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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 14 décembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 367) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Plusieurs pharmaciens de la province d’Anvers demandent des modifications à la loi sur l’art de guérir, afin qu’il soit défendu aux médecins et chirurgiens de vendre des médicaments. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Eenchout, cultivateur à Herffelinghen, réclame l’intervention de la chambre pour faire exempter son fils du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Messages du sénat, en date du 13 décembre, informant la chambre qu’il a adopté dans sa séance du même jour :

1° Le budget des voies et moyens pour l’exercice 1845 ;

2° Le budget de la dette publique et des dotations pour le même exercice ;

3° Le projet de loi ouvrant un crédit de 3,806,865 fr. 29 c. au budget de la dette publique pour l’exercice 1844. »

- Pris pour notification.


« Le sieur Rutgeers, professeur à Louvain, fait hommage à la chambre de plusieurs exemplaires de sa brochure renfermant quelques réflexions sur le projet de loi du 7 février 1843, relatif au ressort, à la résidence et au nombre des notaires.

- Distribution entre les membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Brouckere – Messieurs, jusqu’ici on n’a pas fixé l’ordre du jour du second vote du budget de la justice.

Des membres – Si ! si ! après la discussion du traité avec le Zollverein.

M. de Brouckere – Je n’étais pas présent au commencement de la séance d’hier ; voilà pourquoi j’ignorais cette circonstance.

M. Mast de Vries – Je crois que si la discussion du traité avec le Zollverein n’est pas terminée aujourd’hui, il faudrait mettre à l’ordre du jour de lundi le second vote du budget de la justice.

M. Delfosse – Je pense que le sénat devra examiner le projet de loi sur l’augmentation de traitement de l’ordre judiciaire avant le budget de la justice ; le vote de ce projet de loi est de nature à exercer de l’influence sur les chiffres du budget.

M. le président – C’est une erreur. Il a été décidé que le budget de la justice sera voté indépendamment de l’augmentation des traitements.

M. Delfosse – Si cela est ainsi, je retire mon observation ; une indisposition m’ayant empêché d’assister à la discussion du budget de la justice, je n’avais nulle connaissance de ce fait.

M. Devaux – Le budget de l’intérieur a été mis à l’ordre du jour après la discussion du traité avec le Zollverein et le second vote de la justice ; je demande qu’il y ait un jour d’intervalle entre le vote du traité du Zollverein et la discussion du budget de l’intérieur.

M. Rodenbach – Je demande qu’on attende l’arrivée de M. le ministre de la justice, pour fixer l’ordre du jour du second vote du budget de son département. M. le ministre nous a appris dans une séance précédente qu’il avait demandé de nouveaux renseignements, à la suite du vote de la chambre, qui a réuni en un seul article les trois premiers articles du chapitre du budget du culte catholique ; c’est pour ce motif que M. le ministre a demandé qu’on ne fixât pas, pour le moment, le second vote de son budget.

M. Lys – On pourrait mettre, entre le vote du traité et la discussion du budget de l’intérieur, la discussion du budget de la marine. (Adhésion.)

La chambre, consultée, décide que le second vote du budget de la justice sera mis à l’ordre du jour de lundi ; elle décide ensuite que le budget de la marine sera mis à l’ordre du jour après le vote du traité avec le Zollverein. Le budget de l’intérieur viendra immédiatement après.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec le Zollverein

Discussion générale

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le gouvernement a satisfait aux interpellations faites à l’issue de la séance d’hier, par l’honorable M. Devaux. On a déposé sur le bureau une carte qui indique les différentes zones de transit ; on a joint à cette carte deux notices, l’une indiquant les routes ; l’autre, l’ancien tarif, quant au transit, et le tarif nouveau, tel qu’il résulte du traité du 1er septembre.

L’honorable membre a demandé, en outre, à quel jour la surtaxe sur les fontes et les fers belges était venue à tomber ; cette surtaxe a cessé le 9 septembre, de manière que l’ordre aura été probablement donné de Berlin vers le 7.

M. d’Elhoungne – Messieurs, dans la réponse que M. le ministre de l'intérieur m’a adressée hier, il a déclaré appeler mon attention sur le droit qu’a la Belgique, comme puissance indépendante, de contracter des traités avec les autres Etats. Il me paraît à peine nécessaire de répondre que j’ai, sur cette question, la même opinion que M. le ministre, et qu’il est impossible, à mes yeux, que qui que ce soit conteste sérieusement à la (page 368) Belgique le droit de faire des traités comme elle l’entend, et avec qui elle l’entend. Mais entre ce droit, dérivant de sa souveraineté et de son indépendance, et l’exercice de ce droit, il y a une différence bien grande ; c’est que le droit de la Belgique est incontestable et incontesté, et que l’usage que le gouvernement en a fait, est précisément l’objet de la présente discussion.

C’est en partant de là que j’ai dit hier que les traités faits par la Belgique devaient tendre d’abord à lui assurer des avantages immédiats et solides, à lui assurer une parfaire réciprocité pour les concessions qu’elle accordait, j’ai dit ensuite que tout traité qui ne serait pas fait avec la France, devait avoir, avant tout, pour caractère, de ne pouvoir entraver dans aucun cas, dans aucune hypothèse, nos négociations futures avec la France.

M. le ministre de l'intérieur a trouvé étranger que moi, qui venais défendre dans cette enceinte notre rapprochement le plus intime possible avec la France, j’eusse précisément loué le seul acte antifrançais posé par le ministère, l’arrêté du 14 juillet. Mais M. le ministre de l'intérieur lui-même a répondu d’avance à cette objection ; il a dû reconnaître que cet arrêté était sans valeur ; il a dû proclamer avec moi que l’arrêté du 14 juillet sur les tissus de laine n’avait en rien un caractère antifrançais. Et en effet, cet arrêté n’a réellement blessé aucun intérêt français ; les faits sont là pour constater qu’après l’arrêté du 14 juillet comme avant, la somme des importations de France en tissus de laine n’a pas diminué. Bien loin donc de trouver dans cet acte un caractère antifrançais, j’y trouve, au contraire, la preuve que l’arrêté même du 13 octobre n’eût pas été antifrançais, si celui-ci eût été général, s’il eût été applicable à tous comme l’arrêté du 14 juillet. Pourquoi, messieurs, l’arrêté du 14 juillet n’a-t-il pas altéré nos relations avec la France ? C’est parce que la France, pour les tissus de laine, a des spécialités dans lesquelles nous ne pouvons pas lui faire concurrence. Ces spécialités, elles existent également pour les tissus de coton ; dès lors, avant comme après l’arrêté du 13 octobre, s’il eût été général, la France eût continué à nous importer certaines catégories de coton, de même qu’après l’arrêté du 14 juillet, elle a continué à importer les mêmes catégories de tissus de laine que nous ne fabriquons pas.

Je passe maintenant à l’examen du traité du 1er septembre. Je le répète, messieurs, le double motif qui me fait repousser ce traité, c’est que d’abord, dans les concessions que le traité assure à la Prusse, il n’y a aucune proportion, aucun équilibre avec les concessions que le traité accorde à la Belgique ; en second lieu, les concessions faites par la Belgique à la Prusse sont de telle nature qu’elles doivent nécessairement rendre plus difficiles, plus onéreuses, nos négociations ultérieures avec la France.

Messieurs, pour établir que le traité du 1er septembre présente en faveur du Zollverein une série de concessions en dehors de toute proportion avec les avantages qu’il assure à la Belgique, il suffit de parcourir attentivement les stipulations que ce traité contient au profit du Zollverein. Par cet examen vous serez convaincus, messieurs, que ce traité favorise à la fois, et l’intérêt maritime du Zollverein au plus haut degré, et les intérêts agricoles, et ses intérêts industriels, et son intérêt fiscal, et l’intérêt de sa politique.

Quant à l’intérêt maritime de la Prusse, messieurs, on dirait que le ministère, dans les différentes communications qu’il nous a faites, ne l’a ni bien compris, ni suffisamment apprécié. On dirait que le ministère n’a pas aperçu combien la Prusse, combien l’Allemagne fédérée mûrit depuis longtemps avec ardeur la pensée de se créer une marine nationale. Cependant consultez les rapport des commissions qui ont été envoyées par le gouvernement britannique, pour étudier l’union allemande, et vous lirez à chaque ligne de ces rapports, que partout on forme le même vœu, que partout on entend exprimer la même pensée, que dans tous leurs écrits et leurs entretiens, les hommes d’Etat du Zollverein, insistent sur la nécessité, pour l’union, d’avoir enfin à sa disposition, d’une manière stable, des ports de mer, d’avoir à sa portée le moyen de se créer rapidement une marine nationale, et de devenir ainsi une puissance maritime, à l’égal de la Russie, des villes anséatiques et de la Hollande.

Cet intérêt, immense pour le Zollverein, le traité commence par le lui accorder ; il le lui accorde de manière à ce qu’il soit désormais facile au Zollverein de réaliser le projet qu’il médite depuis tant d’années : celui de décréter un grand système de droits différentiels, à l’aide duquel il puisse établir, avec les nations transatlantiques, des relations plus suivies, plus assurées, plus considérables qu’aujourd’hui.

La section centrale, messieurs, je le crains, s’est fait complètement illusion en disant que : « par le traité du 1er novembre, la Belgique et le Zollverein allaient marcher de concert à la conquête pacifique des débouchés lointains. » Croyez-vous que le Zollverein, quand, à l’aide des ports de mer que nous lui livrons, il aura établi son système de droits différentiels ; quand, à l’aide de ce système, il aura conclu des traités avec les pays transatlantiques ; croyez-vous que le Zollverein aura en vue et s’efforcera de favoriser l’écoulement des produits belges ? Non, sans doute ; c’est au contraire pour faire lui-même sur ces marchés une concurrence mortelle aux produits belges, que le Zollverein s’y établira. Par exemple, messieurs, pour ne parler que d’un seul article, qui donc ignore les exportations immenses que le Zollverein fait déjà en tissus de lin de toute espèce ? Ces exportations suffisent à elles seules, d’après un statisticien allemand, M. Dieterici, à solder tout le café que l’union consomme. Or, le développement de ces exportations des tissus de lin de l’Allemagne, se flatterait-on, par hasard, qu’il puisse entraîner comme conséquence le développement de l’exportation des tissus belges ?

Je le répète donc, la concession faite à l’intérêt maritime du Zollverein est immense. Cette concession, messieurs, elle est doublée, que dis-je ? elle est centuplée par la possibilité de l’accession des villes anséatiques.

M. le ministre de l'intérieur, je le sais, a repoussé bien loin la pensée que les villes anséatiques pourraient immédiatement se réunir au Zollverein. Mais qui donc, dans cette enceinte, n’a pas aperçu tout d’abord que si le traité du 1er septembre a pour effet de faire établi par la Prusse un vaste système de droits différentiels, à l’instant même il devient pour elle un moyen d’arriver à cet autre but qu’elle se propose depuis longtemps : l’accession des villes anséatiques ? Ou le traité sera inefficace, ou il portera les fruits que vous avez dû en attendre sur le mouvement de la marine allemande dans nos ports ; or, dans cette dernière hypothèse, il aura pour conséquence de donner une arme à la Prusse pour contraindre les villes anséatiques à accéder à l’union.

Une fois que les villes anséatiques seront réunies au Zollverein, le traité deviendra onéreux pour la Belgique. C’est un fait que la section centrale n’a pas pu se dissimuler, que les ministres eux-mêmes ont dû reconnaître jusqu’à un certain point ; et ne l’eussent-ils pas reconnu, le fait était trop évident pour ne pas éclater aux yeux de tous.

Remarquez donc, messieurs, combien cette concession maritime a de portée pour le Zollverein ! Vous lui donner par là tout ce qui lui manquait pour devenir une puissance maritime : vous lui donnez ces ports de mer auxquels aspiraient en vain tous les hommes d’Etat qui ont pris part à l’établissement de l’union ; vous lui donner le moyen et le droit de créer, même contre vous, un vaste système de droits différentiels ; vous lui donnez l’Escaut, moins le péage, qui pèse sur sa liberté ! Et vous lui donnez tout cela, sans réciprocité, sans compensation ! En effet, messieurs, la section centrale et les ministres eux-mêmes, ont dû convenir que la réciprocité de navigation était ici un vain mot ; que la marine belge n’avait rien à attendre de cette réciprocité ; que tous les profits en étaient pour le Zollverein. Cet intérêt maritime, cependant, on l’a encore augmenté par l’extension aux ports situés entre l’Elbe et la Meuse, des avantages faits aux ports prussiens. A entendre l’exposé des motifs, on croirait que ce principe a été déposé dans tous les traités que le Zollverein a conclus avec d’autres puissances ; on dirait qu’il était tout naturel d’admettre l’assimilation de ces avant-ports aux ports du Zollverein sans aucune compensation. Messieurs, c’est encore une erreur. La première fois que cette concession a été faite, elle l’a été par l’Angleterre, dans le traité conclu le 2 mars 1831. Il avait été précédé d’un traité dans lequel figurait la Prusse seule, et dans lequel il n’était question que des ports prussiens. Eh bien, on a le traité du 2 mars 1831, dans lequel figure le Zollverein et qui assimile les ports situés entre la Meuse et l’Elbe aux ports même de l’union germanique. Mais pour cette seule concession, l’Angleterre a exigé que ses importations en riz et sucres fussent traitées sur le pied des nations les plus favorisées ; ce qui voulait dire aux conditions stipulés dans le traité conclu le 15 juillet 1839, entre la Hollande et le Zollverein, traité qui assurait, entre autres faveurs, aux sucres et au riz des colonies hollandaises, un traitement exceptionnel tellement avantageux, qu’à l’expiration du traité, le Zollverein, d’un voix unanime, a refusé de le renouveler. Or, c’est cette compensation si considérable que l’Angleterre a obtenue pour assimiler les ports situés entre la Meuse et l’Elbe aux ports du Zollverein, MM. les ministres, c’est cette assimilation, et sans aucune espèce de réciprocité, et sans compensation, que vous avez consentie comme toutes les autres concessions maritimes que le traité prodigue si inconsidérément à l’Allemagne.

Immédiatement après l’intérêt maritime de l’union allemande (intérêt dominant pour elle, intérêt vital pour elle, condition d’existence pour elle), immédiatement après cet intérêt vital vient se placer son intérêt agricole. Cet intérêt agricole reçoit des concessions nombreuses, des concessions considérables par le traité du 1er septembre. Déjà l’on a parlé des bois. Mais ce qu’on a oublié de dire, c’est que les provinces de la Prusse qui produisent le bois en plus grande quantité, c’est-à-dire les provinces qui touchent à la Baltique, sont dans une situation fâcheuse, dans un état de décadence. Les propriétaires de forêts y ont éprouvé des pertes considérables, d’une part parce que le marché anglais leur est fermé, d’autre part parce que la marine norvégienne et suédoise leur fait une concurrence redoutable. Ces provinces souffrent à la fois et pour les bois et pour les céréales. C’est un sujet général et incessant de plaintes pour ces provinces. Le Mémoire de l’estimable Dr Bowring, qui a soigneusement recueilli les rapports des consuls anglais à Stralsund, Stettin, Dantzig, Memel, Koenigsberg, etc. ne laisse aucun doute à cet égard. Les rapports unanimes des consuls dépeignent comme déplorable la situation de ces provinces prussiennes ; ils déclarent tous qu’il est urgent qu’il se fasse des changements dans la législation des pays qui consomment les bois et les céréales de la Baltique, pour prévenir l’appauvrissement de ces provinces prussiennes, dont le commerce des bois et des céréales est la principale, si pas la seule source de richesse.

Et savez vous, messieurs, ce qu’on demandait à l’Angleterre en faveur des bois de la Baltique ? On demandait l’entrée de ces bois au taux moyen de dix schellings par last, c’est-à-dire un droit bien supérieur à celui du tarif belge. (Interruption.)

Oui, messieurs, les consuls anglais déclarent que, grâce à ce droit de dix schellings par last, l’exportation du bois prendrait une extension considérable, une extension telle qu’un port qui exportait 1,500 lasts par année, porterait ses exportations à 50 mille lasts par année.

Ainsi, messieurs, si le traité avec le Zollverein est venu au secours de la Prusse, pour ses bois (nous parlerons bientôt des céréales), c’est un immense avantage, une immense concession qu’on lui a faite.

Mais on a contesté hier que le traité fasse des avantages aux bois de la Baltique. Messieurs, il ne sera pas difficile de démontrer que les arguments que M. le ministre a fait valoir dans ce but ne sont pas même spécieux et ne peuvent pas être admis par la chambre.

(page 369) M. le ministre de l'intérieur a dit que la position des bois de la Baltique était moins favorable aujourd’hui qu’avant la loi des droits différentiels. Mais j’ai déjà répondu que la position était infiniment plus favorable. Je sais qu’avant la loi des droits différentiels le chiffre des droits était moindre qu’aujourd’hui. Sans doute il a été augmenté ; mais il ne faut pas perdre de vue que si la Prusse jouissait auparavant de l’avantage de pouvoir nous importer des bois à un droit moins élevé, elle était exposé, sur le marché belge, à la vive concurrence des autres pays qui font le même commerce. Elle devait lutter nommément contre la concurrence redoutable, victorieuse de la marine norvégienne et suédoise.

Ensuite, veuillez le remarquer : lorsque vous avez voté la loi des droits différentiels, quelle a été votre pensée ? Avez-vous fait entrer dans vos calculs le droit que vous établissiez pour la marine nationale ? N’avez-vous pas, au contraire, basé vos calculs sur le droit que vous établissiez pour pavillon étranger ? La réponse n’est pas douteuse. Vous saviez, messieurs, que l’introduction sous pavillon national serait sinon impossible, du moins imperceptible, qu’elle se bornerait à quelques planches prises, par hasard, pour compléter une cargaison. Vous n’avez donc jamais pris pour règle que le droit imposé au pavillon étranger. De même, vous n’avez pu prévoir l’assimilation des pavillons étrangers.

La loi des droits différentiels n’admet cette assimilation que pour les produits de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique : les produits de l’Europe sont exclus. Vous avez donc voté la loi des droits différentiels en ne tenant compte que des seules importations qui se feraient sous pavillon étranger ; vous n’avez prévu l’importation ni par pavillon national, ni par pavillon étranger assimilé. Cependant, ce sont ces deux faits que le traité du Zollverein vient réaliser ; par l’assimilation du pavillon du Zollverein au pavillon national, l’entrée des bois de la Baltique se fera au taux des droits établis pour le pavillon national belge.

A cela, messieurs, on a fait deux réponses. On dit : La Prusse ne profitera guère du droit de 2 fr. sur les bois en grume ; et elle ne profitera pas du tout du droit de 9 fr. sur les bois sciés, parce qu’elle importe très-peu de bois en grume et qu’elle n’importe pas la qualité de bois scié soumis au droit de 9 francs.

Mais demandez-vous, messieurs, quel sera l’effet de votre loi des droits différentiels combinée avec le traité du 1er septembre ? D’abord, par l’assimilation de pavillon, vous donnez à la Prusse un monopole qui fait que, pour l’importation des bois, elle jouera un rôle bien autrement important qu’antérieurement au traité. En second lieu, les bois sciés étant frappés de droits plus élevés que les bois en grume, il résultera de là que la Prusse importera des bois en grume, au lieu de bois sciés. Et les bois sciés de moins de cinq centimètres étant frappés du droit le plus élevés de tous, ces bois cesseront d’être le principal article d’importation ; c’est ainsi qu’en réalité, la Prusse jouira amplement de l’avantage de ne payer que le droit de 2 fr.

Je dis que la Prusse profitera amplement de cette double faveur, car vous ne pouvez calculer ses importations futures d’après ses importations passés. Tout change dès que la Prusse obtient le monopole des importations de bois sur le marché belge, dès qu’elle n’a plus à y redouter la concurrence, autrefois si vive, de la Suède, de la Norvège, de la Russie.

Ici se présente une autre objection : si le traité produit au profit de la Prusse les avantages qu’il doit nécessaire produire et qu’on a dû nécessairement prévoir, alors on augmentera, dit-on, le tarif sur les bois.

Mais, messieurs, vous n’êtes pas d’accord avec le ministère sur ce nouveau tarif. Les honorables membres qui ont voté des droits protecteurs, pour les bois, pensent qu’il est urgent de modifier immédiatement le tarif, de telle façon que la Prusse ne puisse pas envahir le marché. Au contraire, le ministère n’est pas de cet avis. Il est venu vous soutenir que le danger n’était pas à craindre ; que la Prusse nous importait des quantités très-peu considérables de bois. Ainsi, il faudra, quand les importations accroîtront, que la majorité fasse violence au ministère pour avoir une modification au tarif sur les bois ; et savez-vous ce qui arrivera alors ? C’est que le ministre à qui vous voudrez faire violence, se réfugiera derrière les convenances diplomatiques ; il demandera un comité secret, et il ne manquera pas de motifs graves, plausibles, pour vous démontrer que le traité ne pouvait pas être conclu autrement qu’il ne l’a été, et qu’il doit être exécuté de telle manière, parce qu’il est ainsi conclu.

Ainsi, vous le voyez, messieurs, sous le rapport de leur intérêt agricole, les provinces prussiennes des bords de la Baltique, et qui regorgent de bois de toute espèce sont évidemment et doublement favorisées par le traité du 1er septembre.

Dans la séance d’hier, l’honorable M. Desmet a également appelé votre attention sur les concessions nombreuses que le traité contient au profit des céréales du Zollverein. C’est un autre avantage offert à ces mêmes provinces prussiennes qui souffrent dans leur commerce de grains tout aussi cruellement que dans leur commerce de bois. Le traité accorde un droit différentiel non-seulement sur le froment, mais encore sur les lins, sur les graines, etc. L’honorable M. Desmet a fait connaître la quotité de tous ces droits de faveur. Je sais, messieurs, qu’on me répondra que les importations de ce genre faites par la Prusse était dans la même position que les autres nations étrangères, et dans une position défavorable relativement au pavillon belge, ses importations n’étaient pas considérables ; mais dès que vous lui accordez des faveurs exceptionnelles, il est évident que ses importations augmenteront dans une proportion qu’il ne vous est pas donné de prévoir.

Il y a plus : chacun de vous, messieurs, connaît le grand commerce de grains qui se fait dans la Baltique. Je dis que, par le traité du 1er septembre, le foyer de ce commerce se déplace ; il n’est pas à Dantzig, à Stettin, à Memel ; il se transforme à Anvers, dans les entrepôts que vous êtes obligés d’ouvrir au Zollverein. C’est là que les marchands prussiens se tiendront bien à portée, à la fois, du marché anglais, du marché hollandais et du marché belge ; prêts, à la première oscillation de l’échelle de nos droits, à inonder notre marché de céréales étrangères.

Or, vous le savez, messieurs, lorsque la spéculation, cette spéculation aléatoire surtout, pousse les intérêts surexcités, vous savez jusqu’où ils se laissent entraîner. Je rappellerai au souvenir des honorables membres, particulièrement soucieux de notre législation sur les céréales, qu’il est arrivé dans une circonstance assez récente que des spéculateurs ont fait hausser d’une manière factice les mercuriales, afin d’introduire en Belgique, sans droits, une quantité énorme de grains qui se trouvaient en vue du port. Eh bien ! avec le traité du 1er septembre, vous avez les mêmes dangers à courir, les mêmes inconvénients à essuyer.

Messieurs, sous le point de vue de son agriculture, le Zollverein trouve également concession dans la réduction des droits sur les vins. Cette concession n’est pas considérable pour le moment, mais elle peut le devenir par la manière dont elle est stipulée. Si l’on avait stipulé que les vins du Zollverein jouiraient toujours du traitement de la nation la plus favorisée, au moins lorsque l’exception aurait cessé pour la France, elle aurait cessé aussi pour le Zollverein ; les effets auraient cessé avec la cause. Mais de la manière dont l’exception est formulée, elle est maintenue, alors même, ce qu’à Dieu ne plaise, que l’exception sur les vins de France viendrait à disparaître.

Je bornerai là mes considérations sur les stipulations du traité du 1er septembre, en ce qui concerne les avantages qu’il assure à l’intérêt agricole du Zollverein.

Mais non-seulement le traité du 1er septembre favorise la navigation prussienne au-delà de toutes les espérances qu’elle avait jamais pu former ; non-seulement il apporte un secours inespéré pour lui, inattendu pour vous, à l’agriculture du Zollverein ; mais il lui accorde également, pour son commerce, des concessions auxquelles je ne trouve aucune espèce de compensation dans le traité du 1er septembre.

Vous accordez, par ce traité, au Zollverein, la liberté la plus entière de transit.

C’est, messieurs, la seule chose qui manquait à la Prusse pour le développement complet de son industrie et de son commerce. Il fallait à la Prusse une issue ; elle était, en quelque sorte, dans une impasse. C’est vous qui lui donnez cette issue pour qu’elle puisse déverser sur le monde entier les produits de son industrie et de son agriculture.

La section centrale, messieurs, a mieux entendu que nos négociateurs l’immensité de la concession. Elle l’a signalée, d’une manière très-judicieuse, comme la plus importante que le Zollverein pût demander à la Belgique.

Et, non-seulement, nous lui avons accordé la liberté la plus entière de transit ; mais il existait dans notre pays une exception pour les draps, les casimirs et les tissus similaires ; pour ces tissus il n’y avait de transit exempt de droits que par le chemin de fer. Lorsqu’ils transitaient par les routes ordinaires, un droit se trouvait établi. C’était là une espèce d’exception, moins au profit de notre industrie que de notre trésor ; Eh bien, on s’est encore empressé d’accorder au Zollverein la suppression de cette seule exception.

Quand je dis seule exception, je me trompe. Il y a encore les exceptions des écorces à tan et des ardoises, mais pour ces mêmes exceptions, une réduction de droits est accordée au Zollverein.

Pour ce libre transit, messieurs, qui est une condition d’existence commerciale et industrielle pour le Zollverein ; pour ce transit, sans lequel son commerce doit renoncer à embrasser les deux hémisphères ; enfin pour la suppression même de l’entrave qu’il y avait au transit des draps, des casimirs et des tissus similaires, qu’avons-nous obtenu du Zollverein, par le traité du 1er septembre ?

Malheureusement, la réponse à cette question n’est que trop facile.

D’abord, nous n’obtenons nulle part, nous, le libre transit. En second lieu, on maintient sur une catégorie d’objets le droit le plus élevé de 15 silvergros par quintal, et c’est précisément sur ces tissus de laine, entre autres, pour ces draps, casimirs, etc., pour lesquels nous avons détruit l’exception qu’il y avait chez nous à la liberté de transit.

Ainsi, chez nous, il y a liberté de transit ; il y a une seule exception : nous la détruisons au profit du Zollverein. Celui-ci, au contraire, ne nous donne nulle part la liberté du transit, et l’exception qu’il maintient contre nous porte précisément sur les tissus de laine pour lesquels nous avons détruit la principale exception qu’il y eût dans notre législation.

D’un autre côté, messieurs, quand on a parlé du transit, on a, paraît-il, perdu de vue que, par les voies perfectionnées de communication, qui sillonnent notre pays, ce transit s’est en quelque sorte transformé. Autrefois, lorsque le transit ne se faisait pas par les chemins de fer, il procurait à la Belgique, relativement à chaque objet transité, une bien plus grande somme de bénéfices. Aujourd’hui, les marchandises ne font qu’entrer et sortir. De sorte que, plus nos voies de communication sont perfectionnées, moins nous retirons de bénéfices, et plus l’étranger en retire ; son intérêt et le nôtre croissent en raison inverse.

Eh bien, messieurs, quand ainsi tous les bénéfices, même chez nous, sont pour l’étranger, c’est nous qui faisons toutes les concessions ; quand tous les bénéfices chez l’étranger sont encore pour lui, par la nature même de ses voies de communication, c’est encore lui qui entrave notre transit, (page 370) c’est encore lui qui impose des conditions, qui établit des exceptions, qu’il ne veut pas supporter chez nous.

Je demande si c’est là de la réciprocité ? si c’est, après avoir négocié un traité pareil, après avoir ainsi compris le principe de la réciprocité, qu’on pourra traiter avec d’autres puissances, et invoquer le même principe ?

Intérêt maritime, intérêt agricole, intérêt commercial, le Zollverein a ses désirs comblés sous ce triple point de vue. Eh bien, sous le point de vue industriel, tous les intérêts de l’union allemande, qui touchaient de loin ou de près aux négociations, trouvent, dans le traité, une satisfaction aussi complète.

Le traité assure au Zollverein des avantages pour les soieries, pour les tissus de coton, pour les instruments de fer et d’acier, pour les modes, pour les articles de Nuremberg, pour les eaux minérales.

Quant aux soieries, encore une fois, dans la concession faite au Zollverein, on n’a pas prévu le cas du retrait du traité du 16 juillet avec la France, de sorte que si, par malheur, ce traité venait à ne pas être ratifié, le Zollverein jouirait, de fait, du monopole de la vente des soieries sur le marché belge. Or, vous connaissez, messieurs, toute l’importance de ce marché pour cet article ; vous pouvez, par conséquent, mesurer toute l’importance du sacrifice éventuel fait au Zollverein. Voyez, messieurs, quelle admirable prévoyance brille dans tout ce traité : le ministère redoute avec la chambre, avec les partisans comme avec les adversaires du traité, l’accession des villes anséatiques ; lui-même reconnaît que, cette accession venant à s’opérer, le traité du 1er septembre devient onéreux, devient plein de dangers pour la Belgique ; eh bien, le ministère n’a pas prévu ce cas dans le traité, il n’a pas stipulé que si cette éventualité défavorable venait à se réaliser, le traité cesserait ses effets.

Pour les soieries, il en est de même : au lieu de stipuler simplement, au profit de la Prusse, le traitement de la nation la plus favorisée, on lui a accordé d’une manière absolue pour toute la durée du traité, la réduction des droits sur les soieries ; c’est-à-dire que dans une éventualité possible si pas probable, on accorde au Zollverein une concession dont on peut facilement mesurer l’étendue.

Messieurs, l’honorable M. Mast de Vries, dans la séance d’hier, a abordé l’article de tissus de coton. Mais cet honorable membre a commencé par oublier, messieurs, une remarque que, dans la discussion des droits différentiels, avait faite mon honorable ami, M. Manilius : c’est qu’en admettant à des droits réduits les tissus de coton du Zollverein, on ne condamne pas seulement la Belgique à la concurrence de l’industrie allemande, mais on la soumet du même coup à la concurrence de l’industrie anglaise et de l’industrie allemande réunies. En effet, messieurs, tous les tissus de coton du Zollverein, à une petite quantité près, sont fabriqués avec du fil d’Angleterre. Les filatures du Zollverein ne sont qu’en petit nombre, et elles ne sont même pas en progrès. Chaque année il s’importe dans le Zollverein des quantités énormes de fils anglais, et c’est avec ces fils que le Zollverein fabrique les tissus pour sa consommation intérieure et pour ses exportations qui augmentent chaque année dans une proportion très-remarquable. Voilà sur quels tissus de coton frappe l’exception qui est stipulée dans le traité du 1er septembre. Il en résulte que ce que l’Angleterre perd sur les tissus qu’elle nous importera en moins, elle le regagnera sur les fils qu’elle importera en plus dans le Zollverein ; ce qu’elle perdra d’un côté, elle le regagnera de l’autre. Voilà une preuve saisissante de l’habilité de nos ministres, au point de vue de l’intérêt général !

A ce sujet, messieurs, permettez-moi une observation : l’article des tissus de coton, au moment où le traité a été conclu, était pour l’Allemagne l’article le plus insignifiant. Dès lors j’adresserai à la conscience de la chambre cette question : Est-il possible qu’un article aussi insignifiant pour l’Allemagne pût être une condition sine qua non du traité ? Est-il possible de supposer que les plénipotentiaires allemands, en présence des immenses concessions qu’on leur faisait, eussent voulu faire dépendre tout le traité de cette concession relative aux tissus de coton ? Je pense, messieurs, que vous reconnaîtrez tous que cela est impossible. Voyez ensuite tout ce qu’il y a d’étrange dans cette concession. Savez-vous ce que l’Allemagne nous défend ? Elle nous défend d’adopter, pour les tissus de coton, son propre tarif ; car l’arrêté du 13 octobre n’a fait qu’établir sur nos frontières le tarif du Zollverein. Mais bien plus, les droits établis avant l’arrêté du 13 octobre, l’Allemagne nous défend de les augmenter. Elle nous le défend, messieurs, alors même qu’elle augmenterait considérablement son tarif, déjà plus élevé. Elle nous défend de toucher à l’ancien statu quo ; elle nous lie, elle nous enchaîne, et c’est encore une fois sans aucune espèce de compensation, sans une ombre de réciprocité ! Je doute, messieurs, que vous puissiez voir dans de semblables stipulations, ce que M. le ministre de l’intérieur a voulu y voir, c’est-à-dire de l’équité. Pour moi, je renonce à les qualifier.

Cependant, messieurs, il y avait là quelque chose à faire. Je vous l’ai déjà dit, messieurs, pour les fils de coton, le marché allemand est le marché le plus important du continent.

En 1842, l’Angleterre a importé dans le Zollverein 41,089,710 livres de fils de coton, dont la valeur s’élevait à plus de 60 millions de francs. Or, ainsi que je vous l’ai dit, messieurs, les filateurs allemands réclament une protection.

Ils avaient presque réussi, en 1842, à obtenir du congrès de Stuttgard, une augmentation de droits assez considérable sur le fil de coton venant de l’étranger. En 1843, au congrès de Berlin, la même question a été produite, et ce n’est que par l’influence prépondérante de la Prusse et de la Bavière que cette mesure a été momentanément écartée. Cependant, tout le monde s’attend à ce qu’une augmentation de droits sur les fils de coton sera avant peu adoptée par le Zollverein. En Angleterre, tous les hommes qui s’occupent d’industrie et de commerce, signalent cette augmentation comme imminente, et engagent les fabricants anglais à se mettre en garde contre cette éventualité, à ne pas compter trop sur le marché du Zollverein.

Eh bien, messieurs, si, en ce qui concerne les fils et les tissus de coton, le gouvernement avait, au moins, stipulé la réciprocité, le jour où le Zollverein aurait augmenté son tarif, nous nous serions trouvés, à l’égard de l’Allemagne, pour les fils de coton, dans la même position où nous sommes aujourd’hui à l’égard de la France pour les fils de lin ; nous aurions pu conquérir une partie du marché allemand qui est exploité aujourd’hui par l’Angleterre. S’ils avaient stipulé cette réciprocité, les ministres belges auraient montré pour l’industrie de la Belgique la même sollicitude que les négociateurs allemands ont montrée pour l’industrie allemande dans toutes ses branches.

Mais, je le demanderai, messieurs, en faisant le traité sans réciprocité, sans compensation, est-ce là prendre une bonne position vis-à-vis de la France ? Lorsque nous abandonnons ainsi, en faveur de l’Allemagne, le principe de la réciprocité, comment pourront-nous l’invoquer dans nos négociations avec la France ? Je pense, messieurs, qu’à cette question, nos négociateurs ne peuvent opposer ni explication ni excuse.

A nos reproches, on répond en disant, messieurs, que les importations de coton faites par le Zollverein en Belgique sont peu considérables. Mais ici, messieurs, je reproduis encore cette éternelle réfutation que j’ai présentée en ce qui concerne la marine et en ce qui concerne les produits agricoles ; je dis : Qu’en savez-vous ? Les importations étaient peu considérables, lorsque les cotons allemands devaient lutter sur le marché belge contre les cotons anglais ; mais aujourd’hui que le traité du 1er septembre et l’arrêté du 13 octobre ont accordé un privilège à l’industrie allemande, savez-vous si l’importation des cotons allemands n’augmentera pas en raison de cette faveur ?

Je passe, messieurs, aux concessions faites au Zollverein pour les instruments de fer et d’acier, pour la coutellerie, les modes, pour les articles de Nuremberg, pour les eaux minérales. Je remarque que, pour aucun de ces articles, il n’y a ni réciprocité, ni compensation. La coutellerie, les instruments de fer et d’acier, forment aussi une branche intéressante de notre industrie ; la coutellerie de Namur est célèbre ; cependant, en la condamnant chez nous à subir la concurrence allemande, vous n’avez rien stipulé en sa faveur sur le marché du Zollverein ; elle n’y a pas même le statu quo garanti. Libre au Zollverein d’augmenter les droits sur ces articles ; mais dussions-nous voir succomber l’industrie belge dans sa lutte avec l’industrie allemande, nous n’avons plus le droit de lui porter secours.

Messieurs, malgré tant de sacrifices que stipule le traité, on ne s’arrête pas là encore. Il est des concessions qu’il faut cherche en dehors du traité même. En effet, le traité maintient la loi du 6 juin 1839 avec toutes ses faveurs pour le Luxembourg. Cet article nous ramène, messieurs, à ce qui s’est passé dans le dernier comité secret. Rappelez-vous ce que M. le ministre de l'intérieur a bien voulu nous dire relativement à la loi du 6 juin 1839, à savoir, qu’à un moment donné, cette loi avait joué un grand rôle dans les négociations entre le Luxembourg et le Zollverein. Or, cela ne voudrait-il par dire que le Zollverein a dû s’engager envers le Luxembourg, à maintenir la loi du 6 juin, lorsqu’il ferait un traité avec la Belgique ? Pour moi, je ne comprends pas que la loi du 6 juin ait pu jouer un autre rôle dans la négociation, et, s’il en est ainsi, le maintien de cette loi est encore une fois une concession très grande faite à la Prusse puisque c’était un point sur lequel elle ne pouvait pas céder. Eh bien, cette concession, comme toutes les autres, a été faite sans compensation réelle ou juste.

Récapitulons un peu, messieurs, les observations qui précèdent. Vous avez vu que l’intérêt maritime, que l’intérêt agricole, que l’intérêt commercial, que l’intérêt industriel, que l’intérêt politique, en quelque sorte, du Zollverein, relativement au Luxembourg, sont satisfaits dans le traité par un luxe inouï de concessions, de faveurs, d’exceptions de tout genre. Eh bien ! cette longue liste n’est pas épuisée encore. Le traité met en jeu un autre intérêt, et des plus importants, c’est l’intérêt du trésor prussien.

Messieurs, l’art. 28 du traité assure la répression réciproque de la fraude. Cela paraît très-bien. Mais nous, nous n’avons pas de monopole du sel ; nous n’avons pas de droits élevés sur les tabacs. Au contraire, la Prusse a le monopole du sel ; la Prusse a des droits très-élevés sur les tabacs ; un commerce interlope très-actif se fait entre la Belgique et la Prusse pour ces deux articles ; or, en vertu du traité, le gouvernement belge devra mettre la douane et la force publique du pays au service du fisc prussien. La Belgique devra réprimer la fraude qui se fait de la frontière belge à la frontière de Prusse pour le sel et le tabac, elle qui ne sait pas protéger ses propres industries. C’est là une concession énorme, messieurs, non-seulement vis-à-vis de la Prusse, mais c’est une concession incroyable, quand on se place au point de vue de nos négociations avec la France ; En effet pour cette fois où la réciprocité est dangereuse, la concession est faite sans compensation autre que la réciprocité ! Eh bien, je demanderai au ministère ce qu’il répondra à la France lorsqu’elle lui demandera la répression réciproque de la fraude sur les frontières franco-belges, qu’on lui demandera la répression du commerce interlope du tabac et du sel ? Messieurs, si la réponse est ce qu’on peut prévoir qu’elle sera, ce commerce est voué à la destruction.

Ainsi, ce que la chambre n’a pas voulu faire pour la loi sur les tabacs, ce qu’elle n’a pas voulu faire pour l’aggravation des accises sur les sel, ce double résultat, le voilà réalisé vis-à-vis de la Prusse, et bientôt il se réalisera, sous peine de rupture, vis-à-vis de la France. (Interruption.)

(page 371) Il me resterait, messieurs, à dire quelques mots sur l’intérêt politique. Mais tout le monde sait dans quelle pensée le Zollverein a été formé ; tout le monde sait quelle pensée pousse à son développement ; je ne traiterai donc pas ce côté de la question, je prierai seulement la chambre de se rappeler les expressions mêmes du rapport de la section centrale. Il y a là, messieurs, des mots qui en disent plus que beaucoup de commentaires, et je pense qu’il est impossible de mettre en relief d’une manière plus saisissante l’aspect politique du traité. Seulement le rapport est beaucoup plus significatif par ses réticences assez diaphanes que par ses indiscrétions.

Je viens, messieurs, de parcourir tout le cercle des concessions que le traité fait au Zollverein. Vous avez vu que tous les graves intérêts du Zollverein y trouvent une large et complète satisfaction ; vous voyez que les concessions ont été multipliées, prodiguées autour de tous ces intérêts.

Malheureusement, à ce tableau si vaste, si rempli, j’ai maintenant à ajouter l’humble et courte énumération des concessions que le traité veut bien octroyer à la Belgique.

Notre marine, elle n’a rien. Notre agriculture, elle a moins que rien, car si l’on nous permet, d’une part, le droit d’importer en Prusse 15,000 moutons du Luxembourg, d’un autre côté, je vous ai signalé les grands dangers qui menacent et nos bois et nos céréales, et nos graines et nos lins. Quant à notre commerce, on nous donne un transit entravé, chargé d’exceptions précisément pour de grands articles d’exportation et de transit. Pour notre industrie, messieurs, on nous accorde des concessions sur les fers, la réduction du droit de sortie sur les laines, la réduction du droit d’entrée sur les fromages.

Pour notre trésor, on nous impose le remboursement forcé du péage de l’Escaut.

La réduction du droit sur les laines est sans doute favorable à une industrie importante. Mais il ne faut pas vous exagérer la portée de cette concession ; il ne faut pas vous dissimuler que, dans un terme très-rapproché, le Zollverein abolira complètement le droit à la sortie des laines. Pour en être convaincu, il suffit de jeter les yeux sur l’accroissement rapide des troupeaux de moutons dans toute l’Allemagne. Aussi, en Angleterre, on s’attend généralement à la suppression de ces droits. Cette concession ne doit donc pas être prisée trop haut.

Restent les concessions sur les fers.

A ce sujet, je regrette que les honorables députés de Liége n’aient pas pris la parole pour expliquer à la chambre, par des chiffres et des pièces, que les concessions du Zollverein n’ont pas la portée et ne peuvent avoir les effets qu’on leur attribue.

On nous accorde une réduction sur les fontes de 1 f. 33 c., non pas par centner, comme le dit le rapport de la section centrale, mais par 100 kil., et une réduction de 2 fr. 1c. sur les fers forgés.

Pour la fabrication de nos machines (industrie très-importante), nous n’obtenons rien, pas même la garantie du statu quo ; de sorte que si le Zollverein cédait aux sollicitations nombreuses et instantes de ses constructeurs de machines et aggravait son tarif, l’industrie belge serait frappée du même coup que l’industrie anglaise.

Là encore, nous avons tout accordé au Zollverein, et nous n’avons pas eu de compensation réelle.

Reste à apprécier la réduction sur nos fers, prise en elle-même. Ces avantages, je le dis sans hésiter, ne sont pas de nature à nous assurer le marché allemand. Je ne parle pas de la production indigène de l’Allemagne. Celle-là, je crois, avec la section centrale, qu’elle n’est pas à craindre. Je déduis cette conséquence d’un fait que la section centrale n’a pas signalé : la proportion de l’accroissement de la production indigène avec les besoins de la consommation.

En 1834 on a importé dans le Zollverein :

Fers bruts, 207,203 centners.

Fers forgés, 149,493 centners.

En 1842, près de dix ans après, on a introduit dans le Zollverein :

Fers bruts : 1,195,925 centners.

Fers forgés, 930, 686 centners. (Documents officiels)

D’où il résulte que l’importation des fers sur le marché allemand a augmenté en dix ans de 600 p.c. Et savez-vous de combien, pendant cette période, a augmenté la production indigène ? Seulement de 28 p.c. Il ne faut donc pas s’occuper de la production indigène ; elle n’est pas sérieusement à craindre sur le marché allemand.

Mais il reste la concurrence anglaise. Pour celle-là, je vous demanderai si elle peut être écartée par un avantage de 1 fr. 33 c. sur les fontes et de 2 fr. 1 c. sur les fers forgés ? Pour moi, messieurs, je ne saurais l’admettre. Et savez-vous quelles sont les autorités que je puis invoquer à l’appui de mon opinion ? C’est d’abord M. le ministre de l'intérieur ; c’est ensuite un homme tout spécial, l’honorable M. Lesoinne ; c’est enfin l’opinion de la chambre elle-même. Rappelez-vous, messieurs, la loi que vous avez votée l’an dernier sur la proposition de l’honorable M. Nothomb, sur le rapport de l’honorable M. Lesoinne, relativement aux fontes.

Chez nous, les fontes étaient protégées par un droit de 2 fr. 12 c. sans les centimes additionnels ; or, cela n’a pas suffi. En France, nos fontes étaient protégées par un droit de 2 fr ; 40 c. ; cela n’a pas suffi non plus. Il a fallu élever la protection jusqu’à 5 fr. ! Et maintenant l’on vient dire, messieurs, qu’avec une protection de 1 fr. 33 c., notre industrie métallurgique peut lutter avec avantage sur le marché allemand contre la concurrence anglaise, alors qu’elle n’a pas pu lutter contre elle, sur notre propre marché, avec un droit de 2 fr. 12 c., ni sur le marché français, avec un droit de 2 fr. 40 c. !

On objectera, je le sais, que l’industrie métallurgique se montre contente ; qu’elle vote des remerciements, que le traité a déjà porté ses fruits. Mais qui donc ignore combien l’intérêt privé peut se tromper sur les causes des bénéfices qu’il réalise ? Savez-vous, messieurs, à quoi sont dues ces fortes importations de fer que fait la Belgique en Allemagne ? Ah ! ce n’est pas au traité du 1er septembre, ni à la protection de 1 fr. 33 cent. et de 2 fr. 1 c. que ce traité nous assure !

La cause de cet accroissement rapide de nos relations avec l’Allemagne réside toute entière dans les faits qui se passent en Angleterre. Les nouvelles lois adoptées dans ce pays, le nouveau régime financier et économique que sir Robert Peel y a inauguré, les traités qu’il a conclus, surtout le traité avec la Chine, toutes ces circonstances y ont porté les établissements manufacturiers au plus haut degré de prospérité et d’activité qu’ils aient peut-être jamais atteint. L’industrie des fers a suivi, en Angleterre, le même mouvement ; elle en est à ce point que la production ne suffit pas à la demande. Voilà la véritable origine de cette espèce de monopole que l’industrie des fers belges exerce maintenant en Allemagne. Mais, cela est dû à une cause toute momentanée : à la prospérité actuelle de l’industrie des fers en Angleterre. Et cela est tellement vrai que si, au lieu de nous brouiller avec la Prusse, nous étions resté dans le statu quo, nous aurions fait, n’en doutez pas, les mêmes exportations en Allemagne ; messieurs, quand même nous aurions eu à subir une augmentation de tarif, en même temps et sur le même pied que toutes les autres nations, alors encore nous aurions fourni les mêmes quantités de fer à l’Allemagne, à l’Allemagne, messieurs, chez laquelle aussi la demande n’est si active qu’en raison de la construction de ses nombreux chemins de fer, ce qui est encore une circonstance indépendante du traité.

Mais vienne le moment où ces circonstances auront cessé d’agi ; vienne le moment où la concurrence anglaise ne se retirera plus du Zollverein ; vienne enfin le jour de la réaction, celui d’un engorgement de l’industrie métallurgique anglaise, et vous verrez que, malgré la protection qui nous est accordée par le traité du 1er septembre, nous ne pourrons pas nous défendre contre cette concurrence anglaise qu’on semble oublier aujourd’hui.

Messieurs, d’après ces considérations, je n’hésite pas à regarder la concession accordée à nos fers comme une trop faible compensation à tous les sacrifices que le traité nous impose.

Au surplus, ne perdez pas de vue que, d’après le cabinet belge, c’est l’intérêt métallurgique qui a dominé toutes les questions ; à cet intérêt ont été subordonnés tous les autres ; tous les autres intérêts, dit le rapport de la section centrale, sont venus se grouper comme appoint autour de cet intérêt dominant.

Or, vous voyez ce qu’on a fait pour cet intérêt dominant, ce que le traité lui assure. Vous voyez réduits à leur véritable expression les avantages que le Zollverein concède à l’industrie métallurgique belge ; et je demanderai si l’on peut donner son assentiment aux sacrifices que le traité consacre pour les autres industries et pour le trésor, et pour nos intérêts agricoles ?

M. le ministre des travaux publics vous a parlé hier des remerciements que lui avaient votés les propriétaires des établissements métallurgiques et des établissements houillers. M. le ministre des travaux publics, messieurs, aurait pu y joindre les acclamations unanimes de la presse germanique ; il aurait pu dire que le traité du 1er septembre a causé en Allemagne un véritable enthousiasme. La prudence germanique a cédé cette fois en l’entraînement de la joie ; et, pour moi, ce fait est un peu plus significatif que quelques remerciements de propriétaires, d’intéressés qui ne remontent pas aux véritables causes du bien dont ils sont heureux.

Ensuite, messieurs, quand on parle de notre intérêt métallurgique, quand on parle de l’intérêt de nos houillères, il ne faut pas avoir les yeux fixés sur l’Allemagne seulement. Il faut aussi fixer ses regards sur la France ; or, je demanderai si l’intérêt de notre métallurgie, si l’intérêt des houillères ne tendent pas plutôt à se rapprocher de ce côté. Rappelez-vous bien ceci, messieurs : c’est que le système des zones, auquel nous devons une partie de la prospérité de ces deux grandes industries, ne nous est garanti par aucun traité ; il est établi par simple mesure de tarif, et lorsque ce tarif a été examiné en France dans la commission de la chambre des députés, la minorité l’a repoussé, et la majorité ne l’a admis que comme système transitoire. C’est aussi comme tel que la chambre française l’a voté.

Et maintenant que j’ai achevé ma tâche, je demanderai si j’ai eu tort de dire que, dans le traité du 1er septembre, on n’a pas tenu d’une main ferme et équitable la balance entre les intérêts belges et les intérêts allemands ? Ai-je eu tort de dire que les intérêts du Zollverein sont satisfaits sous tous les points de vue possibles, intérêt maritime, intérêt agricole, intérêt industrie, intérêt politique, intérêt fiscal ; et que, du côté de la Belgique, au contraire, l’intérêt métallurgique, intérêt dominant dans la question, n’a pas même d’avantages sérieux, d’avantages solides ?

Toutes les autres concessions en faveur de la Belgique, il faut le reconnaître, ne sont que de vaines et stériles concessions. A part la réduction du droit sur les laines, il n’en est pas une qui ait pu faire l’objet d’une discussions sérieuse entre les négociateurs.

Dès lors, je pense, messieurs, pouvoir suffisamment justifier aux yeux de la chambre le vote que j’émettrai dans cette circonstance, et qui sera contraire au traité du 1er septembre. (Très-bien ! très-bien !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous devons nous féliciter, messieurs, du discours qui vient d’être prononcé ; l’honorable préopinant s’est attaché à faire valoir les concessions que le traité du 1er septembre assure à l’Allemagne. Je regrette seulement d’être forcé de vous démontrer, dussé-je diminuer l’enthousiasme que ce traité, selon l’honorable membre, (page 372) parait avoir causé, outre-Rhin, est bien exagérée.

L’honorable préopinant a parfaitement compris qu’un traité repose sur un système de compensations. Aussi, si d’une part, il a pris tâche d’exagérer les concessions faites, il a senti que, d’autre part, il devait atténuer les concessions obtenues.

En jetant un regard sur l’ensemble du système de compensations qui constitue le traité, il y a un point qui semble avoir échappé à l’honorable préopinant et sur lequel je dois d’abord fixer toute votre attention.

Un traité consiste dans des concessions mutuelles. Mais on peut donner aux concessions un caractère exclusif, c’est-à-dire, messieurs, qu’on peut demander à une puissance non-seulement une réduction de droits, mais stipuler l’engagement, par cette puissance, de n’étendre cette réduction à aucun autre Etat.

C’est là, messieurs, une exigence que j’ose appeler exorbitante. Cette exigence, nous l’avons eue, on y a fait droit.

Nous avons voulu protéger une grande industrie belge. Nous avons demandé, en faveur de cette industrie, non-seulement des réductions, mais nous avons demandé à l’Allemagne de s’interdire le droit d’étendre les mêmes faveurs à d’autres pays. C’est là, messieurs, ce qui a complètement échappé à l’honorable préopinant.

D’après le traité, messieurs, non-seulement le tarif allemand est réduit quant aux fontes et aux fers belges ; mais il faut qu’à l’avenir, dans tous les changements que l’on fera au tarif allemand, il subsiste une faveur différentielle au profit des produits métallurgiques belges. Il faut que, quant aux fontes, il y ait une différences de cinq silbergros, et que, quant aux fers, il y a une différence de 7 ½ silbergros.

Voilà, messieurs, comment l’Allemagne s’est liée envers nous ; voilà dans quelle position forcée l’Allemagne peut s’être placée à l’égard d’autres Etats, entre autres à l’égard de l’Angleterre.

Pourquoi avons-nous formé cette demande que j’ai appelée tout à l’heure exorbitante ? Nous avons voulu non-seulement des réductions, mais nous avons voulu que nos produits métallurgiques fussent, pour toute la durée du traité, autant que possible, sur le marché allemand hors des atteintes de la concurrence étrangère.

Nous avons eu la même exigence il y a trois ans ; non-seulement nous avons demandé à la France, en faveur de l’industrie linière belge, une diminution, mais nous avons demandé qu’il y eût toujours, en cas de réduction du tarif français, une faveur différentielle au profit de notre industrie linière, comme de 3 à 5, dit la convention du 16 juillet. Ainsi, la France, par la convention du 16 juillet, en ce qui concerne l’industrie linière belge, l’Allemagne, par le traité du 1er septembre, en ce qui concerne la métallurgie belge, se sont placées dans une position que j’ose appeler forcée vis-à-vis d’autres Etats ; elles ont consenti à mettre des limites à un des droits les plus importants, au droit de négocier : c’est-à-dire que vainement l’Angleterre offrirait à la France, offrirait à l’Allemagne, le traité le plus avantageux à condition que son industrie métallurgique, que son industrie linière fussent placées sur le marché français, sur le marché allemand, dans les mêmes conditions que l’industrie métallurgique belge, que l’industrie linière belge ; la France, l’Allemagne se sont mises dans l’impossibilité de faire un traité de ce genre avec la Grande-Bretagne.

L’honorable préopinant nous a dit ce qu’il aurait voulu : c’est l’abolition des surtaxes dont nos fontes et nos fers avaient été frappés à partir du 1er septembre. Ce qu’il aurait désiré, pour notre industrie métallurgique sur le marché allemand, c’est tout simplement le droit commun ; eh bien, il n’est pas exigeant ; tous les producteurs belges ont été plus loin ; ils nous ont dit : Il ne nous faut pas seulement ces réductions sur le marché allemand, il nous faut encore l’assurance que ces réductions ne seront pas accordées à ceux que nous regardons comme nos concurrents sur ce marché. C’est la chose exorbitante que nous avons demandée et que nous avons obtenue.

Ah ! messieurs, si nous avions pu ôter à la concession son caractère exclusif, si nous avions pu dire à l’Allemagne : Vous accorderez cette diminution à la métallurgie belge, mais il vous sera libre dans les traités que vous ferez d’accorder les mêmes avantages à la métallurgie d’autres pays, la négociation eût été beaucoup plus simple, beaucoup plus facile, et nous aurions pu grouper autour de la grande industrie métallurgique d’autres intérêts plus importants que ceux que nous avons pu rattacher au traité.

Ainsi, messieurs, fixez-vous bien sur un point important : c’est que l’industrie métallurgique obtient non-seulement des concessions, mais des concessions exclusives, des concessions que le Zollverein s’interdit d’accorder pendant la durée du traité à d’autres Etats. C’est là ce qui fait à la métallurgie belge une position vraiment privilégiée en Allemagne ; c’est là ce qui fait à la métallurgie belge une position semblable à celle que la convention du 16 juillet a faite à l’industrie linière belge en France.

Il m’importe d’insister sur cette considération dominante, d’autant plus que l’honorable préopinant avoue que nous n’avons pas à redouter, en Allemagne, la concurrence de l’industrie indigène ; probablement qu’il ne ferait pas le même aveu, et il ne peut pas le faire malheureusement, quant à l’industrie linière française sur le marché français. Ainsi, aveu, par l’honorable préopinant, que la métallurgie belge n’a pas à craindre la concurrence de la métallurgie allemande sur le marché allemand ; démonstration acquise, je le pense, car il suffit de lire le texte que la métallurgie étrangère, la métallurgie anglaise, par exemple, continuera à subir un droit différentiel sur le marché allemand ; ou bien, si l’on veut, que l’industrie métallurgique belge continuera à jouir d’une faveur différentielle en Allemagne sur toutes les industries similaires étrangères. (Interruption.) Je le répète, de l’aveu de l’honorable préopinant, nous pouvons accepter la concurrence de l’industrie métallurgique allemande, et quant à la concurrence de l’industrie métallurgique étrangère, en Allemagne, il y a une barrière dans le droit différentiel qui continue à nous protéger.

Les concessions que nous avons faites à l’Allemagne ne présentent pas ce caractère ; l’Allemagne n’a exigé rien d’exclusif ; toutes les concessions que nous faisons à l’Allemagne, nous pouvons les accorder à d’autres pays ; nous restons libres dans notre système de navigation, c’est-à-dire que l’Allemagne ne nous a pas demandé des concessions avec le caractère exclusif que nous avons voulu attacher à la grande concession que nous avons obtenue d’elle.

Et, messieurs, il importait au jeune Etat belge qu’aucune des concessions faites à l’Allemagne n’eût un caractère exclusif. Pourquoi ? Dans l’intérêt de notre système de négociations avec d’autres pays, il nous importe que notre liberté de négociations restât intacte, au moins en principe.

Si donc l’honorable préopinant parlait à une tribune allemande, il pourrait s’écrier avec raison : « Où est donc la réciprocité ? » (Interruption.) Oui, s’il parlait à une tribune allemande, il pourrait dire : « Pour la grande industrie métallurgique, vous vous êtes interdit d’accorder les mêmes diminutions à un Etat quelconque, à l’Angleterre, par exemple, dût-on vous accorder les plus grandes faveurs ; et vous, vous n’avez pas obtenu des concessions exclusives ; vous avez laissé, en principe, à la Belgique, avec laquelle vous avez traité, un entière liberté d’action dans les négociations à venir. »

L’honorable préopinant a passé en revue la plupart des intérêts allemands, qui se trouvent favorisés par le traité du 1er septembre.

Sans doute, messieurs, il fait qu’il y ait certains avantages en faveur de l’Allemagne ; car si certains avantages ne se trouvaient pas au profit de l’Allemagne dans le traité, pourquoi l’Allemagne aurait-elle traité ? Il faut donc que l’Allemagne trouve certains avantages matériels dans le traité ; il est donc loin de ma pensée de vouloir détruire tout ce que l’honorable préopinant vous a dit, en vous exposant les concessions faites à l’Allemagne ; ce serait une erreur et une faute de ma part ; je veux seulement enlever à son discours ce qu’il pourrait avoir d’exagéré.

L’honorablet M. d'Elhoungne est revenu sur la question des bois, je crois qu’il exagère singulièrement la portée du traité du 1er septembre, quant au pavillon prussien.

Déjà en ce point, vous allez voir quelle est la différence entre les concessions faites à l’Allemagne et la grande concession que l’Allemagne vous fait. Je vous ai dit hier que la Belgique était restée dans son droit de modifier le tarif des bois. Eh bien, messieurs, si l’Allemagne nous avait dit : Vous demandez pour l’industrie métallurgique belge la garantie du statu quo, et de plus l’impossibilité d’étendre la même concession à la métallurgie anglaise, par exemple ; de mon côté, je jette le bois dans l’autre plateau de la balance (on rit) et je demande la garantie du statu quo du tarif belge, et de plus je stipule l’impossibilité d’étendre cette concession aux bois venant de la Suède et de la Norvège.

On n’est pas allé jusque-là. Tout dépend, au contraire, de l’avenir ; nous verrons quelle sera la portée de la concession faite à l’Allemagne quant aux bois ; nous verrons jusqu’à quel point la protection que vous avez voulu accorder à la culture indigène sera annulée ; et quand de nouveaux faits se seront suffisamment révélés, nous examinerons quel changement devrait être fait au tarif, en maintenant, toutefois, un certain équilibre, comme je le disais hier, entre la production due à la culture indigène, et la faveur assurée au pavillon prussien.

Je ne reviendrai pas sur d’autres détails du traité ; je m’attacherai à deux points que j’appellerai capitaux : les concessions maritimes et les concessions de transit.

Il y a encore ici beaucoup d’exagération dans les discours de l’honorable préopinant, je suis au regret de devoir le dire publiquement, car j’aurais voulu que ce discours eut pu rester intact.

Au dire de l’honorable membre, les concessions maritimes faites au pavillon prussien sont telles qu’elles réalisent tous les rêves qu’ont pu concevoir la monarchie prussienne et le Zollverein ; on a été même au-delà, dit l’honorable préopinant, de toutes les espérances qu’on pouvait avoir. A l’aide de nos concessions, si j’ai bien compris l’honorable membre, le pavillon du Zollverein pourra concentrer, en quelque sorte, ses produits et tous les produits transatlantiques dans le port d’Anvers ; déverser les produits allemands d’Anvers sur le monde entier, attirer tous les produits du monde entier, d’Anvers sur l’Allemagne.

C’est là, sans doute, un magnifique langage ; malheureusement je suis forcé de consulter le texte du traité, et de vous dire quelles sont nos concessions maritimes.

Le monde maritime, je pense, ne se rencontre pas dans la Baltique ; le monde maritime comprend, outre les parages de la Baltique, la Méditerranée et les mers des deux Indes. Qu’a-t-on fait pour la Baltique ? Qu’a-t-on fait pour la Méditerranée ? Qu’a-t-on fait pour les mers des deux Indes ? Il y a une grande distinction qui semble échapper à l’honorable préopinant, c’est la distinction des rapports directs entre deux pays, de port à port, et des rapports que pourrait avoir le pavillon prussien avec les ports belges, non pas en partant directement d’un port prussien, mais en partant d’un port étranger ; en un mot, ne perdons pas de vue la grande distinction entre la navigation directe et la navigation indirecte.

Eh bien on ne s’est occupé dans le traité que de la navigation directe, des rapports directs de port à port, rapports que l’on concentre sur les produits du sol, de l’industrie et des entrepôts des deux pays. (Interruption.) (page 373) Nous avons accordé au pavillon du Zollverein l’abolition des droits différentiels pour la navigation directe entre les deux pays, et pour les produits du sol, de l’industrie et des entrepôts des deux pays. Rien de plus.

Voyons quels sont les produits du sol et de l’industrie allemande ? Ici, il ne suffit pas d’examiner les possibilités, il faut examiner les faits ; ouvrez la statistique commerciale, et vous verrez que les produits qui s’introduisent par mer, c’est-à-dire de la Baltique, sont en petit nombre.

Une voix – Et les entrepôts.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’y viens. Le pavillon prussien peut nous importer les produits du sol et de l’industrie ; pour nous importer des produits étrangers à l’Allemagne, il faut que ces produits aient été entreposés dans les ports du Zollverien ; mais dès lors ils supportent à l’importation en Belgique les droits d’entrepôt comme s’ils étaient introduits par pavillon belge.

L’art. 5 ne laisse aucun doute sur ce point ; il porte :

« Art ; 5. Les marchandises de toute espèce, sans distinction d’origine, importées directement des ports de Belgique dans ceux du Zollverein par navires belges, ainsi que celles qui seront importées directement des ports du Zollverein dans ceux de Belgique, par navires appartenant à l’un des Etats du Zollverein, ne payeront dans les ports respectifs, d’autres ni de plus forts droits d’entrée ou de sortie, et ne seront assujetties à d’autres formalités que si l’importation avait lieu par bâtiments nationaux. »

Les grands produits du Nord sont le bois, les graisses, certains graines (les graines oléagineuses) et les grains. Ainsi, fixons-nous bien sur les concessions maritimes telles qu’elles sont définies par l’art. 5 du traité : nous avons aboli les droits différentiels en faveur du pavillon prussien ; 1° pour les rapports directs des ports prussiens avec les ports belges ; 2° pour l’importation directe de ces ports, des produits du sol, de l’industrie et des entrepôts.

Recherchons ce que la Prusse aurait pu nous demander au-delà de cette concession ; elle aurait pu nous demander d’être affranchie de la nécessité d’entreposer dans les ports prussiens les produits de la Baltique. Ainsi elle aurait pu dire pour les bois : « Je demande à vous importer les bois provenant de la Baltique, en les prenant à Gothenbourg, par exemple, en les important de là à Anvers, à Ostende. » C’est ce que le traité n’admet pas. Il faut que les importations se fassent directement d’un port prussien, qu’il y ait eu chargement à Stettin, à Mémel, à Dantzig, c’est-à-dire, en ce qui concerne les bois, qu’il y ait déchargement, dépôt de bois, et rechargement sur un navire prussien ; une simple relâche dans un port prussien ne constituerait pas l’importation directe de ce port.

En un mot, la Prusse aurait pu nous dire d’abord : « Je demande que tous les produits de la Baltique soient considérés comme produits prussiens, et qu’il y ait faculté d’importation du lieu de production, et même d’un port quelconque de la Baltique du moment que l’importation a lieu par navire prussien. »

En deuxième lieu, la Prusse aurait pu ajouter : « Je demande cette faveur comme faveur exceptionnelle, c’est-à-dire je demande de pouvoir importer les produits de la Baltique, avec abolition des droits différentiels. De plus, vous vous interdirez, quels que soient les avantages qui pourront vous être offerts, d’accorder la même faveur aux autres puissances du Nord, au Danemark et à la Suède, par exemple ; de même que je me suis interdit d’accorder à l’Angleterre la faveur que je vous ai faite pour vos produits métallurgiques. »

Je vous ai montré combien la stipulation de l’art. 5 en faveur du pavillon prussien est limitée. Vous voyez, si cette stipulation était si menaçante pour l’indépendance du monde entier, comme le suppose l’honorable préopinant, combien il serait facile de l’atténuer en accordant la même faveur aux autres puissances de la Baltique, ce que vous ne vous êtes nullement interdit.

Un membre – C’est ce que vous ne ferez pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Soit ; mais ce n’est pas le traité, c’est votre intérêt qui vous l’interdit.

Quant aux produits de la Méditerranée, aux produits des deux Indes, le pavillon prussien continue à être soumis aux droits différentiels, sans aucune modification, sans aucune remise.

Si donc le pavillon prussien va chercher des fruits au lieu de production dans la Méditerranée, il payera le droit que paye le pavillon étranger, venant du lieu de production. S’il va chercher des fruits dans un entrepôt méditerranéen, il payera les droits d’entrepôts, non diminués des 10 p.c. de remise accordés au pavillon belge.

Ainsi la loi des droits différentiels, quant à la Méditerranée, et quant aux deux Indes, est resté intacte.

Mais, dit-on, les navires prussiens pourront introduire en Allemagne, en transit, les produits transatlantiques, les produits de la Méditerranée, qu’ils auront amenés à Anvers.

Est-ce que cette situation est née du traité ? Nullement ; c’est le résultat de votre législation sur le transit. Avez-vous voulu interdire à la marine étrangère le droit d’apporter dans vos ports les produits destinés à transiter ? La loi des droits différentiels, on l’a assez déclaré, a laissé intact votre système de transit. Le traité ne change rien en ce qui concerne ce système de transit. Avant et depuis le traité, les navires prussiens pouvaient apporter à Anvers du café et du tabac, destinés à transiter par la Belgique pour se rendre à Cologne ou ailleurs.

Mais, dit-on, à cette législation ancienne vous avez ajouté des faveurs nombreuses. Remarquez d’abord que ces faveurs n’ont pas le caractère de nouveauté qu’on suppose.

A part l’abolition du droit de transit sur les draps et les casimirs, toutes les faveurs étaient accordées depuis plus de dix-huit mois. On avait simplifié, presque annulé les formalités de transit par le chemin de fer ; on avait aboli les droits de transit ; ces mesures n’avaient excité aucune opposition dans cette chambre ; elles ont été prises en vertu d’une loi temporaire, dont deux fois on a demandé le renouvellement, et ce renouvellement a été accordé sans aucune réclamation.

Je n’examinerai pas si l’on n’a pas été, de prime abord, trop loin, si peut-être on n’aurait pas bien de fait de maintenir certains droits de transit par le chemin de fer ; mais enfin les droits de transit avaient été abolis ; pouvions-nous dire à la Prusse, en ouvrant la négociation : « Nous nous sommes ravisés. Nous allons saisir cette occasion pour substituer à la suppression des droits de transit quelques petits droits de transit. »

Evidemment, la position était changée ; on ne pouvait rétablir l’ancien statu quo, et nous avons dû nous estimer heureux d’obtenir, non une réciprocité complète de la part de l’Allemagne, mais certaines concessions de transit indiquées au traité.

L’honorable préopinant, en parlant du transit, s’est écrié : L’Allemagne est sans issue ; elle est dans je ne sais quelle impasse ; elle est forcé de passer par notre territoire. Mais depuis quand la Hollande n’existe-t-elle plus ? L’Allemagne est sans issue ! Mais elle en a une fort connue. C’est parce que vous saviez qu’elle a une autre issue que le chemin de fer belge, que vous avez pris l’initiative ; que votre gouvernement, usant d’une loi qui a été deux fois renouvelée, s’est empressé de simplifier les formalités de transit par le chemin de fer et même d’abolir tous les droits.

On dirait que le chemin de fer a été construit pour barrer le passage à l’Allemagne. Je croyais qu’il avait été construit pour offrir à l’Allemagne une deuxième issue. Si vous la lui ôtez, elle est aura d’autres encore.

On s’est livré de nouveau à beaucoup de conjectures sur la probabilité de l’accession du Zollverein, du Hanovre, de l’Oldenbourg et des villes anséatiques. Je regarde comme un peu oiseux d’examiner toutes les conséquences possibles d’un événement de ce genre, qui, selon moi, aurait la plus grande portée. L’accession du littoral au Zollverein changerait tellement la constitution politique et commerciale de l’Allemagne que nul ne peut dire aujourd’hui quelles seraient les conséquences de ce grave événement, complément de la grande pensée du Zollverein.

Jusqu’à quel point le Zollverein aurait-il alors besoin de la Hollande ou de notre chemin de fer ? C’est ce que nul ne peut dire aujourd’hui. Mais cependant il est permis de supposer que cette accession ôterait de son importance à la Belgique, non pas par rapport aux provinces rhénanes, mais par rapport à toute l’Allemagne au-delà du Rhin.

L’Allemagne, sans doute, doit désirer l’accession des villes anséatiques, du Hanovre et de l’Oldenbourg ; mais nous, comme Belges, nous devons désirer que cet événement s’accomplisse le plus tard possible. Quand cet événement s’accomplira, Dieu sait quelles seront les relations que nous aurons alors à former avec l’Allemagne et quelles concessions nous aurons à lui offrir.

Je crois donc avoir réduit à leurs véritables proportions, sans annuler tous les avantages, les concessions maritimes faites à l’Allemagne, les concessions de transit que nous avons, non pas faites, mais maintenues, quant aux chemins de fer.

L’Allemagne trouve des avantages dans le traité ; il le faut bien ; je pourrai y revenir si la discussion l’exige.

J’ai aussi voulu faire ressortir un point dominant dans le système de concessions sur lequel repose le traité ; c’est qu’aucune concession exclusive, pas même en matière de navigation, n’a été faite à l’Allemagne, tandis que l’Allemagne nous a accordé, pour notre industrie métallurgique, une concession exclusive.

M. de Theux – Messieurs, je déclare que je voterai pour le traité. Cependant je ne puis accepter la réponse que M. le ministre de l'intérieur a faite au discours de l’honorablet M. d'Elhoungne, parce qu’en défendant le traité conclu par le gouvernement, il l’a envisagé d’une manière trop favorable au point de vue de la Belgique et d’une manière fort peu favorable au point de vue allemand. Il faut exposer les choses telles qu’elles sont, afin qu’on ne se fasse pas illusion en Allemagne, qu’on ne puisse pas croire avoir trop fait pour la Belgique quand on a fait trop peu.

Cette observation paraîtra peut-être étrange après la déclaration que je viens de faire que je voterai pour le traité. Mais une partie des avantages faits au Zollverein ne nous étant pas préjudiciable, je crois pouvoir, en toute sûreté, accepter le traité, bien qu’il offre des avantages plus considérables à la Prusse qu’à la Belgique.

Afin de faire cette démonstration, je dois faire quelques observations encore sur l’article « Bois », afin qu’il ne s’établisse pas dans cette chambre un préjugé à la suite de la déclaration faite hier par M. le ministre de l'intérieur. Il lui a paru qu’il y aurait inconvenance à augmenter maintenant le droit de douane sur les bois ; il lui a paru que la nécessité de l’augmentation n’était pas démontrée.

En ce qui concerne l’inconvenance d’augmenter le droit de douane sur les bois, je ferai observer qu’il ne s’agit pas d’apporter un amendement à la loi qui sanctionne le traité, mais qu’il y a lieu de présenter un projet de loi élevant ce droit de douane, projet qui fera l’objet d’une discussion toute spéciale. La question traitée de cette manière ne peut soulever aucune susceptibilité. En effet, chaque fois qu’une des parties contractantes a voulu lier l’autre partie relativement à certains avantages commerciaux, elle a eu soin (page 374) de stipuler que les droits existants seraient maintenus et ne pourraient subir aucune amélioration, ou que la concession faite par une partie à l’autre ne pourrait être étendue à d’autres Etats. Quand nous ne trouvons dans le traité aucune stipulation de cette nature, c’est que nous sommes parfaitement libres. Autrement, l’argumentation irait jusqu’à nous interdire d’apporter aucune augmentation de droits à l’entrée des céréales.

Je dis que, le pavillon de la Prusse étant assimilé au pavillon belge, l’importation de grains étrangers venant des ports de la Baltique, qui se faisait ordinairement en grande partie par navires prussiens et qui se fera peut-être en totalité par ces navires, amènera un abaissement de la protection accordée à nos céréales. Ce point est évident. Or, vous voyez que, s’il y avait inconvenance pour le bois, il y aurait inconvenance aussi pour les céréales ; que la raison de convenance doit disparaître de la discussion, et qu’il ne reste plus à examiner que la nécessité. La nécessité a été démontrée à la dernière évidence lors de la discussion de la loi des droits différentiels.

Il y a été établi que, malgré les droits différentiels, les navires belges ne pourraient jamais concourir avec les navires allemands pour l’importation des bois. Cette observations a été faite par l’honorable M. Donny, député d’un de nos ports, et qui est à même de connaître cette question.

Mais quel est le droit protecteur pour les bois venant par pavillon national ? Deux francs pour les bois en grume. C’est un droit de 4 p.c. Est-ce là une protection sérieuse ? Non, assurément. Le droit de 4 fr. par navire étranger était seul envisagé comme protecteur, parce qu’il était évident pour tout le monde que celui-là seul serait appliqué. Il est de 8 p.c. Si nous établissions un droit de 8 p.c. sur tous les bois par navires belges ou pavillons assimilés, il est évident que nous resterions dans les limites d’une protection très-modérée qui ne pourrait être l’objet d’aucune espèce de critique. Aussi, il n’est pas douteux, pour moi, que la question lorsqu’elle sera soumise à la chambre, sera résolue en ce sens.

Un autre motif pour qu’il n’y ait pas inconvenance à prendre cette mesure, c’est que rien n’empêche le gouvernement de conclure des traités d’assimilation de pavillon avec d’autres Etats qui pourraient lutter avec les navires prussiens pour l’importation des bois en Belgique. Il y a donc toute liberté.

Passons maintenant à l’examen des dispositions du traité. Quatre concessions sont faites à la Belgique. La première tombe sur les fers. Il est important de remarquer que la réduction de moitié du droit ne porte que sur la surtaxe introduite pendant l’été dernier et qu’elle ne porte en aucune manière sur l’ancien droit protecteur qui existait en Allemagne antérieurement.

Je pourrais faire remarquer, en passant, que la question de l’importation des fers en Allemagne n’a pris de l’importance que depuis l’époque où de grands perfectionnements ont été apportés à notre industrie métallurgique et qu’il y a eu une crise qui a amené un grand encombrement dans les principaux établissements de cette industrie. C’est là ce qui explique pourquoi cette question n’a pas été traitée auparavant sous le même point de vue qu’elle l’a été depuis. Le second avantage fait à la Belgique, est la réduction de moitié du droit à la sortie des laines ; le troisième est relatif à l’entrée des fromages d’origine belge. Je ferai observer que c’est à tort qu’on a dit, dans le rapport de la section centrale, que c’était un avantage concédé à la province de Limbourg ; car c’est une partie de l’ancien duché de Limbourg aujourd’hui incorporée dans la province de Liége, mais non la province de Limbourg, que cet avantage concerne. Je le dis pour faire connaître que la province qui m’a envoyé dans cette enceinte, ne trouve aucun avantage ni désavantage dans le traité.

M. de Brouckere – C’est ce qu’on les appelle des fromages du Limbourg.

M. de Theux – Précisément.

Le troisième avantage que vous offre le traité, c’est l’exportation de 15 mille moutons.

Voyons maintenant les avantages que le traité fait à l’Allemagne.

D’abord l’assimilation du pavillon prussien au pavillon belge, avec réciprocité. Cet avantage profite exclusivement au Zollverein, car nos navires n’entreront pas en concurrence avec ceux du Zollverein. Cet avantage est très-important, aujourd’hui qu’on a voté des droits différentiels considérables. Le deuxième, c’est celui relatif à l’importation des vins et des soieries. Le troisième est celui relatif à la sortie des écorces ; cet avantage est accordé au préjudice d’une de nos industries : la tannerie. Un quatrième avantage, c’est l’importation de merceries de l’Allemagne ; un cinquième avantage, c’est l’introduction des fils de Westphalie. Cet avantage paraît mixte, il est en partie favorable à l’Allemagne, en partie favorable à la Belgique. Il en est de même de la loi du 6 juin 1839, concernant les relations commerciales de la Belgique avec le grand-duché de Luxembourg ; cependant ce n’est qu’au profit de l’Allemagne qu’il a été stipulé que nous ne pourrions modifier ces dernières lois. Je mettrai encore au nombre des avantages mixtes les stipulations relatives au transit, en faisant observer que la balance des avantages penche du côté de la Prusse, car le transit est favorable à son industrie et à son commerce, et, quant à la Belgique, le transit n’est favorable qu’à ce qui concerne le commerce.

Un dernier avantage pour l’Allemagne, ce sont les mesures répressives de la fraude. Cet avantage est immense, comme l’a fait remarquer l’honorablet M. d'Elhoungne.

Vous voyez qu’en réunissant les différents avantages et en les mettant en parallèle, la balance penche du côté de l’Allemagne. Il était de toute nécessité de faire ressortir ces considérations, pour qu’on ne se fît illusion ni ici ni en Allemagne, pour l’époque où il s’agira de renouveler le traité.

Qu’il me soit permis de jeter un coup d’oeil rétrospectif sur les négociations antérieures au traité. Ici je dois être très-bref, car pour entrer dans de longs détails il faudrait compulser des dossiers qui sont aux archives du ministère.

Je ferai une seule observation : c’est qu’en 1837 la Belgique ne pouvait pas traiter comme aujourd’hui avec la Prusse. La Prusse était liée avec le Zollverein, ne pouvait traité, en ce qui concerne l’association, qu’avec l’assentiment de tous et de chacun des Etats du Zollverein, dont aucun n’avait reconnu la Belgique, et ne pouvait traiter avec elle.

D’autre part, le gouvernement prussien partait encore de cette idée, qu’il serait imprudent, impolitique d’améliorer notablement la positon de la Belgique, quant à ses relations avec l’Allemagne, aussi longtemps que le traité définitif avec la Hollande et avec la confédération germanique n’était pas signé. Cette observation, messieurs, je puis la donner comme certaine, parce qu’elle m’a été présentée à moi-même.

Depuis lors le temps a marché et les circonstances ont considérablement changé. Non-seulement ces obstacles ont disparu, mais le chemin de fer a reçu son achèvement ; des relations commerciales plus étroites se sont établies avec l’Allemagne ; et dès lors nous avons trouvé dans le sein de ce pays un appui beaucoup plus vivace.

En troisième lieu, la convention de juillet, conclue avec la France, a mis en quelque sorte le gouvernement belge dans la nécessité de faire gratuitement à l’Allemagne concession de certains avantages de ce traité. Ayant été obligé de retirer cette concession, le gouvernement prussien a frappé, de son côté, une surtaxe sur nos fers ; la loi des droits différentiels a achevé de placer les deux parties dans un état d’hostilité qui devait avoir une fin immédiate, sous peine de sacrifices considérables.

Voilà, messieurs, quelles sont les circonstances qui ont amené la conclusion du traité, que je suis loin de désapprouver, pour lequel je suis, au contraire, déterminé à voter, sous prétexte que les avantages que nous en retirerons seront immenses et que nos relations commerciales tendraient , en quelque sorte, à se déplacer de la France vers l’Allemagne. Non, messieurs, telle ne sera pas la porté du traité. J’espère, au contraire, qu’il n’apportera aucun obstacle à la négociation d’un autre traité avec la France et que nous pourrons maintenir avec cet Etat les bonnes et anciennes relations qui sont si avantageuses aux deux pays.

Je bornerai là mes observations.

M. Castiau – Messieurs, à diverses reprises déjà il m’est arrivé de faire dans cette enceinte ma profession de foi sur notre politique industrielle et commerciale. Toutes les fois que l’occasion s’en est présentée, je n’ai cessé de déclarer que, dans mon opinion, en industrie comme en politique, la Belgique devait s’attacher avant tout aux idées généreuses et aux principes libéraux ; bien souvent aussi, messieurs, j’ai attaqué la politique du cabinet, cette politique qu’on me permettra de qualifier de politique arriérée, de politique rétrograde, pour me servir d’une expression malencontreuse adressée dans une de nos dernières séances à un de mes honorables amis politiques par M. le ministre de l'intérieur ; cette politique qui tend à se mettre à la tête des idées prohibitionnistes, à nous constituer en pays de monopole et de privilège, à nous isoler des peuples que nous avons le plus d’intérêt à ménager, et à provoquer ainsi des représailles dont notre commerce et notre industrie finiraient par devenir victimes.

Avec de telles convictions et de tels principes, vous comprenez, messieurs, que je suis porté tout naturellement à me montrer favorable à tout traité de commerce qui aurait pour effet d’amener la réalisation d’un de mes vœux les plus ardents, le principe de la liberté commerciale. C’est donc avec un véritable regret que je viens combattre le projet de traité qui vous est soumis. Je viens le combattre, parce que, ainsi que l’honorablet M. d'Elhoungne, je le considère comme hostile à nos intérêts politiques autant qu’à nos principaux intérêts industriels.

Et, avant tout, messieurs, j’éprouve le besoin, comme l’honorablet M. d'Elhoungne, de répondre à un étrange reproche, à une inconcevable accusation qui a été adressée à diverses reprises déjà par M. le ministre de l'intérieur aux adversaires du projet de loi. Depuis deux jour, M. le ministre de l'intérieur ne cesse de faire retentir dans cette enceinte les mots d’indépendance de la Belgique, de souveraineté de la Belgique. Procédant, comme d’habitude, par forme d’insinuation, il vient nous accuser, nous, adversaires de ce projet de traité, de porter atteinte en quelque sorte à l’indépendance du pays, de venir nier l’indépendance de la Belgique, le droit qu’elle a de conclure des traités avec toutes les nations qui l’environnent.

C’est là, messieurs, un étrange mode d’argumentation de la part de M. le ministre de l'intérieur. Avec de tels moyens on est sûr de réduire ses adversaires au silence. Mais est-ce que par hasard M. le ministre de l'intérieur prétendrait être la représentation, l’incarnation en quelque sorte de l’indépendance et de la souveraineté de la Belgique ? Est-ce que par hasard on ne pourrait plus douter de l’infaillibilité ministérielle sans être accusé d’être un mauvais citoyen et de conspirer l’asservissement de son pays ?

Il ne peut en être ainsi, messieurs ; nous protestons de toutes nos forces contre de telles insinuations et d’aussi blessantes accusations. Nous respectons l’indépendance de la Belgique, nous respectons le droit qu’elle a de conclure des traités. Mais qu’a de commun l’indépendance du pays et la politique industrielle du ministère ? Autant que personne nous sommes dévoués à l’indépendance nationale ; mais nous ne nous en croyons pas moins le droit d’attaquer les actes désastreux du ministère.

(page 375) Nous ne cesserons de l’accuser d’avoir fait dans l’occurrence un détestable usage de son droit de négocier, nous ne craindrons pas de l’accuser, non-seulement d’avoir compromis les intérêts du pays, mais aussi d’avoir compromis jusqu’à un certain point, ce qui est plus grave encore, la moralité du gouvernement vis-à-vis des nations étrangères.

Tout n’est pas encore fini, en effet, à l’occasion de cette accusation accablante qui a été adressée par l’organe du gouvernement prussien à M. le ministre de l'intérieur. Vous savez, messieurs, que dans une de vos dernières séances, en présence de cette accusation qui tendait à déclarer qu’il y avait eu, de la part du ministre, oubli de la parole donnée, violation d’un engagement formel, M. le ministre de l'intérieur, pressé, harcelé par les impitoyables interprétations de l’honorable M. Devaux, avait fini par opposer, et assez crûment encore un démenti à l’assertion du plénipotentiaire prussien. Depuis lors, on s’est ravisé ; la nuit a porté conseil. On est venu hier matin dans cette enceinte faire une sorte d’amende honorable.

Hier, en effet, vous avez entendu M. le ministre de l'intérieur vous déclarer qu’il ne voulait pas jeter sa personne entre les deux gouvernements, rétracter son démenti et vous dire qu’il consentait à être méconnu. Permis à lui de se présenter comme un Decius et de pousser le dévouement presque jusqu’au sacrifice de son honneur, en acceptant, de sa part, le démenti qui lui avait été infligé. Mais M. le ministre de l'intérieur n’a pas vu que, s’il pouvait ainsi faire bon marché de sa personne et de sa moralité politique, il ne pouvait en être de même de l’honneur et de la considération du gouvernement, dont il était ici le représentant, et qu’il a si imprudemment compromis dans ces circonstances.

Je n’insisterai pas davantage sur cette considération, qu’il est douloureux pour nous de devoir rappeler sans cesse, parce que, je le répète, elle est accablante pour M. le ministre de l'intérieur, compromettant pour la dignité du gouvernement belge. Aussi sans examiner plus longtemps la question de savoir si c’est véritablement à un acte de déloyauté du ministère belge qu’on doit attribuer la rupture des négociations avec la Prusse, je me contenterai de faire ressortir les preuves d’imprudence et d’impéritie que nous avons le droit de reprocher au ministère et qui sont de nature à engager fortement sa responsabilité devant les chambres et devant le pays.

C’est, en effet, à la suite du retrait de l’arrêté du 28 août 1842, que le conflit a éclaté entre la Belgique et la Prusse. Y a-t-il eu, dans le retrait de cette disposition, violation de la foi donnée ? Y a-t-il eu simplement maladresse, imprudence et impéritie de la part du gouvernement belge ? Peu importe ; M. le ministre de l'intérieur a dû connaître et prévoir l’importance que cet arrêté devait avoir pour la Prusse et les conséquences que son retrait devait produire. Il les a si peu ignorées, que, hier encore, je pense, il est venu vous donner lecture de nombreux passages de ses discours qui prouvent qu’il prévoyait les effets désastreux de cette mesure et qu’il a été, comme il le disait, prophète en cette circonstance.

Eh bien, après avoir ainsi constaté l’immense importance que la Prusse attachait à cet arrêté, comment donc, animé qu’il était de cette conviction, comment M. le ministre de l'intérieur, en présence de tous ces précédents, et avec la prédiction des dangers qu’il allait soulever, comment a-t-il osé retirer cet arrêté, dont la concession, sans doute, avait acquis pour la Prusse toute la force d’un droit acquis ? Ce serait donc gratuitement et de gaieté de cœur, en quelque sorte, qu’il serait venu provoquer la rupture de nos relations avec la Prusse.

Ainsi, voici l’alternative pour le ministère : déloyauté d’une part, maladresse et impéritie de l’autre ; qu’il choisisse entre l’une ou l’autre de ces positions.

Après s’être ainsi précipité dans des difficultés qui, un instant, paraissaient insolubles, on a mis autant d’imprudence et d’irréflexion dans les brusques négociations qui ont suivi. Enfin, à force de concessions et de sacrifices, on a désarmé la Prusse et l’on est arrivé à la conclusion du traité du 1er septembre. Examinons-le.

J’ai dit que ce traité du 1er septembre était hostile aux intérêts politiques de la Belgique. C’est aussi l’opinion que vient d’exprimer l’honorablet M. d'Elhoungne. Seulement cet honorable membre n’a fait qu’indiquer son opinion sur ce point ; il m’a paru avoir usé, en cette circonstance, d’une extrême réserve. Cette réserve, je crois pouvoir la déposer en ce moment et aborder hardiment la difficulté. Car enfin, sil y a eu des indiscrétions commises, ces indiscrétions sont parties de la bouche des organes du gouvernement lui-même, et se sont quelque peu retrouvées sous la plume du rapporteur de la section centrale.

Il y a messieurs, une pensée politique dans ce traité du 1er juillet. Il faut le reconnaître, cette pensée politique est évidemment la pensée qui a présidé à la formation du Zollverein Cette pensée, elle n’est un mystère pour personne, c’est une pensée d’agrandissement et d’influence pour la Prusse. La Prusse veut établir et constituer à son profit l’unité allemande. Elle veut marcher aujourd’hui par les voies pacifiques à la continuation des conquêtes tentées par Frédéric le Grand par la force des armes.

Les faits, messieurs, les faits sont là pour confirmer cette prévision. C’est la politique prussienne qui a constitué le Zollverein ; c’est la politique prussienne qui chaque jour travaille à le fortifier et à l’étendre. C’est encore une pensée toute prussienne qui préside aux traités qu’on pourrait négocier avec le Zollverein. Derrière tous ces traités se cache cette pensée, toujours la même, toujours envahissante et toujours persévérante. Cette pensée, pour la Belgique, c’est le désir, c’est l’espoir qu’a la Prusse de pouvoir un jour nous enlacer dans les liens de l’association allemande, et d’absorber notre indépendance dans son cercle d’action et d’influence.

Voilà donc, messieurs, la pente sur laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Le traité n’est, en dernière analyse, qu’un acheminement à subir l’influence prussienne et la loi de l’association allemande. Eh bien, je le demande, quels rapports politiques peut-il exister entre la Belgique et la Prusse ? Est-ce à la Prusse que nous devons notre révolution ? Est-ce la Prusse qui a mis à notre disposition son Trésor et ses armées lorsque nous avons eu à lutter contre l’invasion qui déjà était aux portes de notre capitale ? Non certes. Quel était le rôle de la Prusse pendant le laborieux enfantement de notre nationalité ? La Prusse était en quelque sorite l’avant-garde de la coalition formée contre nous, et si un jour il éclatait en Europe un conflit entre les peuples libres et les monarchies absolues, quel serait encore le rôle de la Prusse ? Pensez-vous qu’elle défendrait alors nos idées démocratiques et le principe de la souveraineté nationale qui est la base de nos institutions ? Non, cent fois non. Elle reprendrait encore sa place à la tête de la coalition européenne qui serait organisée contre les peuples libres et contre les idées démocratiques, et nous la retrouverions encore sans doute au premier rang de nos adversaires.

Que serait-ce donc si cette pensée d’absorption, qui est au fond de la politique prussienne, était déjà partagée par quelques-uns de nos hommes d’Etat ? M. le ministre de l'intérieur ne s’est pas encore expliqué sur les éventualités de l’accession de la Belgique au Zollverein ; mais il a au banc des ministres un collègue qui, dans une circonstance importante, a montré beaucoup moins de réserve et de prudence ; je veux parler de M. le ministre des travaux publics et de l’inauguration du chemin de fer rhénan. Il s’agissait alors d’un grand événement, et l’on se trouvait en présence de l’Europe attentive. Eh bien, qu’a fait alors M. le ministre ? Il a exprimé les vœux les plus ardents, les vœux les plus chaleureux et les plus enthousiastes en faveur de la Prusse et des intérêts prussiens. De l’expression de ces vœux imprudents à l’accession de la Belgique au Zollverein, il n’y a qu’un pas. Qui nous assure qu’on ne le franchira pas ?

Cette sympathie pour la Prusse qui a éclaté en de si vifs transports d’enthousiasme sur les rives du Rhin, n’en retrouve-t-on pas comme l’écho, et le commentaire dans le rapport de la section centrale ? Quels sont, en effet, la conclusion, le résumé de ce rapport ? Quelle est la phrase qui le termine ? Cette phrase, écoutez-là avec soin, messieurs ; car elle paraît reproduire avec des formes plus diplomatiques peut-être la malencontreuse pensée qu’on a cru trouver dans les paroles de M. le ministre.

« La section centrale est partie de ce principe, que, dans une convention de ce genre, l’une ou l’autre des parties contractantes ne doit pas être nécessairement ou triomphante ou victime. Elle a pesé les inconvénients et les avantages matériels du traité, pour autant qu’ils soient susceptibles d’une appréciation positive ; mais elle y a vu aussi, dans un autre ordre d’idées, un acte de haute politique, destiné à consolider notre nationalité et contenant le germe d’un système auquel l’avenir réserve sont développement et sa justification. »

Comme ces paroles sont, paraît-il, un peu moins explicites que celles qu’on a attribuées à l’organe officiel du gouvernement belge, je prierai M. le rapporteur de vouloir bien nous donner quelques explications sur le sens et la portée de ce paragraphe. Je le prierai de vouloir nous donner le mot de cette énigme diplomatique, de vouloir nous dire quel est cet autre ordre d’idées, quel est cet acte diplomatique de haute politique destiné à consolider notre nationalité, quel est surtout ce germe d’un système auquel l’avenir réserve son développement et sa justification ? »

Je ne pousserai pas plus loin l’examen de la partie politique du traité, et je me hâte de l’examiner dans ses rapports avec nos intérêts industriels et commerciaux. Messieurs, m’en tenant à des considérations générales, je dirai qu’il était difficile, à peu près impossible au ministère, de contracter avec la Prusse un traité avantageux pour la Belgique. Nos intérêts devaient inévitablement être sacrifiés. Nous ne pouvions traiter avec ce pays qu’à des conditions défavorables.

Nos relations commerciales et industrielles avec la Prusse ne datent pas d’hier ; nous possédons déjà des moyens de les apprécier, et, procédant du connu à l’inconnu, il était facile, en interrogeant le passé, de pressentir l’avenir. Nous possédons des statistiques commerciales qui résument le mouvement actuel des affaires entre les deux pays. Eh bien, messieurs, si vous consultez les statistiques, vous verrez qu’en 1843 le mouvement commercial entre la Belgique et la Prusse a été tout en faveur de la Prusse. Les statistiques constatent, en effet, que les importations de la Prusse en Belgique ont excédé de trois millions les importations de la Belgique en Prusse : la Belgique a importé en Prusse pour 16 millions seulement, tandis que la Prusse a importé en Belgique pour 19 millions. Pour le Zollverein, je le reconnais, cette proportion est quelque peu changée ; nous voyons, en effet, que le Zollverein a importé en Belgique, toujours en 1843, pour 22,093,000 fr., et que la Belgique a importé dans le Zollverein pour 22,900,000 fr ; ainsi, il y aurait ici un excédant de quelques cent mille francs en faveur de la Belgique.

Mais, messieurs, rappelez-vous en présence de quel peuple vous vous trouvez, rappelez-vous surtout quelle destinée est réservée à l’industrie allemande. L’Allemagne est le pays où l’abaissement du salaire est arrivé à sa dernière limite. C’est le pays du bon marché de la main-d’œuvre, c’est le pays de la persévérance, de l’ordre et de l’économie ; c’est le pays aussi où se montre toute l’exubérance de population. Eh bien, tous ces éléments réunis feront que, dans un avenir assez rapproché, l’industrie allemande prendre, par la force des choses, un essor tel qu’il sera impossible à l’industrie belge de rivaliser avec elle pour les produits similaires.

(page 376) Ce qu’il faut ensuite à nos industries, c’est la stabilité. Or, quelle stabilité avec des traités comme celui qu’on nous soumet en ce moment ? La durée de ce traité est de six ans seulement, et pour le renouvellement de ce traité, il nous faudra réunir l’assentiment unanime des dix-neuf parties contractantes. Remarquez, en effet, que vous ne traitez pas ici avec une seule puissance, mais avec tous les membres d’une nombreuse association. Le nombre des puissances formant l’association allemande ne s’élève pas à moins de 19 ; ainsi que je l’ai dit, il faut donc réunir l’assentiment de ces dix-neuf puissances pour le renouvellement de ce traité.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Oui, il y a 19 ratifications.

M. Castiau – D’après la déclaration de M. le ministre, je vois que je ne me suis pas trompé. Il faudra dix-neuf ratifications pour la prorogation du traité.

Eh bien, messieurs, que l’on ait obtenu une première fois ces 19 ratifications pour un traité qui assurait tant d’avantages à l’Allemagne, je le comprends, mais quand l’époque du renouvellement du traité arrivera, je demande s’il sera possible encore d’obtenir ces 19 ratifications ; vous ne pourrez les obtenir alors qu’à la condition de faire de nouveaux sacrifices.

Ceci, messieurs, mérite d’être pris par vous en sérieuse considération.

Dans six ans, il suffira du simple veto d’une des personnes contractantes pour faire crouler tout le traité et livrer l’industrie belge aux perturbations résultant d’un pareil événement.

Après ces considérations générales sur l’ensemble du traité, je devrais bien, messieurs, à mon tour, aborder l’examen détaillé des divers articles de ce traité. Je pourrais aussi les parcourir avec vous pour vous démontrer qu’à chaque pas et dans chaque article les intérêts de la Belgique ont été sacrifiés aux intérêts allemands. Mais cette partie de l’examen critique du traité vient de vous être présentée par l’honorablet M. d'Elhoungne d’une manière si complète et si décisive, que ce que j’ai de mieux à faire c’est de m’en référer au travail de cet honorable collègue. Sa critique, basée sur des autorités, des chiffres, et des faits, reste debout malgré les efforts tentés par M. le ministre de l'intérieur pour l’ébranler.

Je m’attacherai donc uniquement aux deux points principaux que M. le ministre a traités dans sa réplique, la question métallurgique et la question maritime.

La seule concession de quelque importance faite à la Belgique a été stipulée en faveur de l’industrie métallurgique. Mais pensez-vous, messieurs, que ce soit l’intérêt belge qui ait déterminé cette concession ? Non, certes ; c’est, avant tout, l’intérêt de l’Allemagne. Elle s’inquiète assez peu de la détresse de cette industrie en Belgique ; mais en ce moment elle a besoin de nos fontes, pour le vaste réseau de chemins de fer qu’elle projette. Voilà la cause, l’unique cause de la concession qu’elle nous fait dans le traité du 1er septembre. Cette concession sera donc purement temporaire de sa nature, et elle disparaîtra inévitablement avec le besoin qui l’a fait naître. Ce besoin existera-t-il encore dans six ans ? qui donc ici pourrait et oserait l’affirmer ?

Maintenant, l’avantage accordé ici à la Belgique est-il donc si considérable ? Mais comme l’ont déjà fait observer les orateurs qui ont parlé avant moi, l’avantage accordé ne porte que sur la surtaxe dont nos fers ont été récemment frappés. Auparavant aucun droit ne pesait sur l’introduction de nos fontes en Allemagne. Maintenant les voilà soumises à un droit de 1 fr. 33 par 100 kilogrammes.

Notre position, de ce chef, loin d’être améliorée, est, au contraire, malheureusement empirée par le projet de traité.

Est-il donc vrai, ainsi que l’a prétendu M. le ministre de l'intérieur, qu’avec ce droit de 1 fr. 33 nos fers n’auront pas à craindre la concurrence de la métallurgie en Allemagne ?

Tout à l’heure on vous a dit, messieurs, quelles étaient les circonstances exceptionnelles qui maintenaient, en ce moment, le haut prix des fers anglais. Ces circonstances, purement accidentelles, venant à disparaître, les variations et l’abaissement des prix reparaîtront aussi, et nous aurons de nouveau à combattre sur le marché de l’Allemagne la redoutable concurrence de l’Angleterre. Et cette concurrence ne sera pas la seule. Quoi qu’on en pense, nous nous trouverons aussi en présence de la concurrence que nous fera la métallurgie allemande, dont le développement grandit de jour en jour et qui va prendre un nouvel élan au contact de la protection que le nouveau tarif lui assurer. Cette perspective est-elle bien rassurante ?

Mais voyez donc et appréciez l’importance de la concession, vous disait il n’y a qu’un instant M. le ministre. Cette concession en faveur des fers belges est exclusive, l’Allemagne s’est enchaînée ; elle nous a fait une concession qu’elle s’est interdit d’accorder à toute autre nation. Je pense, messieurs, que M. le ministre de l'intérieur a exagéré quelque peu la portée de cette clause du traité. Le traité ne s’oppose pas à ce que l’Allemagne accorde aux autres nations et à l’Angleterre une réduction sur le droit qui frappe leurs fers ; il y est dit seulement que, dans ce cas, il y aura lieu à des compensations.

Quelles seront donc ces compensations ? De quelle nature seront-elles ? Que deviendra l’industrie métallurgique belge, pendant que les gouvernements seront occupés à rechercher quelles peuvent être les compensations dont il est parlé ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Lisez le traité.

M. Castiau – Ces compensations n’y sont pas déterminées.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous êtes dans l’erreur.

M. Castiau – Je vais lire l’art. 19 du traité :

« Cependant, si, par les réductions du tarif du Zollverein, il arrivait que l’avantage de cinq silbergros quant à la catégorie A, et sept et demi-silbergros quant à la catégorie B, ne fût plus réalisable qu’en descendant, en faveur des fers belges désignés ci-dessus, au-dessous du tarif général antérieur au 1er septembre 1844, alors les deux hautes parties contractantes s’entendraient sur les compensations à accorder à la Belgique à l’époque de l’application des réductions. »

Quelles seront ces compensations ?

Vous voyez qu’il est question ici d’accord sur les compensations, et que cet accord entre dix-neuf puissances n’est pas chose facile. Il n’est pas dit que ces compensations seront accordées en faveur de l’industrie métallurgique ; elles pourront porter sur d’autres industries. Le traité n’est donc pas de nature à rassurer l’industrie métallurgique sur le sort qui l’attend dans le cas où l’Allemagne abaisserait son tarif en faveur des autres peuples.

J’en viens à la question maritime qui vient aussi d’être traitée dans le discours de M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre a prétendu que les attaques, dirigées par l’honorablet M. d'Elhoungne contre les stipulations du traité, étaient empreintes d’exagération ; il vous a dit que les avantages attribués à l’industrie prussienne ne pourraient jouir de ces avantages qu’autant qu’ils auraient passé par les entrepôts prussiens avant d’arriver en Belgique.

Mais M. le ministre de l'intérieur a oublié, en ce moment, une considération qui renversait toute son argumentation ; cette considération, c’est la liberté du transit qui a été accordée d’une manière absolue et illimitée à la Prusse pour ses importations et pour ses exportations. C’est que cette liberté a pour effet de faire considérer le port d’Anvers, par exemple, comme une continuation du territoire prussien ; c’est que les navires prussiens arriveront dans le port d’Anvers, comme dans un port de l’association allemande, et qu’Anvers va devenir l’entrepôt du commerce du Zollverein.

Mais, nous dit M. le ministre de l'intérieur, cette faculté de transit, qui est si grande dans les circonstances actuelles, ne résulte pas du traité ; elle résulte de la législation elle-même. Une loi vous a été présentée pour régler ce droit, et, à deux reprises différentes, vous avez donné votre assentiment à cette loi.

Eh bien, puisque la Belgique s’était montrée généreuse, n’était-ce pas un motif pour le gouvernement de présenter cet acte de générosité comme un exemple à suivre par l’Allemagne ? N’était-ce pas un motif, et le plus impérieux des motifs, pour exiger de l’Allemagne, en matière de transit, cette égalité de position qui a été refusée à la Belgique ?

L’Allemagne, a ajouté M. le ministre, avait, après tout, d’autres communications que celles que lui offre la Belgique. Elle pouvait s’adresser à la Hollande et user de la navigation du Rhin.

Mais, remarquez que cette voie de communication est bien moins facile, bien moins rapide et beaucoup plus dispendieuse que celle que nous lui offrons. Les ports de la Hollande valent-ils le port d’Anvers ? Et le Rhin vaut-il notre chemin de fer ?

C’était là la voie artificielle tracée par vous-mêmes au commerce de la Prusse. Pourquoi donc ne pas profiter de cet avantage puisque, sous ce rapport, l’association allemande, en ce moment du moins, était à la discrétion en quelque sorte de la Belgique.

Je n’en dirai pas davantage sur la question maritime qui déjà été traitée par tant d’orateurs. Il en est des stipulations relatives à cette question comme de celles relatives aux intérêts purement industriels. Toutes ces stipulations sont en faveur de la Prusse, qui trouve ainsi dans le traité d’immenses ressources pour son commerce maritime et des faveurs de toute espèce pour ses principales industries.

Ainsi, question de navigation et questions industrielles, toutes les questions de quelque importance sont résolues contre nous dans le projet de traité. Pour une concession fort problématique en faveur de nos fers, nous accordons des privilèges aux vins, aux soieries, aux modes, aux fils, aux cotons, aux instruments de fer, aux articles de Nuremberg et à plusieurs autres articles de l’industrie allemande.

Le port d’Anvers, ce port qui faisait notre orgueil et qui était pour les autres peuples un objet d’envie, le port d’Anvers va devenir, en réalité, le port de l’association allemande.

La plus importante de nos créations, notre chemin de fer, en unissant Anvers et Cologne, va devenir une sorte d’annexe du territoire prussien.

Enfin nos négociants vont descendre au rôle de commissionnaires de l’association allemande.

Voilà à quels résultats doit conduire le traité qui est soumis en ce moment à vos délibérations.

Et c’est en présence de ce traité, en présence des conséquences déplorables qu’il doit avoir pour le pays, en présence des faveurs et des privilèges qu’il accorde à la Prusse, que vous avez entendu hier à la fin de la séance M. le ministre des travaux publics, saisi d’une sorte d’enthousiasme, se poser ici à cette tribune comme sur un piédestal, et prendre les airs d’un triomphateur pour écraser l’opposition. J’ai cru un moment qu’imitant un Romain célèbre, il allait aussi vous dire : « J’ai sauvé la patrie, montons au Capitole et remercions les dieux. » (Hilarité.)

Mais qu’est donc en réalité cette politique commerciale qui excitait ainsi l’orgueil, l’enthousiasme de M. le ministre ? Ne la considérons pas dans trois ou quatre petits arrêtés qui ont été rappelés hier par M. le ministre des travaux publics, mais considérons-la dans son ensemble, considérons-là dans ses faits les plus saillants ; nous verrons bientôt ce que c’est que cette politique du ministère, qu’on nous présentait comme empreinte du sceau de l’infaillibilité et du génie.

Rejetons-nous de trois mois seulement en arrière. Où en était alors cette (p. 377) merveilleuse politique ? Où elle en était ? Elle en était aux abois. Elle était alors aux abois, il faut le dire ; soit par sa déloyauté, soit par sa maladresse, le gouvernement avait provoqué une rupture violente avec la Prusse. Cette rupture plaçait le ministère dans la position la plus fâcheuse ; il n’a pu y échapper que par des manœuvres de toute espèce ; il a dû se placer un instant sous l’égide de la France, pour exciter les défiances de la Prusse ; et après avoir ainsi épouvanté la Prusse par un simulacre de négociations avec la France, il a fait à la Prusse les concessions les plus généreuses pour obtenir d’elle une trêve commerciale de six ans.

A côté de la Prusse, se trouvait une autre nation que le gouvernement, dans ses rapports, avait également intérêt à ménager. Cette nation, c’était la Hollande, la Hollande, l’un des principaux marchés pour nos produits fabriqués.

Qu’a fait encore la sagesse de nos hommes d’Etat ? Ils ont été provocateurs vis-à-vis de la Hollande comme vis-à-vis de la Prusse. Ils ont provoqué la Hollande en présentant leur projet de loi sur les droits différentiels dont on s’est fait hier et aujourd’hui encore un titre d’honneur. Mais si la loi des droits différentiels avait été votée, telle qu’elle avait été présentée, elle eût inévitablement amené un conflit entre la Belgique et la Hollande, et l’industrie belge eût été la première victime de ce conflit.

A cette occasion, M. le ministre de l'intérieur vous disait hier d’un air de triomphe : « On nous avait annoncé une tempête effrayante qui devait éclater sur nos têtes : qu’est donc devenue cette tempête ? que sont devenues les menaces de l’opposition ? »

Cette tempête sans doute n’a pas éclaté ; mais si elle n’a pas éclaté, c’est grâce à la prudence, à la raison de la chambre ; si elle n’a pas éclaté, c’est que le ministère lui-même a reculé devant sa propre création. Le cœur lui a manqué au moment d’engager la lutte. On a fat une exception en faveur de la Hollande ; on a enlevé à la loi le caractère agressif qu’elle avait pour cette puissance, et la prudence de la chambre a détourné du pays les désastres auxquels allait le livrer l’imprudente provocation du ministère.

Restait enfin un seul pays, restait la France ; la France, notre alliée naturelle, la France avec laquelle nous devions rester unis par le lien de la sympathie politique autant que par celui des intérêts matériels ; la France qui nous avait prêté un concours dévoué en présence des démonstrations menaçantes de l’Europe coalisée ; la France qui nous avait livré généreusement ses trésors et ses soldats pour protéger notre révolution et assurer notre indépendance ! Eh bien, quelle a été la politique de nos ministres vis-à-vis de la France ? Cette politique a été depuis deux ans une politique d’expédients, une politique de dissimulation, une politique de déceptions.

C’est ainsi qu’en 1842 on lui a fait, par un traité, acheter assez chèrement la faveur d’un droit différentiel pour ses soieries et sur ses vins ; on lui a laissé en même temps ignorer qu’on se réservait d’accorder gratuitement la même faveur à l’Allemagne, et quinze jours après la signature de la convention du 14 juillet, on se hâte de concéder à l’Allemagne, et gratuitement, et sans compensation, cette faveur qu’on avait vendue, et chèrement vendue à la France.

En 1844, nouvelle déception. Dans ses démêlés avec la Prusse, le ministère belge ne voit qu’un moyen de salut : il s’adresse à la France, il simule des velléités de négociation avec ce pays ; et c’est à l’instant où l’on avait pris au sérieux ces velléités de négociation, c’est à l’instant où l’opinion publique croyait à la réalisation de cette négociation, c’est à l’instant que l’on négocie secrètement et sourdement avec la Prusse ; et c’est à quelques jours de distance qu’on rompt brusquement les négociations avec la France, et qu’on signe avec la Prusse le traité qui est aujourd’hui soumis à notre examen, et qui devait avoir un si fâcheux retentissement en France. Est-ce là de la franchise et de la loyauté ?

Le gouvernement français ne s’est pas plaint, vous a dit M. le ministre ; il n’a adressé ni notes écrites, ni représentations verbales. S’il en est ainsi, j’admire, en vérité, la longanimité du gouvernement français. Mais si le gouvernement ne s’est pas plaint, il y a derrière le gouvernement français,des chambres qui, elles, pourraient bien se plaindre des mauvais procédés de notre gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Et vous les encouragez à le faire.

M. Castiau – Et derrière les chambres, l’opinion publique.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Que vous vous efforcez d’exciter.

M. Castiau – Non, M. le ministre ; la susceptibilité française n’a pas besoin d’être excitée. La France a le sentiment de sa dignité, et elle saura quand elle voudra, la faire respecter. Je crains seulement, je crains que, fatiguée de vos provocations et des déceptions dont elle aurait le droit de se plaindre, elle ne se laisse entraîner à accepter le conflit que vous semblez lui offrir ; et que deviendraient alors et le sort de nos principales industries, et la prospérité de nos principales provinces ?

Permis maintenant à M. le ministre des travaux publics, en présence de ces complications et de ces imprudences, de s’enorgueillir du prétendu triomphe de sa politique commerciale ; permis à lui de se donner l’innocente satisfaction de faire venir dans son cabinet, à tour de rôle, tous les industriels du pays, fabricants de draps, de cotons, de machines, que sais-je ? jusqu’aux fabricants de fromages pour recevoir leurs hommages et leurs félicitations (On rit) ; permis à quelques industriels en faveur desquels on veut rétablir aujourd’hui les monopoles et les privilèges, permis à eux d’environner de leurs éloges et de leurs adulations M. le ministre ; je doute que les consommateurs belges, qui sont aussi intéressés dans la question et sur lesquels vous faites peser des charges nouvelles, je doute qu’ils se joignent au cortège triomphal de M. le ministre ; je doute que le pays ratifie ces éloges exagérés accordés à une politique qui, à plusieurs reprises déjà, a failli compromettre l’avenir de nos principales industries.

Que restera-t-il en définitive, de cette négociation, pour le ministère ? On vous l’a dit : les ovations de l’Allemagne et les acclamations de la presse allemande, car ce traité du 1er septembre a été accueilli en Allemagne avec un véritable enthousiasme. C’est, en effet, un important triomphe pour ce pays et pour sa politique. Aussi déjà les services que nos ministres ont rendu à la Prusse sont-ils dignement et noblement récompensés par elle. Déjà, n’ont-ils pas reçu du gouvernement prussien, en témoignage de gratitude, les faveurs et les distinctions les plus flatteuses ? Oui, messieurs, de par un récent décret du roi de Prusse, notre trinité diplomatique, les trois pères putatifs du traité du 1er septembre, n’ont-ils pas été transformés en aigles de première classe ! (Hilarité générale et prolongée.)

M. Osy – Messieurs, après le discours plein de raison et de faits de mon honorable amit M. d'Elhoungne, j’aurai très-peu à ajouter pour faire ressortir les fautes commises par le traité qui nous est soumis.

M. le ministre des travaux publics, dans son discours d’hier, a voulu me répondre par un mémoire qu’il a reçu du commerce d’Anvers ou de la chambre de commerce d’Anvers. Messieurs, je ne viens pas ici avec un cahier ou des instructions du commerce ; je suis député de la Belgique avant tout. Sans doute, je ferai tout ce que je pourrai pour la prospérité de notre métropole commerciale, mais je ne sacrifierai jamais les intérêts généraux de la Belgique aux intérêts de la ville d’Anvers. Je crois avoir donné des preuves assez éclatantes d’indépendance et de dévouement au pays pour qu’on ne puisse pas se permettre, comme l’a fait M. le ministre des travaux publics, de me faire jouer le rôle d’envoyé de la ville d’Anvers avec des cahiers ou des instructions.

M. le ministre a voulu me répondre sur les observations que j’avais faites relativement à l’art. 5 de la convention. J’ai dit que, par cet article, vous détruisiez entièrement les avantages que vous accordiez au cabotage par la loi votée à la session dernière, établissant des droits différentiels. Qu’avez-vous fait pour les Etats-Unis ? Vous avez assimilé le pavillon américain au pavillon national, pour les produits de son sol et de son industrie. Pour l’Allemagne, vous avez été un peu plus loin que vous ne pouviez le faire par arrêté royal, vous l’avez fait alors par un traité. Vous avez assimilé les entrepôts prussiens au pavillon national.

Dans l’état actuel du Zollverein, il y a peu à craindre de cette concession, mais il faut voir l’avenir. Vous-même, M. le ministre, vous avez dit que l’accession des villes anséatiques au Zollverein serait fâcheuse pour la Belgique ; vous devriez prévoir ce cas, et ne pas accorder la faculté d’introduire, en Belgique, les marchandises des entrepôts appartenant au Zollverein aux mêmes droits que par pavillon belge. Cette accession arrivera, et les produits entreposés à Brême, à Hambourg, vous arriveront par les pavillons de ces villes. Les villes anséatiques pourront aller chercher dans la Baltique du bois en grume, et la marine prussienne, qui n’est pas considérable, se trouvera augmentée par l’accession de ces villes au Zollverein. C’est là une contradiction à la loi que vous avez votée l’année dernière. C’est là ce que je combats ; si Anvers ne partage pas mon opinion, je soutiens la loi que nous avons votée.

M. le ministre de l'intérieur disait que la loi des droits différentiels était l’acte de navigation de la Belgique. L’acte de navigation de l’Angleterre consiste dans des principes dont cette puissance ne s’écarte jamais ; avant la fin de la discussion de cette loi, que vous appeliez l’acte de navigation de la Belgique, vous avez sapé les principes que vous y aviez posés ; vous avez sapé ces principes, pour l’article le plus important de nos importations, vous avez accordé à une puissance voisine un avantage énorme, un tiers des importations de cet article. Vous ne pouvez donc pas dire que la loi des droits différentiels est notre acte de navigation. Le traité avec la Prusse sape encore les principes de cette loi. Vous voyez que vous ne suivez pas l’exemple de l’Angleterre.

L’Angleterre ne se départ pas de son acte de navigation ; les puissances qui traitent avec elle savent à quoi s’en tenir ; mais vous, vous agissez de telle manière qu’aucune puissance ne peut savoir à quoi s’en tenir. Si vous aviez un traité à faire avec le Brésil, on vous dirait : mais à quoi bon nous sert de traiter avec vous ? Vous accordez les mêmes avantages aux entrepôts d’Europe ? Le brésil pourrait-il songer à traiter avec vous ? Cet article 5 est beaucoup plus grave qu’on ne le pense.

Je ne comprends que pas M. Dechamps, qui a approfondi la question, ait pu donner son assentiment à cet article. Quant à M. le ministre de l'intérieur, c’est différent, nous sommes habitués à le voir trouver des moyens de se tirer d’embarras. J’avais confiance dans le caractère de M. Dechamps, mais je suis persuadé que s’il reste longtemps dans ce cabinet, entraîné par les exemples de M. le ministre de l'intérieur, il ne conservera pas son caractère. C’est l’exemple et le contact de M. le ministre de l'intérieur qui gâtent les autres ministres.

Ce n’est peut-être pas l’opinion de la majorité de la chambre, mais si on consultait le pays entier, je suis persuadé que la grande majorité serait de mon avis.

Vous avez entendu avec quelle chaleur M. Dechamps a défendu le traité, chaleur quet M. d'Elhoungne a parfaitement qualifiée. Je suis étonné qu’il ait passé sous silence un article d’une haute importance, je veux parler de l’art. 20 relatif aux laines. On nous accorde, par cet article, la réduction de la moitié du droit de sortie sur les laines aussi bien sur celles destinés à l’industrie que sur celles destinées au commerce ; il n’y a aucune restriction. Quand nous avons connu le traité, nous avons pensé à établir un grand (page 378) marché de laines aussi bien pour l’industrie belge que pour l’industrie des autres pays ; mais l’article qu’avait obtenu M. Dechamps a été détruit par l’art. 4 des articles supplémentaires. Je n’ai vu nulle part aucun motif pour détruire à si peu de jours de distance une concession avantageuse qu’on avait obtenue. Je demanderai à M. Dechamps s’il peut approuver l’art. 4 additionnel où il est dit que la réduction de droit sur la laine n’est accordée que pour celle qui sera strictement nécessaire pour notre industrie, et qu’on prendra des mesures pour assurer l’exécution de cette restriction.

Je vous demande si un article pareil pouvait être accepté. Une grande fabrique de Verviers fera une commande à l’étranger ; peut-on savoir si ses voisins n’en feront pas une demain ? Il peut arriver que les quantités fixées par les deux gouvernements auront déjà été achetées par quelques maisons, alors les autres devront payer l’intégrité du droit. Je vous le répète, je ne comprends pas comment cet article 20 a pu être détruit en si peu de jours.

J’ai relu les réponses faites par M. le ministre de l'intérieur à l’honorable M. Lesoinne. Cet honorable membre demandait s’il était bien entendu qu’on pouvait importer dans le Zollverein les fers par la Meuse et par le Rhin. C’est l’objet de l’art. 19. cet article dit clairement : « Les fers d’origine belge entreront par la frontière de terre, etc. » M. le ministre a dit qu’on pouvait également importer par la Meuse et par le Rhin. Comme je ne vois pas cela stipulé dans le traité, je ne sais pas quelle garantie vous avez qu’il en sera ainsi.

Les industriels de Liége, qui sont près du chemin de fer, pourront expédier les fers par terre. Mais les industriels du Hainaut ne pourraient expédier les leurs par terre qu’avec des frais énormes. Ils sont obligés d’exporter par le Rhin et la Meuse. Les industriels de Liége, qui trouveraient plus d’économie à prendre la voie du Rhin, pourraient bien être obligés d’y renoncer si l’article était appliqué à la lettre. Je demande que la déclaration de M. le ministre de l'intérieur soit insérée au procès-verbal, afin que plus tard s’il se présente des difficultés…

M. le président – Cette insertion au procès-verbal a eu lieu.

M. Osy – Je fais cette observation parce que, quand nous avons voté le traité avec la France, il était stipulé que les vins pourraient entrer par mer et par les frontières de terre, et nous avons tous cru qu’il s’agissait des frontières de terre de la France ; quelque temps après on nous a dit que cela voulait dire aussi la frontière hollandaise. De sorte qu’on nous importe par là des vins au tarif réduit. Ces choses-là me donnent des inquiétudes sur l’exécution que recevra l’article 19 du traité. Vous vous rappelez l’explication qui a été donnée quant aux bouteilles. Il y avait des ministres qui entendaient comme nous le traité en ce qui concerne les bouteilles ; mais la France l’avait entendu autrement, et quand on a eu l’explication de la France, on a cédé à la France.

Il pourrait bien se faire que le Zollverein prétendit que par les frontières de terre, il faut entendre le chemin de fer et non la Meuse et le Rhin, et dans ce cas on céderait au Zollverein comme on a cédé à la France.

L’honorablet M. d'Elhoungne a fait observer que la concession concernant les sucres et les vins était une grande faute. J’aurais compris qu’on stipulât que cette concession serait faite à la Prusse aussi longtemps qu’elle serait maintenue à l’égard de la France. Mais, d’après le traité, vous l’accordez pour six ans à la Prusse. Si vous ne renouvelez pas le traité fait en 1842 avec la France, quelle sera votre situation ? Vous ferez à la Prusse un avantage que vous refuserez à la France. Pourquoi n’avoir pas mis dans le traité que quant aux vins et aux soieries, la Prusse serait traitée comme la nation la plus favorisée ? Je ne suis pas diplomate, mais il me semble que cette expression, souvent employée dans les traités, valait mieux qu’une stipulation formelle pour six années en présence de l’éventualité du retrait de cette concession à la France, car quand la France ne jouira plus de cet avantage, pourquoi le continuer avec l’Allemagne ?

Enfin, messieurs, je finirai par dire qu’après mûr examen, après toutes les observations qui vous ont été présentées dans la séance d’hier et dans celle d’aujourd’hui, je crois que nous devons reconnaître que les commissaires prussiens ont été très-adroits et que notre gouvernement a été très-imprévoyant.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant s’associe aux considérations présentées par l’honorablet M. d'Elhoungne ; mais il ne s’associe pas à la conclusion. Je ne ferai pas un appel à la franchise, bien que ce soit le mot favori de l’honorable préopinant ; je ne ferai qu’un appel à la logique. Il aurait du s’associer à la conclusion de l’honorable député de Gand. (C’est vrai ! c’est vrai !) L’honorable député de Gand critique le traité ; mais conséquent avec lui-même, il vote contre le traité. L’honorable préopinant, au contraire, s’attache à disséquer le traité article par article, à le critiquer disposition par disposition, et ensuite il vient nous apporter son vote approbatif. (On rit.)

M. Osy – Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant critique le traité point par point ; sa critique n’est pas partielle ; il n’y trouve aucun avantage, en quelque sorte, de notre côté. D’autres membres l’on déclaré ; nous-mêmes nous le déclarons ; le traité ne renferme pas tout ce qu’il pourrait renfermer en notre faveur ; il constitue un système de compensation, et tout ce que vous avez à examiner, c’est s’il y a des avantages suffisants de notre côté.

L’honorable préopinant vous rappelle sans cesse la discussion de la loi des droits différentiels. Je ne sais, en vérité, pourquoi. Est-ce pour qu’on n’oublie pas le singulier revirement qui s’est opéré chez lui ? D’ardent défenseur du système des droits différentiels, nous l’avons vu après l’adoption à l’unanimité moins une voix d’un amendement qui lui avait d’abord souri (ce sont ses expressions), changer tout à coup d’opinion et voter contre la loi.

Cet amendement, qui a obtenu l’unanimité de vos suffrages moins la voix de l’honorable préopinant, était-il une si grande inconséquence ? Ou bien n’était-il que le résultat des nécessités que nous avait de bonne foi révélées, et à vous et à nous, l’ensemble de la discussion ? C’est là ce qu’il ne faudrait pas perdre de vue. Ou bien est-ce que cet échec d’être resté seul dans cette chambre à voter contre cette exception, pèserait à la mémoire de l’honorable préopinant ?

M. Osy – Je m’en fais gloire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant regrette que l’art. 5 se trouve dans le traité. Mais était-il possible de ne pas accorder au moins cette dérogation à la loi des droits différentiels ? Je vous ai indiqué tout à l’heure jusqu’à quel point cette expression est limitée. D’abord, c’est une exception pour les rapports directs de port à port ; en second lieu, c’est une exception non pas pour tous les produits de la Baltique indistinctement, n’importe où le chargement se serait effectué, mais en faveur des produits du sol et de l’industrie du Zollverein, et de tous les produits qui auront été déchargés, déposés, rechargés ; en un mot, entreposés dans les ports de la Baltique prussienne.

Est-ce que, messieurs, cette exception, ainsi limitée à trois cas, offre de si grands dangers ? Le danger, où est-il ? Il est dans une éventualité bien improbable.

Le danger est dans l’accession possible du Hanovre, de l’Oldenbourg, et surtout des villes anséatiques au Zollverein. Voilà où est le danger.

M. Delehaye – Il fallait le prévoir.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Mais prévoit-on à ce point toutes les possibilités ? Il fallait le prévoir ! Et pour obtenir une restriction sur ce point, une restriction dont vous n’aviez pas besoin, une restriction contre une éventualité improbable, vous auriez pu faire échouer toute la négociation, ou vous auriez dû vous imposer des sacrifices qui se trouvent aujourd’hui sans motif !

M. Delehaye – Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Lorsqu’un danger est aussi lointain, lorsqu’un danger est aussi improbable, on peut négocier en sauvant les intérêts actuels, cela suffit. Soyons prévoyants, mais n’exagérons pas la prévoyance ; car, à force de vouloir être prévoyant, de vouloir conjurer toutes les éventualités possibles, on compromettrait singulièrement le présent.

J’ai d’ailleurs dit quels pouvaient être les dangers de cette éventualité. Croyez-vous que les navires hambourgeois trouvent de grands avantages à nous importer de Hambourg, au droit d’entrepôt avec remise de 10 p.c. des cafés qui y auraient été entreposés ? je ne le crois pas. Je crois que les navires hambourgeois préféreront nous importer directement dans le port d’Anvers des cafés venant des lieux de production. En un mot, ils aimeront mieux payer 11 de. 50 que de payer 15. fr. ou même 13 fr. 50. Les navires hambourgeois peuvent nous importer dès maintenant du Brésil ou de Java du café en payant 11 fr. 50.

J’ai dit, parce que je veux être sincère, que cette éventualité pouvait se réaliser. J’ai dit que, cette éventualité se réalisant, le traité aurait une autre portée. Mais je vous ai prié de ne pas exagérer cette portée nouvelle ; et vous exagérez singulièrement l’application nouvelle qu’offrirait l’accession au Zollverein des villes anséatiques.

Messieurs, l’honorable préopinant s’est attaché à un autre point tout spécial. Nous avons obtenu une réduction de moitié sur les droits de sortie des laines. Il est dit, dans un article additionnel inséré dans le procès-verbal d’échange des ratifications, qu’il faut que ces laines soient destinées à être employées par l’industrie belge. La concession n’est donc qu’industrielle ? Oui, elle est faite en faveur de l’industrie belge. Elle n’est pas commerciale ; c’est-à-dire que les laines qui sortiront du Zollverein pour transiter par la Belgique, continueront payer l’ancien droit.

L’honorable préopinant désire de nouveau une explication. Je la lui ai donnée hier. Il était entré dans l’intention des parties de ne donner satisfaction qu’à l’industrie belge. C’est sur la demande de la chambre de commerce de Verviers, en un mot, qu’on avait depuis fort longtemps sollicité du Zollverein cette réduction. On avait adressé au gouvernement une réclamation industrielle, elle venait de la chambre de commerce de Verviers, et non pas une réclamation commerciale, venant, par exemple, de la chambre de commerce d’Anvers. La loyauté nous forçait à reconnaître qu’il en était ainsi et dès lors on a mis dans l’article additionnel que ces laines devaient être destinées à la consommation de l’industrie belge.

Et peut-être, messieurs, a-t-on bien fait ; car une autre objection nous aurait attendus. On serait venu nous dire : Il aurait mieux valu que la réduction ne fût applicable qu’à la laine destinée à l’industrie belge, parce qu’il importe de ne pas dégrever l’industrie étrangère concurrente. Nous voulons, serait-on venu nous dire (vous voyez comme toutes ces questions ont deux faces) que les industries étrangères qui demandent leurs laines au Zollverein continuent à payer deux thalers et non un thaler. Pourquoi avez-vous stipulé en faveur de l’industrie lainière à l’étranger ? De quoi vous préoccupez-vous ? Voici l’objection qu’on serait peut-être venu nous faire ?

Ainsi, messieurs, c’était une réclamation qui était venue de Verviers. Verviers nous expose depuis longtemps qu’il est à désirer que les droits de sortie pour les laines qu’elle demande à l’Allemagne soient diminués. Nous avons obtenu une diminution de moitié. Aucune réclamation commerciale ne nous est venue, en ce sens que personne ne nous a demandé que l’on obtînt le même dégrèvement sur les laines que notre commerce livre aux industries lainières concurrentes à l’étranger.

(page 379) Voilà, messieurs, notre explication, et je désire que l’honorable préopinant la trouve plus claire qu’hier.

Messieurs, je ne crois pas devoir répondre, en détail, au discours que vous a prononcé l’honorable M. Castiau. J’ignore jusqu’à quel point, d’après la péroraison de ce discours, je dois prendre au sérieux ce qu’il a dit.

M. Castiau – C’est très-sérieux.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cette péroraison vous aura sans doute bien étonnés ; elle est, certes, d’un genre tout nouveau. Nous avons dit, messieurs, que nous serions au regret de voir donner un caractère anti-français au traité du 1er septembre. C’est pourtant ce qu’a cherché l’honorable préopinant. Si ces appréhensions étaient fondées, il faudrait en conclure que la Belgique n’est en position de traiter qu’avec une seule puissance, que du moment qu’elle sort de cette position, elle manque à cette puissance. Eh bien, messieurs, c’est là une doctrine qu’on ne peut proclamer ici.

M. Castiau – Vous dénaturez ma pensée et mes paroles.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – La position de la Belgique, messieurs, est telle qu’elle peut traiter avec différentes puissances, et une puissance étrangère n’a à se plaindre que lorsqu’on a lésé ses intérêts matériels. Voilà la véritable doctrine que nous devons soutenir, que nous devons appliquer.

Il fallait donc démontrer que des intérêts matériels français se trouvent lésés et c’est ce qu’on n’a pas démontré. Je l’ai dit hier, je le répète aujourd’hui, la Belgique peut traiter avec la Hollande, avec l’Allemagne, avec la France, avec les Etats transatlantiques, sans sortir de sa véritable positon. Au contraire, chaque fois qu’elle traite de la sorte, elle reste dans sa position ; elle use du premier attribut de la souveraineté. Tout ce qu’elle a à examiner, ce n’est pas de savoir si elle diminue peut-être ce qu’on appelle l’influence politique de telle ou telle puissance, c’est de savoir si elle lèse les intérêts matériels de tel ou tel Etat. C’est cette lésion seule qu’elle doit éviter.

Si j’ai dit qu’il ne fallait pas grandir cet acte, c’est parce que je veux rester dans les habitudes que j’ai toujours suivies depuis quatorze ans, que je prends part aux affaires publiques. Si j’ai cru, en cette occurrence, cette recommandation nécessaire, c’est pour qu’on ne tombât pas dans cet écart, qui consiste à signaler cet acte comme le triomphe de la politique d’une nation sur la politique d’une autre nation, c’est pour qu’on n’arrivât pas à donner à cet acte un caractère antifrançais.

M. Castiau – Et les paroles de votre collègue ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Mon collègue n’est pas sorti de cette réserve. Il a parlé de notre politique commerciale en général, mais uniquement au point de vue intérieur. Il s’est permis de rappeler trois actes commerciaux posés par le gouvernement depuis dix-huit mois, le troisième avec le concours des chambres, la loi sur les droits différentiels ; voilà tout ce qu’il a fait. Il a cité des actes, il n’a pas été dire : « Montons au Capitole ». il nous suffit, à nous, de rester entre la Roche Tarpéienne et le Capitole. (Hilarité générale.)

M. Osy – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président – Il n’y a rien de personnel dans les observations de M. le ministre ; si vous insistez pour avoir la parole, je devrai consulter la chambre. Je dois même vous dire qu’après les paroles qui vous sont échappées, j’aurai dû vous rappeler à l’ordre pour remplir rigoureusement mon devoir. Vous avez été jusqu’à dire qu’un ministre a gâté son caractère à côté de son collègue.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre s’est servi d’expressions dont on ne servirait pas dans une société privée.

M. le président – La parole est à M. le ministre des travaux publics.

Plusieurs membres – A lundi.

M. Dumortier – Messieurs, le memorandum du gouvernement prussien et la réponse du gouvernement belge ont été insérés au Moniteur. Je demanderai que ces pièces soient imprimées dans la forme des documents parlementaires.

- Cette proposition est adoptée. La séance est levée à 4 heures.