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Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre (notamment pétition des raffineurs de sucre (Osy),
pétition des éleveurs d’huîtres (Rodenbach))
2) Projet de loi sur l’organisation de l’armée. Discussion générale. Portée générale du projet de loi et faits de gloire des soldats belges (de Chimay) , influence du principe de neutralité garantie par les Puissances (de Garcia, Goblet d’Alviella, de Renesse), rôle social de l’armée, école d’équitation (de Renesse), importance de l’armée pour la neutralité belge, considération sur l’effectif de l’armée (Du Pont), vote du budget de l’armée de 1843 et démission du ministre de la guerre, le général de Liem, chiffre du budget (Verhaegen, Nothomb), influence du principe de neutralité garantie par les Puissances (de Garcia), contradictions entre la prérogative budgétaire, le mode de recrutement, le rôle dévolu à garde civique, d’une part, et les principes constitutionnels d’autre part ; participation de l’armée dans les travaux publics (Castiau, Nothomb, Castiau)
(page
1269) (Présidence de M.
Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de
la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
Pièces adressées à
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs raffineurs de sucre, à Anvers, demandent que
l’augmentation des droits sur le sucre exotique importé par navires venant
directement des colonies, après avoir fait relâche à Cowes ou à Falmouth, soit
mise en vigueur par quart, d’année en année. »
M.
Osy – Les raffineurs de sucre d’Anvers
réclament contre l’interprétation de la loi sur les droits différentiels.
Je
demanderai le renvoi de cette pétition à la commission d’industrie avec prière
de nous faire son rapport dans la session actuelle. Comme les raffineurs
demandent que l’augmentation des droits sur les cargaisons de sucre touché à
Cowes soit mise en vigueur par quart, d’année en année, il est de leur intérêt
qu’une décision soit prise dès maintenant pour pouvoir encore en jouir cette
année.
- Le renvoi
à la commission d’industrie avec demande d’un prompt rapport est ordonnée.
__________________________
« Le
conseil communal de Hees prie la chambre d’adopter la proposition de loi sur
les céréales présentée par 21 députés.
« Même
demande des habitants et des conseils communaux de Roclenge, Marlinne, Millen,
Hoenhoven, Genoel-Eldrren, Vlytingen, Rosmeer, Fall et Mheer, Riempst,
Herderen, Hex. »
- Renvoi à
la section centrale chargée d’examiner la proposition de loi.
_________________________
« Plusieurs
brasseurs, distillateurs, négociants en grains et autres consommateurs de
Mariembourg demandent le rejet de la proposition de loi sur les céréales
présentés par 21 députés. »
- Même
renvoi.
__________________________
« Les
membres du conseil communal de Monceau-sur-Sambre demandent que cette commune soit distraite du canton de
Fontaine-l’Evêque et réunie à l’un des deux cantons de Charleroy. »
- Renvoi à
la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la circonscription
cantonale.
__________________________
« Le
sieur Lenoir, ancien employé au service des prisons, demande que les veuves des
fonctionnaires pensionnés avant la promulgation de la loi sur les pensions,
mais qui n’ont pu contribuer au fond des pensions, jouissent des mêmes
avantages que les veuves des fonctionnaires qui auront pris part à cette
caisse. »
- Renvoi à
la commission des pétitions.
____________________________
« Le
veuve Albert Salmon prie la chambre de lui accorder la pension dont jouissait
son mari. »
- Même
renvoi.
___________________________
« Plusieurs
habitants de Gembloux demandent la construction du chemin de fer de Louvain à
Jemeppe.
« Même
demande des habitants de Bil-St-Vincent-St-Martin. »
- Même
renvoi.
___________________________
« Le
sieur Renard, major pensionné, demande qu’on lui accorde la pension
supplémentaire assurée aux officiers qui ont fait partie de l’armée des
Pays-Bas aux Indes orientales. »
M. Pirson – Je demande le renvoi de cette requête à la
commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
- Cette
proposition est adoptée.
___________________________
« Plusieurs
habitants de la vallée de
- Renvoi à
la section centrale chargée d’examiner le projet de loi.
_____________________________
« Les sieurs Stranack et Musin, propriétaires de parcs flottants, à
Ostende, demande l’égalité des droits entre les divers établissements
huîtriers. »
M. Rodenbach - Messieurs, la pétition dont on vient de vous
faire l’analyse, vous est adressée par les propriétaires des parcs flottants d’huîtres
à Ostende. La chambre s’est déjà occupée de la question, mais il paraît que les
pétitionnaires présentent de nouvelles observations. Ils adressent à la chambre
des certificats qui constatent qu’en Angleterre il n’y a pas d’huîtres
épurées ; que les huîtres qui sont expédiées à Ostende, tant pour les
parcs flottants que pour les parcs fixes, sont les mêmes. C’est ce qui est
certifié, même par les officiers supérieurs de la douane, qui président au
chargement des huîtres. Les pétitionnaires nous adressent des pièces vraiment
curieuses, de nature à changer l’opinion de la chambre, si elle veut bien les
examiner mûrement.
Je ne veux
pas entrer dans d’autres détails, mais je demanderai que la pétition soit
renvoyée à la commission des pétitions avec prière d’en faire un rompt rapport,
et je demanderai aussi son insertion au Moniteur.
Car, je le répète, elle entre dans des développements vraiment convaincants, et
les pièces à l’appui constatent de la manière la plus formelle que les huîtres que reçoivent les parcs flottants sont
une matière première aussi bien que celles qui arrivent aux parcs fixes. Le
président de la chambre de commerce qui a été pendant cinq ans propriétaire de
parcs fixes, déclare qu’il n’y a pas de différence et que même les huîtres des
parcs flottants y sont tenues plus longtemps pour l’épuration.
- Le renvoi
à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport et
l’insertion au Moniteur, sont ordonnés.
Discussion générale
M. le président – L’ordre du jour appelle la suite de la
discussion du projet de loi sur l’organisation de l'armée.
La parole est à M. Osy pour une motion d’ordre.
M. Osy – Messieurs, plusieurs sections avaient demandé
que le rapport de MM. les généraux qui ont été constitués en commission, en
1842, fut déposé sur le bureau pendant cette discussion.
Je
demanderai à M. le ministre de la guerre s’il voit quelque inconvénient à ce
que ce dépôt ait lieu.
M. le ministre de la guerre
(M. Du Pont)
– Messieurs, ce
rapport a été remis à la section centrale. Je ne vois pas d’inconvénient à ce
qu’il soit simplement déposé au bureau.
M.
le président
– La discussion
générale est ouverte sur le projet de loi.
La parole
est à M. le rapporteur.
M. de Chimay, rapporteur – Messieurs, si je n’avais consulté
que mes convenances personnelles et les règles de prudente réserve imposées par
la politique à ses nouveaux adeptes, j’aurais reculé devant la tâche ingrate et
ardue qui m’est échue ; personne ici ne lui contestera, je crois, ce
double caractère, surtout en ce qui me concerne. En effet, messieurs, division
radicale entre les systèmes à défendre ou à combattre, manque d’habilité
oratoire, tout semblait motiver une abstention dont nul n’eût été en droit de
me savoir mauvais gré, et cependant j’ai accepté cette tâche. Je l’ai acceptée,
parce qu’elle m’a paru toucher à nos grands intérêts nationaux et que ceux-là
me trouveront toujours prêt à les défendre, en dedans comme en dehors de cette
enceinte. Je l’ai acceptée enfin, parce que j’ai cru à la bienveillance de
quelques-uns, à l’indulgence de tous ; permettez-moi, messieurs,
d’invoquer l’une et l’autre.
Deux moyens
se présentaient à moi, pour accomplir ma mission : le premier était de
laisser la discussion s’engager sans préambule et de la suivre dans ses
diverses phases : je ne me suis pas senti le talent nécessaire pour
l’adopter. L’autre, plus facile, consistait
à exposer tout d’abord le système de la section centrale et mes propres
idées : je pouvais de cette manière, rectifier quelques points douteux,
éclairer quelques convictions indécises, simplifier peut-être une discussion
délicate pour tout le monde ; je laissais, surtout, plus de latitude au
gouvernement dans la défense matérielle du projet et de ses détails, défense
qui, sauf le petit nombre de points sur lesquels il est en désaccord avec la
section centrale, lui appartient à peu près exclusivement. Je me suis arrêté à
ce second parti.
J’ai à
répondre, avant tout, à la principale objection soulevée contre le projet de
loi, objection suffisante, selon quelques personnes, pour en rendre l’examen
inutile. Il est incomplet, dit-on ; il ne traite ni de la milice, base
fondamentale de l’armée, ni de la garde civique, ni d’une foule d’autres points
non moins importants ; en un mot, ce n’est pas une organisation.
Moi aussi,
messieurs, j’ai trouvé d’abord la loi incomplète ; elle ne me paraissait
nullement répondre à son titre pompeux. Mais savez-vous à quoi la réflexion et
mes travaux m’ont conduit ? A l’obligation de rendre hommage au bon
vouloir du gouvernement. En effet, messieurs, j’admets un instant qu’on vous ai
soumis un projet général d’organisation militaire, en trois ou quatre cents
articles, tous plus spéciaux que les autres et par cela même plus étrangers à
vos travaux habituels ; je n’aurais vu dans cette présentation qu’une fin
habile de non-recevoir, car je n’hésite pas à affirmer que deux ans auraient à
peine suffi à la chambre pour l’examiner et déclarer, comme dernier résultat,
son incompétence pratique. On a donc suivi, selon moi, la marche logique et
sérieuse en vous soumettant des projets successifs. Maintenant, par lequel fallait-il
commencer ? Evidemment, messieurs, par celui dont vous êtes saisis. Il
importe grandement, en effet, de mettre un terme et le terme le plus prompt, à
l’incertitude qui, depuis cinq années pèse sur l’existence et l’avenir de nos
officiers. Il ont été soumis, croyez-moi, messieurs, à un genre d’épreuves qui
partout ailleurs aurait eu peut-être des conséquences aussi désastreuses
qu’irréparables. Je remercie donc, pour ma part, le gouvernement de l’avoir
compris, comme j’aurai, je l’espère du moins, à le remercier de son attitude
homogène et solidaire, en face d’une solution qui doit avoir une si grande
influence sur notre avenir comme nation.
L’intitulé
de la loi ministérielle manque d’exactitude et pouvait, par conséquent, égarer
l’opinion publique et amener des déceptions. La section centrale n’a pas voulu
s’associer à cet abus de mots, dont elle a loyalement et nettement rétabli le
sens et la portée, dès le début de son travail.
A ses yeux, a-t-elle dit, le projet de loi a simplement le caractère d’une
organisation de cadres. Le gouvernement s’est donné là un tort grave ;
mais en dehors des détails et des
principes économiques, dont la libre discussion reste entière, c’est le
seul reproche qu’on soit en droit de lui adresser.
(page 1270) Développement et
conservation de la nationalité, neutralité forte et réelle, telles sont,
messieurs, les deux grandes idées qui ont dominé tout le travail de votre
section centrale. Ses membres ont pu différer sur les moyens, tous ont été
unanimes sur le but.
J’ai dit,
messieurs, que l’armée résumait en elle les plus forts éléments et les
principales garanties de la nationale : cela est vrai pour
Messieurs,
je pense qu’on a dit assez longtemps ceux de Liége ou ceux de
Gand : il est temps qu’on dise ceux de Belgique. Ce sentiment, vous
le partagez tous. Il faut, du reste, être juste. Le pays uni par le plus grand
et le plus beau lien des nations, la religion, renferme en son sein deux
populations distinctes par le langage et un peu par les mœurs. Un homme que
j’aime et que j’estime, un homme au cœur loyal, à la pensée élevée, a compris
tout d’abord, qu’il fallait, sous peine d’édifier sur le sable, établir une
fusion complète d’intérêts, de rapports presque journaliers entre toutes les
parties du royaume ; il s’est fait l’instrument de la haute pensée dont
l’incessante sollicitude préside à nos destinées, il nous a donné les chemins
de fer. Tous, vous êtes témoins, messieurs, de l’heureuse influence qu’ils
exercent, au profit de la nationalité, sur toutes les parties de nos
territoires. Eh bien ! l’armée fait plus encore, car elle transplante en
quelque sorte nos populations, elle leur apprend à se connaître, à s’estimer, à
oublier, au profit de l’unité nationale, les anciennes tendances au
provincialisme. Sous ce point de vue, je trouve même qu’on ne fait pas assez
chez nous, et ce serait presque un motif suffisant à mes yeux pour le maintien
d’un chiffre convenable au budget de la guerre. Je voudrais plus de mobilité
dans les corps. Voyez, messieurs, ce qui se passe en France ; de tous les
points de ce grand pays, les régiments viennent à tour de rôle, à Paris ;
non-seulement, ces voyages donnent aux troupes un idée exacte de l’étendue du
territoire, des ressources du sol qu’elles peuvent être appelées à défendre, en
entretiennent leurs habitudes si nécessaires d’activité et de fatigue mais
elles apprennent à mieux connaître leurs frères, à se retremper aux idées
gouvernementales, à apprécier tout ce que la centralisation a donné de grandeur
et de force à leur patrie.
Je dirai
maintenant quelques mots sur la neutralité imposée au pays. Je serais heureux,
messieurs, de pouvoir traiter cette question sans réserve et sans
arrière-pensée car celle-là, du moins, rentre dans le cercle de mes faibles
connaissances. Mais serait-il prudent de l’aborder, et le moment serait-il bien
choisi pour établir notre jurisprudence diplomatique en une semblable
matière ? Je ne le crois pas. Mais ce que nous pouvons, ce que nous devons
dire en tout état de cause, c’est que nous voulons une Belgique neutre, mais
non pas une Belgique nulle. C’est qu’en jugeant de l’avenir par le passé
(bien que le caractère politique de la nationalité belge soit sans
antécédents,) nous ne voulons pas nous exposer à ce qu’au moment du danger, le
jugement du lion de la fable rendu par tel ou tel de nos puissants voisins,
nous trouve au dépourvu. La chambre me permettra, à cet égard, une citation
curieuse que j’emprunte au remarquable ouvrage publié récemment par le professeur Arendt :
« La
violation de la neutralité de Venise pendant la campagne de 1796, dit M.
Arendt, violation qui préluda aux événements à la suite desquels cette
république fut dissoute, est due principalement à la politique indécise et
inhabile de cette puissance à l’égard des belligérants. Au moment où la marche
de la guerre rapprochait le théâtre des hostilités du territoire vénitien,
trois opinions sur le parti à prendre en présence des événements divisaient les
esprits. Les uns voulaient s’allier à l’Autriche, les autres embrasser la cause
de
Vient
ensuite la question financière ; elle mérite, je le reconnais, la plus
sérieuse attention. A la vérité, près du tiers de notre dette a servi à doter
le pays d’un capital immense par ses
résultats, nos travaux publics, les routes, les canaux créés depuis
1830, sont autant de richesses acquises au sol et qui décuplent notre valeur
territoriale, nos chances d’existence et d’avenir. Je crois même, à cet égard,
que les sommes à consacrer au payement de nos grands travaux seront placées à
gros intérêts ; mais d’un autre côté, je pense aussi qu’il est plus que
temps de songer à l’avenir, de mettre à profit le bienfait d’une paix déjà si
longue et de préparer la création d’une réserve pour les jours mauvais. Je
pense, et sur ce chapitre nous sommes tous d’accord, que cette obligation,
j’ose presque dire ce problème de l’état actuel de nos finances, doit être inscrite
en tête du programme de toute administration franchement nationale, franchement
dévouée aux intérêts bien entendus du pays. Je serais donc le premier à
m’élever contre toutes dépense inutile, contre toute innovation superflue.
Peut-on imputer ce double grief à l’armée ? Sincèrement je ne le crois
pas.
Messieurs,
je n’hésite pas à le dire, je suis arrivé à la section centrale avec des idées
toutes différentes de celles que je viens soutenir aujourd’hui. La raison est
en très-simple, c’est que je prenais pour point de départ les chiffres
pétitionnés par le gouvernement l’année dernière, sans tenir compte des
antécédents. Mais lorsque, pour rendre mon travail plus appréciable, j’ai
dressé le tableau qui termine mon rapport, j’ai vu qu’en moins de cinq ans,
plus de 1400 officiers ont perdu leur emploi ; j’ai vu l’armée pleine
d’abnégation et de dévouement en butte depuis 1839 à des réductions
continuelles, à des incertitudes aussi décourageantes que destructrices de tout
espoir d’avancement ; je l’ai vue subir en silence les attaques chaque
jour plus vives et plus formidables des idées ultra-économiques. En présence de
ces faits, je me suis demandé, messieurs, si le moment n’était pas venu de
mettre enfin un terme à l’amoindrissement, à la destruction progressive de
cette grande institution nationale, alors que la loi nouvelle ébranle encore
les cadres et ajoute près de 300 noms à tous ceux qui ont déjà quitté les rangs
de l’armée il en résulte pour moi, messieurs, la profonde conviction, que par
les trois millions de de réductions opérées, depuis 1840, et les 270.000 fr que
lui enlève la proposition de la section centrale, l’armée a largement, trop
largement peut-être, contribué au rétablissement de notre équilibre financier.
Nous ne
sommes plus, messieurs, en 1830, alors que tout était à faire. L’armée, comme
tout cet admirable ensemble de travaux publics, de progrès, de richesse,
d’industrie que vous avez su fonder, a maintenant quinze ans d’existence ;
il s’agit déjà d’une organisation ancienne, consacrée chez nous par quinze
années, et, chez les autres, par une longue et la meilleur des expériences,
celle de la victoire ! et, croyez-moi, il faut employer de grands
ménagements quand on touche à un vieil édifice. Les désastres de 1831 sont là
pour attester qu’on n’improvise pas une armée régulière et des officiers. Aujourd’hui, et surtout en
temps de paix, la force morale de l’armée, sa force au dehors, le degré de
respectabilité qu’elle inspire, résident dans le nombre et l’excellence de ses
cadres. Je ne répéterai pas, messieurs, les arguments irrécusables, selon moi,
qui sont énumérés dans le travail de la section centrale ; je me bornerai
à vous faire remarquer que c’est l’instruction, le dévouement, le nombre des
cadres qui peuvent seuls aujourd’hui servir de base à l’appréciation relative
de la plupart des armées européennes. A l’exception de
Maintenant,
messieurs, je vous parlerai des détails. Votre section centrale, fidèle à son
but, a voulu sans prodigalité, mais convenablement, pourvoir au maintien et aux
besoins de l’armée. Elle devait dès lors adopter la plupart des articles
proposés par le gouvernement. C’est à lui qu’appartient le soin de les
défendre. Je ne m’occuperai que de nos observations et de nos réformes.
Le grade de
capitaine, réputé, du reste, l’un des plus importants, devient en quelque sorte
le bâton de maréchal pour la grande majorité des militaires, il ne faut pas en
rendre l’obtention trop rare et trop difficile. C’est un puissant argument en
faveur du fractionnement du bataillon en six compagnies et pour mon compte
personnel et en dehors des questions de tactique, l’un des principaux motifs de
mon adhésion à ce système. Nous n’y avons pas touché. Venaient ensuite les
majors et là, messieurs, nous avons pensé que dans chaque régiment
d’infanterie, les fonctions de l’un d’eux pouvaient, sans le moindre
inconvénient ni pour la discipline, ni pour le bien du service, être repmplies
par le lieutenant-colonel. Nous en avons donc supprimé
Autrefois,
on achetait ou on recevait en cadeau de baptême ou de noces, un régiment ;
de nos jours encore, c’est parfois un présent de Roi ; or, tel noble qui
devait bravement s’illustrer ou mourir à la tête de son régiment, le jour d’une
bataille, l’eût peut-être fort mal administré la veille et le lendemain ;
telle a été l’origine des lieutenants-colonels. Plus tard, et pour ne pas
détruire, lorsque les colonels sont devenus sérieux, on a inventé un service
spécial pour les lieutenants-colonels ; nous l’avons cru compatible avec
les obligations qui incombent aux majors.
La
cavalerie sert plus fréquemment en détachement que l’infanterie ; l’action
du lieutenant-colonel y est plus compliquée et la préséance d’un simple chef
d’escadron sur ses collègues, quand il y en a deux ou trois de réunis, peut
offrir les inconvénients qui disparaîtront devant le maintien d’un grade
supérieur. Nous avons donc conservé le grade et l’emploi dans la cavalerie. Les
mêmes motifs ont dû nous engager, comme je le faisais pressentir
tout-à-l’heure, à conserver dans l’infanterie le grade seulement.
Je ne dirai
rien, au moins quant à présent, de quelques autres réductions secondaires et
trop peu importantes pour fixer votre attention, et je passe aux commandants de
province. Quoi qu’on en dise, il est certain qu’à part les travaux très-courts
et transitoires de la milice, ces postes n’offrent qu’un genre d’utilité assez
réel, il est vrai, de donner une position honorable à d’anciens serviteurs du
pays. Mais, d’un autre côté, il arrive parfois qu’un commandement provincial
est attribué à un colonel qui se trouve ainsi placé au-dessus d’un général, son
supérieur en hiérarchie militaire. De là, des difficultés, des embarras de
préséance qui, jointes, à l’exemple de
Restent
deux points réglementaires, l’un est relatif au génie l’autre, à la retraite
forcée des officiers de divers grades. Je répondrai plus tard, s’il y a lieu,
aux arguments que M. le ministre de la guerre pourrait faire valoir en
opposition avec ceux de la section centrale, en ce qui concerne le génie. En
principe, nous avons voulu maintenir intacts, sous le rapports de l’avancement
et des prérogatives, les droits qui nous ont semblé la juste et légitime
récompense des obligations et des travaux exceptionnels, imposés aux élèves de
l’école militaire. Ces droits et ces obligations forment, d’ailleurs, l’objet
d’une loi dont nous demandons le maintien pur et simple. Tout le monde
comprendra que la majorité de la section n’ait pas, du reste, exigé une
rétroactivité applicable à quelques individus seulement.
Notre
proposition quant à la mise à la retraite des officiers par la loi, se motive,
messieurs, par les heureux résultats obtenus en France, et par l’intérêt bien
entendu du gouvernement qui échappe ainsi à une foule d’obsessions et
d’intrigues ; elle assure à l’armée, au moment du danger, un commandement
doué de l’énergie et de l’activité nécessaire ; elle ouvre enfin quelques
chances d’avancement, alors que la paix et l’économie rendent ces chances si
rares, surtout dans les grades élevés.
Messieurs,
ma tâche ne serait pas complètement remplie, si je ne disais quelques mots
d’une objection qui certainement ne s’est jamais élevée dans cette chambre,
votre patriotisme s’en serait indigné avec juste raison, que j’ai pourtant entendu
formulée quelquefois. On a dit que les Belges ne possédaient pas l’esprit
militaire ! Eh bien ! messieurs, je me suis lassé de remonter aux
temps héroïques, de demander au siège de Jérusalem, le contre-poids de la
bataille de Louvain, et j’ai reconnu avec bonheur que partout les Belges ont
glorieusement soutenu l’honneur du drapeau que leurs différents souverains leur
ont successivement confié. Je ne veux répondre ici qu’aux esprits frivoles et
superficiels, mais je tiens à convaincre même ceux-là. Ce n’est pas en temps de
paix, messieurs, alors que l’agriculture, l’industrie, la vie de famille,
réclament tous les bras, qu’il faut apprécier l’esprit militaire d’une nation.
C’est en temps de guerre, lorsque les dangers éveillent chez les peuples le désir
ardent de défendre la patrie et l’honneur militaire. Jamais les Belges n’ont
manqué à cet instinct. Citerai-je des généraux ? Je trouve en tête les
Tilly, les Mérode, les Ligne, les Clerfayt, les Beaulieu, les Latour, les
Chasteler, les Dumonceau, les Jardon, les Rensonnet. Citerai-je des
soldats ? mais j’irai plus loin et je citerai des corps entiers, car je
veux que l’opinion, puisque nous parlons d’armée, puisse s’établir sur des
masses.
A la
journée de Leipsick, lors de la guerre de trente ans, les masses impériales
n’avaient pu résister au choc des régiments plus mobiles de Gustave-Adolphe. La
bataille était perdue, et l’armée suédoise poursuivait dans toutes les
directions les lignes ennemies rompues et écrasées. Seuls, quatre régiments
refusent de partager cette fuite. Ces régiments, dit l’historien le plus dévoué
à Gustave, se défendent comme des lions, font face de tous côtés et luttent
avec une valeur digne d’éloges. On voit des soldats combattre à genoux, après
avoir eu les jambes coupées et rompues. Personne ne demande quartier. Ces
régiments résistent ainsi jusqu’à la nuit, et quand elle est close, ils se
retirent à pas lents, vers Halle, emportant au centre de leur phalange, Tilly,
leur vieux général, meurtri et mutilé. Ils n’étaient plus que six cents.
Ces
régiments, messieurs, étaient des régiments belges !!
Plus tard,
en Autriche, ce sont les régiments de Muray, de Clerfayt, de Wurtemberg, de
Vierset, de Ligne. On les voit briller aux batailles de Dettingen et de Prague.
Qui ne connaît les exploits des dragons de Latour ? Le drapeau de ce brave
régiment n’est plus, il est vrai, porté par des mains belges, mais il conserve
encore cette inscription : A la fidélité, à la valeur du régiment
Latour, dragons, l’Empereur et le Roi.
L’archiduc
Charles, commandant en chef l’armée autrichienne, en 1797, offre l’avancement
d’un grade aux officiers belges qui voudront le rejoindre à l’armée d’Italie,
tant était grande leur réputation d’habilité et de bravoure.
Ouvrons,
messieurs, les fastes révolutionnaires de France et la gigantesque épopée
impériale ; tantôt c’est le 20° dragons qui se couvre de gloire en Egypte ; tantôt ce sont le 1er
bataillon de la 3eme brigade légère, les 7e, 21e 82e,
108e et 112e régiments qui s’illustrent en Allemagne et
en Italie.
Au début de
la guerre, les Français recrutèrent ces corps en Belgique. Ce sont les
tirailleurs belges, les chasseurs du Hainaut, troupes d’élites qui, à peine,
formées, donnent des preuves du plus éclatant courage.
En 1793, en
avant du camp de Maubeuge, les chasseurs du Hainaut attaquent sans tirer et à
la baïonnette les fortes redoutes du bois de Tilleul défendues par une
artillerie formidable, et s’en emparent.
En 1794,
sous le général Dumonceau, les tirailleurs belges forcent les lignes de Breda.
En Allemagne,
en Espagne, en Italie, en Russie et même aux Antielles, les régiments belges
soutiennent la gloire de leurs numéros. Il serait trop long de citer tous les
faits glorieux auxquels ils prirent part ; il me suffira de vous en
signaler encore quelques-uns.
En 1805, le
8 novembre, le 108e, de brigade avec le 13e de ligne,
sous le général Heudelet, déploie la plus vive intrépidité contre le corps de
Meerfeld. Trois drapeaux, seize pièces de canon, 4,000 prisonniers sont le prix
d’un exploit que proclama le Bulletin officiel. A Austerlitz, il se couvre de
gloire à l’attaque de Sokolnitz. Auerstedt, en 1806, le voit combattre sous les
ordres du général Davoust. Il appartient à la division Friant ; là, en
arrivant sur le champ de bataille, le 108e enlève, au pas de course,
une batterie de 8 pièces de canon et chasse l’ennemi du village de
Spilberg ; plus tard, enlevé par le brave colonel Higonet qui fut tué, il
tourne la position de l’ennemi, s’empare de Popel et des canons qui la
défendent. A cette même bataille assistait le brave 21e de ligne.
Celui-là appartient à l’immortelle division Gudin. Il reçoit d’abord le choc de
toute l’armée prussienne et ne tire sur sa cavalerie qu’à bout portant. Après
ce premier succès, le 21e défend le village d’Hassenhausen ; résistance
héroïque qui eut sur la journée une importance immense. A 4 heures, le même
jour, 400 hommes des 12e et 21e de ligne prennent à la
baïonnette 24 pièces de canon.
A
Friedland, ils combattent avec Ney.
En 1811, en
Espagne, ils prennent Olivença de vive force.
Enfin, en
1812, au combat de Valentina, où le brave général Gudin trouve la mort, ils
s’engagent avec un tel acharnement que le Russes étonnés croient avoir affaire
à la garde même de Napoléon.
Dans cette
campagne de Russie, un autre régiment levé en Belgique se couvre aussi de
gloire. C’est le 112e. Longtemps, il avait mérité l’estime de
l’armée d’Italie ; et à la bataille de Wagram, dans la journée du 5, il
montre audacieusement le chemin du plateau de Wagram, qui devait le lendemain
coûter tant de sang.
L’Espagne a
vu les exploits de deux autres régiments que
En Espagne
encore, c’est le duc d’Arenberg, qui, à la tête du 27e chasseur
recruté en Belgique, tombe blessé en chargeant avec valeur et assure la
retraite d’une colonne française.
C’est enfin
un général français, l’un des glorieux débris de l’armée impériale qui
s’adresse à nos soldats. « Il y a trente et quelques années, dit-il, je
combattais déjà dans la haute-Egypte avec le 20e dragons presque
entièrement composé de vos compatriotes. Ce régiment avait la réputation
justement méritée d’être l’un des meilleurs dans une armée qui n’en comptait
pas de mauvais. Depuis lors, j’ai vu les Belges sur tous les champs de bataille
où
De pareils
faits, messieurs, n’ont pas besoin de commentaires, car malgré nos trente ans
de paix, 300 légionnaires de l’Empire sont encore là pour les attester et
répondre de la valeur de nos soldats, si la patrie en avait besoin !
Vous me pardonnerez,
messieurs, cette longue digression. Elle trahit mes sympathies pour toutes les
gloires nationales et j’aurais peut-être dû m’abstenir d’éveiller les vôtres,
alors qu’il s’agit de statuer avec l’impartialité du législateur. Si j’ai eu
tort, absolvez-moi. Si j’ai gagné quelques voix à ma cause, vos suffrages en
faveur de l’armée seront ma plus belle récompense.
M.
de Garcia – Messieurs, le projet de loi sur
l’organisation de l'armée se trouve enfin soumis à la législature. Cette grave
et immense question, qui est restée ouverte depuis longtemps, et notamment
depuis cinq ans, se rattache aux plus hauts intérêts, aux intérêts les plus
vivaces de la sécurité et de la prospérité nationale. Elle se rattache directement
à la défense de la patrie, au maintien de l’ordre intérieur ; elle se lie
indirectement à des intérêts de richesse publique qui ne peuvent être négligés
sans s’exposer à convertir en une cause de ruine, une mesure qui ne doit avoir
pour but que la protection de la chose publique ; je veux parler des
impôts en hommes et en argent que réclame cette matière.
Une
question aussi complexe présente des difficultés ardues. Ces difficultés sont
d’autant plus difficiles à surmonter que tous les Etats de l’Europe, malgré
l’horizon de paix dont elle semble jouir, tiennent sur pied des armées (page
1272) nombreuses qui, tôt ou tard ; doivent amener le désordre
dans leurs finances.
En traitant
cet objet, mon intention n’est pas d’entrer aujourd’hui dans des détails
d’organisation proprement dite et de proposer des mesures à cet égard. Ceci
appartient au gouvernement, et si je parle à ce sujet, ce sera pour critiquer
quelques-unes des mesures qui nous sont proposées, celles que je considère
comme mauvaises ou défectueuses.
Aujourd’hui
je ne porterai mes considérations que sur les points culminants de la matière,
sur le point de savoir la force militaire que comporte l’état matériel et
politique de
Ce point
forme la clef de voûte de l’organisation de l’armée qu’on veut avoir ; il
constitue, à mes yeux, le seul fait que peut apprécier véritablement une
assemblée délibérante.
Je me
propose d’en faire l’examen avec loyauté et franchise, sans prévention aucune
et en me plaçant au-dessus des sentiments d’une vaine popularité. Je ne veux
faire cet examen que sous l’influence unique des vrais intérêts du pays. Cette
ligne de conduite que je me suis toujours prescrite, je la suivra avec un
sentiment de bonheur, dans une matière qui s’attache à la plus nombre et à la
plus désintéressée des professions, celle des armes. Cette carrière a eu mes
premières affections ; et à raison du dévouement et des services qu’elle
impose, je l’ai toujours considérée comme la plus honorable à laquelle puisse
se vouer un citoyen.
Les
considérations générales que j’ai à présenter sur l’organisation de l'armée ne
peuvent guère sortir du cercle de celles que j’ai déjà eu l’honneur de
soumettre à la chambre en 1843. Les circonstances et l’expérience n’ont fait
que confirmer les convictions que j’avais alors.
La première
question qui se présente et qui domine toute la matière est incontestablement
celle du contingent, celle de reconnaître la force armée de ligne que
La solution
de ce problème tient à l’appréciation de l’état de notre neutralité, tient à
l’appréciation des ressources en hommes et en argent qu’on peut utilement
consacrer à cet objet, tient à l’appréciation du système de défense que notre
position géographique, topographique et politique nous impose.
La dernière
fois que nous avons eu à nous occuper de cette importante matière, j’ai émis la
pensée que la neutralité belge avait un caractère spécial, que jamais n’avait
obtenu aucun peuple connu de l’histoire. J’ai soutenu que cette neutralité,
garantie par toutes les puissances européennes, formait le rempart le plus
solide de l’indépendance nationale. J’ai soutenu que cette neutralité trouvait,
dans la force des choses et des faits, une garantie encore plus puissante que
dans les traités les plus solennels. J’ai soutenu que la confiance que devait
inspirer cette neutralité formait la base de notre existence politique et qu’un
armement trop considérable ne pouvait qu’altérer la valeur de ce principe dans
l’esprit des nations qui ont consacré cette neutralité. J’ai dû reconnaître
enfin que, livrée à ses seuls forces et privée de ses auxiliaires nécessaires,
A ces
divers points de vue, j’ai trouvé des adversaires, et, sans doute, j’en
rencontre ta encore aujourd’hui. Les arguments de diverse nature qui m’ont été
opposés alors n’ont point changé mes convictions. Parmi ces arguments, il en
est tirés de l’histoire et de comparaisons avec d’autres Etats européens qui se
trouvaient dans l’état de neutralité. Je répondrai aussi par des faits
historiques aux objections qui m’ont été opposées, à ce point de vue. L’on a
cité entre autres la neutralité de Venise foulée aux pieds par les Autrichiens
et les Français en 1796. Mais on a oublié de dire que cette neutralité n’était
garantie par aucune traité, nu de la part de l’Autriche, ni de la part de
D’autres
personnes, et elles sont en grand nombre, sans se donner la peine d’ailler au
fond des choses, et sans faire la part du remaniement des Etats qui s’est opéré
en Europe, prétendent que
Jusqu’en
1814, toutes les neutralités dont l’histoire fait mention étaient le fait
spontané des nations qui se la donnaient, sans aucune des garanties solennelles
que toutes les grandes nations de l’Europe ont données depuis cette époque à la
neutralité de
Lorsque
En
commençant la campagne d’Autriche de 1805, Napoléon viola cette neutralité et
fit passer une partie de son armée sur le territoire d’Anspach.. Cette
violation eut dû être considérée sans doute comme une véritable déclaration de guerre
par
Qu’arrive-t-il
en 1807, au moment où l’Autriche déclare la guerre à
Il vaut en
convenir, la violabilité d’une neutralité semblable était dans le droit naturel
des nations, et on ne peut soutenir raisonnablement que nous soyons dans une
semblable position.
En 1814,
De ce qui
précède, il résulte que toutes les neutralités dont l’histoire fait mention
avant 1814 étaient l’œuvre instantanée des nations qui les proclamaient au
milieu des dangers ; aucune garantie ni politique ni naturelle ne les
environnait. Or, pour tout homme sérieux, pour tout homme qui veut apprécier le fond des choses, la neutralité
belge n’a aucun point d’analogie avec les neutralités que nous venons de
mentionner, et qui ont été violées.
En 1814,
l’on peut dire qu’une ère nouvelle commence pour les neutralités. Toutes les
grandes puissances qui avoisinent
En 1830, la
révolution de Belgique a produit une nouvelle application de ce grand principe
politique, non pas, l’on doit en convenir, dans l’intérêt particulier de notre
pays, mais dans l’intérêt général des grandes puissances de l’Europe et de la
paix du monde.
Convaincues
que
D’où vient
l’opinion que le sort de l’Europe se soit toujours décidé sur les plaines de
Depuis
trois siècles, trois puissances en Europe se sont disputé, sans interruption,
la suprématie sur la partie du globe que nous habitons :
Voilà les
motifs réels pour lesquels les plaines de
De ce qui
précède, il résulte que beaucoup de personnes ne tiennent nullement compte de
la diversité des circonstances dans lesquelles
L’on ne
peut se dissimuler que, dans ces grandes circonstances qui amènent
involontairement un remaniement de l’Europe, elle puisse espérer l’adjonction
de
Au nombre
de ces grands événements, nous rangeons en première ligne le partage éventuel
de
Les idées
que je viens d’émettre et que j’ai émises déjà depuis deux ans sont
singulièrement renforcées par le langage que tenait un ministre à la tribune
française. Qu’il me soit permis, messieurs, de vous donner lecture des paroles
que prononçait M. Guizot dans la séance du 25 mars dernier à la chambre des
députés de France. Abordant des considérations politiques, voici comment il
s’exprime
« Messieurs,
il n’y a personne qui ne sache de quelle importance a été pour nous
« La
neutralité acquise jusqu’à l’Escaut sur cette frontière a pour nous une
importance réelle, et il n’y a aucun doute que nous ne devions considérer ce
résultat de la révolution de 1830 comme excellent pour
« Il y
a une autre considération encore plus grave sur laquelle j’appelle toute
l’attention de la chambre, l’existence actuelle de
« Depuis
trois siècles, la question de savoir qui possédera, qui gouvernera les
provinces belges, a été la cause de la moitié des guerres qui ont agité
l’Europe. Il y a deux ou trois territoires qui ont, dans les trois derniers
siècles, enfanté continuellement la guerre en Europe ;
Les
considérations que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre tendent
évidemment à la réduction du contingent de l’armée et à une modification
radicale dans le projet de loi d’organisation qui vous est soumis.
Dans mes
convictions, ce contingent pourrait être réduit, sans inconvénient, du
cinquième de ce qu’il est actuellement.
Le projet d’organisation qui vous est soumis est basé sur un contingent
de 80,000 hommes ; mais comme je l’ai toujours prétendu, je pense qu’il ne
devrait porter que sur un contingent de 65,000 hommes. En fait d’armée, je
tiens à la qualité beaucoup plus qu’au nombre ; et je pense que dans les
circonstances favorables où se trouve
Une
semblable force de ligne, aidée d’une garde civique bien organisée, doit
suffire dans toutes les circonstances, j’en ai la conviction, pour mettre le
gouvernement à couvert et laisser à
M.
le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Puisque l’on a jugé convenable d’entrer dans
diverses considérations relatives à la neutralité de
Pour
analyser le sens et la protée de cette neutralité, je crois, messieurs, qu’il
est indispensable de se rappeler les circonstances politiques de 1815, et de
les comparer à celles qui dominaient l’Europe en 1830.
En
réunissant en 1815
Les
événements qui éclatèrent en 1830 ayant fait échouer les desseins que l’on
avait ainsi formés, on a abandonné, quoiqu’à regret, un système qui n’avait pu
résister à l’épreuve, et l’on consentit à reconnaître en droit l’arrangement de
fait qu’une révolution y avait substitué. Consacrer cet état de choses, ce
n’était pas, aux yeux des puissances, renoncer au principe de 1815 ;
c’était en l’améliorant d’après les leçons de l’expérience et l’esprit de
l’époque, le réaliser sous d’autres formes qui promettaient un meilleur
résultat. La pensée de défiance qui avait présidé à la création du premier
système fit place à une pensée de conciliation. On cessa de n’envisager qu’une
seule éventualité ; les prévisions s’étendirent plus loin, et un point de
vue moins exclusif fut adopté. On compris que pour l’union, pour la
tranquillité de l’Europe, aucune des grandes puissances ne devait rechercher un
avantage isolé dans les arrangements avec
La grande
différence qui existe entre la pensée constitutive du royaume de Belgique et
celle qui domina la création de celui des Pays-Bas, est le résultat de la
dissemblance elle-même des événements qui donnèrent naissance à ces deux
monarchies.
Lors de
l’établissement du royaume des Pays-Bas, les puissances alliées se hâtèrent de
prendre des précautions communes contre un adversaire qu’elles avaient combattu
en commun ; leur œuvre fut donc regardée comme une œuvre de réaction, une
création blessante pour
Le royaume
de Belgique, au contraire, doit sa fondation à l’union de tous les grands
pouvoirs européens, et c’est là un des caractères essentiels de son existence.
Dans la
violente réaction qui se manifesta contre
C’est dans
cette pensée qu’on fit entrer, comme grand-duc de Luxembourg, dans la
configuration germanique, le prince qui devait gouverner le royaume des
Pays-Bas. Se fiant à ses sympathies pour l’Allemagne, les puissances alliées
pourvurent à la constitution militaire et défensive de ce royaume, de manière à
le faire servie de poste avancé dans toute prise d’armes contre
Ces vastes
constructions n’étaient même point encore entièrement achevées que, déjà, en 1818,
on s’efforçait, par des conventions secrètes, de parer aux événements qui
pouvaient surgir à la suite de l’évacuation du territoire français par les
alliés. Il fut arrêté que, dans le cas où la sûreté des forteresses que l’on
élevait ou réparait dans les provinces méridionales du royaume néerlandais
viendrait à être compromise, le gouvernement de ce pays se concerterait
immédiatement avec certains cours pour l’occupation de la plupart d’entre elles
par des troupes auxiliaires.
Telle était
la situation politique et militaire que les traités avaient faite au royaume
des Pays-Bas ; et certes, cette situation, quelle que fût son analogie
avec celle du royaume de Belgique, quant à son but, en différait cependant,
d’une manière essentiel, quant au rôle politique échu à celui-ci.
S’il est
vrai que les ministres des cinq grandes cours réunis en conférence à Londres
déclarèrent que la séparation de
D’ailleurs,
décider que
Ce serait
cependant aller beaucoup trop loin que de supposer qu’elle ne puisse être
amenée, malgré elle, à y prendre part, car ce serait poser en principe que ce
pays est, à tout jamais, à l’abri d’une injuste agression.
On entend
souvent prononcer des jugements fort contradictoires sur les principes de la
neutralité. Les uns y voient un élément de sécurité complète qui dispense, pour
ainsi dire, de toute précaution.
D’autres, au
contraire, tiennent la neutralité inscrite dans notre droit public comme une lettre
morte, pour une stipulation sans portée qui ne lie personne et ne sauve
d’aucun danger.
Ces
opinions si opposées s’écartent également de la vérité. Il y a, des deux parts,
une singulière exagération.
De ce
qu’une clause de traité peut être violée, en induire qu’elle est superflue,
c’est méconnaître l’utilité d’une loi, parce qu’elle peut être enfreinte, c’est
en quelque sorte subordonner la situation générale au cas particulier, la règle
à l’exception ; c’est contester la valeur de tout arrangement
international, car tous sont sujets à rupture. Il n’en existe pas, en effet,
quelques solennel qu’il soit, quelle que soit l’universalité de sa garantie,
qui ne puisse être violé par l’une ou l’autre des parties contractantes.
D’un autre
côté, se reposer avec une confiance trop absolue sur le texte (page
1274) d’un traité, faire dépendre uniquement son existence nationale
de la fidélité des tiers à leur engagement serait d’une politique bien peu
prévoyante, puisqu’elle reposerait sur cette idée que, partout et toujours, les
obligations sont scrupuleusement tenues, que jamais l’intérêt ou la passion ne
les fait mettre à l’oubli.
Pour rester
dans le vrai, pour apprécier sainement les choses, il faut se placer à égale
distance de ces deux opinions extrêmes. Un engagement contracté solennellement
par cinq puissances, sans être nécessairement hors de toute atteinte, ne peut
pas du moins être envisagé comme de nulle portée, alors surtout que, s’il
arrivait que sa rupture convînt aux unes, elles serait, par cela même,
réprouvée et réprimée par les autres. Et peut-on nier qu’il soit de la plus
haute importance pour un pays, entouré comme le nôtre de puissants voisins,
d’avoir la certitude, s’il était attaqué par l’un d’eux, d’être à l’instant
protégé et défendu pat tous ceux qui, plus fidèles à leurs engagements et mus,
d’ailleurs, par leurs propres intérêts, s’empresseraient de voler à son
secours ? C’est là surtout le sens que l’on doit attacher à la neutralité
de
Il y a donc
une garantie réelle ; mais pour être efficace, cette garantie ne doit pas
demeurer isolée ; elle doit se combiner avec d’autres, c’est-à-dire avec
l’organisation des moyens défensifs.
Si donc le
royaume de 1815 était obligé, par des engagements envers ses hauts alliés,
d’entretenir de grands moyens de défense, celui de 1830 ne peut, d’après la
situation qui lui a été faite, se dispenser, dans une proportion convenable, de
charges analogues, s’il veut assurer son indépendance et sa neutralité.
Le royaume
des Pays-Bas, s’il prévoyait des dangers, pouvait à l’instant même avoir
recours à ses protecteurs naturels et réclamer d’eux les secours qu’ils
s’étaient engagés à lui fournir…
Si elle
négligeait cet élément, ne risquerait-elle pas d’être instantanément envahie
chaque fois que l’un des puissants voisins qui l’avoisinent aurait un intérêt à
violer ses engagements envers elle ? Ne serait-elle pas victime de tous
les maux de la guerre avant qu’on pût arriver à son secours ?
De plus, ne
pourrait-elle pas être accusée d’avoir été sans utilité pour l’équilibre de
l’Europe ? Dès lors, messieurs, elle n’aurait plus aucune garantie de son
existence. Depuis les premières années du XVIIIe siècle, trois combinaisons ont
été imaginées pour établir entre
M.
de Renesse – Messieurs, quoique par le traité du
19 avril 1839,
Déjà, par
différentes lois sur l’avancement, la position des officiers, la perte de
grades, les pensions de retraite et de réforme, une partie de cette
organisation a été réglée ; il reste, actuellement, à déterminer, par le
projet de loi en discussion, les cadres des états-majors et des troupes de
différentes armes ; en examinant cette importante question, il faut, tout
en ayant égard à la bonne composition d’une armée bien organisée, ne pas perdre
de vue les intérêts du trésor, et l’organiser de manière à ce qu’elle ne soit
pas une charge trop lourde pour les contribuables ; il faut, comme
s’exprime l’exposé du projet de loi, chercher à entretenir une armée d’une
force suffisante, aux moindres frais possibles. J’admettrais donc toute
réduction qui me paraîtrait dûment justifiée et ne portant aucun préjudice à la
bonne organisation de l'armée que je désire voir forte et constituée sur un
pied respectable, pour qu’elle puisse être la sauvegarde de notre nationalité
qui ne sera jamais mieux gardée que quand nous serons en état de la faire
respecter et de la défendre sérieusement si elle était attaquée.
Pour que la
neutralité d’un pays en cas de guerre soit respectée, il faut que le
gouvernement d’un tel Etat neutre, ait le moyen, par le soutien d’une bonne
armée, de prouver sa ferme résolution envers et contre tous ; c’est dont
un devoir impérieux pour
Si, en
1830, le gouvernement belge avait agi avec prudence, si l’on avait organisé
l’armée, au lieu de croire aux promesses de la diplomatie qui lui garantissait
formellement l’armistice, nous n’aurions pas éprouvé les désastres de 1831,
nous eussions probablement obtenu un traité de paix moins onéreux, moins
déshonorant ; car, l’on ne nous aurait pas imposé la cession de deux
demi-provinces ; nous eussions conservé les parties cédées du Limbourg et
du Luxembourg. Que l’exemple de ce fait, si malheureux pour
Je
n’entrerai pas dans les détails d’une bonne organisation de l’armée. Pour
pouvoir discuter une matière aussi importante avec quelque fruit, il faudrait
connaître parfaitement les différents systèmes d’organisation et toutes les
questions qui s’y rattachent. N’ayant aucune connaissance spéciale à cet égard
je crois devoir me borner à quelques considérations générales qui se rapportent
plutôt à l’état actuel des choses. Je regrette que dès les premiers moments de
notre régénération politique, l’on n’ait pas songé à organiser l’armée, de
manière à ce que la garde civique eût pu former la réserve. L’on aurait alors
dû adopter un système militaire pareil à celui de
Les
organisations de l’armée et de la garde civique auraient dû au moins être mises
en harmonie, de manière à pouvoir se servir, dans un commun intérêt de défense,
de ces deux parties de la force publique.
Quoique le
projet de loi sur la nouvelle réorganisation de la garde civique soit présenté,
il est toutefois à craindre qu’il se passera encore bien du temps avant que ce
projet ne soit adopté par la législation : laisser la garde civique dans
la désorganisation actuelle, mieux vaudrait ne pas en avoir car, comme la loi
sur cette partie de la force publique n’est pas exécutée dans la plus grande
partie du pays, c’est une véritable charge pour les localités où un simulacre
de garde civique a été maintenu.
Je crois
aussi devoir faire quelques observations sur le luxe des uniformes de notre
armée ; si l’on voulait introduire des économies, c’est sur cet objet que
l’on pourrait faire des épargnes assez notables. Il me semble que nous ne
devons pas avoir une armée de parade, mais un armée équipée d’une manière
économique ; actuellement, il y a un luxe de passementerie, d’épaulettes,
de galons de toutes espèces et probablement, pour avantager les industries qui
procurent ces objets d’équipement, de temps à autre, l’on ordonne des
changements à la tenue militaire, tout au détriment de la bourse des officiers
et de la masse des sous-officiers et soldats. C’est ainsi que l’on a changé
plusieurs fois les shakos ; les sous-officiers ont obtenu des épaulettes
au lieu de galons ; à plusieurs reprises on a fait changer les sabres de
l’infanterie et de la cavalerie, ainsi que le harnachement des chevaux, et
introduit d’autres changements qui entraînaient toujours à des dépenses. Il
serait à désirer que ces mutations continuelles n’eussent plus lieu, que le
département de la guerre se fixât définitivement sur l’équipement militaire,
qu’il soit économique, commode surtout pour le service, et qu’on laisse tous
ces ornements futiles aux soldats de théâtre. Pour qu’une armée puisse agir
avec ensemble, qu’elle ait une force morale, il faut nécessairement que l’on
cherche à y introduire un bon esprit militaire, l’amour de nos institutions
politiques et de notre nationalité ; pour parvenir à ce résultat, si
nécessaire au maintien de notre existence comme nation, il faut que l’on agisse
envers les militaires avec la plus grande équité ; qu’aucun acte
arbitraire ne vienne froisser le sentiment d’honneur des officiers ; que
tout en maintenant la sévérité de la discipline militaire, l’on soit
juste ; que l’avancement, les décorations ne soient pas accordées à la
seule faveur ; que l’on prenne plutôt en considération l’ancienneté des
bons et loyaux services, et surtout le mérité réel. En suivant de tels
principes, le chef du département de la guerre est en droit de prétendre que
les officiers généraux, les chefs de corps surtout, soient justes et équitables
envers leurs subordonnés ; qu’ils les traitent avec politesse, sans
employer, comme il arrive parfois, des paroles brutales, qui, presque toujours,
froissent les susceptibilités de ceux qui seraient injustement repris par leurs
chefs.
Pour
établir et conserver un bon esprit de corps dans les régiments, si nécessaire
au maintien de la fraternité d’armes entre les militaires de différents grades,
il faut que les chefs n’écoutent pas ces êtres officieux qui, par des délations, rapportent tout ce qui se
passe dans les régiments ; les relations entre les militaires doivent être
toutes de franchise, de loyauté, et basées sur des sentiments d’honneur, il
faut donc que le vil espionnage, l’intrigue, qui paraissent avoir existé, ne
puissent se reproduire ; les tolérer, ce serait anéantir tout bon esprit
militaire qui est la force morale d’une armée bien organisée.
Une
observation que je crois devoir soumettre à M. le ministre de la guerre, c’est
d’engager les officiers à fréquenter la bonne société, à se distinguer par une
bonne éducation sociale. Il paraît, que certains chefs de corps ne tiennent pas
assez à ce que les officiers sous leurs ordre suivent la société ;
cependant, dans d’autres pays, où l’état militaire est considéré, l’officier
que ne fréquente pas le monde social est mal noté ; ici, si je suis bien
informé, les officiers, qui préfèrent la vie de caserne, sont plus appréciés
par certains chefs, que ceux qui se distinguent par une éducation soignée, et
suivent la bonne société ; il en résulte que depuis quelques temps, des
jeunes gens des classes aisées qui se destinent à l’état militaire vont servir
à l’étranger, parce qu’ils ne trouvent pas qu’en Belgique le corps d’officiers
soit entouré d’assez de considération, dont il jouit dans la plupart des autres
Etats ; il est cependant à désirer, dans l’intérêt de la bonne composition
des officiers de l’armée, que le gouvernement cherche à attirer au service
militaire tous ceux qui, par leur bonne éducation, par leur fortune, peuvent
donner du relief au corps d’officiers.
C’est à M.
le ministre de la guerre, à messieurs les chefs supérieurs de l’armée, à
veiller à ce que les officiers fréquentent la bonne société, à employer tous
les moyens en leur pouvoir pour que le corps d’officiers soit bien composé, que
les officiers se distinguent par une bonne éducation militaire et sociale,
qu’ils s’appliquent en outre à acquérir les connaissances nécessaires,
non-seulement pour remplir convenablement leur service, mais pour qu’ils
puissent, plus tard, en quittant le service militaire, être aptes à occuper
d’autres fonctions civiles. A cet égard, je crois devoir appuyer fortement, les
observations consignées dans le rapport de la section centrale, sur l’équité,
la nécessité de donner une partie des emplois de la douane, des accises, des
contributions, des postes et du chemin de fer, aux militaires qui auraient
servi avec honneur pendant un certain nombre d’années, et qui désireraient
rentrer dans la vie civile ; l’on verrait alors, comme le dit, avec
raison, la section centrale, l’élite de la population rechercher avec ardeur
cette espèce de candidature si honorable, si utile au pays.
Je ne puis
assez insister auprès du gouvernement, pour qu’il prenne des dispositions afin
de garantir aux anciens militaires une certaine partie de places dans les
fonctions civiles ; en employant ce moyen, l’on encouragerait surtout les
sous-officiers à rester sous les armes, ayant la perspective d’obtenir des
emplois civils, après avoir été au service militaire pendant un temps à
déterminer.
Avant de terminer, je crois aussi devoir engager M. le ministre de la
guerre à maintenir l’école supérieure d’équitation établie à Bruxelles ;
les utiles résultats d’une bonne méthode uniforme d’équitation ont pu être
appréciés par les différents régiments de cavalerie et d’artillerie, depuis que
des officiers, des sous-officiers ont été envoyés chaque année, à cette école
supérieure, afin d’y acquérir les connaissances nécessaires pour former le
parfait cavalier, et propager dans les régiments une bonne méthode
d’équitation. Cette école d’équitation, si utile aux progrès de nos troupes à
cheval, mérité d’être encouragée ; nous devons, à cet égard, suivre
l’exemple de
M.
le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, lorsque j’ai été chargé des
honorables mais difficiles fonctions de ministre de la guerre, je ne me suis
pas déguisé que j’avais une double tâche à remplir ; d’un côté, opérer
dans les dépenses du département de la guerre de nouvelles économies réclamées
avec tant d’insistance par la législature ; de l’autre, défendre la bonne
organisation, les intérêts vitaux de l’armée.
En
m’acquittant de la première partie de cette tâche, je sais, messieurs, que je
devais froisser des intérêts et me mettre en opposition avec des opinions
respectables et généralement partagées ; je n’ai pas reculé, messieurs,
devant l’accomplissement de mes devoirs, quelques pénibles qu’ils fussent sur
ce point.
Maintenant,
messieurs, je viens accomplir la seconde partie de ma tâche ; je viens
défendre devant vous les intérêts de l’armée.
Si j’aborde
cette discussion avec quelque confiance, c’est, messieurs, parce que je puis
compter sur la justice et sur le patriotisme de la législature ; parce que
j’ai la conviction que la chambre me tiendra compte des efforts que j’ai fait
pour satisfaire à des vœux si souvent exprimés par elle ; parce que la
cause que je viens défendre ici n’est pas une cause personnelle, qu’elle
embrasse les grands intérêts de la nation et ceux de l’armée.
Je suis
heureux, messieurs, que dans le consciencieux travail auquel s’est livrée la
section centrale, elle se soit rencontrée avec moi sur les bases de
l’organisation de l'armée et sur les détails les plus importants du projet de
loi.
Je regrette
de ne pouvoir de même être d’accord avec elle au sujet des réductions qu’elle a
proposées.
Je
présenterai mes observations à cet égard lors de la discussion des articles, et
j’aime à avoir la conviction que la section centrale, mue comme elle l’a été
jusqu’ici par le seul intérêt du bien public et de l’armée, voudra bien en
faire l’objet d’un mûr examen.
J’ai
aujourd’hui à vous entretenir de quelques-unes des questions générales et
fondamentales.
J’examinerai
d’abord les devoirs que nous imposent le soin de notre indépendance et le
maintien de notre neutralité. Je rechercherai ensuite, quel est l’effectif que
notre armée doit atteindre en temps de guerre, pour qu’elle puisse dignement
remplir sa haute mission.
Le traité
de 1831, confirmé par les grandes puissances, en 1839, établit
C’est à
nous qu’est laissé le soin de veiller à ce que les traités qui interdisent le
sol de
Examinons
la question sous ce point de vue, et cherchons qu’elle doit être l’influence de
la neutralité armée sur notre organisation militaire.
Pour
apprécier pleinement cette influence, il suffira de faire ressortir, en premier
lieu, les dangers auxquels
Et d’abord,
si les puissances qui ont garanti de commun accord notre neutralité, venaient à
engager une lutte armée entre elles ; à laquelle de ces puissances
La
préférence, qu’elle l’accordât à l’une ou à l’autre, serait, par le fait même,
une renonciation à la neutralité, car il est évident que si, négligeant nos
propres ressources, nous plaçons, au début d’une guerre, nos droits sous la
sauvegarde d’une puissance étrangère, la puissance rivale se déclarera contre
nous, et que cette neutralité, qui devait nous préserver de la guerre, n’aura
été qu’un vain mot.
Si, en
pareil cas, la victoire se range du côté de la partie adverse, peut-on
entrevoir, sans la plus grande inquiétude, le sort qui nous sera réservé, et
ces frais de la guerre auxquels nous aurons voulu nous soustraire, ne
pourront-ils pas être décuplés ? A qui d’ailleurs pourrons-nous recourir
alors, pour obtenir le maintien d’un traité que, les premiers, nous auront
violé ? et notre existence comme nation indépendante ne sera-t-elle pas
compromise ?
Supposons
que l’issue soit favorable à notre allié, y a-t-il quelque probabilité qu’il
nous admette gratuitement à partager avec lui les fruits de la victoire ?
En supposant que notre indépendance se retire sauve de ses étreintes, ne nous
restera-t-il pas toujours des comptes à régler avec la puissance
protectrice ? Et si la guerre se prolonge, cette puissance nous
permettra-t-elle de faire moins qu’elle, en sacrifices d’hommes et d’argent ?
N’est-il pas probable, au contraire, que nous payerons alors bien plus
chèrement, et d’une manière bien moins profitable pour l’avenir belge, une
guerre à laquelle nous aurons voulu nous soustraire ? L’histoire des
interventions étrangères dans différents pays, doit nous prémunir contre un
pareil système.
Si nous
restons au-dessous de la mission que nous avons acceptée ; si, dans le
seul but d’alléger nos charges, nous négligeons de donner à notre organisation
militaire toute la force et l’extension nécessaires, il arrivera, par notre
fait, que l’Europe ne se trouvera plus dans les conditions où l’on a entendu la
placer.
Nos voisins
ne pouvant compter sur la fidèle exécution des traités, devant renoncer à la
possibilité d’appuyer avec sécurité sur
La
tentation en sera d’autant plus vive que
Si
Si elle ne
sait pas défendre sa neutralité ; si les places fortes tombent au pouvoir
du premier agresseur, quelle confiance inspirera-t-elle encore pour l’avenir,
et quel compte tiendra-t-on de cette neutralité, de cette indépendance belge
qui aura trompé toutes les prévisions ? Ne songera-t-on pas alors à une
autre combinaison qui pourrait être contraire à notre existence comme
nation ?
Si au
contraire, les forces militaires de
Ce n’est
aussi qu’en nous montrant forts et sincères que nous pouvons compter de
préserver le pays des ravages et des désastres que traitent à leur suite les
mouvements et les chocs des armées, que nous éviterons que nos forteresses ne
soient un sujet d’inquiétudes pour nos voisins, que les vainqueurs ne songent,
dans les arrangements politiques, à faire servir nos belles provinces d’appoint
à l’un ou à l’autre d’entre eux, et enfin que notre indépendance ne soit remise
en question.
Qu’on y
prenne garde, notre indépendance et la défense de notre neutralité par
nous-mêmes sont deux faits inséparables et liés aussi intimement que les
obligations bilatérales d’un contrat.
Au nom de
quel intérêt européen réclamerions-nous le maintien d’un état de choses dont
nous demanderions les profits sans vouloir en supporter les charges, et qui
serait sans aucun bénéfice pour nos voisins ?
Quel
principe de droit invoquerions-nous pour exiger le maintien des conditions de
notre existence politique, l’indépendance, lorsque, pour (page 1276) vivre
plus à l’aise et diminuer nos impôts, nous serions restés en défaut d’exécuter
l’autre condition, la conservation de notre neutralité ?
Quelle
valeur auraient des protestations qui ne seraient fondées ni sur la force, ni
sur le droit, ni sur l’intérêt des puissances auxquelles elles
s’adresseraient ?
Qu’on y
songe donc bien et qu’avant de chercher dans la neutralité un prétexte pour
réduire nos forces militaires, on se souvienne des enseignements de l’histoire
que la sécurité de la paix ne fait malheureusement oublier que trop tôt. On
vous a déjà cité, messieurs, les exemples de Venise, de
Un
honorable membre a objecté que
Nous ne
pouvons nous rallier à cette manière de voir.
Si
Considérées
de ce point de vue, toutes nos ressources prennent une valeur double, et c’est
grâce à cette progression qu’il devient possible à
En reconnaissant
d’ailleurs à l’objection dont il s’agit, toute la force d’une possibilité dans
l’avenir et toute l’autorité qu’elle peut puiser dans le passé, nous pourrions
nous en emparer et la renvoyer à ceux qui cherchent dans le fait de notre
neutralité, des motifs contre une organisation militaire puissante et
respectable.
Que
signifie au fond cette objection, si ce n’est que notre neutralité sera
compromise en temps de guerre ? Eh bien ! ceux qui nous l’opposent,
ne doivent-ils pas reconnaître avec nous, que ce serait s’exposer à de
déplorables mécomptes que de ne pas régler notre organisation militaire sur une
base suffisamment solide pour faire face à tout danger, même dans l’éventualité
d’une guerre à laquelle
Il résulte
évidemment de ce qui précède, la nécessité pour
La première
question à résoudre est celle-ci : Faudra-t-il que nous ayons une armée en
campagne au moment d’une guerre européenne ? Je ne puis, messieurs,
admettre de doute à cet égard.
Sans armée
en campagne, il nous serait impossible de secourir les places menacées, de
protéger les villes de l’intérieur, de maintenir l’ordre, d’empêcher un corps
d’armée ou même une division de pénétrer au centre du pays, de détruire nos
lois, de s’emparer de nos ressources et de fouler aux pieds tout ce que nous avons
de plus précieux.
Sans armée
en campagne, il nous serait impossible d’empêcher un corps quelconque, de l’une
ou de l’autre des parties belligérantes, de se glisser entre nos forteresses et
de traverser le pays afin de tourner l’aile d’un adversaire qui se trouverait
ainsi compromis pour avoir eu une trop grande confiance dans notre volonté,
dans notre force.
Sans armée
en campagne, point de retours offensifs possibles, et de là des guerres qui ne
pourront jamais présenter pour nous de chances favorables.
Sans armée
en campagne, impossibilité pour nous de résister aux attaques, je ne dirai pas
seulement des grandes puissances, mais de puissances dont la population sera
égale ou même inférieure à la nôtre.
Avec une
bonne armée en campagne, au contraire, nous inspirerons du respect à tous ceux
qui nous menaceront, de la confiance à ceux de nos voisins qui voudront une
exécution franche des traités, de la sécurité à nos concitoyens sur toutes les
parties de notre territoire ; au moyen d’une armée en campagne, nous
soutiendrons le courage et le dévouement de nos garnisons assiégées ou
bloquées, nous pourrons leur porter les secours et les approvisionnements
nécessaires.
Avec une
bonne armée en campagne, nous pourrons couvrir la capitale et nos principales
cités contre les attaques d’un corps d’invasion, et si nous sommes inférieurs
en nombre, nous pourrons au moins manœuvrer de manière à saisir toute chance de
succès qui pourra se présenter ; si même cette armée se trouve obligée de
se replier sur quelques-unes de nos importantes forteresses, ou sur un camp
retranché, là, elle pourra attendre le secours d’alliés que le fait même de
l’invasion de
Enfin, si
nous avons une bonne armée en campagne, on ne nous fera pas un reproche d’être
restés l’arme au bras à l’abri de nos remparts, alors que notre sol est envahi,
que notre neutralité était violée et que nos frères de l’intérieur du pays
supportaient tous les désastres de la guerre.
Messieurs,
si nous sommes d’accord sur la nécessité d’une armée en campagne, nous le
serons immédiatement sur le chiffre de cette armée, et nous conviendrons que,
pour qu’elle soit en état de bien remplir sa mission, d’agir avec efficacité,
soit contre toutes les forces d’une puissance secondaire, soit contre un corps
détaché d’une grande armée, et pour pouvoir maintenir la tranquillité au dedans
et jeter les renforts nécessaires dans quelques forteresses, cette armée en
campagne ne pourra être de moins de 40 à 50,000 hommes.
Le service
de campagne est évidemment la part exclusive de l’armée permanente ;
passons maintenant aux services qu’elle aura à rendre dans les places fortes.
Je ne puis,
messieurs, vous donner de détail des garnisons que le gouvernement croirait
devoir mettre dans chacune de nos places, pour chacune des circonstances à
prévoir ; il suffira, sans doute, que je vous présente le résultat de nos
calculs. Je répéterai ici ce que j’ai dit déjà hier que, selon les
éventualités, l’armée permanente devra contribuer à cette partie du service
pour 30 à 40,000 hommes et la garde civique pour 20 à 30,000. Si nous combinons
ces chiffres avec ceux que nous avons établis pour l’armée en campagne, il en
résulte que l’armée permanente ne peut, dans aucun cas, être moindre que de
80,000 hommes. Ce chiffre n’est point exagéré.
Examinons
maintenant si cette force est supérieure aux ressources de
Ce chiffre
correspond environ à 2 p.c. de notre population. C’est la proportion le plus
généralement suivie ; elle a même été dépassée par plusieurs puissances de
l’Europe.
Montesquieu,
Smith et d’autres publicistes ont admis la proportion indiquée plus haut. Ils
pensent que, sans nuire à l’agriculture et à l’industrie, on peut, en temps de
paix, prélever le centième de la population, et en temps de guerre, aller même
jusqu’au cinquantième. La fixation du chiffre de 80 mille hommes est donc basée
sur les règles de l’économie politique.
Passons,
messieurs, à la question d’organisation.
Malgré les
enseignements que nous fournissent les mémorables guerres qui ont agité
l’Europe pendant près d’un quart de siècle, il existe encore des opinions
toutes différentes, quant aux moyens de constituer la force d’une armée.
Selon les
uns, un soldat n’est formé et tout à fait propre à la guerre que lorsqu’il a
passé un bon nombre d’années sous les armes ; les partisans de ce système
pensent que cette condition est nécessaire pour que le soldat soit attaché à
son drapeau et imbu de cet esprit de corps, de cet esprit de famille qui font
la force des régiments. Selon les autres, et leur opinion s’appuie sur la règle
de la stratégie moderne, c’est presque toujours le nombre de bataillons,
d’escadrons, de batteries qui assure la victoire, et l’objet important est
celui des réserves exercées.
Enfin, un
troisième système consiste dans la pensée qu’il ne faut pas d’armée permanente,
qu’on pourra toujours former en armée des hommes réunis peut-être pour la
première fois au moment de la guerre ; que le patriotisme, l’enthousiasme
pourront chez eux remplacer l’instruction et la discipline.
Dans le
premier système, les troupes sont moins nombreuses, mais offrent plus de
consistance. Dans le second, on fait concourir à la formation de l’armée active
le plus grand nombre d’hommes possible, de manière à pouvoir en disposer
utilement au moment de la guerre, et par les soins donnés à l’instruction, l’on
cherche à obvier aux inconvénients résultant du peu de durée du temps passé
sous les armes.
Ce dernier
système, particulièrement défensif, a été suivi jusqu’à ce jour en Belgique.
Devons-nous le maintenir en nous occupant toutefois de le perfectionner par
quelques modifications dans les lois de recrutement, ou devons admettre des
principes opposés ?
Suivrons-nous
l’avis de ceux qui demandent à faire suppléer à la quantité par la qualité des
soldats ? Au lieu d’avoir 80,000 hommes exercés, serait-il préférable,
conformément à l’avis de quelques honorables membres, de n’en former que 50 ou
60,000, et de retenir ceux-ci plus longtemps sous les armées ? Examinons
où nous mènerait ce système : la majeure partie de cette armée devrait, au
moment de la guerre, être jetée dans les forteresses, et le reste serait
évidemment insuffisant pour tenir campagne avec quelques chances de succès. On
serait immédiatement frappé de la nécessité d’augmenter le nombre des
combattants, et la seule ressource qui se présenterait alors, serait d’appeler
de nouvelles levées ou de mobiliser une bonne partie de la garde civique. Ces
levées extraordinaires devraient former des corps à part ou devraient être
incorporés dans ceux déjà organisés.
Dans le
premier cas, ces corps improvisés ne pourront être d’un grand secours, parce
que la guerre est un métier et que, pour y réussir, l’expérience et
l’instruction sont indispensables ; dans le second cas, une partie des
avantages que l’on aurait cherché à obtenir en adoptant une organisation
compacte, disparaîtront ; les soldats exercés se trouveront confondus avec
un grand nombre de recrues, et les corps ainsi composés perdront cette
consistance qui faisait leur principale qualité.
(page
1277) Des corps rassemblés seulement au moment de guerre dans des
cadres de nouvelle formation manquent de consistance et de force. Sous le
rapport de la discipline, sous le rapport de l’instruction, tout y est à créer
et la valeur seule ne saurait y suppléer.
Consultons
d’ailleurs, à cet égard, les enseignements de l’histoire contemporaine.
L’exemple
des premières années de la révolution française, que les adversaires des armées
permanentes et fortes citent, de préférence, à l’appui de leurs opinions, offre
précisément un exemple frappant du danger que présente le défaut d’une forte
organisation.
En 1792 et
1793, les troupes républicaines, malgré l’enthousiasme et l’élan extraordinaire
qui les animaient, éprouvèrent de fréquents revers. Elles n’obtinrent cet
ensemble et toutes les qualités précieuses qui leur assurèrent les succès les
plus décisifs, qu’après s’être consolidées par une organisation de quelques
années. Voici d’ailleurs comme un militaire renommé, le général Lamarque,
s’exprime sur la manière dont on doit envisager les succès obtenus par les
armées de la république, pendant les premières guerres de la révolution.
« Les
succès de cette époque sont un antécédent sur lequel une confiance imprudence aime
à trop se reposer. On oublie par quels moyens extraordinaires et violents ces
succès furent obtenus ; on en veut pas voir que
Le même
général ajoute plus loin :
« C’est
avec de faibles moyens que nous attaquaient nos ennemis. Leur dédain nous a
sauvé de leur fureur. Il n’y avait que 28,000 Autrichiens à la bataille de
Jemappes ; et à peine 40,000 Prussiens et 20,000 alliés suivaient
Frédéric-Guillaume dans les plaines de
L’Autriche,
malgré ses revers, nous présente un exemple frappant des avantages et des
ressources immenses qu’apporte, dans les opérations de la guerre, une
organisation militaire forte et régulière.
Armée
contre
Il serait
difficile de trouver un exemple plus concluant des avantages attachés aux
fortes institutions militaires.
On peut
encore citer
Dans des
temps plus rapprochés, l’exemple des efforts des armées nombreuses de
Mais si
l’on repousse cet exemple comme n’offrant pas assez d’analogie, assez de parité
entre les parties belligérantes, celui des Turcs en guerre contre les Egyptiens
sera plus concluant.
Mêmes
mœurs, même degré de civilisation, même religion, même origine, même peuple
enfin : quelles sont les causes de la supériorité incontestable que
montrèrent les troupes d’un vassal sur les soldats du sultan, sinon
l’organisation, l’ordre, la discipline, l’entretien permanent d’une armée
régulière, instruire par des Européens et tenue sur un pied respectable par la
volonté persévérante du pacha d’Egypte et de son fils ? On sais que sans
l’intervention de la diplomatie, Ibrahim à la tête de ses régiments réguliers
aurait, en 1833, planté ses drapeaux en face du sérail de Constantinople. On
sait aussi qu’après la bataille de Nezib, gagnée sur un ennemi plus nombreux,
mais qui n’était pas pourvu d’un simulacre d’organisation, l’armée du sultan
courait le risque d’être totalement détruite, si d’autres puissances n’étaient
venues arrêter les succès d’Ibrahim.
Mais
pourquoi chercher au loin des exemples, lorsque nous en trouvons de frappants
dans des événements peu reculés de notre pays ?
Je crois,
messieurs, avoir suffisamment prouvé que
Je crois
avoir prouvé que notre organisation, qui tient le milieu entre les systèmes
extrêmes, est particulièrement applicable à notre position défensive. Je pense,
messieurs, que ces différentes questions sont celles qui touchent aux
véritables bases du projet de loi ; je remettrai à plus tard l’examen de
toutes celles qui se rattachent aux détails.
M.
Verhaegen – Messieurs, il y a deux ans à pareille époque,
le général de Liem, alors ministre de la guerre, en vous proposant un budget
normal de 29,500,000 fr., vous disait avec l’accent d’une conviction
profonde :
« Je
n’hésite pas à avancer que le budget ne porte par un seul chiffre qui ne soit
non-seulement justifié, mais encore d’une nécessité absolue.
« C’est
assez vous dire, messieurs, que je ne me rallie en aucun point aux propositions
de la section centrale ; adopter ses conclusions serait faire un déni de
justice à ceux qui sont généreusement accourus à notre appel pour fonder cette
indépendance que vous venez de consolider, ce serait sacrifier l’avenir que
vous lui avez garanti, alors même que vous votez des millions d’indemnités pour
cicatriser les dernières plaies de la révolution ; ce serait sanctionner
bien imprudemment un délaissement dont s’effraye avec raison une prévoyance
aussi légitime que fondée. »
Ce que
disait le général de Liem, en défendant son budget de 1843, avait engagé la
chambre, en 1842, à fixer définitivement la liste civile de l’armée à
29,476,906 fr. On n’avait pas oublié alors et les acclamations du pays qui
accueillirent les paroles royales quand elles nous dirent que notre « neutralité
devait être SINCERE,
Chose
vraiment singulière ! c’est qu’en 1843 c’était exclusivement les membres
de l’opposition qui appuyèrent le gouvernement dans la discussion du budget de
la guerre et que cette majorité mixte, sur laquelle le ministère se disait si
solidement assis, lui fit complètement défaut dans un débat où il s’agissait de
l’intérêt le plus gouvernemental qui fut jamais, de l’intérêt de la défense du
pays.
« Il
est pour moi, disait un de nos honorables collègues, des questions qui dominent
les questions de parti, devant lesquelles j’oublie les divisions qui nous
séparent, devant lesquelles je ne me souviens que d’un chose, c’est que je suis
Belge, car si, sous notre forme de gouvernement, il faut accepter
franchement les dissidences et la lutte des opinions, fruit inévitable de la
liberté même, les bons citoyens, quelques divisés qu’ils soient, n’en sont pas
moins unis par un lien puissant ; tous sont enfants de la même patrie,
tous se tiennent entre eux par le lien du patriotisme et de la nationalité.
« Lorsqu’en
Angleterre, la puissance maritime de
Cette
opinion de l’honorable M. Devaux était aussi la mienne. Dès lors, intiment convaincu
que, si notre neutralité exige pour appui une armée bien organisée, le maintien
de l’ordre intérieur réclame tout aussi impérieusement la présence de forces
suffisantes, je viens défendre le projet du gouvernement, quelles que fussent
d’ailleurs mes antipathies contre certains membres du cabinet.
Mais ce que
j’avais cru être le projet du gouvernement ne fut plus considéré, à la fin de
la discussion, que comme le projet isolé de M. le ministre de la guerre. La
majorité avait trop ouvertement manifesté son intention, pour qu’elle ne fût
point comprise par M. le ministre de l’intérieur ; la conviction profonde
et la persévérance du général de Liem furent bientôt indignement travesties par
ses collègues eux-mêmes, son insistance ne fut plus que de l’entêtement ;
dès lors l’honorable général fut sacrifié et M. Nothomb put encore une fois
conserver son portefeuille.
Il nous est
certes bien permis à nous, membre de la minorité, à nous qui avons été mystifié
par le gouvernement de 1843, et qui voulons éviter une mystification nouvelle,
de rappeler les phases de la discussion qui amena la retraite d’un homme
honorable, d’un homme que les ministres présents et futurs pourraient prendre
comme modèle.
Le général
de Liem, après avoir déclaré, à la face du pays, que son budget ne portait pas
un seul chiffre qui ne fût d’une nécessité absolue, qu’il ne pouvait admettre
aucune réduction sans compromettre la sûreté du pays, et, par suite, sans
exposer sa responsabilité, a noblement et courageusement subi les conséquences
d’un vote de rejet.
Les paroles
de l’ancien ministre de la guerre ont été trop explicites pour qu’il ne soit
pas utile de les rappeler dans la discussion actuelle.
« Messieurs,
disait-il, lorsque le Roi m’a fait l’honneur de m’appeler au ministère de la guerre,
je n’ai consulté ni mes goûts ni mes moyens ; j’ai accepté ces fonctions
difficiles comme un général prend un commandement, espérant que la loyauté et
la fermeté suppléeraient à l’art oratoire. Je n’ai reculé ni devant le travail,
ni même devant des sacrifices d’amitié pour assurer la bonne organisation de
l'armée, pour la rendre forte, dévouée et capable. J’ai fait la guerre à tout
ce qui pouvait porter atteinte à son honneur. Aujourd’hui que votre concours,
messieurs, me manque dans une aussi grande mission, il ne me reste qu’à
solliciter du Roi l’autorisation de résigner un pouvoir que je n’ambitionne
pas, plutôt que mentir à une conviction bien réfléchie. »
Ce n’est
pas ainsi qu’ont l’habitude de parler Monsieur le ministre de l'intérieur et
ses collègues.
Depuis la
retraite du général de Liem, le cabinet a trouvé le moyen de faire sur le
budget de la guerre une économie de près de 1,500,000 fr., et le projet
d’organisation qu’il nous présente est mis en rapport avec cette (page
1278) économie. La section centrale est allé plus loin encore,
l’organisation qu’elle propose doit entraîner une économie plus forte.
Partisan
des économies, convaincu de la nécessité de diminuer le chiffre des impôts,
nous aurions désirer pouvoir nous rallier au projet de la section centrale,
mais le système auquel l’honorable général de Liem a naguère attaché son
existence ministérielle, loin d’avoir été ébranlé, est resté debout. Si, en
1843, le chiffre de 29,500,000 fr. a été demandé par le ministère comme
indispensable pour parer à toutes les éventualités et ainsi pour sauvegarder la
neutralité belge, il faudrait aujourd’hui pour opérer des réductions,
démontrer, avant tout, que notre position a subi quelque changement, et on se
gardera bien de tenter cette démonstration ; loin donc de pouvoir adopter
le terme moyen proposé par la section centrale, je regrette vivement que le
cabinet actuel n’ait maintenu intacte la proposition de 1843.
Il ne faut
pas se le dissimuler : dans l’espèce, il n’y a qu’une alternative
possible : Faire assez ou ne rien faire du tout. La prodigalité ne
consiste pas seulement à dépenser trop, mais aussi à faire les choses à demi, à
organiser, par exemple, une armée assez forte pour grever le trésor public,
mais pas assez nombreuse pour suffire à la défense du pays.
« Qu’on
le sache bien, disait, il y a quelques années, une des hommes les plus
remarquables du parlement belge, pour signifier quelque chose, la neutralité de
D’ailleurs,
à moins de contester, ce qui est encore à savoir, qu’être neutre, c’est être
chargé de se défendre soi-même, à moins d’abaisser le pays à un rôle indigne du
sentiment national, il faut bien accepter l’organisation de l'armée comme un
des devoirs gouvernementaux les plus impérieux, les plus puissants.
Si en 1796
et 1797 Venise avait eu des forces respectables à sa disposition, Beaulieu,
l’archiduc Charles, Alvinzi et Bonaparte ne se seraient pas emparés sans
scrupule de son territoire, et n’auraient pas répondu à ses nouvelles
protestations par des réquisitions, des impôts, des outrages. Si Venise avait
eu une organisation militaire, elle n’aurait pas subi l’humiliation de voir un
soldat venir fièrement, au milieu du sénat assemblé, lui signifier les ordres
d’un général français, et un seul manifeste de ce général n’aurait pas anéanti
cette antique république.
La
nécessité d’une organisation militaire forte et respectable nous paraît
tellement démontrée pour
Après avoir
traité la question au point de vue politique, il nous reste à dire quelques
mots au point de vue des intérêts de l’armée, et nous sommes heureux de
pouvoir, comme en 1843, nous placer parmi ses défenseurs les plus zélés.
Dans la
discussion des autres budgets, on a vu successivement passer toutes les
allocations demandées pour les fonctionnaires civils et, encore une fois,
toutes les rigueurs semblent réservées pour les membres de l’armée. On respecte
les droits de ceux qui servent la patrie avec leur plume, et ceux qui mettent
leur sang à sa disposition n’ont aucune garantie ; on s’en sert pendant le
danger, puis on les congédie comme des rouages inutiles.
Messieurs,
j’ai eu l’honneur de vous le dire dans une circonstance identique, n’oublions
pas que l’on peut bien supprimer des emplois, mais que l’on ne supprime pas des
hommes. Ces officiers que l’on veut réduire à la non-activité, à la
disponibilité, restent néanmoins une charge pour le trésor, et ne sont d’aucune
utilité ; plusieurs d’entre eux n’ont d’autre moyen d’existence que leur
traitement, et ce traitement, s’il est réduit, sera insuffisant, surtout à des
pères de famille.
Et puis
l’officier privé de son emploi le regrettera constamment ; ses facultés
s’affaisseront sous le poids de réflexions poignantes ; il oubliera son
métier sans pouvoir s’instruire ; sans avenir il deviendra un ennemi
acharné du gouvernement, cause de sa disgrâce et de son malheur, et c’est ainsi
qu’on entretiendra, au lieu de les amortir, les divisions intestines.
Et
cependant, dans les circonstances difficiles, c’est à l’armée que sont confiés
l’honneur et l’existence nationale ; c’est une carrière d’abnégation
personnelle et de dévouement tout à la fois.
On trouve
des fonds pour une foule d’autres dépenses moins urgentes ; on en a trouvé
pour des séminaires, pour les hauts dignitaires du clergé ; et ces
allocations restent sacrées ; y toucher semblerait un sacrilège !
Mais pour l’armée c’est bien différent, on veut renvoyer certains officiers en
temps de paix avec une partie de leur solde à peine suffisante pour ne pas
mourir de faim, sauf à les rappeler au jour du danger ; et avec les
économies, dont ils seront les victimes, on couvrira des dépenses souvent
très-inutiles, on rétribuera entre autres des cardinaux plus grassement payés
que les ministres.
Des
témoignages de juges compétents ont constaté que l’armée belge est une des plus
brillantes, des mieux organisées de l’Europe ; tous nous savons avec
quelle joie nos soldats eussent reçu naguère le signal des hostilités. Tout
cela doit disparaître devant la nécessité de réductions dans les dépenses, et
pour quelques économies, qu’on trouvera bien moyen d’utiliser à de tout autres
usages on veut, paraît-il, détruire entièrement l’armée ; car ces économies
auront l’effet le plus fatal. Elles dégoûteront des hommes qui étaient en droit
d’attendre du pays autre chose que des réductions et cela moins encore par le
fait des réductions elles-mêmes que par l’espèce de dédain avec lequel on a
oublié les services et un dévouement qui méritait de tout autres récompenses.
Et
puisqu’on parle d’économies, ce n’est pas en particulier qu’il faut les
envisager, mais dans leur ensemble. Où sont donc celles introduites dans les
autres branches ? L’administration des chemins de fer, comme nous l’avons
dit et répété, est un véritable gouffre où viennent se perdrent de millions
sans contrôle aucun ; les indemnités, les traitements variables, les
minima et les maxima contre lesquels je me suis si souvent élevé, permettraient
de faire des économies bien plus importantes que celles qu’on veut si
imprudemment faire sur l’armée ; mais c’est encore là une arche sainte à
laquelle il n’est pas permis de toucher !
Il semble
que l’armée seule doive faire les frais de cette ardeur de réductions ;
plus que qui que ce soit, l’armée a bien mérité du pays, et par une logique
assez bizarre, c’est sur elle aussi qu’on veut faire peser les plus fortes
charges.
En vérité,
tout cela ne dévoile-t-il pas un système ? ne dénote-t-il pas une tendance
de nature à inquiéter tous ceux qui ont quelque confiance dans l’avenir de
Et ces
inquiétudes ne doivent-elles par de jour en jour devenir plus vives, lorsqu’on
voit les principales familles nobiliaires du pays désespérer en quelque sorte de
la patrie, refuser leurs sympathies et leur respect à l’armée nationale, en
envoyant leur fils prendre service à l’étranger ?
On comprend
qu’on aille chercher des leçons de stratégie dans des pays où le canon fronde,
en Algérie, par exemple, mais on ne comprend pas ces émigrations et ces
enrôlements en Autriche, devenus malheureusement si fréquents, parce que le
ministère a eu la faiblesse de les encourager en accordant imprudemment son
autorisation chaque fois qu’elle lui était demandée, à ceux-là mêmes qui
occupent les postes les plus éminents de notre diplomatie.
Cependant,
l’esprit militaire a toujours distingué les Belges les temps où les d’Aremberg,
les d’Oultremont, les de Ligne versaient leur sang sur le champ de bataille en
combattant pour leur patrie, ne sont pas si éloignés pour que la tradition en
soit complètement perdue pour leurs neveux. L’honorable rapporteur de la
section centrale, le prince de Chimay, en citant, il n’y a qu’un instant, les
noms des illustrations militaires du pays, a suffisamment stigmatisé la
conduite de nos hommes du jour qui ne recherchent à l’étranger que des titres
et des blasons nouveaux.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable préopinant a rappelé des précédents de la
discussion d’avril 1843. sa mémoire me semble l’avoir servi très-infidèlement.
La question qui nous préoccupait alors était moins une question de chiffre que
de principe, je dirai de prérogative. Depuis longtemps, on se demandait, si en
exécution de l’art. 139 de
J’ai alors,
messieurs, défini ce qu’il fallait entendre par une loi de ce genre ; j’ai
dit qu’il ne fallait y chercher qu’une fixation des cadres, et c’est dans ce
sens que vous avez été quelque temps après saisis d’un projet de loi.
Je
rappelle, messieurs, et je rectifie les faits, non pas précisément dans
l’intérêt du ministère ou dans mon intérêt personnel, mais je les rappelle pour
que l’on ne cherche pas dans les appels nominaux d’avril 1843 un engagement
pour ou contre le vote que nous attendons. Il y a des députés qui ont pu
très-bien voter à cette époque contre le budget de la guerre, et qui
aujourd’hui peuvent voter en faveur des propositions du gouvernement sur
l’organisation de l'armée. Il n’y aurait rien de contradictoire dans ces deux
votes, puisque selon moi, d’après mes souvenirs, beaucoup de votes de 1843 ont
eu pour but principal d’amener le gouvernement à saisir la chambre d’une loi
d’organisation militaire. (Interruption : Une voix – Cela n’est pas
exact)
Je
considère ceci comme très-exact. J’irai plus loin. Beaucoup de membres qui
votèrent en faveur du budget de la guerre regrettaient que la loi
d’organisation militaire ne fût pas présentée. Ainsi pour les uns, ceux qui
votaient contre le budget, le défaut d’une loi d’organisation militaire était
le motif de leur vote négatif ; pour les autres, ceux qui votaient pour le
budget, ce vote affirmatif était accompagné d’une réserve, c’est que le
gouvernement eût à présenter une loi d’organisation militaire. Cette loi,
messieurs, était demandé depuis longtemps ; elle semblait même exciter des
craintes au dehors de cette chambre. Ces craintes sont heureusement dissipées.
Dans une loi de ce genre, je vois une garantie pour l’armée elle-même ; me
plaçant à ce point de vue, je n’ai pas hésité à déclarer, il y a deux ans, que,
selon moi, le gouvernement pouvait accepter la condition préalable qu’on
semblait lui poser. Une loi d’organisation militaire est une garantie pour
l’armée elle-même ; le vote annuel du budget ne deviendra, en règle
générale, qu’une formalité ; l’existence de l’armée sera ainsi placée en
dehors de toutes les fluctuations parlementaires et ministérielles.
Je n’avais donc
pas pris à cette époque une position aussi absolue que celle qu’avait prise le
ministre de la guerre d’alors ; mes autres collègues n’avaient pas non
plus pris cette position absolue. Une fois que nous étions (page
1279) d’accord sur le caractère à donner à la loi d’organisation
militaire, nous avons pensé que nous pouvions saisir la chambre d’une loi de ce
genre, et que cette loi, loin d’être préjudiciable à l’armée, lui offrait une
garantie d’existence.
Un membre – C’est
évident.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) – On me dit
que c’est évident ; vous voyez, messieurs, quel revirement s’opère dans
les esprits. Consultez de nouveaux vos souvenirs et vous vous rappellerez que
cette loi d’organisation militaire que l’on considère comme une garantie pour
l’armée, que cette loi, on la représentait comme une sorte d’épouvantail. Je
suis heureux que ces courtes explications soient accueillies par les mots que
la chose est évidente (Interruption.)
Du reste, messieurs,
cette conclusion doit être acceptée par tout le monde. Il est à présumer que,
une fois les cadres de l’armée fixés par une loi permanente, le vote du budget,
comme je le disais tout à l’heure, ne devient plus, en règle générale, qu’une
formalité, comme l’est, par exemple, le vote, au budget de la justice, des
traitements de la magistrature.
Je
regrette, messieurs, que mes études, mes connaissances me mettent dans la
presque impossibilité de m’associer à la discussion des détails de cette loi.
Je me trouve ici dans le même embarras que la plupart des membres de cette
chambre. Le ministère se présente néanmoins comme solidaire ; le terrain
sur lequel il se trouve placé aujourd’hui est incontestablement le terrain que
lui assigne
On vous a
présenté, messieurs, des considérations très-étendues sur le principe de notre
neutralité et sur la portée de ce principe. On est déjà entré dans trop de
détails pour que je ne me trouve pas obligé à être très-bref, au moins
aujourd’hui.
Le vote,
messieurs, qui vous est demandé, est un grand acte de nationalité. Je n’hésite
pas à le qualifier ainsi, c’est le caractère qu’on lui donnera dans ce pays et
au dehors. On vous a parfaitement démontré que la neutralité d’un pays, bien
que proclamée par les traités, ne se soutient pas d’elle-même ; elle ne se
maintient pas, pour ainsi dire, par sa propre vertu et d’une manière idéale. La
question est de savoir, messieurs, si notre pays est une espèce de terrain
vague, sur lequel on pourra passer tour à tour, sauf à laisser au hasard des
événements le soin de lui restituer une position indépendante (Interruption.)
Espérer que
la neutralité belge se maintiendra par elle-même, c’est méconnaître tous les
enseignements de l’histoire. On vous a rappelé, messieurs, trop de faits pour
que j’aie besoin de citer, à mon tour, les précédents historiques. Tout ce que
l’on peut dire contre une organisation
militaire faire, je n’hésite pas à soutenir qu’on peut le dire contre la
nationalité belge elle-même.
Un des honorables membres qui ont parlé avant moi, a cherché une
garantie presque complète dans le principe abstrait de la neutralité.
L’honorable M. de Garcia nous a cité, messieurs, les paroles récemment
prononcées par un ministre français, à la tribune de France ; ces paroles
renferment la réfutation de toutes les conséquences que l’on pourrait tirer des
réflexion de l’honorable membre. Ce ministre français veut que la neutralité
belge soit une neutralité qui offre de la sécurité ; car je n’hésite pas à
dire qu’elle n’offrirait aucune sécurité si elle ne devait être qu’un principe
abstrait.
M.
de Garcia – Messieurs, lorsque Monsieur le
ministre de l'intérieur interprète le langage du ministre français, pour en
induire des conséquences opposées à celles que j’en ai tirées, je dois convenir
qu’à mes yeux les mots ne peuvent plus conserver leur portée. Le mot de sécurité,
dont s’est servi le ministre français signifie, suivant le ministre belge, que
Je crois
donc que le mot sécurité qui se trouve dans le passage du discours du
ministre français, que j’ai rapporté, ne peut avoir une autre portée.
Quant à la
loi d’organisation, M. le ministre a dit aussi que l’an dernier la chambre
était partagée en deux opinions, que les uns voulaient des réductions, et que,
si les autres refusaient le budget de la guerre, c’était parce qu’il n’y avait
pas de loi d’organisation. M. Lys me fait un signe négatif… Il est possible que
l’honorable M. Lys voulait, comme moi, autre chose que la loi d’organisation,
c’est-à-dire qu’il pouvait vouloir, comme moi, une organisation, qui réduisit
les dépenses ; mais il n’en est pas moins vrai que plusieurs de nos
honorables collègues n’ont voté, en 1843, contre le budget de la guerre que par
le motif qu’ils voulaient une loi d’organisation. Plusieurs de mes honorables
amis m’ont fait connaître leur opinion à cet égard. Avec une loi d’organisation,
ils auraient voté la dépense, dans les termes mêmes du budget présenté en
1843 ; à ce point de vue, je ne puis contester l’exactitude de ce qui
vient d’être avancé.
J’ai dit
qu’il était évident que l’adoption du projet d’organisation actuelle réduisait
à une formalité le vote sur le contingent et sur les dépenses nécessitées par
l’armée. M. le ministre l’a contesté. Cependant la chose me paraît
incontestable.
Dès qu’une
loi organique aura fixé le total du contingent de l’armée, il est bien évident,
je le répète, que le tribut annuel des hommes doit suivre, et que la loi qui le
décrétera ne sera plus qu’une affaire de forme.
M.
Castiau – Malgré l’appui qu’a trouvé
jusqu’ici dans la chambre le projet du gouvernement, malgré la défaveur qui
paraît devoir s’attacher à ceux qui lui seraient hostiles, je viens réclamer
l’attention de la chambre pour combattre et le projet du gouvernement et celui
de la section centrale qui en est, à peu d’exceptions près, la reproduction
fidèle.
Je crois
que ces deux projets ne répondent, ni l’un ni l’autre, aux exigences de la
constitution, d’abord, puis à l’intérêt du pays et surtout à l’attente de la
chambre.
C’est la
constitution elle-même, ne l’oublions pas, messieurs, qui avait formellement proclamé
la nécessité de la réforme de notre organisation militaire.
Et pourquoi
donc cette promesse ? C’est parce qu’elle a voulu que notre organisation
militaire, régénérée au contact des idées nouvelles, fût mise en harmonie avec
le principe de nos institutions politiques, le principe de la souveraineté
nationale et de l’égalité démocratique des citoyens devant la loi.
Notre
vieille organisation militaire, celle-là dont on nous propose aujourd’hui, avec
un respect superstitieux, le maintien et la conservation, n’était-elle pas, en
effet, hostile avec ce principe de l’égalité démocratique ? Quelle est la
base de notre système militaire actuel ? Le recrutement. Et le
recrutement, comment s’exerce-t-il ? A l’aide du tirage au sort et du
remplacement militaire. Je ne parle pas des enrôlements volontaires qui
n’existent plus guère que pour mémoire, c’est-à-dire, messieurs, que toute
notre organisation militaire repose, en ce moment encore, sur une absurdité et
sur une iniquité. Elle repose sur une absurdité : quoi de plus absurde que
de livrer au sort, au caprice du hasard, aux chances de la loterie la
répartition la plus lourde des charges sociales, l’obligation du service
militaire pour les uns et l’exemption de cette charge pour les autres ?
Elle repose sur une iniquité : est-il une iniquité plus choquante que
d’accorder aux classes riches, le privilège de se soustraire à l’impôt du sang,
d’acheter des remplaçants et des substituants, et de se livrer à une véritable
traite de blancs ?
Quand
Qu’on ne
dise pas qu’un tel projet froisserait nos habitudes, nos mœurs, nos intérêts.
Car ce système d’organisation militaire, élevé sur le principe de l’égalité,
existe non-seulement dans des Etats libres et démocratiques, comme
Voilà le
système qu’il aurait fallu étudier, examiner et soumettre à nos méditations en
le combinant avec les nécessités de notre situation politique ; et la
population se serait prêtée avec dévouement aux exigences de ce nouveau
système, puisqu’il y allait de nos libertés, de notre indépendance et de notre
existence nationale.
Au lieu de
cette grande réforme militaire et démocratique, que réclamait la constitution,
que vient-on nous présenter ? Un prétendu projet de loi d’organisation
militaire en sept articles. Sept articles de loi, messieurs, pour régler tout
ce qui est relatif à notre organisation du pays, à la défense de notre
territoire et de notre nationalité ! Et que contiennent ces sept
articles ? L’énumération des cadres, le dénombrement de tous les officiers
de l’armée. En d’autres termes, le projet qu’on a présenté sous le titre
pompeux de loi d’organisation, n’est rien autre chose qu’un budget renversé.
C’est, qu’il me soit permis de le dire, un nouveau tour de force ministériel,
et je comprends cette fois que M. le ministre de l’intérieur accepte et réclame
la solidarité de cette nouvelle manœuvre ministérielle.
Lorsque
vous discutez le budget, vous votez le chiffre des dépenses. Maintenant, on
vous demande de voter le chiffre des hommes. Voilà toute la différence.
Et c’est ce
projet dérisoire qu’on ne craint pas de vous présenter comme un modèle de
réorganisation militaire !
Et ce
projet, si incomplet, si insignifiant en apparence, cache cependant des
conséquences d’une haute gravité, conséquences qu’on nous a déjà signalées en
parties, mais sur lesquelles j’éprouve le besoin de revenir, à mon tour, car il
ne s’agit pas moins ici que d’une question de constitutionnalité et des principales
attributions de la chambre.
En effet,
ce projet si inoffensif en apparence, ce prétendu projet d’organisation (page
1280) militaire, aura pour résultat, si vous l’adoptez tel qu’il
vous est présenté, de vous déshériter de deux des plus importantes
prérogatives, le vote annuel du budget de la guerre et le vote du contingent
militaire. Et ces prérogatives, il vous les enlève, non pas franchement et
directement, mais à l’aide de moyens détournés qui, en paraissant respecter les
apparences de la légalité, n’en arrivent que plus sûrement à leur but.
Aujourd’hui,
messieurs, vous êtes investis du droit de voter annuellement le budget de la
guerre, et ce droit vous permet de dominer toute l’organisation militaire du
pays. A l’aide de ce vote annuel, vous contrôlez, dans son ensemble et dans ses
détails, l’administration du ministère de la guerre ; chaque année, elle
vient en quelque sorte passer en revue devant vous, et vous pouvez ainsi,
suivant les nécessités du moment, la mettre chaque année en rapport avec les
exigences toujours variables des temps et des circonstances ; car, en
dernière analyse, les questions d’organisation militaire ne sont que des
questions de circonstance, des questions de temps. Ce sont tellement des
questions de temps, que M. le ministre de la guerre lui-même reconnaît que dans
certaines éventualités, dont il nous a entretenus, l’organisation qu’il vous
propose serait complètement insuffisante, et qu’il faudrait la renforcer. Or,
par le vote annuel du budget de la guerre, la chambre satisfait précisément à
cette variété qui peut se manifester dans les besoins de la situation militaire
du pays ; s’il y a des abus, en outre, chaque année la chambre peut les
faire disparaître ; si des réductions sont possibles, chaque année aussi
elle peut les opérer ; et elle peut les opérer sans perturbation, sans
froisser les existences acquises, sans produire dans les rangs de l’armée ce
découragement dont on a parlé tout à l’heure et sur lequel j’aurai, dans un
moment, l’occasion de m’expliquer à mon tour.
Eh bien,
quand vous aurez adopté la loi d’organisation qu’on vous présente, c’en sera
fait et pour longtemps, pour toujours peut-être, de l’omnipotence et de
l’initiative de la chambre. Le chiffre du budget de la guerre deviendra
véritablement immuable ; il sera immobilisé
d’une manière permanente. En votant l’organisation définitive du budget, vous
votiez par cela même le chiffre des sommes nécessaires pour en solder le
traitement. La question pécuniaire se lie et se confond ainsi avec la question
du personnel. La dépense ayant ainsi un caractère obligatoire, vous ne pourrez
plus ni la supprimer ni la réduire, et, pour me servir de l’expression qui
vient de se trouver dans la bouche de Monsieur le ministre de l'intérieur, la
discussion et le vote du budget de la guerre ne seront plus que des questions
de forme.
Mais, vous
a dit le même ministre de l’intérieur, il y a d’autres chapitres du budget
général de l’Etat qui présentent l’exemple d’une semblable immuabilité. Ainsi
dans le budget du ministère de la justice, vous avez chaque année la même
fixité pour le chiffre destiné aux traitements de la magistrature.
Mais,
messieurs, la position n’est pas la même. La prétendue analogie n’existe que
dans l’imagination de M. le ministre. Si le chiffre du traitement de la
magistrature est invariable, mais c’est que la magistrature est inamovible. Et
si elle est inamovible, c’est que
Adoptez la
loi d’organisation qui vous est proposée, et le vote annuel du budget de la
guerre se réduira à une misérable opération de calcul ; il s’agira
simplement de comparer les chiffres qui seront demandés chaque année dans le
budget et ceux qui résulteront des dispositions de la loi d’organisation.
Réduit à de telles proportions, le vote du budget ne sera pas seulement une
question de forme, ce sera une sorte de mystification, je crois pouvoir me
servir de cette expression, sans être accusé d’excès de sévérité.
Il en sera
de même de cette autre prérogative non moins importante, qui vous autorise à
fixer chaque année le chiffre du contingent militaire.
On vous l’a
dit tout à l’heure, quand vous aurez fixé le chiffre des cadres, par là même
vous aurez déterminé le chiffre du contingent, car vos cadres sont mis en
rapport avec le contingent sur lequel ils sont basés. En votant donc vos
cadres, vous votez inévitablement le contingent ; car, vraisemblablement,
vous n’entendez pas organiser une armée d’officiers seulement ; le vote
des cadres entraîne le vote des hommes, c’est incontestable. Ainsi votre
décision aurait pour effet d’enchaîner nos deux principales prérogatives et de
donner au pouvoir militaire une indépendance qui pourrait bien finir par être
effrayante pour le pays et ses libertés.
Prétendra-t-on
que la chambre pourra toujours revenir sur la loi qui est maintenant soumise à
ses délibérations, qu’elle pourra la modifier, si plus tard la situation du
pays autorise ces modifications ?
Mais,
messieurs, prenez-y garde, quand vous aurez voté le projet qui est en
discussion, ce projet deviendra une loi de l’Etat et une loi indéfiniment
obligatoire. Il ne dépendra donc plus de la chambre seule de modifier cette
loi ; elle ne pourra plus la modifier qu’avec le concours des deux autres
branches du pouvoir législatif. Le pouvoir exécutif a le veto et son refus
d’adhésion nous entraîne à toujours.
Vous le
voyez, messieurs, il s’agit en ce moment de savoir si la chambre peut ainsi abdiquer
ses principales prérogatives et enchaîner en même temps les législatures qui
lui succèderont. Le projet va jusque-là. Il pèse non-seulement sur le présent,
mais il engage encore l’avenir. C’est l’immobilité et une immobilité absolue
qu’on veut introduire dans notre organisation militaire. C’est une sorte
d’inviolabilité qu’on vient réclamer en faveur du pouvoir dont l’indépendance
offrirait le plus de dangers. Je vous le demande de nouveau, messieurs,
pouvez-vous ainsi modifier dans leur esprit les principales dispositions de
Et
pourquoi, messieurs, cette perturbation de nos principales garanties
constitutionnelles ? Pourquoi ce prétendu projet d’organisation militaire
dont on veut aujourd’hui emporter l’adoption avec tant d’insistance et
d’empressement ? C’est, vous disait-on encore tout à l’heure, pour mettre
un terme à ces inquiétudes décourageantes qu’on prétend exister dans l’armée et
s’aggraver chaque année à l’occasion de la discussion du budget.
Messieurs,
je ne crois pas à l’existence de ce découragement dont on veut nous faire un
épouvantail, et j’en ai pour preuve les éloges si mérités que M. le rapporteur
accordait, il n’y a qu’un instant, à notre armée si brave, si loyale et si
patriotique. S’il était vrai que le découragement existât dans les rangs de
l’armée, je dirais qu’il faut l’attribuer à des causes bien plus graves, bien
plus profondes qu’à la discussion du budget et à l’examen d’une question
d’argent. Si le découragement existait dans l’armée, c’est que l ‘armée a
eu malheureusement à subir les conséquences des fautes, de l’incurie, de
l’impéritie, de l’inexpérience et de la couardise du gouvernement ; si le
découragement existait dans les rangs de l’armée, c’est qu’elle a dû passer,
malgré son courage et son dévouement, par la fâcheuse épreuve de 1831 ; si
le découragement existait dans les rangs de l’armée, c’est peut-être que
l’arbitraire et le favoritisme tendent à s’y introduire chaque jour davantage à
l’ombre de notre législation vicieuse sur l’avancement militaire. Voilà ce qui
pourrait expliquer le découragement de l’armée, si l’armée était livrée à ce
sentiment. Mais je proteste contre cette pensée de découragement ; je n’y
crois pas. En définitive, la chambre, en votant, chaque année le budget de la
guerre, n’a fait que remplir une obligation constitutionnelle. Il était donc du
devoir de l’armée de subir, et de subir avec résignation, une position qui lui
était imposée par
On
regrette, pour l’armée, le résultat de ces discussions annuelles du budget de
la guerre. Mais, à cet égard, l’armée est sur la même ligne que toutes les
autres administrations. Ainsi, ce n’est pas seulement l’administration de la
guerre, ce sont toutes les autres administrations qui sont également soumises à
notre contrôle annuel ; c’est l’administration de la justice ; c’est
l’administration des finances ; c’est la diplomatie et nos affaires
extérieures, c’est l’administration de l’intérieur, c’est le gouvernement tout
entier enfin, et c’est là, messieurs, le principal attribut de notre
souveraineté ; c’est la condition de notre système représentatif ;
c’est la garantie qui domine toutes les autres garanties. A cet égard, il ne
peut exister de privilège pour aucun corps, pour aucune institution.
Si vous
admettrez aujourd’hui le système dangereux qu’on veut faire prévaloir pour
l’armée, si vous introduisez pour elle, son organisation et ses dépenses, le
principe de l’immuabilité qu’on réclame, pensez, messieurs, pensez aux
conséquences de cette concession exorbitante. Où vous arrêterez-vous pour
l’application de ce nouveau principe ? Chaque jour on viendra en réclamer
l’extension. Pourquoi se contenterait-on en définitive d’appliquer cette faveur
à l’armée ? Ne voyez-vous pas à l’instant même que toutes les autres
administrations vont venir réclamer en leur faveur le bénéfice du privilège. Ne
sera-t-on pas fondé à venir vous dire que ces inquiétudes décourageantes qu’on
prétend exister dans l’armée par suite du vote annuel du chiffre des forces
militaires, existent et se reproduisent ainsi plus fortement encore dans toutes
les administrations ; que ces inquiétudes enfantent le découragement, le
désordre et l’anarchie ; qu’il y a nécessité de mettre un terme à cette
perturbation ? Et l’on viendra vous presser avec les conséquences mêmes du
principe que vous aurez posé pour les dépenses de l’armée, et vous serez sans
arguments et sans forces pour résister à ce flot d’exigences nouvelles. Vous
immobilisez donc successivement les budgets des finances, de la justice, des
travaux publics, de l’intérieur, des affaires extérieures, comme vous aurez
immobilisé le budget de la guerre. Et alors, messieurs, où en serait le
gouvernement représentatif ? Et que resterait-il à faire dans cette circonstance ?
rien, sinon suspendre
N’est-il
pas temps, messieurs, de nous arrêter dans la voie fatale où l’on veut nous
entraîner.
Messieurs,
il est tellement vrai, tellement évident que le ministère, en présentant son
projet, n’a eu d’autre pensée, que d’enchaîner votre libre arbitre et de vous
enlever vos principales attributions, qu’il n’a en réalité examiné aucune des
nombreuses et graves questions qui se rattachent à celle de l’armée et à la
défense du pays. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire hier que l’une de ces
questions préjudicielles était la question des forteresses, de leur
conservation ou de leur démolition. Malgré la décision de la chambre, décision
que je respecte tout en conservant ma conviction, je (page 1281) continue
à penser que la question des forteresses dominait toute notre organisation
militaire, qu’il fallait avant tout s’expliquer sur cette question avant de
s’occuper de cette organisation. Il le fallait non-seulement pour connaître la
force relative que nous devons donner à chacun de corps de notre armée, il le
fallait surtout pour savoir si
Après la
question du recrutement, la question des forteresses a été et continue à être
pour moi le point de départ du problème que nous examinons. Dans la situation
actuelle de la discussion et par suite des incroyables refus du ministère,
ce motif seul suffirait pour me faire rejeter le projet de loi.
Cette
question des forteresses, messieurs, était doublement importante ; elle
l’était pour les forteresses qu’il s’agit de démolir ; elle l’est encore
plus pour les forteresses nouvelles qu’il s’agira bientôt d’élever dans le
pays, si les idées militaires qui paraissent animer en ce moment le ministère
triomphent. Ne vous y trompez pas, messieurs : quand le gouvernement aura
fait triompher le principe de la permanence de l’organisation militaire, il
viendra nous dire que pour renforcer encore notre système de défense, et pour
le compléter, il faut nous occuper de l’érection de nouvelles forteresses ;
on nous dira que nous n’avons qu’une frontière défendue, celle du Midi. On
prétendra que notre frontière vers
Et qui
sait ? Notre ministère qui ne vit ici que d’imitation et de contrefaçon et
qui imite servilement le ministère français quand il s’agit surtout de ses
combinaisons les plus malheureuses, témoin le malencontreux projet de loi sur
la chasse, qu’il vient de vous présenter, notre ministère ne viendra-t-il pas
prétendre aussi qu’il faut fortifier la capitale de
Mais le
projet de loi d’organisation militaire n’a rien de sérieux, je l’ai dit déjà.
Il s’agit
si peu, en ce moment, de la défense du pays, qu’on ne s’est occupé d’aucune des
questions qui se rattachent à cette défense. Des systèmes de toute espèce sont
en présence pour déterminer cette défense. Les uns ne veulent d’armée que pour
la défense des forteresses ; les autres la réclament pour tenir la
campagne et combattre en plaine. Quel est sur ce point l’opinion du
gouvernement ?
Il veut
tout à la fois défendre les forteresses et couvrir tout le pays avec une armée
de 80,000 hommes, car, messieurs, il vient de le dire, il ne réclamera que 20 à
30,000 hommes de la garde civique. C’est à ce misérable chiffre qu’il entend
borner la participation des citoyens, à la défense du pays et c’est avec ces
quelques mille hommes qu’il entend tenir tête aux masses armées qui se
passeraient sur notre territoire et résister à l’Europe toute entière
peut-être, car enfin, puisque ici tout est hypothétique dans l’avenir, on peut
supposer aussi que l’Europe pourrait bien un jour détruire son ouvrage et
décréter le partage de notre pays. Et c’est avec 80,000 hommes de l’armée
permanente et 30,000 gardes civiques que M. le ministre entend parer à de
telles éventualités. Quelque confiance que j’aie dans le courage de l’armée et
l’expérience militaire de M. le ministre, je voudrais bien qu’il nous expliquât
la possibilité d’une résistance armée dans de telles circonstances. Nous ne
savons rien, nous, des questions stratégiques et nous devons les connaître
avant de décréter l’organisation qu’on nous demande. Si M. le ministre craint
de livrer au public les secrets de notre défense militaire, eh bien !
qu’il réclame un comité général et qu’il nous explique comment avec l’armée
qu’il nous demande il pourra, dans tous les cas, assurer l’indépendance du
territoire. Pour atteindre un tel résultat, ce ne serait pas une force
militaire de 80,000 hommes, c’est la nation toute entière qu’il faudrait armer
et organiser pour le salut de son indépendance.
Loin de
vouloir armer la nation tout entière, on n’a pas même cru devoir s’occuper de l’organisation et de la mobilisation
de la garde civique. La garde civique, ce devrait être le pays tout entier
armée pour sa défense, son organisation devrait donc être le couronnement ou
plutôt la base de notre organisation militaire. Il fallait fondre ces deux
questions et nous les faire examiner simultanément. On s’en est bien gardé. On
n’a présenté le nouveau projet sur la garde civique qu’après le dépôt du
rapport de la section centrale, et, dans ce nouveau projet, il n’est pas dit un
seul mot de la mobilisation de la garde civique, question qui prime toutes les
autres, s’il s’était sérieusement agi de la défense du pays. Et pourquoi,
messieurs, a-t-on ainsi répudié le concours de la garde civique pour compléter
notre organisation militaire ; c’est, paraît-il, qu’on a peur de la garde
civique et l’on en a peur parce que
Enfin,
messieurs, il faut finir ce long énoncé critique des vices principaux du projet
de loi, des omissions qu’il renferme, des lacunes déplorables qu’il offre.
Je vous
citerai encore une dernière question qui se lie également à l’organisation
militaire, je veux parler de l’emploi de l’armée aux travaux publics. Si le
gouvernement avait voulu s’occuper de cette question il aurait fait tomber bien
des objections que peut soulever encore, dans ce pays de neutralité,
l’existence d’une nombreuse armée permanente. Ce qu’on déplore surtout, dans le
système actuel, c’est qu’il enlève chaque année à l’agriculture, à l’industrie,
au travail enfin la partie la plus robuste de notre jeunesse pour l’étioler
dans une caserne et l’enceinte d’une garnison.
Si cette
question avait été résolue, si déjà on avait employé l’armée aux grands travaux
publics, si l’armée avait attaché son nom à cette magnifique création des
chemins de fer, par exemple, ou si on comptait l’employer encore à ces nombreux
et importants travaux qui sollicitent de toutes parts l’activité du
gouvernement, mais qui donc penserait à soulever ici des questions de chiffres
et d’économies ? C’est alors que l’armée serait une véritable école
d’ordre, de moralisation et de progrès. C’est alors qu’elle rendrait d’immenses
services au pays ; et tout l’or qu’on viendrait réclamer pour elle, ne
pourrait la payer convenablement et dignement. La reconnaissance nationale
devrait se charger d’acquitter cette dette.
Eh
bien ! cette question d’une solution si facile, elle n’a pas même été
l’objet de l’examen le plus superficiel, elle n’a pas même été indiquée comme
question d’avenir. Notre gouvernement est tellement engagé dans les vues de la
routine, qu’il recule devant l’innovation la plus utile et la plus inoffensive.
L’exemple des temps anciens, l’autorité des essais récemment tentés chez
plusieurs peuples, rien ne l’émeut et l’intéresse ; il ne reste plongé dans son impassible
immobilité et semble n’avoir d’autre mission que d’empêcher le
progrès de se faire jour dans ce pays.
Vous le
voyez, messieurs, le gouvernement n’a seulement pas examiné une seule des
graves questions qui se rattachent à l’organisation militaire ; réforme de
notre système de recrutement, question des forteresses, question de stratégie,
question de la garde civique, question de l’application de l’armée à des
travaux publics ; toutes ces questions qui se lient si intimement à nos
institutions militaires, non seulement elles n’ont pas été résolues, mais elles
n’ont pas même été posées jusqu’ici par le ministère.
L’honorable
rapporteur, pour justifier ses assertions, vous disait, au commencement de la
séance, qu’il aurait fallu deux années entières pour résoudre toutes les
questions qui se rattachent à notre organisation militaire.
Mais ne
valait-il pas mieux consacrer deux années à préparer une réorganisation
militaire, rationnelle et complète, que de l’étrangler comme vous le faites
dans un premier projet de loi de 7 articles ? Ce projet n’organise rien,
il n’aborde aucun question, il ne résout aucune des difficultés, il ne garantit
ni l’inviolabilité du territoire ni l’indépendance du pays. Il enchaîne pour le
présent et pour l’avenir le libre arbitre de la chambre, voilà tout. Que la
chambre le repousse donc, et qu’en rejetant ce projet incomplet et dangereux,
elle rappelle le gouvernement à l’exécution de la promesse que
Il me
resterait beaucoup de choses à dire sur le fond même de la question, sur nos
institutions militaires, sur notre neutralité et sur ses conséquences, sur le
caractère des armées permanentes et sur les éventualités de guerre et d’invasion
qu’on paraît redouter pour notre pays,
mais pour cela il faudrait que le projet d’organisation qui nous est présenté
fût complet et fût sérieux. Tel qu’il est, ne résolvant aucune question, ne
posant pas même les préliminaires du problème, il me paraît indigne d’un examen
sérieux et approfondi et il ne peut avoir d’autre résultat que de menacer
l’indépendance de la chambre.
Je m’arrête
donc, messieurs, et je me contenterai, dans l’intérêt du pays, de nos
prérogatives, de l’armée elle-même, de repousser d’une manière absolue le
projet de loi.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Jusqu’à quel point la chambre sera-t-elle enchaînée, pour me servir de
l’expression que l’honorable préopinant a plusieurs fois reproduite ? C’est
à ce seul point que je vais m’attacher. La loi donnera de la sécurité à
l’armée ; les cadres seront fixés ; le pays sera préparé contre les
éventualités de l’avenir autant qu’il lui est permis de le faire d’après ses
ressources. Chaque année les chambres seront appelées à mettre à la disposition
du gouvernement les moyens d’exécution de cette loi. Ces moyens d’exécution
sont de deux espèces : les hommes et l’argent. Les hommes sont mis à la
disposition du gouvernement par la loi du contingent de l’armée ; et
l’argent est mis à la disposition du gouvernement par la loi du budget. Cet
deux lois, la chambre sera appelée à les voter annuellement, jusqu’au jour où
le gouvernement se sera placé dans une position que vous a décrite l’honorable
membre, c’est-à-dire jusqu’au jour où le gouvernement aura abusé des forces
militaires du pays. Alors les chambres arrêteront le gouvernement, elle feront
bien d’arrêter le gouvernement.
L’honorable
membre, qu’il me soit permis de le lui dire, est toujours dominé par une idée,
c’est que le gouvernement quel qu’il soit, les gouvernements quels qu’ils
soient, sont enclins à abuser des pouvoirs mis à leur disposition, à abuser des
forces mises à leur disposition.
M. Castiau – C’est mon argument principal.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) – C’est
votre argument principal. Eh bien, n’exagérez pas cette idée ; sans quoi
vous en arriverez à cette conséquence qu’il ne faut pas de gouvernement.
Selon
l’honorable membre, le pays n’est jamais plus fort que lorsque le gouvernement
est très-faible. Moi je dis, messieurs, qu’il ne faut pas se jeter ni dans l’un
ni dans l’autre extrême, qu’il faut des forces, des pouvoirs, des droits au
gouvernement, précisément parce qu’il faut qu’il y ait un gouvernement. La
chambre, la majorité ne se montrera pas dominée par l’idée favorite, je (page
1282) dois le dire, de l’honorable préopinant. N’allez donc pas,
messieurs, vous alarmer par les considérations que vous a présentées l’honorable
membre. Chaque année, je le répète, vous mettrez à la disposition du
gouvernement les moyens d’exécution de la loi qui vous est demandée
aujourd’hui. Cette loi donne de la sécurité à votre armée ; je n’hésite
pas à le dire, d’après la position géographique que vous occupez en Europe,
c’est l’armée belge surtout qui doit avoir une certaine sécurité. Vous la lui
assurez par cette loi.
L’honorable
membre vous a fait, à son tour, le programme d’une organisation militaire,
vaste programme, messieurs, que nous aurons bien de la peine à remplir !
Notre ambition ne va pas jusque-là. Nous nous estimons déjà heureux, quand nous
pourrons satisfaire aux nécessités du moment. Une loi de ce genre se présente
chez l’honorable membre, avec un espèce de caractère encyclopédique ; tout
devrait y trouver place, la milice, la garde civile, les travaux publics, la
question des forteresses. Et cependant, messieurs, cette loi ne serait pas à
l’abri du vote annuel. Il faudrait encore, pour que l’honorable membre restât d’accord
avec lui-même, que cette loi si péniblement élaborée fût chaque année remise en
doute. Si, messieurs, nous parvenions à produire une œuvre de ce genre, j’avoue
que je demanderais pour elle l’immuabilité la plus complète.
La loi, messieurs,
qui vous est proposée, laisse intactes vos prérogatives. Elle satisfait à une
disposition de
Cette loi,
messieurs, on la repousse au nom des prérogatives parlementaires, parce que ,
dit-on, désormais elle donnera une position trop forte au gouvernement. Et
cependant quelles sont les personnes qui, dans cette chambre, veulent appliquer
le même système à toutes les parties de l’administration publique ?
Rappelez-vous, messieurs, les dernières discussions des budgets. N’a-t-on pas
dit au gouvernement qu’il devait faire des lois organiques de tous les
départements ministériels, des lois organiques du chemin de fer, des lois
organiques de toutes les branches de l’administration publique ? Et
pourquoi donc vouloir ces lois, si d’un autre côté elle vous dépouillent de
toutes vos attributions ? Un honorable membre que vous avez entendu tout à
l’heure, vous a même rappelé qu’il était plus que temps de finir le cadre de
certaine administration publique qu’il a indiquée, je crois, celle du chemin de
fer.
Je ne sais,
si nous en arriverons là un jour. Mais il faudrait au moins que l’on fût
d’accord avec soi-même. Si d’une part, vous repoussez une loi d’organisation de
l’armée, fixant les cadres de l’armée comme attentatoires aux prérogatives
parlementaires, alors, d’un autre côté, ne venez pas demander des lois
organiques de toutes les administrations publiques.
M.
Castiau – C’est sur la question d’avancement
qu’il faut une loi. Il faut empêcher l’arbitraire du ministre.
M. le ministre de la guerre
(M. Du Pont)
– Il y a une loi
sur l’avancement.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’est
pas question, dans la loi actuelle, de régler l’avancement. L’avancement est
réglé par la loi de 1836.
M. Castiau – Je ne suis pas l’auteur de la proposition à
laquelle M. le ministre vient de faire allusion et qui, jusqu’ici, n’est encore
qu’en projet ; mais je crois pouvoir affirmer que le but de cette
proposition est bien moins de fixer les cadres des administrations que de
déterminer les conditions pour l’admission et l’avancement dans la carrière
administrative. Ce n’est que sous ce dernier point de vue qu’elle obtiendrait
mon approbation.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) – Il faut
avouer, messieurs, que c’est faire au gouvernement une position extrêmement
difficile. Qu’a-t-on demandé pendant nombre d’années ? On a demandé une
loi fixant les cadres de l’armée. Cette loi vous a été proposée. Nous
expliquons quelle sera sa portée pour l’armée : elle lui donne de la
sécurité ; ce sera un bienfait pour l’armée et par suite même pour le
pays. Elle laisse intacte deux de vos prérogatives qui constituent à mettre
chaque année à la disposition du gouvernement les hommes et l’argent. Ces deux
lois, vous les voterez jusqu’au jour où le gouvernement aura abusé des forces
militaires.
Que
craignez-vous, donc, messieurs ? Si la loi du contingent de l’armée était
rejetée, si même elle était seulement tenue en suspens jusqu’au 1er
janvier, car vous n’avez pas besoin de la rejetez, vous mettriez le
gouvernement, par votre inertie, dans l’impossibilité d’exécuter la loi. Il ne
faut pas même un acte formel de votre part. laissez passer le 1er
janvier sans que la loi sur le contingent de l’armée soit renouvelée, ou bien
laisser passer le 1er janvier sans que le budget soit renouvelé, et
que devient le gouvernement avec la loi d’organisation dont on vous
effraye ?
En un mot
cela se résume chaque année à une question de confiance à l’égard du
gouvernement. Rien de plus.
Vous voyez
donc à quoi se réduisent les observations de l’honorable membre. Nous insistons
sur ce point, c’est que la loi d’organisation de l’armée a été présentée sur la
demande de la chambre. Cette loi a pour caractère principal (il ne faut rien
exagérer) de donner à notre armée une sécurité qui lui a manqué jusqu’à
présent.
- La séance
est levée à 4 heures et demie.