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Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre (notamment pétition relative à la restitution du
droit d’accise sur la bière (David))
2) Projet de loi sur l’organisation de l’armée. Discussion générale. Nombre de militaires, portée de la loi au regard du prescrit de la constitution, question des forteresses (Rogier), chiffre du budget de l’armée, portée de la loi (d’Huart), répartition proposée des cadres militaires et des armes (du Pont), portée de la loi, loi sur la milice (Manilius), chiffre du budget de la guerre, rôle moral et social de l’armée, école militaire (de Mérode) loi sur la milice (de La Coste)
(page 1308) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure. La
séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de
la séance d’hier; la rédaction en est approuvée.
Pièces adressées à
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le conseil communal de Liége demande le rejet des propositions de loi sur les céréales.
« Même demande des habitants de Herve et de Flémalle-Grande. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de ces propositions.
__________________________
« Plusieurs habitants de la commune de Heer se prononcent en faveur de la proposition de loi sur les céréales, présentée par 21 membres. »
- Même renvoi.
__________________________
« Plusieurs habitants de diverses communes du canton de
Perwez demandent qu’il soit stipulé dans l’acte de concession du chemin de fer
entre Jemeppe et Louvain, qu’il sera établi une grande station au point
dit :
- Renvoi à la commission des pétitions.
___________________________
« La veuve Feye, brasseur, à Hodimont, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir la restitution des droit d’accises qu’elle a payés en trop sur ses fabrications des années 1841 à 1843. »
M. David – Messieurs, la veuve Feye réclame la restitution du droit d’accise qu’elle a payé indûment sur la fabrication de sa bière de 1841 à 1843. Il y a eu plusieurs procès intentés pour le même objet, pour obtenir une restitution semblable. Ces procès ont été gagnés contre le département des finances qui, par suite, a restitué les droits perçus indûment. La veuve Feye ne s’est pas trouvée alors parmi les plaignants ; elle demande l’intervention de la chambre pour obtenir la restitution à laquelle elle a droit en vertu de la chose jugée à propos d’autres réclamants. Je crois qu’il était inutile de réclamer l’intervention de la chambre ; la réclamante, ne pouvant pas être traitée autrement que les autres brasseurs par le gouvernement, doit recevoir le remboursement de ce qu’elle a payé en trop. Cette considération me fait demander le renvoi pur et simple au ministre des finances afin qu’il y fasse droit.
M. le président – C’est contraire au règlement.
M. David – Puisque M. le président y trouve un obstacle, je demande que la commission soit invitée à faire un très-prompt rapport sur la pétition de la veuve Feye, qui ne demande qu’une chose très-juste.
- Le renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire un très-prompt rapport, est mis aux voix et prononcé.
______________________
« Par message, en date du 9 avril, le sénat informe la chambre qu’il a pris en considération 23 demandes de naturalisation ordinaire, et qu’il a rejeté les demandes en naturalisation ordinaire faites par les sieurs Mongenet et Huyaux. »
- Pris pour notification.
_____________________
« Il est fait hommage à la chambre, par M. Jobard, directeur du Musée de l’Industrie, de 100 exemplaires d’une brochure « Sur les modèles, dessins et tissus de fabrique. »
- Ces exemplaires seront distribués à MM. les membres de la chambre.
______________________
« M. de Renesse retenu chez lui par une indisposition, informe la chambre qu’il ne peut assister à la séance. »
- Pris pour information.
Discussion générale
M. Rogier – Le rôle
des défenseurs de l’armée est devenu plus facile, leurs luttes semblent avoir porté
ses fruits. La chambre, en majorité, reconnaît aujourd’hui la nécessité d’une
armée capable de protéger et de défendre efficacement cette neutralité
sincère, loyale et forte, base de notre existence politique en Europe.
A quelles
causes attribuer cette situation nouvelle des esprits ? j’en veux signaler
trois. D’abord l’attitude d’une grande partie de l’opposition. Elle a fait
violence à de légitimes défiances ; elle a soutenu le gouvernement, et son
exemple n’a pu rester sans influence sur les dispositions de la majorité. La
presse, la presse de l’opposition, a joué un rôle, non moins utile. Si des
idées plus favorables à l’armée tendent à prévaloir, son action n’y est pas
étrangère, et l’on se rappellera notamment les travaux remarquables d’un recueil
dont la direction appartient à l’un de nos honorables collègues. Enfin, il est
une troisième cause à ce revirement d’opinion, et ce ne fut pas la moins
influente.
La conduite
du général de Liem, mort vaillamment sur la brèche en défendant l’armée, sa noble
persévérance et sa retraite honorable ont produit une vive impression. Ce
n’était point le caprice d’un esprit aventureux ; ce n’était point l’effet
d’un amour-propre froissé. Homme d’une fermeté sage et d’une modestie vraie, le
général de Liem n’a pu céder qu’à des convictions profondes et à l’entraînement
du devoir, et dès lors, beaucoup d’hommes de bonne foi ont dû faire un retour
sur eux-mêmes et se demander si peut-être ils n’avaient pas été trop loin.
S’il en est
ainsi, et je le crois, la retraite du général de Liem n’a pas été seulement un
bel exemple, ça été encore une bonne action. Et voilà ce qu’on gagne, dans les
régions du gouvernement, à se conduire avec suite, fermeté et résolution.
Qu’on ne croie
pas, messieurs, qu’en m’exprimant de la sorte sur ce général, j’obéisse à
quelque influence de relations personnelles. Je n’ai pas l’honneur de connaître
particulièrement l’ancien ministre. Ce que j’honore en lui, c’est une
conviction qui ne varie pas au gré de l’intérêt personnel.
Et loin de
moi l’idée, en rendant hommage à un ministre tombé, de vouloir rabaisser son
honorable successeur. Je reconnais au général du Pont les intentions les plus
droites ; je ne mets en doute ni son dévouement à l’armée, ni son
dévouement au pays ; je veux seulement savoir si, en acceptant la
succession du général de Liem, il a mesuré toute la portée de la mission qu’il
acceptait.
En présence
des diverses propositions qu’il nous a soumises, et qui s’éloignent notablement
de celles de son prédécesseur, je dois lui demander s’il a la certitude
complète d’arriver au même but avec des moyens plus restreints.
Qu’on ne le
perde pas de vue, le général de Liem déclarait, c’est la section centrale
elle-même qui le rappelle, il déclarait, dans un rapport au Roi, avoir poussé
les réductions jusqu’à leur dernière limite.
« V.M.,
disait-il, en accordant sa sanction à ces divers arrêtés, tant pour
l’organisation de l’état-major que pour les différentes armes, consacrera pour
l’armée un état normal établi, d’après les exigences les plus impérieuses (p.
1309) du service, dans les limites des ressources financières
qu’on peut y consacrer. »
Donc, on
était arrivé aux dernières limites. Pouvait-on dès lors aller au-delà et
répondre encore aux exigences les plus impérieuses du service ?
Le système
du général du Pont se présente avec le côté attrayant que voici : Aux
29,500,000 fr. réclamés par le général de Liem, il substitue une demande de
28,130,000. Donc réduction, 1,370,000.
Certes, je
m’associerai toujours avec empressement à toutes les économies utiles. L’armée
est une charge pour le pays, et je suis très-disposé à alléger celle-ci comme
toutes les autres. Mais M. le ministre de la guerre comprendra qu’ayant été
amenés à soutenir, il y a deux ans, un chiffre plus élevé, nous devons avoir à
cœur d’être éclairés sur l’espèce de revirement d’opinion qu’on nous demande.
Le gouvernement nous a fait, à plusieurs de mes amis et moi, une position
délicate. Adopter les propositions nouvelles, sans explications suffisantes et
pleinement rassurantes sur leurs résultats, ne serait-ce pas nous exposer à un
reproche d’inconséquence, et reconnaître implicitement que sur les pas du
gouvernement, nous avions inconsidérément engagé les deniers de l’Etat au delà
de ses véritables besoins ?
Si les
explications n’étaient pas pleinement rassurantes, si les réductions qu’on
propose étaient de nature à porter préjudice à la bonne organisation de
l’armée, loin d’y applaudir, nous ne pourrions que les regretter. Epargner
d’une part 1,370,000 francs, et compromettre par cette épargne 28,130,000 fr.,
ce serait une économie de la pire espèce.
Si je ne me
trompe, les réductions principales portent sur trois points : 1° Réduction
de la solde du soldat ; 2° diminution du nombre d’hommes appelés sous les
armes ; 3° suppression de deux compagnies dans les bataillons de réserve.
Quant à la
réduction de solde, nous pourrons attendre la discussion du budget de la guerre
pour discuter cette importante question.
Remarquons
seulement en passant qu’il y a quelque chose de grave à imposer des sacrifices
aux classes de l’armée qui n’y figurent pour la plupart qu’en exécution d’un impôt qui leur paraît
déjà bien lourd, d’un impôt qu’on pourrait dire peu équitablement réparti.
N’accoutumons pas le peuple à cette idée, que son bien-être ne tiendrait pas
autant à cœur au pouvoir que celui des classes plus élevées.
La deuxième
source d’économie résulte de la diminution du nombre d’hommes appelés sous les
armes. M. le ministre a-t-il la certitude que cette réduction peut se concilier
avec les nécessités du service ? Voyons à cet égard quelle était l’opinion
de son prédécesseur :
« Les
compagnies d’infanterie, disait le général de Liem répondant à la section
centrale, loin d’offrir la consistance qu’il serait désirable de leur voir dans
l’intérêt de l’instruction et du service, n’ont pas même le personnel
nécessaire pour assurer aux soldats les nuits de repos que leur accordent les
règlements. Cet état de choses compromettant à la fois la santé du soldat et
l’avenir de l’arme de l’infanterie, il était urgent d’y remédier par une
majoration d’effectif à tenir sous les armes, ce qui nécessite une augmentation
de 633,980 rations à 16 centimes. »
Je passe au
troisième moyen d’obtenir des économies. Il consiste dans la suppression de
deux compagnies dans les bataillons de dépôt.
Déjà le
général de Liem avait réduit les compagnies de ces bataillons de 6 à 4. On les
réduirait aujourd’hui de 4 à 2. Cette nouvelle restriction apportée aux cadres
est-elle prudente ? M. le ministre est-il bien convaincu que dans ces
cadres ainsi restreints, il pourra convenablement enfermer, dans un moment
donnée, ses 80,000 hommes ?
Ici j’aurai
à invoquer, contre la proposition du ministre, une opinion redoutable :
celle de la commission militaire, dont le rapport est déposé sur le bureau de
la chambre. Le voici en quelques lignes.
« Le
chiffre de 80,000 hommes, fixé par la loi pour le complet de guerre de l’armée,
est une illusion, sous le rapport de ses cadres constitutifs qui
ne comportent pas ce nombre. »
Quand la
commission tenait ce langage, elle se trouvait, pour ne parler que de
l’infanterie, en présence d’un cadre de 1784
officiers (chiffre du budget de 1842) et ce cadre lui paraissait
insuffisant pour supporter l’effectif réel du pied de guerre.
Qu’eût dit
la commission si elle s’était trouvée en présence des cadres d’infanterie qu’on
nous propose de fixer aujourd’hui par une loi permanente, et dont l’effectif ne
s’élève plus qu’à 1362 officiers, tout compris, médecins, intendants, etc.
Ces cadres,
dit-on, ne sont fixés que pour le pied de paix. Mais s’il s’agissait de porter
l’effectif au pied de guerre, où trouverait-on les 422 officiers nécessaires
pour arriver seulement au chiffre de 1784, à ce chiffre jugé illusoire
par la commission ? Serait-ce dans les rangs des sous-officiers ?
Mais alors par quoi remplirait-on cette énorme brèche ? Pour compléter les
cadres supérieurs, ne faudrait-il pas anéantir en partie les cadres inférieurs
sur lesquels repose la force des compagnies ? J’exprime des doutes. Ils
sont graves et d’autant plus cette fois qu’ils prennent leur source dans les
affirmations d’une commission spéciale dont faisait partie, entre autres, deux
officiers, aujourd’hui membres du cabinet, et un général ancien ministre et
aujourd’hui ministre d’Etat.
Il est
enfin une réduction qui ne me laisse pas sans quelque inquiétude sur ses
résultats. Je veux parler de la suppression d’un sous-lieutenant par compagnie.
Cette réduction avait été consentie, je le sais, par le général de Liem, qui
faisait preuve en ceci d’une grande condescendance.
Les
sous-lieutenants sont les premières portes ouvertes aux sous-officiers et aux élèves de notre école. En supprimer une
sur deux par compagnie, n’est –ce pas là, en quelque sorte, leur fermer la
moitié de la carrière ? N’est-ce pas jeter parmi eux le
découragement ?
On a parler
du découragement des officiers. Le moral des sous-officiers et des élèves,
n’est-il pas aussi précieux à entretenir ? Déjà les sous-officiers ne sont
que trop enclin à abandonner la carrière. Si je suis bien informé, il se fait
dans les rangs des vides considérables. Il faudrait pour eux multiplier les
chances d’avancement, agrandir les avantages du service militaire. Ne fait-on
pas ici tout le contraire de qu’il y aurait
faire ?
Je ne veux
pas apporter dans cette discussion aucun sentiment hostile à M. le ministre. Je
souhaiterais n’avoir que des félicitations à lui adresser ; mais pour lui
donner mon vote en toute sûreté de conscience, je tiendrais à voir éclaircir et
détruire les doutes que je lui soumets, doutes qui me sont suggérés par
l’examen de son système tel qu’il résulte du budget de 1845, combiné avec le
projet de loi, que l’on décore du titre d’organisation de l'armée.
J’examinerai
le plus rapidement possible ce projet de loi. Evidemment son titre est trop
ambitieux. Le magasin ne renferme pas ce que l’enseigne promet. On annonce une
organisation de l'armée et on fournit quoi ? une loi dont le but unique
est de renfermer dans des limites fixes le nombre de nos officiers. J’en ai
fait la remarque dans ma section. Cette loi peut avoir son côté utile, je ne le
nie pas, mais n’en exagérons pas la portée.
On nous
l’apporte, dit-on, en exécution de l’art. 139 de
Voici donc
une loi d’organisation de l’armée à laquelle manque, d’après la commission, son
élément le plus essentiel.
Cet avis de
la commission sur le recrutement de l’armée a été évidemment inspiré par l’art.
118 de
« Le
mode de recrutement de l’armée est déterminé par la loi. Elle règle également
l’avancement, les droits et les obligations des militaires. »
L’art. 139 a-t-il
voulu autre chose que recommander comme urgentes les lois à faire en vertu de
l’article 118 ? A-t-il entendu par organisation de l'armée la fixation des
cadres ? Il est permis d’en douter. Mais il n’a, certes, pas abrogé
l’article 118, qui veut que le mode de recrutement soit déterminé par la
loi ; Et la commission déclarant que ce mode de recrutement constitue
l’élément le plus essentiel d’une bonne organisation de l’armée, il suit que,
pour répondre au vœu de
Une autre
grande question qu’on laisse en dehors de cette prétendue loi d’organisation,
c’est celle des forteresses. On aura beau dire, il est impossible de nier la
connexité qui existe entre ces deux moyens de défense, l’armée et les
forteresses. Les auteurs du traité du 14 décembre 1831 n’ont pas méconnu, eux,
cette connexité.
Il est
dangereux et inopportun, dit-on, de soulever la question des forteresses. Mieux
vaut la laisser dormir.
Dans une de
nos dernières séances, Monsieur le ministre de l'intérieur a dit quelques mots
sur cette question. Il en a parlé avec une sorte de mystère menaçant peu fait
pour rassurer le pays. Elle se présente, a-t-il dit, avec toutes les chances de
complications extérieurs qui l’on accompagnée depuis le premier jour. Il
semblerait, d’après ce langage, que des rivalités et des divergences existent
encore entre les grandes cours à ce sujet, et que la convention de 1831 n’a
pas, aux yeux de toutes, la même force obligatoire. S’il en est ainsi, ne
vaudrait-il pas mieux aborder la difficulté aujourd’hui que la paix et la
concorde règnent autour de nous, que de l’exposer aux chances d’un avenir
incertain ? Mais, messieurs, l’inaction du ministère a reçu une autre
explication. Le bruit a couru, il y a un an, dans les rangs de l’armée, que M.
le ministre de la guerre était en désaccord avec ses collègues, sur cette
question des forteresses. Comme la plupart des officiers de son arme, il
voulait, disait-on, qu’on les conservât toutes, tandis que ses collègues
auraient voulu la démolition de celles que condamna le traité de 1831.
L’inexécution du traité tiendrait dès lors beaucoup plus à des complications
intérieures qu’à des complications extérieures. Et ici on ne peut se défendre
de faire un triste retour sur le passé.
La question
du territoire dormait aussi. Elle s’est réveillée, et Dieu sait à quel prix
pour
Non, tant
que cette question reste pendante, on ne peut pas dire qu’il y ait sécurité
complète pour nous au point de vue extérieur, on ne peut pas dire surtout que
la question militaire soit pour nous résolue.
(page 1310) La question du recrutement
et celle des forteresses étant tenues en dehors du projet de loi, à quoi se
réduit-il ?
C’est,
d’une part, une limitation à la faculté de conférer des grades, et sous ce
rapport, on s’est demandé si la prérogative royale ne se trouvait pas entamée
par ce projet.
C’est, d’autre
part, le contingent des officiers rendu en quelque sorte permanent et soustrait
en principe au vote annuel des chambres.
La
prérogative royale est-elle entamée ? je ne le pense pas. En donnant une
limite légale au contingent des officiers, la chambre reste pleinement dans son
droit, et ne peut se soustraire au devoir constitutionnel de fixer chaque année
le contingent des troupes. Le droit de voter chaque année les subsides en
hommes et en argent est inaliénable, et c’est à tort qu’on soutiendrait qu’à
l’avenir le vote du budget de la guerre serait, en quelque sorte, une simple
formalité.
Qu’on ne se
fasse donc pas trop d’illusion sur la portée de la loi. Sans doute elle donne
une certaine fixité aux cadres de l’armée, et c’est là son côté utile. Si l’on
veut une armée, il lui faut des cadres ailleurs que sur le papier. Et comme les
officiers ne s’improvisent pas, il faut bien que ces cadres soient permanents.
C’est la charpente de l’édifice. Nous devons la vouloir solide.
Le projet
de loi aura aussi pour effet de donner aux officiers plus de sécurité sur leur
position, et c’est encore là un avantage. Toutefois, MM. les officiers, j’en ai
pour garant leur honneur, ne considéreront pas cette loi comme un coussin
commode sur lequel ils peuvent s’endormir tranquillement, s’en remettant au
temps seul du soin de leur avancement. La fixité dans les cadres ce n’est pas
l’inamovibilité, l’inviolabilité. Chaque année le vote du budget des voies et
moyens et celui des dépenses fournit aux chambres l’occasion d’apporter des
remèdes aux abus, et l’armée n’échapperait pas aux sévérités du parlement, si,
par un relâchement, dont je repousse la probabilité, si par un relâchement dans
sa conduite, dans son instruction, dans son zèle, elle venait, ce qu’à Dieu ne
plaise, à manquer à sa mission et à démériter du pays.
On a parlé
dans cette discussion, messieurs, des mauvaises habitudes qui s’étaient
introduites dans l’armée ; on a signalé la brutalité des chefs envers les
inférieurs, on a été jusqu’à prononcer le mot odieux d’espionnage. M. le
ministre de la guerre n’ a pas répondu suffisamment, d’après moi, à ces
reproches graves.
M. le ministre de la guerre
(M. Du Pont) - Cette réponse se trouvait dans mes notes. Je
l’ai omise par mégarde. Je prie l’honorable membre de croire que tant que je
serai ministre de la guerre, je n’autoriserai pas l’espionnage ; je
n’userai pas de l’espionnage.
M. Rogier – Je suis
heureux d’avoir provoqué cette réponse. Je comptais trop sur sa loyauté pour
croire qu’il ait pu mettre en usage de tels moyens.
M. le ministre de la guerre
(M. Du Pont) – Tous les renseignements me parviennent par la
voie hiérarchique. Ce sont les chefs que je consulte pour tous les renseignements
dont j’ai besoin.
M. Rogier – Je
remercie l’honorable général de cette explication. Mais il conviendra qu’après
ce qui avait été dit, cette explication était nécessaire. Si des abus
existaient dans l’armée, je serais le premier à appeler, de la part de M. le
ministre de la guerre, une répression sévère, comme je l’engage aussi à
répondre aux reproches immérités, qui pourraient être articulés contre elle.
Des
écrivains étrangers ont parlé de notre armée en termes peu flatteurs ; ils
se sont principalement attaqués aux officiers sortis de la révolution.
Je professe
une égale estime pour tous les officiers, quelle que soit leur origine ;
mais j’ai à cœur de défendre particulièrement ceux qui ont été attaqués. J’en
connais beaucoup et des plus distingués et des meilleurs qui peuvent défier
toute comparaison avec les officiers étrangers, soit pour l’intelligence, soit
pour le courage, soit surtout pour le dévouement à leur pays. Et sans aller
chercher les exemples bien loin, la chambre ne voit-elle pas en ce moment dans
son sein, sur ses bancs et à côté de M. le ministre, des officiers sortis de la
révolution, qui protestent assez par leur seule présence contre ces accusations
calomnieuses ? Non, non, l’armée belge ne mérite pas de pareils
reproches ; la calomnier, c’est calomnier le pays dont elle est
l’émanation la plus énergique ; c’est calomnier nos institutions sous
l’influence vivifiante desquelles elle a été appelée à se fortifier et à
fleurir. C’est une vertu de nos institutions libres de développer les
intelligences, de classer les mérites et de substituer au règne du privilège,
le règne de la capacité. Que l’armée ne l’oublie pas.
J’aime
l’armée. Ce n’est pas un sentiment né d’hier. J’ai figuré un moment dans ses
rangs pour une cause et une époque qui tiendront toujours la première place
dans mes souvenirs. Et si j’aime l’armée, ce n’est pas seulement parce que je
la sais prête à défendre l’indépendance nationale, les libertés publiques et
l’ordre constitutionnel sans lequel il n’y a pas de vraie liberté.
C’est là
sans doute une belle mission. Elle en a encore une autre.
L’armée, je
n’hésite pas à le dire est le plus grande levier de la civilisation forte du
pays. Dans les classes inférieures qui en forment la base, elle fait naître ou
développe le sentiment de l’ordre et du devoir. A tous ses degrés, dans tous
ses rangs, elle stimule, elle développe les intelligences et tous ensemble la
discipline ; elle soumet à un joug utile les caractères fortement trempés,
mais elle relève les faibles et n’en dégrade aucun. J’entends surtout parler de
l’armée d’un peuple libre.
Si les
sentiments généreux, si le dévouement, si le point d’honneur politique ou privé
venaient à faillir dans le pays, ils trouveraient, laissez-moi l’espérer, un
refuge dans l’armée. Si l’esprit public allait s’affaiblissant, si l’esprit
national, sous l’empire de circonstances déplorables, allait se dépravant,
l’armée, oh ! je l’espère encore, en conserverait le précieux dépôt, pour
le rendre, au jour marqué, à la patrie. L’armée, c’est le cœur, c’est le bras
du pays, c’est sa jeunesse, c’est sa sève, c’est, si je puis dire, sa santé.
Voilà
pourquoi j’aime l’armée, pourquoi je la défends, pourquoi je tremble quand on y
touche, pourquoi je ne verrais qu’avec un regret profond qu’on ne fit encore
pour elle que du provisoire et de l’incomplet.
M.
d’Huart – Ainsi que vient de le dire l’honorable M. Rogier, dans le grave débat
qui nos occupe, messieurs, il est un point fondamental sur lequel tous, ou du
moins presque tous, nous sommes aujourd’hui d’accord, c’est qu’il est
indispensable que
Aussi,
messieurs, si l’organisation militaire propre à assurer ces conditions pouvait
être réglée abstractivement, la chose serait simple et facile ; mais la
situation, pour être bonne, doit, en garantissant la sécurité du pays, se
coordonner avec les restrictions qui déterminent les ressources en hommes et en
argent dont il dispose, et notre devoir nous commande impérieusement d’éviter à
la fois d’excéder les moyens de défense rigoureusement nécessaires, et d’user
d’une parcimonie qui serait en dessous de proportions raisonnables avec notre
population et nos finances.
Quelle est
donc la composition de l’armée qui satisfasse aux exigences de la
situation ?
Heureusement,
messieurs, que pour ceux qui, ainsi que moi, n’ont point l’avantage de posséder
des connaissances spéciales en matière militaire, les hommes compétents soient
unanimes sur deux bases essentielles et qu’ainsi, nous en rapportant sans
défiance à leur jugement, nous puissions être bien fixés sur les points de
départ.
En effet,
le gouvernement qui, du reste, à aucune époque n’a, je pense, varié à cet égard,
vient nous déclarer que la force numérique de l’armée doit être de 80 mille
hommes en temps de guerre, et approximativement des deux cinquièmes de ce
nombre en temps de paix, c’est-à-dire dans l’état normal. La section centrale
qui, indépendamment de ses propres lumières, s’est entourée de tous les
renseignements qu’elle a jugés nécessaires, est unanimement d’avis que ces
bases sont parfaitement établies, et que, de même que quant aux rapports des
différentes armes entre elles, les propositions du gouvernement sont conformes
aux règles généralement admises chez toutes les nations qui connaissent le
mieux l’art de la guerre.
Pour une
semblable armée, quels doivent être les cadre d’officiers ? telle est la
question dont nous sommes saisis.
Heureusement,
encore une fois, il y a accord entre le gouvernement et la section centrale, et
qu’ainsi nous sommes tout à fait à l’aise pour nous prononcer ; je dis,
messieurs, qu’il y a accord entre le gouvernement et la section centrale, car
la différence très-peu importante des conclusions qui nous est soumise ne
provient que de quelques détails secondaires qui n’affecte en rien les
principes, et il sera d’ailleurs facile de démontrer, quand nous en serons
arrivés à l’examen de ces détails, que le résultat définitif, quant à la
dépense, sera sensiblement le même.
C’est donc
d’une somme normale de 28 millions que l’on nous demande de charger
annuellement le budget de l’Etat, pour pourvoir convenablement à toutes les
exigences militaires, en temps de paix, et pour nous assurer les moyens de
réunir utilement les forces supposées indispensables en cas de guerre.
Pour moi,
messieurs, j’avais longtemps espéré qu’une aussi forte partie de nos ressources
financières ne devrait pas être affectée au service ordinaire de l’armée, et
j’avais cru très-sincèrement qu’arrivé à l’état actuel de paix, il deviendrait
possible de régler définitivement cette allocation au montant de celle qui,
pendant plusieurs années, avait été indiquée globalement dans nos budgets,
comme devant un jour être très-approximativement la dépense normale ; mais
en présence des développements fournis par le gouvernement, des faits dont il
s’appuie ; en présence des déclarations si précises de la section
centrale, que nous savons animée des vues les plus sages d’économie, force est
de renoncer à la réalisation des prévisions que je viens de rappeler.
L’expérience,
au surplus, nous démontre maintenant que l’équilibre entre les recettes et les
dépenses de l’Etat peut comporter annuellement 28 millions pour l’armée, mais
qu’il ne serait point possible d’aller au delà sans aggraver les impôts, qu’il
serait plutôt désirable d’alléger.
Messieurs,
lorsque j’avais demandé la parole hier pendant le discours de M. Delehaye,
j’avais particulièrement en vue de répondre à une objection que cet honorable
membre faisait dans le moment contre le projet de loi en discussion ; ce
projet, disait l’honorable membre, ne satisfait en rien aux prescriptions de
Sans doute,
messieurs, le congrès a voulu une organisation complète comprenant tout ce qui
s’y rattache ; mais tout ne peut être fait en une (page 1311) fois et
la masse effrayante des divers projets qui, élaborés, attendent la discussion
dans les chambres, prouve que le temps n’a permis de terminer que le plus
pressé. Déjà nous avons voté la loi de 1836 et de 1838 sur la position,
l’avancement et la mise à la retraite des officiers ; nous sommes saisis
de projets de loi sur la garde civile, sur la milice ; le complément de
tout cela arrivera en son temps.
Nos lois
sur la milice ont même déjà été modifiées depuis 1830.
M. Rogier – J’ai dit
que
M. d’Huart –
L’honorable M. Rogier nous a dit que
Reprenant
ma réponse à M. Delehaye, je vais examiner si, en effet, ainsi que l’a prétendu
cet honorable membre, le projet qui nous est soumis n’est autre chose qu’un
abandon de prérogative de la part du gouvernement, si ce projet n’est rien dans
l’organisation de l’armée ?
Déjà M. le
commissaire du roi a parfaitement rappelé hier ce qui s’est passé dans cette
chambre ; il n’est pas douteux que la grande majorité de celle-ci a
manifesté plusieurs fois le désir d’obtenir la présentation d’une loi réglant
les cadres de l’armée. Il est sans doute libre à chacun de nous de se montrer
plus soucieux des prérogatives du gouvernement que le gouvernement
lui-même ; cela présente cependant quelque chose d’extraordinaire. Quoi
qu’il en soit, du reste, nous devons être aussi et toujours très-soucieux des
prérogatives et des devoirs que nous a légués
L’art. 139
de
Dans les
autres pays, dit-on, les gouvernements se réservent le pouvoir de régler les
cadres comme ils le veulent ; cela est possible, mais c’est que là on
n’est pas soumis aux mêmes obligations constitutionnelles. Du reste, les lois
d’organisation y sont régularisées par des actes du pouvoir exécutif qui, dans
la réalité, sont aussi stables que des lois, et il faut bien que des règles
fixes soient posées pour les cadres, car les hommes destinés à les remplir
successivement ne s’improvisent pas, il faut que de longtemps tout soit combiné
de manière à pourvoir à des besoins éventuels et bien déterminés à l’avance.
C’est en
vain, messieurs, que l’on invoquerait ce qui se passe en France pour combattre
l’opinion de ceux qui prétendent que notre gouvernement était obligé par sa
Constitution de nous soumettre la fixation des cadres.
La charte
française, en ce qui concerne l’armée, est bien différente de
« Il
sera pourvu successivement par des lois séparées et dans le plus bref délai
possible aux objets qui suivent :
« … 4°
Le vote annuel du contingent de l’armée ; 5° l’organisation de la garde
nationale avec intervention des gardes nationaux dans le choix de leurs officiers ;
6° des dispositions qui assurent d’une manière légale l’état des officiers de
tout grade de terre et de mer. »
Vous voyez,
messieurs, que le mot d’organisation ne s’y trouve pas, tandis que dans l’art.
139 de
Ainsi,
messieurs, vous le voyez, il n’y a pas de similitude entre les deux
dispositions.
Cependant,
qu’est-il arrivé en France ? C’est que, bien que le pacte fondamental
n’obligeât en rien, les chambres ont fait subir au gouvernement la loi du 4
août 1839 qui règle d’une manière invariable les cadres de l’état-major de
l’armée. Ainsi, dans un pays où l’on s’entend bien en matière militaire, les
chambres ont reconnu qu’il était nécessaire pour éviter les abus et avoir des
règles fixes, de déterminer et de fixer invariablement certains cadres dans
lesquels des abus pouvaient se commettre.
Du reste,
messieurs, quant à l’utilité d’une loi qui fixe les cadres (et c’est un point
essentiel qu’il ne serait pas inutile d’examiner lors même que
Il est bien
entendu cependant qu’à l’avenir si des abus existaient, et je prie l’honorable
M. Castiau de bien vouloir prêter quelqu’attention à l’objection que je crois
devoir faire à une partie du discours qu’il a prononcé dans une séance
précédente ; si des abus se commettaient, nous serions certainement libres
de les faire cesser. L’honorable membre nous a dit : Quand vous aurez une
loi vous serez liés et le vote du budget ne sera plus qu’une vaine formalité.
Mais, messieurs, ne nous restera-t-il pas un
moyen qui est toujours péremptoire, et qui domine tous les autres ?
Chaque année ne votons-nous pas les subsides et ne pourrions nous pas, comme en
France, si les abus étaient tels qu’il fallût en venir à un moyen extrême,
n’allouer les subsides que pour autant qu’il soit remédié à ces abus ?
Je pense
donc, messieurs, que cet inconvénient qui eût été très-grave s’il avait été
réel comme le craignait l’honorable M. Castiau, ne subsiste pas. Il n’y aura
pas certainement une fixité telle dans les cadres de l’armée qu’on ne pût faire
cesser les vices que leur organisation pourrait engendrer, et rien ne nous
empêchera non plus à l’avenir d’introduire dans l’armée telles améliorations
qui seraient jugées nécessaires. Pour cela, il est vrai, il faudra des motifs
sérieux, bien précis, et on ne s’occupera pas légèrement de semblables
questions, et par suite les chambres épargneront un temps précieux.
L’honorable
M. Castiau a été plus loin ; il a supposé que le contingent même de
l’armée allait devenir immuable ; mais il n’y a pas un mot dans le projet qui puisse nous lier à cet
égard. Nous serons libre de déterminer chaque année le contingent ; et
quant au montant total du budget, nous aurons même à examiner le nombre
d’hommes à appeler annuellement sous les armes. Car nous ne dirons en aucune
façon, dans la loi qui nous occupe, que l’armée sera invariablement de 30 ou de
35,000 hommes ; nous établissons seulement des cadres qui puissent suffire
à mettre sur pied en temps de guerre une armée convenable, et en temps de paix
à commander le nombre d’hommes nécessaire pour maintenir l’ordre et garder nos
forteresses.
Ainsi les
scrupules très-respectables qu’a manifestés l’honorable M. Castiau, ne
paraissent pas fondés et d’honorables préopinants se sont déjà exprimés dans le
même sens que moi à cet égard.
L’honorable
M. Rogier a fait, dans une partie de son discours, un grand éloge de M. le
général de Liem. Il a vanté sa franchise, sa fermeté, la force de ses
convictions.
Je ne veux
rien retrancher des paroles de mon honorable collègue sur ce point. J’apprécie
aussi, et j’estime infiniment les hommes disposés aux plus grands sacrifices,
pour rester fidèles à leurs convictions. Mais, messieurs, tout en me montrant
juste envers l’honorable M. de Liem, je ne veux pas être injuste envers
l’honorable général du Pont…
M. Rogier – Ni moi
non plus.
M. d’Huart – j’en suis
convaincu. Remarquez que ce que propose l’honorable général du Pont n’est pas
si éloigné de ce que demandait l’honorable général de Liem ; car en
définitive, il n’y a entre les demandes des deux généraux qu’une différence peu
sensible de 102 officiers principalement dans les grades subalternes.
On a dit, à
ce sujet, que, dans le rapport des généraux, le nombre des officiers, indiqué
comme nécessaire pour la mise de l’armée sur pied de guerre est supérieur de
plusieurs centaines à celui qu’on demande à présent.
Mais
l’honorable M. Rogier l’a reconnu lui-même, s’il y a un reproche particulier de
ce chef, il doit être appliqué à peu près autant au général de Liem qu’au
général du Pont.
Ce que je
désire constater, pour être juste envers l’honorable général du Pont, ne se
faisant pas exclusivement ministre de la guerre, c’est qu’examinant les
questions du gouvernement dans leur ensemble, il ne s’est pas refusé à faire
plier des exigences quelquefois extrêmes, en matière militaire, devant des
exigences plus respectables, parce qu’elles sont plus en harmonie avec
l’ensemble des conditions gouvernementales qui s’appliquent avec une égale
sollicitude à tous les intérêts du pays.
En nous
présentant la loi d’organisation des cadres, en obtenant cette loi des
chambres, l’honorable général du Pont aura rendu un service signalé à l’armée.
A l’avenir, toutes les défiances qu’on a cherché à semer en dehors des chambres
législatives, à l’égard de nos dispositions pour l’armée, toutes les
suggestions malveillantes qu’on s’est plus à répandre viendront à cesser, en
face de la position fixe et définitive qu’on aura donnée à l’armée et que
l’honorable général du Pont à amener.
Remarquez-le
bien, la difficulté principale du général de Liem vis-à-vis des chambres est
née de la persuasion où était ce général, à tort, que les chambres ne devaient
pas intervenir dans l’organisation des cadres de l’armée ; il s’était
arrêté à soutenir que cet objet rentrait exclusivement dans les attributions du
pouvoir exécutif, tandis qu’à peu près tous les membres de la législature était
de l’opinion, que le texte formel de
Messieurs,
avant de finir et pour appuyer encore la thèse que j’ai exposée tantôt, sur
l’utilité et la convenance de régler les cadres de l’armée par (page
1312) la loi, je vais m’emparer d’un argument qu’on a mis en avant
pour soutenir le système contraire. L’honorable M. Delehaye a dit :
« Tantôt on aura pour ministre de la guerre un général d’artillerie, et il
fera à l’artillerie la part la plus large ; tantôt on aura un général de
cavalerie, qui traitera cette arme avec plus de prédilection ; tantôt
enfin on aura un général d’infanterie qui voudra avoir proportionnellement plus
d’infanterie. » Eh bien, il ne faut pas ces fluctuations, ces
prédilections personnelles dans l’armée. Il faut une égalité parfaite de
sollicitude pour les différentes armes ; il ne faut pas que telle partie
du service soit réduite au profit de telle autre partie ; Or, la loi que
vous êtes appelés à voter, sera un obstacle puissant à cet égard. C’est encore
un avantage précieux qu’elle procurera.
M.
le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, je voudrais posséder
l’éloquence de l’honorable M. Rogier, pour le remercier dignement de la noble
sympathie qu’il nous a exprimée pour l’armée, et pour lui dire combien je
partage les sentiments qu’il a manifestés sur plusieurs points. Je m’associe
aux éloges qu’il a donnés au mérite et au dévouement des officiers de la
révolution que nous comptons dans nos rangs. Je reconnais qu’entre les
officiers nouveaux et les anciens il n’y a aucune différence, et qu’il n’en a
jamais existé à nos yeux. Des deux côtés, je remarque le même zèle, la même
ardeur pour leurs devoirs et pour tout ce qui peut contribuer au bien-être du
pays et à la bonne réputation de l’armée.
Je partage
également les sentiments que l’honorable M. Rogier vous a exprimé à l’égard de
l’honorable général de Liem ; messieurs, personne plus que moi n’a
regretté le vote qui a forcé ce général a quitté ce banc ; j’aurais, avec
lui, désiré que la chambre eût alloué les 29,500,000 francs. Mais, il faut bien
le dire, la retraite du général de Liem a créé une situation nouvelle.
Quand je
suis arrivé au ministère, la chambre avait exprimé énergiquement son refus de
voter la somme de 29,500,000 fr. Mon devoir a été d’examiner de nouveau cette
question ; j’ai dû rechercher jusqu’à quel point je pourrais céder aux
volontés de la chambre, sans compromettre la bonne organisation de l’armée. Je
devais examiner quelles étaient les limites des concessions que j’avais à
faire.
Si la
chambre était dans l’intention de voter des augmentations au budget que je lui
ai proposé, il ne pouvait naturellement y avoir d’opposition de ma part ;
mais il s’agit de m’opposer aux réductions qu’on propose. C’est le devoir que
je viens remplir, c’est le seul qu’il me soit donné d’accomplir.
L’honorable
M. Rogier vous a cité, à plusieurs reprises, le rapport de la commission dont
j’ai eu l’honneur de faire partie, commission qui avait été réunie par
l’honorable général de Liem. Je vais, messieurs, vous donner une récapitulation
des avis de cette commission. J’indiquerai en même temps jusqu’à quel point M.
le général de Liem a suivi les avis de la commission, jusqu’à quel point je m’y
suis moi-même conformé, et, dans quels cas, fort rares, je m’en suis écarté.
La
commission a été réunie en 1842 ; elle a formé son avis en se règlant
d’après le chiffre du budget de la guerre d’alors, c’est-à-dire, d’après le
chiffre de 29,500,000 fr. Tous les calculs de la commission ont été basés sur
cette hypothèse ; quant à moi, j’ai dû établir les miens dans un cercle
plus circonscrit.
Le rapport
de la commission se compose de plusieurs parties. Dans la première partie, on
trouve les idées individuelles : chacun des membres est venu apporter ses
propositions à la commission, qui, après avoir délibéré sur ces propositions
diverses, a pris ses conclusions. Je ne m’occuperai ici que de cette dernière
partie.
Dans
l’opinion de la commission, les cadres des bataillons de réserve étaient
inutiles ; la réduction d’un tiers des officiers sur les 49 bataillons
restants dans le but d’y introduire l’organisation par quatre compagnies devait
avoir un effet fâcheux. La commission était d’avis de maintenir 49 bataillons
actifs, et de conserver six compagnies par bataillon.
Je vais
examiner ces différents points.
La
commission avait trouvé les cadres de réserve inutiles. Eh bien, messieurs,
c’est conformément à cet avis, que l’honorable général de Liem s’est décidé à
supprimer deux compagnies, et que moi-même j’ai cru pouvoir en supprimer deux
autres, en ne conservant que les deux compagnies les plus importantes, savoir
la compagnie de dépôt proprement dite, et la compagnie d’école.
Quant aux
49 bataillons actifs, j’ai partagé entièrement l’avis de la commission ;
mes propositions, ainsi que celles du général de Liem, y sont tout à fait
conformes ; nous avons proposé la conservation des 49 bataillons actifs et
le maintien de six compagnies par bataillon.
La
commission avait émis le vœu qu’on envoyât en congé les trois quarts des
officiers des quatrièmes bataillons. Le général de Liem, et moi, nous avons
atteint ce résultat par la suppression des compagnies de réserve.
L’honorable
M. Rogier vous a parlé des inconvénients de ces suppressions, en disant que nos
cadres seraient insuffisants pour le pied de guerre. C’est pour parer à cet
inconvénient que j’ai proposé un cadre de réserve, précisément pour le nombre
de capitaines et de lieutenants supprimés. Il n’y a donc, de ce chef, avec le
projet du général de Liem que cette différence que ces officiers, au lieu de
toucher le traitement d’activité, en recevront les deux tiers, c’est-à-dire le
traitement de disponibilité.
Messieurs,
j’ai vivement regretté d’être obligé de réduire l’effectif de la compagnie
d’infanterie, tel qu’il était proposé par la commission, et de ne maintenir
celui du général de Liem que pendant la saison d’été ; il eût été de
beaucoup préférable de pouvoir porter cet effectif à 75 hommes. Mais me
trouvant dans la nécessité de faire des réductions dans le budget, j’ai dû
considérer une diminution dans l’effectif comme l’un des moyens principaux pour
arriver à ce résultat sans nuire au service.
La
commission, messieurs, a proposé la suppression de mille hommes des bataillons
de réserve. Cette réduction résulte de fait des mesures prises par le général
de Liem, et par moi quant aux compagnies de réserve.
La
commission a proposé la suppression du deuxième sous-lieutenant des compagnies
d’infanterie. Le général de Liem y avait consenti ; et la proposition que
j’ai eu l’honneur de faire est également basée sur cette suppression.
Messieurs,
à propos des nouvelles réductions des cadres que l’on a proposées dans le temps
et que l’on pourrait être porté à demander de nouveau, j’aurai l’honneur de
vous citer les pays où l’on admet sur pied de paix un effectif d’officiers
inférieur à celui du pied de guerre. Vous verrez alors que quelques-uns de ces
pays admettent la suppression d’un officier par compagnie sur pied de paix. En
présence de la nécessité qui nous dominait, nous avons dû admettre ce moyen.
Mais plus tard nous démontrerons qu’il n’est pas possible d’aller plus loin
dans ces suppressions, et nous nous appuierons nous-mêmes sur les arguments
présentés par l’honorable M. Rogier pour nous opposer à de nouvelles réductions
d’officiers, afin de ne pas rendre trop grande la difficulté qu’il y aurait à
compléter les cadres en cas de guerre.
Pour le
moment, il me suffira de faire observer que le chiffre d’officiers que je
propose diffère peu de celui qu’avait admis l’honorable général de Liem.
Je poursuis
l’examen des avis énoncés par la commission. La commission, quant à la cavalerie, a exposé deux systèmes de
conserver : dans cette arme les anciens cavaliers en plaçant les recrues
au dépôt et, en cas de non admission de ce système, de supprimer le dépôt et le
peloton hors rang et de placer immédiatement les recrues dans les escadrons.
Le 2e étant le plus économique et celui admis chez beaucoup de
nations, notamment en Prusse nous avons cru devoir l’adopter. La commission
était d’un avis favorable au maintien de six escadrons dans la cavalerie légère
et de quatre escadrons dans la grosse cavalerie. Nos propositions sont
conformes à cette opinion. Pour l’artillerie, la commission a été d’avis qu’il
y eût quatre régiments, comprenant dix-neuf batteries montées et vingt-quatre
batteries de siège. Nous nous sommes conformés, sur ce point, au travail du
général de Liem et de la commission.
Elle était
également d’avis de conserver le régiment du génie de dix compagnies tel qu’il
est à présent.
La
commission s’est prononcée pour le maintien des brigades des divisions
territoriales, des commandements de province, ainsi que pour le maintien des
généraux-majors et de colonels particulièrement chargés de ce commandement en
leur allouant un traitement inférieur à celui des généraux-majors employés dans
l’armée active.
Nous avons
admis ces principes dans nos propositions.
Pour
l’état-major, la commission a proposé 10 lieutenants-colonels, 18
généraux-majors.
Le général
de Liem avait porté au budget 10 lieutenants-généraux, 20 généraux-majors.
J’ai
proposé 9 lieutenants-généraux et 18 généraux-majors en activité, 2
lieutenants-généraux, 4 généraux-majors au cadre de réserve.
Messieurs,
je ne sais s’il est nécessaire de pousser plus loin la preuve que nous nous
sommes conformés à l’avis de la commission que l’honorable M. Rogier a rappelé.
Il me reste
à répondre en ce qui concerne la réduction que j’ai proposée sur la solde du
soldat. J’ai cru qu’il n’était plus possible de songer à des réductions sur le
traitement des officiers, à la suite de celles qui ont été effectuées en 1831
par l’honorable M. de Brouckère. Leur traitement actuel n’est nullement
susceptible de diminution. L’honorable M. de Brouckère avait proposé également
quelques réductions sur la solde du soldat. Voici sur quoi il fondait ses
propositions, c’est sur les mêmes motifs que je me suis appuyé.
Cet
honorable ministre avait remarqué que nos soldats, comparés à ceux des pays
voisins, étaient les mieux rétribués ; que le soldat belge avait
non-seulement conservé la solde déjà élevée de
Ces
dépenses réunies produisent une assez forte somme, et les réductions que j’ai
proposées n’en forment qu’une fraction minime. Mais, comme vous le savez, ce
sont les économies sur les masses qui ont quelque importance.
Je vous
répète, toutefois, que je n’ai fait ces propositions que pour satisfaire aux
vues d’économie de la chambre. Il dépendra d’elle de les admettre ou de les
rejeter lors de la discussion du budget.
Messieurs,
quant à ce qui concerne le moral des sous-officiers, je crois que la
législature et le gouvernement ont fait, pour le relever, tout ce qu’il était
possible de faire.
Vous avez
créé aux sous-officiers une position entièrement nouvelle ; vous leur avez
donné des garanties dont ils n’ont jamais joui auparavant. Les anciens
sous-officiers dont beaucoup maintenant sont officiers dans l’armée pourront
dire à ceux qui portent aujourd’hui les galons, combien ceux-ci jouissent de
plus d’avantages que leurs prédécesseurs. Ils ont une part réglée à
l’avancement. Dans certaines armes, ils ont la moitié des vacances, et dans
d’autres le tiers.
Je
l’avouerai, il y a un moment de malaise qui dure encore, mais ce malaise (page
1313) est passager, et a été ressenti dans toutes les armées lors du passage du pied de
guerre au pied de paix. Les officiers en ont également souffert, mais ils
n’oublieront pas qu’ils ont eu pendant les premières années qui ont succédé à
la révolution plus d’avancement que dans toutes les armées voisines. Ils se
souviendront que la situation exceptionnelle dont ils souffrent momentanément
aujourd’hui s’est présentée en France en 1814 et que dans ce pays et dans le
royaume des Pays-Bas jusqu’en 1817 et 1818 l’on a conservé beaucoup d’officiers
à la demi-solde. Jusqu’ici aucun de nos officiers n’a été mis dans cette
position, à laquelle ne peut entièrement être comparée celle du cadre de
réserve.
Je viens de
parcourir quelques-uns des avantages dont jouissent nos soldats, j’ai aussi
indiqué les avantages dont jouissent nos sous-officiers et ceux qu’ont eu nos
officiers. L’armée sait les apprécier, elle sais que les retards actuels dans
son avancement étaient inévitables. Son moral ne s’affaiblira pas ; nous
connaissons d’ailleurs sa bonne discipline et son patriotisme.
Il ne faut
pas conclure de ce que je viens de dire qu’il y aurait de nouvelles réductions
à faire. Je les combattrai, au contraire, de toutes mes forces. Le champ des
économies a été parcouru entièrement. J’en trouve une preuve dans les
propositions de la section centrale. Après s’être livrée à un travail laborieux
et consciencieux, quel est le résultat de ses propositions ? Il s’élève au
sixième ou au septième des réductions que j’ai opérées. Les inconvénients que
ces réductions entraîneraient vous prouveront du reste que j’ai fait sous ce
rapport tout ce qu’il était possible.
M.
Manilius – Après le discours remarquable que
vous avez entendu à l’ouverture de cette séance, ma tâche est singulièrement
allégée. Cependant, je traiterai quelques points du discours de l’honorable M.
Rogier, non pas pour le combattre, mais pour l’appuyer. J’y arriverai dans le
cours du discours que je me propose de prononcer.
Je
commencerai par m’occuper du discours de l’honorable membre qui a parlé
immédiatement avant M. le ministre de la guerre, et qui a répondu aux
observations présentée hier par l’honorable M. Delehaye, pour soutenir que la
loi ne constituait par une organisation de l'armée. C’est à ce moment que j’ai
demandé la parole. Je dois la prendre après ce qu’a dit M. d’Huart. Cet
honorable membre s’est aujourd’hui attaché à prouver que l’organisation
projetée était bien réelle et en apparence suffisante. Il veut dire, sans
doute, que la section centrale a proposé une organisation des cadres qui doit
satisfaire pour le moment, car nous ne sommes pas saisis d’un projet d’organisation des cadres ; ce
n’est qu’un amendement de la section centrale. Pour que nous en fussions
saisis, comme projet, il aurait fallu que le gouvernement y eût adhéré ;
or, c’est ce qu’il n’a pas fait. J’appelle l’attention de M. le ministre de la
guerre sur ce point.
Je
n’envisage pas le projet du gouvernement comme un projet d’organisation de
l'armée. En cela, je suis d’accord avec toute la section centrale dont je
faisais partie. Aussi la section centrale a eu le soin de vous expliquer que
son travail, auquel elle a été de guerre lasse finalement obligée, n’est qu’un
travail pour organiser le cadre des officiers. L’honorable rapporteur l’a dit
formellement ; il a même dit, en termes exprès, dans son rapport :
« A ses yeux (aux yeux de la section centrale) le projet du gouvernement a
simplement le caractère d’une organisation de cadres. » Voilà ce
qui est en toutes lettres dans le rapport, et même en lettres italiques.
Je
m’étonne, après cela, que l’honorable M. d’Huart trouve mauvais que nous ne
reconnaissions pas au projet du gouvernement le caractère d’une loi
d’organisation. Il nous est impossible de lui reconnaître ce caractère.
La section
centrale a été, en quelque sorte, restreinte dans son travail, parce que, comme
le commencement des débats l’a prouvé, le gouvernement n’a pas jugé à propos
d’entrer dans tous les détails de la grande question de l’organisation de
l'armée. Aussi, lorsque la section centrale a commencé ses opérations, son
premier soin a été de poser des questions. Mais pour les laisser sans réponse
on a allégué des raisons diplomatiques. A cet égard, on a déjà soulevé un coin
du voile qui couvre ces débats. L’honorable M. Castiau a fait de l’une de ces
questions l’objet d’une motion d’ordre qui a ouvert cette discussion ; vous
avez vu comment cela a tourné. Vous concevez que je ne suis pas tenté de
revenir sur ce point ; aussi je n’y reviendrai pas. (On rit.)
Tout à
l’heure l’honorable M. d’Huart, répondant à l’honorable M. Rogier,
disait : « Mais pour l’organisation de l'armée que voulez-vous de
plus que ce qu’on vous propose ? Voyez (a-t-il dit), l’article final de
Mais cette
loi existe, a dit l’honorable M. d’Huart. Ce qu’il faut, ce n’est donc pas une
loi sur le recrutement. N’avez-vous pas la loi sur la milice ? C’est tout ce qu’il faut, Messieurs,
dans toute cette discussion, et surtout au commencement, on s’est beaucoup
occupé d’histoire, mais de notre histoire ancienne. Je vais aussi m’occuper un
peu d’histoire, mais d’histoire contemporaine.
Je vais
vous expliquer comment vous avez hérité d’une loi sur la milice. Cette loi
n’est pas celle qui avait été prescrite par
Pour bien
comprendre ce qu’est la loi sur la milice, il faut remonter à
« CHAP.
VIII – De la défense de l’Etat
« Art.
203. Conformément aux anciennes coutumes, à l’esprit de la pacification de Gand
et aux principes de l’union d’Utrecht, l’un des premiers devoirs des habitants
du royaume est de porter les armes pour le maintien de l’indépendance et la
défense du territoire de l’Etat.
« Art.
204. Le roi veille à ce que des forces suffisantes de terre et de mer, formés
par enrôlement volontaire de nationaux ou d’étrangers, soient constamment
entretenues pour servir soit en Europe, soit hors de l’Europe, selon que les
circonstances l’exigent.
« Art.
205. Des troupes étrangères ne peuvent être prises au service du royaume que de
commun accord du roi et des états généraux. Le roi communique les capitulations
qu’il fait à ce sujet aux états généraux, aussitôt qu’il le peu convenablement.
(Voici,
messieurs, le commencement de l’histoire que je vous ai annoncée.)
« Art.
260. Indépendamment de l’armée permanente de terre et de mer, il y a une milice
nationale, dont, en paix, un cinquième est licencié tous les ans.
« Art.
207. Cette milice est formée, autant que possible, par enrôlement volontaire de
la manière déterminée par la loi ; à défaut d’un nombre suffisant
d’enrôles volontaires, elle est complétée par la voie du sort. Tous les
habitants non mariés au premier janvier de chaque année, qui, à cette époque
auront atteint leur 19e année, sans avoir terminé leur 23e,
concourent au tirage. Ceux qui ont reçu leur congé ne peuvent, sous aucun
prétexte, être appelés à un autre service qu’à celui de la garde communale,
dont il sera parlé ci-après. »
Je n’ai pas
besoin d’aller plus loin pour vous prouver que, d’après la loi fondamentale,
dans l’organisation de la force publique, l’armée régulière était en première
ligne, la milice en seconde ligne, et la garde communale en troisième ligne.
Ces trois éléments de l’organisation de l’armée constituaient la force
publique.
Maintenant,
je viens à notre Constitution ; que dit-elle ? Elle porte :
« TITRE
V – De la force publique.
« Art.
118. Le mode de recrutement de l’armée est déterminé par la loi. Elle règle
l’avancement, les droits et les obligations des militaires. »
Qu’avez-vous
aujourd’hui ? La milice seulement ; et de quel droit
l’employez-vous ?
Je viens de
prouver, messieurs, que ce qu’il faut pour organiser une armée aujourd’hui,
c’est un élément permanent. Il faut donc trouver cet élément régulier dans une
loi. Eh bien, la loi qu’on a demandée, c’était une loi sur le recrutement qui
devait être le commencement de l’organisation de l'armée.
Je ne
m’étendrai pas davantage à cet égard : l’honorable M. Rogier a si bien
défini cette nécessité qu’il est superflu que j’ajoute quelque chose.
M. Rogier – Pas du tout, vous dites, et très bien, des
choses nouvelles que je n’ai pas dites.
M. Manilius – Alors, je dirai encore quelque chose. (On
rit.)
Ce que je
dirai encore, c’est que, de même que l’honorable M. Rogier s’est donné la peine
d’approfondir l’importance des éléments nécessaires pour une armée, j’aurais
voulu que MM. les ministres s’en occupassent également ; non pas seulement
M. le ministre de la guerre, car je dois convenir que cela n’entre pas
complètement dans ses attributions ; mais Monsieur le ministre de
l'intérieur. C’est à lui qu’incombe la loi de la milice ; il doit la
savoir par cœur.
Je suis
convaincu d’avance qu’il n’est pas disposé à me contrarier sur le chapitre que
je viens de lui mettre sous les yeux. Il doit savoir que la milice n’a été
instituée que comme auxiliaire à l’armée permanente. Cette armée permanente,
messieurs, avait aussi sa loi. Dans le royaume des Pays-Bas, il y avait une loi
d’organisation de l’armée permanente. Cette loi avait été faite avant que la
loi fondamentale existât ; ainsi la loi fondamentale n’avait pas besoin de
déclarer qu’il fallait faire une loi, elle était faite. Mais ce qu’elle a
voulu, c’est une loi sur la milice, et on l’a faite, on l’a faite
immédiatement ; ou plutôt on l’a refaite, car je dois le dire, elle
existait en 1815 lors du retour de Napoléon.
En 1817,
messieurs, on l’a rendue plus compatible avec les lois permanentes ; mais
on n’a pas changé son caractère. Aujourd’hui encore, malgré toutes ses
modifications et les quatre voluments d’instructions ministérielles qui
l’entourent, c’est encore la loi de la milice et rien que la loi de la milice.
Cela
m’amène à dire, messieurs, qu’il est regrettable que les hommes qui s’occupent
avec tant d’empressement de la position des généraux, des aides de camp et de
tout ce qui s’ensuit, ne s’occupent pas du tout du véritable élément de
l’armée, du soldat. Ils ne savent pas encore vous dire aujourd’hui quel est
l’élément militaire. C’est la milice, nous a dit l’honorable M. d’Huart. Je m’attends
à ce que M. le ministre de la guerre nous en dise autant, à moins qu’il ne nous
dise qu’il y a aussi les volontaires. Mais je lui demanderai aussi de quel
droit il y a des volontaires ? Il n’y a que peu d’années que nous avons
voté quelques sommes pour les volontaires ; mais il n’y a pas d’autre loi
qui prescrive qu’il faut en accepter.
(page
1314) Une loi d’organisation aurait pu s’occuper de ces questions.
Elle aurait décidé de quelle manière il faut organiser l’élément
militaire ; vous l’avez bien fait pour les officiers ; mais vous ne
dites pas où il faut prendre les soldats. Vous nous dites : il y a une
vieille loi qui décide où je dois prendre les soldats ; je ne sais s’il
est bien régulier de m’appuyer sur cette loi, mais peu importe.
Messieurs,
ce qu’il fallait, ce que la chambre a voulu, c’est une loi qui organisât
l’armée non pas à commencer du général, mais à commencer du soldat comme base
et en couronnant l’œuvre par le général.
Messieurs,
comme membre de la section centrale, j’ai pensé qu’ayant pris la parole, il
m’était permis de répondre à quelques questions qui ont été soulevées hier par
divers orateurs.
L’honorable
M. Lys, entre autres, s’est étonné du silence de la section centrale
relativement à la question des forteresses. Je crois avoir répondu à cet égard
au commencement de mon discours.
D’autres
membres ont prétendu que le projet de la section centrale n’était qu’un travail
qui ressemblait à une mystification. Messieurs, je vous prie de croire que le
mot n’est pas heureux. Il n’y a pas de mystification. Nous avons été guidés par
les meilleures intentions. Nous avons avisé aux moyens les plus sérieux pour
amener une bonne organisation. Mais, comme je l’ai dit, le gouvernement ne nous
a pas prêté les mains.
Le gouvernement,
je crois, aime le repos. Chacun des ministres aime beaucoup à nous doter d’un
petit travail à sa façon mais jamais ils ne nous donnent un travail d’ensemble.
Vous en avez encore eu l’expérience à la fin de la dernière session. La chambre
avait ordonné une enquête. Il fallait examiner la question commerciale, la
question industrielle, la question agricole. Il fallait visiter pendant quatre
ans tous les coins du pays, pour connaître toutes les ramifications
industrielles, pour entendre de chaque industriel la manière dont il s’y
prenait pour arriver à la confection de ses produits. Il fallait aller dans
tous les ateliers, dans toutes les fabriques, il fallait tout savoir. Et quand
on eu bien vu tout, quand on a eu les rapports de la commission d’enquête, de
droite et de gauche, on est arrivé avec un simulacre de loi. Quand on a demandé
une loi d’ensemble, que vous a dit M. le ministre ? Oh ! ce serait
une confusion ; faites d’abord ceci, nous examinerons cela ensuite. Et
nous attendons encore cela.
Aujourd’hui,
messieurs, on est dans la même position. L’honorable M. Castiau dit : il
nous faut une loi d’ensemble. Mais, dit le ministre, ce serait une encyclopédie
que vous voudriez ; vous vous y perdriez ! Non, non, messieurs, ce
n’est pas une encyclopédie que nous voulons, c’est, comme je vous le disais
tout à l’heure, commencer par la base et finir par le couronnement.
Messieurs,
des orateurs ont aussi traité la question d’économie à faire sur l’armée. La
section centrale, lorsqu’elle s’est définitivement livrée à son travail
d’organisation des cadres (car il ne s’agit que d’une organisation des cadres
et quoi que fasse le gouvernement, la loi aura toujours pour frontispice :
organisation des cadres), elle a cherché à concilier autant que possible
les besoins de l’armée avec ceux du trésor.
J’ai
entendu dire par quelques orateurs que de grandes économies avaient été faites
par l’honorable ministre de la guerre, le général du Pont. L’honorable M.
Verhaegen lui en a fait, en quelque sorte, un grief. Comment ! a-t-il dit,
l’honorable ministre qui vous a précédé a maintenu pour l’armée la dépense de
30 millions, et l’honorable ministre M. le général du Pont fait une économie
d’un million et autant de mille francs ! Non, messieurs, c’est la section
centrale qui vous présente des économies réelles, et M. le ministre de la
guerre n’a fait que des économies momentanées et qui ne peuvent durer.
L’honorable
M. Lys vous l’a déjà dit : l’honorable ministre de la guerre fait des
économies sur les munitions ; il a eu le bonheur d’obtenir les vivres à
bon marché et il a économisé sur la manutention du pain, sur le fourrage, etc.
Mais cette économie-là n’est pas permanente, ne vous y trompez pas, messieurs.
Au contraire, vous pourriez avoir plus tard un renchérissement du budget, avec
le renchérissement des céréales qu’on vous prépare.
Ce que la section centrale a cherché à obtenir, ce sont des économies permanentes. Réduite à ce travail exigu, l’organisation des cadres, elle a cherché, s’il y avait quelque chose à faire sur ce point et elle y est parvenue. L’économie, il est vrai, n’est que de 180 et quelques milles fr. mais enfin elle sera permanente si vous l’adoptez, et j’espère que la chambre l’adoptera.
Je conclus donc en déclarant que dans le cours des débats, je ne cesserai de soutenir les propositions de la section centrale tendant à faire des économies et je me prononcerai contre le projet du gouvernement, c’est-à-dire contre un projet d’organisation que je ne regarde pas comme tel.
M.
de Mérode – Beaucoup de choses instructives ont
été dites, sans doute, par les organes du gouvernement. Mais il est pourtant
une considération qu’ils n’ont pas suffisamment abordée, ce me semble et qui
est essentielle : c’est la considération de notre situation financière
intimement liée à la défense militaire du pays. MM. les ministres de la guerre
ne cherchent pas assez à connaître cette situation, et l’honorable général du
Pont a repoussé l’opinion d’un préopinant, M. de Garcia, qui pense qu’une armée
en Belgique ne doit pas être de 80,000 hommes en temps de guerre, mais
seulement de 50 à
Ainsi donc,
avouons-le sans détour ; en votant pour une armée forte, on s’engage, si
l’on est sincère, à voter des contributions proportionnelles, à écarter les
bons du trésor que l’on devrait qualifier plutôt les mauvais pour le trésor,
les mauvais pour la défense du pays, lorsque se présentera le danger ;
car, finances en bon ordre, trésor bien garni, sont l’indispensable auxiliaire
de respectable armée. Et qu’on ne dise point qu’en temps de crise le peuple
supportera de grandes misères patiemment ; non, ce n’est pas lorsque les
diverses sources des recettes se tariront, ce n’est pas lorsque le commerce
sera paralysé ; quand chacun restreindra ses dépenses au nécessaire ;
ce n’est point alors qu’on remplira facilement les caisses publiques pour
l’entretien d’une armée sur pied de guerre. Je me rappelle ce qui s’est passé
après la révolution de 1830 lorsqu’il fallut nous prémunir contre
Pour mon
compte, messieurs, voyant les dispositions du pouvoir exécutif comme du pouvoir
parlementaire chez nous, voyant la manière dont on y traite les finances, je
n’établis pas mes calculs sur la possibilité de réunir en Belgique 80,000
hommes, et nous serons heureux lorsque nous pourrons en tenir sur pied
cinquante ou soixante mille pendant un an ou deux, en cas de guerre sérieuse.
Toutefois si la véritable intelligence militaire sait bien préparer d’avance
ces cinquante ou soixante mille hommes,
Hier,
messieurs, j’ai entendu parler des passe droit. Passe droit signifie tort fait
au droit. Or, quels sont les premiers droits à conserver quand il s’agit
d’organisation militaire ? Je pense que c’est le droit à la défense du pays
qui paye l’armée, le droit du soldat recruté par une loi dure, par la plus dure
des lois, d’être honnêtement et justement commandé en temps de paix, de n’être
pas inutilement sacrifié en temps de guerre. Ces deux droits (page
1315) principaux, essentiels, doivent-ils céder au troisième droit
que je reconnais aussi, mais dans certaines limites et secondairement ? Je
parle du droit privé, du droit d’ancienneté. Personne n’oserait le dire :
cependant, certains ministres ont trouvé leur tâche plus facile en lui
accordant à peu près tout. Quoi de plus commode, en effet, que d’opposer aux
réclamations de l’amour-propre, de l’intérêt personnel : qu’on a donné les
places vacantes aux plus anciens ?
Aux plus anciens ! Mais ces plus anciens étaient-ils les meilleurs
à choisir ? Non pour le pays et l’armée, oui, pour ma tranquillité
ministérielle, répliquera au fond du cœur l’égoïsme. Si la loi pourtant réserve
une part suffisante à l’ancienneté, ne laisse-t-elle pas le reste au choix
précisément pour qu’on en use en faveur de l’intérêt national le plus
important ? Dès lors, messieurs, loin d’exciter le ministre à se traîner
dans l’ornière trop suivie, jusqu’à ce jour, et dont il a peine à sortir, parce
qu’elle est profonde, encourageons-le plutôt dans l’accomplissement pénible de
ses devoirs. La meilleure armée n’est pas celle qui brille par les plus beaux
habits, qui possède même le meilleur armement, mais celle qui est commandée par
les chefs les plus vigoureux, les plus instruits, les plus dévoués ; et
l’âge ne donne point ces qualités. Voulez-vous vous en convaincre, assistez
seulement aux manœuvres du camp de Beverloo, dont la médiocrité voudrait bien
voir la suppression et qu’il est, au contraire, de la plus haute utilité de
maintenir, et vous verrez s’il est juste de risquer, sur un champ de bataille,
des milliers d’hommes, de risquer l’existence de l’Etat pour l’intérêt privé de
quelques hommes. Une des causes qui a le plus contribué aux succès des armes de
la république française, c’est la promotion des jeunes intelligences, des
jeunes courages. Peut-être me dira-t-on : Attendez la guerre et vous les
choisirez alors ; mais dans un petit pays, il est nécessaire de réussir
dès le début, et si vos généraux de pure ancienneté vous laissent battre en commençant,
vous serez perdus.
Il est
encore un motif qui me porte à donner la préférence à la qualité sur la
quantité des soldats possibles à réunir en cas de guerre, conformément à nos
moyens financiers. C’est la sûreté intérieure en temps de paix. Aujourd’hui
notre armée est comme un crible à travers lequel on fait constamment passer des
hommes nouveaux. C’est une armée de recrues qui à peine ont le temps de faire
connaissance avec leurs officiers ; dès lors quel ascendant moral
pourraient-ils avoir sur ces miliciens à peine dégrossis qui, dès qu’ils savent
manier les armes, sont renvoyés chez eux et remplacés par d’autres ; cela
marche tant qu’il n’y a pas de trouble ; mais vienne le désordre et
l’échafaudage ambitieux mal assuré croulera. Je vais avancer une proposition
qui semblera peut-être un paradoxe, et cependant n’est pas douteuse pour
moi : c’est que l’armée belge est une des plus utiles garanties des
libertés publiques dont jouit notre pays. Vous faites ici des lois, messieurs,
des lois justes dans leur ensemble, je me plais à le dire. Qui vous garantit
leur exécution ? le Roi et l’armée. Si
Si vous
voulez cependant que les cadres puissent bien remplir leur tâche sous le
rapport de l’ordre intérieur ne leur donnez pas exclusivement à diriger comme
aujourd’hui des hommes absolument neufs. Un jour viendra peut-être, qu’on
rendra tel corps d’officiers responsable du mal qu’il n’aura pu réprimer,
pourquoi ? parce qu’il n’aura eu à commander que des gens momentanément
revêtus d’uniformes, et non pas des soldats. Ceci mérite une attention très-sérieuse
de MM. les membres du conseil des ministres, et je les prie de vouloir bien y
réfléchir ; parce qu’un ministre de la guerre se laisse absorber souvent
par les idées de guerre éventuelle et sans s’occuper assez d’autres
circonstances qui méritent la sollicitude du gouvernement.
J’ai
entendu adresser des reproches à des personnes notables du pays qui ont envoyé
leurs enfants servir en Allemagne, au lieu de les placer dans nos
régiments ; cela, sans doute, paraît sujet à critique, j’en conviens. Mais
il faut savoir qu’il est ici passablement difficile d’entrer dans l’armée. Sans
s’y introduire comme soldat, l’on n’a d’autre porte que l’école militaire et la
porte de l’école militaire est fort étroite. Lorsque l’on a fondé ladite école,
j’avais cru qu’elle serait un moyen de servir leur pays par les jeunes gens qui
appartiennent aux familles aisées et qui ont reçu l’éducation classique des
collèges. Pour laisser militairement quelque chose à cette classe qu’on peut
rendre très utile dans l’armée à cause d’une certaine distinction de formes et
d’idées même que l’on obtient plus aisément par les relations sociales
premières du jeune âge, je pensais que l’on exigerait : 1° une pensions un
peu forte qui aurait diminué pour l’Etat les frais de l’école, secondement que
l’on établirait l’examen non pas sur les mathématiques spécialement, du moins
pour les sections de cavalerie et d’infanterie, mais sur l’histoire, sur la
littérature, sur les langues anciennes, la philosophie, en un mot, sur ce qui
constitue ce qu’on appelle les humanités, sur ce qui constitue j’ose le croire,
une éducation supérieure à la connaissance exclusive des chiffres, des courbes,
des angles, voire même des gaz ou des acides. Malheureusement, l’idée sèche,
mathématico-démocratique prévalut, et le jeune homme bien élevé se trouve, au
concours d’admission, surpassé par celui qui connaît le mieux le carré de
l’hypoténuse. J’ai eu un fils reçu à l’école militaire, et pour qu’il pût y parvenir en temps opportun, il a
dû renoncer à l’étude de la logique, de la morale, de la métaphysique, en un
mot, à l’étude des branches supérieures
de la philosophie, pour être plus ou moins chimiste et mathématicien, savoir
dont il oubliera, comme ses camarades, tous les détails qui n’ont jamais formé
ni les cœurs ni les âmes, et qui rendent cependant très-fiers ceux qui les
possèdent exclusivement, vu qu’ils ignorent la valeur des autres connaissances
humaines.
Voilà,
messieurs, ce que j’ai à dire pour l’excuse de ceux qui vont servir en
Allemagne, et si je désire voir encourager le zèle militaire des fils de
famille que
En outre,
il est indispensable, pour faciliter le maintien des bons cadres de
sous-officiers, qui tous ne peuvent s’élever à un rang supérieur, qu’on leur
réserve comme récompense les places d’ordre civil qu’ils peuvent occuper. La
préférence est ici vraiment juste, car le jeune solliciteur qui n’a rien fait
pour le pays, n’a pas les titres du sous-officier qui aura servi pendant dix ou
douze années. A ce sujet, l’accord des ministres est encore nécessaire. Si les
départements des finances, des travaux publics, de l’intérieur ne secondent pas
le département de la guerre, ne l’appuient pas de tous les moyens, le mode
d’encouragement que je réclame, avec d’autres membres de cette chambre, ne sera
pas employé, ou bien il le sera sans efficacité réelle, sans large résultat.
A ces
encouragements divers, il en faut joindre un autre pour les parents dont les
fils sont appelés au service ou désireraient s’engager volontairement. On peut
être persuadé que la crainte de voir la religion compromise dans les jeunes
cœurs de ceux qui passent du foyer domestique aux casernes est une des plus
puissantes causes d’éloignement pour le service militaire. Je n’ignore point
que pour beaucoup d’esprits superficiels, la fierté inhérente au port de l’épée semble peu compatible avec une
des vertus principales du christianisme, l’humilité si déférente pourtant de la
bassesse. Quoi ! tandis qu’on doit porter la tête haute, se mettre à
l’église à l’humble niveau du bourgeois qui s’assujettit à la prière commune,
ou du simple villageois, n’est-ce pas se ridiculiser ? Mais vraiment,
non ! car, ce qui est ridicule, c’est de croire qu’un habit change la
nature humaine, et si nous sommes dans un siècle progressif, l’on devrait faire
progresser assez l’intelligence sous l’uniforme pour que l’on comprît, dans les
rangs supérieurs spécialement, que Pierre ou Paul, cultivateur ou artisan,
avant d’avoir endossé l’habit du soldat, est encore Pierre ou Paul quand il
apprend où même quand il sait la charge en douze temps, et qu’il est mal,
très-mal, parfaitement mal de le renvoyer à ses père et mère, amoindri sous le
rapport moral et religieux quand il quittera le drapeau.
Je sais
qu’on nie ce résultat, mais la voix publique est plus forte que toutes ces
négations, et, comme je suis ami non douteux de l’armée, je dois dire à
l’officier que l’estime : « N’éloignez pas les sympathies populaires
qu’il vous serait si facile de posséder. » Pourquoi ferait-on perdre au
libre métier des armes, à notre époque d’analyse, à notre époque de contrôle
universel, une part de la considération qui lui convient ?
Loin
d’inspirer des craintes aux parents, le perfectionnement de l’état militaire
devrait arriver à ce point, que le jeune homme, après avoir servi, reviendrait
au foyer domestique plus instruit, plus rangé, plus moral, non moins religieux,
par conséquent ; il serait temps de sentir enfin qu’avec des soldats que
la conscription enlève aux familles les plus honnêtes, on ne peut plus agir comme
à l’époque où l’on recrutait dans les carrefours et sur le quai de la
ferraille ; où l’on ramassait, pour former un régiment, les déserteurs de
toutes les nations. L’usage des grossiers jurements qui offensent Dieu et
blessent l’homme, contre lesquels l’on se les permet, devrait être entièrement
supprimé ; il en est de même du genre bambocheur ou ricaneur des choses
qui méritent le plus de respect. Avec ce genre on n’obtiendra jamais la
confiance du grand nombre de citoyens belges, mais plutôt leur répugnance pour
le service militaire dont ils subiront la charge pour l’obligation légale de
s’y soumettre, pas autrement. Or, est-ce dans ce sentiment de répugnance
instinctive que se trouvera pour le corps d’officiers la preuve évidence,
palpable, qu’il atteint à un haut degré l’estime et l’affection
publiques ? Le bon sens dit que non ! le bon sens dit que le jour où
la crainte du service militaire sous le rapport moral disparaîtrait, serait
pour l’épaulette un beau jour, un jour glorieux, un jour digne d’envie. Je
connais des chefs de corps, des officiers de moindre rang qui comprennent les
principes que je voudrais voir admis par tous, et qui démontrent que je ne
réclame pas une utopie ; mais il faudrait que la généralité comprît de
même sa mission, et pour cela il suffit que l’officier pris en masse, qui ne
peut ignorer que la (page 1316)
cupidité des intérêts matériels, le désir de se soustraire aux charges qu’exige
l’entretien d’une armée, agissent sans cesse contre l’état militaire, se
persuade, à l’aide d’un peu de réflexion, qui doit à notre époque industrielle peu belliqueuse concilier à cet état si
noble en lui-même tous les intérêts moraux ; qu’il doit lui attirer
non l’antipathie mais la sympathie , mais la confiance des familles.
Je me suis
permis ces dernières observations, messieurs, parce que votant, comme membre de
cette chambre, le contingent de la milice, c’est mon devoir d’exprimer, au
moment où l’on s’occupe de l’organisation de l’armée, les sentiments et les
vœux du plus grand nombre de mes concitoyens.
M.
de La Coste
– Messieurs, en
écoutant quelques-uns des discours qui ont été prononcés dans les dernières
séances, j’ai été frappé de l’idée que, sans doute à l’insu et contre le gré
des orateurs, il en pouvait demeurer cette impression que l’armée ne trouverait
dans les grands pouvoirs de l’Etat, et notamment dans cette chambre, la
sympathie à laquelle lui donnent droit et son utilité pour le pays, et son
courage, et son dévouement. Une semblable impression, messieurs, serait aussi
funeste pour l’armée et pour le pays, qu’elle est, selon moi, fausse en
elle-même.
Cà et là,
sur tous les bancs, à ma droite et à ma gauche, je vois des hommes qui, dans
certaines occasions, ont réclamé des réformes économiques dans l’organisation
de l'armée ; mais nulle part sur aucun banc, l’armée n’a des adversaires,
ni ne peut en avoir.
Sa position
a été, est encore pénible, pleine d’incertitude et de sacrifices, mais on vous
l’a dit, c’est par ce motif impérieux qu’il s’agissait du passage de l’état de
guerre à l’état de paix, et c’est précisément parce qu’on a voulu adoucir cette
transition qu’elle s’est prolongée.
Dans cette
question, messieurs, comme dans beaucoup d’autres, nous avons des devoirs
divers à concilier : chacun de nous s’y applique souvent à des points de
vue différents, mais avec un zèle sincère ; et si nous pouvions négliger
un de ces devoirs, pour complaire à l’armée, nous n’aurions point droit à sa
reconnaissance, pour que nous n’en aurions plus à son estime. Et, messieurs,
qu’il me soit encore permis d’ajouter cette réflexion ; si l’armée,
maintenant, touche au moment d’être enfin dotée d’une plus grande stabilité,
c’est en majeure partie à cette chambre qu’elle le doit, c’est à l’insistance
de cette chambre pour obtenir une loi d’organisation.
Qu’on ne
s’y trompe pas cependant, cette loi n’est point un budget ; c’est, d’une
part, une garantie pour l’armée ; c’est, d’autre part, une garantie pour
la nation contre un accroissement progressif des charges ; mais notre prérogative,
quant au vote du budget, quant au contingent annuel, cette prérogative reste
intacte, nous ne pouvons l’aliéner. Chaque année, messieurs, nous aurons à
l’exercer. Nous l’exercerons cependant en hommes raisonnables, en hommes qui ne
se mettent pas en contradiction avec eux-mêmes, mais enfin nous l’exercerons
dans sa plénitude et nous serons nous-mêmes juges de ses limites.
J’ai cru
devoir faire cette observation, parce que quelquefois on prend notre silence
pour un acquiescement, et que je ne voudrais pas qu’un jour on nous opposât
l’assertion partie des bancs ministériels que le vote du budget ne serait plus
désormais qu’une formalité.
Messieurs,
il faut en finir avec cette question de l’armée. C’est ce que nous sentons
tous, et c’est ce qui déterminera mon vote. Cependant, je suis aussi de ceux
qui pensent qu’il est deux points sur lesquels il faudra revenir, si nous
voulons avoir une organisation militaire vraiment nationale ; c’est
d’abord la question des forteresses ; non pas de telle ou de telle
forteresse, mais de toutes les forteresses que nous ne pourrions défendre
vigoureusement par nous-mêmes. Ces forteresses, messieurs, je ne dirai pas que
c’est une épée suspendue au-dessus de nous, c’est une figure un peu vieillie,
mais permettez-moi de dire que ce serait une épée que nous ne pourrions pas
saisir d’une main ferme, et vous savez dans ce cas ce qui arrive.
L’autre
point, messieurs, qui a déjà été touché par plusieurs orateurs et tout à
l’heure encore par l’honorable M. Manilius, c’est l’appel forcé des miliciens.
Messieurs, notre armée a deux objets, même sur le pied de paix ; l’un est
proprement le service de paix, le service des garnisons et l’autre ce sont les
prévisions de guerre. Maintenant, messieurs, faut-il confondre complètement ces
deux objets ? Il me semble, à moi, que le service des garnisons, le
service qui se rapporte à l’état de paix, devrait appartenir uniquement à
l’armée permanente, aux soldats dont le service est volontaire ; il me
semble que l’on ne devrait recourir au service forcé que pour ce qui tient
véritablement à la défense du pays ; c’est-à-dire soit la défense actuelle
en cas de danger, soit ce qui prépare le soldat à concourir à une défense
future. Vous avez, messieurs, 14,000 hommes de volontaires ; à cela vous
pouvez joindre encore les remplaçants dont j’ignore la proportion. Les
remplaçants sont aussi jusqu’à un certain point des volontaires, et si leur
position a quelque caractère d’infériorité, par une meilleure organisation du
remplacement on pourrait la relever.
Quelle est
donc l’impossibilité de composer l’armée permanente, consacrée au service
du pays pendant la paix, de la composer uniquement de soldats placés sous les
armes par leur propre volonté ? Et si, messieurs, pour atteindre ce but,
il fallait même des sacrifices, je pense que, dans ce cas, on en pourrait
demander à cette classe aisée qui profite de la faveur du remplacement, faveur
que nos mœurs réclament, que la douceur de ces mœurs rend, je le crois,
inévitable, mais qui peut être considérée comme exorbitante, relativement à la
position de ceux qui sont astreints en personne à un service forcé.
Ceux-là,
messieurs, ont droit à des ménagements tout particuliers. Je voudrais en faire
une classe séparée, ce serait la véritable milice, comme elle devait l’être
dans les origines, sous le gouvernement des Pays-Bas. Ceux-là, messieurs, je ne
les réunirais que pour les préparer aux services militaires qu’ils devraient
rendre si le pays était menacé.
Ainsi,
messieurs, vous auriez une armée permanente toujours sous les drapeaux,
parfaitement disciplinée, parfaitement exercée, tellement rompue aux manœuvres
que s’il fallait la transporter sur le champ de bataille, elle s’y comporterait
comme à la parade… ; son mécanisme, en effet, serait tellement parfait que
quoiqu’elle n’eût jamais été au feu, elle serait, pour ainsi dire, inhabile à
faiblir et déploierait tout naturellement le calme et l’énergie de vieilles
troupes. Vous auriez, après cela, messieurs, les jeunes soldats, propres soit à
défendre les places fortes, soit à être placés en seconde ligne, soit à être
intercalés dans les rangs de l’armée permanente qui réunirait ainsi tous les
éléments de force, la solidité des vétérans et l’élan des conscrits.
Vous
obtiendriez, messieurs, en même temps, un grand résultat moral. Pour la partie
de la population armée qui a la vocation de l’état militaire, la caserne est
souvent une école de moralisation, parce que c’est une école d’ordre, une école
d’obéissance ; mais, messieurs, pour la partie de la population que ses goûts,
que sa vocation naturelle portent vers de paisibles travaux, vers la vie
domestique, la caserne ne peut plus être considérée sous le même aspect.
Cette
partie de la population, suivant l’expression juste et énergique d’un honorable
député du Hainaut, cette partie de la population vient s’étioler en passant par
la caserne ; elle y séjourne trop peu de temps pour y prendre les vertus
militaires, mais assez pour en rapporter des idées, des habitudes, des
dispositions morales et même physiques qui ont souvent sur la destinée de ces
jeunes gens, de ceux qui les entourent, une funeste influence.
Messieurs,
je le sais bien, il est impossible que vous vous décidiez sur une semblable
question dans un débat d’incident, mais c’est avec une conviction profonde que
je vous ai présenté ces observations, et je les recommande à vos méditations.
- La séance
est levée à 4 heures et ½.