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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29 mai 1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Conclusions de la commission
d’enquête parlementaire (commission « de Foere ») et système des
droits différentiels. Politique commerciale du gouvernement. Examen du tarif
des droits d’entrée. Droit d’entrée sur les bois (Osy, de Haerne, Huveners,
Cogels, Donny, Cogels,
de Garcia, (+droit d’enregistrement) de Corswarem, Vandensteen, Rodenbach, Dubus (aîné))
3) Projets de
loi interprétatifs de l’article 821 du code civil et de l’article 334 du code
pénal
4) Conclusions de la commission d’enquête parlementaire (commission « de
Foere ») et système des droits différentiels. Politique commerciale du
gouvernement. Examen du tarif des droits d’entrée. Droit d’entrée sur les bois
(Moniteur
belge n°151, du 30 mai 1844)
(Présidence de M. Liedts)
M.
de Renesse procède à
l’appel nominal à midi un quart.
- La séance est ouverte.
M.
Scheyven donne
lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse communique
les pièces de la correspondance :
PIECES ADRESSEES A
« Les sieurs de Mat et Champagne demandent
des mesures de protection pour la papeterie, l’imprimerie, la librairie et la
fonderie en caractères. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des
conclusions de la commission d’enquête parlementaire.
_________________________
« Plusieurs professeurs et instituteurs,
primaires, des membres des conseils provinciaux et communaux, des docteurs en
droit et lettres, etc., demandent le maintien de l’arrêté royal du 1er janvier
1844, relatif à la traduction du Bulletin
officiel en langue flamande. »
_________________________
« Le
sieur Fack, sous-intendant militaire de première
classe, en non activité, soumet à la chambre un essai sur l’organisation de
l’armée. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner
le projet de loi sur l’organisation de l’armée.
COMPOSITION DES SECTIONS DU
MOIS DE MAI
Première section
Président : M. Osy
Vice-président : M. Thyrion
Secrétaire : M. de Corswarem
Rapporteur de pétitions : M. Sigart
Deuxième section
Président : M. Lys
Vice-président : M. de La Coste
Secrétaire : M. de Meester
Rapporteur de pétitions : M. Malou
Troisième section
Président : M. de Garcia
Vice-président : M. Verhaegen
Secrétaire : M. Van Cutsem
Rapporteur de pétitions : M. Mast de Vries
Quatrième section
Président : M. Lange
Vice-président : M. Delfosse
Secrétaire : M. d’Elhoungne
Rapporteur de pétitions : M. Lesoinne
Cinquième section
Président : M. Desmaisières
Vice-président : M. Jonet
Secrétaire : M. de Renesse
Rapporteur de pétitions : M. Eloy de Burdinne
Sixième section
Président : M. Dubus (aîné)
Vice-président : M. de Mérode
Secrétaire : M. de Haerne
Rapporteur de pétitions : M. de Man d’Attenrode
CONCLUSIONS
DE LA COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE (COMMISSION « DE FOERE ») ET
SYSTÈME DES DROITS DIFFERENTIELS
Discussion du tarif des droits différentiels
Article
« Bois »
M. le
président. - La
discussion continue sur l’article Bois.
La chambre est saisie de cinq propositions :
Celle du gouvernement, la proposition primitive du
gouvernement reproduite par la commission d’industrie, celle de M. Donny, celle
de M. de Corswarem et celle de M. d’Hoffschmidt,
La discussion porte sur ces cinq propositions.
M. Osy. - Messieurs, je serais le premier à
accorder une protection suffisante aux produits du pays, si nous avions, comme
l’a dit l’honorable M. Cogels, des bois similaires à nos grandes importations
de sapin, mais vous ne pouvez pas vous passer des bois du Nord, et même le
tarif le plus élevé qu’on nous propose ne rendra pas la valeur aux bois du
pays, car dans des provinces où l’on ne connaissait pas le bois du Nord, on en
fait venir pour les constructions, et même dans des localités entourées de
forêts.
Ce qui a fait perdre la valeur à vos bois, c’est
la formation de vos hauts-fourneaux au coak et qui
fait diminuer la valeur de la raspe, et en France,
comme cher nous, tout le monde construit avec des bois du Nord ; vos
exportations de bois de chêne ont dû considérablement diminuer, et de plus en
plus, les terrains susceptibles à la culture seront dérodés, et comme il est
prouvé que nous n’avons plus assez de céréales pour la consommation (voyez les
énormes besoins d’orge que nous devons importer), il n’y a pas grand mal de
voir nos forêts converties en terres labourables.
Ainsi on se plaint de la diminution de la valeur
du bois et les propriétés ne font que renchérir et gagner de la valeur.
L’honorable M. de Corswarem
veut conserver et augmenter les bois pour ne pas être tributaires de l’étranger
; mais si vous n’avez pas assez de grains, vous resterez tributaires de
l’étranger, et en cas d’événements politiques, il vaut mieux l’être pour le
bois que pour les premiers besoins de la vie.
Je suis persuadé que même le tarif le plus élevé
qu’on nous propose, ne remédiera pas au mal dont on se plaint, et qu’il n’aura
d’autre résultat que d’avoir la perspective d’augmenter les revenus du trésor,
et comme le bois est matière première et que je veux augmenter autant que
possible les constructions civiles et navales, je ne pourrai donner mon
assentiment qu’au projet de l’honorable M. Donny, ou tout au plus au dernier
tarif du gouvernement, et je crois qu’aller plus loin nous ferions beaucoup de
mal. Les arrivages de bois à Ostende et à Anvers laissent très peu de chose aux
consignataires, mais donnent beaucoup d’ouvrage et augmentent considérablement
les transports à l’étranger, et pouvant construire à meilleur compte, toutes ces
constructions augmentent le bien-être, et l’impôt foncier deviendra tous les
ans plus considérable.
Dans les constructions civiles on se sert presque
généralement pour la grosse charpente du bois du Nord, mais plus il s’élève de
constructions, plus on a besoin du bois du pays pour les parquets, portes et
fenêtres, et ainsi les constructions à bon compte qu’on peut faire donner du
débouché au chêne du pays.
Si, avec un bon système commercial, vous pouvez
augmenter votre marine, on aura besoin de bois du pays, car les bons navires se
construisent en chêne, et voyez comme entre les années 1822 et 1830, lors de
nos grandes constructions pour le commerce des Indes, on a employé du bois du
pays. Dans les forêts bien situées on achetait considérablement pour Anvers et
Ostende, mais si le transport renchérit par trop le bois, même des droits
d’entrée de cent pour cent de la valeur, ne peuvent remédier au mal.
Le système de l’honorable M. d’Hoffschmidt, de la
restitution des 3/4 des droits ou de 9/10 comme le propose l’honorable M. de Corswarem n’est qu’une complication très difficile pour
l’administration, et comme nous devons prévoir des constructions navales, comme
c’est le but que nous nous proposons, adoptons définitivement un tarif plus
modéré.
Nous importons au commerce pout fr. 813,000 de
bois en grume, et pour fr. 2,400,000 de bois scié ;
mais ne perdons pas de vue que nous avons exporté en 1842 pour fr. 394,000 de
bois en grume et pour fr. 1,163,000 de bois scié.
En 1840, nous exportions seulement pour fr. 600,000
de bois scié. Je crois qu’une partie de ce bois provient de nos forêts, mais
nous avons des dépôts de bois du Nord dans les départements français, et comme
le bois ne s’exporte pas en transit, mais qu’on paye les droits pour pouvoir
faire son choix, vous n’obtiendrez jamais les 100,000 francs avec le tarif de
l’honorable M. d’Hoffschmidt, car il faudra déduire les restitutions pour vos
constructions navales, et si le droit est trop élevé, on déclarera le bois pour
l’exportation en transit, au lieu de payer, comme on fait actuellement, les
droits d’entrée tant pour la consommation que pour l’exportation.
Elevez les droits, vous ne pouvez plus lutter avec
les ports de mer français, vous perdrez le commerce d’exportation : vos
importations devront diminuer et voyez ainsi ce que le trésor perdra de ce chef
; car les revenus de vos canaux et votre chemin de fer auront d’autant moins
d’alimentation. Ce sont nos transports à bon compte qui nous permettent
d’alimenter les départements voisins.
Soyez persuadés, messieurs, que nous considérons
beaucoup plus cette question dans l’intérêt de tout le pays, que seulement dans
celui de nos ports de mer.
Tous les navires venant de la Norwége,
ne faisant que le transport des produits de ce pays, ne peuvent pas servi comme
ceux des autres ports de la Baltique pour prendre charge pour les autres points
du globe.
La Norwége nous importe
pour 1,100,000 fr. de bois et nous exportons, par les
navires qui nous les apportent, pour 2,300,000 fr. de produits de notre
industrie et de notre sol ; des sucres raffinés, des tissus, des cuirs tannés,
des objets de fer, mécaniques, verreries, etc. , et même des denrées
coloniales. Faites un tarif qui empêche les arrivages de ce pays, vous perdrez
ce commerce avantageux d’échange, et nous n’avons pas beaucoup de pays avec
lesquels nous ferons des échanges aussi avantageux.
Je me résume : je suis persuadé que même le tarif
le plus élevé ne fera pas augmenter la valeur de nos bois ; mais adoptez un
tarit modéré, alors on continuera à faire considérablement des constructions
dans le pays, et vos bois seront appelés à fournir leur part. Des droits
modérés vous feront conserver votre commerce d’échange et les exportations vers
la France. Je suis persuadé qu’avec le dernier tarif proposé par le gouvernement,
le trésor recevra au-delà de 200,000 fr. au lieu de 140,000 fr., comme en 1842,
et vous continuerez à avoir une grande activité d’importations et
d’exportations, tandis qu’avec le tarif de l’honorable M. d’Hoffschmidt, au
lieu de 400,000 fr. qu’il nous faisait espérer, nous ne recevrons guère plus de
200,000 fr. qu’il faudra diminuer de tout ce que perdra votre pilotage, vos
droits de ports et le transport par canaux, chemin de fer ; car vous perdrez
vos exportations vers la France et alors vos importations de bois devront
considérablement diminuer.
Soyez persuadés, messieurs, qu’en me
refusant d’aller plus loin que le dernier tarif du gouvernement, je me laisse
bien plus diriger par l’intérêt général, que par celui de vos ports de mer,
dont cependant la prospérité reflue sur tout le pays, et convenez que ceux qui
plaident pour des droits élevés, ne plaident que les intérêts des grands
propriétaires, tandis que nous plaidons l’intérêt de la généralité.
Ne considérons pas toujours ce qui entre dans les
caisses de la douane, mais ce qui entre au trésor par toutes les autres veines.
Le bien-être du pays augmente les contributions indirectes, les constructions
augmentent le produit du foncier et les transports alimentent vos voies
navigables, et votre réseau du chemin de fer.
Il vous a été prouvé à l’évidence et surtout par
les statistiques que tous les bois nous arrivent par pavillon étranger ; ainsi
les droits différentiels ne feront rien sur cet article ; je ne prends donc que
la colonne la plus élevée, et la proposition de M. le ministre est d’augmenter
les droits sur le bois en grume de 60 centimes à 1 fr. 50 c. et celui pour le
bois scié à fr. 8 50 c. ce qui fait 16 1/2 p. c. de la valeur et même de 22 à
24 p. c. pour des bois moindres de 5 centimètres. Il me paraît que c’est une
protection suffisante pour nos ouvriers scieurs, car le bois en grume payera 3
p. c. de la valeur.
Ne perdez pas de vue non plus, messieurs, que
l’ancien tarif ne faisait pas de distinction entre le bois de sapin et le bois
de chêne. Aujourd’hui le gouvernement vous propose de faire payer le chêne
jusqu’à 5 p. c. de la valeur, venant du Rhin par les eaux intérieures, ce qui
sera un grand avantage pour les chênes du pays, lorsque nous pourrons
recommencer nos constructions navales. L’honorable M. Donny vous proposé pour
le chêne un droit triple de celui pour le bois de sapin, et le gouvernement le
double, mais aussi son chiffre va jusqu’à 5 fr. pour le bois en grume et fr. 17
pour le bois scié, tandis que celui que je préfère, celui de l’honorable M.
Donny, ne va que jusqu’à 3 fr. pour les poutres de sapin par mer, mais fr. 7 50
c pour les bois de chêne du Rhin.
M. de Haerne. - J’ai demandé la parole dans la séance
d’hier quand j’ai entendu dire à l’honorable M. d’Hoffschmidt qu’il fallait
tâcher, tout en élevant les droits sur les bois, d’accorder en même temps une
faveur à l’industrie et qu’il espérait que cette faveur pourrait être accordée
plus tard en dégrevant partiellement l’impôt qui pèse actuellement sur les bois
indigènes. Je crois que dans l’état actuel de nos finances il ne doit pas trop
espérer obtenir ce résultat ; par conséquent, l’industrie qui souffre devra
encore attendre longtemps avant d’obtenir cette faveur.
D’ailleurs, comme on l’a dit dans une séance
précédente, et comme vient de le répéter l’honorable baron Osy, le pays ne peut
pas fournir tous les bois nécessaires aux constructions civiles ; il ne peut
pas fournir des bois de sapin d’assez bonne qualité. Je ferai remarquer à ceux
qui m’interrompent que les arguments allégués à plusieurs reprises par
l’honorable ministre de l’intérieur, l’honorable M. Cogels et d’autres membres
n’ont pas été suffisamment réfutés à mes yeux. Il s’ensuit donc, messieurs, que
l’industrie n’aura pas reçu satisfaction pleine et entière dans le cas où l’on
élève considérablement les droits sur les bois étrangers.
Puisque j’ai la parole, je tiens à donner quelques
explications à la chambre sur la proposition que j’ai eu l’honneur de déposer
sur le bureau il y a quelque temps et dans laquelle il est aussi fait mention
des bois. Les chiffres fixés pour les bois dans ma proposition étaient des
chiffres élevés. Le droit était de 15 p. c. pour les bois non sciés, et 25 p.
c, pour les bois sciés, chiffres qui s’accordent avec ceux qui ont été proposés
par M. Zoude au nom de la commission d’industrie.
Je vous prie de remarquer qu’en m’énonçant en ce
moment d’une façon contraire à ma proposition, je ne suis pas cependant en
contradiction avec moi-même, parce que dans mon projet il y avait une
compensation pour l’industrie. Comme je l’ai exposé, le but que je voulais
atteindre en proposant les droits élevés sur les bois est le même que celui que
se proposent ceux qui veulent défendre l’intérêt des propriétés forestières.
Je suis partisan de la conservation de nos bois,
par les motifs d’intérêt général qui ont été exposés. J’ajouterai qu’il y a
plus d’une considération qui milite fortement en faveur de l’augmentation des droits
sur les bois étrangers, afin d’engager les propriétaires à conserver leurs
forêts. Je citerai d’abord l’hygiène. On sait que l’action des bois est très
forte sur l’air atmosphérique, que les végétaux, et surtout les bois
décomposent l’acide carbonique, absorbent le carbone et laissent échapper
l’oxygène, ce qui purifie l’air, le rend plus vif et plus sain. Voilà pourquoi,
dans les environs des pays boisés, l’air est plus salubre. C’est là une
considération morale que les partisans de la conservation des forêts n’ont
jamais perdue de vue, c’est une considération très puissante à mes yeux.
Les bois ont encore d’autres avantages : la
fraîcheur des forêts, et notamment des montagnes boisées, exerce une autre
influence sur l’air atmosphérique, les bois conduisent les vapeurs en nuages,
les font tomber en pluies lorsqu’elles font jaillir des sources qui fertilisent
les plaines et y servent aux besoins de la vie. Ces considérations ne sont pas
sans application dans notre pays. Je pourrais vous citer plusieurs endroits
dans les Flandres où il y a tels ruisseaux, qui étaient autrefois des rivières
navigables et qui maintenant, en été, sont souvent à sec par suite du
défrichement des bois ; dans d’autres endroits, où il y avait autrefois des
ruisseaux abondants, on est obligé d’aller chercher de l’eau à de grandes
distances, à grande peine et à grands frais. Ainsi, je suis aussi de l’opinion
qu’il faut conserver les forêts, qui sont en quelque sorte des monuments
nationaux qui rappellent de grands souvenirs ; car c’est aux bois de notre
pays, aux bois des bords de la Sambre, par exemple, et des Ardennes que se
rattachent les plus anciens souvenirs de notre histoire. Je le répète, je suis
d’accord avec les partisans des, bois, mais il faut une compensation à l’industrie
; c’était là mon but quand j’ai fait ma proposition.
L’honorable M. Osy vient de dire que le tarif le
plus élevé ne fera pas augmenter la valeur des bois. Je ne partage pas cette
opinion. J’opposerai à l’opinion de l’honorable M. Osy celle de l’honorable M.
Cogels. Cet honorable membre, dans une séance précédente, vous a dit que
certains bois du Nord, ceux de Wilborg, par exemple,
ne peuvent être conduits à la côte que sciés, à cause des grands frais de
transport. Les frais de transport entrent pour beaucoup dans la valeur du bois.
Il en résulte donc que, si vous élevez les droits sur les bois du Nord, les
bois les plus éloignés de la côte ne pourront plus être amenés au même prix ;
par conséquent, vous élèverez le prix de revient du bois, vous restreindrez le
marché de l’étranger et vous élargirez, dans la même proportion, le marché de
votre pays. Il me semble que cela est évident.
Mais, dans ma manière de voir, il fallait une
compensation ; j’ai voulu favoriser l’industrie. Je crois qu’on ne peut pas favoriser
une industrie en faisant tort à une autre. Il faut toujours être conséquent
quand on veut agir dans l’intérêt du pays, il faut le faire dans l’intérêt
général ; on ne doit pas faire souffrir une industrie pour en relever une
autre.
Je suis d’accord avec l’honorable M. Cogels, quand
il dit que les bois sont des capitaux qui jouent un grand rôle dans
l’industrie. J’ajouterai que ce sont, comme les appellent les économistes, des
capitaux engagés ; par conséquent, il est plus difficile de les changer, de les
réaliser, quand ils sont compromis, qu’on ne peut le faire pour les capitaux
circulants. Quand l’industrie se trouve en souffrance, on est exposé à plus de
perte, quand les capitaux sont engagés ou fixes que quand ils sont circulants.
Vous savez que la compensation que j’ai voulu établir relativement aux bois,
portait sur deux choses : D’abord sur la condition générale d’exportation qui
se rapportait à toutes les importations de l’étranger.
Pour ce qui concerne les bois, il y avait une
disposition spéciale dans l’intérêt de l’industrie. Non seulement on aurait
accordé la remise du droit pour les constructions navales, mais aussi pour les
bois employés à la construction des usines et des fabriques. Cette disposition
était neuve, je l’avoue, cependant, il ne m’a pas paru impossible de la mettre
à exécution. Je ne crois pas qu’il eût été impossible d’accorder cette faveur
aux fabriques, aux usines, à condition que la fabrication s’y exerçât
réellement pendant un certain nombre d’années. Ceci eût été très facile à
constater. Sans doute une certaine fraude aurait pu avoir lieu, on aurait pu
employer du bois indigène et prétendre à la remise, mais cette fraude n’aurait
pas été de la nature de cette autre fraude qui consiste dans l’introduction de
marchandises étrangères. Ici la fraude s’exercerait à l’avantage des bois
indigènes L’inconvénient ne serait pas grand à mes yeux.
On a trouvé la proposition neuve, je reconnais
qu’elle a ce défaut. Mais il n’est pas dit qu’on ne puisse jamais innover. M.
le ministre de l’intérieur a attaqué cette partie de ma proposition avec assez
de vivacité ; plusieurs honorables membres ont pensé que j’ai été un peu piqué,
surtout, parce que je me trouvais dans une
espèce d’impasse parlementaire, ne pouvant pas, aux termes du règlement,
répondre à M. le ministre de l’intérieur. Il n’en est rien ; je n’ai pas été
formalisé à cet égard. M. le ministre avait fait observer qu’il était
difficile, impossible peut-être de prendre la mesure des bois employés à la
construction des usines, des fabriques, de prendre la mesure des planchers, de
compter les étages.
Loin de me formaliser, je me suis réjoui, au
contraire, des observations faites à cet égard par M. le ministre de
l'intérieur ; car je me suis dit : Si M. le ministre trouve tant de difficultés
à mesurer des planchers, à compter des étages, il en trouvera d’avantage encore
à compter les plantes et les feuilles de tabac ; à faire, d’une manière exacte
et avec justice, le recensement du tabac ; et j’espère que, quand cette loi
sera en discussion, il combattra son collègue des finances avec toute la
chaleur avec laquelle il m’a combattu ; j’espère même qu’il sera encore plus
incisif ; car il est évident que l’exécution de ma proposition ne présente pas,
à beaucoup près, autant de difficultés que l’exécution du projet de loi sur les
tabacs.
Comme je viens d’avoir l’honneur de vous le dire,
il y avait dans ma proposition une autre condition.
Ce qui devait servir de compensation pour
l’industrie à la majoration du droit sur le bois, c’était la condition
d’exportation ; il y avait là un grand motif pour accorder un droit plus élevé
sur l’entrée des bois étrangers : car de cette manière, nous ne risquons jamais
grand’chose ; nous aurions pu négocier avec les
puissances du Nord, pour l’exportation de nos produits, par exemple, pour
l’exportation de nos sucres raffinés qui se rendent déjà chez elles. Au moyen
de cette réduction que nous aurons accordée aux puissances du Nord pour
recevoir leurs bois, nous eussions pu être avantagés pour l’introduction de nos
sucres raffinés et d’autres marchandises encore.
Je dois vous l’avouer, messieurs, je me
trouve placé à cet égard dans une position assez difficile ; car ne sachant pas
quel sort est réservé à ma proposition, qui est toujours en discussion à la commission
d’enquête, je ne sais jusqu’à quel point l’industrie recevra satisfaction quant
à l’article en discussion.
Par conséquent, je ne puis pas bien me prononcer
en pleine connaissance de cause.
S’il n’y a aucune compensation accordée à
l’industrie, je devrai me rallier à un chiffre assez bas, par exemple, au
chiffre actuel du ministère,
S’il m’est prouvé que les sapins du pays peuvent
remplacer les sapins du Nord, j’adopterai la 1ère proposition du ministère, et
j’écarterai la deuxième.
Si une compensation était accordée à l’industrie,
je me rallierais à un chiffre plus élevé, par exemple, à la proposition de
l’honorable M. d’Hoffschmidt.
M.
Huveners. -
Messieurs, il est de toute équité de frapper les produits étrangers d’un droit
équivalant aux charges que rapportent les produits nationaux et d’accorder en
outre, à ces derniers, une protection sage et efficace contre la concurrence
étrangère.
Ces principes doivent nécessairement être
appliqués à l’article Bois qui nous
occupe, c’est le seul moyen d’arrêter la dépréciation de nos bois, c’est
l’unique ressource de provoquer et de parvenir au défrichement de nos vastes
bruyères. Il suffit d’avoir rappelé ces vérités, elles ont été complètement
justifiées par les orateurs qui m’ont précédé, je n’insisterai pas davantage,
elles sont incontestables.
Je m’attacherai principalement à combattre les
arguments que les députés de nos ports de mer ont fait valoir contre toute
majoration de droits sur le bois étranger.
Je ne m’arrêterai pas beaucoup au discours de
l’honorable député d’Ostende ; il taxe même d’exagérée la dernière proposition
du gouvernement ; il la considère comme un moyen indirect de donner
satisfaction aux grands propriétaires forestiers ; je suis porté à croire que
l’honorable membre a voulu critiquer la proposition du gouvernement, afin
d’empêcher qu’on n’aille au-delà ; il est a regretter que l’honorable membre,
qui a des connaissances maritimes pratiques, nous ait laissé ignorer qu’un
navire de 300 tonneaux importe de 340 à 350 tonneaux de bois ; il aurait dû
nous donner des renseignements complets pour que nous eussions pu les admettre
tous avec confiance.
L’honorable M. Cogels a traité le fond de la
question ; je crois pouvoir me débarrasser des arguments qu’il a fait valoir en
faveur de la construction navale, elle est hors de cause, puisque dans les
divers systèmes en présence il y a une exception en sa faveur ; nous n’avons
donc à nous occuper que des constructions civiles. L’honorable membre nous a
posé ce dilemme :
Est-ce dans l’intérêt du trésor ou dans celui de
la propriété foncière que vous demandez une augmentation de droit sur
l’introduction des bois étrangers’ ? Je répondrai que nous demandons une
majoration de droits dans l’intérêt de l’un et de l’autre, aussi bien dans
l’intérêt du trésor que dans l’intérêt de la propriété foncière.
Je passe aux conséquences que l’honorable membre a
tirées de sa proposition ; si c’est dans l’intérêt du trésor je prouverai,
dit-il, que ce n’est pas à l’article Bois
qui faut s’adresser de préférence.
Quels sont ces articles ? est-ce
le tabac ? Mais l’honorable M. Cogels sait bien que le tabac ne peut tout
supporter. J’engage beaucoup l’honorable membre d’indiquer les articles qu’on
peut frapper avec autant de justice que le bois étrangers ; je lui assure mon
appui car nous ne devons pas craindre que le trésor ait trop de revenus ; alors
nous pourrions supprimer les droits et les privilèges si préjudiciables sur une
matière de première nécessité, je veut parler du sel.
L’honorable M. Cogels continue : Si c’est dans
l’intérêt de la propriété foncière que vous demandez une protection, vous
n’allez pas assez loin, la protection que demande l’honorable M. de Corswarem sera à peu près illusoire. Ici, le port d’Anvers
est en désaccord avec le port d’Ostende. En effet, nous lisons dans la pétition
des négociants d’Ostende du 4 février dernier qui se trouve au Moniteur du 25 de ce mois : « Il y
a quatre ans les droits sur les bois sciés ont été majorés de 25 cents à 4 fr.
par tonneau, et sur les bois bruts de 25 cents à 60 centimes. Cette mesure a eu
pour résultat que les importations en Belgique des bois étrangers ont été bien
moindres que les années précédentes. » Et plus loin on ajoute : « Les
importations de la Suède et de la Norwége ont
considérablement diminué depuis la première majoration des droits, et nul doute
que la diminution sera encore bien plus forte du moment que les droits seront
doublés… »
A quels dires faut-il ajouter foi ? Il y a exagération
de toutes parts. Quoi qu’il en soit, si l’honorable M. Cogels pense ce qu’il
dit, il nous proposera certainement une protection qui ne sera plus illusoire,
d’autant plus qu’il a avoué hier que ni la navigation ni Anvers n’étaient
intéressés dans la question.
M.
Cogels. - J’espère
que l’honorable M. Huveners n’a pas pensé du tout avant de prononcer ces
paroles-là.
M.
Huveners. - Pardon
j’y ai pensé. Au reste, s’il y a dans ces paroles quelque chose de désobligeant
pour l’honorable membre, je déclare que ce n’était nullement mon intention.
L’honorable M. Cogels s’est surtout appesanti sur
ce qu’il ne s’agissait pas de frapper des produits similaires. Mais, messieurs,
et ici je réponds aussi à l’honorable députe d’Ostende, les sapins du pays ne
sont pas seuls en cause, il ne s’agit pas de l’intérêt de quelques grands
propriétaires forestiers, il ne s’agit pas seulement de la Campine. Tous les
propriétaires de bois sans distinction d’essences, sont intéressés à la mesure
que nous provoquons. Le sapin du Nord a, je ne dirai pas détrôné, mais remplacé
dans l’usage tous les autres bois quelconques : le chêne, le frêne, l’orme, le
noyer, le bois-blanc, le tilleul, le peuplier, etc. Il s’agit de les faire
rentrer dans le commerce, si je puis m’exprimer ainsi, position qu’ils
n’auraient jamais dû perdre, et cela en faveur de l’étranger. Si donc on
considère l’usage que l’on fait du sapin du Nord, on doit convenir que c’est un
produit similaire ; cela me paraît incontestable.
L’honorable M. Cogels, s’inquiétant de la sécurité
publique avec un soin qui, s’il était sérieux, serait des plus louables, nous
dit qu’avec le sapin du pays nous nous exposerions à avoir des bâtiments qui ne
dureraient que de quinze à vingt ans et puis s’écrouleraient ; je puis
tranquilliser la trop grande sollicitude de cet honorable membre. Il est hors
de doute que le sapin du pays est aussi solide que le sapin du Nord ; bien plus
: il y a huit à dix ans le sapin du Nord était à peine connu dans la plus
grande partie du Limbourg ; certes, il n’y était pas employé ; et je pense
qu’il en était de même dans différentes autres provinces ; et cependant on y
construisait des bâtiments qui, s’ils ne sont pas plus solides que ceux qu’on
construit actuellement avec les sapins du Nord, ils ne le cèdent en rien à ces
derniers sous le rapport de la solidité.
L’honorable M. Cogels répondant à mon honorable
ami de Corswarem, nous a dit que les propriétaires
qui défrichent des bruyères, qui créent des sapinières, coupent leurs sapins en
perches, afin de jouir le plus tôt possible ; qu’on n’aime plus à attendre cent
ans et à travailler pour ses arrière-petits-neveux ; oui, cela se fait par
plusieurs propriétaires et cela s’explique parfaitement ; si l’on ne frappe pas
le bois étranger, cela se fera encore davantage, et voici pourquoi : les
gaules, les poutres et les lattes ne nous arrivent pas par mer ; outre cela,
les produits indigènes de cette nature sont protégés par un droit efficace de
dix pour cent, qui rend la concurrence étrangère impossible ; il s’en suit que
ces produits se vendent bien, au lieu que les propriétaires qui attendent
jusqu’à ce que leurs sapins puissent servir à d’autres usages, perdraient, non
seulement l’intérêt, mais trouveraient des difficultés à placer leurs produits,
parce que le sapin du Nord se vend à trop bon compte.
L’honorable membre déplore cet état de choses, il
est par conséquent tenu d’y porter remède ; eh bien, frappez les bois
étrangers, assurez aux propriétaires du pays le marche intérieur, on ne coupera
plus les sapins avant la maturité ; leur intérêt sera de les conserver.
Messieurs, vous voyez quelle est
l’importance de tout ce qui a été dit contre une majoration des droits sur les
bois étrangers ; vous savez quelle peine on s’est donnée pour écarter les bois
du débat ; ne devons-nous pas avec raison nous défier et des belles promesses
et des sollicitudes qu’on nous témoigne dans cette circonstance ? J’oserai dire
que nos adversaires ont eu recours à toutes sortes d’expédients. Pour déjouer
le but que nous nous proposons, les exigences du haut commerce et de notre trop
zélé protecteur dans cette enceinte, sont telles qu’on sacrifierait
l’agriculture, le pays même, en faveur de l’un et de l’autre port.
Je conjure le gouvernement de montrer assez de
fermeté, de résister aux mesures préjudiciables à l’industrie agricole qu’on
pourrait lui proposer et surtout de l’arrêter dans la voie pernicieuse qu’il a
malheureusement suivie dans plus d’une circonstance, car l’agriculture c’est ce
qu’il y a de plus solide dans notre pays ; elle a fait assez de sacrifices,
même dans l’intérêt du commerce et de l’industrie, pour qu’on ne touche point
aux mesures protectrices qui ont contribuées à l’état plus ou moins
satisfaisant dans lequel nous la voyons.
J’adopterai la proposition de l’honorable M. de Corswarem telle qu’il nous l’a présentée en dernier lieu ;
j’eusse néanmoins préféré un droit à la valeur, mais la raison que M. le
ministre a fait valoir, l’encouragement à l’importation des bonnes qualités m’y
fait renoncer. Je ne m’explique pas comment l’honorable M. d’Hoffschmidt ait pu
proposer un droit moins élevé, puisque cet honorable membre a admis comme
certain que les charges supporter par les propriétaires du bois indigène pouvaient
monter à 15p.c. L’amendement qu’il propose, loin d’établir une protection,
n’est pas seulement l’équivalent des charges auxquelles le bois étranger
échappe.
M.
Cogels (pour un fait
personnel). - L’honorable M. Huveners s’est permis (je ne dirai pas dans la
chaleur de l’improvisation ; car il a lu un discours écrit) s’est permis,
dis-je, à mon égard une expression qu’il doit regretter, j’en suis sûr, s’il se
donne la peine de réfléchir ; il a dit : « Si M. Cogels pense ce qu’il
dit. » Je prie la chambre de croire que je pense tout ce que je dis, que
je cherche toujours à penser avant de parler, et que si, dans la chaleur de
l’improvisation, il m’échappait quelque chose de blessant pour l’un ou l’autre
membre, je m’empresserais de le rétracter,
Je prie la chambre de croire aussi que je pense
toujours avant d’écrire. Je regrette que l’honorable M. Huveners n’en ait pas
fait autant.
M.
Huveners. - Je
rétracte volontiers ce qu’il pouvait y avoir de blessant dans mes paroles pour
l’honorable membre. Cependant, tous ses discours précédents pouvaient me donner
l’idée que j’ai énoncée.
Je laisse aux membres de la chambre le
soin de les apprécier.
M.
Delfosse. - Voilà une
singulière rétractation.
M. le
président. - M.
Huveners avait déjà déclaré qu’il n’avait eu l’intention de rien dire de
blessant pour M. Cogels.
M. Donny. - Il est un point sur lequel je pense
que nous sommes maintenant tous d’accord, c’est qu’il s’agit ici d’établir, non
pas un système de droits différentiels en faveur du pavillon belge, mais
uniquement de majorer le droit d’entrée sur les bois étrangers. Le pavillon
belge est entièrement hors de cause dans cette question. C’est donc, je pense,
par inadvertance que, dans la séance d’hier, l’honorable M. Mast de Vries a
établi quelques calculs sur un chiffre applicable au pavillon belge.
Me plaçant sur le terrain d’une augmentation des
droits d’entrée, sur le terrain de la discussion d’une loi de douane, je dirai,
avec M. le ministre de l’intérieur, que la première question sur laquelle notre
attention doit porter, est celle de savoir s’il convient de conserver
l’assiette actuelle des droits, c’est-à-dire la tarification au tonneau, ou
s’il faut, comme le propose l’honorable M. de Corswarem,
tarifer le droit à établir à la valeur.
Plusieurs
membres. - Cela est
changé dans le nouvel amendement.
M. Donny. - Je n’en ai pas connaissance. Alors la
discussion a fait un pas. (Le nouvel
amendement de M. de Corsvarem est remis à l’orateur).
Ainsi la tarification à la valeur est hors de
cause. Je m’applaudis de cette simplification.
Cette question écartée, il y en a une autre digne
de l’attention de la chambre, c’est celle de savoir comment on constatera la
quantité, le volume des bois qui doivent être soumis au droit.
Aujourd’hui, il y a en présence deux systèmes.
Dans le premier, on prendrait la lettre de jauge des navires et l’on se
baserait sur le nombre de tonneaux indiqué sur cette lettre de jauge pour
calculer le droit. Le moyen est extrêmement simple pour le négociant et pour la
douane ; il ne donne lieu à aucune contestation, à aucune difficulté. Le deuxième
système consiste à faire débarquer les bois, à mesurer poutre par poutre,
planche par planche, pour constater exactement le volume que la cargaison
représente. Ce deuxième système donne des résultats beaucoup plus précis, mais
il est coûteux dans l’exécution, entouré de lenteurs ; il donne lieu à des
difficultés entre la douane et le commerce.
Mais, vous a dit M. le ministre de l’intérieur (et
il a eu raison), il y a ordinairement une différence entre la capacité indiquée
dans la lettre de jauge et le volume des bois importés par le navire, Que
résulte-t-il de là ? En résulte-t-il qu’il faut abandonner le premier moyen qui
présente de si grands avantages, et le remplacer par l’autre qui présente de
grandes difficultés ? Nullement : il en résulte simplement qu’il faut avoir
égard à la différence signalée par M. le ministre, il faut prendre le tonnage
indiqué dans la lettre de jauge, augmenté dans une proportion convenable, pour
avoir le volume des bois à soumettre au droit.
M. le ministre a fort bien senti que c’était là le
résultat naturel de ses observations ; car il vous a indiqué immédiatement une
idée qui peut convenir au fisc et au commerce. Il a dit : On donnera au
commerce l’option du payement des droits sur les bois mesurés matériellement,
ou de les payer d’après le tonnage indiqué par la lettre de jauge, augmenté de
10 à 15 p. c.
J’applaudis au fond à cette idée : il ne faut pas
que le commerce introduise des bois sans payer le droit fixé par la loi.
Seulement, je dirai à M. le ministre que des deux chiffres qu’il a indiqués (10
et 15 p. c.), c’est le plus bas qu’il faut prendre. J’en dirai immédiatement la
raison. S’il arrive quelquefois que la différence entre le tonnage indiqué sur
la lettre de jaugeage et la quantité importée s’élève à 12, 43, 14 et même
quelquefois à 15 p. c., quelquefois aussi elle ne
s’élève pas à 10, et reste beaucoup au-dessous.
J’en citerai un exemple, en vous indiquant des
pièces qui serviront au gouvernement à vérifier l’exactitude des faits que je
vais citer.
En 1841 est entré, pour la première fois à
Ostende, le trois-mâts norwégien nommé Krayeroë, commandé par le capitaine Eilertseu.
Il a été jaugé, par la douane, à 236 tonneaux. Cela est constaté par un
certificat de jaugeage qui porte la date du 14 mai 1841, n°295. Ce bâtiment a
importé à plusieurs reprises un chargement mixte ; c’est- à-dire composé de
bois sciés et de bois non sciés. Par application de la loi de 1840, on a pris,
dans ce cas, pour base du droit, le tonnage indiqué dans la lettre de jaugeage,
c’est-à-dire 236 tonneaux.
Mais, en 1842, il lui est arrivé d’importer un
chargement uniquement composé de bois sciés. Dans ce cas, d’après
l’interprétation donnée par la douane à la loi de 1840, on a pensé que le bois
devait être mesuré matériellement. Cette opération a en lieu. La douane a donc
constaté que l’importation, par le navire, jaugé à 236 tonneaux, s’élevait à
251 tonneaux, de sorte qu’il y avait une différente de 15 tonneaux, soit 6 p.
c. seulement.
Je citerai encore la date de l’acquit de payement,
pour que l’administration puisse vérifier l’exactitude des faits. Les droits
ont été payés d’après un acquit du 22 juin 1842, n°298.
D’après cela, je crois que l’option qu’il est
juste d’accorder au commerce doit avoir pour un de ses termes une différence de
10 p. c.
Je dirai en passant que les faits que je viens
d’indiquer répondent à l’observation de l’honorable M. Huveners, qui s’est
beaucoup étonné de ce qu’en donnant un simple développement de mon amendement,
je n’aie pas dit tout cela. Mais je n’avais qu’à développer mon amendement.
Comme je devais avoir une deuxième fois la parole dans le cours de la
discussion, j’ai fort bien fait, je pense, de réserver ces détails jusqu’à ce
que la discussion fût plus avancée.
Au reste, je n’ai pas du tout à me plaindre de
l’honorable membre, comparativement à d’autres, il m’a traité avec beaucoup
d’urbanité. (On rit.)
Avant d’abandonner cette matière, je dirai deux
mots pour rectifier les idées de l’honorable M. Desmet au sujet du tonnage.
L’honorable membre a paru croire que la
tarification par tonneau avait quelque rapport avec la tarification au poids.
C’est la une erreur complète.
Il y a deux espèces de tonneaux ou plutôt le
tonneau représente deux unités différentes : pour les matières
pondéreuses il y a un tonneau qui est l’équivalent d’un poids ; pour les
matières d’encombrement, il y a un tonneau qui est l’équivalent d’un volume.
Pour les matières pondéreuses, le tonneau est l’équivalent de mille kilog. ; pour les matières
d’encombrement il est l’équivalent d’un mètre cube. Je parle du tonneau
ordinaire.
II y a maintenant un tonneau qui n’est pas le
tonneau ordinaire. Pour le payement des droits de tonnage, pour le payement
d’autres droits maritimes, pour le payement des primes pour construction de
navires, pour le payement des droits d’entrée sur le bois, ce n’est pas le
tonneau du volume d’un mètre cube qui sert de base, c’est le tonneau qu’on
nomme tonneau de mer de jauge et qui équivaut à un volume d’un mètre cube, plus
un demi-mètre cube, ou à un stère et demi ; et c’est ce tonneau d’un stère et
demi qui est indiqué dans le tarif actuel et qui fait encore la base du projet
du gouvernement. C’est celui-là dont il s’agit dans ce moment- cl.
Le même orateur vous a fait une remarque qui est
extrêmement juste. Il vous a dit, soit que vous imposiez à la valeur ou que
vous imposiez au tonneau, toujours est-il que votre droit doit, en définitive,
frapper à la valeur. Le législateur doit nécessairement, et dans tous les cas,
proportionner les droits qu’il porte dans son tarif à la valeur de la
marchandise. Cela, je pense, ne sera contesté par personne. Mais il résulte de
là et de la circonstance que nous sommes aujourd’hui tous d’accord d’imposer le
bois, non pas à la valeur, mais au tonneau, que le premier élément de votre
décision doit être la connaissance de la valeur du tonneau. Il faut donc, avant
tout, bien connaître la valeur moyenne du tonneau de bois importé, et je vais
vous donner à ce sujet quelques éclaircissements qui résultent de faits que je
citerai à la chambre.
Je commencerai par faire remarquer qu’il y a tant
de diversité dans les qualités de bois importables qu’il est impossible
d’établir un tarif qui correspondent à toutes les valeurs spéciales. Il faut
donc prendre un terme moyen. On peut établir une distinction entre le chêne et
le sapin comme le propose le gouvernement, avec beaucoup de raison, selon moi.
Mais cette distinction faite, on ne peut plus calculer la valeur qu’en prenant
un terme moyen. Je vais donc m’occuper de cette moyenne.
Je ferai une seconde observation qui me paraît
avoir échappé à beaucoup de membres de cette assemblée et qui a échappé à
l’attention du gouvernement, c’est que cette moyenne doit se prendre non pas
sur les bois qui s’importent en Hollande, en France, en Angleterre et en
Belgique, mais uniquement sur les bois qui s’importent en Belgique, et vous
vous rappellerez, messieurs, que beaucoup d’orateurs qui figurent sur les bancs
contraires au mien, vous ont dit que les meilleures qualités s’importaient en
France et en Hollande, et qu’on ne nous envoyait que des bois de qualités
inférieures. Je n’examine pas ce fait, je me borne à rappeler ce qui a été dit.
Je pourrais, messieurs, pour établir la valeur
d’un tonneau de bois, me baser sur l’opinion de la chambre de commerce
d’Ostende, opinion fondée sur l’expérience. Dans un écrit qui vous a été
distribué, la chambre de commerce d’Ostende fixe le prix moyen du tonneau de
bois étranger, à 40 fr.
Cette valeur, messieurs, j’ai lieu de le croire,
est la moyenne d’un certain nombre d’années. Mais comme je veux vous présenter
non pas des opinions, mais des faits, et que les faits que j’ai en ma
possession ne se rapportent qu’à une seule année, l’année 1843, j’abandonnerai
la valeur moyenne indiquée par la chambre de commerce d’Ostende, bien que,
prise sur un grand nombre d’années, elle puisse être très exacte et je la crois
telle.
Cette valeur de 1843, je l’établis au moyen d’une
note que je tiens en main et que je ferai insérer au Moniteur. Cette note comprend dix navires qui ont importé du bois
pendant l’année 1843, à la consignation d’une seule maison de commerce
d’Ostende ; elle contient le nom des navires, le tonnage déclaré en douane et
le produit brut des dix cargaisons, et voici, messieurs, quels sont les
résultats.
Les dix cargaisons ont produit 80,889 fr et le
tonnage déclaré en douane est de 1,484 tonneaux. Si je
divise 80,889 fr., produit brut du bois, par 1,484, chiffre du tonnage,
j’arrive à un chiffre de 54 à 55 francs.
Ce chiffre, messieurs, est en réalité trop élevé,
et je vais vous en dire immédiatement les raisons.
Le nombre de tonneaux déclaré en douane n’est pas
le nombre réel. M. le ministre de l’intérieur vous l’a fait remarquer,
l’honorable M. Huveners a eu la bonté de nous le rappeler encore aujourd’hui, et
moi-même j’en ai fait le calcul il y a un instant ; il y a, terme moyen, une
différence de 10 p.c. Si l’on réduit le 10ème de 51 à 55 fr., il reste 50 fr.,
et je crois que le terme moyen de toutes les qualités de bois qu’on importe en
Belgique, ne va pas au-delà. Mais je veux être large dans mes calculs, et,
faisant abstraction de cette rectification, je prends le chiffre de 54 fr.
M. d’Hoffschmidt. - Est-ce pour le bois non scié ?
M. Donny. - C’est pour le bois scié et le bois non
scié. Les cargaisons étaient composées de bois sciés et de bois non sciés, et
je les prends telles qu’elles étaient faites. Le produit moyen a été de 54 fr.
Cette valeur, messieurs, est plus forte que celle
indiquée par la chambre de commerce d’Ostende ; elle est cependant plus faible,
j’en conviens, que la valeur donnée dans la statistique commerciale, mais je
dois vous prier de vous rappeler ce que c’est que ces valeurs données par la
statistique commerciale ; je vous prie de remarquer que depuis des années on ne
cesse de réclamer contre l’exagération de ces valeurs, et l’honorable M. David,
ordinairement mon voisin, vous a parlé cinquante fois dans ce sens. Je puis
d’ailleurs vous citer les paroles de M. le ministre de l’intérieur lui-même. Ne
vous a-t-il pas dit dans cette discussion que, suivant la statistique
commerciale, on importait pour 82 millions de denrées coloniales, mais que
cette évaluation était tellement exagérée, qu’il croyait devoir réduire ces 82
millions à 60 millions ?
On ne peut donc prendre les valeurs données par la
statistique commerciale comme bases d’un calcul sérieux. Les statistiques
commerciales sont excellentes pour les quantités ; mais pour les valeurs, ce
sont des choses arbitraires qui peuvent fort bien servir pour établir des
rapports entre l’importation et l’exportation d’une même valeur, mais qui ne
peuvent servir de base à un calcul de la nature de celui dont nous nous
occupons maintenant.
J’ai, messieurs, un appel à faire et au
gouvernement qui doit toujours être le défenseur des systèmes modérés et à
l’honorable M. d’Hoffschmidt qui s’est déclaré partisan des droits modérés, et
à l’honorable M. de Garcia qui a manifesté les mêmes sentiments. Je leur
citerai un nouveau fait, et je leur demanderai si le système que l’on veut
faire adopter en ce moment, est bien d’accord avec leur pensée, avec leur
opinion modérée.
Il y a un navire de 315 tonneaux, qui importe au
port d’Ostende depuis plusieurs années, des bois sciés. La cargaison de ce
navire donne un produit ordinaire de 17,000 fr., et ici je trouve une nouvelle
confirmation du chiffre de 54 fr. par tonneau que j’ai indiqué tout à l’heure.
Avant 1840, ce navire payait 53 cent. par tonneau,
166 fr. 95 c. pour la cargaison. En y ajoutant les 16 p. c. additionnels, le
droit était de 193 fr. 60 c. Depuis 1840, il paye, additionnels compris, 1,461
fr. 60 c. Mais si la proposition de M. le ministre devait passer, avec
l’augmentation de 10 p.c. pour option en cas du non-cubage matériel, il
payerait, du chef de la même cargaison, 6,852 fr. 90 c. ; si par malheur la
proposition de la commission d’industrie était adoptée , le droit s’élèverait
au delà de 10,000 fr. sur une valeur de 17,000 fr. Eh bien, je le demande aux
partisans des droits modérés, est-ce là un système modéré ? Non, messieurs,
c’est un système prohibitif.
M. de Garcia. - Nous ne voulons pas cela.
M. Donny. - Je sais que vous avez des sentiments
trop modérés pour le vouloir. Ce serait une véritable prohibition.
Maintenant, messieurs, la chambre est instruite
autant qu’il a dépendu de moi de l’instruire ; elle votera, si elle le veut, un
droit qui s’élèvera jusqu’à la prohibition des importations du bois scié, mais
au moins si elle fait cesser ces importations, elle le fera en pleine
connaissance de cause.
M.
Cogels. - Messieurs,
on a eu tort de renfermer cette question dans des limites très étroites. On n’a
voulu voir dans l’opinion des membres qui sont contraires à des droits élevés
sur les bois de construction, qu’un intérêt de localité très restreint. Un
honorable député de la province d’Anvers de l’arrondissement de Turnhout, a
voulu réduire encore ces proportions ; il n’a voulu y voir qu’un simple intérêt
de commission. Je prie mon honorable collègue de la province d’Anvers de croire
que les députés d’Anvers ne se renferment jamais dans des limites si étroites.
Par leur position même, ils sont appelés à défendre les intérêts généraux, lors
même qu’ils ne paraissent défendre que les intérêts de leur localité, parce
qu’il est naturel, saisissable pour tout homme qui veut voir les choses d’un
coup d’œil un peu élevé, que l’intérêt d’un grand port, c’est l’intérêt du
pays. Aussi ne verrez-vous jamais en Angleterre ni dans d’autres pays, les
différentes s’élever contre les grands ports, qui contribuent si efficacement à
féconder toutes les sources de la prospérité nationale,
Au reste, messieurs, ce n’est pas d’Anvers ni
d’Ostende que sont parties les pétitions contre des droits élevés sur les bois
; elles sont parties de toutes les localités qui ne sont pas couvertes de
forêts, c’est-à-dire de toutes les localités qui n’avaient pas un intérêt
purement local dans la question, et parmi les pétitions sur lesquelles
l’honorable M. .Zoude vous a fait rapport ou, au moins, qu’il a déposées en
dernier lieu sans les énumérer, parmi ces pétitions il en est une, à la vérité,
d’Anvers et d’Ostende, mais il en est cinq autres, d’Ypres, de Furnes, de
Thielt, de Roulers et de Dixmude. Du reste, ces pétitions étaient des pétitions
sur lesquelles on n’avait pas fait rapport depuis le projet présente en 1842,
et si ma mémoire est fidèle, il y en avait alors de toutes les autres localités
des Flandres, qui sont également intéressées à ne pas voir trop s’élever le
prix des bois de construction.
Quant à moi, messieurs, ce ne serait pas même un
intérêt de localité plus large, un intérêt commercial, qui me ferait sacrifier
les intérêts généraux du pays, si ces intérêts étaient véritablement en jeu ;
je le ferais d’autant moins que pour l’intérêt de commission dont a parlé
l’honorable M. Dubus, ce sont encore généralement les maisons étrangères qui
auraient cet intérêt, car nos grands marchands de bois, ceux qui reçoivent les
consignations les plus considérables, sont encore des maisons étrangères ; ce
que j’ai en vue, c’est l’intérêt général du pays, l’intérêt de l’industrie,
l’intérêt de ne pas voir s’élever un capital industriel que l’on peut regarder
comme un capital engagé, comme un capital qui n’est plus réalisable.
Du reste, ce sont ces motifs-là qui ont engagé
l’Angleterre, en 1842, malgré la situation fâcheuse du trésor, à réduire de 50
p. c. les droits sur les bois étrangers, et cela tandis qu’elle avait des
produits similaires, non pas dans son propre pays, mais dans une colonie à la
conservation de laquelle elle avait le plus grand intérêt, dans une colonie
dont elle avait le plus grand intérêt à ménager tous les produits. Vous comprendrez
facilement, messieurs, l’intérêt politique qui doit engager l’Angleterre à
éviter tout ce qui pourrait blesser les habitants du Canada, colonie que
l’Angleterre est certainement le plus exposée à voir un jour se séparer d’elle,
à voir suivre l’exemple des Etats-Unis.
Vous voyez donc, messieurs, que je ne suis guidé
ici par aucun intérêt étroit de localité.
On a cru, messieurs, que nous n’éprouvions aucune
sympathie pour l’intérêt des propriétés financières, pour les localités qui ont
des forêts. C’est là, messieurs, une grave erreur : j’ai déjà dit que je ne me
refuserais aucunement à accorder aux propriétés boisées la protection à
laquelle elles ont droit, mais que je ne voulais pas les bercer d’illusions,
que je ne voulais pas leur accorder des droits dont elles pourraient espérer
quelque chose mais dont elles n’obtiendraient rien, En effet, messieurs, je ne
pense pas que la chambre se rallie à la proposition de l’honorable M. de Corswarem, mais même les droits que propose cet honorable
membre ne feraient pas encore vendre les arbres des forêts de nos provinces
méridionales, de nos provinces qui se trouvent sur les frontières de
l’Allemagne et de la France, même ces droits ne feraient pas vendre ces arbres
un centime plus cher. Il est deux causes qui ont nui aux propriétés boisées, et
la principale, selon moi, n’est pas la baisse de la haute futaie mais la baisse
du taillis, la baisse du bois à brûler. Or, la baisse du bois à brûler peut
s’expliquer très facilement, d’abord par la grande facilité des communications
qui met la houille à la disposition de toutes les localités de la Belgique,
ensuite par le grand développement qui a été donné à l’exploitation de nos
houillères ; cette baisse résulte encore d’un changement qui s’est introduit
dans une industrie qui consommait le plus de bois, je veux parler des
hauts-fourneaux, qui maintenant se chauffent, la plupart, au coak.
Un membre. - Les briques.
M.
Cogels. - Nous avons
en outre les briqueteries, qui également emploient aujourd’hui la houille.
Du reste, messieurs, pour justifier l’opinion que
je viens d’émettre, je m’appuie sur celle de l’honorable M. Mast de Vries que
je rencontre cependant comme adversaire, car l’honorable M. Mast de Vries a dit
que le prix du bois à brûler a baissé de 30 à 40 p. c.,
et certainement ce ne sont pas les poutres de Riga qui ont fait baisser le prix
des bois à brûler. L’honorable M. Mast de Vries, à la bonne foi duquel je me
plais à rendre hommage, a reconnu, du reste, que la Belgique ne possède pas les
bois nécessaires pour la grosse charpente. En effet, je crois que si vous
défrichiez toutes les forêts de sapin que nous possédons, vous n’y trouveriez
pas de quoi rassembler les importations d’une seule année en bois du Nord. Je
parle des madriers et des poutres aussi fortes que celles qui nous sont
envoyées du Nord. J’ai déjà dit, messieurs, que maintenant on ne crée plus des
sapinières dans le but d’y élever des forêts, qu’on ne les crée qu’avec
l’intention d’une exploitation beaucoup plus prochaine, qu’on ne se propose
plus d’attendre je ne dirai pas 100 années, mais même 50 années.
L’honorable M. de Garcia, qui veut bien m’accorder
pour les questions commerciales, une certaine spécialité, m’a refusé cette
spécialité pour les questions agricoles et surtout pour les questions de
forêts. Je vous avoue, messieurs, que pour les questions de forêts, je ne suis
pas à même de les avoir étudiées comme l’honorable M. de Garcia, mais j’avais
pensé qu’il aurait été au moins aussi généreux à mon égard que je l’ai été
envers lui, et qu’il aurait bien voulu m’accorder pour ces questions-là autant
de spécialité que je lui en ai accordé moi-même dans les questions
commerciales, qu’il traite très souvent.
Je me permettrai cependant de douter un peu ici de
la spécialité de l’honorable M. de Garcia, pour ce qui regarde les questions
forestières, car lorsqu’il m’a combattu, ou bien il ne m’a pas bien compris, ou
bien il est complètement dans l’erreur. Je n’ai pas dit, messieurs, que les
forêts disparaîtraient de la Belgique, mais j’ai dit, et je maintiens que vous
verrez disparaître les forêts de tous les sols fertiles, de tous les sols qui
pourraient être beaucoup plus utilement livrés à la culture et en cela, je
crois que j’aurai l’assentiment de tous les honorables membres de la chambre
qui connaissent la question et même de ceux qui sont disposés dans cette
circonstance, à me combattre. Je n’ai pas voulu faire disparaître les forêts
des Ardennes, les forêts des sols qui ne peuvent pas être livrés à la culture,
et ici, messieurs, je rappellerai une circonstance où il était question de
décréter la vente de toutes les forêts. L’honorable M. d’Hoffschmidt peut me
rendre ici témoignage, en cette circonstance, je l’ai appuyé, j’ai dit que
c’était une de ces questions qu’il ne fallait pas résoudre sans examen, parce
que, pour telles forêts, il serait peut-être de l’intérêt absolu du pays de les
conserver, et par conséquent, de ne pas les aliéner.
L’honorable M. Huveners, qui, dans cette question,
s’est adressé à moi, de préférence, et avec une telle persistance que j’ai cru
un instant que nous nous trouvions, non pas dans les forêts mais dans le polder
de Lillo, l’honorable M. Huveners m’a fait une question ; il m’a demandé
d’indiquer les articles sur lesquels je voulais qu’on imposât de préférence des
droits élevés. Je dirai ici, messieurs, que l’initiative est un droit, que
c’est une faculté, mais je prierai l’honorable M. Huveners de me dispenser en
ce moment de faire usage de cette faculté, d’abord parce que ce n’est pas le
moment opportun, et que, si la question devait être soulevée, ce serait à
propos d’une loi de voies et moyens, mais non pas à propos d’une question
maritime.
L’honorable M. Huveners m’a demande si c’était sur
le tabac. Non, sans doute, et lorsque la question des tabacs sera en
discussion, l’honorable M. Huveners verra que ce n’est pas un article non plus
que je veux frapper, parce que je ne frapperai jamais les articles qui doivent
continuer à favoriser l’industrie ; enfin, pour me servir d’une expression bien
connue, je ne chercherai jamais à tuer la poule aux œufs d’or.
L’honorable M. Huveners a mis en opposition
l’opinion exprimée dans la pétition des marchands de bois d’Ostende, avec celle
des députés d’Anvers. Il nous a dit que par suite des droits élevés qui avaient
été établis sur les bois sciés, il y avait eu diminution dans les importations.
Il est possible qu’il y ait eu diminution
momentanée, mais je crois que depuis lors les importations n’ont guère diminué.
On se plaint, au contraire, de les voir constamment s’accroître. Je ferai ici
une question à l’honorable M. Huveners : est-ce que, par suite de la diminution
d’importation qu’on a remarquée alors, on a remarqué en même temps une hausse
sur le prix des bois indigènes ? Je ne le pense pas ; si donc cette diminution
a eu lieu, elle s’explique par la crise dans laquelle nous nous sommes trouvés,
et qui a diminué toutes les affaires commerciales, et par conséquent, aussi les
constructions.
Vous avez dans toutes les branches
d’industrie et de commerce quelconques, un moment de progrès, un moment
rétrograde, et très souvent un moment d’arrêt.
Maintenant je ne dirai plus que deux mots en ce
qui concerne le droit à imposer à la valeur ou au cubage. Certainement, je ne
demanderai pas qu’on impose le droit à la valeur, car ce serait une perception
très difficile, et qui donnerait lieu à la fraude. Il faut donc imposer le bois
à la mesure, comme l’a proposé M. le ministre de l’intérieur, et ainsi que le
propose maintenant l’honorable M. de Corswarem.
On a parlé des importations de bois qui se font en
France et en Angleterre ; on a dit qu’on y importait le meilleur bois. Cela est
tout naturel. En Angleterre, les droits sur les bois du Nord sont très élevés
puisqu’ils équivaudraient de 70 à 90 p c. sur les qualités médiocres, tandis
que sur les bois du Canada, ils ne sont pas de 20 p. c. ils étaient autrefois
de plus de cent pour cent, sur les bois étrangers.
Je ne m’opposerai pas à une certaine majoration de
droits sur les bois. Je ne veux pas maintenir le tarif primitif ; mais j’engage
la chambre à se rallier au chiffre qui est proposé par le gouvernement,
j’engage surtout les honorables membres qui ont le plus à cœur l’intérêt de la
propriété boisée à s’y rallier, parce que j’ai l’intime conviction, et je crois
que l’événement ne tarderait pas à justifier cette opinion, j’ai l’intime
conviction que les droits plus élevés ne leur feraient nullement atteindre le
but qu’ils ont en vue.
M. de Garcia. - Messieurs, dans la séance d’hier, j’avais
demandé la parole, lorsque l’honorable M. Verhaegen avait attaqué la réduction
du droit de vente des bois sur pied. L’honorable M. Verhaegen a considéré cette
réduction comme une faveur accordée aux riches propriétaires ; d’un autre côté,
il a présenté l’augmentation du droit sur les bois étrangers, comme une autre
faveur, et il a conclu par dire : « Je ne veux pas faveur sur faveur, et à
moins qu’on ne revienne sur la première, je voterai contre la seconde. »
Messieurs, quant à la première objection, je dois
convenir qu’elle a une grande apparence de fondement.
Cependant, lorsque l’honorable membre a cru que
cette mesure était uniquement dans l’intérêt des grands propriétaires fonciers,
il s’est trompé ; la plupart de ces propriétaires vendent leurs bois de la main
à la main, et ils ne sont ainsi soumis à aucun droit.
Mais il est des établissements publics qui ne
peuvent opérer leurs ventes que par adjudication publique. Je veux parler en
premier lieu des communes qui possèdent encore beaucoup de bois, parce qu’elles
ne peuvent pas les défricher sans autorisation du gouvernement, autorisation
qui n’est accordée que dans des cas exceptionnels et fort rares. Les hospices
et les bureaux de bienfaisance se trouvent dans une position identique.
Ainsi, il n’est pas exact de dire avec l’honorable
M. Verhaegen, que la mesure contre laquelle s’est élevé cet honorable membre,
constitue un privilège en faveur des riches propriétaires.
En portant la main sur la réduction signalée, on
atteindrait précisément les personnes et les établissements que l’honorable M.
Verhaegen veut protéger ; on atteindrait la classe de la société la moins
aisée, les habitants pauvres des communes ; on atteindrait les revenus des
malheureux qui trouvent assistance dans les établissements de bienfaisance et
dans les hospices.
Du reste, je ne dis pas que si cette question se
présentait en temps utile, je ne voterais pas dans le sens de l’opinion qui a
été émise par l’honorable M. Verhaegen ; c’est ce que nous aurons à examiner
dans d’autres circonstances.
Je passe maintenant à la seconde mesure que
l’honorable membre considère comme une faveur ; je veux parler de la protection
à accorder aux bois indigènes. Quant à moi, je dis qu’il n’est pas encore exact
de dire que cette mesure puisse être taxée de privilège. Est-ce que toutes les
industries du pays ne sont pas protégées ?
Lorsque nous demandons une protection pour les
bois, nous ne demandons pas un privilège, nous demandons une faveur égale à
celle dont jouissent les antres industries. Je n’en dirai pas davantage sur ce
point. Cependant, puisque j’ai la parole, je répondrai quelques mots à MM.
Cogels et Osy. Ces honorables membres ont attaqué par différents motifs le
droit à imposer sur les bois étrangers. L’un de ces motifs, c’est que vous
n’auriez pas des produits en bois, similaires avec ceux qui vous arrivent de
l’étranger. Ce n’est, à mes yeux, que par une subtilité qu’on peut ne pas
considérer nos bois comme étant les produits similaires. Si l’on veut
considérer le bois en lui-même, on a complètement raison ; mais si on considère
le bois au point de vue de l’usage, de l’application qu’on en fait, on a tort,
c’est-à-dire que vous employez les bois étrangers à tous les usages auxquels on
emploie le bois indigène, et que vous appliquez le bois indigène à tous les
usages auxquels vous appliquez le bois étranger. Prétendrait-on, par exemple,
que lorsque nous accordons un privilège aux draps qu’on fait en Belgique, ce
privilège s’applique à des produits qui ne sont pas similaires avec les draps
français ? On serait dans le vrai, au point de vue de la matière, au point de
vue du tissu ; mais on n’est pas dans le vrai, au point de vue de
l’application, de l’usage, les uns et les autres, quoique de qualités
différentes, servant au même usage, servant à faire des vêtements.
Il est donc évident qu’en empêchant les bois
étrangers d’entrer dans le pays, vous donnez une protection à des produits
belges qui leur sont similaires pour l’usage, pour l’emploi.
L’honorable M. Osy a dit aussi que nous demandons
une augmentation sur les bois qui doivent servir aux constructions civiles et
navales. Je ferai remarquer à l’honorable membre qu’il n’est pas question, dans
la discussion actuelle, d’augmenter le droit sur les bois qui doivent servir
aux constructions navales, et qui, d’après tous les amendements, ne sont soumis
qu’à un droit minime, qui ne peut être considéré que comme un droit de balance.
L’honorable M. Cogels, en débutant, a commencé par
dire qu’on avait réduit la question actuelle à des proportions étroites et peu
dignes de la législature, qu’on l’avait mise sur le terrain de l’intérêt
particulier, de l’intérêt de clocher, et que, quant à lui, il voulait la
considérer à un point de vue plus élevé, au point de vue de l’intérêt général.
Je dois répondre à M. Cogels que je crois avoir autant que lui le droit de dire
que je me suis mis à la position supérieure où il se plaît à se placer, et que
toutes les considérations que j’ai déduites pour obtenir une protection en
faveur du bois indigène, ne me sont inspirées qu’en vue de l’intérêt général.
Je pourrais même répondre à l’honorable député d’Anvers, que moi et tous les
membres de cette assemblée, nous ne voulons que l’intérêt général. Je ne suis
jamais animé que par ce sentiment, et dès lors je n’accepte en aucune manière
le reproche d’avoir réduit la question qui nous occupe à de petites
propositions ; on a dit dans des séances précédentes et aujourd’hui encore,
l’on nous a accusé d’être guidé par l’intérêt particulier
des propriétaires des forêts. Je n’ai pas jugé à propos de répondre à de telles
allégations, tant je me considère au-dessus, tant j’ai la conviction qu’elles
ne peuvent me toucher.
L’honorable M. Cogels, pour établir son système et
en tirer des conséquences les plus favorables, se met fort à l’aise. Il
remplace les démonstrations par des assertions, et nous allons le prouver.
L’honorable membre commence par vous affirmer que le droit que vous demandez
sur les bois étrangers ne fera pas hausser d’un centime les produits du sol.
Voilà un premier échantillon de l’argumentation de mon honorable collègue.
Comment est-il possible de supposer que la matière étrangère augmentant de
prix, par suite de l’impôt, la matière indigène similaire n’augmente pas dans
la même proportion ? Je ne suis pas expert dans la matière commerciale, je
dois en convenir ; mais si ce qu’affirme M. Cogels peut être exact, je dois
déclarer que je ne connais pas les choses les plus simples, mais cette
allégation me paraît si contraire à l’ordre naturel des choses qu’il m’est
aussi impossible de l’admettre ; et, d’un autre côté, cette assertion me paraît
si évidemment erronée que les raisons manquent pour en démontrer la fausseté
comme elles me manqueraient pour démontrer qu’il fait jour à celui qui
prétendrait qu’il fait nuit dans le moment actuel. Je ne pourrais lui dire
qu’une chose : Ouvrez les yeux. L’avenir les ouvrira, j’espère, à mon honorable
collègue.
On a prétendu que le bas prix de nos bois ne
résultait pas de l’entrée des bois étrangers. L’honorable M. Cogels s’est
encore fait une position toute particulière, il a supposé que nos forêts ne
produisaient que des bois à charbonner, et c’est en partant de ce point absolu
qu’il a argumenté. Je suis fâché de répéter ce que j’ai dit hier à l’honorable
membre, que l’industrie forestière lui est peu familière. S’il en était
autrement, il saurait que l’aménagement des forêts se compose de deux choses,
le raspe et la futaie.
Je conçois que les bois de construction du Nord en
grume ne font aucun tort, aucune concurrence à nos
bois raspe, mais le revenu forestier se combine de
deux choses, la récolte du raspe et de la futaie. La
révolution opérée dans la métallurgie a peut-être pour toujours ôté un prix élevé à la partie de bois dite raspe. Mais puisque cette partie du produit des forêts va
en décroissant, laissez au moins tirer parti de la futaie et faites en sorte
que, par un droit protecteur, cette partie de nos forêts conserve quelque
valeur.
L’honorable M. Cogels m’a reproché de lui avoir
prêté des idées qu’il n’avait pas émises. Je n’ai pas prétendu, comme l’a pensé
l’honorable M. Cogels, que je voulais le défrichement de tout le sol de la
Belgique. Je reconnais que l’honorable M. Cogels n’a pas dit cela en termes
formels. Mais qu’importe ? Son système y conduit. Que voulez-vous ? Vous ne
voulez accorder aucune espèce de protection ou bien une protection
insignifiante aux bois indigènes, vous forcez tous les propriétaires à
défricher. Il est impossible qu’il en soit autrement, car le propriétaire qui
paye des contributions et ne tire rien de sa propriété, cherchera, par le
défrichement, à en obtenir quelque chose, et, comme je le disais hier, ses
montagnes finiront par devenir des steppes, si la législature et le
gouvernement ne sont assez sages pour encourager la culture des forêts.
L’honorable M. Verhaegen a fait dépendre son vote,
dans la loi actuelle, de la réponse à une question qu’il a posée, il s’est
demandé : Le pays peut-il suffire à ses besoins ? Peut-il se passer du bois
étranger ? Je n’oserais répondre à cette question d’une manière affirmative,
surtout en présence du défrichement immense qui s’est opéré depuis quelques
années, défrichement qui a été en partie la conséquence du défaut de
protection. En résulte-t-il que vous ne devez accorder aucune protection à vos
bois ? Je ne peux tirer cette conséquence. Il vous reste quelques forêts assez
considérables, et dans l’intérêt bien entendu du pays, l’on doit tâcher de les
conserver. Or, si vous ne faites rien pour les protéger, elles disparaîtront.
J’ai signalé quelques graves inconvénients
qui doivent résulter de ce défrichement général ; l’honorable M. de Haerne en a signalé lui-même de fort graves. J’ai cité des
faits qui doivent être attribués au défrichement, j’avais ajouté une
considération qui devait en quelque sorte satisfaire à l’interpellation de M.
de Haerne ; j’avais dit, et, personne n’a répondu à
cette considération, qu’en imposant le bois étranger, on favorisait non
seulement la propriété boisée du pays, mais que cette mesure devait avoir pour
résultat de favoriser l’industrie métallurgique ; je crois que, par le
développement immense que cette industrie a pris dans la Belgique, le fer est
appelé à remplacer le bois dans une masse d’usages. Je crois que pour tous les
ponts de petite dimension, les portes, les barrières, les fenêtres, les
charpentes même, les toitures, l’on peut utilement remplacer le bois par le
fer.
Si donc le bois peut manquer jusqu’à un certain
point, il peut être remplacé par le fer. Au surplus, il ne manquera pas ;
seulement il sera soumis à un droit modéré et protecteur de nos forêts.
Les honorables MM. Cogels et Osy ont dû convenir
que ce n’était pas la marine belge qui fait le transport du bois qui nous
arrive. Dès lors que peut gagner la marine belge à laisser entrer les bois
étrangers avec un droit insignifiant ? Exactement rien ! Je terminerai par une
dernière réflexion. Les ports d’Ostende et d’Anvers sont appelés à desservir
toute la Belgique. La richesse de ces deux ports est intimement liée à la
richesse nationale ; prenons donc toutes les mesures pour développer tous les
produits de notre industrie et de notre sol, et en atteignant ce but l’on
marche droit à la prospérité de ces deux cités importantes.
M.
de Corswarem. - Je regrette de voir que plusieurs honorables
membres pensent qu’il sera impossible à notre marine d’importer jamais du bois
étranger. Dans les circonstances où nous nous sommes trouvés jusqu’à présent,
cela lui était impossible, par les raisons exposées par l’honorable M. Donny ;
les propriétaires des forêts du Nord ont fait construire des bâtiments qui sont
montés par des hommes qui leur appartiennent, par des hommes tenant à la glèbe
; et l’on sait que les marins du Nord coûtent infiniment moins à nourrir que
les marins de notre pays. Mais dès qu’il y aura des droits différentiels en
faveur de notre pavillon, il nous est permis d’espérer qu’il concourra avec les
pavillons du Nord pour nous importer du bois, surtout du bois scié. Il nous a dit
aussi qu’on importe des bois du Nord sur des navires très légers et peu
solides, qui ne peuvent servir à autre chose ; cela n’empêche pas que des
navires bien construits, pouvant servir à d’autres transports, ne puissent
transporter également des bois.
L’honorable M. Donny pense aussi que le bois n’est
pas une matière susceptible de droits différentiels, cependant plus une matière
se transporte en grande quantité, plus elle est susceptible de droits
différentiels. La majoration du droit, ce que nous proposons sera donc un moyen
direct de favoriser notre navigation, d’augmenter les ressources du trésor et
de protéger notre production agricole.
Il est juste qu’on donne satisfaction aux grands
propriétaires de forêts après en avoir donné aux grands armateurs, après en
avoir donné à la pêche nationale, à l’industrie linière et à d’autres encore ;
plusieurs produits de la terre sont protégés, il n y a que le bois qui ne le
soit pas. Les terres arables sont protégées par la loi sur les céréales, les
étangs sont protégés par le droit sur le poisson, les prairies sont protégées
par un droit sur les bestiaux, les vergers par un droit sur les fruits. Il en
est peut-être quelques-uns qui n’ont pas une protection suffisante, mais il n’y
a que le bois qui n’en ait aucune. Il est juste qu’il soit protégé comme les
autres productions du sol.
D’après l’amendement présenté par M. Donny, les
droits d’importation par les ports de mer seraient extraordinairement réduits,
tandis que pour les importations par les autres voies, ils seraient augmentés.
Un tonneau de bois scié venant par pavillon étranger par mer, payerait 5
francs, tandis qu’un tonneau de même bois venant autrement que par mer, par
exemple un tonneau de chêne venant par la Meuse, par les eaux intérieures de la
Hollande, payerait 28 fr. 50.
C’est une véritable prohibition des bois étrangers
importés autrement que par mer, au profit des ports de mer.
L’honorable M. Cogels nous a fait remarquer que le
sapin du Nord est d’une si mauvaise qualité, que le
gouvernement hollandais a défendu de l’employer dans les constructions pour le
compte de l’Etat. Je puis affirmer le fait ; car il est à ma connaissance que
les bois de chêne, pour l’atelier de construction d’artillerie de Delft sont
tirés du Limbourg.
L’honorable M. Cogels a demandé si nous voulions
un droit dans l’intérêt du trésor, ou dans l’intérêt de la propriété
forestière. L’honorable M. Huveners a déjà répondu que nous le voulions dans ce
double intérêt. Mais nous le voulons de plus dans l’intérêt du travail national
et du défrichement de nos bruyères.
La protection que nous demandons, j’en conviens
avec l’honorable M. Cogels, ne sera pas efficace : mais elle ne sera pas non
plus illusoire ; elle ne sera que lénitive ; et un soulagement quelconque nous
suffit pour le moment.
Il nous a dit aussi que nous ne trouvons pas dans
notre pays des sapins d’une dimension convenable pour remplacer ceux du Nord.
Nous ne les trouvons peut-être pas en quantité suffisante. Mais je puis
affirmer qu’il y en a de 15 mètres de hauteur et de 2 mètres de circonférence.
Je ne pense pas qu’il y ait nécessité en ce moment d’en avoir d’une plus grande
dimension. Je sais qu’en général on ne leur laisse pas atteindre cette
dimension. Mais puisqu’ils l’atteignent dans une localité, rien n’empêche
qu’ils ne l’atteignent aussi dans les autres, si ou les laisse croître pendant
le temps nécessaire.
Il est prouvé qu’il n’y a que les sapins rouges de
Riga qui puissent entrer en comparaison avec les nôtres.
L’honorable M. Cogels a dit que les constructions
faites avec des sapins du pays ne durent pas vingt ans. Il y a dans la Campine
des maisons ultra-séculaires faites en sapin. Cependant, au moment de leur
construction, le sapin du Nord n’était nullement connu dans le pays.
La conservation des bois dépend beaucoup du moment
où on les coupe. Je connais des bâtiments construits avec luxe où les chevrons
sont de chêne équarri ; ces bâtiments ne datent pas de 50 ans ; cependant on a
déjà été obligé d’y remplacer les chevrons de chêne par des chevrons de sapin
du pays.
L’honorable M. Cogels a dit aussi que nous
n’emploierons pas le sapin du pays pour les constructions navales. Je ne pense
pas qu’on emploie davantage pour ces constructions de sapin du Nord, si ce
n’est pour les mâts et pour l’intérieur des navires. Pour la carène on emploie
le bois de chêne sur ces derniers bois, le droit proposé est un simple droit de
balance.
Quand j’ai parlé d’une dépréciation de territoire,
l’honorable membre a cru que je parlais d’une dépréciation du territoire en
général. C’est une erreur. Je n’ai voulu parler que de la dépréciation du
territoire boisé, et cela est de toute notoriété.
On a parlé du domaine de Postel, il est prouvé que
le canal de la Campine a donné à cette propriété une plus-value considérable,
relativement au prix de 1840. Cependant le prix de l’adjudication est reste de
40 mille fr. en dessous de celui auquel le domaine a été vendu en 1840.
M.
Cogels. - Depuis, on
y a coupé pour 300,000 d’arbres.
M.
de Corswarem. - On dit qu’en France et en Angleterre, on a déboisé le pays. Mais ce
déboisement est considéré comme une véritable calamité. Le gouvernement et les
propriétaires mettent tout en œuvre pour réparer le mal.
L’honorable M. Cogels pense qu’on ne sème des
sapinières, que comme culture préalable, quand on veut défricher les bruyères.
Il est vrai que cela arrive. Mais tous les sapins ne sont pas semés dans le but
de conduire au défrichement. Pour défricher il faut commencer par semer des
sapins ou des genêts que l’on remplace ensuite par une culture.
Mais depuis 20 ans, 2,000 hectares ont été semés
en sapins, non pour être dérodés immédiatement, mais pour être coupés
lorsqu’ils auront atteint tout leur développement. Il est possible cependant
qu’on les coupe plus tôt, dans la crainte de les vendre moins, en attendant
aussi longtemps.
Ensuite comme il n’y a que du sapin dans la
Campine, on l’emploie comme combustible mêlé au gazon qui ne brûle pas seul. A
défaut de taillis, on y est réduit à faire des fagots de sapin, et dans ce cas
on doit encore les couper en herbe.
La vilité du prix du bois à brûler, que
l’honorable M. Cogels attribue à différentes causes provient de ce que, par
l’introduction du bois de sapin du Nord, notre bois de charpente est descendu à
la qualité de bois de chauffage ; et par là le bois à brûler proprement dit, ne
se vend plus du tout. Voilà la véritable cause de la dépréciation.
Le droit que nous demandons n’empêchera pas
l’introduction des bois de grande dimension, et même de dimension ordinaire ;
car un droit de 15 p. c. sur les bois en grume et de 25 p. c. sur les bois
sciés, sera de 20 p. c. en moyenne. On ne construit pas tous les ans à
Bruxelles un hôtel où l’on emploie pour 10,000 fr. de bois. Le droit fera une
augmentation de 2,000 fr. ; et pour pareille augmentation on ne construira pas
un hôtel de moins à Bruxelles.
L’Angleterre, comme l’a fort bien dit l’honorable
M. Cogels, seulement aujourd’hui (à l’avant-dernière séance, il l’avait omis) a
pu baisser le droit sur le bois, puisqu’elle a encore un droit de 100 p. c. sur
les bois du Nord.
M.
Cogels. - Je m’étais
trompé. Le droit est de 50 à 60 p. c. ; 1 liv. 5 sh.
par 50 pieds cubes.
M.
de Corswarem. - Et 20 p.c. sur le bois de ses propres
colonies, Je m’en suis assuré.
Ainsi ce que nous proposons n’est pas une
prohibition des bois étrangers. C’est seulement une amélioration qui favorisera
nos défrichements, procurera du travail à nos ouvriers et nous donnera un moyen
d’obliger l’étranger à nous faire quelques concessions. Nous pourrons lui dire
: Concédez, nous vous concéderons.
L’honorable M. Osy a parlé des expéditions
considérables que nous faisons dans le Nord ; cependant, d’après les documents
statistiques, voici le rapport entre les importations et les exportations :
La Russie a importé 14,754,641,
exporté. 317,372 : diff. 14,434,269
La Suède et la Norwége
ont importé 2,070,363, exporté 1,497,542 : diff. 572,821
La Prusse a importé 16,555,484,
exporté 11,412,752 : diff. 5,142,732
Les Pays-Bas ont importé 38,083,181,
exporté 26,398,502 : diff. 11,685,679
Le Grand-Duché a importé 2,22,583,
exporté 1,401,533 : diff. 821,050.
Ces cinq pays ont donc plus importé qu’exporté
pour fr. 32,656,551.
Ce résultat prouve que si quelqu’un a des
ménagements à garder pour favoriser ses importations, ce sont les nations du
Nord qui doivent les garder à notre égard, tandis que nous n’en devons garder
aucun au leur.
L’honorable M. Donny nous a dit
aujourd’hui que la valeur des bois de sapin était de 54 à 55 fr. le tonneau, en
moyenne. Mais il est évident que ce n’est que la moyenne des bois importés,
depuis quelques années ; or on sait que, depuis quelques années, on n’a importé
que des bois de très mauvaise qualité, dont nous voudrions voir cesser
l’importation. D’après l’évaluation du gouvernement, que nous croyons plus
exacte, la valeur du tonneau serait de 60 fr. en moyenne.
Puisque j’ai la parole, je dois dire un mot en
réponse à l’honorable M. Verhaegen. Cet honorable membre a dit hier qu’il
regrettait que le droit d’enregistrement sur les ventes publiques de bois, fixé
par la loi de frimaire an VII, fût diminué. Mais l’honorable membre n’a pas
tenu compte des circonstances dans lesquelles ce droit a été établi ni de
l’influence sous laquelle se trouvaient ses auteurs au moment où ils l’ont
port. Jusqu’à cette époque de frimaire
an VII, les forêts avaient été des propriétés féodales ou avaient appartenu à
des corps privilégiés ; elles n’avaient jamais payé de contributions ; on n’a
trouvé alors d’autre moyen de les atteindre que d’établir ce droit
d’enregistrement. Mais depuis elle ont payé des contributions pendant 50 ans ;
il ne serait donc plus juste de leur faire payer un droit extraordinaire sur
leurs produits. Le droit sur les ventes mobilières est de 2 et 1/2 p. c. S’il y
avait un changement à faire, ce serait, non pas d’élever à ce taux le droit sur
les vente d’arbres, mais de réduire à 1/2 p. c. le droit sur les ventes de
meubles. Mais il y aurait accord entre les deux droits.
Je bornerai là mes observations.
M.
Vandensteen. - Dans
tous les pays, les forêts ont exercé une influence sur la richesse publique des
Etats. De tout temps, on a attaché à leur existence et à leur conservation une
grande importance. Partout elles ont été l’objet d’une attention particulière.
C’est pourquoi des pays voisins, notamment la France, nous offrent tant de
décrets, d’ordonnances, de lois sur cette matière. On y a compris que cette
question était, en quelque sorte, une question d’ordre public, et qu’elle
intéressait tous les besoins de la société. C’est de ce point que j’envisage
cette question et à la demande que l’honorable M. Cogels adressait à l’honorable
M. de Corswarem, conçue en ces termes : « Je
m’adresse principalement aux honorables membres qui réclament une augmentation
de droits sur l’introduction des bois étrangers. Est-ce dans l’intérêt de la
propriété foncière que vous faites cette demande… Si c’est dans l’intérêt de la
propriété foncière que vous demandez la protection, je dirai que l’honorable M.
de Corswarem ne va pas assez loin ; la protection
serait, comme elle est aujourd’hui, à peu près illusoire. »
Je répondrai à l’honorable membre : Non, ce n’est
pas dans la seule vue de l’intérêt privé que nous élevons la voix, mais en vue
de l’intérêt général, en vue de conserver et d’accroître la richesse nationale
qui est le domaine de tous.
Les forêts en Belgique occupent encore la
cinquième partie du territoire. Leur revenu imposable, d’après le cadastre,
s’élève à plus de 10 millions, et, en y ajoutant les frais d’enregistrement, de
succession, d’hypothèque et toutes les autres charges qui les grèvent
indirectement, nous pouvons dire qu’elles rapportent annuellement à l’Etat plus
de 2 millions. Il me semble qu’une branche aussi considérable de la richesse
publique mérite bien quelques ménagements. Qu’a-t-on fait pour elle ? Rien,
absolument rien ; je me trompe cependant, on se souvient qu’elle existe
lorsqu’il faut la faire contribuer à alimenter le trésor public.
Depuis quelques années, sous la double assertion,
qu’on ne cesse de répéter, que le pays ne fournit point aux besoins de la
consommation, et que le bois est une matière première, indispensable, on a
favorisé l’importation des produits étrangers avec tant de sollicitude que,
dans bien des localités, les bois sont arrivés à ne plus avoir de valeur et
sont exclus du marché intérieur.
Telle est la cause de ce vaste défrichement que
nous voyons ; il se propage jusque dans les contrées les moins propres à
l’agriculture. Cette situation fâcheuse dans laquelle on laisse cette culture,
nous rendra forcément, et dans un court espace de temps, tributaires de
l’étranger pour toute espèce de bois. Or, il est incontestable que cette
dépendance ne saurait être que très nuisible en toute occasion, aux intérêts du
pays.
Je suis loin de partager l’opinion de ceux qui
prétendent que le bois est une matière première. Non, messieurs, il n’en est
rien ; ce produit ne peut pas être mis sur la même ligne que les autres
matières premières, qui font, si je puis me servir de cette expression, la base
de la fabrication de telle ou telle industrie, que l’on emploie journellement
et à tous les instants dans la même fabrique, comme le sont le lin, la laine,
etc. Le bois n’est pour l’industriel qui le met en usage, qu’un objet de
circonstance, accidentel, qui ne se renouvelle point constamment. En outre, la
majeure partie des bois qui nous sont importés, a déjà subi une première
préparation, et cause, par là même, un grand préjudice à nos ouvriers ; c’est
donc avec justice qu’ils réclament.
Les honorables membres qui professent le principe
que la Belgique ne doit point avoir de forêts sont fondés à dire que la
question de sapinières est ici hors de cause, puisque, d’après leur manière de
voir, elles ne peuvent être faites qu’en vue d’une culture préalable, et ne
pourront jamais fournir les bois de construction,
Il est de fait, que si nous ne modifions point
notre législation, nous verrons se réaliser cette opinion. Les propriétaires ne
consacreront point des capitaux considérables à cette culture s’ils n’ont point
d’espoir de pouvoir un jour récupérer les dépenses qu’ils ont faites. Si, au
contraire, nous entrons dans une voie de sage protection, non seulement cette
culture se fera en vue de métamorphoser nos bruyères en terres à labour, mais
encore elle pourra soutenir la concurrence avec les pays voisins.
Les partisans des droits protecteurs pas plus que
nos honorables adversaires ne veulent imposer des droits sur les bois qui sont
propres à la construction navale. Tout le monde est d’accord sur ce point. La
construction civile seule est en cause. Les motifs que l’on allègue pour
l’affranchir de tout droit sont-ils plus justes que ceux émis par les partisans
d’un droit protecteur ? Je ne le pense pas. Car, on ne peut nier que
l’exploitation de nos bois, dans la situation actuelle, si elle n’est point
onéreuse au propriétaire, ne lui soit tout au moins fort peu profitable, les
produits étant comme on nous l’a très bien démontré, grevés de charges
considérables, et se trouvant en concurrence avec des bois étrangers dont les
importations s’accroissent sans cesse. Il est donc de toute justice d’accorder
une protection à une industrie qui n’est, en dernière analyse, que le produit
du sol, à une culture qui a payé des sommes énormes au trésor, et qui alimente
une partie considérable de ma population.
Le tarif actuel est insuffisant, celui qui
a été proposé en premier par le gouvernement, ne peut satisfaire aux exigences
de la situation ; à peine doublerait-il les droits existants. Deux autres
propositions nous sont soumises, l’une de M. de Corswarem,
l’autre de M. d’Hoffschmidt. Le premier de ces honorables membres prenant pour
point de départ la valeur du tonneau indiqué par le gouvernement, accorderait
15 p. c. pour les bois de sapins en grume, importés par pavillon étranger (et
je ne m’occupe que de ce genre d’importation, puisque c’est le seul probable)
et 16 p. c. sur le bois scié à moins de cinq centimètres ; tandis que, suivant
la proposition de l’honorable M. d’Hoffschmidt, il serait de 8 p. c. pour les
bois en grume, et que, pour les bois sciés, il se trouverait à peu prés
d’accord avec l’honorable M. de Corswarem s’ils avaient
le même point de départ quant à la valeur du tonneau.
Dans la première proposition, suivant moi, je
trouve que la protection accordée par M. de Corswarem
pour les bois en grume, serait trop forte quand on la compare avec celle qui
serait établie sur les bois sciés ; tandis que l’honorable M. d’Hoffschmidt
n’accorde point assez. Il est difficile de se fixer sur la portée de ces deux
amendements qui diffèrent essentiellement l’un de l’autre. Cela résulte de la
valeur que les honorables membres attribuent au tonneau. Si nous voulons
arriver à une solution, il est indispensable de se mettre d’accord sur ce
point.
Alors seulement nous pourrons apprécier quelle est
la protection qui sera accordée à telle ou telle catégorie de bois. Si nous n’adoptons
cette marche, nous verrons surgir encore d’autres propositions basées sur la
valeur que chaque membre de cette assemblée peut attribuer aux différentes
espèces de bois.
Ce que vient de nous dire l’honorable M. Donny
fortifie encore cette observation ; car, d’après cet honorable membre, un mètre
et demi de bois de sapin scié ou en grume ne vaudrait pas plus de 54 fr. Or, je
pense que c’est une erreur, quant au bois scié. Si nous voulons faire quelque
chose d’efficace pour améliorer la position de cette culture et conserver à nos
nombreux ouvriers, qui vivent de cette industrie, une existence moins précaire,
il faudrait mettre un droit de 10 p. c. sur les bois en grume, et 20 p.c. sur
les bois sciés. Ce chiffre serait en rapport avec la proposition qui vous a été
soumise par la commission d’industrie, elle qui a examiné avec une scrupuleuse
attention les réclamations de nos producteurs et de nos ouvriers.
M.
Rodenbach.
- Messieurs, je donnerai mon appui à l’amendement de l’honorable M.
d’Hoffschmidt, et j’en dirai les motifs en peu de mots.
Cet honorable membre propose, en faveur du bois
indigène, une protection qui, terme moyen, s’élève à 8, 10, 13 et 14 p. c.
Cette protection me paraît suffisante, sans être exagérée.
L’honorable M. de Corswarem
vous demande une protection qui s’élève de 18 à 25 et même 30 p. c. Ce serait,
selon moi, une protection exagérée.
M. le ministre de l’intérieur, par son premier
projet, proposait une protection moindre à peu près de 30 p.c., que celle que
demande l’honorable M. d’Hoffschmidt. Il n’allait pas assez loin. Les chiffres
que renferme sa dernière proposition ne me paraissent pas non plus assez élevés
; ils sont de 70 c. et de 1 fr. 50. L’honorable M. Donny ne propose que 60 c.
Ce serait là une protection tout à fait illusoire.
La proposition de l’honorable M. d’Hoffschmidt me
paraît donc la préférable, et elle aura mon assentiment.
Messieurs, nous avons besoin dans le pays de bois
étrangers. D’autre part, comme il est reconnu qu’il y a une baisse de 15 à 20
p. c. dans le prix des bois indigènes, il faut protéger ces derniers. Imposons
donc d’un droit de 8 à 14 p. c., comme le propose
l’honorable député de Luxembourg, le bois étranger dont on ne peut se passer ;
de cette manière nous augmenterons les produits du trésor ; et en présence du
déficit de trois millions qu’on nous a annoncé, nous n’aurons qu’à nous
applaudir si nous pouvons augmenter ainsi le revenu de l’Etat de quelques
centaines de mille francs.
Je bornerai là mes observations.
(Moniteur
belge n°152, du 31 mai 1844) - M. Dubus (aîné). - Messieurs, la première
question que soulève la discussion actuelle, est celle de savoir s’il faut
protéger par un droit à l’entrée les productions de nos forêts. Je dis que
c’est la première question qui est soulevée, quoique la plupart des honorables
membres qui ont pris la parole, aient annoncé l’intention de voter cette
protection, pourvu que les droits soient modérés.
Cette question, messieurs, ne me paraît pas
pouvoir faire de doute dans cette assemblée, d’abord à cause de la situation
actuelle des propriétés boisées, qui rend cette protection absolument
nécessaire, puisqu’ainsi qu’on vous l’a fait remarquer, le produit des forêts
étant tout à fait avili, le revenu est en désaccord avec l’estimation qui a
servi de base à l’assiette de l’impôt. Ces propriétés ont, vous a-t-on dit, un
revenu imposable, d’après le cadastre, de 10 millions, et le revenu réel
n’atteint pas la moitié de cette estimation ; de sorte qu’elles sont réellement
imposées maintenant au double de l’impôt qui devrait les frapper.
Voilà une situation, messieurs, qui est bien
propre à fixer l’attention de la législature et qui appelle un prompt remède.
Si vous ne prenez pas une mesure pour relever le prix des bois, pour arrêter
une dépréciation qui est le résultat des importations des bois du Nord, il faut
que vous en preniez une autre ; il faut que vous diminuiez de moitié l’impôt
dont sont frappées les forêts. Vous n’avez, me paraît-il, qu’à choisir entre
ces deux remèdes. Car il faut bien apporter un remède à un mal tel que
celui-là.
Mais, d’un autre côté, peut-on hésiter à accorder,
contre les importations étrangères, une protection aux produits de nos
propriétés boisées, alors que tous les autres produits, presque sans exception,
sont protégés et fortement protégés par notre tarif ? Quels seraient les motifs
pour lesquels on ferait une exception en ce qui concerne les bois ?
On a dit, messieurs, que c’était une faveur ou un
privilège qui était réclamé dans l’intérêt de ces propriétés. Il me semble que
c’est tout le contraire, que c’est dans la situation actuelle que les
propriétaires actuels ont le privilège, puisque privilège il y a, ou plutôt
sont, dans la situation exceptionnelle tout à fait défavorable, de n’obtenir
aucune protection, tandis que tous les autres produits du pays en trouvent une
dans notre tarif. C’est donc les faire rentrer dans le droit commun que de leur
accorder aussi une protection.
Cette protection est accordée à la plupart des
produits du sol ; elle est accordée à tous les produits de l’industrie sans
exception. La houille même, qui est l’agent nécessaire de toutes les
industries, est protégée par un droit prohibitif à l’entrée. Le fer, qui certes
est aussi utile aux constructions civiles et navales que le bois, est également
protégé par un droit prohibitif à l’entrée. Les produits de l’industrie
agricole obtiennent en général aussi une protection par notre tarif. Je le
répète, il n’y a que les produits des forêts qui soient destitués de toute
protection.
Les bois étrangers, dès qu’on les importe en
grume, entrent libres de tous droits, viennent ruiner les propriétaires des
forêts, s’emparer du marché intérieur et empêcher que ces propriétaires
puissent trouver le placement de leurs bois.
Cependant, messieurs, ces propriétés sont
frappées, comme je le disais tout à l’heure, d’un impôt qui est hors de
proportion avec le revenu actuel. Le législateur qui les charge de cet impôt, a
le devoir de les protéger par son tarif.
D’ailleurs, messieurs, l’avilissement du prix des
bois est aussi, comme on vous l’a fait remarquer, un obstacle à ce que le
défrichement des terres incultes puisse se continuer, parce que le moyen
indispensable pour arriver à ce défrichement, c’est d’abord d’ensemencer la
terre inculte en bois, en sapin ; et si ce produit ne peut obtenir un facile
écoulement, ceux qui se proposent de défricher en seront détournés, parce
qu’ils n’auront pas l’espoir de tirer un bon parti des produits qu’ils
obtiendraient.
Il n’est donc pas douteux, messieurs, qu’il y a
nécessité de faire quelque chose pour ces propriétés, de les protéger par le
tarif. Sur ce point, je suis d’accord avec M. le ministre de l’intérieur, qui
lui-même a reconnu que le droit actuel est trop faible, eu égard aux intérêts
du trésor et eu égard aussi à l’intérêt des propriétés boisées du pays.
Seulement je ferai remarquer et je démontrerai tout à l’heure que le chiffre
proposé actuellement par M. le ministre ne peut pas faire atteindre le but. Il
ne fera obtenir qu’une ressource insignifiante au trésor public et il n’établit
qu’une protection tout à fait dérisoire.
Un honorable député d’Anvers, l’honorable M.
Rogier, a reconnu aussi qu’il y avait quelque chose faire. Seulement il a
insisté sur cette considération que le droit doit être modéré, et je
m’attacherai à établir tout à l’heure que les droits qui vous sont proposés
sont réellement des droits modérés.
Pour se refuser, messieurs, à accorder cette
protection, il faudrait des motifs très graves. Or, je n’ai rien reconnu de
réel, de solide, dans les motifs qui ont été apportés.
D’abord, fixons-nous sur les chiffres des
différents tarifs proposés, et apprécions ces chiffres pour voir la protection
qui en résulterait.
Pour cette appréciation, messieurs, je prends pour
base le bois en grume, parce que c’est le droit établi à l’entrée sur le bois
en grume qui est la véritable protection accordée aux produits des bois du
pays. Le chiffre plus élevé qui frappe ensuite le bois scié, représente tout à
la fois et le droit sur le bois en grume et la protection accordée pour le
travail du pays, pour le sciage du bois.
Je ferai remarquer à la chambre que le bois de
sapin est celui qui doit particulièrement fixer son attention. Quant au chêne,
si les renseignements que j’ai obtenus sont exacts, l’importation en est d’une
valeur tout à fait insignifiante. Sur à peu près 4 millions de francs
d’importation de bois, il n’y a pas pour 300,000 fr. de bois de chêne. C’est
donc particulièrement le sapin du Nord qui est importé en grande quantité, et
je ferai remarquer que c’est l’importation de ce bois qui fait le plus de mal,
qui amène la dépréciation la plus grande des produits du pays, parce qu’il y a
plusieurs qualités de ce bois qui sont livrées tout à fait à vil prix dans le commerce,
et parce que les meilleures qualités viennent faire concurrence aux différentes
espèces du pays, viennent faire concurrence au chêne lui-même, et en empêcher
la vente. C’est ce qui est reconnu de tout le monde.
Quant au sapin, M. le ministre propose sur le bois
en grume un droit à l’entrée de 75 c par tonneau lorsqu’il est importé par
navire belge, et de 1 fr. 50 c., lorsqu’il est importé
par navire étranger.
Il s’agit de fixer d’abord la valeur du tonneau.
Dans les pièces qui nous ont été distribuées récemment, M. le ministre établit
le calcul du revient des droits en donnant au tonneau de mer de bois en grume
une valeur de 50 fr.
Cependant, dans une note, il dit que le mètre cube
de sapin est estimé valoir en moyenne 40 fr. Si cette donnée était exacte, il
faudrait alors estimer le tonneau 60 francs, car le tonneau fait un mètre cube
et demi.
D’un autre côté, je remarque que, dans les
tableaux relatifs à la statistique commerciale, qui sont faits d’après les
renseignements fournis par l’administration des douanes, laquelle est plus
disposée à diminuer les valeurs qu’à les augmenter, quoi qu’on en ait dit,
puisque le droit sur le sapin scié se perçoit à la valeur et que l’on n’atteint
jamais la valeur véritable, je remarque, dis-je, que, dans ces tableaux le
tonneau de mer de bois en grume n’est estimé que 50 fr.
Ce chiffre de 50 fr. a été contesté ; on a
prétendu qu’en faisant le relevé de différentes cargaisons importées par un
navire, en 1843, la moyenne du bois en grume aurait donné une valeur moindre ;
cela est possible, messieurs, tout comme il est possible que les cargaisons
d’un autre navire aient donné une moyenne supérieure à 50 fr. Cela dépend des
diverses qualités de bois qui se sont trouvées sur ce navire. Il peut avoir
importé des qualités de bois médiocres et mauvaises, comme il nous en vient
beaucoup du Nord, et dès lors ces importations peuvent avoir présenté une
moyenne inférieure à 50 francs le tonneau, de même que d’autres navires peuvent
avoir importé des bois de meilleure qualité et dont la valeur dépassait la
moyenne de 50 francs. C’est une moyenne qu’il faut prendre, non pas sur
quelques cargaisons, mais sur la masse des importations ; et non pas sur la
masse des importations qui se sont faites jusqu’à présent, mais sur la masse de
celles qui se feront après la promulgation de la loi que nous faisons, qui a
pour tendance d’augmenter l’importation du bois de bonne qualité, tandis que
maintenant c’est surtout du bois de qualité inférieure qui nous arrive.
Nous pouvons donc prendre pour base la moyenne de
50 fr. et, d’après cette base, le droit résultant de l’amendement actuel de M.
le ministre de l’intérieur, serait de 3 p. c. pour les importations par navires
étrangers, et de 1 1/2 p. c. par navires nationaux.
On a fait remarquer que, dans l’état actuel des
choses, il n’entre point on presque point de bois par navires belges ; nous
avons donc à nous occuper principalement des importations par navires
étrangers. Eh bien, messieurs, une protection de 3 p. c. est évidemment une
protection tout à fait insuffisante ; autant vaudrait ne pas voter de droit que
de voter un droit aussi minime, qui serait sans aucune influence et pour
l’intérêt du trésor et pour l’intérêt des propriétés boisées. Le but serait
absolument manqué. Le tarif du gouvernement ne me paraît pas lui-même donner
une protection suffisante, puisque 3 fr. par tonneau d’importation par navire
étranger ne donneraient encore qu’une protection de 6 p. c.
L’honorable M. d’Hoffschmidt propose un chiffre de
4 francs par tonneau ; c’est une protection de 8 pour cent, mais de 8 p. c.
réellement perçus, puisqu’on ne pourrait pas dissimuler la quantité comme on
pourrait dissimuler la valeur, si le droit était établi à la valeur. Je ferai
remarquer ici, en passant, que, dans mon opinion, le droit doit être établi sur
le volume, sur la quantité importée, parce que d’une part il y aurait de trop
grandes difficultés à percevoir un droit à la valeur, puisqu’une cargaison peut
contenir 20 ou 30 qualités diverses de bois. Il faudrait donc pour percevoir un
droit à la valeur, établir un inventaire détaillé de tout le bois que contient
une cargaison, ce qui serait un très grand travail, un travail auquel
probablement on renoncerait.
Il en résulterait que l’on ferait une appréciation
par aperçu qui, évidemment, n’atteindrait pas la valeur véritable, à beaucoup
près. M. le ministre a même pensé que l’on pourrait se tromper de moitié ;
ainsi une protection de 15 à 20 p. c. ne représenterait plus qu’une protection
de 7 à 10 p.c.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit qu’on pourrait vous tromper de moitié.
M.
Dubus (aîné). - On
pourrait se tromper ou être trompé de moitié.
Un autre motif d’établir le droit à la quantité
importée et non à la valeur, motif qui résulte de celui que je viens de donner,
c’est que le droit à la valeur serait un droit nominalement très élevé et en
réalité fort modéré. Nous aurions l’apparence d’avoir établi un droit
considérable sur le bois étranger, tandis qu’en réalité, la protection se
réduirait à peu de chose. Cela serait tout à fait impolitique.
Un troisième motif qui me paraît également
déterminant, c’est que le droit étant établi à la valeur, il frappera le bois
de mauvaise qualité du même impôt que le bois de qualité meilleure, ce sera là
un encouragement à l’importation du bois de meilleure qualité. Or, ce sont
précisément les qualités médiocres et mauvaises qui font le plus de tort,
puisque ce sont celles-là qui sont livrées partout à vil prix.
Je pense donc, messieurs, que le droit doit être
établi par tonneau. Or, le droit de 4 fr. par tonneau donnerait une protection
réelle de 8 p. c. Je crois que cette protection de 8 p.c. se rapproche beaucoup
de celle qui a été demandée par l’honorable M. de Corswarem,
dans son amendement primitif. Cet amendement portait les chiffres de 13 et de
15 p. c. à la valeur. Eh bien, messieurs, 15 p. c. à la valeur pourraient
souvent, dans l’application, se réduire à 8 ou à 10 p.c. On aurait donc l’air
d’avoir accordé une protection de 15 p. c., tandis
qu’on n’en aurait accordé réellement qu’une de 8 ou de 10 p. c.
Je dirai un mot à cette occasion, de l’amendement
déposé hier par l’honorable M. de Corswarem, comme
étant, en quelque sorte, la traduction de son amendement primitif. Je crois
qu’en voulant traduire cet amendement, l’honorable membre en a considérablement
augmenté les chiffres. L’honorable membre a posé les chiffres de 6 et de 9 fr.
le tonneau. En posant le chiffre de 6 fr. par tonneau à l’importation par
navires belges, il a supposé que son droit de 12 p. c. à la valeur serait
réellement perçu ; mais c’est en quoi il s’est trompé ; car le droit de 12 p.
c. à la valeur se réduirait dans la perception à 7 ou 8 p. c. Il ne devait donc
pas traduire ce droit de 12 p. c. à la valeur par celui de 6 fr. le tonneau,
qui donnerait 12 p. c. réellement perçus. D’un autre côté, au lieu de 15 p. c.
à la valeur, pour le bois importé par navire étranger, l’honorable membre a
proposé le chiffre de 9 fr. par tonneau, ce qui donnerait un droit de 18 p. c.
réellement perçu, au lieu d’un droit nominal de 15 p. c., qui se réduirait
peut-être à 8 ou 10 p. c. dans la perception.
Ainsi, vous voyez, messieurs, que le dernier
amendement de l’honorable M. de Corswarem diffère
grandement de son amendement primitif, qu’il renforce considérablement la
protection.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il la renforce d’un tiers.
M.
Dubus (aîné). - Quant
à moi, messieurs, je me prononcerai pour l’amendement de l’honorable M.
d’Hoffschmidt, qui accorde une protection réelle de 8 p. c. Ce chiffre me
paraît modéré, mais c’est un chiffre modéré que j’ai l’intention de voter. Ce
seront 8 p. c. réellement perçus.
Devons-nous hésiter, messieurs, en présence de
pareils chiffres ? Devons-nous avoir quelque scrupule à accorder une protection
modérée comme celle-là, au bois du pays ? Je ne le pense pas et je suis à me
demander ce que nous avons à craindre. On a reconnu que la navigation du pays
est sans intérêt dans la question, puisque tout le bois qui nous arrive du
Nord, nous est importé par navires étrangers ; et l’on assure même que, quel
que soit le droit différentiel que vous établissiez, il en sera toujours ainsi,
que les propriétaires de bois du Nord auront toujours le monopole du transport
de leurs bois, dussent-ils les transporter pour rien.
Ainsi, messieurs, s’il était vrai que le résultat
de votre loi fût de diminuer la masse des importations de bois étrangers, la
navigation du pays n’y perdrait rien.
Quant à l’intérêt des négociants qui font le
commerce en commission du bois étranger, cet intérêt est trop minime pour être
d’un grand poids dans la question. D’ailleurs, les honorables députés qui ont
parlé avant moi et dans un sens contraire à celui dans lequel je parle, ont
déclaré eux-mêmes que ce n’était pas là l’intérêt qu’ils défendaient.
On a fait valoir l’intérêt de nos exportations. On
a présenté les importations de bois du Nord comme facilitant l’exportation de
nos produits vers le Nord. Messieurs, nous n’avons pas de renseignements très
complets sur ce point de la question.
Je dis que nous n’avons pas de renseignements
complets, parce que dans ceux que j’ai parcourus, je n’ai pas remarqué que les
exportations que nous faisons vers le Nord se font par les retours des navires
du Nord qui nous amènent le bois.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Toutes nos exportations vers le Nord se font
par navires étrangers.
M.
Dubus (aîné). -
J’admets ce fait ! les navires du Nord qui nous
importent le bois, exportent de nos produits ; mais ils nous importent du bois
pour 4 millions et ils exportent de nos produits pour un quart de ce chiffre.
Ainsi, la plupart de ces navires retournent sur lest ou vont se charger
ailleurs, et si les importations de bois étrangers venaient à diminuer,
dussent-elles diminuer même de moitié, nous aurions encore un moyen plus que
suffisant pour nos exportations. Ainsi, nous n’avons rien non plus à craindre
de ce côté.
Un autre intérêt qu’on a fait valoir, c’est celui
de nos constructions navales et civiles.
Quant aux constructions navales, je ferai
remarquer tout d’abord un point sur lequel M. le ministre de l’intérieur a déjà
appelé votre attention, c’est que, sous un rapport important, le nouveau tarif
qui vous est proposé par tout le monde, est très favorable aux constructions
navales.
Le bois le plus nécessaire, le bois indispensable
aux constructions navales, c’est le bois de chêne courbe ; eh bien, d’après le
tarif actuel, ce bois paye 6 p. c. à l’entrée, et le nouveau tarif propose de
le faire entrer, moyennant un simple droit de balance. Sous ce rapport donc,
les nouvelles propositions qui vous sont faites, favorisent les constructions
navales, et cela doit être pris en sérieuse considération. C’est là le bois le
plus essentiel pour les constructions navales, c’est celui que les
constructeurs sont obligés d’aller chercher à l’étranger, tandis que tous les
autres bois, ils peuvent les trouver dans le pays et de meilleure qualité que
les bois similaires étrangers.
Ainsi les constructeurs de vaisseaux sont d’abord
favorisés, quant aux bois qu’ils sont obligés d’aller chercher hors du pays. Si
la proposition qui nous est faite, pour leur accorder la restitution du droit
pour les autres bois qu’ils auraient employés, n’était pas admise, ils se
trouveraient dans la nécessité d’appliquer à leurs constructions le chêne du
pays qui vaut beaucoup mieux que le chêne du Nord ; le résultat serait, que
vous auriez de meilleurs vaisseaux, des vaisseaux plus solides.
Du reste, le droit étant fort modéré, la
différence par navire serait de très peu de chose, et ne mériterait guère
d’être prise en considération. D’ailleurs, messieurs, je ferai remarquer que ce
n’est pas seulement le bois qui est nécessaire à la construction des vaisseaux
: la construction et le gréement des navires nécessitent l’emploi d’autres
matières. Or, toutes ces autres matières payent des droits considérables à l’entrée,
et je m’étonne, alors que l’on considère d’une si grande importance, que le
bois entre libre de tout droit, quand il doit être employé aux constructions
navales ; je m’étonne, dis-je, qu’on ne trouve pas qu’il doive en être de même
des autres matières qui sont nécessaires à la construction et à l’équipement
des vaisseaux.
Ainsi le fer est protégé à l’entrée par un droit
prohibitif. Or, je crois que le fer entre dans la construction des vaisseaux
pour une somme assez notable. Pourquoi ne demande-t-on pas que le fer
d’Angleterre ou de Suède puisse entrer libre de tout droit, pour la
construction des vaisseaux ? Il existe absolument le même motif que pour les
bois.
Les ancres, dont on ne peut se passer pour les
vaisseaux, sont frappées, à l’entrée, d’un droit qui, les additionnels compris,
revient à 27 p. c.
Les cordages sont également frappés d’un droit
prohibitif de 20 à 25 pour cent.
Le cuivre même pour le doublage des navires, etc.,
que nous sommes obligés d’aller chercher à l’étranger, est frappé d’un droit de
6 p. c.
Et c’est en présence d’un semblable tarif qu’on
vient nous présenter comme une objection sérieuse l’intérêt de nos
constructions navales !... Mais vous voyez que cet intérêt se réduit presqu’à
rien.
Du reste, on vous a fait sur ce point une
proposition que je ne combattrai pas. Elle est d’une trop minime importance. On
a proposé de restituer les trois quarts du droit aux bois employés dans la
construction des vaisseaux. Je ne m’opposerai pas à cette proposition.
On a objecté encore l’intérêt des constructions
civiles.
Ici encore, j’appellerai, messieurs, votre
attention sur la même anomalie que je viens de signaler, quant aux
constructions navales.
Le bois n’entre que pour la moindre partie au
nombre des matériaux qui servent aux constructions civiles. Eh bien, toutes les
autres matières sont frappées de droits considérables à l’entrée. Il n’y a
d’exception que pour le bois.
Les briques sont frappées, à l’entrée, d’un droit
qui varie de 19 à 20 p. c. La chaux est frappée à l’entrée, d’un droit
prohibitif de 50 p. c. environ. Le fer, comme je viens de le dire, est grevé
d’un droit prohibitif. Les ardoises sont protégées à l’entrée par un droit de
15 p. c. ; un droit de 10 p. c. pèse sur l’entrée des
tuiles. Il n’y a pas jusqu’aux pierres brutes qui ne soient protégées d’un
droit de 6 p. c.
Ainsi, tous les articles qui font partie des
matériaux entrant dans les constructions civiles, sont protégés à l’entrée par
des droits considérables, à la seule exception du bois.
Y a-t-il un motif pour cette exception ? Il n’y en
a aucun. Il me paraît que les bois du pays méritent autant de protection que
tous les autres objets que je viens d’énumérer, et que si les constructeurs
peuvent se résigner à subir les conséquences des droits prohibitifs que je
viens de rappeler, à bien plus forte raison pourront-ils supporter les
conséquences d’un droit aussi modéré que celui de 8 p. c. sur l’entrée des
bois ?
D’ailleurs, depuis un certain nombre d’années, le
prix des bois a fléchi considérablement ; il s’est même avili. Avant cet
avilissement du prix des bois, alors que la différence était de plus de 8 p. c., avez-vous vu que cela ait eu quelque influence sur les
constructions. N’élevait-on pas, il y a cinq ou six ans, autant de
constructions qu’à présent ?
M. de Garcia. - On en élevait davantage.
M.
Dubus (aîné). - C’est
donc à tort qu’on a représenté l’intérêt des constructions civiles comme devant
vous déterminer à maintenir le tarif actuel qui laisse entrer le bois en grume
libre de tout droit.
Messieurs, je pense vous avoir démontré qu’il n’y
a aucune raison sérieuse qui puisse vous engager à refuser la protection qui
vous est demandée. Je me suis expliqué également sur la mesure dans laquelle je
crois que cette protection doit être accordée. Je me suis prononcé pour un
chiffre modéré, qui revient à 8 p. c. à la valeur.
On a demandé s’il fallait un seul chiffre à
l’importation des bois de toute essence, ou bien s’il fallait distinguer entre
le sapin et les autres bois. Il y aurait un motif pour introduire cette
distinction, s’il est vrai, comme je le crois, parce que cela a été assuré et
que cela n’a pas été démenti, s’il est vrai qu’un tonneau de chêne, par
exemple, a une valeur double d’un tonneau de sapin.
Mais d’un autre côté, lorsque je considère que,
sous l’empire du tarif actuel, les importations de bois de chêne sont de si
faible importance, qu’elles ne s’élèvent pas même à 300,000 fr. sur une importation
de 4 millions, il me semble que le droit de 4 francs au tonneau, même
relativement au bois de chêne, est une protection suffisante. D’ailleurs, si
l’on s’apercevait plus tard que les importations de bois de chêne devinssent
considérables et fissent tort à la production du pays, on pourrait alors
introduite cette distinction. Mais dans l’état actuel des choses, elle ne
paraît pas nécessaire.
Les chiffres que l’honorable M. d’Hoffschmidt a
proposés à l’importation des planches et solives, sont de 9 francs par tonneau,
lorsqu’elles sont importées par navire national, et de 11 francs lorsqu’elles
sont importées par navire étranger.
Pour apprécier le revient de ce droit, il faut
aussi se fixer sur la valeur du tonneau.
Dans le document qui nous a été distribué hier, M.
le ministre de l’intérieur paraît avoir estimé le tonneau de bois scié à 52
francs seulement, parce qu’il a pensé qu’un droit de 6 francs au tonneau
revenait à 11 1/2 pour cent, et un droit de 8 fr. 50 à 16 1/3 pour cent, Il est
évident, d’après ces chiffres, que M. le ministre a calculé sur une valeur de
52 francs au tonneau. Il y a ici une erreur manifeste. Il est impossible que le
tonneau de bois scié ne vaille que 52 francs, alors que le tonneau de bois en
grume en vaut 50. La différence n’est que de 2 francs ; elle doit être beaucoup
plus considérable. Car remarquez quels sont les éléments de cette différence :
le tonneau de bois en grume, réduit en bois scié, donne déjà au moins 6 p. c.
de déchet. Et, en outre, on estime la main-d’œuvre du sciage de 13 à 20 p. c.
La différence est donc plus grande que de 50 à 52 fr. En effet ; dans le
tableau des importations et des exportations contenu dans le volume de
statistique qui a été distribué à la chambre, le tonneau de bois scié est
estime à 75 fr. C’est également le chiffre de 75 fr. que la commission
d’industrie, d’après les renseignements qui lui sont parvenus, a trouvé comme
la valeur moyenne d’un tonneau de bois scié. A cet égard, j’appellerai
l’attention de la chambre sur un document qui lui a été distribué lors des
discussions antérieures sur le tarif des bois, de la loi du mois d’avril 1840.
On nous a distribué alors des prix courants des diverses qualités de bois scié
en sapin rouge et blanc.
Tout était calculé tant au mètre cube qu’au tonneau
de mer. Le bois de sapin rouge était estimé, prix courant des ports de
Belgique, selon les qualités, de 46 à 112 francs le tonneau, et le sapin blanc
de 41 à 84 fr. le tonneau. Je pense que, pour fixer la valeur du tonneau, nous
devons négliger les qualités de bois au-dessous du médiocre, qualités dont on
inonde le pays, mais dont on ne l’inondera plus quand, vous ferez un tarif de
droits protecteurs et établissant le même droit pour toutes les qualités,
puisqu’on aura intérêt à n’introduire que des bois de bonne qualité. Vous devez
prendre pour base les qualités moyennes, ce qu’on appelle dans le commerce les
qualités loyales et marchandes.
D’après les prix que je viens de rappeler, une
valeur de 75 fr. n’est pas exagérée, alors que les premières qualités vont à 85
ou 86 fr. pour les sapins blancs et à 112 fr. pour les sapins rouges. En
prenant pour base la valeur de 75 fr., les chiffres proposés par M.
d’Hoffschmidt reviennent à 12 p. c. pour les importations de bois sciés par
navire belge, et à 14 2/3 p. c. pour les importations de bois sciés par navire
étranger. Je considère encore ces chiffres comme donnant une protection
suffisante, mais nullement exagérée ; car ici vous avez tout à la fois et
protéger et la production du pays et le travail du pays, le sciage du bois ; il
est d’autant plus intéressant de protéger le sciage du bois, la division en
solives et en planches par les ouvriers du pays, que les bois produits par le
pays pourront être sciés sur place ; dès lors le transport de ces bois si difficile,
si onéreux, deviendra moins difficile, moins onéreux, car il est moins
difficile, moins onéreux de transporter des bois sciés que des bois en grume.
Vous avez donc un double intérêt à protéger le sciage du bois par les ouvriers
du pays. C’est un moyen de faciliter l’écoulement des bois produits par le
pays, en même temps que d’assurer du travail à nos ouvriers.
Non seulement une protection a été réclamée dans
l’intérêt des produits du pays, mais encore dans l’intérêt du trésor ? En
supposant que les importations soient les mêmes sous l’empire du nouveau tarif
que vous allez faire que sous l’empire du tarif actuel, voici quel serait le
produit de ce tarif : Il est entré en 1842, 16 mille tonneaux de bois en grume,
par mer, qui supporteraient le droit de 4 fr. selon le tarif proposé par M.
d’Hoffschmidt, cinq mille tonneaux importés autrement, qui supporteraient le
droit de 5 fr., il a été importé 29 mille tonneaux bois scié, par mer, qui
supporteraient le droit de 11 fr., et il en a été importé autrement trois mille
tonneaux, qui supporteraient le droit de 12 fr. J’ai arrondi les chiffres ;
tout cela donnerait un produit d environ 450 mille francs. Je pense qu’un
pareil produit, obtenu au moyen de l’établissement de droits modérés, comme je
viens de le démontrer, n’est pas à dédaigner ; ce serait une ressource
précieuse pour notre trésor dans l’état de nos finances. Mais, dit-on, l’effet
du nouveau tarif sera de diminuer les importations de bois étrangers ; la
conséquence serait que le pays placerait plus de bois ; l’avantage pour le pays
n’en serait que plus grand. Le tarif n’aura donc que des effets favorables. Je
lui dominerai mon assentiment.
PROJETS DE LOI
INTERPRETATIFS DE L’ARTICLE 821 DU CODE CIVIL ET DE L’ARTICLE 334 DU CODE PENAL
(Moniteur belge
n°, du mai 1844) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan)
- Messieurs, l’intervention de la législature est devenue nécessaire par suite
du désaccord qui existe entre deux cours d’appel et la cour de cassation sur le
sens de l’art. 821 du code civil. Le roi m’a chargé de vous présenter un projet
de loi qui consacre l’opinion de la cour de cassation.
Par suite de l’interprétation donnée par le
pouvoir législatif à l’art. 334 du code pénal, il existe une lacune dans ce code.
Le roi m’a chargé de vous présenter un projet de loi pour la combler. Ce projet
est destiné en même temps à modifier et à compléter quelques dispositions du
titre relatif aux attentats aux mœurs.
M. le
président. - Il est
donné acte à M. le ministre de la présentation des projets qu’il vient de faire
connaître. Ces projets ainsi que les motifs qui les accompagnent seront
imprimés et distribués aux membres.
- La chambre ordonne le renvoi du premier projet à
une commission spéciale nommée par le bureau, et le renvoi du second à la
commission qui a examiné le projet de loi interprétatif de l’art. 334 du code
pénal.
CONCLUSIONS DE LA
COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE (COMMISSION « DE FOERE ») ET
SYSTÈME DES DROITS DIFFERENTIELS
Discussion du tarif des droits différentiels
Article
« Bois »
M. le
président. - Deux
amendements ont été déposés par MM. Sigart et Donny.
M. Sigart propose d’exempter de tout droit les
perches et bois de cuvelage nécessaires à l’exploitation des houillères.
M. Donny propose une disposition additionnelle
applicable à toutes les propositions, la sienne exceptée ; elle est ainsi
conçue :
« Dans tous les cas l’importateur pourra
s’affranchir du cubage réel, en payant le droit calculé sur la capacité légale
du navire augmentée de 10 p. c. »
- Ces amendements seront imprimés.
M.
Rogier. - Je
demanderai si pour demain nous ne pourrions pas avoir le tableau de nos
exportations vers les contrées du Nord : la Suède et la Norwége,
pendant l’année 1843.
M. le ministre des finances (M.
Mercier) - Je verrai
s’il est possible de réunir ces renseignements.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.