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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 mai 1844

(Moniteur belge n°143, du 22 mai 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et quart.

Lecture du procès-verbal

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la précédente séance.

M. de Brouckere. - Je demande la parole sur le procès-verbal. Messieurs, je ne demande la parole que pour exprimer mon regret de n’avoir pas pris part au double vote qui a eu lieu hier. J’avais quitté la séance depuis deux minutes seulement par suite de l’assurance que m’avaient donnée plusieurs orateurs qu’ils prendraient la parole dans la discussion. Je ne tenais à exprimer ce regret que parce que depuis un mois que dure la discussion, je n’ai pas manqué à une seule séance.

M. de Tornaco. - Je demande la parole pour faire une observation de la même nature que celle que vient de présenter l’honorable M. de Brouckere. Un accident m’a fait manquer de quelques minutes le premier convoi du chemin de fer à son passage à Waremme. Un retard, indépendant de ma volonté, m’a empêché, à mon grand regret, de venir voter, comme je désirais le faire, contre le principe d’extension des droits différentiels et pour la proposition d’ajournement.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique les pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs distillateurs établis à Gand présentent des observations contre la pétition des distillateurs agricoles de la Flandre orientale tendant à ce qu’il soit pris des mesures pour empêcher l’exagération des droits d’octroi dont sont frappés leurs produits à l’entrée des villes. »

M. Delehaye. - La pétition dont on vient de faire l’analyse est une réponse à une autre pétition qui vous a été adressée il y a quinze jours. Je demande qu’indépendamment du renvoi à la commission des pétitions, on en ordonne l’insertion au Moniteur, comme on l’a fait pour la première pétition.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs bateliers de Willebroeck demandent une réduction de droits sur le poisson frais. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Desmet. - J’ai l’honneur de déposer quatre rapports de la commission des naturalisations sur des demandes en naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués. La mise à l’ordre du jour en sera ultérieurement fixée.

Projet de loi organisant la cour des comptes

Rapport de la section centrale

M. de Man d’Attenrode. - J’ai l’honneur de déposer le rapport de la section centrale, qui a été chargée de l’examen du projet de loi relatif à la cour des comptes.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et placé à la suite des autres objets à l’ordre du jour.

Projet de loi interprétatif de l'article 442 du code de commerce

Motion d'ordre

M. de Garcia. - La chambre depuis longtemps est saisie d’un projet de loi interprétatif de l’article 442 du code de commerce. Ce projet de loi a été renvoyé à une commission. Je désire que la chambre invite la commission à présenter son rapport. Cette question a un intérêt immense ; depuis huit ans toutes les faillites qui se sont ouvertes ne peuvent pas se liquider, parce qu’on ne sait pas s’il faut les faire remonter à telle date ou à telle autre. Il y a déni de justice à ne pas s’occuper de cet objet. Je désirerais qu’avant la fin de la session la chambre ait pu statuer.

C’est une question d’interprétation qui a déjà été longuement débattue ; une séance ou deux suffiraient pour la décider. L’intérêt général exige qu’elle le soit le plus promptement possible.

Je prie donc la chambre d’inviter la commission chargée de l’examen du projet, à présenter son rapport le plus tôt possible.

M. Savart-Martel. - Je viens appuyer la proposition de l’honorable M. de Garcia. Messieurs, il est à ma connaissance que dix affaires au moins sont en suspens, attendant qu’il ait été pris une décision sur l’interprétation de l’art. 44 du code commerce.

M. Maertens. - Je crois pouvoir rassurer les honorables membres sur les inquiétudes qu’ils viennent de témoigner, en annonçant que le rapport sera présente dans le courant de la semaine prochaine.

M. de Garcia. - C’est très bien.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion des questions de principe

Adoptera-t-on, pour établir le régime des droits différentiels, la double base du pavillon et de la provenance ?

M. le président. - Nous en étions restés à la deuxième question de principe. A la fin de la séance d’hier M. Dumortier a présenté quelques questions de principe par forme d’amendement.

Si M. Dumortier est présent, je lui donnerai la parole pour développer son amendement.

- M. Dumortier n’est pas présent.

M. le président. - M. de Haerne a proposé une série d’articles qui remplaceraient toute la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois que nous pourrions entendre M. de Haerne sur sa proposition.

- M. de Haerne n’est pas présent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je le regrette beaucoup.

Messieurs, lorsque j’ai proposé une série de questions de principe, il n’entrait pas nécessairement dans mes intentions de faire voter la chambre sur chaque question ; ces votes répétés sur chacune des questions de principe indiquées dans cette série seraient peut-être inutiles. Il y a plus, il y a quelques questions dont on ne comprendrait pas la portée dans les termes généraux dans lesquels elles sont posées. Je crois qu’on pourrait immédiatement passer à l’examen du tarif. Les questions de principe se retrouvent dans l’examen du tarif. Nous devrions, sans doute, statuer sur la grande question de principe qui domine toute la loi, mais nous marcherons peut-être plus rapidement, plus régulièrement, en abordant le tarif.

Je regrette l’absence de l’honorable M. de Haerne, nous l’aurions prié de développer sa proposition, je lui aurais répondu et j’aurais prouvé que cette proposition est inadmissible, qu’elle n’est pas susceptible d’exécution.

M. Castiau. - Messieurs, vous voyez que M. le ministre de l’intérieur se met en contradiction avec la marche qu’il avait indiquée lui-même. C’est le gouvernement, c’est le ministère qui le premier était venu nous proposer de voter des questions de principe et il avait déroulé devant nous une série de ces questions sur lesquelles la chambre était appelée à émettre son vote. Voici qu’après que la chambre s’est engagée dans la voie ouverte devant elle par le ministère, celui-ci fait volte face et lui propose d’abandonner les questions de principe pour la discussion des articles.

Je crois que nous ne pouvons pas admettre ces variations du ministère dans la marche à suivre.

Vainement le ministère vient-il dire que les questions de principe se retrouveront dans les questions de détail, quand nous viendrons à examiner le tarif. Les questions de principe dominent évidemment ici les questions accessoires des articles. C’est ainsi qu’indépendamment du système du gouvernement qui renverse celui de la commission, il y en a d’autres qui, par leur généralité et leur portée, dominent le projet dans son ensemble et dans toutes ses dispositions ; le système de M. Mast de Vries, celui de M. Dumortier, celui de M. Eloy de Burdinne, enfin celui de M. de Haerne, tous ces systèmes sont des systèmes radicaux qui se renversent les uns les autres et doivent exercer une influence absolue sur tous les articles du projet de loi. Avant donc de nous lancer dans l’examen des articles du tarif, il faudrait nous mettre d’accord sur les systèmes et les principes en présence, élaguer ceux qu’on ne croit pas devoir admettre, admettre ceux qu’on juge admissibles et coordonner ensuite les articles avec celui des systèmes présentés, auquel vous aurez donné la préférence.

Mais comment procéder à ce travail ici, sans un examen préalable, sans même avoir le temps de lire des propositions nouvelles qu’on nous distribue à l’instant ? Il n’existe qu’un moyen d’y procéder avec maturité et réflexion, c’est de nous donner le temps d’examiner ; ce serait de renvoyer aux sections l’examen des propositions contradictoires qui nous sont soumises.

S’il y avait eu dans cette discussion, comme dans la plupart des discussions ordinaires une section centrale, je me serais borné à proposer de lui envoyer l’examen de ces deux projets pour en faire l’objet d’un rapport spécial et approfondi. Mais nous discutons ici en dehors des formes normales les projets n’ont pas été examinés dans les sections, et nous n’avons pas de section centrale. C’est donc pour nous replacer sous l’empire des formes ordinaires et des garanties du règlement que je demande le renvoi aux sections du projet de la commission, du projet du gouvernement, du projet de M. de Haerne et de tous les autres projets déposés sur le bureau.

Les sections arriveraient bientôt à constituer une section centrale qui nous donnerait son avis et faciliterait ainsi la décision que nous avons à prendre dans ces graves circonstances ; car, tant que nous resterons dans le dédale où nous nous trouvons, en présence de dix propositions qui n’ont été l’objet d’aucun examen préalable, nous ne pourrons jamais arriver à un résultat utile, nous nous jetterons dans des discussions à perte de vue qui pourront aboutir, comme on l’a dit, à une déplorable mystification.

Ce qu’il y a de plus convenable, je le répète, c’est d’en revenir à l’exécution des formes établies par le règlement. Je demande donc et avec insistance le renvoi aux sections de toutes les dispositions dont la chambre est saisie. Il est impossible de se livrer, dans l’état des choses, à une discussion utile, et les hésitations et les variations du gouvernement qui vient nous demander en ce moment de bouleverser l’ordre suivi jusqu’ici pour la discussion, ne justifient que trop la proposition que j’ai l’honneur de vous faire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demanderai la question préalable sur la proposition de l’honorable préopinant. Peu de mots suffiront pour justifier ma demande. Le renvoi qu’on vous propose n’est autre chose qu’un ajournement indéfini ; vous renverriez aux sections qui nommeraient une section centrale, ou vous nommeriez une commission que vous ne cloriez pas par là la discussion ; la commission ou la section centrale viendra faire des propositions et toutes les opinions ici en présence se reproduiront de nouveau à côté du projet de cette commission ou de cette section centrale. C’est, comme je vous le disais en commençant, en d’autres termes, la reproduction de la proposition d’ajournement qui a été repoussée hier.

Je ne sais si je dois voir un reproche dans les premières paroles de l’honorable membre, qui trouve qu’il y a une grande variation dans la conduite du gouvernement, quand il veut une marche plus régulière et plus rapide. Je n’attache pas une grande importance à ce que l’on aborde immédiatement le tarif, ou à ce que l’on discute encore quelques questions de principe.

Il n’est pas exact de dire que nous sommes en présence d’un grand nombre de systèmes ; il n y en a réellement que deux ; car les systèmes de la commission d’enquête, de la chambre de commerce d’Anvers et du gouvernement ont beaucoup de liens communs. Il y a en face de ce système le système de l’honorable M. de Haerne. Ce système, je l’avoue, est un système radical, en ce sens qu’il se place en face des trois autres opinions que je viens d’indiquer. Aussi ai-je exprimé le désir qu’il fût discuté immédiatement.

Je vois avec regret que l’honorable auteur de l’amendement est absent. Malgré son absence, si l’on veut, je prendrai immédiatement la parole sur cet amendement.

Plusieurs membres. - C’est impossible, il faut que M. de Haerne vous entende.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est vraiment regrettable que les honorables auteurs des amendements soient absents.

Je ne puis assez le répéter, qu’on ne s’exagère pas la confusion que semble offrir cette discussion. Il n’y a pas de confusion. Ceux qui ont examiné les pièces doivent convenir qu’il n’y a réellement, comme je viens de l’expliquer, que deux systèmes. Dans les projets de la commission d’enquête, de la chambre de commerce d’Anvers et du gouvernement, il y a des différences quant au tarif, mais le fond est le même.

L’honorable M. de Haerne propose d’une manière générale de prendre le tarif actuel, de l’augmenter d’après certaines catégories qu’il indique et de procéder ensuite par voie de réduction. Je prouverai que ce système est arbitraire, inexécutable, qu’il conduit aux résultats les plus étranges, les plus inattendus, les moins avouables.

Le système de la commission d’enquête, de la chambre de commerce d’Anvers et du gouvernement, présente des chiffres différents, j’en conviens ; mais l’idée est la même. C’est un tarif nouveau, convenablement gradué pour les articles d’importation maritime, auxquels seuls s’applique le tarif.

Je retire ma motion d’ordre, puisque l’honorable M. Dumortier est présent.

Je demande la question préalable sur la proposition de M. Castiau.

M. Desmet. - J’admets avec M. le ministre de l’intérieur que nous sommes en présence de deux systèmes seulement : 1° les propositions de la commission d’enquête, de la chambre de commerce d’Anvers qui ne forment qu’un seul système, et le système de l’honorable M. de Haerne. Le premier de ces systèmes est en faveur du pavillon ; le second, le système de l’honorable sénateur, M. Cassiers, reproduit par l’honorable M. de Haerne, en faveur de l’exportation.

Quelle est la différence entre les deux systèmes ? La voici dans le premier, on favorise seulement les arrivages directs. Dans le second, on favorise non seulement ces arrivages, mais encore les exportations. Je dis donc que le système Cassiers est le système industriel, que l’autre est le système des armateurs, de la navigation.

A cet égard, je demande que l’on procède à la discussion par questions de principe. Cependant, je ne crois pas que l’on puisse repousser la proposition de l’honorable M. Castiau. Le fait est qu’un système complet n’a pas été examiné par le gouvernement et par les chambres. Si le système Cassiers avait été étudié, l’appui de la chambre ne pouvait lui manquer ; en effet, quelle est l’opinion de la chambre ? L’opinion industrielle. Si donc on avait présenté ce système, le vote de la chambre, au lieu d’être divisé, aurait été unanime.

Cette proposition n’est pas un ajournement, c’est un moyen d’atteindre le but, d’obtenir un résultat. Il est certain qu’une grande partie de la chambre ne peut accepter le projet du gouvernement.

Je crois donc qu’il y a lieu de renvoyer les questions de principe qui sont en discussion et le système Cassiers à l’examen des sections.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a deux parties dans la proposition de M. de Haerne. Je me suis déjà occupé de la première partie. J’ai reconnu qu’il y a ici des différences fondamentales.

La deuxième partie, quelle est-elle ? C’est de mettre l’exportation des produits de notre sol ou de notre industrie comme condition formelle à la jouissance des droits différentiels. C’est une tout autre idée ; c’est une idée qui peut s’appliquer à tous les systèmes de droits différentiels. Si elle est exécutable, nous l’adoptons, pour notre système ; mais je doute qu’elle soit exécutable. C’est une idée séduisante, mais qui ne résiste pas à l’examen. Cette deuxième partie de la proposition de M. de Haerne est indépendante de la première ; elle s’applique tout aussi bien au système de la commission d’enquête, à celui de la chambre de commerce d’Anvers et à celui du gouvernement.

- M. de Haerne entre dans la salle.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Maintenant que l’honorable M. de Haerne est présent, je crois que nous pourrions l’entendre. Mais déblayons le terrain. Ecartons la première partie de sa proposition. Quant à la deuxième partie, elle pourrait venir à la suite de l’examen de la loi ; car, je le répète, elle s’applique à tous les systèmes.

M. le président. - J’accorderai, conformément au règlement la parole à M. de Haerne, pour développer sa proposition. Il est entendu que l’on s’occupera ensuite de la proposition de renvoi aux sections faite par M. Castiau. (Adhésion.)

M. de Haerne. - Je suis fâché qu’un accident imprévu m’ait empêché de me rendre à la séance.

Je viens d’apprendre que l’honorable M. Castiau a proposé le renvoi aux sections.

D’après ce que vient de dire M. le président, j’aurais le droit de développer ma proposition. Cependant, si l’on préfère prononcer de suite le renvoi aux sections, je ne m’y oppose pas. (Non ! non ! parlez ! parlez !)

Je viens d’entendre, en entrant à la séance, que M. le ministre de l’intérieur a divisé le système, que j’ai eu l’honneur de proposer, en deux parties. Il dit qu’il a une partie qui concerne les droits différentiels : une seconde partie qui met pour condition à la jouissance des droits différentiels l’exportation.

Je crois que cette manière d’exposer le système n’est pas exacte. D’abord, comme je n’ai pas entendu tous les développements dans lesquels est entré M. le ministre de l’intérieur, quant à la première partie, je ne puis m’en faire une idée exacte.

Quant à la deuxième partie, on ne fait pas une condition essentielle de l’exportation, Seulement on engage par l’intérêt l’armateur à exporter des produits belges, en lui accordant dans ce cas l’intégralité de la prime, telle quelle est indiquée au Moniteur du 8 mars. Mais s’il ne veut pas se soumettre à ces deux conditions, il peut toujours exporter des produits quelconques ; en attendant un mois après le déchargement pour exporter des produits quelconques, il jouira de l’intégralité de la prime. Vous voyez que ce système n’est pas aussi absolu que le croit M. le ministre de l’intérieur. Ce qu’il a dit à cet égard est réellement inexact.

Vous trouverez peut-être étrange que j’aie pris sur moi une tâche aussi grande que de présenter un système complet de droits différentiels. Certes, j’aurais reculé devant une telle tâche, si, d’un côté, je ne me trouvais sous l’égide d’un homme qui vous est connu et qui fait autorité dans la question, si je ne me présentais sous sa recommandation. D’un autre côté, j’ai cédé aux conseils de mes amis qui m’ont engagé à vous faire cette proposition. Je dois ajouter que c’est là une conviction établie chez moi depuis longtemps. Depuis plus d’un an, je me suis occupé de la question et particulièrement du système de l’honorable M. Cassiers ; j ai fait une étude attentive de ce système ; j’en ai fait en quelque sorte mon enfant adoptif que j’ai caressé depuis un an.

J’aurais désiré, messieurs, que d’autres membres fissent cette proposition, je m’y serais rallié bien volontiers. Mais voyant qu’elle n’était pas faite, j’ai cru devoir la présenter, parce que je devais obéir à mes convictions, c’était un devoir pour moi.

Messieurs, le caractère dominant du système que j’ai l’honneur de proposer, c’est la tendance industrielle. Le système des droits différentiels tel qu’il est conçu dans l’amendement que j’ai déposé sur le bureau favorise avant tout l’industrie ; et c’est là le but principal que je me suis proposé. En effet qu’a-t-on entendu dans cette enceinte depuis le commencement de cette discussion ? On a entendu élever des plaintes de la part des diverses industries, soit que ces industries se trouvent déjà lésées dans leurs intérêts, soit qu’elles s’attendent à l’être. C’est ainsi que Gand, d’un côté, Liége et Verviers de l’autre ont fait entendre leurs réclamations. Je crois, messieurs, que c’est donner un gage à ces industries, que c’est les rassurer que d’engager fortement par une augmentation de primes les armateurs et les négociants à exporter des produits belges. C’est une grande compensation aux pertes qu’on pourrait essuyer d’un autre côté.

Mon système, messieurs, n’est aucunement exagéré. Car je dois vous faire remarquer que l’importance consiste plutôt dans le mode que dans l’élévation des, chiffres ; et même pour ce qui regarde les chiffres que j’ai posés, il y aurait peut-être des réductions à faire, surtout en ce qui concerne la matière première. Je le répète donc, nous ne tenons pas essentiellement aux chiffres, mais nous tenons au mode et nous pensons que le mode est efficace par lui-même.

Messieurs, en vous proposant un système qui est modéré de sa nature, je crois pouvoir dire que nous nous rapprochons autant que possible des idées de liberté commerciale qui ont été proclamées plusieurs fois dans cette enceinte, qui trouvent aujourd’hui de l’écho dans tous les pays, qui sont professés par la plupart des publicistes.

Messieurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous déclarer mon opinion à cet égard. Et ici il n’y a aucune exagération ; ma conviction pleine et entière est que nous devons tenir à cette liberté : mais, comme je l’ai dit, en déclarant toujours la réciprocité parce que, selon moi, le seul moyen d’arriver à la liberté commerciale, c’est d’être toujours armé contre les autres nations, pour qu’elles agissent à notre égard, comme nous agissons envers elles. Si vous n’êtes pas armé à l’égard des autres nations, toutes les mesures que vous prendrez seront illusoires.

Mais si l’on présente un système qui, pour la forme et pour le fond, est un système de modération, c’est encore un gage de paix ; c’est un nouveau gage donné à ce principe de la liberté commerciale. C’est ainsi que nous nous présenterons devant les puissances, soit pour favoriser les relations réciproques, soit pour arriver tôt ou tard à des traités de commerce ; et, sous ce rapport, je pense que mon système mérite une mûre attention.

Mais, messieurs, pourquoi demande-t-on cette liberté de commerce ? J’insiste un moment sur ce point, parce que, je le répète, le système que je propose tend principalement à établir ce principe. Pourquoi insiste-t-on sur cette liberté de commerce ? On a raison, messieurs. La liberté du commerce est une idée de progrès ; c’est une idée qui doit se réaliser dans l’avenir parce que c’est par là que la civilisation doit progresser non seulement sous le rapport matériel, mais aussi sous le rapport moral. Le commerce doit y tendre, parce que le commerce établit des relations entre les peuples. Les relations actuelles, messieurs, sont-elles réelles ; le commerce est-il bien naturel, repose-t-il sur une base stable, alors que nous avons prouvé qu’il n’était pas fondé sur les échanges réciproques des produits ? Je dis, messieurs, qu’il est impossible de concevoir un commerce stable, un commerce naturel, à moins qu’il ne soit fondé sur des échanges réciproques qui se font de pays à pays. Car, s’il n’en est pas ainsi, il faut que les pays qui n’exportent pas en proportion des importations, se défassent de leur numéraire ; et il est incontestable qu’à la longue ces pays doivent se ruiner. Le système qui n’amènerait pas cette réciprocité d’échange, serait donc un système qui deviendrait la ruine des peuples qui l’auraient adopté.

Le système que j’ai l’honneur de proposer repose, avant tout, sur les échanges ; il établit, avant tout, les échanges des produits des pays différents qui se trouvent en relations ; il établit les échanges entre la Belgique et les autres nations,

Messieurs, cette réciprocité existerait surtout pour ce qui regarde les pays d’Europe, et je vous prie de faire attention à cette observation. Il s’agit ici d’une différence essentielle entre ma proposition et les systèmes que j’appellerai les systèmes officiels, qui sont ceux de la commission d’enquête, du gouvernement et de la chambre de commerce d’Anvers.

Le système du gouvernement et celui de la chambre de commerce d’Anvers favorisent les entrepôts transatlantiques relativement aux entrepôts d’Europe. Ces deux systèmes détruisent les entrepôts d’Europe. Le système de la commission d’enquête, sans être tout aussi favorable aux entrepôts transatlantiques, ne va pas cependant aussi loin que celui que je vous propose.

Les entrepôts flottants, messieurs, ou les arrivages directs sous pavillon indirect sont, à mes yeux, les plus dangereux pour l’industrie et pourquoi ? Parce que les navires qui partent de l’Angleterre, par exemple, qui vont aux Etats-Unis ou au Brésil, pour y chercher des denrées coloniales et les importer directement en Belgique, n’ont pas à subir les mêmes frais que ceux qui partent des entrepôts d’Europe. Car, lorsqu’ils viennent des entrepôts directs, ils ont eu à subir des frais de débarquement, des frais d’emmagasinage, de rembarquement, de prime d’assurance, de correspondance, etc. ; et cette différence peut aller jusqu’à 30 p.c.

Messieurs, je le demande, comment est-il possible, dans un tel état de choses, quand on pose bien la question, de cette manière, que l’on veuille donner la préférence aux entrepôts flottants sur les entrepôts d’Europe ? Il me semble, messieurs, qu’au point de vue industriel, cette thèse est insoutenable ; si l’on veut favoriser l’industrie, il faut que l’on écarte les entrepôts flottants.

Quant à l’entrepôt transatlantique, il ne devrait pas être favorisé autant que l’entrepôt d’Europe ; il ne devrait être favorisé que pour autant qu’il fût nécessaire de le faire dans l’intérêt de la marine belge, pour encourager notre pavillon, pour développer notre navigation

Messieurs, d’après ce que je viens de vous exposer, il est de toute évidence que, par mon système, non seulement je favorise les arrivages directs des ports d’Europe, les navires venant des pays de production d’Europe et appartenant à ces pays, mais que je favorise aussi les entrepôts d’Europe par une réduction de 30 p. c.

De cette manière, messieurs, nous nous réconcilions avec l’Europe ; mon système ne peut avoir, aux yeux des puissances voisines, le caractère d’hostilité qu’on semblait vouloir imprimer au système des droits différentiels en général. C’est pour atteindre ce but que je l’ai formulé dans les termes que vous connaissez, et contrairement dans quelques-unes de ses dispositions, au projet primitif de M. Cassiers. C’est une grande garantie, messieurs, contre les représailles. Je crois que les honorables membres qui, à plusieurs reprises, nous ont exprimé les craintes qu’ils avaient des représailles, doivent trouver leurs apaisements à cet égard.

Il y a plus : non seulement par mon système nous favorisons les entrepôts et les provenances d’Europe en général, mais nous favorisons d’une manière toute spéciale la Hollande, qui a inspiré le plus de crainte aux honorables députés de Liége ; et voici comment :

J’ai proposé une réduction de 30 pour cent pour les arrivages des entrepôts d’Europe. Les entrepôts de Rotterdam et d’Amsterdam, il est vrai, sont, d’après mes chiffres, sur la même ligne que ceux du Havre, de Londres et de Liverpool ; mais, en réalité, il n’en sera pas ainsi. Car il y a une grande différence entre le fret des entrepôts de Hollande et celui des entrepôts d’Angleterre, comme il y a aussi une différence entre le fret des entrepôts de France et le fret des entrepôts anglais. Si donc nous favorisons les entrepôts d’Europe en général, nous favorisons spécialement les entrepôts de la Hollande et de la France, qui, comme on l’a dit, pourraient être froissées de l’établissement de notre système de droits différentiels, et c’est là un point essentiel. Evidemment, alors la Hollande aurait intérêt à entrer dans nos vues ; elle aurait intérêt à recevoir notre pavillon comme nous recevrions le sien.

Je dis, messieurs, que la Meuse n’aura plus à faire valoir les réclamations qu’elle a fait entendre.

La Meuse sera également favorisée d’une manière toute spéciale ; je crois qu’elle sera au moins aussi favorisée que l’Escaut. En effet, il faut toujours mettre en parallèle le fret avec la remise des droits établis. Non seulement, on peut jouir de la remise, lorsqu’on se soumet aux conditions prescrites : d’après l’art. 3, il est dit « que l’armateur jouira du fret intégral (dont le tarit est inséré au Moniteur du 14 mars 1844) dans le cas où il chargera pour son propre compte ; que s’il ne charge pas dans le délai d’un mois pour son propre compte, le fret sera alors réduit au quart.

Or, cette réduction du fret n’aura presque jamais lieu pour la Meuse, car les navires hollandais ou les navires belges, venant de Hollande, exportent toujours ou presque toujours de nos produits ; par conséquent, si l’armateur ne veut pas prendre des marchandises pour son propre compte, il pourra facilement s’entendre avec l’expéditeur, et la chose reviendra au même. Ainsi, pour la navigation de la Meuse vers les entrepôts de Hollande, il y aura toujours remise pleine et entière, et jouissance de l’intégralité du fret.

Je crois dès lors que nous pouvons donner un plein apaisement à ceux qui ont redouté des représailles de la part de la Hollande. Il est possible que ces personnes nous disent encore : la Hollande aura à se plaindre de nous, parce qu’elle aura peut-être de la peine à soutenir la concurrence avec les arrivages des pays transatlantiques et sous pavillon direct.

Mais je réponds encore à cette objection, et je dis que la Hollande entrera en concurrence à cet égard, non pas avec le pavillon anglais qui est écarté, mais avec le Brésil et avec les contrées de la mer du Sud, où la marine n’est pas très développée. Ainsi, la Hollande n’aura pas, de ce chef, de plaintes sérieuses à faire valoir.

Quant aux pavillons des Etats-Unis, je crois que la concurrence ne sera pas réelle, puisqu’après tout, ce pavillon ne pourrait partir que des entrepôts des Etats-Unis, quant au café ; et nous, nous ne traitons avec les entrepôts transatlantiques que par le pavillon belge, et cela avec une réduction de 40 p. c. et non de 60 p. c. De manière qu’alors, après la réduction qu’on accorde au entrepôts de Hollande et celle dont jouirais même le pavillon belge venant des entrepôts transatlantiques, il n’y aura, en faveur du pavillon belge, qu’une différence de 10 p. c., puisque nous accordons 40 p. c. au pavillon belge venant des entrepôts transatlantiques, et 30 p. c. au pavillon hollandais qui viendrait d’un entrepôt de Hollande.

Ainsi, on peut dire qu’on écarte en faveur de la Hollande la concurrence du pavillon anglais et du pavillon américain, et que la Hollande n’a pas même à redouter, quant aux pays transatlantiques, la concurrence du pavillon belge.

On dira peut-être, en ce qui concerne le Brésil, que la marine n’y étant pas fort développée, il en résultera un inconvénient, au point de vue de notre propre marine, en ce sens que nous ne pourrions pas fournir suffisamment nos marchés. Mais je tire encore de là une conclusion en faveur de la Hollande, qui pourra d’autant plus facilement venir importer chez nous ses cafés javanais.

Messieurs, je l’ai déjà dit dans une séance précédente, j’attache beaucoup de prix à ce que l’armateur soit transformé en négociant, en industriel, et cela en faveur du commerce intermédiaire, du petit commerce, lequel ne peut se lancer dans les spéculations aventureuses qui se font dans les pays transatlantiques.

Le système que j’ai eu l’honneur de présenter tend spécialement à transformer l’armateur en industriel, en négociant. Et d’abord, par l’appât du gain on ne le force pas, mais on l’engage à accepter la condition de rester un mois en charge et de fréter son navire aux négociants belges. Il y a une seconde condition, c’est celle du fret ; on engage de nouveau l’armateur à prendre une cargaison pour son propre compte, en lui promettant le fret intégral, s’il agit ainsi, et en réduisant le fret au quart, pour le cas où il accepterait des marchandises belges qui lui seraient confiées par un négociant quelconque.

Cette différence est assez sensible. Je suppose, par exemple, un navire qui se rend au Brésil et qui revient avec du café. Le il du 14 mars 1844 fait connaître le fret de ce navire ; ce fret est de 28 francs. Je prends un navire de 200 tonneaux, Eh bien, pour l’armateur qui prendrait une cargaison pour son propre compte, il y aurait de ce chef une remise de 100 fr. par tonneau de mer ce qui ferait 20,000 fr. Le fret, à raison de 28 fr. par tonneau serait de 3,600 fr. et par conséquent cela se réduirait à 25,600 fr. pour l’armateur négociant.

Voyons maintenant le cas de l’armateur qui exporterait pour le compte d’autrui. Prenons de nouveau 100 fr. par tonneau de mer pour la remise : cela fait 20,000 fr. ; puis le fret serait réduit au quart, soit 1,400 fr, total 21,400. La différence, messieurs, entre cette dernière somme et la première est de 4,200 fr.

Ainsi, il y aurait ici 4,200 fr. à gagner par l’armateur, pour le cas où il voudrait se charger lui-même de prendre des marchandises belges.

On a dit (c’est la chambre de commerce d’Anvers qui a fait cette objection, et je crois, qu’on l’a reproduite dans le cours de la discussion) ; on a dit, de deux choses l’une : ou bien l’armateur trouvera qu’il peut faire une bonne spéculation en prenant des marchandises belges, ou bien il trouvera que c’est une spéculation ruineuse. Dans le premier cas, il n’est pas nécessaire de l’engager par l’appât du gain, en lui présentant une plus forte remise ; dans le second cas, vous aurez beau lui offrir des avantages, il ne s’y laissera pas séduire, puisqu’il trouve l’entreprise ruineuse.

Messieurs, je crois que ce dilemme est vicieux. Il y a un milieu entre ces deux dilemmes. Les choses ne se présentent pas toujours de cette manière. Les circonstances peuvent être telles que l’armateur, sans avoir l’assurance pleine et entière de faire une bonne affaire, croit cependant qu’il est très possible de faire quelques bénéfices, et c’est précisément dans ce cas qu’une somme de 4,200 francs l’engagera à tenter une spéculation.

Voilà comment on peut engager l’armateur à exporter des marchandises belges pour son propre compte. C’est un grand point, je le répète, dans l’intérêt du commerce intermédiaire, du petit commerce. C’est seulement par là qu’on pourra exporter des produits de toutes les industries du pays ; c’est par là seulement que l’armateur pourra lui-même, en se rendant dans les pays transatlantiques, dans les pays étrangers quelconques, songer à établir des comptoirs. Il sera de son intérêt d’aller voir dans les pays étrangers les négociants qui s’y trouvent, pour entrer en rapport avec eux, pour leur apprendre les avantages que leur offre la législation belge, pour le cas où, à notre tour, nous importerions des marchandises de retour. C’est ainsi qu’on formera des relations suivies avec ces pays, et qu’une fois ces relations établies, on pourra régulièrement expédier des marchandises du pays vers ces contrées.

J’ai eu l’honneur de vous dire, messieurs, que j’avais apporté quelques modifications au projet, tel qu’il avait été conçu d’abord, et cela d’accord avec mes amis. Je viens de faire connaître les motifs de ces modifications. Il me reste à présenter une observation importante, pour ce qui regarde la remise à faire. Cette remise ne sera que d’un dixième, dans le cas où l’on voudrait importer dans notre pays des fabricats étrangers ; et c’est à cet égard que je diffère essentiellement d’opinion avec l’honorable M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - Je vous demande pardon, nous sommes d’accord.

M. de Haerne. - Tant mieux ; je suis charmé de me trouver d’accord avec l’honorable M. Eloy de Burdinne ; c’est un appui de plus pour ma proposition et dont je me félicite de grand cœur. (On rit.)

Messieurs, le pavillon national est aussi suffisamment favorisé. D’abord le monopole du sel est consacré en sa faveur, comme vous pouvez le voir à l’article 6. En second lieu le pavillon belge a la faveur de pouvoir établir des relations plus avantageuses avec les entrepôts transatlantiques, car avec la réduction de 40 p. c. dont il jouit pour les entrepôts transatlantiques, on peut dire qu’ils sont en quelque sorte seuls ouverts au pavillon belge. De plus, par suite de cette circonstance du peu de développement de la marine de l’Amérique du Sud, cette partie sera ouverte à la marine belge. Dans les avantages offerts aux relations directes avec les pays de production, on petit dire que le pavillon belge aura une certaine part, parce que les Belges seront plus à même que les étrangers de se procurer en Belgique les marchandises nécessaires pour former leur cargaison.

D’après ce que je viens de dire, nous pouvons écarter toute crainte de représailles ; j’aimerais cependant à revenir sur ce point et à ajouter quelques observations. Certainement des représailles qui auraient lieu de la part de la Hollande seraient on ne peut plus fâcheuses, et seraient de nature à jeter la perturbation dans le pays. Autant que personne je désire les éviter et je ferai pour cela tous les sacrifices possibles : mais, comme j’ai eu l’honneur de le dire dans une séance précédente, je crois que les craintes qu’on a fait entendre à cet égard sont exagérées. Comparons les exportations et les importations qui ont lieu de la Belgique en Hollande et de la Hollande en Belgique. Un chiffre a été avancé dans cette enceinte, je l’ai répété. Ce chiffre n’est pas puisé dans les statistiques de 1842, parce que, depuis que ces statistiques ont été fournies, vos exportations en Hollande sont considérablement diminuées. Un honorable ministre les a portés à 10 millions actuellement. Je sais que le chiffre des statistiques est plus élevé, il est de 26 millions. J’ai adopté, dans la séance du 11 mai, pour le comparer au chiffre des importations de la Hollande, le chiffre de 10 millions. Mais je ne tiens pas à ce chiffre, parce que mon raisonnement conserve toute sa force en prenant le chiffre de la statistique. Je prends donc le chiffre de 26 millions pour les exportations en Hollande.

Je le compare aux importations qui sont de 38 millions, si je ne me trompe. Je dis que si la Hollande prenait des mesures de représailles contre nous, nous serions obligés d’en agir de même ; si la Hollande nous exclut de son marché, nous devrions l’exclure du nôtre ; nous serions à même de le faire, nous devrions le faire. Ce serait un moyen de rendre justice à Liège et de forcer la Hollande à revenir de la mesure qu’elle aurait prise.

Ce serait une guerre de tarif ; je le sais, mais il faudrait passer par cette extrémité. Je dis que dans ce cas, en repoussant les produits hollandais ; les 38 millions que la Hollande nous importent, le sacrifice pèserait plus lourdement sur elle que celui qu’elle nous forcerait de faire ne pèserait sur nous. Pourquoi ? à raison de la population ; il faudrait prendre ce sacrifice par tête.

Je prends les 38 millions que nous importent les 2 millions de Hollandais ; cela fait 19 fr. par tête. Les 26 millions que leur importent 4 millions de Belges font 6 fr. et demi par tête. Ainsi il y aurait une différence énorme entre le sacrifice de la Belgique et celui de la Hollande. Le sacrifice de la Hollande serait triple de celui de la Belgique ; vous voyez que nous serions à même de commander à la Hollande dans une telle éventualité.

Je dis donc que le système que j’ai eu l’honneur de vous proposer est un véritable système de modération ; il est plus modéré à l’égard des puissances dont nous pourrions craindre des mesures de représailles, que tous les autres systèmes. ; il est le plus modéré parce qu’il favorise non seulement les arrivages directs de l’Europe, mais encore les arrivages des entrepôts d Europe. C’est là le grand point.

Il y a un autre point sur lequel j’ai déjà eu l’honneur d’appeler votre attention et dont je désirerais dire un mot encore : c’est le revenu que nous réaliserions au moyen de l’établissement du système de droits différentiels tel que je le propose. Vous pouvez établir le calcul ; d’après les droits établis à 2 1/2 pour cent pour les matières premières, sauf réduction du chiffre pour quelques cas particuliers, le coton notamment, pour les denrées et à 10 pour cent pour les objets fabriqués, vous trouverez que les droits différentiels procureront au trésor un revenu de 6 millions.

C’est là un grand point ; car nous comblerions le déficit, nous n’aurions pas besoin de recourir à des mesures plus ou moins gênantes, vexatoires, à des lois qui ont jeté la perturbation dans une partie du pays, à la loi sur les tabacs. Nous ne devrions pas adopter des lois vexatoires qui menacent de ruiner la culture et la fabrication du tabac. C’est un objet très important. Je sais qu’un système tel que celui des droits différentiels ne doit pas avoir pour but la fiscalité ; mais quand nous pouvons favoriser à la fois le fisc et l’industrie du pays, nous devons le faire.

Comme je l’ai dit, nous aurions un revenu suffisant pour donner des primes aux produits qui seraient frappés par les mesures de représailles prises par la Hollande.

Dans une circonstance précédente, j’ai cru devoir faire un appel à l’union, parce que, dans ma manière de voir, ii n’y a rien de plus funeste que la division des partis ; rien de plus contraire à l’intérêt du pays ; mais il y a une division autre que celle des partis, une division plus funeste encore : c’est la division, la scission qui pourrait s’établir entre les provinces du pays. Je tremblerais devant les conséquences d’une telle scission, si je devais y prêter la main dans un intérêt qui ne serait pas supérieur à tout, qui ne serait pas l’intérêt général du pays. Mais je crois que le système que j’ai l’honneur de proposer est un gage de conciliation. Ne nous jetons pas dans les extrêmes, ne repoussons pas par esprit de système des mesures que la presque généralité du pays a approuvées et dans lesquelles il pense trouver une planche de salut pour l’industrie. Rallions-nous à un système modéré, ne soyons pas plus sages que les autres peuples. Chez toutes les nations, il existe des droits différentiels, nous aussi nous devons recourir à ce régime ; l’histoire à la main, nous pouvons prouver que c’est le seul moyen de raviver notre industrie, de lui rendre la prospérité qui fut autrefois son apanage, Il semble que les nations, l’une après l’autre, soient appelées à jouer un rôle particulier dans les relations commerciales entre les peuples.

Nous avons vu la Phénicie, Carthage, Venise, Bruges, Anvers, la Hollande, l’Angleterre tenir successivement le sceptre du commerce. Si, en suivant le cours des progrès qui se font dans le monde, nous adoptions les moyens que d’autres peuples emploient ; si nous consultions les avantages de notre position géographique, et le génie industriel qui anime les Belges, ne pourrions-nous pas espérer de voir un jour flotter notre pavillon sur toutes les mers, et d’échanger nos produits contre les produits de l’Univers ?

- La proposition est appuyée.

M. le président. - Il faut décider si on discutera maintenant cette proposition, sauf à statuer ensuite sur le renvoi proposé par M. Castiau.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désire donner quelques explications pour prouver que cette proposition n’est pas exécutable. Je demande qu’on veuille bien m’entendre. On ne peut pas renvoyer aux sections une proposition qui n’est pas exécutable.

M. le président. - Quand on demande le renvoi d’une proposition aux sections, on ne la discute pas au fond.

M. de Brouckere. - Je ferai remarquer que ce n’est pas une proposition nouvelle, car il aurait fallu que l’honorable membre fût d’abord autorisé à en donner lecture. C’est un amendement dont on peut s’occuper immédiatement. Je ne vois aucune raison pour empêcher que M. le ministre réponde à M. de Haerne. Si M. Castiau persiste à demander le renvoi aux sections, nous pourrons ensuite discuter cette proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant vous a montré en perspective la pacification universelle au-dedans et au-dehors ; un produit de six millions à votre trésor, en déficit, l’accroissement inévitable de nos exportations ; superbes résultats, messieurs !

Il n’y manque qu’une chose, c’est la réalité, la possibilité. Je ne m’élèverai pas aussi haut. Je veux seulement m’attacher à l’examen de la proposition telle qu’elle vous est soumise.

Cette proposition, j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, peut se diviser en deux parties. La première partie c’est un système de droits différentiels conçu d’une manière nouvelle. La deuxième partie, c’est la proposition qui consiste à stipuler pour la jouissance des droits différentiels, la condition de l’exportation des produits du sol ou de l’industrie belge.

J’ai déjà fait remarquer à l’assemblée que ces deux propositions sont indépendantes l’une de l’autre.

Si la deuxième partie est réalisable, elle peut et doit s’appliquer à tous les systèmes. J’ai déjà exprimé le doute que cette seconde partie soit réalisable. Je désire qu’elle le soit. Je ne demanderai donc pas la question préalable sur le renvoi de cette proposition à une commission. Je conçois tout ce qu’il y a de séduisant dans cette idée. Il ne faut pas l’abandonner avant de l’avoir complètement épuisée. Mais je persiste à demander la question préalable sur la première partie de la proposition, parce que, évidemment, le vote d’hier, le refus d’ajournement a porté sur toutes les questions de ce genre.

Abordons la première partie de la proposition.

Nous vous avons soumis un tarif nouveau, gradué, où rien n’est laissé à l’inconnu. La chambre si elle adopte soit le projet de la commission d’enquête, soit le projet du gouvernement, sait ce qu’elle fait ; tous les résultats sont déterminés à l’avance. Je vais maintenant vous démontrer comment on procéderait à l’aventure en adoptant le système de droits différentiels, formulé dans la première partie de la proposition.

Veuillez jeter les yeux sur le premier article. Le point de départ est celui-ci : on admet le tarif actuel ; on l’augmente dans certaines proportions d’après les distinctions suivantes :

Matières premières ;

Denrées ;

Objets fabriqués.

« Une première catégorie de marchandises étrangères désignées dans les statistiques, tableau de 1842, sous la dénomination de matières premières, subira une augmentation de centimes additionnels aux droits actuels de douane, dont le chiffre sera établi sur la base de 2 1/2 p. c. de la valeur indiquée audit tableau. »

Ici se présente une première observation : les droits différentiels maritimes dont nous nous occupons ne s’appliquent pas à toutes les matières premières indistinctement ; ils ne s’appliquent qu’à 31 matières premières prenant une place importante dans le mouvement de notre commerce maritime. Vous en trouvez l’indication dans le tableau à la suite du n°289, page 37.

On vous propose une augmentation de 2 1/2 p c. sur toutes les matières premières indistinctement, même sur celles qui ne nous viennent pas ou qui ne nous viennent qu’en faible proportion par mer. C’est-à-dire, par exemple, qu’on appliquera l’augmentation de 2 1/2 p. c. aux matières suivantes :

Les laines,

Les tourteaux,

La calamine,

Les lins,

Le tabac d’Europe,

Les cendres de foyer (objet si important pour l’agriculture),

L’acier en barre,

Et à beaucoup d’autres articles que je pourrais vous indiquer.

Il y a ici une première inattention au moins, c’est que l’augmentation ne devrait jamais avoir lieu que pour les matières premières, qui nous arrivent principalement par mer et auxquelles, par conséquent, le régime des droits différentiels trouve son application naturelle.

On peut croire, d’après les termes de la proposition, que le tarif actuel subira une augmentation de 2 1/2 p. c. de la valeur. Il y aurait donc deux droits : le droit actuel qui est généralement calculé au poids ou encore par hectolitre ; et le droit nouveau qu’on y ajouterait, c’est-à-dire que vous auriez deux tarifications distinctes. Le coton, par exemple, paye 1 fr. 69 c. par 100 kilog. Vous ajouteriez à ce droit 2 1/2 p.c. de la valeur. (En note de bas de page du Moniteur, on trouve le texte suivant : C’est ce qui doit notamment arriver pour les objets fabriqués, d’après le dernier alinéa de l’article 1er du projet : par exemple, pour les tissus de laine, dont quelques uns sont déjà frappés de droits d’entrée fort élevés, il y aura un nouveau droit de 10 p. c. à la valeur, à percevoir outre le droit actuel au poids. Cela fera deux tarifs, qui composeront ensemble un tarif exorbitant et fort disparate.)

Il paraît toutefois que, dans l’intention de l’auteur de la proposition, on devrait, pour les matières premières, réduire le nouveau droit à la valeur en un droit au poids et l’ajouter à l’ancien droit au poids. Mais, si même il en est ainsi, vous sentez quel arbitraire laisserait cette opération, et quelles difficultés elle présenterait.

Que propose-t-on pour faire cette combinaison du tarif nouveau calculé à la valeur, avec le tarif actuel généralement calculé au poids ?

Nous lisons dans la proposition de l’honorable membre :

« Une commission, nommé par le gouvernement, se chargera de l’examen spécial des effets que les modifications, dont il s’agit, auront produits ou seront appelés à produire, et, s’il y a lieu, à réviser plus spécialement les taux des tarifs article par article. »

Je dis que ce seraient des pouvoirs des plus exorbitants donnés à une simple commission.

Je soutiens qu’en général l’application des 2 1/2 p. c. aux matières premières donnerait le résultat le plus anti-industriel. C’est justement ce que nous avons voulu éviter.

On va même plus loin : On introduit deux aggravations dans les matières premières : la première atteint le tabac, les charbons de terre, les fers et ardoises ; ces matières premières subiraient une augmentation de 10 p. c. à la valeur. Mais la houille est déjà frappée de droits quasi prohibitifs ainsi que le fer, et l’on y ajouterait un droit de 10 p. c. à la valeur ; et l’on n’en importe pas par mer.

Plusieurs membres. - Cela ne fait rien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais que cela ne fait rien. Je veux seulement prouver combien cette idée est irréalisable, combien ce projet est peu mûri.

On frappe certaines matières premières plus fortement encore.

« Une troisième catégorie de ces matières premières, telles que bois du Nord ou autres bois étrangers, servant à la construction des navires et des bâtiments à l’usage des fabriques, usines ou magasins, payera de plus un droit de douane à sa valeur, savoir : pour les bois non sciés 15 p. c. et 25 p. c. s’ils sont sciés. »

Ainsi les bois du Nord, nécessaires aux constructions, les sapins mêmes que le pays ne produit pas en qualité propre aux constructions, on les frappe de droits fort élevés même lorsqu’ils n’ont subi aucune main-d’œuvre, et qu’ils constituent une véritable matière première. Nous, au contraire, nous faisons une faveur aux bois nécessaires à la construction maritime. Ce n’est pas tout : il y a ici quelque chose de nouveau ; on frappe les bois destinés aux bâtiments des fabriques, usines ou magasins.

L’idée est neuve, au moins en Belgique.

M. de Haerne. - Il y a une compensation.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous en jugerez !

Ainsi, l’on frappe d’un droit exorbitant, indépendamment du droit actuel, les bois, même à l’état brut, destinés à la construction des navires, et c’est la marine qu’on veut favoriser. On grève la construction des bâtiments à l’usage des usines, fabriques et magasins. Voici la compensation :

« La prime que la loi accorde pour la construction de navires neufs sera doublée, et il sera accordé une prime pour la construction des bâtiments ci-dessus dénommés, de 2 fr, par mètre carré, par chaque étage, de poutres et planches en bois dont se composeront lesdits bâtiments. »

Ainsi, d’un trait de plume, pour compenser une augmentation de droits on donne ce que vous n’avez jamais voulu accorder. Vous n’avez jamais voulu proroger que pour trois ans la loi relative aux primes pour construction de navires. Vous prorogez cette loi indéfiniment en doublant la prime.

On augmente le droit même sur le bois de construction des bâtiments des usines, fabriques et magasins. La compensation, c’est une prime de 2 fr. par mètre carré, par chaque étage, de poutres et de planches en bois dont se composeront les bâtiments. (Interruption.)

Messieurs, je n’invente pas, je lis. C’est imprimé.

On ajoute : « On se conformera, à cet égard, aux formalités qui seront ultérieurement prescrites par le gouvernement. »

Il était bon de prendre cette précaution ; car ces formalités seront bien nécessaires et surtout bien multipliées, s’il faut surveiller et vérifier toutes les constructions nouvelles de ce genre. On ne dit pas si la prime sera applicable aux bâtiments construits avec les bois indigènes. Sans doute que non, puisque ces bois n’auront rien payé. Mais comment distinguer ?

On me dit qu’il y a des primes de constructions de maisons neuves. Je le sais ; il y a une exemption pour un certain nombre d’années de la contribution foncière ; ce qui a paru suffisant jusqu’à présent.

Mais personne n’a songé à faire un recensement par étage et par mètre carré des poutres et planches employées dans une maison, pour accorder une prime.

M. Lys. - Les sections examineront cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je l’examine publiquement.

Les débats parlementaires consistent avant tout dans des discussions orales. Nous imprimons ; nous accumulons imprimé sur imprimé, à tel point qu’il est impossible de tout lire. Discutons oralement. Il est moins difficile d’écouter que de lire.

M. Rogier. - Mais la proposition n’est pas en discussion

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je l’examine.

M. Rogier. - Tout le monde aura le droit de vous répondre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Assurément.

M. Rogier. - Alors nous en avons pour huit jours.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est égal !

J’ai pris au sérieux le reproche qui m’a été fait hier. On nous a reproché notre position expectante. Soit. Qu’on proclame que c’est sans effort de notre part, presque sans notre participation que la chambre a admis le principe ; mais le principe admis, il est de notre dignité à tous qu’il reçoive son application. Si la chambre est destinée à faire acte d’impuissance, j’entends que ce ne soit par mon fait.

Je prouverai que je veux sérieusement une solution, et je ne m’arrêterai que devant le vote le plus formel de la chambre.

M. Delfosse. - En feriez-vous, par hasard, une question de cabinet ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - A chacune de mes observations critiques, on dit : Nous changerons tout cela. Mais quand on avoue que dans un système il y a tout à changer, ce système est jugé.

J’entends l’honorable M. Delfosse qui m’interrompt. L’honorable membre aura remarqué avec quelle religieuse attention je l’ai écouté chaque fois qu’il a pris la parole ; il voudra bien me rendre cette justice. Je lui demande aujourd’hui une partie seulement de la bienveillante attention qu’il a trouvée et qu’il trouvera toujours chez moi.

Ainsi, messieurs, on augmente de 2 1/2 p. c. les droits sur les matières premières, sans examiner si ces matières sont susceptibles d’importations maritimes ou non ; on ne se contente pas de cela ; on frappe de 10 p. c. les tabacs, les houilles et les fers, qui jouissent déjà d’un droit quasi prohibitif, les ardoises ; on frappe de 15 p. c. les bois non sciés ; de 25 p. c. les bois sciés, destinés à la construction des navires et des bâtiments, à l’usage des fabriques, usines ou magasins ; comme compensation on stipule le maintien indéfini, pour les constructeurs de navires, de la prime double, et on introduit une prime toute nouvelle en faveur des constructions des bâtiments à l’usage des fabriques, usines et magasins.

Passons à la seconde catégorie, les denrées : « Les marchandises étrangères désignées audit tableau sous la dénomination de denrées, éprouveront une semblable augmentation de centimes additionnels, dont le taux sera établi sur la base de 7 1/2 p. c. de la valeur. »

lei, messieurs, se reproduit l’observation que j’ai faite tout à l’heure, il est évident qu’il ne faudrait appliquer ceci qu’aux objets de consommation naturelle qui sont dans le cas de tomber sous l’application des droits différentiels maritimes, c’est-à-dire qui nous arrivent principalement par mer. Je ne veux pas entrer dans de grands détails, mais je citerai à l’instant même des objets qui seront atteints, sans qu’il y ait de fait probabilité d’importation maritime, ni par conséquent des réductions que le projet accorde à certains arrivages maritimes.

Je vous citerai les pommes de terre, les farineux alimentaires, les viandes quelconques, les céréales, le bétail. Il y a là autant d’objets de consommation naturelle qui, à l’exception des céréales, entrent généralement par terre et qui resteront toujours frappés d’un droit plus élevé, attendu qu’il n’y aura pas lieu de faire la réduction qui résulte de l’application des droits différentiels maritimes.

Ici le droit de 7 1/2 p. c de la valeur dont on atteint les objets en général, devient exorbitant dans plusieurs cas, si même il ne présente de nouveau cette bizarrerie de deux tarifs : le tarif actuel combiné avec le tarif nouveau, ayant une autre base pour certains cas.

Enfin vient la troisième catégorie : « Celle de ces marchandises désignées sous la dénomination d’objets fabriqués, subiront une augmentation de 10 p. c. de la valeur déclarée à l’entrée en consommation, sous la faculté de la préemption que la loi accorde. »

Ici, messieurs, l’application du droit de 10 p. c. pour les objets fabriqués offre non seulement la grande anomalie, inconvénient bien grave et bien réel, d’établir deux tarifs pour un même objet, savoir : le tarif actuel qui généralement est fixé au poids, et le tarif nouveau de 10 p c. à sa valeur mais cette application présente encore des résultats exorbitants. Pour beaucoup de nos objets fabriqués, le tarif, j’ose le dire, a atteint le maximum. Est-ce que l’on veut encore ajouter 10 p. c à la valeur au tarif de certains tissus de laine, de draps, de bonneterie et d’autres objets que je pourrais indiquer ? (Interruption.)

Je sais bien qu’il y a des objets fabriqués qui réclament encore une augmentation de tarif. Je sais, par exemple, que l’on pourrait appliquer cette augmentation de 10 p. c, en faveur des tissus de coton teints et imprimés, pour lesquels on n’a rien fait depuis 1830 et qui demandent une protection plus efficace. Mais je n’hésite pas à dire que les objets qui réclament encore une augmentation de tarifs sont en minorité. Est-ce que, pour donner satisfaction à ces réclamations, il faut décréter en général et aveuglement une augmentation sur tous les objets fabriqués quelconques ? Ce serait ajouter, messieurs, à un tarif qui, selon moi, a déjà atteint, pour beaucoup d’articles, le maximum, la prohibition véritable, la prohibition la plus complète.

Vous voyez donc, messieurs, qu’ici encore il semble qu’on a procédé avec quelque irréflexion. On frappe indistinctement, sans examen, sans s’enquérir si depuis 1830 on n’a pas fait quelque chose, si on n’a pas fait assez pour telle ou telle industrie, si l’on n’a pas déjà atteint le maximum qu’elle peut demander ?

Vous voyez maintenant ce que devient le point de départ, cette idée en apparence très simple : prenons le tarif actuel, augmentons-le dans certaines proportions en faisant certaines distinctions, en établissant certaines catégories ; matières premières, denrées, objets fabriqués ; et cela fait, quand nous aurons augmenté le tarif, nous créerons facilement des faveurs d’arrivages, nous accorderons 60 p. c. de réduction dans tel cas ; 45, 40, 30 p.c. enfin dans tels autres. Eh bien ! ce point de départ est impossible ; et si l’augmentation du tarif, de la manière proposée est impossible, il va sans dire que l’opération qui en est le corollaire, la réduction proportionnelle, tombe par elle-même.

Je ne sais, messieurs, si je dois longuement m’arrêter à cette opération : cependant je veux vous en montrer deux applications. Je choisirai deux cas, un exemple de matière première et un exemple de denrée.

Comme matière première je choisis le bois de teinture. Le bois de teinture, celui que nous recevons le plus, paye aujourd’hui 42 c. par 100 kil ; il faudrait ajouter 2 1/2 p. c. à la valeur. Je suis arrivé, en réduisant les 2 1/2 p. c. au poids, à ce résultat que le bois de teinture payerait à l’avenir par 100 kil. 94 c. On accorde aux arrivages directs des pays de productions transatlantiques 60 p. c. de réduction ; ainsi, sur 94 c., on déduira 60 p. c. ou 56 c. ; par conséquent le navire qui ira au pays de production transatlantique prendre des bois de teinture, payera 38 c. d’après le système nouveau et d’après notre système que l’on appelle anti-industriel, il payerait un centime.

Faites la même application au coton et aux matières premières, et vous verrez comment ce système est protecteur de l’industrie.

Deuxième exemple : denrées. Prenons les cafés. C’est ici, messieurs que vous allez venir combien ce système, moins favorable que le nôtre à l’industrie, comme je vous l’ai prouvé, est également moins favorable au trésor.

Le droit sur le café est actuellement de 10 fr., sous pavillon étranger, et de 9 fr. sous pavillon belge, soit en moyenne fr. 9 50. Sur une importation moyenne et annuelle de 17 millions et demi de kil., ce droit doit, en principal, produite annuellement au trésor environ 1,662,500 fr,

Dans le nouveau système, au droit ancien de fr. 9 50, viendrait s’ajouter 7 1/2 p. c. cela ferait en total (en prenant la valeur moyenne du kil. de café à. 1 fr.), un droit de 17 fr. par 100 kil. En cas d’arrivage direct, comme il est dit plus haut. Il faudrait déduire de ce droit 60 p. c., c’est-à-dire, fr. 10 20, ce qui réduirait le droit effectif à fr. 6 80 et par conséquent la recette annuelle du trésor, de 472,500 fr., réduction qui ressortissait à une somme bien plus forte encore si on faisait entrer les 16 p. c. additionnels aux droits de douanes dans les calculs. Et qu’on le remarque bien, les arrivages seraient nécessairement presque toujours ceux qu’on a indiqués, car la différence ou l’avantage de 15 p. c. (soit fr. 2 55 par 100 kil.) serait assez marqué pour déterminer ces arrivages directs.

Voilà, messieurs, comment le système nouveau protégerait le fisc. Rien que sur le café il y aurait une perte d un demi-million.

Du reste, messieurs, je n’ai pas besoin d’insister sur l’art. 2. Je crois vous avoir démontré tout à l’heure à l’évidence qu’il est impossible d’admettre comme base du système des droits différentiels l’augmentation générale du tarif actuel en le prenant tel qu’il est. Une telle augmentation étant impossible, on ne peut plus opérer sur le tarif, augmenté par voie de réduction pour arriver aux faveurs différentielles.

(En note de bas de page du Moniteur, on pouvait lire ce qui suit : Ce système de droits différentiels a été soumis à la chambre de commerce d’Anvers qui l’a apprécié en ces termes dans une lettre à M. le ministre de l’intérieur, du 8 novembre 1843 :

(« Le délai rapproché que vous prescrivez ne nous ayant pas permis de réfuter en détail les divers arguments sur lesquels M. Cassiers a cherché à étayer son système, nous devons nous borner à vous soumettre quelques réflexions sur le projet de tarif qui y est annexé et dans lequel son système se résume :

(« 1° Au lieu d’appliquer le droit différentiel, article par article, suivant les besoins et la position de chaque branche de commerce, l’honorable sénateur se règle uniformément sur le chiffre du tarif actuel, en le réduisant ou le majorant de 20, 25 p. c., etc., à raison des pavillon et des provenances. Il en résulte que le droit différentiel n’est, pour ainsi dire, que nominal sur certains articles et exorbitant sur d’autres. Ainsi, par exemple, les cuirs importés directement par navire national ne jouiraient, comparativement à ceux importes de la même manière sous un pavillon étranger non favorisé, que d’une protection de 2 fr. 50 c. par tonneau, tandis que, pour les cafés, la différence entre les deux mêmes catégories d’importation seront de 50 fr. par tonneaux ;

(« 2° Le principal avantage que le pays entier doit retirer du régime différentiel, l’accroissement de ses relations directes avec toutes les contrées lointaines du globe, est entièrement méconnu, puisque le cabotage serait favorisé démesurément et au préjudice des importations en droite ligne par navires étrangers. Ainsi, les cafés importés directement de Java ou du Brésil, par navires étrangers non favorisés, devraient payer des droits plus élevés que ceux importés des entrepôts d’Europe par navires belges, plus élevés même que ceux arrivant de la Hollande par les eaux intérieures, pourvu que ce soit par bateau belge.

(« 3° Pour accorder au pavillon d’un Etat quelconque le traitement de la nation étrangère la plus favorisée, M. Cassiers veut exiger que cet Etat admette les navires belges aux mêmes conditions que ses navires nationaux, et cependant il ne voudrait jamais accorder en compensation l’assimilation parfaite au pavillon belge. C’est méconnaître tout principe de réciprocité, et nous mettre dans l’impossibilité absolue de conclure des traites de navigation avec quelque nation que ce soit.

(« 4° Ce système se distingue par une multiplicité de catégories qui ne pourraient manquer de produire de la confusion et de compliquer l’action de la douane de manière à la rendre gênante et tracassière pour le commerce. Il y aurait dix-huit catégories d’importations, et sept chiffres différents pour l’application du droit.

(« Les quatre points que nous venons de signaler démontrent suffisamment que l’adoption du tarif différentiel proposé par M. Cassiers, entraînerait de graves inconvénients, et ne remplirait point le véritable but de la révision de notre système commercial. » Fin de la note)

Je prends, messieurs, la deuxième partie de la proposition. Cette partie pourrait se résumer en une question de principe, de la manière suivante : mettra-t-on à la jouissance des droits différentiels la condition de l’exportation des produits du sol et de l’industrie de Belgique ?

Je désire, messieurs, que l’on puisse résoudre cette question affirmativement. Je l’ai essayé ; j’ai consulté beaucoup de personnes, et je ne suis pas parvenu à rattacher d’une manière aussi directe l’exportation des produits du sol et de l’industrie du pays à la jouissance des droits différentiels. Si d’autres, messieurs, veulent entreprendre la solution de ce problème, je souhaite qu’ils soient plus heureux que moi.

En attendant, voyons comme on a essayé de résoudre le problème :

« Art. 3. Le capitaine du navire qui ne trouverait pas de sa convenance de reprendre en exportation du pays transatlantique ou du pays d’Europe d’où il arrive, une cargaison entière de produits belges, pour son propre compte, ni de mettre la disposition de l’industrie et du commerce, pendant un mois, après que le navire sera jugé en état de bonne navigabilité et prêt à prendre sa cargaison, le vide que laisserait l’absence de cette cargaison, ne jouira, sur la cargaison qu’il importera ou qu’il aura importée, s’il arrive de l’étranger, que du tiers de la remise que l’article précédent lui alloue.

« Dans le cas où ce navire sera chargé en entier ou en partie pour compte d’autrui, le fret ne sera payé qu’à raison du quart (ou du dixième au besoin) de celui fixé pour les lignes de navigation établies par le gouvernement et dont le tarif se trouve inséré au Moniteur belge du 14 mars 1844.

« Les deux articles dont le fret est porté audit tarif aux prix les plus bas, ne seront admis comme cargaison, à la sortie, que pour un tiers de cette cargaison, excepté le cas où d’autres produits belges n’auraient réclamé, dans le délai fixé ci-dessus, la place disponible. »

Ainsi, messieurs, pour jouir intégralement des droits différentiels, il faudra ou exporter une cargaison entière de produits belges, soit avant d’importer, soit après avoir importé. C’est ainsi que je traduis l’article, car je ne veux pas m’attacher aux vices de rédaction, je devine le sens et je le supplée moi-même.

Ainsi, ou vous exporterez, avant ou après avoir importé, une cargaison entière de produits belges ; ou bien, vous tiendrez pendant un mois le navire à la disposition de l’industrie belge.

Il y a quelques jours, à l’occasion de l’amendement qui a été proposé dans le même but par l’honorable M. Eloy de Burdinne, j’ai appelé l’attention de la chambre sur un certain nombre de questions ; j’ai eu l’honneur de faire remarquer que trois questions se présentaient. La première : En quelle qualité faut-il exporter ? La seconde : Que faut-il exporter ? La troisième : Où faut-il exporter ?

Voyons comment ces trois questions sont résolues par l’article qui vous est proposé ; car le premier cas, c’est le cas positif d’exportation : le capitaine doit exporter pour son propre compte. Ainsi le capitaine jouira des droits différentiels, s’il exporte pour son propre compte. Je me demande même ce qu’on entend par capitaine, car le capitaine, que je sache, n’est pas le propriétaire de la cargaison, il n’est pas même le propriétaire du navire. On me dit : c’est l’armateur. Soit, mais quand on rédige des lois, il faut les rédiger d’une manière claire.

Ainsi, il faut que celui qui exporte, qu’on l’appelle capitaine, armateur, n’importe, il faut que l’on se charge de l’exportation à ses risques et périls. Eh bien, je dis que c’est là une condition exorbitante que vous mettez à la jouissance de vos droits différentiels, et vous trouverez peu d’occasions de l’appliquer.

Que faut-il avoir exporté ? une cargaison entière de produits belges quels qu’ils soient. On ne dit pas quels produits, on ne dit pas si ce seront des tissus d’un prix élevé et occupant peu d’espace, ou des matières encombrantes et de très faible valeur. Le vague des termes permettrait d’exporter une cargaison de pavés ou de briques après avoir importé deux cents tonneaux de café.

En troisième lieu, on ne dit pas où il faut exporter. Et cependant il y a une grande différence entre exporter dans les pays qui nous avoisinent ; comme, par exemple, de la houille en Hollande et à exporter dans la Méditerranée au-delà du Cap de Bonne-Esperance. On laisse ces questions de côté ; on exige seulement que l’exportateur ait exporté pour son propre compte une cargaison entière des produits belges quelconques, n’importe où.

M. Eloy de Burdinne. - J’ai fait une autre proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne dis pas qu’on ne pourrait pas essayer d’une autre solution ; on pourrait dire, par exemple, que l’importateur devra exporter pour une valeur égale à la cargaison qu’il importe. Eh bien, c’est là encore une disposition non susceptible d’exécution. Si vous exigez de celui qui importe des denrées transatlantiques, qu’il exporte, à ses risques et périls pour une valeur correspondante des produits belges, je dis que vous appliquerez très rarement votre loi. Autant vaut ne pas s’en occuper. Si elle reçoit son application, ce sera en faveur de quelques armateurs extrêmement riches qui peuvent en même temps importer pour leur compte et exporter à leurs risques et périls, au-delà des mers ; ou bien on vous exportera des produits qui n’ont pas besoin d’encouragement de cette nature, parce qu’ils trouvent un placement facile et assuré au-dehors.

On a bien senti combien cette première condition de l’exportation, aux risques et périls de l’importateur, serait exorbitante, et recevrait bien rarement son application. Mais qu’a-t-on fait ? On suppose un deuxième cas pour la jouissance des droits différentiels. Si l’on a été difficile pour le premier cas, on se montre accommodant pour le deuxième. Si l’importateur ne veut pas exporter à ses risques et périls, voici ce qu’il se bornera à faire : Il tiendra le navire à la disposition de l’industrie belge pendant un mois. C’est une condition que rempliront très facilement d’abord les armateurs belges ; la jouissance des droits différentiels leur sera acquise presque de plein droit ; mais la chose ne sera pas aussi facile pour l’armateur étranger ; celui-ci a des frais à supporter, il ne peut pas licencier son équipage ; mais il pourra peut-être encore moyennant de quelques sacrifices, rester un mois dans les ports d’Ostende et d Anvers, et annoncer qu’il est à la disposition de l’industrie belge ; cette condition accomplie, il jouit du bénéfice de la loi qu’il exporte ou qu’il n’exporte pas, il suffit que matériellement il se soit tenu à la disposition de l’industrie belge. Je dis que, dans le premier cas, vous aviez beaucoup trop demandé, et que, dans le deuxième cas, vous demandez trop peu.

On ajoute une autre condition ; on a stipulé une condition particulière ; c’est pour le fret. Il y aura une réduction pour le fret. On invoque, je ne sais pourquoi, le tarif inséré dans le Moniteur du 14 mars 1844. Ce tarif deviendrait le tarif régulateur de tous les points du globe. Mais ce tarif ne s’applique qu’à quelques points du globe…

M. Osy. - Et à quelques navires.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’allais le dire.

Il y a donc ici deux distinctions à faire. D’abord le tarif n’est pas le même. Il y a quelques ports cités dans le tarif du il belge du 14 mars 1844 ; mais ce n’est point le tarif du fret de tous les points du globe.

Il y a une seconde distinction que vient d’indiquer l’honorable M. Osy et à laquelle j’avais pensé. Le fret n’est pas le même pour tel ou tel pavillon Est-ce que le fret peut-être le même pour le navire espagnol qui va à Cuba où il est protégé par les droits différentiels les plus exorbitants ; et pour le pavillon belge qui se rend à Cuba où il est frappé des droits différentiels les plus élevés ? Vous voyez donc qu’il faudra faire un tableau immense du fret avec la double distinction que je viens d’indiquer ; distinction portant d’abord sur tous les points du globe où l’on va, et ensuite sur les conditions que la législation intérieure fait à chaque pavillon pour chaque point du globe.

En outre, le fret est subordonné à un grand nombre de variations. Si vous parveniez à faire cet immense tarif avec la double distinction, il subirait des variations continuelles, des variations de six mois en six mois, et même dans des périodes beaucoup plus courtes.

Le but est donc extrêmement séduisant, je ne puis assez le répéter, mais il ne suffit pas qu’un but soit séduisant, il faut encore qu’on prouve qu’il peut être atteint, et déjà vous pouvez juger s’il est susceptible de l’être. Relisez maintenant, en vous rappelant les quelques explications que je viens de donner, relisez l’art.3, et dites-moi si le problème est résolu.

Je crois que ce problème n’est pas susceptible de solution. Je crois que si l’on veut amener en quelque sorte l’exportation forcée des produits de l’industrie belge, il faut entrer dans le système des primes directes, et vous verrez où vous conduira le système des primes. Il ne faut pas et vous ne sauriez pas forcer cette exportation au moyen et aux dépens des importations et des arrivages. Vous compromettriez la formation d’un marché de première main chez vous, l’un des buts essentiels de l’établissement au système des droits différentiels.

Notre but est aussi l’exportation, mais ce but, nous l’atteignons indirectement. Nous créons des rapports directs et suivis avec les contrées d’outre-mer, nous établissons en faveur de la marine belge assez d’avantages, pour qu’elle puisse exporter les produits industriels belges ; nous lui accordons, entre autres, des droits différentiels qui facilitent ses opérations lointaines. Nous amenons une augmentation dans la marine marchande belge. Nous sommes en présence du résultat que je vous ai indiqué hier, et sur lequel nous ne pouvons assez insister, c’est que la marine belge qui maintenant déjà se charge de la majeure partie de nos exportations industrielles (cinq millions sur six millions et demi,) aura un stimulant de plus pour aller chercher dans les régions transatlantiques les produits coloniaux qu’il vous faut ; et au lieu d’exporter pour 5 millions de produits industriels, elle exportera pour une somme beaucoup plus considérable ; elle trouvera une compensation dans les avantages que vous lui aurez assurés pour l’importation des produits coloniaux, avantages qui lui manquent aujourd’hui.

Là, messieurs, est la véritable corrélation. Il ne s’agit pas d’une corrélation qui serait en quelque sorte imposée forcément à la marine belge. Vous n’atteindriez pas votre but. Vous demanderiez trop en exigeant que l’importateur se fît exportateur ses risques et périls ; vous exigez trop peu, en exigeant seulement que le navire, pour jouir des droits différentiels, se tînt matériellement à la disposition de l’industrie belge pendant un certain temps.

Je ne m’oppose pas, du reste, à l’examen de cette question ; mais qu’on fasse cet examen sans arrêter le cours de la discussion actuelle. Si la chambre juge la question susceptible d’une instruction particulière, qu’elle nomme une commission spéciale chargée d’examiner la question ; mais j’insiste pour que la discussion continue.

M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur s’est plaint de ce que je l’avais interrompu et il a rappelé qu’il avait écouté mon discours avec attention. Je remercie M. le ministre de l’intérieur de l’attention avec laquelle il a bien voulu m’écouter ; mais je dois lui faire remarquer qu’il a accepté d’autres interruptions que la mienne ; il a accepté l’interruption de l’honorable M. Eloy de Burdinne, il a accepté celle de l’honorable M. Donny, et il y a répondu immédiatement. Si je me suis permis d’interrompre M. le ministre de l’intérieur, c’est que je croyais que les interruptions ne lui causaient pas d’embarras. Puisque je me suis trompé, puisqu’il y a des interruptions qui embarrassent M. le ministre de l’intérieur, il paraît que la mienne était de ce genre-là, je tâcherai désormais de ne plus l’interrompre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’accepte souvent avec profit et toujours sans déplaisir une interruption qui consiste dans une question, mais non des interruptions sourdes, continues qui ne peuvent suggérer à celui qui parle aucune idée, qui ne provoquent aucune réponse, qui peuvent, au contraire, le troubler dans le développement de son opinion, ce que j’ai craint pour un moment. Du reste je n’ai rien voulu dire qui pût être désobligeant pour l’honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. - Je vous ai adressé une question positive, je vous ai demandé si vous faisiez du projet de loi une question de cabinet.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a une grande différence entre soutenir sérieusement, énergiquement même, une opinion et poser une question de cabinet. Du reste, je ne sais pas quel grand intérêt peut avoir l’honorable M. Delfosse à voir surgir ici des questions de cabinet.

M. Castiau. - Mon intention n’est pas de suivre M. le ministre de l’intérieur dans les digressions auxquelles il vient de se livrer. Il a traité avec étendue le fond même de la proposition de l’honorable M. de Haerne. Or, cette proposition n’est pas maintenant en discussion. Il faut, avant tout, s’occuper de la question de renvoi que j’ai eu l’honneur de produire dans cette enceinte. Seulement, je m’emparerai de la discussion à laquelle M. le ministre de l’intérieur vient de se livrer, de la critique même qu’il a faite d’une partie de la proposition de M. de Haerne, pour démontrer la nécessité, l’urgence du renvoi préalable que je sollicite de la chambre.

Je dois, avant tout, relever le reproche que M. le ministre m’a adressé. Il a insinué, et en termes assez directs, que je venais demander un ajournement indéfini et proposer à la chambre de revenir sur la décision qu’elle avait adoptée dans la séance d’hier. S’il en était ainsi, j’aurais commis une choquante inconvenance, mais il n’en est rien, messieurs, ma proposition n’est pas celle que la chambre a rejetée hier. Hier on nous demandait un ajournement à la prochaine session, c’est-à-dire un ajournement indéfini. Quel est, au contraire, le but de ma proposition ? un retard de quelques jours peut-être pour examiner mûrement les diverses propositions qui nous sont soumises, le temps d’examiner ces propositions en sections et de venir nous présenter un rapport spécial sur ces propositions aussi compliquées que contradictoires.

Cette proposition n’est, après tout, qu’un rappel à votre règlement. Ce règlement établit de règles et des garanties contre la précipitation de nos décisions et la confusion de nos débats. Il exige que les propositions qui nous sont soumises subissent l’épreuve d’un double examen et d’un double débat avant d’arriver à la discussion publique : Examen dans les sections et examen plus approfondi encore dans les sections centrales. Voilà la marche normale pour toutes les propositions qui nous sont présentées. Or, si l’on suit cette marche pour les propositions les plus vulgaires, pourquoi s’en affranchirait-on aujourd’hui qu’il s agit de propositions toutes d’une portée immense, puisqu’elles touchent non seulement à notre situation industrielle et commerciale, mais encore à nos rapports les plus intimes avec les puissances qui nous environnent ?

Je prie la chambre de bien fixer son attention sur la position anormale dans laquelle nous nous trouvons pour discuter des intérêts aussi graves. Nous n’avons eu ni examen dans les bureaux, ni discussion préalable et nous sommes ici sans section centrale.

Une section centrale nous est cependant plus nécessaire que jamais dans cette occurrence. Elle nous est nécessaire, non seulement pour avoir son avis sur les cinq à six systèmes contradictoires qui vont se débattre devant vous, mais encore pour lui laisser le soin de coordonner les propositions bien plus multipliées encore que le débat des articles fera naître. Et remarquez-le, messieurs, il s’agira de questions embrouillées, de questions de faits et de chiffres, de questions dont la gravité arrêtera souvent la chambre. Chaque jour, à chaque pas nous sentirons le besoin d’en appeler au travail grave et réfléchi d’une commission pour réunir des éléments épars et coordonner des systèmes souvent contradictoires, Suivons donc la marche logique des choses ; comblons la lacune qui existe dans notre situation ; faisons aujourd’hui ce que nous eussions dû faire dès le début. Instituons une commission et attendons son rapport sur les principales difficultés de la discussion.

C’est, ainsi que je l’ai dit, un retard de quelques jours. En attendant ce rapport, nous pourrons utilement employer nos instants. Nous avons à l’ordre du jour un projet de loi d’une extrême urgence, celui de l’impôt sur le tabac. Avant que la discussion de ce projet ne soit terminée, la section centrale aura complété son travail et nous serons ainsi replacés sous l’empire du règlement et nous pourrons reprendre utilement une discussion qui menace de devenir insoluble.

Qu’on ne se trompe donc pas sur le caractère et le but de ma proposition. Loin de vouloir retarder la décision et embrouiller la discussion, la proposition, que j’ai eu l’honneur de présenter, aura pour effet de régulariser nos débats, de simplifier la discussion et de nous faire marcher vers un but utile, au lieu de nous voir arriver, après un mois de débats, à une sorte de monstruosité législative.

M. le ministre lui-même, tout en combattant ma proposition d’ajournement pour procéder à un nouvel examen, a cependant proclamé la nécessité de soumettre à une commission spéciale la partie principale du système de M. de Haerne. Il nous a dit que le but qu’il voulait atteindre, l’exportation de nos produits, l’avait séduit lui-même, qu’il désirait vivement parvenir à sa réalisation. Eh bien ! le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de faire appel à de nouvelles lumières ; c’est de procéder à de nouvelles études, c’est de retourner sous toutes ses faces, et dans les sections ordinaires et dans la section centrale, ce difficile et important problème. Tous les efforts réunis nous rapprocheront du but et nous feront atteindre, il faut l’espérer, le résultat qui doit être dans les vœux de tous les membres de cette assemblée.

Encore une fois, messieurs, ma proposition n’est pas une proposition d’ajournement indéfini, ainsi qu’on l’a prétendu, c’est une proposition destinée à régulariser notre position, à replacer nos décisions sous l’empire des mesures de prudence établies par le règlement. Loin d’entraver, d’enrayer en quelque sorte nos discussions, elle en facilitera l’ordre et la rapidité, et les partisans des droits différentiels sont plus intéressés que nous encore à son adoption ; car, sans cette mesure, nous nous engageons dans une voie sans issue, et tous nos efforts n’aboutiront qu’à des tentatives impuissantes et peut-être ridicules.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, la chambre usant d’une de ses plus précieuses prérogatives, a institué une commission d’enquête. Cette commission a été chargée de lui présenter des conclusions. Ces conclusions, elle les a présentées en forme de projet de loi sur la partie commerciale. Si cette commission s’est exposée à un reproche, c’est à celui de n’avoir pas été plus loin, c’est de n’avoir pas également présenté un projet de loi sur la question industrielle.

Il s’agit aujourd’hui de maintenir le mandat que vous avez donné à la commission d’enquête ; vous l’avez chargée de présenter un projet de loi ; vous êtes saisis de ce projet de loi ; je vous demande s’il faut lui retirer le mandat que vous lui avez donné et charger une commission de vous présenter un nouveau projet.

On n’a pas manqué au règlement, on a exécuté le droit d’enquête qui vous est attribué, et on a donné un mandat formel à une commission. Il n’y a donc pas eu violation du règlement. On a fait à cette commission une position que personne n’a contestée. Il y a plus : on lui a fait un reproche de n’avoir pas proposé un projet de loi sur la deuxième partie de l’enquête. Je suis tenté de la féliciter de n’avoir pas présenté ce deuxième projet, s’il devait avoir le sort qu’on semble réserver au premier. (Interruption.)

Un honorable membre dit qu’on a prouvé surabondamment que la commission d’enquête aurait dû présenter un projet de loi. Je ferai remarquer que la majorité a prononcé, et que quand il y a décision de la majorité, il faut s’y soumettre ; si on ne veut pas se soumettre aux décisions de la majorité, il n’y a plus de discussion possible. Je dis donc qu’on n’a pas violé le règlement. On a donné un mandat à la commission d’enquête ; ce mandat, elle l’a rempli en vous présentant un projet de loi dont vous êtes saisis, dont vous devez rester saisis.

Il y a une question sur laquelle la pensée de la commission d’enquête ne s’est pas fixée d’une manière directe, c’est celle que j’ai formulée tout à l’heure, et qui fait l’objet de la deuxième partie du projet de M. de Haerne.

Mettra-t-on à la jouissance des droits différentiels la condition d’exportation des produits du sol ou de l’industrie belge ? Cette proposition est indépendante de la proposition principale ; elle s’applique à tous les systèmes. Si on peut nous prouver que la chose est réalisable, nous accepterons de grand cœur ce complément.

Notre but à tous, dit l’honorable préopinant, c’est l’exportation.

Restez donc conséquents avec vous-mêmes, ajoute-t-il, et cherchez avec nous à atteindre ce but. Oui, notre but, c’est l’exportation des produits industriels. C’est le troisième intérêt que j’ai indiqué hier. Mais il y a deux autres intérêts qu’il ne faut pas perdre de vue : l’accroissement de la marine marchande et la formation en Belgique d’un marché de première main pour les denrées coloniales.

Il y a deux manières d’atteindre le troisième but, directement ou indirectement. Nous soutenons que nous atteindrons, par des moyens indirects, ce but, par l’extension du système des droits différentiels. L’honorable membre croit que l’on pourrait atteindre ce but directement, Mais rien n’empêche de voter le système des droits différentiels, sauf à y donner pour complément la proposition nouvelle dont il s’agit. Je demande que l’on maintienne ce qui a été décidé il y a quatre ans.

Je dépose sur le bureau la question qui fait l’objet de la deuxième partie de la proposition et de l’amendement de M. Eloy de Burdinne. Je consens à ce qu’elle soit renvoyée à une commission spéciale, parce qu’il s’agit d’une question spéciale et nouvelle.

M. de Garcia. - A la commission d’enquête.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a de ses membres qui ont changé de position. Je ne vois rien de mieux qu’une commission spéciale pour examiner une question spéciale ; du reste, je ne préjuge rien à cet égard.

M. de Brouckere. - Je ne suis pas plus que M. le ministre de l’intérieur enchanté de l’enfant adoptif de l’honorable M. de Haerne. Ce n’est pas cependant contre cet enfant que je viens parler ; il me semble même que M. le ministre de l’intérieur s’en est occupé beaucoup trop longtemps.

Je viens vous demander de reprendre l’ordre de la discussion, dont vous n’auriez pas dû vous écarter. En d’autres termes, je viens parler contre la proposition de l’honorable M. Castiau.

Il y a un mois que nous discutons un projet de loi sur les droits différentiels. Après une aussi longue discussion, l’honorable M. de Haerne vient présenter un nouveau projet de loi sur la même matière. S’il suffisait de créer un système nouveau pour nous arrêter dans nos discussions, il ne tiendrait qu’à chacun des membres contraires aux droits différentiels de formuler un système, de le présenter l’un après l’autre pour obtenir ce résultat.

Si cependant l’honorable M. Castiau pouvait à bon droit invoquer le règlement, cet argument que je viens de faire valoir, n’aurait aucune valeur. Mais le règlement à la main, je vais prouver que la demande de M. Castiau n’est nullement fondée ; son premier argument, c’est que nous discutons sur un projet qui n’a jamais été examiné par les sections.

Le règlement ordonne le renvoi aux sections ou à une commission de toutes les propositions présentées par le gouvernement, transmises par le sénat ou dues à l’initiative d’un membre de la chambre. Mais lorsqu’un projet est l’œuvre d’une commission chargée de le formuler, jamais un tel projet n’a été renvoyé à l’examen d’une commission,

Nous n’avons donc fait que ce qu’on fait ordinairement, et ce que prescrit le règlement.

Quant à la proposition de M. de Haerne, ce n’est pas une proposition nouvelle, c’est un amendement au projet que nous discutons et si l’honorable membre veut que la chambre s’occupe de son projet, émette un vote, c’est à lui à l’adapter aux dispositions du projet que nous discutons.

Ainsi, si nous discutons des questions de principe, l’honorable M. de Haerne pourra présenter comme amendement à chaque question de principe telle autre question qu’il lui plaira, et qui se rattachera à la question en discussion.

Si nous discutons par articles, l’honorable membre aura à proposer à l’occasion des divers articles une partie de sa proposition. Il sera voté sur ses propositions avant les dispositions du projet, parce qu’elles seront considérées comme amendements. Voilà comment il faut que nous marchions.

L’honorable ministre de l’intérieur a consenti, cependant, à ce qu’une commission spéciale soit chargée de l’examen d’une proposition qui fait partie de l’ensemble du système de l’honorable M. de Haerne. Je ne m’oppose pas à ce qu’il en soit ainsi. Nous ne faisons en cela qu’user de la faculté résultant de l’art. 43 du règlement.

Cet article porte :

« Art. 43. La chambre ne délibère sur aucun amendement, si après avoir été développé, il n’est appuyé au moins par cinq membres. Si la chambre décide qu’il y a lieu de renvoyer l’amendement dans les sections où à une commission, elle peut suspendre la délibération. »

Ainsi, vous voyez que la chambre peut, quand elle le veut, renvoyer un amendement à l’examen d’une commission. Elle décide alors si la discussion doit être tenue en suspens ou non.

Je ne m’oppose pas au renvoi à une commission ; mais je demande que, dans aucun cas, la discussion ne soit suspendue.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce que j’ai demandé.

M. de Brouckere. - J’engage la chambre à continuer la discussion. Sans cela, la session finira sans que l’on ait rien décidé.

M. Delfosse. - Je commencerai par faire remarquer que la proposition de l’honorable M. Castiau est tout autre que celle qui a été rejetée hier. La proposition rejetée hier était une proposition d’ajournement à la session prochaine. L’honorable M. Castiau ne demande pas l’ajournement à la session prochaine ; il demande le renvoi immédiat aux sections, ou à une commission spéciale.

Aux termes du règlement, toute proposition de loi soit qu’elle émane du gouvernement, soit qu’elle émane de l’initiative de la chambre, soit qu’elle vienne du sénat, doit être renvoyée aux sections ou à une commission, pour être l’objet d’un rapport.

En vertu de quel droit avons-nous été saisis d’une proposition de la commission d’enquête ? En vertu du droit d’initiative qui appartient à tous les membres de la chambre.

Dernièrement, 26 de nos honorables collègues ont signé une proposition. Cette proposition aurait pu être signée par 50 membres ; je crois que si l’on avait fait quelques efforts, on aurait pu arriver à ce nombre de signatures.

M. Malou. - Assurément.

M. Delfosse. - Cette proposition a été renvoyée à l’examen des sections pour être l’objet d’un rapport. Pourquoi donc n’aurait-on pas aussi un rapport sur le projet de loi qui est en discussion ? La commission, nommée par la chambre, a été chargée de faire une enquête ; elle a rendu compte de ses opérations, puis elle a formulé un projet de loi. Ce projet n’a pas subi l’examen préparatoire prescrit par le règlement. Le rapport de la commission d’enquête peut être considéré comme les développements d’une proposition. Mais après les développements, il faut le renvoi soit aux sections, soit à une commission.

On nous dit : Il y a un mois que la discussion est ouverte. Qu’importe si la discussion n’a pas fait saillir les lumières qu’on est attendait. L’honorable prince de Chimay vous a avoué hier que la discussion n’a fait qu’augmenter ses doutes. La discussion loin d’éclairer la chambre a au contraire fait naître de nouvelles hésitations.

La proposition de M. le ministre de l’intérieur vient à l’appui de celle de M. Castiau. M. le ministre de l’intérieur demande le renvoi à une commission de la proposition de l’honorable M. de Haerne, dans laquelle il trouve beaucoup d’irréflexions. Mais il y a des membres de la chambre qui trouvent aussi beaucoup d’irréflexions dans le projet du gouvernement. Si l’honorable M. de Haerne propose de s’écarter considérablement du système de la commission d’enquête, le gouvernement propose aussi de s’en écarter sur des points importants ; il veut, par exemple, accorder une faveur aux entrepôts français et américains. Voilà une dérogation très grave au système de la commission d’enquête. Si M. le ministre de l’intérieur pense que l’amendement de M. de Haerne doit être renvoyé à une commission parce qu’il s’écarte du système de la commission d’enquête, nous sommes autorisés à demander que le projet du gouvernement qui s’écarte, sur des points essentiels du projet de la commission d’enquête, soit également renvoyé à une commission.

Je viens d’invoquer le règlement ; je puis invoquer en outre l’usage de la chambre, et la raison. Le règlement dit qu’il faut un rapport sur tous les projets de loi présentés par le gouvernement, le sénat, ou les membres de la chambre ; mais il ne dit pas qu’il en faut un sur les amendements. Cependant l’usage de la chambre, lorsque les amendements ont une certaine importance, est de les renvoyer soit à la section centrale, soit à la commission. C’est ainsi que la chambre a renvoyé à la section centrale beaucoup d’amendements sur la loi des pensions. Chaque fois que la chambre a besoin de s’éclairer (je pense que c’est le cas), elle renvoie les amendements à la section centrale, ou à une commission. Les amendements relatifs à la loi des pensions ne s’écartaient pas plus du projet de loi que les amendements de M. le ministre de l’intérieur du projet de la commission d’enquête, et ils avaient beaucoup moins d’importance.

Vous voyez, messieurs, qu’il y a de très fortes raisons pour que les amendements de M. le ministre de l’intérieur soient renvoyés à l’examen d’une commission.

Je conçois que M. le ministre de l’intérieur ait de la répugnance à appuyer le renvoi à la commission d’enquête. Elle serait juge dans sa propre cause ; et puis, comme il vous l’a dit, les membres de la commission d’enquête ne s’entendent plus (on rit) ; cela prouve pour leur œuvre.

Il est possible que le renvoi en sections demandé par l’honorable M. Castiau ferait perdre trop de temps. J’adhère donc à l’idée de M. le ministre de l’intérieur ; j’appuie la création d’une commission spéciale qui examinera le projet de l’honorable M. de Haerne, projet plein d’irréflexions, si l’on en croit M. le ministre de l’intérieur, et qui examinera le projet de M. le ministre de l’intérieur, projet plein d’irréflexions, si l’on en croit beaucoup de membres de cette chambre.

S’il s’agissait de faire perdre du temps à la chambre, je n’insisterais pas. Mais il y a à l’ordre du jour, comme vous l’a fait remarquer l’honorable M. Castiau, un objet très urgent, c’est le projet de loi sur les tabacs. Occupons-nous de ce projet et pendant ce temps la commission examinera les diverses propositions dont nous sommes saisis.

M. Eloy de Burdinne. - J’avais demandé la parole pour répondre quelques mots à M. le ministre de l’intérieur ; mais s’il est entendu que mon amendement pourra être examiné par la commission qu’il s’agit de nommer, je renoncerai à la parole. Je pourrai me rendre à cette commission, y développer mes motifs et répondre d’une manière que je crois assez satisfaisante aux craintes que M. le ministre de l’intérieur a témoignées quant à la difficulté de mettre en pratique le système que j’ai proposé.

J’aurais également répondu à l’honorable M. de Haerne, que si je partage son opinion sur certains points, comme je l’ai dit en l’interrompant, il n’en est pas de même de plusieurs autres points ; qu’ainsi la réduction que je propose ne s’applique nullement aux tissus exportés par la frontière de terre, qu’elle ne se rapporte qu’aux article compris dans le projet en discussion, et on ne pouvait l’entendre autrement.

J’attendrai que la chambre décide si une commission sera chargée d’examiner la seconde partie de la proposition de M. de Haerne, ainsi que mon amendement.

M. de Haerne. - Messieurs, mon intention n’est pas de rentrer dans le fond de la question, quoique j’eusse désire le faire pour répondre à M. le ministre de l’intérieur. Mais le règlement s’y opposant, j’ajournerai mes observations à un autre moment.

M. le ministre de l’intérieur s’est livré à une critique assez étendue des développements que je vous ai présentés à l’appui de ma proposition. Il a relevé les difficultés qui, selon lui, se présentent dans mon système, les irréflexions dont j’aurais fait preuve dans sa rédaction.

Quant aux difficultés, je crois qu’on en rencontre dans tous les systèmes ; mais M. le ministre de l’intérieur les a considérablement exagérées ; il me serait facile de le démontrer. Mais, messieurs, s’il y a des difficultés dans mon système, d’un autre côté, il y a des avantages et M. le ministre de l’intérieur n’en a nullement parlé. Il n’a pas dit un mot, par exemple, de l’exclusion des entrepôts flottants, et c’est là cependant, comme je l’ai prouvé, un point capital. Il n’a rien dit non plus des entrepôts d’Europe que je veux favoriser, contrairement au système du gouvernement et à celui de la chambre de commerce d’Anvers.

Dans tout projet, messieurs, il faut balancer les avantages avec les inconvénients, et je dis que les inconvénients à mon système, fussent-ils tels que M. le ministre de l’intérieur les a exposés, il ne faudrait pas reculer à cause des grandi avantages qu’il offre d’autre part.

Messieurs, je me permettrai de faire à la chambre une autre observation. J’ai eu l’honneur de parler hier avec M. le ministre de l’intérieur de l’intention que j’avais de déposer sur le bureau la proposition que j’ai faite, et M. le ministre ne m’a fait aucune observation sur les difficultés qu’il y rencontrait. Je savais cependant, d’une manière pertinente, qu’il s’en était longuement occupé. Si M. le ministre de l’intérieur avait eu la bonté de me dire qu’il y trouvait de si grandes difficultés, peut-être aurais-je modifié mon opinion, peut-être même aurais-je renoncé à faire une proposition. Mais M. le ministre de l’intérieur n’en a rien fait ; je dirai plus : il m’a engagé à présenter ma proposition. (On rit.)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. de Haerne. - Je croyais, messieurs, qu’au lieu de rencontrer un adversaire, j’aurais rencontré en lui un chaud défenseur de ma proposition.

Quant au renvoi de ma proposition en sections, je dois opiner en ce sens et j’adhère à la proposition de l’honorable M. Castiau.

On a dit qu’on pourrait discuter les diverses parties de mon système à l’occasion des questions de principe qui seront agitées ; qu’on pourrait aussi en discuter certaines parties à l’occasion des chiffres proposés par le gouvernement. Je crois, messieurs, que cette marche ne serait pas logique ; mon système forme un ensemble et c’est cet ensemble qu’on doit considérer pour pouvoir en apprécier le mérite et les avantages. Si l’on ne le discute pas dans son ensemble, je crains qu’on ne le perde de vue dans l’examen des questions de principe et surtout des chiffres. Comment serait-il possible, par exemple, en examinant les chiffres relatifs au café ou au coton, de stipuler qu’il sera fait telles réductions pour les navires ne venant pas des pays de provenance ou qui ne sont pas sous pavillon belge.

Je crois, d’ailleurs, messieurs, qu’il ne faudrait pas si longtemps pour examiner ma proposition en sections, que dès demain celles-ci pourraient s’en occuper, nommer leur rapporteur, et que pendant la séance, la section centrale pourrait nous faire son rapport.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il est très vrai que l’honorable préopinant m’a parlé hier de l’intention où il était de faire formellement la proposition dont il avait parlé dans son discours. Je ne l’en ai pas dissuadé : je l’ai au contraire engagé à le faire, c’est très vrai, parce que j’aime les discussions complètes. Ce projet était jusqu’à présent resté dans les coulisses ; je ne pouvais aller l’y combattre, et je remercie l’honorable membre d’avoir bien voulu l’introduire sur la scène.

Si, messieurs, je me suis servi des expressions d’irréflexion, d’inattention, ces mots ne se sont jamais appliqués à l’honorable membre, ils s’appliquaient à la rédaction, et chaque fois que je m’en suis servi, je l’ai toujours fait avec une grande réserve. Si, du reste, l’honorable membre a trouvé quelque chose de vif dans une partie de mes observations, je le regrette très sincèrement.

Je dis, messieurs, que nous devons tous nous féliciter de ce que l’honorable membre a bien voulu formellement déposer sa proposition. J’entendais dire partout : Il y a un autre système dont on ne parle pas, qu’on n’expose pas. On aurait cru que la discussion était incomplète. Je suis heureux que ce système ait été présenté, que nous puissions le prendre corps à corps.

C’est pour la même raison que je demande que la deuxième question, celle de savoir si l’on peut rattacher à la question d’exportation la jouissance des droits différentiels soit épuisée. Comme il y a des doutes dans beaucoup d’esprits, que plusieurs membres disent qu’ils font de cette proposition ou au moins de cet examen la condition de leur vote, je désire que les illusions qu’ils ont leur soient enlevées, et qu’ils ne puissent pas dire qu’ils votent contre le système des droits différentiels, parce qu’il y a mieux à faire.

M. Rodenbach. - Messieurs, quel a été le but de la nomination de la commission d’enquête ? Ç’a été d’abord de protéger la marine nationale ; ensuite, et c’était le but essentiel, de rechercher les moyens d’amener l’exportation de nos produits.

M. le ministre de l’intérieur propose, dans son projet de loi, une protection d’une livre sterling par tonneau de mer, c’est-à-dire, de 25 fr. Je pense que cette protection, qui, en définitive, n’est que de 1 centime 1/4 par livre de café, n’est pas suffisante pour engager les navires étrangers à exporter les marchandises belges.

M. le ministre a d’ailleurs avoué lui-même que ses propositions ne provoquent qu’indirectement à l’exportation. Je pense, messieurs, qu’il serait infiniment préférable de protéger directement les exportations, c’est-à-dire, de forcer en quelque sorte les navires à exporter, et c’est ce que demande l’honorable M. de Haerne par la seconde partie de son amendement. M. le ministre de l’intérieur a aussi reconnu qu’une protection directe des exportations serait préférable à la protection indirecte qu’il propose. Dès lors, il me paraît qu’il faut mûrement examiner la question soulevée par l’honorable M. de Haerne. C’est notre devoir ; car si nous trouvons un moyen de favoriser directement nos exportations et d’améliorer ainsi la situation de nos fabriques, il faut l’adopter et je vote pour la nomination de la commission spéciale dont a parlé M. le ministre de l’intérieur.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis appuyer la proposition du renvoi aux sections des diverses propositions qui nous occupent. Depuis quatre semaines nous sommes occupés de cette question, et il faut tâcher d’en finir. Il ne faut pas qu’une discussion aussi longue devienne perdue pour la chambre et pour le pays.

Selon moi, le système présenté par l’honorable M. de Haerne, et qui avait été présenté d’abord par l’honorable M. Cassiers, est complètement inexécutable, et cela par un motif bien simple : c’est qu’il faudrait ouvrir un compte aux 2,000 navires qui arrivent chaque année à Anvers, un compte de fret, un compte d’entrée et de sortie. Croit-on que pareille chose puisse s’exécuter ?

Ce système, messieurs, est très louable ; il part d’une pensée généreuse ; mais il ne suffit pas qu’une idée soit bonne ; il faut encore la rendre praticable.

Eh bien, je dis que le système en lui-même n’est pas praticable. Il n’est pas praticable, parce qu’il nécessiterait un compte ouvert pour chacun des navires qui entrent dans nos ports. Or, à Anvers, il entre annuellement 2,000 navires ; il faudrait donc ouvrir un compte pour chacun de ces 2,000 navires ; cela est impossible. Je ne pense donc pas que nous devions nous arrêter à ce système. Ce système est un beau rêve, mais ce n’est qu’un rêve.

Nous sommes saisis d’un autre système qui est praticable et qui nous a été présenté par la commission d’enquête. Ce système est à peu près le même que le projet de M. le ministre de l’intérieur, sauf quelques différences dans l’application ; c’est celui qui, à quelques exceptions près, régit l’Angleterre, la France, les Etats-Unis et tous les pays maritimes. Qu’avons-nous besoin de discuter si longtemps lorsque nous avons pour nous l’expérience d’un système qui est adopté par toutes les nations qui nous avoisinent ?

Je conçois que d’honorables membres, que des industriels ne voient que l’application directe du système ; mais il faut voir aussi les résultats indirects qui sont infaillibles. C’est malheureusement ce qu’on ne veut pas voir. Le système de l’honorable M. de Haerne veut amener un résultat direct ; mais ce résultat n’est pas réalisable ; l’autre système n’amène, j’en conviens, qu’un résultat indirect ; mais ce résultat est infaillible. L’expérience des nations voisines le prouve. Attachons-nous donc uniquement à ce système.

Maintenant, je demande qu’on aborde toutes les questions de principe. J’ai eu l’honneur de formuler la plupart de ces questions. Une fois qu’elles seront vidées par la chambre, nous n’aurons plus qu’à examiner des questions de chiffres, et nous pourrons voter le reste de la loi dans une dizaine de jours.

Un des motifs pour lesquels j’attache une grande importance à ce que le système de la section centrale ne subisse pas de nouvelles entraves, c’est que ce système est le résultat de l’exercice d’une des plus belles prérogatives que puisse avoir une assemblée délibérante, je veux parler du droit d’enquête, que le gouvernement a plus d’une fois cherché à dénier à la législature : or, dans la circonstance dont il s’agit, nous avons constaté l’existence de ce droit d’une manière victorieuse. Nous avons nommé une commission d’enquête, nous devons dès lors maintenir son ouvrage.

Mais, dit l’honorable M. Delfosse, il faut renvoyer les propositions de la commission d’enquête aux sections, car dernièrement, 27 membres de cette assemblée ont pris l’initiative d’une proposition relative aux bestiaux, et cette proposition a été renvoyée aux sections. Je répondrai à l’honorable membre qu’il n’y a aucune similitude entre les deux cas. Lorsque 27 membres, 50 membres même, s’il le veut, prennent l’initiative, ils n’ont pas l’autorisation de la chambre et il faut qu’ils obtiennent cette autorisation ; mais ici c’est la chambre entière qui a pris l’initiative, qui a voté la prise en considération d’une proposition faite par l’honorable M. de Foere ; et après ce vote, la chambre usant du droit qui lui est déféré par la constitution, du droit d’enquête, a nommé à la majorité des voix et au scrutin secret, une commission qu’elle a chargée de formuler un projet de loi. La chambre a donc satisfait à toutes les prescriptions du règlement ; le projet présenté par la commission est donc l’œuvre de la chambre, et renvoyer le projet aux sections, ce serait entraver l’exercice du droit d’enquête que nous devons maintenir intact.

J’ajouterai que toutes les commissions spéciales présentent des projets de loi. Je citerai la commission d’industrie, et surtout la commission des naturalisations qui a présenté une centaine de projets de loi, sans qu’on ait jamais songé à en renvoyer l’examen aux sections.

M. Cogels. - Messieurs, renvoyer la proposition de M. de Haerne aux sections, ce serait déroger aux usages de la chambre ; la renvoyer à une nouvelle commission, ce serait encore déroger à ces usages. Il n’y aurait qu’une chose à faire, ce serait de se conformer à la marche qui est suivie ordinairement ; c’est de renvoyer la proposition à la commission d’enquête elle-même. Je ne pense pas que mes honorables collègues de la commission réclament ce renvoi plus que moi. Je crois cependant devoir, à cette occasion, combattre une opinion qui pourrait s’accréditer, et qui a été émise dans la chambre, au sujet de la situation de la commission d’enquête.

Il est arrivé dans la commission d’enquête ce qui arrive dans toutes les sections centrales et dans toutes les commissions spéciales : c’est qu’il y a eu une majorité et une minorité, qu’il y a eu des points sur lesquels on a été unanimement d’accord, d’autres sur lesquels il y a eu divergence d’opinion ; mais loin que la discorde se soit mise entre les membres de la commission d’enquête, je puis dire qu’il y a plus d’accord maintenant entre ces membres, qu’il n’en existait au début des travaux de la commission, c’est-à-dire, que l’on s’est fait des concessions réciproques, qu’on s’est rapproché, qu’on s’est tendu la main ; le vote qui a été émis, en dernier lieu, le prouve suffisamment. Je pense qu’un seul membre de la commission s’oppose maintenant d’une manière absolue, à l’établissement des droits différentiels.

M. Verhaegen - Messieurs, depuis plus de quatre semaines, nous nous occupons d’une question grave, et, ainsi que le disait très à propos l’honorable prince de Chimay, au lien d’avancer, nous reculons.

Une proposition, longue et compliquée, a été soumise à la chambre par M. de Haerne, et l’honorable membre a trouvé, pour principal contradicteur, M. le ministre de l’intérieur, qui, au commencement de la séance, nous a fait un très long discours, auquel plusieurs d’entre nous n’ont rien compris. Pour M. Nothomb, cela n’était pas bien difficile, puisqu’il s’était entendu hier avec l’honorable auteur de la proposition ; M. le ministre n’avait pas répondu à M. le prince de Chimay, et cela se conçoit ; il ne s’était pas entendu d’avance avec cet honorable membre.

L’honorable M. de Haerne s’est étonné des attaques très vives de M. le ministre de l’intérieur, et il a eu raison. En effet, M. le ministre de l’intérieur est cause que la proposition a paru sur la scène, il vous l’a dit lui-même ; c’est donc lui qui est venu susciter cette difficulté ; il l’a fait, s’il faut l’en croire, parce que l’honorable M. de Haerne voulait laisser sa proposition dans les coulisses et que lui voulait la voir paraître sur la scène ; mais là où il y a coulisses, là où il a scène, là aussi il y a théâtre, là il y a tout au moins comédie ; c’est cette comédie dont nous attendons impatiemment le dénouement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je n’ai pas cru devoir, dans la séance d’hier, mêler une discussion politique à un débat qui présente déjà, en lui-même, assez de gravité, J’ai pensé qu’il fallait laisser à cette discussion son véritable caractère ; nous persistons dans la position que nous avons prise ; nous verrons plus tard s’il est nécessaire de répondre à un discours purement politique.

Messieurs, la discussion sur le système que l’honorable M. de Haerne a présentée, se serait produite tôt ou tard. Mieux valait que le système fût formulé et que les débats eussent lieu maintenant. Je ne me suis pas entendu avec l’honorable M. de Haerne. Il m’a fait part de l’intention qu’il avait, et je l’ai engage à y donner suite. C’est ainsi qu’un autre honorable députe m’a dit qu’il présenterait un système d’organisation des conditions d’exportation ; je l’ai également engagé à déposer sa proposition, et je continuerai à en agir de même avec tous les députés qui voudront bien me faire une semblable confidence.

Ainsi, si l’honorable M. Verhaegen, qui est un très grand partisan des droits différentiels...

M. Verhaegen. - Qu’en savez-vous ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Dans les premiers jours de la discussion, en comité secret, l’honorable M. Verhaegen était un chaud partisan des droits différentiels, il m’a fait l’honneur de me le dire. J’ignore pourquoi il prend aujourd’hui ce que j’appelle une position équivoque, pourquoi il devient flottant.

M. Verhaegen. - Je ne comprends réellement pas ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur. Je n’ai eu aucune conférence avec lui, et, certes, je n’ai pas l’habitude d’en avoir avec des ministres ; il ne connaît dès lors pas mes pensées intimes. Quand il a parlé d’un discours dubitatif que j’aurais prononcé, il a énoncé une opinion qu’aucun de mes collègues ne partagera. Mon discours est là ; je le soumets volontiers au jugement de la chambre et de mes commettants.

M. Fleussu. - Messieurs, je viens appuyer par quelques considérations la proposition de l’honorable M. Castiau, tendant à renvoyer toutes les propositions à l’examen d’une commission spéciale. Ces considérations, je les puiserai dans le règlement même, et je les produirai aussi dans l’intérêt de la marche de nos débats.

La chambre a institué une commission d’enquête pour rechercher quelle est la situation du commerce extérieur dans ses relations avec l’industrie nationale. Cette commission a divisé son travail. Une partie de ce travail est relative à la navigation, l’autre, à l’industrie nationale. Le rapport concernant la navigation nationale est suivi de conclusions, formulées en un projet de loi, et le rapport sur la question industrielle n’a pas de conclusions.

Maintenant, de ce que la chambre a institué une commission d’enquête, de ce que par là elle a fait droit à une proposition émanée d’un de ses membres, s’ensuit-il qu’elle ait renoncé à examiner les propositions de cette commission, d’après la forme voulue par le règlement ?

Il faut bien le reconnaître, la gravité des questions qui devaient surgir des conclusions de la commission d’enquête est telle que la chambre et le gouvernement ont perdu de vue, dans cette circonstance, les dispositions impératives du règlement.

Lorsqu’à plusieurs reprises on a provoqué le gouvernement à faire connaître ses intentions sur les conclusions de la commission d’enquête, le gouvernement a toujours répondu qu’au moment de la discussion il ferait connaître sa pensée. Ou a fixé une époque pour la discussion ; alors le gouvernement a présenté, sous forme d’amendement, un projet qui se rapporte plus ou moins aux conclusions de la commission d’enquête.

Voilà comment les choses se sont passées. Je crois que le gouvernement et la chambre ont eu un grand tort. C’est de ne pas respecter le règlement. Il est évident que, dès qu’une proposition est faite, qu’elle émane de l’initiative de la chambre, du sénat ou du gouvernement, le règlement a voulu qu’on suivît une marche qu’il détermine, pour éviter les précipitations et pour assurer l’instruction des propositions qui sont faites. Je regrettais qu’on n’eût pas suivi cette marche ; maintenant qu’une proposition est faite au nom du règlement et dans l’intérêt de l’instruction des propositions elles-mêmes, je crois que nous devons rentrer dans les termes du règlement.

Il s’en suivrait, si le système développé par M. Dumortier était vrai, que l’initiative de la chambre aurait plus de faveur que celle du gouvernement, et je dis que cela ne doit pas être. Comment, parce qu’une commission, que vous auriez instituée, vous aurait présenté des mesures quelconques sous forme de projet de loi, le règlement serait en suspens ! Alors surtout qu’il s’agit d’une question aussi grave que celle qui nous occupe ; c’est principalement dans le travail des sections qu’on peut s’éclairer. Il y a un dossier immense que bien certainement tout le monde n’a pas lu avant la discussion ; il est vrai qu’on l’avait annoncée longtemps d’avance ; mais on ne connaissait pas la pensée du gouvernement, on ne savait pas jusque-là s’il y avait un travail utile à faire dans le cabinet. Cette pensée connue, qui a eu le temps de la mettre en rapport avec toutes les pièces qui vous ont été envoyées par la commission d’enquête ? Pour cette question, plutôt que pour toute autre, vous deviez renvoyer les propositions de la commission d’enquête aux sections.

Je dis, répondant à l’honorable M. Dumortier, qu’un projet de loi émanant d’une commission instituée par la chambre ne doit pas avoir plus de privilège qu’un travail préparé par le gouvernement lui-même. Remarquez d’ailleurs qu’on n’avait pas chargé la commission d’enquête de présenter un projet de loi, mais de rechercher quelle était la situation du commerce extérieur dans ses rapports avec notre industrie, et de nous présenter les mesures qu’elle croirait nécessaires. Avons-nous renoncé au droit de les examiner, ces mesures, et surtout de les examiner conformément au règlement ? Il est des publicistes qui vont jusqu’à soutenir qu’une loi, qui n’est pas faite conformément au règlement de la chambre, ne peut pas avoir le caractère d’une loi.

Maintenant, n’y aurait-il pas avantage à renvoyer toutes les propositions, sinon aux sections, du moins à une commission spéciale ? Je crois que vous gagneriez beaucoup de temps à le faire. N’avez-vous pas à examiner si, depuis quatre ans, rien n’est changé ? Il y avait souffrance en 1840, tout le monde le reconnaissait ; la souffrance est-elle au même degré en 1844 ? J’entends dire qu’elle est encore pire par M. Rodenbach. Quant à moi, des industriels m’ont assuré que certaines branches d’affaires reprenaient. Il a eu encombrement de produis par suite des associations, qui ont forcé la production à occasionner une crise commerciale mais insensiblement il y a eu écoulement ; les affaires reprennent. S’il en est ainsi, c’est une considération qu’il faudrait examiner et mettre en rapport avec les conclusions de la commission d’enquête.

Est-ce que les événements politiques, qui se sont passés, sont sans influence sur le sort de nos industries ? Le traité avec la Hollande, l’usage des eaux intérieures de la Hollande ne présentent-ils aucun avantage ? Est-ce que la commission d’enquête s’en est occupée ? Votre chemin de fer, qui se trouve maintenant lié au chemin de fer rhénan, n’exerce-t-il aucune influence sur la prospérité de notre industrie ! Voilà des points qui n’ont pas été examinés et qui sont assez graves pour fixer un moment l’attention d’une commission spéciale.

Le système qui a été présenté par l’honorable M. de Haerne forme un ensemble. Cependant M. le ministre en détache une partie qu’il consent à renvoyer à une commission spéciale. Cela ne peut pas être ; le système de M. de Haerne est une espèce de balance. Vous ne pouvez pas prendre un plateau de cette balance et laisser l’autre. Il faut prendre le système dans son ensemble. Il y a d’autant plus d’utilité à le faire, que M. le ministre a dit que c’était une pensée séduisante, qu’il avait cherché à la réaliser, mais qu’il n’avait pas eu le bonheur d’arriver à la réalisation de cette pensée. Mais des choses réputées impossibles ne se sont-elles pas réalisées à la grande satisfaction de ceux qui les croyaient impossibles ?

On sait que l’honorable abbé de Foere a longtemps préconisé les droits différentiels ; que dès 1833 ou 1834, il en a saisi la chambre à toutes les occasions ; et il avait constamment pour adversaire l’honorable M. Smits. Nous pensions que ce dernier l’avait combattu avec beaucoup de succès. L’honorable M. de Foere a donné un passeport nouveau à sa proposition en lui associant l’industrie nationale. Quand il s’est agi de l’enquête, l’honorable membre a encore trouvé contre lui M. Smits et tous les députés d’Anvers. M. l’abbé de Foere a fait un miracle ! On le défiait de formuler son projet, de le présenter sous forme de proposition acceptable, d’en faire, en un mot, un projet de loi. On l’en a défié en plusieurs circonstances. Qu’est-il arrivé ? C’est que M. de Foere a présenté un projet qui a été accueilli par ceux qui combattaient M. de Foere depuis six ans et le défiaient de présenter un projet. Ils s’étaient constamment opposés au projet de M. de Foere, principalement M. Smits. M. Smits avait combattu le principe et défia M. de Foere en plusieurs circonstances de formuler un projet. Qu’est-il arrivé ? M. Smits est un des partisans du projet de M. de Foere ! Quand je vois des conversions semblables, je dis que ce que n’a pas pu trouver M. le ministre de l’intérieur, une commission peut le trouver. C’est pourquoi je demande le renvoi à une commission spéciale.

M. Smits. - Il est vrai, comme j’ai eu l’honneur de le dire hier, j’ai combattu pendant 8 ans l’honorable abbé de Foere sur les droits différentiels. Mais quel était le champ de bataille ?

Le projet présenté par cet honorable membre en 1834, projet qui ne pouvait pas atteindre le but que se proposait son honorable auteur, c’est-à-dire d’établir le commerce direct ; ce projet était essentiellement nuisible au commerce de transit que je regarde comme très important pour le pays ; il devait exclure la navigation étrangère, enfin il se présentait dans des circonstances telles que la politique commandait de la combattre. Je l’ai défié de formuler un projet et il n’en a pas formulé ; car le projet qui est en discussion est celui de la commission d’enquête et non celui de cet honorable membre ; et en disant que je voterais pour un système de droits différentiels modérés, je suis resté conséquent avec moi-même.

- La chambre consultée ferme la discussion.

M. le président. - M. Castiau a proposé le renvoi à l’examen des sections, de toutes les propositions dont la chambre est saisie.

M. le ministre de l’intérieur a demandé sur cette proposition la question préalable.

- La question préalable est mise aux voix

Plus de cinq membres demandant l’appel nominal, il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

68 membres répondent à l’appel ;

40 répondent oui ;

28 répondent non.

En conséquence, la question préalable sur la proposition de M. Castiau est adoptée.

Ont répondu non :

MM. Duvivier. Eloy de Burdinne, Fleussu, Jonet, Lange, Lesoinne, Lys, Manilius, Pirmez, Savart-Martel, Sigart, Thyrion, Troye, Vandensteen, Verhaegen, Vilain XIIII, Brabant, Castiau, David, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Naeyer, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Tornaco, Liedts.

Ont répondu oui :

MM. Cogels. Coghen, Coppieters, d’Anethan, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, de Florisone, de Garcia, Delehaye, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meester, de Roo, de Saegher, de Sécus, de Terbecq, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Dumortier, Fallon, Goblet, Huveners, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Osy, Dubus (aîné), Rodenbach, Rogier, Simons, Smits, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Zoude.

M. le président. - La chambre a maintenant à statuer sur la proposition faite par M. le ministre de l’intérieur, de renvoyer à l’examen d’une commission la deuxième partie de l’amendement de M. de Haerne.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je consens au renvoi à une commission.

M. Rodenbach. - Je propose formellement ce renvoi. C’est dans ce sens que j’ai voté. Je n’aurais pas repoussé la proposition de M. Castiau, si je n’avais compté sur le renvoi à une commission spéciale. Je fais la proposition formelle de nommer une commission spéciale.

M. Rogier. - Je ne sais pourquoi l’on voudrait frapper de déchéance la commission d’enquête ; elle a travaillé pendant quatre ans avec beaucoup d’assiduité, sinon avec beaucoup de succès ; elle a présenté des conclusions ; elle a étudié toutes les questions. L’honorable rapporteur a déclaré maintes fois que, pour lui, la question principale n’était pas tant d’encourager la marine nationale que d’encourager les exportations. Je pense donc que la commission d’enquête est très compétente pour examiner la proposition de l’honorable M. de Haerne, proposition qui, malgré toutes les difficultés dont M. le ministre de l’intérieur s’est plu à l’entourer, a un côté très sérieux, et mérite, selon moi d’être examinée avec beaucoup de soin par la chambre.

Au lieu de perdre une nouvelle séance à nommer une commission, je propose le renvoi à la commission d’enquête.

M. Rodenbach. - Je renouvelle ma proposition d’une commission spéciale, nommée par le bureau de la chambre. Je voterai contre la proposition de l’honorable M. Rogier, parce que nous savons tous que, dans la commission d’enquête, il y a division dans les opinions ; et je ne pense pas qu’une chambre représentative puisse renvoyer un projet de loi à une commission d’enquête divisée. Eux-mêmes ont déclaré qu’il y a division. D’ailleurs la question est nouvelle. Il s’agit ici des intérêts du pays. Il y a deux systèmes en présence. Le projet d’enquête ne protège pas efficacement l’exportation des produits du pays ; ce n’est qu’indirectement, M. le ministre de l’intérieur l’a dit lui-même. On présente un projet qui donne l’espoir d’exportations directes ; c’est le vœu du pays. L’honorable M. Fleussu a dit que le pays ne se plaint pas ; moi je dis qu’il y a pléthore ; c’est parce que nous manquons de moyens d’exportations. Puisqu’on indique un moyen d’exportation directe, je crois qu’il conviendrait de le renvoyer à l’examen d’une commission spéciale. Je persiste dans cette proposition.

M. le président. - Si le bureau nomme la commission, il la composera de membres appartenant aux deux opinions.

M. Cogels. - Je viens combattre les observations de l’honorable M. Rodenbach. Il n’y a pas plus division dans la commission d’enquête que dans d’autres commissions ; il y a divergence d’opinions sur certains points ; il y a majorité et minorité ; c’est ce qu’on voit partout.

Pour former une commission comme la voudrait l’honorable M. Rodenbach, il faudrait commencer par mettre aux voix la proposition ; on pourrait alors composer la commission exclusivement de membres qui auraient répondu oui. Sans cela, il pourrait y avoir une division, une divergence d’opinions bien plus grande que dans la commission d’enquête.

Ce n’est pas que je veuille réclamer en faveur de la commission d’enquête la continuation de son mandat ; si l’on veut la détrôner, qu’on le fasse ; j’y applaudirai de bon cœur ; je ne demande pas mieux que d’être déchargé de mes fonctions ; mais j’ai voulu seulement justifier la commission du reproche tout à fait mal fondé qu’on vient de lui adresser.

M. de Brouckere. - Je ne vois aucun motif de renvoyer à une autre commission que la commission d’enquête la proposition de l’honorable M. de Haerne. On dit qu’il y a division d’opinions ; c’est pour cela que j’insiste pour qu’on lui renvoie cette proposition. Comment une proposition serait mieux basée, alors que tous les membres de la commission seraient de la même opinion ? Comme vient de le dire notre honorable président, quand on nomme une commission, on la compose toujours de membres des deux opinions opposées.

Je me joins donc à l’honorable M. Rogier pour demander le renvoi à la commission d’enquête, qui est la plus compétente pour examiner la proposition.

J’insiste aussi pour que la chambre décide que la discussion ne sera pas suspendue jusqu’à la présentation du rapport.

Plusieurs membres. - c’est entendu.

M. de Garcia. - Je viens aussi appuyer la proposition de l’honorable M. Rogier ; il me semble (j’ai même interrompu M. le ministre de l’intérieur pour faire cette observation, quand il parlait d’une commission spéciale), il me semble, dis-je, que l’examen des questions que soulève la loi en discussion doit être renvoyé à la commission nommée par la chambre. Selon moi, ce serait faire injure aux honorables membres de cette assemblée que vous avez chargés de ce mandat par une décision solennelle. Vous l’avez investi du droit de vous présenter un projet de loi, et vous viendriez l’en dépouiller ? Vous viendriez la dépouiller de l’examen de toutes les questions qui s’y rattachent ? Cela ne s’est jamais fait. Vous poseriez là un précédent sans exemple, et contraire à ce qui s’est passé dans cette assemblée.

Renvoyer des propositions à une autre commission que celle déjà donnée par la chambre, ce serait, je le répète, lui faire injure ; ce serait réformer une décision de la chambre sans motifs et sans raison plausible.

On a parlé de divisions dans cette commission ; mais je défie de former une commission qui soit unanime au point de vue des nuances diverses et des questions multipliées que présente le projet de loi en discussion. Je dirai même que cette division est heureuse, €’est du choc des opinions que doivent jaillir les lumières. Par ces conditions, j’appuie le renvoi à la commission d’enquête.

Plusieurs membres. - La clôture.

M. Rodenbach. - Je suis l’auteur de la proposition. Il me sera bien permis de répondre.

M. le président. - La clôture est demandée.

M. Rodenbach. - J’ai fait une proposition ; trois ou quatre membres m’ont répondu. Il doit m’être permis de leur répondre. Je promets de ne pas être long.

M. David. - La commission d’enquête n’est plus complète ; un de ses membres est ministre ; il faudra le remplacer.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Le renvoi à la commission d’enquête (sans suspendre la discussion) de la question de savoir si l’on mettra à la jouissance des droits différentiels la condition de l’exportation est mise aux voix et prononcé.

M. le président. - D’après la proposition de M. le ministre de l’intérieur, il reste à décider si l’on continuera à discuter sur les questions de principe.

Les droits différentiels seront-ils fixes ou progressifs ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Puisqu’on a attaché de l’importance à ce changement, je consens à ce que l’on continue à discuter les questions de principe. Nous sommes d’accord sur ce point.

Une question nouvelle a été posée par l’honorable M. Dumortier ; c’est celle-ci : « Les droits différentiels seront-ils fixes ou progressifs ? » J’ai examiné cette question. Je crois qu’il faut faire une distinction. Pour les matières premières, il y aura progression, c’est-à-dire que le droit ne sera que de moitié la première année.

Je me réserve de démontrer que la progression ne doit pas être admise d’une manière générale.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Le Roi m’a chargé de vous présenter un projet de loi tendant à ouvrir au département de la guerre un nouveau crédit provisoire de cinq millions de fr.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi et des motifs qui l’accompagnent. Il sera imprimé et distribué.

Il est renvoyé à l’examen de la section centrale chargée d’examiner le budget de la guerre.

M. Rogier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, une nouvelle demande de crédits provisoires nous est faite par M. le ministre des finances au nom sans doute de M. le ministre de la guerre.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Sur la proposition des deux ministres.

M. Rogier. - Ce n’est pas sur ce point que j’ai une observation à faire.

Depuis que M. le ministre de la guerre est entré aux affaires, la chambre attend du gouvernement une solution de la question militaire. Cette question avait déjà entraîné la chute d’un ministre qui avait défendu avec beaucoup d’énergie ce qu’il croyait être les prérogatives du gouvernement et l’intérêt de l’armée. Le successeur de ce ministre a dû apporter un système nouveau ou la continuation du même système. Mais jusqu’ici nous n’avons rien vu sortir du département confié à l’honorable général, qui révèle ouvertement soit un système nouveau, soit l’intention de continuer l’ancien.

Je sais que des circonstances particulières ont empêché pour un temps M. le ministre de se livrer à tous les travaux que comportent les grands intérêts qui lui sont confiés ; mais ces circonstances ont cessé et les choses n’en sont pas plus avancées. Je crois qu’après quinze mois d’attente, la chambre, le pays, l’armée sont en droit d’espérer enfin une solution.

De grands intérêts industriels sont en souffrance. Mais, messieurs, ce grand intérêt national de l’armée ne souffre pas moins ; il faut faire sortir l’armée du provisoire où on la retient ; il y a tous les jours de ce côté de grandes pertes morales, des pertes peut-être irréparables.

Je ne sais pas si M. le ministre de la guerre a introduits des économies, des réductions dans le budget de la guerre. Nous attendrons des explications sur la portée et l’utilité de ces réductions. Il est possible que M. le ministre de la guerre, en renvoyant dans leurs foyers un certain nombre de miliciens, sauf à aggraver beaucoup le service de ceux qui restent au régiment, soit arrivé à certaines réductions. Mais, messieurs, je ne serais pas du tout sensible à de telles économies, si, à côté d’elles, figurait une grande déperdition dans les forces morales de l’armée. Or je dis que la situation dans laquelle on tient l’armée lui cause, sous ce rapport, des pertes incalculables, et qu’il faut sortir à tout prix de cette situation.

Je demande donc que la section centrale, chargée de l’examen de cette nouvelle demande de crédit provisoire, nous fasse un rapport dans le plus bref délai possible, et sur le budget de la guerre, et sur le projet d’organisation de l’armée. Il est impossible de laisser ce grand intérêt plus longtemps à l’abandon. C’est un intérêt des plus urgents pour toutes les opinions, pour tous les partis.

Si ce provisoire si fâcheux se perpétue, le gouvernement aura à répondre des conséquences qu’il entraîne. C’est à lui qu’il appartient de prendre sérieusement en main les destinées de l’armée. Qu’il poursuive avec activité l’examen de son projet d’organisation, et qu’il ne traîne pas la chambre de crédit provisoire en crédit provisoire jusqu’à la fin de l’année. On nous demande aujourd’hui cinq millions ; c’est pour arriver jusqu’au mois de juillet. Mais au mois de juillet, serons-nous encore en session ?

Je prie M. le ministre de la guerre d’être persuadé que si je m’exprime avec une certaine chaleur, il n’y a rien dans mes paroles qui lui soit personnel ; je le crois rempli de bonnes intentions. Mais je fais un appel à son patriotisme, à son énergie, à l’intérêt qu’il doit porter à l’armée, et je le prie de pousser de tous ses efforts à l’adoption des mesures qui doivent asseoir enfin sur des bases définitives son existence trop longtemps mise en question.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - Messieurs, je n’aurai que de courtes observations à faire en réponse à l’honorable M. Rogier. Je ne suis pas resté sans rien faire. J’ai eu l’honneur de présenter à la chambre, entre autres propositions, celle qui avait été annoncée dans le discours du Trône, et qui tend régler l’organisation de l’armée et celle relative au budget de la guerre. J’ai satisfait sous ce rapport aux demandes des chambres.

J’ai été, il est vrai, messieurs, la cause involontaire du retard qu’a éprouvé la discussion de ces deux propositions. Ma maladie a empêché pendant quelque temps la section centrale de continuer le travail qu’elle avait commencé ; cette cause n’existe plus aujourd’hui, et je suis maintenant à la disposition de la chambre et de la section centrale.

Quant à la portée du projet qui vient de vous être présente, la somme que nous vous demandons aujourd’hui, jointe aux crédits qui ont déjà été accordés au département de la guerre, forme un total de 14 millions, et nous permettra de marcher jusque vers le 1er juillet. Ce projet s’appuie donc, messieurs, sur la supposition que la discussion de la loi sur l’organisation de l’armée et celle du budget pourra avoir lieu dans le courant de cette session.

M. le président (M. Liedts). - Je désire donner un mot d’explication sur la marche des travaux dans les sections.

La section centrale chargée de l’examen du projet d’organisation de l’armée, s’en est occupée dès le mois de janvier. Dans sa première réunion, après avoir dépouillé les procès-verbaux des sections, elle a posé au gouvernement une série de questions. La solution de ces questions exigeait des travaux assez importants au département de la guerre. Au bout de quelque temps, et lorsque nous attendions la réponse à ces différentes questions, M. le ministre de la guerre est tombé malade. Au mois de février, la solution de ces questions nous a été remise ; mais dans ce moment nous étions occupés de l’examen du projet de loi sur les tabacs, et beaucoup de personnes qui s’intéressaient à l’armée, disaient que, dans son intérêt même, il convenait de ne pas en discuter l’organisation définitive sous l’influence d’un déficit dans les budgets.

D’ailleurs, l’examen du projet de loi sur les tabacs étant commencé, on a désiré l’achever, d’autant plus que plusieurs interpellations avaient été faites dans la chambre pour presser la section centrale de terminer son travail.

Sont venues les vacances de Pâques, et voila comment nous sommes arrivés, à l’heure qu’il est, sans que le travail de la section centrale sur l’organisation de l’armée ait pu être achevé.

Du reste, cette section centrale s’est réunie aujourd’hui et continuera à se réunir tant qu’elle ait terminé son travail. Je dois cependant déclarer que des personnes plus compétentes que moi sont d’avis que ce travail exigera plus d’un mois.

M. Rogier. - Je remercie M. le président des explications qu’il vient de nous donner sur la marche des travaux dans les sections. Je lui demanderai de bien vouloir nous en donner quelques-unes sur la marche de la section centrale quant à l’examen du budget de la guerre.

M. le président. - Dès sa première réunion, la section centrale s’est aperçue que le budget de la guerre était, en quelque sorte, l’application du projet d’organisation de l’armée, et que, par conséquent, il semblait logique de s’occuper avant tout de ce projet.

M. Malou - Je ferai remarquer que la section centrale a demandé que la chambre décidât si la loi d’organisation précéderait dans l’examen et dans la discussion le budget de la guerre, et que cette question a été résolue affirmativement.

M. Rogier. - M. le président vient de dire que, d’après des personnes compétentes, l’examen en section centrale du projet de loi sur l’organisation de l’armée, exigerait plus d’un mois. C’est encore une aggravation dans la situation mauvaise où nous sommes. Car si cet examen en section centrale exige un mois, il exigera peut-être le même temps de la part de la chambre, Il me semble, sans vouloir, faire aucun reproche à la section centrale, que c’eût été un motif d’activer les travaux dont elle était chargée. Car s’il lui faut encore un mois, il est évident que la session actuelle doit se passer sans que nous arrivions à avoir une organisation définitive et un budget normal. Je ne puis m’empêcher de dire qu’un tel état de choses est déplorable.

M. le président. - Je ferai remarquer à l’honorable membre, que la section centrale est convoquée pour 10 heures, qu’il m’est impossible de la réunir avant dix heures et demie, et que la séance publique s’ouvrant à midi, ce n’est pas sur une heure et demie que l’on peut avancer beaucoup l’examen d’uns question aussi importante.

M. Rogier. - Il est bien entendu que M. le président n’entre pour rien dans mes observations. Je rends hommage à son zèle et à son assiduité. Mais je crois que M. le président doit être convaincu comme moi de la nécessité d’arriver à une prompte solution.

M. Dumortier. - Messieurs, je partage complètement l’opinion de l’honorable M. Rogier sur la nécessité d’arriver le plus tôt possible à la solution des graves questions relatives à l’armée. J’ai toujours formé, je forme encore le vœu que nous ayons la loi d’organisation de l’armée dans le plus bref délai. Mais, d’un autre côté, ii faut considérer l’époque de la session à laquelle nous sommes arrivés, et je crois qu’il sera très difficile, si pas impossible, de voter encore dans le cours de la session, avec le budget de la guerre, la loi d’organisation de l’armée, Or, il y a un inconvénient dont nous devons absolument nous garder, c’est de retomber dans les crédits provisoires. Il me paraît donc sage, en égard à l’époque avancée de la session, de discuter, avant notre séparation, le budget de la guerre, indépendamment de la loi d’organisation. Je crois donc que la chambre ferait bien de revenir sur sa décision du mois de janvier dernier. Quand la chambre a pris cette décision, elle avait devant elle plusieurs mois, tandis que maintenant il n’est plus possible que nous votions, avant le mois de juillet, et la loi des tabacs, et les droits différentiels, et la loi d’organisation de l’armée, et le budget de la guerre. Il me semble donc que la chambre pourrait charger la section centrale de lui présenter un rapport sur le budget de la guerre, non pas un rapport normal, mais un rapport pour l’année 1844.

M. Rodenbach. - Je pense que la proposition de l’honorable M. Dumortier ne peut pas être votée aujourd’hui. J’entends un de mes honorables collègues dire que la chambre n’est plus en nombre ; mais je ferai observer que plusieurs sections ont décidé qu’elles n’examineraient le budget de la guerre qu’après qu’elles auraient examiné la loi d’organisation de l’armée ; cette décision a été motivée sur cette considération, qu’on devait d’abord voter l’organisation, pour qu’on pût appliquer le chiffre. Ainsi, nous membres de la section centrale du budget de la guerre, nous avons été arrêtés dans nos travaux. On n’est donc pas fondé à dire que cette section centrale n’a pas rempli son devoir ; nous sommes prêts à le remplir, si l’on nous autorise à nous livrer à l’examen du budget de la guerre. Car, je le répète, des sections ont décidé que cet examen ne viendrait qu’après la discussion de la loi d’organisation de l’armée. Je demande donc qu’on décide si la section centrale du budget de la guerre doit présenter le rapport sur le budget de la guerre oui on non.

M. de Garcia. - Messieurs la chambre a pris une décision, quant à l’ordre dans lequel elle discuterait les diverses questions que l’organisation de l’armée doit soulever dans le cours de cette session. Faut-il revenir sur cette question ? Je ne le pense point. Je ne partage surtout pas l’opinion de l’honorable M. Dumortier, qui voudrait que, pour gagner du temps, on s’occupât d’abord du budget de la guerre. Cette proposition ne me paraît pas admissible. Si la loi d’organisation de l’armée était faite, le budget de ce département ne rencontrerait plus de contestations sérieuses ; il ne serait que la conséquence naturelle de cette organisation. Lorsqu’une loi aura déterminé quelle doit être la force armée du pays en temps de paix et en temps de guerre, le budget de ce département ira de lui-même, et ne rencontrera pas plus d’embarras ni de difficultés que celui de la justice. Jamais, dans nos discussions, l’on n’a attaqué les traitements des officiers et des soldats de l’armée ; son organisation seule a fait l’objet d’observations dignes de l’attention la plus sérieuse du pays. Dans cet état, je suis convaincu que si l’on changeait l’ordre de la discussion qui a été adopté par la chambre, loin de gagner du temps, comme l’espère l’honorable M. Dumortier, la chambre en perdrait beaucoup et n’atteindrait aucun résultat utile.

- La séance est levée à 4 heures et demie.