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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 novembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 73) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à deux heures.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Teichmann, fabricant de pianos à Bruxelles, demande que (page 74) les pianos de provenance étrangère soient soumis au droit d’entrée de 30 p.c. »

- Renvoi à la commission permanente d’industrie.


« Le conseil d’administration de la Société bruxelloise, pour l’exploitation des ardoiseries d’Oignies, prie la chambre de prohiber le transit des ardoises françaises par le Belgique, jusqu’à ce que la France ait exécuté la convention du 16 juillet 1842. »

- Même renvoi.


« Les cultivateurs et marchands de houblon d’Alost demandent que les houblons étrangers soient soumis au même droit d’entrée que celui établi en France. »

« Même demande des cultivateurs et marchands de houblon de Meerbeck, Moorsel, Meylebeke. »

M. de Naeyer – Je propose le renvoi de cette pétition à la commission permanente d’industrie avec demande d’un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres du tribunal de première instance de Namur renouvellent leur demande, tendant à passer de la seconde à la première classe. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux traitements de la magistrature.


« Le sieur Toussaint, greffier en chef du tribunal de première instance de Bruxelles, prie la chambre d’insérer dans la loi relative aux traitements des membres de l’ordre judiciaire, une disposition qui autorise le gouvernement à fixer, par un règlement, les modifications et additions devenues nécessaires aux décrets du 16 février 1807 et du 18 juin 1811. »

- Même dépôt.


« Le sieur Nickels, curé desservant de Haltinnes, demande à être relevé de la déchéance prononcée par la loi du 4 juin 1839, qui fixe un délai pour faire la déclaration nécessaire, afin de conserver la qualité de Belge. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi accordant un nouveau délai pour faire cette déclaration.


M. Smits, retenu à Anvers par une indisposition, demande un congé de quelques jours.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi qui ouvre au ministère de la guerre, un crédit complémentaire de 4,130,000 fr.

Rapport de la section centrale

M. Pirson – Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le rapport de la section centrale sur les crédits complémentaires demandés pour le département de la guerre.

M. le président – Ce rapport sera imprimé et distribué.

A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion ?

Plusieurs membres – Après la discussion du projet de loi sur les traitements de la magistrature.

M. le président – Il me semble que M. le ministre de la guerre devrait nous dire jusqu’à quelle époque il peut continuer le service avec les crédits votés.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Les crédits accordés jusqu’à présent permettent la marche de mon département jusqu’au 7 novembre. Cependant, comme tous les payements ne se font pas immédiatement, nous croyons avoir les ressources nécessaires pour aller jusqu’au 20 ou 25 de ce mois.

M. le président – Maintenant qu’elle a entendu les explications de M. le ministre, à quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion ?

Des membres – A lundi !

D’autres membres – Entre les deux votes du projet de budget sur la magistrature.

- La chambre, consultée, fixe la discussion entre les deux votes du projet de loi sur les traitements de la magistrature.

Projet de loi augmentant le traitement des membres de l'ordre judiciaire

Discussion générale

M. Castiau – Messieurs, ainsi que l’a fait observer l’orateur qui a ouvert la séance d’hier d’une manière aussi remarquable que complète, il faut avoir une conviction profonde, intraitable, pour combattre le projet de loi qui vous est présenté.

Nous ne devons pas nous faire illusion, en effet ; à voir l’empressement avec lequel ce projet a été porté à l’ordre du jour, à écouter aussi les discours qui ont été prononcés dans cette assemblée, les opinions qui ont été exprimées, le résultat du débat est facile à pressentir. Les sympathies de la majorité, on peut le dire d’avance, sont acquises au projet que nous examinons. Je viens donc le combattre à regret et en désespoir de cause. Je le combattrai avec d’autant plus de regret que je partage aussi toutes les sympathies que l’ordre judiciaire rencontre dans cette enceinte.

Ces sympathies ne sont pas stériles, ainsi que l’a prétendu hier M. le ministre de la justice, parce qu’elles ne se traduiraient pas immédiatement en francs et en centimes. Nos sympathies, à nous, se traduisent en estime, en considération, en respect, et n’en sont que plus honorables pour la magistrature. Aussi, c’est surtout, messieurs, au nom de la dignité, de la considération de la magistrature, que je viens combattre en principe de projet de loi qui vous est présenté.

Mais, avant tout, messieurs, débarrassons la question de la constitution et des arguments constitutionnels qui ont été invoqués dans ces circonstances par M. le ministre de la justice dans son premier exposé des motifs.

C’est au nom du principe d’admissibilité des citoyens aux fonctions publiques que M. le ministre de la justice est venu vous demander l’adoption de ce projet de loi. Ce principe, sans doute, messieurs, est l’une des plus brillantes conquêtes de l’esprit d’équité, et il va admirablement à mes convictions démocratiques. Cependant, il ne faut pas pousser trop loin l’illusion à cet égard. Il faut reconnaître, au contraire, que ce principe, en l’état actuel de nos institutions sociales, n’est encore qu’une abstraction d’une application réelle. Sans doute tous les citoyens sont également admis aux fonctions publiques. Mais, en réalité, est-il considérable le nombre des hommes qui, par leur position, par leur étude, leur instruction, sont admissibles aux fonctions judiciaires et aux autres fonctions publiques ? Non, il faut le reconnaître, c’est le petit nombre qui, seul, jouit de ce privilège, c’est encore une minorité et une minorité imperceptible seule, qui est admissible aux fonctions publiques ; et, comme toujours, cette minorité appartient aux classes aisées de la société.

Messieurs, est-il donc vrai que, dans cette minorité privilégiée, il y ait une sorte de répulsion pour l’exercice des fonctions judiciaires ? Ces fonctions seraient-elles désertées et dédaignées ? A cet égard, vous avez entendu les révélations qui vous ont été faites hier par l’honorable M. de Naeyer. Il a cité des faits récents, des faits qui vous prouvent à l’évidence que de toutes les fonctions publiques, il n’en est pas aujourd’hui de plus avidement, de plus impatiemment sollicitées, que les fonctions judiciaires. C’est aujourd’hui le but de toutes les ambitions élevées et légitimes.

A cela, messieurs, qu’à répondu M. le ministre de la justice ? Rien, quant au fait. Mais il vous a dit : Qu’on réduise encore les fonctions judiciaires, et les compétiteurs n’en existeront pas moins, il y aura toujours des candidats pour l’exercice des fonctions judiciaires, mais quels candidats ? …

Quels candidats ? Ce sont encore, messieurs, les hommes qui se contentent d’une position modeste et honorable ; ce sont encore ceux qui n’ont ni le cœur ni l’âme gangrenés en quelque sorte par la lèpre de la cupidité, ce sont encore ceux pour lesquels le dévouement et l’honneur sont quelque chose ; ce sont encore ceux qui pensent que tout, dans la société, ne se réduit pas en question d’argent, en question de traitement ; ce sont ceux qui recherchent, avant tout, la plus haute importance de la considération, à l’honneur ; ce sont ceux pour lesquels l’honneur est en quelque sorte le plus beau et le plus riche des patrimoines.

Ceux-là, quoi qu’en pense M. le ministre de la justice, sont encore assez nombreux pour que, dans leur sein, on n’ait que l’embarras du choix pour les promotions judiciaires.

Mais, nous a-t-on dit, avec ce système, vous allez exclure les sommités du barreau de l’exercice des fonctions judiciaires ? S’il en était ainsi, messieurs, je n’y verrais pas, pour ma part, un grand inconvénient. Je ne crois pas qu’il soit bien nécessaire de réserver ainsi les hautes fonctions judiciaires pour les sommités du barreau. Je crois que chaque chose et chaque classe doivent rester en cette occurrence à leur place. Les sommités du barreau sont parfaitement placées au barreau ; qu’elles y restent. Il n’est pas juste qu’elles viennent envahir d’emblée les hautes fonctions judiciaires. Ces fonctions doivent être réservées, avant tout, au magistrat qui a consacré toute sa carrière au service public, qui a blanchi sur son siège en quelque sorte. Mais il ne serait pas juste que les sommités du barreau, qui ont choisi cette position, qui ont fait passer leur intérêt privé avant l’intérêt public, qui ont eu les avantages d’une brillante fortune et d’une nombreuse clientèle, vinssent faire encore de cette manière concurrence à la magistrature et usurper les hautes fonctions judiciaires, qui doivent être la récompense de services antérieurs. Ce serait le système le plus décourageant pour la magistrature, et ceux qui tiennent à y entretenir le zèle et l’émulation ne doivent pas hésiter à le proscrire.

Pour me résumer et en finir avec ce principe constitutionnel de l’admissibilité aux fonctions publiques, principe qui forme la base de l’argumentation de M. le ministre de la justice, je dirai que s’il est encore des hommes de cœur et d’intelligence que s’éloignent non pas des fonctions judiciaires, car ces fonctions-là sont toujours recherchées avec empressement et avidité ; mais des autres fonctions publiques, c’est qu’il répugne à ces hommes de cœur et d’intelligence de descendre au rôle de solliciteur, et d’encombrer les antichambres de nos ministres, c’est que les fonctions publiques, aujourd’hui, sont dépouillées de toute espèce de garantie aussi bien pour les nominations que pour l’avancement ; c’est que l’arbitraire seul en dispose ; et que les fonctions publiques, au lieu d’être la récompense du mérité, de la capacité, de l’indépendance, ne sont que trop souvent, aujourd’hui, la proie de l’intrigue, de la servilité et de l’incapacité.

Du reste, messieurs, il est un intérêt qui me touche un peu plus dans cette discussion que l’intérêt des solliciteurs, c’est avant tout l’intérêt du contribuable ; c’est l’intérêt du pays ; c’est l’intérêt de l’économie.

On vous l’a dit, messieurs, et je regrette en ce moment l’absence de l’orateur qui a prononcé ces paroles à l’une de vos dernières séances, l’économie, c’est le mot qui avait été écrit sur le drapeau de la Révolution. On nous annonçait alors tous les avantages d’un gouvernement à bon marché ; il semblait qu’on allait faire justice de tous les abus, supprimer les sinécures, réduire les gros appointements, dégrever les contribuables !

Vous savez maintenant, messieurs, ce que sont devenues toutes ces promesses et toutes ces espérances. Le gouvernement à bon marché est devenu le gouvernement le plus dispendieux, le plus onéreux ; toutes les promesses de réductions se sont transformées en dépenses nouvelles ; et si et nous continuons à marcher dans la voie où nous nous engageons, avant quelques années nous aurons un budget double, pour l’élévation, des budgets contre lesquels on s’est soulevé sous le gouvernement hollandais.

Cependant quelque partisan que je sois du système des économies, je ne pousserai pas le rigorisme jusqu’à contester aux juges de paix le supplément d’allocation qu’ion vient réclamer en leur faveur. Les justices de paix (page 75) c’est la magistrature populaire et démocratique par excellence ; et, par la mission de conciliation qu’elle exerce, elle peut rendre d’immenses services.

Ainsi, j’adhère à tout ce qui a été dit dans l’intérêt de cette magistrature, et je voterai de grand cœur l’augmentation de traitement qu’on demande en sa faveur.

Et que M. le ministre de la justice ne se hâte pas de triompher de ce vote comme s’il était un acte d’inconséquence et de contradiction ! car déjà, il vous a dit, dès que vous adoptez le supplément de traitement demandé pour les juges de paix, vous êtes obligés de voter également tous les suppléments proposés en faveur des tribunaux de première instance, des cours d’appel et de la cour de cassation ; ainsi le veut, a dit M. le ministre de la justice, la loi de la hiérarchie. Et voyez, messieurs, comment M. le ministre de la justice est réduit dans cette circonstance, par le malheur de sa position, à énoncer dans cette enceinte des doctrines d’un positivisme, d’un matérialisme en quelque sorte désolant !

Est-ce que la hiérarchie, par hasard, serait donc une question de traitement et d’argent ? est-ce que ce serait ainsi au poids de l’or et de l’argent que l’on pèserait la capacité judiciaire ? est-ce que les membres de la cour de cassation en faveur desquels on propose un traitement de 10,000 fr., seraient par hasard dix fois plus élevés dans la hiérarchie que les membres du dernier degré de l’ordre judiciaire, que les juges de paix, qui ne recevraient que mille francs ? Non, non, messieurs, la hiérarchie n’est pas, comme on le dit, une question d’argent et de traitement ; c’est, avant tout, une question d’attributions complètement indépendante de la question d’argent. La véritable hiérarchie, c’est celle de la capacité, du zèle, du mérite et de l’indépendance. Le traitement, messieurs, n’est que la rémunération du travail, et lorsqu’on vient établir que le juge de paix rend les mêmes services qu’un magistrat de première instance, qu’il est condamné à un travail aussi actif et plus désagréable, de quel droit viendra-t-on contester aux juges de paix, au nom de la hiérarchie, l’augmentation de traitements qui est réclamée pour eux ? Ce n’est là qu’un acte de justice et l’application du principe de la rémunération proportionnée au travail et aux services rendus. Cette question, encore une fois, est tout à fait indépendante de la question de la hiérarchie judiciaire.

Je ne suis pas éloigné non plus d’améliorer la position des membres de ces tribunaux de quatrième classe, dont la cause a été plaidée devant vous d’une manière si intéressante par notre honorable collègue M. Pirson ; mais là s’arrêteront les concessions que je suis disposé à faire aussi bien aux propositions de M. le ministre de la justice, qu’aux propositions de la section centrale. Pour tous les autres magistrats, pour les cours d’appel, pour la cour de cassation surtout, je crois, messieurs, devoir m’en tenir purement et simplement à la loi de 1832, qui me paraît déjà avoir été assez libérale en faveur de la magistrature supérieure.

Et qu’on cesse de nous dire et de nous répéter que cette loi de 1832 n’était que provisoire, que lorsqu’on a voté cette loi on prévoyait déjà la nécessité d’une augmentation de traitement pour l’ordre judiciaire, qu’il y a eu des promesses faites dans cette circonstance ; que non-seulement il y a eu promesse, mais qu’il y a eu même un vote de la chambre des représentants en faveur des membres des cours d’appel ! S’il en a été ainsi en 1832, c’est qu’en 1832, c’était encore l’époque des illusions et des espérances ; personne, en 1832, ne pouvait prévoir les faits malheureux qui devaient se réaliser en Belgique quelques années plus tard. Personne, en 1832, ne pensait que la nationalité aurait reçu la plus grave des atteintes ; certes personne ne pensait alors au démembrement que nous avons subi en 1839 ; personne ne pensait à la dette hollandaise qui a été mise à notre charge ; on nous disait alors que nous conserverions le territoire et que nous n’aurions pas la dette.

Eh bien, messieurs, en présence de ces promesses et de ces espérances, on a pu se montrer généreux dans des questions d’avenir ; mais aujourd’hui les faits et les circonstances sont changés. Aujourd’hui que le pays a été appauvri par le démembrement du territoire et la perte d’une partie de sa population ; aujourd’hui qu’on nous a arraché 500,000 de nos concitoyens, des fractions importantes de deux de nos provinces ; aujourd’hui, enfin, qu’on nous a imposé le payement de la dette hollandaise, il me semble, encore une fois, que les idées de générosité qui pouvaient exister en 1832, ne nous sont plus permises ; nous devons nous renfermer dans le cercle de la plus stricte économie ; d’autant plus que nous sommes en présence de besoins plus nombreux, plus impérieux qui grandissent chaque jour et auxquels il faut également satisfaire.

Ces précédents renversés, que reste-t-il de l’argumentation de M. le ministre ? Le parallèle qu’il vous a engagé à établir entre les traitements des magistrats et ceux des autres fonctionnaires. Il résultera, nous a-t-il dit, de ce travail comparatif la nécessité des augmentations qu’il réclame.

Déjà, messieurs, on avait d’avance répondu à cette partie de l’argumentation de M. le ministre ; déjà l’on avait dit que si dans d’autres fonctions publiques existe l’abus de gros traitements, l’abus des sinécures, c’est un motif pour faire disparaître cet abus, mais non pour ériger l’abus en droit et en règle. Ainsi ce qu’aurait à faire dans cette circonstance le gouvernement s’il avait le sentiment de ses devoirs et des intérêts du pays, ce serait précisément de protester tout le premier contre les traitements exagérés et de nous en proposer la révision et la réduction, dans l’intérêt des contribuables.

D’ailleurs, messieurs, comme on vous l’a dit encore, car, après le discours si complet de M. de Naeyer, j’en suis réduit à retomber dans d’inévitables redites, si le traitement des magistrats, comparé à ceux de quelques autres fonctionnaires, se trouve dans un état d’infériorité relative, en revanche, bien des avantages de position viennent compenser cette infériorité relative. C’est d’abord l’inamovibilité dent on a parlé hier, cette inamovibilité qui est sans doute une garantie d’ordre, une garantie d’indépendance du magistrat, mais qui, il faut bien en convenir, peut devenir aussi une prime d’impunité pour son indifférence, pour son mauvais vouloir, pour sa paresse.

L’inamovibilité protège, en effet, le juge intègre et consciencieux ; mais elle protège aussi le magistrat incapable et qui n’a pas le sentiment de ses devoirs. Cette inamovibilité entraîne à sa suite un autre privilège, l’irresponsabilité ; c’est la magistrature seule qui, dans l’état actuel de nos institutions constitutionnelles, jouit de cet immense privilège. Quoi que fasse le magistrat, ; quelque décision qu’il prenne, quelque erreur qui commette, quelque atteinte qu’il porte aux intérêts privés, quelque négligence qu’il apporte dans l’exercice de ses fonctions, le principe de l’irresponsabilité le protège, et ce principe, dans certaines circonstances, peut devenir d’autant plus dangereux que le pouvoir judiciaire est investi des prérogatives les plus étendues ; car nous ne devons pas nous dissimuler que le pouvoir est un pouvoir sans contrôle et sans limites ; il est investi du droit d’interpréter les lois, de déclarer quelles sont les lois en vigueur, quelles sont les lois abrogées, quelles sont les lois compatibles ou incompatibles avec nos propres institutions. Le pouvoir judiciaire domine donc la législation et peut, dans certaines circonstances, même briser la volonté du pouvoir législatif, et ce pouvoir est inamovible et irresponsable.

La magistrature jouit encore d’autres avantages dans l’ordre de ses travaux ordinaires. Ainsi, pendant que les autres fonctionnaires publics sont obligés de consacrer tous les jours, tout leur temps à l’exercice de leurs fonctions, nous voyons les règlements sur l’organisation des tribunaux faire une exception en faveur des magistrats. C’est d’abord le petit nombre d’audiences, trois par semaine ; puis la courte durée des audiences ; 3 heures seulement. Enfin, à la suite de tous ces privilèges, le privilège des vacances, dont on parle à mes côtés : deux mois entiers de repos. Vous le voyez, messieurs, la définition qu’on vous a donnée hier de la magistrature d’après l’orateur romain, n’est encore que trop vraie aujourd’hui.

Dans notre pays comme à Rome, c’est toujours : otium cum dignitate (le repos rehaussé par la dignité).

La dignité ! la considération ! Voilà, messieurs, la grande, la magnifique compensation accordée aux fonctions judiciaires. Nous sommes tous d’accord sur ce point. Dans toute la hiérarchie des fonctions publiques, il n’en est pas de plus haut placées que celles de la magistrature ; la magistrature est élevée, en quelque sorte, au niveau du sacerdoce. Et d’où vient cette considération qui environne et rehausse les fonctions judiciaires ? C’est, je le veux bien, en partie à cause du caractère des magistrats et des services qu’ils rendent ; mais c’est aussi et surtout, croyez le bien, à cause de la modicité de leurs traitements. C’est, messieurs, que l’instinct populaire ne se trompe pas toujours ; toujours juste dans ses appréciations, il paye en gratitude, en reconnaissance, en estime, ce qu’il ne paye pas en argent.

La modicité des traitements donne à l’exercice des fonctions judiciaires toutes les apparences d’un acte d’abnégation et de dévouement, et l’opinion publique se passionne toujours pour tout ce qui est abnégation et dévouement.

C’est là, je ne puis trop le répéter, le principe de l’élévation morale des fonctions judiciaires, c’est là la cause du respect qui environne la magistrature, de l’influence qu’elle exerce, de la haute position qu’elle occupe dans la société. Qu’allez-vous donc faire si vous adoptez le système ministériel, si vous marchez ainsi d’année en année, d’augmentations d’appointements en augmentations d’appointements ? Vous allez précisément briser ce prestige, cette auréole du dévouement et de l’abnégation qui environne la magistrature, et qui lui attire le respect de tous. La question de considération va s’effacer devant la question d’argent.

On croira avoir assez fait pour les magistrats en leur jetant à la tête, si je puis m’exprimer ainsi, 5 ou 6 mille francs, et dès lors, je ne crains pas de le dire, la magistrature descendra du rang élevé qu’elle occupe aujourd’hui ; elle perdra la place d’honneur dans la hiérarchie des fonctions publiques.

Il est, messieurs, je le sais, un pays où l’on a suivi d’autres errements, où l’on a fait à la magistrature une magnifique position pécuniaire, où on lui accorde des traitements exagérés et exorbitants ; ce pays, c’est l’Angleterre.

L’Angleterre, je le répète, assure de magnifiques positions pécuniaires à sa magistrature ; mais à quelles conditions ? C’est à la condition, messieurs, de supprimer les deux degrés de juridiction, à la condition de proclamer le principe de la responsabilité judiciaire, à la condition de proclamer cet autre principe de l’unité judiciaire qui rend le magistrat responsable devant l’opinion comme il l’est devant sa conscience ; c’est à la condition de faire résoudre les questions les plus ardues de ce droit anglais si difficile à comprendre et à constater ; à la condition de faire résoudre tous ces grands et difficiles problèmes par un seul magistrat ; c’est à la condition de n’avoir pour toute l’Angleterre que douze juges ! A cette condition, nous serions prêts, il faut le reconnaître, à accepter toutes les augmentations de traitement que l’on vient demander aujourd’hui.

Malheureusement, messieurs, on a suivi en Belgique d’autres errements ; nous avons eu le malheur d’adopter les institutions judiciaires de la France et le système français, c’est la complication des juridictions ; c’est le système des deux degrés de juridiction ; le système de l’irresponsabilité, le système de la multiplicité des juges, système qui est établi sur cette présomption, que plus un corps est nombreux, plus il y a d’activité et d’émulation parmi (page 76) ses membres. Eh bien, messieurs, en adoptant le système français, nous avons dû également en subir les conséquences et les inconvénients.

Les conséquences du système français, c’est la modicité des appointements de la magistrature, et cette modicité des appointements est poussée bien plus loin encore en France qu’en Belgique ; car, à part quelques hautes positions judiciaires, les magistrats des coups d’appel de 4e classe, par exemple, et ces cours sont les plus nombreuses en France, les magistrats de ces cours n’ont qu’un traitement de 3,000 francs ; et je ne sache pas que les magistrats qui les composent soient moins considérés, moins capables, moins consciencieux que nos magistrats des cours d’appel qui, déjà, reçoivent maintenant un traitement de 5,000 francs.

Je repousserai donc, je le répète, cette augmentation de traitement, proposée dans l’intérêt de ces cours ; je la repousserai avec d’autant plus de force que déjà les cours d’appel ont eu l’avantage de voir réduire leurs attributions. Vous avez décrété une loi sur la compétence ; cette loi a eu évidemment pour effet de réduire, dans une notable proportion, les travaux des cours d’appel ; et non seulement les travaux des cours d’appel sont diminués par la loi de la compétence, mais le personnel de ces cours a reçu aussi des accroissements depuis 1830.

Nous avons maintenant trois cours d’appel, composées de nombreuses magistrats ; elles n’ont pas suffi ; il a fallu y joindre des chambres provisoires ! Et quand on a ainsi augmenté, jusqu’à l’exagération, le personnel judiciaire, quand, d’une autre côté, on a réduit les attributions des magistrats de ces cours, on vient vous demander d’augmenter encore les appointements qui ont déjà été suffisamment augmentés en 1832 ! N’y a-t-il pas là, messieurs, un triple contre-sens ?

Il y avait, ce me semble, quelque chose de plus urgent à faire dans l’intérêt de la justice et des justiciables. C’était de remonter à la source des abus et de les faire disparaître ; c’était de réviser les règlements relatifs à l’organisation judiciaire ; c’était de modifier profondément ces institutions de la procédure, de cette procédure si vicieuse qui a été encore hier attaquée avec autant de force que de raison ; c’était de faire disparaître ces écritures et ces formalités lentes et dispendieuses qui ruinent le justiciable ; c’était de faire justice de ce scandale judiciaire de frais qui s’élèvent parfois au-dessus de la valeur de l’objet en litige.

Voilà de grands abus, voilà de grands scandales qu’il convient de faire cesser avant de voter des augmentations de traitement ; car, si l’on continuait à s’épouvanter de la nécessité de recourir aux tribunaux, si les procès devaient être considérés, comme aujourd’hui, comme une véritable calamité, s’ils avaient toujours pour effet de sacrifier les intérêts des justiciables et parfois de les ruiner, on finirait par douter de la justice, de ses bienfaits et même de sa légitimité.

Maintenant, je dois l’avouer avec franchise en terminant, si je combats avec tant d’insistance le projet d’augmentation qui nous est proposé, c’est bien moins pour le projet en lui-même que pour les conséquences que ce projet pourrait enfanter.

Messieurs, vous ne devez pas vous le dissimuler, ce projet, si je puis m’exprimer ainsi, n’est qu’une pierre d’attente sur laquelle va s’élever l’édifice des prodigalités ministérielles. On vous demande aujourd’hui un supplément de traitement pour la magistrature, parce qu’on veut demain escompter en quelque sorte la popularité qui l’environne ; demain on ira plus loin ; on viendra vous demander des suppléments de traitement pour toutes les autres fonctions publiques. Déjà l’on en demande pour les commissaires d’arrondissement ; puis viendront les gouverneurs, MM. les ministres eux-mêmes et tous les fonctionnaires de toutes les administrations dont on a parlé, et de tous les degrés. En vérité, avec ce système, autant vaudrait mettre dès aujourd’hui au pillage le trésor public, et livrer cette opulente curée à l’ambition, à la cupidité des fonctionnaires de tous les rangs et de tous les grades.

Et d’où nous viennent tous ces projets de prodigalité, dont les uns sont révélés hautement, et dont les autres se préparent sourdement encore dans l’ombre ? De notre situation financière ! Et à cette occasion, voyez, je vous prie, l’esprit de la logique de MM. les ministres ! Il y a quatre mois à peine, à la fin de la dernière session, quel langage tenait-on dans cette enceinte ? On venait de vous représenter votre situation financière sous les couleurs les plus sombres ; on faisait apparaître devant vous l’épouvantail du déficit. Il semblait vraiment que nous marchions vers l’abîme de la banqueroute. Et pourquoi ce langage ? parce qu’il fallait alors obtenir de vous un impôt odieux, un impôt impopulaire, un impôt qui répugnait à vos consciences et que vous avez eu le courage de repousser.

Aujourd’hui autres besoins autre langage. Il s’agit d’empêcher les économies qu’on redoute ; il s’agit aussi d’augmenter des traitements, et alors notre situation financière est des plus brillantes ! Il me semble que M. le ministre des finances a trouvé, dans l’intervalle des sessions, la pierre philosophale, et que chacune des paroles qui tombent maintenant de ses lèvres, va se changer en quelque sorte en millions.

Mais quelle est donc, en réalité, cette brillante situation financière, à l’aide de laquelle on veut ainsi emporter sans discussion toutes les augmentations de traitement ? On suppose qu’il y aura sur l’exercice 1845 (exercice qui n’est pas encore voté), un supplément de ressources de 1,250,000 francs. Déjà, dans la séance d’hier, l’on vous a exposé les considérations qui doivent vous faire augurer que cette somme, avant la fin de la discussion des budgets, sera probablement réduite de moitié. Et remarquez aussi, messieurs, que cette somme est purement éventuelle, car l’excédant annoncé résulte surtout du produit des impôts matériels. Or, ces éventualités peuvent se modifier chaque année, et le produit des impôts de consommation subir de fortes réductions.

Vienne la moindre crise, et les produits sur lesquels on compte s’évanouiraient, et vous vous trouveriez alors en présence de la pénurie du trésor et de nos finances épuisées.

Mais je suppose que cette somme de 1,250,000 fr. constitue une ressource réelle durable, permanente, je suppose que notre situation financière soit aussi brillante qu’il plaît à MM. les ministres de nous la présenter aujourd’hui ; n’y aurait-il donc rien à faire ? Ce qu’il y aurait à faire, ce serait de nous rappeler la promesse de la Constitution, ce serait de modifier notre système financier, ce serait de dégrever les contribuables, ce serait de faire disparaître quelques-uns des impôts les plus impopulaires, les plus odieux, l’impôt sur le sel, par exemple ; ce serait de justifier ainsi l’œuvre de notre révolution, ce serait d’environner ainsi d’une nouvelle force notre nationalité, en lui faisant pousser des racines aussi profondes au sein des masses, en la légitimant par des améliorations de toute nature.

Et si l’on pense que le moment n’est pas venu de réduire nos impôts, parce qu’il existe des besoins nombreux et importants, pourquoi ne donnerait-on pas la préférence à ces objets d’utilité publique ? Je ne parle pas des questions d’intérêt matériel, je ne parle par des questions de routes, des questions de canaux, des questions de chemins de fer ; je ne parle pas de ce vaste ensemble de travaux publics qui seraient de nature à absorber trois ou quatre fois notre budget ; toutes ces questions d’intérêt matériel trouveront toujours assez d’organes dans cette enceinte ; mais je vous parlerai encore, dussé-je le dire à satiété, je parlerai encore de ces intérêts moraux et intellectuels, qui, pendant si longtemps, ont été négligés et oubliés ; je parlerai de l’enseignement primaire auquel on affecte, pour tout le pays, une somme dérisoire par son insignifiance, je parlerai de quelques-unes des améliorations qui, quelquefois, sont indiquées dans le discours du Trône ; je parlerai de l’amélioration des prisons, des hospices, des bureaux de bienfaisance, question qui a été indiquée récemment à cette tribune par M. le ministre des finances. Eh bien tous ces intérêts ne sont-ils pas autrement urgents que l’augmentation d’un traitement qui a déjà été augmenté il y a peu d’années ?

A cet égard, M. le ministre de la justice a reconnu lui-même, dans la séance d’hier, qu’il y avait quelque chose à faire ; mais il ajourne ces intérêts si puissants et si pressants à l’examen et à la discussion de son budget. Eh bien, est-ce que, par hasard, de la discussion du budget de la justice va sortir tout à coup la panacée universelle ? Est-ce que ce budget va réaliser toutes les améliorations dont je viens d’entretenir la chambre ? De quoi s’agit-il, en définitive, dans ce budget ? Il s’agit d’allocations pour un régime pénitentiaire qui n’a pas encore reçu l’assentiment des chambres ; il s’agit ensuite d’allocations pour les dépôts de mendicité ! Est-ce donc là le dernier mot des améliorations promises par M. le ministre de la justice ? N’y a-t-il rien autre chose à faire qu’à construire des prisons, qu’à ouvrir des dépôts de mendicité ? Est-ce par des moyens répressifs qu’on peut en finir avec cette lèpre du paupérisme qu’on a découverte de nouveau à vos regards dans la discussion de la loi sur le domicile de secours ? Vos dépôts de mendicité suffiront-ils pour recevoir 20,000 indigents de Bruges ? Suffiront-ils à pourvoir aux besoins de toute la classe indigente du pays qui forme la cinquième partie de votre population peut-être ?

Il y a donc autre chose à faire qu’à ouvrir des dépôts de mendicité, qu’à construire des prisons. Après l’enseignement primaire, vient la nécessité d’organiser des moyens de travail dans toutes les localité pour ceux qui en manquent ; et, pour organiser ces moyens, il faudrait des sommes bien autrement importantes que celles qui figurent dans le budget de la justice pour l’entretien des dépôts de mendicité et des prisons. Je crois qu’il est bien plus urgent, qu’il me soit permis de le répéter une dernière fois, de fournir du travail à la classe ouvrière, de la protéger contre la misère, la détresse et la faim, que de porter le traitement des conseillers de la cour de cassation à la somme de 10,000 francs !

Croyez-le bien, la magistrature, la première, applaudirait à ce sage emploi que vous feriez des deniers publics, parce qu’elle a le sentiment de ses devoirs, parce qu’elle a le sentiment des nécessités sociales qui pèsent aujourd’hui sur toutes les classes et sur tous les pouvoirs de la société. La magistrature, la première, donnerait encore avec bonheur ce nouvel exemple d’abnégation et de dévouement. Je sais que nous sommes dans un siècle d’égoïsme et de cupidité. Ce siècle est le siècle d’argent par excellence ; c’est en même temps le siècle de la vanité et du luxe. Chacun aujourd’hui veut sortir de sa sphère ; on se crée, comme à plaisir, mille besoins factices, chacun veut étaler les attributs de l’opulence ; la passion, la soif de l’or exaltent aujourd’hui toutes les têtes et remuent toutes les entrailles ; c’est le déchaînement général des passions es plus petites et les plus dangereuses en même temps du coeur humain. N’y a-t-il pas dans ce choc de tous, cet élément de dissolution de quoi effrayer sur l’avenir de la société ? N’est-il pas temps d’opposer, s’il est possible, une digue à ce torrent de démoralisation qui roule sur nous ? Et cette digue, qui pourra l’élever, si ce n’est la magistrature ?

Oui, messieurs, c’est à la magistrature qu’il appartient d’opposer l’exemple de sa vie austère et recueillie, à tous les dévergondages effrénés du siècle ; c’est à elle qu’il appartient de se tenir en dehors des mauvaises passions de la société, de se renfermer dans sa vie privée, dans le sanctuaire domestique où sa conduite serait, par sa pureté, la plus éloquence censure des moeurs et des vices du siècle. Voilà les beaux et nombres exemples qu’il (page 77) appartient à la magistrature de donner ; ils ressusciteraient les plus belles traditions du passé, et croyez-moi, ces exemples de probité et de dévouement serviront mieux ses intérêts, sa dignité, sa considération, son influence, que le demi-million dont il s’agit de la doter aujourd’hui.

M. Verhaegen - Messieurs, en répondant aux attaques dont le principe du projet de loi a été l’objet, je défendrai mon œuvre, et, je ne crains pas de le dire, non-seulement je ne recule pas devant la responsabilité de ma proposition de 1837, mais je vais même jusqu’à revendiquer l’honneur de l’initiative.

Il m’a fallu une conviction bien forte pour que je me décidasse à présenter un projet de loi tendant à augmenter les traitements des membres de l’ordre judiciaire, à une époque où les ressources du trésor étaient bien loin d’être ce qu’elles sont aujourd’hui ; cette conviction que j’avais en 1837 s’est accrue par sept années de réclamations incessantes, et je puis ajouter que les objections que je viens d’entendre n’ont fait que la fortifier.

Messieurs, complètement étranger à la magistrature, bien décidé, par mes goûts et par mes habitudes, à ne jamais briguer l’honneur d’y entrer, mon désintéressement et mon impartialité ne seront, j’espère, révoqués en doute par personne. D’un autre côté, arrivé presque au terme d’une carrière qui résume toutes mes ambitions, on ne m’accusera pas non plus de vouloir faire ma cour à l’ordre judiciaire, on ne dira pas que j’apporte dans cette discussion un esprit de camaraderie.

Mais, depuis trente ans que j’ai l’honneur de faire partie du barreau, j’ai vécu au milieu des magistrats : mieux que personne je connais et leurs besoins et l’importance de leur mission.

C’est à ces différents titres que je réclame pendant quelques instants votre bienveillante attention.

L’ordre judiciaire, qu’on ne s’y trompe pas, ne prend pas, devant la législature, le rôle de suppliant ; loin de réclamer une augmentation de traitement, loin de spéculer, comme on se permet de l’insinuer, sur une aggravation d’impôts, la magistrature s’est résignée au silence, elle a pris dans le débat l’attitude qui convenait à sa dignité et à son indépendance. Mais, si elle a cru devoir se taire et donner des preuves d’une patience et d’une abnégation sans bornes, d’autres ont pensé qu’il était de leur devoir de réclamer pour elle un acte de justice, et de demander à la nation le payement d’une dette sacrée.

Messieurs, nous avions depuis 1830 plusieurs dettes à payer. Nous avions à allouer d’abord des indemnités aux victimes de la révolution en général ; nous avions ensuite à compter avec la ville de Bruxelles ; nous avions aussi quelque chose à faire pour les victimes des inondations des polders ; nous avions enfin un acte de justice à poser en faveur de la magistrature : trois de ces dettes ont été payées au moyen des lois que nous avons successivement votées, il ne reste plus aujourd’hui qu’à nous exécuter envers la magistrature : depuis 1830, ses traitements ont été réduits, elle a souffert cette réduction avec patience et avec résignation dans des temps difficiles. Aujourd’hui, parce qu’elle ne jette pas les hauts cris, parce qu’elle conserve l’attitude que sa dignité commande, est-ce une raison pour la laisser dans l’oubli ? Ne faut-il donc être juste qu’envers ceux qui réclament ? Encore une fois, messieurs, la magistrature est restée impassible dans une discussion qui touchait de si près à ses intérêts, et c’est une nouvelle considération à ajouter à toutes celles qui la portaient déjà si haut dans l’estime publique !

Mais, après tout, cette magistrature, dont on semble s’inquiéter si peu, qu’est-elle donc ? Elle est l’égale du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il lui appartient de traiter avec nous de puissance à puissance. Ce qu’on réclame pour elle, ce n’est pas une faveur, c’est un droit qui trouve sa base dans des considérations d’intérêt public, dans les dispositions mêmes du pacte fondamental.

J’ai pu comprendre que certains honorables collègues qui, d’ordinaire, ne partagent pas mes opinions, soient venus combattre le principe du projet de loi ; mais je n’ai pas pu me rendre compte de l’opposition qu’il a rencontré de la part d’un de mes amis politiques, avec lequel je marche presque toujours d’accord.

D’après cet honorable collègue, l’inamovibilité et l’indépendance de la magistrature ne seraient que des avantages établis dans l’intérêt privé de chacun de ses membres, et présenteraient même souvent des inconvénients pour la bonne et prompte administration de la justice ! Mais y a-t-il bien songé ? Que deviendrait donc notre pacte fondamental si nous n’avions pas pour garantie, pour sanction, l’inamovibilité, l’indépendance de l’ordre judiciaire ?

Nous avons, j’en conviens, la constitution la plus libérale du monde ; mais on a beau formuler les plus beaux préceptes dans les chartes, ce ne sont que lettres mortes, si les corps judiciaires ne sont pas là pour les faire respecter. Qu’on me dise que deviendraient la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté des cultes, s’il n’y avait pas l’indépendance et l’inamovibilité des magistrats pour en assurer l’exercice ?

M. Castiau et M. Delfosse – Et le jury ?

M. Verhaegen – Ce n’est pas répondre à l’objection.

M. Castiau – Le jury est une institution constitutionnelle, le jury prononce dans tous les cas de presse et sur tous les délits politiques.

M. Verhaegen – Le jury connaît des matières criminelles, et de certains délits politiques, mais il est d’autres garanties que nous ne trouvons que dans l’indépendance de la magistrature

. Que diriez-vous si un jour le ministère, oubliant ses devoirs, poussait l’arbitraire jusqu’à mettre les scellés sur les presses d’un journal ? Serait-ce dans le jury que vous trouveriez des garanties ? Non, ce ne serait que dans l’appui de la magistrature indépendante et inamovible.

Et, messieurs, cette indépendance, que l’on ne s’y trompe pas, cette inamovibilité, cette indépendance de la magistrature, sauvegardes de toutes nos libertés, il ne faut pas les réduire à des mots, mais il faut les consacrer en fait, les baser sur des réalités.

Le magistrat ne sera, de fait, indépendant, que quand il sera placé en dehors de toute influence du pouvoir exécutif, et pour cela il faut le mettre au-dessus de tout besoin, au-dessus de toute convoitise, et ici l’expérience vient confirmer mes assertions ; n’a-t-on pas vu, malheureusement, dans ces derniers temps, des magistrats inamovibles et indépendants, par cela même qu’ils n’avaient pas de quoi subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, abandonner cette position d’indépendance pour rechercher des fonctions amovibles et dépendantes ? N’a-t-on pas vu des conseillers, des juges, solliciter des places dans un ministère, mieux rétribuées que les fonctions de magistrats ? N’a-t-on pas vu des juges, des présidents même rechercher des places de greffier devant le tribunal de leur siège, des juges demander des places d’avoué ?

D’un autre côté, il faut bien l’avouer, nous sommes dans un siècle où le positif compte au moins pour quelque chose ; quels que soient les beaux sentiments qu’on ait exprimés et auxquels je m’associe bien volontiers, il est évident que le magistrat doit, avant tout, rechercher une position qui le mette à même de pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille.

Il faut de l’émulation dans le travail ; mais cette émulation n’est excitée chez l’homme, quel qu’il soit, que par le désir d’améliorer son existence ; et, à moins de ne rendre les fonctions judiciaires accessibles qu’aux riches, alors que, d’après notre constitution, il y a égalité pour tous, il est impossible de ne pas augmenter les traitements de la magistrature.

Messieurs, il est un principe fondamental écrit dans la constitution : c’est que tous les citoyens sont indistinctement admissibles aux emplois quels qu’ils soient. Certes, il entre dans les opinion de mon honorable ami M. Castiau de respecter ce principe. Loin de le restreindre, il voudrait l’étendre, j’en ai la conviction, si les moyens lui en étaient offerts ; j’applaudis encore à ces sentiments, mais il faut prendre les choses dans l’état où nous les trouvons. Il ne suffit pas de faire de la théorie, il faut aussi faire de la pratique.

M. Castiau ne voudrait certes pas que, comme dans un pays voisin, la propriété seule jugeât la propriété ! Ces idées ne seraient d’ailleurs plus en rapport avec nos mœurs ! D’après la constitution, ceux qui sont étrangers à la propriété ont, comme les propriétaires eux-mêmes, le droit de juger la propriété.

Partout l’égalité, pleine et entière, proclamée en principe comme en théorie.

Pourquoi donc les membres de la chambre des représentants reçoivent-ils une indemnité quand ils sont étrangers à la capitale ? C’est que le prolétaire comme le propriétaire doivent trouver accès dans cette enceinte ; c’est que la capacité comme la richesse doivent être admises à représenter le pays ; c’est que tous nous sommes égaux devant la loi, c’est qu’il ne faut faire aucune distinction entre les positions que le hasard à départies.

On accorde aux représentants du dehors une indemnité de 200 fl. par mois, soit 423 fr. 28 centimes ; et les conseillers de nos cours d’appel ne reçoivent que 416 fr. 66 c. ; ainsi ils touchent 6 fr. 62 c. de moins que les membres de cette chambre ; or, ceux-ci ne reçoivent l’indemnité qu’à titre de leur séjour dans la capitale, où ils ne vivent d’ordinaire qu’en garçons, tandis que les conseillers le plus souvent ont à subvenir aux besoins de leur femme et de leurs enfants et ont de plus un rang à tenir au milieu de leurs justiciables.

Qu’on se montre puritain comme l’a fait l’honorable M. de Naeyer, je le conçois, mais au moins qu’on reste conséquent avec ses prémisses et qu’on ne refuse pas à d’autres ce qu’on accepte pour soi-même sans la moindre difficulté.

L’indemnité accordée aux représentants, n’est, en définitive, que ce qui a été reconnu être le strict nécessaire pour subvenir à leurs besoins comme garçons pendant leur séjour dans la capitale ; n’est-il pas rationnel d’en conclure qu’il faut accorder une somme plus forte aux juges et aux conseillers pour les mettre à même de satisfaire à leurs besoins et à ceux de leur famille, à moins de prétendre qu’il faille condamner les conseillers et les juges au célibat ou qu’il ne faille admettre à ces fonctions que les hommes jouissant déjà d’une certaine aisance.

Messieurs, on vous a parlé de la dignité, de la considération dont la magistrature est entourée et qui doit lui suffire à défaut d’augmentation de traitement.

Autant vaudrait dire que les fonctions de la magistrature, pour être entourées encore de plus de dignité et de considération, devraient être gratuites.

Mais, je le demande aux honorables préopinants, est-ce que la magistrature ancienne dont on vous a parlé déjà et dont je me propose de vous dire aussi quelques mots était moins considérée, moins digne que celle dont nous nous occupons ? Est-ce que les magistrats qui siégeaient aux anciens conseils et entre autres au conseil souverain de Brabant étaient moins respectés que ceux qui siégent à nos cours d’appel et à la cour de cassation ?

On vous a parlé du conseil du Hainaut ; on vous a cité des chiffres. A mon tour, je vous citerai des chiffres pour le conseil de Brabant. Chaque conseiller, siégeant dans ce conseil, avait en appointements fixes et en traitements variables appelés « épices » de 4 à 5,000 florins courants de Brabant, de 9,000 à 10,000 francs, valant certes plus de 15,000 francs d’aujourd’hui. Les traitements variables s’augmentaient d’après l’importance des travaux.

N’a-t-on pas vu, à cette époque, des avocats occupant le premier rang (page 78) dans le barreau, briguer la faveur d’entrer dans ce corps de magistrature. Je puis le dire, puisque, dès mon exorde, je me suis mis hors de cause, c’est une erreur de prétendre que le barreau doive rester étranger à la magistrature. J’ai toujours entendu dire, au contraire, que le barreau était la pépinière de l’ordre judiciaire ; ce sont les hommes versés dans l’étude des lois et qui ont l’habitude pratique de leur application, qui peuvent rendre le plus de services à cet ordre. Les membres qui ont siégé avec le plus de distinction au conseil de Brabant, étaient précisément des anciens avocats : Tuldenus, Deckerus, Burgundus, Kinschot, et Stockmans lui-même, dont un de nos procureurs-généraux a parlé naguère avec tant d’à-propos, avaient appartenu au barreau ; et étaient moins considérés et moins dignes que nos conseillers d’aujourd’hui, parce qu’ils touchaient des traitements beaucoup plus élevés ?

Mais on parle de la France : En France, dit-on, les fonctions judiciaires ne sont pas aussi bien rétribuées qu’elles le sont, même en ce moment, en Belgique. Mais c’est à la France précisément que j’ai fait allusion tantôt.

En France, la propriété est, en règle générale, jugée par la propriété ; c’est ce principe dont nous n’avons pas voulu en Belgique, alors que nous avons fait appel aux capacités, qu’elles fussent prolétaires ou propriétaires.

En France, un conseiller de cours d’appel a un traitement différent d’après les localités.

A Rennes, Poitiers, Pau, Agen et autres villes secondaires, il est de fr. 3,600 ; à Lyon et à Bordeaux, de fr. 4,800 ; à Paris de fr. 8,000. Un conseiller de la cour de cassation a un traitement de fr. 15,000.

Ces traitements, je ne crains pas de le dire, ne sont pas en disproportion avec le chiffre actuel des traitements de la magistrature belge.

D’ailleurs, en Belgique, les exigences sont, à l’égard des magistrats, beaucoup plus fortes qu’en France : en Belgique, un magistrat doit rester complètement étranger à tout ce qui ne concerne pas ses fonctions ; il ne peut pas même être commissaire dans une société commerciale ou industrielle ; on ne veut pas, et on a raison, que le souci des intérêts privés absorbe le magistrat.

Ensuite, en Belgique, les membres de l’ordre judiciaire ne peuvent accepter du gouvernement aucune fonction rétribuée ni même toucher aucune indemnité pour quelque service que ce soit, et c’est encore un bien ; malheureusement quelquefois dans la pratique on s’est écarté de ce principe. Puisse la loi nouvelle empêcher le renouvellement de l’abus !

Tout le monde en conviendra, il est utile qu’un magistrat reste étranger à l’industrie et au commerce ; il est utile qu’il s’occupe exclusivement de ses fonctions ; il est moral qu’il n’ait aucune fonction rétribuée par le gouvernement, qu’il ne touche même de lui aucune indemnité, en d’autres termes, il convient de le soustraire à tout influence du pouvoir ; il doit reste ce qu’il est aux termes de la constitution, membre d’un pouvoir indépendant, l’égal du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Cette position rigoureuse ne doit pas être perdue de vue dans la fixation des traitements.

Enfin, dans un petit pays tel que le nôtre, les membres de l’ordre judiciaire ne peuvent pas, à l’instar de la plupart des magistrats français, augmenter leurs émoluments par la publication d’ouvrages de droit : les ouvrages de M. Troplong, par exemple, lui ont rapporté, en quelques années 250,000 fr. ; or, cela ne serait jamais possible en Belgique. Chez nous, les magistrats qui écrivent, quel que soit leur mérite, ont de la peine à couvrir leurs frais d’impression ; cela tient à la position du pays.

Ainsi, nos magistrats de l’ordre judiciaire n’ont aucune émolument à attendre en dehors de leurs fonctions ; et l’on a osé prétendre qu’alors qu’avant la révolution de 1830 ils avaient un sort meilleur, les promesses qu’on leur a faites dans plus d’une circonstance solennelle doivent rester stériles !

La magistrature jouit d’avantages assez grands, nous dit-il, et la preuve c’est que les places, lorsqu’elles deviennent vacantes, sont briguées par une foule de postulants ! Mais on vous l’a déjà fait remarquer, et à très-juste titre, si au lieu de 6,000 francs, on ne donnait que 1,000 francs à un conseiller, on aurait encore à peu près autant de postulants qu’aujourd’hui ; on en aura partout en toutes circonstances. Je m’inquiète peu de la quantité des postulants ; c’est à la qualité que je m’attache, et pour rester dans un exemple qui a été cité hier par l’honorable M. de Naeyer et qui était relatif, je pense, à une place de conseiller naguère vacante à la cour de Gand, je dirai à cet honorable membre que si un homme politique d’un côté, un membre de la députation permanente de l’autre, le bâtonnier de l’ordre des avocats ensuite se sont mis sur les rangs, c’est que chez eux à une haute capacité venait se joindre la propriété, et je n’oserais pas en dire autant des autres postulants qui étaient peut-être étrangers à la fois à la propriété et à la capacité.

Je comprends que lorsqu’un homme qui a quelques mille francs de rente, il juge à propos d’accepter, si ses goûts d’ailleurs l’y appellent, un fauteuil à la cour d’appel ; mais je n’admets pas la possibilité qu’un homme qui ne possède absolument rien et qui a femme et enfant à entretenir, puisse se contenter de fonctions qui ne lui rapportent que 4,000 et même 5,000 francs.

A en croire les honorables préopinants, les fonctions de conseillers sont si recherchées… Mais je fais un appel à mes honorables collègues des provinces. Il y a eu plusieurs places vacantes à la cour de Bruxelles. A-t-on vu beaucoup de juges des tribunaux de Tournay, de Charleroy, de Mons, venir briguer ces fonctions ? On serait embarrassé, je crois, de citer des noms propres. Quelques faibles que soient les appointements d’un juge dans une ville de province, il se tire mieux d’affaire qu’un conseiller avec 5,000 fr. à Bruxelles, où les loyers sont exorbitants.

Messieurs, on vous a parlé déjà de la disproportion qui existe entre les traitements de la magistrature et les traitements de toutes les autres fonctionnaires ; et quoi qu’on en ait dit, cette disproportion est tellement évidente qu’il faudrait vouloir pousser l’injustice jusque dans ses dernières limites pour chercher à la maintenir.

Sans augmenter les uns, il faut diminuer les autres, dit derrière moi un honorable collègue. Mais depuis longtemps, moi-même, j’ai soutenu qu’il fallait niveler les positions, et j’espère bien donner suite à l’initiative que j’ai prise ; je ne doute pas que je ne trouve alors des soutiens sur ces bancs.

Mais en attendant ne soyons pas injustes. Mettons fin au provisoire de 1830, qui n’existe plus que pour la magistrature. Alors, mais alors seulement, nous pourrons parler de mesures générales.

Messieurs, pour ne pas nous borner à des assertions, je pense qu’il convient d’indiquer quelques chiffres, et ces chiffres, tels qu’ils sont rapportés dans la Belgique judiciaire du 31 octobre, sont de la plus haute importance pour le débat : ce journal a comparé, avec beaucoup d’à-propos, les traitements de tous les fonctionnaires civils et militaires avec ceux des membres de l’ordre judiciaire, et le rapprochement est vraiment curieux :

Ainsi le premier président de la cour de cassation et le procureur-général, fonctionnaires sans collègue du même grade, placés à la tête du pouvoir judiciaire, n’ayant d’égaux que les présidents de nos chambres législatives, ont un traitement de 14,000 francs. C’est-à-dire qu’ils sont moins payés que :

L’archevêque de Malines … … fr. 30.000

Les ministres … … fr. 21,000

Les lieutenants-généraux en activité … … fr. 16,900

Les neuf gouverneurs … … fr. 15,000

Les moindres agents diplomatiques … … fr. 15,000

Les cinq évêques … … fr. 14,700

Nos premiers présidents et procureurs généraux près les trois cours d’appel ont 9,000 fr., c’est-à-dire moins que :

Le directeur des chemins de fer en exploitation … … fr. 12,000

Les généraux-majors en activité … … fr. 11,600

Certains directeurs du trésor et autres hauts fonctionnaires du département des finances, ayant … … fr. 10,500

Secrétaires-généraux … … fr. 9,000

Et d’autres … … fr. 9,000

Les avocats-généraux et président de chambre aux cours d’appel ont 6,000 et 6,300 fr. Donc moins que :

Les directeurs de l’enregistrement … … fr. 8,500

Les colonels (sauf ceux de l’infanterie), l’intendant en chef, le commissaire des monnaies et les secrétaires-généraux des ministères … … fr. 8,400

Les directeurs des contributions, les ingénieurs et inspecteurs, chefs de service au chemin de fer … … fr. 8,000.

Un capitaine de marine … … fr. 7,600

Les colonels d’infanterie … … fr. 7,400

Les lieutenants-colonels de gendarmerie … … fr. 7,400

Les inspecteurs du chemin de fer attachés à la direction fr. 7,000

Les lieutenants-colonels de cavalerie, artillerie, état-major et génie … … fr. 6,300

Les conseillers des cours d’appel ont 5,000 fr. Leur traitement est donc moindre que celui des fonctionnaires suivants :

Les inspecteurs de l’enregistrement … … fr. 5,953

Les lieutenants-colonels d’infanterie … … 5,900 fr.

Les majors d’autres armes … … fr. 5,500

Les inspecteurs en chef des contributions en service actif … … fr. 5,333

Les ingénieurs en chef de 2e classe au chemin de fer, non compris le casuel … … fr. 5,200

Les majors d’infanterie et capitaines de gendarmerie … … fr. 5,050

Les lieutenants de marine … .. ; fr. 5,040

Les substituts du procureur-général, les présidents et procureurs du Roi près les quatre tribunaux dans les chefs-lieux de province, autres que Bruxelles, Gand, Liége et Anvers, et les vice-présidents des tribunaux de première classe, ont un traitement inférieur aux suivants :

L’inspecteur du timbre … … fr. 5,000

Les chefs de division … … fr. 5,000 à 6,000

Les capitaines de cavalerie, etc., de 1er classe … … fr. 4,650

Les inspecteurs de douanes … … fr. 4,525

Les inspecteurs d’arrondissement de contributions … .. fr. 4,592

L’inspecteur de la forêt de Soignes … … fr. 4,400

Les inspecteurs et ingénieurs du cadastre … … fr. 4,345

Les vérificateurs et procureurs du Roi de troisième classe sont moins payés que :

Les contrôleurs des péages de la Sambre et du canal de Charleroy … … fr. 4,000

Le chef expéditionnaire au ministère de l’intérieur … … fr. 4,000

Les 4 secrétaires au ministère des affaires étrangères … … fr. 4,000

Les chefs de bureau … … fr. 4,000

Le receveur du canal de Charleroy … … fr. 3,875

Les médecins de régiment, capitaines de cavalerie en second, ingénieurs ou architectes de première classe au chemin de fer (traitement fixe, non compris les indemnités)… fr. 3,800

Ainsi, un juge, ou substitut de première classe, à Bruxelles, à 3,200 fr., (page 79) autant qu’un architecte ou ingénieur de seconde classe du chemin de fer, sauf que ces derniers ont en perspective, au-dessus du traitement, des indemnités éventuelles.

Mais, par contre, le substitut et le juge sont moins payés que :

Le receveur de la Sambre … … fr. 3,600

L’inspecteur du pilotage à Anvers … … fr. 3,500

Les capitaines d’infanterie … … fr. 3,300

Un procureur du Roi et un président de quatrième classe ont encore 150 fr. de moins que les juges de première classe.

Un juge ou substitut de seconde classe se voit dépasser par :

Les chefs de bureau de première classe et conservateurs du matériel du chemin de fer (non compris les indemnités) … … fr. 3,000

Les vétérinaires de première classe, lieutenants de cavalerie et de gendarmerie … … fr. 2,950

Les capitaines d’infanterie de deuxième classe … … fr. 2,900

Les contrôleurs des contributions … … fr. 2,800

Un juge ou substitut de troisième classe est payé comme un contrôleur de troisième classe ou chef de station de deuxième classe au chemin de fer, le traitement fixe de ces derniers étant seul pris en considération. Ils ont moins que :

Les chefs de bureaux et de stations au chemin de fer … … fr. 2,700

Les enseignes de vaisseau et chirurgiens de marine … … fr. 2,520

Les lieutenants de cavalerie, médecins de bataillon, garde-général de la forêt de Soignes, chefs d’ateliers au chemin de fer et contrôleurs des douanes … … fr. 2,500

Enfin, nos juges de quatrième classe sont assimilés, pour le traitement, aux aides-majors de la marine, aux chefs de bureau de deuxième classe, chefs de station de troisième classe, commis de première classe et surveillants principaux du chemin de fer, aux gardes-magasins du timbre et vétérinaires de deuxième classe. Ils ont moins que :

Les premiers commis de l’enregistrement … … fr. 2,300

Les surveillants du domaine aux ventes publiques, à Anvers et à Bruxelles … … fr. 2,200

Ainsi, messieurs, on arrive même à vous démontrer que quelques employés subalternes sont souvent mieux rétribués que les juges de la dernière classe !

Cela est-il tolérable ?

M. Castiau – Non.

M. Verhaegen – On me dit : Non ; mais, en attendant, on ne fait rien, on maintient l’injustice et on se borne à de grands mots ; on s’élève avec force contre la hauteur des impôts et on croit avoir rempli sa tâche… Mais moi aussi, chaque année, je me suis élevé avec énergie contre ces impôts odieux qui frappent si cruellement la classe nécessiteuse. J’ai demandé que les impôts sur le peuple soient remplacés par des impôts sur le luxe. Croyez-vous, par hasard, qu’il entre dans mes intentions d’augmenter ou même de maintenir l’impôt sur le sel, celui sur le tabac, l’impôt sur la bière, sur les eaux-de-vie indigènes, le droit de patente ou tel autre impôt qui pèse sur la classe des travailleurs ? Non. Chaque fois que vous aurez des améliorations à proposer, et de mon côté, j’en ai déjà proposé plusieurs, je serai prêt à vous soutenir de tous mes efforts. Mais la question n’est pas là pour le moment. Nous avons d’abord à rétablir une injustice ; nous avons à rendre à ceux qui doivent être indépendants de fait la position qu’ils avaient avant la révolution. Restituons au moins aux conseillers des cours d’appel ce qu’ils avaient sous Guillaume ; soyons justes à leur égard, comme nous avons été juste à l’égard des victimes de la révolution ; n’ayons pas deux poids et deux mesures.

Mais le grand argument de nos honorables contradicteurs, c’est la pénurie du trésor. N’est-il pas inouï, s’écrie-t-on, qu’alors que nous succombons sous les charges et qu’il nous reste tant de choses indispensables à faire, nous allions sans raison jeter des poignées d’or à la magistrature. N’est-il pas odieux, ajoute-t-on, qu’alors que le peuple est abîmé sous le poids des contributions, nous allions encore le grever de nouveaux impôts pour améliorer la position de la magistrature ? car, messieurs, on est parvenu à accréditer dans le public ce bruit absurde, que bien que nous ayons un budget de dépenses de près de 110 millions, il faudra encore augmenter de 5 p.c. toutes les contributions pour satisfaire aux besoins du projet que nous discutons en ce moment.

Messieurs, il n’en est absolument rien : à de grands mots destinés à faire de l’effet, nous répondons par des faits ; et quant à moi, je le déclare tout d’abord si, pour faire face aux dépenses qu’entraînera le projet, je devais augmenter ou même maintenir l’impôt sur le sel et d’autres qui frappent principalement la classe nécessiteuse, quelles que soient mes sympathies pour la magistrature, quelle que soit la nécessité d’améliorer sa position, je reculerais encore devant cet acte de justice.

Mais, messieurs, je le répète, il n’en est absolument rien ; il ne faut pas augmenter le chiffre des contributions. Les sommes nécessaires pour faire face aux besoins du projet de loi existent déjà au budget depuis 1843, et ici je réclame toute votre attention.

Vous vous rappelez que ma proposition date de 1837. Je l’ai faite dans un moment où notre position, je dois en convenir, était difficile, et où elle pouvait soulever des répugnances : mais j’étais poussé comme je vous l’ai dit tantôt, par une conviction profonde et cette conviction ne m’a pas abandonné un instant.

La proposition fut renvoyée aux sections. Celles-ci l’examinèrent, et la section centrale allait s’en occuper, lorsque vinrent les promesses ministérielles qui furent répétées à chaque session dans les discours du Trône ; des années, comme on devait s’y attendre, se passèrent sans résultat.

Mais je ne me décourageai pas, je renouvelai mes réclamations, je demandai la convocation de la section centrale ; et que répondit-on à mes nouvelles instances ? Dès 1840 et 1841, on me dit que j’avais raison ; que c’était une dette que la nation avait contractée en 1830 envers la magistrature, mais que le moment n’était pas opportun, que la situation du trésor ne permettait pas encore de faire face à cette dépense, etc.

Je puis le dire, messieurs, sans crainte d’être démenti, les adversaires de ma proposition n’étaient guidés que par cette seule considération ; tous étaient d’accord qu’il fallait faire quelque chose pour l’ordre judiciaire, pour consacrer en fait son indépendance si précieuse au point de vue de l’intérêt général. L’honorable M. Rodenbach lui-même qui, dans le principe, faisait le plus d’opposition, était convaincu de cette vérité ; seulement il était arrêté par des considérations financières ; aujourd’hui que les circonstances sont changées, je vois avec plaisir que son opposition a cessé et qu’il n’est plus éloigné d’accorder à la magistrature ce que je réclame pour elle comme un acte de justice.

M. Rodenbach – Quelque chose, mais pas trop.

M. Verhaegen – Il ne s’agit donc entre l’honorable membre et moi que d’une question de plus ou de moins, et nous parviendrons peut-être, avant la fin de la discussion, à nous entendre.

Eh bien, messieurs, quand j’ai vu que la pénurie du trésor était le seul prétexte que l’on mettait en avant, j’ai indiqué, en 1842, un moyen qui me paraissait à l’abri de toute objection : ce moyen avait pour objet de faire payer l’augmentation des traitements de la magistrature, non pas par les contribuables en général, mais par les seuls justiciables particulièrement intéressés à avoir de bons juges, et j’avais été amené cette idée par les détails même du budget de la justice.

La justice subvient, et beaucoup au-delà, à tous ses besoins. C’est le budget de la justice qui, proportion gardée, offre le plus de ressources à l’Etat et qui puise le moins dans ses caisses. Si l’on faisait un chiffre total de tous les droits de greffe, d’enregistrement, des timbres judiciaires, etc., on arriverait à une somme énorme ; et cependant sur ces 30 millions d’appointements dont parlait hier avec tant d’emphase l’honorable M. de Naeyer, combien touche cette administration qui fait entrer tant d’argent au trésor ? Elle ne touche pas encore 2 millions, pas le quinzième de la somme répartie à titre de traitements entre les seuls fonctionnaires civils, car l’armée a son budget particulier !!!

Le système des épices d’autrefois m’était aussi venu en aide ; certes je ne voulais pas rétablir ces émoluments variables des temps anciens, mais je me disais que, puisque la justice subvenait déjà et beaucoup au-delà de ses besoins par toutes les recettes qu’elle opérait, elle pourrait bien encore trouver dans ses propres ressources les moyens de pourvoir aux augmentations.

Ce fut ainsi qu’aidé d’ailleurs par des renseignements qui m’avaient été donnés par le premier commis, je pense, du bureau d’enregistrement de la ville de Gand, je présentai à la chambre quelques calculs d’où résulta qu’au moyen d’une très-faible augmentation sur les actes judiciaires, on pouvait facilement couvrir les dépenses à résulter de mon projet, et qui, je vous prie, messieurs, de le remarquer, n’allaient aussi qu’à 500,000 fr. environ. Je signalai quelques actes judiciaires qui, sans inconvénients, pouvaient subir des augmentations de droits. Le ministre tint note de mes observations et renouvela la promesse formelle de présenter incessamment un projet complet.

Ce fut le 14 mai 1842 que, sur nos instances réitérées, M. le ministre de la justice présenta enfin son projet d’augmentation d’appointements pour l’ordre judiciaire, en annonçant qu’il fallait, comme corollaire, un projet de voies et moyens qui serait immédiatement présenté par son collègue des finances.

En effet, M. le ministre de la justice eut à peine quitté la tribune, que M. le ministre des finances y monta et présenta un projet de loi tendant à augmenter les droits d’enregistrement, de greffe, etc., de 4 centimes additionnels, c’est-à-dire de les porter de 26 à 30, ce qui devait donner une ressource extraordinaire d’au-delà de 500,000 francs. M. le ministre avait mis à profit quelques-unes des idées que j’avais émises lorsque, voulant faire disparaître les prétextes, j’avais indiqué certains voies et moyens qui n’atteindraient que les justiciables.

Ces 4 centimes additionnels figurèrent au budget dès 1843, mais, prévoyant qu’ils allaient se perdre dans le gouffre, je pris la précaution de proposer un amendement ayant pour objet d’affecter cette ressource extraordinaire spécialement à l’augmentation des traitements de la magistrature ; je rappelai au souvenir de la chambre que c’était moi, l’auteur de la proposition de 1837, qui avait suggéré l’idée de ces centimes additionnels, et je fis remarquer qu’il serait injuste de les détourner de la destination qui, dès le principe, leur avait été assignée. Grand fut mon étonnement de voir rejeter un amendement si juste ; ce ne fut, à la vérité, qu’à une majorité imperceptible, mais toujours est-il que les ressources que j’avais indiquées, et qui furent votées, se perdirent dans le chapitre général des recettes, et qu’elles furent, passez-moi l’expression adroitement escamotées.

Ce qui avait été bon à prendre était bon à garder ; aussi les quatre centimes additionnels portés et votés en 1843 furent-ils de nouveau portés et votés en 1844, et se trouvent-ils encore portés pour 1845 !

Voilà, messieurs, le véritable état des choses et après cela on vient me dire que je veux une augmentation d’impôts, que je spécule sur la misère, sur la sueur du peuple ! Que signifient ces phrases à effet en présence des (page 80) faits constatés par des documents irrécusables ? S’agit-il de grever le pauvre ? Le pauvre paye-t-il jamais des droits d’enregistrement, des droits de timbre et de greffe ? Quand il doit avoir recours à la justice, ne plaide-t-il pas pro Deo ?

Messieurs, les quatre centimes additionnels sur les droits d’enregistrement, de greffe, etc., votés en 1843 et en 1844, et qui seront encore votés en 1845 ne pouvaient donc pas être impopulaires et étaient plus que suffisants pour couvrir les dépenses que nécessiteraient les augmentations de traitements.

Il ne sera pas inutile de rappeler ici quelques mots de l’exposé des motif du projet de loi proposé par M. le ministre des finances :

« La nécessité d’améliorer les traitements de l’ordre judiciaire et de la cour des comptes, disait-il à la séance du 14 mai 1842, est généralement reconnue. Depuis longtemps cette amélioration a été réclamée dans cette enceinte, et le dernier discours du Trône l’a signalée comme faisant l’objet de l’attention particulière du gouvernement du Roi.

« Pour pouvoir augmenter les traitements des magistrats de l’ordre judiciaire et de la cour des comptes, il importe de créer au budget des voies et moyens une ressource d’environ 500,000 francs qui ne peut être obtenue que par une augmentation d’impôts ; et c’est aux impôts d’enregistrement, de greffe, d’hypothèque et de succession que le gouvernement croit devoir demander ce supplément de produits…. »

Suit le projet d’augmentation ainsi conçu :

« Léopold, etc.

« Article unique. Les centimes additionnels aux droits d’enregistrement, de greffe, d’hypothèque, de succession et de mutation par décès, sont portées de 26 à 30 à compter du … »

Inutile donc de suivre mes honorables contradicteurs sur le terrain où ils veulent me conduire lorsqu’ils disent, par exemple, que les excédants de recettes présentées par M. Mercier sont purement imaginaires. Ce n’est pas le moment d’examiner cette question ; quelles que soit les ressources du trésor, il me suffit qu’il existe depuis 1843 des fonds spéciaux pour couvrir largement l’augmentation des traitements, qui fait l’objet de ma proposition.

Je tenais, messieurs, à rappeler ces circonstances, parce que je suis l’auteur de la proposition et que je ne recule en aucune manière devant les conséquences qu’elle doit entraîner. Je voulais surtout faire voir que lorsqu’on vient dire que l’adoption du projet aura pour effet d’augmenter les contributions de 5 p.c., ce n’est là que de l’imaginative, puisque les fonds nécessaires pour couvrir cette dépense sont faits depuis longtemps.

J’irai même plus loin : je dirai que si, dans des circonstances urgentes on avait encore besoin de recourir à la justice pour créer des ressources nouvelles, on trouverait encore une ample moisson à faire, et cela sans que personne eût à se plaindre. J’ai déjà eu l’honneur précédemment de soumettre à cet égard quelques observations à la chambre, et je tiens à les compléter.

Ainsi, par exemple, pour les affaires de peu d’importance qui sont de la compétence des juges de paix, on pourrait se borner à une légère augmentation de 80 centimes sur la citation et de 80 centimes sur les jugements, et cette légère augmentation, pour ainsi dire imperceptible, rapporterait, par le nombre des affaires, des sommes considérables.

Sur l’ensemble des procès devant les tribunaux de première instance et les cours d’appel, l’augmentation pourrait être proportionnellement beaucoup plus forte et ne serait cependant pas d’une importance majeure pour les plaideurs. Ne perdons pas de vue que le pauvre plaide pro Deo, et que ceux qui savent payer récupèrent toujours les frais judiciaires, qu’ils soient plus ou moins élevés, contre leurs adversaires de mauvaise foi qui succombent.

Les droits, fixes ou proportionnels, qui sont perçus en Belgique sur les actes judiciaires ne peuvent pas être comparés aux mêmes droits qui se perçoivent en France sans réclamations ; pour le prouver, il suffit d’indiquer quelques actes.

Les exploits et autres actes du ministère des huissiers devant les tribunaux sont tarifés en France à 2 francs en principal ; devant les cours d’appel à 3 francs, et devant la cour de cassation à 5 francs ; les acceptations de successions, sous bénéfice d’inventaire, sont tarifiées à 3 francs. Tous ces actes ne payent en Belgique que 1 fr. 70 c. sans distinction.

Les arrêts définitifs des cours royales ainsi que les jugements de première instance, rendus en dernier ressort, sont tarifés en France à 10 francs ; les arrêts des cours royales, confirmant une adoption, sont tarifés à 100 fr. En Belgique, tous ces arrêts et jugements ne payent que 5 fr. 9 c.

En Belgique, il n’y a que quelques jugements qui doivent être enregistrés ; en France, tous les jugements sans exception, levés ou non, sont sujets au droit, et cette ressource est immense.

Les donations entre-vifs de biens immeubles entre personnes non parentes sont tarifées en France à 9 p.c. ; en Belgique, elles ne payent que 5 p.c.

Les amendes de fol appel pourraient être aussi considérablement augmentées. Voilà pour la justice ; mais beaucoup d’autres objets, et surtout ceux qui se rattachent au luxe, pourraient, comme je l’ai dit souvent, fournir l’occasion de créer des ressources nouvelles et de diminuer ainsi ou même d’abolir des impôts odieux. Mes amis politiques, qu’ils en soient bien convaincus, me trouveront toujours prêts à les suivre lorsqu’ils voudront se placer sur ce terrain.

Messieurs, je n’entrerai pas, à présent, dans les questions de détail que soulève le projet je réserve mes observations pour la discussion des articles. Cependant, je dois le dire, tout d’abord, les derniers amendements de M. le ministre de la justice m’ont beaucoup étonné ; en s’écartant de ma proposition qui était beaucoup plus simple et beaucoup plus juste, M. le ministre de la justice a froissé tous les intérêts, a éveillé toutes les ambitions ; d’abord il a pensé qu’il pouvait, sans inconvénient, détruire la hiérarchie qui existe aujourd’hui dans les parquets, comme elle existe dans les cours et tribunaux ; ainsi, si la proposition du gouvernement était accueillie, il n’y aurait plus de premier avocat-général, plus de substituts. Vous voyez donc messieurs, que M. le ministre de la justice qui, hier encore, nous déclarait ne pas vouloir toucher à la loi d’organisation, y touche directement tandis que moi, par mon projet de 1837, je maintenais intacte la loi de 1832, je conservais à chacun sa position en répartissant dans une égale proportion les augmentations reconnues nécessaires. Si la loi de 1832 est mauvaise, que M. le ministre en demande l’abrogation et qu’il propose une organisation nouvelle, mais que jusque-là il respecte ce qui est.

Messieurs, je me bornais, en 1837, à proposer l’augmentation d’un quart pour tous les membres des cours et tribunaux, et ainsi je respectais la loi de 1832 quant à l’organisation.

M. Malou – D’un tiers pour quelques-uns.

M. Verhaegen – Je n’insiste pas sur cette partie de ma proposition.

M. Malou – Je demande la parole.

M. Verhaegen – Je viens de dire que je n’insiste pas sur la différence que j’avais établie d’abord entre la capitale et les provinces, parce que dans l’esprit de localité qui règne et qui régnera toujours dans cette enceinte, je ne puis pas espérer de trouver de l’écho sur ce point ; mais ma conviction n’en reste pas moins la même.

Veut-on quelque chose de plus pour les juges de paix ? je consens à cette majoration ; car ces magistrats ont mes sympathies, comme ils ont les vôtres. Qu’on aille, pour eux, au-delà du quart, j’y donne les mains ; mais que l’on ne détruise pas l’économie de la loi de 1832, à moins qu’on n’ait l’intention de la refondre entièrement.

Mais ce qui m’a étonné le plus dans les propositions de M. le ministre de la justice, c’est la réduction qu’il a proposée à l’égard des juges. On vous l’a dit, messieurs, il est inouï qu’alors que la section centrale avait fixé le chiffre de 4,000 francs, M. le ministre soit venu nous proposer de le réduire à 3,600 francs.

Voyez, messieurs, les conséquences de la proposition ministérielle : en défalquant les 3 p.c. pour la caisse des veuves, il ne serait alloué aux juges de 1er classe qu’une augmentation de 292 francs, c’est-à-dire 80 centimes par jour ! Mais c’est là une mesquinerie sans exemple, c’est une proposition indigne du gouvernement, et je crois être l’interprète de la magistrature en disant qu’elle préférerait le statu quo à cette augmentation dérisoire de 80 centimes par jour.

Tout le monde paraît aujourd’hui d’accord qu’il faut porter invariablement à 1,800 fr. le traitement des juges de paix, sans avoir égard à une classification quelconque. L’honorable M. Rodenbach lui-même, nonobstant une observation qui semblait d’abord admettre quelques réserves, s’est enfin rallié à cette opinion, et moi aussi je m’y rallie, car j’apprécie, comme elles méritent de l’être, les fonctions de ce premier degré de la magistrature.

Je ne fais donc pas d’objection contre la proposition concernant les juges de paix, mais elle me sert de point de départ pour soutenir tout au moins le chiffre de la section centrale, quant aux juges ; l’honorable M. Rodenbach, qui appuie le chiffre de 1,800 fr. pour les juges de paix, ne disait-il pas hier que les juges de paix à Gand, à Bruges et dans d’autres villes encore ont de 5 à 6,000 fr. de traitement, y compris le casuel. Je crois pouvoir confirmer cette assertion, en vous disant qu’un juge de paix à Bruxelles, avec ses 1,800 fr. d’appointement et son casuel, aura de 6 à 7,000 fr. de revenus par an.

Je le répète : j’admets le traitement que l’on veut donner aux juges de paix ; mais, si un juge de paix reçoit de 5 à 6,000 fr. de traitement, pourquoi ne donnerait-on pas tout au moins 4,000 fr. à un juge de première instance ? N’est-il pas déraisonnable de vouloir améliorer la position du premier degré de la magistrature et d’oublier le deuxième ? N’y aurait-il pas peut-être pas un motif secret dans cette sympathie exclusive pour les juges de paix ?

Ici, messieurs, je m’arrête ; je réserve les observations de détail pour la discussion des articles. Mon but, en prenant part à la discussion générale a été d’établir l’importance de l’indépendance et de l’inamovibilité de la magistrature, non pas en paroles, mais en fait ; de démontrer que, dans l’esprit de notre constitution, tous les citoyens, sans égard à leur qualité de propriétaires ou de prolétaires, peuvent avoir accès aux emplois de l’ordre judiciaire, comme à tous les autres emplois publics ; mon but a été de prouver que l’intérêt des justiciables, l’ordre public même exigent que la magistrature sorte enfin de ce provisoire où on la laissée depuis 1830 ; mon but a été de prouver que la magistrature qui s’est tue jusqu’ici, qui a fait des sacrifices incessants, devait enfin obtenir la justice que nous lui avons promise depuis plusieurs années.

N’oublions pas, messieurs, que si la magistrature a montré de la résignation et une patience à toute épreuve, il est un temps où cette résignation et cette patience peuvent enfin faire défaut ; prenons garde qu’alors l’administration de la justice ne souffre du dédain que quelques-uns veulent perpétuer !

- La séance est levée à 4 ½ heures.