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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 février 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 889) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure un quart. La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne lecture des pièces suivantes.

« Le sieur Martin, propriétaire d’une poudrière à Courcelles dont le laboratoire a fait explosion, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir l’autorisation de remettre son établissement en activité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le docteur Van Swygenhoven fait hommage à la chambre de quelques exemplaires du n°VII (3e année) de la « Gazette médicale belge », contenant un article sur Simon Stevin. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. de Florisone fait connaître qu’une indisposition l’empêche de prendre part aux travaux de la chambre. »

- Pris pour notification.

Présentation d’un rapport (projet de loi relatif au chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse)

Rapport de la section centrale

M. Dumont, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre en ordonne l’impression et la distribution.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – La chambre sait qu’il y a dans la convention relative à ce chemin de fer un délai fatal, fixé au 1er mars, au-delà duquel la compagnie serait déliée de ses engagements. Le projet de loi a donné lieu à très-peu d’observations de la part des sections et la section centrale. Je pense que la discussion n’en sera pas longue. Je proposerai donc de le mettre à l’ordre du jour après le projet de loi relatif au tunnel de Cumptich et avant mon budget. La discussion ne pourrait ainsi avoir lieu que lundi au plus tôt.

M. Delehaye – Je suis très disposé à donner mon assentiment au projet de loi sur lequel on vient de déposer un rapport. Cependant il faut l’examiner. Ce chemin de fer, je le sais, ne doit rien coûter à l’Etat. Mais je désire vérifier si la convention ne contient pas de stipulations onéreuses pour le pays. Quant à l’observation que vient de faire M. le ministre que le délai fatal expire le 1er mars, elle ne doit pas nous arrêter ; car la compagnie ne demandera pas mieux que la convention soit maintenue, même après le 1er mars.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je n’en sais rien.

M. Delehaye – M. le ministre le sait aussi bien que moi : la compagnie ne cherchera pas, dans ce délai, un moyen d’exception.

Pourquoi a-t-on fixé le 1er mars pour terme fatal ? C’est pour qu’on puisse commencer les travaux. Or, l’état de la terre est tel qu’on ne pourra pas commencer les travaux le 1er mars.

Si l’on fixe la discussion avant jeudi, nous n’aurons pas le temps d’examiner ce projet de loi avec la maturité qu’il exige.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je comprends que les membres de la chambre désirent avoir le temps d’examiner le rapport. Il n’est pas très-long et sera distribué ce soir. Puisqu’il y a réclamation, je n’insiste pas pour la mise à l’ordre du jour de la séance de lundi. Je demande que la discussion soit fixée à mardi. Ainsi les honorables membres auront le temps d’étudier la question sous toutes ses faces.

Je ne partage pas l’opinion de l’honorable M. Delehaye. Je n’ai pas la conviction que la compagnie ne prétendrait pas à l’expiration du délai fatal, être déliée de tout engagement.

La chambre ne doit pas prendre la responsabilité d’un pareil fait.

M. Brabant – Je suis surpris de l’insistance que l’on met pour obtenir la discussion à bref délai d’une affaire d’une aussi haute importance. C’est le premier projet de concession à des particuliers soumis à la législature. Il y a aussi à examiner la question de l’intervention des sociétés étrangères.

Il s’agit d’une société étrangère qui veut exploiter le pays. Vous savez quel sujet de grief est devenu, en Angleterre, l’intervention des sociétés.

Un premier délai est expiré. On a stipulé un nouveau délai fatal. A quoi bon cette grande urgence ?

Je trouve dans un article additionnel du cahier des charges que les obligations vis-à-vis du gouvernement belge viennent à tomber, si les concessionnaires n’obtiennent pas la concession du gouvernement français.

Je demande à M. le ministre où en est cette affaire.

Il est inutile de nous presser et d’étrangler la discussion, si le projet doit rester en suspens, à défaut de la concession donnée par le gouvernement français.

M. Pirmez – C’est une singulière manière de s’exprimer que de dire que la compagnie veut exploiter le pays. Jusqu’à présent nous n’avons fait des travaux publics qu’à charge des contribuables. Voici une compagnie qui apporte les fonds pour faire les travaux.

Il existe dans le contrat une clause d’après laquelle les particuliers sont déliés de leur engagement envers l’Etat dans un délai de six mois. Voulez-vous ne pas faire l’opération ? Je crois que c’est entrer dans une bonne voie, que de faire faire par les particuliers des travaux qui jusqu’à présent avaient été faits à la charge des contribuables. C’est une voie où nous ne devons pas craindre d’entrer.

Toutes les pièces ont été vues par la chambre. On peut déjà avoir apprécier les inconvénients et les avantages de l’intervention des étrangers dans les concessions. Tout le monde peut se faire une idée de ce que c’est qu’une concession à des particuliers. Le rapport est très-court. Toutes les pièces ont été examinées en ce sens. Nous ne devons pas risquer d’aller au-delà du délai fatal.

M. Dumont, rapporteur – Je crois qu’on ne peut se plaindre de ce que l’on mettrait de la précipitation dans l’examen de cette affaire. Elle remonte à une date fort ancienne. Il y a quatre ou cinq ans que les habitants du bassin de Charleroy et de l’Entre-Sambre-et-Meuse sollicitent la garantie d’un minimum d’intérêt. Le contrat entre M. le ministre des travaux publics et la compagnie Richards date de juin 1844. Le cahier des études renfermant le contrat et le cahier des charges vous ont été distribués vers le mois de septembre. Ainsi l’on a eu tout le temps d’étudier la question de savoir s’il convient d’admettre les étrangers dans la concession. La difficulté qu’on soulève n’est donc qu’un moyen dilatoire pour faire perdre l’occasion de la construction d’un chemin de fer qui intéresse à un si haut degré tout un district manufacturier et agricole.

Quant à la clause du cahier des charges, je pense que M. le ministre pourra rassurer l’honorable M. Brabant.

M. Lys – Il ne faut pas perdre de vue que les intérêts des tiers sont ici en cause. Déjà vous avez reçu communication d’un mémoire d’un ingénieur qui prétend que ses droits sont lésés par la convention.

On fait remarquer que les pièces nous sont distribuées depuis longtemps. Cela n’est pas douteux ; mais occupés par la discussion d’un budget qui nous a tenus 24 jours et par des travaux importants en sections, nous n’avons pas pu les examiner. Nous ne pouvons, du jour au lendemain, résoudre une question toute nouvelle et si importante.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne demande pas qu’on ne discute pas les questions soulevées par les honorables MM. Brabant et Lys. La discussion aura lieu. Toutes les observations seront faites, on y répondra. Mais lorsqu’un délai fatal a été fixé, le gouvernement manquerait à sa loyauté, s’il ne tenait pas à ce que le délai fût respecté. Le gouvernement ne peut prendre la responsabilité de ce qui arriverait, si la compagnie, usant de son droit, se déliait de tout engagement.

Relativement à l’observation de l’honorable M. Brabant, je puis annoncer à la chambre que M. le ministre des travaux publics de France m’a annoncé récemment que l’ordonnance royale accordant la concession parviendrait dan un bref délai au gouvernement.

M. Delfosse – M. le ministre des travaux publics a une mauvaise habitude, c’est de procéder par voie d’intimidation. Déjà, en 1840, il cherchait à effrayer la chambre, il disait alors à la chambre : Prenez garde, si vous n’accordez pas la garantie d’un minimum d’intérêt, vous n’aurez pas le chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse ; dernièrement encore, il tenait le même langage, et quelques jours après, il était démontré, par les nouvelles offres de la compagnie anglaise, que les craintes de M. le ministre des travaux publics, si elles étaient sincères, étaient au moins fort chimériques.

Aujourd’hui, M. le ministre des travaux publics cherche encore à effrayer la chambre, il chercher à nous faire croire que si la convention n’était pas approuvée le 1er mars, la compagnie anglaise pourrait retirer ses offres. Cela ne peut être sérieux. Il est évident que la compagnie anglaise n’ira pas, pour un retard de quelques jours, renoncer à une entreprise de cette importance, à une entreprise qui, de l’avis des ingénieurs de la compagnie elle-même, doit donner un intérêt annuel de plus de 9 p.c.

Je conçois très-bien que le gouvernement et la compagnie anglaise désirent avoir une prompte solution, c’est dans ce but qu’un délai fatal aura été inséré dans la convention ; mais ce désir, très naturel, du reste, n’est pas une raison pour que la chambre mette de la précipitation dans l’examen d’un projet aussi important ; on nous dit que le rapport est très-court, j’en suis surpris ; il me semble que le sujet prêtait à quelques développements ; c’est justement parce que le rapport est court qu’il y aura plus de recherches à faire, plus de pièces à lire ou à relire. Je demande que la discussion soit fixée à jeudi, au lieu de mardi.

M. Fleussu – Je ne sais si la présentation du projet de loi relatif au chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse a été précédée d’une enquête de commodo et incommodo.

M. le ministre des travaux publics vient de dire que ce chemin de fer devrait se raccorder avec le chemin de fer français qui n’est pas encore concédé. Or, pour que nous puissions juger si l’on a adopté le tracé qui convient dans l’intérêt de nos exportations, il nous faudrait connaître le tracé du chemin de fer français.

M. Dumont – Il ne s’agit que de deux kilomètres de chemin de (page 890) fer de la frontière belge à Vireux. La concession sera accordée plan des ingénieurs français.

- La chambre consultée fixe à mardi la discussion du projet de loi.

Motion d'ordre

Droit d'entrée sur les huîtres

M. Zoude – Je viens de lire dans le Moniteur les expressions un peu lestes de M. le ministre de l'intérieur au sujet des parcs flottants. Il y a, messieurs, des parcs flottants en France et en Angleterre. Ces parcs ont reçu l’assentiment de toutes les autorités d’Ostende ; du collège échevinal, de la commission de la pèche ; ils auraient eu également l’appui de la chambre de commerce, si cinq membres de cette chambre avaient eu la pudeur de s’abstenir, comme c’était leur devoir ; ce sont 1° un propriétaire de parcs fixes ; 2° le frère de deux propriétaires de parcs fixes ; 3° le frère et beau-frère de plusieurs propriétaires de ces parcs ; 4° le neveu de ces propriétaires ; 5° l’agent de ces messieurs.

La commission scientifique est également favorable aux parcs flottants.

Enfin plusieurs personnes notables d’Ostende, qui n’ont pas voulu s’exposer à des désagréments, en prenant ouvertement parti dans cette affaire, se sont secrètement, mais consciencieusement, prononcées pour les parcs fixes.

La commission scientifique, composée des collègues de M. le ministre de l'intérieur à l’Académie, a déclaré que la nourriture dans les parcs flottants était plus avantageuse que dans les bassins, parce que, dit-elle, l’eau de mer contient de la matière nutritive, tandis que l’eau des bassins a déposé une partie du principe nutritif qu’elle contenait.

M. le ministre a dit que les parcs flottants vendent immédiatement leurs huîtres. Il est de fait que, la saison dernière, ces parcs ont été envahis et que les huîtres ont été vendues de suite. On sait d’ailleurs qu’ils expédient des huîtres à l’étranger, en Russie et même en Angleterre.

En résumé, ces parcs flottants, soutenus par toutes les autorités, ne méritent nullement les attaques dont ils ont été l’objet.

M. Rodenbach – Messieurs, dans la séance d’hier, M. le ministre a lu un rapport que j’ai écouté avec la plus grande attention. Dans ce rapport, M. le ministre dit que les huîtres des parcs flottants sont des huîtres épurées qui viennent d’Angleterre. Toute la question consiste dans ce fait. Si réellement les huîtres des parcs flottants viennent d’Angleterre tout épurées, M. ; le ministre a raison, parce que nous devons une protection spéciale aux établissements du pays. Mais je pense qu’on a induit M. le ministre en erreur. Je crois que les huîtres qui arrivent ordinairement d’Angleterre, ne sont pas épurées . lorsque les premières réclamations nous sont arrivées, les propriétaires des parcs fixes ont publié et envoyé aux membres de la chambre, des mémoires. Ces messieurs se sont adressés à moi ; j’ai même l’honneur de les connaître ; tandis que je ne connais pas ceux dont je prends maintenant la défense. Si je prends leur défense, c’est parce que le faible a besoin d’être protégé contre le fort. Dans les mémoires dont je viens de parler, les propriétaires des parcs fixes disaient que les parcs flottants étaient des cloaques, des foyers impurs, et que l’huître qui en provenait était une huître malsaine, que c’était un mets tout à fait indigne d’être consommé. Depuis lors, messieurs, cette question a été éclaircie, et aujourd’hui on a changé de thème : maintenant, les parcs flottants ne sont plus des cloaques, des bateaux impurs : aujourd’hui, les huîtres des parcs flottants sont, pour ainsi dire, aussi bonnes que les huîtres des parcs fixes. M. le ministre l’a dit lui-même.

Messieurs, une commission provinciale a été nommée, et je pense même que M. le gouverneur de la Flandre occidentale faisait partie de cette commission. La commission a examiné consciencieusement la question ; elle s’est rendue sur les lieux, elle a visité les parcs. Eh bien, elle a décidé que les huîtres des parcs flottants n’avaient peut-être pas toute la perfection de celles des parcs fixes, mais qu’elles n’étaient nullement malsaines, qu’elles étaient bonnes. Le conseil communal d’Ostende s’est prononcé dans le même sens. Vous avez, en outre, la commission spéciale qui, certes, est compétente, qui a examiné les procédés, qui a vu comment on pratiquait et qui a aussi reconnu que les huîtres des parcs flottants sont bonnes.

Il y a, messieurs, 60 ou 70 ans que les parcs fixes ont été établis ; ils ont coûté 80 ou 100,000 fr. C’était un luxe considérable. Il paraît qu’à cette époque les propriétaires de parcs voulaient vendre leurs huîtres extrêmement cher, parce qu’ils étaient seuls, parce qu’ils avaient le monopole. Mais le haut prix des huîtres a fait naître la concurrence.

Il paraît, messieurs, que les parcs flottants ne sont pas une chose neuve, il paraît aussi qu’ils n’existent pas seulement à Ostende, mais qu’on en trouve à Boulogne, à Gravelines, au Havre, à Dieppe. Eh bien, messieurs, en France, les huîtres des parcs flottants ne payent pas des droits plus élevés que celles des parcs fixes. On n’y fait pas cette distinction.

Je dois, messieurs, entrer dans quelques détails. Les parcs fixes sont creusés et maçonnés dans la terre ; il y a des tubes qui y conduisent l’eau nécessaire pour purifier les huîtres. Il y a également des planches en bois du Nord. Tout est tenu très-proprement. C’est la commission de savants qui en fait cet éloge. Mais cette commission s’est également rendue dans les parcs flottants, et elle a reconnu que là l’épuration se fait aussi avec une extrême propreté. Les parcs flottants font venir des huîtres d’Angleterre, mais ces huîtres ne sont pas originaires d’Angleterre, mais c’est un commerce dont les Anglais se sont emparés. Arrivées à Ostende, les huîtres sont mises dans un réservoir percé à jour, de sorte qu’il y a là une première filtration ; au moyen du flux et du reflux, les eaux se renouvellent de 12 en 12 heures dans ces réservoirs. Les bateaux sont également percés à jours, ce qui établit encore une espèce de filtrage, servant à l’épuration. Ces parcs-là ne coûtent pas 80 ou 100,000 fr. Ils ne coûtent que 10 ou 12,000 fr. C’est donc un grand progrès sous le rapport de l’économie.

Il y a, messieurs, des brasseries, des distilleries montées sur une grande échelle, montées avec luxe ; il y en a d’autres qui sont établies sur une échelle moindre, qui sont établies avec économie ; est-ce que, par hasard, les produits de ces derniers devraient payer des droits plus élevés que les produits des autres ? Mais ce serait écraser le faible au profit du puissant. Quant à moi, j’ai cru devoir prendre la défense du faible.

Je crois, messieurs, qu’il faudrait un droit uniforme ; mais ce ne doit pas être un droit insignifiant comme celui que M. le ministre veut faire payer aux parcs fixes, c’est-à-dire ½ p.c., 50 centimes pour 100 francs d’huîtres ; car M. le ministre est convenu lui-même qu’au moyen de la fraude le droit nominal de 1 p.c. se réduit, en réalité, à ½ p.c. Il est pénible de voir, messieurs, qu’un objet de luxe, comme les huîtres, ne paye qu’un demi pour cent, alors que le sel, qui est consommé par le pauvre, paye un droit égal au quintuple de la valeur du sel même. Il me semble qu’on devrait faire payer aussi bien aux huîtres des parcs fixes qu’aux autres un droit d’au moins 20 p.c. Voilà ce qu’on devrait faire pour être juste.

Messieurs, je bornerai là pour le moment mes observations. J’attendrai la suite de la discussion pour entrer dans d’autres explications.

M. Savart-Martel – Messieurs, après avoir fourni provision à quatre départements ministériels, au-delà même de ce qu’on nous demandait, nous arrivons aux huîtres.

Avant qu’on s’engage dans une plus ample discussion, je dois appeler l’attention de la chambre sur la circonstance suivante :

La loi du 21 juillet 1844 sur les droits différentiels frappe les huîtres et même les homards d’un impôt de 12 p.c. sous pavillon national, et de 16 p.c. sous pavillon étranger ; à cet égard, le texte est clair. Des dispositions particulières, se rapportant au tarif, déclarent cependant que ces droits ne seront applicables qu’aux huîtres et homards qui ne sont pas en destination des pays ou huîtrières du pays.

Il est écrit au Bulletin officiel : « Pour les huîtres et homards ayant cette dernière destination, le droit de 6 p.c. est maintenu. » Il ajoute encore : « Le gouvernement déterminera les formalités et conditions sous lesquelles les huîtres et les homards seront admis au droit de 6 p.c. »

Si l’on s’en rapportait à la lettre seule de la loi, il en résulterait que, pour les huîtres comme pour les homards en destination de parcs, c’est-à-dire non épurés, le droit serait de 6 p.c. Mais ce serait là une erreur ; le droit maintenu à raison de 6 p.c. n’est qu’en faveur du homard, espèce de poisson aristocratique, tandis que le droit maintenu sur les huîtres (droit ancien) n‘est que de 1 p.c. lorsqu’elles sont destinées aux parcs belges. Cette différence a été portée dans l’intérêt du travail du pays, dans l’intérêt de l’industrie belge. Si j’appelle l’attention de la chambre sur ce qui me paraît une erreur d’impression, c’était afin que nous soyons tous d’accord sur la loi même. J’ai lieu de croire que le gouvernement adoptera mon interprétation, car l’arrêté royal dont il s’agit y est conforme ; et je ne puis supposer que l’arrêté soit en opposition avec la loi que la chambre venait de voter.

La section IV est intitulée : « Remise partielle des droits d’entrée sur les huîtres et les homards ». Le paragraphe premier porte que les huîtres et les homards en destination des parcs ou huîtrières du pays, seront admis, savoir : les huîtres au droit de 1 pour cent, et les homards au droit de 6 pour cent de la valeur, moyennant l’accomplissement des conditions et formalités suivantes, etc., etc. Je désire du ministère une réponse à cet égard. Quant à la question principale, il me semble qu’on doit maintenir le fait du gouvernement ; jusqu’ici on ne nous a donné aucune raison bien justifiée qui nécessiterait un changement. Or, tout changement ne doit avoir lieu qu’avec prudence, car il en résulte une perturbation plus ou moins prononcée dans le commerce, et presque toujours des mécomptes privés que nous devons éviter. Il me semble donc que, quant à présent, au moins, il n’y a lieu à aucune innovation.

Cependant, comme il s’agit d’une matière qui ne m’est point familière, j’attendrai l’ultérieure discussion en réservant mon vote.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre a parfaitement expliqué le sens de la loi. On a entendu maintenir l’ancien droit en faveur des huîtres et des homards qui sont destinés aux parcs et huîtrières du pays. Or, quel était l’ancien droit ? Il était de 1 p.c. pour les huîtres et de 6 p.c. pour les homards. La loi n’a cité que le droit de 6 p.c. qui s’applique aux homards ; mais l’ancien droit pour les huîtres n’est que de 1 p.c. Il est impossible d’entendre la loi autrement ; il s’agit d’un droit à maintenir, et qui ne peut s’appliquer qu’aux droits existants, aux droits anciens.

D’ailleurs, la difficulté n’a pas porté sur ce point. La question est de savoir si le droit de 12 et de 16 p.c. dont sont passibles les huîtres et les homards non destinés aux huîtrières ou parcs du pays, est applicable aux huîtres des bateaux ; en d’autres termes, si ces bateaux peuvent être appelés des huîtrières ou parcs du pays.

M. Dumortier – Je placerai la question, comme vient de le dire M. le ministre de l'intérieur, sur son véritable terrain.

La disposition que nous avons prise dans la loi des droits différentiels s’applique-t-elle aux parcs qui se trouvent dans la rade d’Ostende comme aux parcs creusés dans le sol, qui, de tout temps, sont en position de donner à l’Europe les huîtres connues sous le nom d’huîtres d’Ostende ? Voilà la question.

Eh bien, je n’hésite pas à me prononcer pour la négative, et je déclarer que M. le ministre de l'intérieur a parfaitement interprété la loi, lorsqu’il (page 891) a décidé que les huîtres des parcs flottants ne doivent pas jouir des privilèges que nous avons voulu réserver aux huîtres provenant des l’industrie nationale.

En effet, messieurs, comment avons-nous procédé dans la loi des droits différentiels ? Nous avons, dans plusieurs cas, accordé des privilèges ; mais ces privilèges ont été concédés à l’industrie nationale, et non à l’industrie étrangère.

Or, c’est un fait incontestable que la véritable industrie d’Ostende, connue à Paris, à Berlin, dans toute l’Allemagne, sous le nom d’huîtres d’Ostende, est exclusivement l’industrie des huîtres épurées dans les parcs creusés dans le sol.

Et pour prouver ce que j’avance, je m’empare de ce qu’a dit l’honorable M. Rodenbach. L’honorable membre, pour défendre les parcs flottants, vous a dit : « Il existe des parcs flottants dans tous les ports de France. » Et bien, pourquoi, malgré ces parcs flottants, recherche-t-on à grand prix, dans la capitale de la France, les huîtres d’Ostende ? C’est que manifestement elles sont bien préférables aux huîtres provenant des parcs flottants établis dans les ports de France.

Les huîtres qui, en Europe, ont fait la réputation de l’industrie huîtrière de Belgique, sont exclusivement celles qui proviennent des parcs creusés dans le sol, et c’est bien certainement aux produits de ces huîtrières que la chambre a eu l’intention d’accorder le privilège qu’elle a écrit dans la loi des droits différentiels.

Mais, dit-on, les huîtres des parcs flottants sont aussi bonnes que celles des parcs creusés dans le sol.

Oui et non, comme l’a dit hier avec beaucoup de raison M. le ministre de l'intérieur.

Oui, si vous les prenez, lorsqu’elles arrivent ; non, lorsque vous les prenez, après qu’elles ont déjà séjourné quelque temps dans le parc flottant.

Il suffit d’avoir été à Ostende, et d’avoir vu les établissements, pour se former bien vite une conviction sur ces faits, ; cette conviction devient plus forte, lorsqu’on a quelque connaissance scientifique des animaux qui habitent les eaux salées.

Les huîtres des parcs creusés dans le sol sont dans une immense quantité d’ eau qui est en relation avec la mer, et qui est dès lors un mélange d’eau terrestre et d’eau salée ; c’est ce mélange heureusement combiné qui procure l’engraissement des huîtres. Les huîtres des parcs flottants sont dans une très-petite quantité d’eau, et à marée basse, ces parcs sont sur le limon, exposés pendant douze heures au rayon du soleil.

Or, toutes les personnes versées dans l’histoire naturelle, savent que rien ne se décompose plus vite que les animaux marins lorsqu’ils sont exposés au soleil.

Je parle ici non-seulement comme député, mais comme un homme de science qui a fait plusieurs travaux sur les animaux marins qui habitent sur les côtes. Il résulte des expériences que j’ai faites, qu’il faut renouveler l’eau plusieurs fois par jour, si vous voulez conserver ces animaux vivants.

C’est un fait incontestable, je le répète, que rien ne se décompose plus vite que les animaux salés, quand ils sont exposés au soleil. Cela est tellement vrai que tous les naturalistes des grandes villes qui ont voulu étudier les animaux salés, n’ont jamais pu les faire parvenir jusque dans les capitales. Eh bien, les huîtres sont des animaux qui vivent dans l’eau salée et sont soumises dès lors à l’influence que je viens de signaler.

D’un autre côté, dans les parcs creusés dans le sol, il s’établit souvent un courant qui sert à purger les huîtres, et à enlever leurs déjections. Tout cela ne se fait pas dans les parcs flottants qui se trouvent sur la mer ; l’eau que ces parcs reçoivent, n’a pas un mouvement d’écoulement comme l’eau qui se trouve dans les parcs creusés dans le sol, et dès lors, les huîtres provenant des parcs flottants n’ont pas le degré de pureté convenable. Or, c’est précisément une grande pureté qui fait le mérite des huîtres d’Ostende.

Quel motif aurait-on pour sacrifier les huîtrières nationales d’Ostende. Est-ce pour protéger le faible contre le fort, comme le prétend l’honorable M. Rodenbach ? Non, messieurs, pour faire les affaires de l’industrie étrangère aux dépens de l’industrie indigène.

Mais, dit l’honorable M. Zoude, le conseil communal d’Ostende a émis une opinion favorable aux parcs flottants ; et que si dans la chambre de commerce de cette ville ; les membres, intéressés dans l’établissement des parc creusés sous le sol, s’étaient abstenus, comme plusieurs membres du conseil communal, l’avis de la chambre de commerce aurait été différent.

Il y a cependant un point que l’honorable M. Zoude a oublié de relater, c’est que si les propriétaires des parcs creusés dans le sol ont eu la délicatesse de s’abstenir au conseil communal, il n’est nullement démontré que les membres intéressés dans les parcs flottants aient eu la délicatesse de se retirer. Et ici la délicatesse des membres qui se sont abstenus devient un argument contre eux !

Vous le voyez donc, messieurs, il n’y a aucune espèce de raison à faire valoir contre les huîtrières qui se trouvent dans les parcs flottants. Quand les Anglais seront venus établir ces parcs flottants, quand nous aurons sacrifié l’industrie huîtrière nationale, qu’arrivera-t-il ? Les Anglais se retireront avec leurs bacs, et la Belgique n’aura plus ses huîtrières. Pour moi, je ne veux pas d’un système qui doit amener un pareil résultat.

Du temps de Marie-Thérèse, on a donné des octrois pour l’établissement des huîtrières d’Ostende dont la construction a coûté des sommes considérables. Il faut maintenant que ces huîtrières puissent continuer à jouir du privilège que vous accordez à toutes les industries nationales..

M. Rogier – C’est un monopole.

M. Dumortier – Je dis, moi, que ce n’est pas un monopole, parce qu’il y a plus d’une huîtrière à Ostende, et que tout le monde peut creuser des parcs dans le sol ; on peut en établir à Blankenberge, on peut en établir encore dans tous les polders des Flandres. Il n’y a donc ici ni privilège, ni monopole ; s’il n’y a pas plus d’huîtrières, c’est qu’on recule devant les dépenses considérables qu’exige l’exploitation des parcs creusés dans le sol.

Maintenant, s’agit-il ici d’un monopole par le fait ? Non : il y a dix ans que les parcs flottants existent ; le prix des huîtres a-t-il diminué ? Loin d’avoir diminué, il est allé en augmentant, et la qualité des huîtres est devenue moins bonne, car une grande partie des huîtres qu’on consomme viennent de ces parcs flottants, et ne sont pas de véritables huîtres d’Ostende.

Et puisque nous nous occupons en ce moment d’une industrie nationale très-intéressante, et qui est susceptible d’un grand développement, je prendrai la confiance de soumettre quelques observations à la chambre.

Les huîtres qu’on appelle huîtres d’Ostende, ou même souvent huîtres anglaises, viennent presque toutes du rocher de Cancale. Les Anglais vont chercher ces huîtres sur les rochers du Calvados où elles sont prodigieusement nombreuses ; on les prend très-petites, on les amène, à l’embouchure de quelque rivière, dans de grands bacs où on les laisse croître pendant plusieurs années, et c’est après qu’elles ont pris un accroissement considérable qu’on les livre à la consommation. Car remarquez qu’il est des huîtres comme des moules ; vous savez que tous pilotis d’Ostende sont couverts d’une quantité innombrable de moules fort petites, et cette petitesse tient précisément au nombre considérable de ces moules. Les huîtres sont dans le même cas ; elles sont tellement abondantes sur les rochers auxquelles elles sont attachées, qu’elles ne peuvent pas se développer et qu’elles restent constamment très-petites. Ce sont ces petites huîtres qu’on va chercher sur les côtes du Calvados ; on les isole comme on isole les moules, et par ce moyen ces animaux prennent l’accroissement que vous connaissez.

Il y a déjà dans cette première opération un immense bénéfice pour celui qui la fait ; car ces huîtres qu’on va chercher sur les côtes de Calvados se vendent à des prix très-bas, et leur éducation une fois faite, elles se vendent à des prix très-raisonnables.

Or, si le gouvernement maintient son arrêté, je tiens de source certaine que la même industrie s’établira en Belgique. Je tiens d’un des armateurs les plus notables de Blankenberghe que son intention est de créer dans cette ville deux grands parcs, afin d’y faire l’éducation des huîtres et de les livrer ensuite au commerce. Pour que cette entreprise soit possible, il faut que ceux qui la tentent aient l’assurance que l’argent qu’ils y mettront ne sera pas dépensé en pure perte ; que les huîtres qui arriveront d’Angleterre ne fixeront pas leur industrie sur le sol. Nous sommes donc ici plus Flamands que l’honorable M. Rodenbach, puisque c’est une industrie réellement flamande que nous défendons ici. Je ne suis peut-être pas aussi grand consommateur d’huîtres que l’honorable M. Rodenbach qui ne cesse de m’interrompre ; mais je lui dirai que je me résoudrai volontiers à payer plus cher les huîtres que je consommerai, pour protéger une industrie nationale.

Il y a une autre considération qui doit fixer toute l’attention de la chambre. Les huîtrières creusées dans le sol emploient des navires pour aller chercher des masses considérables d’huîtres, tandis que, pour les parcs flottants, on se borne à mettre quelques milliers d’huîtres à bord de tel ou tel bateau à vapeur. Vous sacrifieriez donc ici votre industrie navale.

M. Verhaegen – Qui est ce qui dit cela ?

M. Dumortier – C’est moi. (On rit.) (erratum, p. 903) Ainsi, tout concourt, au point de vue de la navigation du pays, aussi bien qu’au point de vue de la réputation que nos huîtrières ont acquise, non-seulement en France, mais dans toute l’Europe, et au point de vue de l’industrie nationale, tout concourt à faire maintenir l’arrêté du gouvernement. Je félicite le gouvernement d’avoir pris cet arrêté. Je déclare que si, comme je le pense, l’arrête est maintenu, cette industrie, avant peu d’années, prendra un immense développement ; elle ne se bornera plus aux trois parcs d’Ostende ; mais des parcs considérables seront construits à Blankerberg pour l’éducation des huîtres. Je sais que des propriétaires doivent également construire des parcs dans d’autres parties des Flandres, ce qui fera arriver beaucoup d’argent dans le pays.

L’industrie huîtrière est devenue plus importante depuis la création des chemins de fer, car les huîtres sont transportées en un jour d’Ostende à Cologne et vont dans toute l’Allemagne. Faut-il sacrifier une industrie semblable à une industrie étrangère ? Non certainement. Je serai plus Ostendais que certains Ostendais ; je demanderai que l’arrêté que le gouvernement a pris soit maintenu. Cet arrêté est conforme à la loi. La chambre avait fait acte de bonne administration en accordant dans la loi protection à cette industrie.

M. le président – Les conclusions de la commission se bornent à demander le renvoi au ministre de l’intérieur.

M. Delehaye – Je suis réellement étonné que cette discussion n’ait pas eu lieu, quand nous nous sommes occupés de la loi des droits différentiels. Alors nous avons adopté un article conçu en ces termes :

« Importés par mer, les 100 fr. par pavillon national, 12 fr. ; par pavillon étranger, 16 fr. ; droit de sortie, 5 cent.

« Le droit de 12 et de 16 p.c. ne sera applicable qu’aux huîtres et homards qui ne sont pas en destination des parcs ou huîtrières d pays.

« Pour les huîtres et homards ayant cette dernière destination, le droit de 56 p.c. est maintenu. Le gouvernement déterminera les formalités et conditions (page 892) sous lesquelles les huîtres et les homards seront admis au droit de 6 p.c. »

C’est, messieurs, en exécution de cet article que le gouvernement a pris l’arrêté du 21 juillet. Cet arrêté a eu pour but d’assurer la protection aux huîtrières du pays. On ne peut pas considérer comme huîtrières du pays des parcs flottants qui peuvent appartenir à tout le monde. Dans ces parcs flottants les huîtres n’arrivent pas dans le même état que dans les huîtrières établies dans le sol, destinées à épurer les huîtres.

Je suis heureux de pouvoir donner mon assentiment à un acte du gouvernement. M. le ministre de l'intérieur a souvent proclamé que son principe était de toujours donner la préférence aux industries du pays sur les industries étrangères. Cette fois il l’a mis en pratique.

Qu’il me soit permis, pour établir la différence qui existe entre les parcs flottants et les parcs établis dans le sol, de vous citer un seul exemple. Quand on pêche les huîtres à Cancale, elles ne sont pas en état d’être livrées à la consommation, elles doivent, avant, être déposées dans un parc pour être épurées. C’est ainsi qu’on les dépose dans les huîtrières en Angleterre et en Belgique. Entendez-vous donner la même protection à l’épuration qui se fait en Angleterre qu’à celle qui se fait en Belgique ? Vous devez donner la préférence au travail qui se fait dans notre pays.

C’est, messieurs, en considération de ce fait que le gouvernement, d’accord avec la chambre, a accordé une protection aux huîtres épurées dans les parcs établis dans le sol sur celles qui sont déposées momentanément dans les parcs flottants, jusqu’à ce qu’on puisse les livrer à la consommation.

La commission a, dit-on, trouvé les huîtres provenant des parcs flottants aussi bonnes que celles des parcs établis dans le sol, soit ; mais il est très-possible qu’elles soient très-mauvaises, car, quand elles restent longtemps dans ces parcs flottants, elles se détériorent. Alors, dit-on, les consommateurs en feront justice. Sans doute, mais ce n’est pas la question qui doit nous occuper ; ce que nous aurons à considérer, c’est si nous devons accorder protection à l’industrie du pays sur l’industrie étrangère. Or, tous les parcs flottants appartiennent à la maison Stranach de Londres.

On a dit que le conseil communal d’Ostende avait émis une opinion dans le sens de celle exprimée par l’honorable M. Zoude. Je ferai observer que tous les membres du conseil qui étaient intéressés dans les huîtrières du pays, se sont récusés. Sur 11 membres, 5 se sont récusés ; les autres, qui étaient les commissionnaires de la maison anglaise, n’ont pas eu la même délicatesse ; ils sont restés sur leurs sièges.

Du reste, l’opinion du conseil communal est sans force à côté de ce principe, qu’on doit protection à l’industrie nationale.

On a dit que si on repoussait la pétition, on aurait à craindre le monopole. Messieurs, dans mon opinion, le monopole est un mal quand il est accordé à un individu, mais c’est un bien, et j’en suis partisan, quand il est établi au profit du pays.

Le monopole ici serait accordé aux Belges pour la consommation de la Belgique, car tout le monde peut établir une huîtrière ; on est même occupé à en construire à Blankenberg ; et on en construira dans d’autre localités encore si on est certain de la protection.

Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes fort intéressés à conserver nos huîtrières, car l’exportation de nos huîtres a pris un grand développement ; elles vont non-seulement en France, mais à Berlin et dans une grande partie de l’Allemagne. Si on s’aperçoit que les huîtres de chez nous sont détériorées, nos perdrons notre réputation et nos industrie. Il est donc très-important de ne pas admettre à la faveur du droit différentiel les huîtres qui nous viennent d’Angleterre et séjournent dans les parcs flottants en attendant leur placement. L’Angleterre, d’ailleurs, est intéressée à nous envoyer ainsi des huîtres de mauvaises qualités, pour déconsidérer nos huîtrières au profit des siennes.

Je remercie le gouvernement de la mesure qu’il a prise dans l’intérêt d’une industrie du pays, et je me joins à ceux qui ont demandé le maintien de cette mesure, de l’arrête du 21 juillet.

M. Desmet – Je ne comprends pas mes honorables collègues et amis, Zoude et Rodenbach, avec qui je suis habitué de voter en faveur de l’industrie nationale. En cette circonstance, ils mettent sur le même pied l’industrie anglaise. Nous avons déjà fait beaucoup de sacrifices à l’industrie anglaise, au préjudice de l’industrie linière ; il faut nous arrêter là et ne pas sacrifier encore une industrie importante d’un de nos principaux ports. La culture des huîtres est une industrie dont les frais généraux de premier établissement ont été très-considérables. Il ne faut pas compromettre les capitaux engagés dans cette industrie.

On a beaucoup parlé d’une commission qui a fait une espèce d’enquête. Dans ce rapport, on n’a pas traité la question au fond, la commission dit seulement qu’elle a goûté des huîtres venant des parcs fixes et des parcs flottants, et qu’elle a trouvé les unes aussi bonnes que les autres ; la commission avait-elle bien constaté de quelle manière l’huître du parc flottant avait été cultivée ?

J’ai étudié la question. Voici la différence qu’il y a entre les boutiques ou dépôts anglais et les parcs fixes d’Ostende. Elle est essentielle : c’est que dans les parcs fixes, il y a toujours une eau limpide qui épure et engraisse les huîtres ; si un seul grain de sable calcaire entre, l’huître est morte ! C’est un fait constant.

Dans les parcs fixes, on a donc toujours une eau claire, limpide ; il n’en est pas de même dans les bateaux où l’eau n’est pas courante, n’est pas limpide, et cependant il est constant que le succès des huîtrières dépend de la limpidité de l’eau et de la facilité qu’on a de la renouveler. Cette industrie huîtrière a une telle réputation, que les Français seuls nous prennent pour un million d’huîtres. Nous allons chercher la graine à la baie de Cancale, et après l’avoir cultivée nous renvoyons le produit en France et en Allemagne, et il est certain que nous expédierons, de jour en jour, davantage, que cette industrie fait des progrès. Mais si vous allez la laisser en concurrence avec les huîtres anglaises, elle tombera. Vous avez vu la déclaration de deux maisons de Blankerberg, qu’on allait construire de nouvelles huîtrières. C’est donc à tort qu’on parle de monopole, puisqu’on va établir des huîtrières dans plusieurs localités des Flandres.

M. Osy – Me trouvant à Ostende, quelques jours avant l’ouverture de la session, j’ai pris des renseignements sur la question qui nous occupe, et je dois dire qu’ils coïncident avec ce que viennent de dire M. le ministre de l'intérieur et M. Delehaye. Il est cependant une chose que je n’ai pas pu éclaircir. Je voudrais qu’on fît une enquête, pour savoir si les huîtres déposées dans les parcs flottants, et celles qui arrivent pour les parcs du pays sont les mêmes ; en un mot, si dans les uns c’est une industrie, et dans les autres un commerce, quoiqu’on y laisse séjourner les huîtres pendant quelques jours, en attendant qu’on puisse les livrer à la consommation. Je crois que c’est là la véritable question à examiner.

Une autre question sur laquelle je veux faire une observation, est relative aux homards.

Les homards qu’on dit destinés aux parcs, sont tout bonnement destinés à la consommation, et ne payent que le droit de 6 p.c. au préjudice de la navigation qui, pour les homards et les crabes qu’elle introduit, paye 12 p.c. au lieu de 6. je prierai M. le ministre d’examiner si tout cela ne devrait pas se trouver dans la même catégorie.

M. Verhaegen – Je ne connais, messieurs, ni les uns ni les autres des intéressés. Mais je vous avoue qu’en jetant les yeux sur le mémoire, il s’agit de tout autre chose que de donner un privilège à l’industrie belge sur l’industrie étrangère.

Mes honorables contradicteurs parlent d’un fait comme certain, qui ne l’est pas du tout à mes yeux ; c’est sur ce fait que l’honorable M. Osy a jugé à propos de demander des renseignements. La question se réduit à celle de savoir si les huîtres que l’on recueille dans les parcs flottants sont les mêmes que celles que l’on recueille dans les parcs fixes ? Vous dites oui, mais les autres disent non. (La clôture !)

Messieurs, veuillez m’entendre un instant ; il s’agit d’intérêts qui sont aussi sacrés que tous autres. Ne sacrifions pas légèrement les petits industriels aux grands. Assez d’orateurs ont parlé en faveur des parcs fixes ; alors qu’un seul, je crois, s’est fait entendre en faveur des parcs flottants ; quant à moi, je me joins à ce seul orateur, et le mémoire auquel je fais allusion m’en fait un devoir.

J’ai lu ce mémoire et j’y ai vu que les huîtres que l’on reçoit dans les parcs fixes sont absolument les mêmes que celles qu’on reçoit dans les parcs flottants. Il ne s’agit pas, d’ailleurs, d’une industrie étrangère qui serait en lutte avec une industrie nationale. Je vois des noms belges à la tête de l’une et de l’autre industrie ; l’une et l’autre industrie se trouvent sur le sol belge : la seule différence, c’est qu’il y a des parcs en bois d’un côté et des parcs maçonnés de l’autre, car les parcs en bois, tout aussi bien que les parcs fixes, se trouvent sur le sol de la Belgique, c’est-à-dire dans l’avant-port d’Ostende, en deçà de la ligne douanière.

Quant à la qualité des huîtres, j’ai lieu de croire, d’après le mémoire, que les unes sont aussi bonnes que les autres, ce sont d’ailleurs les consommateurs qui décident la question.

Je ne veux pas suivre l’honorable M. Dumortier dans ses dissertations scientifiques. Certainement, il a des connaissances plus étendues qu’aucun de nous sur ce point. Mais il est aussi des hommes très-experts qui ne partagent pas l’opinion de M. Dumortier.

Les huîtres qui sont dans les parcs flottants se trouvent constamment dans l’eau ; il ne faut pas croire qu’elles s’en trouvent dépourvues à marée basse. Les navires ont des soupapes que l’on ferme à marée descendante, et qui empêchent les eaux de s’écouler ; à marée montante, les soupapes sont ouvertes, et les eaux se renouvellent.

Ainsi, messieurs, il y a des boutiques flottantes, pour me servir de l’expression de M. Nothomb, mais il y a aussi des boutiques fixes ; les unes et les autres sont des boutiques belges. Les huîtres sont déposées dans les unes et dans les autres, et elles n’y restent que pour autant qu’on en a de trop pour les livrer immédiatement à la consommation. C’est bien pour cela, messieurs, que nous mangeons de mauvaises huîtres. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ces mauvaises huîtres proviennent tout aussi bien des parcs fixes que des parcs flottants.

Messieurs, ce qui a surtout fixé mon attention, dans cette discussion, c’est la divergence d’opinions qui s’est manifestée entre quelques-uns de nos honorables collègues qui tous sont partisans de la protection. Ainsi, d’un côté nous voyons l’honorable M. Desmet et l’honorable M. Delehaye, partisans de la protection illimitée, soutenir les parcs fixes ; mais de l’autre nous rencontrons l’honorable M. Zoude, l’organe le plus habituel de la protection, et d’autres honorable membres qui partagent son opinion, prendre la défense des parcs flottants. Cette divergence d’opinions, entre les partisans de la protection industrielle, me prouve, messieurs, que l’industrie nationale n’est nullement intéressée dans la question.

Si l’industrie nationale, et surtout l’industrie d’Ostende était intéressée dans le débat, nous verrions les représentants de cette localité prendre part à la discussion actuelle, et cependant ces représentants ne sont pas à leur banc ; c’est une preuve de plus pour moi que l’industrie nationale est loin d’être en jeu.

Messieurs, voulez-vous savoir quels intérêts sont réellement en présence ? Jetez les yeux sur la première page du mémoire ; pour mettre M. le (page 893) ministre à même de répondre à l’accusation, je vais le lire. Permettez-moi, cependant, avant tout, de répondre à un argument de l’honorable M. Dumortier qui vous a dit : « Qu’il fallait de grands capitaux, des capitaux énormes pour créer des parcs fixes, et que des hommes puissants se proposaient d’augmenter le nombre de ces parcs, » si l’arrêté était maintenu. Qu’en résulte-t-il, messieurs ? C’est que les hommes à grands capitaux, des hommes puissants vont être protégés au détriment de ceux qui n’ont que de petits capitaux à leur disposition ; ainsi les industriels qui pourront créer à grands frais des parcs dans le sol auront tout, et ceux qui n’ont que les faibles moyens de se procurer des parcs en bois n’auront rien.

Ce n’est pas là de la justice ; c’est, je le répète, sacrifier les petits aux grands, et c’est ce que nous ne pouvons permettre.

Messieurs, il se trouve dans le mémoire un fait très-grave qui ne peut pas prester inaperçu.

Voici ce que je lis :

« Les parcs flottants existaient depuis neuf ans dans l’avant-port d’Ostende, et empêchaient aussi bien que les parcs zélandais, l’introduction en Belgique du monopole de l’industrie huîtrière au profit exclusif des propriétaires des parcs creusés et construits dans le sol et établis à Ostende ; de là guerre acharnée de la part de ceux-ci contre ces modestes établissements, qu’on a qualifiés tour à tour, de bacs flottants, de bacs à fumier et d’autres noms analogues.

« Le gouvernement ignorait cet état de choses, lorsqu’il s’avisa de régler par un arrêté le mode d’exécution de la loi du 21 juillet. Ayant besoin de renseignements, et voulant s’éclairer, il crut ne pouvoir mieux s’adresser qu’à un de ses fonctionnaires, l’ingénieur en chef Debrock ; celui-ci, propriétaire pour la moitié d’un des parcs creusés et construits dans le sol, ce que le ministère ignorait également, au lieu de fournir à ses supérieurs des renseignements fondés en justice et en équité, induisit le gouvernement en erreur. L’ingénieur Debrock trouvant la circonstance favorable pour opérer la ruine des parcs flottants, fit si bien qu’il parvint à tracer de sa main la définition d’un parc à huîtres, en d’autre termes, la formule de l’arrêté que, dans son extrême confiance, le gouvernement adopta, et dont les dispositions sont telles qu’il n’admet au bénéfice de la loi sur les droits différentiels que les trois parcs creusés et construits dans le sol à l’exclusion des parcs flottants et de tous autres parcs possible dans l’avenir ; car désormais tout parc aux huîtres, pour participer au bénéfice de la législation nouvelle, devra être conforme à celui dont M. Debrock est le propriétaire ; on trouve au dossier de cette affaire la formule de l’arrêté écrite par ce fonctionnaire.

« Telle est la source de cette lutte entre les parcs creusés et les parcs flottants, lute inévitable, car l’arrêté du 21 juillet consacre la plus révoltante iniquité. »

Eh bien, messieurs, si c’est là le mot de l’énigme, il est évident que ce mot mérite l’attention toute spéciale de la chambre.

Un membre – Quelle est cette pétition ?

M. Verhaegen – Elle nous a été distribuée ce matin, je ne sais pas de qui elle émane. Mais enfin, quel qu’en soit l’auteur, il y a là un fait grave, qui ne peut pas rester inaperçu. S’il est vrai qu’un fonctionnaire public haut placé, qui est intéressé dans les huîtrières fixes, ait rédigé lui-même l’arrêté du 21 juillet et que c’est ainsi qu’on veut détruire la petite industrie qui gêne les propriétaires des parcs fixes, je dis que la chambre doit prêter la plus grande attention à la question.

La question n’est pas mûre, et je demande avec M. Osy, que l’on prenne des renseignements. Ces renseignements devront notamment porter sur le point suivant : y a-t-il une différence entre les huîtres que l’on recueille dans les parcs flottants et celles qui sont recueillies dans les parcs fixes ? Nous aurions tort, messieurs, d’étouffer cette discussion. La question des huîtres peut paraître insignifiante en elle-même, mais cependant il s’agit des intérêts d’une industrie qui, comme toutes les autres, a droit à nos sympathies, il s’agit surtout de savoir si on sacrifiera les petits aux grands !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – On a tort de supposer que cette question n’a été prévue que par l’arrêté royal du 21 juillet. La question a été formellement prévue et résolue par la loi dite des droits différentiels. Cette loi est formelle : l’ancien droit a été maintenu en faveur des huîtres destinées aux parcs et huîtrières « du pays ». Que faut-il entendre par parcs et huîtrières « du pays » ? Voilà la seule question que nous ayons à examiner. Eh bien, il m’est impossible, messieurs, d’appliquer ces termes aux bateaux qui sont dans l’avant-port d’Ostende. Les termes y répugnent. Selon moi, il est impossible d’entendre par parcs et huîtrières du pays, autre chose que les parcs et huîtrières établis dans le sol. Ainsi, messieurs, ce n’est pas à l’arrêté royal du 21 juillet qu’il faut faire le procès, c’est à la loi elle-même, qui a été votée par la chambre.

Pour moi, personnellement, messieurs, les faits ne m’étaient pas inconnus. J’ai été très-souvent à Ostende ; j’y ai vu les parcs fixes, que moi j’appelle les véritables huîtrières du pays ; j’y ai vu aussi les bateaux. A mes yeux, ce sont les huîtrières du pays, c’est-à-dire celles qui sont établies dans le sol, qui constituent seules ce qu’on appelle l’industrie huîtrière. Les bateaux dans lesquels on dépose plus ou moins longtemps des huîtres qui ordinairement sont arrivées d’Angleterre, entière ou presque entièrement épurées, ces bateaux ne constituent pas, à mes yeux, une industrie.

L’honorable M. Osy a très-bien posé la question. La différence de droits repose sur une distinction qui doit exister en fait. Il faut que le gouvernement n’accorde le bénéfice du droit d’un p.c. qu’aux huîtres qui réellement ne sont pas des huîtres comestibles, c’est-à-dire qu’aux huîtres qui exigent une préparation assez longue dans les parcs fixes.

Ainsi, loin de rapporter l’arrêté du 21 juillet, il y aura peut-être une formalité de plus à prescrire, c’est-à-dire que la douane devra avoir pour instruction d’appliquer le droit de 12 et de 16 fr. aux huîtres épurées ou à peu près, alors même que ces huîtres seraient destinées aux parcs fixes où elles ne feraient que passer.

M. de Brouckere – C’est impossible.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cela n’est pas impossible. Il y a une très-grande différence entre les huîtres comestibles et celles qu’on reçoit pour être préparées dans les parcs fixes ; ces dernières sont beaucoup plus petites, elles ne peuvent pas être livrées à la consommation immédiatement.

Du reste, messieurs, le gouvernement examinera si des instructions nouvelles sont à donner. Selon moi, il faut maintenir la distinction qui est faite par la loi des droits différentiels, et il faut faire en sorte que dans l’application cette distinction ne donne pas lieu à une fraude.

- La clôture est demandée.

M. Delehaye (contre la clôture) – Messieurs, j’avais demandé la parole pour repousser le reproche que la pétition qui vous a été distribuée, adresse à M. Debrock. Cet ingénieur n’est pas ici, et il ne peut se défendre. Je le connais particulièrement, et je déclare qu’il jouit d’une considération bien méritée.

M. le président – Cela ne concerne plus la clôture.

M. Delehaye – Je devais dire pourquoi je combattais la demande de clôture.

M. Rodenbach (contre la clôture) – Messieurs, j’ai une proposition à faire à la chambre. Il me paraît d’ailleurs qu’une industrie qui emploie plusieurs millions, mérite bien qu’on s’en occupe pendant une heure. Je ne sais pourquoi la chambre y mettrait cette précipitation. Trois ou quatre orateurs ont combattu mon opinion ; je demander à pouvoir leur répondre.

M. Zoude (contre la clôture) – Je combats la demande de clôture, parce que je désire répondre quelques mots à l’honorable M. Dumortier et à M. le ministre de l'intérieur.

- La clôture est mise aux voix.

L’épreuve étant douteuse, la discussion continue.

M. Rodenbach – Messieurs, je fais la proposition d’envoyer la requête à M. le ministre de l'intérieur avec demande d’explications. J’ajoute avec demande d’explications, parce que, bien que le discours qu’a prononcé hier M. le ministre soit assez lumineux, je crois que la question n’est pas suffisamment instruite. Il n’est pas encore prouvé, en effet, que les huîtres qui arrivent dans les parcs flottants soient des huîtres qui ont été épurées, d’autant plus que, si je suis bien informé, on doit leur faire subir encore deux opérations avant de pouvoir les vendre.

On a dit, messieurs, que les possesseurs de parcs flottants étaient des étrangers qui vendaient au détriment des Belges. Messieurs, un seul Anglais est intéressé dans cette industrie, et il est en Belgique depuis quinze ans, il y a acheté des propriétés, et s’est associé avec des Belges. Vous avez à Bruxelles 50 ou 60 maisons de commerce étrangères ; à Anvers, vous en avez 30 ou 40 ; viendrez-vous donc dire que c’est une industrie étrangère qu’elles exercent, et qu’elles ne méritent pas protection ?

On a parlé de la réputation européenne des huîtres d’Ostende. Je conviens que les huîtres d’Ostende ont une réputation européenne ; mais d’où cela provient-il ? C’est qu’à Ostende, l’eau de mer a le degré convenable de salaison pour donner une bonne qualité aux huîtres. Ce qui le prouve, c’est qu’à Bordeaux, à Dieppe, à Lorient, au Havre, les huîtres sont beaucoup plus salées, parce que l’eau de mer y contient plus de sel, tandis qu’en Hollande, où la mer est moins salée qu’à Ostende, les huîtres ne valent rien.

Messieurs, l’honorable M. Dumortier a conteste l’opinion de savants. Car c’est une commission de savants qui a examiné la question. Je le répète, les possesseurs de parcs fixes prétendaient d’abord que les parcs flottants n’étaient que des cloaques ; ce n’est que depuis que le comité de savants a prouvé qu’il n’en était rien, qu’ils ont changé de thème et qu’ils vous disent maintenant que ces parcs flottants ne reçoivent que des huîtres qui sont déjà épurées ; or, cela n’est pas prouvé. Ce sont des huîtres qui ont été semées plus longtemps ; car on se sert aussi de ce terme pour les huîtres. Les Anglais comme les Français vont chercher les huîtres sur les côtes de la Bretagne, et on les sème, c’est-à-dire qu’on les dépose sur les côtes plus ou moins longtemps. Si elles sont très-petites, on les y laisse pendant un ou deux ans ; si elles sont plus grandes, on les y laisse moins de temps ; ce sont ces huîtres qu’on importe à Ostende.

Messieurs, je dois dire, avec un honorable membre, qu’on se plaint en ce moment de la qualité des huîtres, aussi bien de celles qui viennent des parcs fixes que des parcs flottants. Elles sont en général plus petites et plus maigres. Cela provient, messieurs, de ce qu’on a reçu des demandes considérables de l’Allemagne et d’autres contrées. Or, l’avidité du marchand lui fait trouver la marchandise bonne ; et pourvu qu’il vende, il s’occupe fort peu de savoir si les huîtres sont ou ne sont pas assez épurées.

Ainsi, messieurs, il n’existe pas de motifs pour accorder aux propriétaires des parcs fixes une protection plus grande qu’aux propriétaires des parcs flottants. Je crois que vous devez maintenir la concurrence, qui fera que vous payerez toujours les huîtres moins cher.

Messieurs, je répéterai, en terminant, que les droits sur les huîtres ne sont pas assez élevés ; il s’agit ici d’un aliment de luxe. Je crois que les huîtres (page 894) épurées devraient supporter un droit de 20 à 25 p.c., tandis qu’à présent elles ne payent qu’un demi p. c.

Je demande donc, messieurs, que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de l'intérieur, que l’on fasse une nouvelle instruction, que l’on s’assure si les huîtres qui arrivent pour les parcs flottants sont plus âgées, sont réellement épurées, et que l’on nous donne des explications à cet égard. La question n’a pas été suffisamment résolue. D’ailleurs, je sais que des propriétaires de parcs fixes ont fait venir cette année pour un demi-million d’huîtres, et qu’ils les ont vendues immédiatement sans même les conserver pendant quinze jours dans les huîtrières.

On dit, messieurs, qu’il s’agit d’une industrie nationale. Mais je crois avoir prouvé depuis longtemps et dans maintes circonstances que, lorsqu’il s’agit d’une industrie nationale, je sais en prendre la défense. C’est, messieurs, par intérêt pour une industrie nationale que je soutiens mon opinion.

M. le président – La parole est à M. Delehaye.

M. Delehaye – J’ai déjà présenté l’observation que je désirais faire. Je voulais repousser le reproche adressé à M. Debrock. J’ai la conviction que cet honorable ingénieur est incapable d’émettre une opinion contraire à sa conscience. C’est cependant ce qui résulterait de ce que contient le mémoire que vous avez reçu, mémoire anonyme, du reste ; car il ne contient aucune signature.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je viens, messieurs, de parcourir tout le dossier. Il est dit dans cet écrit anonyme, qu’un ingénieur qu’on y désigne a rédigé l’arrêté. On aurait dû dire qu’il a rédigé la loi. Car toute la question est résolue par la loi. Il est évident que l’on ne peut donner le nom d’ « huîtrières du pays » aux bateaux. Du reste, l’arrêté a été publié en même temps que la loi, et c’est la loi qui avait résolu la question.

M. Zoude – Messieurs, pour me répondre, l’honorable M. Dumortier a invoqué ses connaissances spéciales. Je les respecte infiniment ; mais il voudra bien reconnaître qu’il est d’autres personnes qui ont aussi des connaissances spéciales ; j’en ai consulté, et elles ne partagent pas du tout l’opinion de l’honorable membre.

Il a dit aussi que les parcs flottants se trouvaient a sec à la marée basse. C’est une erreur. Les parcs flottants contiennent toujours de l’eau et la renouvellent aussi souvent qu’il est nécessaire.

On a dit que les huîtres des parcs fixes étaient supérieures à celles des parcs flottants. Cependant, je vois dans le dossier une circonstance qui contrarie cette assertion ; c’est que la commission scientifique étant logée dans un hôtel d’Ostende, s’est fait servir un plat d’huîtres et qu’elle les a trouvées très-mauvaises. Elle a demandé au maître d’hôtel d’où il les tirait, et elles venaient précisément d’un des parcs protégés par l’arrêté.

L’honorable M. Dumortier vous a dit que l’industrie des parcs flottants était l’industrie des étrangers. Messieurs, l’étranger dont on a parlé est dans le pays depuis trente ans ; il ne peut donc plus être considéré comme un étranger. Est-ce que M. Cockerill, doit être considéré comme un étranger ? certainement non. Pourquoi dès lors considérerez-vous comme étranger un autre industriel qui se trouve dans les mêmes conditions ?

M. le ministre de l'intérieur dit que la loi est formelle. Messieurs, nous avons laissé au gouvernement le soin d’interpréter la loi, de définir ce qu’il fallait entendre par parcs, par huîtrières du pays ; mais M. le ministre a-t-il suffisamment consulté les personnes capables de décider cette question ? C’est ce que je ne crois pas.

J’appuie la proposition qui vous a été faite par l’honorable M. Osy. C’est de renvoyer la question à une commission d’enquête qui se rendrait sur les lieux. Je crois que l’affaire est assez importante.

M. Dumortier – Messieurs, je ne dirai que deux mots ; je crois que la chambre est un peu fatiguée de cette discussion.

L’honorable M. Zoude, qui avait annoncé l’intention de me combattre, n’a rencontré aucune des observations que j’avais présentées à la chambre. Je ne puis donc que maintenir ce que j’ai dit.

Faut-il, messieurs, renvoyer la pétition à la commission d’enquête, ou à M. le ministre avec demande d’explications ? Je crois que ni l’une ni l’autre de ces mesures n’est nécessaire. Quant aux explications, elles vous ont été données, et je ne vois pas quel serait le but d’une enquête.

Je demande donc que la chambre décide le dépôt au bureau des renseignements des pièces qui nous sont remises. Je crois qu’il ne fait pas revenir tous les jours sur de pareilles discussions.

Je me bornerai à une seule observation. On vous dit toujours que l’on veut sacrifier les petites industries aux grandes. Il ne s’agit ici de sacrifier personne ; les petites industries peuvent encore exister avec le droit différentiel.

Pour mon compte, je pense donc que ces arguments ne sont aucunement fondés et je prie la chambre de vouloir bien reprendre son ordre du jour et ordonner le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

- Cette proposition est mise aux voix ; l’épreuve est douteuse.

Plusieurs membres – L’appel nominal.

M. Dumortier – Je crois que la question n’a pas été bien comprise. Deux propositions sont faites, l’une est le dépôt au bureau des renseignements ; l’autre est le renvoi à M. le ministre de l'intérieur avec demande d’explications ; cette dernière tend à renouveler une discussion qui a déjà été assez longue.

M. le président – J’ai d’abord mis aux voix le dépôt au bureau des renseignements. Persiste-on à demander l’appel nominal (Oui ! oui ! Non !non !)

M. Vilain XIIII – Je crois qu’il faudrait d’abord mettre aux voix le renvoi à M. le ministre de l'intérieur ; ceux qui votent ce renvoi n’excluent pas le dépôt au bureau des renseignements, tandis que ceux qui votent le dépôt au bureau des renseignements excluent le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

M. Dumortier – Mais il faut bien s’entendre ; il s’agit du renvoi avec demande d’explications. (Non ! non !) S’il ne s’agit que du renvoi pur et simple, je n’y vois pas d’inconvénient.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je propose le dépôt au bureau des renseignements et le renvoi au ministre de l’intérieur.

M. Rodenbach – Avec demande d’explications.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Non, le renvoi pur et simple.

- La double proposition de M. le ministre de l'intérieur est mise aux voix et adoptée.

Motion d'ordre

Eboulement du tunnel ferroviaire de Cumptich

M. Desmaisières – Lors de la discussion du chapitre XVII, art. 4, du budget de l’intérieur, M. le ministre des travaux publics a cru devoir prendre la parole, en mon absence, pour répondre l’honorable M. Rogier sur une question relative à son département. Malheureusement, sa réponse n’a pas été complète, et il en résulte que je dois profiter de la discussion qui vient de s’ouvrir pour la compléter.

Messieurs, respectant les vives sympathies de M. Rogier par M. l’ingénieur en chef Simons, les partageant même, ainsi que je vais le prouver, je n’ai jamais cru devoir répondre à cet honorable membre, en ce qui touche la mise en disponibilité de cet ingénieur.

M. le président – Je regrette de devoir dire que cet objet n’est pas à l’ordre du jour.

M. Desmaisières – Un des mes actes comme ministre des travaux publics a été, dans la discussion du budget de l’intérieur, l’objet d’observations qui sont devenues assez graves par suite de la réponse incomplète qui y a été faite en mon absence, et j’ai cru devoir saisir la première occasion qui se présentait pour la repousser ; c’est même à la sollicitation de plusieurs de mes honorables collègues que j’ai pris maintenant la parole. Je désirerais que la chambre voulût bien m’entendre ; je tiens à détruire l’effet que les paroles de l’honorable M. Rogier auraient pu produire en les rapprochant de la réponse incomplète du ministre.

Des membres – Dans la discussion générale du budget des travaux publics.

M. le président – C’est que déjà plusieurs membres sont partis, et tout à l’heure la chambre ne se trouvera plus en nombre.

M. Desmaisières – Si la chambre désire que j’ajourne mes observations, je me rendrai à son désir, mais j’espère bien qu’on voudra bien ne pas fixer son opinion avant de m’avoir entendu. (Assentiment.)

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, je crois utile de vous donne lecture d’un rapport qui m’est parvenu hier de la part de l’inspecteur général des ponts et chaussées. Depuis la présentation du rapport qui a été inséré dans l’exposé des motifs du projet de loi, j’ai ordonné des études nouvelles, des études plus complètes. Les premières études avaient nécessairement été incomplètes. Le temps avait manqué.

Voici, messieurs, le rapport que l’inspecteur général vient de m’adresser :

« Bruxelles, le 21 février 1845,

« M. le ministre,

« Comme suite à mon rapport du 17 février courant, n°2392, j’ai l’honneur de vous informer que le sous-ingénieur Denis m’a soumis hier, à Tirlemont, le projet complet des travaux à exécuter pour l’établissement d’un chemin de fer entre Vertryk et Tirlemont, au moyen d’une tranchée à ciel ouvert.

« Ce projet se compose :

« 1° D’un plan indiquant le tracé ; celui-ci abandonne la ligne actuelle à peu de distance de la station de Vertryck et se dirige vers la gauche, traverse la chaussée de Louvain à Tirlemont, s’en écarte d’environ 100 mètres, la suit presque parallèlement et la traverse de nouveau à 400 mètres environ de la station de Tirlemont.

« Le développement de cette ligne est de 50 mètres environ plus long que le chemin de fer actuel ;

« 2° D’un nivellement qui, fait sur ce tracé, montre qu’au moyen d’une pente de quatre millimètres, en partant de Tirlemont, on peut franchir la crête par une tranchée de 15 mètres 20 cent. de profondeur ;

« 3° D’un métré indiquant les quantités de travaux de toute nature à entreprendre, terrassements, maçonneries, perrés, etc.. ;

« 4° D’un détail estimatif qui fait voir que la dépense totale, y compris l’expropriation de 20 hectares environ de terrains, s’élève à 700,00 francs ; le temps d’exécution est évalué à environ huit mois.

« M. l’ingénieur en chef Delehaye ayant insisté pour que l’on réduisît la pente à 3 millimètres, j’ai prescrit à M. Denis d’établir ses calculs dans cette nouvelle hypothèse, quoique dans mon opinion, la pente de quatre ne puisse présenter aucune espèce d’inconvénient pur la locomotion, dans la direction de Tirlemont vers Louvain.

« Vous recevrez mardi au plus tard, les deux projets par l’intermédiaire de M. le directeur Masui.

(page 895) « Je vous prierai, M. le ministre, de vouloir bien ensuite les soumettre à l’avis du conseil des ponts et chaussées.

« L’inspecteur-général T Teichmann. »

Vous voyez, messieurs, que les évaluations ont subi des modifications. La dépense totale pour l’exécution des travaux et l’acquisition des terrains ne s’élèvera donc qu’à la somme de 700,000 francs environ. Il faut ajouter à cette somme 70,000 fr. pour la réparation du premier tunnel, qui doit servir au transport des marchandises, et 48 ou 50,000 francs pour l’exploitation provisoire pendant deux périodes de 30 jours chacune, ce qui fait monter la dépense totale à 818,000 fr., tandis qu’elle avait été d’abord évaluée à 1 million à peu près.

Messieurs, lorsque j’ai présenté le projet, je n’avais que des études provisoires et des évaluations approximatives ; depuis les évaluations ont pu être faites d’une manière plus soignée.

Je pense, messieurs, que malgré ce que je viens de vous faire connaître le crédit de 300,000 fr. doit être maintenu. Lorsque j’ai présenté la loi, je me suis exprimé de manière à laisser comprendre à la chambre que le chiffre ne reposait pas sur des données complètes, que je n’avais pas eu le temps de vérifier si ce chiffre était bien exact ; depuis je me suis fait rendre compte d’une manière complète de ce qui reste disponible sur les anciens crédits pour la construction des deux tunnels. La somme qui reste disponible sur ces crédits s’élève à 500,000 fr., ainsi avec les 300,000 fr. que je demande, j’arrive à la somme totale de 800,000 fr. c'est-à-dire à peu près au montant de l’évaluation de M. l’inspecteur-général, dont je viens de vous faire connaître le rapport.

M. Rogier – M. le ministre annonce que M. l’ingénieur Denis s’est livré à un travail dont M. l’inspecteur-général fait mention dans la lettre qui vient de nous être lue. Je demanderai si ce travail a été contrôlé par la commission des inspecteurs et des ingénieurs, si les études ont été reconnues exactes, si les plans ont été adoptés ; jusqu’ici nous n’avons qu’une lettre de l’inspecteur-général. Il s’agit d’une dépense considérable. Il s’agit de savoir si l’on doit changer le système établi pour le chemin de fer belge, si l’on doit remplacer les tunnels par des tranchées ouvertes. Ce sont là des questions très-graves que nous avons à discuter à l’occasion du crédit qui nous est demandé. Je crois qu’il est plus que temps de remettre à la chambre les renseignements qui jusqu’ici font défaut. Nous ne pouvons pas aborder la question en l’absence d’un devis appuyé de l’avis du conseil des ponts et chaussées auquel se joindrait probablement l’avis de M. le ministre lui-même.

Si nous voulons abréger la discussion, il faut au mois que la chambre soit en possession de renseignements sur lesquels elle puise baser son opinion. Jusqu’ici aucun renseignement de ce genre n’a été déposé sur le bureau. Nous avons un dossier considérable, mais il est insignifiant, il ne renferme que des actes de réception des travaux exécutés. Il faut absolument d’autres renseignements.

Pour ma part, je demanderai un devis définitif, avec l’avis du conseil des ponts et chaussées, des nouveaux travaux qu’il s’agit d’exécuter. J’espère que M. le ministre reconnaîtra le fondement de cette demande, qui tend à éviter de longues discussions. Aujourd’hui nous ne pouvons pas arriver à un vote, car je pense que nous ne sommes plus en nombre ; mais d’ici à lundi ou mardi, M. le ministre pourrait se procurer ces renseignements et les faire parvenir à la chambre.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, le rapport de l’inspecteur-général, que je viens de vous faire connaître, indique le résultat des études faites par M. l’ingénieur Denis. Le conseil des inspecteurs s’est rendu, il y a quelques jours, à Vertryk pour vérifier ces études, et c’est le résultat de cette espèce d’enquête que M. l’inspecteur-général me transmet dans son rapport. Je dois reconnaître cependant que ce rapport, le devis et les études, n’ont pas encore été soumis régulièrement à l’examen du conseil des inspecteurs.

Je sais que le conseil des inspecteurs y a donné son adhésion, mais cette adhésion n’est pas encore, si je puis m’exprimer ainsi, administrative. D’ici à lundi, j’espère pouvoir donner à la chambre des renseignements plus complets.

Du reste, je ne pense pas que la chambre doive se constituer ici en conseil d’ingénieurs. La chambre a surtout à apprécier s’il faut substituer une tranchée à ciel ouvert au double souterrain de Cumptich. Il y a une seconde question, une question morale à examiner ; c’est celle de savoir si cette substitution est nécessaire en présence des inquiétudes du présent. Vient, en troisième lieu, la question des dépenses : le chiffre de la dépense que la chambre votera sera nécessairement un chiffre maximum, comme je l’ai dit tout à l’heure.

M. Mast de Vries – Je crois aussi qu’il faut ajourner la discussion à mardi. Les membres qui reviennent le lundi à Bruxelles, de midi à une heure, n’auraient pas le temps de prendre connaissance des pièces que l’on va déposer. Je suis d’autant plus porté à faire cette demande, que d’après les renseignements qu’on vient de donner, il y a un fait constant ; c’est que la tranchée que le gouvernement désire faire exécuter, n’est que de 50 mètres plus longue que ce qui existe aujourd’hui ; dès lors si cette question avait été examinée plus à fond dans le temps, nous n’aurions pas dû faire faire de tunnel, et nous aurions pu économiser des sommes considérables.

M. de La Coste – L’honorable M. Rogier semble croire qu’il s’agit de décider la question d’un système nouveau, de remplacer les tunnels par des tranchées à ciel ouvert. Il n’en est pas ainsi : il s’agit ici d’une question tout spéciale. Je crois que les tunnels doivent être admis là où ils sont indispensables, et là où ils sont solides ; il faut ces deux conditions, et la question est de savoir si ces deux conditions existent.

Je ne sais pas si nous devons aller jusqu’à réclamer des devis. Je pense que le gouvernement eût même pu prendre la chose sous sa responsabilité, sauf à nous demander ensuite un crédit supplémentaire ; dans d’autres occasions, le gouvernement a pris sous sa responsabilité la solution de questions où étaient engagées des sommes bien autrement importantes. Lorsqu’on a remplacé le chemin de fer de Tirlemont à Namur, que la chambre avait voté implicitement, par le chemin de fer de Charleroy, il s’agissait d’un surcroît de dépenses de 7 à 8 millions, et jamais on n’a communiqué à la chambre de devis à cet égard. Puisque, dans cette occasion, M. le ministre a cru devoir saisir la chambre, il faudra bien que la chambre réponde, mais je ne crois pas qu’elle doive montrer un scrupule si extraordinaire.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, il y a urgence à prendre une décision. D’ici à lundi, j’aurai fait imprimer le rapport de l’inspecteur-général, qui contient tous les renseignements désirables. Pour tenir compte de l’observation de l’honorable M. Mast de Vries, on pourrait fixer la séance de lundi à deux heures. (Adhésion.)

M. Lys – Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il a dans l’intention de faire procéder aux nouveaux travaux par voie d’adjudication publique ou par voie d’économie. Il y a une très-grande différence entre ces deux modes : nous en avons vu la preuve en maintes circonstances ; tel grand entrepreneur a fait lui-même travailler par sous-entreprise sans faire presque jamais travailler par économie.

Ainsi, il est extrêmement essentiel que nous ayons une expertise régulière ; car on aura beau venir nous dire : « le chiffre que je vous demande est le chiffre maximum ; » nous avons pour nous l’expérience ; ce n’est pas la première fois qu’on demande des chiffres maxima, et qu’on est venu ensuite réclamer des subsides supplémentaires.

Je rappellerai les sommes énormes que l’Etat a dépensées pour le chemin de fer de la vallée de la Vesdre ; et pourquoi ces dépenses ? parce que les cahiers des charges n’avaient pas été régulièrement faits. C’est ce qui occasionne une augmentation considérable de dépenses. C’est donc parce que nous avons procédé trop vite, que tous ces frais ont été faits.

Pourquoi le tunnel de Cumptich lui-même a-t-il été construit ? parce qu’on a agi encore avec trop de précipitation. L’Etat a perdu plus d’un million par là.

La décision à prendre en ce moment n’est pas aussi urgente qu’on le prétend, si l’on se résout à ne plus se servir du tunnel et à faire un nouveau chemin de fer. Quant aux marchandises, et M. le ministre des travaux publics en convient lui-même, elles pourront passer par le tunnel, quand il sera déblayé ; et quant aux voyageurs, ils passeront à pied un mois de plus.

Rien n’empêche donc d’examiner l’affaire à fond ; il est indispensable de voir s’il n’y a pas lieu à ouvrir une adjudication publique ; il faut avoir des notions exactes sur les dépenses à faire. Nous avons pour nous la triste expérience du passé ; nous avons dépensé en pure perte un million et demi et lorsqu’il s’agit de voter 38,000 francs pour les légionnaires de l’Empire, vous dites que vous ne pouvez imposer cette charge aux contribuables ; et ici c’est une charge d’un million et demi que vous faites peser sur eux, et qui est totalement perdue pour l’Etat.

Proposition de créer une commission d'enquête chargée d'examiner les causes de l'éboulement du tunnel ferroviaire de Cumptich

Discussion générale

M. Verhaegen – Messieurs, n’est-il pas convenable, avant qu’on aille plus loin, de rechercher les causes de l’éboulement ? Or, n’y a-t-il pas des individus qui, aux termes de la loi civile, sont responsables ? J’entends parler, et des ingénieurs qui pour le gouvernement sont des architectes, et des entrepreneurs qui, pendant dix ans, sont responsables d’après les dispositions de la loi civile.

Ne conviendrait-il pas de nommer une commission d’enquête même dans le sein de la chambre pour rechercher la cause de l’accident. Si vous vous en rapportez aux ingénieurs, vous aurez les mêmes avis, tandis qu’ici il s’agit de savoir si, en définitive, l’Etat doit être dupe d’une mauvaise construction.

Je crains que si nous allons faire de nouveaux travaux, on ne vienne nous dire : « Vous ne pouvez plus constater l’état des choses ; moi, entrepreneur, je ne suis plus responsable, parce que la chose n’est plus entière. »

Je crois que, dans l’intérêt du pays, il faut pour cette fois un exemple sévère ; que l’accident soit le fait des ingénieurs ou des entrepreneurs, il faut atteindre les coupables, quels qu’ils soient.

Je ferai lundi une proposition formelle pour qu’une commission d’enquête soit nommée par la chambre.

M. de La Coste – La question que vient de soulever l’honorable M. Verhaegen sera examinée dans la discussion ; cependant elle ne doit pas retarder la décision à prendre. Chaque jour de délai coûte à l’Etat 800 fr. ; si donc nous avions pris une décision aujourd’hui, au lieu de l’ajourner à lundi, cela aurait fait une différence de 1600 fr. en faveur de l’Etat.

Je ne dis pas cela pour m’opposer à la proposition de l’honorable M. Verhaegen ; nous examinerons cette proposition, quand l’honorable membre la reproduira, mais je désire que cet incident ne devienne pas un motif pour retarder la décision qu’il est urgent de prendre.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne veux pas examiner maintenant l’idée émise par l’honorable M. Verhaegen, de la formation d’une commission d’enquête. Je veux seulement dire que j’ai eu soin d’ordonner une enquête. Elle doit être faite par des hommes de l’art. J’ai donc chargé le conseil des ponts et chaussées, qui n’est pas intervenu dans la construction du souterrain, de faire l’enquête. Je lui ai adjoint les ingénieurs Groetaers et Delahaye qui ont dirigé les travaux de presque tous les souterrains de la Belgique. Ils devront interroger l’ingénieur Stevens qui a dirigé (page 896) les travaux du premier tunnel et avait auparavant dirigé les travaux du canal de Charleroy et de tous les beaux souterrains de la Belgique. Je pense qu’on ne peut accuser cet ingénieur d’inexpérience et de défaut de talents.

D’un autre côté, le conseil d’enquête entendra l’ingénieur même qui a dirigé les travaux du deuxième tunnel ; car la cause de l’éboulement est encore ignorée. Elle peut provenir soit d’un défaut de construction du tunnel lui-même, soit de la construction du tunnel latéral.

Cette commission d’enquête, composée d’hommes d’expérience, interrogera contradictoirement les deux ingénieurs, et je crois qu’elle arrivera à un résultat complet.

M. Mast de Vries – Personne plus que moi ne désire voir rétablir promptement la communication. Mais l’honorable M. de La Coste se trompe quand il dit que chaque jour de retard entraîne une perte de 800 fr. Il y a bien à présent une dépense extraordinaire de 800 fr. par jour, par suite de l’éboulement, mais quoique la loi ne soit pas votée, on n’en travaille pas moins à déblayer le tunnel, et il sera viable d’ici à deux mois d’après les propositions du gouvernement. Ainsi le retard de quelques jours que pourrait éprouver le vote du projet ne coûtera pas, comme l’a dit l’honorable membre, 800 fr. par jour.

M. de Theux – On pourrait remettre la discussion à lundi à deux heures. De cette manière, tous les membres pourront être de retour. Vous avez mis à l’ordre du jour de mardi la question du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse.

M. le ministre des travaux publics a institué une commission d’enquête pour rechercher les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich. Il serait peut-être bon d’ajouter quelques précautions à celles qu’il avait prises : ce serait de faire intervenir dans cette enquête, l’adjudicataire, le constructeur du premier tunnel et celui du deuxième tunnel, si tant est que la responsabilité puisse peser sur l’un ou l’autre. Moyennant cette précaution, il n’y aurait aucune difficulté à passer lundi à l’examen du projet ; il y a urgence à réparer l’accident ; quant aux questions d’art, la chambre ne peut pas les décider, elles doivent être résolues sous la responsabilité du gouvernement et des ingénieurs.

M. Rogier – J’appuie la proposition de faire une enquête et une enquête sévère ; il le faut pour l’honneur du gouvernement belge. Dans cette enquête, il faudrait y entendre toutes les parties contradictoirement, sur les lieux. J’ai regretté qu’il ait été publié un rapport que je considère comme provisoire, d’après lequel les ingénieurs, les premiers constructeurs paraîtraient avoir commis des fautes graves. Pour bien dessiner ma position, je dirai que mon administration est entièrement étrangère à la construction du tunnel de Cumptich ; il a été commencé longtemps après ma sortie du ministère et achevé longtemps avant ma rentrée. La chambre me considérera donc comme tout à fait désintéressé et impartial dans la question.

L’ingénieur ou les ingénieurs constructeurs sont accusés d’avoir reçu de mauvais matériaux. Je pense qu’ils ne peuvent pas rester sous le poids de pareilles accusations imprimées ; il faut qu’ils soient appelés sur les lieux à discuter la bonté des matériaux, en présence de ceux qui reprochent à ceux-ci d’être de mauvaise qualité. Je compte sur l’impartialité et la sévérité de M. le ministre des travaux publics ; il faut que tout s’éclaircisse, qu’on connaisse les causes de l’événement et que, ces causes connues, on agisse avec sévérité, si l’événement n’est pas étranger aux fautes des hommes.

Mais quand on aura constaté la cause du mal, on n’y aura pas porté remède.

Le remède, c’est à la chambre qu’on propose de l’apporter. Sur le moyen, la chambre ne sera pas unanime. J’aurais désiré que M. le ministre nous apportât plus de lumières. Il y a urgence, cela est vrai ; cependant il ne faut pas mettre trop de précipitation, et agir sous l’impression d’une frayeur trop grande. Il est possible qu’un certain délai, permettant à la frayeur de se calmer, tournerait au profit du trésor. Quoi qu’on en dise, une question de 500 mille francs mérité bien l’examen de quelques jours. Avec 500 mille francs, vous pourriez fournir un embranchement de chemin de fer, et mettre d’accord deux parties d’une province, le Limbourg, qui sont divisées.

Je vous engage, d’ici à lundi, à lire le peu de pièces qui nous ont été communiquées, vous serez frappés de l’avis fourni par le conseil des ponts et chaussées.

« L’achèvement et la consolidation des galeries souterraines de Cumptich constituent un travail qui peut s’effectuer sans danger et de manière que, les deux galeries étant terminées, l’ensemble présenterait une construction solide, réunissant autant de garanties de sécurité pour les voyageurs que toute autre portion de railway. »

Voilà en présence de quelles déclarations nous nous trouvons. C’est à la suite de cette opinion émise par le corps des ponts et chaussées, qu’on nous propose de renoncer aux tunnels pour faire une tranchée à ciel ouvert, avec une dépense de 5 à 600 mille francs, peut-être plus ; car nous n’avons aucune donnée certaine sur le montant réel de la dépense.

Les ingénieurs déclarent qu’en maintenant le tunnel actuel, en le réparant et en achevant le second tunnel, cette partie du chemin de fer n’offrira pas plus de danger, réunira autant de garanties de sécurité pour les voyageurs que toute autre portion du railway. On vient proposer de supprimer ces deux tunnels, et de les remplacer par une tranchée à ciel ouvert. Mais le système des tranchées à ciel ouvert ne doit pas être adopté aveuglement ; il a ses inconvénients, ses dangers.

J’insiste donc pour que M. le ministre des travaux publics veuille bien nous fournir les calculs nécessaires pour que nous puissions comparer les deux systèmes : celui du maintien des tunnels, système approuvé par le conseil des ponts et chaussées, et le système des tranchées à ciel ouvert.

Il faut que ce système de tranchées à ciel ouvert soit accompagné d’un devis des dépenses. Nous savons ce qu’a coûté le premier tunnel et ce qu’il en coûtera pour achever le second ; il faut pouvoir rapprocher ces dépenses des dépenses éventuelles qu’on nous propose pour faire une tranchée à ciel ouvert sur une distance de plusieurs kilomètres.

On a dit qu’il faudrait acheter vingt hectares de terre. Ces vingt hectares suffiront-ils pour les emprises et pour les dépôts des terres ? S’est-on assuré de la qualité des terres qu’il s’agit de traverser ? A-t-on sondé le terrain ? A-t-on calculé les dépenses d’entretien ? Vous savez que sur cette ligne, les tranchées ont entraîné des dépenses considérables.

Les talus primitifs ont dû être remplacés par des talus à banquettes qui ont coûté des sommes énormes. Va-t-on renouveler ces tranchées avec leurs inconvénients ? Quelle pente donnera-t-on à la route ? Il n’est pas indifférent de transporter des voyageurs ou des marchandises sur un terrain plat ou sur une pente plus ou moins inclinée. Beaucoup de questions sont ici soulevées.

Quoi qu’en dise l’honorable M. de La Coste, la question des tunnels en général est engagée dans cette proposition de loi. Par la suppression du tunnel de Cumptich, rétablirez-vous la sécurité sur toutes les lignes où vous conserverez des tunnels ?

Loin de là, vous allez jeter l’inquiétude partout. Si vous vous croyez forcé d’abandonner le tunnel de Cumptich par suite d’une crainte que je trouve exagérée, vous occasionnez un doublement de frayeur pour les tunnels du Midi et de la Vesdre. Parce qu’il y a eu dans le tunnel un éboulement, ce qui peut se rencontrer dans toutes les constructions, faut-il abandonner ce tunnel qui nous a coûté 734 mille fr., ainsi que le second qui est en construction et doit coûter environ un million ? C’est une question à examiner à deux fois avant de la résoudre. Il ne faut rien précipiter, mais décider de sang-froid et après mûr examen.

Voyez comment on procède ; les ingénieurs sont pour le maintien des tunnels. Le ministre reproduit l’opinion des ingénieurs ; mais il ajoute que c’est pour donner satisfaction à l’opinion qu’on propose de faire une tranchée à ciel ouvert. L’opinion, il faut la laisser se calmer, se refroidir, quand on aura été obligé de faire pendant quelque temps le bout de route à pied, la frayeur se dissipera. Une fois le public rassuré, chacun reconnaîtra peut-être qu’il y a lieu de terminer les tunnels, seulement on laisserait entre les têtes des tunnels une tranchées de 20 à 30 mètres.

Voilà, je crois, le parti le plus sage. Je n’ai pas d’opinion définitivement arrêtée sur ce point, c’est une question à examiner ; mais, sauf meilleur avis, voilà ce qu’il conviendrait de faire les voyageurs qui ont peur de l’obscurité verront le jour d’une extrémité du tunnel à l’autre et seront alors parfaitement rassurés.

D’ailleurs, si l’on veut supprimer les tunnels, il faut les supprimer pour les voyageurs, et pour les marchandises, et non les conserver, comme on le propose, pour ces derniers transports. Car remarquez, qu’il y aurait une sorte d’inhumanité à laisser passer dans un endroit périlleux, plein de dangers, des marchandises, accompagnées de machinistes, de chauffeurs et de gardes. Ces hommes, messieurs, sont exposés tous les jours de leur vie ; ils le sont plus de 600 fois par an.

Je dis donc, messieurs, qu’il faut conserver les tunnels pour tout le monde, ou qu’il faut les supprimer pour tout le monde, et que vous ne pouvez exposer tous les jours les malheureux employés à des dangers plus ou moins certains.

J’ai déjà entendu plusieurs hommes de l’art sur cette question, et je vous certifie que tous sont très-rassurés sur la possibilité de maintenir les tunnels au moyen de certaines réparations, et en faisant une tranchée à ciel ouvert à l’endroit où l’éboulement est arrivé. Il y aurait une grande économie dans la dépense, et d’ici à peu de temps on serait en position de rendre au chemin de fer toute sa liberté, toute sa circulation.

Du reste, la chambre n’est plus en nombre ; c’est plutôt à une conversation de section qu’à une discussion que nous nous livrons en ce moment. Je répéterai, d’ailleurs, que mon opinion est tout à fait impartiale dans cette question, puisque je suis complètement étranger à la construction des tunnels.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je suis aussi partisan que l’honorable M. Rogier des économies, et s’il m’était démontré que l’on peut sans danger conserver les parties de tunnels encore debout, j’appuierais son opinion. L’honorable membre nous dit que les hommes de l’art sont d’accord sur le peu de danger qu’il y aurait à laisser subsister les tunnels. Mais j’ai d’autant plus lieu de me défier de cette opinion, qu’au mois de novembre, si ma mémoire est bonne, nous avons eu un rapport des ingénieurs qui nous disait que l’éboulement du tunnel n’était nullement à craindre, et quelques mois après l’éboulement avait lieu.

Pouvons-nous, messieurs, pour quelques centaines de mille francs, exposer la vie de nos concitoyens ? Je ne le pense pas.

Je ferai cependant remarquer à l’honorable M. Rogier, que je ne me prononce pas et que je veux une enquête sérieuse, comme l’a demandé l’honorable M. Verhaegen tant sous le rapport de la solidité de la voûte que sous le rapport des matériaux qui y ont été employés, et de la réception de ces matériaux. C’est une question très-importante, et je déclare qu’avant de me prononcer, j’aurai besoin de nouveaux renseignements.

M. le président – La chambre n’étant plus en nombre, la discussion est continuée à lundi à deux heures.

- La séance est levée à quatre heures et quart.