Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 17 décembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 401) (Présidence de M. d’Hoffschmidt)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Rensonnet, fermier de la barrière de Battice, demande qu’il soit alloué au budget du département des travaux publics une somme destinée à indemniser les fermiers des barrières établies sur l’ancienne route de Liége à Aix-la-Chapelle qui ont été lésés par suite de l’établissement du chemin de fer. »

M. Lys – Messieurs, le pétitionnaire se trouve ruiné par suite de la reprise d’une barrière. Le chemin de fer ayant été ouvert quelque temps après, il a fait des pertes très-considérables.

Je sais qu’en strict droit on pourrait peut-être repousser la demande du pétitionnaire ; mais je crois que l’équité demande qu’il lui soit fait une remise sur le montant de son adjudication.

Je propose le renvoi de la pétition à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics.

- Cette proposition est acceptée.


Par dépêche en date du 16 décembre, le sénat informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi contenant les budgets des finances, des non-valeurs, remboursements et péages, et des dépenses pour ordre de l’exercice 1845.

- Pris pour notification.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances, pour condamnations judiciaire

Rapport de la section centrale

M. Osy – Je suis chargé, par la commission des finances, de vous présenter le rapport sur le projet de loi tendant à accorder au département des finances un crédit supplémentaire pour satisfaire à de condamnations judiciaires prononcées en faveur des communes de Dison et de Petit-Rechain.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. Lys – Messieurs, le rapport qui vient de vous être fait concerne des créances dues à quelques habitants et communes. Déjà la chambre a voté des crédits pour satisfaire à des condamnations résultant des mêmes arrêts. Il s’agit donc d’un projet de loi qui ne peut soulever d’opposition, et qui sera voté en un instant. J’en demande la discussion après celle du budget de la marine et des projets de peu d’importance qui se trouvent déjà à l’ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi qui proroge celle du 18 juin 1842, relative au transit

Rapport de la section centrale

M. Osy – J’ai l’honneur de vous présenter aussi le rapport de la section centrale qui a examiné le projet tendant à proroger la loi du 18 juin 1842, relative au transit.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je proposerai la mise à l’ordre du jour de ce projet après celui sur les péages.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi qui érige en commune distincte la section de Meerdonck (commune de Vracene)

Rapport de la section centrale

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi présenté par M. le ministre de l'intérieur, et tendant à former des parties agglomérées de Meerdonck une commune séparée.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Quelles sont les conclusions du rapport ?

M. de Man d’Attenrode – La commission conclut, à l’unanimité, l’adoption du projet.

- La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion de ce projet.

Projet de loi relatif à la fixation des circonscriptions cantonales des justices de paix

Motion d'ordre

M. Desmet – Comme la commission spéciale que vous avez nommée s’occupe en ce moment de l’examen du projet de loi sur la circonscription cantonale, je suis obligé de vous présenter une motion d’ordre.

Lorsqu’en 1834 le gouvernement a présenté son projet de loi sur la circonscription cantonale, quelques députés de la Flandre orientale, parmi lesquels se trouvaient M. C. Rodenbach, qui ne fait plus partie de la chambre, et MM. Dewitte et Desmet, vous avaient fait une proposition tendant à établir un 4e arrondissement judiciaire dans la Flandre orientale, et à faire une meilleure circonscription des arrondissements et cantons judiciaires. Cette proposition avait été renvoyée à une commission spéciale. Jusqu’à présent cette commission ne nous a pas fait son rapport. Je demanderai qu’elle soit invitée à nous le présenter le plus tôt possible, pour que la commission, chargée de l’examen du projet sur la circonscription cantonale, sache à quoi s’en tenir sur ce point.

M. Fallon – Effectivement, messieurs, dans la séance qu’a tenue aujourd’hui la commission chargée du projet de loi sur la circonscription cantonale, on a fait observer qu’une proposition avait été faite par deux membres de cette chambre, et entre autres par M. Desmet, tendant à ce qu’il soit créé un quatrième arrondissement judiciaire dans la Flandre orientale.

Cette proposition, prise en considération par la chambre, a été renvoyée à une commission spéciale, composée de sept membres. Ces sept membres étaient MM. Julien, Coppieters, Vuylsteke, de Roo, Liedts, Devaux et Kervyn.

Comme vous le voyez, deux de ces membres ne font plus partie de la chambre et devraient être remplacés.

Au surplus, la commission pourra s’occuper provisoirement de la circonscription des autres provinces où le même obstacle ne se présente pas.

M. de Villegas – J’appuie les observations présentées par M. Fallon. Je crois qu’au préalable, il y a lieu de compléter la commission qui a été chargée de l’examen de la proposition tendant à créer un quatrième arrondissement judiciaire dans la Flandre orientale.

Je pense, en outre, que la commission ne pourra s’occuper efficacement de cet examen, que lorsque les autorités compétentes seront consultées sur le mérite de la proposition dont il s’agit. Cette instruction est indispensable. La commission serait ainsi à même de nous présenter un travail complet sur une question dont l’importance n’est pas douteuse.

M. Dedecker – Messieurs, je suis singulièrement surpris de voir renouveler la proposition de la création d’un quatrième tribunal dans la Flandre orientale. Je ne veux pas m’opposer à ce que cette proposition soit examinée ; elle forme, d’ailleurs, si je ne me trompe, partie de l’arriéré de la chambre ; mais je dois me rallier à l’observation que vous a faite l’honorable M. de Villegas. Je crois qu’il serait impossible et peu convenable de prendre une décision sur une proposition aussi importante, avant d’avoir pris l’avis des autorités judiciaires et administratives.

Lorsqu’il s’est agi de la circonscription cantonale, la chambre n’a pas voulu aborder l’examen de la question avant que les autorités compétentes eussent été consultées.

Je pense, messieurs, qu’à plus forte raison il faudrait le faire lorsqu’il s’agit de remanier complètement nos arrondissements judiciaires. La question est bien plus importante, il faut que la chambre, dans l’intérêt même de ses travaux, consulte le conseil provincial et l’autorité judiciaire.

J’appuie donc la proposition de M. de Villegas.

M. de Terbecq – J’appuie aussi la proposition de M. de Villegas.

M. Fallon – Nous ne savons pas, messieurs, quels seront les documents qui seront mis sous les yeux de la commission chargée de l’examen de la proposition de MM. Desmet et collègues ; il me semble qu’il convient de ne pas statuer sur ce que demande l’honorable M. de Villegas avant d’avoir le rapport de cette commission. Lorsque ce rapport nous sera soumis, nous pourrons bien mieux juger s’il convient de renvoyer la proposition à l’avis préalable des autorités administratives et judiciaires.

M. Vilain XIIII – Si c’est le bureau qui est chargé de compléter la commission, je le prierai de remarquer qu’est est composée presque exclusivement de députés de la Flandre occidentale ; la Flandre orientale n’y est représentée que par deux membres.

- La chambre décide que la commission sera complétée par le bureau.

M. le président – MM. de Villegas et Dedecker demandent que la question soit l’objet d’une instruction préalable.

M. Desmet – Je dois appuyer l’observation faite par l’honorable M. Fallon. Il me semble qu’il faut attendre le rapport de la commission ; lorsque ce rapport sera fait, nous pourrons juger s’il est nécessaire de consulter les autorités administratives et judiciaires. Je demande que d’ici là rien ne soit décidé.

M. de Villegas – Par suite des observations faites par MM. Fallon et Desmet, je retire ma proposition.

M. Dedecker – Il doit être bien entendu que la commission ne pourra pas faire une proposition définitive, car alors nous perdrions l’occasion de nous prononcer sur la question soulevée par M. de Villegas.

Un membre – On pourra reproduire ultérieurement la proposition.

M. Dedecker – Alors je ne m’oppose pas à ce que la commission fasse d’abord son rapport.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec le Zollverein

Discussion générale

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je n’avais nullement l’intention de prendre part à la discussion qui est à l’ordre du jour ; mais des opinions émises, contraires à mes convictions, me forcent à rompre le silence. Avant d’entrer en matière, je déclare que si le traité qui nous est soumis est de nature à nuire aux intérêts agricoles et à la propriété ; je déclare, dis-je, que le gouvernement est coupable seulement d’une faute matérielle que nous pouvons réparer, et que, j’espère, on réparera. Par une fatalité, difficile à expliquer, dans toutes les négociations l’agriculture est presque toujours sacrifiée et cela au profit des nations avec lesquelles on traite, ou bien en faveur de quelque industrie. Je me bornerai à citer les traités avec la Hollande et avec le Zollverein : avec la Hollande on a dérogé à la loi du 31 juillet 1844, en autorisant cette puissance à introduire en Belgique et à livrer sur nos marchés 12 millions de kilogrammes de froment, en payant le quart du droit, et cela en concurrence avec les cultivateurs belges au détriment de notre agriculture ; avec la Prusse on accorde les mêmes faveurs que nous accordons à nos armateurs sur les droits d’entée des bois, du lin, du chanvre et des semences oléagineuses. Cette disposition est nuisible à notre agriculture en ce qu’elle augmente considérablement l’introduction de ces produits agricoles étrangers qui viendront concourir avec (page 402) nos produits similaires. En prenant la parole, mon but est d’appeler l’attention du gouvernement sur la nécessité d’augmenter les droits de douanes sur les matières qui donnent lieu à une réduction en faveur de notre navigation.

Par exemple, quant au bois qui paye 2 fr par navire belge et 4 fr. par navire étranger, le gouvernement pourrait nous soumettre un projet de loi qui augmenterait les droits comme suit : les bois non-sciés ou en grume payeraient 6 fr. par navire étranger et 4 fr ; par navire belge, au lieu de 4 et 2 fr. à l’entrée, et ainsi de même en ce qui concerne les lins, les chanvres et les semences oléagineuses.

Comme, d’après le traité, le Zollverein est assimilé à la Belgique, en ce qui concerne les droits différentiels, il n’aurait aucune plainte à nous adresser ; il jouirait de la même faveur que la marine nationale, et l’intérêt bien entendu de notre pays exige que nous protégions les producteurs indigènes avant les producteurs étrangers.

Loin de prétendre que le traité n’offre aucun avantage à la Belgique, je reconnais que les industries métallurgique et drapière profiteront des avantages concédés par le Zollverein. Mais on voudra bien convenir, avec moi, que les avantages accordés à ces deux industries le sont au détriment des intérêts agricoles, et, selon moi, nous sommes loin d’obtenir du Zollverein l’équivalent de ce que nous donnons : je dirai même que nous accordons quatre pour obtenir deux. Les quatre pour deux que nous donnons, c’est au détriment de la propriété.

On me répondra peut-être que c’est l’usage en Belgique, et que l’industrie agricole doit s’habituer à toujours faire des sacrifices en faveur des autres industries.

Mais, messieurs, souvenez-vous que la patience a des bornes et que la majorité, un jour, pourrait bien avoir des droits et des réparations à réclamer.

La classe des propriétaires, des agriculteurs et des ouvriers qui dépendent de la prospérité de l’agriculture, forme les trois quarts de la nation et, vous en conviendrez, les trois quarts font bien la majorité.

Je partage l’opinion de ceux qui réclament une protection efficace en faveur de l’industrie manufacturière. Je la veux comme eux ; mais je ne veux pas qu’on sacrifie le principal pour encourager les accessoires.

L’industrie métallurgique est, selon moi, l’industrie la plus importante après l’industrie agricole, bien entendu nous devons la protéger de tous nos moyens, après l’agriculture, cela s’entend ; a-t-on fait ce qui est nécessaire pour encourager cette industrie ? Selon moi, on a fait et l’on fait encore l’inverse de ce qu’on devait faire.

Le fer peut, dans les constructions, remplacer le bois ; par conséquent, le bois étranger arrivant en Belgique vient faire concurrence au fer.

Si vous voulez protéger efficacement et réellement l’industrie métallurgique, repoussez les bois étrangers, et la forgerie belge obtiendra bien plus d’avantages de cette disposition, qu’elle n’en recevra par le traité que j’attaque, et qui n’aura pas, sans condition, mon assentiment. Tout ce que je pourra concéder sera de m’abstenir, à moins que le gouvernement ne s’engage à prendre en considération la demande que je lui fais, de modifier le tarif de douanes. Si cet engagement est pris, je pourra voter pour le traité.

On nous a dit qu’on devrait s’attendre, en votant les droits différentiels, que, par suite des traités à faire, d’autres nations seraient appelées à jouir des mêmes faveurs que nous accordons à notre pavillon, je crois que cette considération a été perdue de vue. Si on avait bien mûri cette idée, j’aime à croire que, dans l’intérêt particulièrement de l’agriculture, on aurait exigé des droits plus élevés sur l’entrée des céréales et des bois.

Lorsqu’on a voté les droits différentiels, les défenseurs de l’agriculture ont consenti à faire un sacrifice en faveur de notre navigation ; mais s’ils avaient prévu que cette faveur serait par la suite partagée avec les étrangers, je doute qu’ils y eussent consenti.

On nous a promis que, s’il était reconnu que le traité était nuisible sous le rapport des douanes, on y remédierait ; c’est-à-dire que l’on jettera de l’eau sur l’incendie quand l’édifice serait réduit en cendres.

C’est assez l’usage en Belgique : on ne prévoit pas le mal, on attend sa présence pour le combattre. En un mot, on ne sent l’écueil que quand on a échoué ; on ne sait ni le prévenir ni l’éviter.On nous a dit que si nous augmentions le droit sur l’entrée dus bois on nuirait au Zollverein.

Je répondrai que si nous ne l’augmentons pas, nous nuirons à la Belgique. Par courtoisie, serions-nous disposés à nuire à la Belgique en faveur du Zollverein ?

De tous les pays agricoles, ; le plus mal traité c’est la Belgique ; et, chose étrange, nous ne sommes pas frappés du délaissement dans lequel sont restés les intérêts agricoles belges.

Les expressions de sympathie de la part du gouvernement et des orateurs qui parlementent en son nom, ne font pas défaut, et si quelque chose doit étonner, c’est le contraste entre les faits et les paroles.

En agit-on ainsi chez nos voisins ? je crois pouvoir dire : non. La France fait-elle jamais dans ses traités des concessions contraires aux intérêts agricoles ? Je répondrai encore : non.

Il est réservé à la Belgique seule de se conduire ainsi.

Si la France perçoit des impôts sur la propriété, comme le fait la Belgique, au moins elle la protège par des lois de douanes ; ni les bois, ni les céréales ne sont introduits en France avec des droits minimes comme ceux établis en Belgique.

La Prusse, messieurs, plus soucieuse des intérêts agricole que la Belgique, qui ne sait pas se refuser à la demande quand il s’agit d’obtenir quelques faveurs pour les industries manufacturières ; la Prusse, dis-je, fait l’opposé de ce que nous faisons : elle nuit à l’industrie métallurgique allemande pour obtenir la faveur d’introduire en Belgique les produits de son agriculture. Cette conduite prouve qu’en Prusse l’agriculture est considérée comme étant la première industrie.

La Hollande même, pays de peu d’importance en ce qui concerne la production des céréales, est plus soucieuse des intérêts agricoles que la Belgique ; elle vient de le prouver en exigeant, dans le dernier traité fait avec nous, le droit d’introduire 12 millions de kilogrammes de froment en payant le quart du droit en faveur de l’agriculture limbourgeoise.

Je dois un mot de réponse àt M. d'Elhoungne.

Dans la séance du 13, l’honorablet M. d'Elhoungne a prétendu que l’agriculture ne demandait rien que le maintien loyal de ce qui est.

L’agriculture, ajoute cet honorable membre, est protégée par la loi sur les céréales, par la loi sur le bétail, par les droits sur les bois étrangers.

La protection va disparaître si le traité est accepté, disait cet honorable collègue.

Je ne suis pas de l’avis de l’honorablet M. d'Elhoungne, que l’agriculture est suffisamment protégée et qu’elle ne réclame rien. Je prierai notre honorable collègue de prendre lecture des pétitions adressées à la chambre en 1843 et 1844 ; il y verra que de toute part on a réclamé et demandé la même protection pour l’agriculture belge que celle qui est accordée à l’agriculture française.

La Belgique a autant de droit à la protection qu’elle réclame, que la France.

La propriété belge, comme la propriété française, paye 13/16e des impôts. Sa position est identique. Et pour ce motif, elle a le même droit de réclamer une protection réelle. La Belgique est le pays agricole où les droits sur l’entrée des céréales est le plus modéré.

En Angleterre le droit est de plus de 10 fr. par hectolitre ; en France ce droit est de plus de 8 fr ; tandis qu’en Belgique il n’est perçu que trois francs. Il doit donc résulter de cette différence, que dans le moment où il y a du trop plein en Pologne, en Danemark, en Russie ou en Prusse et même en France, c’est en Belgique que ce trop plein est déversé, le droit d’entrée y étant plus modéré.

Que résulte-t-il de ce vice dans notre législation ? C’est que dans les années d’abondance l’on déverse dans notre pays une telle quantité de grains, que les nôtres doivent être vendus en dessous du prix de revient ; que le cultivateur, réduit à l’état de gêne, ne fait plus et ne peut plus faire aucune dépense en produits de l’industrie, en marchandises, en consommation des matières sujettes aux accises. Les propriétaires et les rentiers n’étant pas, ou étant mal payés, ne feront plus ou feront moins travailler. La classe ouvrière, sans travail, sera par conséquent réduite à la misère. Et, messieurs, que résultera-t-il de la gêne des cultivateurs ? Il est incontestable qu’il en résultera la ruine complète de l’industrie qui fabrique pour la consommation intérieure, la ruine du commerce, celle de la classe ouvrière, et par suite une réduction considérable dans les revenus du trésor, qui est loin d’en avoir trop.

Dans mon opinion, messieurs, nous devons protection à toutes les industries. Nous devons assurer le marché intérieur à tous les producteurs belges, mais particulièrement à l’industrie-mère, dont toutes les autres dépendent, l’agriculture !

En résume, si le gouvernement ne modifie pas le tarif des douanes, en ce qui concerne les bois, les lins, les chanvres et les semences oléagineuses, je serai fondé à dire que l’intérêt agricole est sacrifié aux industries métallurgique et drapière, industries qui, d’ailleurs, ont toutes mes sympathies, mais que je considère comme bien peu intéressées dans le traité, si je compare ces intérêts aux sacrifices imposés à la propriété.

Je terminerai en faisant remarquer que tout ce qui se fait en faveur de l’industrie ou du commerce, toujours, ou presque toujours, c’est au détriment de la propriété ou de l’industrie agricole.

Ces réflexions ne sont pas assez appréciées ; on ne prévoir pas les suites de la ruine de l’agriculture, on semble même croire que cette industrie ne peut être ruinée ; c’est cependant où tendent toutes les dispositions que nous prenons. Un jour viendra où on reconnaîtra que mes prévisions étaient fondées ; je fais des vœux pour qu’elles ne se réalisent pas. En Belgique, on ne croit aux événements fâcheux que quand la catastrophe est arrivée. Alors seulement, on avise au moyen de remédier au mal, tandis qu’on aurait pu, et je dirai plus, qu’on aurait dû le prévenir.

Si je n’avais pas craint d’abuser de votre attention, j’aurai pu vous signaler tous les avantages accordés aux industries du pays et au commerce, à charge des 13/16emes de la propriété ; mais la discussion ayant déjà été assez longue, je réserverai ce factum pour le moment où nous discuterons le budget de l’intérieur.

Ici je terminerai mes observations en déclarant que je ne puis donner mon vote approbatif au traité, si le gouvernement se refuse à modifier le tarif des douanes comme je l’ai demandé. J’attendrai une réponse pour me prononcer sur l’adoption, la non-adoption ou sur l’abstention lorsque le traité sera mis aux voix.

Je sais, messieurs, que les partisans du commerce me feront remarquer que le pays ne produit pas assez de bois pour sa consommation ; mais, messieurs, voulez-vous qu’il en produise assez ? voulez-vous qu’il en produise même beaucoup plus qu’il ne lui en faut ? alors encouragez la production. Vous ne parviendrez à faire produire à la Belgique une quantité plus considérable de bois, qu’en encourageant la production indigène, qu’en lui (page 403) garantissant le marché intérieur, qu’en élevant les droits sur les bois étrangers. N’avons-nous pas, messieurs, assez de terrains vagues ? manque-t-il en Belgique des localités où l’on puisse planter des bois ? Mais, messieurs, utilisez vos landes, utilisez vos bruyères ; semez du sapin là où notre sol est propre à en produire, plantez des mélèzes dans les Ardennes. Je regrette l’absence d’un de nos honorables collègues qui possède des propriétés dans les Ardennes et qui a fait, sous ce rapport, des essais couronnés d’un plein succès : lorsqu’il a replanté ses arbres, ils avaient l’épaisseur d’un tuyau de plume, et au bout de six ans, ils avaient au moins quarante-cinq centimètres de circonférence ; ils viennent mieux que dans les meilleurs terrains. (M. de Garcia fait un signe affirmatif.) Cherchez donc, messieurs, à produire vous-mêmes les bois que vous allez chercher à l’étranger. Je le répète, il dépend de nous de faire produire à la Belgique plus de bois qu’elle n’en peut consommer. C’est le moyen d’avoir des bois à bon marché.

- M. Vilain XIIII remplace M. d’Hoffschmidt au fauteuil.

M. d’Hoffschmidt – Messieurs, dans nos dernières séances, la discussion a pris une très-grande extension. Elle n’est plus seulement renfermée dans l’examen du traité qui nous est soumis, mais elle a embrassé tout le système commercial et industriel du gouvernement. Je crois, messieurs, que cette extension de la discussion est parfaitement opportune, d’abord à cause de l’importance même du traité, ensuite parce qu’il importe aussi d’examiner si ce que le traité peut nous faire gagner d’un côté, nous ne sommes pas menacés de le perdre d’un autre côté. Aussi, messieurs ; avant d’aborder l’examen des clauses principales du traité, je présenterai quelques observations sur la politique commerciale et industrielle du gouvernement.

Plusieurs honorables préopinant ont blâmé cette politique ; ils ont prétendu qu’elle tendait à nous éloigner complètement de la France.

Messieurs, je suis grand partisan de l’alliance française, et mes sympathies politiques, et ma manière de voir en ce qui concerne les intérêts industriels du pays, me portent de préférence vers nos voisins du Midi. Je blâmerais donc aussi vivement que les honorables MM. Castiau et d’Elhoungne toute politique qui, nous faisant abandonner la France, nous jetterait en quelque sorte exclusivement dans les bras de l’Allemagne ; je ne trouverais pas même d’expressions assez fortes, de réprobation assez énergique contre un semblable système ; mais telle, messieurs, n’est pas, à mes yeux, la politique du gouvernement ; cette politique n’est point, selon moi, exclusive ; elle n’est nullement antifrançaise. Je crois même, messieurs, que cette politique est tout ce qu’elle peut être dans la situation actuelle. Et lorsque je m’exprime ainsi, ne croyez pas, messieurs, que je vienne me poser le défenseur de tel ou tel cabinet, de tel ou tel ministre ; dans une question aussi grave, je ne vois que les intérêts du pays, et je fais complètement abstraction des personnes.

Messieurs, la Belgique ne peut rester dans un état d’isolement commercial. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point. Placée entre les deux grands marchés de l’Allemagne et de la France, resserrée dans l’étroites limites, douée d’une énorme force de production, accessible de toutes parts à la fraude, la Belgique industrielle, bornée à son propre marché, serait menacée de périr. Dès lors elle ne peut que choisir entre deux systèmes : ou elle doit chercher à conclure une association douanière avec une des grandes puissances qui l’avoisinent, et ce serait là le système exclusif ; ou elle doit user de ménagements avec tous ses voisins, et chercher à conclure des traités de commerce avec tous les pays qui offrent un débouché aux produits de son sol et de son industrie. Le premier de ces systèmes a été essayé. L’union douanière avec le seul pays avec lequel elle eût été possible a été tentée. En effet, d’après les révélations diplomatiques qui nous ont été faites, dès 1836 le projet d’une union douanière avec la France a été mis en avant ; depuis lors, il a été l’objet de négociations très-suivies. A cette époque, une commission belge, composée d’hommes d’Etat distingués, s’est rendue à Paris avec mission de placer les négociations sur le terrain d’une union douanière.

Ce système a échoué : des obstacles immenses qui s’y opposaient, n’ont pu être vaincus. Ils résidaient principalement dans les exigences des industriels français, exigences qui pèsent de tout leur poids sur le gouvernement et sur les chambres françaises, dans l’opposition des puissances étrangères, et aussi dans notre juste susceptibilité à l’égard de notre nationalité et de notre indépendance. C’est là, messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, une barrière de longtemps encore infranchissable contre ce projet d’union dont la réalisation aurait, du reste, offert d’immenses avantages à notre industrie.

Ce premier système ayant donc échoué, que pouvait faire le gouvernement belge ? Devait-il se croiser les bras et attendre des concessions fort problématiques de la part de la France ? Ou prétendrait-on qu’il ne devait traiter qu’avec une seule puissance ? Je crois qu’une telle opinion n’est pas soutenable.

Le gouvernement devait donc entrer complètement dans le deuxième système ; c’est-à-dire qu’il devait chercher à établir des relations commerciales suivies et avantageuses avec tous les pays qui reçoivent des produits de notre sol et de notre industrie.

En 2e lieu, le gouvernement a dû s’attacher à protéger plus efficacement certaines industries, qui étaient privées de la jouissance du marché intérieur par la concurrence étrangère.

De ce système sont sortis et la loi des droits différentiels, et les arrêtés royaux du 15 juillet 1843 et du 13 novembre 1844, et enfin le traité du 1er septembre.

Quant aux négociations qu’il convient à la Belgique d’ouvrir, c’est évidemment avec les pays qui consomment le plus ses produits qu’elle doit chercher à conclure des traités de commerce, avec le Zollverein qui en reçoit annuellement pour 15 à 20 millions, avec les Pays-Bas qui en reçoivent pour 20 à 25 millions, et avec la France, où nous exportons 60 à 65 millions de produits de notre sol ou de notre industrie

Or, messieurs, il faut bien le reconnaître, le traité du 1er septembre est un premier pas très-important et très-avantageux dans ce système de politique commerciale. Je dis que ce n’est qu’un premier pas dans ce système ; car la tâche du gouvernement ne fait que commencer. Si le ministère s’arrêtait maintenant, s’il se bornait à ce traité, s’il ne cherchait pas à en conclure avec les autres pays, il n’aurait rempli qu’une partie de sa tâche ; son système serait incomplet ; il n’y aurait pas lieu pour lui de monter au Capitole pour remercier les dieux !

Pour que cette politique soit tout à fait efficace, il faut que nous ayons aussi un traité avec la Hollande et surtout un traité plus stable et établi sur des bases un peu plus larges que ne l’est la convention linière avec la France.

M. le ministre de l'intérieur nous a fait espérer que nous aurions bientôt un traité avec les Pays-Bas, peut-être même avec le Brésil et avec les Etats-Unis. Je désire vivement que cette espérance ne soit pas vaine. Mais, je le répète, c’est surtout avec la France qu’il importe que nos relations soient les plus étendues et fixées d’une manière plus stable qu’elles ne le sont actuellement.

Mais, dit-on, notre politique nous éloigne maintenant de la France ; elle tend à être antifrançaise. Messieurs, il importe d’examiner si cette opinion est fondée ; car il est essentiel qu’en France on ne croie pas que notre politique lui est en quelque sorte hostile. Voyons donc quelle est la ligne de conduite que, depuis la révolution, la Belgique a suivi avec la France en matière de relations internationales. Voyons les concessions douanières que nous avons faites à la France, et celles que nous en avons obtenues. Nous pourrons ainsi juger si nous n’avons pas usé envers cette grande nation de tous les ménagements possibles.

Au moment où la Belgique a conquis son indépendance, les objets suivants d’origine française étaient prohibés :

1° Les verres et verreries de toute espèce ;

2° Les draps et les casimirs ;

3° Les acides muriatique, nitrique et vitriolique, ainsi que les eaux-de-vie de grains ;

4° Les boissons distillées (par terre seulement) ;

5° Le vinaigre, id ;

6°. le vin, id.

Le gouvernement provisoire et le congrès national ont levé successivement la prohibition (à l’importation par terre) sur les vins et eaux-de-vie.

En outre, les bateliers français ont été, dès cette époque, admis à naviguer aux mêmes conditions que les bateliers belges ; et les droits d’entrée sur le charbon français a été réduit dans une forte proportion.

En 1838, les autre prohibitions ont été levées par la loi du 7 avril de cette année et remplacées par des droits modérés.

La même loi a abaissé d’une manière très-notable les droits sur :

1° La bonneterie ; 2° la porcelaine ; 3° la faïence ; 4° la poterie ; 5° les ardoises.

Par la convention du 16 juillet 1842, nous avons de nouveau diminué les droits de douane ; 1° sur les vins et 2° sur les tissus de soie ; nous avons été plus loin : nous avons consenti à une réduction du droit d’accise sur les vins, et ces concessions ont occasionné une perte du revenu annuel d’un million pour notre trésor.

Nous avons adopté le tarif français pour les tissus de lin sur toutes nos frontières, sauf celle de France.

Nous avons permis le transit des ardoises françaises.

Enfin, l’arrêté qui a été pris en octobre dernier, fait une exception en faveur de la France pour ses tissus de coton. Il y a plus ; l’arrêté du 14 juillet de l‘année dernière, qu’on nous a représenté comme étant surtout hostile à la France, offre un nouvel exemple des ménagements du gouvernement belge envers la France. Les industriels belges demandaient qu’au droit de douane on ajoutât la prime que le gouvernement français paye à la sortie de ses tissus de laine. Eh bien, par ménagement encore envers la France, le gouvernement belge n’a point admis cette demande, quoiqu’il l’eût fait précédemment pour les draps.

Voyons maintenant en quoi consistent les concessions à la France ; elles se réduisent, comme vous le savez, à l’établissement d’un système de zones pour trois articles : la houille, les fontes et les tissus de lin.

Pour la houille, le droit payé à l’introduction par mer et d’un franc par 100 kil., tandis que, par terre, le droit n’est que de 50 centimes par 100 kil., de manière que nous avons en notre faveur un droit différentiel de 50 centimes par 100 kil.

Pour la fonte, le droit par terre est de 4 fr. ; tandis que par mer il paye 7 francs par navire français, et 7 fr. 70 c. par navire étranger.

Enfin, sur les tissus de lin, le droit différentiel en notre faveur est, ainsi que le disait dernièrement M. le ministre de l'intérieur, comme 3 est à 5.

De ces trois concessions, la seconde à été reconnue insuffisante. Je ne puis que m’associer, sur ce point, à M. le ministre de l'intérieur, qui l’a déclaré lors de la discussion sur la convention linière.

Quant aux résultats des droits différentiels, en ce qui concerne les tissus de lin, on vous l’a démontré naguère encore : les effets de cette convention n’ont nullement répondu à l’attente qu’on s’en était formée.

(page 404) Ainsi, quand on met en regard toutes les concessions faites à la France, celles mêmes que nous lui avons faites depuis le traité du 1er septembre ; quand on met, dis-je, toutes ces concessions en regard de celles que nous avons obtenues ; on ne peut pas tirer de ce parallèle la conclusion que nous suivons un système commercial antifrançais. Nous devons, au contraire, y trouver la preuve que nous avons constamment recours à tous les ménagements possibles pour nouer avec cette puissance les relations de commerce les plus intimes et les plus suivies.

MM. les ministres nous ont dit dernièrement qu’on négociait encore avec la France, qu’on négocie même toujours avec la France ; j’espère que de toutes ces négociations sortira enfin un traité plus complet, plus étendu que ceux que nous avons eu jusqu’à présent ; j’espère que ces négociations ne se borneront pas à faire consacrer le maintien de la convention linière dont je sens du reste l’importance ; qu’elles ne se borneront même pas à ce projet que nous avons vu, il y a quelque mois, figurer dans les journaux français, projet qui m’a paru passablement insignifiant ; j’espère que les produits de nos principales industries, que nos houilles, nos fontes, nos bestiaux, nos ardoises, trouveront aussi leur place dans ce traité.

Je crois, messieurs, que le traité du 1er septembre ne met nullement obstacle à ce que nous nouions des relations plus intimes, plus étroites avec la France : non-seulement, il ne lèse pas les intérêts français, mais, on vous l’a dit, le gouvernement français n’a fait sur ce traité aucune représentation, ni par écrit, ni même verbale. Ou je me trompe fort, ou ce traité, au lieu d’entraver les négociations avec la France, servira peut-être de stimulant pour le gouvernement français. D’après ce que nous avons appris, les propositions de la Belgique, antérieurement au traité, étaient accueillies assez froidement en France ; on n’y prêtait pas toute l’attention qu’elles méritent ; depuis le traité, les négociations paraissent être devenues plus actives, et même nous en avons eu récemment encore une preuve dans la présence à Bruxelles d’un agent diplomatique français.

Je dis donc que, pour que le système commercial et industriel dans lequel le gouvernement est entré, soit complété, il ne fait pas seulement se borner au traité du 1er septembre, il faut que nous parvenions aussi à conclure des traités avec les autres grandes puissances qui nous environnent, et qui sont les débouchés principaux pour le placement des produits de notre sol et de notre industrie. C’est alors seulement que nous pourrons vivement nous féliciter de cette politique commerciale. En attendant, nous pouvons néanmoins déjà nous applaudir de la conclusion du traité du 1er septembre, qui est un très-grand pas fait dans ce système.

Messieurs, j’aborde maintenant l’examen de quelques-unes des clauses du traité.

D’abord, je ne veux pas prétendre qu’il soit parfait sous tous les rapports. Je ne prétends pas non plus que l’Allemagne n’y trouve des avantages très-considérables. Mais ce qui me semble évident lorsqu’on le considère dans son ensemble, c’est que d’abord il contribuera puissamment à établir des rapports plus suivis entre la Belgique et l’Allemagne, et ces rapports ne peuvent qu’être très-favorables à notre industrie ; en second lieu, il assure des avantages directs très-importants à une de nos plus grandes industries ; il sert nos intérêts commerciaux et il favorise même la prospérité de notre chemin de fer.

Messieurs, un honorable collègue, dont nous avons tous admiré l’éloquence, a longuement énuméré les avantages que l’Allemagne retire du traité. Je ne suivrai pas cet honorable membre dans cette énumération, je dirai seulement, que, selon moi, il a amoindri ceux que nous avons obtenus par le traité ; quant à moi, je n’ai jamais espéré qu’en traitant avec le Zollverein, la Belgique obtiendrait, en quelque sorte, gratuitement tous les avantages qu’elle désire.

Le Zollverein est composé de 19 Etats, dont les gouvernements ne peuvent pas avoir pour nous une bien vive sympathie, puisqu’ils doivent nous considérer, en quelque sorte, comme nés d’une révolution. Le Zollverein représente l’Allemagne presque toute entière. Comment croire, dès lors, qu’en traitant avec un petit pays comme le nôtre, il ne stipulerait pas en sa faveur des conditions favorables ? Cependant, nous ne devons pas perdre de vue les avantages dont ce traité nous gratifie. A entendre un honorable membre, les avantages que notre industrie métallurgique, par exemple, doit retirer du traité, ne sont rien moins que problématiques. Cependant, messieurs, les faits les plus significatifs viennent déjà démontrer que nous trouverons en Allemagne un débouché de la plus haute importance pour les produits de cette industrie ; déjà, on nous a annoncé qu’un établissement de Liége a reçu une commande de 24 millions de kilogrammes, un autre établissement, une commande de 40 millions de kilogrammes, et ces commandes comprennent déjà quatre années, tandis que le traité n’est conclu que pour six ans !

Du reste d’autres considérations doivent également nous le confirmer. D’après des calculs que j’ai lieu de croire exacts, nos fontes, rendues sur le Rhin, n’y reviendraient qu’au prix de 10 francs les 100 kil., tandis que celles qui viennent d’Angleterre y reviendraient à onze ou douze francs les 10 kil. Je pense même qu’à égalité de prix, une grande partie du marché de l’Allemagne sera toujours assurée à nos fontes. Elles y sont plus estimées que les fontes anglaises. Elles y sont plus à portée des consommateurs, et le transport sur le marché allemand se fait rapidement par le chemin de fer.

Du reste, quoi qu’on en dise, les industriels connaissent parfaitement leurs intérêts. Or, le traité du 1er septembre a été accueilli, on ne peut mieux, par l’industrie métallurgique, et quand les industriels viennent le proclamer eux-mêmes, ce fait a une très-grande importance et une très-grande signification. Quand il s’agit de traités de commerce, de stipulations douanières, les plus instruits et les plus difficiles sont sans doute les industriels eux-mêmes, et on peut ordinairement s’en rapporter à eux. Si, par exemple, les industriels gantois viennent nous dire qu’on a assez fait pour l’industrie cotonnière, je n’en demanderai pas davantage et nous serons tous persuadés que l’on a fait assez pour cette industrie.

A la grande industrie métallurgique se rattache la grande industrie houillère. Est-ce peu de choses que ces deux industries en Belgique ? L’industrie métallurgique a une production annuelle d’une valeur de 25 à 30 millions de francs, et l’industrie houillère, de 40 millions de francs ; cela fait, par année, 70 millions de francs, dont la moitié peut-être est répartie en salaires à la classe ouvrière. C’est donc là un intérêt immense pour le pays !

Un autre intérêt, plus secondaire, il est vrai, vient encore se lier à l’industrie métallurgique dans cette question. Dans le Luxembourg, la forgerie au bois est dans une voie de décadence, ; elle ne se soutient plus que par ses exportations en Allemagne.

Or, les hauts fourneaux qui marchent encore ne doivent leur existence qu’à ces exportations. A cette industrie vient se joindre l’intérêt de la propriété boisée, qui est d’une toute autre importance dans le Luxembourg que l’industrie métallurgique. On vend les produits de nos forêts aux maîtres de forge en France et en Belgique. Si nos maîtres de forges devaient fermer leurs usines, les maîtres de forges français pourraient s’entendre, et il en résulterait un avilissement plus considérable encore que celui qui existe déjà dans le prix de nos bois. Grâce à cette concurrence des maîtres de forges du Luxembourg, les bois pourront encore se vendre d’une manière supportable pour les propriétaires. Cet avantage n’existerait plus sans le traité du 1er septembre.

On a parlé de la concurrence qu’on pourrait rencontrer en Allemagne de la part de l’industrie métallurgique allemande. Je crois que l’industrie belge n’a rien à craindre de cette concurrence, car l’industrie métallurgique allemande emploie encore, pour la plus grande partie, le bois pour combustible. Or, le prix de revient en Allemagne est encore de 14 ou 15 fr. les 100 kilog. En Belgique, grâce au progrès de nos industriels, on est parvenu à un prix de revient de 7 à 8 fr. Dès lors, il n’y a rien à craindre de la concurrence indigène pour nos fontes sur le marché de l’Allemagne.

Messieurs, je passe maintenant aux considérations que l’honorablet M. d'Elhoungne a fait valoir quant à l’influence que le traité doit exercer sur nos bois indigènes. Quant à moi, j’ai regretté que le traité ait porté atteinte à la protection que la chambre avait voulu accorder aux bois, lors de la discussion de la loi sur les droits différentiels ; mais je crois que l’honorable membre a exagéré considérablement la portée du traité quant à la réduction de la protection dont jouissaient les bois. Je dirai que cependant cette protection est évidemment diminuée, et que je ne sais pas pourquoi on ne la rétablirait pas un jour au taux où elle était ; car la chambre, en adoptant le taux de 2 et 4 fr. n’avait en vue que les importations par pavillon étranger, et non les importations par pavillon national ; attendu qu’on ne comptait pas que ces importations pussent être considérables. On comptait donc sur une protection de 8 p.c. quant aux bois non sciés. Or, pour une grande partie des importations, cette protection sera réduite à 4 p.c.

Il en est de même pour le bois scié. On espérait une protection de 15 p.c. sur cette espèce. Cette protection sera réduite à 12 p.c. pour les bois de plus de 5 centimètres d’épaisseur.

Je regrette donc que nous n’ayons pas pu maintenir dans le traité une protection plus élevée, et je regrette aussi qu’on n’ait pas adopté l’amendement qu’avait proposé M. Dubus (aîné), qui prévoyait ce qui est arrivé, c’est-à-dire que l’assimilation du pavillon étranger viendrait paralyser la protection qu’on voulait accorder par la loi. Cependant je crois que la conséquence de l’assimilation consentie par le traité n’est pas aussi grave pour nos bois qu’on l’a dit. Voyons quelles sont les quantités qui ont été importées en 1843 et par quels navires ? Les importations de bois en grume se sont élevées à 20 mille tonneaux : 13,336 de la Russie, 2,840 de la Suède, 2,306 de la Norvège, 128 du Danemark, 1,403 de la Prusse. Total : 20 mille tonneaux. En bois scié, la Russie nous a importé 10,259 tonneaux, la Suède 9,635, la Norvège 4,622, le Danemark 15, et la Prusse 17,034, la Hollande 1,152. Total 43 mille tonneaux.

On voit donc que, pour les bois sciés, la plus grande quantité vous est venue de la Prusse, tandis que, pour les bois en grume, les plus fortes importations vous sont arrivées de la Russie.

Admettons, pour un instant, que les choses restent les mêmes. Eh bien, en 1843 lorsque le tonneau ne payait que 60 centimes de droit d’entrée pour le bois en grume, pour les 20 mille tonneaux importés, le trésor a perçu 12 mille francs. Pour le bois scié, au droit de 4 fr., les 43 mille 671 tonneaux ont payé 174,685 fr.

Ainsi il a été payé en droits de douane 186,685 fr. Je suppose que les quantités restent les mêmes avec le droit réduit par le traité, c’est-à-dire, à 2 fr. par tonneau pour le bois de grume.

20,000 tonneau à 2 francs payeraient en droit d’entrée 40,000 fr.

43,671 tonneaux à 10 francs (terme moyen) payeraient 436,710 fr.

Total : 476,710 fr.

Il y aurait une protection autrement important qu’avant la loi des droits différentiels.

Mais, dit-on, les navires prussiens ne vous importeront que des bois en grume. Je pense que les navires suédois et norvégiens prendront encore une très-grande part aux importations de bois en Belgique. Au surplus, en (page 405) supposant que cela se réalise, que la Prusse ne nous importe plus que du bois de grume, ce qui est peu probable, nous y trouverions un autre avantage : celui de protéger l’industrie du sciage. En effet, la majorité de la chambre, en adoptant mon amendement, dans la loi des droits différentiels, n’a pas eu seulement en vue de protéger les bois indigènes, mais encore une industrie intéressante du pays, celle du sciage.

Au reste, ce qui doit nous rassurer, messieurs, c’est que la Belgique n’est pas liée par un traité ; nous conservons toute notre liberté d’action. Si, au bout d’un certain temps, nous voyons que nos bois ne sont pas assez protégés, qu’en un mot la protection que nous avons voulu leur accorder est compromise par les conséquences du traité, nous n’hésiterons pas à proposer un droit différentiel plus fort. Nous pourrons le faire sans blesser en aucune façon les convenances vis-à-vis de l’Allemagne. Mais je suis de l’opinion du ministre, que maintenant il faut attendre que l’expérience ait fait juger le nouveau système.

Messieurs, il me reste à présenter quelques considérations à l’égard de la loi du 6 juin 1839, qu’on a présentée comme une grande concession faite au Zollverein. On se tromperait étrangement si on croyait que cette loi a été prise uniquement dans l’intérêt des habitants du grand-duché. Elle a eu pour but principal non-seulement la sympathie que vous inspiraient et que doivent vous inspirer encore vos anciens frères ; mais elle a eu aussi pour but de maintenir les rapports existants depuis des siècles entre le duché de Luxembourg et la Belgique.

Ces rapports constituent un mouvement commercial de 4 millions de fr. Il serait donc dangereux de le compromettre ; et il serait tout à fait compromis si on rapportait la loi du 6 juin 1839. Si cette question était à l’ordre du jour, il me serait facile de vous démontrer que l’industrie belge n’est pas sérieusement menacée par cette loi. Je crois qu’on a exagéré beaucoup ses effets sur certaines branches de notre industrie.

D’un autre côté, nous y trouvons des compensations considérables : d’abord l’importation libre du minerai du grand-duché qui est nécessaire à la forgerie du Luxembourg. Nous sommes appelés ensuite à fournir exclusivement le sel raffiné nécessaire au grand-duché ; enfin, en ce qui concerne la disposition relative aux céréales, elle est en quelque sorte indispensable aux habitants de la partie belge du Luxembourg. Cette partie que nous avons conservée ne produit pas assez de céréales pour sa consommation ; elle doit donc les chercher chez ses anciens frères du Luxembourg ; car elle ne pourrait pas, à cause du prix énorme des transports, les chercher ailleurs. Si on rapportait la loi du 6 juin, les habitants du Luxembourg belge seraient plongés dans une triste situation, en ce qui concerne leur alimentation ; aussi, dans la province du Luxembourg, le traité du 1er septembre a été accueilli avec une grande faveur, et on n’a point du tout considéré le maintien de la loi du 6 juin comme une concession onéreuse pour le pays.

Quant à moi, messieurs, c’est avec une profonde conviction que je voterai en faveur du traité du 1er septembre.

M. Manilius – Messieurs, je commencerai par féliciter le gouvernement d’avoir trouvé deux orateurs pour défendre le traité.

L’honorable préopinant, pour établir sa défense, s’est laissé aller à de très-longues considérations je dois le reconnaître, il s’est donné toute la peine que mérite la question.

Il n’en a pas été de même du premier orateur. Quant à celui-là, il s’y est pris, l’expression n’est pas trop forte, avec une espèce de légèreté. Il vous a dit : Il faut traiter avec la Prusse, car vous ne pouvez pas traiter avec la France. Comment voudriez-vous traiter avec la France, qui ne veut rien de vous, qui ne veut pas vous prendre une pièce de drap, qui fait un traité avec vous pour les lins et qui, quelques jours après, y porte une grave atteinte par un amendement de M. de Lespaul ?

Je ne sais quelle valeur on doit attacher à ces allégations. Tout le monde sait que la France n’est pas revenue sur ce traité par l’amendement de M. de Lespaul, que cet amendement date de longues années avant le traité.

L’honorable député de Malines ne s’est pas borné là. Il s’est amusé à vous expliquer de quelle manière je m’étais conduit dans la section centrale. Il vous a faite entendre que je m’étais opposé au traité, parce qu’il contenait une stipulation relative à l’industrie cotonnière. Je dois déclarer à l’honorable membre que je le prie désormais de me laisser le soin d’expliquer mes votes.

M. Mast de Vries – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Manilius – Je m’en crois réellement capable et je ne recule jamais devant cette conséquence.

Mais, puisque l’honorable M. Mast de Vries s’est laissé aller à expliquer ma manière d’agir dans la section centrale, moi aussi je donnerai une petite explication sur ce qui s’est passé dans la section centrale.

D’abord l’honorable député de Malines n’avait pas de paroles assez fortes, de mouvements assez énergiques pour prouver que le traité nous était peu favorable. Il allait même plus loin ; il déclarait que si l’on ne lui donnait pas ses apaisements pour la questions des bois, il voterait contre le traité. (les ministres n’étaient pas là.)

Mais je me hâte de dire que nous avions fait appeler dans la section centrale les ministres qui avaient négocié le traité. Qu’est-il arrivé ? M. le ministre des affaires étrangères s’est longuement étendu sur l’impossibilité d’obtenir d’autres faveurs, de négocier sur un autre pied. Un instant après, est arrivé l’honorable M. Nothomb. M. le ministre de l'intérieur est venu donner une tout autre face à la discussion. Il a dit : La question des bois n’est rien, je le reconnais ; il y a changement dans la situation du tarif par suite du traité, mais nous pouvons modifier cela, nous sommes libres de formuler une autre tarification.

Dès ce moment, messieurs, l’honorable député de Malines a trouvé tous les articles excellents. Je me trompe : De même que je m’étais rallié à lui pour la question des bois, il s’est rallié à moi pour témoigner des regrets quant à la stipulation du traité relative aux tissus de coton.

Maintenant, messieurs, qu’il me soit permis de dire à la chambre les motifs sur lesquels je me fonde pour repousser de toutes mes forces le traité.

Je dirai tout d’abord que, selon moi, le traité a un vice principal pour lequel je le repousserai ; c’est que, pour favoriser une industrie à l’extérieur, on a sacrifié une grande industrie du pays à l’intérieur.

Tout à l’heure, l’honorable préopinant vous a dit : Mais nous pouvons, mieux que jamais, traiter avec la France, parce que le traité avec la Prusse servira de stimulant ; et, quelques moments auparavant, l’honorable député de Bastogne vous donnait la nomenclature des immenses concessions que nous avions faites à la France. Il nous a cité la levée de la prohibition sur les verres, sur les draps, sur les produits chimiques et sur quelques articles. Mais, nous a-t-il dit, il nous est possible d’avoir un traité commercial avec la France ; cela est possible, surtout parce que vous avez un traité avec la Prusse.

Messieurs, je suis de l’avis de l’honorable préopinant. Si les négociateurs qui ont fait un traité avec la Prusse, en veulent faire un avec la France, ils le pourront facilement, car il nous reste encore quelques concessions à faire ; mais elles deviennent rares.

Récemment encore, a-t-il, l’exception qui a été faite pour la Prusse, a été accordée à la France. Messieurs, il en sera de cette exception faire en faveur de la France comme de celle qui a été faite en faveur de la Prusse pour les soieries et les vins ; elle sera considérée comme un droit acquis. Ainsi, quand vous avez voulu obtenir des concessions de la Prusse pour l’exception faite en sa faveur, elle a dit : Non, il nous faut autre chose. Vous avez suspendu le remboursement du péage sur l’Escaut ; mais on vous a dit que c’était encore là un droit acquis.

Ainsi, pour négocier avec la France, que devrez-vous faire ? Proposer une exception pour les tissus de laine ? Réellement, je crois que vous n’avez rien autre chose à offrir à la France.

Messieurs, de même que l’honorable député de Bastogne, je ne reviendrai pas sur tous les détails dans lesquels est entré l’honorablet M. d'Elhoungne dans son remarquable discours. Les arguments de cet honorable membre sont restés complètement debout, et jusqu’ici le ministère n’est parvenu à y porter aucune brèche. Cependant, le ministère a fait observer à l’honorablet M. d'Elhoungne qu’il lui était échapper un point, un seul point.

Ce sont les concessions mutuelles faites d’une manière exclusive. Sur ce point, le ministère s’est vanté d’avoir obtenu des concessions exclusives. « Nous l’avons voulu, (a-t-il ajouté) et nous l’avons obtenu. ». or, il s’agit de faveur de 2 fr. et quelques centimes et de 1 fr. 33.c, faveurs qui seraient pour ainsi dire insignifiantes, d’après la démonstration faite par mon honorable amit M. d'Elhoungne, si vous ne pouvez garantir que nous pourrons entrer avec nos fers par la Meuse et par le Rhin pour nous diriger sur la Westphalie. Je voudrais que le ministre nous dit ici avec la même assurance : « Vous entrerez pas le Rhin ! ». (La voix du ministre de l’intérieur est contrefaite par l’orateur.)

Ceci m’amène à une autre phase de la discussion à la section centrale. Lorsqu’on s’est attaché à connaître les effets des divers articles, on s’est surtout arrêté à l’art. 19, qui portait que les fers ne seraient reçus qu’avec l’exception que par la frontière de terre entre les deux pays. On avait déjà demandé si cette dénomination de frontière de terre excluait le Rhin. M. le ministre de l'intérieur s’était empressé de répondre que l’on devait comprendre par frontière de terre tout ce qui n’était pas frontière de mer. « Cela va sans dire (a-t-il dit) ; frontière de terre, ce sont les frontières de terre et de rivière. La frontière de mer, c’est l’opposé à frontière de terre. »

Les industriels intéressés dans cette question, mus par une certaine méfiance des assertions légères du gouvernement, ne se le sont pas tenu pour dit.

A la section centrale, un honorable député de Liége, M. Lesoinne, a interpellé le ministère ; il lui a demandé s’il était bien entendu que les fers pourraient descendre la Meuse et remonter le Rhin.

Je ne sais si des négociations sont intervenues ; néanmoins l’opinion est tout à fait changée.

Mais, a-t-on dit, ce serait dangereux ; il y aurait même impossibilité ; vous devriez transiter par la Hollande, faire convoyer vos navires, les plomber, les estampiller (on rit) ; vous seriez exposés à transborder dans certains moments de l’année ; ce serait contre votre intérêt, ce serait un moyen de fraude. D’ailleurs, je ne pense pas que la Prusse consente à avoir un bureau sur le Rhin. Pourtant, je ne désespère pas. Si c’était nécessaire, peut-être la Hollande consentirait-elle à ce que le transit se fît sur son territoire.

Mais quant à la question de savoir si la Prusse aura un bureau sur le Rhin, je pense que cela ne sera pas. C’était l’opinion de M. le ministre de l'intérieur.

A la section centrale, M. le rapporteur reproduit cette opinion dans son rapport ; les industriels étaient fortement peinés de l’interprétation du gouvernement, mais ils prenaient patience ; enfin arrive la discussion publique ; de nouvelles interpellations sont faites, là M. le ministre donne une explication plus favorable. Je ne sais pas, messieurs, s’il y a eu de nouvelles négociations, mais j’ai cherché dans le traité et dans toutes les pièces qui (page 406) y sont jointes, et je n’ai rien trouvé qui autorisât le gouvernement belge à interpréter le traité de cette manière.

Je pense, messieurs, que lorsque le traité soulèvera des doutes, il sera interprété par les deux parties et non par le gouvernement belge seul. La déclaration faite par M. le ministre de l'intérieur et l’autorisation qu’il a donnée d’insérer cette déclaration au procès-verbal, tout cela ne nous rassure donc en aucune manière, et j’engage fortement les industries intéressées à insister pour obtenir d’autres assurances, car rien ne nous garantir que le traité sera interprété dans le sens que M. le ministre de l'intérieur y a donné.

D’ailleurs, messieurs, il est à remarquer que M. le ministre de l'intérieur a eu soin de mitiger l’espèce d’assurance qu’il a donnée à la chambre, car, à la suite de la déclaration de M. le ministre, je trouve dans le Moniteur cette petite phrase : « Cette interprétation, le gouvernement l’énonce ici ; on peut l’insérer au procès-verbal. » Vous voyez, messieurs, combien cela diminue l’importance de cette déclaration.

D’ailleurs, messieurs, on a inséré au procès-verbal tant de déclarations qui n’ont abouti à rien ; on y a inséré si souvent nos votes sans que cela ait eu le moindre résultat ! Lorsqu’il s’agissait des vins,, ne vous disait-on pas aussi que le vin payerait le droit, et que les bouteilles payeraient séparément ? Cependant, il n’en a pas été ainsi, malgré le procès-verbal qui renfermait la déclaration du gouvernement. Le procès-verbal n’engagea pas la diplomatie française à admettre ce qu’elle n’a pas admis dans les conventions faites avec elle.

Vous voyez, messieurs, que beaucoup de raisons militent pour que nous repoussions le traité et surtout pour que nous exigions de nouveaux renseignements.

On a dit, messieurs, que l’exception relative aux fils de lin, est seulement temporaire, mais on avait dit la même chose de l’exception concernant les vins. Ce n’est pas dans l’intérêt de la Westphalie, ce n’est pas dans l’intérêt de la Prusse, que l’on a excepté les fils de lin, c’est dans l’intérêt des fabricants de coutil. La chambre doit se rappeler combien il en a coûté à feu notre honorable collègue, M. de Nef, d’obtenir cette exception. Si j’ai bonne mémoire, la loi avait même été votée une première fois sans que l’exception y fût stipulée, enfin elle a été accordée, mais seulement pour un certain nombre de kilogrammes et jusqu’au moment où les industriels viendraient à prouver qu’ils produiraient la même espèce de fil.

Eh bien, messieurs, cette exception est passée en règle ; c’est encore une fois un droit acquis. Il en sera de même de la concession que l’arrêté du 13 octobre fait à la France ; cette exception passera aussi en règle.

Si nous sommes condamnés, messieurs, à voir nos mêmes négociateurs s’occuper d’un traité avec la France, alors je crains bien que nous perdrons le peu de ressources qui restent à notre industrie lainière et à notre industrie cotonnière, qui a été traitée avec tant de dédain dans cette chambre. Et je ne saurais assez m’élever contre la manière cavalière dont M. le ministre des travaux publics a traité cette industrie. « Comment, a-t- dit aux députés gantois, quelle est donc votre politique ? C’est l’estampille, c’est la prohibition, c’est le droit de recherche. » Ce langage me paraît fort singulier de la part de l’honorable M. Dechamps ; lorsqu’il était assis sur mon banc, il tenait un langage tout autre ; alors il s’empressait de faire partie d’un comité industriel dont la mission était de provoquer des mesures protectrices.

Le langage qu tenait alors l’honorable M. Dechamps était le langage de la protection, la langage de la prohibition, le langage de la conservation du marché intérieur, le langage des partisans de l’estampille. L’honorable M. Dechamps, a-t-il donc oublié que, il y a 3 ou 4 ans, on a proposé dans cette enceinte, avec son appui moral, l’établissement de l’estampille ? L’honorable M. de Mérode a dépose sur le bureau cette proposition signée par 14 membres, et qui devait être soutenue par 30 autres membres, peut-être ; les honorables membres qui ont refusé leur signature (et M. Dechamps était du nombre) ont eu des raisons pour en agir ainsi.

Vous voyez, messieurs, que le gouvernement a été fort mal avisé de porter la question sur ce terrain. Il me semble que le gouvernement devrait au moins garder quelques ménagements à l’égard d’une industrie aussi importante. Comment, dans les pays voisins, qui sont éminemment industriels, cette industrie marche au premier rang, et ici on la traite avec une espèce de dédain ! En France, c’est la première industrie, en Angleterre c’est encore la première industrie, et en Belgique elle ne devrait jamais avoir cessé de l’être.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il y a une foule de motifs pour que je m’oppose au traité. Je dois m’y opposer, d’abord parce qu’il est onéreux ; je m’y oppose ensuite parce qu’il est mal défini, la négociation n’en est pas accomplie, il y a des queues.

Quant à la question des bois, je suis ramené à en faire ressortir l’importance. Tout à l’heure, il n’y a avait que deux orateurs qui avaient défendu le traité, mais d’autres orateurs l’on soutenu, tout en le maltraitant ; l’expression n’est pas trop forte. L’honorable M. Osy a même eu à subir l’espèce de colère de M. le ministre de l'intérieur, parce qu’il critiquait le traité et qu’il ne votait pas contre.

L’honorable M. de Theux a été plus heureux. Il a critiqué fortement le traité ; il a même déclaré que si ses craintes sur les convenances quant à la question des bois n’étaient pas dissipées, il n’aurait pas ses apaisements. Or, je n’ai pas entendu que M. le ministre de l'intérieur se soit récrié contre l’honorable M. de Theux, parce qu’il ne voterait pas contre le traité. Il n’en a rien dit, et encore une fois, sans doute, pour cause.

Messieurs, je sens que j’irais trop loin. Je crois qu’il convient que je termine là ces observations, qui doivent être très-fastidieuses pour la chambre, qui connaît ces menées ; mais pour le pays il est intéressant de les rappeler.

M. Mast de Vries – Messieurs, il faut en convenir, j’ai eu la main extrêmement heureuse en entrant dans cette salle. J’y suis venu pour entendre les énormités dont je me suis rendu coupable en défendant le traité.

L’honorable M. Manilius a commencé par me rappeler ce que j’avais dit de l’amendement de M. de Lespaul. Avant de connaître les observations de l’honorable membre et dans le cours même de la discussion, je m’étais aperçu de l’erreur que j’avais commise et je l’avais fait rectifier au Moniteur. Si M. Manilius avait bien voulu le lire, il aurait vu qu’il pouvait se réserver le charitable avis qu’il vient de me donner.

D’un autre côté, l’honorable M. Manilius a jeté une espèce de blâme sur ma conduite dans la section centrale.

Je n’ai pas à changer un iota à ce que j’ai dit. Personne ne doit être plus étonné que mes honorables collègues de la section centrale sur la sortie à laquelle l’honorable M. Manilius vient de se livrer.

Je crois avoir été le premier qui ait appelé, dans la section centrale, l’attention sur la question des bois. J’ai dit que cette question était pour moi une question vitale ; et la section centrale a partagé ma manière de voir. Aussi a-t-elle appelé dans son sein M. le ministre de l'intérieur, qui n’a pas méconnu la gravité de mes observations, mais qui nous a donné des explications qui m’ont paru satisfaisantes : c’est que nous n’étions pas liés par le traité ; que la chambre restait maîtresse de porter les droits au chiffre qu’elle voulait; que cette question était une simple question de convenance.

Que vouliez-vous exiger de plus ? Aurait-je donc dû faire comme l’honorable M. Manilius, voter contre le traité ?

Quant à la question des cotons, je me suis joint à l’honorable M. Manilius pour regretter que le gouvernement eût dû céder à cet égard. Je l’ai d’autant plus regretté que, comme je l’ai dit dans mon discours, le gouvernement avait du faire la même concession à la France.

Du reste, cette question a-t-elle autant d’importance que l’honorable M. Manilius veut bien y attacher ? Mais si ma mémoire est fidèle, lors de l’enquête commerciale, le comité de commerce de Gand a déclaré qu’il ne fallait pas d’augmentation de droits sur les cotons, mais bien que ceux existant fussent perçus.

M. le président – Il me semble que la question personnelle est épuisée.

M. Mast de Vries – Je reconnais que je m’en suis un peu éloigné. La question personnelle consiste en ce que l’honorable M. Manilius a paru dire que j’avais eu peur, et que la présence de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre des affaires étrangères avait tellement influé sur mon esprit, qu’elle avait changé complètement mon opinion. Je prie l’honorable M. Manilius de croire que, pas plus M. le ministre de l'intérieur ou M. le ministre des affaires étrangères, que lui, ou tout autre membre, n’est capable de me faire dire banc quand j’ai envie de dire noir.

M. Manilius – Je demande à dire un mot sur le fait personnel.

M. le président – Il n’y a rien dans ce qui vient d’être dit qui vous soit personnel.

M. Manilius – L’honorable M. Mast de Vries suppose que j’ai voulu attirer sur lui du blâme ; je désire rectifier ce que j’ai dit.

Il n’est nullement entré dans ma pensée de jeter du blâme sur l’honorable M. Mast de Vries. J’ai dit seulement que cet honorable membre s’était permis de venir raconter ma conduite à la section centrale, et que je me permettrais d’en faire autant à son égard.

Si l’honorable membre a vu là un blâme, ce n’est pas ma faute, s’il juge ses actes susceptibles de blâme.

M. Devaux (pour une motion d'ordre) – Messieurs, dans le cours de son discours, l’honorable M. Manilius a énoncé un fait sur lequel il importe, pour la dignité de la chambre et pour l’honorable du ministère, que le gouvernement nous donne quelques éclaircissements.

L’honorable M. Manilius vient de vous dire que le ministère a déjà eu trois opinions sur l’interprétation de l’art. 19 qui concerne les fers. Vous savez que cette disposition sur les fers est la disposition principale du traité. Il importe donc que la chambre en connaisse la portée et qu’elle sache au juste quelle garantie le gouvernement peut lui donner de telle ou telle interprétation de cette disposition. L’art. 19 dit que, pour jouir du privilège du droit différentiel, les fers doivent entrer par la frontière de terre entre les deux pays. Cela veut dire par la frontière de terre entre la Belgique et la Prusse ; il ne s’agit pas là du Rhin. La fonte qui entre en Allemagne, en descendant la Meuse et remontant ensuite le Rhin, n’y entre pas par la frontière entre la Belgique et la Prusse ; elle y entre par la frontière entre la Hollande et la Prusse.

L’honorable M. Manilius vient de vous dire que, d’après la première opinion de M. le ministre de l'intérieur, la fonte pourrait entrer par le Rhin ; que, d’après une seconde opinion énoncée à la section centrale par le ministre de l’intérieur, elle ne pourra pas entrer par le Rhin, que ce serait même désavantageux pour la Belgique, parce que les fers anglais pourraient entrer par le Rhin en fraude et en concurrence avec les nôtres. C’est même cette opinion que, sur le dire du ministre, la section centrale a adoptée.

Une troisième opinion a été ensuite énoncée en séance publique par M. le ministre de l'intérieur. Il nous a donné la certitude qu’en vertu du traité, nos fers pourraient entrer par le Rhin au droit réduit. Il a permis qu’on prît acte de sa déclaration dans le procès-verbal.

(page 407) Après cette troisième opinion, en vient une quatrième, c’est le commentaire du Moniteur dans le discours de M. le ministre.

Le Moniteur ne parle plus de certitude, mais il dit que c’est là l’interprétation du gouvernement belge.

Messieurs, si la déclaration de M. le ministre de l'intérieur se borne là, si ce commentaire est vrai, la déclaration ne signifie plus rien, et la prétendue certitude que M. le ministre de l'intérieur voulait nous donner est un jeu.

Il faut donc que le, gouvernement s’explique nettement. Y a-t-il certitude, comme il nous l’a solennellement assuré, qu’en vertu de l’article 19 du traité, la fonte belge pourra entrer par le Rhin ? Cette certitude n’est pas dans le traité. Le traité dit le contraire. Si donc le gouvernement a cette certitude, il doit y avoir eu des négociations depuis sa conclusion. Eh bien ! où sont les pièces sur lesquelles la certitude du gouvernement est basée ? Y a-t-il assentiment du gouvernement prussien ? Où est cet assentiment. Qu’on le produise !

L’art. 19, messieurs, est la base du traité.

Otez l’article Fers, et tout le traité croule ; cet article est, pour la Belgique, le plus important du traité. Il ne faut pas qu’il y ait doute sur sa portée il serait indigne de la chambre, que nous en fusions réduits à des équivoques. Il faut que le gouvernement nous dise s’il peut nous donner la certitude que les fontes belges pourront entrer par le Rhin ; il faut qu’il nous dise quelles sont les autorités qui lui permettent d’affirmer devant la chambre que les fontes pourront entrer par le Rhin. Je demande que le gouvernement nous donne une explication catégorique et positive sur ce point.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si l’honorable M. Manilius ne m’avait pas fait intervenir d’une manière que j’appellerai presque grotesque, dans les délibérations de la section centrale, j’aurai immédiatement pris la parole.

M. Manilius – Comment grotesque ! c’est en vous imitant sans doute ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne fais de la pantomime à l’égard de personne, on ne doit donc pas en faire en ce qui me concerne.

Dans la section centrale, j’ai été entendu, entre autre, sur deux questions : celle des bois et celle des fers. On m’a demandé si la Belgique était liée en ce qui concerne les bois, si toute augmentation du tarif lui était interdite ; j’ai dit non, et dès lors j’avais calmé les appréhensions de ceux des membres de la section centrale qui craignaient qu’il fallût donner un sens rigoureux au traité et considérer le statu quo du tarif des bois comme garanti à la Prusse.

Voilà, messieurs, pour la première question. La deuxième, je le répète, est relative aux fers.

C’est à tort, messieurs, qu’on suppose, de la part du gouvernement, des variations sur cette question. On les suppose en perdant de vue les faits. Il serait à désirer, avons-nous dit (et nous le disons encore), il serait à désirer que toutes les importations de la Belgique pussent se faire par la voie de terre proprement dite. Cela serait à désirer ; il est possible même qu’en majeure partie elles se fassent par cette voie. Chacun de vous, messieurs, sait pourquoi la chose est désirable ; aucune fraude, aucune substitution n’est possible par la voie de terre ; nous avons en quelque sorte nous-mêmes la clé de l’entrée en Prusse, pour me servir de ce mot.

Il n’en est pas de même, si nous entrons en Allemagne par la Meuse et le Rhin. Il y a donc un fait à éclaircir : le point de savoir si le transport pour aller de la Belgique au Rhin par la frontière de terre, si ce transport est plus coûteux que le fret pour aller au Rhin par la Meuse et e Rhin ; ce fait, nous l’éclairciront Quoiqu’il en soit, l’Allemagne, avec laquelle nous avons traité, n’a aucun intérêt à nous refuser l’entrée par le Rhin et la Meuse. (Interruption.) J’ai dit tout à l’heure qu’il serait désirable que la voie de terre proprement dit pût nous suffire, mais j’ajoute que si elle ne peut pas nous suffire, les voies fluviales, celles de la Meuse et du Rhin nous seront ouvertes. Je ne crois pas qu’il faille entendre l’art. 19 dans un sens aussi absolu que l’ont supposé quelques membres ; il faut voir ici l’esprit du traité. On s’est servi, dans l’art. 19, des expressions : « Par les frontières entre les deux pays, » par opposition à la frontière de mer ; c’est ainsi que nous nous servons de ces mots dans toutes nos lois. Nous croyons que l’art. 19, d’après son esprit et même d’après sa lettre, doit être entendue dans ce sens ; que les voies fluviales, c’est-à-dire la Meuse et le Rhin seront ouvertes. C’est l’interprétation admise par le gouvernement belge, et nous avons lieu de croire que c’est aussi l’interprétation du gouvernement prussien. Je consens, en comité secret, à donner encore d’autres explications.

M. Devaux – Messieurs, vous voyez que nous en sommes à une nouvelle opinion ; maintenant on a lieu de croire, on n’affirme plus, ce n’est plus une certitude ; on ne dit plus, comme on en a fait, il y a quatre jours, la déclaration, que les fers entreront bien positivement par le Rhin, déclaration si explicite, que les députés de Liége se sont à l’instant déclarés satisfaits, et que l’honorable M. de Brouckère, qui voulait parler sur ce seul point, a renoncé à la parole, par suite, a-t-il dit, de la déclaration si formelle de M. le ministre de l'intérieur. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune certitude, il n’y a plus l’assentiment des gouvernements avec lesquels le traité a été conclu ; il n’y a plus qu’une probabilité que le traité sera interprété de cette manière : c’est-à-dire que le gouvernement n’a d’autre ressource que de négocier de nouveau ; et lorsque vous aurez adopté le traité, on cherchera à obtenir cette faveur gratuitement, si le gouvernement prussien est de bonne composition ; sinon au moyen de quelque concession nouvelle qu’on lui fera.

Vous voyez, messieurs, qu’à l’aide de la déclaration insérée au procès-verbal, on s’est joué de nous. Il est vraiment déplorable que l’on ne puisse pas du jour au lendemain se fier aux paroles d’un ministre de la Couronne, et que, lorsqu’il vous a donné une promesse solennelle, il faille encore, pour ainsi dire, suivre sa main quand elle l’écrit ; et qu’on ne puisse même s’y fier quand elle est écrite.

En effet, messieurs, on vient de nous dire tout le contraire de ce qu’on vous disait dans une séance précédente : on nous donnait alors les assurances les plus formelles ; aujourd’hui, on ne peut plus rien assurer. S’il y avait certitude, je le répète, qu’on nous dise alors sur quoi elle reposait. Il ne faut pas, pour cela, de comité secret ; qu’on nous communique les pièces. Avez-vous l’assentiment du gouvernement prussien ? Mais non, vous ne l’avez pas. L’honorable M. Castiau disait, il y a quelques jours, qu’il y avait eu maladresse ou défaut de sincérité de la part du ministère ; ici il y a eu accumulation de ces deux choses : quatre fois de suite on change d’opinion, et que résulte-t-il ? Que sur l’article principal de traité, sur l’article des fers, on a complètement négligé la question de savoir par quelles voies nos fers pourront entrer en Prusse, qu’on a oublié de parler de la voie du Rhin, à laquelle Liége attache une grande importance. C’est seulement maintenant, trois mois après la conclusion du traité, que M. le ministre va examiner quel intérêt nous avons à introduire nos fers par le Rhin.

En résumé, messieurs, vous voyez quel était le but de l’espèce de solennité avec laquelle on a fait insérer au procès-verbal la déclaration de vendredi dernier. Cette déclaration n’était qu’un véritable jeu, car si elle était sérieuse, on la répéterait aujourd’hui, et l’on nous dirait sur quelle autorité elle se fonde ; on produirait l’assentiment de l’autre partie contractante. Puisqu’on n’est pas en état de produire cet assentiment, je dis, moi, qu’il n’existe pas, et qu’on s’est joué de la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne crois pas avoir mérité les expressions très-sévères, très-dures, dont vient de se servir l’honorable préopinant, je n’ai rien changer à mes paroles qui sont consignées au Moniteur. J’ai dit : Voilà comment l’art. 19 doit recevoir son exécution, c’est l’interprétation du gouvernement, et on peut l’insérer au procès-verbal. Voilà ce que j’ai dit le premier jour de la discussion ; je n’ai rien dit de plus. Je maintiens ce que j’ai dit alors.

Il serait à désirer que les voies ordinaires par terre, dans la stricte acception du mot, pussent suffire ; mais puisqu’on déclare que ces voies sont insuffisantes, et qu’on en réclame d’autres, nous croyons que le traité doit être exécuté dans le sens le plus large, c’est-à-dire que les voies fluviales doivent nous être ouvertes. Telle est notre interprétation, et telle est aussi, je pense, l’interprétation de l’autre partie contractante. Voilà les explications auxquelles je dois me borner en séance publique ; je pourrai en dire davantage en comité secret ; mais, je le répète, je n’ai rien à changer à mes paroles qui sont consignées au Moniteur.

M. de Foere – L’honorable ministre de l’intérieur nous a fait connaître l’interprétation que le gouvernement belge donne à l’article 19 du traité ; il nous a fait entendre que cette interprétation serait probablement la même que celle qui sera donnée par le Zollverein.

Je crois que M. le ministre de l'intérieur s’est complètement trompé. Il paraît, par l’opinion qu’il a exprimée, qu’il ne comprend ni l’esprit, ni le but du traité, par rapport à la distinction que le traité a établie entre les importations des fers par la voie de terre et par la voie de mer. Il me paraît évident qu’en faisant cette distinction entre le droit réduit par terre et le droit non réduit par mer, le Zollverein a voulu, en premier lieu, réserver l’importation des fer anglais, au retour de ses propres navires qui fréquentent les ports d’Angleterre, et qu’en second lieu il a voulu obtenir les produits métallurgiques aux prix les plus bas, en mettant nos fers en concurrence avec les fers anglais sur le marché allemand.

Déjà l’Angleterre, d’après la dernière statistique, a importé en trois ans en Allemagne, pour 120 millions de produits par la voie de la Hollande et par la voie de la Belgique, indépendamment des produits qu’elle y a introduits par les ports de la Prusse, par ses avants-ports et par les ports anséatiques. Il paraît donc évident qu’en nous excluant de la voie maritime, le Zollverein a voulu, dans son propre intérêt, mettre nos fers en concurrence avec les fers anglais ; je crois que c’est là le but véritable de l’art. 19 du traité.

Pensez-vous que le Zollverein renoncera à cette stipulation ? Ce serait renoncer à ses propres intérêts. Ainsi, cette seule considération me fait penser que l’interprétation qui nous est donnée par M. le ministre de l'intérieur est complètement erronée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je regarde les considérations que vient de présenter l’honorable préopinant, comme de simples suppositions. La Belgique s’est interdit l’importation par mer ; il serait à désirer que même on pût aller plus loin et qu’on pût se contenter de l’importation par les voies de terre proprement dites. Si d’autres voies, celles de la Meuse et du Rhin, nous sont nécessaires, elles nous seront ouvertes. Si maintenant M. le président veut user de son pouvoir discrétionnaire pour déclarer le comité secret, je donnerai de plus amples explications ; mais je n’en dirai pas davantage en séance publique, quelque accusations qu’on puisse élever contre le ministère.

M. Verhaegen – Messieurs, la question est devenue excessivement grave, et l’interpellation de l’honorable M. Devaux doit aboutir à un résultat. Il faut que nous sachions à quoi nous en tenir. Il n’est pas seulement question du Moniteur, sur lequel maintenant on veut équivoquer ; il est même question du procès-verbal de la séance, qui relate la déclaration faite par M. le ministre de l'intérieur, et portant que le traité serait exécuté de manière à ouvrir aux produits de notre industrie métallurgique la voie du (page 408) Rhin. Je demande formellement qu’il soit donné lecture de cette partie du procès-verbal.

Il ne s’agit pas d’équivoquer. Nous avons tous à formuler notre opinion. Tout le monde doit savoir si les garanties qu’on nous promet, existent réellement.

Si nous ne savons pas positivement à quoi nous en tenir, nous allons nous rendre responsables de la légèreté du gouvernement, peut-être de l’imprudence du gouvernement. Nous n’avons qu’un moyen d’échapper à cette responsabilité, si les explications du gouvernement ne sont pas catégoriques, c’est de rejeter le traité.

Le gouvernement vient nous dire : « Vous demandez maintenant d’autres voies ; examinons si vous en avez besoin. » Mais c’est n’est pas la question. Le traité, de la manière dont vous nous l’avez présenté, porte avec lui la conséquence (c’est au moins l’opinion que vous avez énoncée), que nous pourrons importer nos fers par le Rhin. Il ne s’agit pas de faire des calculs sur le fret ; toutes ces questions sont oiseuses, puisque l’une et l’autre voie, d’après les déclarations antérieures du gouvernement nous sont assurées. Maintenant le gouvernement veut revenir sur ses pas. Si nous n’y prenons garde, il pourra arriver, pour le traité du 1er septembre, ce qui est arrivé pour les vins. Je le répète : si les explications du gouvernement ne sont pas catégoriques, le meilleur moyen de n’être pas une seconde fois dupe, c’est de rejeter le traité.

M. le président – Je vais donner lecture de la déclaration qui a été faite par M. le ministre de l'intérieur, et qui est consignée au procès-verbal de la séance du 13 décembre 1844 :

« M. le ministre de l'intérieur déclare que le traité sera appliqué dans ce sens que, moyennant certaines précautions à prendre dans notre intérêt, les fontes et les fers belges seront admis par la Meuse et le Rhin, au bénéfice de l’art. 19. »

Formation du comité secret

M. le président – Usant du droit que me confère la Constitution, je déclare que la chambre va se former en comité secret.

M. Delfosse – C’est justement pour réclamer le comité secret que j’avais demandé la parole. Il est nécessaire que M. le ministre de l'intérieur donne des explications, et comme il refuse de les donner en séance publique, il faut bien que nous consentions à l’entendre à huis clos.

- La chambre se forme en comité secret à 4 heures.

Elle s’est séparée à 4 heures ½.