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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 mai 1844

(Moniteur belge n°145, du 24 mai 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à midi et un quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Grégoire Gauchin, capitaine de première classe au régiment d’élite, né à Paris, demande la grande naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les fabricants et débitants de tabac à Eecloo demandent le rejet du projet de loi sur les tabacs présenté par la section centrale. »

M. Lejeune. - Messieurs, le rapport de la section centrale sur le projet de loi sur le tabac, ayant été imprimé, je ne serais plus recevable à proposer le renvoi de cette pétition à la section centrale.

Je me borne donc à demander le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Les sieurs Cornélis, Van Cannaert d’Hamale et Capouillet, négociants en cuivre, prient la chambre de rejeter toute majoration de droits d’entrée sur le cuivre rouge en plaques et sur le cuivre rouge et jaune battu et laminé. »

- Sur la proposition de M. Scheyven, dépôt sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête commerciale.


Il est fait hommage à la chambre par M. Ch. d’Ans, secrétaire adjoint du cercle médico-chimique et pharmaceutique de Liége, de 25 exemplaires d’une lettre adressée à cette assemblée par le chevalier de Le Bidart de Thumaide, à propos d’un article publié par la Gazette médicale belge. »

- Distribution à MM. les membres de la chambre.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l'intérieur

Rapport de la section centrale

M. Savart-Martel, au nom de la section centrale, dépose le rapport sur un projet de loi accordant des crédits supplémentaires au département de l’intérieur.

Sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), la chambre met ce projet de loi à l’ordre du jour de samedi prochain, au commencement de la séance.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion des questions de principe

Pour les provenances transatlantiques, admettra-t-on pour certains produits et seulement en faveur du pavillon du pays d’entrepôt, une catégorie intermédiaire entre les lieux de production et les entrepôts européens ?

M. le président. - La discussion continue sur la quatrième question de principe, ainsi conçue :

« 4° Pour les provenances transatlantiques, admettra-t-on pour certains produits et seulement en faveur du pavillon du pays d’entrepôt, une catégorie intermédiaire entre les lieux de production et des entrepôts européens ?

M. Delfosse. - Messieurs, il est déplorable que la chambre s’occupe d’un projet de loi aussi important, en l’absence d’à peu près la moitié de ses membres, et en l’absence du rapporteur de la commission d’enquête, qui, dit-on, est malade. Hier on a adopté un principe d’une haute portée, on a adopté le principe de l’assimilation des navires des pays de production, par arrêté royal ; c’est là un principe qui est contraire au projet de la commission d’enquête ; eh bien, la commission, à cause de l’absence de l’honorable abbé de Foere, n’a pas trouvé un seul défenseur : les autres membres de la commission d’enquête ont gardé le silence ; ils ont en quelques sorte abandonné leur projet. Je suis bien convaincu que si M. le rapporteur avait été présent, il aurait défendu le principe de la commission avec beaucoup d’énergie. Je ne ferai pas de proposition, je sais qu’elle n’aurait pas de chance de succès ; mais je puis protester contre la marche qui est suivie. Tout ce qui se passe, prouve que nous avions raison de demander l’ajournement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je regrette infiniment l’absence de M. le rapporteur de la commission d’enquête, je la regrette surtout, parce qu’elle a pour cause une maladie ; mais je ne pense pas qu’il soit possible pour cela d’arrêter le cours de la discussion, et qu’il soit permis de qualifier de déplorables des décisions prises par la chambre dûment constituée. La question qui a été décidée hier, l’a été, il est vrai, sans discussion, mais on se rappellera que deux fois déjà il y a eu un débat entre M. le rapporteur et moi, une fois en comité secret et une seconde fois en séance publique. (C’est vrai !)

Messieurs, la décision qui a été prise hier, qu’on la qualifie de déplorable ou non, cette décision subsiste.

M. Delfosse. - C’est la marche suivie en cette circonstance, et non la décision prise hier, que j’ai qualifiée de déplorable.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette marche, on ne peut pas l’attribuer aux membres présents, ces membres remplissent leur devoir.

M. Cogels. - Messieurs, l’honorable M. Delfosse a paru étonné de ce qu’aucun membre de la commission d’enquête n’ait défendu l’ouvrage de cette commission. C’est une erreur. Dans le point qui a été décidé hier, la commission était d’accord avec le gouvernement. Seulement dans la rédaction de son projet, il y avait un vice : c’est qu’il donnait au gouvernement l’autorisation de conclure des traités de réciprocité, autorisation qui lui est conférée par la constitution ; on donnait à entendre, dans le projet, que le gouvernement serait dispensé, après cela, de soumettre à la sanction des chambres les traités à faire. Si on veut se donner la peine de lire l’article 2 du projet de la commission, on verra que son intention était d’autoriser le gouvernement à accorder l’assimilation, sans devoir en référer aux chambres. Il était beaucoup plus conforme à l’esprit de notre constitution d’accorder cette assimilation par arrêté royal.

M. Delfosse. - Comment l’honorable M. Cogels peut-il dire que la commission était d’accord sur ce point avec le gouvernement ? La commission proposait d’autoriser le gouvernement à conclure de traités, tandis que le gouvernement demandait le droit de prendre la mesure par arrêté royal. Si l’art. 2 du projet de la commission avait été adopté, les traités conclus par le gouvernement auraient dû être soumis au chambres, ainsi le veut la constitution. Je persiste à soutenir que la commission a abandonné hier son projet.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est que la commission voulait avant tout l’exclusion des entrepôts et les entrepôts sont restés exclus.

M. Delfosse. - C’était un autre point.

M. le président donne une nouvelle lecture de la quatrième question de principe. (Voir ci-dessus).

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j’ai exposé hier tous les faits qui se rattachent à la question des entrepôts transatlantiques. J’ai eu l’honneur de faire remarquer à la chambre qu’il s’agissait de trois genres d’entrepôts transatlantiques : entrepôts en-deçà du cap Horn et du cap de Bonne-Esperance (ports des Etats-Unis), entrepôts au-delà du cap Horn (port de Valparaiso), et enfin les ports au-delà du cap de Bonne-Esperance (entrepôt de Syngapour). On devrait procéder ainsi, par division, pour que la question soit mieux comprise, et que le jalon que nous posons maintenant soit encore mieux connu.

Je proposerai donc la division suivante :

« 1° Admettra-t-on une catégorie intermédiaire pour certains objets en faveur des entrepôts transatlantiques en-deçà du cap Horn et du cap de Bonne-Espérance ?

« 2° Admettra-t-on l’assimilation aux provenances des lieux de production pour certains objets d’au-delà du cap Horn ?

« 3° Admettra-t-on l’assimilation, aux provenances des lieux de production pour certains objets importés d’au-delà du cap de Bonne-Espérance ? »

Il n’y a rien là de nouveau, c’est seulement une rédaction plus claire.

M. le président. - Si personne ne s’oppose à la division proposée par M. le ministre de l'intérieur, je mets en délibération le paragraphe 1er.

M. Osy. - M. le ministre de l’intérieur, en nous expliquant hier ce qu’il entendait par les entrepôts des Etats-Unis, et par les ports situés au-delà du cap Horn et du cap de Bonne-Espérance nous a indiqué plusieurs articles.

Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur, s’il entend se restreindre à ces seuls objets, dans la loi, ou s’il entend que tous les produits transatlantiques, qui se trouveront dans ces entrepôts, pourront être introduits par assimilation.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais gré à l’honorable préopinant de me faire cette question, parce que j’ai encore une autre explication à donner. La catégorie intermédiaire et les deux cas d’assimilation ne s’appliqueraient qu’à des objets spécialement désignés. Voila la réponse que je puis faire à l’interpellation de l’honorable préopinant. Mais je dois dire une seconde objection, c’est qu’il n’y a encore rien de définitivement préjugé relativement à la base de ces objets. Nous pourrions dans la discussion du tarif biffer l’un ou l’autre tarif.

M. de Brouckere. - Il faudrait pourtant une règle générale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce que nous faisons en ce moment. Mais, je le répète, quand nous en serons aux articles, nous pourrons retreindre ou étendre la disposition. Il est plus probable qu’on la restreindra mais, dans tous les cas, il est bien entendu que cette disposition ne s’applique qu’à des objets désignés d’une manière formelle ; la désignation est donc limitative, comme on dit.

M. Rogier. - Messieurs, la première question a une grande importance. Pour bien comprendre tout ce qu’elle renferme, j’aurais besoin de quelques explications de M. le ministre de l’intérieur.

D’après les propositions du gouvernement, les marchandises venant des entrepôts transatlantiques seront frappés d’un droit différentiel intermédiaire entre celui des lieux de provenance et celui des entrepôts européens.

Mais ce droit intermédiaire sera-t-il seulement établi en faveur du pavillon national et en faveur du pavillon du pays d’entrepôt ? En d’autres termes, je demande si le pavillon danois-suédois important du café des entrepôts des Etats-Unis sera admis au droit intermédiaire ? Je demande, en outre, si l’assimilation du pavillon des Etats-Unis aura lieu de plein droit ou en vertu d’un arrêté royal et d’une déclaration du président des Etats-Unis. Lorsque le gouvernement aura satisfait à mes questions, je reprendrai la parole pour présenter des observations sur la portée de cet article.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, pour rendre la chose plus claire, prenons l’exemple du café. Nous créons une catégorie intermédiaire pour les pays transatlantiques autres que ceux de production, c’est-à-dire, que des entrepôts transatlantiques ; le pavillon national apportant du café paiera 11 fr. 50 c., le pavillon étranger paiera 13 fr. 50 c. Ici, il faut entendre par pavillon étranger le pavillon national du lieu d’entrepôt. Comme il s’agit des Etats-Unis, la deuxième catégorie s’appliquera au pavillon américain. Le pavillon américain qui importera des entrepôts américains du café brésilien, paiera 13 fr 50 c. Le pavillon suédois, le pavillon danois, le pavillon anglais qui irait dans les entrepôts des Etats-Unis prendre du café brésilien pour nous l’importer, paierait 13 fr. 50 c. La catégorie intermédiaire ne s’applique donc qu’au pavillon belge et au pavillon national du lieu d’entrepôt.

L’honorable préopinant a fait une autre question. Il a demandé de quelle manière se fera l’assimilation ? aura-t-elle lieu de plein droit ? Il n’y aura pas assimilation. Le pavillon américain important du café brésilien provenant des entrepôts des Etats-Unis paiera 13,50. Il n’est pas au pouvoir du gouvernement belge de soumettre ce café au droit de 11,50. Je prévois que l’honorable préopinant va exprimer ses inquiétudes sur ce point. Le statu quo n’est pas changé quant à l’Amérique. Je ne partage aucune des inquiétudes que d’honorables membres ont conçues.

Certainement que le gouvernement ne se propose pas d’assimiler l’importation par pavillon américain des entrepôts américains aux mêmes importations par pavillon belge. S’il juge à propos de traiter, il le fera et le traité sera soumis à la chambre. Le droit constitutionnel du gouvernement pour traiter reste intact.

M. Rogier. - D’après ce qui avait été dit dans les discussions antérieures, M. le ministre se proposait de demander le renouvellement du traité avec les Etats-Unis. Il me semble qu’il en avait fait la déclaration. Il a même annoncé que les Etats-Unis consentiraient à traiter sur les trois bases, dont l’une, celle des entrepôts, a été combattue par l’honorable M. de Foere. Si j’ai bien retenu, M. le ministre de l’intérieur a soutenu que la Belgique devait se réserver de traiter sur la triple base et que les Etats-Unis s’opposeraient même à tout traité qui ne reposerait pas sur la triple base.

D’après le traité qui a été soumis aux chambres, les marchandises sortant des entrepôts des Etats-Unis, étaient admises en Belgique sous le pavillon américain aux mêmes droits que les marchandises sortant de ces entrepôts sous pavillon belge. Il est certain que ce statu quo va être rompu par votre loi. Hier, M. le ministre a dit que c’était un fort mauvais moyen d’arriver à un traité que de rompre le statu quo. Cette partie de la discussion est très importante. Si nous n’admettons pas les marchandises d’entrepôt américain sous pavillon américain aux mêmes conditions que sous pavillon belge, voici ce qui arrivera :

Les Etats-Unis n’accepteront pas les marchandises d’entrepôt belge arrivant sous pavillon belge, aux mêmes conditions que les marchandises arrivant d’entrepôt belge sous pavillon américain. De cette manière, les marchandises de transit qui, quoi qu’on dise, doivent former la base principale de nos opérations commerciales vont se trouver frappées d’un droit de défaveur quand elles arriveront aux Etats-Unis sous pavillon belge. Les Etats-Unis importeront les marchandises d’entrepôt belge sous pavillon américain, ou bien ils iront chercher ces marchandises dans les entrepôts de Brême, de Hambourg, d’Amsterdam ou de Rotterdam, s’ils les y trouvent à des conditions plus avantageuses. Il y aura réciprocité de faveur ou de défaveur.

Notre législation doit avoir pour résultat d’encourager le transit Que serait ce que le commerce de la Belgique réduit aux objets de consommation ? que serait-ce qu’un commerce réduit aux objets de consommation de 4 millions d’habitants, en admettant même, comme on le dit, qu’ils consomment comme huit ? Ce n’est que par le transit que nous pouvons donnera notre commerce toute l’extension que nous désirons lui voir prendre. Par cette restriction il est évident que vous menacez fortement votre commerce de transit. Ce serait déjà une très grande restriction apportée au commerce de transit que de ne pas continuer le statu quo. Quel est l’état des choses aujourd’hui ? Les marchandises arrivant des entrepôts des Etats-Unis, le sucre, le café, sont admis aux mêmes droits que quand elles arrivent des lieux de production. Voilà l’état de choses actuel. Par une première restriction, la loi frapperait d’un droit différentiel la marchandise sortant d’un entrepôt du pays dont elle n’est pas originaire.

Il y aurait d’abord à examiner si ce droit différentiel ne devrait pas être le même pour tout les pavillons ; c’est-à-dire si les pavillons suédois anglais, belges apportant des marchandises d’entrepôt des Etats-Unis ne devraient pas être admis aux mêmes conditions.

On veut accorder faveur seulement au pavillon belge et au pavillon américain, mais avec un droit différentiel encore contre le pavillon américain et M. le ministre semble s’interdire, au moins il ne réclame pas la faculté d’admettre le pavillon américain aux mêmes conditions que le pavillon belge pour les marchandises d’entrepôt. Ces mesures sont restrictives du transit. On a souvent parlé de représailles, les représailles se présentent ici naturellement.

Les Etats-Unis vous diront : Vous ne recevez pas les marchandises d’entrepôt américain aux mêmes conditions par pavillon américain que par pavillon belge, nous n’acceptons pas vos marchandises d’entrepôt, c’est-à-dire les marchandises de l’Allemagne passant par la Belgique, aux mêmes conditions par pavillon belge que par pavillon américain. Voila le pavillon belge frappé d’une surtaxe en Amérique quand il importera les marchandises d’entrepôt.

Il importe à l’armateur de pouvoir compléter sa cargaison au moyen des marchandises venant de la Suisse, de l’Allemagne et passant par la Belgique. Les droits différentiels auxquels ces marchandises seraient soumises tomberaient sur le pavillon belge qui ne pourrait plus avoir le moyen de compléter un chargement. Il a déjà de la peine à lutter. Par la mesure de réciprocité qui serait prise, le pavillon belge serait exclu du commerce américain. Ce n’est pas là le résultat que M. le ministre voudrait atteindre.

Il me semble que l’opinion qu’il a soutenue était contraire à celle de l’honorable M. de Foere.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.

M. Rogier. - Vous êtes donc d’accord avec M. de Foere ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non. J’expliquerai la chose à ma manière.

M. Rogier. - Dans tous les cas, j’appellerai l’attention de la chambre sur une question de principe d’une grande importance d’une haute portée. Il s’agit de savoir si vous voulez restreindre votre commerce de transit, risquer même de vous en déposséder au profit des ports de Brême, d’Hambourg ou de Hollande.

Remarquez que dans les ports de Brême, de Hambourg et de Hollande, qui nous font concurrence pour le transit vers l’Allemagne, les marchandises venant des pays transatlantiques soit admises à un droit égal, quel que soit le pavillon qui les importe. Réciproquement les Etats-Unis admettent à leur consommation les marchandises des entrepôts européens, quel que soit le pavillon qui les importe. Si vous frappez d’un droit différentiel le pavillon américain, l’Amérique frappera d’un droit différentiel le pavillon belge apportant des marchandises d’entrepôt, sans lesquelles un armateur ne peut souvent compléter sa cargaison.

Nous avons fait des sacrifices immenses pour favoriser notre commerce de transit. Mettons notre législation en harmonie avec ce commerce.

Il y a quelque temps que nous avons vu apparaître dans le Moniteur un projet établissant un régime très libéral d’entrepôt ; il émanait de l’administration des finances. Que l’administration soit donc conséquente avec ces principes.

D’après le projet de loi, le café venant d’un entrepôt des Etats-Unis sous pavillon étranger, autre que le pavillon américain, sera frappé d’un droit différentiel de 4 fr. 50 c. S’il arrive sous pavillon américain, il sera frappé d’un droit de 2 fr. Les Etats-Unis d’Amérique pourront également frapper nos importations d’un droit différentiel égal ou plus élevé peut-être. Les marchandises d’origine allemande, suisse, française, ne vont-elles pas dès lors se détourner de nos entrepôts ?

Et que deviendra le commerce de transit ?

Nous avons plus d’objets à exporter aux Etats-Unis par le transit, que les Etats-Unis n’en ont à nous importer par le transit ; car on s’effraye à tort des importations en Belgique venant des entrepôts des Etats-Unis. Ces importations ont été en 1843, pour le commerce général : en café de 187,000 kil , en sucre de 86,000. Ce n’est donc pas contre des importations pareilles qu’il faut s’armer de dispositions exagérées.

Si les Etats-Unis viennent à frapper nos marchandises d’entrepôt d’un droit équivalent ou supérieur à celui dont nous les frappons, notre perte sera plus considérable ; car les marchandises que nous envoyons et surtout que nous pouvons y envoyer sont autrement variées, autrement considérables que celles que les Etats-Unis nous envoient.

Remarquez que lorsqu’il nous vient des Etats-Unis du sucre ou du café, c’est souvent parce que l’armateur trouve de l’avantage à les y prendre pour compléter un chargement de coton ou de tabac. Aussi ne nous en vient-il que des quantités minimes.

Pour empêcher ces quantités insignifiantes d’arriver en Belgique, il faut se garder de compromettre tout le transit de la Belgique. Les Etats-Unis pourraient frapper de droits différentiels très élevés les importations de nos entrepôts.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est inexact.

M. Rogier. - Est-ce que M. le ministre de l’intérieur se rend garant des intentions du président des Etats-Unis ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si l’on ne provoque pas de représailles.

M. Rogier. - Votre loi les provoque, puisque le pavillon américain n’est plus admis aux mêmes conditions.

Je sais que le président des Etats-Unis appartient à cette école de théoriciens, qui considèrent les droits modérés comme une des conditions d’un bon gouvernement et de la prospérité publique. Je sais que, dans une proclamation de l’année dernière, cet homme d’Etat s’est prononcé pour un système de droits modérés. Mais enfin il agira probablement vis-à-vis de la Belgique comme la Belgique aura agi vis-à-vis des Etats-Unis.

Voilà donc un article où je trouve que le gouvernement se laisse entraîner trop loin, et où je tâcherai de l’arrêter.

J’avais compris qu’il avait un système contraire à celui de M. le rapporteur de la commission d’enquête.

J’attendrai les explications de M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je croyais m’être clairement expliqué à plusieurs reprises, dans le comité secret, dans la première séance publique et dans la séance d’hier. L’honorable membre confond toujours deux choses : ce qui se fait par proclamation et ce qui se fait par traité. Je me suis servi du mot proclamation, que nous avons trouvé dans un acte du congrès américain, mot qui exprime l’idée d’un acte du pouvoir exécutif, qui n’exige, d’une part, aucune négociation, qui n’est que la constatation d’un fait, et, d’autre part, qui n’exige pas un référé au pouvoir législatif.

Nous vous avons demandé le pouvoir d’établir la réciprocité par proclamation, pour deux objets ; en premier lieu les objets du sol et en second lieu les objets de l’industrie. C’est tout ce que nous vous demandons à faire par simple proclamation.

Reste un troisième genre d’objets : les importations d’entrepôt. Ici, nous ne demandons pas le même droit. Mais le droit constitutionnel du gouvernement reste intact : il négociera, on ne négociera pas pour ce troisième objet, avec les Etats-Unis d’Amérique, suivant que les intérêts du pays et les circonstances lui paraîtront l’exiger.

Je prie l’honorable M. Rogier d’être convaincu que j’ai examiné cette question avec l’attention la plus suivie, et que je ne crains pas de m’aventurer en ce moment.

Je partage jusqu’à un certain point l’opinion de l’honorable préopinant que l’on pourrait accepter, dans beaucoup de cas, la réciprocité pour l’importation des entrepôts, entre autres, quant aux Etats-Unis d’Amérique. Mais je ne le demande pas, parce que je ne veux pas jeter au milieu de cette question si difficile une autre question aussi difficile, et parce que nous avons des ressources vis-à-vis des Etats-Unis pour obtenir, au moins temporairement, l’admission des produits de nos entrepôts. J’ai assez indiqué cela hier. Je regrette que l’honorable préopinant n’ait pas saisi ma pensée. Nous altérons, dit l’honorable préopinant, le statu quo par rapport aux Etats-Unis.

Il est vrai qu’il y a altération du statu quo ; mais elle est tout à l’avantage des Etats-Unis. On améliorera leur position. Les Etats-Unis ne jouissent pas en ce moment de la réciprocité complète ; nous ne leur avons donné que la remise de la surtaxe de navigation, et de plus, le remboursement du droit sur l’Escaut ; ils ne jouissent pas de la remise de la surtaxe de douane, c’est-à-dire qu’ils payent les 10 p. c. Lorsque la loi sera promulguée, ils jouiront de la remise sur presque tous les objets qu’ils nous importent ; car les Etats-Unis (l’honorable préopinant l’a reconnu) ne nous importent, en général, que des matières premières, et, à peu d’exceptions prés, des produits de leur sol et de leur industrie. Pour ces produits, ils seront dégrevés par le tarif nouveau de la surtaxe de 10 p. c. C’est ainsi que, pour le coton, l’Amérique, au lieu de payer 1 fr. 70 c. qu’elle paye en ce moment, payera un centime.

Je prétends que cet avantage est tel que nous obtiendrons sans nul doute que la réciprocité pour nous s’étende tout au moins à ceux des produits de nos entrepôts, qui rentrent dans la réserve faite par l’article de la législation américaine que j’ai lu hier. Evidemment, tout au moins pour les produits de l’Allemagne et de la Suisse, nous sommes placés, comme voie d’écoulement, dans les conditions de cette législation.

Je regrette d’être obligé d’exposer un plan de négociation que j’avais suffisamment indique hier.

Voici donc notre position vis-à-vis des Etats-Unis d’Amérique : les importations consistent presque toutes en produits du sol et de l’industrie des Etats-Unis. Ces importations, à l’avenir, seront dégrevées de 10 p. c. et de plus, les droits d’entrée seront, à peu d’exceptions près, complètement annihilés ; il en sera ainsi pour le coton, pour la potasse, pour les résines, etc.

En outre, nous maintiendrons en faveur de la marine des Etats-Unis le remboursement du péage sur l’Escaut, remboursement extrêmement avantageux pour la marine américaine.

Nous demanderons en retour, non pas la réciprocité de droit (parce que tel n’est pas notre système de négociations) mais plus ; c’est-à-dire que nous soutenons que si, en retour de la remise de la surtaxe de 10 p. c. sur les produits du sol et de l’industrie et du remboursement du péage sur l’Escaut, si, en retour de ces deux avantages, les Etats-Unis ne nous donnaient que la réciprocité de la remise des surtaxes sur les produits de notre sol et de notre industrie (nous n’importons pas beaucoup), ils ne nous accorderaient pas assez et nous demanderons en outre qu’il nous soit fait, tout au moins, application de la réserve que je vous ai fait connaître hier.

Je crois que ce plan de négociation peut réussir. Je désire que les discussions de cette chambre ne compromettent pas cette négociation. Je dis ceci sans vouloir le moins du monde blesser l’honorable préopinant ; mais tout cela se trouve dans mon discours d’hier.

Si nous ne réussissons pas, il nous restera encore la chance de traiter pour la question réservée des entrepôts, et je suis bien convaincu que, dans l’intervalle, les Américains ne changeront pas le statu quo.

M. Smits. - Pourquoi ne pas demander le droit d’assimilation ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne demande pas l’assimilation, parce que je ne veux pas ajouter cette question aux questions déjà nombreuses que nous avons à traiter.

Je le répète, je crois que ce plan peut réussir ; s’il ne réussit pas, il nous restera le droit constitutionnel, si les circonstances l’exigeaient, de demander par traité la réciprocité pour les produits des entrepôts. Ce traité serait soumis à la chambre, et, en attendant, les Etats-Unis maintiendraient l’état de choses actuel, attendu que les changements qu’on fait à la législation sont tout à leur avantage, et qu’ils ont encore plus que nous intérêt à maintenir de bons rapports de commerce entre les deux pays.

M. Cogels. - Messieurs, vous vous rappellerez que le motif principal qui a fait ajourner la discussion du traité conclu avec les Etats-Unis, traité qui est devenu nul maintenant, c’est la question qui nous occupe et qui rencontrait dans une grande partie de la chambre, et surtout parmi quelques membres de la commission d’enquête, beaucoup d’opposition.

Quant à moi, je n’ai jamais attaché à cette question l’importance qu’on lui donnait. J’ai toujours insisté même pour que l’on passât outre à la discussion du traité avec les Etats-Unis, parce que je le regardais comme très favorable, et que j’aurais été fort heureux de nous voir assurer d’une manière un peu stable tous les avantages qu’il nous garantissait.

Les importations des entrepôts, ou pour mieux dire des magasins des Etats-Unis (car il n’y a pas d’entrepôt proprement dit aux Etats-Unis), les importations des produits étrangers au sol ou à l’industrie des Etats-Unis n’ont lieu que dans des cas exceptionnels. Ce qui nous avait effrayés un peu, c’est qu’à la suite de la crise de 1837, qui avait forcé les Etats-Unis à faire argent de tout ce qu’ils avaient sous la main, les importations de ce pays en produits étrangers à leur sol avaient été un peu plus considérables. Mais depuis lors, elles sont devenues insignifiantes, et c’est parce qu’elles sont devenues insignifiantes, que les Etats-Unis probablement n’y tiendront pas et ne dérogeront pas, vis-à- vis de la Belgique, à un système qui est généralement adopté par eux : c’est celui d’admettre comme produits du sol ou de l’industrie d’un pays les produits de tous les pays du continent qui se trouvent placés derrière lui, et qui doivent nécessairement faire usage de son territoire pour l’écoulement de leurs produits vers les régions transatlantiques.

La Belgique sera placée du reste en ce cas vis-à-vis des Etats-Unis dans la même position où se trouve l’Angleterre. L’Angleterre, autrefois, avait des mesures extrêmement restrictives, c’est-à-dire qu’elle n’admettait les produits transatlantiques que par ses propres navires ; cite n’admettait pas même, par les navires américains, les produits des Etats-Unis.

Les Etats-Unis ont frappé alors les produits anglais d’une surtaxe de 10 p. c. et la navigation d’une surcharge d’un dollar par tonneau ; et c’est pour faire cesser cet état de choses que l’Angleterre à conclu enfin le traité de réciprocité de 1815 avec les Etats-Unis, par lequel il y a une assimilation parfaite entre la navigation des deux nations, mais seulement pour le produits de leur sol et de leur industrie. Les articles d’entrepôt n’y sont pas compris non plus ; l’Angleterre les a seulement étendus à sa propre navigation, non pas pour les Etats-Unis, mais seulement pour les régions de l’Amérique du Sud. Je ne crois donc pas qu’effectivement nous courrions de grands dangers d’adopter la proposition du gouvernement ; et si l’on devait discuter la question des entrepôts transatlantiques, que je voudrais voir cependant résoudre finalement dans le sens indiqué par l’honorable M. Rogier, cela pourrait peut-être apporter de grandes entraves à la solution de la question en général.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il faut toujours s’attacher aux faits. En 1842, les Etats-Unis d’Amérique ont importé en Belgique pour 21,500,000 fr. de produits (page 43 du tableau général). Sur ces 21,500,000 fr. de produits, il y avait pour 19,753,263 fr. de matières premières, produits du sol des Etats-Unis. Comment ces 19,753,263 fr. d’importations américaines ont-elles été traitées ? Elles ont payé les 10 pour cent. Eh bien ! elles vont être dégrevées de ces 10 pour cent. N’est-ce pas là un bienfait en quelque sorte de la nouvelle législation que nous allons adopter à l’égard des Etats-Unis ?

Je ne parle pas, messieurs, de tous les autres avantages. Je veux seulement dissiper les inquiétudes que l’on exprime ici.

Je sais que sur 21,500,000 fr. d’importations des Etats-Unis, il y a pour près de 20 millions de produits du sol et de l’industrie ; et ces 20 millions, on ne saurait trop le répéter, et surtout on ne saurait assez le répéter au gouvernement des Etats-Unis, ont supporté 10 pour cent de plus que les importations par navires belges. Il y aura remise de ces 10 pour cent.

Nous allons même beaucoup plus loin : Il ne s’agit plus d’une remise de 10 p. c. ; il s’agit de droits différentiels beaucoup plus élevés, et par conséquent de remises bien autrement importantes, puisque de fait, par exemple, pour les articles déjà cités, nous annihilons complètement les droits d’entrée, et pour le pavillon américain et pour le pavillon belge.

Je conçois, par exemple, que la remise de la surtaxe sur le coton frappé d’un droit de 1 fr. 70 c., et qui, par conséquent, ne s’élevait qu’à 17 centimes, n’était pas très considérable ; mais elle est considérable pour beaucoup d’autres articles frappes de droits plus élevés, et de plus, comme on vient de le dire, pour d’autres, ce n’est plus une simple remise de 10 p. c., c’est une suppression complète du droit. De sorte qu’il a réellement changement dans le statu quo, mais changement au profit des Etats-Unis, la presque totalité de leurs importations en Belgique devant désormais être affranchie de toute surtaxe et même de tout droit.

L’honorable M. Rogier me demandait tout à l’heure : Que feriez-vous si les Etats-Unis vous frappaient ? Ce que nous aurions à faire est extrêmement simple ; je crois que nous l’avons déjà fait une fois en premier lieu. Nous ne rembourserions plus le péage sur l’Escaut, et en second lieu, nous cesserions d’assimiler leurs navires aux nôtres pour les droits de navigation ; et en troisième lieu nous avons une arme nouvelle, les produis américains paieraient les surtaxes sur des importations de 20 millions.

Je crois, messieurs, que le gouvernement, des Etats-Unis nous saura gré de la nouvelle législation et je suis sans inquiétude par rapport à ce pays.

Voilà les faits dans leur réalité ; et je le répète, si tout à l’heure un mot de moi a blessé l’honorable M. Rogier, c’est contre mon intention.

M. Rogier. - Je n’ai rien vu de blessant dans ce qu’a dit tout à l’heure l’honorable ministre de l’intérieur ; car s’il y avait eu quelque chose de blessant dans son discours, c’est contre lui-même qu’il aurait parlé. M. le ministre nous a rappelé, en effet, qu’il avait exposé dans la séance d’hier son système de négociation.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pas aussi clairement.

M. Rogier. - Par conséquent, ce qu’on pourrait dire aujourd’hui ne serait pas de nature à compromettre ce système de négociation. Je ne saurais croire que M. le ministre chercherait à excuser un échec éventuel dans ses négociations, en l’attribuant, à des paroles qui seraient échappées à un membre de cette assemblée.

Messieurs, il paraît que l’on veut réserver la question de transit pour un traité particulier. Si cela est, je trouve qu’on a recours à un moyen étrange pour entamer des négociations. M. le ministre de l’intérieur vient de nous dire qu’il n’y a rien à craindre des Etats-Unis ; car la loi actuelle leur procure d’immenses avantages. Les Etats-Unis vont être dégrevés de la surtaxe de 10 p. c. qu’ils ont payée sur les 20 millions de produits qu’ils ont importés en Belgique. Il me semble, messieurs, que si l’on veut amener les Etats-Unis à faire un traité qui nous soit favorable, on ne devrait pas commencer par leur accorder d’aussi grands avantages sans compensation.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce qu’on ne fera pas non plus.

M. Rogier. - Je prie M. le ministre de l’intérieur de se rappeler ce qu’il nous a dit hier ; il nous a dit que le lendemain de la promulgation de la loi il y aurait une déclaration du gouvernement qui assimilerait le pavillon des Etats-Unis au pavillon belge, quant aux produits du sol et de l’industrie. Il ne s’agissait nullement hier de négocier avant de faire la déclaration. Si on réservait les grands avantages dont on vient de parler pour arrivera un traité, je n’aurais plus rien à dire. Mais d’après ce qui avait été dit et, d’après ce qui vient d’être dit encore, il ne s’agirait de traiter avec les Etats-Unis que sur la base des entrepôts.

Or il résulte des chiffres et des faits que M. le ministre vient de nous rappeler (et je suis aussi partisan des faits) que les Etats-Unis sont grandement intéressés dans leurs relations avec la Belgique, quant à leurs produits nationaux, mais que pour les entrepôts, ils ne le sont que faiblement puisque sur 221 millions, leurs marchandises d’entrepôt ne figureraient que pour 2 millions.

Aussi l’intérêt des Etats-Unis me paraît bien moindre dans la question des entrepôts que l’intérêt de la Belgique. Ce n’est qu’accidentellement que les Etats-Unis transitent des marchandises vers la Belgique, tandis que le transit de la Belgique vers les Etats-Unis doit constituer une très grande part de ses opérations commerciales transatlantiques. Si cela n’était pas vrai, il ne fallait pas faire votre chemin de fer. Il ne fallait pas faire de grands sacrifices pécuniaires vis-à-vis de la Hollande pour affranchir les eaux intérieures ; il ne fallait pas réduire vos péages, il ne fallait même pas rembourser le péage de l’Escaut.

En résumé, que veut M. le ministre de l’intérieur ? Veut-il simplement faire un traité sur la base des entrepôts ? Mais pourquoi réserver pour un traité spécial cette question d’un intérêt relativement insignifiant pour les Etats-Unis ?

Y a-t-il quelque raison particulière pour en agir ainsi ? S’il en existe, qu’on ne puisse communiquer en séance publique, eh bien, qu’on demande un comité général, et qu’on nous y expose la politique commerciale qu’on veut suivre. Mais, franchement, je ne vois pas quelle raison d’Etat pourrait empêcher de poser dès maintenant vis-à-vis des Etats Unis la réciprocité d’entrepôts, comme nous avons posé la réciprocité de provenance.

M. le ministre de l’intérieur, et après lui l’honorable M. Cogels, se sont portés caution, vis-à-vis de la Belgique, que les Etats-Unis ne prendraient pas des mesures de représailles, quant aux marchandises sortant d’entrepôts belges ; je le désire ainsi ; mais l’on sait que la législation américaine donne au gouvernement le moyen de frapper de représailles le pavillon du pays où le pavillon américain n’est pas favorablement traité ; les Etats-Unis ont usé de ce moyen à diverses reprises, et assez récemment encore vis-à-vis du pavillon de la Belgique. Une pareille mesure pourrait avoir les conséquences les plus graves. Si vous détourniez le transit de la Belgique pour un an seulement, vous entraîneriez des pertes difficiles à réparer. Il faut, au contraire, par tous les moyens, et le plus tôt possible, attirer le transit en Belgique. Le chemin de fer est achevé. L’on a attendu avec impatience l’achèvement de cette voie de transit ; favorisons donc, par notre législation internationale, le transit ; n’y mettons pas des entraves par nous-mêmes ; ne nous exposons pas à ce que les nations transatlantiques aillent chercher dans les ports rivaux les marchandises qui doivent transiter par notre pays.

Le gouvernement peut-il donner à la chambre l’assurance que les Etats-Unis continueront à recevoir les marchandises transitées par la Belgique aux mêmes conditions que les marchandises venant des entrepôts de Hollande ou d’Allemagne ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant nous demande si nous avons la certitude que le gouvernement américain ne se croira pas autorisé à user de représailles contre nous, et notamment à frapper les importations de nos entrepôts ? Je crois pouvoir répondre : Rien n’est plus improbable que cette conduite des Etats-Unis, et j’ai le passé pour garant de l’avenir. J’ai dit tout à l’heure qu’il est un fait dont on ne tient pas compte, c’est que les Etats-Unis ne sont pas en ce moment affranchis de toute surtaxe en Belgique : ils sont frappés de la surtaxe des 10 p. c. ; ils ne le sont pas pour quelques objets insignifiants, ils le sont pour la presque totalité de leurs importations : 20 millions à peu près sur 21,500,000 fr. Les Etats-Unis n’ont pas pense cependant qu’ils devraient user de représailles envers nous ; le fait leur est connu ; les Etats-Unis sont frappés en Belgique d’un droit différentiel, et nous ne le sommes pas chez eux ; et pourquoi ne le sommes-nous, pas ? Pour une raison bien simple ; c’est qu’aux Etats-Unis, on n’a pas cette doctrine de la réciprocité de droit, on tient compte de la réciprocité de fait : ce que les hommes positifs doivent toujours faire, et ne pas s’arrêter à une vague et abstraite réciprocité de droit.

Qu’est-ce que le président des Etats-Unis aura à examiner, quand ce nouvel état de choses lui sera connu ? Il examinera si de fait les Etats-Unis perdent ou gagnent au changement survenu dans le statu quo, mais rien ne sera plus facile que de démontrer au président des Etats-Unis, que le changement est tout à l’avantage des Etats-Unis. On lui dira : Vous importez en Belgique, sur 21 millions et demi de produits, pour 20 millions de produits de votre sol et de votre industrie, lesquels étaient frappés de 10 p. c. Eh bien, ces 10 p. c. viennent à disparaître. Le président ne tardera pas à trouver qu’il y a réciprocité de fait, bien au-delà même de ce qu’il peut demander.

Voyons nos importations et nos exportations par rapport à l’Amérique. L’Amérique importe chez nous pour 21 millions 500,000 fr. et sur ces 21 millions 500,000 fr., 20 millions de matières premières vont être dégrevés de 10 p. c.

Un membre. - C’est nous qui payons ces 10 p. c.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est évident que ce sont les Etats-Unis qui paient ces 10 p. c. Je sais parfaitement bien que, d’après les principes de l’économie politique, on peut prouver qu’en définitive ces 10 p. c. tombent à la charge des consommateurs ; mais là n’est pas la question.

Voyous maintenant nos exportations aux Etats-Unis. Nous exportons en Amérique (commerce spécial) pour deux millions : ce sont des produits de notre sol et de notre industrie ; le commerce général s’élève, par navire belge, à 2,300,000 fr. En présence d’une importation de produits belges aussi minime, les Etats-Unis croiront-ils que la réciprocité de fait n’existe plus à leur profit ?

L’honorable préopinant confond toujours deux choses : ce que nous ferons par proclamation, et ce que nous ferons peut-être en désespoir de cause, par traité. Si les Etats-Unis nous refusaient l’admission des produits de notre transit, alors nous ouvririons probablement une négociation pour arriver à un traité formel ; mais je crois que nous n’en viendrons pas là ; nous obtiendrons ce que veut l’honorable préopinant à raison des avantages que nous faisons aux Etats-Unis, nous l’obtiendrons sans devoir recourir à un traité ; nous ne recourrons à un traité, je le répète, qu’en désespoir de cause. En attendant, l’arrêté dont a parlé l’honorable préopinant paraîtra. Je crois que la proclamation faite conditionnellement ne sera pas repoussée par le gouvernement des Etats-Unis, on acceptera les conditions ; si on les repoussait, j’ai déjà fait connaître les ressources de notre position ; nous pourrions suspendre le remboursement du péages de l’Escaut, suspendre toutes les remises, et laisser retomber sur les produits du sol et de l’industrie américaine toutes les surtaxes nouvelles.

M. Cogels. - Messieurs, je n’ai nullement entendu me porter caution, ni des intentions du gouvernement belge, ni de celles du président des Etats-Unis ; c’eût été de ma part un acte fort présomptueux, et certes je ne m’y serais pas aventurer. Mais j’ai parlé des probabilités, et j’ai parlé de l’intérêt qu’avaient les Etats-Unis à agir ainsi que nous sommes autorisés à prévoir qu’ils agiront. J’ajouterai deux mots : c’est que nous accorderons maintenant aux Etats-Unis un avantage dont ils ne jouissaient pas auparavant. Le pavillon des Etats-Unis obtiendra une faveur sur le pavillon suédois, sur le pavillon du Nord qui à présent est admis dans nos ports aux mêmes conditions que le pavillon américain, et qui lui fait une certaine concurrence. Cette faveur n’est pas insignifiante.

M. Pirmez. - Messieurs, je viens d’entendre dire qu’on se proposerait de faire entrer dans les traités la question du remboursement du péage de l’Escaut. Il me paraît qu’il y aurait assez de danger à faire entrer le remboursement de l’Escaut dans les traités. Les idées sont changées du tout au tout, depuis que nous avons voté le remboursement de l’Escaut. Le remboursement de l’Escaut est bien l’idée la plus anti-différentielle qui puisse jamais exister. Nous payons, quant à l’Escaut, une espèce de tribut à la Hollande. Or, sous l’influence d’idées toutes différentes de celles qui dominent aujourd’hui, nous avons consenti à rembourser le péage même aux sujets de la puissance à laquelle nous payons le tribut ; nous avons consenti à favoriser l’entrée de tous les navires du monde dans le port d’Anvers, au moyen du remboursement du péage de l’Escaut. Et maintenant, je le répète, après avoir posé l’acte le plus anti-différentiel qu’un peuple puisse faire, nous sommes aujourd’hui dans des idées toutes contraires. Il sera vraiment curieux de voir par quels sophismes on viendra prouver que les droits différentiels ne sont pas une contradiction avec le remboursement du péage de l’Escaut.

Sans doute nous modifierons encore nos idées davantage ; il ne faut pas nous mettre dans l’impossibilité de revenir sur ce que nous avons fait et de dégrever le contribuable, qui n’a été chargé de ce remboursement que pour atteindre un but que vous repoussez aujourd’hui. Ce que vous faites aujourd’hui est justement le contraire de ce que vous faisiez alors. Je pense que nous ne devrions pas faire entrer ce remboursement du péage de l’Escaut dans les traités ; car, quand les traités seront faits il vous sera plus difficile d’abolir ce remboursement de péage que maintenant que nous sommes libres.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est une nouvelle question qu’on veut introduire dans cette discussion déjà si compliquée. Je dirai que je ne regarde pas la mesure prise pour le remboursement du péage de l’Escaut, comme étant en principe contraire au système des droits différentiels. Si la question était l’objet d’un débat, il me serait facile de prouver ce que j’avance.

Il s’est agi de faire d’Anvers un véritable port de mer. Si le remboursement du péage sur l’Escaut n’existe pas, Anvers n’est plus un port de mer véritable, c’est un port intérieur.

Il me suffit de faire cette observation comme réserve dans l’avenir. Quand la question se présentera, je dirai que je ne suis pas d’avis que le remboursement doive être accordé sans condition à toutes les nations indistinctement. Je crois que, quand on peut obtenir un avantage en retour, on fait bien de le demander et de l’accepter. C’est ainsi qu’on a obtenu des conditions favorables du Hanovre, du Danemarck et même de la Suède. On a suspendu le paiement de la restitution du droit sur l’Escaut, et le Hanovre s’est empressé de faire un traité avec la Belgique. Je crois qu’on ne s’exposerait à aucun reproche de la part de la chambre si on demandait aux Etats-Unis un avantage en retour du remboursement du péage sur l’Escaut.

Cet avantage consisterait dans l’admission des produits des pays limitrophes de la Belgique, qui, habituellement, naturellement, empruntent le passage par la Belgique. Voilà l’avantage que nous sommes fondés à demander en présence de la législation américaine même, et que je crois que nous obtiendrons sans aucune difficulté.

Que deviendront les stipulations, si la loi du remboursement du péage sur l’Escaut est révoquée ? Les engagements pris tomberaient. Le gouvernement ne traitera qu’avec les pouvoirs dont il sera investi. Le pouvoir législatif reste libre et intact en Belgique.

M. Rodenbach. - J’ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l’honorable M. Pirmez. A la fin de la loi, nous devrons examiner si nous devons continuer à rembourser le droit sur l’Escaut ; car c’est là un droit différentiel. Actuellement nous remboursons le péage sur l’Escaut même aux nations qui ne nous reçoivent pas sur un pied favorable. Je pense qu’il y a là duperie. Le remboursement du péage sur l’Escaut doit servir pour établir les droits différentiels. Cette question, je me propose de la soulever à la fin de la discussion. J’y reviendrai quand le moment opportun sera venu. Nous devons savoir à qui nous remboursons le péage sur l’Escaut.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce remboursement doit nous servir comme moyen de négociation. On n’a peut-être pas assez usé de ce moyen.

M. Pirmez. - Ce moyen de négociation, c’est le contribuable qui vous le donne. Si on veut de semblables moyens de négociations, il est facile de se les procurer en établissant des contributions.

J’espère qu’on discutera cette question ; nous verrons comment Anvers est un port de mer quand ou rembourse le péage de l’Escaut, et cesse de l’être quand on ne rembourse pas ce péage. Anvers est située à 15 ou 20 lieues de la mer ; pour y arriver, il faut donner à la Hollande une certaine somme par tonneau ; si le remboursement n’avait pas lieu, ce seraient les autres nations qui le paieraient. Je ne comprends pas comment c’est ce remboursement qui fait qu’Anvers est ou n’est pas un port de mer.

Jusqu’à présent il est certain que nous disons et faisons tout le contraire de ce que nous avons dit et fait quand il s’est agi du remboursement de l’Escaut. J’ai appuyé le remboursement, mais c’était dans des idées anti-différentielles, c’est-à-dire contraires à celles qui dominent aujourd’hui. Maintenir aujourd’hui ce remboursement, soutenir la même chose dans un autre ordre d’idées, serait dire blanc et noir en même temps.

Je pense que M. le ministre, en se prononçant pour le remboursement du péage de l’Escaut, s’est exprimé de la même manière que moi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai jamais repoussé l’idée qu’on pourrait stipuler des avantages en retour du remboursement du péage sur l’Escaut.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable préopinant demande comment Anvers cesserait d’être un port de mer si on ne remboursait plus le péage sur l’Escaut. Voici pourquoi : c’est qu’il y a cette différence entre le péage sur l’Escaut et le droit différentiel, le droit différentiel ne porte que sur les objets de consommation, tandis que le péage sur l’Escaut porte et sur les objets de consommation et sur le commerce d’entrepôt, sur tout ce qui n’est pas consommé en Belgique. Certains objets ne pourraient pas entrer dans le commerce belge s’ils devaient supporter le péage établi sur l’Escaut ; ces objets prendraient une autre direction. C’est dans l’intérêt du commerce belge qu’on rembourse le péage sur l’Escaut.

M. de Brouckere. - Il faut convenir que la discussion soulevée par l’honorable M. Pirmez est très intéressante, mais aussi qu’elle est sans opportunité. Nous pourrons nous en occuper ultérieurement. M. le ministre n’avait pas donné lieu à cette discussion, car il savait bien que le gouvernement ne peut faire aucun traité sans les chambres. Le gouvernement ne peut s’engager envers les puissances étrangères que conformément aux pouvoirs qu’il a entre les mains. Il dépendra toujours du pouvoir législatif de révoquer la loi relative au remboursement de l’Escaut.

Maintenant je dois faire une observation en réponse à l’honorable M. Rodenbach, c’est que la loi relative au remboursement du péage donne au gouvernement le droit de suspendre ce remboursement vis-à-vis de chaque nation qui prend des mesures contraires à l’intérêt de la Belgique. Le gouvernement a déjà usé de ce droit, il a suspendu le remboursement du péage de l’Escaut vis-à-vis du Hanovre et des Etats-Unis, qui un instant avaient pris des mesures tout à fait contraires à l’intérêt de la Belgique. Qu’ont fait les Etats-Unis ? Ils sont revenus de cette mesure et ils remboursent les droits qui avaient été perçus ; de son côté le gouvernement a rétabli les Etats-Unis dans la position des autres nations, c’est-à-dire qu’il a remboursé les péages de l’Escaut aux navires des Etats-Unis comme à ceux des autres nations.

M. Smits. - J’ai demande la parole pour faire une observation à l’honorable M. Pirmez, qui n’est pas grand partisan des droits différentiels. Je lui dirai que ne pas rembourser le péage sur l’Escaut, c’était établir un droit différentiel au profit d’Ostende, c’était mettre Anvers hors du droit commun.

M. Delfosse. - Je ferai observer à l’honorable M. Smits que, si le remboursement du péage de l’Escaut n’avait pas été décidé, on aurait pu prendre des mesures pour assimiler le port d’Ostende à celui d’Anvers.

L’honorable M. Pirmez a parfaitement démontré que le remboursement du péage de l’Escaut est une mesure opposée au système de droits différentiels. Pour les droits différentiels, on fait une distinction entre les navires belges et les navires étrangers par le remboursement du péage, on assimile tous les navires. Il est évident qu’il y a là deux idées qui se heurtent.

On prétend que, si le péage de l’Escaut n’était pas remboursé, Anvers cesserait d’être un port de mer. Je ne vois pas pourquoi Anvers cesserait d’être un port de mer parce que le péage de l’Escaut ne serait pas remboursé. Le gouvernement peut, d’après la loi, suspendre le remboursement à l’égard des puissances qui prendraient des mesures contraires aux intérêts de la Belgique. Je suppose que le gouvernement use de ce droit contre plusieurs puissances, Anvers cesserait-il pour cela d’être un port de mer ? Evidemment non.

M. le ministre des finances nous dit que le péage de l’Escaut porte sur le transit comme sur la consommation du pays, et que les droits différentiels ne porteraient que sur la consommation ; cela prouve justement qu’au moins en ce qui concerne les objets importés pour la consommation, il y a opposition entre le remboursement du péage de l’Escaut et les droits différentiels. La question du péage de l’Escaut se rattache directement au projet de loi. MM. les députés d’Anvers doivent donc s’attendre à la voir se reproduire avant le vote définitif.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voici ce que porte la loi relative au remboursement du péage sur l’Escaut :

« Toutefois, s’il se présente, l’égard de l’un des pavillons étrangers, des motifs graves et spéciaux, le gouvernement est autorisé à suspendre provisoirement, à son égard, l’effet de la présente loi. »

J’ai pris cette disposition au sérieux. J’ai toujours pensé que le remboursement du péage de l’Escaut ne devrait pas être considéré comme tout à fait acquis aux nations étrangères, qu’il fallait chercher à obtenir d’elles quelque avantage en retour de celui-là.

Si le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique méconnaît la portée de la loi que nous faisons, les avantages qui résulteront pour l’Amérique de la remise des dix pour cent qui les frappent aujourd’hui, et du remboursement du péage sur l’Escaut, il y aura des motifs graves et spéciaux, suffisants pour suspendre, comme on l’a déjà fait une fois, le remboursement du péage sur l’Escaut.

M. Osy. - Je dirai, en réponse aux honorables MM. Delfosse et Pirmez, que toutes les marchandises arrivant des pays transatlantiques, et destinées à l’Allemagne, ne profiteront pas des droits différentiels parce qu’elles ne paient aucun droit. Si vous faites payer aux navires étrangers le péage sur l’Escaut, vous frappez le transit ; le chemin de fer, pour lequel vous avez fait de grandes dépenses, devient sans but. Je ne concevrais pas que l’on proposât de supprimer le remboursement du péage sur l’Escaut. Si cette proposition était faite, je suis persuadé qu’elle ne serait pas accueillie par la chambre.

M. Rogier. - Ce n’est pas pour parler du remboursement du péage sur l’Escaut que j’ai demandé la parole. Nous examinerons ultérieurement cette question, si elle est soulevée.

M. le ministre de l’intérieur a dit qu’il se proposait de mettre en avant, vis-à-vis des Etats-Unis, le remboursement ou le non-remboursement du péage sur l’Escaut. S’il y a non-remboursement du péage sur l’Escaut vis-à-vis des Etats-Unis, nous rentrons dans la proposition qui nous a été faite par l’honorable député d’Ostende.

L’honorable député d’Ostende nous a proposé la suppression du remboursement du péage sur l’Escaut (Dénégations de la part de M. Donny.)

Vous avez exprimé cette opinion (Dénégations de la part de M. Donny.)

Permettez : Dans une discussion que l’honorable député d’Ostende a soutenue contre un honorable député de Gand, il a proposé d’appliquer à la navigation d’Ostende vers Gand une prime égale au péage sur l’Escaut, lequel ne serait plus remboursé.

M. Donny. - Me permettez-vous de dire deux mots ?

M. Rogier. - Laissons au surplus de côté l’opinion de l’honorable députe de Gand.

Mais je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si le remboursement du péage sur l’Escaut n’avait pas lieu, que ferait-il pour mettre Ostende, Gand et Anvers sur la même ligne ? car si le remboursement du péage n’a pas lieu, les navires, pour arriver à Anvers et à Gand, payeront 1 fl. 50 par tonneau, et ce droit n’existera pas pour Ostende. Nous aurons donc un droit différentiel dans notre propre pays ; or, ce n’est pas ce que le gouvernement doit vouloir.

J’invite donc M. le ministre de l’intérieur à consulter, le cas échéant, tous les intérêts du pays, de manière à ne pas établir des droits différentiels au profit d’un port et au détriment d’un autre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant donne une étrange portée à ma phrase. Il conclut de mes paroles que l’on va supprimer d’une manière générale le remboursement du péage sur l’Escaut.

M. Rogier. - Vous l’avez dit pour les Etats-Unis.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dis que si vous prenez au sérieux la loi du 6 juin 1839, vous devez admettre la doctrine que j’ai exposée, à savoir que, dans certains cas, il y a lieu à suspendre le remboursement du péage de l’Escaut. Vous ne pouvez mettre cela en doute en présence de la disposition de cette loi, dont j ai donné lecture tout à l’heure.

Je n’ai pas dit que nous n’avions vis-à-vis des Etats-Unis d’autres armes que la suspension du remboursement du péage sur l’Escaut. Nous en avons deux autres ; ce serait de laisser le pavillon américain frappé de toutes les surtaxes de douanes, et de lui appliquer en outre les surtaxes de navigation. Nous avons donc plusieurs armes ; l’une n’exclut pas l’autre.

La suspension provisoire du péage de l’Escaut vis-à-vis des Etats-Unis ne créeraient pas la situation extraordinaire qu’a indiquée l’honorable préopinant.

D’ailleurs une mesure de ce genre n’est pas nouvelle ; elle a été prise à l’égard du Hanovre par le ministère de 1840 à 1841 ; ou tout au moins on lui a annoncé qu’on allait suspendre le remboursement du péage sur l’Escaut. (Interruption.) N’importe. La disposition que j’ai citée est explicite. La chambre, en ordonnant le remboursement du péage sur l’Escaut, a entendu ne pas se lier au point qu’il serait acquis envers et contre tous, quels qu’aient été les motifs de plainte qu’ait pu donner une puissance étrangère à laquelle s’appliquerait le bénéfice du remboursement.

Ce que le législateur a décidé par la loi du 6 juin 1839 est assez clair ; la mesure a déjà été prise à l’égard des Etats-Unis ; elle le sera de nouveau, s’il y a lieu. Au reste, le remboursement du péage sur l’Escaut ne serait suspendu que provisoirement à l’égard des Etats-Unis. Cette suspension provisoire ne contrariera pas de graves intérêts dans le pays. Elle tendrait à rétablir de bons rapports commerciaux dans l’intérêt réciproque des deux Etats.

M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur nous a dit tantôt que, lorsqu’on aurait pris un arrêté royal assimilant les navires américains aux nôtres, il en résulterait un grand avantage pour les Etats-Unis d’Amérique. Ils ont payé jusqu’à présent la surtaxe de 10 pour cent dans les ports belges. Ils en seront dispensés par suite de l’assimilation, Voilà une grande faveur tout à fait gratuite ; car qu’obtiendrons-nous en échange ? Rien. Pourquoi accorder cette faveur aux Etats-Unis sans compensation ? Nous n’avons pas cette compensation. Vous avez dit tout à l’heure vous-même que les Etats-Unis se contentent de la réciprocité de fait. Vous avez dit que, bien qu’ils payent la surtaxe de 10 p.c., ils ne soumettent à aucune surtaxe les navires belges qui viennent dans leurs ports. Vous allez leur accorder une faveur gratuite que vous refusez aux autres Etats. Vous avez dans votre conduite deux poids et deux mesures. C’est ainsi que vous autorisez les représailles.

Ainsi il y a contradiction palpable dans les opinions de M. le ministre de l’intérieur. Lorsqu’il s’est agi de justifier le système des provenances directes, il nous a expliqué pourquoi, dans son opinion, il y avait utilité à favoriser les provenances directes ; il a dit : quand nous allons chercher les produits dans les entrepôts, nous faisons l’échange contre des produits manufactures de l’étranger.

Aujourd’hui en opposition avec ce qu’il a dit l’autre jour, il veut permettre aux navires américains d’importer en Belgique le produit de leurs entrepôts. Que résultera-t-il de là ? Que nous ferons l’échange de nos produits déjà échangés contre des objets manufacturés de l’étranger. M. le ministre de l’intérieur soutient d’un côté un système, et le détruit de l’autre. Je voudrais qu’il expliquât cette contradiction, qu’il faut ajouter à cent autres ; car tout est contradiction dans le langage de M. le ministre de l’intérieur et dans le projet de loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n’y a aucune contradiction, Il n’y a qu’oubli de la part de l’honorable préopinant. Ce que j’ai dit aujourd’hui, je l’ai dit dès le premier jour. J’ai indiqué tous les cas réels d’assimilation. J’ai appelé dès le premier jour l’attention de la chambre sur cette catégorie intermédiaire. Il n’est pas exact de dire que l’importation des entrepôts américains soit assimilée aux importations de lieux de production. C’est une catégorie intermédiaire ; que l’honorable préopinant veuille bien le remarquer.

Tout ce que j’ai dit sur les probabilités et les improbabilités d’exportation subsiste.

Puisque l’on a parlé de contradiction, j’en citerai une qui vous a frappés tous : le premier orateur que l’on a entendu trouve que vous ne faites pas assez pour les Etats-Unis ; celui-ci trouve que l’on fait beaucoup trop. Pour moi, je ne suis ni de l’une, ni de l’autre opinion. Je dis que l’on prend vis-à-vis des Etats-Unis la position qu’il faut prendre pour obtenir d’eux ce dont nous avons besoin et ce à quoi nous pouvons justement prétendre pour obtenir une réciprocité de fait, pour obtenir une partie des avantages qu’ils trouvent dans leurs relations de commerce avec nous.

M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur a une singulière manière de raisonner. Il dit qu’il y a contradiction entre les observations que j’ai faites et celles qui ont été présentées par l’honorable M. Rogier. Est-ce que je suis responsable des observations présentées par un autre orateur ?

Cette contradiction n’est d’ailleurs qu’apparente, il n’est pas exact de dire que je trouve que l’on fait trop pour les Etats-Unis, alors que l’honorable M. Rogier pense que l’on ne fait pas assez. Lorsque je dis que l’on fait trop, je raisonne dans le système de M. le ministre de l’intérieur, et non dans le mien.

M. le ministre de l’intérieur nous dit encore : qu’il a donné des explications en comité secret. Messieurs, quand nous invoquons ce qui a été dit en comité secret, M. le ministre de l’intérieur se récrie : il prétend que nous sommes indiscrets ; il prétend aussi que nos souvenirs ne sont pas fidèles ; de cette manière M. le ministre a beau jeu, il invoque le comité secret contre nous, et nous ne pouvons pas l’invoquer contre lui. La partie n’est pas égale.

Si M. le ministre invoque ce qui a été dit en comité secret, il faut que nous puissions en faire autant. M. le ministre devrait faire imprimer ses discours, alors la partie serait égale.

M. le ministre de l’intérieur m’objecte que les importations des entrepôts américains ne sont pas favorisées à l’égal des importations des pays de production. Il n’en n’est pas moins vrai que les importations des entrepôts américains sont favorisées, et que cette faveur est directement contraire au but du gouvernement. Le but du gouvernement est d’empêcher l’échange des produits manufacturés de l’étranger contre les denrées coloniales que l’on importe chez nous ; eh bien, en accordant une faveur aux entrepôts américains, on facilite l’échange des produits manufacturés des Etats-Unis contre les denrées du Brésil ou de toute autre contrée transatlantique.

La contradiction que j’ai reprochée à M. le ministre de l’intérieur reste donc tout entière.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit qu’il fallait faire une catégorie intermédiaire entre les entrepôts transatlantiques et les importations des lieux de production d’une part, et d’autre part les entrepôts européens. J’ai dit pourquoi. J’ai dit qu’il ne fallait pas traiter les importations des entrepôts transatlantiques aussi bien que les importations des lieux de production ; mais qu’il ne fallait pas les traiter aussi mal que les importations d’entrepôts européens ; et j’ai encore expliqué pourquoi. J’ai dit : Ne traitez pas les importations des entrepôts transatlantiques aussi bien que les importations des lieux de production, parce que la même probabilité d’exportation n’existe pas ; mais ne traitez pas les importations des entrepôts transatlantiques aussi mal que les importations des entrepôts européens, parce qu’à l’égard des entrepôts transatlantiques la même improbabilité d’exportation n’existe pas. C’est ce que j’ai dit et répété dans un discours qui se trouve imprimé au Moniteur. Que l’honorable membre veuille bien revoir ce que j’ai appelé l’échelle des probabilités et des improbabilités d’exportation, et il verra que je suis d’accord avec moi-même.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.

Le 1° de la question de principe posée par M. le ministre de l’intérieur est résolu affirmativement,

« 2° Admettra-t-on l’assimilation aux provenances des lieux de production pour certains objets importés d’au-delà du cap Horn ? »

- Cette question est résolue affirmativement.

« 3° Admettra-t-on l’assimilation aux provenances des lieux de production pour certains objets importés d’au-delà du cap de Bonne-Espérance ? »

- Cette question est aussi résolue affirmativement.

Question des droits différentiels sur les marchandises importées depuis les entrepôts européens

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous venons de résoudre les questions de principe qui se rattachent aux importations des entrepôts transatlantiques. Il nous reste à nous occuper des entrepôts européens.

Les entrepôts européens forment la dernière catégorie qui figure au tarif ; c’est la catégorie qui est la moins bien traitée.

Les motifs de cette distinction vous ont été exposés à plusieurs reprises. Cette dernière catégorie est généralement exprimée au projet sous les mots : importation d’ailleurs. Il s’agit de bien se fixer sur l’étendue de ces mots : nous entendons par là les importations d’entrepôts européens, soit par mer, soit par terre, canaux et rivières. La question de la Meuse se rattache donc à la question des entrepôts.

L’honorable M. Dumortier est absent, et je le regrette. Il a posé une question qui se rattache aux intérêts de la Meuse. Cette question est celle-ci : « La navigation de la Meuse sera-t-elle assimilée au cabotage ? » Je regrette d’autant plus l’absence de M. Dumortier, qu’il peut y avoir des doutes sur le sens de cette question. Qu’entend-il par cabotage ? Probablement l’importation de denrées coloniales des entrepôts européens, c’est le sens naturel dans l’espèce. Je pense qu’il n’est pas absolument nécessaire d’entendre l’honorable M. Dumortier, parce que nous avons une autre proposition faite en faveur de la Meuse, et je me félicite, cette fois, de voir l’auteur de cette proposition présent. L’honorable M. Mast de Vries vous a demandé s’il ne fallait pas stipuler des exceptions en faveur de la Meuse ? Je suppose qu’il développera tout à l’heure sa proposition.

Le principe général, messieurs, est de placer sur la même ligne tous les entrepôts européens, que ces importations se fassent, soit par mer, soit par canaux et rivières, soit par terre. Toutefois le projet fait certaines distinctions relativement aux lieux où se trouvent les entrepôts européens, et ici nous abordons une question dont on vous a entretenus plusieurs fois, et sur laquelle j’ai déjà donné des éclaircissements, que je crois devoir reproduire en partie, pour que les faits soient bien connus.

Le tarif propose de faire une distinction relativement aux lieux où se trouvent les entrepôts européens. Je vais vous exposer d’abord les motifs de cette distinction.

Nous croyons qu’il faut faire une distinction quant aux entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique. C’est ce qui est expliqué dans le projet de loi par les expressions d’importation, soit d’au-delà du détroit de Gibraltar, soit d’au-delà du Sund.

On propose, quant aux importations d’au-delà du détroit de Gibraltar, une assimilation aux lieux de production pour certains articles. Ces articles, les voici. Ils sont épars dans le projet de tarif ; je les ai réunis ; ils sont au nombre de neuf :

Bois de buis, de cèdre et de gayac ;

Cendres gravelées ;

Cotons en laine, autres que des Indes orientales ;

Fruits ;

Huile d’olive :

Miel ;

Riz, autre que des Indes orientales ;

Soufre brut ;

Sumac.

Voilà pour ce qui concerne les importations d’au-delà du détroit de Gibraltar. Quant aux importations d’au-delà du Sund, il n’y aurait assimilation aux lieux de production que pour un seul article, les cendres gravelées.

Il y a une seconde assimilation ; c’est l’assimilation aux provenances des pays hors d’Europe. Cette assimilation s’applique, pour les provenances des pays d’au delà du Sund , à trois articles :

Aux chanvres en masse ;

Aux graines ;

Et aux graisses ;

et pour les provenances d’au-delà du détroit de Gibraltar, à ces trois mêmes articles, et en outre aux cuirs verts ou secs.

Il s’agit principalement, messieurs, dans tous ces articles qui forment l’objet d’exceptions, de matières premières, et je dois de nouveau appeler l’attention de la chambre sur cette distinction entre les matières premières et les autres articles.

Dans les 9 objets d’au-delà du détroit de Gibraltar auxquels s’applique l’assimilation aux lieux de production, il y en a 7 qui sont des matières premières :

Bois de buis, de cèdre ou de gayac ;

Cendres gravelées ;

Cotons en laines, autres que des Indes orientales

Huile d’olive de fabrique ;

Riz en paille autres que des Indes orientales ;

Soufre brut ;

Sumac.

Vous remarquerez que j’ajoute pour l’huile d’olive la réserve que c’est l’huile d’olive de fabrique, et pour le riz, que c’est le riz en paille.

Il y a quatre autres objets qui sont des denrées de consommation naturelle :

Les fruits ;

L’huile d’olive comestible ;

Le riz pelé ;

Le miel.

Je m’empresse de dire que si l’admission de ces quatre denrées présentait des difficultés, on pourrait les sacrifier, et n’être déterminé dans cette question que par le seul intérêt industriel.

Je prie donc les honorables membres qui veulent bien m’écouter de prendre note, dès à présent, de cette observation, que si l’on croit simplifier les difficultés en écartant quatre denrées de consommation naturelle : les fruits, les huiles d’olive comestibles, les riz pelés et le miel, je n’y verrai pas grand inconvénient.

Il restera alors sept matières premières provenant d’au-delà du détroit de Gibraltar, et une matière première provenant d’au-delà du Sund.

Si donc nous écartons les quatre denrées de consommation dont j’ai parlé tout à l’heure, nous sommes de nouveau dominés exclusivement par l’intérêt industriel. Il faut faire en sorte que les industriels belges puissent continuer à recevoir toutes leurs matières premières de la manière la plus avantageuse, et, s’il est possible, d’une manière plus avantageuse encore qu’elles ne les reçoivent maintenant.

J’ai dit qu’il fallait surtout s’attacher à la Méditerranée, parce que si des dispositions spéciales sont admises relativement à la Méditerranée, les mêmes dispositions seront nécessairement admises pour la Baltique. Il y a, messieurs, dans la Méditerranée, quatre ports principaux qui sont des ports francs, ce sont les ports de Marseille, de Gênes, de Livourne et de Trieste. Nous pensons qu’il est de l’intérêt des industries belges de pouvoir, sans qu’on ait égard aux lieux de production, recevoir de ces quatre ports, qui sont les ports principaux de la Méditerranée et de tous les autres ports de la Méditerranée, recevoir les matières premières que nous avons indiquées, comme si ces matières premières étaient prises aux lieux de production. C’est là, messieurs, la portée principale des dispositions exceptionnelles qui vous sont proposées.

Les motifs que j’ai donnés hier pour appuyer les exceptions en faveur des entrepôts de Valparaiso et de Syngapore, ces motifs s’appliquent en majeure partie aux quatre ports de la Méditerranée que j’ai cités et qui sont devenus des centres d’approvisionnement et d’écoulement, Il est donc à la fois avantageux pour l’industrie belge de pouvoir prendre dans ces quatre ports ces matières premières comme si elles étaient prises aux lieux de production, et avantageux au commerce belge de pouvoir y porter nos produits industriels qui s’écouleront de là vers tous les points avec lesquels ces ports ont établi des relations.

Voilà, messieurs, les faits qui se rattachent aux dispositions qui vous sont soumises. J’attendrai la suite de la discussion et je répondrai aux observations que je croirai devoir combattre.

M. Delfosse. - N’aviez-vous pas dit que vous aviez quelque chose à proposer relativement à la Meuse ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai simplement dit que ce serait ici le lieu d’examiner la question de la Meuse, et je crois avoir suffisamment indiqué comment cette question, soulevée par l’amendement de l’honorable M. Mast de Vries, se rattache à la question des entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique. Cette dernière question est celle-ci : Fera-t-on, relativement à certains produits dénommés, une exception en faveur des entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique ?

Eh bien, l’honorable M. Mast de Vries a posé une autre question, qui doit avoir frappé l’honorable M. Delfosse, et qui est celle-ci : Fera-t-on une exception quant aux entrepôts, pour certains produits importés par la Meuse ? Vous voyez, messieurs, que l’exception demandée par l’honorable M. Mast de Vries se rattache au système des exceptions que j’ai indiquées tout à l’heure et que j’ai expliquées, exceptions qui concernent les entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique.

M. Osy. - M. le ministre de l’intérieur vient de traiter deux questions, la question des entrepôts au-delà du détroit de Gibraltar, et la question de la Meuse ; il me paraît que nous ferions mieux de traiter ces deux questions l’une après l’autre, et de commencer par celle des entrepôts au-delà du détroit de Gibraltar, qui se trouve renfermée dans la cinquième des questions posées par M. le ministre de l’intérieur. C’est de cette question seulement que je vais m’occuper.

Je partage tout à fait l’opinion de l’honorable M. Dumortier, qu’en adoptant le système des droits différentiels, nous devons avoir soin de mettre toutes les nations sur la même ligne. Or, je trouve qu’en adoptant la proposition de M. le ministre de l’intérieur, nous favoriserions certains ports français, les ports autrichiens et les ports de la Sardaigne, au détriment des ports septentrionaux de la France et des ports hollandais. Je crois que cette marche n’est pas rationnelle.

M. le ministre de l’intérieur propose notamment de recevoir les cotons d’Amérique de Marseille aux mêmes conditions que ceux qui arrivent directement d’Amérique par pavillon étranger, c’est-à-dire au droit de 1 fr. 70 c., tandis que le coton venant du Havre paierait 2 fr. 25. Voilà donc deux ports français qui ne seraient pas mis sur la même ligne.

Ensuite, M. le ministre de l’intérieur propose de recevoir des ports de la Méditerranée entre autres articles, les riz et les cotons, aux mêmes conditions que s’ils étaient importés directement des lieux de production par pavillon étranger, tandis qu’on n’accordera pas cette faveur aux entrepôts de la Hollande.

Vous voyez donc, messieurs, que vous ne mettrez pas la France, l’Autriche et la Hollande, sur la même ligne. Or, messieurs, je ne pourrai consentir à l’établissement des droits différentiels que si l’on traite toutes les puissances de la même manière.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - D’abord, messieurs, je n’admets pas que l’exception dont il s’agit présente le caractère d’hostilité que lui attribue l’honorable préopinant, mais une autre observation ne doit pas échapper à la chambre : s’il était vrai que l’exception eût ce caractère d’hostilité (ce que je n’admets pas) et si, d’un autre côté, la chambre admettait une exception quelconque à l’égard de la Meuse, ne pourriez-vous pas trouver dans cette exception en faveur des entrepôts hollandais, une compensation à ce que l’on verrait d’hostile dans l’exception relative aux ports de la Méditerranée et de la Baltique ?

Voilà, messieurs, pourquoi il est important d’examiner maintenant la question de la Meuse et notamment la proposition de l’honorable M. Mast de Vries. Je désirerais que l’honorable M. Mast de Vries voulût bien prendre la parole immédiatement. Beaucoup de députés ont dit qu’il fallait examiner s’il n’y aurait pas lieu d’admettre à l’importation par la Meuse une certaine quantité de produits coloniaux hollandais ; comme je désire que la discussion soit aussi complète que possible, je provoque des explications sur ce point et je demande qu’on entende l’honorable M. Mast de Vries le premier.

M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur nous a expliqué fort clairement ce que nous savions tous. Il nous a expliqué que la proposition de l’honorable M. Mast de Vries se rattache au principe qui est en discussion ; mais M. le ministre de l’intérieur ne nous a pas dit ce que nous avons intérêt à savoir, quelle est l’opinion du gouvernement sur l’amendement de l’honorable M. Mast de Vries. Je désire que M. le ministre de l’intérieur nous fasse connaître son opinion. Je désire qu’il nous dise s’il adhère à cet amendement, ou bien s’il le modifie dans un sens favorable à la province de Liége.

M. Mast de Vries. - Messieurs, lorsque j’ai eu l’honneur de faire une proposition en faveur de la Meuse, j’ai fait un acte qui est dans l’intérêt de la province de Liége, parce que je désirais que la loi pût rallier autant que possible toutes les opinions, qu’elle pût être adoptée par une majorité aussi forte que possible.

Je ne sais pas si le gouvernement admettra ma proposition telle que je l’ai présentée, mais je crois que cette proposition doit être adoptée. Je crois qu’il ne faut pas enlever à la province de Liége les relations qu’elle a établies ; elle jouit aujourd’hui d’une importation de 7,000 tonneaux de café, je crois qu’il ne faut pas lui faire perdre cet avantage.

Je crois, messieurs, que la différence que je propose d’établir en faveur des importations par la Meuse n’est pas exagérée ; cette différence ne sera pas de 20 fr. par tonneau, et il faut, d’un autre côté, tenir compte des frais de transport depuis le port de Rotterdam jusqu’au centre du pays, transport qui est extrêmement coûteux.

On a dit, et cela a fait une grande impression sur mon esprit, on a dit : « Si la province de Liége perdait son commerce d’importation de la Hollande, ses exportations s’en ressentiraient considérablement ; » je pense que tout cela est tout à fait exact, et c’est pour ce motif que j’ai demandé une exception en faveur des importations par la Meuse.

Je crois, messieurs, que l’adoption de ma proposition ne porterait aucun préjudice à la province à laquelle j’appartiens et qu’elle rallierait peut-être au projet les voix des députés de la province de Liége. Or, je le répète, il serait à désirer qu’une loi de cette importance reçut l’assentiment le plus général possible.

Je dois cependant ajouter que lorsque j’ai fait ma proposition, je ne m’attendais pas à entendre les observations que l’honorable M. Delfosse, dans sa réponse à un honorable député d’Anvers, a présentées relativement au péage de l’Escaut. Je déclare bien formellement que si MM. les députés de Liége demandaient la suppression du remboursement du péage de l’Escaut, je retirerais à l’instant même ma proposition.

M. le président. - M. Osy a proposé la division de l’article.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désire qu’on continue à discuter ces questions réunies, et j’accepte la discussion, telle que l’a présentée l’honorable M. Delfosse.

La chambre voudra bien se rappeler quels efforts j’ai faits en comité secret, pour obtenir que cette discussion ne fût pas livrée à la publicité ; il y a eu publicité, nous devons aujourd’hui subir toutes les conséquences de la publicité.

D’une part, on vous a signalé comme hostiles à la Hollande, les exceptions proposées en faveur des entrepôts de la Baltique et de la Méditerranée, opinion qu’ont soutenue les partisans mêmes du projet de loi. D’un autre côté, les adversaires du projet vous ont signalé le système entier comme hostile à la Hollande.

Sans doute, messieurs, tout gouvernement doit rester responsable des événements, mais seulement jusqu’à un certain point, mais seulement dans les limites qu’il avait voulu lui-même assigner aux discussions, avec les chances qu’il avait acceptées lui-même.

Je pense qu’en égard à l’intérêt industriel que j’ai signalé tout à l’heure, il faut maintenir au moins temporairement les exceptions proposées en faveur de certaines matières premières importées des entrepôts de ta Baltique et de la Méditerranée. Mais je m’associe de tout cœur à la proposition qui a été faite d’établir également une exception en faveur d’un article de provenance hollandaise. Je veux parler du café.

Voyons d’abord, messieurs, quelle sera notre position, par rapport à l’importation du café hollandais.

Irons-nous jamais chercher directement du café hollandais dans les colonies hollandaises ? Non : il y a impossibilité d’importation directe du café des colonies hollandaises. Je vais le démontrer en peu de mots.

Si le café javanais est importé à Anvers directement de Java sous pavillon belge, le navire belge paierait d’abord 17 fr. 20 c. à la sortie de Java ; il est vrai qu’en Belgique il paierait un droit d’entrée de 9 francs seulement, ce qui ferait ensemble 26 fr. 20 c. par 100 kil. Ainsi, le café que le navire belge irait prendre directement à Java, supporterait un droit de 26 fr. 20 par 100 kil.

Voici, au contraire, ce que payera le café qu’un navire belge irait prendre par rivière en Hollande ; il payera, à la sortie de Hollande, 6 fr. 88 c. ; pour l’entrée en Belgique, il payera 15 fr. 50 c. Total 22 fr. 38 c. J’ai dit tout à l’heure que le navire belge qui irait prendre directement du café à Java, paierait 26 fr. 20 c., différence en faveur de l’importation, par pavillon belge, des entrepôts hollandais, 3fr. 82 c. ; vous voyez donc que le pavillon belge n’ira pas, ne peut pas aller prendre du café aux colonies hollandaises,

Pour rendre cette importation directe, il faudrait aller beaucoup plus loin que l’on ne va dans aucun système des droits différentiels.

Il y aurait deux moyens à cet effet. Au lieu de payer seulement 15 fr. 50 c. pour les importations des entrepôts européens, il faudrait porter le droit à 19 fr. 32 c. Alors, messieurs, on paierait de part et d’autre, tant pour l’importation directe de Java que pour l’importation des entrepôts hollandais 26 fr. 20 c. Resterait toujours la grande difficulté d’aller prendre le café hollandais dans les colonies hollandaises.

J’ai dit qu’il y aurait deux moyens. Je viens d’indiquer le premier ; le deuxième moyen, ce serait de réduire encore le droit de 9 francs, établi pour l’importation directe du café par pavillon belge, et de n’avoir plus qu’un droit de 5 fr. 18 c., en maintenant néanmoins l’importation par pavillon étranger à 11 fr. 50 c.

Vous voyez donc que l’une et l’autre opération sont également impossibles.

D’un côté, il est impossible d’ajouter 3 fr. 82 c. au droit de 13 fr. 50 c. ; d’un autre côté, on ne peut non plus réduire de 3 fr. 82 c. le droit fixe de 9 fr.

Cet état de choses est dû au régime colonial adopté relativement à Java ; il est dû au droit de sortie stipulé à Java ; droit qui a été établi dans le but de transporter en Hollande, dans la mère-patrie, tout le marché du café hollandais, comme vous l’a exposé l’honorable M. Cogels.

Vous n’irez donc pas prendre du café hollandais dans les colonies hollandaises. Néanmoins, vous continuerez à consommer du café hollandais ; vous le recevrez donc des entrepôts hollandais, et vous le recevrez à des droits très élevés.

Je m’arrête ici, pour aller au-devant d’une objection qui se sera déjà présentée à l’esprit de chacun de vous, et qui est celle-ci : Si vous faites une exception en faveur de l’introduction du café hollandais que devient votre système ?

Messieurs, notre système d’encouragement ne repose pas sur le café seul, importante denrée coloniale sans doute ? Je n’ignore pas qu’une opinion généralement répandue, c’est que le grand élément du système différentiel doit être le café. C’est là une erreur. Ou pourrait faire une exception de plusieurs millions, quant à l’importation du café, sans détruire le système des droits différentiels. Savez-vous à quelle quantité d’importations s’applique le système des droits différentiels ? A 104,246,27 f. pour le commerce spécial. Il est évident que, si quelques millions de café hollandais venaient se soustraire au système des droits différentiels, le système ne serait pas détruit, quand vous opérez sur une quantité de produits transatlantiques de plus de 100 millions.

Ainsi une exception de quelques millions ne détruit pas le système sur sa base, ce système reste intact, je m’empresse de le dire, parce que peut-être on trouverait encore ici une inconséquence, une contradiction.

Je ferai du reste imprimer le tableau que j’ai sous les yeux et dont il m’est impossible de donner lecture ; la chambre pourra, en le parcourant, apprécier toute l’étendue du système protecteur que nous sommes occupés à organiser, système auquel il serait porté une bien légère atteinte, si l’on faisait une exception en faveur d’une certaine quantité de cafés hollandais.

Il y a plus, c’est que si l’importation directe du café hollandais, par pavillon belge, et même par pavillon étranger, était une des bases du système, le système reposerait sur une illusion, car vous n’auriez d’importation ni par pavillon belge, ni par pavillon étranger, directement des lieux de production.

J’ai donc rédigé l’article suivant, dont je vais avoir l’honneur de donner lecture à la chambre. C’est le résumé des observations que je viens de faire.

Il y aurait un article nouveau auquel on assignerait plus tard la place, et qui serait ainsi conçu :

« Article (nouveau). Pendant les deux années qui suivront la promulgation de la présente loi :

« 1° Pour les sept articles suivants :

« Bois de buis, de cédre et de gayac,

« Cendres gravelées,

« Cotons de laine, autres que des Indes orientales,

« Huiles d’olive de fabrique,

« Riz en paille, autres que des Indes orientales,

« Soufre brut,

« Et sumac.

« les provenances d’au-delà du détroit de Gibraltar ; et, pour les cendres gravelées, les provenances d’au-delà du détroit du Sund, seront assimilées aux lieux de production, tant pour le pavillon belge que pour le pavillon du lieu d’où la marchandise est importée.

« 2° Pour les trois articles suivants :

« Chanvre en masse,

« Graines

« Et graisses,

« les provenances d’au-delà des détroits de Gibraltar et du Sund ; et, pour les cuirs verts et secs, les provenances d’au-delà du détroit de Gibraltar, seront assimilées aux provenances des pays hors d’Europe, tant pour le pavillon belge que pour le pavillon du pays d’où la marchandise est importée.

« 3° Indépendamment des importations qui se feront en réalité directement du lieu de production, il sera admis à concurrence d’une quantité annuelle de … millions de kilog., par navires de Belgique ou des Pays-Bas, par les bureaux à désigner par le gouvernement belge, des cafés originaires des colonies hollandaises des Indes orientales, au droit applicable aux provenances directes sous pavillon belge des lieux de production, avec addition de 11 p.c.

« Les dispositions qui précèdent cesseront leur effet à l’égard des pays au bénéfice desquels elles sont établies, si, dans ces pays, il intervient des changement de tarif ou d’autres dispositions préjudiciables au commerce ou à l’industrie belge. »

Ainsi nous ne proposons qu’un système temporaire d’exception quant à la Méditerranée et quant à la Baltique, parce que, d’ici à l’expiration des deux années, les relations dans la Méditerranée et dans la Baltique, par pavillon belge, se seront assez régulièrement établies pour qu’on puisse compter davantage sur le pavillon belge pour l’importation des matières premières dont il s’agit. Il y a une autre considération, messieurs, à laquelle il faut avoir égard, et je répondrai ici à une observation de la chambre de commerce d’Anvers. La chambre de commerce d’Anvers, en indiquant elle-même ces exceptions, les a considérées comme des faveurs et elle a ajouté que le gouvernement belge devait chercher à obtenir en retour de ces faveurs, des faveurs équivalentes ; cette observation de la chambre de commerce d’Anvers n’a été faite que pour les exceptions relatives à la Méditerranée et à la Baltique, mais elle s’applique à plus forte raison au troisième cas, qui est nouveau, à l’exception en faveur de l’importation du café hollandais. Cette importation aura lieu pendant deux années et cet intervalle sera consacré à régulariser la position.

Nous croyons, messieurs, qu’il faut se borner à l’exception concernant le café, parce que c’est à la fois l’intérêt le plus important pour la Meuse et l’intérêt le plus important pour la Hollande. Les importations de café java se sont élevées jusqu’à neuf millions, mais la moyenne n’est que de sept millions. On pourrait donc admettre la moyenne de sept millions pour l’importation du café hollandais. C’est la consommation faite dans le pays en moyenne et cette consommation continuera à se faire. Or, à moins de donner un caractère outré au système des droits différentiels, vous n’irez pas vous-mêmes à Java et le café de Java ne vous sera pas importé directement.

Je propose donc de dire :

« 3°Indépendamment des importations qui se feront en réalité directement des lieux de production, il sera admis à concurrence d’une quantité annuelle de sept millions de kilogrammes par navires de Belgique ou des Pays-Bas, par les bureaux à désigner par le gouvernement belge, des cafés originaires des colonies hollandaises des Indes orientales, au droit applicable aux provenances directes sous pavillon belge des lieux de production, avec addition de 11 p. c. »

S’il y avait, messieurs, quelque chose d’exagéré dans cette moyenne, je m’en féliciterais, en ce sens qu’il y aurait dans cette exagération une compensation pour les surtaxes dont se trouvent frappés d’autres objets importés par la Meuse.

Ce n’est donc pas, messieurs, parce que je crois que le système renferme quelque chose d’hostile pour la Hollande, que je vous soumets aujourd’hui ces propositions. Qu’on veuille bien ne pas prendre le change sur mes intentions, c’est parce qu’il m’est démontré en fait que vous êtes dans l’impossibilité de recevoir directement le café Java soit par votre propre pavillon, soit par pavillon étranger ; d’un autre côté, il y a également impossibilité de renoncer à la consommation du café hollandais, (On rit.) Si toutefois cela entrait dans nos intentions, vous attendriez deux ans pour modifier vos goûts.

Ainsi, messieurs, je n’hésite pas à dire que vous êtes en présence de deux impossibilités : impossibilité de nous priver du café hollandais, et impossibilité de le faire venir directement des lieux de production. Dès lors, messieurs, où le prendrez-vous ? Vous le recevrez des entrepôts hollandais. Eh bien, je vous propose de faire de bonne grâce pendant deux ans, ce que vous ferez forcément, et d’ouvrir ainsi à votre gouvernement une très belle voie de négociation.

Je serais, messieurs, péniblement trompé dans mon attente, si les dispositions que j’ai eu l’honneur de développer devant vous, étaient méconnues. Autant que possible, nous ne voulons pas de secousse, pas de perturbation ; nous voulons atteindre le but que nous avons en vue dans l’établissement des droits différentiels ; nous voulons l’atteindre graduellement sans froisser des intérêts ni au-dedans ni au-dehors.

L’importation, portée ainsi à une moyenne de 7 millions, ne se fera pas seulement par la Meuse, elle se fera aussi vers Anvers, par les eaux intérieures. (Interruption.) Nous la limitons à 7 millions pour tout le pays…

M. Delfosse. - Comment fera-t-on la répartition ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le gouvernement fera la répartition. Croyez-vous donc qu’on ira méconnaître nos intérêts dans cette répartition.

M. Delfosse. - Je vous ai demandé comment vous feriez cette répartition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous savons ce que vous recevez maintenant, on ne vous assignera pas une part moindre. Vous recevez maintenant pour environ 1,200,000 francs ; certainement dans la part qu’on vous assignera, on ne descendra pas au-dessous de ce chiffre.

Ainsi, messieurs, on limitera à 7 millions, moyenne de l’importation actuelle, la quantité qui pourra être importée tant par la Meuse que par les eaux intérieures et par les canaux, par le canal de Terneuzen, par exemple, le tout d’après une répartition à faire par bureaux d’entrée.

Messieurs, quel sera le droit que nous fixerons pour cette importation ? L’idée naturelle serait de dire : le droit actuel, mais cette expression, droit actuel, emporterait en quelque sorte un droit acquis, une impossibilité de modifier le tarif à l’avenir. C’est ce à quoi nous ne devons pas nous exposer. Le droit actuel est de 10 fr., sans réduction, puisque, comme vous pouvez vous en assurer en consultant le tableau de la statistique générale, puisque maintenant l’importation se fait toujours autrement que par mer. Elle se fait, quant à Anvers, par les eaux intérieures, et quant au reste du pays, soit par le canal de Terneuzen soit par la Meuse. Eh bien, le droit nouveau pour le pavillon belge venant des lieux de production est de 9 fr. ; en augmentant ce droit de 11 p. c. vous arriverez au chiffre de 9 fr. 99 c., c’est à un centime près le droit actuel de 10 fr. Je proposerais donc de dire : « Au droit applicable aux provenances directes par pavillon belge avec addition de 11 p. c. »

La dernière disposition dont j’ai donné lecture met une condition à toutes ces exceptions, c’est qu’elles viendraient à cesser si des changements de tarif ou d’autres dispositions intervenaient, soit dans les Etats méditerranéens, soit dans les Etats de la Baltique, soit de la part de la Hollande au préjudice du commerce et de l’industrie belges ; c’est en quelque sorte une garantie du maintien du statu quo, introduite dans la loi.

Nous croyons, messieurs, en vous faisant cette proposition aller au-devant de vos intentions, compte tenu de l’effet qu’a produit cette discussion, tenir compte aussi des progrès que la question a faits dans tous les esprits, tenir couple des appréhensions qu’a fait naître le projet chez quelques personnes ; sans détruire les justes, les grandes espérances que le système en lui-même fait concevoir.

Nous ne croyons pas être en contradiction avec nous-même et d’ailleurs eussions-nous pris une position plus absolue, nous ne nous arrêterons jamais devant des questions d’amour-propre, nous tiendrons toujours compte des progrès que fait une question par la discussion.

Je sais, messieurs, qu’il est impossible de statuer sur cette proposition aujourd’hui, nous la ferons imprimer. La question générale serait celle-ci :« Ajoutera-t-on des exceptions pour certains objets pour deux années, quant aux entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique et pour une certaine quantité de café d’importation hollandaise ? » (Interruption.) L’exception se borne au café, et ainsi réduite, elle est suffisante. Si maintenant l’on voulait établir qu’il faut aller plus loin et si la discussion devait rester publique, je dois le dire, je prie les honorables membres de ne pas me mettre sur ce terrain, je ne pourrais pas accepter une semblable discussion en séance publique.

M. Delfosse. - Messieurs, nous examinerons la portée des propositions que M. le ministre de l’intérieur vient de faire, mais je pense qu’on ferait bien de se borner d’abord à poser cette question ; y aura-t-il une exception pour les entrepôts de la Hollande ? Il est inutile de décider avant le vote des articles, si l’exception ne s’appliquera qu’à un article, comme le propose le gouvernement ou si elle s’étendra à d’autres articles. Il suffit que l’on décide dès à présent qu’il y aura une exception sans en déterminer les limites. Cette décision ne préjugerait rien. La chambre resterait libre de limiter l’exception au café comme le propose le gouvernement ou de l’entendre à d’autres articles comme nous pourrons le proposer.

Le gouvernement appuiera probablement ma proposition ; il n’a pas d’intérêt à ce que la chambre limite sa prérogative avant le vote des articles ; cela serait d’ailleurs inutile, ce que la chambre aurait décidé pourrait être remis en question lors du vote des articles ; des membres qui sont absents pourraient venir déplacer la majorité. Je demande donc que l’on se borne à décider qu’il y aura une exception. On déterminera plus tard quelle en sera l’étendue.

M. Cogels. - Je suis charmé que l’honorable M. Delfosse veuille bien laisser la question intacte, quant à l’extension qu’on voudrait lui donner. Cela me dispense de répondre à l’honorable M. Mast de Vries, dont la proposition est trop étendue ; lui-même peut-être n’en a-t-il pas mesuré toute l’extension. En effet, d’après le système de M. Mast de Vries, Il y aurait assimilation générale des arrivages par la Meuse, aux entrepôts transatlantiques. Je me demandais d’abord : sera-ce aux arrivages par pavillon belge ou aux arrivages par pavillon étranger que seront assimilés les arrivages par la Meuse ? Il vous a dit que c’était le chiffre du pavillon étranger qu’il fallait appliquer. Mais vous concevez que, pour les arrivages par la Meuse, on établit ainsi pour les cafés une réduction de deux francs sur les cafés venant de Londres par Rotterdam en comparaison des mêmes cafés arrivant par l’Escaut ou Ostende par pavillon belge ; or, ce qu’il y avait de vicieux dans ce système disparaît dans la manière dont la question est posée. Il n’est pas nécessaire de s’en occuper en ce moment.

Nous pouvons admettre le principe restreint tel que le propose l’honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. - Mon principe n’est pas restreint ; il est au contraire très général.

M. Cogels. - Il peut être restreint, car de la manière dont vous le posez, on peut l’appliquer à un seul article ; c’est en ce sens que je dis qu’il est restreint. Mais, maintenant je ne m’occuperai plus de la Meuse. La question se réduit aux entrepôts de la Méditerranée et de la mer Baltique. Je ne partage pas complètement l’avis de mon honorable ami M. Osy, qui pense que, dans l’exception qu’on veut faire en faveur de ces entrepôts, il y a quelque chose d’hostile contre une puissance quiconque.

Il faut faire attention à une chose qui existe pour les entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique et qui n’existe pas dans ceux des autres pays : c’est qu’il y a des produits dont il est impossible de connaître exactement les lieux de production, parce que la Méditerranée comprenant sur son littoral des territoires différents qui ont des produis similaires, il est impossible de distinguer dans les entrepôts de Marseille et de Trieste si les produits sont de France, d’Autriche ou d’Italie. La même chose existe aujourd’hui en Angleterre ; elle n’a pas existé toujours ; mais, d’après l’acte de 1834, qui est le dernier acte de navigation, on admet par pavillon anglais et par pavillon des lieux d’importation une foule d articles qui ne sont pas des produits de ce même pays.

Il y a des articles qui sont compris dans la liste de M. le ministre, que je voudrais voir excepter. Je ne les signalerai pas maintenant, parce que je croirai plus utile de le faire quant nous en serons aux articles eux-mêmes. Je citerai seulement le coton, car là l’observation de M. Osy a été extrêmement juste. Il ne faut pas que les cotons des Etats-Unis soient soumis au droit de 1 fr. 70 quand ils viennent de Marseille, et au droit de 2 fr. 25 quand ils viennent du Havre. Je n’y vois aucune utilité, d’autant moins qu’il arrivera très rarement qu’on nous importera de Marseille des cotons provenant des Etats-Unis. Ce seraient des cotons d’Egypte, de Smyrne, non pas des cotons des Indes orientales, mais des échelles du Levant, de l’Algérie.

Je pense donc que de la manière dont la question est posée, elle peut être résolue affirmativement. En la maintenant dans sa rédaction générale, on peut l’admettre sans aucun danger, parce que, quand nous serons à la discussion des articles, nous pourrons en faire l’application à chaque article ou la refuser, selon que nous le trouverons utile.

M. le président. - Voici comment M. le ministre propose de poser la question.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je maintiens qu’il ne faut pas aller au-delà de ce que j ai proposé. Si j ai fixé la moyenne à 7 millions, c’est que je pense que l’exception ne doit être faite que pour le café. Si Liége a besoin d’autres matières premières elle les recevra toujours par la Hollande par l’intermédiaire d’Anvers. Du reste, nous ne préjugeons rien. S la chambre croit qu’une discussion spéciale sur cette question est nécessaire, il faut un huis-clos et un huis-clos très sérieux.

M. Fleussu. - (Note du webmaster : l’intervention de M. Fleussu est reprise à la fin du compte-rendu de la séance au Moniteur du 24 mai 1844, sans indication du moment où elle a eu lieu au cours de cette même séance.) La divergence qui semble exister entre les intérêts des provinces dont se forme la Belgique, divergence qui s’est produite dans la discussion qui se trame péniblement depuis trois ou quatre semaines, pourrait faire naître de pénibles réflexions sur l’avenir de notre nationalité : une mesure, qui paraît favoriser les intérêts d’une province est-elle proposée, les députés des autres provinces crient au privilège, et ce qui se passe en ce moment en est encore un exemple.

Je ne sais vraiment pas pourquoi, à propos des nouvelles propositions du gouvernement, la province de Liège est seule en cause ; il n’y a point que cette province qui soit traversée par la Meuse ; le Limbourg et Namur jouissent également de la navigation de ce fleuve. Le Luxembourg, par sa proximité, a presque les mêmes intérêts que je viens d’indiquer.

Le Hainaut a un intérêt égal au nôtre à ce que l’on prenne toutes les mesures propres à éviter des représailles de la part de la Hollande. Il y a plus : c’est que Gand est, de toutes les localités de la Belgique, celle qui doit surtout désirer que nos relations avec la Hollande ne soient point rompues. Je le prouverai à l’évidence, dans le comité secret, car je reconnais qu’il s’agit ici d’une question internationale. Je me bornerai à dire, en ce moment, que nous livrons à la Hollande des matières premières. Non, messieurs, ce sont des produits manufacturés dont la Hollande se passerait plus aisément que des nôtres. En est-il de même des produits que Gand introduit en Hollande par le canal de Terneuze ?

C’est donc à tort qu’on envisage les propositions du gouvernement comme une faveur accordée à la province de Liège.

M. de Brouckere. - Si j’ai bien compris le but de M. Mast de Vries, en faisant sa proposition, il voulait appeler l’attention du gouvernement et des chambres sur la question de savoir s’il n’y aurait pas possibilité de faire une exception au système général, dans l’intérêt de la province de Liége. C’est là, je pense, le but que s’est proposé M. Mast de Vries. Il l’a atteint en ce sens que le ministre vient de formuler une proposition qui doit donner toute satisfaction à cet égard. J’ai donc lieu de penser que l’honorable membre ne persistera plus dans sa proposition en la laissant dans la généralité primitive. Je fais cette observation parce que j’ai entendu l’honorable M. Cogels combattre cette proposition telle qu’elle est conçue.

M. Mast de Vries. - Ma proposition était une mesure de conciliation.

M. de Brouckere. - Par conséquent, j’ai bien interprété votre pensée. La proposition primitive de M. Mast de Vries disparaît. Nous n’avons à nous occuper que de celle de M. le ministre. Un député de Liège a déjà exprimé l’opinion que la question devrait être posée dans des termes autres que ceux proposes par M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre, dans son discours, n’avait parlé que du café. L’honorable M. Delfosse aurait voulu que la question fût posée dans des termes généraux. Je ne fais qu’une seule observation : c’est que les arguments qui s’appliqueraient au café, ne s’appliqueraient pas aux autres marchandises. Ce que je dis, c’est pour simplifier la discussion. Il va sans dire qu’il dépend d’un membre de faire une proposition supplémentaire et de dire : je demande l’extension de la proposition du ministre à tels autres objets, comme un autre pourra proposer que le maximum de 7 millions soit porte à un chiffre plus élevé.

Je crois, comme M. le ministre de l’intérieur, que si cette question doit être approfondie, ce doit être en comite secret. Il est impossible que cette question, qui comprend tout ce qui est relatif aux représailles, puisse être discutée à fond en public. Si l’honorable M. Delfosse désire discuter la proposition de M. le ministre de l'intérieur sous le point de vue de savoir si l’on doit l’étendre à d’autres marchandises ou porter le maximum à un chiffre plus élevé, il me semble incontestable qu’une discussion de cette nature ne peut avoir lieu qu’à huis-clos.

(Moniteur belge n°146, du 25 mai 1844) M. Delehaye. - Le but que l’on s’était proposé par le système des droits différentiels était d’assurer l’exportation de produits de notre sol et de notre industrie. Réduit aux chétives proportions que propose M. le ministre de l’intérieur, il ne répondra que bien difficilement à votre attente. Toutefois il aura produit cet avantage, que les localités qui ont réclamé contre ce système auront obtenu certaines concessions. C’est ainsi que M. le ministre des finances, si bienveillant pour certaine industrie, vous a proposé, il y a quelques jours, un projet de loi relatif à la restitution du droit sur la quantité de sel supposée employée dans la fabrication des fromages, proposition qui certes lui méritera les bénédictions du pays, quoiqu’il y a quelque temps il ait cru devoir refuser pareille faveur aux fabricants de tabacs, sans doute parce que l’importance de leur commerce et de leur industrie ne méritait guère son attention.

C’est encore ainsi qu’on donne satisfaction aux réclamations des riverains de la Meuse, dans le seul but sans doute d’obtenir des députés de ces localités un vote approbatif.

C’est à tort alors que le gouvernement propose la nouvelle mesure, qui ne tend d’ailleurs qu’à détruire complètement le système des droits différentiels.

Liége réclamait certains avantages qui lui ont été fort contestés au commencement de la discussion, et qu’hier encore on lui refusait. On disait que l’on ne pouvait point établir une exception quelconque, parce que si vous en établissiez une, vous poseriez par là même un acte qui légitimerait des représailles de la part des puissances exceptées de la mesure.

Aujourd’hui, l’on ne craint plus ces représailles puisqu’on veut excepter de la mesure générale les entrepôts de Hollande. C’est ainsi que cette loi, à laquelle le pays attachait une grande importance, que les droits différentiels qu’on croyait propres à relever notre industrie, seront réduits à des proportions si mesquines, qu’au lieu d’être favorables au pays, ils ne feront que favoriser quelques localités aux dépens des autres.

Je représente une localité fort importante, il me semble qu’elle a droit aussi à réclamer des faveurs ; elle, dont l’industrie occupe un nombre considérable d’ouvriers. Cependant le gouvernement demeure insensible à ses justes réclamations. Est-ce que par hasard, l’industrie qui s’occupe de la fabrication des fromages serait plus utile au pays que l’industrie cotonnière ? La première cependant constituant une spécialisé, n’a guère à craindre la concurrence étrangère ; la seconde, grâce à l’apathie du gouvernement, n’est pas même en possession de notre marché. Ill faut, messieurs, que le fromage possède une grande vertu pour mériter à ce point la bienveillance tout exceptionnelle de M. le ministre des financés ; il néglige les intérêts des grandes industries : l’agriculture même, dans ce qu’elle a de plus précieux, dans l’élève du bétail, n’a pas trouve grâce devant lui. Mais le fromage ! Ah c’est bien autre chose ! Le fromage destiné à la consommation étrangère, sera désormais exempté du droit sur le sel ?

En vain démontrons-nous que le système qu’on nous propose ne saurait être favorable à l’industrie. Mon honorable ami, M. Manilius, l’a démontré à toute évidence, la matière première sera frappée d’un renchérissement. En vain les raffineurs de sucre se plaignent-ils. Le commerce de cabotage élève inutilement la voix. Le gouvernement garde une impassibilité désespérante.

Ce n’est pas tout : non seulement on ne fait pas droit à nos réclamations, mais voyez, messieurs, quelle belle perspective nous présente le projet en question. Augmentation dans le prix de la matière première, conséquence inévitable du système des droits différentiels, et, ce qui n’est pas moins à redouter, c’est ce dont vient de nous menacer l’honorable M. Pirmez. Il trouve que rien n’est plus anti-différentiel que le remboursement du péage sur l’Escaut ; nous aurions donc encore à craindre des entraves à la navigation.

Quant au droit sur la matière première, il a été prouvé que les calculs de l’honorable M. Manilius sont de la plus grande exactitude. Les journaux qui se sont occupés de cette discussion ont prouvé que l’opinion de M. le ministre des finances est complètement erronée. Malgré cela, M. le ministre des finances prétend que la matière première, le coton, sera moins imposée. Je persiste à soutenir que cela n’est pas.

En résumé, je le répète, voici notre perspective : renchérissement de la matière première et suppression du remboursement du péage sur l’Escaut. Je pense que cela suffit pour que tous les députés des Flandres se concertent afin d’obtenir des concessions. J’engage mes commettants à faire les démonstrations légales. Alors sans doute le gouvernement fera en notre faveur ce qu’il fait aujourd’hui en faveur de Liége.

(Moniteur belge n°125, du 24 mai 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me permettrai de demander à l’honorable préopinant ce qu’au fond il veut en faveur de l’industrie cotonnière. Veut-il une augmentation de droits ? On ne la lui a pas refusée ; on lui a à plusieurs reprises annoncé qu’on examinerait la question. On a assez fait entendre qu’on pourrait admettre un droit plus élevé pour les tissus imprimés.

On a dit qu’on examinerait la question. Que veut-il de plus ? Une chose que la chambre lui a refusée, pour laquelle il n’y a pas en ce moment de majorité. Il demande donc l’impossible en demandant ce que la chambre a refusé. Il veut l’estampille et la recherche à l’intérieur. Je ne veux pas discuter ces questions purement industrielles, et qui n’ont aucune connexité, aucun rapport avec l’objet qui nous occupe.

Il me suffira de dire qu’il y a 18 mois, il n’y a pas eu majorité en faveur de cette mesure.

Laissez faire au temps. Si la loi sur la répression de la fraude est insuffisante, vous obtiendrez un renforcement de la loi, soit par les mesures qui sont vos moyens favoris, soit par d’autres mesures que nous découvrirons.

L’honorable préopinant soutient de nouveau qu’il y aura renchérissement sur les matières premières, qu’on a empiré la situation de l’industrie cotonnière et d’autres industries. Combien de fois faut-il démontrer que c’est l’erreur la plus évidente, que vous recevrez en presque totalité au droit d’un centime les cotons qui supportent aujourd’hui un droit de 1 fr. 70 c. C’est une chose prouvée, sans réplique possible. il faut nous démontrer par des chiffes que nous avons tort. Si vous nous démontrez par des chiffres que nous avons tort, vous nous trouverez disposé à atténuer encore le tarif.

Déjà nous l’avons fait, puisque nous avons annoncé, comme principe général, que les matières premières, là où il y a augmentation, ne seraient pas passibles de cette augmentation la première année.

Le système de droits différentiels va le réduire à rien, dit l’honorable préopinant. D’un côté, il trouve que ce système empire la situation de l’industrie (nous ne pouvons assez le répéter, les matières premières seront, à l’avenir, favorisées) ; après avoir ainsi alarmé l’industrie, il dit au commerce : Vos espérances vont s’évanouir. Le système des droits différentiels croule par sa base.

J’avais prévu cette objection : nous proposons une exception pour 7 millions de produits coloniaux, de café, que vous êtes dans l’impossibilité d’aller chercher aux lieux de production, ni de recevoir des lieux de production. Il se trouve donc que, par le fait, ces 7 millions sont exceptés de votre système.

Le système entier s’applique à 104,246,270 fr. Déduisez-en 7 millions, restera 97 millions d’importations, presque entièrement coloniales, sur lesquelles vous allez opérer. N’est-ce rien ? Et la base du système vient-elle à disparaître, parce que 7 millions, exceptés par la force des circonstances, sont exempts de droit. Que faisons-nous ? Nous substituons le droit au fait ; nous admettons officiellement un résultat que les circonstances rendent inévitables.

C’est en présence d’une démonstration aussi évidente qu’on vient dire que le système des droits différentiels croule par sa base.

Si cette non-importation directe de 7 millions de café java suffit pour détruire votre système de droits différentiels, établissez un droit tel que l’importation indirecte de café java soit impossible ; c’est ce que vous ne proposerez pas ; c’est ce que ne proposeront pas tous ceux qui sont partisans de droits modérés. Dans ce système, ce n’est pas 2 fr. 50 mais plus de 7 fr. de droits différentiels qu’il faudrait.

Le système, tel qu’il a été formulé dans toutes les propositions, ne consacre, de fait pour le café java, qu’une importance directe purement nominale. Que nous fait alors l’exception proposée ? En réalité, elle n’altère aucunement la portée du système. Elle ne fait que consacrer de droit ce qui serait dans tous les cas la réalité.

En vérité, on nous place dans une position bien difficile, je dois l’avouer. Les démonstrations, fondées sur des faits, sur des chiffres, nous ne cessons de les reproduire. On ne cesse de reproduire des allégations vagues et inexactes. Qu’on discute les chiffres en fait. Qu’on prouve que le coton est renchéri, que 7 millions de café java importés indirectement suffisent pour détruire le système. Qu’on ne s’arrête pas à des allégations vagues.

Quant à moi, je persiste à soutenir que le système n’est pas anti-industriel, d’une part, et que, de l’autre, il conserve son caractère protecteur, dans une limite modérée, en faveur de notre marine, avec toutes les espérances qu’on y a rattachées.

Nous demandons qu’on accepte avec nous la discussion des faits et des chiffres.

Quant aux réclamations en faveur de l’industrie cotonnière, nous pourrons prouver que nous savons protéger le travail national. J’en appelle à l’honorable préopinant lui-même. A plusieurs reprises, il a reconnu que nous avions protégé le travail national.

Ce qu’on a fait pour les tissus de laine, et autres objets manufacturés, pourra se faire pour les cotons imprimés, quand l’instruction sera achevée.

Mais ne demandez pas l’impossible. Demander l’estampille et la recherche à l’intérieur, c’est nous demander l’impossible du moins pour le moment, c’est demander l’impossible à la chambre. (Interruption.)

Je dis que c’est impossible législativement. Il faut savoir attendre. Nous examinerons la question. Il y a 18 mois que nous l’avons examinée, et qu’il n’y a pas eu de majorité dans la chambre, Nous l’examinerons de nouveau. L’honorable préopinant verra si la majorité est changée. Sous un gouvernement de majorité, toute chose est impossible, s’il n’y a pas une majorité qui la veut.

M. Osy. - Messieurs, sans m’expliquer encore sur l’amendement dont vient de donner lecture M. le ministre de l’intérieur, je dois dire qu’il me sourit, parce que les scrupules que j’avais, que nous étions injustes envers la Hollande, en favorisant les entrepôts de la Méditerranée, tombent entièrement.

Je n’entrerai pas dans les détails de l’amendement proposé par M. le ministre, parce que je crois, comme l’honorable M. de Brouckere, qu’il convient mieux de le discuter en comité secret.

Je dois déclarer, messieurs, que je ne comprends pas comment les députes de Gand peuvent encore être opposés aux droits différentiels. L’honorable M. Delehaye nous dit que l’honorable M. Manilius nous prouvé à l’évidence que nous faisions du tort à l’industrie cotonnière. Je crois, au contraire, que plusieurs honorables orateurs ont prouvé qu’il n en était rien, et si nous voulions prouver de nouveau que l’industrie cotonnière sera favorisée, cela ne nous serait pas difficile.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous discuterons cela l’article coton.

M. Osy. - Nous pourrons le discuter. Mais je crois que les honorables députés de Gand sont dans une complète erreur. Je suis persuadé que les industriels de cette ville importeront à l’avenir leurs cotons avec une réduction de 50 p. c. sur les droits d’entrée ; qu’au lieu de payer 120,000 fr., ils ne payeront plus que 60,000 fr. de droits. Je ne comprends donc pas, je le répète, l’opposition de la ville de Gand. Je suis enchanté que M. le ministre de l’intérieur ait trouvé le moyen de faire quelque chose pour la Meuse ; car, moi aussi, j’accorde toutes mes sympathies à la Meuse. Je crois qu’en présence de la proposition nouvelle, toute crainte d’hostilité de la part de la Hollande doit disparaître.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - N’ai-je pas encore donné hier une preuve de l’intérêt que nous portons aux industriels des Flandres, en vous signalant une chose qui a frappé tout le monde ? c’est l’espèce de prime accordée à la marine belge, au cabotage pour l’importation de tissus étrangers.

M. Delehaye. - C’était assez connu.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous n’en avez jamais rien dit.

M. Delehaye. - C’est la fraude qui nous introduit surtout les tissus étrangers.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne m’occupe pas ici de l’introduction en fraude,, qui n’est qu’une conjecture, je m’occupe d’un fait : l’introduction officielle. Or, je dis que l’introduction officielle est protégée par une prime qui s’élève jusqu’à 80,000 francs. C’est là un fait que j’ai signalé le premier et que vous n’aviez jamais signalé.

M. Osy. - J’ajouterai un mot à ce que je viens de dire : c’est que je trouve très fondée l’observation de l’honorable M. Delehaye, quant à la faveur qu’on veut faire à l’industrie des fromages. Il est bien certain que les blanchisseries qui arrangent les toiles de Gand, auraient autant de droits à cette faveur. C’est une observation que j’ai déjà faite au commencement de la semaine, en appuyant une pétition qui la réclamait.

M. Delfosse. - Je n’ai pas demandé la parole pour m’occuper des fromages (on rit) ; nous nous en occuperons lorsque le moment sera venu, mais pour répondre quelques observations qui ont été présentées par l’honorable M. de Brouckere et par l’honorable M. Delehaye.

L’honorable M. de Brouckere nous a dit que la proposition de l’honorable M. Mast de Vries disparaissait en présence de celle du gouvernement. C’est là une erreur, M. le ministre de l’intérieur a proposé un mode d’exception pour les entrepôts hollandais ; l’honorable M. Mast de Vries en a proposé un autre. Lorsqu’on examinera l’exception proposée par M. le ministre de l’intérieur, il faudra en même temps examiner la proposition de M. Mast de Vries. L’une de ces propositions ne disparaît pas devant l’autre.

L’honorable M. de Brouckere a ajouté qu’il y aurait de l’inconvénient à examiner la question en séance publique. Le moment n’est pas venu, messieurs, de décider s’il y aura recrudescence de comité secret ou non. Le règlement a tracé des formes qu’il faut suivre. La chambre ne peut se former en comité secret que sur la demande du président ou de dix membres, et ce n’est que lorsqu’on est en comité secret, que l’on discute si la discussion sera publique ou si elle aura lieu à huis-clos.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est vrai.

M. Delfosse. - Je suis charmé d’avoir, cette fois, l‘approbation de M. le ministre de l’intérieur, cela ne m’arrive pas souvent (On rit.)

M. Dolez. - Et vice versa.

M. Delfosse. - Je crois, messieurs, que la chambre fera bien de fixer un jour pour la discussion de cette question spéciale.

Il est nécessaire que nous ayons quelque temps pour réfléchir sur la portée de la proposition de M. le ministre.

J’arrive maintenant aux observations de l’honorable M. Delehaye.

Je suis surpris des craintes que mon honorable ami a témoignées. Mon honorable ami a paru croire qu’il y avait une transaction entre les députés de Liége et le gouvernement, et qu’à la suite de cette transaction, les députes de Liège allaient donner un vote favorable à la loi.

Mon honorable ami peut se tranquilliser ; la concession qu’on nous offre, nous l’accepterons, si nous ne pouvons avoir mieux ; mais elle ne nous décidera nullement à donner un vote favorable à la loi. J’espère que l’honorable M. Delehaye se joindra à nous pour la rejeter. Nous trouvons le principe mauvais, et ce n’est pas pour une concession de détail que nous donnerons notre assentiment à la loi.

Il n’y a pas eu de transaction entre le gouvernement et les députés de Liége ; M. le ministre de l’intérieur ne nous a pas fait appeler dans son cabinet, comme il a fait appeler les députés de Gand ; il n’a pas cherché à s’entendre avec nous, comme il a cherché à s’entendre avec eux.

L’honorable M. Delehaye paraît croire que c’est aux démarches, aux démonstrations des industriels liégeois, qu’est due la concession que M. le ministre de l’intérieur vient de proposer, et il dit : Nous aussi nous ferons des démonstrations ; nous aussi nous viendrons à Bruxelles. Mais je ferai remarquer à mon honorable ami que nous n’avons pas donne l’exemple ; il sait très bien que ce sont les industriels de Gand qui ont donné l’exemple.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est très vrai, j’ai reçu deux fois des démonstrations monstres.

M. Delfosse. - Les industriels de Gand sont venus en très grand nombre à Bruxelles ; ils ont été reçus par le Roi et à leur tête se trouvait l’honorable M. Delehaye. (Hilarité.)

(Moniteur belge n°146, du 25 mai 1844) M. Delehaye. - M. le ministre de l’intérieur se plaint que nous lui ayons fait une position très difficile ; mais cette position a été rendue difficile par le gouvernement lui-même.

Vous vous rappelez, messieurs, que, bien des fois déjà, dès le commencement de la session, plusieurs branches d’industries nous avaient adressé des pétitions pour demander des protections, et toujours M. le ministre de l’intérieur avait proposé que ces pétitions fussent déposées sur le bureau pendant la discussion actuelle, parce qu’alors, disait M. le ministre, on prendrait les mesures sollicitées. Au commencement de cette discussion nous avons rappelé ces pétitions ; et que nous a répondu M. le ministre de l’intérieur c’est qu’il ne s’agissait pas de prendre des mesures en faveur de l’industrie, mais de statuer sur l’établissement des droits différentiels. C’est donc M. le ministre de l’intérieur qui s’est fait la position difficile où il se trouve en ne tenant pas la promesse qu’il nous a faite.

M. le ministre de l’intérieur vient de nous donner, comme une grande marque de sa sympathie, l’opinion qu’il a émise, hier, touchant la prime accordée aux navires qui importent des objets fabriqués. M. le ministre le l’intérieur n’est nullement admis à réclamer la priorité de cette invention ; car l’honorable M. de Haerne lui-même, dans le projet dont il a saisi la chambre, en fait mention à l’art. 4 : il demande que les importations des objets fabriqués d’Europe soient frappés d’un droit beaucoup plus considérable que les autres fabricats ; ou plutôt il demande que, pour l’importation de ces fabricats, on accorde moins d’avantages qu’à d’autres produits. C’est donc à tort que M. le ministre de l’intérieur réclame l’honneur d’avoir signalé le premier ces importations comme nuisibles à l’industrie indigène.

Mais une chose qui doit étonner tout le monde, c’est que M. le ministre de l’intérieur, qui reconnaît les inconvénients de cet état de choses, ne propose pas d’y apporter immédiatement un remède. Comment ! vous prétendez avoir indiqué le premier ces inconvénients, bien qu’ils eussent déjà été signalés par les intéressés eux-mêmes, par l’honorable M. de Haerne ; et vous qui avez en main les moyens d’y porter remède, vous ne vous empressez pas de nous proposer une mesure pour atteindre ce but ? Vous voyez, messieurs, qu’il y a beaucoup de prétentions d’un côté, et déclaration de l’autre qu’on ne veut rien faire pour l’industrie.

Messieurs, chaque fois que j’ai parlé de l’industrie de ma localité, M. le ministre de l’intérieur a cherché à effrayer la chambre par l’épouvantail de l’estampille ; il vous a dit : La chambre ne veut pas de l’estampille. Ainsi, remarquez que M. le ministre de l’intérieur, tout en protestant de ses sympathies pour l’industrie, n’a qu’un seul but, c’est de vous effrayer de l’estampille.

Messieurs, j’ai déjà démontré que, dans les pays où l’on a admis l’estampille, on vit aussi libre, aussi heureux qu’en Belgique. Mais je dois déclarer que je ne suis pas moi-même grand partisan de l’estampille ; je ne la veux que parce que, sans elle, la fraude ne peut être réprimée. Je veux qu’on accorde une protection suffisante à l’industrie et surtout à la main-d’œuvre, au travail national ; je veux qu’on sache se soumettre à quelques privations pour favoriser le travail national. Nous devons savoir nous imposer des sacrifices dans l’intérêt général. Ne devons-nous pas faire partie de l’armée ? Cette mesure de la milice n’est-elle pas bien plus vexatoire que l’estampille ?

D’ailleurs, messieurs, l’estampille n’est pas une chose si effrayante ; car, comme je vous l’ai dit à une autre époque, il n’ya pas d’exemple, dans les pays où elle est établie, que l’on ait fait des visites domiciliaires sans qu’elles n’aient eu du succès. On ne fait de pareilles visites que lorsqu’on est certain de trouver des marchandises fraudées. Ces recherches se font encore aujourd’hui dans une partie considérable du pays, dans le rayon de la douane, sans que personne ne s’en plaigne ; or, ce que l’on supporte dans le rayon, pourquoi donc ne le supporterions-nous pas, alors surtout que cette mesure pourrait mettre un terme à la fraude, l’un des plus grands obstacles au développement de l’industrie ? -

Il n’y a donc pas de quoi s’effrayer de l’estampille ; tout ce qu’il y a d’évident, c’est que M. le ministre de l’intérieur ne vent pas prendre des mesures en faveur de l’industrie.

On a dit aussi que le projet que nous discutons n’amènerait pas un renchérissement de la matière première. Comme on l’a fait observer, c’est quand nous parviendrons à l’article Coton et à l’article Sucre, que nous pourrons examiner cette question. Qu’il me soit permis cependant de vous soumettre une seule considération : c’est que par cela seul que vous empêchez l’industrie de prendre ses matières premières dans les entrepôts d’Europe, vous empirez sa position ; car, en détruisant le cabotage, vous empêchez de profiter des bas prix qui peuvent se présenter sur les marchés du Havre et de Liverpool.

Vous remarquerez qu’au commencement de la séance vous avez établi une différence entre Marseille et le Havre. Ne peut-il pas se faire que les sucres, les cotons présentent des avantages précisément dans les ports pour lesquels vous retirez la faveur, et par cela même que vous soustrayez quelque marché à l’industrie pour l’achat de la matière première, vous empirez sa position.

Au reste, comme j’ai eu l’honneur de le dire, je me réserve de revenir sur ce point, quand nous arriverons aux articles du tarif : Sucre et coton.

Je dois un mot de réponse à mon honorable ami M. Delfosse qui a dit que je m’étais rendu chez M. le ministre à la tête d’une députation monstre.

M. Delfosse. - Je n’ai pas dit monstre ! (On rit.)

M. Delehaye. - Soit ! on le dit à mes côtés. Je veux bien que ce soit une députation monstre, et que je l’ai accompagnée chez M. le ministre. D’abord on a tort d’en faire un reproche à la ville de Gand. Ce n’étaient pas des Gantois qui composaient cette députation, mais des intéressés de l’une et de l’autre Flandre.

L’honorable membre remarquera que je ne lui en ai pas fait un reproche. S’il a engagé ses commettants a se rendre à Bruxelles il a très bien fait. Quand de graves intérêts sont menacés, nous faisons bien d’engager nos commettants à faire une démonstration, en se renfermant toutefois dans les bornes prescrites par les lois.

C’est parce qu’une députation de 150 personnes des deux Flandres est venue à Bruxelles, que l’industrie cotonnière a obtenu quelque chose. C’est à cause de la députation de Liége qu’a été présentée la proposition en discussion.

J’ai lieu d’espérer que lorsque les industriels de ma localité feront connaître, toujours légalement, leurs griefs et leurs légitimes prétentions, le gouvernement ne manquera pas de soumettre à la chambre les mesures qui pourront les soustraire aux effets désastreux de la France.

(Moniteur belge n°145, du 24 mai 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désire qu’on ne donne pas un faux caractère à la proposition que j’ai faite. Un gouvernement de publicité doit tenir compte de toutes les manifestations légitimes qui se produisent dans le pays. Si c’est ainsi que l’honorable préopinant entend les démonstrations dont il a parlé, je ne repousse pas ses observations. Certainement, le gouvernement doit saisir avec empressement l’occasion de rassurer une province aussi importante que celle de Liège.

Mais je ne suis pas seulement dominé par des idées locales, provinciales, mais par une idée politique. C’est parce qu’une grande idée politique, une idée d’intérêt général se rattache à la proposition qu’elle a été faite.

Que l’honorable préopinant provoque toutes les manifestations légitimes qu’il jugera convenables. Mais il y a un obstacle légitime, devant lequel l’honorable préopinant devra s’arrêter ; cet obstacle, c’est la majorité parlementaire.

Toutes les démonstrations, quelque légitimes qu’elles puissent être, seront vaines quand elles seront repoussées par la majorité parlementaire.

Si la majorité parlementaire acquiesce la proposition, ce n’est pas seulement parce qu’elle est dans l’intérêt de telle ou telle province mais c’est parce qu’elle a reconnu qu’il y une nécessite politique.

Qu’un jour une majorité du même genre se produise dans cette chambre en faveur des mesures que réclame l’honorable préopinant, nous l’en féliciterons. Nous attendons avec lui qu’elle se produise. L’honorable préopinant croit qu’il y a peu de chose à faire sans la recherche à l’intérieur et l’estampille. Je le prie de croire que l’estampille et la recherche à l’intérieur ne m’effrayent guère personnellement. Mais qu’il fasse attention aux répugnances qui existent dans cette chambre et dans le pays contre cette mesure.

J’ose faire un appel à l’honorable membre. Pense-t il que ces mesures seraient acceptées par la chambre ? Non, sans doute.

Je dis donc que ce n’est pas à cause d’un intérêt local qu’est présentée la proposition, mais parce qu’il y a un grand intérêt politique en cause.

M. Desmet. - Il est certain que l’on fait une concession à la Hollande. Pourquoi ? Je l’ignore ; mais il est positif qu’on en fait une. L’exception que l’on veut faire au système, qui lui fait une grande brèche est certainement une concession gratuite !

Quant à des représailles, je ne les crains pas. D’une nation qui nous importe 40 millions, et à qui nous n’importons que 8 à 10 millions, il n’y a pas de représailles à craindre car, quand on trouve dans la statistique commerciale de 1842, que nos exportations vers la Hollande se sont élevées à 18 millions, on doit observer que depuis cette année ce chiffre a considérablement diminué et s’est réduit à moins de 10 millions ; alors l’article des tissus figurait assez grandement, tandis qu’aujourd’hui nous expédions bien peu de ces articles, et surtout les indiennes ou toiles de coton imprimées ; les Anglais se sont emparés du marché hollandais, on peut dire qu’ils y ont le monopole.

Eh ! messieurs, quand on fait des concessions gratuites, on n’en pèse pas toujours le danger ; comment veut-on obtenir des traités de commerce quand on donne aux autres nations tout ce qu’elles désirent et même ce qu’elles ne demandent point ? Je ne puis assez blâmer ce déplorable système, c’est la ruine de l’industrie et du commerce du pays. Mais, dit M. le ministre de l’intérieur, vous ne pouvez pas vous passer du café des Hollandais, du café java, vous n’en employez pas d’autre, vous en avez le goût, vous ne pouvez vous mettre du jour au lendemain à en employer d’autre. Mais que l’honorable ministre veuille voir la chose de plus près, il verra que sur les 24 millions de café qui entrent en Belgique, il n’y en a que 8 millions qu’elle reçoit des possessions hollandaises. Il verra que nous en recevons aussi 8 millions du Brésil, 5 millions de Haïti et les trois autres millions encore de quelque autre pays de production. Ainsi l’on ne peut pas dire qu’on ne peut se passer du café Java, que les Belges en ont besoin comme de leur pain quotidien ; au besoin nous pourrons nous en passer, et très aisément remplacer le java par le brésilien ou par d’autres provenances. La concession que nous faisons donc en faveur de la Hollande est purement gratuite et très défavorable aux intérêts de la Belgique. Lorsque vous faites ces concessions gratuites et dont le commerce ni l’industrie belges ne retirent aucun bien, faites du moins quelque chose dans ce cas-ci en faveur du commerce et pour le besoin de l’industrie nationale, faites des concessions utiles.

Si, pour les entrepôts d’Europe vous faites l’exception seule en faveur de la Hollande, vous négligez ceux que le commerce et l’industrie du pays réclament. Où prenez-vous l’indigo que votre industrie a nécessairement besoin ? Pouvez-vous le prendre autre part que des entrepôts de l’Angleterre ? et cependant le ministre ne songe pas cet objet d’importance, à cette matière première indispensable.

Pour le coton anglais, c’est encore la même chose, on est encore obligé d’avoir recours quelquefois aux entrepôts anglais, non pas pour le prix, comme on pourrait le croire, mais surtout pour les qualités. Car, messieurs, c’est souvent dans les qualités de coton qui manquent, où se trouve la cause que nous ne pouvons faire le même fil que les Anglais. Mais M. le ministre le reconnaît lui-même ; l’amendement qu’il a présenté hier ne le démontre-t-il pas suffisamment que nous ne pourrons pas nous passer, dans la première année, du coton que nous prenons en Europe, et que le tarif différentiel qu’il prescrit agit sur le coton brut, de manière que l’on ne pourra pas se le procurer si facilement qu’actuellement ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le coton à Londres reste soumis à un droit de 1 fr. 70 c. C’est le droit d’entrepôt.

M. Desmet. - Le fait est que pour l’industrie vous ne pouvez vous passer du coton de l’Angleterre, à cause de la qualité.

M. le ministre de l'intérieur dit que l’on avait fait de grands avantages à la fabrique de coton de Gand.

M. le ministre veut parler de la proposition qu’il a faite hier pour l’entrée des tissus de coton. Nous devons l’en remercier. Mais je me permettrai de lui faire observer que cette idée ne lui appartient pas, elle est la propriété de l’honorable M. Cassiers ; elle appartient à ce système des droits différentiels que M. le ministre a attaqué avant-hier avec tant de véhémence et même d’une manière peu parlementaire. Si, avant de critiquer si fortement un projet, on l’avait plus mûrement examiné et étudié, je crois qu’on aurait vu qu’il y avait du bon, et M. le ministre l’a même prouvé par l’amendement dont je viens de parler : il a reconnu que le système n’était pas si mauvais qu’il l’avait cru de prime-abord et qu’il méritait bien l’honneur de l’examen. Je dirai, comme je l’ai encore dit, que c’est bien dommage que le ministre, qui a examiné le système présenté par la chambre de commerce d’Anvers n’ait pas aussi examiné celui projeté par M. Cassiers. Je pense que, s’il avait voulu voir ce système dans son ensemble et s’il l’avait étudié et médité, il n’aurait pas dû proposer une exception pour les entrepôts de Hollande, parce que, dans le système de l’honorable sénateur, on peut accepter les arrivages des entrepôts d’Europe, puisqu’on atteint le but en assurant l’exportation que nous recevrons des entrepôts, peu importe, si nous exportons par ce moyen. Dans ce cas, l’importation des entrepôts est fort utile.

C’est ainsi qu’est résolue dans ce système la question difficile des entrepôts d’Europe, et que ce système sait concilier tous les intérêts et qu’il donne un apaisement complet aux plaintes des représentants de la province de Liége ; qu’on veuille encore le voir avec impartialité et quelque attention, On verra qu’il résout aussi complètement toutes les questions que présente le système des droits différentiels.

M. le ministre de l'intérieur veut vous faire peur quand il parle de l’estampille et de la recherche à l’intérieur que l’industrie cotonnière réclame pour pouvoir exécuter le tarif. On dirait que rien n’est plus vexatoire que cette mesure. Mais je dois être étonné d’entendre ainsi parler un membre du gouvernement dans un moment qu’on nous présente une loi, par laquelle nous allons voir revivre la régie des droits réunis. Ainsi l’on s’effarouche au gouvernement d’une mesure dont l’on a besoin dans le pays pour garantir l’industrie et le travail contre la concurrence étrangère, et l’on ne craint pas de rétablir les droits réunis pour vexer et chagriner le cultivateur. J’ai dit.

M. Lys. - Je crois devoir répondre à mon honorable ami M. Delehaye, que voulant s’occuper de grandes choses, il s’est attaché à une infiniment petite, celle qui concerne la proposition de loi concernant le drawback à accorder pour la sortie des fromages de Limbourg. Il a reproché à M. le ministre ses finances la présentation de ce projet comme une faveur accordée aux cultivateurs de cette contrée, tour en se plaignant que l’on ne faisait rien en faveur de l’agriculture ; c’est la une contradiction, et j’ajouterai que le ministre, en faisant cette présentation, acquittait une promesse faite au sénat lors de la discussion de l’impôt sur le sel, renouvelant ainsi ce qu’il m’avait dit, lorsque je me plaignais de l’impôt qui n’avait cessé de peser sur ces cultivateurs, pendant que d’autres industries et jusqu’à celle du tabac jouissaient d’une exception.

Le projet de loi dont s’agit ne fait aucune faveur, il n’affranchit pas de l’impôt, ce qui se consomme à l’intérieur, il ne présente rien autre qu’une restitution lors de l’exportation. C’est là un acte de justice et il devient d’autant plus urgent de hâter la discussion de cette loi, que cette industrie est en souffrance, ainsi que cela m’est affirmé par M. Moreau, bourgmestre de Herve, qui depuis longtemps ne cesse de solliciter ce drawback actuellement en discussion, pour remédier autant que possible en ce moment à l’état malheureux des cultivateurs, qui aujourd’hui vendent au prix de vingt-cinq francs, ce qui l’année dernière leur rapportait cinquante francs.

(Moniteur belge n°146, du 25 mai 1844) M. Rogier. - L’honorable M. Desmet a dit que l’on avait tort d’avoir peur de l’estampille et de la recherche à l’intérieur ; à entendre M. le ministre de l’intérieur, il n’aurait pas peur de l’estampille et de la recherche à l’intérieur, mais il aurait peur de n’avoir pas une majorité qui voulût les voter. Que l’honorable M. Desmet se rassure donc, il les aura dès qu’une majorité se sera prononcée. Le gouvernement s’empressera alors de proposer ces mesures.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas dit cela. C’est dénaturer ma pensée.

M. Rogier. - Pardon : à deux reprises vous avez déclaré qu’il n’y a pas encore de majorité pour l’estampille et la recherche à l’intérieur, d’où la conclusion que M. le ministre de l’intérieur proposerait l’estampille et la recherche à l’intérieur, aussitôt qu’il y aurait une majorité pour les voter.

Pour que je ne dénature pas sa pensée, je l’engagerai à l’exprimer nettement.

(Moniteur belge n°145, du 24 mai 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit que si la loi récemment votée était insuffisante, on la renforcerait ; je n’ai pas dit de quelle manière je n’ai pas effrayé la chambre sur l’estampille et la recherche de l’intérieur. J’ai dit que personnellement je n’étais pas effrayé de ces mesures qu’il fallait discuter.

M. Rogier. - Etes-vous contre ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis contre ; en ce moment, je partage toutes vos répugnances ; j’attends qu’on les détruise.

Vous avez dit que j’étais toujours prêt à céder à la majorité. Prenez garde que je ne vous renvoie ce reproche, en signalant l’attitude que vous avez prise dans cette discussion.

M. Rogier. - Sans vouloir discuter la question de savoir si M. le ministre de l'intérieur était toujours prêt à céder à la majorité, je me suis borné à dire qu’il avait déclaré que la majorité n’était pas encore pour l’estampille et la recherche à l’intérieur, donnant ainsi à entendre qu’aussitôt que la majorité se serait prononcée pour l’estampille, le gouvernement l’admettrait.

Maintenant M. le ministre de l’intérieur vient de nous dire qu’il était contre l’estampille, et la recherche, nous verrons s’il sera encore contre, lorsque la majorité se sera prononcée pour.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit la chose la plus simple du monde ; c’est que vous avez contre l’estampille non seulement mon opinion personnelle, l’opinion du gouvernement, mais encore quelque chose de plus fort que le gouvernement, la majorité parlementaire. Je m’étonne que l’honorable membre ait pu se méprendre sur le sens de mes paroles.

Maintenant, messieurs, je demande que la chambre veuille bien voter sur la question que nous venons de discuter et sur la rédaction de laquelle on est d’accord.

M. Delfosse. - Nous sommes d’accord M. le ministre de l’intérieur et moi sur la manière dont la question doit être posée ; nous désirons l’un et l’autre qu’elle soit posée en ces termes : Y aura-t-il une exception pour les entrepôts hollandais ? Mais, M. le ministre de l’intérieur veut ajouter que l’exception sera temporaire. C’est là un point qu’on n’a pas encore discuté.

Je pense que l’on doit pour le moment se borner à décider qu’il y aura une exception, et laisser intact le point de savoir si l’exception sera temporaire et à quels articles elle s’appliquera.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Qu’on pose la question comme on voudra, mais je dis qu’on dénaturerait complètement ma proposition si l’on ne l’admettait pas avec les deux limites que j’ai indiquées : c’est qu’elle soit temporaire et qu’elle ne s’applique qu’au café javanais.

Du reste, nous discuterons cela en comité secret. Je consens à ce qu’on ne préjuge rien.

M. Delfosse. - Ainsi M. le ministre ne demande pas que l’on décide en ce moment si l’exception sera temporaire. Il consent à ce que ce point soit débattu ultérieurement.

M. Desmet. - Messieurs, je n’ai pas jugé les intentions de M. le ministre de l’intérieur d’une manière aussi favorable à mon opinion que vient de le faire l’honorable M. Rogier, je pense au contraire qu’il a cherché à effrayer l’assemblée par les mots de recherche à l’intérieur et d’estampille ; et pour preuve, c’est que j’ai dit que j’étais fort étonné de voir que le gouvernement s’opposait à un moyen d’exécuter le tarif en faveur de l’industrie et du travail national, dans le moment même qu’il nous propose, à l’occasion de l’impôt sur les tabacs, le retour aux droits réunis, pour agir contre les cultivateurs.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de M. le ministre de l’intérieur.

M. Delehaye. - Je demande que la question des entrepôts hollandais soit remise à demain. C’est une question très importante que nous n’avons pas suffisamment discutée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande, moi, que la question soit mise aux voix. Je ne m’oppose pas à ce que l’alternative soit placée dans la question ; qu’on ajoute les mots temporairement ou indéfiniment.

- La question, ainsi modifiée, est mise aux voix ; elle est résolue affirmativement.

« Fera-t-on une distinction entre les produits naturels de consommation ou travaillés, d’une part, et, de l’autre, les matières premières de l’industrie ? »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous avons à résoudre une dernière question de principe, mais cette question est très peu importante. Tout le monde est d’accord à cet égard. Je pense que la chambre veut sérieusement que nous fassions quelques progrès. Je voudrais qu’on pût clore aujourd’hui la série des questions de principe et demain nous aborderons le tarif. Mais il importe qu’on sache qu’on abordera le tarif dans l’ordre indiqué. Je dis dans l’ordre indiqué, parce qu’il faut que tout le monde soit prévenu. Mais je le répète, la dernière question de principe à résoudre n’est pas contestée. Je demande à la chambre la permission de lui donner lecture de cette question :

« Fera-t-on une distinction entre les produits naturels de consommation ou travaillés, d’une part, et, de l’autre, les matières premières de l’industrie : 1° en appliquant le régime des droits différentiels aux premiers, par des surtaxes sur le pavillon étranger et sur les provenances indirectes, et en appliquant, au contraire, ce régime aux matières premières par des réductions de droits en faveur du pavillon national et de la provenance directe ; 2° en adoptant des encouragements comparativement plus modérés pour les matières premières que pour les objets de consommation naturels ou les objets travaillés ? »

Il y aura ce grand avantage que nous pourrons enfin aborder le tarif.

Je pense, messieurs, qu’il faudra suivre l’ordre du tarif tel qu’il est établi, c’est-à-dire, l’ordre alphabétique, et je ferai remarquer dès à présent, que les premiers articles du tarif sont le suivants : d’abord l’article baleines qui probablement ne soulèvera pas une grande discussion (on rit) ; ensuite l’art. bois, et cet article est important ; il faut donc que nous soyons préparés à le discuter ; en 3ème lieu vient l’art. boissons distillées, qui est sans grandes importance, mais après cet article nous aurons les cacao et les cafés. Vous voyez donc, messieurs, que nous devons décider, dès à présent, que nous aborderons demain le tarif, afin que nous puissions nous préparer à discuter ces articles importants que nous y rencontrons dès le principe. La chambre me permettra aussi de dire un mot de moi-même. Si nous n’adoptons pas une pareille marche, il me sera impossible d’arriver ici convenablement préparé. Si l’on voulait demain par forme de motion d’ordre, demander que l’on commençât, par exemple, par l’un des derniers articles, je dois bien le dire, il me serait impossible de donner de mémoire tous les éclaircissements nécessaires. Je demande donc qu’il soit bien entendu que l’on suivra l’ordre alphabétique du tableau.

M. David (pour une motion d’ordre). - Je suis obligé de revenir encore sur une demande que j’avais faite. La chambre avait bien voulu consentir à ce que l’on insérât au Moniteur d’aujourd’hui la traduction des discours qui ont été prononcés dans la dernière discussion du parlement anglais, discussion que l’on avait qualifiée de très intéressante. Je ne sais pas si à cette occasion, on est de nature à nous fournir quelques révélations ; je suis disposé à le croire, car je ne puis m’expliquer la persistance que l’on met à ne pas faire droit à ma proposition. Il me semble qu’il doit y avoir là quelque chose de caché ; je demande que la traduction dont il s’agit soit insérée dans le Moniteur de demain et s’y l’on s’y refuse je traduirai cette discussion moi-même.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre désirait savoir quelle avait été l’issue de la discussion ; eh bien, la motion a été immédiatement rejetée.

M. le président. - Il a été écrit au directeur du il conformément à la décision de la chambre, j’ignore la cause qui a pu empêcher l’insertion dans le numéro de ce matin.

M. Vilain XIIII. - Le directeur du il n’a reçu la lettre que hier soir, et alors il était trop tard pour que la traduction pût être faite et insérée dans le numéro d’aujourd’hui.

M. de Haerne. - M. le ministre de l’intérieur vient de manifester le désir de voir clore la discussion des questions de principe. Je pense qu’il est encore une question de principe très importante qui doit être traitée ; c’est celle des entrepôts flottants.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette question a été traitée et l’on pourra du reste y revenir dans la discussion des chiffres, si on le juge convenable. L’honorable membre pourra démontrer alors que ce qu’il appelle les entrepôts flottants est trop favorisé, et si nous trouvons ses observations fondées, nous les prendrons en considération.

M. de Haerne. - Je sais bien que cette question pourra être traitée dans la discussion des chiffres, mais cette observation pouvait s’appliquer à toutes les questions de principe que nous avons examinées ; il me semble que si cette question était résolue d’abord sous la forme d’une question de principe, la discussion des chiffres en serait beaucoup simplifiée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas que l’on puisse ouvrir une discussion séparée sur cette question. Je crois qu’il faut attendre les chiffres.

M. Donny. - Je dépose sur le bureau un amendement sur l’article bois. Je le développerai demain.

M. Lesoinne. - Peut-on clore avant que la commission d’enquête n’ait fait son rapport sur la proposition de l’honorable M. de Haerne ? Je demande que jusque-là le débat reste ouvert.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si l’on fait une motion d’ajournement, je demanderai la question préalable. La chambre a décidé que l’on continuerait la discussion ; quant à moi, je ferai l’impossible, pour que la décision de la chambre soit maintenue. Je ne me laisserai fatiguer, ni décourager par aucune motion d’ordre, par aucun genre d’entrave. Je demande que l’on mette aux voix la dernière question de principe. Cette question, je le répète, ne comporte pas de discussion, tout le monde est d’accord à cet égard.

La motion d’ordre de l’honorable M. Lesoinne viendra ensuite.

M. Cogels. - Je ne vois aucune utilité à la suspendre jusqu’à ce que la commission d’enquête ait pris une résolution sur la proposition de l’honorable M. de Haerne.

- La chambre, consultée, résout affirmativement la dernière question de principe posée par M. le ministre de l’intérieur.

Proposition d’ajournement

M. le président. - M. Lesoinne a proposé d’ajourner la continuation de la discussion, jusqu’à ce que la commission d’enquête ait présenté son rapport sur les propositions qui lui ont été enseignées.

M. le ministre de l’intérieur a demandé la question préalable sur cette proposition.

M. de Haerne. - Messieurs, la commission d’enquête s’est occupée de ma proposition. Différentes opinions se sont manifestées au sein de la commission. Une idée, entre autres, a semblé prévaloir dans l’esprit de plusieurs de ses membres. Cette idée consisterait à établir une double échelle. Je vous le demande, si l’on ne se décide pas, avant d’aborder les chiffres, que le système qui favorise l’exportation d’une manière plus ou moins directe, sera admis ou non, comment pourra-t-on discuter les chiffres en connaissance de cause ? Je pense donc que la chambre doit d’abord être saisie du rapport de la commission, avant d’entamer la discussion des chiffres.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il me sera facile de démontrer que l’honorable préopinant est dans l’erreur. L’idée à laquelle vient de faire allusion l’honorable préopinant, je la connaissais, ce serait d’accorder une faveur différentielle plus forte aux navires qui auraient exporté. Ainsi, l’on dirait que le navire qui exportera jouira en outre, d’un droit différentiel de 25 p. c., par exemple, ou d’une réduction de 25 p. c. quant à la surtaxe. Je vous le demande, messieurs, si tout le tarif était fait, ne pourriez-vous pas encore adopter cette idée, si vous la jugiez réalisable ? Nous pouvons donc aborder le tarif. Je persiste, en conséquence, à demander la question préalable sur la motion de l’honorable M. Lesoinne.

M. Verhaegen. - Si je comprends bien l’honorable M. de Haerne, les chiffres que nous allons voter dans le tarif doivent dépendre de l’acceptation ou du rejet de la proposition de cet honorable membre. Je m’empare de l’exemple qu’a supposé M. le ministre de l’intérieur : on accorde, a-t-il dit, une déduction d’autant, pour tel objet à l’importation. Eh bien, je suppose qu’on veuille aussi favoriser l’exportation : donnerez-vous encore autant à l’importation quand vous favoriserez aussi l’exportation ? Partagerez-vous également la faveur entre l’exportation et l’importation ? Le chiffre ne sera peut-être pas aussi fort pour l’importation, si vous favorisez en même temps l’exportation ; de manière que si le principe de l’honorable M. de Haerne est admis, on fera concourir les faveurs de l’exportation avec les faveurs de l’importation.

M. de Haerne. - M. le ministre de l’intérieur aurait parfaitement raison, s’il s’agissait d’adopter une seule et même base pour les chiffres. Alors je conçois très bien qu’après avoir discuté et adopté les chiffres, on pourrait décider s’il y aurait une différence entre les navires qui exportent et les navires qui n’exportent pas. Mais il ne s’agit pas, dans la pensée de la commission, d’établir une différence unique et uniforme entre les deux sortes de navires ; mais il s’agit d’établir une différence proportionnelle, d’après la nature de chaque objet. Ainsi, si vous discutez et adoptez d’abord le tarif, vous ne pourrez pas revenir sur ma proposition, à moins de discuter le tarif une seconde fois.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dis que la remise proportionnelle est toujours applicable au tarif. Je prie l’assemblée de vouloir bien ajouter foi à mes paroles, car j’ai fait l’essai de ce système. Je demande donc qu’on passe à l’ordre du jour. On ne peut pas venir, par des motions de ce genre, arrêter une discussion commencée, une discussion publique, une discussion qui a lieu devant tout le pays. La chambre peut être convaincue qu’elle ne se mettra pas dans l’embarras, en passant outre.

M. Coghen. - Il me paraît impossible d’ajourner la discussion du tarif. Le système que pourrait proposer la commission d’enquête ne pourrait pas affecter le tarif. Je suppose qu’on propose une réduction sur les droits d’entrée pour les navires qui exporteraient les produits du pays, il faudrait alors élever tout le tarif ou cette différence deviendrait illusoire. Comment voulez-vous accorder une réduction sur le droit d’un centime que payeront les cotons ? On se plaint déjà d’une augmentation de 55 centimes qu’on n’aura à supporter que dans des cas très rares.

M. de Haerne. - C’est pour cela qu’il faudra voter des chiffres différents.

M. Coghen. - Il est impossible de songer à cela. Si vous voulez faire quelque chose, il faut donner une prime par tonneau de capacité ou suivant la valeur de la marchandise exportée ; mais quant à établir une réduction de tarif pour favoriser les exportations, c’est impraticable.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce qu’on demande n’est pas nouveau, vous avez un système semblable dans la loi de 1822. Je vous demande s’il a fallu examiner tout le tarif, article par article, pour établir le système protecteur qu’elle renferme. On a décidé d’une manière générale que dans tel ou tel cas il y aura réduction de tant pour cent.

M. Delehaye. - La commission présentera un système nouveau.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande qu’on ne sorte pas de la question pour se jeter dans l’inconnu. Je demande la question préalable sur la proposition ; je demande ensuite que demain on aborde le tarif.

M. Cogels. - Pour appuyer la proposition de M. le ministre de l’intérieur, je dirai à la chambre ce qui s’est passé à la commission d’enquête. Elle a eu deux réunions ; elle s’est bornée à entendre MM. de Haerne, Cassiers et Eloy de Burdinne, sans s’arrêter à aucun plan. Seulement on a signalé les difficultés que soulevait la question.

Vous concevez que si la commission parvient à formuler une proposition, avant qu’elle n’y arrive, son travail pourra encore durer assez longtemps. Dans tout état de cause, l’application de la résolution pourrait se faire au tarif après l’adoption comme préalablement, car ce sera une mesure qui aura un caractère de généralité.

M. Verhaegen. - Pour voter, il faut le faire en connaissance de cause ; on peut subordonner son vote à l’admission de la proposition de M. de Haerne. Tel membre qui désire quelque chose en faveur de l’industrie du pays, ne votera le chiffre proposé qu’autant qu’il sera sûr que la proposition de M. de Haerne sera accueillie favorablement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous voterez contre.

M. Verhaegen. - Ce serait voter à l’aventure. Je n’ai pas envie, le moins du monde, de voter à l’aventure. Voici comment je comprends la chose :

Il s’agit d’un chiffre. On veut donner une faveur à l’importation, cette faveur est déterminée par un chiffre. Ce chiffre sera-t-il le même, si en même temps on donne une faveur à l’exportation ? Si par exemple vous accordez cinq francs en faveur de l’importation, donnerez-vous encore 5 fr. pour l’exportation ou diviseriez-vous la faveur de manière à donner quelque chose à l’importation et quelque chose à l’exportation ? Vous voyez qu’avant de voter le chiffre, il faut savoir si après avoir donné quelque chose à l’importation, vous donnerez aussi à l’exportation.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant n’a pas saisi la question. Il s’agit d’une remise proportionnelle comme celle qui existe aujourd’hui.

Je demande la question préalable sur la motion d’ajournement. Il faut maintenir la décision de la chambre.

M. Desmaisières. - Je désire qu’il n’y ait pas d’ajournement ; cependant je dois faire connaitre les faits tels qu’ils sont. La chambre a renvoyé à l’examen de la commission d’enquête une simple question : Mettra-t-on à la jouissance des droits différentiels, la condition d’exporter des produits du sol ou de l’industrie du pays ? Nous avons pensé que, pour répondre à cette question, nous en avions deux autres à examiner. La première est celle-ci : serait-il désirable d’accorder des faveurs aux navires qui exporteraient des produits belges ? A cette question la commission a été unanime pour répondre oui. Des lors que nous reconnaissions tous qu’il était désirable de pouvoir accorder des faveurs à l’exportation des produits du sol et des manufactures, nous avions à rechercher quels moyens pratiques devaient être employés pour arriver à ce but ; nous avons entendu dans leurs développements M. l’abbé de Haerne et M. Eloy de Burdinne.

Un membre de la commission a jeté en avant, sans en faire une proposition entièrement formulée, l’idée, non pas d’accorder une remise proportionnelle sur le tarif tel qu’il serait adopté par la chambre, en faveur de l’exportation des produits du sol et des manufactures belges, mais de diviser chacune des deux colonnes du tarif proposé en deux, et d’établir deux chiffres pour le pavillon national et deux pour le pavillon étranger, Le chiffre le plus élevé frapperait le navire qui n’exporterait pas de produits du pays, et le chiffre moins élevé le navire qui en exporterait.

Ainsi, pour parler par un exemple, je prendrai le premier article du tarif différentiel du gouvernement, l’article Baleines.

Pour 100 kil. de fanons de baleines de la pêche étrangère, importés directement des pays transatlantiques, le droit est de 12 fr. par pavillon national et de 14 fr. par pavillon étranger. On conserverait ou on augmenterait le droit de 12 fr. dans la première colonne des deux, qui concerneraient le pavillon national et on porterait un chiffre moindre dans la seconde en faveur des navires qui exporteraient des produits belges. On en agirait de même pour le droit de 14 fr. à payer par pavillon étranger.

Des augmentations de droits pour les navires qui n’exporteraient pas, pourraient être rendues nécessaires afin de rendre la différence entre ces droits et ceux qui frapperaient les navires qui exporteraient assez forte pour constituer, en faveur de ces derniers navires, un avantage suffisant.

J’ai cru, messieurs, devoir donner ces explications, et je laisse maintenant à la chambre à juger s’il est possible de commencer par arrêter le tarif des droits différentiels, sans attendre que la commission ait pu faire un rapport sur la question qui a été renvoyée à son examen.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La difficulté ne consiste pas à trouver cette stipulation qu’il sera accordé avec une remise proportionnelle d’autant pour cent, mais à trouver les moyens d’exécution. Je désire que la commission continue son travail, j’espère que j’y serai associé ; malgré ma déclaration que je ne crois pas à la possibilité de la réussite, je fais des vœux pour le succès de ses recherches ; mais je désire, d’un autre côté, que la discussion continue sur le tarif. Si les moyens de favoriser l’exportation sont trouvés, je me fais fort de les appliquer au tarif immédiatement.

- La chambre consultée, prononce la question préalable sur la proposition d’ajourner la discussion jusqu’après le rapport de la commission d’enquête sur la question qui lui a été renvoyée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous nous occuperons demain des articles du tarif dans l’ordre alphabétique.

La séance est levée à 3 heures.