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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 décembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 336) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à une heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur Marcellis soumet à la chambre des considérations sur la nécessité de faire emploi de la fonte dans l’achèvement de l’entrepôt d’Anvers ».

- Sur la proposition de MM. Fleussu et Dubus (aîné), renvoi à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport.


« Message du sénat faisant connaître l’adopter des projets de loi de naturalisation des sieurs Aribert et Kirsch. »

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Turnhout

M. Pirmez, au nom de la commission de pouvoirs, présente le rapport sur l’élection de M. Albéric Dubus représentant nommé par le collège électoral du district de Turnhout ; il expose que les opérations électorales se sont passées régulièrement et n’ont été l’objet d’aucune réclamation ; que 477 électeurs ont pris part au scrutin ; majorité absolue : 239 ; qu’il s’est trouvé dans l’urne 478 bulletins ; majorité absolue : 240 ; que M. A Dubus a réuni 267 suffrages, et M. le baron de Fierlant, conseiller à la cour d’appel de Bruxelles, 211. En conséquence, la commission conclut à ce que M. A Dubus soit admis membre de la chambre des représentants, quand il y aura justifié de la qualité de Belge et de la condition d’âge déterminé par la loi.

- Ces conclusions sont mises aux voies et adoptées.

Motions d’ordre

Traité avec le Zollverein

M. de Garcia – Messieurs, l’honorable M. Vandensteen se trouve retenu chez lui par une indisposition assez grave. Il m’a chargé d’exprimer à la chambre tous ses regrets de ne pouvoir assister à la discussion solennelle qui va s’ouvrir relativement au traité avec le Zollverein.

Il regrette d’autant plus vivement de ne pouvoir prendre part à nos débats, qu’il a été envoyé dans cette enceinte par une localité qui croit avoir été négligée, je veux parler de Stavelot. Le gouvernement a ouvert un troisième bureau pour la sortie des écorces, qui sont d’une grande importance pour l’industrie très-importante des tanneries de cette partie du royaume ; et cependant cette localité n’a pas été consultée sur cette mesure. Il est d’autant plus à regretter qu’il en ait été ainsi, que Malmédy, qui a une industrie concurrente à celle de Stavelot, a été consultée par le gouvernement prussien pour savoir ce qu’il était utile de faire dans l’intérêt de cette localité, et c’est dans cet intérêt que la Prusse a stipulé la sortie des écorces de la Belgique. Au surplus, j’espère, messieurs, que vous voudrez bien accorer à l’honorable M. Vandensteen le congé qu’il demande par mon organe.

Epizootie en Bohème

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je crois de mon devoir d’appeler l’attention du gouvernement, et particulièrement de M. le ministre de l'intérieur sur l’épizootie qui règne aujourd’hui en Bohème. Cette épizootie s’est déjà introduite en Bavière, malgré les précautions que l’on y avait prises, mais que malheureusement on a prises trop tard. Je crains, messieurs, que nous ne prenons aussi des mesures que lorsqu’il sera trop tard. Et remarquez-le, messieurs, des intérêts majeurs appellent toute la sollicitude du gouvernement. Qu’on ne perde pas de vue qu’il y a environ 60 ans, par suite de la négligence que l’on a apportée dans les précautions à prendre pour éviter un grand malheur, une épizootie s’est introduite en Belgique, et a enlevé les deux tiers environ du bétail de nos provinces.

Le bétail, messieurs, représente en Belgique un capital considérable, et il est à craindre que si l’on ne se hâte pas de prendre des précautions, cette épizootie ne s’introduise ici. La Bohème est voisine de la Saxe ; et si l’épizootie se répand en Saxe, nos relations avec ce dernier pays nous exposent à la voir s’introduire aussi en Belgique.

J’appelle donc l’attention sérieuse du gouvernement sur cet objet, et je provoque de toutes mes forces des dispositions législatives tendant à éviter cette calamité. La chose intéresse la nation toute entière ; elle intéresse le gouvernement, elle intérêt l’industrie agricole, l’industrie manufacturière, elle intéresse toutes les classes de la société. Je crois que déjà, en Allemagne, on a prohibé l’importation des laines venant de la Bohème, car vous savez, messieurs, que la laine et le coton sont des matières qui transportent facilement les miasmes. Je ne proposerai pas une disposition semblable, je ne proposerai rien, car c’est au gouvernement à voir quelles mesures doivent être prises, c’est lui qui est le plus à même de savoir ce qu’il est nécessaire de faire pour éviter le fléau dont il s’agit. J’ai rempli mon devoir, il en reste un à remplir par le gouvernement.

M. Desmet – J’appuie la motion que vient de faire l’honorable M. Eloy de Burdinne. Aucune précaution n’est prise en Belgique relativement à l’entrée du bétail étranger. Je voudrais qu’on fît comme en Hollande, où il y a une marque de santé et où des artistes vétérinaires sont chargés d’examiner le bétail conduit au marché.

Du reste, comme l’honorable M. Eloy de Burdinne l’a très-bien fait observer, la maladie peut être importée par la laine aussi bien que par le bétail même ; il suffit d’une seule tête de bétail malade pour répandre l’épizootie. En 1777, une seule bête à cornes a importé en Belgique une maladie qui a détruit tout le bétail dans le Luxembourg et dans la Flandre. Je demande donc que le gouvernement se hâte de prendre des mesures contre l’importation non-seulement de la maladie qui règne en ce moment dans la Bohème, mais de toute autre maladie qui pourrait sévir dans les pays étrangers. Il faut absolument que nous adoptions des précautions semblables à celles qui existent en Hollande.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le gouvernement comprend toute l’importance de la question. Déjà son attention a été attirée sur cet objet. Nous verrons quelles sont les mesures que le gouvernement doit prendre, quels sont les pouvoirs qu’au besoin il aurait à demander aux chambres.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec le Zollverein

Discussion générale

M. de Theux (pour une motion d'ordre) – Messieurs, je désire avoir des explications de la part de M. le ministre de l'intérieur ou de la part de M. le ministre des affaires étrangères, sur une question qui est d’un haut intérêt pour le pays. Dans la dernière session, l’on a établi, par la loi des droits différentiels, un droit protecteur en faveur de nos bois. Cette protection vient évidemment à tomber par suite du traité conclu avec le Zollverein, car la protection consistait en ce que les navires belges seuls pouvaient importer des bois étrangers à l’ancien droit, tandis que les navires de tous les pays étrangers devaient supporter une surtaxe considérable. Aujourd’hui les navires allemands importeront les bois étrangers au même droit que les navires belges, et conséquemment toute la protection accordée par la loi des droits différentiels vient à tomber.

Il est évident, messieurs, que si le traité conclu avec le Zollverein est adopté par les chambre, la protection que la loi des droits différentiels accordait aux bois indigènes, doit être remplacée par une protection nouvelle. Cette nouvelle protection ne peut consister que dans l’élévation du droit de douanes qui frappe l’importation par navires belges comme l’importation par navires étrangers.

Dans mon opinion, messieurs, cette élévation du droit de douanes n’aurait (page 337) absolument rien de contraire au traité avec la Prusse ; car tout ce que ce traité garanti aux navires allemands, c’est d’être traités sur le même pied que les navires belges ; si je me trompais, je désirerais que le gouvernement s’en expliquât catégoriquement.

Je ne pense pas non plus que le gouvernement puisse avoir pris aucune espèce d’engagement en dehors du traité communiqué à la chambre ; je ne pense pas qu’il puisse avoir pris à cette occasion, des engagements verbaux ou d’une nature secrète. Je pense que tout ce qui a été convenu avec le Zollverein se trouve consigné dans le traité soumis à la chambre.

Dès lors, messieurs, il n’est pas douteux pour moi que le droit de douanes sur les bois étrangers ne puisse être majoré, et je pense que la majorité qui a accueilli la protection accordée aux bois indigènes dans la dernière session, voudra aussi remplacer cette protection par un droit de douanes, tout en y ajoutant un nouveau droit différentiel à l’égard des nations qui n’appartiennent pas à l’association allemande, afin que les navires appartenant aux Etats du Zollverein aient le même avantage que si rien n’était changé à la loi sur les droits différentiels. Je ne demande pas la prohibition des bois étrangers, je demande seulement une protection égale à celle dont les bois indigènes jouissaient en vertu de la loi des droits différentiels avant la conclusion du traité avec le Zollverein.

Un autre point se présente aussi à la mémoire à l’occasion du traité, c’est la question du droit d’entrée sur le bétail venant de l’Allemagne. Nous avons une loi qui frappe d’un droit particulier l’entrée du bétail sur la frontière de Hollande. M. le ministre des finances a présenté, dans la dernière session, un projet de loi pour étendre ce droit à toutes les frontières du pays. Je suppose que l’intention du ministère est toujours de maintenir ce projet qui est d’un très-haut intérêt pour l’avenir du pays, car il est évident que le droit établi à la frontière hollandaise, est en grande partie éludé par le détour que l’on fait faire au bétail hollandais pour l’introduire par la frontière d’Allemagne. Je demande des explications catégoriques sur ces deux points qui intéressent au plus haut degré l’industrie agricole du pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant reconnaîtra avec moi que la motion d’ordre se rattache au fond de la discussion ; néanmoins, je n’insisterai pas sur ce point et je m’empresse de lui donner les explications qu’il désire.

Il a demandé, d’une part, si le projet de loi sur le bétail, qui a pour but d’établir sur la frontière d’Allemagne le même droit qui existe sur la frontière de Hollande, c’est-à-dire le droit le plus élevé, si ce projet est maintenu. Je m’empresse de répondre affirmativement à cette question : ce projet est maintenu. Il a demandé, d’autre part, si la législature et le gouvernement belges restent libres de changer la législation sur les bois, pourvu toutefois que le droit différentiel soit maintenu. Je réponds que le gouvernement et la législature restent complètement libres à cet égard ; leur droit est incontestable ; seulement, il reste à examiner une question de convenance et une question de nécessité. En ce moment je me borne à répondre qu’il n’y a d’autres engagements que ceux qui résultent formellement du texte du traité, tel qu’il est soumis à la chambre. Quant aux autres points, ils se rattachent à la discussion du fond. Nous attendrons cette discussion pour donner des éclaircissements sur la portée même du traité. Nous croyons qu’il est inexact de dire qu’on a détruit les effets de la loi sur les droits différentiels.

M. d’Elhoungne – Nous le prouverons.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est justement pour entendre cette preuve que nous voulons la discussion du fond. Puisque vous parlez de preuves, nous prouverons que la loi des droits différentiels, en ce qui concerne les bois, n’est pas détruite par le traité, au point que le prétend l’honorable M. de Theux.

M. d’Elhoungne – Je demande la parole.

M. le président – Je dois prier les membres qui demandent la parole sur la motion d’ordre, de se renfermer dans cette motion ; sans cela, ils prendraient le tour des orateurs inscrits dans la discussion générale.

M. d’Elhoungne (pour une motion d'ordre) – Messieurs, j’avais demandé la parole sur la motion d’ordre de l’honorable comte de Theux, pour faire remarquer qu’il venait d’élever une des plus fortes objections contre le fond du traité du 1er septembre. Ainsi que nous le démontrerons, ce traité détruit tout à fait les avantages de protection que le tarif des droits différentiels accordait aux bois indigènes. Je ne m’étendrai pas maintenant sur ce point, puisque la motion d’ordre est en quelque sorte renvoyée à la discussion du fond. D’ailleurs, M. le ministre de l'intérieur vient d’avouer implicitement qu’en stipulant avec la Prusse relativement aux bois, il a eu la pensée qu’on pouvait augmenter le droit sur le bois, qu’on le devait même, pour rester conséquent avec le vote des droits différentiels.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je demande la parole.

M. d’Elhoungne – Oui, ou bien vous avez voulu anéantir ce qui a été fait par la loi des droits différentiels, ou bien vous avez traité avec la pensée que le droit sur les bois étrangers serait augmenté aussitôt après le traité.

Messieurs, je ferai moi-même, une motion d’ordre ; je demanderai que le gouvernement fasse un rapport sur les dernières négociations. Il est inouï qu’un traité aussi grave ait été ainsi produit devant les chambres sans aucune explication. Nous avons eu les explications de la Prusse, le memorandum ; nous avons eu aussi, grâce à l’honorable M. Osy, les explications du ministère belge, la réponse au memorandum ; mais depuis il s’est passé des faits ; il y a eu des changements d’attributions ; si mes renseignements sont exacts, un ministre tout à fait étranger au commerce et tout à fait étranger à la diplomatie, a été chargé des négociations. Il est bon, enfin, que la chambre sache par ce rapport si, oui ou non, des engagements ont été pris en dehors du texte du traité. Lorsque nous avons discuté la question des vins, on ne nous a pas dit que des engagements avaient été pris envers la Hollande. Quant à ce qui concerne les céréales, c’est encore longtemps après et grâce aussi à l’honorable M. Osy, qu’on nous appris que des engagements secrets avaient été pris. Nous devons savoir s’il en est encore de même relativement au traité conclu avec le Zollverein.

N’oublions pas une chose, messieurs, c’est presque toujours par ce que le ministère dit, que nous pouvons à peu près deviner ce qu’il ne dit pas.

Je demande que le gouvernement nous fasse un rapport sur les dernières négociations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne conçois pas pourquoi l’on n’accepte pas une discussion régulière telle qu’on l’accepte pour tous les projets de lois. Nous n’avons aucun rapport à faire ; tous les faits qui ont précédé la conclusion du traité du 1er septembre sont connus par deux publications faites au Moniteur. Quant aux faits subséquents, nous verrons quels sont ceux que la nécessité de la discussion doit faire connaître, mais le grand acte est là, c’est le traité du 1er septembre ; il doit être apprécié en lui-même, et, à part le procès-verbal d’échange, rien n’a été fait en dehors ni au-delà du traité. Voilà ce que nous déclarons de nouveau. Quant à l’idée qu’un changement d’attributions ait eu lieu, qu’un ministre soit devenu tout à coup ministre des affaires étrangères ou ministre du commerce, ce sont là des insinuations purement personnelles qui doivent être écartées de la discussion et qui m’étonnent de la part de l’honorable préopinant.

Je n’accepte pas l’alternative indiquée par l’honorable membre, quant aux bois. Nous prouverons que la loi du 21 juillet n’est pas détruite par le traité du 1er septembre au point où le suppose l’honorable M. de Theux, quant à la protection accordée aux bois indigènes. Nous prouverons que le pavillon prussien n’est pas remis dans la position où il se trouvait avant la loi du 21 juillet.

Quant à la seconde question, celle de savoir si la liberté d’action est restée entière de la part de la Belgique pour augmenter les droits de douanes sur les bois, il n’est pas douteux que notre liberté d’action ne soit entière. Mais il nous restera à examiner s’il y a convenance et nécessité d’user de ce droit.

M. Osy – La motion de l’honorablet M. d'Elhoungne doit être prise en considération.

Depuis la réponse du gouvernement belge au memorandum prussien, il y a eu des actes très-importants ; la Prusse a commencé à mettre à exécution les droits sur les fers qui ne devaient être mis à exécution qu’au 1er septembre. La Belgique a retiré alors à la Prusse les avantages de la navigation, et notamment le remboursement du péage sur l’Escaut.

Ce sont des actes assez importants pour que nous sachions quelles notes ont été échangées à cette occasion.

Je crois donc que la motion de l’honorablet M. d'Elhoungne doit avoir pour résultat de nous faire examiner les notes relatives à cette guerre douanière qui a duré deux mois.

L’honorable ministre de l’intérieur me paraît avoir répondu très-légèrement à l’observation de l’honorable M. d’Elhoungne, portant sur ce qu’un ministre qui n’a pas dans ses attributions le commerce et l’industrie, aurait été chargé, par arrêté royal, de négocier le traité. (Dénégations de la part de MM. les ministres.)

La preuve qu’il en est ainsi, c’est que ce n’est pas M. le ministre des finances, mais M. le ministre des travaux publics qui a été décoré par le gouvernement prussien.

C’est un arrêté royal qui a chargé M. le ministre des travaux publics de négocier ce traité.

Nous devons savoir par quelles raisons M. le ministre de l'intérieur, qui avait commencé les négociations, n’a pas été chargé de les continuer avec M. le ministre des affaires étrangères.

Je crois que des explications doivent être données. Si l’on ne veut pas les donner en séance publique, je ne m’oppose pas à ce qu’elles soient données en comité secret.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne sais comment vous accueillerez ce système de personnalités auquel on semble recourir sans cesse.

Le traité du 1er septembre, comme tous les actes importants du gouvernement, a été examiné par les membres du conseil, par tous les ministres. Il n’y a pas eu d’arrêté royal qui ait chargé M. le ministre des travaux publics, tout digne qu’il en fût, de négocier spécialement cet acte.

Je demande qu’il y ait une discussion régulière, une discussion digne de vous et du gouvernement. L’acte est assez important pour que vous l’honoriez d’une discussion de ce genre.

Les véritables actes diplomatiques vous sont connus ; ce sont le memorandum prussien et la réponse du gouvernement belge. Là est l’historique de tous les faits antérieurs au traité du 1er septembre.

Il y a eu d’autres actes : ainsi, le ministère prussien a annoncé le rescrit, du 21 juin, de cabinet, portant qu’à partir du 1er septembre nos fers et nos fontes seraient frappés d’une surtaxe. Le texte de cet acte vous est connu ; il a été reproduit dans les journaux ; on le déposera sur le bureau, si c’est nécessaire.

Mais il n’y a eu d’autre note que le memorandum prussien qui annonçait que le rescrit de cabinet allait être publié. Le gouvernement a répondu par un acte de représailles ; l’arrêté du 28 juillet, qui retirait à la Prusse les (page 338) avantages de navigation, et notamment le remboursement des péages sur l’Escaut. Cet acte vous est connu ; il est annoncé dans notre réponse ; il n’a donné lieu à aucun genre de notes.

Ainsi, toutes les pièces vous sont connues ; en premier lieu, le memorandum prussien et le rescrit du cabinet prussien, qui a frappé d’une surtaxe nos fontes et nos fers, et en deuxième lieu la réponse du gouvernement belge, et l’arrêté royal du 28 juillet.

Ainsi, tous nos actes vous sont connus. Je supplie la chambre et les honorables préopinants eux-mêmes de laisser libre cours à une discussion régulière.

Si des fais sont indiqués, du moment qu’ils sont posés, le gouvernement s’empressera de donner tous les renseignements, tous les éclaircissements nécessaires.

M. de Theux – La motion que j’avais présentées tendant à obtenir des éclaircissements relatifs aux bois, n’était en aucune manière déplacée. Elle était commandée par les circonstances et par l’ordre de la discussion ; car cette question doit être éclaircie, pour qu’il n’y ait pas divagation dans la discussion générale. Du reste, cette opinion a été celle d’un grand nombre de membres qui avaient des inquiétudes à cet égard.

La réponse de M. le ministre de l'intérieur m’a presque satisfait ; je dis presque, parce qu’il y a une partie de cette réponse dont je ne comprends pas bien la portée ; il a dit qu’il resterait à examiner les questions de convenance et de nécessité. Je crois qu’il y a seulement à examiner la nécessité de cette protection. Si une telle nécessité était démontrée, je ne sais quelle convenance pourrait s’opposer à ce que la protection fût assurée par la loi ; or, cette nécessité a été démontrée une fois ; je ne doute pas qu’elle ne le soit encore ; car pour moi, il reste constant que toute protection est évanouie ou peu s’en faut.

M. d’Elhoungne – En présentant ma motion d’ordre, je n’ai pas eu l’intention de descendre à des personnalités contre aucun membre du cabinet. L’opposition que je fais, messieurs, je la fait contre le cabinet tout entier. Je n’établis pas de différence entre les divers ministres qui dirigent les affaires du pays. (Bien !)

J’ai demandé, par ma motion, un rapport sur les négociations. Quand j’ai fait cette demande, j’avais devant les yeux les précédents de la chambre, non-seulement à l’égard de touts les traités qui ont été discutés dans cette enceinte, mais encore à l’égard de la loi sur les droits différentiels dans la discussion de laquelle le ministre des affaires étrangères a fait un rapport sur les négociations, et nous a communiqué les observations des différentes puissances qui voyaient un acte d’hostilité commerciale dans l’établissement du système nouveau. Il me semble que nous avons le droit légalement de savoir quelles objections les puissances ont pu faire contre le traité du 1er septembre. Il n’est pas à supposer qu’elles auront toutes laissé passer le traité comme un acte insignifiant ; il n’est pas à supposer que M. le baron Deffaudis, quoiqu’un journal ait paru l’insinuer, soit venu en Belgique pour ratifier, en quelque sorte, le traité que nous avons conclu avec le Zollverein. Dès lors, il est intéressant, il est nécessaire de connaître les communications dont ce traité a été l’objet.

Messieurs, c’est dans ce but que j’ai fait ma motion. J’ai demandé un rapport sur toutes les circonstances de la négociation. Ce rapport pourrait considérablement abréger la discussion. Il rendra plus faciles et la tâche du ministère et la tâche de différents membres de cette chambre qui combattent le traité œuvre du ministère.

Que s’il m’était permis de revenir encore sur la question des bois dont vous a entretenus de nouveau l’honorable M. de Theux, je ferais remarquer que cette question n’a pas été bien appréciée dans les courtes explications de M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre prétend prouver que, quant aux bois, la Prusse n’est pas dans la situation où elle était avant le vote des droits différentiels. Mais il y a, messieurs, une chose bien évidente ; c’est que la Prusse se trouve aujourd’hui dans une position beaucoup plus favorable, puisqu’au lieu de se trouver sur la même ligne que les autres puissances du Nord, le traité lui confère un véritable monopole, et la met à l’abri de toute concurrence.

Il reste, à la vérité, la ressource d’augmenter le tarif ; mais alors il sera vrai de dire qu’en faisant le traité avec la Prusse, on a eu l’arrière-pensée de paralyser une partie des effets de cet traité. Or, cette conséquence est importante à peser.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable membre vient de s’expliquer plus clairement. Il voudrait, quant au traité en lui-même, savoir s’il n’a pas donné lieu à des représentations de la part de certaines puissances. Nous répondrons : Non, le traité du 1er septembre n’a donné lieu à aucune représentation de la part des puissances. La Belgique a usé de son droit et elle n’a, en règle générale, lésé l’intérêt de personne.

Je prie l’honorable membre de prendre acte de cette déclaration, quant aux observations que je viens de faire, que la Belgique a usé de son droit et n’a lésé les intérêts de personne, j’empiète encore sur la discussion générale.

J’ai très-bien compris la motion d’ordre relative au bois. L’honorable M. de Theux s’est appuyé dans sa motion d’ordre sur deux propositions que voici : la Belgique conserve-t-elle, en matière de douane, sa liberté d’action ? J’ai répondu oui. En second lieu, faut-il que la Belgique use de ce droit ? Je ne le crois pas. Je crois qu’il y a ici une question de convenance et de nécessité que nous discuterons. Quant à la question de nécessité, nous établirons que le pavillon prussien n’est pas remis dans la même position où il était avant la loi du 21 juillet, que par conséquent la protection nouvelle accordée par la loi des droits différentiels aux bois indigènes n’est pas annulée au point où on le suppose.

M. de Foere – Messieurs, je n’attache aucune importance à la question de savoir quel est le ministre qui a traité avec la Prusse ; cette question me paraît oiseuse. Il suffit que nous ayons devant nous le traité.

Mais je viens appuyer la motion d’ordre qui vous a été faite par l’honorable M. d’Elhoungne et qui tend à ce que le ministère nous fasse un rapport sur les négociations qui ont suivi les deux memorandum. Il est certain qu’il y a eu des négociations postérieures ; car sans cela le traité n’aurait pu être conclu.

Nous n’avons pour tout renseignement que l’exposé des motifs présenté par M. le ministre des affaires étrangères ; mais ce document se renferme dans des allégations vagues. Un traité de réciprocité est évidemment basé sur des concessions réciproques destinées à balancer de part et d’autre les avantages et les désavantages ; or, sur ce point, nous n’avons aucune notion positive, aucun document qui nous éclaire sur les motifs qui ont dirigé le gouvernement sur l’équilibration des intérêts réciproques.

Quant au rapport de la section centrale, tout ce qu’il nous dit se trouve renfermé dans les stipulations du traité. Il ne nous apprend pas plus que l’exposé des motifs les bases sur lesquelles le ministère a établi ces concessions équivalentes à l’égard d’un grand nombre d’articles qui intéressent l’un ou l’autre de nos branches d’industrie et de commerce en général. Sous ce point de vue, le rapport de M. Dedecker est un oui et un non sur les résultats du traité.

J’insiste donc pour qu’il nous soit fait un rapport sur l’équilibre des avantages qui ont été concédés de part et d’autre. Je crois, avec l’honorable M. d’Elhoungne qu’un semblable rapport abrégera considérablement la discussion.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Les deux dernières pièces écrites de la négociation entre la Belgique et le Zollverein sont le memorandum de la Prusse et la réponse du gouvernement belge. Au memorandum de la Prusse était joint l’ordre du cabinet, que je puis déposer sur le bureau, et qui établissait l’augmentation de droits sur les fers de provenance belge. La réponse belge a été accompagnée d’une lettre dans laquelle on offrait de rentrer en négociation avec la Prusse.

Après que les deux puissances se furent mises en face l’une de l’autre par leurs mesures réciproques, et que la Prusse se fût informée des intentions du gouvernement belge, ordre a été donné au ministre prussien à Bruxelles, de renouer les négociations. Depuis lors, il n’y a eu d’autre pièce écrite que celle du traité définitif.

Aucune représentation n’a d’ailleurs été faite contre ce traité par d’autres puissances, et la Prusse n’a demandé d’autres explications que celles qui sont contenues dans le procès-verbal d’échange des négociations.

M. de Brouckere – N’y a-t-il pas eu d’écritures sur la portée de certaines dispositions du traité ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Non.

M. de Brouckere – Messieurs, je tiens à ce que la chambre entende ce qui vient d’être dit par M. le ministre des affaires étrangères : c’est qu’il n’y a eu aucune note échangée entre les deux gouvernements depuis le traité, quant à la portée et au sens que l’on doit donner à certaines de ses dispositions.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – J’ai dit qu’il n’y avait eu aucune pièce écrite, échangée depuis la conclusion du traité. Mais ce n’est pas à dire que des commissaires nommés de part et d’autre, à cet effet, ne se soient pas expliqués sur le sens plus ou moins sévère à attacher à l’exécution de certains articles. Les résultats de ces conférences ne sont pas arrivés à leurs fins, mais nous n’avons pas de motif de croire qu’il puisse s’élever des difficultés sérieuses.

M. de Brouckere – D’après ce que vient de nous dire M. le ministre des affaires étrangères, il devient très-difficile de discuter le projet qui nous est soumis ; car il paraît qu’on n’est pas d’accord sur la portée de plusieurs articles du traité.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Il n’y a pas de traité qui n’exige, après la conclusion, des explications. Ces explications doivent donner lieu à des conférences ; c’est ce dont on s’occupe en ce moment ; mais, si, dans la discussion de la chambre, il surgissait une demande de renseignements sur le sens plus ou moins étendu de certains articles du traité, nous sommes, dès à présent, en position d’y satisfaire.

M. de Brouckere – Messieurs, l’honorable ministre des affaires étrangères me donne trop beau jeu, si je voulais insister sur l’observation que j’ai présentée d’abord. Mais je préfère ne pas insister en ce moment. J’attendrai que la discussion générale soit commencée. Mais je dois dire tout d’abord à M. le ministre que je reviendrai sur le point que j’ai abordé tout à l’heure, et que, bien décidément, il sera impossible à la chambre de ratifier un projet de loi dont les dispositions ne sont pas encore bien comprises par les deux gouvernements. (Dénégations sur le banc des ministres.) On a déclaré formellement qu’on n’était pas d’accord jusqu’ici sur le sens à donner à certaines dispositions du traité ; je ne veux pas, je le répète, insister sur ce point pour le moment, mais quand la discussion générale viendra, il faudra qu’on s’explique sur la manière dont chacune des dispositions doit être entendue.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne veux pas qu’on attribue à des paroles très-simples un sens qu’elles n’ont pas. Toute loi, tout traité quelconques supposent une exécution subséquente ; cette exécution subséquente fait l’objet de conférences entre les deux parties. Cela est-il vrai, oui ou non ? Eh bien, quand le traité qui vous est soumis sera voté, il y aura une exécution subséquente, et, dans cette exécution, on examinera de quelle manière chaque article devra être appliqué. Voilà ce qui aura lieu, et nous (page 339) pouvons dire, dès aujourd’hui, que d’après les conférences qui sont ouvertes, nous sommes et nous resterons d’accord sur tous les points d’exécution. Nous attendons que l’on veuille bien nous faire, à ce sujet, des interpellations, ou en séance publique, ou en comité secret ; nous répondrons ; mais la position , qu’on ne s’y trompe pas, n’est pas nouvelle ; chaque fois qu’un traité est fait et ratifié, il y a exécution : cette exécution fait l’objet d’un règlement entre les deux parties.

Le traité est du 1er septembre, je demande pardon de rappeler la date, mais nous sommes tous d’accord sur ce point (on rit) ; le traité est du 1er septembre ; la réponse du gouvernement belge a été notifiée à Berlin, le 19 août ; il s’est donc écoulé entre le 19 août et le 1er septembre, onze jours. Qu’a-t-on fait dans cet intervalle ? mais on a fait le traité, on l’a même fait très-promptement, puisque le 19 août, onze jours avant la conclusion du traité, le cabinet de Berlin recevait notre réponse, où nous disions :

« Les sentiments de la Belgique sont restés les mêmes. M. le ministre des affaires étrangères, par sa dépêche du 31 juillet dernier, a déjà eu l’occasion de faire remarquer à M. le baron d’Arnim que, si les circonstances avaient forcé le cabinet à rentrer dans la stricte légalité pour l’application des règles prescrites par les lois belges en matière de navigation, une négociation n’en était devenue, de part et d’autre, que plus désirable et peut-être plus facile. Il est à espérer que cette négociation nouvelle ne tardera pas à s’ouvrir et que, en amenant des arrangements commerciaux profitables à l’Allemagne comme à la Belgique, elle fera disparaître un état de choses regrettable, qui contrarie les vœux et blesse les intérêts des deux pays.

« Les dispensations favorables que le gouvernement belge manifeste seront, sans doute, appréciées du Zollverein et il attend avec confiance une réponse aux ouvertures qu’il a faites et qu’il renouvelle en ce moment. »

C’est là ce que nous disions à Berlin le 19 août, et, comme l’a dit M. le ministre des affaires étrangères, l’ordre a été transmis au plénipotentiaire du Zollverein à Bruxelles de reprendre les négociations ; les négociations ont été reprises vers le 25 août, et le 1er septembre, le traité était conclu. Il n’a pas fallu échanger des notes, il y a eu des conférences verbales ; ce qu’on fait ordinairement, quand on veut arriver promptement à un résultat.

Ainsi, nous insistions pour que la discussion ait son libre cours ; quant aux explications qui deviendront nécessaires, on les donnera à la chambre.

M. Castiau – Messieurs, j’ai demandé la parole, pour relever une injustice, je dirais presque une inconvenance qui a été commise par M. le ministre de l'intérieur, à l’égard de l’honorable M. Osy. M. le ministre de l'intérieur s’est plaint vivement du système de personnalité dont notre honorable collègue se serait servi à son égard. Quel était donc ce système de personnalité ? De quelles attaques inconvenantes l’honorable M. Osy s’est-il rendu coupable ? Je vous en fais juges.

L’honorable M. Osy demandait une explication sur une substitution de personnes, qui avait eu lieu dans les négociations avec l’Allemagne. L’honorable M. Osy demandait que le gouvernement expliquât pourquoi le ministre de l’intérieur, qui a dans ses attributions les négociations en matières commerciales, qui jusqu’ici s’est constamment placé au premier rang parmi ses collègues pour ces questions, qui est toujours si empressé de se mettre en évidence quand il s’agit de négociations importantes ; pourquoi M. le ministre de l'intérieur a disparu de la scène, dans cette circonstance, pour faire place à un collègue qui n’est chargé ni des affaires étrangères, ni de l’industrie, ni du commerce ? Où donc est la personnalité dans cette simple observation de l’honorable M. Osy ? Et que penser de la susceptibilité du ministre ? S’il a de la personnalité dans cette circonstance, elle ne s’est pas trouvée dans la bouche de l’honorable M. Osy, elle s’est trouvée dans certain acte que notre honorable collègue a remis avec raison sous les yeux de la chambre ; elle s’est trouvée dans le memorandum prussien, qui fait peser une accusation bien autrement grave sur la tête de ceux de nos ministres auxquels elle s’adresse. Le gouvernement belge est hautement accusé de déloyauté et de mauvaise foi dans ce document. On lui rappelle des conventions verbales qu’il aurait violées. Voilà des personnalités bien autrement graves que celles qui auraient excité la susceptibilité de M. le ministre. Voilà une sorte d’accusation flétrissante adressée à notre ministère en présence du pays et à la face de l’Europe, sans que celui-ci ait pu y répondre jusqu’ici autrement que par un désaveu aussi timide qu’embarrassé.

J’appuierai donc la motion de l’honorable M. d’Elhoungne, et je demanderai avec lui un rapport spécial sur les faits reprochés au ministère et sur les diverses phases de nos négociations avec la Prusse. Les observations embrouillées de M. le ministre des affaires étrangères, celles aussi embarrassées que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur, suffiraient, au besoin, pour justifier cette demande et vous engager à l’accueillir.

Pouvons-nous engager une discussion aussi importante que celle qui doit nous occuper, sans documents, sans renseignements et sans explication ? Comment espérer mener à fin un tel débat, si nous ne connaissons pas dans son ensemble et dans ses détails la série des actes diplomatiques qui ont précédé et amené le traité du 1er septembre ? La diplomatie, paraît-il, ne s’entend pas même sur l’interprétation des clauses du traité.

Ainsi que M. le ministre des affaires étrangères a dû l’avouer, il existe maintenant des difficultés et des doutes sur l’interprétation de quelques mots des dispositions du traité. N’y eût-il qu’un simple désaccord, il doit être réglé avant que la chambre ratifie le traité. Le désaccord est constant : il existe notamment pour la question si importante de l’introduction de la fonte.

Les avantages résultant du traité ne seront-ils appliqués qu’aux fers entrant par la frontière de terre ou favoriseront-ils également l’introduction des fontes, par la voie fluviale ? Cette question soulève un doute grave, et le doute doit être levé avant que la chambre puisse donner sa sanction au traité.

Le traité, selon moi, renferme les concessions les plus importantes en faveur de la Prusse : nous ne devons pas les étendre encore ; il faut une limite à ces concessions que le ministère a prodiguées. La faiblesse que le gouvernement a déployée dans cette circonstance doit nous porter à exiger plus fortement que jamais, que toutes les questions soient résolues préalablement, et que nous ne laissions rien à l’arbitraire du gouvernement, dans cette occurrence.

Si j’insiste pour que la motion de l’honorable M. d’Elhoungne soit adoptée, si j’insiste pour qu’un rapport sur nos relations diplomatiques nous soit présenté, ce n’est point uniquement au point de vue de la question spéciale qui nous est soumise en ce moment ; à côté de cette question se trouve une autre question que le ministère voudrait bien tenir prudemment à l’ombre : c’est la question des négociations intermédiaires qui ont eu lieu, non avec la Prusse, mais avec la France.

Vous savez, en effet, messieurs, qu’à la suite de la rupture des relations avec la Prusse, alors qu’une guerre douanière était en quelque sorte organisée entre les deux pays, le ministère belge s’est rejeté vers la France ; on a fait apparaître alors un projet de négociations avec ce pays pour conjurer le mécontentement public et dissimuler les fautes du gouvernement.

Déjà les bases de ces négociations avaient été livrées à la publicité ; déjà l’opinion publique, en Belgique comme en France, s’en préoccupait vivement, et voilà que tout d’un coup on rompt les négociations avec la France au moment où on les croyait terminées. Cette brusque rupture n’a pas amené de réclamations, dit-on ; mais si le gouvernement français n’a pas réclamé, l’industrie belge, elle, est en droit de réclamer, si, ainsi qu’il est permis de le supposer, le traité avec la France lui eût été bien autrement avantageux qu’avec l’Allemagne.

Je désire donc savoir, d’une manière officielle, s’il y a eu une tentative sérieuse de négociations avec la France, et en cas d’affirmative, sur quelle base cette tentative a porté, et surtout quelles sont les causes qui l’ont fait avorter.

Ce n’est qu’après avoir obtenu ces renseignements préjudiciels que je pourra me prononcer sur le caractère et les résultats du traité soumis, en ce moment, à nos délibérations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je persiste à demander l’ordre du jour.

L’honorable préopinant a cité un point spécial, celui qui concerne l’interprétation de l’article 19 du traité. Des explications vous seront données, soit en séance publique, soit en comité secret. Ces explications sont nécessaires ; elles tiennent au fond de la discussion. Elles vous seront données, et elles seront, je n’en doute pas, satisfaisantes.

Vous voyez, messieurs, avec quel désordre nous procédons. On avait d’abord demandé un rapport sur tout ce qui avait précédé le traité du 1er septembre ; on ne réfléchissait pas qu’entre le traité du 1er septembre et la dernière note diplomatique, il ne s’était écoulé que onze jours, et que ces onze jours avaient été consacrés aux conférences qui ont amené le traité du 1er septembre. Maintenant il est constaté qu’entre le 19 août et le 1er septembre, il n’y a pas eu de notes échangées, il y a eu seulement des conférences verbales.

On a alors changé de position, et l’on a adressé au gouvernement une seconde question. N’y a-t-il pas eu, a-t-on demandé, des représentations de la part des puissances, au sujet du traité même du 1er septembre ? Nous avons répondu négativement, et dès lors il n’y avait rien à produire. Mais il semble qu’il faut absolument un rapport. Donc, on demande maintenant un rapport sur les négociations tentées avec la France. Le gouvernement a le droit d’essayer des négociations avec les gouvernements étrangers, et il n’est pas tenu de rendre compte de ces tentatives de négociation jour par jour…

M. Castiau – Nous prenons acte de votre refus.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Prenez acte de mon refus. Nous demandons l’ordre du jour, c’est-à-dire la discussion du traité dont vous avez été saisis, et pour lequel nous vous demandons votre approbation. Ce traité a été accompagné de toutes les communications désirables, nous avons été au-devant de toutes les questions qu’on pouvait nous faire. Il ne reste plus que la discussion du fond, nous la réclamons ; tout le reste est un hors-d’œuvre.

M. Devaux – Quelque décision que la chambre prenne sur la motion de l’honorable M. d’Elhoungne, je ne puis m’empêcher de regretter ce qu’il y a d’incomplet dans les communications qui nous ont été faites. On nous communique un traité qui est le résultat d’une négociation qui a duré sept ans, ce traité est précédé d’une page et demie d’exposé des motifs. Pas un article du traité lui-même n’est expliqué. Outre ce laconique exposé des motifs, nous possédons pour tous renseignements une seule note du gouvernement prussien, que les journaux ont publiée depuis longtemps, et la réponse du cabinet belge ; encore a-t-il fallu une interpellation expresse d’un de nos honorables collègues pour obtenir cette dernière communication. Il est contraire aux usages établis des gouvernements représentatifs qu’on ne communique pas les pièces de la négociation, non pas, remarquez-le bien, lorsqu’elle est encore pendante, mais lorsqu’elle est achevée.

En France, en Angleterre, lorsqu’une négociation est terminée, on dépose les pièces de la négociation sur le bureau, et ces pièces ne sont pas un exposé des motifs d’une page et demie ; ce sont quelquefois des volumes.

(page 340) Pour se faire une idée du mérite d’un traité, c’est-à-dire pour savoir s’il est tout ce qu’il pouvait être, la première chose qu’il faut connaître est celle-ci :

Qu’ont demandé, qu’ont offert les deux parties ? Sur quel point ont-elles transigé ? Dans la négociation dont il s’agit, la Belgique qu’a-t-elle demandé ? la Prusse, qu’a-t-elle demandé ? Nous ne le savons pas. Quand, après la rupture de l’été dernier, les négociations ont été reprises, qu’avez-vous demandé à la Prusse, et, de son côté, la Prusse, qu’a-t-elle demandé ? Nous ne le savons pas ; nous ne savons pas quel a été le négociateur.

M. Dumortier – Il est connu.

M. Devaux – Nous ne le savons pas officiellement.

Quand les négociations ont été antérieurement transportées à Bruxelles, M. Goblet avait été nommé plénipotentiaire pour le gouvernement belge ; la note prussienne nous l’apprend.

Nous avons le droit de savoir quel a été le négociateur du traité ; ce n’est pas une personnalité que cette demande, c’est un point sur lequel la chambre a d’autant plus de droit d’être éclairée, que dans le choix de la personne, il y a peut-être une raison de dignité pour le gouvernement. En dehors de cette question, nous avons, je le répète, le droit de connaître quelles sont les concessions que la Belgique a demandées à la Prusse, et les concessions que la Prusse a demandées à la Belgique ; quelles sont les demandes sur lesquelles il y a eu transaction, et quels sont les motifs de la transaction.

Nous ne sommes pas instruits de ce que nous devions légitimement connaître. J’ai le droit d’en exprimer mes regrets.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’en demande pardon à l’honorable membre ; s’il a lu le memorandum du 18 juillet et la réponse du gouvernement belge, à laquelle il faut donner la date du 19 août, il y aura trouvé l’historique complet de la négociation telle que la présentent les deux pièces comme constituant l’histoire la plus complète des négociations. Les prétentions sont exprimées de part et d’autre dans le memorandum et dans la réponse avec l’indication des dates des notes. Si l’honorable M. d’Elhoungne demande le dépôt des notes elles-mêmes sur le bureau, toutes y seront déposées.

Toutes les demandes du gouvernement belge, pendant dix ans, sont analysées, avec indication des dates, dans la réponse notifiée le 19 août. Que ce memorandum soit adressé au gouvernement prussien ou à la chambre, n’importe, dès que le fond est connu. Je n’hésite pas à dire que si M. le ministre des affaires étrangères avait été appelé à faire un rapport sur l’ensemble des négociations, il n’aurait pas fait autre chose que cette réponse qui porte la date du 19 août.

Ainsi, je le répète, si l’on désire que l’une ou l’autre note citée dans ces deux pièces soit déposée sur le bureau, elle le sera. Ce sera surabondance, car elles sont ou transcrites textuellement ou analysées avec beaucoup de soin.

Le traité a été signé par M. le ministre des affaires étrangères, constitué, à cet effet, plénipotentiaire qui n’a pas cessé d’être négociateur ; ses collègues lui ont été adjoints officieusement ; il en sera ainsi chaque fois que des négociations importantes seront entamées. J’y ai pris part, en conservant ma position officielle à laquelle je ne renoncerai jamais, quelque estime que je puisse professer à l’égard de mes collègues, de même que jamais je ne me permettrai un excès de pouvoir vis-à-vis d’eux. Les ministres des finances et des travaux publics ont été associés aux négociations, comme ils devaient l’être pour un acte aussi important.

M. Devaux – Si le gouvernement veut déposer les notes qui contiennent les offres de concession qui ont amené le traité, cela éclaircira les négociations antérieures à la rupture ; mais M. le ministre conviendra qu’il n’y a pas de renseignements sur les notes postérieures ; nous ne savons pas ce qui a été demandé de part et d’autre, nous n’avons que le traité qui est la conclusion des négociations. Pour les fers et pour le transit, nous ne savons pas ce que la Belgique avait demandé antérieurement. La Belgique avait demandé l’abolition du droit de transit pour tout le territoire du Zollverein. Nous ne savons pas ce qu’elle a demandé après la rupture, depuis que l’état de choses est changé par l’adoption de la loi des droits différentiels et la réduction du droit sur les fers, en échange de la suppression du droit différentiel quant au transport direct. Nous ne savons pas ce que la Belgique a demandé depuis le nouveau régime établi en Prusse, nous ne savons pas ce que la Belgique a demandé pour les fils de lin. Il y avait eu une demande faire antérieurement concernant cet objet. Nous ne savons pas si la Belgique a commencé par abandonner cette demande, et si cette concession a été faite de prime abord ou si elle l’a été par suite de compensations.

Il y a une autre chose à éclaircir, et qui ne peut l’être qu’autant qu’on nous instruise des demandes et des offres qui on été faites. La lacune ne sera pas comblée par le dépôt de ces notes qui peuvent éclairer le passé ; mais il y a des négociations verbales. Je sais qu’elles sont traitées fort légèrement dans la note du ministre des affaires étrangères de la Prusse. Il faut que nous ayons un résumé de toutes ces négociations, afin que nous sachions sur quoi nous avons transigé, et que nous puissions apprécier si le gouvernement a fait son devoir en demandant ce qu’il devait demander et en transigeant sur les points sur lesquels il devait transiger.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce que le préopinant voudrait savoir, c’est ce qui s’est passé dans le court intervalle du 19 août au 1er septembre. C’est dans cet intervalle que se placent les conférences verbales qui doivent toujours précéder un traité. Dans ces conférences verbales, il n’a pas été échangé de notes, il ne pouvait pas en être échangé. Le gouvernement belge a obtenu pour les fers et pour les fontes ce qui lui avait jusque-là constamment été refusé. Il n’avait jamais demandé davantage.

M. d’Elhoungne – Et quand il n’y avait pas de droit en Prusse sur les fers, que demandiez-vous ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous demandions le maintien du statu quo, et en cas d’éventualité d’un droit, nous demandions un droit différentiel, ce que nous avons obtenu. Voilà la position que nous devions prendre.

En second lieu, dit l’honorable préopinant, le gouvernement n’a-t-il pas fait des tentatives pour avoir une réciprocité plus complète pour le transit ? Cette tentative a eu lieu de la part du gouvernement belge, mais on lui a fait observer qu’elle ne pouvait pas être accordée, qu’il devait se contenter des concessions qui lui étaient faites pour le transit, par le traité.

En troisième lieu, a dit l’honorable membre, n’a-t-on pas demandé des concessions pour les fils de lin ? Il n’en a pas été demandé, nous n’en aurions pas obtenu.

M. Devaux – On en avait demandé antérieurement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne crois pas qu’on en avait demandé. D’ailleurs, l’honorable membre sait parfaitement qu’en fait de négociations, car il en est auxquelles il a pris part, il faut s’en tenir au possible, et ce que nous avons obtenu par le traité du 1er septembre, est tout ce que nous avons cru possible.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, comme vient de le dire l’honorable ministre de l’intérieur, tous les faits antérieurs à la conclusion du traité ont été consignés en détail dans le memorandum de la Prusse au point de vue où s’est placée cette puissance, et dans la réponse du gouvernement belge au point de vue de ce gouvernement. L’honorable M. Devaux veut se rendre compte d’un fait, il veut savoir si le gouvernement belge a obtenu tout ce qu’il pouvait obtenir, s’il n’a pas concédé ce qu’il ne devait pas concéder. Quand nous serons arrivés à la discussion du fond, nous n’aurons pas de peine à démontrer que, par le traité du 1er septembre, le gouvernement belge a obtenu tous les avantages cumulés, sauf peut-être une concession vague demandée par un cabinet précédent, relativement aux fils de lin, que les différents ministères, depuis 1837, ont successivement et partiellement demandée.

M. d’Elhoungne – Aux mêmes conditions ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - A des conditions meilleures. Ainsi, par le projet de traité de 1837, par exemple, le gouvernement belge proposait d’avoir non-seulement l’assimilation des pavillons pour l’importation directe…

M. le président – C’est le fond.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je me rends à l’observation de M. le président.

M. d’Elhoungne – Et le rapport sur le fond ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Le fond, c’est le traité, et vous avez sous les yeux toutes les notes qui ont précédé le traité, qui est la conclusion de toute la négociation antérieure.

Je m’arrête donc, puisque M. le président veut bien faire remarquer que j’allais anticiper sur la question du fond. Mais je ferai remarquer que toute la discussion actuelle, que l’on nomme incidente, anticipe sur celle qu’on aurait mieux fait d’aborder.

M. Castiau – Je crois devoir insister de nouveau pour obtenir du ministère un rapport, non-seulement sur les négociations avec la Prusse, mais surtout sur les négociations avec la France.

Le fait de ces négociations n’a pas été dénié par M. le ministre de l'intérieur ; seulement il a prétendu qu’il ne communiquerait pas à la chambre ce qui est relatif à ces négociations. La réponse de M. le ministre de l'intérieur est des plus inconvenantes, et elle ne nous prouve que trop les embarras de sa position et de sa politique. C’est une nouvelle preuve du dédain qu’il affecte pour les prérogatives de la chambre. Jamais, peut-être, on n’avait entendu un ministre déclarer avec autant d’outrecuidance qu’il refuserait à la chambre un rapport demandé pour éclairer les esprits et faciliter la discussion. C’est l’atteinte la plus choquante qu’on puisse porter aux droits et aux attributions du pouvoir parlementaire.

J’espère bien que la chambre saura maintenir sa prérogative, rappeler au ministre le devoir qu’il oublie et lui enjoindre de produire le rapport sur l’ensemble de nos négociations avec la France et avec la Prusse, puisque, sans ce document, la question que nous avons à examiner, devient en quelque sorte insoluble. Veuillez le remarquez, messieurs, la question des négociations avec la France est intiment liée avec la question du traité avec la Prusse ; ou plutôt ces deux questions n’en font qu’une. Je maintiens cette assertion malgré les signes de dénégation du ministre des travaux publics. Quand le ministère a-t-il pensé à la France ? C’est au moment de la guerre industrielle avec la Prusse. Quelles étaient, encore une fois, les bases de ces négociations avec la France ? Pourquoi ces négociations ont-elles été subitement rompues ? Pourquoi cette rupture et le brusque revirement vers la Prusse ? Ce sont là des incidents assez graves, ce me semble, pour justifier l’insistance avec laquelle nous réclamons les pièces relatives à une négociation consommée, puisqu’on doit la regarder aujourd’hui comme définitivement rompue.

Il y a là un grand intérêt, un intérêt vital pour plusieurs de nos provinces ; il y avait en présence deux politiques : la politique française d’une part, et d’autre part la politique prussienne, la politique allemande qui paraît avoir toutes les sympathies de nos ministres. Quelles causes ont fait écarter le traité avec la France pour conclure avec la Prusse un traité dans lequel nos droits et nos intérêts paraissent également sacrifiés ?

(page 341) Et si le traité conclu avec la Prusse, avait pour effet d’affaiblir les sympathies de la France, de nous la rendre hostile, d’amener dans un avenir assez rapproché la rupture des derniers liens commerciaux qui nous attachent à ce pays, quelle responsabilité ne devrait pas peser sur la tête des ministres imprudents qui auraient amené un tel résultat.

Nous avons donc le plus grand intérêt à connaître les principaux éléments de la négociation tentée avec la France, ne fût-ce que pour nous assurer si cette négociation devait, oui ou non, nous être avantageuse que le traité avec la Prusse.

Nous avons intérêt surtout à connaître les causes de la rupture de ces négociations ; car si le traité avec l’Allemagne avait seul déterminé la rupture des négociations plus utiles au pays, la responsabilité ministérielle serait gravement engagée, et nous n’aurions ni assez de blâme, ni assez d’indignation pour en frapper cette nouvelle imprudence de nos ministres, qui auraient ainsi compromis l’avenir de nos plus importantes provinces et de nos plus riches industries.

En deux mots donc et pour me résumer : les négociations avec la France sont-elles définitivement rompues ? Et ce déplorable résultat ne serait-il pas dû à l’imprudence et peut-être à la déloyauté du ministère belge ?

M. Devaux – Je demande à expliquer un fait.

M. le ministre de l'intérieur (et ceci prouve combien il serait à désirer que les faits fussent bien constatés) vient de dire que jamais il n’a été fait de proposition de la part du gouvernement belge pour obtenir de la Prusse des concessions sur l’entrée des fils de lin.

D’autre part, M. le ministre des travaux publics dit que le traité accorde tout ce que les ministères précédents ont demandé à la Prusse. Or, on lit dans l’un des deux documents qui ont seuls été communiqués dans la note du gouvernement prussien que le 24 mai 1842 le gouvernement belge « crut satisfaire au besoin de faire enfin de son côté des propositions sur les concessions réciproques de tarif, en désignant, par exemple, l’abolition totale du droit de sortie sur la laine brute et une réduction notable des droits d’entrée sur les fers et les fils de lin. »

Ainsi M. le ministre de l'intérieur nie que jamais le gouvernement belge ait demandé de réduction de droits sur les fils de lin, et voici la note prussienne, le seul document qui nous soit communiqué avec la réponse du gouvernement belge, qui affirme que le gouvernement belge, en 1842, a demandé une réduction notable sur les fils de lin.

M. le ministre des travaux publics, de son côté, affirme que le traité a obtenu tout ce que les ministères précédents ont demandé ; or, non-seulement le traité n,’accorde rien pour les fils de lin ; mais on avait, d’après les paroles que je viens de citer, demandé l’abolition complète du droit de sortie sur les laines, et on n’a obtenu que réduction de moitié du droit.

Ainsi les deux ministres sont en désaccord avec les faits tels que les rapporte la note prussienne à laquelle on nous renvoie.

Avons-nous tort de dire que les renseignements sont incomplets ?

Certes, il eût été beaucoup plus avantageux d’obtenir l’abolition complète du droit de sortie sur les laines, que de n’obtenir qu’une réduction de 50 p.c. Un réduction notable du droit sur les fils de lin eût été extrêmement importante, aujourd’hui que la filature à la mécanique a pris un tel développement que, si nous perdions le débouché de la France, il y aurait un encombrement funeste sur le marché intérieur.

Nous en sommes réduits à chercher les faits dans le document émané du négociateur prussien, qui affirme ce que le ministère nie.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Sans doute, dans toutes les négociations on fait des demandes, mais il serait fort extraordinaire que tout ce qui est demandé de part et d’autre fût concédé par le traité qui intervient.

M. Devaux – Nous savons bien cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Mais on a l’air de croire et de faire croire, qu’un traité doit concéder de part et d’autre toutes les demandes qui ont été faites. C’est chose impossible.

M. Devaux – On veut savoir ce qui a été demandé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai dit tout à l’heure que nous offrions de déposer sur le bureau le texte de toutes les pièces citées dans l’un et l’autre memorandum. Certes, on ne peut pas aller plus loin. Ce sont les pièces justificatives.

On demande pourquoi nous n’avons obtenu que la moitié du droit de sortie sur les laines, tandis que nous en avions demandé l’abolition complète. Mais rien de plus simple ; on n’obtient pas tout ce qu’on demande. Nous avons obtenu la réduction de moitié des droits. Nous en avions demandé l’abolition. Mais l’honorable membre, s’il avait participé aux délibérations, aurait débuté par demander plus qu’il n’espérait obtenir.

En 1839, si j’ai bonne mémoire, dans une proposition indiquée au memorandum, nous avons, non pas fait la demande, mais posé la question de savoir s’il serait possible d’obtenir une réduction sur les fils de lin. La question a été écartée par le gouvernement prussien. Il a été répondu que c’était une industrie souffrante en Allemagne ; que loin qu’une réduction de droit fût possible, cette industrie demandait une élévation de droits. Nous n’avons pas reproduit la demande, parce que nous n’avons pas cru possible d’obtenir satisfaction sur ce point.

Je crois que la chambre, avec les pièces qu’elle a sous les yeux, et avec ce que nous offrons, peut aborder la discussion.

C’est l’acte en lui-même qu’il faut examiner.

Je ne crois pas avoir traité la chambre avec dédain. La chambre doit, au contraire, reconnaître que jamais ministère n’a mis plus de confiance dans ses communications diplomatiques. Peut-être pourrait-on faire au ministère un reproche d’avoir été trop loin ; la chambre a été réellement associée à toutes les négociations.

Vous devez, nous dit l’honorable préopinant, rendre compte de l’état des négociations avec la France ; mais de quelle utilité pourrait être ce compte-rendu ? Si c’était en comité secret, on pourrait donner des explications. Mais faut-il venir constamment dire aux chambres ce qui se passe entre le gouvernement et toutes les puissances étrangères ?

M. Castiau – Il fallait le dire dans votre première réponse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je vous demande bien pardon, si je ne vous ai pas donné la réponse qui vous eût immédiatement satisfait.

Il y a des négociations même en ce moment avec la France. Est-ce à dire qu’il faille constamment vous raconter ce qui se passer dans ces négociations ? Evidemment non.

M. Castiau – Voilà la réponse que j’attendais.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je suis heureux de vous donner une réponse qui vous satisfait. Si j’avais pu deviner que je pouvais vous satisfaire si vite, je l’aurais fait immédiatement.

Il est possible que cette discussion de publique qu’elle est, devienne secrète demain ou après-demain. Nous n’hésiterons pas alors à donner d’autres explications ; nous les donnerons avec la confiance que nous avons toujours témoignée à la chambre.

M. Dumortier – Dans toutes les négociations d’une importance réelle avec les puissances étrangères, le parlement qui doit émettre son vote a le droit d’être éclairé sur tout ce qui doit servir d’élément à sa conviction. Aussi, je conçois fort bien la sollicitude de plusieurs de nos collègues lorsqu’ils demandent un rapport sur les négociations.

Remarquez que le ministère, par la manière dont il voudrait enlever le débat, écarterait entièrement la discussion sur les négociations. Or, nous avons deux choses devant nous : un traité conclu sur lequel nous avons un vote à émettre, et en outre les négociations, que nous devons examiner, afin de voir si elles ont été conduites d’une manière convenable pour les intérêts et la dignité du pays.

Sous ce point de vue, ainsi que vous l’ont déjà dit plusieurs honorables préopinants, absolument rien n’a été présenté à la chambre. Je dis : absolument rien, car lorsqu’on remet à la chambre une note d’une puissance étrangère et la réponse à cette note, on ne lui remet, en réalité, absolument rien sur la marche des négociations.

Messieurs, lorsque nous nous sommes séparés à la dernière session, nous venions de voter le projet de loi sur les droits différentiels. A peu de temps de là, a paru dans les journaux une note du gouvernement prussien qui frappait certains produits de notre sol de droits exceptionnels, et en quelque sorte prohibitifs. C’est là ce qui a amené une guerre de tarifs, et pour moi, je désirerais savoir ce qui a engagé le gouvernement prussien à prendre cette mesure.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cela est connu.

M. Dumortier – Je ne veux pas parler ici d’après ce que j’ai appris par des bruits de journaux et par d’autres moyens. Je ne suis pas ici l’homme qui va puiser ses inspirations en dehors de la chambre, je suis l’homme qui siège dans le parlement. C’est donc au gouvernement à nous apprendre ce qui a donné naissance à la mesure prise par le gouvernement prussien.

Remarquez-le, messieurs, je ne suis pas défavorable au traité. Cependant on ne peut pas se dissimuler un fait : c’est que ce traité, que l’on paraît prôner si haut, n’offre pas pour la Belgique de très-grands avantages ; c’est que, d’un autre côté, il peut faire naître de graves embarras dans nos négociations avec la France.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Qu’en savez-vous ?

M. Dumortier – M. le ministre me dit : Qu’en savez-vous ? Je le saurai quand vous m’aurez fait un rapport. Et c’est précisément pour le savoir que je vous demande un rapport.

Je pense donc, messieurs, que dans un pareil état de choses, il convient que nous ayons un rapport sur toutes les phases des négociations. Comment ! lorsque nous avons agité la question des droits différentiels, le gouvernement n’a pas hésité à venir à cette tribune présenter un rapport, non-seulement sur les négociations actuelles avec les puissances, mais sur toutes les négociations qui ont lieu depuis dix ans ; et lorsqu’il s’agit d’un acte international qui doit lier la Belgique à toujours (car la Belgique ne peut être déliée par nous seuls dès l’instant que nous aurons voté le traité), n’est-il donc pas juste que la chambre ait tous ses apaisements ? je dis que ce serait manquer à la dignité de la chambre et aux convenances parlementaires qui sont observées dans tous les pays constitutionnels que de ne pas faire, dans une semblable situation, un rapport sur nos négociations.

M. le ministre de l'intérieur vient de nous dire : Je donnerai le texte de toutes les pièces qui se trouvent analysées dans la réponse belge du 19 août ; mais ce n’est pas là ce que nous demandons. Nous demandons un rapport sur toutes les négociations. Qu’est-ce qui a amené la situation antérieure au traité ?

Serait-il vrai, comme on l’a dit, que la division qui a éclaté entre les deux pays, aurait été provoquée par l’imprudence du gouvernement belge ? S’il en est ainsi, j’aurais vivement à déplorer pour mon pays qu’un ministre eût mis, par des imprudences que je ne veux pas qualifier, eût mis, dis-je, la Belgique dans une position qui pouvait devenir extrêmement fâcheuse. C’est sur ce point que je veux surtout avoir des explications ; car nous avons à examiner vos actes non-seulement dans leur résumé, mais dans toute leur conduite.

Il n’y a pas d’exemple, messieurs, que dans aucun pays constitutionnel (page 342) on refuse à la chambre, qui le demande, un rapport sur un traité consommé. Je conçois fort bien que le gouvernement puisse refuser de donner des explications sur des négociations entamées. Ces explications données en public peuvent quelquefois nuire aux négociations elles-mêmes. Mais il ne s’agit pas de cela dans la circonstance actuelle. Les négociations sont un fait consommé, ou doivent l’être, puisqu’un traité international a été signé, et qu’il nous est soumis.

Mais, avant d’émettre un vote sur ce traité, il faut que nous sachions si la conduite du gouvernement dans les négociations n’a pas été telle que, tout en acceptant le traité, nous devions blâmer cette conduite. Et je crois, messieurs, que c’est parce qu’il en est ainsi, qu’on refuse de faire un rapport. Si je me trompe, qu’on présente ce rapport. Oui, si je suis bien informé, c’est une imprudence des plus graves qui a fait naître la situation où s’est trouvée la Belgique, lorsqu’elle s’est vue exposée à une guerre de tarifs avec l’Allemagne, et cette imprudence a eu les conséquences que vous a signalées l’honorable M. Osy. Il nous faut donc une explication sur tous ces faits, parce que nous devons savoir dans quelle position se trouve notre gouvernement vis-à-vis de l’étranger. L’honneur et la dignité nationale l’exigent impérieusement.

Sans doute, messieurs, ces discussions sont toujours fâcheuses dans un gouvernement. Mais où faut-il en chercher les causes ? Chacun peut les voir à sa manière. Pour moi, je crois que la cause de ces discussions gît dans le peu de confiance dont jouit, et dans la chambre et hors de la chambre, le ministre qui nous présente aujourd’hui le projet de loi. Il est fâcheux, messieurs, qu’en présence de pareils faits nous devions entrer dans des détails que nous voudrions nous abstenir de présenter. Mais je crois que nous avons, avant tout, un devoir à remplir : c’est d’éclairer le pays, c’est de nous éclairer nous-mêmes sur toute la marche des négociations, afin que nous sachions comment nous devons émettre un vote consciencieux sur l’acte qui nous est soumis.

J’appuie donc la proposition de l’honorable M. d’Elhoungne. Si le gouvernement veut réclamer un comité secret pour nous faire son rapport, je ne m’y opposerai pas. Mais je tiens avant tout à ce que nous ayons ce rapport. Cela est d’autant plus indispensable qu’un ministre nous a dit qu’il s’élevait encore des difficultés sur certains articles du traité. On voudrait donc nous faire voter sur l’enveloppe du sac ? Cela serait trop fort. S’il s’agissait d’une loi que nous pouvons défaire, je concevrais peut-être qu’on en agît ainsi. Mais dans la circonstance actuelle il nous faut tous nos apaisements avant d’émettre un vote.

Messieurs, ce serait la première fois, depuis que la Belgique existe, qu’un rapport n’aurait pas été fait sur la demande de la chambre. Nous avons eu beaucoup d’autres négociations, principalement avec la conférence de Londres et jamais ministre n’a refusé un rapport sur ces négociations. Allez dans votre bibliothèque, vous y trouverez vingt-cinq rapports faits dans des circonstances beaucoup plus graves que celle-ci. Je ne pourrais donc comprendre comment on nous refuserait un rapport, si l’on ne craignait pas qu’il eût pour effet de faire connaître des événements que l’on veut cacher.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable préopinant vous a dit un mot qu’il me permettra de relever. Il voudrait adopter le traité, mais avoir le droit de blâmer ceux qui l’ont conclu. Il y a là une singulière contradiction. Il me semble que si le traité lui convient, c’est autre chose qu’un blâme qui attend ceux qui ont négocié ce traité. Je ne pousserai pas plus loin ces observations, parce que je craindrais d’être désobligeant.

Nous nous sommes trouvés l’été dernier dans une position difficile vis-à-vis de la Prusse. Par le rescrit du 21 juin, il a été pris des représailles contre la Belgique, c’est-à-dire que les fers belges ont été subitement soumis à une surtaxe, à partir du 1er septembre.

Pourquoi le gouvernement prussien a-t-il posé cet acte ? demande l’honorable préopinant. Mais qu’il lise les deux memorandum ; ces causes y sont exposées par le gouvernement prussien et par le gouvernement belge, chacun à son point de vue.

L’arrêté du 28 août qui avait accordé au Zollverein la réduction de droits sur les soies et sur les vins, était venu à tomber au 1er avril dernier. Cet arrêté a été blâmé dans le temps par l’honorable M. Dumortier.

M. Dumortier – C’est une grave erreur. J’ai toujours approuvé cet arrêté, et je vous blâme de ne point l’avoir maintenu.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Alors nous allons bien être plus facilement d’accord.

L’honorable M. Dumortier a approuvé (et je me félicite cette fois de ce qu’il a bien voulu rectifier mes souvenirs) l’arrêté du 28 août ; il aurait voulu qu’on ne le laissât pas tomber au 1er avril dernier. Mais toujours est-il que l’arrêté est venu à tomber au 1er avril dernier, à tort ou à raison ; il ne s’agit ici que de faits. Le gouvernement prussien a cru, au nom du Zollverein, devoir frapper une industrie belge. Voilà l’origine de la position extraordinaire où nous nous sommes trouvés placés l’été dernier.

Au rescrit du cabinet de Berlin du 21 juin, nous avons répondu par l’arrêté royal du 28 juillet et je suis sûr que l’honorable M. Dumortier approuvera cet arrêté. Vous voyez donc que rien ne vous est inconnu.

Quant aux insinuations purement personnelles, j’ignore s’il faut nous en occuper ici. L’honorable préopinant est allé jusqu’à supposer qu’un ministre belge aurait pu conseiller à un gouvernement étranger de créer cette position violente en usant de représailles.

M. Dumortier – Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous l’avez supposé ; vous avez dit : « S’il faut attaché de l’importance à certains bruits, l’origine serait là. » Mais je vois avec plaisir que l’honorable membre a oublié ce qu’il semblait indiqué tout à l’heure.

M. Dumortier – Je n’ai rien oublié du tout.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous maintenez donc ce que vous avez dit ; mais alors vous devriez mettre en accusation le ministère qui aurait donné de pareils conseils à l’étranger.

L’origine du rescrit du 21 juin, je le répète, est connue. La chose même était prévue, on s’attendait jusqu’à un certain point à cet acte. Le gouvernement prussien, lorsque l’arrêté du 28 août est venu à tomber, a dit qu’il rentrait purement et simplement dans les droits qu’il avait le lendemain de la convention du 16 juillet.

Tous ces faits, messieurs, sont indiqués dans le memorandum, et les observations de l’honorable M. Dumortier elles-mêmes me prouvent combien un rapport est inutile.

Maintenant, comme pièces justificatives, on déposera dès ce soir ou demain matin les notes analysées et citées dans les deux memorandum. On ne peut vous donner davantage. Si M. le ministre des affaires étrangères était obligé de vous faire un rapport, savez-vous ce qu’il ferait ? La réponse au memorandum prussien devrait être précédée du mot : Messieurs. Voilà tout ; c’est-à-dire qu’au lieu d’être adressé au gouvernement prussien, il vous serait adressé avec la formule de politesse dont on se sert habituellement.

Nous ne pouvons vous donner autre chose que les deux memorandum et les notes qui y sont citées, et je crois qu’il est satisfait ainsi à tout ce que demande l’honorable M. d’Elhoungne.

M. d’Elhoungne – Je me permettrai de faire remarquer à l’assemblée que ma motion d’ordre a singulièrement fait boule de neige dans le cours du débat. Il m’importe de revenir à mon point de départ. En premier lieu, je voulais obtenir le dépôt des pièces ; or, le ministère ne songe pas à nous les refuser ; il l’a déclaré formellement. Je voulais, en second lieu, savoir quelle était la situation créée à la Belgique par le traité du 1er septembre vis-à-vis des puissances qui nous entourent et qui n’ont point pris part au traité. C’est sur ce point surtout qu’il me paraissait important d’avoir un rapport. Mais M. le ministre de l'intérieur a déjà satisfait, jusqu’à un certain point, au voeu que j’ai émis ; en effet, il nous a appris qu’il n’y a eu aucune représentation écrite de la part des puissances étrangères.

Dès lors, messieurs, vous comprendre que, si M. le ministre de l'intérieur ou M. le ministre des affaires étrangères veut déclarer à la chambre, avec la même netteté que, de la part d’aucune puissance, il n’y a eu non plus de représentations verbales, je me déclarerai satisfait. Cette déclaration nous apprendra assez que la conclusion du traité du 1er septembre n’a nullement ému la diplomatie étrangère ; qu’elle n’a pas eu à l’étranger ce retentissement dont il est parlé dans un paragraphe du rapport de la section centrale. Et, je le répète, pour qu’il n’y ait aucun doute, si M. le ministre de l'intérieur ou M. le ministre des affaires étrangères déclare qu’il n’y a pas eu contre le traité du 1er septembre ni représentation écrite ni représentation verbale, je me déclare satisfait, et je retire ma motion d’ordre à l’instant même.

M. Dumortier – M. le ministre de l'intérieur, en me répondant tout à, l’heure, a singulièrement dénaturé ma pensée. Je n’ai pas dit que le gouvernement avait donné à l’étranger des ordres contre la Belgique ; ce que j’ai dit, c’est que la conduite imprudente du gouvernement avait pu amener l’étranger à prendre des mesures de réactions contre nous ; ce que j’ai dit sous ce rapport, je le répète encore et c’est sur ce point que je désirerais avoir des explications. Est-il vrai, oui ou non, que les mesures imprudentes prises par le ministère ont un moment fait naître entre la Belgique et l’Allemagne une guerre de tarifs, que nous devrions toujours éviter ? Il faut, messieurs, que nous sachions ce qui s’est passé à cet égard avant de pouvoir discuter le traité, car le traité n’est que la suite de cette guerre de tarifs.

Le ministre a dit encore que j’avais combattu l’arrêté du 28 août. Messieurs, lorsque cet arrêté a paru, j’ai pu être surpris, comme bien d’autres, que la Belgique fît des concessions à l’Allemagne, sans recevoir en retour des concessions équivalentes ; mais, à cette époque, je dois le dire, M. le ministre de l'intérieur a donné à la chambre des explications si naturelles, que j’ai dû reconnaître que le gouvernement avait eu raison de porter cet arrêté, et alors, loin de blâmer l’arrêté, j’ai dit, au contraire, que c’était une sage mesure. Aussi j’ai déploré amèrement que le gouvernement eût retiré cet arrêté, qui était en quelques sorte une marque de bon vouloir envers l’Allemagne et dont le retrait a amené cette déplorable guerre de tarifs dont j’ai parlé tout à l’heure.

On dira peut-être que l’arrêté du 28 août a été plusieurs fois combattu dans cette chambre ; mais, je le demanderai au gouvernement, toutes les fois que cet arrêté a été attaqué, la majorité ne l’a-t-elle pas soutenu ? La chambre n’exigeait donc nullement le retrait de cet arrêté, et ce retrait était un mauvais procédé envers l’Allemagne. C’est ce que je me réserve de démontrer dans la discussion générale, car nous aurons à examiner, dans cette discussion non-seulement le traité, mais encore toutes les négociations qui en ont précédé la conclusion.

Je pense, messieurs, que le gouvernement doit nous faire un rapport sur ces négociations ; en l’absence d’un rapport, la discussion reposerait sur des articles de journaux, sur des notes insérées dans les journaux, tandis que, pour marcher régulièrement, la discussion doit porter sur des documents communiqués officiellement et loyalement à la chambre. C’est pour atteindre ce but, que j’appuie de nouveau la demande de l’honorable M. d’Elhoungne, tendant à ce que le gouvernement nous fasse ici rapport sur les négociations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il ne s’agit plus, messieurs, (page 343) de notes insérées dans les journaux ; les seuls documents qui concernent la discussion ont été, sur la demande de la chambre, imprimés au Moniteur ; c’est le memorandum de la Prusse ainsi que la réponse du gouvernement belge, jusque-là inédite. L’honorable membre n’a donc pas besoin de recourir aux journaux pour connaître les pièces relatives à la négociation ; il ne devra pas même recourir au Moniteur, car les deux pièces dont il s’agit seront déposées sur le bureau.

Il n’est pas exact de dire, messieurs (j’en demande pardon à l’honorable préopinant), il n’est pas exact de dire que le gouvernement a retiré l’arrêté du 28 août ; cet arrêté était provisoire.

Un membre – Temporaire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il était temporaire ; l’expression est même plus juste ; une première fois il a été pris pour 10 mois et conditionnellement, en attendant le résultat des négociations ; il a été prorogé deux fois ; mais les négociations étant demeurées sans résultat à l’expiration du terme de la deuxième prorogation, l’arrêté n’a pas été renouvelé ; ce dernier terme était le 1er avril de cette année. Voilà, messieurs, les faits.

L’honorable M. Dumortier a approuvé l’arrêté du 28 août, il aurait même voulu que le terme en eût été indéfini ; personne, messieurs, n’a été aussi loin, pas même le ministère, et si vous voulez bien relire la discussion du 30 août 1842, vous verrez que beaucoup de membres ont blâmé l’arrêté, même avec son caractère temporaire et conditionnel.

Ainsi, messieurs, l’arrêté n’a pas été retiré : il était temporaire et conditionnel ; le terme venant à échoir une troisième fois, et la condition manquant, l’arrêté est tombé ; de là les événements que vous connaissez. Il n’y a pas eu autre chose, et l’historique en sera complété par le dépôt des pièces, qui se fera dès ce soir ou demain matin. Des lors il ne manquera plus rien qu’une question de forme : au lieu d’un rapport adressé directement à la chambre, vous avez les pièces échangées entre le gouvernement belge et un gouvernement étranger. Je crois que la forme n’y fait rien. Je vois, du reste, avec plaisir que l’honorable M. d’Elhoungne semble reconnaître que j’ai satisfait jusqu’à un certain point à sa motion d’ordre. M. d’Elhoungne a dit avec beaucoup de raison : « Ne grandissons pas cet événement » ; je suis de son avis, ne le grandissons pas ; il ne s’agit pas ici de consacrer le triomphe d’une politique sur une autre, le triomphe….

M. d’Elhoungne – Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous avez demandé si je grandissais cet événement, je réponds non ; je ne le grandis pas ; le traité du 1er septembre ne consacre pas le triomphe de la politique allemande sur la politique française ; il n’y a pas ici deux politiques en présence ; le traité du 1er septembre porte sur des intérêts qui ne sont pas des intérêts français ; les intérêts français sont restés intacts ; voilà le terrain sur lequel nous nous plaçons ; dussions-nous, comme négociateurs, y perdre, nous acceptons modestement ce terrain. Nous avons pu, par le traité du 1er septembre, faire droit à des intérêts belges en rapport avec certains intérêts allemands et réciproquement ; c’est ce que nous avons fait.

Aucun intérêt français n’a été lésé. Je pense que personne dans cette chambre ne contestera à la Belgique indépendante le droit de faire des traités. C’est ce que personne ne fera dans cette chambre, et c’est ce qu’aucun cabinet étranger n’a fait. La Belgique indépendante avait le droit de négocier ce traité. Ce traité lèse-t-il les intérêts matériels de la France ? Non, messieurs ; mais il y a des intérêts matériels lésés ailleurs ; par exemple, les puissances du Nord ne jouiront pas des mêmes avantages que la Prusse, pour l’importation de leurs produits similaires. Ces puissances ont à se plaindre du traité, mais il en sera toujours ainsi lorsqu’on fera des traités : le Danemark, la Suède, la Russie peut-être, s’il y avait une mission russe à Bruxelles, nous diraient que les puissances du Nord ne jouissent pas des mêmes avantages que nous avons accordés au pavillon prussien pour les importations de la Baltique. Je distingue donc, messieurs : la Belgique avait-elle le droit de faire le traité dont il s’agit ? Oui, elle en avait le droit, et aucune représentation quelconque ne lui a été faite sur ce point. En second lieu, le traité porte-t-il atteinte à certains intérêts matériels ? Je réponds : Du côté de la France, non, et encore ici aucune représentation n’a été faite et n’a pu être faite. Du côté d’autres puissances, ce traité donne désormais à la Prusse des avantages dont les autres puissances du Nord ne jouissent pas ; des représentations écrites n’ont pas été faites de la part de ces puissances, mais leurs agents n’ont pas laissé de nous témoigner qu’il leur était fort peu agréable d’être à l’avenir dans une position moins avantageuse. (Interruption.) Cela va sans dire. (Nouvelle interruption.) J’ai répondu deux fois à cette question.

M. d’Elhoungne – Non

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’y répondrai une troisième fois. Le Danemark, la Suède voient sans doute avec déplaisir que désormais le pavillon prussien aura des avantages sur le pavillon danois, sur le pavillon suédois ; de ce côté donc, il y a eu, non pas des représentations, mais des observations présentées comme on le fait tous les jours dans les conférences avec le ministre des affaires étrangères, et même avec le ministre qui est chargé du commerce. Je crois, messieurs, qu’il ne faut pas s’arrêter à de semblables observations ; si l’on s’y arrêtait, on serait condamné à l’impuissance, à une complète inaction.

M. Lys – On ne ferait jamais rien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Evidemment, on ne ferait jamais rien.

Cet acte, messieurs (et je réponds ici à l’honorable M. d’Elhoungne qui m’a interrompu tout à l’heure), cet acte a-t-il donné lieu à des représentations de la part du gouvernement français ? Non, messieurs…

M. d’Elhoungne – A des représentations verbales.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ni à des représentations verbales, ni à des représentations écrites, parce que 1°, le gouvernement français ne peut pas contester à la Belgique indépendante le droit de faire un traité ; parce que 2° le traité ne lèse aucun intérêt français. Voilà, messieurs, ma réponse et ma double réponse.

M. Castiau – La question de forme.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Qu’est-ce que la question de forme ? La Belgique a conclu un traité avec une puissance ; elle traitera avec la Hollande, elle traitera avec le Brésil, elle traite avec les Etats-Unis, elle traite avec la France. Voilà cinq puissances avec lesquelles la Belgique a des négociations ; or, je ne pense pas que lorsqu’elle est au point de conclure avec l’une de ces puissances, elle doive l’annoncer aux quatre autres, et leur demander la permission de conclure. Je n’ai jamais cru que le traité avec l’Allemagne, tel que nous l’avons fait, pût blesser les intérêts français, et dès lors, nous n’avons pas cru devoir demander à la France la permission de conclure ce traité. Demander cette permission serait jusqu’à un certain point faire l’aveu d’une offense possible, et nous nous sommes bien gardés de nous placer sur ce terrain.

Les négociations avec la France ont pu se ralentir, mais il est vrai de dire qu’il y a presque toujours eu des négociations avec la France (Interruption.)

Notre système consiste à dire que la Belgique indépendante, telle qu’elle est constituée, peut avoir des traités avec plusieurs puissances. C’est dans ce système que nous restons ; nous n’avons pas crû offenser l’une des cinq puissances que je citais tout à l’heure, en réussissant dans les tentatives que nous faisons avec l’une d’elles.

Ainsi, qu’on veuille bien voir les faits dans toute leur simplicité ; s’il s’est écoulé seulement onze jours entre la notification de la réponse au gouvernement prussien et le traité du 1er septembre, si la négociation a été terminée en quelques jours, c’est que les événements avaient tout préparé, c’est que nous nous trouvions à l’égard de l’Allemagne, dans un état de crise que nous devions faire cesser le plus promptement possible. Je n’attribue pas une portée antifrançaise au traité du 1er septembre, et je serais désolé qu’on pût lui donner cette portée.

M. le président – La parole est à M. Verhaegen ; je prie encore une fois les orateurs de se renfermer dans les limites de la motion de M. d’Elhoungne.

M. d’Elhoungne – Je demande un moment la parole pour une explication.

J’ai déjà dit que je retirais ma motion. D’ailleurs, d’après les explications que vient de nous donner M. le ministre de l'intérieur, il n’est pas douteux que le rapport écrit serait la reproduction exacte de ce que vous venez d’entendre. Or, pour n’avoir d’autres explications que celles qui nous ont été données aujourd’hui et qui suffisent jusqu’à un certain point aux besoins de la discussion, il me paraît inutile de pousser plus loin ce débat. Ma motion doit donc être considérée comme non avenue.

M. Verhaegen – Messieurs…

M. le président – Je dois déclarer que la chambre n’est pas saisie de la proposition de M. d’Elhoungne.

M. Verhaegen – Nous la reprendrons peut-être.

Messieurs, j’ai demandé la parole, lorsque j’ai entendu tout à l’heure M. le ministre de l'intérieur faire une première réponse très-laconique, et, d’après moi, très-inconvenante, à des observations qui avaient été soumises par l’honorable M. Dumortier.

« Comment, dit M. le ministre de l'intérieur à l’honorable M. Dumortier, vous n’êtes pas hostile au traité, et vous vous réservez de blâmer le ministère ! »

M. le ministre de l'intérieur se récrie contre cette réserve, et il ose avancer que s’il ne mettait pas de la modération dans ses paroles, il pourrait être très-désobligeant envers M. Dumortier.

Messieurs, je comprends fort bien que des honorables collègues puissent se trouver dans la nécessité de donner un vote approbatif au traité, tout en blâmant le ministère. Quant à moi, je ne sais pas encore quel parti je prendrai : je me réserve à cet égard une entière indépendance. Mais, en attendant, je ne pouvais pas laisser sans réponse l’observation de M. le ministre de l'intérieur ; je vais m’expliquer en peu de mots :

L’honorable M. Dumortier disait au gouvernement qu’il importait à la chambre de savoir, entre autres, ce qui avait amené les mesures de représailles de la part de la Prusse ? Et M. le ministre de l’intérieur de lui répondre : « Je n’ai pas besoin de vous faire connaître les causes, lisez le memorandum prussien et la réponse du gouvernement belge, et vous les connaîtrez. » Eh bien, j’ai ce memorandum sous les yeux, et j’y trouve en termes explicites que les mesures de représailles de la Prusse n’ont été provoquées que par un manque de foi de la part du gouvernement belge, par une violation d’une convention qui devait être sacrée, quoiqu’elle ne fût que verbale. Je vois ensuite, par la réponse du gouvernement belge, qu’une accusation si grave lancée à la face de l’Europe est restée debout ; au lieu d’une défense digne du sujet, je n’y trouve que des arguties et des chicanes.

Le résumé du memorandum prussien, c’est l’assertion d’une convention verbale faite avec le gouvernement belge, et que le gouvernement belge a violée ; c’est une accusation de mauvaise foi adressée à notre gouvernement (page 344) par le gouvernement prussien, et cette accusation est restée sans réponse.

Dans des circonstances aussi graves, M. Dumortier n’avait-il pas le droit de demander au ministère quelle avait été dans les négociations sa position vis-à-vis du gouvernement prussien ? N’avait-il pas le droit de s’enquérir si l’accusation dirigée contre le gouvernement belge était ou n’était pas fondée ? N’est-il pas du devoir d’un représentant de mettre le ministère à même de se disculper s’il en avait les moyens ?

Et, messieurs, si, en dernière analyse, le manque de foi, la violation de la convention au mépris du droit des gens, restaient démontrés, le gouvernement serait-il moins blâmable, parce qu’il aurait réussi, après des négociations nouvelles, à conclure un traité que la chambre serait forcée d’accepter ?

La loyauté belge, qui est et restera proverbiale, entraînera probablement, de la part de la chambre, une concession à l’égard d’un gouvernement étranger qui a eu à se plaindre d’un acte de mauvaise foi de la part du cabinet de Bruxelles ; mais en faisant cette concession, la chambre conservera toujours son droit de blâme contre le gouvernement. Elle rachètera, au moyen de sacrifices, une violation flagrante d’une convention internationale.

M. le ministre de l'intérieur avait donc tort de se récrier contre les observations de l’honorable M. Dumortier, observations qui étaient marquées au coin de la justice, et qui étaient nécessitées par les circonstances.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le rescrit du cabinet prussien du 21 juin a été motivé par un fait qui vous est connu : c’est que l’arrêté du 28 août, prorogé pour la seconde fois, est venu à cesser au 1er avril.

Ets-il vrai qu’il y ait eu une convention verbale, en ce sens que le ministère belge se serait indéfiniment engagé à maintenir cette faveur qui, d’après les pièces officielles, et les discussions de la chambre, n’était que temporaire et conditionnelle ? Cet engagement n’a pas existé ; c’est ce que nous avons dit dans le memorandum du gouvernement belge. C’est là notre réponse.

Je ne dois donner aux paroles du memorandum prussien d’autre portée que celle-ci : c’est qu’on avait l’espoir que cette faveur serait continuée ; mais cet espoir s’est trouvé n’être plus réalisable, par suite des observations qui ont été présentées dans l’une ou l’autre chambre. Voilà les faits. Il n’y a là ni manque de loyauté, ni manque de bonne foi de la part du gouvernement belge : cela ne résulte ni ne peut résulter des faits.

M. Devaux – Je regrette de devoir prendre une seconde fois la parole, pour redresser les faits avancés par M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l’intérieur vient de dire que le gouvernement prussien n’a eu que l’espoir de voir continuer l’arrêté du 28 août, mais le gouvernement prussien a considéré l’arrêté sur les vins et les soieries d’Allemagne, comme l’accomplissement d’un engagement. Cela résulte de la note dont je vais donner lecture :

« Le gouvernement prussien fit faire à Bruxelles les représentations les plus pressantes en déclarant en même temps que, si l’on n’y faisait pas droit, il ne resterait au Zollverein que de répondre aux mesures si préjudiciables aux fils et tissus de lins allemands par des représailles sur les fers de la Belgique. On se réfère ici aux négociations qui ont eu lieu à ce sujet. Elles n’étaient que verbales et confidentielles, mais la Prusse ne les croyait pour cela pas moins obligatoires. Elles eurent le résultat, que la Prusse consentit à s’abstenir de représailles contre les fers belges, mais qu’en revanche le gouvernement belge s’engagea à étendre sans délai aux vins et soieries d’Allemagne les concessions que la convention avait stipulées pour ceux de France. Le cabinet de Bruxelles connaît parfaitement l’influence que ces arrangements confidentiels ont eue sur la loi du 6 août, qui approuve la convention du 16 juillet, et qui, dans son article 1er, porte, que « le Roi, dans l’intérêt du pays, pourra étendre à d’autres Etats les réduction stipulées par l’art. 2 de ladite convention ».

« Le gouvernement belge remplit son engagement par l’arrêté du 28 août, et quoique celui-ci n’ordonnât que provisoirement et en attendant le résultat des négociations ouvertes avec l’Allemagne, l’application des réductions résultant de l’art. 6 de l’arrêté royal du 12 août courant, aux vins et soieries de provenance allemande, le gouvernement prussien, « par égard pour la situation de celui de Belgique, ne crut pas devoir relever cette déviation de ce qui avait été convenu. »

Il est impossible, avec les formes polies de la diplomatie, de dire en termes plus clairs qu’il y avait un engagement verbal du gouvernement belge, de prendre une mesure permanente à l’égard des vins et des soieries de l’Allemagne ; et, en second lieu, que le gouvernement prussien n’a pas relevé les expressions de l’arrêté, par égard pour la position du ministère vis-à-vis des chambres auxquelles on disait que cette mesure n’était pas permanente, n’était point le résultat d’un engagement.

Que résulte-t-il de cette note ? C’est que le ministère a d’abord trompé la chambre, et puis qu’il a trompé le gouvernement prussien.

Devant une accusation si grave, qui devrait révolter la dignité d’un gouvernement, que répond le ministère belge :

« Il soutient ce qu’on ne lui contestait pas, que le texte de l’arrêté portait qu’il était temporaire. » Mais quant aux engagements verbaux qu’on l’accuse d’avoir pris contrairement au texte de l’arrêté et d’avoir violés ensuite voici toute sa réponse :

« Ces insinuations ne reposent sur aucun fait précis ; on les appuie sur des communications verbales, fugitives de leur nature, dont le sens et la portée sont toujours plus ou moins incertains et susceptibles d’être interprétés de divers manières, selon le point de vue où l’on se place. »

Devant une accusation aussi sanglante, voilà le langage de votre gouvernement. Voilà comment il se croit lavé vis-à-vis de l’étranger.

Les engagements dont on lui parle, ce sont des conversations que chacun explique à son point de vue. On accuse le gouvernement belge d’un double manque de foi, et il se borne à répondre : « Vous l’entendez ainsi, nous l’entendons autrement. » Ne doit-on pas se demander si, après un pareil aveu, le gouvernement était, vis-à-vis du gouvernement prussien, dans une position convenable pour négocier ? N’est-ce pas cette question qui a forcé les ministres qui devaient négocier à se reconnaître en quelque sorte indignes de traiter avec le négociateur prussien, et à se cacher derrière un de leurs collègues qu’ils ont été prendre au département des travaux publics, pour le charger de la négociation ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je savais que s’il s’agissait d’opter entre un gouvernement étranger et le gouvernement de la Belgique, l’honorable préopinant donnerait tort au gouvernement de son pays.

M. Devaux – Il faut de la bonne foi dans les négociations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il y a eu bonne foi. La réponse au gouvernement prussien se trouve dans le memorandum déposé sur le bureau et dont l’honorable préopinant invoquait des conventions verbales. D’abord, je ne sais pas ce que c’est que des conventions verbales entre deux gouvernements. Les gouvernements invoquent des conventions officielles, des discussions publiques. Je ne veux pas examiner si le gouvernement prussien a eu tort ou raison d’invoquer ce qu’on appelle des conventions verbales, dans ce memorandum. Mais on ne peut accuser le gouvernement belge ni de mauvaise foi, ni de déloyauté ; car il a pour lui les actes officiels, les discussions publiques.

Nous nous sommes crus indignes de paraître devant le plénipotentiaire prussien, a dit l’honorable préopinant. Qui veut-on désigner ? J’ai pris part à la négociation dès qu’elle a commencé ; dès le premier jour, j’y ai pris une part active comme celle qui me revenait dans une négociation de ce genre. Si les ministres des finances et des travaux publics ont été associés à cette négociation, c’est qu’il s’agissait d’un acte important et qu’ils devaient y apporter le contingent de leurs lumières ; il n’y a pas eu d’autre motif à leur intervention.

Voici comment nous nous exprimons dans notre note en réponse au memorandum du gouvernement prussien.

Je vais vous lire ce passage, un peu long peut-être :

« Le mémoire du gouvernement prussien laisse supposer que des engagements indéfinis avaient été pris au sujet de la disposition de l’arrêté du 28 août relative aux vins et aux soieries d’Allemagne. Il semblerait, à l’entendre, que le gouvernement belge avait reconnu que cet arrêté était dû à l’Allemagne comme réparation de la convention du 16 juillet. Ces insinuations ne reposent sur aucun fait précis ; on les appuie sur des communications verbales, fugitives de leur nature, dont le sens et la portée sont toujours plus ou moins incertains et susceptibles d’être interprétés de diverses manières, selon le point de vue où l’on se place.

« Ce n’est pas là qu’il faut puiser, en pareille matière, les éléments d’appréciation. Ce n’est pas, non plus, dans quelques phrases incidentes d’un discours que l’on isole ; c’est dans l’ensemble des faits officiels, avérés, incontestables. »

« Or, ces faits s’accordent ici parfaitement avec les explications données plus haut sur le caractère véritable de la disposition relative aux vins et soieries d’Allemagne.

En effet, le texte même de l’arrêté du 28 août 1842, et la discussion à laquelle cet arrêté a donné lieu, le surlendemain de sa date, c’est-à-dire le 30 août 1842 dans le sein de la chambre des représentants, déterminent nettement le caractère essentiellement temporaire et conditionnel de cet acte. Le dispositif de cet arrêté est ainsi conçu :

« Provisoirement, et en attendant le résultat des négociations ouvertes avec l’Allemagne, les réductions résultant des articles 6 et 8 de l’arrêté royal du 13 courant, seront appliquées aux vins et soieries de provenance allemande. Cette disposition viendra à cesser au 1er juillet 1843, si elle n’est renouvelée à cette époque. »

« On voit qu’il est impossible d’exprimer en termes plus formels le double caractère provisoire et conditionnel de la mesure : elle était prise pour dix mois, et son existence était subordonnée au résultat des négociations. C’était là une déclaration bien claire, sur le sens de laquelle personne ne put se méprendre.

« Elle fut confirmée de tous points par les explications du ministre de l’intérieur dans la séance du 30 août, lequel répéta, à plusieurs reprises, que, si la Belgique ne recevait pas de compensation par les négociations ouvertes, l’arrêté viendrait à tomber de plein droit.

« Aucune protestation ne fut adressée au gouvernement belge, ni sur la réduction de l’arrêté du 28 août, ni sur le commentaire qui lui fut publiquement donné. On ne songea pas alors à invoquer le droit dont on prétend se prévaloir aujourd’hui.

« L’arrêté a été prorogé à deux reprises pour un terme de quatre mois d’abord, et ensuite de cinq mois ; mais toujours sous les mêmes réserves ; et ces prorogations, dont le motif a été exposé au commencement de ce travail, ne font que mieux ressortir le caractère provisoire de la disposition. Les expressions ne laissent subsister, à cet égard, aucun doute. Voici le texte de l’acte du 27 juin 1843 :

« LEOPOLD, etc.

« Vu l’article 2 de la loi du 6 août 1842 ;

« Revu notre arrêté du 28 août qui, jusqu’au 1er juillet 1843, applique aux vins et soieries de provenance allemande, le bénéfice des réductions résultant des articles 6 et 8 de notre arrêté du 12 août ;

(page 345) « Sur la proposition de nos Ministres de l’intérieur et des finances ;

« Sur la proposition de nos Ministres de l’intérieur et de finances ;

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Article unique. Notre arrêté du 28 août 1842 est prorogé au 1er novembre prochain, auquel jour, à défaut de prorogation nouvelle, il cessera de plein droit ses effets.

« Nos Ministres de l’intérieur et des finances sont chargés de l’exécution du présent arrêté.

« Donné à Londres, le 27 juin 1843.

« (Signe) LEOPOLD.

« Par le Roi : les Ministres de l’intérieur et des finances

« (Signé) NOTHOMB MERCIER. »

« Le second arrêté de prorogation, qui porte la date du 5 novembre suivant, est ainsi conçu :

« LEOPOLD, etc.

« Vu l’article 2 de la loi du 6 août 1942 ;

« Revu 1° notre arrêté du 28 août qui, jusqu’au 1er juillet 1843, applique aux vins et soieries de provenance allemande le bénéfice des réductions résultant des articles 6 et 8 de notre arrêté du 10 août ;

« 2° Notre arrêté du 27 juin de cette année qui proroge le terme susindiqué au 1er novembre ;

« Sur la proposition de nos Ministres de l’intérieur et des finances ;

« Nous avons arrêté et nos arrêtons :

« Art. 1er. Notre arrêté du 28 août 1842 est remis en vigueur jusqu’au 31 mars 1844, auquel jour, à défaut de prorogation nouvelle, il cessera de plein droit ses effets.

« Art. 2. Nos ministres de l’intérieur et des finances sont chargés de l’exécution du présent arrêté.

« Donné à Bruxelles, le 5 novembre 1843.

« (Signe) LEOPOLD.

« Par le Roi : les Ministres de l’intérieur et des finances

« (Signé) NOTHOMB MERCIER. »

« La forme et la durée limitée de ces prorogations qui eurent lieu toutes deux, depuis l’entrée dans le cabinet des affaires étrangères actuel, ne donnèrent lieu à aucune espèce de réclamation de la part du ministre du Prusse. Jamais, d’ailleurs, elles ne furent demandées comme l’acquittement d’une dette ; elles ne l’ont été que comme un moyen de maintenir les négociations ouvertes avec l’espoir qu’elles conduiraient enfin à un résultat favorable. Il est vrai que, dans une dépêche du 21 octobre 1843, M. le ministre de Prusse à Bruxelles, à l’approche du terme fixé pour la durée des faveurs accordées aux vins et aux soieries d’Allemagne, a appelé l’attention du gouvernement belge sur les conséquences possibles de la prorogation de l’arrêté du 28 août 1842, en déclarant que l’Allemagne serait, par rapport à la Belgique, dans la position où elle s’était trouvée le lendemain de la convention belge-française du 16 juillet 1842. Mais il est à remarquer que, dans la deuxième partie de la dépêche, le même ministre se borne à demander la prorogation comme moyen de maintenir les négociations ouvertes et insiste même afin que la durée de cette prorogation nouvelle soit assez longue pour que, dans l’intervalle, les négociations puissent arriver à leur terme. Et ce qui est tout aussi important, le gouvernement belge, lorsqu’il accusa réception de cette dépêche, en faisant entendre qu’une prorogation pourrait être accordée, déclara formellement que c’était sans entrer dans l’examen des observations présentées par le ministre de Prusse au sujet de l’arrêté du 28 août. La prorogation a été accordée, comme on l’a vu plus haut, temporairement et conditionnellement, et elle a été suivie du silence prolongé du cabinet de Berlin.

« L’espoir que l’on avait conçu d’arriver enfin à la conclusion d’un arrangement, ne s’étant pas réalisé, le gouvernement belge se vit forcé de ne pas effectuer une troisième fois le renouvellement de l’arrêté ; et, en agissant ainsi, il n’ a pas manqué aux égards dus au Zollverein, ni, de ce chef, provoqué légitimement des représailles comme on paraît le supposer. Il a obéi à une nécessité de sa position. Du reste, de l’aveu du gouvernement prussien, il n’est résulté de là aucun préjudice sensible pour les relations commerciales avec l’Allemagne. Dans le mémoire remis par M. le baron d’Arnim, on reconnaît que des réductions de droit sur les vins et les soieries avaient très-peu d’intérêt pour le Zollverein, attendu que la consommation des vins allemands est très-limitée en Belgique et que la réduction en ce qui touche les soieries n’augmentait point l’importation dans ce pays, ou, du reste, la fabrication de soie d’Allemagne et celle de France trouvent leur marché pour des articles tout à fait différents. »

Vous voyez donc que le gouvernement belge a répondu en citant le texte des trois arrêtés, tous trois temporaires et conditionnels, en citant, comme le fait le memorandum prussien, les discussions des chambres.

Qui donc a-t-on pu tromper ? Evidemment, l’intention de tromper n’a pu entrer dans les vues du gouvernement belge. C’était chose impossible en présence du texte et des discussions publiques. Il peut y avoir eu méprise de la part du gouvernement prussien, mais il y aurait folie de la part du gouvernement belge de croire à la possibilité de tromper avec le texte et les discussions qui ont eu lieu. S’il y a eu méprise d la part du gouvernement prussien, est-ce que la faute doit retomber sur les ministres belges ? C’est ce que demandent les préopinants.

Je le dis de nouveau, il n’y a pas eu de conventions verbales dans les sens indiqué dans le memorandum prussien ; mais j’ajouterai que certainement les ministres belges ont témoigné l’espoir qu’on parviendrait à maintenir l’arrêté aussi longtemps que possible. Voilà l’espoir qu’on a fait naître, rien de plus. Si on a supposé plus, c’est qu’il y a eu méprise et malentendu.

M. Devaux – M. le ministre de l'intérieur vient de m’adresser une interpellation à laquelle je prendrai la liberté de répondre. Il dit que le gouvernement a répondu au memorandum prussien en citant le texte des arrêtés et des discours prononcés devant cette chambre. Je l’avais reconnu tout à l’heure, c’est aussi ce que dit la note prussienne, mais elle ajoute que le gouvernement prussien n’a pas relevé les termes de ces arrêtés par égard pour la position du ministère, mais qu’il y avait eu des conventions verbales d’une nature contraire. M. le ministre de l'intérieur nie qu’il y en ai eu. Je réponds que le langage du gouvernement pour repousser une accusation pareille devait être tout autre qu’il n’a été.

On me dit : Voulez-vous accuser le gouvernement de votre pays de préférence à celui de l’étranger ?

Le gouvernement de l’étranger, je n’ai pas de pouvoir sur lui ; mais le gouvernement du pays, j’ai le droit de le contrôler, et quand je vois le défaut de franchise de ce gouvernement entraîner coup sur coup les inconvénients les plus graves, menacer la Belgique d’une guerre douanière, j’ai le droit de dire que si, au lieu de manquer de franchise vis-à-vis des gouvernements étrangers et des chambres, vous aviez dit : L’arrêté que je prends, je crois devoir le prendre d’une manière permanente, j’en ai pris l’engagement. Si le gouvernement avait exprimé toute sa pensée et donné ses raisons, s’il n’avait cherché à aveugler la chambre ou le gouvernement prussien, vous n’auriez pas eu cette crise entre la Belgique et la Prusse, qui pouvait amener les plus graves conséquences.

Il en a été ici, comme de ces conventions avec la Hollande dont nous nous sommes occupés, il y a quelques jours. Si on avait produit à temps avec franchise les conventions faites, les engagements pris, l’affaire eût présenté probablement peu de difficultés, tandis qu’elle peut en amener aujourd’hui, parce qu’on a manqué de franchise envers la chambre.

Soyez francs avec les chambres et les gouvernements étrangers, vous pourrez négocier avec dignité, vous ne serez pas obligé de demander pardon avant de pouvoir négocier et de vous mettre dans une position où vous ne pouvez négocier avec fermeté et d’une manière convenable.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il fallait, dit l’honorable préopinant, être franc avec la chambre et lui dire, quand il s’est agi de l’arrêté du 28 août 1842, quel devait être le résultat de cet acte. C’est ce que nous avons fait. Qu’il veuille bien relire la discussion du 30 août, il verra que jamais langage plus formel n’a été tenu. Nous avons dit que cet arrêté était nécessaire, que, ne pas le prendre, c’était compromettre tout un système de négociations avec l’Allemagne ; nous avons dit que, s’il n’était pas pris, l’Allemagne aurait peut-être recours à des mesures de représailles. J’aurais peut-être le droit de donner lecture non-seulement de quelques phrases et d’un discours de M. de Briey, mais de plus de six discours qui ont été prononcés par les différents ministres. Nous nous sommes permis de vous dire : Cet arrêté est indispensable ; si on ne l’avait pas pris, l’Allemagne pourrait au moins se refuser de traiter avec nous. J’ai même cité les fers ; on a montré de l’incrédulité.

Tout ce que j’ai dit au 30 août a été vérifié par les événements. Il se trouve que celui qui a bien vu les événements, qui, sans se donner pour un prophète, a bien prophétisé, est précisément celui qu’on blâme.

Vous supposeriez, d’après l’observation de l’honorable M. Devaux, que l’arrêté du 28 août a été inséré furtivement dans le Moniteur et dans le Bulletin officiel ; mais c’est le surlendemain de sa date, le 30 août, qu’une discussion, qui a duré une séance entière, s’est élevée sur cet arrêté. L’arrêté a été blâmé par beaucoup d’orateurs ; je ne veux pas les citer.

J’ai pris une première fois la parole et je dis :

« L’honorable préopinant vous a rappelé, messieurs, que très-souvent il vous a dit, dans nos discussions concernant nos affaires commerciales, que l’on avait fait des concessions aux Etats voisins et qu’on se trouvait désarmé. Mais ici, l’on entendait parler des concessions faites indéfiniment, sans assignation de terme, et là était l’imprudence. C’est pour cela que le gouvernement se considère comme désarmé. Mais non-seulement je ne regarde par l’arrêté du 28 août comme un acte imprudent, mais je voudrais encore que plusieurs mesures de ce genre eussent été prises et pussent l’être. C’est ainsi que je voudrais que, par la loi du 6 juin, qui a une durée indéfinie, on eût mis en quelque sorte les pays qui en profitent en mesure de nous donner des compensations. Pour les droits de navigation, nous traitons les navires de la Prusse, par exemple, sur le pied des nations favorisées. Cette concession se continue indéfiniment. Je voudrais que la première fois qu’on a accordé cette faveur, on eût fixé un terme.

« Ainsi, on ne s’est pas privé de moyens d’action sur l’Allemagne. On a fixé un terme assez court, quand il s’agit de négociations. Mais ce qu’il y avait à craindre, c’était d’amener un refroidissement dans nos relations avec l’Allemagne, d’amener peut-être des mesures de représailles, ou bien de simples modifications aux tarifs allemands qui nous eussent été défavorables et qu’on avait cherché à justifier par la convention du 16 juillet dernier. Il y aurait eu imprudence, à s’exposer à une semblable éventualité.

« Messieurs, des négociations sont ouvertes avec l’Allemagne ; il faut qu’elles continuent sans amener de collision entre nous et les puissances allemandes ; la convention du 16 juillet est un acte tout nouveau, il ne fallait pas non plus en laisser exagérer la portée ; on en aurait exagéré la portée si la Belgique eût exigé immédiatement des concessions. Je concevrais (page 346) ces objections que l’on a faites, si l’arrêté du 28 août avait accordé cette faveur indéfiniment ; mais telle n’est pas la portée de cet arrêté ; un terme est fixé, et, je le répète, je voudrais qu’un terme eût été également fixé pour les différentes autres dispositions que nous avons maintenues en faveur de l’Allemagne. »

Reprenant la parole, j’ai insisté et j’ai ajouté :

« Je regarde l’acte qu’on attaque comme nécessaire ; s’il ne l’était pas, je n’hésiterais pas, en ce qui me concerne, à le proposer. Je ferai observer que la mesure a une limite assignée d’une manière positive. Cette faveur est accordée à l’Allemagne pour six mois. Au 1er juillet 1843, il ne s’agira plus de retirer la mesure, l’abstention la fait tomber ; elle vient à cesser si elle n’est pas expressément renouvelée. C’est assez dire à ceux avec lesquels on négocie : « Si d’ici au 1er juillet, nous n’avons pas obtenu de compensations quelconques, la mesure ne sera pas prorogée. » Il n’est pas exact de dire qu’il faudra un acte nouveau pour la faire cesser au 1er juillet 1843. »

On me dit : Je vous défie de ne pas la renouveler. Je regrette, je le dis de nouveau, qu’un terme de ce genre n’ait pas été inséré dans la loi du 6 juin ; dans la disposition qui applique aux navires prussiens les droits des nations favorisées, il a été question plusieurs fois de voter une loi portant que le gouvernement serait autorisé à retirer, en tout ou en partie, la loi du 6 juin. Si cette loi avait été votée, je n’aurai pas rompu immédiatement, j’aurai également assigné un terme, j’aurais cru agir très-prudemment et très-convenablement.

« Que feriez-vous, dit-on, si l’Angleterre venait vous dire : Je réclame pour les soieries la faveur que vous avez accordée à l’Allemagne ? Je me demanderais quel mal l’Angleterre peut faire à la Belgique ?

« A l’Espagne, si elle vient nous dire : Accordez-nous la même faveur qu’à la France, je répondrai : Vous nous avez fait tout le mal possible quand vous avez changé votre tarif en ce qui concerne les toiles, vous ne pouvez plus nous faire de mal. Si vous voulez rétablir votre ancien tarif vous aurez la faveur que vous réclamez.

« Maintenant, pouvions-nous dire à l’Allemagne : Nous n’avons rien à craindre de vous ? J’en appelle à tous ceux qui connaissent nos relations avec l’Allemagne.

« Nous avons avec elle des négociations sérieusement ouvertes. Si elles n’amènent aucun résultat, il est évident que la mesure du 28 août, et beaucoup d’autres, viendront à tomber. Ce jour arrivera peut-être. Nous comptons alors que le système de vigueur qu’on préconise maintenant sera appuyé, et fortement appuyé par ceux qui nous attaquent. Le jour n’est peut-être pas loin où vous révoquerez plusieurs des dispositions existantes en faveur de l’Allemagne. Vous révoquerez la loi du 6 juin en tout ou en partie ; vous ne traiterez plus les navires prussiens sur le pied des nations favorisées ; vous restreindrez peut-être la mesure du remboursement sur l’Escaut ; mais attendez que le temps ait marché, que tous les faits soient accomplis, qu’il soit démontré à l’évidence qu’il n’y a rien à faire avec l’Allemagne. Nous n’en sommes pas encore là. Il ne fallait pas précipitamment altérer le statu quo. »

Reprenant la parole une troisième fois, je disais :

« La question est de savoir si, pour cela, vous allez compromettre vos relations avec l’Allemagne, au moment où vous négociez avec elle. Je dirai même que vous ne devez pas le faire, précisément à cause de vos négociations avec la France. Comment ! vous rompriez peut-être définitivement avec l’Allemagne, lorsque vous avez l’air de menacer la France d’une alliance avec l’Allemagne. Tous les jours, on dit ici : « Si la France ne fait rien pour nous, nous nous adresserons à l’Allemagne ; » et vous voulez soulever contre nous l’Allemagne !

« Nous savions que nous serions critiqués ; mais j’aime mieux avoir la responsabilité de cet acte que celle des éventualités que l’on aura eues à craindre. Cet acte ne compromet rien. Il est appliqué pour dix mois à l’Allemagne. Si, d’ici là, vous n’avez rien obtenu, vous devrez prendre une attitude toute nouvelle. »

Je pris la parole une quatrième fois, pour reproduire toutes ces observations ; je disais :

« Pour attaquer l’arrêté, on lui donne toujours une portée qu’il n’a pas.

« C’est la première fois qu’on dit à un Etat voisin : « Je vous accorde telle faveur, mais en y assignant un terme. » Il est à regretter que l’on n’ait pas fait de même dans la loi du juin 1839, et peut-être, à certains égards, dans la loi relative au remboursement des péages sur l’Escaut.

« Par l’arrêté du 28 août, vous ne vous dépouillez de rien ; vous faites un sacrifice peu important et, pour dix mois. Mais vous savez aussi que si ces dix mois s’écoulent sans qu’il soit accordé une compensation quelconque, la concession que vous avez faite ne continuera pas. Cela résulte évidemment des termes de l’arrêté du 28 août. Vous avez fait un acte de bon voisinage ; rien de plus.

« Je demande ce que l’Allemagne a fait contre vous depuis un an. Cependant vous avez fait l’hiver dernier (et vous avez bien fait) plusieurs modifications à votre tarif, qui frappent l’Allemagne.

« Je vois qu’il faut encore rester dans le statu quo. L’arrêté du 28 août n’a pas d’autre portée. Il y a plus : par la convention du 16 juillet, vous avez frappé l’Allemagne ; vous vous êtes obligés à élever démesurément les droits sur les toiles et les fils d’Allemagne. C’est la France qui l’a demandé. Je crois que la Belgique, abandonnée à elle-même, ne l’eût pas fait, ne l’eût pas cru nécessaire.

« Je demande toujours ; « Qu’est ce que l’Allemagne a fait contre vous dans ces derniers temps ? Rien. Fallait-il aujourd’hui donner à l’Allemagne un prétexte de changer ses tarifs contre vous ? Je crois que c’eût été une véritable imprudence dont se seraient plaints tous les intérêts qui auraient pu être froissés en Belgique.

« Je dis, par exemple, que l’honorable membre qui me répond par un signe de dénégation, eût été le premier à taxer le gouvernement belge d’imprudence, si l’Allemagne avait changé son tarif quant aux fontes et aux fers, en prenant pour prétexte la convention du 16 juillet dernier.

« Il aurait dit : Pour un léger sacrifice, vous auriez pu maintenir le statu quo dans nos relations douanières avec l’Allemagne.

« Messieurs, la France ne peut se plaindre, parce que, selon moi, cette application de la réduction aux soieries et aux vins de l’Allemagne, n’augmentera pas la consommation de ces objets en Belgique. Les soieries entreront moins par fraude ; les vins allemands n’entreront pas en Belgique en plus forte quantité par suite de la réduction. L’expérience vous le démontrera. »

Enfin, j’ai pris une cinquième fois la parole pour indiquer le véritable caractère de l’arrêté du 28 août.

La chambre n’a donc pas été trompée sur cet arrêté ; mais, qu’il me soit permis de le dire, la majorité n’a pas cru aux prévisions du ministère.

L’Allemagne a-t-elle pu être trompée ? L’acte officiel, tous les actes officiels, les discussions publiques sont là. J’ai le droit de les invoquer, puisque le gouvernement prussien lui-même indique un de mes discours dans son memorandum.

Notre conduite, en cette occasion, n’en déplaise à l’honorable préopinant, a été franche, ferme et prévoyante.

L’arrêté du 28 août a été porté ; il a été l’objet d’un blâme presque universel dans cette chambre et en dehors de cette chambre. Vous savez ce qui est avenu. Je ne me serais pas permis de la rappeler. Mais accusé, et en des termes assez durs, par l’honorable préopinant, vous me pardonnerez si je rappelle un acte qui a donné un démenti à quelques membres de la chambre. Nous avons vu juste ; nous avons dit la vérité.

Maintenant, s’il a plu à un gouvernement étranger de donner une autre portée à cet arrêté, je n’ai pas le droit d’examiner sa conduite. Tout ce que je dois faire, c’est de disculper le gouvernement belge ; je crois l’avoir complètement disculpé, en rappelant la discussion publique que l’honorable préopinant semblait avoir perdue de vue.

On a dit à la chambre ce que c’était que l’arrêté du 28 août, quelle était sa portée, en quoi il était nécessaire. Cela été déclaré de la manière la plus formelle.

M. Devaux – Toujours est-il qu’on n’a pas dit à la chambre qu’il y avait eu engagement. Le gouvernement prussien affirme qu’il y a eu engagement. C’était la seule chose importante : M. le ministre de l'intérieur n’a pas répondu à cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je déclare de nouveau qu’il n’y a pas eu de notre part engagement de maintenir indéfiniment l’arrêté du 28 août.

M. Devaux – Ce que j’avais blâmé, c’est qu’on n’eût pas dit à la chambre qu’il y avait engagement, tandis que le gouvernement prussien l’affirme.

Certes, pour qu’un diplomate, de l’importance du ministre prussien à Bruxelles, affirme qu’il y a eu engagement, il faut qu’il l’ait cru. Et comment le ministère a-t-il pu laisser subsister, dans l’esprit du gouvernement prussien, une pareille erreur ? Les rapports du ministère avec les diplomates ne consistent pas seulement en des notes échangées : il y a des conversations, et dans ces conversations, le fait de l’engagement a dû être allégué avant de l’être dans la note ; si le ministre prussien se trompait, pourquoi ne l’a-t-on pas fait revenir de son erreur, avant que l’accusation soit passée dans le mémoire officiel ?

S’il y a eu défaut de franchise dans les rapports du cabinet belge avec le cabinet prussien, il y a eu de plus absence complète de dignité dans la manière dont on a répondu à l’accusation d’avoir manqué à la foi promise.

M. le ministre nous a dit qu’il n’a rien caché à la chambre au sujet de l’arrêté du mois d’août relatif aux vins et aux soieries d’Allemagne ; qu’il a prouvé que cet arrêté est nécessaire ; que sa non-prorogation pourrait amener une rupture et les conséquences les plus graves ; qu’il avait prédit ce qui est arrivé ; que lui seul avait bien vu. Quoi ! M. le ministre savait tout cela, et cependant c’est par son fait que l’arrêté n’a pas été prorogé. Vous aviez conscience du mal que vous alliez faire, et vous faites le mal ! Comment ! on prévoit que la non-prorogation de la mesure devait amener une situation funeste, et l’on décide que l’arrêté ne sera pas prorogé ! On obéit à des réclamations d’une partie de la chambre qu’on croit injustes ; et, pour épargner au pays des malheurs qu’on prévoit, on n’a pas le courage de faire ce qu’on croit être son devoir, de crainte de perdre son portefeuille, de devoir donner sa démission !

Si telle était votre conviction, votre devoir était de maintenir l’arrêté et de vous efforcer ensuite de faire partager votre conviction à la chambre.

Loin donc de justifier le ministère, le langage que vient de tenir M. le ministre de l'intérieur aggrave ses torts, et montre quelle absence de principe règne dans ses rapports avec la chambre et avec les autres gouvernements.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant trouve que nous avons manqué de franchise en ce que nous n’avons pas déclaré qu’il y avait engagement de la part du gouvernement belge. Nous déclarons qu’il n’y a pas eu d’engagement indéfini de la part du gouvernement ; nous l’avons déclaré dans la note ; nous avons cité l’acte officiel qui doit prévaloir (page 347) sur les conversations. Nous le déclarons, il n’y a pas eu d’engagement dans le sens de la prorogation indéfinie et sans condition, de l’arrêté du 28 août.

Mais l’honorable préopinant trouve maintenant un autre motif d’accusation ; il avait oublié la séance du 30 août, lorsque tout à l’heure il vous a dit qu’on aurait dû rendre la chambre attentive au danger de cet arrêté. Dans cette séance, on a dit quelle était la raison pour laquelle on avait pris l’arrêté. L’arrêté du 28 août a été renouvelée. On a déclaré, en comité secret, que ses effets avaient cessé depuis le 1er avril ; on a même donné lecture d’une note ; on a dit que les négociations avec la Prusse n’ayant pas amené de résultat, l’arrêté du 28 août était tombé.

Mais, dit l’honorable préopinant, si vous aviez cette prévision, vous auriez dû pour cette éventualité donner votre démission, déclarer à la chambre que l’arrêté du 28 août serait maintenu, ou que le ministère se retirerait. Je vous laisse juges du moyen qu’indique l’honorable préopinant. Donner sa démission de ministre, à cause d’une éventualité que je considérais comme probable, mais qui aurait pu être détournée par les circonstances !

Je le répète donc : nous n’avons manqué ni de franchise, ni de fermeté, ni de prudence ; nous n’avons pas donné notre démission. La chambre a connu les événements aussi bien que nous.

Je repousse l’accusation de l’honorable préopinant : il n’y a pas eu engagement verbal de la part du ministère pour le maintien indéfini de l’arrêté. Il y a eu espoir de le maintenir d’après les résultats probables des négociations.

(page 367) M. de Mérode – Messieurs, selon l’honorable M. Devaux, il suffirait de l’assertion des agents d’un gouvernement étranger pour prouver les torts de notre gouvernement. Mais dans tout ce qui a été cité, je vois au contraire les organes du gouvernement étranger présenter des affirmations sans aucune espèce de preuve, tandis que nos ministres citent des textes positifs, des faits qui sont irrévocables. Pourquoi donc, en pareille circonstance, donnerions-nous tort à notre gouvernement ?

Selon l’honorable M. Devaux, des agents aussi respectables que ceux des gouvernements étrangers ne peuvent pas se tromper ; c’est donc de notre côté que doit être l’erreur. Mais lorsque je me rappelle ce qui s’est passé entre des gouvernements étrangers, les discussions qui se sont élevées entre eux et que nous ont fait connaître les journaux, je vois que l’un ou l’autre des agents de ces gouvernements a affirmé des clauses qui étaient inexactes. Ce qui est arrivé à l’égard d’un gouvernement de la part d’agents étrangers ne peut-il donc arriver à l’égard du nôtre ?

Au surplus, je le répète, les assertions dont on nous a parlé sont dénuées de toute espèce de preuve ; elles sont en contradiction avec ce qui a été déclaré dans cette chambre et avec des actes officiels. Dès lors il m’est impossible de donner tort au gouvernement belge.

(page 347) M. le président – Je ferai remarquer qu’on perd de vue l’objet en discussion et qui est la proposition de M. d’Elhoungne tendant à avoir un rapport du gouvernement.

M. d’Elhoungne – J’ai retiré ma proposition.

M. le président – M. Verhaegen n’a-t-il pas repris cette proposition ?

M. Verhaegen – J’en ai repris une partie.

M. Dumortier – Il me semble, messieurs, que dans tout ce qu’on vient de vous dire, il y a des erreurs singulièrement graves relativement à la marche des négociations ou, pour mieux dire, relativement aux faits qui ont amené les négociations.

Vous vous souvenez dans quelles circonstances a été pris l’arrêté du 28 août ; c’était après que la France avait conclu son traité douanier avec la Belgique. En vertu de ce traité, la Belgique, pour obtenir de la France l’introduction, aux droits anciens, des fils et des toiles belges, avait dû admettre dans son tarif les chiffre du tarif français, qui équivalaient à une prohibition des toiles et des fils de lin de l’Allemagne. Evidemment, messieurs, une pareille disposition avait quelque chose de blessant pour nos voisins, et il était juste que, par bon procédé, on leur accordât quelque compensation.

Est-ce donc, comme l’a dit M. le ministre de l'intérieur, pour amener des négociations avec l’Allemagne que l’arrêté du 28 août a été pris ? Je dis que non. Lorsque cet arrêté a été pris, il l’a été exclusivement comme mesure de bons procédés vis-à-vis de l’Allemagne, et nullement pour amener des négociations. On s’était réservé la faculté d’accorder à d’autres puissances les faveurs que l’on accordait à la France ; c’est ce qu’on a fait à l’égard de l’Allemagne pour les vins et les soieries.

Lorsqu’une discussion s’est élevée sur cet arrêté, lorsqu’on a attaqué le ministre pour l’avoir pris, que vous a-t-il répondu ? Il vous a dit : Par suite du traité fait avec la France, nous privons l’Allemagne d’un grand débouché dans notre pays ; dès lors, il est juste de lui faire quelques concessions en réciprocité ; car l’Allemagne pourrait frapper les industries de la province de Liége : les écorces, les fers, les draps pourraient être prohibés par l’Allemagne, et, dès lors, nous avons dû faire preuve de bons procédés vis-à-vis de nos voisins.

Voilà, messieurs, pourquoi l’arrêté à été pris ; c’est là l’unique motif, et on trompe la chambre lorsqu’on vient lui dire que c’était pour amener des négociations. Maintenant, messieurs n’est-il pas constant que le jour où l’on retirerait cet arrêté qui a été pris uniquement pour empêcher des mesures réactionnaires, la Belgique devrait être exposée à ces mesures ? Cela était manifeste et c’est ce qui est arrivé.

M. le ministre de l'intérieur vient vous dire qu’on n’avait pas pris des engagements indéfinis avec la Prusse. Personne ne soutient le contraire ; nous savons fort bien que l’engagement ne pouvait être indéfini, puisque le traité avec la France ne l’était pas ; mais ce que nous soutenons, c’est qu’il y a eu engagement.

C’est donc encore compliquer la question sans motifs, c’est encore induire la chambre en erreur que de vouloir donner à la discussion une portée qu’elle n’a jamais eue. Car, je le répète, personne n’a soutenu que le gouvernement eût pris des engagements indéfinis vis-à-vis de l’Allemagne. Tout ce qu’on a dit, c’est qu’il y avait eu des engagements pour faire preuve de bons procédés vis-à-vis d’elle, et éviter des mesures réactionnaires. Une pareille politique était bonne aussi, je lui ai donné mon appui, et après lui avoir donné mon appui, je suis en droit de blâmer le gouvernement d’avoir abandonné cette politique si sage, pour se lancer dans une guerre de tarifs qui était sans fruit pour le pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous n’auriez pas fait le traité sans cela.

M. Dumortier – Vous n’avez pas agi ainsi pour amener le traité. Vous ne pouviez pas prévoir que vous arriveriez à un traité, et vous pouviez d’autant moins le prévoir que vous-même n’avez pas négocié le traité, et vous savez pourquoi.

M. le président – Je ne sais trop sur quoi nous discutons. Il n’y a plus rien en discussion, car M. Verhaegen réduit sa proposition à ce qu’offre le gouvernement, c’est-à-dire le dépôt des pièces dont il est fait mention dans le memorandum et dans la réponse du gouvernement belge.

M. Dumortier – Je consens volontiers à borner là mes observations.

- Personne ne demandant plus la parole sur la motion, la discussion est déclarée close.

La séance est levée à 4 heures et quart.