
l’armateur qui a fait l’opération de compte à demi, se fait payer la commission
et ses frais de magasinage. Messieurs, ce qui a lieu pour l’article dont je
viens de parler, a également lieu pour d’autres articles.
On se trouve tous aujourd’hui à peu
près à égale distance des marchés transatlantiques. Voilà la cause de l’encombrement
général des produits européens sur ces marchés. Je vous ai dit tout ce que je
savais à cet égard, j’en appelé au témoignage de tous les hommes qui sont en
relation avec ces pays. Qu’ils disent s’il y a exagération dans les faits que
j’ai avancés.
Je le répète ici, une augmentation de
droits sur les objets que nous pouvons prendre en retour de
Ce que le gouvernement peut
faire en faveur de l’industrie, c’est de créer des voies de communication
faciles et économiques ; de diminuer autant que possible les frais de
transports et de faire tous ses efforts pour tâcher de faciliter nos relations
avec les nations étrangères. On nous propose, comme moyen d’arriver à ce but,
d’élever notre tarif, afin de pouvoir faire des concessions après. C’est une
déclaration de guerre de tarif. Si le gouvernement a le courage de soutenir
cette guerre jusqu’au bout, cela devra nécessairement amener une perturbation
fatale dans le commerce et l’industrie du pays, et s’il n’a pas le courage de
la soutenir, cela ne fera qu’encourager les nations étrangères à adopter des
mesures plus restrictives encore à notre égard.
M. le président. - Je demanderai à M. Meeus si
c’est contre, pour ou sur le projet qu’il est dans l’intention de parler.
M. Meeus. - Je parlerai pour, contre et sur. (On rit.)
M. le président. - Je vous fais cette demande,
parce que conformément au règlement, la chambre doit entendre successivement un
orateur pour et contre ; si on parle sur,
aux termes du règlement, l’orateur doit présenter un amendement.
M. Meeus. - Je parlerai sur ; je proposerai un amendement que je ne connais pas
encore. (On rit.)
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Meeus. - Messieurs, l’interpellation que vient de me faire l’honorable
président sera réellement le début du discours que je me permettrai de
prononcer, discours pour lequel je réclame d’autant plus d’indulgence qu’en
réalité je n’ai pas encore d’idées arrêtées. Si je n’ai pu dire à M. le
président si je parlerai pour ou contre ou sur, c’est qu’en réalité, quelque
longue qu’ait été la discussion, je dois vous le déclarer consciencieusement,
je n’ai pas d’opinion arrêtée, et je croirais imprudent d’en arrêter une
aujourd’hui.
Messieurs, si la discussion amène
tout à l’heure le vote des articles ou un vote définitif, et si l’on ne
parvient pas à m’éclairer plus que je ne le suis, je dois le déclarer, je serai
obligé de m’abstenir.
En principe le système de l’honorable
abbé de Foere est un système auquel je suis prêt sous beaucoup de rapports à
donner mon assentiment. En effet, je me suis fait cette simple question : si la
Belgique consomme pour 60 à 70 millions de produits coloniaux, si ces produits
coloniaux importés en Belgique par l’étranger lui coûtent cette somme, quelle
est la différence entre le prix d’achat et le prix de vente en Belgique ?
Si cette somme de 60 millions de sucre, de riz, de café, amenés en Belgique par
navires anglais, américains, ne coûtent, par exemple, au lieu de provenance,
que 40 millions, il est certain que le commerce et la marine marchande des
autres nations ont gagné, à notre détriment, les 20 millions de différence.
N’est-il pas assez simple que
La question que j’ai cru simplifier
ainsi m’a paru facile à résoudre. Je me suis dit : si la question se présentait
de cette manière, pourrais-je lui refuser mon approbation, mon adhésion ? Je ne
le pense pas. Mais, messieurs, la discussion telle qu’on l’a engagée, a établi
une confusion telle que l’industrie se trouve mêlée à une question où
l’industrie n’a, d’après moi, presque rien à faire pour le moment. Ainsi, je
vous le déclare, je suis du nombre de ceux qui croient qu’il n’y a pas de
corrélation directe entre les importations et les exportations des produits de
notre industrie, je suis du nombre de ceux qui croient que l’adoption dans ce
moment présent, du système des droits différentiels, peut avoir de graves
inconvénients pour l’industrie ; je suis du nombre de ceux qui croient qu’il ne
faut surtout pas, pour créer de nouvelles fortunes, nuire à celles qui existent
; je suis du nombre de ceux qui croient qu’un gouvernement sage, des chambres
prudentes doivent s’attacher surtout à ne pas déplacer les intérêts. La voie du
progrès doit être la voie où nous marchons constamment pour les intérêts moraux
comme pour les intérêts matériels, mais il faut marcher avec prudence, de
manière à ne pas faire tourner le progrès contre le progrès même, c’est-à-dire
contre le maintien de ce que vous avez déjà obtenu à l’aide du progrès.
Messieurs, pour ne pas m’étendre trop
sur ces considérations générales, je vais aborder tout d’abord la question de
corrélation qu’on a cherche à établir entre les importations et les
exportations des produits belges. L’honorable M. Delfosse est venu lire à la
chambre une lettre anonyme dont j’ai écouté la lecture avec une scrupuleuse
attention, et, je dois vous le déclarer, quand l’honorable ministre des travaux
publics dans un discours remarquable, est venu opposer à cette lettre une
autorité d’après lui plus imposante, l’enquête d’Angleterre, j’ai trouvé très
imposants les raisonnements que contenait cette lettre et très peu concluantes
les raisons contenues dans la partie de l’enquête anglaise qu’il a citée. Ce n
est pas parce qu’une enquête a eu lieu en Angleterre, et que des Anglais sont
venus répondre d’une certaine façon, que j’attacherai une plus grande
importance aux motifs donnés par ces Anglais qu’à ceux qui seraient donnés par
des Belges. Ce qu’il faut rechercher avant tout, c’est le poids de la raison et
le poids de la logique. Je déclare franchement que je ne l’ai nullement trouvé
dans l’interrogatoire de M. Mac Gregor et celui du négociant de Liverpool ; et
j’ai trouvé très peu fondées les déductions qu’en a cru pouvoir tirer
l’honorable ministre des travaux publics. Comme je pense que vous avez tous
présent à la mémoire le discours de l’honorable M. Dechamps, je ne lirai pas
les passages de son discours, mais je les toucherai de telle manière que vous
les reconnaîtrez facilement. Il vous a dit en substance :
La France et l’Angleterre livrent au
Brésil des produits de leur industrie pour des capitaux énormes, par centaines
de millions ; cependant l’Angleterre ne reçoit pas chez elle les produits du
Brésil. Eh bien, si cela est ainsi, j’en tire un argument contre la corrélation
qu’on a voulu établir ; car, que font la France et l’Angleterre ? Elles vont
vendre leurs produits au Brésil ; elles en retirent, quoi ? du
café, du sucre, qu’elles viennent vendre en Allemagne et en Belgique. Il n’y a
donc pas échange dans le sens indiqué entre l’Angleterre ou la France et le
Brésil.
L’Angleterre et la France se sont
payés au Brésil en café, en sucre, parce qu’elles pouvaient vendre à
Je ne m’étonne pas de la rumeur que
j’entends. C’est une question fort délicate ; si je me
trompe, je désire être éclairé ; car j’ai une conviction profonde qu’on est,
sur ce point, dans la plus grande erreur.
Dans l’enquête anglaise, c’est sur ce
point qu’a insisté l’honorable ministre des travaux publics. On a dit et
démontré que, dans les pays transatlantiques, le papier-monnaie, par rapport à
la piastre, présentait 50 à 60 p. c. de perte, et l’on a pu dire que, pour
cette raison, on avait dû prendre du café !
Le négociant anglais a dit une très
grande niaiserie. C’est une niaiserie dans toutes les langues du monde ; que ce
soit consigné dans l’enquête anglaise ou ailleurs, c’est contraire à la
logique, contraire à la raison, contraire à la pratique. Dans tous les pays du
monde, la valeur de l’argent, la valeur du change a une corrélation directe
avec celle des marchandises, des fabricats du pays. Croyez-vous que, lorsque,
sous l’Empire, la livre sterling, qui aujourd’hui est coté 25-60, se négociait
à 15 fr., croyez-vous que les marchandises ne suivaient pas la baisse du change,
croyez-vous que les marchandises ne se calculaient pas à raison de la valeur du
change ? Il n’est pas de négociant, d’homme ayant étudié quelque peu ce qui se
passe entre les pays qui font le commerce, qui ne sache qu’il y a là un
équilibre non pas absolument exact, mais un certain équilibre qu’on ne peut pas
rompre. Pourquoi le négociant anglais a-t-il pris du café au lieu de prendre
des traites sur le continent ? Il a voulu gagner un fret, il a voulu spéculer
sur le continent. Après avoir placé ses produits au Brésil, à Rio Janeiro, il
s’est dit : Je dois retourner, je vais prendre du café : ce qui peut m’arriver
de plus fâcheux, c’est de le vendre en Allemagne ou en Belgique au prix auquel
je l’ai acheté.
C’est, permettez-moi cette
comparaison, comme un voiturier qui, ayant conduit quelqu’un à sa destination
et n’ayant personne à reconduire et devant retourner, baisse ses prix de moitié
et finit par laisser entrer presque pour rien dans sa voiture ; il n’y perd
pas, parce qu’il devrait revenir à vide.
Il en est de même (passez-moi cette
comparaison triviale) pour le négociant anglais qui arrive en Belgique avec des
marchandises des colonies. Il revient avec un chargement ; c’est un bénéfice
éventuel ; il vendra ce chargement en Belgique ou en Allemagne ; il a des
chances de gain. C’est là le motif de son opération. Qu’il ne dise pas que
c’est le cours du change qui l’a forcé à prendre un
chargement de sucre ou de café, car c’est là une véritable niaiserie.
Ici je m’arrête ; car encore une
fois, on viendra me dire : vous combattez les droits différentiels, et tout à
l’heure vous vous en déclariez partisan. Mais je ne les combats pas. Pour bien
dégager les questions qui ont été agitées, je veux simplifier la discussion. Je
dis qu’il n’y a pas de corrélation entre la question industrielle et la
question des droits différentiels.
M. Cogels. - Je demande la parole.
M. Meeus. - Je dis qu’il n’y a pas de corrélation directe. Je comprends sur quel
terrain veut m’amener l’honorable membre qui demande la parole. Je l’aborderai
tout à l’heure.
Il faut voir la question des droits
différentiels en elle-même. En elle-même, telle quelle a été présentée dès le
début par l’honorable M. de Foere, en 1834, je crois, elle offre des avantages
réels. J’y vois un moyen de créer, en Belgique, une marine marchande, puisque
J’y vois un moyen de réaliser un
bénéfice de 15 ou 20 millions, par supposition que l’étranger bénéficie en Belgique,
en lui important les produits des colonies qu’elle consomme.
Mais je dis que la question des
droits différentiels est indépendante de la question industrielle, Il est
possible que je me trompe. Mais, dans cette discussion, où mon esprit n’est égaré,
j’ai dû tâcher de simplifier les questions.
Ayant ainsi séparé la question
industrielle de celle des droits différentiels, il nous reste à examiner ce
qu’il convient de faire dans l’intérêt du commerce et de l’industrie.
Mais avant d’arriver là, je dois dire
de nouveau que, si je nie une corrélation directe entre les importations et les
exportations, je ne conteste pas une corrélation indirecte. En effet, il faut
voir les choses comme elles se passent. Il est hors de doute que des Belges,
ayant un commerce direct avec le Brésil, seraient de meilleurs agents pour
amener l’exportation de nos produits que des Anglais et des Américains. Sous ce
rapport, les droits différentiels, non pas dans un an, mais dans dix ou
vingt-cinq ans, pourront amener des résultats favorables.
Je suis aussi de ceux qui croient
qu’avec plus d’activité et d’intelligence,
Je vous disais tout à l’heure que,
lorsqu’il fallait créer une industrie nouvelle, lorsqu’il fallait créer un
intérêt nouveau, on devait avoir grand soin de ne pas blesser les intérêts existants.
Or, aujourd’hui que se passe-t-il en Belgique ? Sont-ce les industriels qui ont
réclamé les droits différentiels ? Est-ce Liége, Mons, Gand ou Charleroy ? Je
ne le pense pas. On a voulu, pour donner de l’importance aux droits
différentiels, y rattacher la question industrielle, parce que cette question,
depuis plusieurs années, était à l’ordre du jour. En effet, le rapport
remarquable de l’honorable ministre de l’intérieur vous a fait voir que
toujours les négociations ont tendu : à quoi ? à créer
des rapports maritimes avec les autres puissances ? Certainement non. Les
efforts constants du gouvernement ont tendu à créer des débouchés aux
différentes industries du pays. C’est là malheureusement que le gouvernement a
échoué. Ces industries, ces localités industrielles, pour lesquelles on a pris
tant de peine, ont-elles réclamé des droits différentiels ? Je ne le pense pas.
Lorsque je vois réclamer ces mêmes droits, en invoquant l’intérêt de
l’industrie, je crains que l’on ne nuise à l’industrie, en voulant la protéger.
S’il m’était démontré que le nouveau
système va procurer à certaines industries un bénéfice de 15 ou 20 millions, et
causer à d’autres industries un préjudice de 3 ou 4 millions, je n’hésiterais
pas. Je dirais qu’il faut attendre, parce que, entre créer des fortunes et
déplacer des fortunes, ruiner des industries, il y a pour moi une différence
immense, sous le rapport de la moralité même et à raison de la différence des
positions.
Dans le commerce, les capitaux,
employés pour la marine marchande sont presque toujours des capitaux mobiles,
réalisables. Dans l’industrie, au contraire, ce sont des capitaux immobilisés.
Le jour où vous frappez l’industrie, les plus beaux établissements du pays
cessent d’exister ; vous causez une perte immense. Les armateurs d’Anvers
auront laissé dans le commerce maritime 15 ou 20 millions. Ces millions
consistent en sucre, en café, riz, et le reste en bâtiments qui peuvent
diminuer de valeur. Les sept huitièmes des capitaux, le jour où le commerce est
atteint, peuvent entrer dans les coffres-forts des capitalistes. II y a donc
une différence immense sur laquelle j’appelle l’attention du gouvernement et
des chambres. En effet, diminuez le revenu industriel de 5 millions, vous
entraînerez la ruine de 80 ou 100 millions de capitaux immobilisés.
Dans cette position, je dois vous
déclarer que ce qui me semblerait le plus sage, ce serait de se borner à
quelques essais. Je suis prêt à voter le principe des droits différentiels,
mais à une condition : c’est que, quant à son application, elle sera laissée à
la sagesse du gouvernement, à moins encore qu’on ne veuille en ajourner
l’application à une époque assez reculée, pour que le pays tout entier ait le
temps de réfléchir sur les grandes questions qui ont été agitées ici. Ce retard
nous permettra d’examiner à loisir les nombreux documents qui nous ont été
distribués ; et quelque intelligence que nous puissions avoir, cet examen ne
sera pas inutile.
Ainsi nous agirons sans
précipitation. Ainsi tous les intéressés pourront réclamer. On arriverait ainsi
à un résultat qui entre entièrement dans les principes de l’honorable M. de
Foere, et qui cependant mettrait les industries à l’abri d’événements que je
n’aime pas à supposer, mais que la prudence commande de ne pas provoquer.
Je pourrais m’étendre très longuement
sur cette question, en m’occupant des discours qui ont été prononcés, et que
j’ai sous les yeux. Mais je le ferais, je crois, sans utilité. Il m’a suffi de
vous faire connaître mon opinion, c’est-à-dire, que je ne conçois pas la
corrélation directe entre la question industrielle et la question des droits
différentiels, que le principe des droits différentiels est bon en lui-même,
parce qu’il peut faire rentrer dans le pays, en lui procurant le commerce
direct, une partie des capitaux que l’étranger prélève à son préjudice.
J’ajoute en terminant que si
l’industrie devait, ainsi que je l’ai dit, éprouver par l’adoption des droits
différentiels, un dommage considérable, il faudrait nécessairement ajourner
cette question, l’ajourner indéfiniment, jusqu’à ce que ces obstacles fussent
levés, jusqu’à ce que l’industrie se fût relevée du marasme où elle est tombée.
Et ici, messieurs, je dois le
déclarer, je ne suis pas du nombre de ceux qui croient si mal de l’industrie
belge. Je crois que l’industrie belge, quoi qu’on en ait dit, n’est pas aux
abois et que quand elle se renfermera dans les limites dans lesquelles elle se
trouve circonscrite, elle pourra prospérer. Je crois, de plus, qu’il y a des
industries naturelles qui iront toujours en s’étendant : ainsi, l’industrie
charbonnière, ainsi l’industrie métallurgique, ainsi d’autres industries que je
pourrais citer, ont bien certainement un avenir devant elles, quelques crises
qu’elles aient eu à passer.
Je partage, messieurs, l’opinion de
l’honorable M. Delfosse. J’ai voté en faveur de l’industrie métallurgique une
augmentation de droits sur les fontes étrangères. Mais quand le moment sera
venu où la bourrasque, qui a existé en Angleterre, sera passée, je serai le
premier à donner mon assentiment à une réduction de droits. Car il n’est pas
dans ma nature d’aimer la prohibition. Et j’adresse ces paroles à l’honorable
M. Castiau. Il est, au contraire, de ma nature de vouloir la liberté illimitée.
Mais la vouloir seul, c’est ce que je ne peux admettre ; parce que avant le
principe, ou au moins à côté du principe, je vois la pratique. Or, lorsque
l’Angleterre a des crises industrielles, nous le savons tous, il n y a plus de
prix qui règle la marchandise ; il n’y a plus qu’un mouvement : c’est d’inonder
le continent. Les banqueroutes se succèdent, les établissements chôment ; peu
importe ; il faut à tout prix vider ses magasins. Et dans ce moment-là, vous
laisseriez périr le travail national ? Vous ne viendriez pas au secours de ces ouvriers
que l’honorable M. Castiau défend avec tant de chaleur en vertu d’autres
principes ? Mais ce serait tomber dans la contradiction la plus frappante.
Il faut protéger votre travail ; il faut le protéger comme le font d’autres
nations.
Je veux bien que
Et puis, ne comprimez jamais, encore
une fois, des intérêts existants. Si vous allez appliquer témérairement des
principes illimités de liberté commerciale, à l’instant vous verrez le pays
ruiné, vous verrez deux cent mille travailleurs livrés à la mendicité. Ces
principes, je voudrais certainement les voir adopter par toutes les nations ;
mais adoptés par
Toutefois je donnerai toujours mon
assentiment à toute proposition de la part du gouvernement qui tendra à tenir
dans de justes limites la protection accordée aux industries, c’est-à-dire que,
dans mon opinion, il n’est pas vrai qu’elle doive toujours être la même. Le
gouvernement, sentinelle avancée des intérêts généraux du pays, doit veiller à
ce qui convient dans telle ou telle occurrence, à telle ou telle époque ; et
si, dans quelque temps, comme cela est probable, le prix des fontes anglaises
remontait, de manière à ce que la protection votée dernièrement, fût illusoire,
je louerais le gouvernement de venir à l’instant même, pour exciter le travail
national et non pas pour le surexciter, proposer de revenir sur la loi adoptée,
et encore une fois je l’appuierais.
Messieurs, si je pouvais donc
faire une proposition, je demanderais que l’on votât le principe des droits
différentiels, et qu’on laissât au gouvernement le soin de mûrir le travail
projeté, et de nous apporter à la session prochaine, un projet qui convînt
mieux à tous les intérêts, et qui surtout ne mît pas en émoi ces industries que
l’on veut, semble-t-il, protéger, et qui craignent de vos droits différentiels
des événements fâcheux.
M. le président. - Faites-vous une proposition
formelle ?
M. Meeus. - Oui, M. le président.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne
m’attacherai qu’à un seul point : la corrélation qui existe, dans le système
qui régit actuellement la navigation maritime, entre les importations au-delà
des mers et 1es exportations d’outre-mer.
Pour établir cette corrélation,
messieurs, nous avons cité à plusieurs reprises la manière dont se fait le
commerce entre l’Angleterre et le Brésil. L’honorable préopinant a vu, au
contraire, dans ce fait, une objection contre notre allégation ; il vous a dit
: L’Angleterre ne consomme pas ce qu’elle importe de l’Amérique méridionale et
dès lors la corrélation que vous invoquez n’existe pas.
Nous n’avons jamais dit qu’il fallait
qu’il y eût corrélation entre les exportations que l’on fait en Amérique et la
consommation intérieure des produits qui en viennent. Si nous l’avons dit, nous
aurions raisonné en dehors des faits.
Commençons, messieurs, par rétablir
les faits. D’abord, remarquez avant d’aller plus loin, que c’est par erreur que
l’on suppose que l’Angleterre n’admet à la consommation intérieure aucun des
produits de l’Amérique méridionale. L’Angleterre exclut de fait, par son tarif
prohibitif, de la consommation intérieure, tous les produits de l’Amérique
méridionale qui sont similaires de produits de se colonies et que celles-ci
produisent en quantité suffisante. Elle n’exclut donc pas, par son tarif, les
cuirs, par exemple. Les cuirs, quel que soit le pays de provenance, sont soumis
en Angleterre au même droit.
Le café et le sucre sont soumis, au
contraire, à un droit différentiel. Le droit sur ces denrées est très élevé,
même lorsqu’elles viennent des colonies anglaises. Mais le sucre et le café
étranger, et l’Angleterre appelle ainsi le sucre et le café qui ne viennent pas
de ses colonies, sont soumis au double du droit, et celui-ci étant très élevé,
il se trouve qu’en le doublant, on le rend prohibitif.
Voici donc, messieurs, les faits.
Arrêtons-nous à trois objets, ils
suffisent pour expliquer ce qui se passe : le cuir est soumis un droit
uniforme, quel que soit le pays de provenance ; le café et le sucre qui ne
viennent pas des colonies anglaises, sont soumis à un droit différentiel
tellement exorbitant qu’il y a impossibilité de fait de les livrer à la
consommation intérieure de l’Angleterre.
Un navire se rend dans un des ports
de l’Amérique méridionale et y porte des objets manufacturés de Manchester et
de Birmingham. Il prend en retour du cuir, du café et du sucre. Que fait-il de
ces retours ? Pour le cuir, il n’éprouve aucune difficulté, il le livre à la
consommation intérieure. Mais il n’en est pas de même du sucre et du café ; il
est forcé de les placer sur le continent, en Allemagne, en Belgique.
Faisons une hypothèse : supposons que
l’Allemagne, que la Belgique aient une marine, et qu’il existe dans ces pays
des droits différentiels ; supposons encore que l’Allemagne, que la Belgique
aient fait un traité avec la Hollande, qu’ils aient chargé en quelque sorte
celle-ci de fournir au marché allemand et an marché belge le café et le sucre ;
en un mot, faisons une supposition quelconque qui place l’Angleterre dans
l’impossibilité de livrer au continent, à moins de faire des pertes énormes, le
café et le sucre de l’Amérique méridionale. Quelle sera la position du commerce
de l’Angleterre ? Le navire dont je vous ai parlé tout à l’heure revient avec
du café et du sucre. Impossibilité à la fois de livrer ce café et ce sucre à la
consommation intérieure de l’Angleterre, parce que le droit sur ces denrées est
prohibitif ; impossibilité également de les livrer à la consommation du
continent, parce que l’Allemagne et
Une voix. - Il prendra dès lors de l’argent
au Brésil.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais ce qu’on va me
répondre : Il prendra de l’argent. Mais voici quelle sera sa position : le fret
augmentera, parce qu’il n’y aura plus l’avantage du retour. En second lieu, en
prenant de l’argent, il fera toutes les pertes de change que nécessitent les
remises qu’il aura reçues en payement.
J’avoue que je suis étonné que
l’honorable préopinant ait traité avec une espèce de dédain l’enquête faite en
1840 en Angleterre. Mais cette enquête a amené un événement extrêmement
important en Angleterre. Cette enquête a précédé la chute du ministère
Melbourne....
M. Meeus. - Je n’ai pas attaqué l’enquête ; j’en ai attaqué un passage.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je puis citer des passages
beaucoup plus significatifs encore.
Le ministère Melbourne a été
tellement frappé de l’embarras dans lequel se trouve placé le commerce britannique
par rapport à l’Amérique méridionale, qu’il a songé à réduire les droits sur
les cafés et les sucres étrangers, c’est-à-dire, non produits dans les colonies
anglaises. Mais que seraient devenues les colonies anglaises ? Voilà
l’objection que l’on adressait au ministère Melbourne et contre laquelle il est
encore venu se briser.
Quant à moi, messieurs, je
considère comme établie de la manière la plus évidente la corrélation entre les
importations de l’Angleterre dans les Etats de l’Amérique méridionale, des
produits manufacturés en Angleterre, et les exportations de ces Etats en
Angleterre. Cette corrélation existe, et ce qui la rend possible, quoique la
plupart des objets importés de l’Amérique méridionale dans les ports anglais
soient de fait exclus de la consommation britannique, c’est que
Si l’honorable préopinant a méconnu
cette corrélation, c’est qu’il a confondu deux choses ; il a pensé que la
corrélation n’existait qu’en tant que les objets importés en retour fussent
consommés dans le pays qui les importe. C’est ce que nous n’avons jamais dit et
ce qu’il y a de beau pour l’Angleterre, c’est que la corrélation existe sans
qu’elle consomme les produits importés en retour. L’Angleterre compte sur la
consommation que lui offrent bénévolement
M. Rodenbach. -
Messieurs, j’avais demandé la parole pour répondre à l’honorable député de
Liége, mais je commencerai par faire quelques observations sur ce qui a été dit
par l’honorable député de Bruxelles.
L’honorable M. Meeus a dit que les
industriels ne demandaient pas les droits différentiels. Mais, messieurs, les
industriels demandent des débouchés, et tout le monde doit convenir qu’il y a
pléthore, qu’il y a exubérance de produits. On fabrique trop en Belgique et
nous n’avons pas de débouchés. Voilà le grand vice de notre situation.
Un membre. - Nous n’avons pas le marché
intérieur.
M. Rodenbach. -
Certainement, nous devons assurer le marché intérieur à notre industrie, et je
serai le premier à appuyer toutes les mesures qui tendront vers ce but ; mais
le marché intérieur ne suffit pas, il nous faut en outre des débouchés à
l’extérieur, car, je le répète, il y a exubérance de production.
Ainsi, messieurs, si les industriels
ne demandent pas les droits différentiels, ils demandent des débouchés, et
c’est au gouvernement et à la chambre de rechercher les moyens d’obtenir ces
débouchés.
Or, messieurs, quels sont ces moyens
? L’exemple de la France et de l’Angleterre prouve que ce sont les droits
différentiels. Les droits différentiels engageraient nos armateurs et nos
négociants à exporter vos produits.
L’honorable député de Bruxelles a dit
encore que notre industrie n’est pas aux abois, mais un instant auparavant il
avait dit qu’elle était dans le marasme. Il me semble que c’est là une
contradiction manifeste.
L’honorable député de Liège a avancé
que certains de nos produits ne sont pas confectionnés selon les goûts des
consommateurs d’outre-mer. C’est surtout aux toiles qu’il a voulu faire
allusion. Eh bien, messieurs, je dirai que cela n’est pas exact. Lorsque le
consul du Brésil, dont on a parlé, est venu dans les Flandres, il été en
contact avec les négociants, il leur a fait connaître les besoins des
consommateurs américains, mais il voulait que les exportations se fissent aux
risques des fabricants. C’est ce qui n’est pas d’usage, et pour des motifs
faciles à comprendre, c’est que ces fabricants ne jouissent pas de capitaux
assez vastes pour risquer de pareilles expéditions.
Certainement les industriels ont
profilé des renseignèrent que ce consul leur a donnés.
Depuis plusieurs années on tisse en
Belgique, et notamment dans le district de Roulers, toutes espèces de toiles.
Plusieurs de nos tisserands ont adopté la navette volante et les autres
améliorations qui ont été introduites dans la fabrication chez d’autres
peuples. Ce qui prouve d’ailleurs que notre défaut d’exportation tient aux
vices de notre législation, c’est que la France elle-même exporte nos toiles. Malgré
les mesures restrictives que la France a adoptées à notre égard, nous importons
encore chez elle pour 16 à 18 millions de toiles par an ; de ces toiles la
France en exporte pour des sommes assez considérables aux Etats-Unis, tandis
que nous n’exportons dans ce pays que pour une centaine de mille francs.
Je dis donc, messieurs, qu’il
y a beaucoup à faire pour procurer des débouchés à notre industrie. Ces
débouchés, nous les obtiendrons au moyen d’un système de droits différentiels,
efficace et bien combiné.
Je pense que le système présenté par
le gouvernement n’accorde pas une protection suffisante à la marine nationale.
Pour le café, par exemple, la différence du droit n’est que de 1 centime et 1/4
par livre. Je dis qu’il faut une protection plus forte.
Pour prouver que ce n’est pas à cause
d’une fabrication peu avancée que nous n’exportons pas dans les pays lointains,
je citerai encore les armes de Liége. Certes, personne ne dira que nous n’avons
pas atteint, sous ce rapport, à un très haut degré de perfection. Eh bien ! les armes de Liége, nous ne pouvons guère les exporter vers
les pays d’outre-mer que par l’intermédiaire de
Nous devons donc chercher à combiner
un système qui favorise nos exportations.
Nous sommes jeunes encore en fait de
commerce, mais nous pouvons profiter de l’expérience des autres. La France et
l’Angleterre ont trouvé le moyen de donner des débouchés à leur industrie, ce
moyen, nous devons le trouver aussi. J’ai dit.
M. Lys. - Messieurs, le discours que vient de prononcer l’honorable comte
Meeus, a jeté de vives lumières sur la question. Cet honorable membre vous a
démontré, on ne peut plus clairement, qu’il n’y a pour l’industrie aucune
amélioration immédiate à attendre de l’établissement des droits différentiels.
Il vous a démontré, au contraire, que les droits différentiels pourraient être
une cause de ruine pour un grand nombre de nos industries. Je
crois que le discours de cet honorable collègue faite entièrement tomber
l’argumentation de M. le ministre de l’intérieur, qui a constamment soutenu que
les droits différentiels seraient un moyen de venir au secours de l’industrie.
Je suis intimement convaincu que si
la chose leur avait été bien expliquée, les industriels ne nous auraient pas
donné leurs avis tels qu’ils vous les ont transmis. Ils auraient dit que les
droits différentiels étaient évidemment contraires aux intérêts de l’industrie.
Mais lorsque l’on consultait les chambres de commerce on ne laissait pas
ignorer que les droits différentiels étaient pour ainsi dire le seul secours
que l’industrie pouvait attendre pour sortir de l’état de malaise dans lequel
elle se trouvait. La position des questions dans l’enquête tend évidemment à
amener ce résultat.
Après le discours qui a été prononcé
par l’honorable comte Meeus, il me reste peu de chose à dire. Je dois cependant
répondre à M. le ministre des travaux publics, qui m’a reproché que mon opinion
actuelle ne cadrait pas avec celle que j’ai émise en 1840.
Il ne me sera pas difficile de
démontrer que la question actuelle et celle de 1840 sont tout à fait
différentes. De quoi s’agissait-il en 1840 ? Il s’agissait simplement
d’accorder un subside pour l’établissement de navires à vapeur, destinés à
créer des communications régulières entre Anvers et New-York. J’ai donc trouvé
alors que c’était là une chose très avantageuse au commerce. En effet,
jusque-là, nous avions été forcés d’employer l’intermédiaire du Havre pour
faire parvenir en Amérique nos marchandises, nos draps et nos armes, par
exemple, qui doivent arriver dans un temps fixe, à peine d’être rebutés et
laissés pour compte du fabricant, ce qui causerait une perte énorme. Nous les
envoyions par le Havre, parce que là nous trouvions des départs réguliers que
nous ne trouvions pas dans les ports belges.
Depuis que nous avons établi une
ligne de navigation à la vapeur entre
La loi de 1840 établissait donc une
chose favorable aux exportations, tandis que le projet dont il s’agit
aujourd’hui ne présente absolument rien de favorable aux exportations ; ce
projet ne favorise que les importations.
Voilà donc la différence qui existe
entre mon vote actuel et celui que j’ai émis en 1840.
M. le ministre des travaux publics
nous a dit aussi qu’en 1840 nous soutenions que les draps de Verviers
pourraient lutter avec les draps anglais, les draps français.
Eh bien, ce que nous soutenions
alors, nous le soutenons encore ; nous soutenons que nos draps peuvent lutter
avec les draps étrangers dans les pays transatlantiques ; mais, qu’est-ce à
dire ? si nous trouvons des moyens d’écoulement plus
faciles, si nous avons plus d’avantage à commercer avec les pays voisins,
est-il extraordinaire que nous préférions ce dernier mode de nous défaire de
nos fabricats ? Nous n’avons pas alors à courir les chances défavorables qui se
présentent dans les pays éloignés.
Qu’a dit, en effet, la chambre de
commerce d’Anvers, pour soutenir que les armateurs ne pouvaient pas faire le
commerce pour eux-mêmes ? Elle a invoqué la difficulté de réaliser le prix de
nos fabricats dans les pays transatlantiques ; elle vous a dit qu’il faudrait
souvent trois ou quatre voyages, avant de réaliser l’import d’une première
expédition.
Eh bien, je vous le demande,
messieurs, si un armateur doit faire trois ou quatre voyages, avant de réaliser
le prix des marchandises, comment voulez-vous qu’un fabricant puisse attendre
pendant plusieurs années que ses marchandises soient réalisées ? Il est
donc tout simple que le fabricant ne transportera dans ces pays éloignés que
lorsqu’il ne pourra pas exporter dans les pays voisins.
On reproche encore aux fabricants de
n’être pas assez entreprenants.
Mas nous pourrions demander à notre tour
: Le commerce d’Anvers qui sollicite en ce moment les droits différentiels,
est-il plus entreprenant que nos fabricants ? N’avons-nous pas fait des essais
? N’avons-nous pas envoyé une masse de fabricants dans les régions
transatlantiques à nos risques et dépens ? Avons-nous jamais trouvé à
Anvers ou à Ostende des négociants qui aient voulu entreprendre, pour leur
compte particulier, des exportations vers les pays transatlantiques, c’est-à-
dire, d’acheter la cargaison ? Nous n’en avons jamais rencontré. En voici une
preuve bien irrécusable : lorsque le gouvernement a garanti 10 p c. à
l’industrie cotonnière de Gand, ceux qui ont accepté ces 10 p. c. sont allés à
Anvers offrir d’abandonner les 10 p. c. aux commerçants qui voudraient se
charger de l’entreprise. Ces fabricants ont même été plus loin : ils ont offert
10 autres p. c. et l’on n’a trouvé personne qui ait voulu se charger de
l’opération. Vous savez le résultat de cette affaire ; personne n’ignore que
les fabricants qui ont eu le malheur d’y prendre pari, ont perdu, non pas
seulement les 10 p. c., mais encore 50 p. c. en sus,
en confiant leurs marchandises à une compagnie qui s’est chargée de
l’expédition comme simple commissionnaire. Ainsi, vous remarquerez que le
commerce d’Anvers, qui vous demande des droits différentiels, prétendument pour
favoriser l’industrie, est beaucoup plus en arrière que les fabricants. Vous ne
trouvez à Anvers et à Ostende que des commissionnaires et des armateurs qui
louent leurs navires.
On nous reproche, comme je viens de
le dire, de n’être pas assez entreprenants. Mais
l’honorable M. Cogels lui-même ne vous a-t-il pas appris que les trois quarts
des maisons d’Amérique avaient été constituées en faillite ? L’honorable M.
Cogels ne nous a-t-il pas dit que souvent on a fait des exportations, et qu’on
n’a rien eu en retour ? Ainsi, loin de faire un reproche aux fabricants de
n’être pas assez entreprenants, il faut, au contraire, les louer de leur
prudence.
Et, en ce qui concerne les droits
différentiels, quand nous remarquons les discours des partisans de ce système,
quand nous voyons des hommes instruits et compétents, tels que MM. Cogels et de
Brouckere, douter que les droits différentiels puissent être favorables à
l’industrie, nous ne sommes plus étonnés de ce que, dans cette circonstance,
l’honorable abbé de Foere et M. le ministre de l’intérieur demeurent seuls sur
la brèche pour défendre le projet.
Nos communications avec les contrées
transatlantiques sont extrêmement chanceuses, eu égard à la difficulté des
réalisations. Les marchés sont souvent surchargés. On rencontre des gens de
mauvaise foi. Il est difficile de défendre ses intérêts dans des pays aussi
éloignés, et la législation commerciale nous y est tout à fait contraire, car,
dans ces pays, la contrainte par corps n’existe pas. Un négociant y fait
faillite, et le lendemain de sa déconfiture, il peut impunément se remettre à
la tête de ses affaires sous un prête-nom.
L’honorable M. Donny nous a cité
jusqu’à deux cargaisons qui avaient été complétées par les soins de l’armateur
; il nous a dit que l’opération avait été avantageuse. Je n’en doute nullement
; mais, à mon tour, j’aurais pu vous apporter la preuve d’une masse
d’expéditions, qui ont été faites par le commerce de Verviers, et qui, presque
toutes ont été malheureuses. C’est pourquoi il est nécessaire que, dans ces
pays éloignés, il s’établisse des comptoirs, des factoreries ; mais on voudrait
les voir établir au frais de l’industrie, et, à cette condition-là, vous ne
parviendrez jamais votre but.
Il faudrait, avant tout, qu’avec
l’appui du gouvernement, des sociétés de commerce fussent créées ; que ces
sociétés nouassent des relations avec les pays lointains ; qu’elles se
chargeassent du placement de nos marchandises à leurs frais.
L’honorable M. Donny a fait le calcul
d’une opération tentée en commun par un armateur et par un fabricant ; il a
supposé une réussite complète ; c’est là une pure supposition, et, comme vient
de le dire mon honorable ami M. Lesoinne, ce sont de ces calculs qui se font
dans les écoles de commerce.
L’honorable M. Donny a ensuite, et
toujours dans son cabinet, supposé le cas d’un négociant qui achète à un
fabricant, et qui charge ses marchandises sur un navire pour les Indes. Mais
c’est là précisaient ce que nous demandons et ce qui n’existe pas.
M. Donny- - Cela ne peut pas exister.
M. Lys. - Vous ne voulez donc pas qu’il y ait un commerce particulier qui
achète à l’industrie : c’est précisément là ce que nous cherchons à réaliser.
C’est ce qui existe en France et en Angleterre.
L’honorable M. Dumortier nous a fait
aussi un calcul sur la balance commerciale, et il a cherché à établir qu’il y
avait, pour
Nous remarquons que 60 millions par
an donnent pour 14 années 840 millions de perte, sans parler des intérêts. Ce
résultat est tout à fait impossible. D’ailleurs, mon honorable ami, M. David,
vous en a démontré l’impossibilité.
L’honorable M. Dumortier a dit encore
que la rareté du numéraire en Belgique allait toujours croissant.
Je ne puis partager cette opinion. Il
n’est pas exact de dire que le numéraire soit rare en Belgique, et la preuve du
contraire, je la puise dans le taux de l’escompte. A combien aujourd’hui
négociez-vous les bons du trésor ? Comment avez-vous fait la conversion de
votre emprunt ? En présence de tous ces faits, peut-on dire que le numéraire
soit rare en Belgique ?
Je ne suis pas de ceux qui prétendent
que la marine marchande ne doit pas jouir d’une protection. Nous avons déjà
démontré que dans ce moment la marine marchande jouit déjà d’une protection
très importante. Nous avons dit que dans les circonstances présentes la loi qui
nous était présentée pouvait être dangereuse, et elle est d’autant plus
dangereuse, qu’on a prouvé à l’évidence qu’elle n’était, et ne pouvait
nullement être avantageuse à l’industrie. Donc, en faveur de la marine
marchande, vous voulez allez à la recherche de marchés étrangers, et vous allez
mettre en doute la continuation de vos relations avec les puissances qui vous
avoisinent.
L’honorable ministre des travaux
publics a soutenu que, de la manière dont la loi serait établie, aucune
puissance n’aurait à se plaindre Mais, messieurs, la même chose existait en
1822, et cependant
On dit : Vous ne savez pas ce que
fera
On ajoute : Nous prendrons des
mesures contre
Mais, en attendant, que deviendront
nos établissements et ceux que leur inactivité laissera sans moyens
d’existence ?
Si je m’en rapporte aux paroles de M.
le ministre des travaux publics, il me semble que les droits différentiels ne
seront que l’exception. En effet, l’honorable ministre nous a dit que d’abord
les navires américains seront assimilés aux navires belges. Que vous
restera-t-il alors ? Car ce sont les navires américains qui nous apportent le
plus de marchandises transatlantiques.
Aussi, vous le voyez, messieurs, les
droits différentiels seront l’exception. On ne peut mieux prouver que ne l’a
fait M. le ministre, combien ils sont inutiles, car ils ne produiront alors
aucun avantage quelconque.
D’après toutes ces considérations, je
pense qu’il y a lieu de suspendre cette discussion, jusqu’à ce qu’il ait été
pris des dispositions sur le résultat de l’enquête commerciale.
M. le président. - M. Meeus vient de déposer
la proposition suivante :
« Je propose de voter le principe des
droits différentiels et de remettre à la prochaine session son
application. »
M. Manilius s’est-il fait inscrire
pour, contre, ou sur ?
M. Manilius. - Je me suis fait inscrire sur ; je suis dans la même position que
l’honorable M. Meeus, j’ai attendu que la liste des orateurs fût épuisée pour
me faire inscrire.
M. Castiau. - Je commencerai par remercier l’honorable M. Meeus, de l’obligeance
avec laquelle il m’a cédé son tour de parole. C’est pour lui répondre que je
l’avais demandée, car je ne comptais pas prendre part à ce débat. Mais, après
avoir été pris à partie et interpellé directement par l’honorable membre, il est
d’autant plus convenable que je lui réponde, qu’il s’agit de rectifier une
opinion qu’il m’a prêtée et qui est loin d’avoir le radicalisme qu’il a
supposé.
Avant de présenter cette
rectification, je donnerai ma pleine adhésion à la proposition qu’il nous a
présentée. Il vous a demandé l’ajournement du projet de loi à la prochaine
session. Cet ajournement, je l’appuie de toutes mes forces. J’avais été plus
loin sans doute, en en demandant le rejet dans le comité secret ; mais n’osant
espérer aujourd’hui ce rejet, je me rattache au parti proposé par M. Meeus,
parti de prudence et de réserve. Toutes les opinions devraient se réunir pour
l’adopter, car partout il y a doute, incertitude et conflit. Vingt systèmes
sont produits, et il est impossible de les concilier ; et à la suite de ces
incertitudes et, de ses conflits se présentent les conséquences de l’adoption
du projet de loi, conséquences dont personne ici ne peut mesurer la gravité et
le danger. Partout ici nous marchons vers l’imprévu et l’inconnu. J’avais cru
que le gouvernement aurait senti tout le premier la nécessité de s’arrêter ;
mais puisqu’il persiste, c’est à la majorité à faire son devoir, en adoptant un
ajournement qui, au milieu des hésitations de l’opinion et des résistances qui
éclatent de toutes parts, n’est qu’un appel à un nouvel examen et à des
méditations plus approfondies.
J’arrive maintenant à la
rectification pour laquelle j’avais uniquement réclamé la parole.
J’ai, il est vrai, défendu dans cette
enceinte le principe de la liberté commerciale ; j’ai prétendu que tout y
poussait aujourd’hui, les intérêts comme les idées, et que l’émancipation
politique des peuples amènerait l’émancipation commerciale ; mais je n’ai pas
été jusqu’à réclamer immédiatement et pour
Qu’ai-je donc demandé ? Qu’ai-je
prétendu dans les observations que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre
dans son comité secret ? J’ai prétendu qu’au moment où les peuples tendent à
confondre et leurs intérêts et leurs idées, c’était un véritable contre-sens de
vouloir se renfermer dans un système d’isolement et d’exclusion. J’ai combattu
de toutes mes forces cette tendance à l’exagération des tarifs, qui paraît
animer le gouvernement et la majorité de cette chambre ; j’ai prétendu que
cette exagération amènerait l’adoption du régime prohibitif, et que ce régime
était tout ce qu’on pouvait imaginer de plus fatal et pour l’industrie et pour
le pays tout entier.
C’est au nom des majorités, au nom
des consommateurs, au nom de toutes les classes de la société, que je me suis
élevé contre ces pensées de privilège et de monopole qui paraissent dominer
maintenant tous nos industriels, Car enfin cette exploitation absolue du marché
intérieur, n’est-ce pas le sacrifice de tous les consommateurs aux intérêts
privilégiés de quelques grands industriels ?
Je ne reviendrai pas sur tous les
inconvénients d’un système qui arrête le progrès industriel, qui pèse sur la
consommation, qui introduit dans un pays des industries factices et
impuissantes, qui détourne les capitaux et le travail de leur emploi le plus
fructueux, et tout cela pour donner aux peuples l’avantage de se nuire
mutuellement en se suicidant.
Je me bornerai seulement à faire
ressortir de nouveau le principal danger de ce système de protection exagérée
qu’on paraît vouloir adopter aujourd’hui. C’est l’excitation exagérée et
fiévreuse qu’il donne à l’industrie. Il la jette en dehors de ses conditions
normales et amène cet encombrement de produits qui est la principale cause de
ces souffrances industrielles qui ont trouvé de si nombreux interprètes dans
cette assemblée. La protection surexcite la production, et les misères de
l’industrie retombent alors sur les classes ouvrières, qui en sont les
victimes. C’est un enchaînement fatal et qui se retrouve dans tous les pays qui
ont adopté le régime prohibitif. Partout l’industrialisme a séduit les classes
ouvrières ; il les a arrachés à la plus morale et à la plus féconde des
industries, l’agriculture, pour les appeler dans les villes, pour les entasser
dans ces ateliers qu’on a appelés des bagnes manufacturiers, et les jeter
ensuite, à chaque crise, sur le pavé des rues, sans ressources et sans moyens
d’existence.
Ceci n’est pas de la théorie, car
c’est le grand mot qu’on oppose à tous nos arguments ; c’est de la pratique,
c’est de l’expérience et de l’expérience la plus douloureuse.
On prétend que le régime prohibitif
est une sorte de panacée universelle. Mais ce sont précisément les pays qui
l’ont adopté, qui souffrent le plus. C’est là que l’encombrement des produits
est le plus grand ; c’est là encore que la misère est poussée à ses dernières
limites ; c’est là que le paupérisme étend partout ses plaies saignantes ;
c’est là qu’on voit des hommes mourir de faim au milieu d’une société civilisée
; c’est là, enfin, que la misère des classes ouvrières dépasse enfin tout ce
que l’imagination peut concevoir.
Et voilà le merveilleux système dont
on veut doter
Je sais, messieurs, qu’on éprouve le
besoin de colorer de prétextes spécieux ces prétentions exagérées. On invoque à
satiété les grands mots de marché intérieur et de travail national. On prétend
être repoussé de tous les marchés de l’Europe ; on invoque contre tous les
peuples qui nous environnent la loi des représailles ; on fait ainsi appel à
toutes les passions de l’industrialisme et l’on espère par là donner le change
à l’opinion et séduire ceux qui ne vont pas au fond des choses et se paient de
mots.
On veut des représailles : soit ;
mais alors qu’elles retombent sur les seules nations dont nous avons à nous
plaindre. On a cité l’Angleterre, l’Angleterre la principale victime du système
qu’on veut importer dans ce pays ; on nous a dit que l’Angleterre, dans ses
jours de crise, nous inondait de ses produits et qu’il fallait opposer des
barrières à cette invasion des produits anglais. Ici, du moins, vous êtes dans
1e vrai. L’Angleterre nous écrase de ses produits et ne reçoit de nous que
d’insignifiants échanges et la matière première nécessaire à ses fabriques. Eh
bien, si l’on en a le courage, qu’on frappe l’Angleterre ; là, du moins nos
attaques pourront se justifier par cette loi des représailles qu’on veut placer
aujourd’hui en tête du code des nations.
Mais en est-il de même de la France ?
en est-il de même de
Qu’on cesse donc de faire entendre
ces doléances sans fin sur l’égoïsme des peuples qui nous environnent. Qu’on
cesse de dire et de répéter chaque jour qu’on nous repousse de tous les côtés,
qu’on nous traite comme des parias industriels et qu’à cette guerre
industrielle qu’on nous déclare de toutes parts, il faut répondre par de
nouvelles hostilités. Toutes ces déclamations manquent d’exactitude et de
vérité, pour certains pays, du moins.
Avant tout, il faut être juste
puisqu’on en est à parler de représailles, qu’on les applique avec discernement
et avec équité. Frappez, si vous le voulez, les peuples qui nous repoussent ;
mais épargnez les nations au sein desquelles vous écoulez vos principaux
produits et qui, répondant à vos attaques, pourraient vous faire expier
cruellement l’imprudence que vous auriez commise en prenant contre elles
l’initiative des hostilités.
Je m’arrête ; car, encore une fois,
je n’ai pris la parole que pour rectifier l’opinion et les pensées qu’on
m’avait attribuées à tort. Liberté commerciale sans doute, mais liberté
graduelle et progressive ! Liberté avec la réciprocité pour sanction ! Liberté avec
le respect des faits accomplis et surtout avec l’amélioration du sort des
classes ouvrières ! Je proteste donc, je proteste une dernière fois et de
toutes mes forces, contre la pensée que j’aurais voulu, dans l’intérêt d’un
principe, sacrifier toutes nos industries à l’existence des classes qui en
vivent. Certes, tout ce que j’ai dit et fait dans cette enceinte, depuis que
j‘y siège, en leur faveur, aurait dû m’épargner le désagrément de me voir
prêter gratuitement une opinion aussi déraisonnable que cruelle et d’être
obligé de la réfuter en ce moment.
M. de Foere. - L’honorable député de Bruxelles n’a pas su s’il devait parler pour,
contre ou sur le principe de la question qui est en discussion. Après avoir
entendu son discours, je n’ai point été étonné de l’hésitation de son esprit.
Il a confondu des notions essentiellement distinctes et établi des distinctions
où il n’en existait pas.
Dans la supposition que sur 60
millions de produits coloniaux, importés en Belgique, la différence entre le
prix d’achat et de vente fût de 40, l’honorable membre n’hésiterait pas de
voter pour la proposition, car 40 millions seraient conquis sur les
importations du commerce étranger et acquis au commerce belge. Mais l’honorable
membre croit que cette conquête serait nuisible à l’industrie belge. Il craint
le déplacement des fortunes. Il pense que quelques fortunes nouvelles
s’élèveraient sur la ruine de quelques autres. C’est ce qui jette
particulièrement de l’anxiété dans son esprit.
A moins que l’honorable membre n’ait
voulu faire allusion à notre situation envers
Je ne discuterai pas la question
politique relative à
Le commerce maritime ne peut donc,
dans tous les cas, qu’être avantageux aux industries, et, dans aucun, il ne
peut lui être nuisible. Quant au commerce avec nos voisins, il conserve sa
position. Il n’est pas altéré par le commerce maritime. Il s’exerce sur des
articles qui ne sont pas les éléments du commerce maritime. Il est fondé sur
des besoins mutuels. C’est la raison pour laquelle, contrairement à l’opinion
de l’honorable M. Castiau, notre balance commerciale avec la France ne sera pas
ébranlée, si nous développons notre commerce maritime. Elle ne sera pas même
ébranlée avec
L’erreur de l’honorable membre
provient de ce qu’il a confondu cette partie de notre industrie qui s’exporte
en Europe avec celle qui se place dans les trois autres parties du monde. Le
commerce maritime qui s’exerce sur cette dernière partie de noire industrie
laisse l’autre parfaitement intacte ; celle-ci n’en est en rien affectée, elle
conserve sa position, tandis que le commerce lointain (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) ne fait
qu’accroître nos exportations dans les contrées d’outre-mer.
L’honorable député de Bruxelles ne
découvre pas la connexité entre les exportations industrielles que fait le
commerce maritime dans les contrées d’outre-mer et entre les retours en
marchandises qu’il ramène de ces contrées.
En premier lieu il n’accepte pas le
motif qui a été développé dans l’enquête anglaise relativement à la perte que
fait souvent l’expéditeur aux colonies sur le change, lorsqu’il se fait solder
par des traités. Il pense que le taux du change représente toujours la valeur
de la marchandise, ou, ce qui est la même chose, que la vente de la marchandise
est calculée sur le taux du change. Cependant, il a admis que cet équilibre est
quelquefois rompu. Contester les assertions de l’enquête anglaise est une
entreprise assez hardie.
M. Meeus. - Je n’ai contesté que cette partie de l’enquête.
M. de Foere. - C’est de cette partie que je parle en ce moment. J’arriverai tantôt
au principe qui a dirigé cette enquête.
J’abandonnerai la question de savoir
si réellement ces pertes sur le change sont ou non éprouvées et, à cet égard,
je fais une concession gratuite. Mais l’honorable membre n’a pas remarqué que
les retours en marchandises coloniales donnent des bénéfices de vente aux
négociants armateurs belges, lorsque la législation du pays protège ces retours
contre les importations du commerce étranger, et que, sans cette protection,
ces bénéfices sont abandonnés à ce dernier commerce. Ensuite, il n’a pas
remarqué que si nos négociants-armateurs exportent sans pouvoir faire des
retours, tout le fret pèse sur la sortie et rend la concurrence plus difficile
sur le marché extérieur. En outre, ils perdent un fret de retour qui est
gratuitement concédé au commerce étranger qui importe des mêmes contrées dans
nos ports. La connexité de notre industrie, considérée sous ces rapports, avec
les retours, me paraît évidente.
En deuxième lieu, l’honorable membre
n’admet pas une corrélation directe entre les exportations et les importations,
en ce sens qu’une importation ne détermine pas immédiatement (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai
1844 :) une nouvelle exportation. Il veut bien admettre une
corrélation indirecte en ce sens que les importations favorisent les
exportations d’une manière lente et progressive. Il n’y a, à cet égard, pas de
divergence d’opinion entre nous. Nous n’avons jamais soutenu qu’une importation
amène toujours et immédiatement une exportation. Nous avons établi la corrélation
entre les sorties et les retours dans le sens dans lequel l’honorable membre
l’admet lui-même, c’est-à-dire, en ce sens que (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) les
importations avantageuses protègent et favorisant les exportations.
C’est aussi dans ce sens que
l’enquête anglaise a envisagé cette question. L’Angleterre, dans l’intérêt de
son industrie et de son commerce, attache à cette corrélation une importance
considérable. Elle porte aujourd’hui cette importance au point de sacrifier ses
intérêts coloniaux. Après avoir diminué une première fois les droits qui
pesaient sur les denrées des colonies étrangères, sir Robert Peel propose
aujourd’hui de les diminuer de la moitié du taux actuel, afin que le commerce
anglais puisse faire des retours en consommation intérieure en cafés et en
sucres qui ne sont pas les produits des colonies anglaises. Ce résultat a été
amené par l’enquête. C’est même cette nécessité de faire des retours en faveur
de l’exportation de l’industrie anglaise, qui a présidé à toute la partie de
l’enquête, qui a pour objet le commerce anglais avec les contrées lointaines.
Il a été affirmé deux fois dans l’enquête, sans que l’assertion ait été
contredite, que le commerce anglais aurait exporté le double de la valeur de
ses exportations au Brésil, s’il avait pu ramener de ce pays des sucres et des
cafés en consommation intérieure ; cependant, il exportait déjà dans ce pays
pour une valeur moyenne de cent millions. Toutefois, pour le succès de ses
opérations, il faisait des retours du Brésil, mais il était forcé, soit de les
entreposer chez lui, soit de les jeter dans les entrepôts d’Europe, soit enfin,
de les vendre à Cowes. Il échangeait ainsi les produits du pays contre des
produits coloniaux qu’il nous vendait en partie. M. le ministre de l’intérieur
vient de vous expliquer combien ces placements chez nous nous contrarient nos
propres exportations, en nous enlevant des éléments nécessaires à nos propres
échanges.
Le cabinet whig avait été
renversé en partie parce qu’il voulait modifier la législation coloniale de
l’Angleterre dans l’intérêt de ses exportations. Le cabinet tory, converti à la
nécessité de retours, admet aujourd’hui la corrélation dans le même but.
L’honorable M. Lesoinne a très bien exposé
la nécessité d’établir des comptoirs belges sur les principaux centres de
commerce des autres parties du monde, afin que les relations directes, les
échanges, les opérations de solde et d’achats soient possibles. Nous n’en
possédons pas actuellement, parce que nos relations, nos exportations et (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai
1844 :) nos échanges sont trop peu développées. Ils n’auraient pu
supporter les frais d’un comptoir. Lorsque, par la différence des droits
d’importation, ces différents intérêts auront pris plus d’extension, les
subsides du gouvernement viendront à l’aide pour établir ces agences
commerciales.
L’honorable M. Meeus a proposé
d’admettre seulement aujourd’hui le principe et de reculer l’application à la
session prochaine. Je ne puis admettre cette proposition. Dans six mois, dans
un an, le pays se trouvera dans la même situation envers
M. Pirmez. - C’est la petite discussion qui a eu lieu entre l’honorable M. Meeus
et l’honorable ministre de l’intérieur qui me détermine à prendre la parole. Je
crois que ces deux honorables membres sont parfaitement d’accord sur la manière
dont les choses se passent, dont les denrées coloniales sont introduites dans
le pays.
L’honorable ministre a pris un
exemple ; il a dit que l’Angleterre exporte des produits manufacturés au
Brésil, que là elle prend des denrées coloniales et que, ne pouvant les
consommer chez elle, elle les déverse sur notre marché. Il en est resté là de
sa démonstration. Nous voyons bien là ce que reçoivent les Brésiliens, ce que reçoivent
les Anglais qui ensuite vendent ces produits aux Belges ; mais nous ne voyons
pas en quoi paient les Belges.
Plusieurs membres. - Mais en écus !
M. Pirmez. - Comment se procurent-ils ces écus ? Qu’ils payent en écus ou en
produits, c’est fort indifférent. Pour avoir des écus, il vous faut bien vendre
des produits, puisque vous n’avez ni mines d’or, ni mines d’argent. Ce sont
donc nos produits, ou leur prix, que nous donnons en partie aux Anglais, en
partie aux autres peuples qui se chargent de payer les Anglais, pour les
denrées coloniales que nous recevons du Brésil indirectement. C’est ainsi que
nous fournissons du lin aux Anglais, de la houille, du fer et d’autres produits
encore aux Français, aux Hollandais. Nous soldons ainsi les denrées que nous
envoie le Brésil ; car certainement vous ne prétendez pas qu’il nous donne ses
denrées pour rien ; il faut bien les solder.
Si l’on prétend qu’il n’en est pas
ainsi, je voudrais bien que l’on discutât là-dessus ; ce point est important,
ii vaut bien la peine qu’on le discute.
Si vous faites venir directement du
Brésil pour 50 millions de denrées coloniales et que vous les payiez
directement au Brésil, vous ne pourrez plus payer ces 50 millions en produits
que vous payez maintenant à la France, à
L’honorable M. Meeus a dit que l’on
gagnerait 20 millions sur le transport du café. Je crois que ce n’est qu’une
supposition. (M. Meeus fait un signe
affirmatif.) Autrement, cette assertion demanderait une démonstration.
Notre commerce ne sera donc pas sauf
et entier avec les puissances du continent, ainsi que l’a dit l’honorable M. de
Foere. S’il y a payement direct avec nos produits au Brésil, il n’y a plus
payement indirect, par nos produits, aux autres nations. Si vous payez d’une
manière, vous ne payez pas d’une autre manière.
D’ailleurs, il est à remarquer que la
consommation de certains produits est bornée. On a cité l’Angleterre. Si
l’Angleterre introduit chez elle une certaine quantité de denrées coloniales du
Brésil, elle n’importera plus la même quantité de produits de ses propres
colonies. Elle ne peut pas plus que nous consommer du café.
On a parlé beaucoup des
avantages que retirent les peuples qui nous sont étrangers d’un système qui
n’est pas le nôtre. On vous a vanté la France qui fait bien plus d’importation
en pays étranger que vous n’en faites. Cela prouve-t-il que la France fait un
plus grand bénéfice que vous ? Vous pouvez certainement retirer un bénéfice du
commerce, que vous nommez indirect, plus considérable que d’un commerce direct.
Ces opérations dépendent de notre position géographique, de la nature de notre
sol, de notre production et de nos mœurs. On a répété souvent que nous étions
de grands consommateurs, bien plus grands consommateurs que nos voisins les
Français. Cet énoncé ne fait pas la critique du système actuel ; car, pour
consommer les choses utiles ou agréables, il faut les posséder et on ne se les
procure pas avec une législation commerciale et industrielle déraisonnable.
On a dit que nos exportations en
Europe diminuent. Je crois qu’il n’en est rien. J’ai la conviction que nos
exportations en Europe augmentent.
Je pense qu’il conviendrait
d’attendre que l’on fût mieux éclairé, avant d’établir le nouveau système. Le
temps et la réflexion démontreraient qu’il sera nuisible.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Si l’objection qui a servi
de point de départ à l’honorable préopinant était fondée, il ne faudrait pas
même chercher à donner de l’extension à nos relations transatlantiques. Les
denrées coloniales que nous recevons, nous les payons, t-il dit, par la vente
de certains produits qu’il a indiqués. Mais avons-nous vendu ces produits à
ceux qui nous fournissent ces denrées coloniales, soit à ceux qui les
produisent, soit à ceux qui les importent ? Non ; et pourquoi ne le
faisons-nous pas ? Je demanderai pourquoi nous ne pourrions pas vendre des
armes et des tissus de lin et de coton en Europe et en Amérique. Est-ce que la
vente en Europe exclut la vente en Amérique ? Ne pourrions-nous pas subvenir à
cette double vente ? Ne produisons-nous pas assez ?
Nous vous indiquons le moyen, non pas
de nous passer de la vente de nos armes, de nos tissus en Europe, mais
d’ajouter à cette vente la vente des mêmes articles en Amérique Le moyen, c’est
d’avantager les retours que nous demanderons par nous-mêmes à l’Amérique.
M. Pirmez. - Avec quoi nous payera-t-on ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - On nous payera avec les
retours que nous placerons nous-mêmes en Europe, que nous consommerons
nous-mêmes, au lieu d’aller les demander au commerce anglais, par exemple,
lequel ne nous demande rien. Voilà toute la question que l’honorable préopinant
ne veut pas voir.
C’est la question de l’extension de
nos relations directes avec l’Amérique. C’est un point que l’honorable membre
met en doute, et ici il se sépare même de l’honorable M. Meeus. L’honorable M.
Meeus ne met pas le développement de nos relations transatlantiques en doute,
il désire que nos relations avec l’Amérique puissent prendre de l’extension ;
mais, ce qui l’effraie, c’est le moyen qu’on propose en ce moment ; l’honorable
M. Pirmez va beaucoup plus loin, il met en doute l’utilité du but qu’on veut
atteindre.
Voilà les seules observations que je
voulais faire pour le moment, l’heure étant trop avancée.
- La chambre remet à demain la suite
de la discussion.
La séance est levée à 4 heures et
demie.